what is at stake with cooperation to enhance healthcare?(helping those who help themselves)

12
LES ENJEUX DE LA COOPERATION SANITAIRE (AIDER CEUX QUI S’AIDENT). Robert Fonteneau et David M. Dror Département de la protection sociale, Bureau international du Travail. Synthèse A partir de diverses sources d’information nationales et internationales, il est fait une tentative de bilan des phénomènes d’exclusion dans les pays francophones, à rapporter à la situation sanitaire ainsi qu’un diagnostic sur le défaut d’extension de la couverture santé et sur les principaux motifs à l’origine de cette situation. L’état des lieux sera décrit à partir d’une tentative de classification des modes couverture de santé en usage dans des systèmes de santé qui se présentent toujours de manière fragmentée (structures étatiques ou para-étatiques, mutuelles et forces du marché) et des tentatives de restauration par la politique dite A de recouvrement des coûts A. Certaines leçons peuvent en être tirées sur le plan de la coopération francophone. Summary From various national or international sources, this paper is an attempt to do a check up on social exclusion in French-speaking countries relatively to the health condition. In the same time it is a diagnosis about the lack of health covering and the reasons of that situation. The present state is described by testing a classification of usual different schemes existing in health systems which anywhere are split in state, mandated, mutual , corporate or free market schemes; these ones are a also a result of the cost recovery policy. Some lessons are drawn in a French cooperation point of view. 1. Introduction: un phénomène massif d’exclusion On estime que la moitié des populations sont mal couvertes ou non couvertes dans les pays les moins développés 1 . Et dans les pays dits émergents où les assurances maladie et d’accidents du travail sont plus présentes, la population garantie totalement ou partiellement d’ailleurs par une assurance maladie proprement dite ne dépasse guère les 20/25 pour cent (Gabon, Maroc, Sénégal, Madagascar), au plus les 50 pour cent (Liban, Tunisie), parfois davantage dans le seul domaine des médicaments essentiels (Algérie). La situation sanitaire dans les pays destinataires Le statut sanitaire des pays francophones se caractérise par une morbidité et une mortalité souvent plus élevées que celles rencontrées dans les pays à revenus similaires. En Afrique subsaharienne le taux de mortalité infantile dépasse de presque 50 pour cent le taux moyen constaté pour tous les pays à faibles revenus et est au moins 10 fois plus élevé que le taux observé pour les pays industrialisés. (OMS, BM, UNICEF). 2 Ce statut sanitaire est appelé en outre à se dégrader du fait de l’impact sur les 15-50 ans de l’épidémie de SIDA. Dans certains pays d’Afrique 20 à 26 pour cent de cette tranche d’âge sont touchés par l’infection qui pourrait devenir le premier facteur de mortalité avant le paludisme. Les 1 PNUD, 1997, p, 29 (période 1990-95) 2 En 1990, les taux de mortalité maternelle étaient de 31 pour 100 000 naissances d’enfants vivants dans les pays industrialisés, mais de 1030 dans les pays les moins développés; les taux de mortalité infantile étaient de 14 pour mille dans les pays industrialisés et de 103 pour mille dans les pays les moins développés en 1994; la mortalité chez les enfants de moins de 5 ans était de 18 pour mille dans les pays industrialisés et de 169 pour mille dans les pays les moins développés en 1994.Voir également: AHealth expenditures services and outcomes in Africa (basic data and cross - national comparisons, 1990-1996. David H Peters, Kami Kandola, A.Edward Elmendorf and Gnanaraj Chellaraj - Health, Nutrition and Population Series. World Bank 1999. Ce document fait une distinction entre le quartile des pays à plus bas revenus, les pays médians et le quartile des pays à revenus les plus élevés.

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LES ENJEUX DE LA COOPERATION SANITAIRE (AIDER CEUX QUI S’AIDENT).

Robert Fonteneau et David M. Dror Département de la protection sociale, Bureau international du Travail.

Synthèse A partir de diverses sources d’information nationales et internationales, il est fait une tentative de

bilan des phénomènes d’exclusion dans les pays francophones, à rapporter à la situation sanitaire ainsi

qu’un diagnostic sur le défaut d’extension de la couverture santé et sur les principaux motifs à l’origine de

cette situation.

L’état des lieux sera décrit à partir d’une tentative de classification des modes couverture de santé

en usage dans des systèmes de santé qui se présentent toujours de manière fragmentée (structures étatiques

ou para-étatiques, mutuelles et forces du marché) et des tentatives de restauration par la politique dite A de

recouvrement des coûts A.

Certaines leçons peuvent en être tirées sur le plan de la coopération francophone.

Summary

From various national or international sources, this paper is an attempt to do a check up on social

exclusion in French-speaking countries relatively to the health condition. In the same time it is a diagnosis

about the lack of health covering and the reasons of that situation.

The present state is described by testing a classification of usual different schemes existing

in health systems which anywhere are split in state, mandated, mutual , corporate or free market schemes;

these ones are a also a result of the cost recovery policy.

Some lessons are drawn in a French cooperation point of view.

