GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
(Requêtes nos 28859/11 et 28473/12)
ARRÊT
STRASBOURG
15 novembre 2016
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 1
En l’affaire Dubská et Krejzová c. République tchèque,
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande
Chambre composée de :
Guido Raimondi, président,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Luis López Guerra,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
George Nicolaou,
Kristina Pardalos,
Julia Laffranque,
Helen Keller,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal,
Valeriu Griţco,
Faris Vehabović,
Dmitry Dedov,
Egidijus Kūris,
Jon Fridrik Kjølbro,
Síofra O’Leary, juges,
et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 décembre 2015 et le
15 septembre 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 28859/11
et 28473/12) dirigées contre la République tchèque et dont deux
ressortissantes de cet État, Mmes Šárka Dubská et Alexandra Krejzová (« les
requérantes »), ont saisi la Cour le 4 mai 2011 et le 7 mai 2012
respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérantes ont été représentées par Me D. Záhumenský, avocat
employé par l’organisation de défense des droits de l’homme Liga lidských
práv, et par Me R. Hořejší, avocat à Prague. Le gouvernement tchèque (« le
Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. V.A. Schorm, du
ministère de la Justice.
3. Les requérantes alléguaient que le droit tchèque n’autorisait pas les
professionnels de santé à assister les femmes accouchant à domicile, ce qui
pour elles emportait violation de l’article 8 de la Convention.
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4. Le 11 décembre 2014, à la suite d’une audience sur la recevabilité et
le fond (article 54 § 3 du règlement de la Cour – « le règlement »), une
chambre de la cinquième section composée de Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger, Boštjan M. Zupančič, Ganna Yudkivska, André
Potocki, Paul Lemmens et Aleš Pejchal, juges, ainsi que de Claudia
Westerdiek, greffière de section, a rendu un arrêt dans lequel elle concluait,
par six voix contre une, à la non-violation de l’article 8 de la Convention. À
l’arrêt se trouvaient jointes les opinions concordantes des juges Villiger
et Yudkivska et l’opinion dissidente du juge Lemmens. Le 10 mars 2015,
les requérantes ont demandé le renvoi de l’affaire devant la Grande
Chambre en vertu de l’article 43 de la Convention. Le 1er juin 2015, le
collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande.
5. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément
aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.
6. Tant les requérantes que le Gouvernement ont déposé des
observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement) sur le
fond de l’affaire. En outre, les parties ont chacune soumis des commentaires
écrits sur les observations de l’autre. Des observations ont également été
reçues du gouvernement de la République slovaque, du gouvernement de la
République de Croatie, de l’Ordre royal des sages-femmes (Royal College
of Midwives – Royaume-Uni), du groupe d’étude international de
l’Association mondiale de médecine périnatale (World Association of
Perinatal Medicine), de l’Union tchèque des sages-femmes (Unie porodních
asistentek – UNIPA) et de Mme Anna Šabatová, défenseure publique des
droits (Veřejná ochránkyně práv), que le président avait autorisés à
intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et
44 § 3 du règlement). Les parties ont répondu à ces observations
(article 44 § 6 du règlement).
7. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de
l’homme, à Strasbourg, le 2 décembre 2015 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
– pour le Gouvernement
MM. V.A. SCHORM, agent,
O. HLINOMAZ, bureau de l’agent du Gouvernement,
ministère de la Justice,
Mmes J. MARTINKOVA, bureau de l’agent du Gouvernement,
ministère de la Justice,
D. KOPKOVA, ministère de la Santé,
MM. J. FEYEREISL, directeur de l’institut de soins mère-enfant,
président de la Société tchèque de gynécologie
et d’obstétrique,
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 3
P. VELEBIL, directeur du centre périnatal de l’institut de
soins mère-enfant, secrétaire scientifique de la Société
tchèque de gynécologie et d’obstétrique, conseillers ;
– pour Mme Dubská, requérante
Mmes Z. CANDIGLIOTA, conseil,
P. JANSSEN, professeure de santé maternelle et infantile,
école de la santé publique et des populations, université
de la Colombie-Britannique ; membre associé, département
de médecine familiale, d’obstétrique et de gynécologie
et école de sciences infirmières, université de la
Colombie-Britannique,
S. SLADEKOVA, conseillères ;
– pour Mme Krejzová, requérante
M. R. HOREJSI, conseil,
Mmes A. HOREJSI,
M. PAVLIKOVA, conseillères.
Mme Krejzová, requérante, était également présente.
La Cour a entendu Mme Candigliota, Me Hořejší, M. Schorm et
M. Velebil en leurs déclarations, ainsi que Mme Janssen en ses réponses aux
questions posées par des juges.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8. Les requérantes sont nées en 1985 et en 1980 et résident à Jilemnice
et à Prague respectivement.
A. La requête introduite par Mme Šárka Dubská
9. La requérante mit au monde son premier enfant à l’hôpital en 2007,
sans aucune complication. Selon ses dires, lors de son accouchement le
personnel médical présent la pressa d’accepter divers types d’interventions
médicales alors qu’elle avait expressément formulé le souhait qu’on lui
épargnât tout traitement médical non indispensable. On l’aurait également
obligée à accoucher dans une position qu’elle trouvait inconfortable. Le
bébé et elle auraient été en bonne santé, de sorte qu’elle aurait voulu quitter
l’hôpital quelques heures après la naissance ; or un médecin lui aurait
ordonné d’y rester et elle ne serait donc sortie que le lendemain, après avoir
4 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
présenté une lettre de son pédiatre confirmant qu’elle prendrait soin de
l’enfant.
10. En 2010, la requérante tomba enceinte de son deuxième enfant, dont
la naissance était prévue pour la mi-mai 2011. La grossesse ne présentait
aucune complication et les analyses et examens médicaux n’indiquaient
aucun problème. Estimant que son accouchement à l’hôpital avait été
éprouvant, l’intéressée décida qu’elle accoucherait à domicile et se mit en
quête d’une sage-femme pour l’assister. Elle ne parvint toutefois à en
trouver aucune qui fût disposée à l’aider à accoucher chez elle.
11. Le 5 avril 2011, elle écrivit à sa compagnie d’assurance maladie et à
l’administration régionale (krajský úřad) de Liberec afin de leur demander
une aide pour trouver une sage-femme.
12. Le 7 avril 2011, la compagnie d’assurance maladie lui répondit que
la législation tchèque ne prévoyait pas la prise en charge par une compagnie
d’assurance maladie publique des frais liés à un accouchement à domicile et
qu’elle n’avait donc conclu aucun contrat avec des professionnels de santé
assurant ce type d’actes. Elle indiqua en outre que la majorité des experts
médicaux était défavorable aux accouchements à domicile.
13. Par une lettre du 13 avril 2011, l’administration régionale ajouta
qu’en tout état de cause les sages-femmes inscrites au registre des
professionnels de santé n’étaient légalement autorisées à pratiquer un
accouchement qu’au sein d’un établissement doté de l’équipement
technique requis par l’arrêté no 221/2010, et non chez des particuliers.
14. N’ayant trouvé aucun professionnel de santé pour l’assister, la
requérante donna naissance à son fils seule chez elle, le 11 mai 2011.
15. Le 1er juillet 2011, elle forma un recours constitutionnel (ústavní
stížnost), alléguant qu’elle avait été privée de la possibilité d’accoucher chez
elle avec l’assistance d’un professionnel de santé et qu’elle avait de ce fait
subi une violation de son droit au respect de sa vie privée.
16. Le 28 février 2012, la Cour constitutionnelle (Ústavní soud) écarta
son recours, estimant contraire au principe de subsidiarité qu’elle statuât sur
le fond de l’affaire dès lors que la requérante n’avait pas exercé tous les
recours disponibles, dont l’action en protection des droits individuels fondée
sur le code civil et la demande de contrôle juridictionnel basée sur
l’article 82 du code de procédure administrative contentieuse. La juridiction
constitutionnelle exprima néanmoins des doutes sur la conformité de la
législation tchèque à l’article 8 de la Convention et invita les parties
prenantes à entamer un débat sérieux et éclairé en vue d’une nouvelle
législation. Neuf des quatorze juges ayant siégé joignirent à l’arrêt de la
haute juridiction des opinions séparées marquant leur désaccord avec le
raisonnement le sous-tendant. Ils considéraient pour la plupart que la Cour
constitutionnelle aurait dû rejeter le recours au motif qu’il constituait une
actio popularis et s’abstenir d’émettre un avis sur la constitutionnalité de la
législation relative aux accouchements à domicile.
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 5
B. La requête introduite par Mme Alexandra Krejzová
17. La requérante est la mère de deux enfants qu’elle a mis au monde
chez elle en 2008 et 2010, avec l’assistance d’une sage-femme. Les
sages-femmes concernées ont pratiqué ces accouchements sans autorisation
officielle.
18. La requérante a indiqué qu’elle avait décidé d’accoucher à domicile
après avoir visité plusieurs hôpitaux, lesquels auraient tous écarté sa
demande, à savoir qu’on la laissât accoucher en lui épargnant toute
intervention médicale non strictement nécessaire. Les hôpitaux en question
auraient également refusé d’accéder à son souhait de garder un contact
ininterrompu avec le bébé dès la naissance, alors que la pratique courante
consistait selon elle à retirer l’enfant à sa mère juste après l’accouchement
pour le peser, le mesurer et le garder sous observation médicale pendant
deux heures.
19. Lorsqu’elle introduisit la requête en l’espèce, la requérante était à
nouveau enceinte et devait accoucher à la mi-mai 2012. Sa grossesse se
déroulait sans complications et elle souhaitait à nouveau accoucher chez elle
avec l’assistance d’une sage-femme. Elle ne parvenait toutefois à trouver
aucune sage-femme disposée à l’aider, parce qu’un tel acte était passible
d’une lourde amende pour services médicaux dispensés sans autorisation.
Elle avait demandé à diverses autorités de l’aider à trouver une solution.
20. Par une lettre du 18 novembre 2011, le ministère de la Santé lui avait
répondu qu’il ne fournissait pas de services médicaux à des particuliers et
que la requérante devait se renseigner auprès de la municipalité de Prague
(Město Praha) qui, faisant office d’administration régionale, enregistrait et
délivrait les autorisations aux professionnels de santé.
21. Le 29 novembre 2011, la compagnie d’assurance maladie de la
requérante avait informé celle-ci que le régime public ne prenait pas en
charge la présence d’un professionnel de santé lors d’un accouchement à
domicile.
22. Le 13 décembre 2011, la municipalité de Prague avait indiqué à la
requérante qu’aucune sage-femme enregistrée à Prague n’était autorisée à
donner des soins lors d’un accouchement à domicile.
23. Le 7 mai 2012, la requérante donna naissance à son enfant dans une
maternité de Vrchlabí, à 140 km de Prague. Elle avait choisi cet hôpital
parce qu’il avait la réputation de respecter les souhaits des parturientes.
Tous ses souhaits n’auraient toutefois pas été respectés. L’accouchement se
serait déroulé sans complications et l’enfant et elle auraient été en bonne
santé ; la requérante aurait néanmoins été contrainte de rester à l’hôpital
pendant soixante-douze heures. Le nouveau-né et elle auraient été séparés
après la naissance et, avant la sortie de la maternité, les restes du cordon
ombilical auraient été coupés contrairement au souhait qu’elle avait
exprimé.
6 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
II. INFORMATIONS GÉNÉRALES SUR LES ACCOUCHEMENTS À
DOMICILE EN RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
A. Instructions et mesures adoptées par le ministère de la Santé
24. Dans son bulletin no 2/2007 de février 2007, le ministère de la Santé
publia des instructions pratiques énonçant ce qui suit :
« En République tchèque, le fait de pratiquer un accouchement est un service de
santé qui n’est assuré qu’au sein d’un établissement de santé. Pareil établissement doit
satisfaire aux prescriptions légales (...) et aux exigences définies par les textes
réglementaires pertinents. »
25. Le 20 mars 2012, le ministère de la Santé constitua un comité
d’experts en obstétrique, qu’il chargea d’étudier la question de
l’accouchement à domicile. Au sein de ce comité étaient représentés les
patients, les sages-femmes, les associations de médecins, le ministère de la
Santé, le commissaire du gouvernement aux droits de l’homme et les
compagnies d’assurance maladie publiques. Les représentants des
associations de médecins boycottèrent les réunions, déclarant que la
situation existante était satisfaisante et qu’il n’y avait pas lieu de changer
quoi que ce fût. Le ministre de la Santé écarta ensuite les représentants des
patients, des sages-femmes et du commissaire du gouvernement aux droits
de l’homme, arguant que seul ce changement de composition permettrait au
comité d’arrêter certaines conclusions.
26. Le 18 janvier 2013, le conseil gouvernemental pour l’égalité des
chances entre les femmes et les hommes (Rada vlády pro rovné příležitosti
žen a mužů), organe consultatif du gouvernement, recommanda d’éviter
toute discrimination persistant à l’égard des femmes dans l’exercice par
celles-ci de leur droit de choisir librement la méthode, les conditions et le
lieu de leur accouchement. Il préconisait également de prévenir la
discrimination envers les sages-femmes en permettant à celles-ci d’exercer
pleinement leur profession au moyen de leur intégration dans le régime
public d’assurance maladie. En outre, pour étayer sa position selon laquelle
les femmes doivent pouvoir choisir le lieu de leur accouchement, le conseil
renvoya aux recommandations du Comité pour l’élimination de la
discrimination à l’égard des femmes, qui surveille la mise en œuvre de la
Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à
l’égard des femmes.
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 7
27. Dans son bulletin no 8/2013, qui a été publié le 9 décembre 2013 et a
remplacé les instructions pratiques de 2007, le ministère de la Santé décrit la
procédure que les prestataires de services de santé doivent suivre lorsque les
nouveau-nés quittent un établissement de santé pour intégrer leur propre
cadre de vie. Il indique que selon les spécialistes un nouveau-né ne doit pas
quitter la maternité moins de soixante-douze heures après sa naissance. La
nouvelle procédure permet la sortie d’un nouveau-né dans un délai plus
court à la demande de son représentant légal, sous réserve que les conditions
suivantes soient remplies :
« a) le représentant légal a, par écrit, retiré son accord concernant la fourniture de
services médicaux au nouveau-né, ou a déclaré par écrit son désaccord concernant la
fourniture de services médicaux, ou bien cet accord ou ce désaccord a été consigné
dans le dossier médical du nouveau-né (...) ;
b) il est établi que le représentant légal a été dûment informé des conséquences
possibles de la sortie de l’hôpital du nouveau-né moins de soixante-douze heures
après sa naissance (...) ;
c) le représentant légal a été dûment informé que, dans l’intérêt du bon
développement ultérieur du nouveau-né, les associations médicales spécialisées
tchèques recommandent :
1. la réalisation d’un examen clinique dans les vingt-quatre heures consécutives à
la sortie de la maternité du nouveau-né (...)
2. la réalisation d’un prélèvement sanguin dans les quarante-huit à soixante-douze
heures consécutives à la naissance, aux fins du dépistage de dysfonctionnements
métaboliques héréditaires (...) »
B. Données sur la mortalité périnatale
28. D’après les estimations fournies par l’Organisation mondiale de la
santé pour 2004, la République tchèque figure parmi les pays qui affichent
le plus faible taux de mortalité périnatale. Ce taux, qui indique le nombre
d’enfants mort-nés et de décès survenant au cours de la première semaine de
la vie, s’élevait à 0,4 % en République tchèque. Dans les autres pays
européens, il variait entre 0,5 % (en Suède et en Italie) et 4,7 % (en
Azerbaïdjan). Il était inférieur à 1 % dans la plupart des pays d’Europe.
Selon le rapport de l’OMS de 2006, la mortalité périnatale constitue un
indicateur important des soins à la mère ainsi que de la santé et de la
nutrition maternelles. Par ailleurs, il reflète la qualité des soins obstétricaux
et pédiatriques disponibles et permet des comparaisons entre différents pays.
Le rapport recommandait en outre que, dans la mesure du possible, tous les
fœtus et les nourrissons pesant au moins 500 g à la naissance, nés en vie ou
non, fussent inclus dans les statistiques. Dans cette étude, les données
communiquées sur les enfants mort-nés n’ont pas été ajustées pour tenir
compte de ce facteur.
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29. Selon le rapport européen sur la santé périnatale relatif à la santé et à
la prise en charge des femmes enceintes et des bébés en Europe en 2010,
publié en 2013 dans le cadre du projet Euro-Peristat, la République tchèque
se classait parmi les pays présentant la plus faible mortalité chez les
nouveau-nés au cours des vingt-sept premiers jours de la vie, avec un taux
de 0,17 %. Les données relatives aux autres pays étudiés, pour la plupart
membres de l’Union européenne, révélaient un taux allant de 0,12 % (en
Islande) à 0,55 % (en Roumanie).
C. Poursuites pénales à l’encontre de sages-femmes
30. Il apparaît qu’en République tchèque aucune sage-femme n’a fait
l’objet de poursuites simplement pour avoir pratiqué un accouchement à
domicile. En revanche, plusieurs sages-femmes ont été poursuivies pour
faute professionnelle dans le cadre d’un tel accouchement. Les requérantes
évoquent les cas de Mmes Š. et K., qui sont toutes deux connues pour leur
action en faveur de l’accouchement physiologique sans intervention
médicale superflue et qui ont régulièrement pratiqué des accouchements à
domicile.
31. Le 27 mars 2013, le tribunal de district (obvodní soud) de Prague 6
déclara Mme Š. coupable d’avoir causé par négligence le décès d’un bébé
mort-né. Mme Š. fut condamnée à une peine de deux ans d’emprisonnement
assortie d’un sursis de cinq ans, et se vit interdire pour trois ans l’exercice
de la profession de sage-femme. Le verdict de culpabilité prononcé contre
Mme Š. reposait sur le fait qu’elle n’avait pas fermement conseillé à la mère
de s’adresser à un établissement médical lorsque celle-ci, déjà en phase de
travail chez elle, l’avait consultée par téléphone. Le tribunal estima donc
que Mme Š. avait donné à la future mère des conseils inadéquats, et ce sans
l’examiner. La condamnation fut confirmée en appel le 29 mai 2013 par le
tribunal municipal (městský soud) de Prague, mais celui-ci réduisit la peine
à quinze mois d’emprisonnement avec un sursis de trente mois et à une
interdiction d’exercer la profession de sage-femme pendant deux ans.
32. Le 29 avril 2014, la Cour suprême (Nejvyšší soud) annula les
jugements des juridictions inférieures. Le 23 mai 2016, Mme Š. fut
finalement acquittée par le tribunal de district. La procédure est semble-t-il
pendante devant la juridiction d’appel.
33. Le 21 septembre 2011, le tribunal de district de Prague 3 déclara
Mme K. coupable d’avoir causé par négligence un préjudice corporel à un
bébé qu’elle avait aidé à mettre au monde à domicile et qui avait cessé de
respirer pendant l’accouchement. Le nourrisson était décédé quelques jours
plus tard. Mme K. se vit infliger une peine de deux ans d’emprisonnement
assortie d’un sursis de cinq ans, se vit interdire pour cinq ans l’exercice de
la profession de sage-femme et fut condamnée à verser 2,7 millions de
couronnes tchèques (CZK – soit 105 000 euros (EUR)) en remboursement
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 9
des frais exposés par la compagnie d’assurance pour les soins prodigués à
l’enfant jusqu’à son décès. Selon le tribunal, Mme K. avait commis une faute
professionnelle en ce qu’elle n’avait pas appliqué les procédures normales à
suivre pour les accouchements établies par l’ordre des médecins de la
République tchèque (Česká lékařská komora), et sa conduite n’avait donc
pas été conforme aux règles de l’art. La plainte pénale n’avait pas été
déposée par les parents mais par un hôpital.
