douleur et souffrance avec humilité alain leon u.f.r médecine reims
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DOULEUR et SOUFFRANCE
avec humilité
Alain LEON
U.F.R Médecine Reims
Imprécision du langage : on parle indifféremment de douleur et de souffrance (« la souffrance est à l’esprit ce que la douleur est au corps »)
Ambiguïté de la situation : la douleur est connue comme une manifestation classique des difficultés psychologiques « douleur morale – poids, constriction - et dépression » ; la douleur est ressentie dans le cerveau, dans l’organe de la pensée et du sentiment
De la Douleur à la Souffrance
« La mémorisation des phénomènes douloureux, tant au niveau des circuits neuronaux qu’au niveau psychologique, fait que la douleur peut évoluer pour son propre compte au sein du système nerveux, réalisant en soi, au-delà de la lésion causale « une douleur-maladie ». Par ailleurs, les liens sont étroits, dans des rapports mal précisés, entre douleur, anxiété et dépression »
DOULEUR
VECU DOULOUREUX
AUTREQUE-LA DOULEUR
« La Souffrance n’est pas la Douleur »
Paul Ricoeur, « on s’accordera donc pour réserver le terme
douleur à des affects ressentis comme localisés, dans des organes particuliers du corps ou dans le corps tout entier, et le terme souffrance à des affects ouverts sur la réflexivité, le langage, le rapport à soi, le rapport à autrui… »
Les Mots de la Douleur
« sois sage ô ma douleur et tiens toi plus tranquille » Baudelaire
« J’ai mal ! »
« J’ai » avoir, inspire une relation d’objet et les objets n’ont pas de contraire
Et pourtant la douleur n’est pas l’objet qu’on souhaite avoir
Les Mots de la Souffrance
« Je suis mal ! »« Je souffre »
Du latin sub-ferre, qui signifie porter en se mettant en dessous, porter un fardeau
Caractère pénible : labeur Caractère signifiant : on ne porte un fardeau que pour le déplacer Caractère provisoire : un jour viendra ou l’on posera le fardeau
De la Douleur à la Souffrance avec les Mots
« J’ai mal » (avoir, verbe transitif)
La notion d’avoir suppose celle de distance Je ne peux avoir ce que je vois Il y a moi, il y a ce que j’ai Si ce que j’ai n’est pas distant de moi, je ne peux
plus le voir et je ne peux plus l’avoir et cela devient et est moi
« Je suis mal » (être, verbe intransitif)
Anesthésie et ensemble Douleur-
SouffranceDouleur
Analgésie(morphine)
Anesthésie et ensemble Douleur-
SouffranceDouleur ?
Analgésie(morphine)
Sensation !Anesthésie(narcotique)
Prise de Conscience
Anesthésie et ensemble Douleur-
SouffranceDouleur ?
Analgésie(morphine)
Sensation !Anesthésie(narcotique)
Expérience !!Amnésie(BZD)
Prise de Conscience
Anesthésie et ensemble Douleur-
SouffranceDouleur ?
Analgésie(morphine)
Sensation !Anesthésie(narcotique)
Expérience !!Amnésie
(BZD)
Conscience
Conscience
Anesthésie et ensemble Douleur-
SouffranceDouleur ?
Analgésie(morphine)
Sensation !Anesthésie(narcotique)
Souffrance !!Amnésie(BZD)
Ensemble Douleur - Souffrance
Dès que la douleur entre dans le champ de la conscience, il s’agit de souffrance
Dès que le patient dit « j’ai mal », on peut parler de souffrance
Peu importe le mécanisme de la douleur, il s’agit de souffrance du fait même que le sujet s’en plaint, qu’il s’agisse de douleur chronique ou de douleur psychogène
Il ya de multiples manières de souffrir et la souffrance engendrée par la douleur est un simple cas particulier
La Douleur comme Souffrance
1. La douleur est une expérience : surprise de la victime, incompréhensible, étrangeté radicale, révoltante, inassimilable
2. Elle pose immédiatement la question de sa durée, durée à la supporter
3. Elle engendre une souffrance qui va durer alors que le processus algique a disparu et devient souvenir, expérience qui va entretenir l’angoisse.