1. Introduction: un phénomène massif d’exclusion On estime que la moitié des populations sont mal couvertes ou non couvertes dans les pays les moins développés1. Et dans les pays dits émergents où les assurances maladie et d’accidents du travail sont plus présentes, la population garantie totalement ou partiellement d’ailleurs par une assurance maladie proprement dite ne dépasse guère les 20/25 pour cent (Gabon, Maroc, Sénégal, Madagascar), au plus les 50 pour cent (Liban, Tunisie), parfois davantage dans le seul domaine des médicaments essentiels (Algérie). La situation sanitaire dans les pays destinataires Le statut sanitaire des pays francophones se caractérise par une morbidité et une mortalité souvent

plus élevées que celles rencontrées dans les pays à revenus similaires. En Afrique subsaharienne le taux de mortalité infantile dépasse de presque 50 pour cent le taux moyen constaté pour tous les pays à faibles revenus et est au moins 10 fois plus élevé que le taux observé pour les pays industrialisés. (OMS, BM, UNICEF). 2

Ce statut sanitaire est appelé en outre à se dégrader du fait de l’impact sur les 15-50 ans de l’épidémie de SIDA. Dans certains pays d’Afrique 20 à 26 pour cent de cette tranche d’âge sont touchés par l’infection qui pourrait devenir le premier facteur de mortalité avant le paludisme. Les

1 PNUD, 1997, p, 29 (période 1990-95)

2En 1990, les taux de mortalité maternelle étaient de 31 pour 100 000 naissances d’enfants vivants dans les pays

industrialisés, mais de 1030 dans les pays les moins développés; les taux de mortalité infantile étaient de 14 pour mille

dans les pays industrialisés et de 103 pour mille dans les pays les moins développés en 1994; la mortalité chez les

enfants de moins de 5 ans était de 18 pour mille dans les pays industrialisés et de 169 pour mille dans les pays les moins

développés en 1994.Voir également: AHealth expenditures services and outcomes in Africa (basic data and cross -

national comparisons, 1990-1996. David H Peters, Kami Kandola, A.Edward Elmendorf and Gnanaraj Chellaraj -

Health, Nutrition and Population Series. World Bank 1999. Ce document fait une distinction entre le quartile des pays à

plus bas revenus, les pays médians et le quartile des pays à revenus les plus élevés.

pays de la région subsaharienne dont les taux d’infection était plus bas que celui de leurs voisins seraient en train de les rattraper. Les neuf dixièmes des cas nouvellement diagnostiqués seraient africains. Le SIDA qui aurait tué cette année deux millions d’Africains est probablement à lui seul le plus grand obstacle au progrès social économique des pays qu’il ravage3.

Mais ce statut sanitaire est aussi le reflet à la fois du très faible niveau de revenu de 80 pour cent des populations, de l’inéquité des différentes formes de redistribution sociale, des carences d’accès aux soins.

C’est à ce dernier aspect que s’intéresse le présent document . II Un premier diagnostic sur la couverture de santé

Formulé pour l’Afrique par le Département de la Protection sociale du Bureau international du Travail4, il faisait en effet un triple constat d’insuffisance dès 1993: S insuffisance de financement; S déficiences de l’organisation de la couverture sanitaire et sociale; S priorités sanitaires inadéquates. a) L’insuffisance du financement Bien que l’Afrique subsaharienne soit marginalisée dans le commerce mondial, elle a connu un repli

économique quasi continu pendant 20 ans5, sans parler des guerres. Les plans d’ajustement

structurel y ont plus frappés les investissements publics6 car l’endettement africain est plus ancré

dans le secteur public. Si les groupes les plus exposés par leurs effets négatifs à court terme ne sont pas nécessairement les segments les plus pauvres de la population qui vivent dans des collectivités rurales très faiblement touchées par les modifications des dépenses publiques, les assurances sociales publiques et les hôpitaux en ont cependant subi directement les conséquences du fait de la chute des assiettes de cotisations et de celle des rémunérations des agents publics.

La remontée des cours de certaines matières premières et l’effacement de la dette des pays les plus pauvres accompagnent un renouveau de croissance et donnent un bol d’oxygène à des économies exsangues. Ce serait sans doute l’occasion de rechercher un retour pour la cassette sanitaire et sociale.

Pour l’instant, la moyenne des pays concernés consacre, en termes de part du produit national brut, proportionnellement un quart de moins que ceux de l’OCDE à la santé; toutefois cet indicateur reflète sans doute mal tant l’importance de la médecine traditionnelle que l’étendue et l’incidence des économies domestiques non monétarisées. Plus significatifs de l’extrême variété des situations rencontrées sont les écarts associés qui peuvent varier7:

3 BIT, Département de la protection sociale; Action contre le VIH et le SIDA en Afrique: une initiative lancée

dans le contexte du monde du travail, 2000.

4 BIT- Social Security Department; Health care under social security in Africa: Taking stock of experience and potential; 1993 p 22.

5 CNUCED - Le développement de l’Afrique: une analyse comparative, 1998. Voir aussi: Mkandavire Thandika P, Soludo Charles S. Our continent, our future: African perspective on strucutral adjustment. Genève - Africa World press, 1999.

6FMI - Civil service reform in Africa: Mixed results after 10 years, dans Finance et Développement juin 1998.

7 BIT - Modelling in health care finance: A compendium of quantitative techniques for health care financing. Michael Cichon, William Newbrander, Hiroshi Yamabana, Axel Weber, Charles Normand, David Dror, Alexander Preker, BIT Genève 1999, voir en annexe les données issues de différents rapports annuels sur le développement de la Banque mondiale.

S pour les de dépenses de santé par tête de 13 $ (Tchad) à 75 $ (Tunisie) par an et par habitant (à comparer à plus de 2000 $ en France);

S pour les dépenses publiques, de 2,6 pour cent / PNB (Cameroun, situation proche d’un objectif de 10 pour cent du budget public, consacré à la santé) à 7 pour cent (Burkina Faso);

S pour les dépenses à la charge du malade ou de sa famille de 1,3 pour cent PNB (Burkina Faso) à 3,8 pour cent (Haïti). On est très loin de pouvoir construire la droite d’ajustement linéaire couverture/richesse

présentée traditionnellement et établie par l’OCDE. On observe d’une manière générale qu’il existe de multiples chemins pour arriver à un certain stade de développement de la santé dans les pays en transition ou en développement et que le critère public ou privé peut prendre des formes si différentes d’appropriation ou d’accaparement qu’il ne constitue plus en soi un critère suffisant pour définir la solidarité et réduire les inégalités8.

