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INTRODUCTION

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INTRODUCTION

Le peuple baoulé appartient à la grande famille des Akan, population à cheval sur le

Ghana et la Côte d’Ivoire. Il est l’un des peuples de Côte d’Ivoire dont la formation est

des plus récentes, car ayant eu lieu pratiquement entre le XVIIIe et le XIXe siècle1.

L’arrivée des Baoulé, composés des Alanguira ou Denkyira et des Assabou, en Côte

d’Ivoire actuelle, s’inscrit dans le contexte de guerre et des querelles de succession.

Les Alanguira, première vague de migration baoulé, quittent le pays ashanti à la fin

du XVIIe et au début du XVIIIe siècle suite à la guerre entre les Ashanti et les

Denkyira, longent vers l’ouest, la Comoé et prennent pied sur le territoire ivoirien

actuel. Ils progressent jusqu’au Bandama et occupent les régions habitées par des

groupes non-Akan tel que les Gouro et les Sénoufo.

Dans la première moitié du XVIIIe siècle, la succession au trône de l’Asantehene

suscite à Kumassi une guerre intestine à l’issue de laquelle la deuxième composante, les

Assabou, ayant eu le dessous, s’enfuient de l’Ashanti, entraînant avec eux leurs

partisans, leurs alliés politiques, leurs clients et leurs captifs2. Après avoir traversé à leur

tour la Comoé un peu en-dessous du 6e degré de latitude nord, les Akan-Assabou,

dirigés par la Reine Abla Pokou, orientent leur déplacement vers le nord à la recherche

d’un milieu écologique à cheval sur la forêt et la savane semblable à celui du pays

Ashanti. Aux abords de Tiassalé, ils laissent des groupuscules (Elomouè, Souamélé et

Ahua) pour protéger leurs arrières mais aussi pour constituer un front de négoce avec les

populations lagunaires qui avaient accès à la côte. Cette dernière vague longe le cours

du Kan et s’installe à Niamonou dans le N’dranouan à quelques kilomètres de Bouaké.

C’est à cet endroit que les leaders des différents sous-groupes assabou à savoir Agoua

(le clan royal), Nzikpli, Sa-Ahali, Faafouè, Ayaou, Nanafouè-Ahua et Assabou-

Alanguira forment un bouclier sécuritaire autour de la reine3. Abla Pokou avait pour

proche parents Akua Ama, Tano Adjo qui s’est installée à Tiassalé, Aya Agoua, Malan

Ndri, Akua Boni, Nzi Akpo et Abraha Akpo qui fonda le pays kodè. Epuisée, d’une si 1 René Kouamé Allou, 2002, Histoire des peuples de civilisation Akan des origines en 1874, tome 2, thèse pour le doctorat d’Etat, Université d’Abidjan, Histoire, p706.2 Pierre et Mona ETIENNE, 1971, «″A qui mieux mieux″ ou le mariage chez les Baoulé», Cahiers ORSTOM, série Sciences Humaines Vol. VIII, n°2, p.165.3René Kouamé Allou, 2003, « Confusion dans l’histoire des Baoulé, à propos de deux reines : Abraha Pokou et Akoua Boni », Journal des africanistes, tome 73, p.139.

longue marche, la Reine décède à Niamonou et est inhumée dans le lit du ruisseau

Ndraba1, laissant Akoua Boni et ses guerriers poursuivre ses œuvres vers l’actuel

Sakassou. Après de multiples scissions internes et des guerres extérieures, les Assabou

occupent définitivement dès la fin du XVIIIe siècle les parties septentrionale et centrale

de leur territoire actuel. Ils aboutissent ainsi à la création d’un grand royaume,

impliquant également les Alanguira. Cette nouvelle entité est comprise entre Bouaké et

Tiassalé avec au nord les Kodè, à l’est les Faafouè et les Nzikpli, au sud les Elomouen

et les régions aurifères qu’ils exploitent. Sakassou, à l’initiative de la Reine Akoua

Boni, qui succède à Abla Pokou, en est la capitale.

Si au début les Assabou-Walèbo réussissent à constituer et à exercer un pouvoir

central de type ashanti, la rapidité des processus de segmentation, la dispersion des

groupes d’origine à la recherche de nouveaux territoires, de nouvelles populations à

soumettre, et surtout de gisements aurifères pour pouvoir recommencer à faire du

commerce, enfin des rivalités et des guerres intestines, ont tôt fait de réduire l’autorité

du pouvoir central2. Les groupes tribaux reprennent leur indépendance et se dispersent

dans toutes les directions à la conquête de nouvelles terres.

C’est dans cette entité, que figure le kodè, localité, au nord du pays baoulé, à laquelle

nous nous intéressons.

Le sujet soumis à notre étude est ″le pays kodè des origines à 1970″. Il ouvre une

perspective historique, apportant une contribution à l’histoire des peuples baoulé.

Fondée par un proche parent de la Reine Abla Pokou dans la première moitié du XVIII

e siècle, le pays kodè connaît jusqu’à la fin du XIXe siècle une véritable expansion

démographique, une interpénétration des différents peuples marquant le début d’un

peuplement métissé. La conquête coloniale se met en place dans tout le Baoulé et le

pays kodè n’y échappe pas. En 1902, un poste militaire est installé à Béoumi et en 1911,

le chef-lieu de tous les Kodè devient une subdivision comprenant les cantons Ouarebo,

Kodè, Goli et Satikran. Le pays kodè connaît son âge d’or. Il est le pôle d’attraction de

toute la région centre et constitue l’un des plus importants du pays. Il a un rôle

1Patrimoine, Radio CI Béoumi, Baoulé-Kodè, lundi 05 juin 1995.2Pierre et Mona ETIENNE, Op.cit., p.167.

économique de premier plan. Sa position centrale lui confère un rôle privilégié de lieu

de rencontre des hommes et d’échanges commerciaux entre le nord et le sud d’une part

et entre l’est et l’ouest d’autre part. La route de Man, Séguéla et Zuenoula vers Bouaké

passe par Béoumi. En 1934, la région Kodè comptait 23.149 habitants avec 91 villages

puis 49.900 habitants en 1953 pour 96 villages1, année à laquelle il recevait la visite de

Félix Houphouët Boigny, Léopold Sédar Senghor et Ouezzin Coulibaly. Après

l’indépendance de la Côte d’Ivoire en 1960, la subdivision de Béoumi éclate en

plusieurs centres administratifs qui deviennent les sous-préfectures de Béoumi,

Sakassou, Botro et Bodokro. La sous-préfecture de Béoumi était la plus importante et

comptait déjà près de soixante dix milles habitants. Mais à la fin de 1969, le barrage de

Kossou, construit sur le fleuve bandama, perturbe toute la vie du pays kodè. Ce lac

artificiel en noyant de vastes superficies, provoque le déplacement de plusieurs villages.

I- Motivation et intérêt du sujet

1-Véronique LASSAILLY, 1976, Espace utile et charge de population dans un des secteurs touchés par la mise en eau du barrage de Kossou (Sous-préfecture de Béoumi, Côte d’Ivoire), Paris I, Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales, Thèse pour le Doctorat de 3e cycle de Géographie, p.247-ANONYME, 1955, Répertoire des villages de la Côte d’Ivoire, classement par circonscriptions administratives, Abidjan, Edition de la statistique générale et de la mécanographie, p.76- Jean MICHOTTE, 1967, Etude d’une expérience d’animation rurale en Côte d’Ivoire (Département du centre-Sous-préfecture de Béoumi), Abidjan, ORSTOM, p.1

Dans cette rubrique, nous abordons successivement les raisons du choix, la définition

du sujet, ainsi que la délimitation du thème d’étude

1) La justification du choix du sujet.

Plusieurs raisons justifient le choix de ce sujet. Il s’agit des raisons objectives et des

raisons subjectives.

a) Les raisons objectives

La première raison du choix de ce thème réside dans certaines questions qui n’ont

pas été totalement résolues par nos travaux de mémoire de maîtrise1 sur la période

précoloniale. Il s’agit des interrogations sur la manière dont Abla Akpo (fondateur du

premier village kodè) part de la région ouarebo, les circonstances de son installation, les

hommes avec qui il part, l’évolution des rapports avec Ouarebo et les populations

trouvées sur le site et comment passent-ils d’une organisation matrilinéaire à une

organisation patrilinéaire. Autant de questions qui méritent d’être analysées par une

étude plus complète et exhaustive.

Aussi, voulons-nous poursuivre cette étude au-delà de la période précoloniale. En

effet, certaines réalités coloniales ont considérablement attirées notre attention. Avec

l’installation de l’administration française en 1902 dans le Kodè, l’on assiste à l’arrivée

successive des ethnies ‘’Nordique’’, des Gouro et des ressortissants des pays

limitrophes notamment maliens et guinéens à Béoumi, faisant de la ville, un lieu de

prédilection par excellence d’immigrants d’origines diverses2. Les Malinkés (Dioula),

en nombre significatif ont presque phagocyté les populations kodè de Béoumi. Ils ont le

commerce en main tandis que les Kodè, installés autour de la ville s’adonnent à

l’agriculture. Alors une économie de type nouveau s’y développe, l’économie

marchande basée sur les produits agricoles d’exportation et le commerce. Après cette

phase de contrainte, les décennies 60 et 70 s’ouvrent sur les récompenses octroyées par

le gouvernement ivoirien à travers des projets de développement de chaque région.

Dans le pays kodè, la construction d’un vaste lac artificiel dans la région de

1Denis Koffi N’GUESSAN, Le Nvlè Kodè dans le pays baoulé, Mémoire de Maîtrise d’Histoire, Abidjan, Université de Cocody, 2003, 180p 2Jean Marie CHEVASSU, historique sommaire de Béoumi, s l nd, 4 P.

Yamoussoukro verra ses eaux noyées de vastes superficies de terres et de cultures

perturbants toute la vie de notre région d’étude. Il convient pour cette étude, tout en

analysant la structuration du pays kodè, de relever aussi les mobilités internes et

externes créées par la construction de cet ouvrage dans la région.

b) Les raisons subjectives

La deuxième raison du choix de ce thème trouve son fondement dans le besoin de

satisfaire à une curiosité. Celle de connaître un peuple, dont nous sommes issus et dont

nous ignorons son histoire. En effet, l’histoire générale des peuples de Côte d’Ivoire

s’est longtemps inscrite dans la logique de mouvement d’immigration et de migration à

l’intérieur du territoire. Les grandes entités ethniques sont seulement prises en compte et

les sous-groupes restent méconnus. C’est le cas des mouvements d’immigration Akan

en Côte d’Ivoire. Ceux-ci ignorent les petits groupes comme le Kodè. Nous avons donc

choisi d’étudier particulièrement ce sous-groupe d’une part à cause de son histoire qui

est étroitement liée à celle des Ouarebo, supra-structure étatique, détentrice du pouvoir

royal baoulé et d’autre part à cause de la rareté des écrits concernant ce peuple. En effet,

la connaissance de l’histoire de Ouarebo a été largement diffusée dans sa globalité et

l’on a souvent ignoré l’existence des sous-groupes dérivés.

Par ailleurs, c’est que le sujet s’est progressivement imposé à nous par devoir envers

la clarification historique des préjugés sur le Kodè. En effet, il est reproché aux Kodè

(par les autres baoulé) de ne pas être des Baoulé pures (‘’vrais baoulé’’) parce qu’ils ont

un parlé spécifique, des comportements différents des autres groupes baoulé et de

prendre le goli (masque Ouan) comme symbole culturel de leur région. Aussi sont-ils

présentés comme un peuple courageux et brave doté d’un pouvoir surnaturel

remarquable. Ainsi, nous ambitionnons clarifier ces préjugés d’une part et d’autre part

approfondir la réflexion pour essayer de comprendre le processus de changement

socioculturel. Telles sont brièvement exposées les raisons subjectives, que nous

assignons à notre étude.

2) Intérêt et pertinence de l’étude envisagée

L’intérêt de cette étude se traduit à deux niveaux : d’abord au niveau scientifique et

ensuite éventuellement au niveau social qui est celui de la mémoire collective.

a) L’intérêt scientifique

Au niveau scientifique, cette étude s’inscrit dans l’esprit du nombre insignifiant des

recherches consacrées à ce sous-groupe surtout en ce qui concerne son histoire alors que

le groupe baoulé dans son ensemble a fait l’objet de plusieurs études. Or, le pays kodè

est très important par sa superficie et sa population. Et, il est inacceptable que les grands

faits de son histoire restent au stade de l’oralité et des préjugés. Les rares documents qui

existent sur le Kodè sont des études des sciences sociales (démographie, géographie,

sociologie et économie) rédigées pour la plupart par des auteurs qui ne sont pas de la

région. Leurs travaux ne prennent toujours pas en compte certains aspects importants de

notre étude en fonction de nos préoccupations.

b) L’utilité pratique de la recherche

En décidant de traiter ce sujet, nous voulons amener les populations de notre région

d’étude à connaître leur histoire. Ces populations doivent comprendre comment leurs

ancêtres ont organisés leur espace (à travers leurs activités sociales, économiques,

politiques, et culturelles). Ce souci d’identité est le fondement de toute recherche

historique. Cette utilité sociale est un devoir de mémoire collective qui doit être enfin

assumée objectivement et honnêtement afin que la société ivoirienne puisse jouir de son

droit à la mémoire. En portant à la connaissance de nos populations, de nombreux et

importants pans de leur histoire, nous souhaitons contribuer à faire sortir ces

populations de l’ignorance historique, et leur faire mieux prendre conscience

notamment à la jeunesse afin qu’elle puisse mieux comprendre leur présent, leur

situation actuelle et concevoir avantageusement leur avenir dans un monde très

compétitif et dans le contexte impitoyable de la mondialisation avant que ses détenteurs

(traditionnistes) n’en oublient des aspects importants ou ne disparaissent définitivement.

II- La délimitation spatiale, chronologique et définition des termes du sujet

1) La délimitation spatiale

L’espace géographique qui est soumis à cette étude est le pays kodè localisé au centre

de la Côte d’Ivoire en zone de savane à l’extrême ouest de Bouaké. Il est limité au Nord

et au Nord-Est par la Sous-préfecture de Bodokro, à l’ouest par les Sous-préfectures de

Tieningboué et Kounahiri dans le département de Mankono et au Sud-Est par la Sous-

préfecture de Sakassou. (Voir carte n°1)

La région Kodè s’étend sur une superficie de 1750 km2 de part et d’autre du Bandama

avec une population totale de 154 206 habitants1. Elle comprend quatre zones bien

distinctes :

- une zone ouest sur la rive droite du Bandama désignée sous le terme de ‘’rive droite’’,

- une zone au nord de Béoumi, limitée par le Bandama à l’ouest et par un affluent

important, le Kan à l’est. Cette zone est appelée ‘’petite presque île ‘’ à cause de

l’abondance des eaux,

-une zone au sud de Diéviéssou ; c’est la frange forestière de la région kodè et le

domaine autrefois du café et du cacao,

-et enfin, une zone situé autour de Béoumi appelée ‘’zone de Béoumi’’2.

La circonscription de Béoumi comprend 98 villages dont 93 occupés par le Kodè et les

5 autres par des Ouan. Ces derniers forment un tout petit groupe à l’ouest de Béoumi sur

la rive droite du Bandama. Cette circonscription est très peu accidentée et en majeure

partie occupée par une savane assez boisée, domaine des cultures vivrières et du coton

de variété locale.

1 Secrétariat Technique Permanent du Comité Technique du Recensement Général de la Population et de l’Habitat de Côte d’Ivoire de 2014.2 Koffi ATTA, Diagnostic d’aménagement de la Sous-préfecture de Béoumi, Abidjan, Institut de Géographie Tropicale, Octobre 1979, 58 p, p3.

CARTE N°1 : LE KODE

DANS L’ENSEMBLE

BAOULE

2) La délimitation chronologique

Le repère qui servira de point de départ à l’articulation chronologique de ce travail

est difficile à arrêter avec précision et même de le justifier de manière satisfaisante.

