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140 Rome contre Alexandrie? L'interprétation pontificale de l’enjeu monophysite (de l’émergence de la controverse eutychienne au schisme acacien 448-484)* di Philippe Blaudeau Présentant dans un article célèbre les caractéristiques de l’hérésiologie romaine développée durant l’Antiquité tardive, Charles Piétri met en garde ses lecteurs: en dépit de la permanence des vocables et des références employées, des modifications importantes relatives à la perception de la réalité ainsi désignée se font jour aux IV e et V e siècles. Celles-ci deviennent même particulièrement sensibles à mesure que se développent les controverses christologiques 1 . De plus en plus considérée comme un phénomène extérieur à l’espace latin, la déviance doctrinale tend alors à être attribuée à une cause singulièrement redoutable: l’hellénisme et son excessive subtilité. Simultanément, elle se voit dotée d’un pouvoir de perturbation étendu aux dimensions mêmes de l’Empire romain 2 . Danger majeur, tout en étant considérée, parole de l’Apôtre à l’appui, comme une nécessité purifiante 3 , l’hérésie fait donc l’objet d’un enrichissement de sens dans le discours pontifical. Or, celui-ci procède d’une confrontation sans cesse renouvelée avec le questionnement christologique venu d’Orient. À un moment où, dans le reste de l’Occident, les courants doctrinaux en cause ne sont guère connus, caractéristique qui contribue à placer cet espace à l’écart du mouvement de réflexion et d’approfondissement théologique, le Siège apostolique, qu’il soit saisi ou qu’il s’implique de son propre mouvement, demeure en effet l’un des acteurs principaux des conflits dogmatiques orientaux. Aussi sa dénonciation de l’erreur participe-t-elle, au premier chef, de l’affirmation des prérogatives et des responsabilités dévolues au successeur de saint Pierre, dans un contexte d’adversité où les prétentions romaines ne sont guère reçues. À cet égard, la participation consentie par la papauté à l’élimination des idées et des manifestations monophysites 4 *Cet article reprend et actualise un mémoire de recherche préparé à l'Ecole Française de Rome et remis à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (Institut de France en juin 2002). 1 C. PIÉTRI, L’hérésie et l’hérétique selon l’Église romaine (IV e -V e siècles), Aug. 24 (1987) 867-887. 2 Ibid. , 883-886. 3 1 Co 11, 19. 4 L'insatisfaction éprouvée par les historiens face à l’emploi du terme polémique de «monophysisme» est un phénomène déjà ancien. La formation de ce vocable et de ses dérivés est postérieure à la période étudiée. Il ne figure même pas dans les ouvrages hérésiologiques de la seconde moitié du VI e siècle, tels que le De sectis ou le De iis qui ad ecclesiam accedunt de Timothée de Constantinople. Pourtant, l’usage du nom commence à se répandre sous le pontificat de Grégoire le Grand (cf. ses lettres à Quiriacus et aux autres évêques de l’Église catholique d’Ibérie, I er juillet 601, J.W. 1844, Registrum epistularum, libri VIII-XII, appendix, éd. D. NORBERG [CCL 140 A], Turnhout 1982, XI-52, 953.2 et à Euloge d’Alexandrie, août 602, J.W. 1866, ibid., XII-16, 990.2). Sans doute Jean Damascène lui confère-t-il une signification précisée. Distinguant nettement les eutychiens des fidèles de l’Église d’Alexandrie, il présente ces derniers comme «Égyptiens, schismatiques et monophysites séparés de l’Église orthodoxe sous le prétexte des décisions de Chalcédoine, mais demeurant orthodoxes sur tout le reste», Liber de haeresibus, 83, 49.10-12. Toutefois, la diffusion du substantif qualifiant la doctrine – monophysisme – procède non pas de cette clarification mais d’une conceptualisation moderne censée pointer la revendication exclusive de la célèbre formule cyrillienne: «Unique est la nature du Verbe incarnée». Développée a posteriori, cette dénomination, à l’instar de la polémique pontificale de la seconde moitié du V e siècle, recouvre confusément l’ensemble des doctrines qui, se fondant sur l’enseignement cyrillien, repoussent la christologie des deux natures après l’Incarnation et le dogme chalcédonien. Or, dès l’époque moderne, les travaux

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Rome contre Alexandrie? L'interprétation pontificale de l’enjeu monophysite (de l’émergence de la controverse eutychienne au schisme acacien 448-484)*

di Philippe Blaudeau

Présentant dans un article célèbre les caractéristiques de l’hérésiologie romaine développée durant l’Antiquité tardive, Charles Piétri met en garde ses lecteurs: en dépit de la permanence des vocables et des références employées, des modifications importantes relatives à la perception de la réalité ainsi désignée se font jour aux IVe et Ve siècles. Celles-ci deviennent même particulièrement sensibles à mesure que se développent les controverses christologiques1. De plus en plus considérée comme un phénomène extérieur à l’espace latin, la déviance doctrinale tend alors à être attribuée à une cause singulièrement redoutable: l’hellénisme et son excessive subtilité. Simultanément, elle se voit dotée d’un pouvoir de perturbation étendu aux dimensions mêmes de l’Empire romain2. Danger majeur, tout en étant considérée, parole de l’Apôtre à l’appui, comme une nécessité purifiante3, l’hérésie fait donc l’objet d’un enrichissement de sens dans le discours pontifical. Or, celui-ci procède d’une confrontation sans cesse renouvelée avec le questionnement christologique venu d’Orient. À un moment où, dans le reste de l’Occident, les courants doctrinaux en cause ne sont guère connus, caractéristique qui contribue à placer cet espace à l’écart du mouvement de réflexion et d’approfondissement théologique, le Siège apostolique, qu’il soit saisi ou qu’il s’implique de son propre mouvement, demeure en effet l’un des acteurs principaux des conflits dogmatiques orientaux. Aussi sa dénonciation de l’erreur participe-t-elle, au premier chef, de l’affirmation des prérogatives et des responsabilités dévolues au successeur de saint Pierre, dans un contexte d’adversité où les prétentions romaines ne sont guère reçues. À cet égard, la participation consentie par la papauté à l’élimination des idées et des manifestations monophysites4 *Cet article reprend et actualise un mémoire de recherche préparé à l'Ecole Française de Rome et remis à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (Institut de France en juin 2002).

1 C. PIÉTRI, L’hérésie et l’hérétique selon l’Église romaine (IVe-Ve siècles), Aug. 24 (1987) 867-887. 2 Ibid., 883-886. 3 1 Co 11, 19. 4 L'insatisfaction éprouvée par les historiens face à l’emploi du terme polémique de «monophysisme» est un phénomène déjà ancien. La formation de ce vocable et de ses dérivés est postérieure à la période étudiée. Il ne figure même pas dans les ouvrages hérésiologiques de la seconde moitié du VIe siècle, tels que le De sectis ou le De iis qui ad ecclesiam accedunt de Timothée de Constantinople. Pourtant, l’usage du nom commence à se répandre sous le pontificat de Grégoire le Grand (cf. ses lettres à Quiriacus et aux autres évêques de l’Église catholique d’Ibérie, Ier juillet 601, J.W. 1844, Registrum epistularum, libri VIII-XII, appendix, éd. D. NORBERG [CCL 140 A], Turnhout 1982, XI-52, 953.2 et à Euloge d’Alexandrie, août 602, J.W. 1866, ibid., XII-16, 990.2). Sans doute Jean Damascène lui confère-t-il une signification précisée. Distinguant nettement les eutychiens des fidèles de l’Église d’Alexandrie, il présente ces derniers comme «Égyptiens, schismatiques et monophysites séparés de l’Église orthodoxe sous le prétexte des décisions de Chalcédoine, mais demeurant orthodoxes sur tout le reste», Liber de haeresibus, 83, 49.10-12. Toutefois, la diffusion du substantif qualifiant la doctrine – monophysisme – procède non pas de cette clarification mais d’une conceptualisation moderne censée pointer la revendication exclusive de la célèbre formule cyrillienne: «Unique est la nature du Verbe incarnée». Développée a posteriori, cette dénomination, à l’instar de la polémique pontificale de la seconde moitié du Ve siècle, recouvre confusément l’ensemble des doctrines qui, se fondant sur l’enseignement cyrillien, repoussent la christologie des deux natures après l’Incarnation et le dogme chalcédonien. Or, dès l’époque moderne, les travaux

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constitue en soi un phénomène remarquable car, bien plus que la lutte contre les initiatives nestoriennes, finalement assez brève, la controverse oblige Léon et ses successeurs à démontrer la constance de leur position face à une contestation durable et dotée d’un dynamisme géo-ecclésial tel qu’elle paraît à plusieurs reprises en mesure d’unir tous les sièges orientaux et de tenir Rome dans un dangereux isolement5. Face à l’abondance documentaire qui témoigne de la gravité et la persistance de cet enjeu (jusqu’au pontificat de Grégoire le Grand au moins), il convient donc de reconnaître plusieurs phases au cours desquelles l’engagement romain varie selon qu’il prétende à une certaine performation en Orient pour ne pas permettre à l’opposition de s’enraciner, qu’il s’attache à prémunir l’espace illyrien de l’influence constantinopolitaine identifiée à la communion avec l’hérésie (sous le régime de l’Hénotique) ou que, une fois les liens rétablis sous l’impulsion de Justin Ier et de son neveu, le pontife cherche à ne pas se laisser prescrire les conditions d’une conciliation doctrinale. Dans les limites assignées à cette étude, il nous a semblé opportun de nous intéresser spécialement à la première de ces périodes, celle durant laquelle la papauté appréhende le mouvement monophysite et les premières étapes de son évolution, en forme une représentation polémique, dont la caractéristique fondamentale est de ne distinguer en rien entre convictions d’Eutychès d’une part, de Dioscore, de ses successeurs et de ses confrères d’autre part, pour mieux affirmer l’autorité dogmatique du Siège apostolique en réfutant un corpus doctrinal schématisé et condamner un adversaire nécessairement diabolisé. Cette entreprise menée, et avec quelle énergie!, par Léon, est poursuivie par Simplice et par Félix avant que ce dernier prenne acte du fait que son diagnostic et ses prescriptions ne reçoivent plus aucun écho auprès de l’empereur. Il se voit alors contraint à justifier une rupture dont il impute entièrement la responsabilité à son confrère de Constantinople, Acace. C’est ainsi que

des orientalistes permettent de redécouvrir que les Églises non chalcédoniennes d’Orient professent l’humanité intégrale du Christ. Progressivement fondée sur un corpus textuel de mieux en mieux connu, cette constatation conduit à distinguer la confession de ces communautés – attachées aux enseignements de Timothée Aelure et de Sévère d’Antioche – de l’eutychianisme, auquel elle était jusque-là le plus souvent assimilée. Dans une étude décisive, Le monophysisme sévérien, publiée en 1909, J. LEBON souligne en effet l’apport du patriarche d’Antioche (512-518) à la doctrine déjà prêchée par Dioscore, Timothée Aelure et Philoxène de Mabboug. Il facilite ainsi le succès de l’opposition entre monophysisme verbal (= sévérien) et réel (= eutychien). Toutefois, cette précision conserve l'inconvénient d’un élément à valeur exclusive, «mono», et témoigne encore, du côté catholique, d’une conception intransigeante justifiant le caractère hérétique des Églises non-chalcédoniennes par leur intention schismatique. Sans doute cette difficulté est-elle amoindrie à mesure que le dialogue œcuménique s’intensifie, notamment à la suite du concile Vatican II. Aussi, une désignation supposée restituer plus exactement la nature de la confession cyrillo-sévérienne est-elle bientôt employée, spécialement par A. GRILLMEIER, Jesus der Christus im Glauben der Kirche. II-4. Die Kirche von Alexandrien mit Nubien und Äthiopien ab 451, Freiburg i.Br. 1990 [tr. fr. Paris 1996], 51, 55 et surtout 536-537): le «miaphysisme». Sans connaître un succès rapide, elle rencontre désormais un certain écho. Cependant, sa visée reste strictement christologique. Autrement dit, elle ne peut aisément être exploitée par l’historien lorsque celui-ci entreprend de décrire et d’interpréter les phénomènes d’opposition communautaire à l’Église chalcédonienne. C’est pourquoi nous avons considéré que nous devions préférer l’emploi du terme «monophysisme» et des mots qui en découlent, d’autant qu’il désigne les ambiguïtés d’une position romaine qui ne s’embarrasse guère de distinctions. 5 Pour une étude approfondie du monophysisme alexandrin comme système rival du modèle promu à Chalcédoine, et prétendant tout aussi bien que lui faire la démonstration de sa capacité à récapituler l’Église impériale, qu’il nous soit permis ici de renvoyer à notre thèse Alexandrie et Constantinople (451-491): de l’histoire à la géo-ecclésiologie (sous presse).