La Douleur ou l’Impossibilité Momentanée du Plaisir
La douleur est un état transitoire de l’absence de plaisir
La douleur est partie prenante de l’activité de la jouissance
La douleur apparaît comme une étape, parfois difficile
La douleur a un sens, elle n’est pas une interruption de la puissance de maîtrise du sujet
La Souffrance est Au-Delà de la Distinction des Plaisirs et
des Peines La souffrance est la fin de toute liberté, de toute maîtrise et de toute
activité possible du sujet Souffrir ce n’est pas seulement le moi qui souffre, « c’est souffrir trop »,
Ricoeur La souffrance n’a pas de sens La souffrance est un excès absolu : le sujet ne peux plus fuir, n’a plus ni
refuge ni remède La souffrance est la pure et irrémédiable perte de soi (condamnation de
mon corps, de mes membres et moi-même en tant que j’ai habituellement pouvoir sur moi)
La souffrance est un excès qui sonne « la mort du sujet libre », Touchet La souffrance est une double découverte : une découverte d’altérité et
une découverte de morbidité
Les 3 Caractères de la Souffrance
selon Lévinas
1. La soumission à l’absolu présent
2. L’irrémissibilité de l’être et l’insomnie
3. La morbidité
Les 3 Caractères de la Souffrance
selon Lévinas1. La soumission à l’absolu présent
L’homme qui souffre et sans passé et sans avenir L’homme qui souffre est abandonné dans le temps comme l’objet de sa
détresse
2. L’irrémissibilité de l’être et l’insomnie
3. La morbidité
Les 3 Caractères de la Souffrance
selon Lévinas1. La soumission à l’absolu présent
2. L’irrémissibilité de l’être et l’insomnie « c’est être acculé à la vie et à l’être » Lévinas ; souffrir, c’est être exposé à
l’existence en tant qu’exister L’insomnie est une veille, mais qui ne veille plus sur rien
3. La morbidité
Les 3 Caractères de la Souffrance
selon Lévinas1. La soumission à l’absolu présent
2. L’irrémissibilité de l’être et l’insomnie
3. La morbidité Epreuve qui nous amène à chaque fois dans la proximité de la
mort, la mort comme la fin radicale de toute possibilité du sujet
La Souffrance n’a Pas de Sens !
1. La théodicée ou processus absurde de récupération de la souffrance qui produit une rémunération ou une sanction, Lévinas
2. La souffrance est inutile : la souffrance ne supprime pas la souffrance ; « la souffrance est un pâtir pur », Lévinas ; la souffrance est immanence
3. La souffrance ne peut avoir de sens pour moi si c’est moi qui souffre
Qu’est-ce que Souffrir ?