Les auteurs de l’étude régionale de Bouaké et Timothy Weiskel1 estiment que la

reine Pokou ayant quittée l’Ashanti après la mort d’Osei Tutu qui a eu lieu vers 1717,

l’exode n’a pu intervenir vers 1721. Ce point de vue a trouvé en moitié sa réponse dans

l’enquête orale. En effet, le nom d’Oséi Tutu est évoqué par nos informateurs2 comme

le roi dont la mort a entrainé une guerre de succession. Nous estimons que si la

migration a eu lieu vers 1721, il est probable que vers 1725 ou 1730 la reine et sa suite

soient parvenues dans le N’dranouan (Bouaké). Cette date est également confirmée par

les travaux de recherche de René Allou Kouamé3. Selon l’auteur, la guerre asante-aowin

(1715-1721) occasionne la grande migration des populations de l’Aowin en 1721. Or,

les Baoulé Assabou vivaient en Aowin comme réfugiés. Ils n’y échappent pas. Dans un

article, le même auteur pense que l’exode assabou a tout au plus duré de 1721 à 1725 et

que la reine Abra Pokou a vécu cinq ans tout au plus après la fin de la migration. Elle

serait décédée vers 1730. Dès cette période, s’amorce une dispersion à partir du

N’dranouan4. Nous pensons qu’entre 1730 et 1735, la Reine Akoua Boni et une partie

du clan royal sont parvenus à l’actuel Sakassou et créer l’établissement de Ouarebo.

Nous choisissons comme date de départ de cette étude 1735 qui marque la fondation

du Kodè à partir de Ouarebo (actuel Sakassou). Abraha Akpo, frère et chef de guerre de

la reine Akoua Boni, soucieux d’étendre le territoire et de s’assurer de sa sécurité, partit

en prospection vers le Bandama. A la suite de sa prospection, il s’installa sur le site de

l’actuel Béoumi et prit le nom Kodè qui signifie ‘’va vite ‘’5.

1Philippe SALVERTE-MARMIER, Etude régionale de Bouaké 1962-1964 : le peuplement, Tome 1, République de CI, Ministère du Plan, P 127.Timothy WEISKEL, « L’histoire Socio-économique des peuples précoloniaux, problèmes et perspectives ». Cahiers d’études africaines, n° 60-64, XVI (1-2), 1976, pp.357-395.2Patrice Koffi YAO (42 ans environ), Conseiller pédagogique et petit-fils de la cours royale, entretient semi-directif du 02 septembre 2002 à Tounzuebo, thème : histoire générale du Kodè, durée : 4heures.3René Kouamé Allou, op.cit., Thèse pour le doctorat d’Etat, p. 718-720. 4René Kouamé Allou, 2003, « Confusion dans l’histoire des Baoulé, à propos de deux reines : Abraha Pokou et Akoua Boni », Op. cit., p.141.5Patrimoine, Radio-Côte d’Ivoire, Béoumi, lundi 05 juin 1995.

La seconde borne chronologique est 1970. Elle marque la construction du barrage de

Kossou (dans la région de Yamoussoukro) sur le fleuve Bandama. La création de ce lac,

tout en perturbant l’équilibre de toute la région centre, touche plusieurs Sous-préfectures

de cette centre à des degrés variés: des terres sont inondées dont d’importantes

superficies de cultures pérennes, des villages noyés et leurs voies de communication

coupées. Mais la Sous-préfecture de Béoumi présente le plus fort pourcentage de perte

de surface (24%), la plus grande densité de population après inondation (37,7

habitants/km2) et enfin la proportion la plus importante de population touchée par le lac

(76,2%)1. Les effets de ce lac entrainent des déplacements de village (Tiendiokro et

Grobonoudan) à San-Pedro, des installations et regroupement en nouveaux villages sur

les périphériques du lac.

Elle sonne aussi le déclenchement des migrations massives des Baoulé-kodè dans le

sud-ouest de la Côte d’Ivoire.

Au niveau agricole, le café devient la culture industrielle la plus importante de la

région tandis que le cacao devient de plus en plus marginalisé. La culture du riz

bénéficie d’un encadrement de la SATMACI. Quatre agents de la mission chinoise

essaient de vulgariser le riz irrigué.

3) Définition des termes du sujet 

Le thème de notre étude s’intitule’’ l’histoire du pays Kodè, des origines à 1970’’.

Le sujet ainsi libellé pose la question de la reconstitution de l’histoire du Kodè depuis

sa formation à la construction du lac de Kossou, facteur de mutation et de déséquilibre.

Il nous revient de faire l’histoire du Kodè dans toutes ces facettes (origine et

peuplement, organisation politique, économique, socioculturelle et religieuse) des

origines à nos jours. Le point de départ de l’histoire du pays kodè part de la conquête du

territoire qui, modeste dans ces débuts, après que la reine Akoua Boni et son clan, soit à

Sakassou, grandit et prend ses proportions liées à la taille et au nombre de populations

qui, progressivement s’intègrent et s’impliquent pleinement autour du noyau Ouarebo.1Véronique LASSAILLY, Espace utile et charge de population dans un des secteurs touchés par la mise en eau du barrage de Kossou (S/P de Béoumi-CI), thèse de 3e cycle, Paris I, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1976,269p

III- L’état de la question

L’histoire des peuples a préoccupé et continue d’intéresser bon nombre de

chercheurs. En Côte d’Ivoire, les Baoulé, peuples venus du pays Ashanti, ont fait l’objet

de plusieurs travaux. Parmi ceux-ci, quelques uns ont retenu notre attention. Certains1

ont abordé des généralités sur les migrations, les conquêtes et les grands groupes qui

constituent les Baoulé avec à leur tête les Ouarebo de Sakassou. Les questions majeures

qu’ils abordent passent sous silence l’existence de petits-groupes comme le Kodè issus

de Ouarebo. Ces travaux, s’ils ont le mérite de faire avancer nos connaissances sur le

Baoulé, ne sont que des bribes d’information ne pouvant constituer l’histoire d’un sous-

groupe installé dans la première moitié du XVIIIe siècle. La question à élucider reste

totale et entière.

Le manque de littérature sur le pays kodè surtout en ce qui concerne la période

précoloniale nous donne donc l’occasion de réfléchir sur la question.

Par ailleurs, quelques documents exploités sur le Kodè sont insuffisants et ne

relatent pas de façon satisfaisante tous les aspects de notre sujet. Toutefois, une série de

travaux réalisés ont contribué à obtenir des informations pour notre étude. Il s’agit des

travaux de :

- ATTOUNGBRE (Gervais), 1959, « Béoumi: aperçu sur les structures rurales en

Côte d’Ivoire », Annales Africaines, Paris, Imprimerie Guillemoth, pp.289-293. Cet

article met en lumière les structures familiales, juridiques et sociales kodè. Cependant

aucun aspect détaillé de l’histoire politique et économique. Cette étude est plus

sociologique qu’historique.

- LASSAILLY(Véronique), 1976, Espace utile et charge de population dans un des

secteurs touchés par la mise en eau du barrage de Kossou (S/P de Béoumi-CI), thèse de

1Maurice DELAFOSSE, 1900, Essai de Manuel de la langue agni parlée dans la moitié orientale de la Côte d’Ivoire, Paris, J. André, XXIV+227 pJean-Noël LOUCOU, 1976, « L’exode des Baoulé », Annales de l’Université d’Abidjan, série I, tome 4, pp. 123-137

3e cycle, Paris I, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales ,269 pages. Cette thèse

présente la société kodè avant et après la construction du barrage de Kossou en 1970.

Elle met aussi l’accent sur les mutations opérées au sein de cette société suite

l’inondation de leur terre par les eux du barrage de Kossou. Enfin, elle présente en

annexe, un calendrier historique de la région de Béoumi, véritable repère chronologique

pour tout chercheur sur le Kodè. Au regard du contenu de ce travail, bien que très riche,

n’aborde pas la période précoloniale et occulte l’analyse historique.

- MICHOTTE (Jean), 1967, Etude d’une expérience d’animation rurale en Côte

d’Ivoire (Sous-préfecture de Béoumi), Abidjan, ORSTOM, 118 pages et CHEVASSU

(Jean), 1968, Etude économique d’un centre semi-urbain: Béoumi, ORSTOM, Sciences

Humaines, Vol I, n°3, 130 pages. Ces deux travaux à caractère économique présentent

pour le premier les résultats d’une enquête qui a permis d’apprécier les effets de

l’animation sur le développement économique et social de la sous-préfecture de

Béoumi. Le second quand à lui, montre l’évolution des activités économiques qui font

de Béoumi un carrefour à la croisée des pistes et un véritable centre semi-urbain au

lendemain des indépendances. Malheureusement, les perspectives et les propositions de

développement se heurtent aux effets du barrage de Kossou.

Ces travaux n’abordent que la question économique postcoloniale et ne nous

présente ni les volets politiques et socioculturels, ni la grande évolution de cette société

qui s’est mise en place il y a belle lurette.

Ainsi, pour en savoir plus sur les origines des Baoulé kodè et leur mouvement

migratoire, les travaux de Philippe Salverte-Marmier De1 et de Allou Kouamé René2 ont

été d’une utilité capitale.

S’agissant de l’origine du Kodè, la première étude révèle qu’après leur installation

dans le Ouarebo, la reine Akoua Boni et ses hommes cherchèrent à s’étendre le plus loin

1Philippe Salverte- MARMIER, Op. cit, p.272 René Kouamé Allou, Histoire des peuples de civilisation Akan des origines en 1874, Op. cit, p.741-742 et p.751.

possible vers l’ouest. Un proche parent parent de la reine, nommé Abla Akpo, partit à la

tête d’un groupe de guerrier vers Béoumi. Soumettant ou chassant tous les autochtones

qui se trouvaient sur son passage, il s’empara rapidement du vaste territoire qui

constitue actuellement le pays kodè. Cela montre la combattivité de ce peuple. Il reste le

symbole, même du courage et de la loyauté au service de la reine.

Abordant dans le même registre, la seconde étude révèle que la reine pouvait compter

sur les guerrier kodè quand cela était nécessaire pour briser par force les

insubordinations.

-N’GUESSAN (Koffi Denis), 2003, Le Nvlè Kodè dans le pays baoulé, Mémoire de

Maîtrise d’Histoire, Abidjan, Université de Cocody, 180 pages. L’étude est consacrée à

la mise en place du Kodè et la structuration politique, économique et socioculturelle de

ce sous-groupe à l’époque précoloniale. Par ailleurs, au regard du contenu de ce travail,

cette étude se limite à la période précoloniale et ne permet pas la compréhension

objective de l’histoire kodè à la période coloniale et postcoloniale.

D’autres auteurs comme Claude Timothé Weiskel1, Jean-Noël Loucou2, Pierre

Etienne3,

Pierre et Mona Etienne4, Jean-Pierre Chauveau5 et Gérard Ancey, Jean Chevassu et Jean

Michotte6 ont fourni des informations importantes sur le peuple baoulé. Leurs travaux

ont élargi nos champs de connaissances sur le Kodè concernant l’économie

traditionnelle, le régime successoral, la pratique du mariage pré-pubertaire, la 1Timothy WEISKEL, 1976, « L’histoire Socio-économique des peuples précoloniaux, problèmes et perspectives », Cahiers d’études africaines, XVI (1-2), Op. cit, pp.357-395.2Jean-Noël LOUCOU, 1985, « Note sur l'Etat baoulé précolonial », Annales de l'Université d'Abidjan, Série I, tome 13, pp. 27-59.3Pierre ETIENNE, 1968, « Les aspects ostentatoires du système économique baoulé (Côte d’Ivoire)», in Economies et Sociétés, Paris, I.S.E.A., tome II, n°4, pp. 793-817.4Pierre et Mona ETIENNE, 1971, «″A qui mieux mieux″ ou le mariage chez les Baoulé», Cahiers ORSTOM, série Sciences Humaines Vol. VIII, n°2, pp.165-186.5Jean-Pierre CHAUVEAU, 1984, «Le fer, l'outil et la monnaie: hypothèse à partir du Jede, ancien couteau à débrousser baule (Côte d'Ivoire)», Cahiers ORSTOM, série Sciences Humaines, Vol.XX, n°3-4, pp.471-484.6Gérard ANCEY, Jean CHEVASSU et Jean MICHOTTE, 1974, L'économie de l'espace rural de la région de Bouaké. Paris, ORSTOM, N°38, 251 p.

particularité de son accent très spécial et un vocabulaire en partie emprunté aux Gouro

et aux Ouan etc.

Au total, ces différents travaux ont le mérite d’élaborer des approches sur des

aspects de l’histoire du Kodè ouvrant par conséquent des perspectives de réflexion et

d’analyse. Ces approches restent tout de même assez partielles et superficielles pour

rendre compte des réalités multiples d’une histoire aussi dense que celle du Baoulé-

kodè. Rares sont ceux qui ont fait une étude historique minutieuse sur le Kodè.

L’étude de LASSAILLY Véronique- Jacob1 a une orientation géographique, se

limitant à des aspects de l’époque précoloniale de notre travail. Mais la nôtre a une

connotation historique et se penche sur la mise en place du Kodè et la structuration

politique, économique et socioculturelle de ce sous-groupe à l’époque précoloniale. En

outre, le pays kodè n’intéresse pas que les historiens. De ce point de vue, l’approche des

sciences voisines de l’histoire comme la géographie2 et la sociologie3 fut très riche. Les

nombreux articles publiés par les cahiers ORSTOM, séries sciences humaines en sont

l’illustration. Ces travaux nous ont été d’une utilité capitale.

En définitive, il manque à la plupart de ces différents travaux, l’étude spécifique sur

l’histoire du Kodè. Même si, une vue générale a été analysée chez les Baoulé, elle reste

limitée sur notre sujet d’étude.

IV- La problématique

En parcourant les différentes études sur les mouvements de migration akan de

l’époque précoloniale, on se souvient que des familles sous la direction de la Reine Abla

Pokou durent fuir le pays Ashanti pour se diriger vers l’ouest (future Côte d’Ivoire) et se

constituer en une ethnie nouvelle (Baoulé) dans les savanes du centre de l’actuelle Côte

d’Ivoire à la suite d’une querelle de succession pour éviter d’exposer ses troupes à un

1 Véronique LASSAILLY, Op.cit., 269 p.2Koffi ATTA, 1979, Diagnostic d'aménagement de la sous-préfecture de Béoumi, Abidjan, Institut de géographie tropicale, 58 p. 3Philippe SOULEZ, 1969, « Sociologie de la population scolaire en Côte d’Ivoire », Cahiers d’études africaines, Vol.IX, n°36, pp. 527-545.

désastre. La reine Pokou, épuisée par son long périple, tombe malade à Niamonou dans

le Ndranoua à une vingtaine de kilomètre de Bouaké et meurt. « Elle serait décédée vers

1730. Dès cette période, s’amorce une dispersion à Ndranoua. C’est ainsi qu’Akoua

Boni (désignée pour succéder à Abla Pokou), accompagnée d’une partie du clan royal

va créer l’établissement Walebo »1soutenus par ses chefs guerriers Nzi Akpo et Abraha

Akpo. Après la soumission ou la fuite des populations trouvées sur place, la reine et ses

hommes cherchent à s’étendre le plus loin possible vers l’ouest. Un des chefs guerriers

au service de la reine nommée Abraha Akpo, part à la suite d’une expédition militaire

vers l’ouest et crée le Kodè en annexe de Ouarebo. Soumettant ou chassant tous les

autochtones (Ouan et Gouro) qui s’y trouvent sur son passage, il s’empare rapidement

du vaste territoire qui constitue actuellement le pays kodè2 . Ce dernier constitue

l’avant-garde de la reine et reste attacher au clan royal. La reine aura recours aux Kodè

pour mater la rébellion des Sa de Salegele3. Aussi, dans son rapport adressé au

commandant au cercle du Baoulé-nord à Bouaké en 1902, le lieutenant Nodé Langlois,

adjoint au cercle écrivait que le chef Ouarebo Kouassi Dié et celui du Kodè Akpoua Dié

étaient des cousins germains. Akpoua Dié subissait l’influence de son cousin et suivait

ses conseils. Il ajoute que les Kodè sont la ligne de retrait choisi par Ouarebo en cas de

conflit avec les colonisateurs4.