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ce dernier personnifie les contradictions, la varietas6 d’un épiscopat oriental susceptible d’induire le basileus en erreur et de le rendre infidèle à la vocation de son règne. La séquence chronologique retenue correspond donc à une époque durant laquelle, à Rome, on peut tout à la fois espérer l’adhésion impériale à l’interprétation du Siège apostolique et une concrétisation rapide de ses exigences – à l’exception des brefs moments qui se situent à l’extrême fin du règne de Théodose II (été 449-été 450) et lors de l’usurpation de Basilisque (475-476). Or, d’emblée, cette période est marquée par une initiative capitale: dès le printemps 449, Léon prend le risque de remettre en cause l’une des caractéristiques les plus assurées de la politique géo-ecclésiale développée par ses prédécesseurs: l’alliance entretenue avec Alexandrie, spécialement observée lors des épiscopats d’Athanase et de Cyrille. Cette audace procède de la certitude, désormais conçue par le pape, que l’héritage revenant au successeur du prince des apôtres implique l’exercice d’un magistère doctrinal jusque-là peu revendiqué en Orient7. Ignorée par Dioscore, cette prétention explique dans une mesure assez considérable la condamnation par Rome des agissements prêtés à l’Alexandrin lors du concile d’Éphèse. Au feu de la polémique, le pape forge alors des formules-chocs appelées à exercer une profonde influence sur les laudateurs de la stricte ligne léonienne, au point de faciliter, selon les cas, l’extrapolation des historiographes ou les interpolations des faussaires. Illustrant cette tendance, un exemple remarquable peut être cité d’emblée. En effet, il incite à mieux distinguer ce qui relève de la position initiale des papes de ce qui lui a été adjoint à l’occasion de la controverse des Trois Chapitres, avant de passer ensuite dans les ouvrages modernes où sont privilégiées les sources latines traitant de la controverse monophysite. Il n’est pas besoin de rappeler combien l’expression latrocinium8 a pu faire florès pour réprouver l’œuvre d’une assemblée d’évêques pourtant convoquée régulièrement. Il n’y a pas lieu de douter que cette désignation a Léon pour auteur. Le refus de tenir la réunion d’Éphèse (449) pour un synode légitime fut d’ailleurs répété avec insistance par le pontife. Pour autant, ce n’est pas à lui qu’il faut attribuer l’habile dénigrement par lequel Dioscore, mis en scène comme «celui qui s’était tâché les mains dans le sang de l’innocent évêque catholique (Flavien de Constantinople)»9 fut conformé au Pharaon de l’Exode10. Car cette accusation d’homicide ne

6 F. Ep. 10, 77.2. Nous avons conservé la numérotation traditionnelle des courriers romains par pontificat telle qu’elle figure dans les éditions respectives des Ballerini et d’A. Thiel. La capitale qui précède correspond à l’initiale du pape expéditeur, s’il s’agit de Simplice (S) ou de Félix (F). En l’absence de ce genre d’indication, on voudra bien comprendre que l’auteur de la lettre n’est autre que Léon. En annexe I se trouve un tableau complet des références épistolaires comportant la mention des dates et des destinataires, les autres classements faisant autorité, ainsi que les renvois aux éditions exploitées tout au long de ce travail. On voudra bien s’y reporter. 7 Nonobstant le précédent constitué par le Tome aux Orientaux de Damase (377). Celui-ci consistait en une reprise du symbole de Nicée auquel étaient associés 24 anathématismes «résumant la théologie romaine» (C. PIÉTRI, Roma christiana, Rome 1976, 834) dont l’impact en Orient fut notable mais dont la forme l’apparentait à un recueil de sentences («un code de l’orthodoxie»: ibid., 839). Avec la lettre à Flavien, Léon ne renonce en rien aux prétentions de son lointain prédécesseur mais il entend en outre démontrer que le Siège apostolique ne se contente plus seulement de récapituler la foi catholique. Mieux que tout autre désormais, il l’explicite, il en assure la praedicatio. Cf. H.-J. SIEBEN, Die Konzilsidee der alten Kirche, Paderborn 1979, 141; M. WOJTOWYTSCH, Papsttum und Konzile von den Anfängen bis zu Leo I. (440-461). Studien zur Entstehung der Überordnung des Papstes über Konzile, Stuttgart 1981, 349. 8 Ep. 95, 51.4. 9 Ep. 120, 80.2-3.

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se trouve que dans la lettre prétendument adressée à Théodoret de Cyr. Or, on a pu prouver que l’essentiel, si ce n’est la totalité de son contenu, ignoré par Facundus d’Hermiane et par le diacre Pélage, avait été composé dans les cercles formés à Aquilée ou dans son voisinage, c’est-à-dire précisément là où, dans les dernières décennies du VIe siècle, s’était organisée une forte résistance à la condamnation, admise par Vigile et par ses successeurs, de la personne de Théodore de Mopsueste et de certains écrits de Théodoret de Cyr et d’Ibas d’Édesse11. Démontrant une grande familiarité avec la pensée de Léon, au point de tromper certains des spécialistes les plus experts, le contrefacteur s’était livré à une exagération dramatique des méfaits attribués à Dioscore. Le résultat de son entreprise constitue en quelque sorte le plan ultime de la perspective tracée par les sources pontificales puisqu’elle manipule considérablement la diégèse romaine du premier monophysisme tout en réussissant à ne pas en altérer la cohérence. Autrement dit, le faussaire accomplit son ouvrage en se fondant sur une démonstration suivie d’un phénomène ecclésial oriental promptement jugé hérétique à Rome. Or, les principes de ce discours, posés par Léon, sont à ce point solides que l’interpolateur-copiste s’emploie bien plus assidûment encore à diffuser l’œuvre épistolaire qu’à la compléter à sa guise12. Mieux, son entreprise principale n’est pas isolée. Elle rencontre des efforts semblables conduits à Vérone ou dans ses environs pour faire mémoire des prises de position pontificales exprimées avant et pendant le schisme acacien13. C’est donc au nom d’une certaine compréhension du combat mené par les papes de la seconde moitié du Ve siècle que s’élabore en Italie du Nord (Venetia et Histria) un important processus de transmission textuelle, qui assure la reproduction manuscrite d’un nombre très considérable de pièces dont nous dépendons pour cette étude. Il témoigne du fait que, à côté des motifs doctrinaux, les opposants à la condamnation des Trois Chapitres, soucieux de leur autonomie ecclésiastique, entendent demeurer fidèles à une certaine papauté: celle qui s’est illustrée, comme jamais auparavant, dans la lutte contre l’hérésie. Cette constatation n’est pas de médiocre importance. Elle atteste du caractère déterminant acquis par la participation de la papauté à la controverse christologique, au point que sa dénonciation du monophysisme est considérée, dès l’Antiquité, comme l’une des expressions d’autorité les plus conformes à la primauté pétrinienne. Ainsi le discours pontifical, tout au long de sa période fondatrice, a-t-il une portée identitaire majeure: en se confrontant durablement à l’ennemi, il se voit contraint de préciser son explication des raisons de la puissance adverse mais il doit aussi perfectionner les arguments justifiant son action et les indispensables partenariats qu’elle suppose.

10 Ibid., 7918. Cf. H. HAUBEN, The Alexandrian Patriarch as Pharaoh. From Biblical Metaphor to Scholarly Topos, in Egyptian Religion. The Last Thousand Years. Studies Dedicated to the Memory of Jan Quaegebeur, éd. W. CLARYSSE, A. SCHOORS et H. WILLEMS, Louvain 1998, 1352. 11 R. SCHIEFFER, Der Brief Papst Leos d. Gr. An Theodoret von Kyros (CPG 9053), in Hulde aan Dr. Maurits Geerard bij de voltooiing van de Clavis Patrum Graecorum, Hommage à Maurits Geerard pour célébrer l’achèvement de la Clavis Patrum Graecorum, éd. J. NORET, Wetteren 1984, 84-85. 12 La fameuse epistula 120 appartient en effet à la collectio Grimanica (conservée dans le codex Parisinus bibliothecae Mazararinae 1645, du IXe siècle), le plus ample des recueils de lettres de Léon – il ne compte pas moins de 104 courriers –, dont on s’accorde à penser qu’elle procède de l’entreprise de lettrés placée sous la direction des évêques d’Italie du Nord hostiles au concile de Constantinople (553). En dernier lieu, cf. D. JASPER, Papal Letters in Early Middle Ages, Washington 2001, 43. 13 Cf. R. SCHIEFFER, Zur Beurteilung des norditalischen Dreikapitel-Schismas. Eine überlieferungsgeschichtliche Studie, ZKG 87 (1976) 176-183. Parmi les manuscrits signalés dès 846 par l’archidiacre Pacificus dans son relevé des ouvrages se trouvant dans la bibliothèque de l’évêché, figure spécialement le précieux codex XXII [20] (aujourd’hui encore conservé à la bibliothèque capitulaire de Vérone). Cf. infra, 161.

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Avant d’engager une analyse détaillée de cette projection historique de l’autre et de soi, il nous faut encore indiquer quelle est notre démarche épistémologique. Attentive aux apports de la dogmatique et de l’ecclésiologie, notre recherche se veut cependant pleinement historique et libre de toute normation confessante face à une question qui concerne de près, nous l’avons dit, ce qui nous apparaît être l’une des affirmations les plus riches de la conception d’ensemble de l’apostolicité et de la catholicité romaine à l’époque ancienne14. C’est pourquoi nous n’avons pas l’intention, par exemple, d’entreprendre une étude de christologie léonienne15 ou de nous impliquer dans une vérification du bien-fondé doctrinal qu’il assigne, selon l’argument traditionnel de succession hérétique, aux convictions d’Eutychès en débusquant leur origine dans les enseignements des docètes16. Il nous importe en revanche de dépister les conditions dans lesquelles cette catégorisation est exploitée et de déterminer la fréquence avec laquelle le pape recourt à cette présentation assimilatrice. Il nous faut aussi signaler que nous ne pouvons ici retracer l’ensemble du contexte historique dans lequel se structure la représentation romaine du monophysisme. En fonction des questions abordées, nous nous limiterons à fournir les informations indispensables à la compréhension des positions, renvoyant dès à présent au chapitre de Christiane Fraisse-Coué17, pour ce qui concerne le déroulement de la controverse eutychienne jusqu’au concile de Chalcédoine, et à la présentation des événements survenus ensuite, jusqu’au schisme acacien, telle qu’elle figure dans notre thèse18. L’étonnante faculté démontrée par la papauté, par Léon en premier lieu, de prendre parti dans une affaire qui par bien des aspects ne lui est guère familière – rappelons par exemple que Léon ne se juge pas en mesure de traduire son propre Tome en grec19, ce qui trahit certaines de ses difficultés à circonscrire l’acception de concepts-clefs – nous incitera en premier lieu à nous intéresser au mode par lequel Rome prend connaissance du phénomène monophysite et évalue la pertinence relative des informations qu’elle a pu recueillir. Il nous faudra ensuite examiner les voies par lesquelles le summus pontifex fait connaître ses réponses ou saisit l’opportunité de rappeler ses correspondants à leurs devoirs. Une fois la documentation pontificale mieux connue, nous pourrons aborder la définition romaine de l’hérésie monophysite. Nous

