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122 VOIX D’AFRIQUE - Chrétiens dans la tourmente au Sahel La Province d’Afrique de l’Ouest (PAO) englobe la quasi-totalité du Sahel, avec notamment la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso et le Niger. C’est dans cet immense territoire que sévis- sent des groupes d’extrémistes musulmans appelés Djihadistes, ainsi que Boko Haram, une de leurs branches active principale- ment au Nigéria avec des ramifications au Tchad et au Niger. Dans cette immense étendue dite du Sahel, depuis plus d’un siè- cle déjà, ce sont les Pères Blancs principalement qui ont implanté l’Évangile. Aujourd’hui ils sont confrontés chaque jour et partout au terrorisme aveugle. Ils témoignent avec d’autres victimes de leurs difficultés, de leurs peurs, des risques personnels qu’ils encourent, des nombreux problèmes de conscience qui se posent à eux, des choix douloureux qu’ils ont à prendre, de leurs dif- ficultés voire de leur impossibilité à vivre leurs croyances, des souffrances des populations avec lesquelles ils font corps depuis toujours, de leurs désespérances comme de leurs espérances, et par-dessus tout de leur foi qui les porte et les soutient… Pour des raisons sécuritaires, leurs noms ne sont pas souvent cités; mais il n’en reste pas moins vrai que leur vécu nous plonge tout autant au cœur de la tragédie que vit le Sahel depuis trop long- temps que dans le secret des victimes qui ne cachent pas leur souffrance ni leur désarroi. DOSSIER :

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Page 1: DOSSIER: Chrétiens dans la tourmente au Sahelperesblancs.org/Chretiens_dans_la_tourmente_au_sahel.pdf · Noël des représailles qui ont pro - voqué près de 200 victimes. Conséquences

122 VOIX D’AFRIQUE -

Chrétiensdans la tourmenteau Sahel

La Province d’Afrique de l’Ouest (PAO) englobe la quasi-totalitédu Sahel, avec notamment la Mauritanie, le Mali, le BurkinaFaso et le Niger. C’est dans cet immense territoire que sévis-sent des groupes d’extrémistes musulmans appelés Djihadistes,ainsi que Boko Haram, une de leurs branches active principale-ment au Nigéria avec des ramifications au Tchad et au Niger.Dans cette immense étendue dite du Sahel, depuis plus d’un siè-cle déjà, ce sont les Pères Blancs principalement qui ont implantél’Évangile. Aujourd’hui ils sont confrontés chaque jour et partoutau terrorisme aveugle. Ils témoignent avec d’autres victimes deleurs difficultés, de leurs peurs, des risques personnels qu’ilsencourent, des nombreux problèmes de conscience qui se posentà eux, des choix douloureux qu’ils ont à prendre, de leurs dif-ficultés voire de leur impossibilité à vivre leurs croyances, dessouffrances des populations avec lesquelles ils font corps depuistoujours, de leurs désespérances comme de leurs espérances, etpar-dessus tout de leur foi qui les porte et les soutient… Pourdes raisons sécuritaires, leurs noms ne sont pas souvent cités ;mais il n’en reste pas moins vrai que leur vécu nous plonge toutautant au cœur de la tragédie que vit le Sahel depuis trop long-temps que dans le secret des victimes qui ne cachent pas leursouffrance ni leur désarroi.

DOSSIER :

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Que s’est-il passé à Dablo,et ailleurs?

Peu de personnes en Europesavent ce qui s’est passé le diman-che 12 mai à 9 heures du matindans la ville de Dablo, au nord duBurkina Faso : plus de 50 « per-sonnes non identifiées et lourde-ment armées », montées sur 27motos, sont arrivées à toute vites-se. Un groupe d’entre eux a brûlédeux maquis (bars), un autre a misle feu à l’ambulance du dispensai-re et volé les médicaments ; le

reste s’est rendu à l’église et l’aencerclée.