Le Kodè s’est constitué, structuré et a évolué sur son site actuel. A la fin du XIXe

siècle, l’épisode ‘’Samory’’ permet aux Kodè d’acquerir de nombreux captifs réfugiés

venus du nord et fuyant vers le sud : Tagouana, Djamala ou Djimini5. Après la création

de la colonie de Côte d’Ivoire (1893), le Baoulé est ‘’ouvert’’ par le Capitaine

Marchand, mais c’est en 1902 que le Kodè fait connaissance avec une colonne

militaire. Un poste est crée à cet effet le 25 février de cette même année à Béoumi ; son

premier titulaire, le lieutenant Larçon est tué dans une embuscade au village

1René Kouamé ALLOU, « Confusion dans l’histoire des Baoulé, à propos de deux reines : Abraha Pokou et Akoua Boni », in Journal des Africanistes, Tome 73, fascicule 1, pp 137-143, P141.2 Salverte MARMIER, Etude régionale de Bouaké, tome 1, Op. cit, p.253Patrimoine, Radio-CI, Béoumi, lundi 05 juin 1995.4ANCI, 1 EE 36 (4/3), Secteur de Bouaké, rapports de reconnaissance 1902.5Véronique LASSAILLY, Op.cit., P 84.

d’Assengou, le lendemain de sa prise de fonction. Dès cet instant, le Kodè signe son

refus de voir le colonisateur français. La lutte qui s’engage est chaude. L’œuvre de

conquête s’achève en 1911 date à laquelle est créée la subdivision de Béoumi

comprenant les cantons Ouarebo, Kodè, Goli et Satikran. Marabadissa s’ajoute en

1922.

Par ailleurs, immédiatement après l’installation des Français, plusieurs ethnies en

provenance du nord de la Côte d’Ivoire et des pays voisins s’établissent à leur tour à

Béoumi. Il s’agit des Koyaka, des Mossi, des Malien, des Malinké, des Guinéen, des

Nigériens etc. Chacun est venu pour son propre compte et une fois installer a pu être

rejoint par des parents ou des amis1. Cet apport de populations étrangères (captifs et

ethnies’’nordiques ‘’) provoquent une forte croissance démographique des villages

primitifs. Mais pour des raisons de contrôle ou de maintient de l’Administration

coloniale, certains villages sont regroupés ou déplacés par voie d’autorité2. Chef-lieu de

cette grande subdivision, le pays kodè connaît son âge d’or pendant cinquante ans. En

1969, il devient un carrefour à la croisée des pistes Est-Ouest de Bouaké-Séguela,

Bouaké-Mankono et de la piste Nord-Sud de Bouaflé-Marabadiassa. Il tire l’essentiel de

ses ressources de cette position de carrefour. Mais en 1970 c’est l’effondrement avec la

création du lac de Kossou qui fait du pays véritable cul-de-sac3.

A partir de ce constat, on peut s’interroger comment se présente le pays kodè, sous-

groupe baoulé-ouarebo, de sa formation à 1970?

Répondre à cette question essentielle revient à analyser d’abord la structuration du

Kodè à l’époque précoloniale avec les questions d’installation des populations et les

différentes organisations mises en place, ensuite à l’époque coloniale et enfin la période

postcoloniale avec la construction du barrage de Kossou dans la région de

Yamoussoukro avec son corollaire d’inondation des terres et des villages kodè, de

1 Jean Marie CHEVASSU, Op.cit., 4 P.2Etienne PIERRE, ’’Etude de villages dans la région de Bouaké’, Bulletin Sciences Humaine, ORSTOM, 1965. 3Véronique LASSAILLY, Op.cit., P 85.

transfert et la réinstallation des populations sinistrées. Ainsi, ces périodes concernées

vont susciter une nouvelle donne et bouleverser l’ordre social établi.

Alors, quels impacts cela impose ?

Telles sont donc les grandes interrogations, auxquelles nous tenterons d’éclairer tout

au long de notre étude.

Les objectifs à atteindre par rapport aux questions posées par la recherche sont

relatives à l’objectif général et aux objectifs spécifiques

. Concernant les préoccupations de cette recherche, elles peuvent se résumer dans

l’objectif principal à savoir apporter notre contribution à la connaissance de l’histoire

des Baoulé kodè.

Quant aux objectifs spécifiques nous avons dégagé quelques uns :

-faire l’état des lieux et relever la formation du Kodè en ligne de retrait du clan royal

ouarebo,

-montrer l’évolution de la structuration (politique, économique, socioculturelle) du pays

kodè,

-identifier l’impact de cette structuration sur le kodè.

En fonction de nos objectifs spécifiques, nous avons formulé une hypothèse

principale. L’installation de ce sous-groupe ouarebo dans cette région centrale de la

Côte d’Ivoire suscite plusieurs répercussions, parmi lesquelles la construction d’un

groupe caractérisé par de nombreux traits particularistes par référence aux normes

baoulé. En fonction de cette hypothèse principale, nous pouvons émettre quelques

hypothèses subsidiaires :

-le processus de changement socioculturel est lié au contact avec les peuples voisins non

akan,

-la modification de la structure (politique, économique, socioculturelle) du pays kodè

par la colonisation,

-les perspectives et les propositions de développement se heurtent aux effets du barrage

de Kossou occasionnant des conséquences incalculables sur le pays kodè.

Ces différentes hypothèses feront l’objet d’une analyse minutieuse pour expliquer

objectivement l’histoire du pays kodè des origines à nos jours.

V-Sources et méthodologie

a) Sources

Les sources ont été consultées aussi bien aux Archives nationales de Côte

d’Ivoire à Abidjan, qu’à la sous préfecture de Béoumi. Aux Archives Nationales, les

répertoires nous ont permis d’inventorier la série EE relative aux affaires politiques

générales de la Côte d’Ivoire. Ainsi, l’analyse des sous- séries 1EE, 2EE et 4EE ont

donné quelques informations sur le Baoulé en général et de façon particulière sur le

peuple kodè.

D’abord, nos fouilles se sont orientées vers la monographie du cercle du Baoulé

(Baoulé-nord, de Béoumi) et le dépouillement des Archives de Bouaké, canton kodè. Ils

donnent des informations générales sur l’ensemble du pays Baoulé et en particulier sur

le pays kodè portant l’analyse sur l’historique sommaire, la description de la région,

l’organisation sociale et des informations liées à l’économie, à la religion, voire à la

coutume en pays Baoulé. Il s’agit « d’une notice sur les progrès des indigènes au Baoulé

en 1900 ».

Ensuite, dans la sous-série 1EE nous avons classé nos informations concernant le

pays kodè en deux rubriques: la sous- série 1EE28 à 33 et 1EE 36 à 39.

Au niveau de la sous- série 1EE 28 à 33, elle a abordé dans sa quasi totalité les

rapports de missions des administrateurs coloniaux du Baoulé nord. Il a été question

s’agissant de ces rapports de faire le bilan mensuel, trimestriel et annuel de la situation

sociopolitique et sécuritaire de la région d’une part et d’autre part de montrer les acquis

de l’action coloniale dans la région, de relever des informations sur des peuples voisins,

tels que les Ayaou, les Goli, les Satikran, les Ouarebo et les rapports généraux des

différents chefs de poste. Ces rapports sont transmis au Gouverneur afin de donner des

instructions sur la conduite à tenir.

Quant à la sous- série 1EE 36 à 39, elle indique dans sa majorité les rapports de

reconnaissance en pays kodè (le poste de Béoumi). Dans cette perspective, les rapports

de reconnaissance ont mentionné la totale soumission du pays kodè. Aussi le contenu de

ces reconnaissances montre-t-il l’attitude des chefs, la politique générale, les

événements survenus ou en cours.

En somme, les reconnaissances ont indiqué tous les aspects de la civilisation kodè

sans occulter la situation militaire, le tracé de la carte topographique et la description et

indication de tous les villages de la région.

La sous-série 2EE 2 à 8 aborde la situation des chefs kodè les plus influents de

révolte. Elle donne des renseignements sur les chefs de tribus, les conditions de

soumission et présente les chefs internés en Côte d’Ivoire et ceux déportés au Dahomey.

Enfin les séries 4EE 11 à 15, B, D et M sont un ensemble de correspondances et de

rapports adressés au commandant du cercle du Baoulé. Elles donnent des informations

relatives au poste de Béoumi, des recensements dans la subdivision de Béoumi, des

opérations de soumission et les questions de sécurité sur les routes.

L’analyse de cette série(EE) a ouvert des voies d’explication à notre recherche.

D’autres séries ont été exploitées. Il s’agit des séries Q à l’économie, R à l’agriculture et

KK au transport. Elles ont apporté des informations nécessaires, en vue d’équilibrer et

de renforcer nos éléments d’information sur le pays kodè.

Cependant il faut noter la dégradation très avancée de ces sources et la disparition de

plusieurs documents importants. A cela, s’ajoute notre insatisfaction dans la mesure, où

les écritures s’effritent au fil des années et il a été difficile pour nous par moments de les

déchiffrer. Toutefois pour surmonter ces difficultés, le déplacement au terroir natal

s’avèra une nécessité. Aux Archives de la Sous-préfecture de Béoumi, la situation

documentaire est désastreuse, car quelques documents coloniaux servant d’archives ont

été détruits pendant la rébellion armée de 2002. Nous nous sommes contentés de nos

notes prises en 2002 avant l’éclatement de la crise.

Le deuxième volet de notre travail dans cette rubrique de sources est relatif aux

enquêtes orales ou entretiens. A ce niveau, nous avons eu recours à l’enquête par

questionnaire et d’entretien. Cette phase de la recherche s’est déroulée sur plusieurs

années. Nous nous sommes rendu à la Sous-préfecture de Didiévi et dans certains

villages de la région tels qu’Assengou, N’gotran, Béoumi-ville, Kougounousou,

N’zueda, Solo, Mamely, Grobonou-dan, Bossi, Ouengrè, Linguèbo, Niambrun, pour ne

citer que ceux là.

Ces informations ont été décryptées à partir d’une étude de recoupement, c’est-à-

dire la vérification des faits au moyen de renseignements issus de sources différentes.

Plusieurs personnes ont été interrogées, mais nous avons retenu quelques unes, car ces

personnes avaient presque les mêmes réactions. Les informations recueillies dans ces

régions ont été bénéfiques pour la réalisation de notre travail. Au terroir natal, nous avons eu des informations portant sur les faits, tels que la

conquête du territoire et son peuplement par les Kodè, l’installation des populations non

akan, les migrations internes des Akpasoua, les différents emprunts culturels, une

chefferie kodè liée soumise au fétichisme etc. Cependant, la situation d’insécurité du

pays a été une entrave pour notre enquête orale, car de nombreux coupeurs de route

sévissaient dans la région au moment de notre enquête.

La seconde enquête est d’opinion. Elle a été menée auprès de plusieurs personnes

demeurant, aussi bien dans la région qu’à l’extérieur de la région c'est-à-dire à Abidjan

et certaines villes de l’intérieur de la Côte d’Ivoire. Ce travail a été par moments

difficile compte tenu de la réticence des interlocuteurs à répondre à des questions qui

leur paraissaient indiscrètes. Mais, il nous a permis d’être mieux informé sur les réalités

du pays kodè : le changement socioculturel, l’avènement de l’école, le déplacement de

certaines populations hors de leur terroir d’origine etc. Cette enquête d’opinion a été

complétée par un guide d’entretien et quelques transcriptions de l’enquête orale sur les

Kodè (voir annexe).

a) Méthode d’étude

Pour mener à bien notre étude, nous avons utilisé l’approche historique,

sociologique et économique.

Concernant l’approche historique, elle a été indispensable. Ainsi, pour collecter les

informations de cette étude, nous avons eu recours à deux types de recherches. La

recherche documentaire et les enquêtes orales à caractère qualitatif. La recherche

documentaire se compose de documents généraux, spécialisés, cartographiques,

statistiques.

Concernant les documents généraux, ils ont été l’objet de recherche dans les

bibliothèques, en prenant connaissance des dictionnaires, des encyclopédies, des

ouvrages généraux, des thèses, des mémoires et des articles. A la lecture de ces

documents, nous avons regroupé les informations selon des centres d’intérêts, en

appliquant la méthode scientifique de l’histoire. Cette méthode nous a permis d’obtenir

des éléments d’information fiables. Ainsi, dans le cadre de la collecte d’informations,

nous avons eu recours à une documentation portant sur les notions qui ont trait à

l’histoire du pays kodè dans tous les domaines. Nous avons d’abord cherché à collecter

puis analyser les faits historiques au niveau politique, économiques, social et culturels.

En outre, ces documents colletés ont été regroupés en centres d’intérêt, puis soumis à

une rigoureuse analyse. Cette analyse a fourni des informations certaines, suite à des

critères liés aux objectifs de notre étude. Ensuite, les documents analysés ont été

soumis à une critique à partir de la forme et du fond. Cette opération nous permettait de

vérifier l’authenticité des faits.

Enfin, pour aboutir à la synthèse, nous avons mené l’étude, qui consiste à

l’interprétation des informations. Cette méthode a donné la signification des faits, après

avoir comparé et tiré des conclusions. Toujours dans l’approche historique, nous avons

eu recours à l’enquête qui est ici « une démarche méthodologique de recherche » selon

Paul N’da1. A cet effet, nous avons opté pour l’enquête qualitative en sélectionnant nos

narrateurs qui doivent s’exprimer de façon libre et approfondie sur des expériences

vécues, sur les phénomènes les concernant. Ainsi, nous avons opéré le choix raisonné en

nous appuyant sur des villages cibles et des personnes, susceptibles de détenir les

informations recherchées et plus fiables.

Cependant, le travail effectué à ce niveau n’a pas donné de résultats escomptés.

Aucun écrit véritable sur l’histoire du Kodè n’a été consulté.

1Paul N’DA, 2000, Méthodologie de la recherche, de la problématique à la discussion des résultats, Abidjan, PUCI, p.19.

S’agissant des ouvrages spécialisés, nous n’avons obtenu aucun ouvrage dans les

différents centres de documentation. Rappelons que les rares documents sur le Kodè

ne sont pas des documents d’histoire. Les apports des autres sciences ont été

considérables.

Concernant les documents cartographiques et les données statistiques, la démarche

géographique nous a permis de déchiffrer les donnés nécessaires à notre travail. Sa

méthode liée à l’observation, localisation, description, explication et comparaison a été

d’une importance capitale dans la réalisation de ce travail. Et, c’est à partir de cette

démarche que nous avons pu utiliser les cartes et informations pour notre étude. Il

s’agit entre autres, de la carte des entités administratives de la Côte d’Ivoire coloniale et

indépendante, des subdivisions où nous avons extrait le pays baoulé pour préciser la

situation géographique de l’espace kodè, de la sous-préfecture de Béoumi après la

construction de barrage de Kossou. En effet, celles-ci nous ont permis de constater que

l’espace kodè actuel a subi une modification. Par ailleurs, de nombreuses cartes

indiquent la réorganisation du cercle baoulé. En 1902, le poste de Béoumi est baptisé

Fort-Larçon en hommage au premier titulaire, le lieutenant Larçon tué lors de sa prise

de fonction et surveillera les cantons Kodè, Satikran et Goli. Béoumi devient une

subdivision en 1911 comprenant les cantons Ouarebo, Kodè, Goli, Satikran. A cela

s’ajoute la réorganisation des subdivisions dans le cercle baoulé en 1922. Ainsi,

Marabadiassa fut rattaché sous l’autorité de l’administrateur en chef à la subdivision de

Béoumi.

Aussi avions-nous utilisé et réalisé plusieurs cartes à partir d’Atlas Côte d’Ivoire.

Ces cartes indiquent les éléments physiques de la région kodè dans sa totalité, les divers

sous-groupes sans ignorer la carte, montrant le processus de migration interne et

d’immigration.