34. Le 24 juillet 2013, la Cour constitutionnelle annula tous les
jugements rendus dans la cause de Mme K. au motif qu’il y avait eu violation
de son droit à un procès équitable. Elle estima que les conclusions des
juridictions ordinaires sur la culpabilité de Mme K. étaient trop subjectives et
n’étaient pas étayées par des éléments de preuve allant au-delà de tout doute
raisonnable ; elle y voyait une violation du principe de la présomption
d’innocence. Elle indiqua notamment que les tribunaux s’étaient fiés
aveuglément à une expertise qu’ils n’avaient pas soumise à un examen
minutieux. Elle conclut que, sur la base de cette expertise, les tribunaux
avaient appliqué un critère très strict de responsabilité pour juger de la
conduite de Mme K., alors que nul ne pouvait dire clairement comment, dans
la situation en cause, celle-ci aurait pu empêcher le décès du bébé. La haute
juridiction ajouta qu’il était établi que l’intéressée avait tenté de secourir le
nouveau-né et appelé une ambulance immédiatement après avoir découvert
qu’il souffrait d’hypoxie. La Cour constitutionnelle jugea que l’obligation
de prévoir toute complication pouvant surgir lors d’un accouchement et de
pouvoir y réagir immédiatement, comme cela avait été exigé de Mme K.,
aboutirait à terme de facto à une interdiction absolue des accouchements à
domicile. Dans ce contexte, elle déclara ce qui suit :
« (...) un État démocratique moderne fondé sur la prééminence du droit repose sur la
protection de libertés individuelles et inaliénables, dont la délimitation a un rapport
étroit avec la dignité humaine. Ces libertés, qui comprennent la liberté dans les
activités personnelles, vont de pair avec une part de risque acceptable. Le droit des
parents de choisir librement le lieu et le mode d’accouchement n’est limité que par
l’intérêt à voir l’accouchement bien se passer et à protéger la santé de l’enfant, cet
intérêt ne pouvant toutefois être interprété comme une préférence inconditionnelle
pour l’accouchement à l’hôpital. »
III. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. La loi sur la santé publique
35. D’après l’article 12 a) 1) de la loi sur la santé publique (no 20/1966 –
zákon o péči o zdraví lidu), qui fut en vigueur jusqu’au 31 mars 2012, un
établissement dispensant des soins de santé devait disposer de moyens
humains, matériels et techniques adaptés à la nature et à l’étendue de l’offre
de soins. En vertu de l’article 12 a) 2) de la loi, le ministère de la Santé
10 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
devait préciser par arrêté les exigences relatives aux moyens matériels,
humains et techniques dont devaient être dotés les établissements de santé.
36. L’article 18 § 1 de la loi indiquait que les soins ambulatoires – qui
englobaient les consultations – étaient assurés par un médecin généraliste et
des spécialistes dans des salles de consultation ou dans des établissements
de soins ambulatoires partenaires.
B. La loi sur les soins dans les établissements de santé privés
37. L’article 4 § 1 de la loi sur les soins dans les établissements de santé
privés (no 160/1992 – zákon o zdravotní péči v nestátních zdravotnických
zařízeních), qui fut en vigueur jusqu’au 31 mars 2012, imposait aux
établissements privés d’être dotés des moyens humains, matériels et
techniques adaptés à la nature et à l’étendue de leur offre de soins.
38. L’article 4 § 2 b) donnait compétence au ministère de la Santé pour
adopter un arrêté précisant les exigences relatives à l’équipement technique
et matériel dont devaient être dotés les établissements de santé privés.
39. L’article 5 § 2 a) de cette loi disposait qu’un établissement privé
pouvait prodiguer les soins de santé visés dans la décision
d’immatriculation de cet établissement.
40. L’article 14 indiquait que quiconque enfreignait la loi s’exposait à
une amende, mais sans en préciser le montant.
C. La loi sur les professions paramédicales
41. Selon l’article 6 § 3 de la loi sur les professions paramédicales
(no 96/2004 – zákon o nelékařských zdravotnických povolání), entrée en
vigueur le 1er avril 2004, l’exercice de la profession de sage-femme englobe
entre autres tâches les accouchements physiologiques et les soins aux
nouveau-nés.
D. L’arrêté no 424/2004 du ministère de la Santé
42. L’arrêté du ministère de la Santé sur les activités du personnel
médical et d’autres spécialistes (vyhláška, kterou se stanoví činnosti
zdravotnických pracovníků а jiných odborných pracovníků), qui fut en
vigueur du 20 juillet 2004 au 13 mars 2011, définissait les tâches des
professionnels de santé et d’autres secteurs. L’article 5 § 1 f) indiquait que
les sages-femmes pouvaient pratiquer certains actes sans supervision
professionnelle, dont les accouchements physiologiques en situation
d’urgence et les épisiotomies si nécessaire.
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E. L’arrêté no 221/2010 du ministère de la Santé
43. L’arrêté du ministère de la Santé sur les exigences relatives à
l’équipement matériel et technique des établissements de santé (vyhláška o
požadavcích na věcné a technické vybavení zdravotnických zařízení), qui fut
en vigueur du 1er septembre 2010 au 31 mars 2012, ne prévoyait la
possibilité pour les sages-femmes de pratiquer des accouchements que dans
des salles spécialement équipées à cet effet. Pareille salle devait avoir une
superficie d’au moins 15 m2 et disposer de l’équipement indispensable
suivant : a) un lit d’accouchement pour salle d’accouchement ou un autre
dispositif approprié pour pratiquer un accouchement physiologique ; b) une
lampe d’examen ; c) une pince stérile ou une bande élastique pour le cordon
ombilical ; d) des ciseaux stériles ; e) un moniteur fœtal électronique ; f) un
oxymètre de pouls ; g) un dispositif d’aspiration ; h) un laryngoscope et les
instruments nécessaires pour dégager les voies respiratoires ; i) un lit pour
les parturientes après l’accouchement ; j) un espace et une surface
appropriés pour les soins aux nouveau-nés ; k) une balance pour peser les
nouveau-nés ; l) un instrument de mesure de la taille des nouveau-nés ;
m) une source d’oxygène médical. De plus, il devait y avoir une autre pièce
d’au moins 8 m2 pour les soins à la mère et à l’enfant après la naissance,
ainsi qu’une douche.
44. Ces installations devaient se trouver à une distance qui permît de
pratiquer une césarienne ou une intervention destinée à assurer la dernière
phase de l’accouchement au sein d’un établissement de santé dispensant des
soins en régime hospitalier et répondant aux exigences définies dans
l’arrêté, et ce dans les quinze minutes suivant la découverte de
complications.
45. En outre, l’arrêté permettait aux sages-femmes de mettre en place un
« lieu d’exercice et de contact », qui devait être doté de l’équipement
suivant : a) du mobilier adapté au travail de sage-femme, et b) un téléphone
portable.
46. Les sages-femmes devaient aussi posséder une sacoche contenant :
a) un instrument de détection des bruits fœtaux ; b) du matériel jetable pour
l’examen d’une femme enceinte ; c) un sphygmomanomètre ; d) un
stéthoscope ; e) un thermomètre médical ; f) du matériel pour les premiers
secours, notamment un dispositif de réanimation cardio-respiratoire.
47. L’article 2 de l’arrêté accordait aux établissements de santé existant
à la date de son entrée en vigueur un délai de douze mois à compter de cette
date pour se conformer aux exigences relatives à l’équipement technique et
matériel posées par ce texte.
L’arrêté no 234/2011, entré en vigueur le 31 août 2011, porta ce délai à
vingt-huit mois.
12 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
F. La loi sur les services médicaux
48. La loi sur les services médicaux (no 372/2011 – zákon o zdravotních
službách) est entrée en vigueur le 1er avril 2012. Elle a remplacé la loi sur la
santé publique (paragraphes 35-36 ci-dessus), la loi sur les soins dans les
établissements de santé privés (paragraphes 37-40 ci-dessus) et l’arrêté sur
les exigences relatives à l’équipement matériel et technique des
établissements de santé (paragraphes 43-47 ci-dessus).
49. D’après l’article 2 § 2 a), on entend par « services de santé »
l’administration de soins de santé, au sens de la loi, par des professionnels
de santé, ainsi que les actes pratiqués par d’autres professionnels dès lors
que ces actes sont directement liés à l’administration de soins de santé.
50. L’article 2 § 4 a) 4) de la loi indique que l’on entend par « soins de
santé » l’ensemble des actes et mesures de santé mis en œuvre à l’égard
d’un individu, dont l’assistance lors d’un accouchement.
51. Selon l’article 4 § 1, on entend par « établissement de santé » une
structure destinée à la fourniture de services de santé.
52. L’article 10 de la loi énonce que la fourniture de soins de santé dans
le propre cadre de vie d’un patient – notamment à domicile – ne peut
concerner que des actes auxquels ne sont pas applicables des conditions
relatives à l’équipement technique et matériel nécessaire à leur réalisation
dans un établissement de santé.
53. Selon l’article 11 § 5 de cette loi, les services de santé ne peuvent
être assurés que dans les établissements de santé indiqués dans
l’autorisation relative à la fourniture de services de santé, excepté pour ceux
qui sont dispensés dans le cadre de vie du patient. Dans ce cas, les
prestataires de services de santé doivent disposer de leur propre lieu
d’exercice et de contact pour soins à domicile.
54. L’article 11 § 6 indique qu’un établissement de santé doit posséder
l’équipement technique et matériel nécessaire à la fourniture de services de
santé. Cet équipement doit correspondre à la spécialisation de
l’établissement ainsi qu’à la nature et à la forme des soins de santé qui y
sont administrés. Les exigences relatives à l’équipement technique et
matériel minimal nécessaire doivent être énoncées dans un arrêté
d’application.
55. L’article 114 de la loi dispose qu’une personne fournissant un
service de santé sans y être dûment autorisée s’expose à une amende
pouvant aller jusqu’à 1 million de CZK (37 000 EUR).
G. Le rapport explicatif de la loi sur les services médicaux
56. En ses passages pertinents, le rapport explicatif de la loi sur les
services médicaux se lit ainsi :
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 13
« La (...) législation (...) appartien[t] à un ensemble de lois et règlements régissant
les conditions juridiques destinées à garantir le droit constitutionnel de tous à la
protection de la santé et le droit constitutionnel des citoyens à des soins médicaux
gratuits au sens de l’article 31 de la Charte des droits et libertés fondamentaux, ainsi
que le droit à la protection de la dignité humaine, et le droit à la vie privée et familiale
et à l’intégrité physique (...)
La loi (...) définit les soins de santé professionnels (...) L’État doit réglementer [ces]
soins de santé (...) ; il est tenu de veiller à l’accessibilité des services de santé et de
garantir pour ces services un niveau satisfaisant de qualité et de sécurité. La condition
permettant de remplir cette exigence est que les soins de santé professionnels ne
peuvent être dispensés que par des prestataires de services de santé (...)
La loi (...) est l’un des éléments de la législation qui créé les conditions de
l’exécution par la République tchèque de ses obligations en matière de protection de
la santé et de fourniture de services de santé, telles qu’elles découlent (...) du Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (...) et de la Charte
européenne (...) La loi prend également en considération la Convention relative aux
droits de l’enfant (...)
Concernant la fourniture de services de santé, le patient se trouve sur un pied
d’égalité avec le prestataire et avec le personnel médical, et a le droit de consentir ou
non aux services de santé proposés, à la lumière des informations et conseils relatifs à
ces services qui sont dûment fournis par le prestataire ou par une personne que le
prestataire a désignée à cet effet (...)
Il est souvent plus efficace et judicieux de dispenser au patient des services de santé
dans son propre cadre de vie. Celui-ci ne se limite pas nécessairement au domicile de
l’intéressé ; il peut aussi s’agir d’un cadre de substitution, comme un foyer social ou
un foyer pour enfants (...) Les services de santé assurés dans le cadre de vie du patient
comprennent, d’une part, les soins à domicile et, d’autre part, les soins ambulatoires.
Les soins à domicile ont un effet notable sur les changements touchant le système de
protection médicale dans son ensemble car (...) ils permettent d’améliorer la vie des
patients et de les maintenir plus longtemps dans leur environnement familier (...)
L’un des droits fondamentaux des patients est le droit au libre choix du prestataire
de services de santé (...) La loi donne aux patients le droit de recevoir toutes les
informations sur leur état de santé et sur les services de santé qui doivent leur être
fournis (...)
Dans le cadre de l’attention portée à leur propre santé, les individus peuvent en
fonction de leurs choix personnels recourir à d’autres mesures ; parmi celles-ci
figurent les initiatives visant à améliorer et préserver la santé et d’autres initiatives
relevant de l’ « auto-traitement » (...) La loi ne s’oppose pas à de telles mesures ;
simplement, elle ne les définit pas comme faisant partie des soins de santé et des
services de santé professionnels, dont la qualité est garantie par l’État. Cela tient
principalement au fait qu’il n’est pas réalisable d’évaluer objectivement la qualité de
ces soins et que dès lors il n’est pas possible d’en garantir la sécurité ou l’efficacité.
Les services de santé ne peuvent donc être fournis que sur la base de la loi sur les
services médicaux. »
14 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
H. L’arrêté no 92/2012 du ministère de la Santé
57. L’arrêté sur les exigences relatives à l’équipement technique et
matériel minimal des établissements de santé et des lieux d’exercice et de
contact pour soins à domicile (vyhláška o požadavcích na minimální
technické a věcné vybavení zdravotnických zařízení a kontaktních pracovišť
domácí péče) est entré en vigueur le 1er avril 2012. Il a remplacé l’arrêté sur
les exigences relatives à l’équipement matériel et technique des
établissements de santé (paragraphes 43-47 ci-dessus).
58. Cet arrêté prévoit notamment la possibilité pour les sages-femmes de
pratiquer des accouchements dans des salles spécialement équipées à cette
fin. Les exigences en matière d’équipement sont identiques à celles qui
étaient définies dans l’arrêté no 221/2010. L’arrêté de 2012 contient
toutefois une nouvelle prescription : en cas d’impossibilité de pratiquer une
césarienne ou une intervention destinée à permettre la dernière phase de
l’accouchement dans un établissement médical dispensant des soins en
régime hospitalier dans les quinze minutes qui suivent la découverte de
complications, il faut préparer une salle d’accouchement satisfaisant aux
normes formulées dans le nouvel arrêté. De plus, le lieu où la sage-femme
exerce doit lui aussi être équipé dans le respect des critères indiqués dans
l’arrêté.
59. Concernant le « lieu d’exercice et de contact » pour les soins
infirmiers d’ordre gynécologique ou obstétrical, l’arrêté exige que ce lieu
comporte : a) du mobilier adapté au travail de sage-femme ; b) une armoire
de classement si les dossiers médicaux ne sont pas conservés uniquement
sous la forme électronique ; c) une connexion à un réseau public de
téléphonie mobile ; d) un instrument de détection des bruits fœtaux ; e) du
matériel jetable pour l’examen d’une femme enceinte ; f) un
sphygmomanomètre ; g) un stéthoscope ; h) un thermomètre médical ; i) du
matériel pour les premiers secours, notamment un dispositif de réanimation
cardio-respiratoire, et j) une boîte pour le transport de matériel biologique.
Le lieu d’exercice et de contact doit avoir une superficie d’au moins 10 m2
et être doté d’installations sanitaires pour les employés.
60. Les établissements de santé et les lieux d’exercice et de contact pour
soins à domicile existant à la date de l’entrée en vigueur et répondant aux
exigences du précédent arrêté se sont vu accorder un délai de neuf à douze
mois pour se conformer aux prescriptions du nouveau texte.
I. L’arrêté no 99/2012 du ministère de la Santé
61. L’arrêté sur les exigences minimales applicables au personnel
fournissant des services de santé (vyhláška o požadavcích na minimální
personální zabezpečení zdravotních služeb) est entré en vigueur le 1er avril
2012. Le chapitre intitulé « Exigences applicables au personnel fournissant
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 15
des soins à domicile » indique que les soins infirmiers d’ordre
gynécologique et obstétrical doivent être dispensés par une sage-femme
qualifiée pour exercer son métier de manière indépendante ou, lorsqu’il y a
lieu de pratiquer des actes visés par une autre disposition juridique, par une
sage-femme possédant une qualification particulière et compétente pour
exercer son métier de manière indépendante (qualification en soins intensifs,
en soins intensifs de néonatalogie, ou en soins de proximité).
IV. DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS
A. La Convention pour la protection des droits de l’homme et de la
dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie
et de la médecine (Convention sur les droits de l’homme et la
biomédecine)
62. Les dispositions pertinentes de la Convention sur les droits de
l’homme et la biomédecine sont ainsi libellées :
Article 5 – Règle générale
« Une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu’après que la
personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé.
Cette personne reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la
nature de l’intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques.
La personne concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement. »
Article 6 – Protection des personnes n’ayant pas
la capacité de consentir
« (...) une intervention ne peut être effectuée sur une personne n’ayant pas la
capacité de consentir, que pour son bénéfice direct.
Lorsque, selon la loi, un mineur n’a pas la capacité de consentir à une intervention,
celle-ci ne peut être effectuée sans l’autorisation de son représentant, d’une autorité ou
d’une personne ou instance désignée par la loi (...) »
Article 8 – Situations d’urgence
« Lorsqu’en raison d’une situation d’urgence le consentement approprié ne peut être
obtenu, il pourra être procédé immédiatement à toute intervention médicalement
indispensable pour le bénéfice de la santé de la personne concernée. »
63. De plus, le rapport explicatif de la Convention sur les droits de
l’homme et la biomédecine précise en son paragraphe 34 qu’ « [à] l’instar
de l’article 4, [l’article 5] entend le terme « intervention » dans son sens le
plus large, c’est-à-dire comme comprenant tout acte médical, en particulier
les interventions effectuées dans un but de prévention, de diagnostic, de
thérapie, de rééducation ou de recherche ».
16 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
B. La Convention relative aux droits de l’enfant
64. Les dispositions pertinentes de la Convention relative aux droits de
l’enfant se lisent ainsi :
Article 3
« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des
institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités
administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une
considération primordiale.
2. Les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins
nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses
tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette
fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.
(...) »
Article 5
« Les États parties respectent la responsabilité, le droit et le devoir qu’ont les parents
ou, le cas échéant, les membres de la famille élargie ou de la communauté, comme
prévu par la coutume locale, les tuteurs ou autres personnes légalement responsables
de l’enfant, de donner à celui-ci, d’une manière qui corresponde au développement de
ses capacités, l’orientation et les conseils appropriés à l’exercice des droits que lui
reconnaît la présente Convention. »
Article 6
« 1. Les États parties reconnaissent que tout enfant a un droit inhérent à la vie.
2. Les États parties assurent dans toute la mesure possible la survie et le
développement de l’enfant. »
Article 18
« 1. Les États parties s’emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance du
principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est
d’élever l’enfant et d’assurer son développement. La responsabilité d’élever l’enfant
et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas
échéant, à ses représentants légaux. Ceux-ci doivent être guidés avant tout par l’intérêt
supérieur de l’enfant.
(...) »
Article 24
« 1. Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de
santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation. Ils s’efforcent
de garantir qu’aucun enfant ne soit privé du droit d’avoir accès à ces services.
2. Les États parties s’efforcent d’assurer la réalisation intégrale du droit
susmentionné et, en particulier, prennent les mesures appropriées pour :
a) Réduire la mortalité parmi les nourrissons et les enfants ;
(...)
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 17
d) Assurer aux mères des soins prénatals et postnatals appropriés ;
(...) »
C. Convention sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes
65. Dans la section « Santé » de ses observations finales du 22 octobre
2010 sur la République tchèque (CEDAW/C/CZE/CO/5), le Comité pour
l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a notamment
formulé les recommandations suivantes :
« 36. Tout en reconnaissant la nécessité d’assurer le maximum de sécurité aux
mères et aux nouveau-nés pendant l’accouchement et en relevant le faible taux de
mortalité périnatale dans l’État partie, le Comité prend acte d’informations faisant état
d’ingérences dans les choix des femmes en matière de santé génésique dans les
hôpitaux, notamment d’interventions médicales courantes, qui auraient souvent lieu
sans le consentement préalable, libre et éclairé de la femme ou en dehors de toute
prescription médicale, d’un accroissement rapide du taux de recours aux césariennes,
de la séparation des nouveau-nés de leur mère pendant de longues heures sans motif
lié à leur état de santé, d’un refus d’autoriser la mère et l’enfant à quitter l’hôpital
dans les soixante-douze heures qui suivent l’accouchement et d’attitudes paternalistes
de la part des médecins qui empêchent les femmes d’exercer leur liberté de choix. Il
note également les informations selon lesquelles les femmes auraient peu de
possibilités d’accoucher en dehors des hôpitaux.
37. Le Comité recommande à l’État partie de songer à adopter dans les meilleurs
délais une loi sur les droits des patients, y compris les droits des femmes en matière de
santé génésique, d’adopter un protocole normatif en matière de soins périnatals qui
garantisse le respect des droits des patients et permette d’éviter les interventions
médicales inopportunes, de faire en sorte que toutes les interventions ne puissent être
effectuées qu’avec le consentement préalable libre et éclairé de la femme, de
surveiller la qualité des soins dans les maternités, de dispenser une formation
obligatoire à tous les personnels de santé au sujet des droits des patients et des normes
éthiques connexes, de continuer de sensibiliser les patients à leurs droits, notamment
en diffusant des informations, et d’envisager des mesures pour faire en sorte que les
accouchements pratiqués en dehors des hôpitaux par des sages-femmes soient une
option sans danger et abordable pour les femmes. »
66. Dans ses observations finales du 14 mars 2016 sur la République
tchèque (CEDAW/C/CZE/CO/6), le Comité a émis les recommandations
qui suivent :
« 4. Le Comité salue les progrès accomplis depuis l’examen, en 2010, du cinquième
rapport périodique de l’État partie (CEDAW/C/CZE/CO/5) en ce qui concerne la mise
en place des réformes législatives, notamment l’adoption de :
a) La loi no 372/2011 Coll. relative aux services de santé et aux conditions d’offre
de ces services (loi sur les services de santé), telle que modifiée par la loi
no 167/2012 Coll. ;
(...)