Les différentes données sanitaires ne sont que très faiblement corrélées avec la richesse économique du pays: certains très pauvres comme le Burkina Faso ont un financement public élevé tandis que de plus riches comme le Maroc connaissent la situation inverse. La possibilité d’améliorer le financement public est sans doute obérée par la fuite des capitaux qui, selon certaines estimations, représentent 70 pour cent de la richesse privée non foncière dans les pays subsahariens en provenance semble-t-il de deniers publics détournés illicitement9.

L’existence de systèmes d’assurance maladie crée une situation apparemment plus favorable au milieu francophone mais ils ne bénéficient qu’aux fonctionnaires et aux employés du secteur formel, ce qui ne représente au mieux que 10 pour cent de la population

10. Les niveaux absolus des dépenses de santé ne révèlent qu’un aspect de la vérité: la partie des

budgets sanitaires qui atteint les déciles inférieurs et les couches les plus isolées de la population en constitue un autre aspect beaucoup moins inventorié.

Les restrictions qualitatives d’accès aux soins ou au choix individuel sont en effet monnaie

courante11: la plupart des services financés publiquement obligent les gens à payer pour les services. Bien qu’ en théorie, les tranches les plus pauvres de la société doivent continuer à recevoir des soins du système public, ces services sont minimaux et impliquent des frais de transaction et des coûts annexes, comme le trajet du domicile au lieu des prestations qui peuvent placer les services dits gratuits hors d’atteinte et rendent les droits des malades hypothétiques. Les enquêtes de la Banque

mondiale sur les dépenses des ménages montrent que les paiements directement à leur charge sont particulièrement élevés: elles seraient de plus de 50 pour cent en Côte d’Ivoire et si les dépenses de santé des ménages les plus aisés y sont de 11 fois plus élevées que celles des plus pauvres, c’est que ces derniers soit diffèrent leurs soins soit n’ont pas accès du tout aux soins publics.

Cette situation a laissé penser qu’il y avait une possibilité d’employer un système de partage des coûts pour financer des programmes de santé d’un bon rapport coût-efficacité, pourvu qu’à la différence des systèmes préexistants la responsabilité de gestion en soit laissée aux intéressés. C’est dans cet esprit que l’initiative de Bamako de 198712, dite A de recouvrement des coûts A, a pu être expérimentée.

8Bulletin de l’OMS, Vol. 78, 1 (2000): Inequalities in health care use and expenditures: empirical data from eight developing

countries and countries in transition p 55.

9 CNUCED 1998.

10 BIT - Réflexions sur les stratégies de réforme de la protection sociale en Afrique francophone au sud du Sahara; 2000.

11 Banque mondiale: Pour une meilleure santé en Afrique: Les leçons de l’expérience, 1994 chapitre 10.

12 Comme alternative de financement: elle implique une importante décentralisation de la prise de décision du gouvernement

central vers les niveaux inférieurs, un financement communautaire des soins de santé et un contrôle par la communauté de la gestion du

b) Les déficiences des modes de couverture sanitaires et sociaux existants On peut faire un constat général de faiblesse des systèmes de régulation et de gestion qui

conduisent à de mauvaises appropriations de ressources sanitaires, à des disparités d’accès aux soins variant selon les sous-groupes de population, les régions ou les zones urbaines ou rurales et à l’intérieur de chacune de ces zones. Ces faiblesses de gestion ont conduit à une production inefficace de services et en outre à des coûts administratifs pléthoriques quels que soient les systèmes. La dépendance des technologies, biens et pratiques importées a rarement été réduite de manière à favoriser la bonne utilisation des facilités locales: l’introduction inopportune de technologies non

appropriées a conduit à étouffer les capacités de soutenir financièrement les pratiques médicales les plus utiles et les plus avantageuses. Seuls ceux qui ont accès à ces services peuvent bénéficier des subventions publiques et souvent l’accès aux dispositifs et services financés publiquement est effectivement ouvert à certains plus qu’à d’autres selon leur statut public, professionnel ou d’assurance ou leur lieu de résidence. Il demeure que les systèmes publics ne sont pas assez

capitalisés13 et que les gouvernements sont dans l’impossibilité de garantir des fonds suffisants pour

qu’ils puissent fournir des soins de santé d’une qualité acceptable et des biens médicaux à un prix abordable. Les pénuries chroniques, voire organisées, de médicaments14, la manière dont les équipements sont entretenus, l’absence d’appui logistique et la carence de la supervision contribue aussi aux inefficacités.

Les jeunes médecins ne se bousculent pas pour aller dans la brousse ou dans le bled et essaient souvent de se faire dispenser de leurs obligations légales à ce titre car s’ils bénéficient parfois de rémunérations publiques privilégiées, les conditions d’exercice, l’impossibilité jusqu’à présent de s’y recycler et le manque de moyens techniques, l’éloignement parfois de la moindre structure sanitaire les rebutent par rapport à la longueur de leurs études et au prestige que leur apporte le titre de docteur en médecine. L’infirmier du village et le guérisseur y suppléent mais l’on constate également un nombre élevé d’agents sanitaires de village qui abandonnent leur emploi lorsque le financement consenti par les donateurs au titre des programmes de soutien s’amenuisent. Dans certains pays il a fallu payer quatre fois le salaire minimum pour maintenir au village l’agent sanitaire formé au national! La pérennité de la présence d’un agent sanitaire compétent au village

demeure un bon indicateur de la pérennité des services de soins primaires15. On savait déjà, avant que l’extension du SIDA ne vienne aggraver les besoins sanitaires,

qu’il faudrait sans doute investir 10 fois plus au plan local pour toucher correctement par des vaccinations et des soins appropriés toute la population et y trouver des relais fiables pour y développer des actions ciblées, ce qui serait évidemment plus envisageable que de décupler la dépense de santé selon des normes préétablies! c) La non-reconnaissance ou le non-respect des priorités sanitaires

Si la plupart des pays disposent de services sanitaires plus ou moins publics, ceux qui fournissent une gamme complète de prestations répondant aux besoins des populations sont de moins

système sanitaire et du flux des fonds, soit un renversement des traditions laissées par la colonisation et un retour aux sources du processus de mutualisation sociale. Ainsi sont nées les A mutuelles de santé A, terme le plus fréquemment utilisé en Afrique occidentale et centrale. Selon

l’UNICEF, plus de 30 pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie avaient adopté cette Initiative à la fin de l’année 1995: Le processus d’

Aadoption@ ne consiste pas à la signature d’un ensemble d’obligations mais à l’engagement de mettre en place des services de co-

financement ou de co-gestion des services de santé.