En ce qui concerne les données statistiques, elles proviennent des Archives

Nationales de Côte d’Ivoire (ANCI) avec les chiffres du recensement de la population

par canton ou subdivision de 1942, 1946 et 1949 et de l’Institut National de Statistique

(INS). Ces données nous ont aidées à connaître l’évolution de la population kodè, mais

aussi quelques données sur la part des impôts et autres aspects particuliers de la vie

politique, pendant la colonisation.

En outre, comme nous voulons traiter la question kodè sur tous les aspects, nous

avons eu recours à l’histoire économique. L’histoire économique est une spécialité de

l’histoire qui étudie l’évolution de l’économie. Elle recense les faits économiques, les

ordonne et propose une interprétation aux moyens des théories économiques. La théorie

économique appropriée selon John Mill1 est la « conception empiriste », ce qui implique

que le raisonnement doit être nécessairement d’origine empirique et inductive2.

Cependant, dans le cadre de notre travail, qui concerne une science sociale, ayant une

spécificité liée à l’impossibilité de mener des expériences, nous avons eu recours à la

méthode déductive.3 C’est ainsi que des données chiffrées des productions, des tableaux

statistiques ont été utilisés dans cette logique pour être interprétés et se faire une idée de

la portée économique.

S’agissant de la démarche sociologique, elle nous a conduit à un examen

rationnel des faits sociaux. En effet, elle a fait une analyse minutieuse du changement

socioculturel du kodè. Ainsi, un peuple sorti du ouarebo, amorce une changement

généralisé dans le temps. Ce changement est en parti lié au contact des peuples non akan

trouvés sur place. C’est pour cette raison que la sociologie du changement social justifie

sa nécessité. Elle souligne que l’étude du changement au sein de la société est

principalement orientée vers les transformations des structures sociales dans le temps4.

C’est pourquoi, dans l’optique de « reconnaître, de nommer, de découvrir, de décrire,

les variantes et les relations découvertes et par là de comprendre une réalité sociale

complexe et mal connue5 ».

La méthode qualitative s’avère très importante dans notre étude. En effet, nous

avons basé notre recherche sur des entretiens, des opinions. Ici, nous avons opéré le

1 John Stuart MILL est un économiste anglais.2 La méthode inductive est la méthode, qui consiste à produire des généralisations à partir des données spécifiques, en d’autres termes, les scientifiques doivent nécessairement leur axiome et postulats de généralisation partant de l’observation. 3 Elle consiste à partir des prémisses données et d’en faire découler des conclusions logiques.4 Janine BREMOND, Dictionnaire économique et sociale, op.cit, p.59.5 Paul N’DA, op.cit.p.73

choix raisonné en mettant l’accent sur des grosses localités rurales ou des chefs-lieux de

sous-groupes et des personnes capables de nous fournir les informations recherchées. Il

s’agit des personnes du troisième âge et des personnes intellectuelles, dont la qualité des

informations pouvait nous permettre de comprendre l’histoire du Kodè. C’est ainsi, que

nous avons choisi plusieurs villages de la région en tenant compte de leur ancienneté.

N’gotan, parce qu’il est le chef-lieu de l’Akpasoua Akamiaossou, Béoumi, parce qu’elle

est le siège de la chefferie traditionnelle kodè et chef-lieu de l’Akpasoua Wawanouan,

Linguèbo, chef-lieu de l’Akpasoua Ahougnasou, Ouengrè (village gouro assimilé),

chef-lieu de l’Akpasoua Fari, Mamely, chef-lieu de l’Akpasoua de Dieviessou et

Niambrun, chef-lieu de Niambrun. En effet, elle nous laisse l’initiative de choisir les

individus à partir des critères définis susceptibles de donner une bonne représentativité.

Nous avons ciblé deux groupes de populations (la chefferie et les personnes ordinaires

en raison de la présence de quelques vieillards). La chefferie car nous nous sommes dits

que quelqu’un ne peut pas être chef de village sans une petite notion de l’histoire de sa

localité.

Aussi, la population urbaine, à cause des personnes intellectuelles natives de la région

pouvant mémoriser des pans importants de leur histoire. Tout ceci dans l’optique,

d’avoir des informations non seulement sur les localités citées, mais aussi des

informations sur l’ensemble de la région. Cette méthode nous a permis de mieux cerner

l’histoire du pays kodè.

Le traitement des informations issues des recherches documentaires et des informations

sur le terrain nous permettent d’aboutir à des résultats qui s’articulent autour de trois

principaux axes.

VII- Plan du travail

Première partie : Le Kodè à l’époque précoloniale 1740 à 1902

Dans cette partie, notre analyse portera sur trois chapitres :

- espace et peuplement du Kodè (1740-1860)

- organisation politique de l’espace kodè

- l’organisation économique et socio-culturelle

Deuxième partie : Le Kodè sous la colonisation 1902-1960.

Il s’agit dans cette deuxième partie de mettre, l’accent sur les changements opérés

pendant la période coloniale. Pour ce faire elle comportera trois chapitres :

- la conquête coloniale française dans le pays kodè

- l’organisation du pays kodè à la fin de la conquête coloniale,

- l’impact de la présence française sur le Kodè.

Troisième partie : Le pays kodè dans la première décennie de l’indépendance de la

Côte d’Ivoire 1960-1970.

Cette dernière partie s’articule autour des axes suivants :

- l’évolution politique et socio-culturelle du Kodè,

- évolution économique et les mouvements de populations

- le pays kodè et la construction du barrage de Kossou.

PREMIERE PARTIE

LE PAYS KODE A L’EPOQUE

PRECOLONIALE (1735 -1902)

Le pays baoulé, région située au centre de la Côte d’Ivoire, s’étend sur 35 700 km2,

soit 11% de la superficie du territoire national. C’est un espace de milliers de localités

disséminées dans un environnement naturel.

Le Baoulé est l’un des peuples de Côte d’Ivoire dont la formation est relativement

des plus récentes, car ayant eu lieu pratiquement entre le XVIIIe et le XIXe siècle. La

gestation du peuple baoulé prend véritablement forme avec la migration assabou sous la

direction de la reine Abla Pokou. Le caractère récent et la diversité du peuplement ont

conféré à l’organisation sociale des traits originaux. L’unité politique de tous les Baoulé

s’est réalisée au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Elle s’est matérialisée sous

la forme d’une confédération de Nvlé dont les chefs reconnaissaient l’autorité suprême

de la reine Akoua Boni, héritière de la reine Abla Pokou.

L’origine du Kodè s’inscrit dans cette perspective d’expansion des Baoulé. Sur le

territoire occupé actuellement par le Kodè, étaient installés des chasseurs gouro et les

populations ouan. Celles-ci sont refoulées ou comprimées sur la rive droite du Bandama

dans un espace très restreint. Les populations qui résistent sont vite assimilées et

intégrées aux populations kodè. Ainsi, plusieurs localités sont conquises par les

nouveaux venus tout comme les autochtones. Mais à la fin du XIXe, la région kodè

reçoit l’immigration d’autres populations.

Une fois installés sur leur nouveau site, les Kodè, consolident leur structure politique

en suivant les réalités du monde ashanti. Une cohésion se fait autour d’Abraha Akpo,

premier ancêtre kodè et ses successeurs immédiats. Mais le pouvoir politique central

avec le royaume ouarebo ne résistera pas longtemps car dans la première moitié du

XIXe siècle, on assiste à son déclin.

Il est fort probable qu’à cette même période, le Baoulé dans son ensemble soit

davantage dans l’orbite économique du Nord et du Nord-est1. Et le Kodè n’échappe pas

à cette économie quant bien même qu’elle est basée sur le travail de la terre c’est-à-dire 1Jean-Pierre CHAUVEAU, 1976, « Note sur les échanges dans le Baule précolonial », in Cahiers d’études africaines, Vol.16, n°63-64, pp.567-602.

sur l’agriculture. La terre, un bien sacré et collectif est recherchée. Elle a donc une

valeur économique. Le développement de cette économie a été aussi possible grâce à

l’unité du peuple kodè qui se manifestait par la langue et le lien de parenté.

Si dans le domaine politique, les Kodè réussissent la continuité du pouvoir ashanti,

ce n’est pas le cas au niveau social et culturel où ils subissent une forte colonisation de

leurs voisins qu’ils ont intégrés ou repoussés. Ainsi, les Kodè établissent une

organisation sociale et culturelle qui fut peu différente des structures baoulé.

C’est dans ce contexte, que se sont installées les populations que nous étudions dans

leur espace à l’époque précoloniale, un espace favorable à l’établissement des hommes

à une période riche en événements politiques, sociaux et économiques. Cette première

partie de notre étude couvre la période qui se situe avant l’ère coloniale, c’est-à-dire de

l’arrivée des Baoulé assabou jusqu’à la veille de la pénétration française dans la région

en 1902.

Chapitre premier : ESPACE ET PEUPLEMENT DU KODE (1735-1902)

Situé à l’ouest du pays baoulé, en bordure du fleuve Bandama, le pays kodè s’étend

sur une superficie de 1 750 km2. Etudier cet espace et son peuplement revient donc à

montrer un site favorable à l’établissement des peuples qui a connu un peuplement

antérieur à l’avènement du Kodè dont il convient de présenter les peuples qui sont

auteurs. L’accent sera également mis sur les origines et une étude détaillée à propos de

la fondation des localités du pays kodè.

I. ESPACE ET PEUPLEMENT PRE-KODE

Le mécanisme du peuplement ancien du territoire baoulé a été l’objet de plusieurs

études. Il s’agit entre autres de l’étude régionale de Bouaké avec ses travaux consacrés

au peuplement1.

La région kodè, contrairement à celle de Bouaké, a connu peu de groupes

d’immigrants. Les premiers habitants que l’on puisse ainsi identifier d’une façon

certaine sont les Gouro et les Ouan. Mais avant d’y arriver, analysons le milieu

géographique du pays kodè.

1) Le milieu géographique du pays kodè

La région centre constitue une zone de transition entre les zones forestières du

sud et les grandes savanes qui commencent à se dégager après Bouaké et qui annoncent

déjà les paysages soudaniens où les essences ligneuses cèdent le pas aux formations

herbacées. Dans son ensemble, c’est un paysage de savane caractérisé par l’alternance

de petits massifs boisés et de forêts galeries.

La région kodè n’échappe pas à ce milieu physique qui constitue pour lui, l’un

des facteurs déterminants qui ont favorisé l’établissement des populations sur ce site.

Elle bénéficie d’un climat tropical (chaud et humide) et des sols ferrugineux des savanes

associés aux sols latéritiques de la forêt propices à l’agriculture. Aussi, le site est-il

1Philippe SALVERTE-MARMIER, 1965, Etude Régionale de Bouaké, Tome 1, le peuplement, op. cit., pp. 15-18.

marqué par des formes spécifiques d’un relief de plateaux et d’un réseau

hydrographique dense.

Pour ce qui est du relief, il est très peu accidenté et faiblement ondulé avec des

plateaux et de longs versants à pente variables avec de nombreux cours d’eau dont la

plupart tarissent complètement en saison sèche. Le pays est presque plat.

Du point de vue du climat, le pays kodè est situé dans une zone climatique dite

guinéenne forestière et plus particulièrement dans la zone du sous-climat baouléen. Il

est considéré comme un climat équatorial de transition à nuance sèche assurant le

passage entre les climats équatoriaux du sud et ceux tropicaux du Nord. La température

est peu variable et oscille faiblement autour de la moyenne qui est de 26°C. La

pluviométrie moyenne annuelle est de 1200 mm, repartie sur quatre petites saisons: une

première saison des pluies de mars à juin; une petite saison sèche de juillet à août; une

deuxième saison des pluies de septembre à octobre et une grande saison sèche de

novembre à février ;

Pour le paysan kodè, l’année est découpée en deux grandes saisons: wawa1( la

saison sèche), qui va sensiblement de novembre à mars, et mougu (la saison des pluies)

qui va de mars à avril et octobre à novembre2. Depuis quelques années ces données

climatologiques semblent profondément modifiées. Ainsi, le climat nous permet de

mentionner sans trop entrer dans des considérations scientifiques les différents types de

saisons très largement connus des masses paysannes qui les exploitent méthodiquement

pour toutes leurs productions primaires: agricultures, cueillettes, chasses, ramassages

etc.

Etant donné la longue sécheresse avec son cortège d’harmattan, vent venant des

1Wawa désignerait aussi l’harmattan qui est une divinité adorée par les Kodè d’Assézé, village situé à environ un kilomètre de Béoumi. La tradition raconte que les adorateurs de cette divinité ne consomment pas d’eau durant toute la durée de l’harmattan. Le jour où ils en consommeraient, ce jour là l’harmattan diminuerait d’intensité.2Pierre ETIENNE, 1968, « Les Baoulé et le temps », Cahiers ORSTOM, Série Sciences Humaines, Vol.V, n°3, p.20.

contrées sahéliennes, accompagné de brume de poussière, les sols n’ont à peu près

aucune réserve d’humidité. Le très faible nombre de chutes de pluie et le fait que

chacune n’agit que sur une zone réduite mettent en évidence la probabilité élevée que

sur la région une quantité adéquate de pluie ne tombe pas aux périodes souhaitables.

La végétation est très variée, véritable mosaïque d’îlots forestiers et de savanes

arbustives ou herbeuses entrelacées de galerie forestière1. C’est donc un milieu naturel

compartimenté. Il se caractérise par des lanières forestières le long des artères fluviales

présentant de grands rideaux de verdure qui masquent la vue, ainsi que de nombreux

ilots qui deviennent très dense et prennent plus d’étendue vers le Sud auxquelles

succèdent vers l’Est des savanes plus ou moins arborées. Sur ce fond, se détache la

plaine alluviale de Béoumi. La végétation, faite de savane, a permis une attraction

humaine. Elle est un excellent refuge pour les peuples. En effet, à l’approche d’un

danger, les peuples pouvaient à distance le percevoir à cause des herbes, des boqueteaux

et galeries forestières. Aussi les individus avaient-ils la facilité de disparaître et

d’échapper à leurs ennemis éventuels2. C’est un abri sûr qui permet d’être en sécurité.

Un autre élément qui a permis aux peuples de s’établir dans le Kodè, c’est le fait

que cette région ait été autrefois beaucoup plus giboyeuse3 que les régions forestières

qui les bordent.

En plus de ces facteurs, le sol et l’hydrographie dans le Kodè ont favorisé

également l’établissement des peuples.

Les sols ferrugineux tropicaux des savanes et latéritiques de la forêt sont à la fois

les deux composantes du pays kodè. Ces sols argileux sont propices à l’agriculture. De

ce fait, ils sont abondamment pourvus en végétaux utiles qui offrent une riche gamme

1Véronique LASSAILLY-JACOB, 1984, « Charge de population en question: colonisation planifiée des rives du lac de Kossou en Côte d’Ivoire », Paris, ORSTOM, (106), p.405. 2Philippe SALVERTE-MARMIER, op. cit. P.113Notre interlocuteur N’Guessan Kouadio, chef de Konsou, rapporte que le premier ancêtre Kodè (Abraha Akpo) a été motivé par le site giboyeux. Celui-ci venait chaque fois chasser sur ce site et fit une cabane où il séchait ses gibiers. Un jour, il rencontra des Gouro et fit l’amitié avec eux. Il s’installa par la suite à cause des nouveaux liens d’amitié qu’il venait d’établir.

de possibilités à l’homme pour son alimentation et sa survie. On y rencontre une facilité

relative des travaux de défrichement et de labour. Le rendement des cultures, en

particulier des tubercules y est plus intéressant que dans les savanes du Nord. Pour Yao

Koffi Patric1, l’une des raisons fondamentales de l’installation des hommes de la reine

Akoua Boni sur l’espace du futur kodè fut la fertilité du sol surtout que les ancêtres

kodè ne voulaient pas traverser le Bandama. La nature des sols et la pluviométrie sont

favorables à divers types de cultures: igname, café, coton, riz, arachide, ouré-ouré,

manioc, tabac.