14 L’exigence épistémologique à laquelle nous entendons soumettre notre enquête explique son peu de points de contacts avec les travaux de certains théologiens se préoccupant, sous couvert de démontrer le service de la vérité accompli par Léon, de substituer des résumés de publications biens connues et d’amples citations textuelles à l’analyse contextualisée et critique des sources pontificales confrontées au témoignage des autres fonds disponibles. Il est à regretter qu’un ouvrage récent, au titre pourtant prometteur (L. CASULA, Leone Magno. Il conflitto tra ortodossia e eresia nel quinto secolo, Rome 2002), verse spécialement dans ce travers, au point de ne guère présenter d’intérêt pour notre étude. 15 Est-il besoin de souligner combien cette recherche continue de susciter de nombreux travaux, parfois fort volumineuses, à l’exemple de l’analyse de H. ARENS, Die christologische Sprache Leos des Großen. Analyse des Tomus an den Patriarchen Flavian, Freiburg i.Br. 1982, qui ne compte pas moins de 716 pages. 16 Travail d’ailleurs entrepris par le patrologue A. GRILLMEIER dans son magnum opus, Jesus der Christus im Glauben der Kirche. II-2. Die Kirche von Konstantinopel im 6. Jahrhundert, Freiburg i.Br. 1989 [tr. fr. Paris 1993], 250-280, avec une acribie remarquable. 17 C. FRAISSE-COUÉ, D’Éphèse à Chalcédoine, «la paix trompeuse», in Histoire du christianisme. III, Les Églises d’Orient et d’Occident (432-610), dir. L. PIÉTRI, Paris 1998, 36-77. 18 Cf. E. SCHWARTZ, Publizistische Sammlungen zum acacianischen Schisma (ABAW. PH 10), München 1934, 171-210; voir aussi W.H.C. FREND, The Rise of the Monophysite Movement, Chapters in the History of the Church in the Fifth and Sixth Centuries, Cambridge 1972, 143-180. Signalons également l’utile mise au point de P. MARAVAL, Le concile de Chalcédoine, in Histoire du christianisme, III, cit. 79-106. 19 Ep. 124, 159.6-7.

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chercherons à mettre en évidence le processus par lequel Léon et ses successeurs visent à en caractériser les causes et à en minorer l’originalité, sans pour autant négliger l’ampleur de sa propagation après Chalcédoine. C’est alors que pourront être étudiées les descriptions des hérétiques, en veillant à montrer combien chacun des portraits reçoit ses couleurs dominantes en fonction d’une posture attribuée au condamné à l’occasion de son principal forfait. Il nous faudra souligner aussi les variantes d’exposition et d’intensité selon l’importance accordée à chacun dans l’émergence et la perpétuation des troubles. Une fois cette tâche menée à bien, nous pourrons considérer, dans une dernière partie, les modalités privilégiées par le pape pour obtenir l’éradication du monophysisme avant de considérer, en conclusion, les premières expressions rendant compte d’une séparation ecclésiale bientôt dénoncée avec une application inexorable par Gélase. I. INFORMATIONS ET DOCUMENTATION: LE PROCESSUS D’IDENTIFICATION DU PHÉNOMÈNE a) Des sources privilégiées Le premier à faire savoir au pape que de nouveau une menace hérétique se précise en Orient, particulièrement à Constantinople, n’est autre qu’Eutychès lui-même. Celui-ci, archimandrite de l’important monastère de Job20, n’est certes pas un inconnu. Figurant au nombre des soutiens sollicités par Cyrille au moment d’obtenir que les décisions de son concile d’Éphèse (431) soient préservées21, sa réputation est assez assurée pour qu’il puisse prendre l’initiative d’entretenir Léon au sujet de la résurgence du nestorianisme et ainsi suggérer que la lutte se prépare de nouveau à Constantinople. La réponse du pontife, lapidaire, laisse déjà percer l’idée que Léon ne considère nullement le vieil higoumène22 comme le mieux à même pour intervenir dans l’affrontement doctrinal annoncé23. Cette prudence de principe se transforme en réserve anxieuse lorsqu’il lui faut se prononcer sur le libelle d’appel qu’Eutychès lui transmet sans doute au tout début de l’année 449. Ne manquant pas de joindre une volumineuse documentation à sa réclamation24, l’archimandrite s’entoure de cautions

20 Traditionnellement situé à l’Hebdomon. Cf. R. JANIN, La géographie ecclésiastique de l’Empire byzantin. Le siège de Constantinople et le patriarcat oecuménique. I-3. Les Églises et les monastères, Paris 1953, 19692, 272. Récemment une localisation alternative, près de l’église de saint Mokios, à l’intérieur des murs théodosiens a été proposée. Cf. V.H. DRECOLL, Die Stadtklöster in Kleinasien und Konstantinopel bis 451 n. Chr., CrSt 23 (2002) 645-648. 21 Toutefois aucun courrier de Cyrille, parmi ceux qui nous ont été conservés, ne lui est adressé. En revanche, Eutychès indique à l’occasion de la première session du second concile d’Éphèse (449) que l’archevêque d’Alexandrie lui fit envoyer les actes du concile qu’il présida (ACO II-1-1, 91.11-13). Cf. H. BACHT, Die Rolle des orientalischen Mönchstums in den kirchenpolitischen Auseinandersetzungen um Chalkedon (451-519), in Das Konzil von Chalkedon. II, éd. A. GRILLMEIER et H. BACHT, Würzburg 1953, 208. 22 Il précise lui-même dans son libellus appellationis qu’il est âgé «de soixant-dix ans environ» (ACO II-2, 34 .30). 23 Ep. 20, 3. 24 Cf. ACO II-2, 33-42 (version latine de la collectio Novariensis de re Eutychis, recueil sans doute constitué à Rome peu après Éphèse et peut-être même utilisé lors du synode d’octobre). À côté du libellus appellationis au sens strict (ACO II-2, 33.11-34.34), la plus longue partie de l’ensemble (ibid., 35.33-42.35) est constituée par un florilège où figurent des témoignages qui ont été depuis reconnus comme des faux apollinaristes (cf. l’utile mise au point de P.T. CAMELOT, De Nestorius à Eutychès. L'opposition de deux christologies in Das Konzil von Chalkedon. II, éd. A. GRILLMEIER - H. BACHT,

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impressionnantes : il obtient notamment que son dossier soit accompagné par une lettre de soutien impériale25. Mis en demeure de répondre, Léon affirme d’abord qu’il ne permet pas de savoir clairement en quoi consiste l’affaire qui a valu à l’archimandrite d’être déposé et excommunié par le synode permanent tenu en novembre 448, puisque tant Eutychès qu’Eusèbe de Dorylée, dont le libelle d’accusation a été joint à l’envoi par le condamné, prétendent approuver intégralement la foi de Nicée26. Regrettant de ne pas avoir été informé suffisamment tôt par l’archevêque constantinopolitain27, le pape n’en signifie pas moins que la décision de l’assemblée épiscopale constituerait à ses yeux la version la plus digne de foi, loin devant le témoignage d’un ascète, même vénéré et appuyé par l’empereur. Le premier courrier de Flavien qui parvient à Rome après le 18 février 44928, croisant de ce fait la lettre par laquelle le pape réclame «une relation très complète» à son confrère29, renforce Léon dans ses dispositions. Affirmant qu’Eutychès fait revivre la fausse doctrine de Valentin et d’Apollinaire30, ce dont l’archimandrite s’est défendu dans son appel31, la lettre de l’évêque constantinopolitain, à laquelle est attachée la sentence décrétée l’année précédente, prend rang à Rome, en quelque sorte, de première version accréditée de l’affaire. Mais Flavien ne s’en tient pas là. Désireux de réfuter les affirmations d’Eutychès et, en particulier, de réduire à néant l’allégation selon laquelle son tribunal n’aurait pas enregistré l’appel de l’archimandrite32, il fait bientôt parvenir à Léon les actes de la dernière séance (22 novembre 448) du synode33. Le pape prend alors connaissance de la procédure accusatoire par laquelle le vieil archimandrite, s’il a finalement admis la consubstantialité du Christ à notre humanité34, a été convaincu d’erreur en refusant de confesser «les deux natures après l’Union»35. Dès lors, le pape se déclare plus certain de la cause36 et peut entreprendre la rédaction du Tome, avant même que ne lui parviennent l’ensemble des

Würzburg 1951, 237-238). Eutychès adjoint encore à cet envoi son libelle de profession de foi qui n’a pas été lu lors du synode de novembre 448 (ACO II-2, 34 .37-35.14) ainsi que la contestation de la sentence d’excommunication qu’il a fait afficher dans Constantinople (ibid., 35.15-32). Rappelons qu’une autre traduction du dossier nous a été transmise par la collectio Casinensis (= ACO II-4, 143-145), mais cette seconde version est moins complète et, peut-être, beaucoup plus tardive: v. P. PEETERS, Bulletin des publications hagiographiques, AB 50 (1932) 391-394. Notons en outre qu’Eutychès s’est tourné vers Alexandrie (Liberatus, Breviarium, 12, ACO II-5, 117.4-6) et Ravenne (voir la réponse de Pierre Chrysologue, ACO II-3-1, 6) pour obtenir justice. 25 Connue d’après la réponse de Léon, Ep. 24, 3-4 26 Ibid., 3.21-4 .6. 27 Ep. 23, 4.20-23, 5.19-20, Ep. 24, 3.20-22, 4.10-12. 28 V. GRUMEL, Les regestes des actes du patriarcat de Constantinople. I. Les actes des patriarches. 1. Les regestes de 381 à 715, Paris 19722, n° 103. 29 Ep. 23, 5.8-10. 30 ACO II-1-1, 37.7. 31 ACO II-2, 34.22-25. 32 ACO II-1-1, 39.31. Question de réelle importance car pour être valide, l’appel devait être déposé devant le tribunal ayant prononcé le premier jugement. Cf. G. MAY, Das Lehrverfahren gegen Eutyches im November des Jahres 448. Zur Vorgeschichte des Konzils von Chalkedon, AHC 21 (1989) 53. 33 Qualifiés d’ uJpomnhvmata. Cf. ACO II-1-1, 39.6, voir aussi Regestes, n° 106. 34 ACO II-1-1, 142.26-33. 35 Ibid., 144 .24-25, 145.10-19. 36 Ep. 27, 9.4.