La messe venait juste de com-mencer et les terroristes ont toutd’abord tiré en l’air. Les gens s’en-fuyaient comme ils le pouvaient ;

alors ces terroristes sont entrés etont fermé les portes, en exigeantde chacun de ne pas bouger. Ils ontvolé ce que les gens portaient sureux et cherché les responsables del’église. Le jeune prêtre SiméonNiampá a eu le courage de cacherles servants de messe sous l’autelet a tenté de fuir par la sacristie ;mais ils l’ont vu et ils l’ont abattuà quelque 50 m de là.

Ensuite, dehors, les terroristesont fait allonger par terre les cinqautres responsables et les ont tuésà bout portant ; parmi eux se trou-vait celui qui jouait du tam-tamainsi que le jeune chef scout de 23ans. Avant de partir, ils ont brûléles livres de la chorale et tiré sur letabernacle.

Cette barbarie ne date pasd’hier. Depuis 2015 déjà, gendar-

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Dans un village, maisons incendiées par un groupe de terroristes djihadistes.

Le point sur les destinations plus ou moins déconseillées au Sahel.

Terrorisme au Sahel

L’angoisse des chrétiens du Sahel

La communauté catholique pleureses morts au Burkina Faso.

Plusieurs attaques ont fait des vic-times dans le nord du pays. La pre-mière, survenue lors d'une messe àDablo, a coûté la vie à six chrétiensdont un prêtre. Alors que l'inquiétu-de gagne les croyants, responsa-bles politiques et religieux appel-lent à ne pas céder à la division.

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mes, policiers et bâtiments d’écoleavaient subi les premières attaquesd’islamistes dans la région duSahel. En 2016, le groupe djiha-diste « Ansarul Islam » a revendi-

qué plusieurs offensives mortellescontre l’armée. En 2017 il y avaiteu de nombreuses agressions etdes victimes. Mais ce n’est pascomparable avec ce qui s’est passédepuis 2018. Après Djibo, lesactes terroristes se sont déplacésvers Aribinda puis progressé versDori. Des groupes d’autodéfensese sont constitués entraînant aprèsNoël des représailles qui ont pro-voqué près de 200 victimes.

Conséquences dramatiquespour la population

Tous ces raids ont semé la pani-que dans les populations qui ontfui en abandonnant leurs villages.Les gens se sont réfugiés dans lesvillages protégés par des gendar-mes, créant des problèmes huma-nitaires compliqués.

Si un catéchiste et un pasteurprotestant ont été kidnappés l’andernier, cette année, en mars, c’estle curé de la paroisse de Djibo,

l’abbé Joël, qui a été enlevé alorsqu’il venait de visiter un village eton n’a plus aucune nouvelle de lui.Plus de 2000 écoles et collèges duSahel sont fermés car les ensei-

gnants se sont enfuis craignant desincursions. En effet les terroristesne veulent pas que le français soitenseigné ; pour eux les enfantsdoivent apprendre l’arabe et leCoran. Mais est-ce possible de for-cer toute une population à seconvertir à l’islam?

Le terrorisme a ouvert un nou-veau front depuis le VendrediSaint en attaquant des églises. Cejour-là, ils sont entrés dans la cha-pelle de Djika, un village proched’Aribinda, pleine de gens venuspour prier le Chemin de Croix.Après avoir expulsé tout le monde,les terroristes ont tiré sur les cinqhommes qui restaient et les onttous tués. Avant de partir ils ontincendié une école en construc-tion. Deux semaines plus tard, lesprotestants subirent eux aussi unenouvelle attaque faisant 6 morts.Deux jours plus tard on comptaitquatre morts parmi les hommesqui transportaient une image de laVierge, près de Baam. Et le

26 mai, dans un village de larégion de Ouahigouya, une nou-velle attaque dans une église acoûté la vie à quatre fidèles, dontle catéchiste.

Conséquences dramatiquespour les populations chrétiennes

Donc la situation dans le Sahelburkinabé est triste tout autantpour les communautés chrétien-nes que pour les non chrétiennes :les villages se sont vidés oupresque, car les gens ont pris lafuite.