18 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
30. Le Comité se félicite du faible taux de mortalité périnatale dans l’État partie. Il
relève toutefois avec préoccupation que, d’après certaines informations, les conditions
dans lesquelles se déroulent les accouchements et les conditions prévalant dans les
services obstétricaux continueraient de restreindre indûment le choix des femmes en
matière de santé procréative, s’agissant notamment :
a) De la séparation injustifiée des nouveau-nés de leur mère sans raison médicale ;
b) De l’imposition de restrictions injustifiées aux accouchements à domicile ;
c) De la pratique fréquente de l’épisiotomie sans nécessité médicale, contre la
volonté de la mère qui préfère que le médecin s’abstienne d’y recourir ;
d) Des conditions trop restrictives dans lesquelles il peut être fait appel aux
services de sages-femmes à la place de ceux du médecin/gynécologue dans les cas
où il n’y a aucun risque pour la santé.
31. Le Comité renouvelle sa précédente recommandation faite à l’État partie
d’envisager d’adopter dans les meilleurs délais une loi sur les droits des patients, y
compris les droits des femmes en matière de santé procréative. Pour cela, l’État partie
devrait :
a) Adopter des lignes directrices claires pour que la séparation des nouveau-nés
d’avec leur mère soit subordonnée à des impératifs médicaux ;
b) Mettre en place un système de soins de santé prénatals qui permette d’évaluer
efficacement la faisabilité d’un accouchement à domicile et la possibilité de faire ce
choix ;
c) À la lumière de la récente adoption de la loi no 372/2011 Coll. relative aux
services de santé et aux conditions d’offre de ces services, garantir sa mise en œuvre
effective dans le respect de la Convention, notamment par l’adoption et
[l’application] d’un protocole de soins pour les naissances sans problèmes qui
garantisse le respect des droits des patients et permette d’éviter les interventions
médicales inopportunes, faire en sorte que les interventions ne puissent être
effectuées qu’avec le consentement préalable, libre et éclairé de la femme, contrôler
la qualité des soins dispensés dans les maternités, prévoir une formation obligatoire
à l’intention de tous les personnels de santé portant sur les droits des patients et les
normes éthiques connexes et continuer de sensibiliser les patients à leurs droits,
notamment en diffusant ces informations ;
d) Prendre des mesures, notamment d’ordre législatif, pour que les accouchements
pratiqués par des sages-femmes en dehors des hôpitaux soient une option sans
danger et abordable pour les femmes. »
V. ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ
67. D’après les informations dont la Cour dispose, l’accouchement
programmé pour se dérouler à domicile est prévu par le droit interne et
réglementé dans vingt États membres du Conseil de l’Europe (l’Allemagne,
l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Estonie, l’ex-République
yougoslave de Macédoine, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande,
l’Islande, l’Italie, la Lettonie, le Liechtenstein, le Luxembourg, les
Pays-Bas, la Pologne, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse). Dans ces
pays, le droit d’accoucher à domicile n’est jamais absolu et reste toujours
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 19
subordonné au respect de certaines conditions médicales. De plus, dans
quinze de ces États seulement, l’assurance maladie nationale prend en
charge les accouchements à domicile.
68. Il ressort également que l’accouchement à domicile n’est pas
réglementé ou est sous-réglementé dans vingt-trois États membres
(l’Albanie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la
Croatie, l’Espagne, la Finlande, la Géorgie, la Lituanie, Malte, la
République de Moldova, Monaco, le Monténégro, le Portugal, la Roumanie,
la Russie, Saint-Marin, la Serbie, la Slovaquie, la Slovénie, la Turquie et
l’Ukraine). Il apparaît que dans certains de ces pays l’accouchement à
domicile est pratiqué, mais sans cadre juridique et sans couverture médicale
nationale. Par ailleurs, l’étude n’a pas permis de découvrir de législation qui
interdise l’assistance d’une sage-femme lors d’un accouchement à domicile.
Dans un très petit nombre d’États membres parmi ceux étudiés, des
sanctions disciplinaires ou pénales sont possibles mais semblent toutefois
rarement infligées.
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA
CONVENTION
69. Les requérantes se plaignent que le droit tchèque n’autorisait pas les
professionnels de santé à les assister pendant leur accouchement à domicile.
Elles y voient une violation du droit au respect de la vie privée consacré par
l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile
et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit
que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une
mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la
sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la
prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la
protection des droits et libertés d’autrui. »
70. Le Gouvernement conteste la thèse des requérantes.
A. L’arrêt de la chambre
71. Dans son arrêt du 11 décembre 2014, la chambre a conclu à la
non-violation de l’article 8 de la Convention. Elle a estimé que donner la vie
était un aspect particulièrement intime de la vie privée d’une mère, qui
englobait des questions touchant à l’intégrité physique et morale, à l’acte
20 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
médical, à la santé génésique et à la protection des informations relatives à
la santé. Elle a indiqué que les décisions concernant les conditions de
l’accouchement, y compris le choix du lieu, relevaient donc de la vie privée
de la mère aux fins de l’article 8. Elle a jugé qu’il convenait d’analyser les
griefs des requérantes sous l’angle des obligations négatives et que
l’impossibilité pour les intéressées de se faire assister par une sage-femme
pour accoucher chez elles s’analysait en une ingérence dans l’exercice par
elles de leur droit au respect de leur vie privée.
72. La chambre a ajouté que l’ingérence était prévue par la loi, étant
donné que, même si la législation n’était pas tout à fait claire, les
requérantes pouvaient néanmoins prévoir, à un degré raisonnable dans les
circonstances de l’espèce, que l’assistance d’un professionnel de santé pour
un accouchement à domicile n’était pas autorisée par la loi. Elle a dit que
l’ingérence poursuivait un but légitime en ce qu’elle était destinée à
protéger la santé et la sécurité des nouveau-nés et, au moins indirectement,
celles des mères.
73. Sur le point de savoir si l’ingérence était nécessaire dans une société
démocratique, la chambre a estimé que l’État défendeur devait jouir d’une
ample marge d’appréciation en raison de la nécessité pour les autorités
nationales de procéder à une analyse de données spécialisées et scientifiques
concernant les risques afférents à l’accouchement à l’hôpital d’une part et à
l’accouchement à domicile d’autre part, de la nécessité d’une grande
implication de l’État due à la vulnérabilité des nouveau-nés et à leur
dépendance à l’égard d’autres personnes, de l’absence d’une claire
communauté de vues entre les États membres sur la question de
l’accouchement à domicile et, enfin, de considérations générales de
politique sociale et économique, notamment l’allocation de ressources à la
création d’un système d’urgence adéquat pour les accouchements à
domicile.
74. La chambre a dit que la situation en question avait pesé lourdement
sur la liberté de choix des requérantes, alors que le Gouvernement s’était
principalement intéressé à l’objectif légitime que constitue la protection de
l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle a ajouté qu’en fonction de sa nature et de
sa gravité, l’intérêt de l’enfant pouvait l’emporter sur celui du parent, lequel
n’était pas autorisé en vertu de l’article 8 de la Convention à prendre des
mesures préjudiciables à la santé et au développement de l’enfant. Pour la
chambre, même si aucun conflit d’intérêts n’opposait généralement une
mère et son enfant, on pouvait considérer que certains choix concernant le
lieu, les conditions ou la méthode d’accouchement engendraient un risque
accru pour la santé et la sécurité du nouveau-né, comme l’attestaient les
chiffres relatifs aux décès périnatals et néonatals.
75. La chambre a estimé que si la majorité des études dont elle disposait
sur la sécurité des accouchements à domicile indiquaient que ceux-ci ne
présentaient pas plus de risques que les accouchements à l’hôpital, cela
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 21
n’était vrai que sous certaines conditions, c’est-à-dire si l’accouchement
était « à faible risque », s’il se déroulait en présence d’une sage-femme
qualifiée et non loin d’un hôpital pouvant accueillir la mère en cas
d’urgence. La chambre en a déduit que dans une situation telle que celle
prévalant en République tchèque, où les professionnels de santé n’avaient
pas le droit d’aider les mères à accoucher à domicile et où aucune aide
d’urgence spéciale n’était disponible, le risque pour la vie et la santé des
mères et des nouveau-nés était en fait accru. Relevant cependant l’argument
du Gouvernement selon lequel le risque pour les nouveau-nés était plus
élevé en cas d’accouchement à domicile, la chambre a dit qu’il était vrai que
même si une grossesse se déroulait apparemment sans complications, des
difficultés inattendues nécessitant une intervention médicale spécialisée
pouvaient survenir au moment de l’accouchement. Elle a conclu que dans
ces conditions on ne pouvait affirmer que les mères concernées, dont les
requérantes, avaient eu à supporter une charge disproportionnée et excessive
et qu’en conséquence, en adoptant et en appliquant la politique relative aux
accouchements à domicile, les autorités tchèques n’avaient pas outrepassé
l’ample marge d’appréciation qui leur était accordée ni compromis le juste
équilibre requis entre les intérêts concurrents.
76. Enfin, la chambre a observé qu’en dépit de cette conclusion les
autorités devaient soumettre les dispositions pertinentes à un examen
constant afin de prendre en compte les avancées médicales, scientifiques et
juridiques.
B. Thèses des parties devant la Grande Chambre
1. Les requérantes
a) Sur les obligations négatives ou positives
i. Mme Dubská
77. La requérante soutient que la présente affaire concerne la protection
de la santé des femmes et de leurs enfants, qui à son avis se trouve
gravement compromise lorsque l’État autorise les femmes à accoucher chez
elles tout en adoptant des règles qui les empêchent de bénéficier de
l’assistance d’une sage-femme. Invoquant l’arrêt de la chambre, elle allègue
que l’État a porté atteinte à sa vie privée. Elle estime que l’affaire peut être
analysée à travers le prisme des obligations tant positives que négatives,
mais qu’il convient d’apprécier l’espèce principalement sous l’angle des
obligations négatives, l’interdiction faite aux sages-femmes d’aider les
femmes à accoucher à domicile pouvant selon elle être perçue comme une
ingérence dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée. Elle
considère en d’autres termes que la politique suivie par l’État a eu pour
22 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
conséquence directe de l’empêcher d’obtenir l’assistance d’une sage-femme
lors de son accouchement.
ii. Mme Krejzová
78. La requérante déclare que l’impossibilité pratique à laquelle elle
s’est heurtée de choisir un autre mode d’accouchement et l’obligation où
elle s’est trouvée de se résigner à une prise en charge à l’hôpital – où elle
aurait été soumise à des actes obstétricaux violents – ont constitué une grave
violation de son droit à décider des conditions de son accouchement et une
atteinte à son droit à l’intégrité physique et morale découlant de l’article 8
de la Convention. Tout en estimant que les circonstances de l’espèce
plaident plutôt en faveur d’un examen sous l’angle des obligations positives
de l’État, elle souhaite appliquer une approche globale à la question de
savoir si le préjudice subi par elle se justifiait compte tenu des principes
pertinents contenus dans la Convention, étant entendu selon elle que les
principes sous-jacents de légalité, de légitimité et de proportionnalité sont
inhérents aux obligations positives comme aux obligations négatives de
l’État.
b) Sur la légalité de l’ingérence
i. Mme Dubská
79. La requérante soutient que l’ordre juridique tchèque permet
l’interprétation selon laquelle l’assistance d’un professionnel de santé est
autorisée lors d’un accouchement à domicile. Selon elle, dès lors qu’un
cadre juridique régit les obligations des sages-femmes, le droit des femmes
à l’autodétermination et à donner un consentement éclairé, et l’existence de
soins à domicile – notamment l’assistance d’un professionnel de santé lors
d’un accouchement à domicile –, il est possible d’affirmer que l’on dispose
d’un socle juridique et institutionnel qui autorise les femmes à choisir le lieu
de leur accouchement. Reconnaître la possibilité d’opter pour
l’accouchement à domicile n’exigerait pas de règle précise et explicite ni le
développement des services d’urgence existants. En outre, les services
d’urgence seraient déjà accessibles à toutes les femmes en République
tchèque, indépendamment du lieu où elles choisissent d’accoucher et de la
présence ou de l’absence d’un professionnel de santé lors de
l’accouchement.
80. La requérante affirme que la législation relative à l’accouchement à
domicile garantit à la patiente la liberté de décider d’accoucher chez elle en
toute légalité mais que cette législation, ou tout au moins l’interprétation qui
en est faite, n’est pas claire et n’offre aucune certitude quant à la possibilité
pour une sage-femme d’intervenir à domicile.
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 23
81. Elle indique que l’arrêté no 221/2010, qui était en vigueur du
1er septembre 2010 au 31 mars 2012, n’a pas modifié la réglementation sur
l’accouchement à domicile ni interdit l’assistance lors d’un tel
accouchement. Elle expose que l’arrêté mentionnait trois lieux d’exercice
possibles pour les sages-femmes : ceux où les accouchements étaient
autorisés, ceux où les accouchements physiologiques n’étaient pas autorisés,
et les cabinets pour les soins à domicile. En fait, cet arrêté n’aurait pas
interdit aux sages-femmes de pratiquer des accouchements à domicile, si
bien qu’il aurait été malaisé de déterminer si une praticienne disposant d’un
cabinet pour les soins à domicile pouvait ou non prêter son assistance lors
d’un accouchement à domicile (donc en dehors de son lieu d’exercice). À ce
sujet, la requérante ajoute que l’article 18 § 1 de la loi sur la santé publique
autorisait les soins à domicile dans le cadre des soins de santé. Selon elle,
l’arrêté en question n’encadrait pas avec précision les activités des
sages-femmes. La requérante indique que même une sage-femme exerçant
dans un lieu immatriculé où les accouchements n’étaient pas autorisés
pouvait fort bien fournir une assistance lors d’un accouchement en milieu
hospitalier et accompagner la future mère à l’hôpital (bien qu’elle n’en fût
pas salariée) dès lors qu’elle avait conclu un contrat spécial avec
l’établissement en question. L’arrêté n’aurait été en vigueur que jusqu’au
31 mars 2012 et il n’aurait donc rien pu changer à la situation ambiguë qui
avait cours avant son adoption. En effet, en son article 2 § 1 il aurait accordé
aux établissements de santé existant avant son entrée en vigueur une période
transitoire de douze mois pour se conformer aux exigences qu’il posait. La
requérante plaide à cet égard qu’à l’époque où elle a mis au monde son
enfant l’arrêté n’était en vigueur que depuis huit mois et les établissements
de santé existants – y compris les sages-femmes, qui se seraient heurtées à
une procédure d’enregistrement floue et imprévisible – n’étaient pas encore
tenus de s’y conformer.
82. Invoquant l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Gillan et Quinton
c. Royaume-Uni (no 4158/05, § 77, CEDH 2010 (extraits)), la requérante
argue que la législation applicable ne fixait aucune limite aux décisions du
ministère de la Santé relatives aux conditions auxquelles était subordonné
l’exercice du métier de sage-femme en République tchèque. Par ailleurs, en
l’absence, selon elle, de dispositions régissant directement l’accouchement à
domicile, il n’y aurait pas eu de règles claires et transparentes pour les
administrations régionales appelées à décider si une sage-femme pouvait se
voir délivrer une autorisation et à définir ce que couvrait cette autorisation.
83. La requérante indique que ce n’est qu’après son accouchement que
la loi sur les services médicaux (no 372/2011) a été adoptée et est entrée en
vigueur (le 1er avril 2012), et qu’il en est de même pour l’arrêté no 92/2012.
Elle estime que la teneur et les principes des dispositions juridiques sont
restés inchangés. En effet, selon elle, la loi sur les services médicaux
considère les soins à domicile comme l’une des formes de soins de santé
24 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
possibles, et fait des soins infirmiers une variante de cette forme
d’intervention (article 10). Or la définition des soins infirmiers engloberait
clairement les soins dispensés pendant la grossesse et l’accouchement
(article 5 § 2 g)). Quant à l’arrêté, il définirait l’équipement technique dont
doivent disposer les sages-femmes donnant des soins à domicile (annexe 9 à
l’arrêté). La loi contiendrait toutefois une nouvelle disposition, qui
consacrerait le droit des patients de bénéficier de services de santé dans
l’environnement le moins contraignant possible, sous réserve que la qualité
et la sécurité de ces services soient garanties (article 28 § 3 k)). Ni la loi ni
l’arrêté ne comporteraient de restrictions empêchant les sages-femmes de
fournir, dans le cadre des soins à domicile, des services de santé à une
femme qui accouche chez elle. Pourtant, le Gouvernement et d’autres
autorités publiques feraient de la législation une interprétation qui interdit
aux sages-femmes d’offrir une assistance pour des accouchements à
domicile, ce qui aurait clairement un effet dissuasif sur les praticiennes et
les conduirait à refuser d’apporter leur concours lors de tels accouchements.
La loi ne serait ni accessible ni prévisible dans son application, dès lors
qu’elle se prêterait à différentes interprétations. En conséquence, la
requérante conteste la conclusion de la chambre selon laquelle elle aurait
raisonnablement pu prévoir que la loi n’autorisait pas l’assistance d’un
professionnel de santé lors d’un accouchement à domicile.
ii. Mme Krejzová
84. La requérante convient avec le Gouvernement qu’à la date à laquelle
elle a mis son enfant au monde, en mai 2012, le droit tchèque n’autorisait
pas les accouchements à domicile assistés. Elle plaide toutefois que pendant
la majeure partie de sa grossesse c’était la législation en vigueur avant avril
2012 qui lui était applicable. Elle rappelle à cet égard qu’avant le 1er avril
2012 aucune disposition légale n’empêchait les sages-femmes de dispenser
des soins lors d’un accouchement à domicile. Elle indique que pour pouvoir
prodiguer des soins, une sage-femme devait notamment être titulaire d’une
autorisation d’exercer lui permettant d’être assimilée à un prestataire de
soins non public. Après l’adoption de l’arrêté no 221/2010, qui aurait
imposé aux sages-femmes de disposer de moyens humains, matériels et
techniques identiques à ceux dont sont équipées les salles d’accouchement
dans les maternités, plus aucune sage-femme n’aurait obtenu cette
autorisation. Toutefois, malgré les obligations très lourdes qu’il aurait fait
peser sur les praticiennes en matière d’équipement, cet arrêté n’aurait pas
automatiquement rendu caduques les autorisations déjà délivrées. Ainsi,
malgré la persistance de ces impératifs concernant l’équipement, certaines
sages-femmes auraient pu en théorie poursuivre leur activité dans le respect
des normes antérieures ou, plus exactement, dans le vide juridique qui aurait
existé. En conséquence, les femmes enceintes n’auraient eu aucune certitude
juridique sur le point de savoir si elles pouvaient bénéficier de l’assistance
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 25
d’une sage-femme pour un accouchement à domicile et les praticiennes n’en
auraient pas eu davantage quant à la question de savoir si elles étaient
légalement autorisées à fournir pareille assistance. Cette situation serait
contraire aux principes de prévisibilité et d’absence d’arbitraire.
85. En ce qui concerne la réglementation introduite en 2012, à savoir
l’arrêté no 92/2012, qui de façon générale aurait également imposé de
lourdes obligations aux sages-femmes en matière de moyens humains,
matériels et techniques, la requérante soutient qu’elle n’a pas été adoptée
selon la procédure obligatoire prévue pour l’adoption de textes
réglementaires par le ministère de la Santé. Les ministères seraient en effet
tenus de faire réaliser une étude d’impact pour tout nouveau règlement. Or,
selon la requérante, ces études d’impact n’avaient pas été réalisées, et
encore moins publiées, lorsque le processus d’adoption des arrêtés
nos 221/2010 et 92/2012 a démarré, de sorte qu’il n’y aurait pas eu de
contrôle effectif du public sur l’exercice du pouvoir législatif délégué au
ministère de la Santé.
c) Sur l’existence d’un but légitime
i. Mme Dubská
86. La requérante considère que la chambre a admis à tort l’existence du
« but légitime » invoqué par le Gouvernement. À ses yeux, la politique mise
en œuvre par l’État n’a pas pour effet de protéger la santé et la vie des
femmes et de leurs enfants, mais d’aggraver les risques auxquels leur santé
et leur vie sont exposées. Il n’y aurait aucun lien logique entre le but
légitime déclaré, à savoir la protection de la vie et de la santé des femmes et
des enfants, et l’atteinte au droit à la protection de la vie privée que
constituerait le fait d’empêcher un professionnel qualifié de fournir des
soins lors d’un accouchement à domicile. Au contraire, cette interdiction
ferait peser un risque accru sur la santé et la vie des femmes.
ii. Mme Krejzová
87. La requérante soutient qu’en l’espèce on ne pouvait poursuivre
aucun but légitime en l’empêchant de bénéficier de l’assistance d’une
sage-femme.