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gesta de l’assemblée de novembre37. C’est ainsi que dans sa lettre doctrinale adressée à Flavien, censée mettre un terme à la polémique, Léon précise en fonction de quel dossier il prend position: celui-ci est constitué de la seconde lettre que Flavien lui a envoyée, de même que les actes épiscopaux dont il marque l’étude attentive. «Ce qui était caché (lui) apparaît révélé» désormais38. Et pour faire bonne mesure, le pape multiplie les références à cette pièce, pour mieux en attester le caractère autorisé39. À son contact, le libelle d’Eutychès constitue un élément supplémentaire à charge pour l’archimandrite40, dont la seule pertinence réside dans la promesse, exprimée par le vieux moine, de se conformer au jugement du pontife41. Si le Tome de Léon dépend de la version des gesta consignée par les notaires de l’Église constantinopolitaine42 – parmi lesquels figure en bonne place un diacre du nom d’Aetius –, version encore corroborée par un évêque d’origine occidentale, Julien de Cos, qui a siégé au synode permanent43, les événements d’Éphèse (août 449) sont authentifiés par le témoignage du diacre romain, Hilaire, qui, en compagnie de l’évêque Jules de Pouzzoles et du prêtre Renatus44 auxquels s’ajoutait le notaire Dulcitius, avait été désigné par Léon pour représenter le Siège apostolique au concile. Ce n’est pas que le pape ne recueille d’autres récits lui rapportant, de première main, le déroulement du concile. Au contraire, l’appel de Flavien45, sans doute transmis par le même légat et lu en synode (tenu en octobre 449, mettant à profit l’occasion du natalis épiscopal de Léon [29 septembre]), de même que celui d’Eusèbe de Dorylée46, 37 Puisque par la lettre du 20 juin 449 (Ep. 36), Léon remercie Flavien pour l’envoi des gesta, on peut croire en effet que si cette formule ne se rapporte pas au courrier constantinopolitain du début du printemps, un nouvel envoi, comportant le reste des actes du synode de novembre a eu lieu entre-temps. Voir en ce sens E. SCHWARTZ, Der Prozeß des Eutyches. Vorgetragen am 2. März 1929 (SBAW 5), München 1929, 87, note 1. 38 Ep. 28, ACO II-2, 24.17-19. 39 Ep. 29, 9.21-22, Ep. 31, 12.25-27, Ep. 32, 12.6, Ep. 34, 16.28-29, Léon s’exprime avec davantage de prudence lorsqu’il s’adresse aux évêques devant se rassembler à Éphèse. Il s’agit en l’occurrence de ménager leur propre capacité à se former une idée exacte de la nature de l’affaire sans pour autant que le pape éprouve le moindre doute à cet égard (Ep. 33, 16.8-10). 40 Ep. 31, 14 .27. 41 Ep. 29, 9.26-27, Ep. 33, 16.7-8. Voir aussi le libelle d’Eutychès, ACO II-2, 34.8-10. 42 Rappelons qu’Eutychès s’était plaint que ceux-ci ne fussent pas complets, ce qui, sur ordre impérial, provoqua leur examen contradictoire (avril 449), alors même que le concile d’Éphèse était déjà convoqué. Le résultat de cette opération n’aboutit à aucune conclusion définitive, les notaires défendant leur travail avec une efficace opiniâtreté. Le patrice Florentius ordonna seulement que les actes fussent transmis à l’empereur, tandis qu’Eutychès pouvait maintenir ses allégations (cf. SCHWARTZ, Prozeß, cit., 88-89; MAY, cit., 57) 43 Ep. 34, 16.17-20, Ep. 35, 6.12-14. Il y a lieu de croire que les lettres de soutien à Flavien composées par Pulchérie et par les principaux représentants de la faction monastique hostile à Eutychès (que les courriers de Léon en date du 13 juin 449 rendent très probables, cf. SCHWARTZ, Prozeß, cit., 56, 93) avaient conforté Léon dans son analyse de la situation. Toutefois, aux yeux du pape, elles ne pouvaient être ajoutées à la valeur probante d’un jugement épiscopal. 44 Mort à Délos avant d’avoir pu rallier le concile. Cf. Gesta de nomine Acacii, 442.4-5; concernant la forme singulière du toponyme dans cette source, Adelo, cf. O. GÜNTHER, Zu den «Gesta de nomine Acacii», ByzZ 3 (1894) 146-147. Sur les dommages causés à la légation romaine par cette disparition, v. E. CASPAR, Geschichte des Papsttums. I, Tübingen 1930, 489. Rappelons que Julien de Cos a sans doute été empêché de participer au concile d’Éphèse (août 449) et d’assister les légats romains par la même occasion. 45 ACO II-2, 77-79. 46 Ibid., 79-81. Portée par le prêtre Chrysippe et le diacre Constantin avec le concours d’Hilaire semble-t-il (ibid., 80.41-81.1, 81.8-9), cette pièce parvient à Rome dès le début de l’automne 449 avant que le

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comportent une relation saisissante de l’autoritarisme, des blasphèmes, des violations de procédures et des brutalités prêtées à Dioscore. Pourtant, dans leurs courriers, le pape et son synode prennent soin de ne se référer qu’au rappel des faits tels qu’ils leur ont été narrés par Hilaire47. Il s’agit en effet de bien insister sur le caractère absolument véridique d’un compte rendu qui, puisque l’envoyé du Siège apostolique est resté fidèle à sa mission, engage son mandant au point que ce dernier ne peut que faire droit à ceux dont l’appel corrobore sa relation. Aussi le pape ne se prive-t-il pas de souligner que le récit des événements, officiellement établi à Rome, doit balayer toutes les réserves et toutes les objections, puisqu’il est revêtu de l’autorité apostolique elle-même. De même que Léon a dû se rendre à une évidence pourtant difficile à croire48, de même ses correspondants devront-ils ne rien redire de sa version qui atteste, par excellence, l’ordre des faits49. Arrêtons nous un moment sur les premiers résultats de notre enquête. Pour l’essentiel, l’appréciation romaine du phénomène eutychien et de ses conséquences immédiates, appelée à ne plus jamais être mise en cause dans la suite de la controverse, repose donc sur l’articulation d’un dossier d’actes synodaux constitué à l’initiative de l’archevêque de Constantinople, Flavien, et d’un regeste de la première session du concile d’Éphèse garanti par un légat romain, Hilaire, dont le témoignage s’accorde assez étroitement avec le libelle du même archevêque, qui vient d’être déposé et excommunié. En revanche, nulle part, à ce stade, Léon ne fait mention d’un envoi de Dioscore dont l’argumentation, sans doute favorable à Eutychès, aurait été bien plus difficile à écarter que celle du vieil archimandrite. Faut-il croire que cette étonnante absence procède de l’élimination délibérée d’une pièce bien gênante pour la chancellerie pontificale? C’est hautement improbable. À notre connaissance, il n’existe pas le moindre indice d’un tel envoi dans l’ensemble de la volumineuse série de sources anciennes abordant cette période, qu’elles soient pro ou antichalcédoniennes. Dès lors, comment

plaignant lui-même ne réussisse à gagner cette même ville. En effet, nous savons que, partageant la communion de Léon, il se trouve encore dans l’Urbs le 13 avril 451. Cf. Ep. 79, 38.12-16 et Ep. 80, 40.13-18. 47 Ep. 44, 19.24-20.11; Ep. 47, 22.15-16; voir aussi Ep. 39, 23.6-8. 48 Ep. 50, 21.12-21. 49 Ep. 45, 24.14: rerum gestarum nobis ordinem fideliter narravit. Peut-être Hilaire avait-il pu recueillir les notes prises par Dulcitius au nom de l’Église de Rome – après traduction de Florentius de Sardes? En tout cas, c’est l’évêque de Lydie qui restituait les propos des légats en grec: cf. notamment ACO II-1-1, 82.27-28, 83.1; voir aussi Iulius 3, episcopus Puteolanus et Hilarius 2 diaconus Romanus, PCBE II, 989, 1203 – et avait-il pu conserver ses écrits ensuite, avant de les produire devant le synode réuni par Léon. Ainsi donc la première séance du concile d’Éphèse (8 août 449), durant laquelle le Tome a été lu, Eutychès réintégré puis Flavien et Eusèbe déposés et excommuniés, devait dès lors constituer, pour la papauté, le corps du crime tandis que les condamnations d’Ibas d’Édesse, de Théodoret, de Domnus d’Antioche ou d’autres évêques orientaux encore (peut-être toutes prononcées le 22 août), moins circonstanciées, si elles avaient sans doute été apprises par le légat, finalement assigné à résidence sur l’initiative de Dioscore (cf. Hilaire à Pulchérie, inter Leonis epistulas, Ep. 46, 27), furent connues essentiellement par l’appel de l’évêque de Cyr, tenu à l’écart de la réunion d’Éphèse (Théodoret de Cyr, Ep. 113, Correspondance. III, éd. et trad. française Y. AZÉMA [SC 111], Paris 1965, 56-67) et ne firent ensuite l’objet d’aucune spécification nominative dans la correspondance pontificale. Il faut le souligner, en effet, jamais le témoignage de Théodoret n’est cité comme source dans la correspondance préchalcédonienne de Léon, quand bien même les faits qu’il avance correspondent à l’interprétation hérésiologique développée à Rome (ibid., 62.10-12) et ce alors même que le pape lui a conservé sa communion (ACO II-1-1, 69.12-14).

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interpréter l’assourdissant silence de Dioscore, si peu conforme à la stratégie développée par son prédécesseur50? Le choix risqué de l’Alexandrin nous semble répondre à une volonté d’exploiter l’affaire Eutychès qui, soit qu’il l’ait créée, soit qu’il se soit seulement contenté de chercher à s’en saisir51, le place alors en position de force. Désigné comme le président du concile d’Éphèse, il paraît désireux, après avoir remarqué le peu de faveur démontré par Léon à l’endroit d’Eutychès, de ne pas donner prise aux interventions du pape dont il a déjà éprouvé la propension à réglementer la liturgie alexandrine52. Tant avant le concile que pendant son déroulement ou même dans ses suites immédiates53, Dioscore semble vouloir tenir le siège pontifical à l’écart, se réservant la possibilité de reprendre progressivement contact avec lui au fur et à mesure que, l’appui de Théodose aidant, le pape sera contraint d’admettre la nouvelle donnée ecclésiale. L’élévation d’Anatole sur le siège de Constantinople lui offre l’occasion de mettre en œuvre cette politique. À en croire Théodore le Lecteur, l’Alexandrin participe lui-même à l’ordination de son apocrisiaire comme archevêque de Constantinople54. Mieux, Léon reçoit bientôt les lettres de communion du nouvel élu55 ainsi que de ceux qui l’ont consacré, le tout conformément à la coutume ecclésiastique56. Or, le pape ne manque pas de faire mention de ce courrier, longtemps après les faits, pour rappeler Anatole à plus d’humilité en évoquant les conditions dans lesquelles le diacre alexandrin a pu remplacer Flavien57. Les formules

50 Cf. PIÉTRI, Roma christiana, cit., 1355-1393. 51 L’étonnante place prise par le représentant de l’empereur, le patrice Florentius, lors de la dernière session du synode de novembre 448, a conduit E. Schwartz à penser qu’il aurait savamment accentué les affirmations diphysites de telle sorte qu’Eutychès, ne désirant consentir qu’aux formules admises par les Alexandrins, ne les acceptât pas et que la contre-offensive voulue par Chrysaphe et Dioscore fût facilitée (cf. SCHWARTZ, Proceß, cit., 85-86). Jugée trop ingénieuse par nombre de savants (cf. R. DRAGUET, La christologie d’Eutychès d’après les actes du synode de Flavien [448], Byz. 6 [1931] 441-457. 441-442 note 2 ou BACHT, cit., 216), cette hypothèse a récemment fait l’objet d’une tentative de réfutation de la part de MAY, cit., 43-52. Ce dernier a considéré que l’ex-consul, le 22 novembre 448, avait progressivement admis le bien-fondé doctrinal des exigences exprimées par le synode à l’endroit d’Eutychès et les avait appuyées par souci de clarté et de cohérence. Ayant mesuré ensuite combien l’influence d’Eutychès restait dominante à la cour, il aurait cherché à minimiser l’importance de ses interventions passées au moment de l’examen des actes du procès d’Eutychès ordonné par Théodose II (13 avril 449; cf. ACO II-1-1, 171-172, 811-812 et G. MAY, cit., 57). Toutefois, il est bien difficile de croire à ce genre d’inconsistance de la part d’un patrice dont G. May admet volontiers qu’il fut d’emblée envoyé pour signifier le soutien de l’empereur au vieil higoumène (ibid., 40). Avec Schwartz, nous pensons que les précisions ultérieures données par Florentius étaient destinées à imputer aux évêques l’entière responsabilité d’une conception christologique audacieuse (deux natures après l’Incarnation) que l’ex-consul s’était employé à cautionner. Ainsi Eutychès qui, à la différence de ses juges, n’avait pas consenti à ce qui ressemblait fort à une innovation doctrinale, pouvait-il plus aisément prétendre avoir été injustement condamné. 52 Léon à Dioscore, 21 juin 445, Ep. 9, JW 406 = PL 54, coll. 623-627. Voir aussi notre contribution Pierre et Marc. Remarques sur la revendication d’une relation fondatrice entre sièges romain et alexandrin dans la seconde moitié du Ve siècle, in Pietro e Paolo. Il loro rapporto con Roma nelle testimonianze antiche. XXIX incontro di studiosi dell’antichità cristiana (Roma, 4-6 maggio 2000), Rome 2001, 581-582. 53 Remarquons en effet qu’aucune lettre synodale ne paraît avoir été adressée à Léon à l’issue des travaux éphésiens. 54 Théodore le Lecteur, HE, F 2, E. 351, 99. 55 ACO II-4, XXXXV-XXXXVI. Cf. Regestes, cit., n 111. 56 Ep. 71, 32.5-7. 57 Ep. 104, 56.2-3, Ep. 106, 59.24-25, Ep. 111, 63.5-8; Ep. 112, 64.29-30; Ep. 113, 66.4-5; voir aussi Ep. 104, 56.6.