La paroisse d’Aribinda, serviepar les Missionnaires d’Afrique, adû être fermée et les pères sontpartis ainsi que les religieuses deNotre Dame du Lac qui tenaientun petit centre de santé (PMI). Ilen a été de même à la paroisse deGorgaji. Les autres paroisses dudiocèse de Dori tournent au ralentiet le travail pastoral se limite auxCentres car personne n’ose s’aven-turer sur des routes devenues tropdangereuses.

Il faut que le monde entier sachequ’au Sahel nous avons désormaisde nouveaux martyrs : la vingtainede chrétiens tués alors qu’ilsétaient en prière. Et parmi eux,deux prêtres, un Salésien espagnolet un abbé burkinabé. « Puissent-ils intercéder pour nous ! »

Situation très difficile à Aribinda

À Aribinda, en raison des nom-breuses offensives perpétrées parles forces terroristes sur différentsvillages de la région, les popula-tions se sont mises là aussi sous laprotection de la gendarmerie, aban-donnant leurs quelques biens, mai-sons, vivres, bétail… Tous les caté-chistes des villages où existaientdes Communautés Chrétiennes de

C’est d’abord et avant tout l’Église que les terroristes cherchent à atta-quer. Au Burkina Faso, les chrétiens, locaux ou étrangers, catholiquesou protestants, sont devenus une cible : en témoignent les multiples

attaques, enlèvements, intimidations que ceux-ci subissent.

Terrorisme au Sahel

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Base (CCB) se sont réfugiés euxaussi à Aribinda. C’est ainsi que,ces derniers temps, la populationde la ville a plus que doublé. Selonun recensement fait par la mairied’Aribinda le 3 février, il y avaitalors 12000 réfugiés ; mais depuislors il faut compter chaque jourquelque 250 personnes supplé-mentaires ; selon les statistiques dudispensaire, plus de 300 femmesenceintes et 3000 enfants se trou-vent parmi eux… On devine alorsles difficultés d’une telle situation ;il n’y a plus d’administration ; ellea fui. Ne restent sur place que lesautorités coutumières et religieusesavec la gendarmerie. Le CentreMissionnaire d’Accueil (CMA)d’Aribinda est débordé. Dans lesvillages alentour, le bétail a étépillé et les récoltes incendiées…Les extrémistes procèdent à desécoutes téléphoniques et ciblentceux qui dénoncent une telle situa-tion… d’où le silence total sur cequi se passe !

Des violences devenuesinterethniques.

Le plus grave c’est que ces vio-lences sont devenues intereth-niques : les Mossis et Foulse d’uncôté qui fuient leurs villages et del’autre les Peulhs qui prennent pos-session de ces mêmes villages… Ilfaut remonter plus loin dans letemps pour trouver les raisons deces conflits, provoqués et exacer-bés volontairement par les djiha-distes : retour de bâton des injusti-ces subies par les Peuhls autrefoispour des raisons socioculturelles etéconomiques, oppression par lesforces de l’ordre, discriminations,moqueries interethniques, et mêmeexacerbation de la haine par le rap-pel historique de la structure mêmede la culture peulh : les nobles, lesguerriers, les « rimaïbès » anciensesclaves…; à cela s’ajoute, dansun passé beaucoup plus récent,l’esprit de vengeance pour l’assas-sinat des ascendants directs de tousbords par les forces de l’ordre.Alors les enfants partent au Mali

pour se procurer des armes, se for-mer et revenir pour venger leursmorts ; pour se financer, ils pillentle bétail ; mais cela ne suffit pas àexpliquer la provenance de toutl’argent ! Disons qu’à partAribinda en raison de la présencede la Gendarmerie, les terroristessont les maîtres de l’ensemble dela région. Aribinda est ainsi deve-nu le point le plus ‘chaud’du Faso,alors que c’est la ville quiaccueille le plus de réfugiés.Même les équipes des télévisionsnationales et étrangères n’osentpas s’aventurer jusque là-bas.