88. Par définition, le principe de légitimité exigerait que le but poursuivi
fût précis, ce qui supposerait que l’État eût une bonne connaissance du
domaine spécifique à réglementer, ainsi que de ses dysfonctionnements ou
de la marge d’amélioration. La requérante argue que la nécessité de bien
connaître le domaine concerné est évidente en l’espèce, compte tenu de la
question complexe en cause, nécessitant l’avis d’experts médicaux et des
données scientifiques sur les risques relatifs de l’accouchement en milieu
hospitalier ou à domicile. Elle estime que la législation spécifique adoptée
par l’État a totalement privé les femmes de la possibilité de se faire aider par
26 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
une sage-femme lors d’un accouchement programmé en dehors du milieu
hospitalier, et qu’en conséquence il était raisonnable d’attendre que cette
mesure fût suffisamment étayée par des données scientifiques et par l’avis
d’experts pour être justifiée et satisfaire au critère de légitimité.
89. La requérante ajoute qu’en fait depuis 1992 les femmes tchèques
pouvaient recourir en toute légalité aux services d’une sage-femme pour
accoucher à domicile, et ce jusqu’à ce que les mesures adoptées en 2010 et
2012 les privent du droit de décider des circonstances de leur accouchement.
Le Gouvernement aurait donc eu deux décennies pour recueillir des données
scientifiques sur les actes effectués par les sages-femmes en dehors d’une
structure hospitalière et pour analyser cette pratique en profondeur. Or il
n’aurait même jamais indiqué avoir réalisé pareille analyse de fond. Ainsi,
lorsqu’en 2010 et 2012 il aurait privé les femmes du droit de choisir les
circonstances de la naissance de leur enfant, le Gouvernement n’aurait eu
aucune connaissance ni des inconvénients et risques liés aux accouchements
à domicile assistés auxquels la législation en question entendait mettre fin,
ni du but positif recherché.
d) Sur la nécessité dans une société démocratique
i. Mme Dubská
90. La requérante considère qu’il y a lieu de distinguer la présente
espèce des affaires Stübing c. Allemagne (no 43547/08, 12 avril 2012) et
A, B et C c. Irlande ([GC], no 25579/05, CEDH 2010), toutes deux évoquées
par la chambre. La Cour aurait estimé dans les arrêts en question que ces
affaires concernaient des questions de nature « morale » et que l’affaire
A, B et C c. Irlande avait trait à des problèmes particulièrement « sensibles »
dans le pays en cause, ce qui l’aurait conduite à reconnaître une ample
marge d’appréciation à l’État malgré l’existence d’une approche commune
ou d’un consensus au sein des États membres.
91. Les questions en jeu dans la présente affaire n’auraient pas de
caractère moral ou sensible, et la République tchèque n’aurait pas laissé
entendre qu’il en était ainsi ou que le but ou l’intérêt poursuivi par
l’ingérence de l’État dans l’exercice des droits de la requérante découlant de
l’article 8 était la protection de la morale publique. De plus, la chambre
aurait fait fausse route en affirmant qu’il n’existait pas d’approche
commune claire en ce qui concerne l’assistance de professionnels qualifiés
pour les accouchements à domicile. En fait, selon la requérante, sur
trente-deux États membres du Conseil de l’Europe étudiés, seize
autoriseraient expressément cette assistance à certaines conditions, cinq
l’admettraient dans la pratique sans toutefois avoir adopté de dispositions
expresses, tandis que dans deux autres une législation autorisant les
accouchements à domicile serait actuellement à l’étude. La requérante
estime que les États membres ont, dans une large mesure, une communauté
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 27
de vues sur le fait que le meilleur moyen de protéger l’intérêt des femmes
désireuses d’accoucher chez elles consiste à autoriser les sages-femmes à les
assister.
92. La requérante considère par ailleurs que l’approche répressive
adoptée par la République tchèque peut avoir des répercussions sur la
possibilité pour les femmes d’exercer d’autres droits fondamentaux, comme
le droit à la vie et le droit à la santé. Elle est d’avis qu’en rendant les
accouchements à domicile moins sûrs pour les mères, l’État fait peser un
risque sur ces autres droits, ce qui plaiderait en faveur d’une marge
d’appréciation étroite. Elle ajoute que l’avis d’experts internationaux sur la
santé maternelle et l’importance de la présence de professionnels qualifiés
auprès des parturientes confirme l’approche qui, d’après elle, fait l’objet
d’un consensus au sein des États membres. À cet égard, elle renvoie à des
avis émanant de l’Organisation mondiale de la santé.
93. La requérante estime que la chambre, lorsqu’elle admet que la
pratique de la plupart des hôpitaux tchèques est discutable quant au respect
des choix des mères, use d’un doux euphémisme pour décrire un traitement
qui constituerait souvent un traitement inhumain et dégradant contraire à
l’article 3 de la Convention. De l’avis de la requérante, une femme qui
accouche à l’hôpital en République tchèque risque fort de subir des actes
irrespectueux de ses choix, voire, comme cela arriverait souvent,
préjudiciables à sa santé et à celle du nouveau-né. De surcroît, les tribunaux
internes se montreraient régulièrement incapables de protéger les femmes
dont les droits auraient été violés dans des maternités tchèques. Il s’agirait là
d’un type de violence qui, dans le contexte tchèque, serait minimisé ou
totalement ignoré.
94. La requérante considère par ailleurs qu’en empêchant les
sages-femmes et autres professionnels qualifiés d’assister les femmes qui
accouchent à domicile, l’État applique une politique non conforme aux
normes internationales relatives à l’élimination de la mortalité et de la
morbidité maternelles et infantiles évitables. Elle ajoute, sans donner de
précisions, que la situation en République tchèque va à l’encontre des
obligations qui incombent à l’État en vertu du droit de l’Union européenne.
ii. Mme Krejzová
95. La requérante estime que le droit pour une femme de choisir les
conditions dans lesquelles elle met son enfant au monde touche à la notion
générale de choix, qui aurait une dimension quantitative et une dimension
qualitative, lesquelles devraient l’une et l’autre être présentes
simultanément.
96. Il ne prêterait pas à controverse entre les parties que la loi sur les
services médicaux et l’arrêté no 92/2012 interdisent aux sages-femmes
d’intervenir lors d’un accouchement se déroulant en dehors du milieu
hospitalier et que la requérante était contrainte d’accoucher à l’hôpital si elle
28 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
voulait bénéficier de l’assistance de personnel médical qualifié. Le système
en place pour l’accouchement en République tchèque ne proposerait donc
qu’une seule option, de sorte qu’il serait par essence incompatible avec
l’idée que la femme doit pouvoir choisir les circonstances dans lesquelles
elle souhaite accoucher.
97. La requérante soutient que les problématiques liées à la grossesse et
à l’accouchement, et au degré de liberté des femmes à cet égard, soulèvent
également d’importantes questions concernant les relations
hommes-femmes. Elle argue que le domaine des droits génésiques des
femmes, qui selon elle est par définition féminin, est passé sous l’emprise
des hommes. Elle estime que la raison en est notamment que la profession
médicale a transformé l’accouchement et déplacé le cadre de celui-ci, ce qui
aurait affaibli le rôle naturel des femmes. Le déplacement en question aurait
introduit, dans le domaine de la grossesse et de la naissance, une nouvelle
hiérarchie qui ne cadrerait pas avec la prise en charge de l’accouchement
par les sages-femmes, basée sur une approche globale et féminine. Dans
cette discipline dominée par les hommes que serait l’obstétrique
biomédicale, le corps de la femme perdrait son intimité fondamentale et
deviendrait vulnérable face à un expert médical de sexe masculin agissant
comme une sorte d’autorité publique.
98. La requérante considère que la grossesse et l’accouchement sont les
aspects les plus intimes de la vie d’une femme, alors que, dans cet acte
délicat qu’est la mise au monde d’un enfant, elle est obligée par la force des
choses de mettre à nu devant des tiers son corps et ses émotions les plus
profondes. Le droit d’une personne à l’autodétermination engloberait sa
liberté de décider si et dans quelle mesure elle veut ou non montrer son
corps à tel ou tel tiers. À cet égard les parturientes ne pourraient pas ipso
facto exercer le même contrôle sur leur corps au motif qu’elles seraient
obligées pendant l’accouchement de partager avec d’autres ce qu’elles ont
de plus intime. Le droit de la femme à l’autodétermination serait
naturellement limité dans ce contexte, si bien que des mécanismes destinés à
compenser ces limitations seraient nécessaires. Le droit de la femme de
choisir les conditions dans lesquelles elle met son enfant au monde serait
l’un de ces principaux mécanismes. La requérante estime donc que son droit
de décider des conditions de son accouchement est destiné à compenser la
limitation de son droit à l’autodétermination, et qu’en conséquence il ne
peut en principe subir d’autres restrictions découlant de la marge
d’appréciation du Gouvernement, laquelle devrait pour cette raison être
étroite.
99. Concernant l’existence d’un consensus européen en la matière, la
requérante indique que sur trente-trois États parties à la Convention, quatre
seulement, dont la République tchèque, tiennent pour illégal les
accouchements assistés en dehors d’une structure hospitalière et rendent
passibles de sanctions les professionnels de santé qui les pratiquent. De
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 29
même que l’existence d’un consensus européen restreindrait la marge
d’appréciation du Gouvernement sur la base d’un critère quantitatif, l’idée
que la Convention est un instrument vivant restreindrait plus encore
l’étendue de cette marge sur la base d’un critère qualitatif. La marge
d’appréciation serait d’autant plus étroite que des valeurs communes aux
États membres seraient identifiées à la lumière non seulement de la
Convention mais aussi d’autres instruments internationaux – même non
contraignants ou non ratifiés par la majorité des États parties à la
Convention –, et également de la pratique générale, du climat moral et des
comportements observés dans les États membres.
100. La requérante soutient par ailleurs que confier à l’hôpital le
monopole des soins n’améliore pas la sécurité des nouveau-nés mais accroît
les risques pour les mères, y compris le risque d’actes obstétricaux violents,
et que les accouchements à domicile n’ont pas d’incidence négative sur la
mortalité périnatale.
101. Concernant le juste équilibre qu’il y aurait lieu de ménager entre
intérêts privés et publics concurrents, l’accouchement à domicile serait une
solution plus sûre que l’accouchement à l’hôpital pour les femmes ayant une
grossesse à faible risque en ce qu’il n’impliquerait pas d’actes invasifs,
systématiques et néfastes, et l’intérêt public à protéger la santé et la sécurité
des femmes enceintes ne pourrait donc pas passer pour primer l’intérêt privé
de la requérante. La santé et la sécurité des nouveau-nés ne constitueraient
pas davantage l’intérêt public en jeu. Il serait en fait établi que
l’accouchement médicalisé en milieu hospitalier et l’accouchement à
domicile assisté sont équivalents du point de vue de la santé et de la sécurité
des nouveau-nés. En conséquence, une prise en charge obstétricale de la
naissance n’étant pas, selon la requérante, plus sûre qu’un accouchement à
domicile assisté, cet aspect ne pourrait pas davantage constituer un intérêt
public légitime de nature à l’emporter sur le droit pour la requérante de
choisir les conditions de son accouchement.
102. La requérante soutient qu’il existe d’autres motifs étayant le défaut
de proportionnalité et l’absence d’un juste équilibre entre intérêts
concurrents : l’obligation de se résoudre à recevoir des soins médicaux non
désirés, les effets négatifs des mesures prises par le Gouvernement sur les
accouchements hors milieu hospitalier ou encore le manquement du
Gouvernement aux obligations lui incombant en vertu de traités
internationaux.
2. Le Gouvernement
103. D’emblée, le Gouvernement informe la Cour des évolutions
récentes intervenues dans les domaines de l’obstétrique, du métier de
sage-femme et des droits connexes des femmes. Il indique qu’en 2014 a été
créé un comité gouvernemental d’experts composé de spécialistes issus de
diverses disciplines pertinentes, parmi lesquels des représentants des
30 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
patients, d’associations de sages-femmes, d’associations de médecins, du
ministère de la Santé, de compagnies d’assurance maladie publiques et
d’avocats. Ce comité se pencherait principalement sur la complexité du
système tchèque de soins obstétricaux et de soins dispensés par des
sages-femmes, notamment sur la question du respect des droits et des
souhaits des femmes, dont le droit de choisir entre différentes options pour
accoucher. Il aurait vocation à agir en tant qu’organe spécialisé et serait
habilité à adresser des recommandations, y compris d’ordre législatif, au
gouvernement par le biais du Conseil gouvernemental pour l’égalité des
chances entre les femmes et les hommes.
104. Le Gouvernement indique par ailleurs que, dans une déclaration
officielle publiée en 2015, la Société tchèque de gynécologie et
d’obstétrique a dégagé les principes directeurs suivants relativement aux
soins obstétricaux dispensés en République tchèque : prestation de ces soins
par des médecins et par des sages-femmes uniquement dans des locaux
dotés de l’équipement adéquat et situés à proximité immédiate d’un
établissement où sont dispensés des soins plus performants ; coopération
étroite entre médecins et sages-femmes dans le domaine des soins
obstétricaux ; pour les grossesses physiologiques, adoption d’une pratique
laissant aux sages-femmes à titre principal le soin de se charger des
accouchements ; prestation de soins selon des protocoles régulièrement mis
à jour et reflétant les tendances scientifiques et internationales ; respect des
droits de la patiente à l’intimité, à l’autonomie et à des soins assurés dans le
respect de sa personne.
105. Le Gouvernement évoque également divers articles scientifiques,
publiés depuis 2013 par l’American Journal of Obstetrics and Gynecology,
qui traiteraient de nouvelles études sur la sécurité de l’accouchement dans
différents cadres et avec l’assistance de différents professionnels de
l’accouchement. D’après les conclusions de ces recherches, les
accouchements à domicile présenteraient un bilan moins bon que les
accouchements dans des établissements de santé dûment équipés,
indépendamment des professionnels présents. L’accouchement à domicile
ne satisferait donc pas aux normes actuelles concernant la sécurité des
patients en matière de soins obstétricaux dès lors qu’il présenterait un risque
accru, inutile, évitable et irrémédiable de dommages pour les parturientes,
les fœtus et les nouveau-nés.
a) Sur les obligations négatives ou positives
106. Le Gouvernement soutient que l’affaire doit être examinée sur le
seul terrain des obligations positives, que le droit en vigueur n’interdit pas
aux femmes enceintes d’accoucher à leur domicile privé et qu’en pareil cas
les autorités n’infligent pas de sanctions. Il estime qu’en conséquence la
principale question en l’espèce est de savoir si l’État doit élargir l’étendue
actuelle des soins de santé fournis aux femmes qui accouchent en
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 31
République tchèque. Il considère que, d’une manière générale, la prestation
de soins de santé est un domaine dans lequel la réglementation constitue la
norme, et qu’ainsi l’État peut garantir une certaine qualité et un certain
niveau dans les soins de santé tant privés que publics. Il est d’avis que pour
« permettre » l’assistance de professionnels de santé lors des accouchements
à domicile, il faudrait que l’État mette en place un cadre législatif et
administratif considérable et prenne d’autres mesures, notamment qu’il
réforme le système des soins d’urgence.
107. À titre subsidiaire, et se référant en particulier à l’affaire Hristozov
et autres c. Bulgarie (nos 47039/11 et 358/12, CEDH 2012 (extraits)), le
Gouvernement propose à la Cour de ne pas trancher la question de savoir si
ce sont des obligations positives ou négatives de l’État qui sont en jeu.
108. Dans l’hypothèse où la Cour déciderait d’examiner la présente
espèce sous l’angle des obligations négatives, le Gouvernement plaide que
le droit en vigueur n’interdit pas aux femmes enceintes d’accoucher à leur
domicile privé, que les autorités ne les sanctionnent pas pour cela et qu’en
conséquence il n’y a pas eu d’ingérence dans l’exercice du droit des
requérantes au respect de leur vie privée.
b) Sur la légalité de l’ingérence
109. Les dispositions de la loi sur les services médicaux établiraient
clairement que l’assistance d’un professionnel de santé pour un
accouchement relève des soins qui sont l’apanage des établissements de
santé satisfaisant à des exigences minimales expressément définies dans
l’arrêté d’application. La règle selon laquelle les soins doivent être fournis
dans des établissements de santé dotés de l’équipement adéquat, dans les
lieux précisés dans l’autorisation pertinente, serait assortie de dérogations
explicites, concernant notamment les soins prodigués dans le propre cadre
de vie du patient (par exemple à domicile) et les soins d’urgence.
L’assistance lors d’un accouchement programmé ne serait couverte par
aucune de ces dérogations. En particulier, elle ne relèverait pas des soins de
santé dispensés dans le cadre de vie du patient tel que défini à l’article 10 de
la loi sur les services médicaux, en ce que cette disposition indiquerait
expressément que pour les soins de santé fournis dans le cadre de vie du
patient seuls sont autorisés les actes médicaux auxquels ne sont pas
applicables les conditions relatives à l’équipement technique et matériel
nécessaire à leur réalisation dans un établissement de santé. Or l’assistance
lors d’un accouchement serait soumise à ces conditions.
110. Dès lors, les autorités régionales ne délivreraient pas et ne
pourraient pas délivrer à une sage-femme une autorisation de prestation de
services de santé « sur le terrain » lui permettant de fournir pareils services
lors d’accouchements à domicile. À défaut d’autorisation, un prestataire de
soins de santé n’aurait pas le droit d’assurer des services de santé.
32 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
111. En outre, le cadre juridique pertinent assurerait la sécurité juridique
et la prévisibilité en ce qu’il établirait les exigences précises et dénuées
d’ambiguïté que doivent remplir une sage-femme ou un médecin pour
pouvoir assister une femme lors de tout accouchement prévu. Contrairement
au droit hongrois, que la Cour aurait critiqué dans l’affaire Ternovszky
c. Hongrie (no 67545/09, 14 décembre 2010) pour son défaut de
prévisibilité, la législation tchèque disposerait que les professionnels de
santé, y compris les sages-femmes, ne peuvent pratiquer un accouchement
que dans des locaux adéquatement équipés et définirait clairement les
exigences à remplir pour la fourniture de ces soins.
c) Sur l’existence d’un but légitime
112. Le Gouvernement soutient que la politique en cause vise à protéger
la santé et la sécurité de l’enfant pendant et après l’accouchement et, à tout
le moins indirectement, celles de la mère. Selon lui, ces intérêts reflètent les
buts légitimes généraux que sont la protection de la santé et la protection
des droits d’autrui.
d) Sur la nécessité dans une société démocratique
113. Le Gouvernement soutient que, pour préserver l’intérêt public que
constitue la protection de la santé et de la vie, l’une des tâches essentielles
de l’État consiste à assurer et maintenir des soins de santé d’un certain
niveau et d’une certaine qualité, qu’ils soient dispensés dans le cadre du
régime public ou du régime privé. Il considère donc que l’État ne doit pas
être contraint d’autoriser un type de soins de santé qu’il n’estime pas sûr.
114. Le Gouvernement ajoute que le droit interne applicable vise à
garantir que les soins de santé soient fournis dans des « lieux
d’accouchement sûrs » – c’est-à-dire des locaux dotés de l’équipement
adéquat et situés à proximité immédiate d’un établissement où sont
dispensés des soins plus performants –, de façon à réduire au minimum les
risques pour la santé et la vie des nouveau-nés et des mères en cas de
complications soudaines. Il affirme que l’abaissement de ces normes
médicales est de nature à accroître les risques liés aux soins administrés tout
au long de l’accouchement et à amoindrir leur niveau et leur qualité.
115. Le Gouvernement indique que le conflit entre les demandes des
requérantes et les obligations découlant du droit à la vie et du droit à la santé
conforte son opinion selon laquelle le droit au respect de la vie privée ne
peut être interprété dans un sens si large qu’il exigerait de l’État la mise en
place d’un cadre autorisant la fourniture de soins de santé lors d’un
accouchement à domicile, alors même que les autorités, en collaboration
avec des spécialistes de l’obstétrique et du métier de sage-femme, ont selon
lui établi que la politique de l’État la plus opportune et répondant au solide
intérêt public susmentionné consiste à offrir des soins gratuits et accessibles
permettant des accouchements dans des lieux possédant l’équipement
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 33
médical adéquat et la capacité de réagir rapidement aux urgences. Le
Gouvernement considère que la simple assistance d’une sage-femme lors
d’un accouchement à domicile est insuffisante. En effet, en cas de
complications soudaines, le nouveau-né pourrait se trouver exposé à des
risques pourtant évitables. Selon le Gouvernement, les professionnels de
santé, y compris les sages-femmes, ne peuvent gérer efficacement de telles
complications dans des logements privés, qui à son avis ne sont pas
adéquatement équipés à cette fin et qui, souvent, ne sont pas situés à
proximité immédiate d’un établissement dispensant des soins plus
performants. En d’autres termes, pour le Gouvernement, dans le cas de
naissances prévues pour se dérouler à domicile, les soins de santé ne
seraient pas fournis dans un lieu sûr pour l’accouchement.