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génériques par lesquelles il désigne les ordinateurs ne laissent pas clairement établir que Dioscore était au nombre des souscripteurs. Mais elles n’en préviennent pas l’hypothèse. On peut estimer en effet que le pape n’avait aucune intention de laisser trop aisément voir que l’Alexandrin s’était jugé en droit de reprendre langue avec lui, comme si son rôle lors du concile d’Éphèse ne l’en eût empêché. Quoi qu’il en soit, en ne se proposant pas pour but premier de faire parvenir jusqu’à Rome la version alexandrine des premiers épisodes de la controverse, Dioscore prive les monophysites de toute possibilité de reprise de contact avec la papauté. Aussi les quelques tentatives ultérieures qui nous sont signalées illustrent-elles par leur échec immédiat l’incompréhension qui règne entre les deux espaces. C’est ainsi que, dans son sermon de Noël 457, Léon signale la venue à Rome de «certains Égyptiens, surtout des commerçants [qui] défendent ce qu’à Alexandrie les hérétiques ont accepté d’une manière criminelle». Le pape affirme alors «qu’ils prétendent que le Christ n’est que d’une seule nature, celle de la divinité»58. De même, apprend-on du témoignage des apocrisiaires de l’archevêque Jean Hémoula (491-505) qu’une députation de leur Église vint à Rome, sous le pontificat de Léon, peut-être, pour obtenir une traduction satisfaisante du Tome. Dénigrée par un Alexandrin, elle aurait été méprisée par le pontife59. Le rejet du témoignage monophysite procède désormais de sa qualification hérétique. Il ne saurait être question pour Léon de donner le moindre crédit à des déclarations écrites ou orales qui manifestent la solidarité de leurs auteurs avec Dioscore. La supplique des partisans de Timothée Aelure, qui est transmise au pape par l’empereur Léon pour examen (automne 457), est ainsi dénoncée avec une ferme vigueur: elle ne vise qu’à tromper, comme l’atteste l’absence des noms de ceux qui l’ont composée60. Délibérément écartées, les protestations des adversaires du Tome ne doivent pas même trouver de tribune officielle pour s’exprimer61. Identifié au

58 Cf. sermon XCVI (Noël 457), dans Sermons, éd. et trad. française H. LECLERCQ et R. DOLLÉ, 4 vol. (SC 22 bis, 49 bis, 74 bis et 200), Paris 1964-1976, 202-204. 59 Libelle des apocrisiaires alexandrins (497) Urk. 93, CA 102, 470, sur ce document qui procède d’un espoir de réconciliation avec le pape Anastase II, voir Pierre et Marc, cit., 588-589. L’opposant résolu à l’ambassade évoquée était peut-être l’un des quelques fidèles de l’archevêque assassiné, Protérius, dont Zacharie, HE, IV-3-4, 67-68, nous dit qu’après avoir souhaité rallier Aelure et avoir été humiliés par ses partisans, ils s’étaient réfugiés auprès du pape et n’avaient pas ménagé leurs efforts pour que Léon détestât Aelure. Notons par ailleurs que deux sources signalent que Monge fut tenu par son acceptation de l’Hénotique à se mettre en rapport avec Simplice (Théodore le Lecteur, HE, E. 423, 117; Liberatus, Breviarium, 17, 127, 129). La seconde mentionne même l’envoi d’une synodique. Pourtant, comme le fait observer E. Schwartz dans l’apparat critique (ibid., 129), le courrier allégué par le Carthaginois n’est nullement confirmé. Selon nous, cette exigence constituait une sorte de test qui devait clarifier les intentions de Monge vis-à-vis de Chalcédoine et du Tome. Concédé, cet engagement donnait la garantie que l’Alexandrin éviterait de scandaliser les diphysites. En revanche, il n’était pas question de prise directe de contact avec Rome sans l’aval constantinopolitain. Or, Acace n’estimait pas que les conditions fussent propices pour que Monge se mît en rapport lui-même avec le pape. Comme la célébration en présence des légats Misène et Vital devait le démontrer, le Constantinopolitain voulait se réserver le rôle d’indispensable médiateur de la restauration de la communion entre Rome et Alexandrie. La condition présentée à Monge put donc lui paraître bien légère car son application ne pouvait qu’être différée. Quant au pape, il n’eut donc pas à se scandaliser de l’envoi de Monge. Il est vrai que le comportement de ses légats lui donna suffisamment matière à offense. 60 Ep. 156, 103.17-19. 61 Cf. infra.

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mensonge, leur discours est définitivement privé de valeur informative. Il importe donc à la papauté qu’elle s’entoure de correspondants dont la foi atteste la crédibilité, lui transmettant les indispensables rapports à partir desquels elle pourra exercer sa sollicitude. Tant que dure le règne de Théodose II, ce sont les clercs fidèles à Flavien62 et surtout certains archimandrites, Faustus tout particulièrement63 ainsi que l’Augusta Pulchérie64, qui maintiennent ce contact, en concentrant probablement leur propos sur la situation constantinopolitaine, sans que les réponses que le pape leur adresse se départissent de la prudence requise face aux risques de rétorsion impériale. Mais avec l’avènement inattendu de Marcien et le revirement des conditions religieuses qu’il provoque, s’ouvre une période particulièrement propice pour la papauté. Tandis que les nouvelles d’Orient se multiplient, le pape fait savoir de quels interlocuteurs il entend apprendre les progrès de l’orthodoxie. Privilégiant alors l’appartenance épiscopale de ses informateurs, il souligne la pertinence des relations transmises par ses légats et confirme ainsi qu’ils constituent la plus sûre des sources65. Simultanément, la faction monastique constantinopolitaine tend à disparaître de sa correspondance au moment où Anatole, après avoir souscrit au Tome, est spécialement sollicité et cherche à démontrer son souci de fournir au pape, en primeur, documents66 et nouvelles67 importants. Sans accorder à l’archevêque constantinopolitain un rôle exclusif, Léon fait part de sa satisfaction lorsqu’il obtient de lui les renseignements qui siéent à la fraternité épiscopale68. Est-ce à dire que Léon considère que son confrère de Constantinople est le mieux à même de recueillir et d’évaluer les informations qui, par les réseaux civils, ecclésiastiques, voire monastiques, convergent depuis les provinces les plus éloignées vers la capitale? La représentation pontificale des étendues constituant la pars Orientis accrédite cette idée69. Pour autant Léon témoigne déjà à Julien de Cos une confiance particulière qui atteste son souci de bénéficier d’un éclairage précis et indépendant70 que la bonne volonté de l’archevêque ou encore du couple impérial ne suffit pas

62 Parmi lesquels figure très sûrement Aetius. Cf. Ep. 59, 34.11-13. 63 Ep. 61, 28, Ep. 72, 61-2. Sur la date probable de composition de cette lettre (après le 17 mars 450 et avant que Léon n’apprenne le décès de Théodose), cf. H. et P. BALLERINI = PL 54, col. 1015. 64 Ep. 60, 292-4, Ep. 70, 29-30. Dans ce dernier cas, Pulchérie intervient auprès du pape en faveur du nouvel élu Anatole. 65 À savoir les évêques Abundius de Côme, Aetherius de Capoue et les prêtres, napolitain et milanais, Basile et Senator (cf. PCBE II, 5-7, 36-38, 258-260, 2021-2023), envoyés dans la seconde moitié de juillet 450. Cf. Ep. 79, 38.6, Ep. 80, 39.1-2, Ep. 81, 40.34-41.1. 66 Ainsi les actes du synode d’octobre 450, confiés au prêtre Castérius et aux diacres Patrice et Asclépiade pour qu’ils les portent au pape (Regestes, cit., n° 118). 67 Comme l’acceptation du Tome et la condamnation d’Eutychès et de Nestorius auxquelles ont consenti les évêques d’Orient sans doute réunis en synode par Maxime d’Antioche. Cf. Ep. 88, 46.39-47.3, Ep. 91, 49.13-16, voir aussi Regestes, cit., n° 120. 68 Ep. 85, 44.19-20. 69 Cf. infra. 70 Ep. 81, 41.2-3; rappelons qu’il est bientôt appelé à se joindre aux évêques Paschasinus de Lilybée et Lucensius d’Ascoli ainsi qu’aux prêtres Basile et Boniface qui doivent représenter officiellement le siège romain lors des débats de Chalcédoine. Cf. Ep. 89, 47.24-25, Ep. 90, 48.31, Ep. 91, 49.11-13, Ep. 92, 49.25-27. En revanche, il est à remarquer qu’il n’est pas recommandé comme un des membres associés de la légation pontificale dans la lettre que Léon adresse aux membres du concile d’abord rassemblés à Nicée (Ep. 93, 51-53). En outre, si Julien est volontiers désigné comme un légat dans les gesta du concile et dans les listes, son nom, plutôt que de les suivre dans ces dernières pièces, se trouve aux côtés des métropolites, et parmi eux à faible distance de ceux de Bithynie le plus