13Conférence régionale africaine du BIT en 1999.

1412 pour cent seulement atteindraient leurs destinataires! et de toute façon, sur les 1 300 médicaments mis sur le marché ces 25

dernières années, 11 seulement concernent les maladies tropicales, plusieurs médicament efficaces contre la malaria ou la maladie du sommeil ayant fait les frais de récentes fusions dans l’industrie pharmaceutique! Interview de Jeffrey Sachs, Président d’une commission

d’économistes réunie par l’OMS pour définir des stratégies conformes aux lois du marché et susceptibles de répondre aux besoins sanitaires

du tiers monde. dans La Tribune de Genève du 19 janvier 2000.

15 J.Gouet: Planification des dépenses de santé dans les pays en développement. Ed. Lacassagne, Lyon 1988.

en moins nombreux, faute d’une appropriation locale des risques gérés par le gouvernement et d’une aide financière aux nécessiteux.

Le choix des investissements a conduit dans les années soixante et soixante-dix à des transferts technologiques aberrants, coûteux et inadaptés qui marquent durablement le paysage

sanitaire et sont qualifiés d’ ″éléphants blancs″ . Il était souvent difficile d’implanter des services très techniques dans des zones rurales à l’origine dépourvues d’infrastructure et où une vaccination complète pouvait en 1988 coûter 50$ par personne. Les corps de santé coloniaux y avaient suppléé avec des équipes mobiles. Désormais, toutes les conférences mondiales des Nations Unies depuis la Déclaration d’Alma Ata de l’OMS en 1978 (La Santé Pour Tous), ont inclus non sans ambiguïté dans leurs résolutions la reconnaissance de la couverture universelle des soins de santé primaires comme droit fondamental (UN ACC 1997).16

Les hôpitaux y sont considérés comme des structures coûteuses qui n’améliorent pas ou peu la santé alors que des mesures simples et bon marché auraient un impact plus grand et que les agents de santé villageois devraient être les piliers des soins de santé dits primaires qui devraient être de faible coût et accessibles à tous.

Or on peut faire le constat dans de nombreux pays d’une dépense hospitalière de 50 pour cent des dépenses publiques de santé17 comprenant une dépense en hôpital universitaire d’au moins 8 pour cent de ces dépenses, et ce à des niveaux variables de ressources selon les pays18. Les hôpitaux en zone urbaine sont souvent détournés de leur objet pour fournir à une clientèle privilégiée des soins primaires et de premier recours ou des soins palliatifs. Certains pays sont mieux munis que d’autres et dépensent parfois plus de 60 pour cent de leur budget public de fonctionnement en santé aux seuls centres hospitaliers et universitaires implantés dans la capitale. Ils développent sous la pression des ajustements structurels une stratégie de coopération transnationale qui ne bénéficie en fait qu’à la même classe privilégiée sous forme d’évacuations ou de transferts sanitaires19 ou de couverture d’étudiants et stagiaires échangés entre universités. III. La fragmentation des systèmes de santé

La disparité des situations rencontrées n’a guère comme commune mesure sur le plan de la couverture maladie que la cohabitation dans tous les pays de structures de soins étatiques, de couvertures d’assurance-maladie limitées comprenant ou non des oeuvres en gestion directe (Afrique du Nord, Gabon), de mutuelles de santé, de micro-assurances à but non lucratif et d’assurances privées d’entreprises (surtout pour les accidentés du travail). Partout donc il existe une médecine à plusieurs vitesses qui dépend du statut social du malade.

16

En 1944 déjà la Déclaration de Philadelphie, adoptée le 10 mai par la Conférence internationale du Travail A reconnaît (chap.

III,paragr. f) l’obligation solennelle de l’Organisation internationale du Travail de promouvoir dans les nations du monde des programmes qui

permettront... l’élargissement de... soins médicaux complets...@ En 1952, la Conférence internationale du Travail a adopté la convention sur

les standards minimaux de sécurité sociale (n° 102), qui contient un chapitre sur les prestations de soins médicaux aux termes de la loi dans

les Etats ratifiant cette partie de la convention. (OIT: Conventions recommandations internationales du Travail, vol. II - 1952-1976, Genève, 1996, pp. 9-35). Cependant, cette convention a été adoptée dans un monde où l’essentiel du développement était lié au secteur

formel.

17 Elle varie de 38 à 45 et 56 pour cent selon le niveau de richesses (bas, médian, élevé) mais il est significatif de constater que le

nombre des lits/hab et le nombre des médecins/hab n’est nullement représentatif de la dépense publique à supposer quil le soit de la qualité

des soins. (Banque Mondiale, David H Peters et alii, déjà cité).

18 IEPS-Paris: La juste place des hôpitaux universitaires dans les systèmes de santé. Ed. Flammarion mai 1996.

19Djona Atchénémou Avocksouma (Univ. De N’Djaména et de Montréal): Pour un modèle d’analyse de la coopération entre les

Etats en matière de santé en Afrique noire francophone dans Entreprise Santé n° 26 mars/avril 2000: les pays comme le Bénin ou le Burkina Faso orientent respectivement 15 et 22,91 pour cent de leurs ressortissants malades hospitalisés dans les hôpitaux de pays voisins et plus particulièrement en Côte d’Ivoire (Kinifffo, 1987).