1. Souffrir, c’est être violenté
2. Souffrir, c’est être privé en même temps que submergé
3. Souffrir, c’est appréhender
Souffrir, c’est être violenté Le soigné livré à la souffrance : élément de
choc, d’agression, d’attaque Comme un ouragan qui détruit tout sur son
passage Désagrégation, désintégration de la vie Révélation brutale que la vie est mortelle
alors que jusque là il se croyait immortel
Réaction à cette violence
1. L’incrédulité2. La tristesse incommensurable3. Le stoïcisme4. La violence continuelle
Souffrir, c’est être privé en même temps que
submergé, I La souffrance induit un manque : perte d’intégrité et de la conviction du tout
Perte de l’innocence « mortel » Perte au plan physique : énergie, mobilité,
autonomie, utilité, « du faire » Perte de l’image de soi « souffrance esthétique » Perte d’avenir Perte du potentiel de relations humaines
« Non-être », « Ombre de soi »
Souffrir, c’est être privé en même temps que
submergé, II Submergés par la maladie et ses manifestations Submergés par les exigences des traitements et
leurs conséquences Envahissement par la douleur physique
incompréhensible « cela n’a pas de sens » Déshumanisation et vulnérabilité « c’est l’enfer pour
moi », « faites quelque chose »
Souffrir, c’est appréhender
Peur de la fin de la vie reconnue comme seul chemin possible
Peur de l’inconnu des souffrances à venir Peur de l’inconnu de la durée de la
souffrance
Sources de la Souffrance, chez les grands malades
1. Sources physiques : rattachées à l’expérience du corps
2. Sources non physiques : douleur « morale », conséquence de l’atteinte physique sur l’être relationnel, social
3. Source existentielle : rattachée au sens de la vie de la personne morale
Témoignage luMadame X, 62 ans, cancer du
sein opéré Ah ne m’en parlez pas de la souffrance ! J’ai trois grosses sortes
de douleurs. J’ai une douleur qui est nerveuse, parce que les nerfs ont été brûlés par les rayons, et c’est abominable ! J’ai une
douleur qui est due à ma cavité là, par le trou de…C’est incroyable comment est-ce que ça…Il y a la douleur morale
aussi. Et, il y la douleur émotionnelle en plus : j’ai des petits-enfants que je veux regarder grandir et puis…jusqu’à quand…je
le sais pas mais c’est quand même une douleur qui est là. On peut dire qu’on peut faire d’autres choses…c’est beau faire
d’autres choses, et jouir du moment présent, mais il y a quand même l’avenir qui est là aussi. Et l’avenir, je n’en ai pas d’avenir.
Les sources somatiques de la souffrance
1. La douleur physique « c’est les trois quarts de la maladie » Douleur sévère et non contrôlée assimilée à la mort (martyre) Source d’anxiété, de troubles de la concentration, interférence
avec la vie quotidienne et la socialisation, diminution de la résilience, interférence avec les facultés cognitives, source de perte d’autonomie
2. La fatigue Souvent supérieure à la douleur physique Vécue comme vieillissement prématuré et accéléré Force l’adaptation et à faire des choix et est source de perte
d’autonomie3. Symptômes physiques liés aux traitements
Combat sacrificiel « encore souffrir pour guérir »
Les sources non somatiques de la souffrance
1. Anxiété, angoisse Confirmation du statut de malade, de grand malade Confirmation de la finitude, obsession maléfique
2. Découragement « je n’ai plus envie de ma battre », « je n’ai plus la force
de me battre »
3. Isolement et Solitude Frontière entre les malades et les bien-portants. Les
personnes occupées à vivre leur vie ne veulent pas être sollicitées par l’idée de non-immortalité qui s’impose par la maladie terminale de l’autre.
Les sources existentielles de la souffrance
1. Détresse existentielle À l’égard du passé : recherche de
compréhension, de bilan, explication du parcours (impossibilité de recommencer ou de faire mieux à cause de la maladie)
A l’égard de l’avenir : questions sur le moment
2. Détresse spirituelle « pourquoi moi, pourquoi maintenant? », colère Recherche d’un sens Interrogation du Créateur
Comment le Patient tente de faire face à la Souffrance ?
1. Après le choc, la recherche dans les propos du soignant d’une lueur d’espoir
2. La mobilisation pour tenter de faire face à la situation et reprendre le contrôle de soi
3. Entretien d’un espoir à la mesure de la confiance placée dans l’expertise médicale et l’arsenal thérapeutique
4. Musellement de la souffrance et déshumanisation5. Dénie de la souffrance pour conserver le pouvoir
structurant aux interventions qui lui sont proposées : « think positive ».