116. Le Gouvernement ajoute que la législation en cause dispose qu’un
professionnel de santé ne peut pratiquer un accouchement prévu que dans
des locaux dotés d’un équipement adéquat et situés à proximité immédiate
d’un établissement où sont dispensés des soins plus performants. Selon lui,
il faut voir dans ces exigences non pas des mesures empêchant
spécifiquement les sages-femmes d’intervenir lors d’un accouchement à
domicile, mais des normes minimales nécessaires pour la prestation de soins
pendant tout accouchement prévu. Les exigences minimales en question ne
seraient pas excessives et poursuivraient efficacement l’objectif qui consiste
à réduire au minimum les risques de complications graves en permettant de
les détecter à temps et de mettre en œuvre une solution rapide.
117. En outre, renvoyant à divers exemples de bonne pratique, le
Gouvernement conteste la conclusion de la chambre selon laquelle la
pratique de la plupart des hôpitaux régionaux est discutable quant au respect
du choix des mères. Il estime que l’importance requise a été accordée aux
intérêts liés à la vie privée qui sont en jeu et que la politique tchèque en
matière de naissance a été élaborée de manière à atteindre un juste équilibre
prenant en considération les intérêts des enfants et des mères. À son avis, on
peut observer dans les maternités tchèques une tendance nette et avérée à
prendre en compte les droits des femmes enceintes, y compris le droit de
choisir parmi un large éventail de conditions d’accouchement.
118. Le Gouvernement attire l’attention de la Cour sur le rapport
européen de 2013 sur la santé périnatale, selon lequel la République tchèque
enregistrerait le plus faible taux de mortalité fœtale et, avec l’Islande et
Chypre, le plus faible taux de mortalité néonatale précoce d’Europe
(paragraphe 29 ci-dessus). Il estime que la République tchèque doit
principalement ce bilan, qu’il juge objectivement exceptionnel, à son
système sophistiqué de soins obstétricaux de haut niveau et à la législation
en vigueur garantissant que ces soins de santé (c’est-à-dire l’assistance lors
d’un accouchement) sont dispensés uniquement dans des locaux dûment
équipés. Il indique à ce sujet que ces soins sont accessibles gratuitement à
toutes les femmes enceintes.
34 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
119. Globalement, le Gouvernement se dit fermement convaincu qu’en
raison de la nature même de la problématique en cause, qui à son avis met
en jeu des questions complexes de politique de santé, notamment des
aspects scientifiques et spécialisés et des considérations générales de
politique économique, l’État bénéficie d’une ample marge d’appréciation,
qu’il n’aurait pas outrepassée en l’espèce.
120. En outre, il conteste les observations de certains tiers intervenants.
Pour lui, celles de la défenseure publique des droits ne constituent pas une
source d’informations fiable aux fins de l’espèce, en particulier parce
qu’elles renverraient à quelques rares plaintes pour des mauvais traitements
que des femmes allègueraient avoir subis dans des maternités tchèques. Ces
plaintes représenteraient une fraction négligeable par rapport à l’ensemble
des naissances enregistrées dans le pays et n’auraient pas encore
complètement été examinées et tranchées par la défenseure publique
elle-même.
121. Le Gouvernement s’inscrit également en faux contre une partie des
informations figurant dans les observations de l’Union tchèque des
sages-femmes (Unie porodních asistentek – UNIPA).
122. Concernant enfin l’Ordre royal des sages-femmes, qui prônerait un
système semblable à celui en vigueur au Royaume-Uni, le Gouvernement
déclare qu’il existe en Europe des cultures et des systèmes de santé qui
présentent des différences considérables, certains pays affichant d’ailleurs
un bilan plus satisfaisant que le Royaume-Uni. De l’avis du Gouvernement,
ce tiers intervenant a omis de préciser que la République tchèque enregistre
l’un des plus faibles taux de mortalité périnatale d’Europe et que le bilan
correspondant du Royaume-Uni est bien moins positif. Le système de santé
britannique ne permettrait pas d’obtenir de meilleurs résultats objectifs.
Selon le Gouvernement, la Cour ne doit pas se prononcer sur les diverses
modalités pratiques d’organisation des systèmes de santé.
3. Les observations des tierces parties
a) Le gouvernement de la République de Croatie
123. Le gouvernement croate indique que l’accouchement à domicile
fait l’objet en Croatie d’un dispositif législatif semblable à celui qui est en
vigueur en République tchèque.
124. À la lumière de l’ensemble des constats scientifiques dont il a
connaissance, il estime qu’un accouchement prévu pour se dérouler à
domicile demeure une option moins sûre qu’un accouchement ayant
entièrement lieu en milieu hospitalier. Il observe que, selon la commission
pour la médecine périnatale du ministère de la Santé de la République de
Croatie, les hôpitaux sont les lieux les plus sûrs pour pratiquer un
accouchement, en ce qu’ils offrent à la mère comme au nouveau-né les
meilleures garanties en matière de protection de la santé et de la vie. Il
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 35
ajoute qu’à ce titre la question de savoir si l’État doit autoriser son
personnel médical à participer à des accouchements à domicile relève de la
marge d’appréciation de l’État, ce qui pour le gouvernement croate signifie
que chaque partie contractante doit être absolument libre de décider
elle-même, en fonction de sa propre évaluation de nombreux facteurs
pertinents, s’il y a lieu ou non d’offrir cette possibilité à ses citoyens. À son
avis, les parties contractantes ne doivent pas être contraintes de prendre des
dispositions pour l’accouchement à domicile, et l’esprit de la Convention
n’exige pas la mise en œuvre dans chaque partie contractante de mesures
législatives ou de pratiques en ce sens. Pour le tiers intervenant, cela ne
signifie pas pour autant qu’une partie contractante doive totalement négliger
le fait qu’un grand nombre de femmes se sentent mal à l’aise en milieu
hospitalier et que certains effets négatifs liés à l’accouchement peuvent être
en rapport avec ce sentiment de malaise et de crainte.
125. Le gouvernement croate considère toutefois que la solution à ce
problème ne réside pas dans l’obligation de prendre des mesures en faveur
de l’accouchement à domicile assisté. À son avis, la mise en œuvre de
mesures visant à améliorer le niveau de confort à l’hôpital peut constituer un
compromis. Il existe selon lui divers moyens possibles de combiner les
avantages des deux systèmes : faire de l’hôpital un environnement
accueillant ; donner au compagnon ou aux proches parents la possibilité
d’assister à l’accouchement ; permettre aux accouchées de garder leur
nouveau-né dans leur chambre ; avant et pendant le travail, respecter les
choix des parturientes quant aux actes médicaux proposés ; enfin, laisser les
femmes adopter d’autres positions pendant les contractions.
126. Le respect des souhaits des femmes concernant les aspects
susmentionnés, dans le contexte de l’article 8 de la Convention, relèverait
sans conteste de la Convention, ce qui ne serait pas le cas de
l’accouchement à domicile assisté.
b) Le gouvernement de la République slovaque
127. Le gouvernement slovaque souscrit sans réserve à la conclusion de
la chambre selon laquelle il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 8
de la Convention. Il considère par ailleurs qu’il est plus indiqué d’examiner
l’affaire du point de vue des obligations positives de l’État que de ses
obligations négatives.
128. Renvoyant à l’article 12 du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels, à l’article 12 de la Convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, à
l’article 24 de la Convention relative aux droits de l’enfant et aux
paragraphes 15, 90 et 94 de l’Observation générale no 15 (2013) concernant
cette dernière convention, le gouvernement slovaque estime que les États
sont tenus par une solide obligation positive de réglementer et d’organiser
leur système de prestation de soins de santé liés à la naissance. Selon lui,
36 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
cela consiste notamment à mettre en place une formation satisfaisante pour
tous les prestataires de soins de santé et les autres personnes concernées, à
surveiller et imposer le respect des droits médicaux, matériels et
fondamentaux et d’autres normes pertinentes et, dans ce contexte, à mettre
en œuvre un système de suivi et de réexamen constants de ces normes. À
son avis, le but recherché doit être la protection et la jouissance du droit à la
vie et du droit à la santé de la femme, ainsi que de l’enfant.
129. Le gouvernement slovaque se dit conscient non seulement de
l’obligation positive pour l’État de protéger la vie et la santé de l’enfant et
d’offrir à celui-ci les meilleurs soins de santé possibles, mais également des
responsabilités connexes. À son avis, il peut se révéler impossible de
remplir cette obligation en cas d’accouchement à domicile. La
réglementation slovaque obligerait les prestataires de soins de santé à
disposer de l’équipement matériel et technique requis par les règles
pertinentes. Les sages-femmes qualifiées ne seraient habilitées à intervenir
individuellement dans un établissement de santé qu’en cas d’accouchement
physiologique nécessitant une épisiotomie. L’accouchement à domicile
exposerait la mère et l’enfant à des risques que l’équipement de base d’un
domicile ne suffirait pas à pallier.
130. En République slovaque, le taux d’accouchements hors d’un
établissement de santé s’élèverait à 0,36 % (198 naissances) selon les
données les plus récentes (de 2013), de sorte qu’il ne serait pas possible de
livrer une évaluation statistique du niveau de sécurité correspondant à ce
mode d’accouchement. Les statistiques émanant de pays d’Europe
occidentale qui autorisent l’accouchement à domicile montreraient qu’une
part importante de ces accouchements exigent un transfert à l’hôpital : ainsi,
en Allemagne en 2013, pas moins de 11,3 % des accouchements à domicile
auraient requis une hospitalisation (pendant le processus d’accouchement) et
dans 0,1 % des cas l’enfant serait né pendant le transfert.
131. En outre, selon le gouvernement slovaque, la plupart des naissances
ne se déroulent pas comme prévu et elles peuvent donner lieu à une
situation imprévisible et présenter un risque grave pour la santé et la vie de
la mère et de l’enfant. Il serait impossible de prévoir si une grossesse va
aboutir à un accouchement physiologique ou nécessiter une intervention
rapide, voire une intervention chirurgicale en urgence. En tout état de cause,
la naissance serait un processus dynamique susceptible de se compliquer à
n’importe quel stade, ce qui ferait peser une menace directe sur la vie du
fœtus et, bien entendu, de la parturiente. Aucune de ces complications ne
pourrait être résolue à domicile, comme l’attesteraient les naissances qui
entraînent des séquelles durables, pour l’enfant ou pour la mère. Des
problèmes tels qu’une hypoxie aiguë chez l’enfant, ou une embolie ou une
hémorragie chez la mère, ne pourraient pas être traités en dehors d’un
établissement de santé. En outre, on ne prendrait pas en compte la tendance
au recul constant de l’âge auquel les femmes ont un enfant, avec les
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 37
complications qui en découleraient. Selon des statistiques fournies par le
centre national pour l’information en matière de santé, en 2013 en
République slovaque, 6 292 nouveau-nés auraient eu besoin de soins dans
des établissements spécialisés en néonatalogie ; en d’autres termes, environ
un nouveau-né sur huit ou neuf aurait eu besoin de soins intensifs
spécialisés.
132. Concernant l’ample marge d’appréciation dont jouirait l’État dans
le domaine en question, le gouvernement slovaque admet qu’une approche
humanisée est préférable pendant l’accouchement et en cas d’évolution des
conditions de la naissance, mais il estime que pareille approche n’est
possible que dans un établissement de santé. Selon lui, on ne peut
qu’insister sur la nécessité de protéger les chances de survie et les droits de
l’enfant – dont le droit à la santé –, qui seraient moins bien garantis en cas
de naissance en dehors d’un établissement de santé. La plupart des femmes
optant pour un accouchement dans un cadre domestique évoqueraient le
besoin d’intimité, la possibilité de choisir la méthode et la position pour
accoucher et de refuser tel ou tel type d’intervention médicale pendant
l’accouchement, le besoin de s’appuyer sur la présence d’une personne
proche et l’importance pour la mère de ne pas être séparée de l’enfant. Le
gouvernement slovaque indique à cet égard que le Comité des droits de
l’enfant de l’ONU a demandé aux États de soutenir l’initiative « un hôpital
accueillant pour la mère et le nourrisson » (Mother and Baby Friendly
Hospital Initiative – MBFHI), dans le cadre de laquelle l’OMS et l’UNICEF
auraient énoncé les critères applicables aux maternités et services de
néonatalogie des établissements de santé. Tout en coopérant avec les
organisations susmentionnées, la République slovaque aurait depuis 1996
mis en œuvre des projets de qualité en matière de soins périnataux, qui
passeraient par l’action en faveur de l’accouchement physiologique, une
approche comportementale des soins infirmiers aux nouveau-nés et aux
mères, le soutien à l’allaitement et une attention particulière à l’insécabilité
du lien mère-enfant. Il appartiendrait à tout prestataire de soins de santé de
veiller à humaniser autant que possible la naissance. Certains prestataires
auraient reconstruit des établissements de santé de manière à pouvoir
proposer d’autres méthodes d’accouchement (par exemple l’accouchement
en position verticale ou dans l’eau), adapter les modalités de
l’accouchement à la demande de la mère et offrir des chambres séparées
permettant à l’époux ou à d’autres membres de la famille d’être présents
pendant l’accouchement et tout au long du séjour dans l’établissement. Le
gouvernement slovaque ajoute que dans toute salle d’accouchement la mère
et le nouveau-né doivent être mis au contact l’un de l’autre immédiatement
après la naissance, mesure qui selon lui est un point essentiel de l’initiative
MBFHI. Pour ce qui est du soutien à l’allaitement, l’initiative MBFHI serait
tenue au sein de l’Union européenne pour un modèle de bonnes pratiques
concernant les soins à la mère et au nouveau-né après l’accouchement. Cette
38 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
initiative exigerait notamment qu’une fois séché, et dans la demi-heure
suivant la naissance, le nouveau-né soit placé sur le corps de la mère, et que
tous deux puissent rester ensemble en vue d’un allaitement « à la
demande ».
133. Le gouvernement slovaque considère que cette approche de la
naissance, à son avis semblable à celle adoptée en République tchèque, est
conforme à l’idée qu’il faut respecter et soutenir activement les droits des
femmes en rapport avec l’accouchement. Par ailleurs, il reconnaît
pleinement les droits de l’enfant découlant des instruments internationaux,
qui selon lui tendent à ménager un équilibre entre les intérêts de la mère et
de l’enfant, d’une part, et l’intérêt de la société à protéger leur santé et leur
bien-être, d’autre part.
c) L’Ordre royal des sages-femmes
134. L’Ordre royal des sages-femmes déclare être la seule organisation
syndicale professionnelle du Royaume-Uni dirigée par des sages-femmes
pour les sages-femmes. Il indique que son rôle consiste à promouvoir et
développer l’art et la science des sages-femmes ainsi qu’à améliorer
l’efficacité de ses membres et protéger leurs intérêts.
135. Il aurait toujours défendu la même position sur la sécurité de
l’accouchement à domicile, considéré par lui comme un choix sûr pour les
femmes qui ont des grossesses sans complications.
136. Dans le cadre de la politique actuelle du gouvernement, l’ensemble
des hôpitaux du Royaume-Uni seraient censés proposer l’option de
l’accouchement à domicile, et les femmes auraient le droit de s’adresser
elles-mêmes aux services d’accouchement à domicile de leur secteur.
Interprétant la common law, les tribunaux nationaux auraient modifié leur
approche de la négligence médicale et affirmé qu’il appartient aux femmes
de décider des soins de santé maternelle qui leur sont dispensés. Le conseil
des professions d’infirmier et de sage-femme, autorité nationale de
réglementation du métier de sage-femme, aurait reconnu que l’on ne peut
forcer les femmes à accoucher à l’hôpital contre leur volonté. Il aurait donc
été admis que les sages-femmes ont une obligation professionnelle
d’assister les femmes qui donnent naissance à leur enfant en dehors de
l’hôpital.
137. Les naissances à domicile ne seraient pas expressément encadrées
par le droit national : la capacité des sages-femmes à fournir des soins à des
femmes à domicile relèverait implicitement de leurs compétences générales
et tous les soins dispensés par elles, sans considération de lieu, seraient
soumis au contrôle de l’autorité professionnelle de réglementation et au
droit général. Les règles relatives aux modalités pratiques de
l’accouchement à domicile seraient énoncées par l’organe de réglementation
compétent et par l’employeur de la sage-femme.
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 39
138. L’Ordre royal des sages-femmes soutient qu’interdire l’assistance
d’une sage-femme lors d’un accouchement à domicile emporte les
conséquences suivantes : i) un accouchement à domicile sans l’assistance
d’une personne formée ferait peser un risque sur la santé des femmes et des
bébés en cas de complications ; ii) en l’absence de réglementation des
qualifications et des compétences des personnes intervenant pour les
accouchements à domicile, les femmes risqueraient de se faire assister par
une personne non formée en la matière et non soumise au contrôle d’une
autorité de réglementation ; iii) il y aurait un frein au transfert à l’hôpital en
cas de complications pendant l’accouchement en ce que la sage-femme, ou
une autre personne ayant fourni son assistance, risquerait d’être dénoncée
aux autorités ; iv) le transfert à l’hôpital en situation d’urgence serait entravé
par l’absence de procédures adéquates d’orientation et de gestion des
dossiers, l’hôpital n’ayant aucune trace du passé obstétrical de la patiente,
de l’évolution du travail ou de la nature d’une éventuelle complication ;
v) l’accouchement à domicile serait stigmatisé, et le personnel hospitalier
traiterait souvent les femmes transférées de chez elles à l’hôpital avec
suspicion et irrespect et pourrait retarder des soins urgents.
d) Le groupe d’étude international de l’Association mondiale de médecine
périnatale
139. Le groupe d’étude international indique que l’Association mondiale
de médecine périnatale et l’Académie internationale de médecine périnatale
comptent en leur sein des sommités scientifiques et hospitalières dans le
domaine des soins médicaux aux femmes enceintes, aux fœtus et aux
nouveau-nés. Il précise avoir débuté en 2013 ses travaux scientifiques sur
les accouchements prévus pour se dérouler à domicile.
140. Selon les conclusions de ses études, les accouchements prévus pour
se dérouler à domicile présenteraient des risques accrus inutiles et évitables
pour le nouveau-né et la mère. Une femme enceinte menant sa grossesse à
terme assumerait librement l’obligation éthique, vis-à-vis du fœtus et de
l’enfant à naître, de choisir pour l’accouchement un lieu qui ne comporte
pas de risques inutiles. Son autonomie serait donc légitimement restreinte
par cette obligation éthique.
141. La conclusion formulée dans la déclaration conjointe de l’Ordre
royal des obstétriciens et gynécologues et de l’Ordre royal des
sages-femmes, selon laquelle un accouchement prévu pour se dérouler à
domicile constitue une « option sûre pour de nombreuses femmes », ne
résisterait pas à un examen attentif de la mise en œuvre de cette option en
l’absence d’un accès immédiat à des soins hospitaliers. Pareil scénario
comporterait inévitablement un risque lié au transfert à l’hôpital. De plus,
on aurait rapporté un taux de mortalité périnatale plus de huit fois supérieur
en cas de transfert du domicile vers un service d’obstétrique. Le laps de
temps qui s’écoulerait inévitablement, même avec le meilleur des systèmes
40 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
de transfert du domicile à l’hôpital, et même entre la période de travail et
d’accouchement et l’arrivée en salle d’opération, entraînerait un risque
accru de mortalité et de morbidité tant pour le nouveau-né que pour la mère.
142. Le groupe d’étude international évoque une tradition existant de
longue date aux Pays-Bas, qui consisterait à organiser l’accouchement à
domicile de façon optimale, avec des sages-femmes bien formées et un
système de transfert vers des hôpitaux situés à courte distance. Or 49 % des
femmes primipares et 17 % des femmes multipares seraient transportées à
l’hôpital pendant le travail. Les indications les plus fréquentes seraient le
besoin d’antalgiques et une période de travail qui se prolonge.
143. Souvent, un accouchement prévu pour se dérouler à domicile ne
serait pas à la hauteur de sa raison d’être, à savoir une meilleure satisfaction
de la patiente. De par leur responsabilité professionnelle, les médecins et
sages-femmes hospitaliers seraient tenus de prendre des mesures pour
améliorer le niveau de satisfaction de la patiente en créant un cadre
rappelant l’accouchement à domicile et adéquatement doté en personnel,
non seulement pour garantir la sécurité de la patiente – qui serait l’aspect
primordial de la responsabilité professionnelle –, mais aussi pour son
bien-être. Une femme enceinte aurait en effet le droit de décider et de
contrôler ce qu’il advient de son corps pendant la grossesse et
l’accouchement. Cependant, un point de vue plus approprié sur le plan
clinique consisterait à dire que le médecin ou la sage-femme ont une
obligation indépendante, au regard de l’intégrité professionnelle, de protéger
la femme enceinte, le fœtus et le nouveau-né. Leur rôle consisterait à définir
et présenter d’autres options médicalement raisonnables pour la gestion de
la grossesse, autrement dit une gestion clinique qui, selon des données
probantes, présente un net avantage.