Quant au réseau hydrographique, il est dense et représenté par le Bandama blanc

qui coule presque du nord au sud et aussi l’affluent « Kan » qui sillonne principalement

le pays kodè et se jette sur la rive droite du Bandama. Ces cours d’eau sont alimentés

eux-mêmes par de nombreux marigots dont la plupart tarisse complètement en saison

sèche.

En définitive, nous pouvons noter que la région kodè est une zone dominée par une

platitude située en plein centre de la Côte d’Ivoire. Les caractéristiques géographiques

(relief, climat, végétation, hydrographie) du milieu ont constitué l’une des raisons

fondamentales du choix du site (raison de sécurité car fuyant la guerre depuis l’Ashanti

et raison économique c’est-à-dire avoir un espace vaste pour pratiquer l’agriculture et

faire la chasse). Ces faits historiques ont joué un rôle important dans la mise en place

des peuples du pays kodè.

2) Le peuplement pré-kodè : un site anciennement occupé

Avant l’arrivée des Assabou, le pays kodè était habité par de petits groupes

1Patrice Koffi YAO (61 ans), Conseiller pédagogique et petit-fils agoua, entretien semi-directif du 02 septembre 2002 à Tounzuébo, thème : histoire générale du Kodè, durée : 4h

d’individus. Les habitants que l’on a pu ainsi identifier d’une façon certaine pendant

l’enquête orale sont les Mamnigui et les Zogbé d’origine gouro et ouan.

Les Mamnigui d’origine gouro sont des Mandé du sud. Leur histoire remonterait

jusqu’au XIIe siècle. Selon les traditions orales, les Gouro seraient partis de la boucle du

Niger en transitant par la région de la Volta. Le début de cette migration remonte au

XVe siècle. Ils cohabitaient en parfaite harmonie avec les Sénoufo, les Djimini, les

Djamala venus par la suite occuper le site. En effet, suite à une première migration d’Est

en Ouest, les Gouro se fixèrent d’abord au nord-ouest de Séguéla. Sous la pression des

Malinké pour des raisons économiques, sociales et démographiques, ces Gouro se

déplacent vers les zones forestières où ils cohabitent temporairement avec les Dan;

ensuite, ils franchissent le fleuve Bandama et s’étendent dans la région de Bouaké1.

Chasseurs et nomades, les Gouro fondent de nombreux campements dans la région entre

le Bandam et le N’zi. Les Mamnigui qui s’implantent dans le pays kodè, sur la rive

gauche étaient à la poursuite de gibier. C’est pour cette raison que nanan Attoungbré

Kouadio Jean2, ancien chef canton, soutient que les Gouro sont les premiers habitants de

la région kodè. L’autochtonie Gouro est attestée par tous nos informateurs lors de

l’enquête orale. Les villages fondés par ceux-ci et qui existent encore aujourd’hui sont:

Solo, Ouengrè, Dekreta et Mamely.

Le chef de Ouengè, nanan Yocoly Kouamé3, que nous avons rencontré, a confirmé

que leurs ancêtres sont des Gouro. Selon lui, la terre sur laquelle vivent les Kodè leur

appartient. Ce sont d’ailleurs leurs ancêtres qui ont reçu à installer les Kodè en leur

cédant des terres de cultures. La même confirmation nous a été donnée à Mamely. Selon

Kouamé Zouzou Laurent, ″nos ancêtres ont des parents à Gousankro appelé Mamnigui.

C’est pourquoi notre village se nomme Mamely. Lorsque les Baoulé venaient, nous

1Jean-Noël LOUCOU, 1984, Histoire de la Côte d’Ivoire, tome 1: la formation des peuples, Abidjan, CEDA, p.70.2 Patrimoine, Radio Côte d’Ivoire, Béoumi, Baoulé-kodè, déjà cité.3Kouamé YOCOLY, 72 ans, paysan et chef du village Ouengrè, entretien directif à caractère public obtenu le 13 septembre 2015 à Ouengrè, thème : origine et éclatement du village Ouengè d’origine gouro, durée : 45mn

étions sur ce site. Mais, nous avons eu peur de leur nombre et certains de nos parents

sont allés se refugiés en pays gouro″1.

Ces différents villages peuvent s’observer sur la carte n° 2. Ces populations qui

s’implantent dans le pays kodè sont assimilées et intégrées aux nouveaux venus, suite à

l’immigration baoulé au XVIIIe siècle dans la région. L’autochtonie des Mamnigui est

également attestée par le rôle de propriétaire terrien qu’ils jouent dans le Kodè. Ce sont

elles qui règlent les affaires concernant les querelles de terre. Jusqu’aujourd’hui, ce rôle

leur est encore dévolu.

Nous ne saurions nous limiter au seul exemple des villages existants encore. Un

autre récit émanent de Kouadio Do Mathieu2 révèle la présence des Gouro dans les

parages de la rive gauche du Bandama. Selon notre informateur, le village de ses

ancêtres, Ploplonou, actuel Linguêbo est situé au bord du Bandama. Des Gouro

continuellement hostiles menaçaient les femmes kodè qui allaient chercher l’eau au

marigot. Les guerriers kodè décidèrent de guerroyer contre eux jusqu’à ce qu’ils aient

passés le fleuve pour se fixer définitivement sur la rive droite, là où vivent présentement

les Gouro de Gohitafla.

Ces récits montrent bien que les Gouro ont cohabité avec les Baoulé-kodè et que

c’est par manque d’une armée imposante qu’ils ont dû traverser le Bandama pour

occuper la rive droite.

Nous ne parlerons pas ici des familles gouro revenues s’installer sur leur ancien site

après leur fuite suite à l’envahissement de leur région par les Baoulé dans la première

moitié du XVIIIe siècle. Nous avons jugé opportun d’aborder cette question dans la

fondation des localités du pays kodè.

1Laurent Zouzou KOUAME, 60 ans, paysan et chef d’Awlobo, entretien directif à caractère public obtenu le 14 septembre 2015 à Memely, thème : origine, assimilation et peuplement, durée : 40mn2Mathieu Do KOUADIO, 46 ans, planteur et chef de village de Linguêbo, entretien directif à caractère public du 13 septembre 2015, thème: origine et peuplement de l’Akpasoua Ahougnansou, durée : 1h04mn

Par ailleurs, nous pouvons relever que ces autochtones gouro étaient organisés au

plan social et politique car ils vivaient en famille et en village. L’existence des villages

cités plus haut justifie cette organisation qui d’ailleurs influencera fortement

l’organisation sociale du Kodè.

Après les Mamnigui, on note la présence des Zogbé d’origine ouan dans l’espace de

notre étude.

Les Zogbé sont des Ouan ou Ngwanu, issus de l’union des Malinké et des Gouro

dans la région de Bouaké. Les traditions orales révèlent que l’autochtonie des Ouan

serait issu de trois régions de l’actuelle Côte d’Ivoire: le Bas-Cavally dans le sud-ouest,

l’Ano dans le centre-est et le pays gouro dans le centre-ouest. En fait, les Ouan se

divisent en deux sous-groupes: les Kenmou et les Myamou. Le sous-groupe Myamou

s’implante à l’est du Bandama autour de Kounahiri tandis que les Kenmou se localisent

autour de Béoumi1. Il semble que c’est vers le milieu du XVI e siècle que des familles

appartenant à ce groupe ont franchi le Bandama aux environs de Béoumi et ont essaimé

dans le Kodè. Leurs descendants occupent aujourd’hui plusieurs villages sur la rive

droite du fleuve bandama dont Blipa, Boyaopla, Foutounou, Ouélégo et Siapla que nous

pouvons observer sur la carte n°2. Dans l’ensemble, les Zogbé restent sur cette rive du

fleuve qu’ils partagent avec les villages kodè situés au nord.

Ces populations ont marqué de leur empreinte l’histoire primitive du Kodè. C’est le

lieu de signaler les échanges de biens de prestiges, des biens culturels et esthétiques2

que nous verrons au troisième chapitre.

Il ressort de tout ce qui précède que le pays kodè a été anciennement occupé par les

Mamnigui d’origine gouro au XIIe siècle suivis des siècles plus tard des Zogbé

d’origine Ouan issus du métissage des Malinké et des Gouro du nord.

Le cas sénoufo, évoqué par tous les documents comme l’un des plus anciens de la

région baoulé en général, n’a pas été confirmé par nos informateurs sur le terrain. Il est 1 Jean-Noël LOUCOU, op. cit. , p. 662 Idem, Ibid., pp. 127-130.

fort probable que ce peuple se soit installé dans la région de notre étude, mais il n’a pas

marqué de son empreinte l’histoire kodè. C’est pourquoi les populations ne se

souviennent plus de leurs traces.

Ce mouvement migratoire de peuplement s’est poursuivi jusqu’au XVIIIe siècle où

l’on note une autre invasion dans la région qui sera plus tard celle du Kodè.

CARTE N°2 : LE

PEUPLEMENT

PRE- KODER

II. FORMATION DU KODE (1735-1780)

La formation du Kodè se situe dans le contexte d’extension du pays baoulé

commencé sous le règne de la reine Akoua Boni à partir du Ndranouan. Les

déplacements et la redistribution des populations assabou débutent dans le pays kodè,

de la première moitié du XVIIIe siècle pour s’achever dans la deuxième moitié du XIXe

siècle. Ils sont marqués par une grande mobilité dans l’occupation de l’espace habité.

Ainsi, le Kodè est une faction des Baoulé assabou qui s’est installé à l’ouest du Ouarebo

avec pour mission d’étendre le territoire baoulé et veiller à la sécurité de la reine.

1) Les Kodè, une faction des Baoulé assabou

Etudier l’origine du Kodè, c’est poser le problème de la genèse de ce sous-groupe.

Sous cet angle, le Kodè est issu de la consolidation du Ouarebo.

a) Les origines ouarebo

Ouarebo est le groupe-mère de tous les Baoulé assabou à cause du lien de parenté

entretenu par la reine Pokou et ses successeurs. Son origine et son émergence

s’effectuent dans le cadre de la recherche des terres cultivables pour tous. Cette quête de

terre vierge confère ainsi des responsabilités nouvelles à un personnage en occurrence le

chasseur. En effet, il est l’homme de la brousse et à ce titre, il se révèle aussi capable

d’initiative et d’innovation. A Niamonou dans le Ndranouan, c’est un chasseur qui,

envoyé en reconnaissance de terre vers l’ouest, indiqua la présence de terres fertiles. A

la recherche donc de terres fertiles mais surtout de lieux paisibles sur ce nouveau

territoire, la reine et ses hommes après plusieurs escales et conquête, quittent

Ndranouan. Ils se fixent près de la rivière Loka et fondent Ouarebo (sous l’arbre walè)

qui devient par la suite le groupe issu de la famille royale assabou: les Agoua1 où le

trône fut définitivement installé.

1 Philippe SALVERTE-MARMIER, op.cit. , p.27.

Les populations de Ouarebo occupent le centre de la Côte d’Ivoire actuelle, à

l’ouest de Bouaké. Elles s’étendent depuis Dohoum près de Bouaké jusqu’aux affluents

du Bandama (la Loka et le Kan). Aujourd’hui, sa capitale est Sakassou, entre Béoumi au

nord et Tiébissou au sud. Le peuplement ancien de cette partie du territoire baoulé était

composé de Gouro, Krobu, Koro et d’Alanguira pour ne citer que les plus importants.

Ces divers groupes sont assimilés ou repoussés grâce à la puissance de l’armée des

hommes de la reine dirigée par son frère Abraha Akpo. Celui-ci était le chef de guerre

du groupe, et vivait en bonne intelligence avec sa sœur. Selon notre informateur Yao

Koffi Patrice1 Abraha Akpo jouait le rôle d’éclaireur en tant que guerrier. Ce fut lui qui

déblayait le passage lors de la migration assabou.

Par ailleurs, il semble que l’établissement des Agoua sur leur site n’a pas été aussi

pacifique comme le prétendent les traditions orales. Il eu des luttes et des conflits armés

(cas de la guerre contre les Gouro) qui obligeaient les plus faibles à s’installer dans

d’autres espaces.

Après la soumission ou la fuite des Alinguira, les Assabou cherchèrent à s’étendre

le plus loin possible vers l’ouest. Un proche parent de la reine, nommé Abraha Akpo,

partit à la tête d’un groupe de guerriers vers Béoumi. Soumettant ou chassant tous les

autochtones qui se trouvaient sur son passage, il s’empara rapidement du vaste territoire

qui constitue actuellement le pays kodè. Certains hommes de sa suite franchirent même

le Bandama et s’aventurèrent très loin à l’intérieur du pays ouan2.

b) L’expédition militaire d’Abraha Akpo et ses conséquences

L’histoire de la fondation du Kodè préoccupe énormément toute personne de cette

localité. Lorsque vous vous présentez à elle pour une enquête relative à ce sujet, elle

s’empresse de vous donner avec fermeté et passion le nom du fondateur du site. Elle est

l’œuvre d’Abraha Akpo, frère de la reine Abla Pokou. A partir de Sakassou, Akpo

conduit des Agoua à la recherche de terres vers le nord-ouest. La tradition orale dit que

1 Patrice Koffi YAO, Entretien semi-directif du 02 septembre 2002 à Tounzuébo, déjà cité.2 Philippe SALVERTE-MARMIER, op.cit. , p.27.

ces derniers rencontrèrent dans leur prospection des populations dans un village jouant à

l’awalé. Les populations que les Agoua rencontrent sur le site du futur kodè pourraient

être des Gouro issus de l’ancien peuplement. Le support de leur awalé était une peau de

panthère et les grains étaient en or, ce qui montre leur puissance et leur richesse. La

nouvelle fut vite portée à la connaissance de la reine Akoua Boni qui ordonna à son

frère de les chasser. Aussitôt dit, aussitôt fait. Certaines populations traversèrent le

Bandama tandis que d’autres se mettaient sous la tutelle des hommes d’Akpo.

L’ordre donné par la reine à son frère Abraha Akpo, d’aller vite chasser ou

repousser les ennemis et de revenir aussitôt, connait des variantes plus ou moins

écartées les unes des autres.

Selon Attoungbré Kouadio Jean, ancien chef canton, la reine aurait tout simplement

dit ″Ko-dè″ qui signifie ″va vite″ les chasser ; ce qui donna par la suite l’appellation

kodè à toute la région1. C’est à juste titre que les Baoulé qui s’installent dans cette

localité prirent le surnom kodè.

Pour d’autres gardiens de la tradition orale, en mettant en mission son frère d’aller

vite vers le nord conquérir de nouveaux espaces afin d’élargir les limites du royaume en

vue d’une meilleure sécurisation, la reine Akoua Boni lui aurait aussi recommandé de

revenir vite pour sa protection en lui donnant l’ordre en ces termes en langue baoulé:

″kondè bla n’dè″ qui signifie ″va vite et reviens″. Une expression qui serait à l’origine

du nom Kodè.

Il semble que l’installation d’Akpo et de ses hommes sur le nouvel espace ait

commencé à partir de 1735. Le choix de cette date s’explique par plusieurs indices:

c’est à partir de 1730 que débute la diffusion des hommes à partir de Ndranouan dans

les savanes du centre. Or les Ngban sont accueillis à Ouarebo autour de 1735 par la

reine Akoua Boni2 ; ce qui signifie qu’entre ces deux dates, le Ouarebo a pu être fondé.

1Patrimoine, Radio Côte d’Ivoire, Béoumi, Baoulé-kodè, déjà cité 2René Kouamé Allou, op.cit., Thèse pour le doctorat d’Etat, p. 740.

Par conséquent, nous estimons que le souci d’extension prôné dès le début a pu donner

autour de 1735, le Kodè.

Mais quelles sont les raisons fondamentales de cette installation des hommes de la

reine sur ce site ?