Par rapport à ce constat général, il est possible, à défaut d’une improbable coordination à

court terme, de préciser les forces et faiblesses de chacun des systèmes de couverture en présence. a) La couverture étatique

Elle avait pour objet, en suivant l’accroissement des besoins démographiques, de mettre en place, une répartition graduelle des moyens techniques depuis la prévention (vaccinations) et les services de soins primaires (dispensaires) aux hôpitaux de district ou de zone (polycliniques), aux hôpitaux régionaux et à l’Hôpital national, selon une vision hiérarchique qui ne nous est pas inconnue. Un équilibre entre centralisation et décentralisation était postulé permettant des relations d’adressage harmonieux entre les différents niveaux et même entre ceux-ci et d’autres secteurs.

Les théories d’adressage des malades par niveau hiérarchique de type A système national de santé A sont souvent dans les faits dans les pays émergents ou en développement dépourvues de

réalité. L’aiguillage de type ″gate keeper″ (passage obligatoire par un médecin référent généralement payé à la capitation) est la plupart du temps inopérante, dans un contexte de rationnement sévère, c’est-à-dire compte tenu de l’absence de concurrence sur le terrain, de l’urgence, des distances, des disparités et des participations financières demandées aux familles, devenues souvent de véritables droits d’accès au traitement efficace à l’encontre d’un droit universel du malade. Le schéma appliqué réellement est assez éloigné de son modèle originel béveridgien. Les théories en vigueur jusque dans les années quatre-vingt laissaient accroire qu’un dispensaire n’avait pas de sens sans hôpital de référence, et celui-ci sans hôpital régional... Dans les faits encore trop souvent les hôpitaux de district fonctionnent comme de gros dispensaires et n’ont peut-être qu’un faible intérêt dans la mesure où ils

contrecarrent l’action des agents sanitaires de village. La multitude des références (″guidelines″) édictées à l’échelle internationale pour tenter de valider à la fois le système hiérarchique institutionnel et le principe d’unicité de la médecine, à défaut de sa pratique et de ses résultats, n’a guère produit de normes en rapport à l’hétérogénéité des situations rencontrées sur le terrain20 et donc applicables à la complexité des problèmes; par voie de conséquence elle n’a guère fourni de standards de dépenses réellement utilisables par les assurances maladie là où elles existent, ce qui a nui à leur fonctionnement, à leur crédibilité et à leur extension.

Dix ans après la déclaration visant à une santé pour tous, il était reconnu que, dans la plupart des pays à revenus inférieurs ou intermédiaires: S la couverture universelle n’était pas réalisable par le biais des systèmes sanitaires

gouvernementaux; S il fallait faire appel aux communautés en tant que telles à devenir propriétaires et maîtres de

leurs propres objectifs et de leurs destins (Charte d’Ottawa; OMS, 1986). A partir du moment où il est constaté que même les ménages pauvres sont contraints de

payer pour leur santé des sommes relativement élevées, ce qui constitue une imposition régressive, la communauté est une bonne alternative pour mettre en commun les fonds destinés à couvrir les coûts récurrents des unités de soins de base ce qui leur donnerait un pouvoir collectif de négociation à leur égard de type client-fournisseur (Initiative de Bamako de 1987; OMS 1988). Le Cameroun est un exemple des réformes en cours du système public de santé sous contrainte d’ajustement structurel21entrepris dans le sens d’un transfert de responsabilité en direction de la communauté organique proposé par la Déclaration de Jakarta de 1997 de l’OMS; il y a toutefois un risque de recul de tout engagement financier gouvernemental à venir et de glissement

vers une gestion marchande du secteur. Modifier les formes d’intervention de l’Etat est une chose, l’exempter de ses responsabilités en est une autre. Les pouvoirs publics ne devraient donc pas être autant invités à cette occasion à se désengager et ne plus être garants des résultats sanitaires et

20

Florence Baron: Guidelines en pharamaco-économie: 18 pays passés au crible dans Pharmaceutiques, mars 2000.

21 La grande réforme, message du ministère de la Santé publique du Cameroun dans Jeune Afrique N° 1853 juillet 1996.

sociaux. L’Etat a certes un nouveau rôle à jouer pour soutenir les initiatives sans réduire leur autonomie mais il doit aussi assurer une distribution équitable et effective sur le terrain. b) Les forces du marché

Dans beaucoup de pays, la tentation existe pour les gouvernements, dans la foulée des privatisations des entreprises publiques, de combler le vide en laissant faire le marché, celui-ci étant réputé moins bureaucratique et plus flexible face à l’évolution des besoins des personnes que les régimes sociaux obligatoires préexistants dont les négociations avec les prestataires de soins engagent ipso facto les autorités publiques appelées à en valider les résultats dans un domaine où ils rebutent eux-mêmes à s’engager trop directement.

Le marché peut-il pour autant résoudre le problème en offrant une couverture d’assurance maladie aux exclus?

Il est largement reconnu qu’en matière de soins de santé les assurances maladie privées

lucratives n’apportent ni en quantité ni en qualité une répartition socialement optimale. Dans la mesure où elles ont été laissées libres de contrôler leurs opérations, elles ont préféré sélectionner la demande associée aux groupes à revenus élevés concentrés dans un nombre restreint de centres urbains. Elles ont surtout développé dans le cadre de systèmes de prévoyance d’entreprise la prévention et la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles du secteur formel mais cela ne touche que quelques pour cent de la population22.