144. La patiente aurait le droit de faire son choix parmi les solutions
médicalement raisonnables. Dans l’hypothèse où elle les rejetterait toutes
mais resterait une patiente, alors son refus ne représenterait pas le simple
exercice d’un droit négatif à la non-ingérence ; il serait plus complexe, étant
combiné à un droit positif à bénéficier des services de personnel hospitalier
et des ressources offertes par la société et les structures de soins. Insister sur
la mise en œuvre de droits illimités pour la femme enceinte de contrôler le
lieu de l’accouchement serait une erreur éthique qui, à ce titre, n’aurait pas
sa place dans la médecine périnatale professionnelle.
145. En conclusion, les accouchements prévus pour se dérouler à
domicile ne se concilieraient pas avec l’intégrité professionnelle dès lors
que les risques accrus associés à cette option seraient évitables dans le cadre
d’un accouchement censé avoir lieu à l’hôpital. La future mère ne jouirait
pas d’une liberté absolue dans la détermination du lieu de l’accouchement
assisté en raison de son obligation éthique, vis-à-vis de l’enfant à naître, de
protéger les intérêts de celui-ci en matière de santé. Elle pourrait remplir
cette obligation en prévoyant un accouchement à l’hôpital mais non un
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 41
accouchement à domicile. Le principe de précaution justifierait la réduction
des risques pour les personnes vulnérables lorsque l’effort requis est
minime. Un accouchement programmé pour se dérouler à l’hôpital
protégerait le fœtus et le nouveau-né des risques afférents à un
accouchement prévu à domicile, risques contre lesquels les bébés ne
pourraient se protéger eux-mêmes. Pour la future mère, la charge
représentée par un accouchement censé avoir lieu à l’hôpital serait minime.
En conséquence, un accouchement prévu pour se dérouler à domicile ne
serait pas compatible avec le principe de précaution.
e) L’Union tchèque des sages-femmes (Unie porodních asistentek – UNIPA)
146. L’UNIPA indique être une association professionnelle de
sages-femmes indépendantes.
147. Elle décrit d’abord les associations professionnelles de
sages-femmes existant en République tchèque. Elle déclare rassembler les
sages-femmes et étudiantes sages-femmes de tout le pays, et mentionne
également la Confédération tchèque des sages-femmes (Česká konfederace
porodních asistentek – ČKPA), qui regrouperait les sages-femmes en petites
sections sur une base régionale. Ces deux organisations coopéreraient
étroitement en vue de développer et promouvoir en République tchèque le
métier de sage-femme comme modèle viable de soins de santé liés à la
maternité. L’UNIPA signale en outre l’association tchèque des
sages-femmes (Česká společnost porodních asistentek – ČSPA),
organisation qui aurait été créée en 2014 et rassemblerait d’autres membres
de professions médicales et paramédicales.
148. L’UNIPA expose que la loi a expressément interdit la prestation de
soins par des sages-femmes dans le cadre d’accouchements à domicile et
que de tels soins sont aussi prohibés dans les cabinets de sage-femme et les
maisons de naissance en raison des exigences techniques excessives
imposées par les textes réglementaires. La politique de l’État et la pratique
des hôpitaux empêcheraient donc les sages-femmes de pratiquer en toute
légalité un accouchement hors du cadre hospitalier. De plus, l’État
autoriserait uniquement le modèle des soins obstétricaux, de sorte qu’une
sage-femme souhaitant fournir une assistance pour un accouchement serait
contrainte de le faire à l’hôpital, de se conformer à ce modèle et à des règles
obstétricales et d’exercer sous la supervision et suivant les instructions
préalables d’un médecin. En pareil cas, la sage-femme serait également
tenue d’entretenir une relation de travail avec l’hôpital. Par essence un tel
système empêcherait les sages-femmes de dispenser les soins propres à leur
métier et d’accomplir leurs tâches légales.
149. L’UNIPA déclare que, sur les 6 000 sages-femmes qualifiées et
titulaires d’une autorisation d’exercer que compte le pays, aucune n’a
obtenu l’autorisation technique permettant d’accomplir l’ensemble des
tâches d’une sage-femme, notamment l’assistance lors d’un accouchement,
42 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
et qu’en conséquence aucune n’a été autorisée par l’État à pratiquer en toute
indépendance et sans instruction préalable d’un médecin les actes liés à
l’accouchement. L’UNIPA ajoute que d’un point de vue purement juridique
et technique aucune restriction ne vise actuellement l’existence de maisons
de naissance, mais qu’en pratique les importantes exigences relatives aux
moyens techniques, matériels et humains réduisent cette option à néant. Le
tiers intervenant indique qu’il y a bien eu une tentative pour faire enregistrer
une maison de naissance à Brno, mais que les pouvoirs publics compétents
ont émis une réponse négative malgré le projet d’installer cet établissement
à proximité immédiate d’un hôpital local.
150. Le monopole que les médecins exerceraient dans le domaine des
soins obstétricaux entraînerait une incapacité du système de santé à
distinguer les soins primaires et les soins secondaires à la mère et à l’enfant.
Cette absence de distinction entre ces niveaux de soins déboucherait par la
force des choses sur une prestation de soins standardisés à l’ensemble des
femmes, sans prise en compte de la variété de leurs besoins spécifiques. En
conséquence, le système ne ferait pas de différence entre les mères
présentant un faible risque spontané, pour lesquelles on pourrait
raisonnablement prévoir un accouchement sans complications, et les mères
dont la grossesse indiquerait l’existence d’un état pathologique.
151. L’UNIPA indique ensuite à la Cour qu’il n’existe pas de normes
professionnelles nationales applicables aux soins de sage-femme,
circonstance qui en particulier exposerait les praticiennes à un risque accru
de voir engager leur responsabilité professionnelle, tant au civil qu’au pénal.
Évoquant deux procédures pénales dirigées contre des sages-femmes,
l’UNIPA considère que si celles-ci ont été innocentées, leur renommée et
celle de la profession de sage-femme ont néanmoins subi un préjudice
irréparable.
152. L’UNIPA déclare enfin que l’État n’a pas recueilli de données
statistiques solides sur les pratiques de tel ou tel hôpital et sur les
accouchements se déroulant en dehors d’un établissement médical. À son
avis, cela limite le choix offert aux futures mères quant au lieu de
l’accouchement. De plus, il n’y aurait pas de méthode exhaustive
d’information des futures mères au sujet des soins de santé liés à
l’accouchement qui sont assurés par les services publics. En conséquence,
les femmes n’auraient pas connaissance des différentes options qui se
présentent à elles pendant la grossesse et l’accouchement. Ces informations
ne seraient accessibles que dans le cadre de cours payants de préparation à
l’accouchement.
f) La défenseure publique des droits (Veřejná ochránkyně práv)
153. La défenseure publique des droits (médiatrice) déclare que son rôle
consiste principalement à protéger les individus contre des comportements
soit illégaux soit pour une raison quelconque inappropriés, et contre
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 43
l’inactivité des autorités et d’autres organes publics (en d’autres termes, à
contrôler et inspecter l’administration publique). En même temps, la
défenseure publique agirait en tant qu’organe national défendant l’égalité
(organe national pour l’égalité de traitement et la protection contre la
discrimination) en vertu des directives pertinentes de l’Union européenne
(directive 2000/43/CE du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du
principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de
race ou d’origine ethnique et directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000
portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en
matière d’emploi et de travail). Par ailleurs, la défenseure publique visiterait
systématiquement les lieux où les personnes sont privées de liberté (en
application du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants) et
contrôlerait les retours forcés ou expulsions d’étrangers en vertu de la
directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 relative aux normes et
procédures communes applicables dans les États membres au retour des
ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.
154. La défenseure publique livre à la Cour un aperçu des affaires qui lui
ont été soumises, sans fournir de données statistiques.
155. La première catégorie de plaintes porterait sur des actes pratiqués
pendant le travail et l’accouchement au sein d’un établissement médical,
actes que les femmes concernées auraient décrits comme non respectueux
de leur dignité et de leur intimité. Plus précisément, des femmes se seraient
plaintes de certaines interventions réalisées sans leur consentement, de
l’obligation de payer une somme d’argent pour que leur propre doula
(accompagnante à la naissance) pût être présente, de la promiscuité dans la
salle d’accouchement et du non-respect de leurs souhaits quant à la
possibilité de manger, boire, bouger ou choisir une position particulière
pour accoucher, sur le lit ou hors du lit. Certaines plaintes porteraient
également sur le suivi constant de l’enfant à naître, la séparation entre la
mère et l’enfant juste après la naissance ou dans les quarante-huit heures
consécutives, et le défaut de prise en compte du plan de naissance soumis
par la mère.
156. La deuxième catégorie de plaintes examinées par la défenseure
publique porterait sur l’impossibilité d’accoucher avec une assistance
professionnelle en dehors d’un établissement médical, et sur l’ambiguïté de
la réglementation relative à l’accouchement à domicile.
157. La défenseure publique aurait reçu en 2003 la première plainte à ce
sujet. La plaignante en question y aurait fait état de l’impossibilité de mettre
au monde un enfant avec l’assistance d’une sage-femme en dehors d’un
établissement médical, et de ce que les prestations de la sage-femme
n’étaient pas remboursées par la caisse publique d’assurance maladie.
L’issue donnée à cette plainte n’a pas été indiquée. La défenseure publique
déclare que même si le droit tchèque n’interdit pas expressément
44 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
l’accouchement en dehors d’un établissement médical, cette possibilité est
pratiquement exclue par l’arrêté no 92/2012 du ministère de la Santé. Elle
considère que les exigences légales relatives à l’équipement minimal des
établissements médicaux et des centres de soins à domicile ne peuvent pas
en principe être remplies lors d’un accouchement qui se déroule à domicile
ou dans un autre cadre. Elle est d’avis que les salles d’accouchement
satisfaisant aux conditions définies par la législation se trouvent ainsi
exclusivement dans des établissements de santé. Elle indique à cet égard que
certaines futures mères auraient trouvé suffisant que leur accouchement
dans l’établissement médical fût pratiqué par « leur » sage-femme. Or les
établissements médicaux n’autoriseraient que les accouchements pratiqués
par des sages-femmes avec lesquelles ils ont conclu un contrat, et de tels
contrats seraient souvent impossibles à obtenir.
158. La troisième catégorie de plaintes adressées à la défenseure
publique concernerait les difficultés administratives rencontrées par les
parents d’un enfant né en dehors d’un établissement de santé. Dans de
nombreux cas, il aurait été difficile d’obtenir un acte de naissance ou une
allocation parentale.
159. Enfin, la défenseure publique mentionne des plaintes de
sages-femmes portant sur des dispositions juridiques qui dans les faits les
auraient empêchées d’intervenir lors d’un accouchement en dehors d’un
établissement médical.
C. Appréciation de la Cour
1. Sur l’applicabilité de l’article 8 de la Convention
160. Les requérantes en l’espèce formulent leur grief sur le terrain de
l’article 8 de la Convention et le Gouvernement ne conteste pas
l’applicabilité de cette disposition dans la procédure devant la Grande
Chambre.
161. La Cour note que les requérantes souhaitaient se faire assister par
une sage-femme pour accoucher à domicile. La question qui se pose en
l’espèce est donc de savoir si le droit de décider des conditions d’un
accouchement relève de l’article 8 (voir aussi le paragraphe 74 de l’arrêt de
la chambre).
162. La Grande Chambre confirme que la notion de « vie privée » est
une notion large (paragraphe 73 de l’arrêt de la chambre). Elle rappelle à cet
égard avoir déclaré dans l’affaire Odièvre c. France ([GC], no 42326/98,
§ 29, CEDH 2003-III) que « [l]a naissance, et singulièrement les
circonstances de celle-ci, relève de la vie privée de l’enfant, puis de l’adulte,
garantie par l’article 8 de la Convention ». Par ailleurs, dans l’affaire
Ternovszky (précitée, 14 décembre 2010), la Cour a dit que « les conditions
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 45
dans lesquelles on donne la vie font indéniablement partie intégrante de la
vie privée d’une personne aux fins de cette disposition ».
163. La Cour estime que, si l’article 8 ne peut être interprété comme
conférant un droit d’accoucher à domicile en tant que tel, le fait qu’il soit
impossible en pratique pour les femmes de se faire assister pour accoucher à
leur domicile privé relève de leur droit au respect de la vie privée et, dès
lors, de l’article 8. En effet, donner la vie est un moment unique et délicat
dans la vie d’une femme. La mise au monde d’un enfant englobe des
questions touchant à l’intégrité physique et morale, aux soins médicaux, à la
santé génésique et à la protection des informations relatives à la santé. Ces
questions, y compris le choix du lieu de l’accouchement, sont donc
fondamentalement liées à la vie privée d’une femme et elles relèvent de
cette notion aux fins de l’article 8 de la Convention.
2. Sur le point de savoir s’il convient d’examiner l’affaire sous l’angle
des obligations négatives ou des obligations positives de l’État
164. Les parties divergent sur la question de savoir s’il convient
d’examiner l’affaire sous l’angle d’une ingérence dans l’exercice par les
requérantes des droits découlant de l’article 8 de la Convention ou sur le
terrain de l’obligation positive pour l’État de protéger les droits des
intéressées. En effet, la problématique centrale en l’espèce peut être
envisagée soit sous l’angle d’une restriction de la liberté des requérantes de
choisir les conditions de leur accouchement, qui s’analyserait en une
ingérence dans leur exercice du droit au respect de la vie privée, soit sous
celui d’un manquement de l’État à son obligation de mettre en place un
cadre réglementaire approprié garantissant le respect des droits des
personnes se trouvant dans la situation des requérantes et, ainsi, à son
obligation positive de garantir le respect de leur vie privée (voir, mutatis
mutandis, Hristozov et autres, précité, § 117).
165. Eu égard à la nature et à la teneur des griefs des requérantes, la
Grande Chambre juge approprié de considérer – à l’instar de la chambre –
que la présente espèce concerne une atteinte au droit pour les requérantes de
recourir à l’assistance de sages-femmes pour accoucher à domicile. En effet,
la loi faisait peser sur ces praticiennes des menaces de sanctions qui en
pratique les dissuadaient de prêter pareille assistance. En tout état de cause,
comme la Cour l’a déjà déclaré, les principes applicables à la justification
au regard de l’article 8 § 2 sont comparables quelle que soit l’approche
choisie pour l’analyse (S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, § 88,
CEDH 2011, avec d’autres références).
166. Pour déterminer si cette ingérence a emporté violation de l’article 8
de la Convention, la Cour doit rechercher si elle était justifiée au regard du
second paragraphe de cet article, c’est-à-dire si elle était « prévue par la
loi » et « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre l’un ou
l’autre des « buts légitimes » énumérés à l’article 8.
46 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
3. L’ingérence était-elle « prévue par la loi » ?
167. La Cour rappelle que toute atteinte à un droit garanti par la
Convention doit avoir une base en droit interne. En outre, la « loi » doit être
suffisamment accessible et énoncée avec assez de précision pour permettre
au citoyen de régler sa conduite : en s’entourant au besoin de conseils
éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les
circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte
déterminé (A, B et C c. Irlande, précité, § 220, avec d’autres références).
168. En l’espèce, les parties ne contestent pas que les dispositions
juridiques internes qui constituent la base légale de l’ingérence litigieuse
étaient accessibles aux requérantes. La Cour ne voit aucune raison d’en
disconvenir.
169. En ce qui concerne la prévisibilité de ces dispositions, la Cour note
tout d’abord que l’ordre juridique tchèque n’interdit pas l’accouchement à
domicile en tant que tel. Elle observe ensuite que la loi sur les soins dans les
établissements de santé privés, qui était en vigueur lorsque Mme Dubská a
mis au monde son deuxième enfant, en avril 2011, réglementait les
établissements de santé privés et prévoyait l’imposition de sanctions à tout
prestataire de soins qui enfreindrait la loi, sans pour autant indiquer le
montant de l’amende susceptible d’être infligée. La loi donnait compétence
au ministère de la Santé pour définir les exigences relatives à l’équipement
technique et matériel dont devaient être dotés les établissements de santé en
question. Le ministère a donc pris l’arrêté no 221/2010 – en vigueur du
1er septembre 2010 au 31 mars 2012 – qui énonçait les conditions précises à
remplir pour pouvoir exercer la profession de sage-femme de façon
indépendante et définissait notamment trois catégories possibles de lieux
d’exercice pour les sages-femmes : ceux où l’accouchement n’était pas
autorisé, ceux où il était autorisé, et les lieux d’exercice et de contact qui
devaient être dotés de mobilier adapté au travail de sage-femme et d’un
téléphone portable. L’arrêté précisait également le contenu de la sacoche de
la sage-femme (paragraphes 43-46 ci-dessus). Par ailleurs, la loi sur les
professions paramédicales, qui était en vigueur lorsque chacune des deux
requérantes a accouché et qui l’est encore à ce jour, a édicté les exigences
relatives à la pratique indépendante du métier de sage-femme, donnant
compétence au ministère de la Santé pour définir les activités des
praticiennes. Le ministère a alors pris l’arrêté no 424/2004, plus tard
remplacé par l’arrêté no 55/2011, d’après lesquels les sages-femmes
pouvaient pratiquer seules certains actes comme les accouchements
physiologiques, y compris des épisiotomies si nécessaire.
170. La loi sur les services médicaux est entrée en vigueur peu avant que
Mme Krejzová donnât naissance à son troisième enfant, en mai 2012. Elle a
abrogé la loi sur les soins dans les établissements de santé privés et l’arrêté
no 221/2010. Elle énonce qu’une personne ne peut fournir des services de
santé que si elle est titulaire de l’autorisation requise, excepté dans des
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 47
situations particulières. Les établissements de santé visés dans l’autorisation
doivent être dotés de l’équipement adapté aux services assurés, qui doit être
précisé dans un arrêté du ministère de la Santé. Une personne qui dispense
des soins de santé d’une manière non conforme à cette loi est passible d’une
amende pour infraction à la loi, qui par ailleurs définit un certain nombre de
sanctions concrètes. L’équipement essentiel dont doivent disposer les
sages-femmes dans les lieux où elles sont appelées à assister une parturiente
est énoncé dans l’arrêté no 92/2012, qui indique notamment trois catégories
distinctes de lieux d’exercice pour les sages-femmes : ceux où
l’accouchement n’est pas autorisé, ceux où il est autorisé, et les lieux
d’exercice et de contact pour les soins infirmiers d’ordre gynécologique et
obstétrical (voir aussi le paragraphe 82 de l’arrêt de la chambre).
171. La Cour admet que, si des doutes ont pu surgir quant à la clarté de
certaines dispositions législatives en vigueur à l’époque pertinente, les
requérantes – en s’entourant au besoin de conseils éclairés – étaient
néanmoins en mesure de prévoir à un degré raisonnable dans les
circonstances de l’espèce que leurs domiciles privés ne pouvaient satisfaire
aux exigences en matière d’équipement énumérées successivement dans les
deux textes réglementaires susmentionnés, et qu’en conséquence les
dispositions en question ne permettaient pas à un professionnel de santé de
fournir une assistance lors d’un accouchement prévu pour se dérouler à
domicile.
En conséquence, l’ingérence litigieuse était prévue par la loi.
4. L’ingérence poursuivait-elle un but légitime ?
172. Contrairement aux requérantes, la Cour considère qu’il n’y a
aucune raison de douter que la politique de l’État tchèque consistant à
encourager les femmes à accoucher à l’hôpital, telle qu’elle ressort de la
législation nationale pertinente, vise à protéger la santé et la sécurité de la
mère et de l’enfant pendant et après l’accouchement.
173. On peut en conséquence affirmer que l’ingérence litigieuse
poursuivait le but légitime de la protection de la santé et des droits d’autrui
au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.
5. L’ingérence était-elle nécessaire dans une société démocratique ?
174. Une ingérence est considérée comme « nécessaire dans une société
démocratique » pour atteindre un but légitime si elle répond à un « besoin
social impérieux » et, en particulier, si elle est proportionnée au but légitime
poursuivi et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la
justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (voir, mutatis mutandis,
Fernández Martínez c. Espagne [GC], no 56030/07, § 124, CEDH 2014
(extraits)).