Les raisons fondamentales de l’établissement d’Abraha Akpo et ses hommes sont

entre autres les raisons sécuritaires car fuyant la guerre depuis l’Ashanti et les raisons

économiques qui consistent à avoir un espace vaste pour pratiquer l’agriculture et la

chasse. La savane arborée du pays kodè que trouvèrent les Agoua au bord du Bandama

est un biotope comparable à celui des environs de Koumassi. Elle était déjà en partie

occupée par de petits groupes de chasseurs gouro. Le premier soin des Agoua venus de

Ouarebo fut de chasser ou d’imposer leur hégémonie à ces populations éparses afin de

conserver autour d’eux, le plus grand nombre de siens possible car les conditions de

survie, dans une nature encore peu humanisée de ses proches, dépendaient largement de

la densité du groupe.

En définitive, après la fondation de Ouarebo, le nommé Abraha Akpo, s’installe

avec des Agoua vers l’ouest. Ils soumettent ou chassent tous les autochtones et fondent

le groupe kodè de statut patrilinéaire par la force des choses.

2) De l’installation d’Abraha Akpo

Les déplacements et redistribution de populations dans de nouvelles agglomérations

furent fréquents à l’intérieur du territoire kodè. Ces mouvements ont été d’une ampleur

telle qu’aucun des plus anciens villages n’existe de nos jours dans son emplacement

premier. Dans notre cas, il est question d’analyser l’établissement d’Abraha Akpo sur

des différents sites à travers Akpokro en passant par Boflôlô puis Béoumi.

a) Akpokro, premier site kodè

Abraha Akpo et ses sujets s’installent sur les rives du Bandaman (actuel Konsou) et

fondent Akpokro dont le site est aujourd’hui appelé Akpokrofouessou. Mais leurs

champs étaient à Kpandobo.

En s’installant vers 1735 à cet endroit, l’ancêtre Akpo ne l’a pas érigé aussitôt en

village autonome. Il a suivi et respecté les étapes d’évolution qu’un habitat doit franchir

en pays baoulé pour atteindre l’état de village. La coutume veut qu’avant que les

hommes viennent s’installer en un endroit, dès qu’il s’agit d’un ou de plusieurs couples

pouvant y avoir des relations sexuelles, le fondateur fasse un rituel de fondation lié à la

terre. Cette cérémonie consiste à planter à l’une des extrémités du nouveau village, de

part et d’autre du chemin d’accès, deux arbres symbolisant assiè (la terre), et à offrir à la

divinité un sacrifice accompagné d’une formule de consécration de la nouvelle

communauté1. Cette localité est passée par les étapes de nanmoué (d’abri de cultures et

de hameau) avant d’atteindre la forme ultime de klo (village). L’imposition du nom du

site Akpokro, a été l’œuvre du fondateur et signifie le village d’Akpo.

Abraha Akpo eut une fille du nom d’Akpo N’guessan et d’ailleurs l’unique puisque

la tradition orale n’évoque plus d’autres enfants. Or chez les Baoulé, le nom N’guessan

est attribué au troisième enfant de même sexe. Par conséquent Akpo N’guessan pourrait

être la troisième fille. Il semble que les deux premières n’ont pas survécu; et c’est la

raison pour laquelle la tradition orale n’en fait pas cas. Akpo N’guessan décéda dans un

endroit du site baptisé Sayabo, c’est-à-dire la forêt du mal et fut inhumé à Ouarebo.

Pour consoler les parents de la défunte, Allani Kouassi (chef des Ayaou), qui s’était

placé sous la tutelle du chef kodè lors de la conquête du site, confia à Akpo sa fille

Akissi N’guessan pour l’adopter. Elle est rebaptisée Akpo N’guessan en souvenir de sa

fille décédée. Celle-ci fit cinq enfants dont les petits-fils d’Abraha Akpo.

1 Philippe SALVERTE-MARMIER, op.cit. , p.39.

Selon nanan Ago Barthelemy1, Abraha Akpo et ses hommes après avoir chassé les

Gouro débutaient une vie tranquille au bord du Bandama. Un jour, ses hommes à la

pêche prirent un bébé vivant dans les mailles de leur filet. Pris de panique, ils se mirent

à lancer des projectiles dans l’eau qui à l’instant même rougit de sang. Les jours

suivants, les hommes d’Akpo moururent un par un. Après consultation des oracles, il fut

relever qu’en jetant les objets dans l’eau, ils ont offensé le génie des lieux et pour que la

mort cesse de les visiter, il fallait faire des sacrifices. C’est après cela qu’Abraha Akpo

décida de quitter ce premier site en compagnie de ses hommes pour un autre.

On pourrait estimer l’abandon d’Akpokro dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle.

Cette date se justifie par le nombre de petits-fils (cinq au total) que l’ancêtre Akpo avait

eu.

Il ressort de ce récit que c’est à la suite de malheur qu’Akpokro est abandonné pour

Béoumi.

b) D’Akpokro à la création de Béoumi.

Béoumi a été fondée dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle par nanan Abraha

Akpo. Ce dernier, après avoir fondé un premier campement, fut contraint de partir suite

à un ensemble de malheurs dont ses hommes et sa famille étaient victimes. Il fit escale

avec son groupe à Bofôlô situé à un kilomètre de Béoumi où se trouve actuellement la

préfecture de la dite ville et séjourna quelques temps. C’est là que sa fille Akpo

N’guessan tomba malade et décéda. Akpo quitta une fois de plus ce site qui fut son

deuxième en l’espace de quelque temps.

L’abandon d’ancien site s’explique en général par différentes raisons: d’une part,

par une forte montée de l’effectif de la communauté villageoise et d’autre part, par des

malheurs répétés.

1Nanan Barthelemy Koffi Yao AGO, 70 ans, Chef de canton de Béoumi depuis 2008 et instituteur à la retraite, entretien directif du 7 septembre 2015, thème: histoire du Kodè des origines à nos jours, durée: 2 h 20 mn

Dans le premier cas, l’on abandonne un site d’habitation lorsque la population

n’arrive plus à contenir sur le site. Ce surpeuplement peut créer un sérieux déséquilibre

entre les besoins de la population en eau, en nourriture et en d’autres biens, et la

capacité réelle du milieu naturel à satisfaire ces besoins. Ce déséquilibre conduit le plus

souvent à l’abandon du site par une partie de sa population.

Dans le deuxième cas, lorsqu’une épidémie s’abattait sur un village ou même lorsque

les décès y devenaient trop fréquents, ses habitants le désertaient pour aller s’établir

ailleurs.

Dans le cas du Kodè, l’abandon de Boflôlô est dû au décès de la fille adoptive

d’Abraha Akpo. Ce dernier qui avait déjà connu auparavant d’autres malheurs de ce

genre envisagea de quitter ce site malsain avec le corps de sa fille qui devrait lui

indiquer un endroit pour s’installer. Arrivé sur le site de l’actuel Béoumi, le corps refusa

de poursuivre le chemin comme pour indiquer le lieu où il doit être inhumé et aussi pour

dire à son père que c’est ici que tu résideras pour avoir la tranquillité. C’est ainsi

qu’Akpo N’guessan fut enterrée à cet endroit qu’on le localise aujourd’hui sur la place

du marché de Béoumi.

Abraha Akpo fonda Béoumi dont les interprétations divergent. Selon nanan Ago

Barthelemy, après l’inhumation de sa fille, Akpo aurait dit: ″n’tran awrè kpêtè noun wa

nan béhoun-mi″, qui signifie: ″que je m’assoie ici dans cette végétation de savane pour

qu’on me voit″ quand ma sœur enverrait ses émissaires vers moi. Ce qui serait la

traduction française du mot Béoumi1.

Pour d’autres, ″on me verra″ comme pour dire, tout ennemi avant d’atteindre la reine

doit passer par moi ; il me verra sur son chemin ou encore après avoir repoussé les

ennemis, le chef militaire Abraha Akpo aurait dit : ″Béhoun-mi″ qui signifie ″ils m’ont

vu″ ou ″ils ont vu ma puissance ou force de frappe″ d’où le mot Béoumi pour désigner

l’espace où il a prononcé cette phrase.

1 Nanan AGO Koffi Yao Barthelemy, Entretien directif du 7 septembre 2015, déjà cité.

Malgré cette diversité d’interprétations, l’idée essentielle qui ressort est le courage de

l’ancêtre qui a permis de sécuriser le royaume de Ouarebo. En effet, les Kodè ont

soumis les populations Gouro et ouan, précédemment installées sur le vaste territoire

aujourd’hui occupé. Suite à leur défaite, les Gouro ont donc traversé le fleuve bandama

pour s’installer sur la rive droite, tandis que les Ouan se sont refugiés dans la zone de

Konahari et certains sont restés et vivent de façon harmonieuse avec les frères kodè.

Béoumi était un espace vide mais entouré de forêt. D’ailleurs vers la préfecture

actuelle, appelé Boflôlô était couverte d’une végétation très touffue. C’est dans ce lieu

que fut construit le poste militaire en 1902.

Le prince Akpo installé désormais à Béoumi avec ses cinq petits-fils dont trois

garçons: Akpo Yao fonda Akpokro, Akpo Kouassi créa Klokplissou (des quartiers de

Béoumi), et Akpo Linguê. Abraha Akpo mourut à cet endroit et fut par la suite inhumé

à Ouarebo (Sakassou).

La fondation de Béoumi avec les accords des ancêtres permet aux successeurs de

nanan Akpo d’être désormais fixés sur un site sécurisé. Ainsi fut fondé le vrai noyau du

Kodè sur ce site autour duquel se feront les conquêtes des autres localités.

III. CONQUETE DES LOCALITES ET INSTALLATION DES

POPULATIONS (1780-1902)

Il faut entendre par conquête des localités, la fondation des différents villages à partir

d’un lieu donné. Dans notre cas, nous ferons une étude détaillée à propos de la

fondation des localités du pays kodè à partir de Béoumi. On peut supposer que ce

mouvement débuta vers la fin du règne d’Abraha Akpo et le début de celui de son

successeur autour de 1780. Pendant cette période, les habitants de Béoumi continuaient

à vaquer à leurs occupations économiques, commerciales, sociales, initiatiques et

religieuses.

Abraha Akpo et ses hommes, dans leur quête d’espace ont conquis un ensemble de

localités tandis que d’autres seraient la priorité des populations mandé sud et mandé

nord revenus après que les Agoua se soient installés.

1) Les localités conquises par Abraha Akpo et ses hommes.

Plusieurs localités ont été conquises par les hommes d’Abraha Akpo avant que

d’autres populations ne viennent s’ajouter. Béoumi a été d’abord le centre de dispersion

importante comme le montre la carte n° 3 relative à l’expansion des populations dans

l’espace kodè.

a) Les sites Ourofouè autour de Béoumi et Bandamasi,

Les localités autour de Béoumi ont été les premières à être conquises à cause de

leur proximité avec les premiers sites. On parle de départ des villages agoua1 vers

d’autres localités.

Au sujet de ces villages agoua dans le pays kodè, lors de notre enquête orale dans le

Ourofouè, on n’a cessé de nous citer Béoumi, Kougounoussou, N’zueda et Tounzuebo

comme étant ces localités. Nous nous sommes rendus dans ces villages pour vérifier la

fiabilité de ces informations.

A Kougounoussou, le chef du village Yao Koffi2 nous a confié que son ancêtre

Kouamé Djè et nanan Akpo sont des frères et se sont installés ensemble à Béoumi. A la

suite de l’accroissement des familles, la cohabitation entre les épouses et les enfants

devenaient difficile. Le besoin de trouver de nouveaux espaces de cultures et même

d’habitation se présentait à tous les frères. C’est ainsi que chaque frère, soucieux du

bien être de sa famille est allé s’installer sur de nouveaux sites mais à proximité de

l’ancien afin de rester en contact avec Béoumi où se trouve le trône. Cette installation

1On peut définir par villages agoua, les localités fondées par les Agoua venus de Ouarebo pour s’installer dans le Kodè.2Koffi YAO, 70 ans, paysan et chef de Kougounoussou, entretien directif à caractère public sur l’histoire du Kodè le 4 septembre 2015, durée : 2h02mn

répond à un cordon sécuritaire puisque les frères se sont mis autour de Béoumi en forme

de cercle afin de se prévenir en cas de danger.

Le fondateur de N’zueda, nous confie Kouadio Kouassi1, est Allani Kouassi. Il

vivait à Béoumi avec ses frères. Et c’est au sujet du partage d’un bélier offert aux quatre

villages agoua à la suite des funérailles d’un agoua qu’intervient leur séparation. En

effet, lors de ce partage, Béoumi a exigé la part qui revenait à N’zueda chaque fois que

de tel partage se faisait. Et cela n’a pas été du goût de leur ancêtre Allani Kouassi,

créant des disputes entre eux. C’est ainsi que ce dernier a décidé de partir de Béoumi où

il fonde Allanikro ou N’zueda.

Selon Yao Koffi Patrice2, Kossiakro connu sous le nom Tounzuebo a été fondé par

Abraha Kossia, petite fille d’Abraha Akpo. Celle-ci porte le nom de la sœur d’Akpo

décédée très tôt.

Nous avons voulu poursuivre loin nos investigations en interrogeant les populations

des villages voisins, notamment celles d’Akamiaossou-ourofouè3. Ces dernières

contestent la légitimité d’agoua à ces trois villages. Tounzuebo vient du nom tounzué

qui signifie ″forge″ et de bo, ″le lieu″. Et donc, c’est le lieu de la forge. Tounzuebo a été

fondé par des forgerons qui étaient au départ à Béoumi. Ils faisaient beaucoup de bruit

et c’est pour cette raison que le souverain leur a demandé de s’installer hors de Béoumi.

Toutes les personnes qui partaient solliciter leur service disaient, on va à Tounzuebo

c’est-à-dire là où il y a la forge. Ces forgerons étaient composés de Djimili, de

Tagouana et de Dioula. Les populations kodè ont commencé à s’installer

progressivement sur ce site, certains pour apprendre le métier de la forge, pour d’autres

par simple curiosité ou pour des raisons personnelles.

1Kouassi KOUADIO, 74 ans, paysan et chef de N’zueda, entretien directif à caractère public sur l’histoire du Kodè le 6 septembre 2015, durée : 1h2Patrice Koffi YAO, Entretien semi-directif du 02 septembre 2002 à Tounzuébo, déjà cité.3 Nous nous sommes entretenus avec le patriarche de N’gotran, nanan Kouamé Kouadio dans un entretien directif les 2 et 6 septembre 2015 sur l’histoire du Kodè, des origines à l’indépendance, une semaine après que ce dernier ne décède.

Au sujet d’Abraha Kossia, considérée comme fondatrice de Tounzuebo, il nous a

été confié que cette dernière était handicapée et donc malade, et qu’elle avait été

amenée auprès des forgerons pour se faire soigner. Par conséquent, elle ne pouvait être

la fondatrice de Tounzuebo.

Quant à Kougounoussou, leurs ancêtres seraient des Ouan. A ce sujet, même si

nanan Ago Barthelemy, chef de canton, ne confirme pas cette thèse, apporte en partie

une réponse à notre préoccupation. Selon lui, ce village a rendu des services à nanan

Akpo. Sa petite fille Kossia malade, était au départ soignée par un fils de

Kougounoussou1.

De même, N’zueda, fondé par Allani Kouassi (chef des Ayaou), qui s’était placé

sous la tutelle du chef kodè lors de la conquête du site, confia à Akpo sa fille Akissi

N’guessan pour l’adopter.

Au vue de ces services, Nanan Akpo qui voulait avoir des gens autour lui, a donné

plein pouvoir à ces deux villages d’entrer librement chez lui et même d’assister à des

prises de décisions importantes.

Il ressort de ces analyses que le seul village réellement agoua est Béoumi. C’est de

là que sortent les vrais descendants d’Abraha Akpo. Les trois autres villages n’ont pas

de voix dans la prise des décisions.