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à garantir. La mesure disciplinaire décrétée à Chalcédoine, appelée plus tard 28e canon71 ne contribue pas médiocrement à remettre en question l’amélioration récente de cette communication. Donnant une fois de plus priorité au témoignage de ses légats, Léon refuse absolument de confirmer la décision disciplinaire. En dépit des assurances contraires exprimées par le concile72 et par Anatole73, il reprend à son compte l’idée selon laquelle l’accord donné par les pères conciliaires à la mesure en cause a été contraint74 et, par conséquent, rejette les instances de Marcien, de Pulchérie et de Julien de Cos qui l’invitaient à se montrer accommodant. Toutefois, ce sont le silence d’Anatole, la relégation de l’archidiacre Aetius et la promotion à son poste d’un eutychien supposé, André75, qui incitent Léon à réformer son réseau d’informateurs, au moment où la situation palestinienne fait craindre que l’œuvre doctrinale du concile ne soit rejetée dans de plus vastes territoires de l’Empire encore. Sollicitant son confrère d’Antioche76, puis agréant les informations de Proterius, son collègue d’Alexandrie77, le pape ne remet pourtant pas en cause le principe de sa politique de renseignement: les nouvelles doivent être collectées à Constantinople en priorité. C’est pourquoi il charge Julien de Cos d’un ministère expérimental qui ressemble fort à une légation permanente auprès du pouvoir. Cet office, que nous avons étudié en détail dans une contribution récente, est conditionné par la bienveillance de l’empereur Marcien78, dont le pape expérimente souvent le zèle pour la foi79. Donnant au pontife les moyens de s’opposer à l’hérésie en meilleure connaissance de cause, lui permettant même de s’adresser aux rebelles palestiniens sans que jamais il ne paraisse composer avec les hérétiques80, la représentation permanente assurée par Julien disparaît dès l’avènement de l’empereur Léon. Dès lors, nonobstant quelque courrier de l’empereur dépendant de sa condescendance, c’est à nouveau l’archevêque de Constantinople qui est censé en référer au pontife. Or, vérifié dans le contexte

souvent (voir E. SCHWARTZ, ACO II-6, 33-34; R. SCHIEFFER, ACO IV-3-1, 302, IV-3-2, 265-266). Sans doute ces nuances, qui ont pu faciliter quelques confusions, tendent-elles à révéler le caractère inhabituel de sa mission. Cf. L. CHEVAILLER et J.-C. GÉNIN, Recherches sur les apocrisiaires: contribution à l’histoire de la représentation pontificale (Ve – VIIIe s.), in Studi in onore di Giuseppe Grosso, III, Turin 1970, 396, 454. 71 ACO II-1-3, 88-89. 72 Cf. lettre du concile à Léon, ACO II-1-1, 116-118. Voir Regestes, cit., n° 129. 73 ACO II-1-2, 52-54, cf. Regestes, cit., n° 130. Bien évidemment son courrier accorde une place considérable à l’apologie du 28e canon qui figure parmi les «témoignages» rapportant le déroulement du synode (voir ibid., 54.30-37). 74 Cf. Ep. 105, 58.2-3, Ep. 106, 60.14. Voir aussi ACO II-1-3, 95-99, ACO II-3-2, 108-114. Rappelons que l'édition officielle des actes grecs du concile (sans doute établie vers 454-455) présente elle-même des interpolations encore destinées à obtenir l'assentiment du pape à un décret disciplinaire dont l'importance est spécialement mise en évidence par rapport aux autres canons. Cf. A. DE HALLEUX, Le décret chalcédonien sur les prérogatives de la nouvelle Rome, EThL 64 (1988) 288-323, repris dans Patrologie et oecuménisme. Recueil d'études, Louvain 1990, 549 et 551 et ID., Le concile de Chalcédoine, RevSR 67 (1993) 8-9. 75 Ep. 111, 63.12-15, Ep. 112, 64.25-27, Ep. 113, 65.19-21. 76 Ep. 119, 73.30-32. 77 Cf. Ep. 130 et 131. 78 Cf. notre article «Vice mea». Remarques sur les représentations pontificales auprès de l’empereur d’Orient dans la seconde moitié du Ve siècle (452-496), MÉFRA 113 (2001) 1059-1123. 79 Cf. Ep. 115, 134, 136. Voir aussi ACO II-1-2, 61. 80 Cf. Ep. 124, 159-163.

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de la crise de 457, au point que Léon loue l’application de son confrère81, ce principe de service ecclésial ne s’impose nullement comme une obligation pour les successeurs d’Anatole. Si Gennade, en union avec les émissaires romains, se tourne vers Léon pour lui faire connaître l’inquiétant retournement que la venue de Timothée Aelure à Constantinople laisse présager (460)82, l’attitude d’Acace, dans les premiers temps de l’usurpation de Basilisque, est des plus équivoques. Ce n’est pas lui qui informe Simplice du fait qu’Aelure a été rappelé d’exil et réhabilité, mais bien les plus fidèles soutiens du concile dans les rangs du clergé et de la gent monastique établie à Constantinople ou dans ses environs83. Cependant le pape excuse son confrère pour son silence, laissant entendre que jusque-là il n’a pu aller au-delà de l’empêchement fait à Aelure d’accéder aux églises de Constantinople. Simplice signifie à ses correspondants que le Siège apostolique tient Acace pour la personne idoine dans cette affaire84 et le recommande à Basilisque au moyen d’expressions normalement employées à l’endroit des légats conciliaires du pape et usitées par Léon à l’intention de Julien de Cos. Une fois Zénon et le concile de Chalcédoine rétablis, Simplice signifie son intention de proroger la commission confiée au Constantinopolitain. Il remercie son confrère pour les messages et les pièces qu’il lui a fait parvenir et veut le croire dans des dispositions telles qu’il continuera à lui adresser régulièrement les relations les plus circonstanciées85. Acace ne manque pas alors de lui demander de sanctionner les décisions du synode permanent qui entérine le retour au diphysisme dans le patriarcat d’Antioche86 et le sollicite encore, avec une certaine assurance, pour que le siège de Rome s’associe à la condamnation de Monge87. Entretenu par l’empereur des sacrae et des constitutions par lesquelles les hérétiques sont proscrits et les chalcédoniens réinstallés, à Alexandrie spécialement88, Simplice peut estimer que le modèle assez fortement centré de recueil des informations démontre son efficacité, modèle que ne viennent pas remettre en cause les contacts directs pris avec lui par son confrère d’Alexandrie Timothée Salophaciol, puisque l’Alexandrin entreprend cette démarche sous le contrôle sourcilleux d’Acace89. Sans doute le pontife romain cherche-t-il à corriger les risques d’un mode de renseignement ecclésial qui repose essentiellement sur la médiation constantinopolitaine. C’est ainsi qu’il rappelle régulièrement que l’ecclésiologie pétrinienne, en Orient, préfère les sièges d’Alexandrie et d’Antioche90. Toutefois, ce genre de considération ne fait que révéler, voire accentuer, le dangereux écart qui règne entre tradition et fonctionnement ecclésiologiques. Ce phénomène explique, en partie, pourquoi Acace ne se préoccupe plus guère d’éviter à Simplice d’être placé devant le fait accompli, avant de laisser à l’empereur le soin d’informer le pape du changement majeur que constitue la reconnaissance de l’archiépiscopat de Pierre Monge, reconnaissance qui s’inscrit dans la mise en œuvre du programme de l’Hénotique91. C’est ainsi 81 Cf. Ep. 145, 95.31-32, Ep. 146, 96.21-24, Ep. 148, 98.33-34, Ep. 151, 139.1-4, Ep. 157, 109.5-7. 82 Ep. 170, 119.7-11. 83 S. Ep. 2, 130.20-21, Ep. 3, 125.2-4, Ep. 4, 133.6-8. 84 S. Ep. 4, 135.10-18. 85 S. Ep. 7, 121.5, Ep. 11, 144.6-10. 86 Regestes, cit., n° 151. 87 Ibid., n° 153. 88 Cf. F. Ep. 1, 65.14-672; Ep. 2, 70.26-71.6. 89 S. Ep. 9, 139.11-15. 90 Voir notre contribution Pierre et Marc, cit., 585-587. 91 Cf. S. Ep. 18, 151-154. Mais la lettre d’union a-t-elle été transmise à Rome dès 482? Une allusion de Félix au moins tend à le faire croire: cf. F., Ep. 1, 68.16-17 (passage traitant de pastorale). Il y a peut-être même lieu de lui ajouter une référence implicite: en effet, par son rappel doctrinal réaffirmant

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que, en dépit de ses exhortations exigeant d’Acace qu’il l’instruise de la situation égyptienne, conformément à «l’ancienne institution»92 unissant les deux sièges, Simplice, accablé par la maladie93, disparaît sans avoir reçu la moindre réponse de son collègue. Face à ce manque cruel de rapport, Félix, son successeur, saisit l’inédit de conditions politiques qui font de Zénon l’unique empereur94. Lui envoyant une légation destinée à lui apprendre officiellement son élection, le pape ne cache pas son intention de collecter, par l’intermédiaire de ses envoyés spéciaux, les indications permettant de comprendre les soubresauts hérétiques qui affectent l’Église impériale95. Ne modérant pas le ton des reproches qu’il adresse à l’intention d’Acace, Félix déplore l’ignorance à laquelle le siège Apostolique se trouve réduit à cause de lui96. Or, à peine quelques jours après, ce sont des témoignages de la culpabilité du Constantinopolitain cette fois qui s’accumulent à Rome. Jean Talaïa y apporte en effet un libelle d’accusation qui stigmatise les empiètements d’Acace en matière d’ordination et

l’importance du Tome de Léon et des décisions chalcédoniennes, le pape semble s’en prendre indirectement à la profession de foi publiée par l’empereur (ibid., 67.12-68.3; voir aussi S.O. HORN, Die Auseinandersetzung um die Autorität der Kirche von Konstantinopel am Vorabend des acacianischen Schimas, in Weisheit Gottes – Weisheit der Welt. Festchrift für Joseph Kardinal Ratzinger zum 60. Geburtstag, dir. W. BAIER, S.O. HORN, V. PFNÜR, C. SCHÖNBORN, L. WEIMER et S. WIEDENHOFER, St. Ottilien 1987, 710, note 36). Toutefois, on doit remarquer que l’Hénotique n’a pas été communiqué officiellement à Rome, qu’en conséquence Félix n’en a jamais fait explicitement état et que donc ce document n’a pas eu à être ouvertement condamné par la papauté (Cf. S. SALAVILLE, Hénotique, DTC 6 [1920] 2163; SCHWARTZ, Publizistiche Sammlungen, cit., 197, note 3 et p. 203). Voir encore A. GRILLMEIER, Jesus der Christus im Glauben der Kirche. II-1 Das Konzil von Chalkedon (451). Rezeption und Widerspruch (451-518), [trad. fr.] 1990, 405. 92 S. Ep. 20, 4.3. 93 F. Ep. 1, 64.5-7. 94 Ibid. p. 63.15-20, 65.5-6. Rappelons que Félix est élu alors qu’Odoacre s’est débarrassé de l’empereur Romulus Augustule depuis près de sept ans et que Julius Nepos a été assassiné près de Salone depuis un peu moins de trois ans. Aussi P. NAUTIN, L'ecclésiologie romaine à l'époque du schisme d'Acace, École Pratique des Hautes Études, Ve section, annuaire 1966-1967, 74 (1966) 141, considère-t-il, que dans le choix du nouveau pape, l’influence du rex s’est exercée par l’intermédiaire du préfet Basile, désigné comme: sublimis et eminentissimus vir praefectus praetorio atque patricius, agens etiam vices praecellentissimi regis Odovacris (cf. Acta synhodorum habitarum Romae, 445.1-3; Fl. Caecina Decius Maximus Basilius Iunior 12, PLRE, 217). Au contraire, C. PIÉTRI, Aristocratie et société cléricale dans l’Italie chrétienne au temps d’Odoacre et de Théodoric, MÉFRA 93 (1981) 454-455 estime que l’élévation de Félix, loin d’impliquer Odoacre, fut le résultat de la «part déterminante» (p. 455) prise par l’aristocratie romaine qui avait obtenu au préalable une limitation sensible du pouvoir économique détenu par son évêque. Toutefois, nous croyons que la désignation du pontife ne pouvait indisposer le Ravennate (cf. en ce sens E. STEIN, Histoire du Bas-Empire. II, Paris–Bruxelles–Amsterdam 1949, 45), quelles qu’aient été ses convictions personnelles (trois ans après sa mort, Gélase le désigne comme un barbarus hereticus dans sa lettre aux Dardaniens, Ier février 496 (495?), Ep. 26, JW 664, Urk. 88, CA 95, 391.19, faisant ainsi allusion à son appartenance arienne, cf. Odovacer, PLRE, 791-793). 95 Voir notre contribution Condamnation et absolution synodales d’un légat: le cas de Misène de Cumes (483-495), in I concili della cristianità occidentale (secoli III-V). XXX incontri di studiosi dell’antichità cristiana. Roma, 3-5 maggio 2001, Rome 2002, 505-506. 96 F. Ep. 2, spécialement p. 70.7-23.