Seul point positif si l’on osedire, Aribinda a reçu en 2018 uneaide consistante de l’État et unecentaine de gendarmes y ont étédéployés ce qui a transformé cetteville en un sanctuaire sécurisé.C’est pourquoi, alors que des cen-taines d’écoles ont dû fermerdepuis janvier dans tout le Nord, àAribinda, tant bien que mal, leLycée, le CEG et les écoles ou-vrent toujours leurs portes aux élè-ves.

« Pas facile de vivre sa vocation missionnaire…»

Un missionnaire qui était àAribinda mais a dû lui aussi seréfugier ailleurs témoigne : « Nous,les pasteurs, nous partageons lessouffrances des populations aveclesquelles nous vivons. Le couvre-feu dans la ville d’Aribinda et danstoute l’étendue de la contrée a étéimposé, ce qui nous a obligés àrester dans les bâtiments de laparoisse. On ne peut même plusaller saluer les gens. Nous avonsdû prendre un gardien 24 heuressur 24. Peu à peu, les tournéesdans les villages se sont faites

rares jusqu’àêtre par la forcedes choses abandon-nées. Notre pastorale adû en tirer les conséquen-ces. Beaucoup de sentimentsd’incompréhension et même decolère contre ceux qui sont à l’ori-gine de ces violences se font res-sentir partout, et pas seulementchez les chrétiens. Finalement, aulieu de nous rendre dans les diffé-rents villages, nous avons été ame-nés à accueillir les réfugiés surplace en cherchant à satisfairetous leurs besoins primaires desurvie : l’eau, la nourriture, lestentes, le sanitaire. »

En conclusion, citons ces deuxpropositions d’un missionnaire luiaussi réfugié et qui formule deuxsouhaits :

« Premièrement, que lesOccidentaux de bonne volontén’oublient pas les réfugiés duSahel et que, par le biais de pro-jets de développement et le travaildes associations continuent à sou-tenir la population en dehors detoute religion. Les terroristes veu-lent provoquer la guerre entremusulmans et chrétiens. Ils negagneront pas car nous tous conti-nuerons de travailler en faveur dudialogue et de la cohésion sociale.

Ensuite que nous cultivions lapaix « don que nous devonsdemander à Dieu » comme ditMgr Philippe, le Cardinal arche-vêque de Ouagadougou: paix dansles familles et paix dans la sociétédans cette magnifique région. »

L’abbé Joël Yougbaré, le 16 mars,curé de la paroisse de Djigbo, a été

enlevé par des individus armés.Un peu plus d’un mois plus tôt, le

père César Fernández, missionnairesalésien, avait été tué lors d’une

attaque djihadiste dans le centre-estdu Burkina.

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Terrorisme au Sahel

16 VOIX D’AFRIQUE -

Vivre malgré tout sa vie missionnaire« J’ai peur quand je suis seul… »

En tant que responsables, quelssont nos sentiments lorsque noussommes appelés à répondre à desinvitations dans des périphériesexistentielles où règne l’insécuri-té ? L’appel à la rencontre de l’au-tre demeurera toujours un défi àaccueillir avec humilité. Il est vraique la rencontre nous fascine,mais, parfois, nous surprend, etnous questionne.

Les événements de ces dernierstemps dans notre région nous amè-nent à nous poser beaucoup dequestions et à se dire que certainsconfrères vivent des situations oùse mêlent la peur de l’inconnu, lapeur de l’autre et des fanatismes.D’autres vivent avec le sentimentd’être abandonnés, d’autres encoreavec la peur au ventre chaque foisqu’arrive la mauvaise nouvelled’attentats à proximité. Nousentendons leurs angoisses tellesque : « J’ai peur quand je suisseul », ou encore « Aujourd’hui aété une journée traumatisante ».Un minimum de paix est unenécessité pour vivre aujourd’hui lamission de l’Église. La paix dansle monde et en particulier dans lesrégions où nous exerçons notreministère est vraiment une grâce àdemander.