Laisser l’offre de soins se structurer seulement en fonction de la demande solvable, c’est faire abstraction des besoins prioritaires des plus nécessiteux sous prétexte que la demande n’en est pas manifeste et justifier à posteriori l’insuffisance de l’offre de soins dans les zones isolées ou périphériques par l’insuffisance d’une demande non monétarisées. S’en tenir à la rigidité habituelle des instruments financiers, le plus souvent dictée par la volonté prédominante des médecins et des agents de santé n’a pas non plus permis jusqu’à présent d’assurer l’extension d’une couverture maladie moins inégalitaire.

Bon nombre d’interactions entre clients, assurances maladie et fournisseurs se portent préférentiellement sur le contrôle de prestations de services non aléatoires, fréquents et peu onéreux. L’assurance maladie obligatoire elle-même ou les mutuelles de santé, livrées à elles-mêmes, ne se sont que récemment aventurées dans les faits jusqu’à la maîtrise des risques. L’équation reliant une faible demande à une faible capacité de paiement doit cependant tenir compte de ces interactions souvent économiquement inefficaces pour les populations exclues et s’adapter aux conditions de vie particulières de cette tranche de population. c) La couverture para-étatique

Sur 33 pays d’Afrique subsaharienne23, seuls sept d’entre eux disposaient en 1987 de systèmes d’assurance maladie à caractère obligatoire pour le secteur formel, la couverture de la population correspondante allant de 0,001 pour cent en Ethiopie à 11,4 pour cent au Kenya.

Dans de nombreux pays les restrictions financières se sont traduites par des restrictions quantitatives et par une réduction dans les types des prestations: le cas le plus évident est le fait que des taux de remboursement, fixés souvent initialement à 60 pour cent de dépenses théoriques, n’en reflètent plus guère que 30 pour cent. Cette situation résulte soit de l’absence de revalorisation des tarifs ou renchérissement des coûts des produits soit de l’absence de structuration des prestations en fonction de l’utilité et de la réalité de leur évolution technique ou de leur pratique. La plupart des nomenclatures européennes utilisées, conçues à une époque déjà ancienne où l’efficacité des soins était très relative sont aujourd’hui obsolètes ou abandonnées et là où elles ont été mises parfois à

22 Revue internationale du Travail Vol.138 n°2 (1999): L’indemnisation des accidents du travail en Afrique australe: aperçu des

régimes et propositions de réformes: Elaine Fultz et Bodhi Pieris p. 183/2009.

23 Charles Griffin et Paul R.Shaw: A Health insurance in sub.saharan Africa: Aims, findings, policy implications, dans Shaw et

Ainsworth, 1995, pp. 143-166.

jour, aucune méthode ni organisation n’a été proposée pour les adapter à d’autres niveaux de développement, à tel point que la notion même de barème s’avère aujourd’hui d’une visibilité et d’un usage douteux pour les usagers.

Si partiel soit-il, un financement automatique de base ne doit pas être négligé car il constitue toujours une garantie d’accès minimum; même s’il ne garantit pas pour autant la qualité des soins ni à fortiori le niveau des transactions individuelles, il réduit la pression sur ceux-ci.

Cependant, la difficulté qu’ont les pays industriels à atteindre ces derniers objectifs prive le concept d’assurance maladie d’une rationalité intrinsèque, ce qui fait qu’elle passe généralement dans les pays émergents et les pays en développement après d’autres prestations en espèces qui contribuent indirectement au financement de la santé (indemnités journalières, fonds d’épargne, allocations familiales, rentes d’accidentés du travail), leur sélectivité étant souvent compensée par le recours à la solidarité familiale élargie.

Les régimes francophones, lorsqu’ils pratiquent l’avance préalable de prestations nomenclaturées et de tiers payants (très partiels), sont particulièrement fragiles. Parfois ils ont recours à la gestion directe d’établissements et de dispensaires mais la plupart sont à la recherche de la construction avec leurs propres établissements d’une relation client-fournisseur qui se heurte aux mêmes difficultés de conception. Souvent cela fonctionne dans le cadre d’une action sanitaire et

sociale de branche24 qui offre une grande autonomie d’intervention aux gestionnaires et une grande

diversité. Cette flexibilité pourrait sembler parfaitement s’adapter au contexte africain mais souffre d’une absence de coordination (on colmate quelques brèches). En effet l’action sanitaire et sociale, si elle est libre, est particulièrement contrainte car elle ne correspond qu’à une gestion résiduelle de dépenses affectées dans le cadre souvent de caisses générales de sécurité sociale de travailleurs salariés (secteur formel) qui couvrent différentes branches (vieillesse, famille, accidents du travail). L’action sanitaire et sociale est une activité marginale, faiblement réglementée et son organisation est disparate d’un pays à l’autre.

Les relations financières avec l’Etat qui est responsable de la gestion des établissements publics, autres que ceux en gestion directe des caisses, et de leur déficits, sont complexes et rarement équilibrées: de payeur au juste prix, les Caisses nationales de sécurité sociale (CNSS) se laissent dériver vers une subvention déguisée de l’Etat, ce qui ne se justifie qu’à court terme par la difficulté, en période d’ajustement structurel compétitif, de déplafonner, de relever voire de recouvrer les cotisations en particulier patronales ou de rechercher d’autres sources de financement et de la perte de références en matière de pratiques médicales. Mais comme, à la différence de nombreux systèmes européens, ils ne bénéficient pas de recettes fiscales clairement affectées, ils y perdent une partie de leur indépendance et en tout cas leur capacité de négociation. Cela fait sans doute partie des problèmes de gouvernance qu’ils rencontrent mais qui sont aussi le reflet de problématiques plus générales.25Pour remédier à cette situation déplorée par le Directeur général du BIT26 et à l’initiative des ministres des Finances africains de la Zone franc, a été instituée, le 21 septembre 1993, conjointement avec les ministres chargés de la Prévoyance sociale, la Conférence interafricaine de la prévoyance sociale (CIPRES)27.