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dénonce sa responsabilité dans la reconnaissance de Pierre Monge97. Soutenu par une lettre de l’archevêque d’Antioche, Calandion98, cet appel atteste l’échec d’une campagne d’information romaine par trop polarisée. Mais la critique la plus virulente de la surdité pontificale et, partant, de son inaction provient de l’higoumène des acémètes, Cyrille99. Aussi, dans l’urgence, le pape désigne-t-il les moines chalcédoniens comme experts: Vital de Tronto, Misène de Cumes et le defensor ecclesiae Félix doivent s’enquérir de tout auprès d’eux avant de se présenter à l’empereur100. Or, les deux évêques italiens rapportent bientôt témoignages et lettres qui visent à justifier l’entrée du monophysite alexandrin dans la communion du Siège apostolique. Nous avons cherché à montrer ailleurs que le revirement des deux légats et la conviction selon laquelle ils pensaient pouvoir gagner le pape à leurs vues procédaient, dans une certaine mesure, de leur expérience d’une réalité ecclésiale complexe qui ne correspondait guère à ce qui en était connu et compris à Rome101. Inacceptable pour le pape car solidaire de l’hérésie, leur récit perd à son tour toute valeur positive et constitue un élément supplémentaire à charge face aux accusations des acémètes, de même que le courrier d’Acace102, qu’ils ont ramené, participe de sa condamnation103. Ainsi, au moment même où Félix anathématise l’archevêque constantinopolitain, deux des principes directeurs sur lesquels se fondait jusque-là la politique de renseignement pontificale volent en éclats: la supériorité du compte rendu des légats et la priorité accordée aux rapports des archevêques constantinopolitains, qui avaient aussi pour objectif d’induire l’empereur à entretenir Rome de ses décisions. Toutefois, si cet échec constitue un revers considérable, le procès au cours duquel il apparaît en pleine lumière met aussi en évidence la qualité et la rigueur du classement documentaire opéré par la chancellerie pour démasquer l’hérésie et confondre ceux qui n’ont su lui résister. b) Une documentation discriminante Au cours des premières décennies de la controverse, la papauté acquiert une série de pièces venues d’Orient qui, conservées dans ses scrinia104, font visiblement l’objet d’une mise en ordre

97 Ce libelle, qui ne nous est pas conservé, était adressé à Simplice (cf. Urk. 47) mais il fut remis au nouveau pontife, Félix. Sans doute Zacharie, HE, V-9, 125, suivi par Évagre, HE, III-15, 114 (321) de même que Liberatus, Breviarium, 17, 129 (92), ont-ils cru à une rencontre entre Jean et Simplice. Cette affirmation provient d’une confusion entre le destinataire présumé du libelle (Simplice) et le récipiendaire (Félix). Cf. C. PIÉTRI, D’Alexandrie à Rome: Jean Talaïa, émule d’Athanase au Ve siècle, in ALEXANDRINA. Hellénisme, judaïsme et christianisme à Alexandrie. Mélanges offerts à Claude Montdésert, Paris 1987, 292, note 53. 98 En effet, l’archevêque d’Antioche remet à Talaïa une «synodique de présentation» (Liberatus, Breviarium, 17, 129). Elle n’est certes pas nécessaire pour se faire entendre à Rome (cf. SCHWARTZ, Publizistische Sammlungen, cit., 204, note 3) mais elle établit la pleine reconnaissance de la dignité de Talaïa par Calandion et atteste leur communion. Tout laisse croire que l’Alexandrin s’embarque pour Rome à la fin du mare closum, au début du printemps 483: cf. C. PIÉTRI, Talaïa, cit., 292. 99 Évagre, HE, III-19, 117.15-18. 100 Ibid., 117.18-20. 101 Voir notre contribution Condamnation, cit., 513-517. 102 Regestes, cit., n° 168. Rappelons que Vital et Misène rapportent aussi une lettre impériale qui affirme le bien-fondé des décisions prises à l’égard de Talaïa, de Monge et de l’Église d’Égypte (Urk. 55). 103 F. Ep. 6, 7.10-11, Ep. 8, 82.3-12, Ep. 10, 77.8-12. 104 Sur leur origine et les premières indications attestant leur importance, cf. C. PIÉTRI, Roma christiana, 672-676.

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précise, à l’instar de la production de la chancellerie romaine105. Il ne s’agit pas seulement de les répartir selon les auteurs et la dignité inaliénable de leur siège106, mais encore de faciliter le travail de consultation et de copie de ceux d’entre ces documents qui sont jugés les plus capables de convaincre de la pertinence et de l’invariabilité de la position pontificale. Ces acquisitions s’ajoutent ainsi aux pièces réunies lors de la crise nestorienne et constituent un ensemble dont le pape entend souligner la cohérence et la fiabilité. Car il a pour visée de souligner la parfaite continuité entre pensée des Pères grecs – à savoir ceux qui sont particulièrement prisés par l’adversaire monophysite – et enseignement romain. Aussi relève-t-on la propension de Léon à signifier que la papauté conserve la meilleure part de l’œuvre cyrillienne authentifiée par son auteur et par les actes alexandrins du synode d’Éphèse107. D’après cette dernière source et dans le même esprit, le pape peut encore produire les deux extraits de la lettre d’Athanase à Épictète108. C’est aussi le «fonds cyrillien» qui offre au pape l’occasion de faire savoir à Maxime d’Antioche qu’il n’ignore rien des manigances entreprises par Juvénal pour étendre la juridiction de son siège et sait fort bien qu’elles ont déjà été réfrénées en 431109. Léon ne se prive pas de signaler à son correspondant qu’il détient lui-même la lettre de l’Alexandrin110 dont le texte garantit la copie que son correspondant lui a transmise. Car si le siège Apostolique réclame informations et documents devant marquer l’histoire des

105 Dont seule la conservation garantit l’authenticité. C’est ainsi que le clerc (s’il accomplit bien son ouvrage sous le pontificat de Léon, ce dont PEETERS, cit., 393 doute fort) qui entreprend de réfuter le libelle d’Eutychès pour le compte d’un vir nobilis Romanus, souligne que la lettre du pape Jules, citée par l’archimandrite à l’appui de sa protestation, n’a pu être retrouvée, comprenons, dans les archives pontificales. Il en conclut donc qu’elle est vraisemblablement un faux, qui corrobore la manipulation que l’archimandrite constantinopolitain a fait subir à la pensée des Pères. Et le clerc d’attribuer la contrefaçon à Eutychès sans autre forme de procès (cf. collectio Casinensis, ACO II-4, 146.39-147.2, 149.15-30). 106 À l’instar semble-t-il de l’ordre des polyptiques pontificaux dans lesquels étaient classés les courriers envoyés par le Siège apostolique. Cf. K. Silva-Tarouca, Nuovi studi sulle antiche lettere dei papi, Greg. 12 (1931) 422-425. Sur la distinction classique entre honneurs imprescriptibles dus aux sièges pétriniens et la révérence conditionnelle manifestée à l’égard de leur titulaire, cf. la belle formule de Léon: Aliud enim sunt sedes, aliud praesidentes (Ep. 106, 61.30-31; voir aussi ibid., 61.25-27 et Ep. 119, 74.1-2). 107 Dont le cœur pouvait être constitué par l’envoi effectué à l’issue de la session du 17 juillet 431, alors que le concile présidé par l’Alexandrin n’avait pas encore achevé ses travaux (voir PIÉTRI, Roma christiana, cit., 1386). Rappelons que les collections grecques (cf. la présentation d’ensemble commode donnée par G. BARDY, Les débuts du nestorianisme, in Histoire de l’Église. IV, éd. A. FLICHE et V. MARTIN, Paris 1937, 164, à compléter les observations de C. FRAISSE-COUÉ, Le débat théologique au temps de Théodose II: Nestorius, in Histoire du christianisme. II, 536) et latines de la version cyrillienne (sur ces dernières, voir l’excellente mise au point de R. SCHIEFFER, Beurteilung, cit., 188-189) dont nous disposons sont des compilations sélectives du corpus édité après 433. Elles ne permettent pas de se former une idée exacte de la documentation éphésienne que détenait le Siège apostolique sous le pontificat de Léon. 108 Ep. 109, 13733-36. Sur le texte (authentique) de ces deux passages mis en exergue par Cyrille, cf. J. LEBON, Altération doctrinale de la lettre à Épictète de saint Athanase, RHE 31 (1935) 739. Plus généralement, la référence au florilège de l’Alexandrin tel qu’il a été inséré dans les actes de la première session (22 juin 431) est accentuée par Léon dans sa lettre du 16 juillet 450 (Ep. 69, 311-8). 109 Cf. ACO II-1-3, 3-7. Voir aussi l’étude très détaillée d’E. HONIGMANN, Juvenal of Jerusalem, DOP 5 (1950) 246 et 254-255 spécialement. 110 Ep. 119, 74.15-19. Cf. T. JALLAND, The Life and Times of St. Leo the Great, Londres-New York 1941, 339-340.

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Églises111, il se réserve le droit ensuite d’en établir la version authentique, d’en assurer en quelque sorte le dépôt faisant foi pour toute l’Église, dans la mesure même où le contenu des pièces conservées relève de causae majores. La haute conscience de cette mission s’exprime spécialement sous le pontificat de Simplice. En effet, dans le courrier adressé à Zénon par lequel il admet l’ordination de Calandion, le pontife dévoile la valeur sacrée et imprescriptible de l’engagement impérial, une fois celui-ci dûment enregistré à Rome. «Le saint Apôtre conserve le serment de votre piété. Il saura que le prince très chrétien a juré désormais que dans la ville d’Antioche on continuera à observer l’ancienne coutume…»112. La mémoire de Pierre constitue donc la preuve par excellence de l’intégrité de la parole reçue, tout comme celle du témoignage donné. Cette même conviction explique pourquoi, sous le règne de Basilisque, au plus fort de la menace, Simplice prend soin de faire mention, à côté des lettres christologiques de Léon, de la série de réponses au questionnaire impérial de Léon (recevant le nom d'ejgkuvklia ou de codex encyclius)113, publiée à l’initiative du basileus114, dont on a tiré une traduction à Rome, assez vite semble-t-il115. Ce faisant, le pape ne prétend pas motiver la

111 En s’efforçant d’obtenir que leur traduction soit assurée par des experts de toute confiance comme Julien de Cos, à qui Léon demande une version des actes de Chalcédoine. Cf. Ep. 113, 66.35-67.6 et l’interprétation fournie par E. SCHWARTZ, Das Nicaenum und das Constantinopolitanum auf der Synode von Chalkedon, ZNW 25 (1926) 53. Ce travail est sans doute à l’origine de la Collectio Vaticana rerum Chalcedonensium publiée sous le pontificat d’Hormisdas (cf. E. SCHWARTZ, dans ACO II-2, X sq. et D. WYRWA, Drei Etappen der Rezeptionsgeschichte des Konzils von Chalkedon im Westen, in Chalkedon: Geschichte und Aktualität. Studien zur Rezeption der christologischen Formel von Chalkedon, éd. J. VAN