6. Abandon de la lutte avec l’arrêt des traitements, condamnation.
Le Travail de la Souffrance
1. La cause de la souffrance ne peut être supprimée : la seule solution, L’intégration Inventaire des possibilités existentielles Apprendre à vivre avec la douleur, le patient est bien
celui qui pré-existait Retrouver les continuités anciennes, mais autrement
« il n’est pas mort pour rien » La sublimation2. La cause de la souffrance est terminée : il
existe une inertie de la souffrance L’expérience de la souffrance fait souffrir Souffrance primaire, souffrance secondaire
Le Travail de la Souffrance
3. La cause de la souffrance ne peut être supprimée et son intensité ne permet aucune intégration L’être a pour domaine le passé. Le monde n’existe que dans l’avenir.
La rencontre avec la souffrance se produit dans l’instant. La souffrance vient rompre l’équilibre entre passé et avenir.
Il n’est pas possible de ranger l’événement pénible dans un coin de l’être. Une double rupture se produit : « crainte de la déchéance », « laisser une image digne de soi ». La rupture provoque la souffrance ou la constitue. La dépression peut être la pathologie en rapport avec la rupture.
La patient n’est plus capable de réitérer le passé. « le patient donne au spectateur l’illusion qu’il est au théâtre » Jouvet, Entrée des artistes. Mais au cinéma le spectateur meurt toujours avec le mot fin.
Le patient ne peut même plus se réfugier dans la mince épaisseur du temps.
Le Travail de la Souffrance
La souffrance est telle qu’elle occupe tout l’espace relationnel disponible. La présence est la seule stratégie d’aide.
Le passé s’éteint. Le patient est confiné au présent.Le patient souffrant dans cette situation finit par agir par régression. L’être cède sa place à l’avoir. Il n’est pas étonnant de le voir retourner au statut de tout-petit. Il y disparition du moi et peut être du « je » et du « tu ».
Quand la souffrance envahit tout le sujet il n’y a plus de place pour la rencontre.
Le Travail de la Souffrance
La souffrance actuelle n’a pas de sens.
La souffrance a un sens quand, l’ayant parcourue, le sujet souffrant constatera que
ce chemin l’a mené quelque part.
Aider le Sujet Souffrant
1. L’ambition du soignant doit être extrêmement limitée
2. Il n’y a rien d’autre à faire que de traverser la souffrance
3. Il est malsain de vouloir supprimer la souffrance
4. Il est même suspect de vouloir la soulager
La Souffrance comme Perte
Il faut décider si la perte est ressentie ai niveau de l’être ou de l’avoir
Ne pas se laisser abuser par son jugement Chirurgie mutilante et avoir (substituts) Chirurgie mutilante et être (beauté)
Ecouter le patient : « j’ai mal au rein », « je souffre des reins »
La Rencontre du Souffrant : un premier pas thérapeutique1. La reprise de la communication implique le
retour d’une certaine autonmie par rapport à la souffrance
2. Redéfinition du souffrant : « tu es ce que tu me donnes à voir »
3. Problématique de l’être et de l’avoir en fonction des soignants : évasif avec les médecins, plutôt dans l’avoir avec les infirmières
4. Induction d’une évolution : transfert…
Et la Souffrance des Soignants
« Les soignants sont souffrants par rapport aux patients directement, mais aussi par rapport au fait de devoir se battre continuellement »
La Souffrance : des Soins Spécifiques
Trop peu, trop tard ? Le contrôle de la douleur L’accompagnement, l’enveloppement, la
sécurité Le retour du respect de la dignité La gratuité, notamment lorsqu’il s’agit de
l’extrémité de la vie
La Souffrance une Priorité ?
« Qu’est ce je prioriserais si on parle au niveau de la santé ? C’est d’abord, c’est sûr, que c’est la main d’œuvre, les humains, qu’il y en ait plus, qu’ils courent moins. Et ça avant tous les appareils ».
L’Enfant EternelPhilippe Forest
« quant au lieu même de l’hôpital, c’est une sorte de ghetto, espace invisible ou retranché dans la ville. Chacun d’entre nous éprouve une terreur sacrée avant d’enter à l’hôpital. L’hôpital est un monde à part. »