Les villages ourofouè se sont installés sur trois sites : Ourofouè-Akamiaossou,

Ourofouè-Béoumi et Ourofouè-Kansifouè et Bandamasifouè. Ils composent le plus

grand nombre de villages du pays kodè, soit environ 58 villages. Leurs ancêtres, nanan

Akamia qui formera le lignage akamiaossou et Abraha Akpo, seraient venus ensemble

de Ouarebo. Nanan Akamia, qui fonda N’gotran, pourrait être l’un des hommes avec qui

Abraha Akpo a conquis le pays kodè. S’il n’est pas cité parmi les Agoua, cela signifie

qu’il était un simple combattant au service de nanan Akpo. Il était à la tête de 7 villages

1Ibidem. Entretien directif du 7 septembre 2015 avec nanan AGO Koffi Yao Barthelemy

qui lui rendaient compte. C’est de N’gotran, village-mère, que part la création des 6

autres villages d’Akamiaossou.

Quant à Ourofouè-Béoumi, comme nous l’avons déjà mentionné, a pour village-

mère, Béoumi, fondé par nanan Akpo. A ce titre, nanan AGO Barthelemy soutient

qu’Abraha Akpo est venu de Ouarebo avec d’autres familles qu’il a installé autour de

Béoumi. C’est le lieu de citer les villages Souafouè (Kan et Dan) qui étaient les porteurs

de bagages des Agoua1.

S’agissant de Ourofouè-Bandamasifouè, les travaux de l’Etude Régionale de

Bouaké2 ont révélé qu’après s’être emparé du pays kodè, certains hommes de la suite

d’Abraha Akpo ont franchi le Bandama et se sont aventurés très loin à l’intérieur du

pays ouan. Obéissant aux impératifs d’ordre sécuritaire, ils restent dans cette zone et

seront rejoins par les populations installées autour de Béoumi en quête d’espace. Ils

fondent les villages Kendè, Roussè, Koyarabo, Totokro, Kouébo Kan, Kokoflé,

Bourebo, et Kondrobo pour ne citer que ceux là sur la rive droite du Bandama. Les deux

derniers villages partagent leur espace avec les Ouan.

Quant à la localité Ourofouè-Kansifouè, elle est située à l’ouest de Béoumi entre le

fleuve bandama et son affluent Kan. Selon Konan Kouadio Honoré Rigaud3, leur

ancêtre serait nanan Akpo. Parti de Béoumi, il se rend dans cette localité pour y cacher

une partie de l’or qu’il avait en sa disposition afin de le sauvegarder. Après avoir

traversé le kan et la plaine qui suit, il s’arrêta pour construire une cabane qui deviendra

un campement. Il enterra l’or au niveau d’un marigot et dit: ″pour me voir, il faudrait

marcher dans les traces de mes pas″; ce qui signifie en baoulé ″antia ndia ossou″qui

donna par la suite le nom d’Andianou à ce campement. L’or fut abondant dans ce lieu.

Mais nanan Akpo ne résida pas longtemps à cet endroit avant de rentrer à Béoumi.

Andianou devint un village et serait peuplé par des populations venues de Béoumi

1 Nanan Barthelemy Yao Koffi AGO, Entretien directif du 7 septembre 2015, déjà cité2 Philippe SALVERTE-MARMIER, op.cit. , p.27.3Rigaud Honoré Kouadio KONAN, 54 ans, Hôtelier et originaire de Kongobo du groupe Ourofouè, entretien directif obtenu le 20 Mai 2016 à Divo, thème : fondation des villages Kongobo et leur déplacement sur un autre site après le barrage de Kossou, durée : 1h26mn

parmi lesquelles on notait des descendants d’Abraha Akpo. Ces populations sont à la

base de la création de Kongobo, de Mélébo et de Nido. Le site sur lequel est bâti

Kongobo était une plaine dans laquelle les antilopes venaient s’abreuver. Pour éviter les

va-et-vient, un campement a été créé à cet endroit afin de mieux chasser ; et ce

campement est Kongobo. Un autre chasseur du nom d’Akpo Ya Kouadio, de la famille

de nanan Akpo, partit à la chasse au dessus de Kongobo et découvrit une multitude

d’antilopes et créa Mélébo pour exprimer la quantité des gibiers. Et enfin, un autre

fonda Nido vers le Bandama afin de s’étendre sur une vaste superficie.

Les sources orales nous renseignent abondamment sur les motifs ayant entraîné le

choix de nouveaux sites et le déplacement des populations à partir de l’ancien. Deux

grandes raisons selon nanan Ago Barthelemy peuvent être évoquées pour expliquer la

conquête de nouvelles terres d’habitation1.

En premier lieu, notre informateur évoque les motifs économiques avec pour

particularité la recherche des espaces pour pratiquer l’agriculture. Il fallait tenir compte

des ressources que le nouveau territoire pouvait donner à ses occupants. Or le site du

Kodè est pourvoyeur de gibier d’où le rôle exceptionnel que joue le chasseur. En

poursuivant les gibiers, il lui revient de repérer les sites favorables à l’établissement

d’un groupe et de fixer les limites du territoire choisi. Le chasseur kodè est l’homme de

la terre qui sait faire la distinction entre plusieurs types de sols plus ou moins fertiles et

la présence d’un cours d’eau. Ainsi, le Bandaman et son affluent le Kan, constituent un

atout économique pour l’installation. De plus, le contrôle d’une rivière permettait des

activités importantes telles que la pêche, mais surtout l’orpaillage. Toutes ces raisons

économiques ont sûrement guidé les Kodè lors de leur dispersion sur les nouveaux

espaces. Malgré l’importance de ces causes, on ne saurait passer sous silence des

facteurs démographiques qui en général sont évoqués pour expliquer l’abandon d’ancien

site.

1Idem. , Ibid.

Par contre, la fondation d’autres localités pourrait s’expliquer par le manque

d’indépendance de ses populations vis-à-vis du souverain. En effet, ces gens sont les

envoyés spéciaux des Agoua. Des sujets mécontents peuvent décider de partir sans

préavis surtout que les espaces ne manquaient pas sur le site où la densité

démographique est généralement faible.

Toutes ces raisons amènent les populations kodè à se déplacer des premières

localités vers les nouvelles. Cependant, la disposition des villages créés autour du noyau

Béoumi, lieu du trône, a certainement obéit aux impératifs d’ordre militaire.

b) Les localités Ahougnansou et Fari

Le surpeuplement dans le Ourofouè autour de Béoumi, occasionne le départ d’autres

populations vers d’autres destinations. C’est le cas du groupe Ahougnansou. Selon

Kouadio Do Matthieu, chef de Linguêbo1, leur ancêtre du nom de nanan Aboua Yoman

habitait au départ avec ses hommes vers Béoumi, au bord du bandaman. Et comme le

besoin d’espace se posait et surtout dans le souci d’étendre l’espace Kodè et de s’assurer

de sa sécurité, il a décidé de partir avec ses hommes. Ils firent escale à Blè-bouessou

(actuel Diéviéssou) où ils durent chasser les Gouro qui y vivaient. Poursuivant leur

route, ils atteignirent Agonanssou. Là aussi se trouvaient des Gouro. Il les chassa avant

d’installer ses hommes. Nanan Aboua Yoman est l’ancêtre de tout l’Akpassoua

Ahougnansou. C’est lui qui a offert cent tas d’or à la reine Akoua Boni en guise de

reconnaissance à sa tante Pokou pour la traversée du Comoé. Ce qui permit au groupe

Ahougnansou de devenir autonome et à Linguêbo de se nommer Tayabo c’est-à-dire ″le

village de cent tas d’or″. Cependant, nanan Aboua Yoman et ses hommes ont connu

plusieurs sites avant de s’installer définitivement sur l’actuel. D’abord, ils étaient à

Ploplonou (actuel Sokpa), ensuite Tiessou puis Linguêbo où l’ancêtre lui-même s’est

installé avant d’indiquer les sites aux quatre autres villages afin de s’étendre sur une

superficie plus vaste. Avant de partir sur un autre site, Aboua Yoman s’assurait que

1Matthieu Do KOUADIO, 46 ans, planteur et chef de Linguêbo, entretien directif à caractère public du 13 septembre 2015, thème : origine et peuplement du groupe Ahougnansou et rapports avec Béoumi, durée: 1h04mn

l’ancien était bien tenu. A la place actuelle de Kekrenou, se trouvaient déjà le groupe

Fari ; et comme l’espace était occupé, Kekrenou s’est installé de force d’où nom

Kekrenou, ce qui signifie ″je reste là de force″. Il est bon de préciser que nanan Yoman,

chef guerrier a préféré s’installer sur la voie où passent les Gouro avant de traverser le

Bandaman afin d’assurer la sécurité de ses hommes. Linguêbo se réclame village agoua

car fondé par un Agoua et disposant du tam-tam parleur.

Certains hommes de la suite d’Abraha Akpo qui ont franchi le Bandama pour

prendre possession du pays ouan quittent ces localités pour des destinations dans le

kodè. Selon N’guessan Konan Jules1, leur ancêtre nanan Abah Djemlé est parti de

Gbokro (actuel quartier de Kounahiri) où il était avec son frère nanan Aboua, après

avoir repoussé les Gouro. Il fallait continuellement résister dans cette zone qui était déjà

occupée pour pouvoir survivre. Etant en nombre inférieur, ils étaient constamment

menacés. C’est pour cette raison qu’ils ont décidé de quitter le pays ouan pour rejoindre

leurs frères. Dans leur marche, ils découvrent une zone de chasse paisible vers Béoumi.

Les deux frères et leur famille passent un temps sur ce site mais ils sont vite repoussés

par les populations de Béoumi. Nanan Abah Djemlé, sans avertir nanan Aboua son

frère, prit sa femme et ses enfants et partirent une nuit à la recherche d’un lieu paisible

vers la zone de Diéviéssou. Cet acte de précipitation posé par nanan Abah Djemlé

donna naissance au village Zindè qui vient de l’expression baoulé ″ndèdèfouè″, c’est-à-

dire ″ceux qui sont pressés″. Il sera rejoins plus tard par son frère Aboua qui fonda

Abouakro. Les deux frères ont connu trois sites avant de s’installer définitivement dans

le Fari. Le temps passé en pays ouan leur donna une étiquette d’origine ouan. Le groupe

fari donna naissance à treize villages dont Gouarebo, Mandanou et Ouengrè (village-

mère et d’origine gouro) pour ne citer que ceux-là.

c) Les lignages Niambrun, Diéviéssou et Zèdê.

1Jules Konan N’GUESSAN, 45 ans, paysan et chef de Zindè du groupe fari, entretien directif obtenu le 13 septembre 2015 à son domicile à Zindè, thème : origine, peuplement et rapport avec les autres, durée : 50mn

Les ancêtres de Niambrun, Diéviéssou et Zêdèprifouè pourraient être parentés et

aussi les hommes avec qui Abraha Akpo est venu de Ouarebo. Du fait de leur origine

commune, les villages issus de ces groupes se partagent les mêmes noms, les mêmes

cultes, etc.

Mais leur itinéraire ne semble pas respecter un départ de la zone de Béoumi lié au

surpeuplement du village-mère. Ils ont commencé leur immigration vers le sud du pays

kodè qui correspond au nord-ouest de Ouarebo pour se diriger vers Béoumi.

S’agissant du groupe Niambrun, parti d’Ahougnansou après plusieurs tentatives, il

finit par s’installer entre le Bandaman et le Kan. Selon Gbamelé Walè Marcelin1, un

groupe réputé par son prestige et reconnu sous le nom d’Agni Ablo, ce qui veut dire ″tu

as soufferts″, d’où le nom de Niambrun, s’installa sur le site actuel de Diéviéssou avec à

sa tête nanan Akpatou. Le prestige militaire dont jouissait ce groupe lui valut le nom

d’Agrouan Kékré, c’est-à-dire peuple fort, nom issue d’une rivière qui lui desservait.

Quelque temps après, le site devient dangereux et les hommes y décédaient sans cesse.

Nanan Akpatou décide alors de continuer la marche avec ses hommes à la recherche

d’une nouvelle terre plus habitable. Ainsi, le groupe parvient bientôt à s’installer dans la

région située juste au nord de l’actuel Kougounoussou, connu sous le nom d’Affreykro.

Profitant du grand nombre de ses hommes, le groupe Ourofouè-Béoumi porta plusieurs

attaques contre nanan Akpatou et sa troupe. Défavorisé par sa petitesse, le groupe

niambrun fut alors obligé de continuer sa marche toujours à la recherche de nouvelle

terre plus paisible. Il arriva enfin dans la région située entre le fleuve Bandaman et son

affluent le Kan, reconnue sous le nom de Kétého-binou. Dès lors, toutes les tentatives

d’attaques de Béoumi échouèrent. Le groupe Niambrun avait désormais trouvé la région

recherchée, celle qui lui permet de contrer attaquer efficacement ses ennemis grâce au

lit de la rivière Kan qui lui servait à la fois de ligne d’attaque et de ligne de protection.

Du fait de leur origine commune, les groupes Niambrun, Diéviéssou et Zèdê s’étaient

1Marcelin Walè GBAMELE, 76 ans, paysan et chef de Niambrun, entretien directif à caractère public du 14 septembre 2015 à Niambrun, thème: installation du groupe Niambrun et la question du barrage de Kossou, durée : 1h17mn

alliés pour pouvoir résister devant les menaces des populations de Ourofouè-Béoumi

avec leurs alliés de Kougounoussou, N’zueda et Tounzuebo leurs forgerons.

Sur le nouveau site, le groupe Niambrun se divise en trois sous-groupes

correspondants à des villages pour occuper tous les espaces. La première famille à se

retirer du groupe est Gbo. L’ancêtre Gbogli ayant découvert un site d’habitation dit ″ ye

kawa kpo″, ce qui veut dire nous resterons ici malgré tout ; et c’est de là qu’est issu le

nom Gbo.

Une autre famille, dirigée par nanan Abouaza, voulut également s’en aller vers

le nord, et la parole avancée en ouan à son départ lui valut le nom de Gagou. Elle

s’installa à deux kilomètres au nord du site de Niambrun.

Le dernier sous-groupe reste au sein de Niambrun avec à sa tête l’ancêtre nanan

Akpatou.

L’installation terminée, l’ancêtre Akpatou, pour faciliter sa tâche, désigna les

différents responsables de familles pour diriger et administrer les nouveaux villages

créés afin de maintenir et sauvegarder la survie du groupe Niambrun.

Quant au groupe zèdê, certains de leurs ancêtres seraient issus des Asandré envoyé

par Opokou Waré à la recherche des Baoulé. Après l’échec de leur mission, ces

ambassadeurs se fixèrent entre Ouarebo, Kodè et Ayaou et s’associent à des Kodè pour

fonder le groupe Zèdêprifouè qui constitue environ neuf villages. C’est de là que sont

parties d’autres populations pour créer certains villages de Diéviéssou dont Andi qui

donna naissance à son tour à Bossi. Ce même Bossi existe à Zèdêprifouè.

Commencée à Béoumi, la conquête des localités atteint tout le territoire kodè. On

peut supposer sans se tromper, que de nouveaux habitants sont arrivés sur le site, attirés

soit par leurs activités agricoles, soit par leurs alliances avec d’autres populations.

CARTE N°3 :

EXPANSION DES

POPULATION DANS

L’ESPACE KODE DE LA

PREMIERE MOITIE DU

XVIIIe SIECLE A LA FIN

DU XIXe SIECLE

2) L’immigration d’autres populations dans le Kodè

Il s’agit des Mandé sud, des Mandé nord et des familles Ngban, Souamelé, Mamini

et Agni de l’Indennié.

a) Les Mandé sud dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle: Gouro et Ouan

Nous parlerons ici des familles gouro et ouan revenues s’installer sur leur ancien site

après leur fuite suite à l’envahissement de leur région par les Baoulé-kodè dans la

première moitié du XVIIIe siècle, soit de leur propre gré, soit fuyant des conflits dans

leur région.

Les villages gouro qui se fondent à la suite de cette immigration sont Assengou,

Mamely et Grobonou.