48 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
175. À cet égard, la Cour rappelle que le mécanisme de contrôle institué
par la Convention a un rôle fondamentalement subsidiaire et reconnaît que
les autorités nationales jouissent d’une légitimité démocratique directe en ce
qui concerne la protection des droits de l’homme. En outre, grâce à leurs
contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays, les autorités
de l’État se trouvent en principe mieux placées que le juge international
pour évaluer les besoins et le contexte locaux (voir, par exemple, Maurice
c. France [GC], no 11810/03, § 117, CEDH 2005-IX, avec d’autres
références).
176. En conséquence, c’est au premier chef aux autorités nationales qu’il
revient de se prononcer sur le point de savoir où se situe le juste équilibre à
ménager lorsqu’elles apprécient la nécessité, au regard d’un intérêt général,
d’une ingérence dans les droits des individus protégés par l’article 8 de la
Convention. Il s’ensuit que, lorsqu’ils adoptent des lois visant à concilier
des intérêts concurrents, les États doivent en principe pouvoir choisir les
moyens qu’ils estiment les plus adaptés au but de la conciliation ainsi
recherchée (Odièvre, précité, § 49, Van der Heijden c. Pays-Bas [GC],
no 42857/05, § 56, 3 avril 2012).
177. S’il appartient aux autorités nationales d’évaluer en premier lieu la
nécessité d’une ingérence, c’est à la Cour qu’il revient de trancher en
définitive la question de savoir si, dans telle ou telle affaire, l’ingérence était
« nécessaire » au sens que l’article 8 de la Convention attribue à ce terme
(S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, § 101,
CEDH 2008, Van der Heijden, précité, § 57).
178. Les autorités nationales jouissent en principe d’une certaine marge
d’appréciation à cet égard. L’ampleur de cette marge dépend d’un certain
nombre d’éléments déterminés par les circonstances de la cause. Cette
marge est d’autant plus étroite que le droit en cause est important pour
garantir à l’individu la jouissance effective des droits fondamentaux ou
d’ordre intime qui lui sont reconnus. Lorsqu’un aspect particulièrement
important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, la
marge laissée à l’État est également restreinte. Lorsqu’au sein des États
membres du Conseil de l’Europe il n’y a de consensus ni sur l’importance
relative de l’intérêt en jeu ni sur les meilleurs moyens de le protéger, la
marge d’appréciation est plus large, surtout lorsque sont en jeu des
questions morales ou éthiques délicates (Van der Heijden, précité, §§ 55-60,
avec d’autres références, et Parrillo c. Italie [GC], no 46470/11, § 169,
CEDH 2015, avec d’autres références).
179. Une ample latitude est d’ordinaire laissée à l’État pour prendre des
mesures d’ordre général en matière économique ou sociale. Grâce à une
connaissance directe de leur société et de ses besoins, les autorités
nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international
pour déterminer ce qui est d’utilité publique en matière économique ou en
matière sociale, et la Cour respecte en principe la manière dont l’État
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 49
conçoit les impératifs de l’utilité publique, sauf si son jugement se révèle
« manifestement dépourvu de base raisonnable » (Stec et autres
c. Royaume-Uni [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 52, CEDH 2006-VI,
avec d’autres références, Shelley c. Royaume-Uni (déc.), no 23800/06,
4 janvier 2008, et Hristozov, précité, § 119).
180. Dans le cas d’espèce, la Cour est appelée à déterminer si
l’impossibilité pratique où se sont trouvées les requérantes de se faire
assister par un professionnel de santé pour accoucher à domicile a ménagé
un juste équilibre entre, d’une part, le droit des requérantes au respect de
leur vie privée au regard de l’article 8 de la Convention et, d’autre part,
l’intérêt de l’État à protéger la santé et la sécurité de l’enfant pendant et
après l’accouchement, ainsi que la santé et la sécurité de la mère
(paragraphe 174 ci-dessus). Autrement dit, la Cour doit rechercher si, en
adoptant une législation qui ne permettait pas en pratique une telle
assistance, l’État défendeur a outrepassé la marge d’appréciation dont il
jouissait.
181. Le Gouvernement soutient que l’État bénéficiait en l’espèce d’une
ample marge d’appréciation. Les requérantes plaident qu’une approche
répressive de l’accouchement à domicile risque de porter atteinte aux droits
à la vie et à la santé des femmes et que, en rendant l’accouchement à
domicile moins sûr pour les femmes, l’État peut mettre ces droits en péril.
De plus, les intéressées estiment que le droit des femmes de décider des
conditions de leur accouchement – droit qui à leurs yeux compense la
limitation de leur droit à l’autodétermination dans un tel moment –
n’autorise pas en principe d’autres restrictions au nom de la marge
d’appréciation du Gouvernement, qui, selon elles, est nécessairement étroite
en la matière. En outre, les requérantes considèrent que l’accouchement à
domicile fait l’objet d’un consensus au sein des États membres, ce qui,
d’après elles, est confirmé par l’avis d’experts internationaux sur la santé
maternelle et l’importance de la présence de professionnels qualifiés auprès
des parturientes. Pour les requérantes, l’existence de ce consensus européen
devrait conduire à réduire la marge d’appréciation de l’État.
182. Si l’accouchement à domicile ne soulève pas en soi des questions
morales et éthiques très délicates (voir, a contrario, A, B et C c. Irlande,
précité), on peut dire néanmoins qu’il touche à un intérêt général important
dans le domaine de la santé publique. De plus, la responsabilité de l’État en
la matière implique nécessairement un plus large pouvoir pour celui-ci
d’énoncer des règles sur le fonctionnement du système de santé, englobant
les établissements de santé tant publics que privés. Dans ce contexte, la
Cour observe que la présente affaire porte sur une question complexe de
politique de santé exigeant une analyse par les autorités nationales de
données spécialisées et scientifiques sur les risques respectifs de
l’accouchement à l’hôpital et de l’accouchement à domicile. En outre, des
considérations générales de politique sociale et économique entrent en jeu,
50 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
notamment l’affectation de moyens financiers, dès lors qu’il peut s’avérer
nécessaire de retirer des ressources budgétaires du système général des
maternités pour les consacrer à la mise en place d’un cadre pour
l’accouchement à domicile (voir, mutatis mutandis, Maurice, précité, § 84,
avec d’autres références, et Stec et autres, précité, § 52).
183. D’autre part, et contrairement à ce que soutiennent les requérantes,
la Cour estime qu’il ne se dégage pas au sein des États membres du Conseil
de l’Europe de consensus en faveur de l’accouchement à domicile qui aurait
pour corollaire un rétrécissement de la marge d’appréciation de l’État. Elle
relève en particulier que l’accouchement programmé pour se dérouler à
domicile est prévu par le droit interne et réglementé dans vingt États
membres, mais que le droit de choisir ce mode d’accouchement n’est jamais
absolu et reste toujours subordonné au respect de certaines conditions
médicales. De plus, dans quinze de ces États seulement, une assurance
maladie nationale prend en charge les accouchements à domicile. La Cour
observe également que l’accouchement à domicile n’est pas réglementé ou
est sous-réglementé dans vingt-trois autres États membres. Dans certains de
ces pays, l’accouchement à domicile est pratiqué, mais sans cadre juridique
et sans couverture médicale nationale. En outre, la Cour n’a pas relevé
l’existence d’une législation qui interdise expressément l’assistance d’une
sage-femme lors d’un accouchement à domicile. Dans un très petit nombre
d’États membres parmi ceux étudiés, des sanctions disciplinaires ou pénales
sont possibles mais semblent toutefois rarement infligées.
184. À la lumière de ces considérations, la Cour estime que la marge
d’appréciation à accorder aux autorités nationales en l’espèce doit être large,
sans pour autant être illimitée. Elle doit en effet contrôler si, eu égard à cette
marge d’appréciation, l’ingérence atteste d’une mise en balance
proportionnée des intérêts concurrents en jeu (A, B et C c. Irlande, précité,
§ 238, avec une autre référence). Dans une affaire issue d’une requête
individuelle, la Cour n’a pas pour tâche de contrôler dans l’abstrait une
législation ou une pratique contestées, mais elle doit autant que possible se
limiter, sans oublier le contexte général, à traiter les questions soulevées par
le cas concret dont elle se trouve saisie (S.H. et autres c. Autriche, précité,
§§ 91-92, avec d’autres références). Elle n’a donc pas à substituer sa propre
appréciation à celle des autorités nationales compétentes s’agissant de
déterminer le meilleur moyen de réglementer les questions relatives aux
conditions de l’accouchement. Elle doit plutôt rechercher, en se fondant sur
le critère susmentionné du juste équilibre, si en l’espèce l’ingérence de
l’État est compatible avec l’article 8 de la Convention.
185. Les requérantes en l’espèce avaient toutes deux exprimé le souhait
d’accoucher à domicile avec l’assistance d’une sage-femme. La Cour
reconnaît que, par l’effet des dispositions législatives en vigueur à l’époque
des faits, les intéressées se sont trouvées dans une situation qui a lourdement
pesé sur leur liberté de choix : elles étaient tenues soit d’accoucher à
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 51
l’hôpital soit, si elles souhaitaient accoucher chez elles, de le faire sans
l’aide d’une sage-femme et, dès lors, avec les risques que cela comportait
pour elles-mêmes et pour leur nouveau-né (voir aussi les paragraphes 93 et
95 de l’arrêt de la chambre). La Cour note à cet égard que, si aucun conflit
d’intérêts n’oppose généralement une mère et son enfant, on peut considérer
que certains choix opérés par les mères quant au lieu, aux conditions ou à la
méthode d’accouchement engendrent un risque accru pour la santé et la
sécurité des nouveau-nés, dont le taux de mortalité n’est pas négligeable –
comme l’attestent les chiffres relatifs aux décès périnatals et néonatals –
malgré tous les progrès accomplis en matière de soins médicaux (voir aussi
le paragraphe 94 de l’arrêt de la chambre).
186. À cet égard, la Cour prend acte de l’argument du gouvernement
défendeur, auquel souscrivent le gouvernement de la République de Croatie
et celui de la République slovaque, consistant à dire que le risque pour les
mères et les nouveau-nés (paragraphes 124 et 131 ci-dessus) est plus élevé
en cas d’accouchement à domicile qu’en cas d’accouchement dans une
maternité dotée de tout le personnel nécessaire et adéquatement équipée sur
les plans technique et matériel, et que même si une grossesse se déroule sans
complications et peut donc être tenue pour une grossesse « à faible risque »,
des difficultés inattendues peuvent survenir au moment de l’accouchement
et nécessiter sur-le-champ une intervention médicale spécialisée, telle
qu’une césarienne ou une assistance spéciale pour le nouveau-né. La Cour
ajoute que l’ensemble des soins médicaux urgents qui sont nécessaires
peuvent être assurés dans une maternité mais non dans le cadre d’un
accouchement à domicile, même en présence d’une sage-femme (voir aussi
le paragraphe 97 de l’arrêt de la chambre). Sur ce point il y a lieu de noter
que la République tchèque n’a pas mis en place de système d’assistance
d’urgence spécialisée pour les accouchements à domicile. Contrairement à
ce qu’affirment les requérantes (paragraphe 79 ci-dessus), la Cour estime
que l’absence d’un tel système est de nature à accroître les risques pesant
sur les femmes qui accouchent à domicile ainsi que sur leurs bébés.
187. Il ressort également des éléments dont la Cour dispose que, dans les
États où l’accouchement à domicile est autorisé, certaines conditions
préalables doivent être remplies : la grossesse doit être à « faible risque » ; il
faut qu’une sage-femme qualifiée soit présente lors de l’accouchement et
puisse déceler toute complication et, si nécessaire, faire transporter la mère
à l’hôpital pendant le travail ; enfin, ce transfert doit être assuré dans un
délai très court (voir aussi le paragraphe 96 de l’arrêt de la chambre). Par
conséquent, et comme le soutiennent les requérantes, un accouchement à
domicile sans l’assistance d’un professionnel de santé est de nature à
accroître les risques pesant sur la vie et la santé de la mère et du
nouveau-né.
52 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
188. La Cour observe, comme le Gouvernement l’indique également,
que les requérantes auraient pu choisir d’accoucher dans l’une des
maternités locales, où leurs souhaits auraient en principe été pris en compte.
Cependant, selon les observations des requérantes tirées de leur propre
expérience (paragraphes 9 et 23 ci-dessus), il semblerait que dans nombre
de ces hôpitaux les femmes enceintes sont admises et prises en charge sur
les plans médical et médicamenteux dans des conditions discutables, et que
dans plusieurs établissements locaux les souhaits des futures mères ne sont
pas pleinement respectés (voir aussi le paragraphe 95 de l’arrêt de la
chambre). Ces commentaires semblent confirmés en substance par le
Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes qui,
dans ses observations finales du 22 octobre 2010, s’est dit préoccupé par les
conditions régnant lors des accouchements et dans les services d’obstétrique
en République tchèque et a adressé au Gouvernement un certain nombre de
recommandations en la matière (paragraphe 65 ci-dessus ; voir aussi les
paragraphes 56 et 95 de l’arrêt de la chambre).
189. La Cour considère qu’elle ne peut ignorer ces préoccupations pour
déterminer si les autorités ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts
concurrents en jeu. Par ailleurs, elle reconnaît que depuis 2014 le
Gouvernement a pris des initiatives en vue d’améliorer la situation,
notamment en créant un comité gouvernemental d’experts dans les
domaines de l’obstétrique, du métier de sage-femme et des droits connexes
des femmes. La Cour prend note également de la récente déclaration –
publiée en août 2015 – de la Société tchèque de gynécologie et
d’obstétrique (paragraphes 103-104 ci-dessus). Dans ce contexte, elle juge
opportun d’inviter les autorités tchèques à poursuivre leurs progrès en
assurant un suivi constant des dispositions juridiques pertinentes, de
manière à veiller à ce qu’elles reflètent les avancées médicales et
scientifiques tout en respectant pleinement les droits des femmes en matière
de santé génésique, notamment en garantissant des conditions adéquates aux
patientes comme au personnel médical des maternités de tout le pays.
190. En conclusion, et eu égard à la marge d’appréciation de l’État
(paragraphe 184 ci-dessus), la Cour estime que l’ingérence dans l’exercice
par les requérantes du droit au respect de leur vie privée n’était pas
disproportionnée.
191. En conséquence, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la
Convention.
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 53
PAR CES MOTIFS, LA COUR
Dit, par douze voix contre cinq, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8
de la Convention.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au
Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 15 novembre 2016.
Johan Callewaert Guido Raimondi
Adjoint au greffier Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la
Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion dissidente
commune aux juges Sajó, Karakaş, Nicolaou, Laffranque et Keller.
G.R.
J.C.
54 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION SÉPARÉE
OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES SAJÓ,
KARAKAŞ, NICOLAOU, LAFFRANQUE ET KELLER
(Traduction)
I. Introduction
1. Nous regrettons de ne pouvoir souscrire à l’avis de la majorité de la
Grande Chambre selon lequel il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la
Convention en l’espèce. Nous estimons que la législation tchèque pertinente
rend l’accouchement à domicile de facto impossible en posant des exigences
excessivement rigides quant à l’équipement nécessaire pour un
accouchement, auxquelles seuls les hôpitaux peuvent satisfaire. Il s’ensuit
une ingérence dans l’exercice de la liberté de choix des mères, ingérence qui
n’est pas proportionnée dans une société démocratique. Le système en
question est de plus préjudiciable à la santé des mères et de leurs
nouveau-nés, et il les prive de la possibilité de recevoir l’indispensable
assistance d’une sage-femme lors d’une naissance à domicile.
2. La majorité reconnaît à juste titre que choisir les circonstances de son
accouchement relève de l’article 8 de la Convention. Nous partageons
également l’avis de nos collègues selon lequel le droit tchèque, dans sa
rédaction actuelle, implique une ingérence dans l’exercice par les
requérantes du droit à bénéficier de l’assistance d’une sage-femme pour un
accouchement à domicile. Malgré quelques hésitations, nous pouvons
admettre que cette ingérence était prévue par la loi et, en théorie, qu’elle
poursuivait un but légitime. Nous parvenons toutefois à une conclusion
différente de celle de la majorité en ce qui concerne le critère de
proportionnalité.
3. Nous commencerons par examiner le cadre général de la Convention,
appliqué à un contexte de « multipolarité » des droits de l’homme
(section II). Nous analyserons ensuite la jurisprudence de la Cour sur
l’accouchement à domicile (section III) et soulignerons quelques spécificités
des services obstétricaux en République tchèque (section IV) ainsi que les
risques liés à l’accouchement à domicile (section V). Nous en viendrons
ensuite aux principaux arguments qui conduisent la majorité à un constat de
non-violation de l’article 8 (section VI). L’application des principes
généraux pertinents à la situation concrète des requérantes (section VII)
nous amène à la conclusion (section VIII) que l’ingérence en cause était
disproportionnée.
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION SÉPARÉE 55
II. Le cadre général de la Convention
4. Nous nous trouvons en l’espèce face à une situation manifeste de
« multipolarité » des droits de l’homme : différents droits sont ici en jeu, à
savoir, d’un côté, la liberté pour les futures mères de choisir la manière dont
elles souhaitent accoucher (qui relève de l’article 8 de la Convention) et, de
l’autre, le droit à la vie des mères et des nouveau-nés au regard de l’article 2
de la Convention. L’État est tenu de fournir le cadre nécessaire pour garantir
ces deux aspects, c’est-à-dire de respecter le choix de la mère et de protéger
le droit à la vie de la mère et de l’enfant.
5. La majorité déclare à juste titre que la question de l’accouchement à
domicile touche à un intérêt général important dans le domaine de la santé
publique (paragraphe 182 de l’arrêt). La difficulté est de ménager un juste
équilibre entre le droit des requérantes au respect de leur vie privée et
l’intérêt de l’État à protéger la santé et la sécurité de l’enfant et de la mère
(paragraphe 180 de l’arrêt). En cas de conflit entre des droits protégés par la
Convention, la jurisprudence de la Cour reconnaît explicitement que les
États membres jouissent en général d’une certaine marge d’appréciation
(Odièvre c. France [GC], no 42326/98, §§ 40–49, CEDH 2003-III, et
Dickson c. Royaume-Uni [GC], no 44362/04, §§ 77–85, CEDH 2007-V).
6. Cette marge d’appréciation est également applicable, notamment, au
législateur. Or la législation nationale n’échappe pas au contrôle de la Cour,
car la Convention impose des limites au cadre juridique fixé par l’État.
L’existence d’une marge d’appréciation ne doit pas être assimilée à une
quelconque « carte blanche » donnée au législateur national, car une telle
démarche aurait pour effet de vider de toute substance les droits garantis par
la Convention. Dans une affaire soulevant des questions au regard de
l’article 8 de la Convention, il y a lieu de prendre en compte un certain
nombre de facteurs pour se prononcer sur l’ampleur de la marge
d’appréciation devant être reconnue à l’État. Lorsqu’un aspect
particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se
trouve en jeu, la marge accordée à l’État est d’ordinaire restreinte. Par
contre, lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des États membres du
Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu
ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire
soulève des questions morales ou éthiques délicates, la marge d’appréciation
est plus large (S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, § 94,
CEDH 2011).
7. Nous observons tout d’abord que la décision relative à la façon dont
une future mère souhaite accoucher constitue une question fondamentale au
regard de l’article 8 de la Convention. L’accouchement représente l’un des
aspects les plus intimes de la vie d’une femme. À cet égard nous partageons
l’avis de la majorité, qui décrit la mise au monde d’un enfant comme un
moment unique et délicat dans la vie d’une femme (paragraphe 163 de
56 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION SÉPARÉE
l’arrêt). Deuxièmement, nous tenons à insister sur le fait qu’aucun conflit
d’intérêts n’oppose généralement une mère et son enfant (paragraphe 185 de
l’arrêt). En d’autres termes, nous ne doutons pas que dans des circonstances
ordinaires une mère choisira la meilleure option pour mettre au monde son
enfant, en tenant compte de sa propre santé et de celle du bébé.
Troisièmement, la Cour doit toujours soumettre les interdictions absolues ou
globales au contrôle le plus strict. Dans l’affaire Costa et Pavan c. Italie
(no 54270/10, § 68, 28 août 2012), qui portait sur l’interdiction en Italie de
recourir au diagnostic génétique préimplantatoire (DPI), la Cour a rappelé
qu’elle pouvait examiner la compatibilité avec la Convention de mesures
internes même dans des domaines où l’État jouit d’une ample marge
d’appréciation. Dans l’affaire en question, la Cour a conclu que les mesures
adoptées n’avaient pas été proportionnées dès lors que, même si la voie de
l’avortement thérapeutique était ouverte aux requérants, ils n’avaient pas
accès à un DPI (ibidem, §§ 69-70). Autrement dit, la Cour doit s’assurer que
le législateur national a tenu compte des différentes questions en jeu
(S.H. et autres c. Autriche, précité, § 117) et que le cadre législatif final ne
débouche pas sur un résultat paradoxal.