« Culpabiliser, alors qu’il n’y a pas le choix… »

Accepter de rejoindre desrégions dangereuses c’est accepterde vivre parfois des situations trau-matisantes, et même de culpabili-ser quand, pour des raisons impé-ratives de sécurité, nous obligeonsdes confrères à partir tout en lais-sant derrière eux des communautéschrétiennes sans pasteur. La peur

Carte de «vigilance terrorisme» au Burkina Faso : Voici la nouvelle carteque le ministère des affaires étrangères français envoie aux expatriés.

La zone rouge s'est élargie à l'est surtout.

Les Peuhls sont essentiellement des éleveurs et s’ils commencent à sesédentariser, ils sont encore bien souvent en transhumance.

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est un mécanisme de défense quise manifeste souvent par le retraitstratégique, ou la fuite pure et sim-ple.

Accepter de vivre dans lesrégions insécurisées, c’est consen-tir également à se sentir impuis-

sant face à une tragédie qui évoluetous les jours. « Combien de tempscette situation durera-t-elle? », sedemandent certains. « Faut-il lais-ser des confrères continuer leurapostolat dans des zones àrisque? Faut-il leur demander dese replier pour quelque temps? ».

Nous com-prenons mieuxce qu’éprouve unévêque obligé, par lesévènements, de deman-der à ses prêtres de partirailleurs !

Face à toutes ces tragédies rap-portées par les médias et qui sesoldent par un grand nombre demorts et de blessés, c’est la ques-tion de la dignité humaine et durespect de l’autre qui priment.

« Je veux des saints, je veux des fous… »

Le Cardinal Charles Lavigerie,notre fondateur, disait, à ce pro-pos : « Je veux des saints, je veuxdes fous ! ». Si nous sommes dessaints, je n’en sais rien, mais desfous, oui certainement.

P. Nyembo Mabaka Delphin,Assistant Provincial de la PAO.

VOIX D’AFRIQUE - n° 124 septembre 2019 17

À Aribinda, les populations environnantes se sont mises sous la protection de la gendarmerie, abandonnantleurs quelques biens, maisons, vivres, bétail…Le Centre Missionnaire d’Accueil d’Aribinda est débordé.

Quand tout est paisible, vivre au village est agréable !

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18 VOIX D’AFRIQUE -

J e suis musulman pratiquant, né d’un père songhaï de Gao au Mali et d’unemère peuhl de Thiou au nord du Burkina Faso. Durant mon adolescence, àKoumassi progrès, il y avait une église du nom de St François d’Assise où

des salésiens pendant les vacances encadraient tous les jeunes du quartier. J’aiconnu Père Franco, Père César et bien d’autres.

On jouait à la paroisse à des activités socioculturelles telles que des tournoisde football, un marathon et des cours de vacances étaient chaque fois organisés.Ainsi J’ai pu lire plus d’une centaine d’œuvres littéraires grâce à la bibliothèque decette paroisse. Les petits musulmans du quartier que nous étions étaient en parfaiteharmonie avec les chrétiens de l’église. Mes meilleurs amis étaient des garçons etdes filles “Cœurs vaillants-Âmes vaillantes”.

Aux heures de prière, nous, les musulmans, on nous autorisait à prendre nosablutions et faire nos “rakats” dans un coin aménagé au sein de l’église.Aujourd’hui il existe même le Centre Don Bosco où tous les jeunes de toutes les reli-gions vont pour un encadrement à tous les niveaux. Comme moi, il y en a beaucoupà être d’une autre confession religieuse mais vivant en parfaite harmonie avec lesautres religions.