S’agissant d’Assengou, notre informateur nanan Kouadio Yobouet1 nous a confié

que leurs ancêtres sont venus de Gohitafla à la suite d’un meurtre qui a été commis par

les enfants de ces derniers. De peur de se faire exterminer, nanan Assè, s’est enfuit avec

tous les membres de sa famille une nuit, traversant le Bandama pour regagner le pays

kodè. Ils s’installent dans un premier temps au bord du Kan vers Konsou mais lorsque

leurs victimes découvrent leur cachette, ils se déplacent dans l’Akpassoua Akamiaossou

pour sous se mettre sous la tutelle de nanan Ako Kouamé, chef de N’gotran. Celui-ci les

reçoit et les installe sur le même site. Ainsi, fut fondé le village Assengou qui veut dire

″je me tiens à côté de toi″ comme pour le signifier à nanan Ako Kouamé pour lui

manifester sa reconnaissance.

Quant à Grobonou, nous confie Djè Koffi2, a été fondé par Djehou N’gatta,

guérisseur venu de Mninkro en région gouro. Selon lui, ce dernier, était ambulant et

exposait ses médicaments et ses services de villages en villages. Pendant ses tournées, il

séjournait à Ouengrè, un des villages gouro à résister suite à l’immigration des Baoulé-

kodè. Il fit venir l’un de ses frères et les deux finissent par se marier à des femmes de

Ouengrè. Les deux frères ont eu de nombreux enfants (tous des garçons) et qui

commencèrent à peupler le village. A l’âge adulte, il fallait trouver des terres de cultures

et des épouses aux garçons. Et le remède que Djehou N’gatta a trouvé, c’est de rentrer

chez lui en pays gouro avec sa famille. En route pour le pays gouro, la famille fut

interceptée par Kouamé Bli Niamien, chef d’Aluibo (village kodè sur la rive gauche du

1Yobouet KOUADIO, 76 ans, Retraité de Gonfreville et chef d’Assengou, entretien directif à caractère public obtenu à son domicile à Assengou le 3 septembre 2015, thème : Origine et création du village Assengou, rapport avec les villages voisins, durée de l’entretien : 1h05mn.2Koffi DJE, 75 ans, chef de Grobonou-Dan, entretien directif obtenu le 11 septembre à son domicile de Grobonou-Dan sur le thème : Origine et création du village Grobonou-Dan, rapport avec les autres villages, durée : 40mn

Bandama). Ce dernier a trouvé qu’il ne fallait pas laisser Djehou N’gatta et ses fils

traverser le Bandama et s’installer sur l’autre rive, de peur que les jeunes gouro, les

connaissant d’intensions belliqueuses, ne les empêchent de pratiquer tranquillement la

pêche dans cette partie du fleuve. C’est ainsi qu’un site leur a été trouvé et ils fondèrent

Grobonou, qui plus tard très peuplé devint Grobonou Dan. Une partie de la population

traversa le Bandama pour habiter avec leurs parents gouro et laissa derrière elle

Grobonou Kan.

Par ailleurs, au XIXe siècle, à l’ouest du Bandama, il existait un état d’insécurité

chez les Gouro. La guerre que se livraient ces derniers obligeait certains à se réfugier

chez les Baoulé. Les membres de la tribu Ma qui s’installent dans le Kodè fondent

plusieurs agglomérations.

Les Ouan ont conservé leur spécificité et leur position de façon générale dans le pays

kodè en occupant plusieurs villages sur la rive droite du fleuve bandama dont Blipa,

Boyaopla, Foutounou, Ouélégo et Siapla que nous pouvons observer sur la carte n°2. Le

seul village kodè peuplé véritablement par des Ouan est Diacohou. Au départ, c’était un

campement qui n’avait pas de nom. Une jeune fille de cette localité (elle pourrait être la

fille du fondateur du campement), prit pour mari, un Ouan et les deux firent de

nombreux enfants. Les parents du Ouan qui venaient à Béoumi pour leur commerce,

séjournaient souvent dans ce campement et finissent pour certains à y résider. Pour

éviter de défiler entre son village et ses beaux-parents, le Ouan décida de rester pour

toujours chez sa femme en disant ″n’dja ko bou″, ce qui veut dire ″je ne ferai plus de va

et viens de peur que mes pieds se heurtent à un obstacle pour se fracturer″ d’où le nom

du village Diacohou. La disparition des parents de la fille donne le plein pouvoir aux

Ouan de détenir les terres et même d’être chef de Diacohou.

Aussi, le passage de Samory en Côte d’Ivoire permet à ce dernier, juste avant sa

capture, d’occuper la région de Mankono et en particulier le pays Ouan, obligeant les

populations de cette localité à se réfugier chez les Kodè.

b) Les Ngban, Souamelé, Mamini et Agni de l’Indennié dans le Kodè

Lors de l’exode, les migrants Assabou ont dû entraîner dans leur mouvement une

partie des populations rencontrées, elles aussi disloquées par les bouleversements causés

par la traite côtière des esclaves. Mais, une fois installés dans leur nouveau territoire, les

Kodè n’ont cessé de recevoir des étrangers, solitaires ou en groupes. Aventuriers de tout

genre, commerçants ou négociants, artisans ou simples paysans en fuite, tous jouissaient

d’un droit d’asile de la part des chefs kodè. Il s’agit des Ngban, Souamelé, Mamini et

Agni de l’Indennié. Ils font leur entrée dans le sud du pays kodè.

S’agissant des Ngban, Salverte-Marmier souligne que « la principale cause de leur

immigration est le commerce du fer avec les Gouro et les Sénoufo car les forgerons

baoulé ne sachant pas fondre le minerai. Les Malinké de Séguéla et les Sénoufo

fondaient le métal et le façonnaient en tiges courtes, aplaties aux deux extrémités ; elles

servaient d’unités de monnaie: les Kiendé. Les Baoulé se procuraient ces tiges aux

environs de Béoumi et de Katiola en échange de cauris ou de denrées alimentaires. Ce

commerce incita des Ngban à s’installer parmi les Kodè »1.

Le XIXe siècle est aussi caractérisé par l’intense activité commerciale et qui a eu

pour effet l’accumulation rapide des richesses. Cela porta un peu partout atteinte à la

hiérarchie politique. Les commerçants, possédant prestige et richesse constituaient au

sein des villages, des éléments souvent réfractaires. Les chefs traditionnels, à tous les

niveaux, eurent de plus en plus de peine à se faire respecter, même à l’intérieur de leurs

propres villages. Pour mettre un point final à une dispute, un groupe important

d’individus émigrait et s’en allait, généralement, le plus loin possible, en dehors du

territoire de la tribu. C’est dans ce contexte que de nombreux Souamélé et Mamini, las

de vivre dans un état permanent d’insécurité chez eux, par suite de querelles entre

villages voisins, décidèrent d’émigrer dans le nord et se dispersèrent en plusieurs

endroits. Ceux qui arrivèrent dans le Kodè fondèrent le groupe Diéviéssou2. Il est bon

1 Philippe SALVERTE-MARMIER, op.cit. , p.432 Idem., Ibid., p.44.

de rappeler que le groupe Diéviéssou comprend cinq villages dont Aluibo, Bossi, Andi,

Grobonou et Mamely.

A la même époque, des Agni de l’indennié vinrent s’installer autour de Béoumi chez

les kodè. Certains d’entre eux étaient des commerçants, d’autres s’étaient enfuis de leur

pays d’origine à la suite de querelles. Mais, cette immigration des Agni n’eut pas

d’influence considérable sur le pays kodè.

Le commerce incita les Ngban, Souamelé, Mamini et Agni à s’installer parmi les

Kodè et à passer des accords plus ou moins avantageux selon leur savoir faire.

c) Les Mandé nord dans le Kodè vers la fin du XIXe siècle

Immédiatement après la pénétration des blancs dans le pays baoulé, plusieurs ethnies

du nord arrivèrent dans le Kodè et se fixèrent à Béoumi. Il est difficile d’établir

précisément leur ordre de succession. En général, ce sont des individus qui se sont

installés avec leurs femmes et leurs enfants ou non mais sans qu’il y ait une décision

collective d’un groupe ethnique déterminé. Chacun est venu pour son propre compte et

une fois installé a pu être rejoint par des parents ou des amis.

Ces installations commencent en 1890 avec les Koyaka. Vint en premier Bamoussa

Bakayoko, originaire de Sanankro. Il était cultivateur. Il fut accompagné par Karamoko

Bamelé qui était aussi cultivateur et une fois installé à Béoumi se mit à vendre du sel. Ils

furent suivis de Siriki Bakayoko, qui était cultivateur et venait de Koyéné. Ceux qui

s’installèrent après ces trois premiers, s’établirent à Béoumi comme cultivateurs parce

que le petit commerce ne marchait pas chez eux. Ils étaient tous originaires des environs

de Mankono.

Vers 1900, s’installèrent des Mossi puis des Maliens. Le premier Mossi fut Oumarou

qui venait de Ouadia pour faire le commerce des moutons. Le premier Malien fut Garba

Diko, originaire de Bougouni. Vendeur de bétail à ses débuts, il devint cultivateur dans

sa vieillesse et fut nommé chef du quartier malien. Il épousa une femme baoulé. Vint

ensuite Flatié Koné, originaire également de Bougouni. Il était déjà marié mais épousa

une femme baoulé. Il vendait des tissus, du sel et du caoutchouc à Tiassalé. Cette

arrivée massive des populations non Baoulé se poursuit pendant la pénétration française

dans le Kodè.

Aussi, toujours à la fin du XIXe siècle, l’épisode Samory permet aux Kodè de

recevoir de nombreux captifs réfugiés du nord qui fuyaient pour venir vers le sud :

Dioula, Djamala, Djimili, Tagouana.

De la deuxième moitié du XVIIIe siècle au début du XXe siècle, de nombreux

immigrants s’installent dans le pays kodè et particulièrement à Béoumi. Ainsi, Béoumi

connait une véritable expansion démographique, une interpénétration des différents

peuples et le début d’un peuplement métissé.

Par ailleurs, les migrations ont augmenté l’hétérogénéité des grandes entités

territoriales et contribué à l’imbrication des groupes les uns dans les autres. La carte

n°4 ci-après, relative à la genèse du Kodè donne un exemple de cette complexité.

CARTE N°4 : HETEROGENEITE

ET IMBRICATION

DES GROUPES

DANS LE KODE

AU XIXe SIECLE

3) Les migrations internes

Le Baoulé est un peuple attaché à la terre et aussi le plus migrant du pays. La

migration est pour lui une stratégie pour surmonter toute difficulté majeure se présentant

à lui. C’est dans cette ligne d’idées que nous analysons les migrations à l’intérieur du

pays kodè. Ces migrations ont obéit à des raisons économiques à cause de la densité de

la population, à des disputes familiales et à la guerre de Samory Touré vers la fin du

XIX e siècle.

S’agissant des raisons économiques, Kouamé Kouadio1 pense que le départ de

certaines populations kodè vers d’autres sites est lié au surpeuplement des villages. Ce

surpeuplement tient le plus souvent à la croissance propre de la communauté. Lorsqu’un

vieux village a une taille trop importante, ses habitants sont obligés de défricher de plus

en plus de nouvelles parcelles pour permettre la rotation des cultures. Ceux qui ont leurs

champs éloignés trouvent que c’est pénible de revenir chaque soir au village. Ils

bâtissent des campements provisoires à proximité de leurs champs. Par suite de

l’accroissement de la famille, les localités deviennent des villages.

Il est bon de relever la politique d’occupation et de contrôle de l’espace. A ce titre,

l’occupation de l’espace a été effectuée par les braves paysans. Ces derniers avec l’aide

du chasseur dans le rôle d’éclaireur arrivent à localiser les terres fertiles et à délimiter

les parcelles par les abattages de bois ou en les tuant sur son passage. Ainsi, le premier

occupant devenait propriétaire et avait droit aux animaux vivants sur l’espace. De

même, un cours d’eau pouvait être également la propriété du premier occupant.

Nous estimons pour notre part que la qualité de propriétaire de terre revient aux

premiers occupants qui ne sont d’autres que les Gouro. L’obtention des portions de

terres pourrait s’effectuer par des alliances matrimoniales. Aussi avons-nous déjà

montré que les Baoulé-kodè, à leur arrivé sur le site se sont mariés aux femmes

autochtones. Or, le mariage apparaît comme l’élément central des relations entre les

communautés humaines. Dans ce cas, l’époux d’une femme dont les parents disposent

d’un important patrimoine foncier pouvait recevoir des portions de terre de la part de ses

beaux parents pour ses champs afin de nourrir ses enfants. Cela se manifeste à

l’occasion de la première naissance. Cette occupation a existé au début et a pu se

poursuivre jusqu’à la fin du XIXe siècle, donnant naissance à des villages. Selon

Kouassi Kan2, l’ancêtre de Tiendiokro, nanan Tchandjo, vivait à Konsou près de

1Kouamé KOUADIO, 78 ans, chef d’Awlobo, entretien directif obtenu à Ngotran à son domicile les 2 et 6 septembre 2015 sur l’histoire du pays Kodè des Origines à l’indépendance, durée : 2h25mn.2 Kan KOUASSI, 69 ans, Paysan et chef de Tiendiokro dans l’Akpasoua Niambrun, Entretien directif à caractère public obtenu à Niambrun, thème : Origine et peuplement de Niambrun, organisation sociale avec des questions sur les villages AVB.

Béoumi. Au cours d’une chasse, il traversa le Bandama et découvrit que l’espace était

vide d’homme. Il s’installa et créa Tiendiokro. Il en est de même pour Afotobo, Nido,

Kouebo, N’debo, Diamalazué, pour ne citer que ces villages.

La majorité des migrations internes donnant lieu à la fondation de villages a été

causée par des disputes. En général, les nouvelles agglomérations fondées à la suite des

fissions étaient distantes de dix à vingt kilomètres maximum du village d’origine. Ainsi,

Zèdêkan est fondé suite une dispute entre deux frères de Zèdê Kaabo dans l’Akpasoua

Zèdêprifouè. L’un ne pouvant plus rester à Zèdê Kaabo, décida de s’installer sur un

autre site et créa Zèdêkan.

Bellakro dans l’Akpasoua Ourofouè est fondé par Kouassi Mella, parti de Solo,

après avoir poignardé un membre de sa famille.

Nanan Toto N’doua, parti d’Andi dans le groupe Diéviéssou fonda son campement

derrière la forêt et devint Bossi. Les exemples sont nombreux.

La dernière raison du départ massif des populations vers d’autres localités est liée

au passage de Samory Touré au nord de Béoumi, en pays ouan. Au fait, ces

déplacements de population ont pour effet, de provoquer la formation de nouveaux

villages ou de gonfler la taille de ceux qui existaient déjà. C’est le cas des villages

Gouarebo, Mandanou et Grobonou Kan dont les populations sont parties de Ouengrè.

En définitive, l’espace kodè a été occupé pour des raisons économiques,

démographiques et sécuritaires. L’intense circulation des populations de la deuxième

moitié du XVIIIe siècle au XIXe siècle a contribué à la fondation d’agglomérations

nouvelles.

L’espace kodè, anciennement occupé par les populations d’origine gouro et ouan est

conquis dans la première moitié du XVIIIe siècle par une faction des Baoulé assabou

dirigé par Abraha Akpo. Cette conquête a pour effet, de provoquer la formation du

Kodè, permettant à ce groupe d’assurer l’avant-garde de la reine Akoua Boni. En effet,

après des tentatives d’installation à Akpokro et Boflôlô qui se soldèrent par un échec à

cause des malheurs répétés, le groupe s’éclata à partir de Béoumi, considéré comme le

troisième site en plusieurs villages. Une conquête qui, modeste dans ses débuts, grandit

et prend des proportions liées à la taille et au nombre de populations qui,

progressivement s’intègrent et s’impliquent pleinement autour de Béoumi. Dans

l’ensemble, l’un des corollaires de l’essaimage et de l’immigration fut le brassage

humain entre les différents groupes ethniques. Le peuplement du pays kodè s’est fait par

petits groupes une fois que les premiers noyaux de populations furent mis en place. Ce

processus semble avoir été très précoces et s’être déroulés à un rythme extrêmement

rapide.

Comment se présente l’organisation politique du Kodè ?