24 Jacques Audibert: Problématique générale de la sécurité sociale dans les pays francophones d’Afrique. BIT 2000.

25 BIT. Adjustment employment and missing institutions in Africa - the experience in Eastern and Southern Africa. 1999

26Rapports à la 6ème et à la 8ème Conférence régionale africaine d’octobre 1993 et de janvier 1994.

27Le traité d’Abidjan de septembre 1993 a été mis en oeuvre en 1996. Il est présenté dans l’Elan Social, revue des anciens

élèves du CNESS de St Etienne: A La sécurité sociale en Afrique A. La CIPRESS a pour objet d’harmoniser les règles de gestion (un plan

comptable de référence est annexé) et de proposer des plans de redressement des organismes en difficulté. Elle s’organise autour d’un comité

des sages (commission de surveillance) qui se prononcent sur les rapports d’audit d’une inspection régionale et d’un Conseil des ministres

disposant d’un pouvoir normatif en matière de règles de gestion. Un projet de structure régionale de formation est envisagé à partir du Centre

ivoirien de formation des cadres de sécurité sociale (CIFOCSS).

Les pouvoirs publics, démunis de stratégie financière, s’avèrent le plus souvent dans l’impossibilité d’arbitrer entre: S l’entretien ou le développement des dispositifs sanitaires théoriquement destinés aux plus

démunis; S le maintien de l’équilibre des systèmes d’assurance maladie formels; S le paiement régulier des dépenses afférentes à la maladie de leurs propres fonctionnaires

dont ils sont en général leur propres assureurs (parfois la CNSS est déléguée dans cette gestion mais ne reçoit pas toujours les arriérés de recettes ou de dépenses correspondants, ce qui ajoute à la confusion).

S le financement des campagnes de lutte contre les fléaux sociaux En effet rares sont les pays qui, comme le Botswana, envisagent de construire une assurance

maladie à l’échelon national sur des bases nouvelles en se donnant pour objectifs: S d’associer les communautés à la planification des soins de santé et à la fourniture des

prestations; S de chercher à former un faisceau de prestations minimum et en même temps à repérer celles

qui ne seraient pas comprises dans ce faisceau mais pourraient donner lieu à subvention; S de recueillir à cet effet des données et des informations en coopération avec des fournisseurs

privés.

En matière d’assurances sociales il faut distinguer les pays émergents des pays en développement dans la mesure où ils ont un potentiel de couverture sociale proche de ce qu’avait connu l’Europe dans le second après-guerre, à la différence notable près que la médecine n’est plus ce qu’elle était à l’époque, ce qui élève considérablement le niveau de la taille critique nécessaire pour obtenir un résultat similaire. Le niveau sera d’autant plus élevé que l’on s’inspirera des techniques de gestion des risques préexistantes sans profiter de l’occasion pour les adapter. De plus, du fait des contraintes de mondialisation, la recherche d’une plus grande diversité des sources de financement sera plus indispensable. A défaut, l’élévation des aspirations de certaines couches de la population conduit inexorablement à la construction d’un second voire d’un troisième pilier, sous forme de mutuelles de santé ou de prévoyances d’entreprises à l’européenne, comme en Europe de l’Est.

c) Les ″mutuelles de santé″28 Il faudrait pouvoir considérer les mutuelles de santé,

institutions nouvelles au sens de l’Initiative de Bamako qui avaient pour vocation d’étendre la couverture sociale en dehors du secteur formel, différemment de celles qui utilisent encore le modèle européen29.

Dans les faits, le développement de ces mutuelles de santé, régimes privés non lucratifs

d’assurance maladie, s’étend dans le secteur informel davantage en surface qu’en niveau de couverture, faute d’une taille suffisante pour assurer la solidarité du groupe. L’idée que les ménages pauvres peuvent payer et paient effectivement les soins de santé et que leurs communautés peuvent générer un revenu suffisant pour couvrir les coûts récurrents des unités de soins de base afin de remplacer les institutions publiques défaillantes rencontre des limites intrinsèques d’élasticité

financière (CERDI Univ. Lyon 3 1998) . Il faudrait donc distinguer: S les mutuelles de salariés des grandes entreprises ou de fonctionnaires (souvent militaires ou

enseignants) qui existent dans les grandes villes et à une plus grande échelle dans les pays émergents et fonctionnent sur le modèle européen en se consacrant principalement au remboursement par tiers payant des consultations de médecins et de médicaments30; elles disposent parfois d’établissements de soins privilégiés ou de services, chambres ou lits réservés;

S les régimes privés d’assurance maladie dits A mutuelles de santé A qui n’ont souvent aucun lien avec les populations exclues en raison de la capacité économique trop limitée des travailleurs du secteur informel et par conséquent d’un risque perçu comme trop élevé de non-recouvrement individuel des coûts; on les crédite31 d’une capacité d’extension sur le secteur d’activité informel de l’ordre de 10 pour cent (soit quelques pour cent de la population globale) bien que les limites et l’hétérogénéité de ce qu’il est convenu d’appeler

″secteur informel″ aient encore été peu inventoriées; elles sont tentées de se construire sur le modèle mutualiste européen en en escamotant le processus historique; la réitération des modes d’agrément, des statuts et des structures ainsi que des politiques centralisées de conventionnement avec les professionnels de santé peut générer des coûts administratifs et fédératifs excessifs et nuire à leur développement; le modèle, s’il favorise la réplicabilité,

28

Alain Letourmy: Les mutuelles de santé en Afrique de l’Ouest (1998).

29Il faut citer l’expérience récente de la Tunisie où, depuis février 1997, un droit d’option entre l’assurance maladie gérée par la

CNSS et l’adhésion à une assurance de groupe ou de mutuelle a été institué au profit des employeurs (réduction de 2 points de cotisation), la

CNSS étant chargé de la surveillance de la conformité des contrats qui visent à limiter le co-paiement des salariés à 20 pour cent des frais de soins.