J’oubliais… en ce mois de ramadan, dans notre “grin” à Somgande, à l’heurede la rupture de jeûne, le jus de gingembre était apporté par deux chrétiens, unmusulman apportait les galettes ; deux autres musulmans préparaient le thé et unautre chrétien, “mon esclave”1°, aimait se charger d’apporter l’eau glacée. Justepour dire que nous faisons notre rupture de jeûne entre chrétiens et musulmanspour ne pas dire en famille.

Tout cela, pour dire à ces terroristes qui ont sauvagement assassiné le PèreNiampa et cinq de ses fidèles et mis le feu à leur église que je peux leur assurer que,comme toutes les années, je verrai avec joie encore la présence des prêtres et pas-teurs à la grande prière de l’Aïd-el-Fitr marquant la fin du ramadan. En conclu-sion, vous, les terroristes, vous avez échoué car votre barbarie ne nous diviserajamais. Bien au contraire on reste soudé.

Signature volontairement cachée

Lettre ouverte aux terroristes

Terrorisme au Sahel

Les petits musulmans du quartier étaient en parfaite harmonie avec les chrétiens de l’Église.

1° - La relation à plaisanterie est une pratique sociale typiquement d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale quiautorise certaines ethnies ou des habitants de même région, à se moquer ou s'insulter, et ce sans conséquence.

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n° 124 septembre 2019 19

En exhortant les gouvernements du monde entier à interve-nir pour mettre fin à la fourniture d’armes à feu aux extré-mistes islamistes, Mgr Dabiré écrit : « Les armes qu’ils uti-

lisent n’ont pas été fabriquées ici, en Afrique. Ils ont des fusils,des mitrailleuses et tant de munitions, plus que l’armée burkina-bé a à sa disposition : quand ils arrivent dans les villages, ilstirent pendant des heures. Qui leur fournit ces ressources? S’ilsn’obtenaient pas ce soutien de l’extérieur, ils seraient obligés decesser. C’est pourquoi je lance un appel aux autorités internatio-nales. Quiconque en a le pouvoir, peut-il faire cesser toute cetteviolence? ».

Il continue : « Lorsque les habitants du village de Bani se sontréunis pour parler entre eux, les islamistes sont arrivés et ont

forcé tout le monde à se coucher face contre la terre. Puis ils les ont fouillés. Quatrepersonnes portaient des crucifix. Alors, ils les ont tuées parce qu’elles étaient chrétien-nes. Après les avoir assassinées, les islamistes ont averti tous les autres villages ques’ils ne se convertissaient pas à l’islam, ils seraient également tués. »

Selon lui, il s’agit de la cinquième attaque contre des chrétiens dans le nord-est dupays depuis début 2019, ce qui porte à 20 le nombre de chrétiens tués.

Mgr Dabiré témoigne : « Au début, ils n’étaient actifs que dans la région frontalièreentre le Mali et le Niger. Mais ils se sont peu à peu déplacés vers l’intérieur du pays,attaquant l’armée, les structures civiles et les gens. Aujourd’hui, leur cible principalesemble être les chrétiens et je crois qu’ils essaient de déclencher un conflit interreli-gieux. »

Mgr Dabiré d’ajouter que le Père Joël Yougbaré, un prêtre de son diocèse, avait étéenlevé par des extrémistes le 17 mars et qu’il avait été contraint de fermer deux parois-ses pour des raisons de sécurité. Selon lui tou-jours un certain nombre de mouvements isla-mistes ont été accusés d’avoir orchestré unnombre croissant d’attaques au Burkina Faso,notamment le Groupe de soutien à l’Islam etaux musulmans (GSIM) et l’État islamiquedans le Grand Sahara.

Appel à la communauté internationale,

Mgr Laurent Birfuoré Dabiré, évêque de Dori, a déclaré : « Si le mondecontinue à ne rien faire, le résultat sera l’élimination de la présence chrétiennedans cette région et très probablement, à l’avenir, à l’ensemble du pays. »

Mgr Laurent Dabiré,évêque de Dori.

Par Mgr Laurent Birfuoré Dabiré (évêque de Dori)