8. Dès lors qu’en général toutes les femmes enceintes qui souhaitent
accoucher à domicile en République tchèque, comme ce fut le cas des
requérantes, sont contraintes de le faire sans l’aide d’un professionnel de
santé, le cadre juridique – qui ainsi frappe d’une interdiction de facto
l’accouchement à domicile – produit en pratique un résultat paradoxal et
contre-productif en ce que l’enfant et la mère se trouvent exposés à un
risque si celle-ci choisit d’accoucher chez elle (ce qu’au bout du compte la
majorité admet également, dans la dernière phrase du paragraphe 187 de
l’arrêt).
III. L’arrêt Ternovszky c. Hongrie
9. Dans l’affaire Ternovszky c. Hongrie (no 67545/09, § 22, 14 décembre
2010), la Cour a déclaré pour la première fois que « les conditions dans
lesquelles on donne la vie font indéniablement partie intégrante de la vie
privée d’une personne ». Elle a poursuivi comme suit : « lorsque des choix
liés à l’exercice d’un droit au respect de la vie privée interviennent dans un
domaine régi par la loi, l’État doit par la réglementation offrir une
protection juridique adéquate au droit en question (...). Il est vrai qu’à cet
égard l’État jouit d’une ample marge d’appréciation ; la réglementation doit
cependant ménager un juste équilibre entre les intérêts de la société et le
droit en jeu. Dans le contexte d’un accouchement à domicile, considéré
comme une question de choix personnel de la mère, cela implique que la
mère ait droit à un cadre juridique et institutionnel permettant son choix,
excepté lorsque d’autres droits rendent nécessaire la restriction de ce
choix » (ibidem, § 24, italique ajouté).
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION SÉPARÉE 57
10. Nous ne contestons pas que le droit d’opter pour l’accouchement à
domicile n’est jamais absolu. Tous les pays examinés dans l’étude de droit
comparé de la Cour (paragraphes 67-68 de l’arrêt) subordonnent ce droit à
certaines conditions complémentaires. Cependant, il n’est pas compatible
avec la Convention qu’une sage-femme ou un professionnel de santé coure
le risque d’être poursuivi pour avoir pratiqué un accouchement à domicile
lege artis. Dans l’arrêt Ternovszky c. Hongrie, la Cour a conclu dans ce
contexte à la violation de l’article 8 de la Convention. En conséquence, il
faut qu’il existe une possibilité réelle de choisir l’accouchement à domicile ;
dans le cas contraire, l’article 8 de la Convention est en soi violé.
11. Les cadres juridiques respectifs de la République tchèque et de la
Hongrie sont légèrement différents. En République tchèque, il n’existe
aucune disposition qui sanctionne les sages-femmes. Cependant,
l’équipement requis par la loi sur les services médicaux et l’arrêté
no 92/2012 empêche les mères de se faire aider par une sage-femme lors
d’un accouchement à domicile. Le droit de ces deux pays – malgré des
règles différentes – rend l’accouchement à domicile assisté impossible dans
le cas de la Hongrie et peu sûr dans le cas de la République tchèque. Les
parents concernés ne jouissent donc pas non plus d’une possibilité réelle de
choisir dans ce dernier État, car un accouchement à domicile sans
sage-femme met indéniablement en danger la vie de la mère et de l’enfant.
Dès lors, le droit tchèque empêche de facto l’accouchement à domicile et a
un effet dissuasif sur les mères qui souhaitent mettre au monde leur enfant
chez elles.
12. En outre, certains pays, inspirés par les documents internationaux
pertinents et la jurisprudence de la Cour, ont récemment modifié leur
législation de manière à respecter le droit de choisir les circonstances et le
lieu d’un accouchement (ainsi, l’Estonie, en 2014, a basé sa réglementation
sur la définition de l’accouchement normal donnée par l’OMS). En
atténuant les principes dégagés dans l’affaire Ternovszky, l’arrêt rendu en
l’espèce risque d’envoyer un signal qui brouille cette tendance. Cela ne
cadre pas avec la position de la majorité, exprimée au paragraphe 189 de
l’arrêt, où la Cour invite les autorités tchèques à poursuivre leurs progrès en
assurant un suivi constant des dispositions juridiques pertinentes, de
manière à veiller à ce qu’elles reflètent les avancées médicales et
scientifiques.
IV. Les particularités des services obstétricaux en République tchèque
13. Avant d’examiner de plus près le raisonnement de la Cour, nous
souhaitons nous pencher sur le cadre plus large de la question soulevée par
l’espèce. Il y a deux aspects importants : le mécontentement largement
partagé face au non-respect des choix des femmes pendant l’accouchement
58 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION SÉPARÉE
dans les hôpitaux tchèques, et la dimension économique des soins
obstétricaux dispensés.
14. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des
femmes a reçu plusieurs plaintes dirigées contre la République tchèque au
sujet d’interventions médicales inutiles pratiquées en l’absence d’un
consentement préalable, libre et éclairé des femmes, en particulier pendant
l’accouchement. Le comité a recommandé que l’on laisse aux femmes le
choix du lieu de l’accouchement et, dans ses observations du 14 mars 2016
sur la République tchèque (CEDAW/C/CZE/CO/6), il a explicitement
mentionné l’imposition de restrictions injustifiées aux accouchements à
domicile ainsi que les conditions trop restrictives dans lesquelles il peut être
fait appel aux services de sages-femmes plutôt qu’à ceux de médecins dans
les cas où il n’y a aucun risque pour la santé (observations du Comité, § 30,
p. 10).
15. Il ne faut pas prendre à la légère les attitudes condescendantes, chez
les professionnels de santé, car elles peuvent emporter violation du droit
d’un individu à l’autodétermination au regard de la Convention1. Par le
passé, la Cour a explicitement reconnu l’obligation d’associer les individus
aux décisions concernant leur traitement médical (Glass c. Royaume-Uni,
no 61827/00, §§ 70-83, CEDH 2004-II, et Tysiąc c. Pologne, no 5410/03,
§§ 114-130, CEDH 2007-I).
16. À cet égard, on peut déjà percevoir des signes préoccupants dans la
jurisprudence de notre Cour en ce qui concerne la situation en République
tchèque. Ainsi, la Cour a conclu à la violation de l’article 8 dans une affaire
qui portait sur une mesure judiciaire provisoire exigeant le retour à l’hôpital
d’un nouveau-né et de sa mère, laquelle venait d’accoucher et était rentrée
chez elle immédiatement après, et sur l’absence de recours permettant de se
plaindre de cette mesure provisoire (Hanzelkovi c. République tchèque,
no 43643/10, 11 décembre 2014). Dans cette affaire, la Cour a dit en
particulier que la prise en charge d’un nouveau-né dès sa naissance était une
mesure extrêmement dure et qu’il fallait généralement des raisons
1. Voir, dans le même sens, l’opinion de Lord Kerr et de Lord Reed (à laquelle se sont
ralliés Lord Neuberger, Lord Clarke, Lord Wilson et Lord Hodge) dans Montgomery
(Appellant) v Lanarkshire Health Board (Respondent) (Scotland) [2015] UKSC 11 (11
mars 2015), paragraphe 81 : « Les développements sociaux et juridiques évoqués plus haut
ne vont pas dans le sens d’un modèle de relation médecin-patient basé sur le paternalisme
médical. Ils ne vont pas non plus dans le sens d’un modèle dans le cadre duquel le patient
serait considéré comme entièrement tributaire des informations fournies par le médecin. En
revanche ils vont dans le sens d’une approche du droit qui, au lieu de traiter le patient
comme s’en remettant à son médecin (et donc comme étant prompt à lui intenter un procès
en cas d’issue décevante), le traite dans la mesure du possible en adulte qui est capable de
saisir que le succès d’un traitement médical est incertain et que ce traitement peut
comporter des risques, qui assume la responsabilité de la prise de risques concernant sa
propre existence et qui vit avec les conséquences de ses choix. »
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION SÉPARÉE 59
impérieuses pour qu’un bébé puisse être soustrait à sa mère contre la
volonté de celle-ci.
17. En empêchant indirectement les sages-femmes de pratiquer des
accouchements à domicile, par le biais de la loi – et de ses exigences
excessivement rigoureuses concernant l’équipement disponible –, l’État
octroie au secteur de la santé publique et aux hôpitaux un monopole de facto
dans ce domaine. Si pareil monopole de l’État va de pair avec une
restriction sévère à un droit essentiel de l’article 8, alors il mérite un
contrôle minutieux de la Cour. En effet, dans l’élaboration du cadre
législatif de l’État, il se peut que des intérêts économiques aient joué un rôle
plus décisif que la protection du nouveau-né.
18. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des
femmes a invité la République tchèque à prendre des mesures au niveau
législatif pour que les accouchements pratiqués par des sages-femmes en
dehors des hôpitaux soient une option sans danger et abordable pour les
femmes (CEDAW/C/CZE/CO/6, p. 10, § 31). Comme nous le verrons
ci-après, il existe certainement en la matière des mesures moins intrusives –
et ne sacrifiant pas l’intérêt de l’État à protéger les mères et leurs
nouveau-nés – que celles actuellement imposées par le cadre législatif.
V. Les risques liés à l’accouchement à domicile
19. Concernant les risques liés à l’accouchement à domicile, nous
estimons, contrairement à la majorité (paragraphe 186 de l’arrêt), que
l’argument relatif à la santé publique avancé par le Gouvernement n’est pas
convaincant en soi.
20. Comme l’a souligné l’Ordre royal des sages-femmes, accoucher à
domicile sans l’aide d’une sage-femme augmente les risques pour la mère et
l’enfant, et les femmes risquent d’hésiter à se faire transporter à l’hôpital en
cas de complications survenant lors d’un tel accouchement, à cause de la
stigmatisation subie par celles qui font ce choix (paragraphe 138 de l’arrêt).
21. Qui plus est, les données statistiques fournies par le gouvernement
tchèque permettent d’aboutir à un argument différent lorsqu’on les compare
aux informations dont on dispose pour d’autres pays. Même si la
République tchèque possède l’un des plus faibles taux de mortalité sur les
vingt-sept premiers jours de la vie, taux qui s’établit à 0,17 %, le chiffre est
inférieur ou à peine supérieur dans un certain nombre de pays autorisant
l’accouchement à domicile2. Ce taux est par exemple de 0,16 % en Suède et
de 0,12 % en Islande, pays où l’on pratique l’accouchement à domicile
programmé et assisté.
2. Annexe C2, « Neonatal Mortality Rate for annual deaths » (nombres et taux pour
1 000 enfants nés vivants), du rapport European Perinatal Health Report: Health and Care
of Pregnant Women and Babies in Europe in 2010, mai 2013
60 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION SÉPARÉE
22. En outre, la Cour n’a pas tenu compte des tendances internationales
allant dans le sens de l’accouchement à domicile assisté, ni des efforts
déployés pour réglementer le métier de sage-femme. Dès 1996, l’OMS
déclarait ce qui suit dans un rapport (WHO/FRH/MSM/96.24) :
« Les Pays-Bas sont un pays industrialisé doté d’un système officiel
d’accouchement à domicile. L’incidence des accouchements à domicile diffère
sensiblement selon les régions, et même d’une grande ville à une autre. Une étude de
la mortalité périnatale n’a permis d’établir aucun lien entre l’hospitalisation régionale
lors de l’accouchement et la mortalité périnatale régionale (Treffers et Laan 1986).
Une étude effectuée dans la province de Gelderland comparait le « résultat
obstétrical » des accouchements à domicile et celui des accouchements en milieu
hospitalier. Pour les primipares avec une grossesse à faible risque, un accouchement à
domicile était aussi sûr qu’un accouchement en milieu hospitalier. Pour les multipares
à faible risque, le résultat d’un accouchement à domicile était nettement meilleur que
le résultat d’un accouchement en milieu hospitalier (Wiegers et al. 1996). Rien ne
prouve que ce système de soins pour les femmes enceintes puisse être amélioré par
une médicalisation accrue des accouchements (Buitendijk 1993). » (p. 13)
23. Dans son rapport de 2011 sur la législation et la réglementation
relatives au métier de sage-femme (« Legislation and Regulation of
Midwifery – Making Safe Motherhood Possible »), l’OMS a même déclaré
ceci : « des éléments solides étayent aujourd’hui la récente recommandation
selon laquelle, aux fins de rendre la grossesse plus sûre, il faudrait que
toutes les femmes disposent d’un professionnel qualifié pendant la grossesse
[et] l’accouchement (...) » (p. 7 – traduction du greffe).
24. Pour toutes ces raisons, nous estimons qu’une future mère qui est
informée, qui est en bonne santé et qui a une grossesse à faible risque peut
raisonnablement opter pour un accouchement à domicile assisté par une
sage-femme et que ce choix ne comporte de risque excessif ni pour la mère
ni pour le bébé.
VI. Marge d’appréciation et consensus sur la non-interdiction de
l’accouchement à domicile
25. S’agissant du raisonnement de la Cour, nous souhaitons évoquer la
marge d’appréciation dont l’État disposait dans cette affaire particulière
(paragraphes 178 et suivants de l’arrêt). Si nous pensons comme la majorité
que selon la jurisprudence il convient d’accorder une ample marge
d’appréciation aux autorités nationales, nous parvenons à cette conclusion
par un raisonnement légèrement différent, qui nous amène à constater que
l’ingérence litigieuse n’est pas nécessaire dans une société démocratique.
26. Comme nous l’avons indiqué ci-dessus (paragraphe 5), les États
jouissent d’ordinaire d’une grande marge d’appréciation lorsque sont en
concurrence des intérêts privés et des intérêts publics ou plusieurs droits
découlant de la Convention. Puisque tel est le cas en l’espèce, nous disons
que – contrairement à l’approche de la majorité – il n’est pas nécessaire de
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION SÉPARÉE 61
rechercher s’il existe au sein des États membres un consensus sur
l’accouchement à domicile pour déterminer l’ampleur de la marge
d’appréciation laissée à l’État.
27. Lorsque les États jouissent d’une ample marge d’appréciation dans
le contexte de l’article 8 de la Convention, une ingérence dans l’exercice
des droits consacrés par cette disposition ne peut être justifiée que s’il existe
des « motifs pertinents et suffisants » (Zaieţ c. Roumanie, no 44958/05, § 50,
24 mars 2015, Hanzelkovi, précité, § 72, Winterstein et autres c. France,
no 27013/07, §§ 75-76, 17 octobre 2013, et S. et Marper c. Royaume-Uni
[GC], nos 30562/04 et 30566/04, § 101, CEDH 2008-V). Dans le cadre de
l’examen d’une affaire, il faut donc que la Cour tienne dûment compte des
intérêts de l’individu (Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], no 36022/97,
§ 99, CEDH 2003-VIII). Nous estimons qu’en l’espèce la Cour n’a pas fait
preuve d’une prudence suffisante à cet égard (voir les paragraphes 29 et
suivants, ci-dessous).
28. À supposer même que la Cour ait été appelée à rechercher en
l’espèce s’il existait au sein des États un consensus relatif à l’accouchement
à domicile, nous n’adhérons pas à la façon dont la majorité traite cette
question. Lorsque près de 50 % des États membres prévoient et
réglementent l’accouchement à domicile (vingt États membres sur les
quarante-trois étudiés), que celui-ci n’est pas réglementé ou est
sous-réglementé dans vingt-trois États membres, mais qu’aucun des
quarante-trois États étudiés ne possède de législation interdisant l’assistance
d’une sage-femme lors d’un tel accouchement (paragraphe 68 de l’arrêt),
alors il existe bel et bien au sein des États membres un consensus en faveur
de la non-interdiction de l’accouchement à domicile.
29. Pour ce qui est de la proportionnalité d’une interdiction de facto de
l’accouchement à domicile, nous souscrivons à la position de la Cour
constitutionnelle tchèque, qui a déclaré ce qui suit :
« (...) un État démocratique moderne fondé sur la prééminence du droit repose sur la
protection de libertés individuelles et inaliénables, dont la délimitation a un rapport
étroit avec la dignité humaine. Ces libertés, qui comprennent la liberté dans les
activités personnelles, vont de pair avec une part de risque acceptable. Le droit des
parents de choisir librement le lieu et le mode d’accouchement n’est limité que par
l’intérêt à voir l’accouchement bien se passer et à protéger la santé de l’enfant, cet
intérêt ne pouvant toutefois être interprété comme une préférence inconditionnelle
pour l’accouchement à l’hôpital. » (décision no.I. ÚS 4457/12, citée au paragraphe 34
de l’arrêt). »
30. Ainsi, malgré l’ample marge d’appréciation dont dispose l’État, un
cadre législatif prévoyant une seule et unique option pour l’accouchement, à
savoir en milieu hospitalier, ne peut être considéré comme proportionné et il
constitue à nos yeux une ingérence non nécessaire de l’État dans l’exercice
par les femmes de leurs droits découlant de l’article 8 de la Convention. De
plus, nous relevons que pour l’heure – la majorité refuse de le reconnaître –
aucune maison de naissance n’a été ouverte en République tchèque, en
62 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION SÉPARÉE
raison des importantes exigences relatives aux moyens techniques, matériels
et humains qui sont imposées à ces établissements (paragraphe 149 de
l’arrêt).
VII. Le contexte des causes de Mme Dubská et de Mme Krejzová
31. Venons-en aux circonstances particulières des deux causes. Après
une mauvaise expérience vécue lors de son premier accouchement à
l’hôpital, Mme Dubská décida de mettre au monde son deuxième enfant
seule, chez elle. Sa deuxième grossesse, jusqu’à la naissance de son fils en
mai 2011, se déroula sans complications (paragraphe 10 de l’arrêt). Elle ne
put néanmoins trouver de sage-femme pour l’aider à accoucher.
32. Mme Krejzová avait donné naissance à ses deux premiers enfants
chez elle, en 2008 et en 2010, avec l’assistance d’une sage-femme. Les
sages-femmes concernées avaient toutefois pratiqué ces accouchements sans
autorisation officielle. Lorsque Mme Krejzová fut à nouveau enceinte en
2011, elle ne parvint à trouver aucune sage-femme disposée à l’aider, parce
qu’un tel acte était passible d’une lourde amende (paragraphe 19 de l’arrêt).
Les autorités nationales avec lesquelles elle prit contact refusèrent de lui
proposer une solution. Elle fut donc contrainte d’accoucher à l’hôpital. Ces
deux exemples sont une illustration parfaite de l’effet dissuasif qu’entraîne
la législation tchèque en matière d’accouchement à domicile.
33. Dans les deux cas, les grossesses des requérantes n’ont comporté ni
risques ni complications exigeant un accouchement à l’hôpital. Il est vrai
sans doute que même une grossesse « à faible risque » peut donner lieu à
des difficultés inattendues au moment de l’accouchement, mais l’argument
du Gouvernement résumé au paragraphe 186 de l’arrêt ne peut en soi
justifier une interdiction de facto absolue dans de telles circonstances.
L’argument lui-même est discutable, car le taux de mortalité périnatale dans
les pays autorisant l’accouchement à domicile avec l’assistance d’une
sage-femme est quelquefois même inférieur, ou à peine supérieur, au taux
affiché par la République tchèque (paragraphe 21 ci-dessus). De plus, la
Cour constitutionnelle tchèque a elle-même déclaré qu’il existait en la
matière une part de risque acceptable (paragraphe 29 ci-dessus).
34. Dès lors, nous disons qu’en ce qui concerne les grossesses « à faible
risque » il est possible et raisonnable d’autoriser les parents à choisir les
circonstances de l’accouchement tout en protégeant les intérêts de l’enfant
couverts par l’article 2 de la Convention. Cela exige toutefois de l’État qu’il
veille à ce que les sages-femmes puissent prêter leur assistance à un
accouchement, ou du moins signifie qu’il ne doit pas les en empêcher.
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION SÉPARÉE 63
VIII. Conclusions
35. En conclusion, nous considérons que le modèle d’accouchement
unique envisagé par la législation tchèque litigieuse, qui ne laisse guère
d’autre choix aux futures mères que d’accoucher à l’hôpital, est en soi
problématique au regard de l’article 8 de la Convention. À notre avis, le fait
d’empêcher les sages-femmes d’aider les deux requérantes à accoucher à
domicile – qui plus est dans le contexte de grossesses à faible risque, chez
des femmes qui avaient déjà enfanté – n’était justifié dans une société
démocratique par aucun argument convaincant lié à la santé publique.
36. Pour l’avenir, nous ne pouvons qu’insister sur l’invitation que la
Cour adresse au législateur tchèque, à savoir de « poursuivre [ses] progrès
en assurant un suivi constant des dispositions juridiques pertinentes, de
manière à veiller à ce qu’elles reflètent les avancées médicales et
scientifiques tout en respectant pleinement les droits des femmes en matière
de santé génésique, notamment en garantissant des conditions adéquates aux
patientes comme au personnel médical des maternités de tout le pays »
(paragraphe 189, dernière phrase, italique ajouté).