30 A Dakar, ces mutualités remboursent 70 pour cent des actes des médecins: les honoraires y font l’objet en outre d’une taxe de

7 pour cent.

31 BIT - Réflexions sur les stratégies de réforme de la protection sociale déjà cité.

présente l’inconvénient d’être trop souvent pré-défini par en haut (tutelle de fait par exemple au Mali) et par conséquent d’être un faible révélateur de la demande latente malgré une autonomie apparente de gestion.

S les micro-assurances qui seraient des régimes volontaires de groupe en vue de l’auto-

assistance dans le domaine de la santé; le terme micro fait référence au nombre limité d’adhérents qui peut aller d’une centaine à quelques milliers, en tous cas une extension très inférieure aux régimes nationaux ou aux grandes mutuelles professionnelles; le terme

″assurance″ fait référence à l’instrument économique mais elles doivent aussi contribuer à stimuler la société civile32.

Concertation internationale.

Dans un contexte de carence gouvernementale, les décisions prises par les familles élargies présentent une logique qui s’apparente souvent à un droit de triage dans lequel les hommes habiles accaparent les ressources au détriment des femmes, des enfants, des infirmes et des vieillards.

Il ne suffit pas en effet de dire: on veut que la collectivité se substitue à l’incapacité de recouvrement de l’Etat. Dès qu’il y a rationnement sévère, il faut savoir qui décide des priorités et qui peut les changer. C’est un sujet délicat et crucial qui appelle sans doute une certaine surveillance, au moins sous forme d’une labellisation permettant d’accéder aux fonds extérieurs. Mais en tout état de cause, il serait préférable d’avoir des unités de base pour construire une politique de santé et réceptionner des projets ciblés plutôt que l’inverse. Ceci n’ôte en rien la nécessité d’intervention d’un Etat facilitateur et d’un mode de

gouvernance national dans le sens de l’incitation, de la décentralisation et d’une surveillance à posteriori. Il faudrait pour cela respecter l’autonomie de décision et de gestion locale et tenir compte des leçons des expériences de terrain. On pourrait certes faire appel aux structures fédératives existantes mais il faut remarquer que

les régimes d’assurances sociales pré-existantes, organisés sur le modèle prédominant de la distribution de prestations en espèces ou de rentes de survivants, ont un fonctionnement passablement antinomique et sont peu décentralisés. Il en va de même de la décentralisation de la

prise de décision au sein des installations sanitaires vers le niveau local qui s’est satisfait des services de proximité les plus rudimentaires. Souvent les micro-unités de groupes exclus n’ont même pas été habilités à agir en tant qu’acquéreurs de services. Un tel processus d’habilitation aurait promu la gestion démocratique bien au-delà des différentes communautés. Ceci explique pourquoi jusqu’à présent le renversement de l’action, de bas en haut et non plus de haut en bas, n’a pas véritablement progressé de manière significative en dépit de la reconnaissance de son importance pour l’avenir33.

Ces problèmes doivent trouver une solution mais cela peut prendre beaucoup de temps à moins que l’on ne parvienne à accélérer le processus.

Pour modifier leur structure d’intervention, les intervenants dans la santé doivent se

démarquer d’une démarche ″produits ciblés″ pour recentrer leur activité sur les risques de la santé. Mais cela peut-il réellement se faire sans une réorientation politique du rôle des assureurs maladie pré-existants? Malheureusement les exclus n’attirent que peu le soutien politique. Ainsi se reposer uniquement sur une assurance maladie autonome, des mutuelles de santé volontaires du secteur péri-formel ou à fortiori sur les forces du marché laisse peu d’espoir à la possibilité que l’accès universel à l’assurance maladie devienne un jour une réalité. L’OMS et l’OIT convergent sur la nécessité pour toutes les organisations de santé,

32

Voir l’article intitulé: La micro-assurance pour résorber le chaînon manquant de la coopération sanitaire. A D. Dror, R.

Fonteneau, C. Jacquier. BIT Genève

33 Vincent Folcher: Politiques de santé: l’expérience des Health Targets dans Pharmaceutiques janvier 2000. Il est remarquable

d’y constater qu’après plus de 20 ans d’expérience on puisse définir les faiblesses des stratégies ciblées en termes certes de fonds alloués

trop limités ou non pertinents et d’absence de données de suivi mais aussi de compétences non suffisamment partagées au niveau local, de

modes de vie, de comportements et de changements sociaux visant à minimiser les risques.

quelles qu’elles soient, d’orienter leurs fonds et leurs moyens en personnels et en soutien de manière à favoriser leur localisation au plus près des zones où les personnes désavantagées travaillent, vivent et apprennent, et inversement de lever les obstacles de toute nature s’opposant à la mise en place de procédures de solidarité financière susceptibles de réduire les charges directes des bénéficiaires.34 Les gouvernements et l’aide internationale doivent soutenir le processus qui permet aux

unités de base d’atteindre non seulement une présence géographique mais aussi une masse critique suffisante pour leur permettre d’interagir avec une demande encore latente. Il leur appartient en particulier: S d’ apporter des garanties financières pour couvrir les risques catastrophiques pour

l’individu ou les collectivités S de co-financer les plus nécessiteux déjà en proportion de leur propre mise (il ne s’agit le

plus souvent que de quelques dollars par an et par habitant!)35; S de mieux définir, plutôt que des domaines d’activité prédéterminées et normées, des

capacités d’agir36.

10 10 2000

34

OMS A Health: a precious asset.A 2000.

35Martine Audibert, Jacky Mathonnat (CERDI): Les déterminants de la demande de soins chez les Senufo de Côte d’Ivoire.

Université de Lyon 3, juillet 1998.

36 La Charte française d’assurance maladie mutuelle de 1989 reste un prototype intéressant qui s’est adapté à une situation créé il

y a un siècle!