OORT et J. ROLDANUS, Louvain 1997, 158). 112 S. Ep. 15, 148.21-149.1. 113 Le sommaire de ce dossier idéal est évoqué dans la lettre que Simplice adresse aux prêtres et archimandrites établis à Constantinople et dans ses environs. Cf. S. EP. 3, 134.8-17. 114 Le dossier de réponses à l’enquête dont nous disposons repose sur la traduction du Codex Encyclius que fit Épiphane le Scolastique à la demande de Cassiodore. Est-ce un copiste anonyme d’Italie méridionale qui, alors qu’il ajoutait à la compilation devant ensuite devenir la collectio Sangermanensis (sans doute fondée à l’origine sur l’association Codex encyclius – Breviarium de Liberatus – Liber adversus collatorem de Prosper d’Aquitaine; le manuscrit le plus ancien la contenant provient de l’abbaye de Corbie (IXe s.), cf. P. COURCELLE, Les lettres grecques en Occident. De Macrobe à Cassiodore, Rome-Paris 19482, 363, note 1), contraint par l’exiguïté de son support, a omis la réponse d’Amphiloque de Sidè, en plus de trente lettres qui figuraient sûrement dans la version du Vivarium (E. SCHWARTZ, ACO II-5, XV et XXII)? Faut-il plutôt considérer que la publication officielle du Codex Encyclius, sous l’autorité de l’empereur Léon, présentait un corpus de lettres privé du courrier discordant (T. SCHNITZLER, Im Kampfe um Chalcedon. Geschichte und Inhalt des «Codex Encyclius» von 458, Rome 1938, 66). A. GRILLMEIER, Le Christ. II-1, cit., 288, préfère souligner notre ignorance sur les causes des lacunes observées. Il relève encore (p. 287) que la réponse d’Étienne d’Hiérapolis (Euphratésie) est connue de Cassiodore mais ne se trouve pas dans notre collection. Pourtant, le fait que Zacharie le Rhéteur ait pu copier la lettre d’Amphiloque et le peu de surprise manifesté par Évagre de la voir figurer dans son Histoire ecclésiastique, de même que la phrase qu’en extrait Léonce de Jérusalem, dans Contra Monophysitas (CPG n° 6917), éd. A. MAI (1833) = PG 86, 1860, col. 1841, conduisent à penser que l’accès à cette pièce était facile, qu’elle figurait donc dans le recueil officiel, d’autant plus volontiers qu’elle crédibilisait l’ensemble puisqu’elle était esseulée, et, en conséquence, discréditée, voire anecdotique. Euloge prétend d’ailleurs qu’Amphiloque se serait rétracté peu après avoir envoyé ce courrier (À Christophoros dans Photios, Bibliothèque. cod. 230, 55). 115 Cf. les observations de T. SCHNITZLER, cit., 67-71, qui envisage que cette première traduction ait même pu être réalisée dès la fin du pontificat de Léon par Julien de Cos, mais préfère considérer

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réédition de textes de références qui seraient devenus introuvables en Orient. Au contraire, il ne doute pas que ces documents probants aient été conservés tant dans les archives du palais impérial116 que dans les scrinia de la Grande Église de Constantinople. Toutefois, puisqu’il ne se limite pas à renvoyer ses correspondants à leur propre fonds mais prend soin de donner copie des principales de ces pièces – le Tome II spécialement – à Acace pour qu’il les présente à l’empereur117, Simplice signifie que c’est à Rome que l’ensemble du legs démasquant et réfutant le discours des hérétiques est le plus sûrement préservé118 et mis à l’honneur. Pétri de cette même certitude, Félix ose même morigéner l’empereur en l’exhortant à ne pas oublier ses propres initiatives. C’est ainsi qu’il énumère longuement les courriers et les lois par lesquels Zénon, après son retour victorieux dans la capitale, a rendu grâce pour la persévérance de Simplice et a cherché à extirper, par quatre constitutions, le monophysisme d’Égypte119. La leçon donnée au souverain, si documentée qu’elle en devient implacable, contribue sans doute à provoquer un profond mécontentement chez le récipiendaire120. Elle démontre en tout cas combien les documents officiels qui, soigneusement répertoriés, attestent l’identité diphysite de l’Église constituent un patrimoine dont, aux yeux du pape, il incombe au Siège apostolique de maintenir l’exacte tradition pour mieux en rappeler la teneur à tous, qu’ils soient confrères ou fils dans la foi121. À cet égard, il n’est pas indifférent de remarquer l’usage qui est fait de la

l’existence d’une version latine du codex encyclius, avant l’entreprise d’Épiphane, comme une simple hypothèse. Or, R. SCHIEFFER, Beurteilung, cit., 186-187, note 125, réfutant les arguments de Schwartz, qui en refusait l’éventualité, a pu démontrer que la traduction latine du recueil devait être considérée désormais comme acquise dès les dernières décennies du Ve siècle au moins. 116 S. Ep. 3, 127.1-3, Ep. 2, 132.1-4. 117 Ibid., 132.5-6, S. Ep. 3, 127.12-15. 118 Le pape exprime sa crainte – ressemblant fort à une certitude en l’occurrence – que les pièces dont il recommande la considération n’aient été falsifiées, sinon dans les archives de la Grande Église, du moins dans celles du palais. Cf. Ep. 2, 132.3-4. 119 Palatii sui facito scrinia recenseri...: voir F. Ep. 1, 65.14-67.2, voir aussi ibid., 64.3-5, Ep. 2, 70.23-71.6. Sur les dites mesures, Cf. Urk. 14-18 et Publizistische Sammlungen, 190-191. Il faut ajouter que le pape fait état du mandatum (481?) par lequel Zénon assurait à Timothée Salophaciol que son successeur serait choisi parmi les clercs catholiques (F. Ep. 1, 67.2-6, Ep. 2, 71.7, voir aussi Urk. 33). Dans ce dernier cas, on peut imaginer que la papauté a été informée de cette disposition par Talaïa lui-même, lorsqu’il a annoncé son élection à Simplice. Voir S. Ep. 18, 151.15-22. 120 D’après F. Ep. 8, 81.6-7. 121 Rappelons que cette dénomination s’applique à l’empereur. Elle vise à renforcer l’autorité spécifique du siège romain. Suggérée par la doctrine ambrosienne (voir en dernier lieu G. DAGRON, Empereur et prêtre. Étude sur le «césaropapisme» byzantin, Paris 1996, 159), et déjà utilisée par Damase au sujet de Gratien (lettre à Acholios de Thessalonique, 381, Ep. 5, JW 238, éd. P. COUSTANT = P.L. 13, col. 369; cf. F. CAVALLERA, La doctrine sur le prince chrétien dans les lettres pontificales du Ve s., BLE 38 [1937] 169-170), l’expression est employée pour la première fois à l’endroit du basileus dans la lettre de Simplice adressée à Basilisque («fils très glorieux et très clément auguste», Ep. 3, 124.22). Toutefois, elle gagne en signification après le retour de Zénon au pouvoir. En effet, l’Isaurien ne tarde guère à mettre en application un programme accroissant le rôle dévolu à la capitale orientale, alors même que l’Occident, depuis le 23 août, n’a plus d’Augustus. Cette intention se manifeste spécialement dans la loi du 17 décembre 476. C’est ainsi que Constantinople est considérée comme le caput orbis terrarum. Surtout la constitution impériale fournit la justification idéologique des orientations officielles qui seront décidées en matière religieuse jusqu’à la fin de l’année 484. Dans cette loi, en effet, l’empereur reconnaît l’archevêque de Constantinople comme son père spirituel tandis que

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lettre d’Acace par laquelle Simplice avait été informé de la mort de Timothée Aelure et de la proscription de Pierre Monge (fin 477-début 478). Seul courrier, parmi ceux que le Constantinopolitain a envoyés vers Rome, à nous avoir été conservé122, il est cité, en juillet 484, pour perdre définitivement son auteur. En effet, son contenu a été contesté par Acace123; aussi est-il reproduit par Félix pour justifier son anathème. Un tel procédé atteste la valeur performative de la mémoire romaine: sacrée, irréprochable et indéfectible, elle débusque les oublieux, confond les négateurs et est censée éviter au pape d’avoir à se lancer dans de longs raisonnements pour prouver la culpabilité de celui qu’il condamne. Toutefois, cette dénonciation ne peut concerner que des sectateurs. La prise en défaut des auctores requiert davantage: elle suppose la formation d’un discours positif dont la réussite est d’abord fonction de ses modes d’expression et de propagation.

II. LES VOIES DE LA RÉPONSE ROMAINE. a) Une correspondance pontificale des plus abondantes Si l’on peut trouver, dans les homélies post-chalcédoniennes de Léon, la marque de références aux événements de Palestine (452-453) ou d’Égypte, sous l’épiscopat de Protérius (particulièrement entre 453 et 454)124, si l’on peut y voir figurer la mise en parallèle

«l’Église sacro-sainte» de «la cité royale» est désignée comme «mère de piété», du basileus certes, mais aussi de «tous les chrétiens de religion orthodoxe» (CIC, I, XII. 3. 3, 454). Nul doute que les dangers de cette promotion, à laquelle Acace donnait une certaine publicité, ont été perçus à Rome. Aussi le pape entend-il bien faire comprendre que c’est à l’égard du successeur de Pierre que l’empereur doit montrer ce genre de dévotion («fils très clément et très pieux», Ep. 6, 137.10). Par ce même courrier, le pontife précise également les devoirs du souverain. Cf. W. ULLMANN, Gelasius I. (492-496). Das Papsttum an der Wende der Spätantike zum Mittelalter, Stuttgart 1981, 123-125. 122 Mais probablement pas in extenso. Dans ce même courrier, semble-t-il, le Constantinopolitain informait Simplice du fait que Timothée Salophaciol avait un temps réintroduit le nom de Dioscore dans les diptyques. Il y a lieu de croire que la tradition latine ne voulut plus se souvenir ensuite de cette indication parce qu’elle aurait fait la part trop belle à l’ancienne acribie d’Acace. Cf. Regestes, cit., n° 153. Ajoutons que si la lettre d’Acace destinée à Félix (avant le 28 juillet 484), par laquelle le Constantinopolitain récusait la condamnation portée contre Pierre Monge et insistait sur son orthodoxie au contraire, n’a pas connu le même sort (i.e. être tronquée plutôt que de disparaître), c’est sans doute que sa rhétorique, quoi qu’il en ait été des aléas de transmission, était trop habile pour permettre que son contenu fût retourné contre son auteur (cf. Regestes, cit., n° 168, 123; Urk. 56, Publizistische Sammlungen, cit., 165 et E. SCHWARTZ, ibid., 206). 123 Dans la lettre que les légats emportent à Félix. Cf. Regestes, cit., n° 168 et F. Ep. 6, 6.19-20. 124 Sous forme de propos qui, résumant ou évoquant le contenu des hérésies passées sans chercher à en retracer l’histoire, s’inscrivent cependant dans un contexte d’alerte dont l’étude attentive d’A. Chavasse a permis une mise en parallèle avec la correspondance du pape et a donc éclairé une chronologie de composition qui était restée assez incertaine jusque-là. Il montre ainsi que les homélies de la seconde collection se répartissent en trois sous-ensembles: a) de Noël 452 à Noël 453 (sermons XXVIII, XXXVIII, XLVI, LXIV, LXV, LXVI, LXXIX, XCI et XXIX); b) du 21 février 454 à Noël de la même année (sermons XLVII, LXVII, LXVIII, LXIX, XCII et XXX); c) durant la période 457-458, trois sermons au moins [XCVI (Noël 457), XLIX et L (carême 458 ?)]. Cf. A. CHAVASSE dans Sancti Leoni Magni Romani pontificis tractatus septem et nonaginta (CCL 138), Turnhout 1973, CXCV, CCI. Son classement met en évidence un trait capital de l’œuvre de Léon: son interruption

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caractéristique des erreurs de Nestorius et d’Eutychès125, c’est lorsque le danger en vient à être véhiculé par les commerçants venus du Levant ou d’Égypte jusqu’à Rome que Léon avertit le plus intensément ses ouailles de l’actualité du danger monophysite. Le pape développe alors une présentation d’ensemble dont la caractéristique principale est de conforter son assimilation commode du phénomène avec le docétisme, l’apollinarisme et le manichéisme surtout, mieux connu de ses auditeurs126. La comparaison avec le contenu de ses lettres, notamment celle qu’il destine aux moines et aux fidèles de Palestine – c’est à dire à un public essentiellement composé de laïcs lui aussi – montre combien ce premier genre de message épouse les schèmes et expressions qui caractérisent la pensée du pontife telle qu’elle est exposée dans ses envois127. Il ne constitue pas pour autant le vecteur privilégié par lequel le pape vise à définir le monophysisme pour mieux le circonscrire et l’éradiquer. En effet, phénomène étranger à l’occident, le mouvement christologique incriminé ne peut guère être supprimé en misant sur les ressources propres au genre homélitique. Les caractéristiques de ce mode d’expression marquent plutôt l’intention conçue par Léon de ne pas tenir son enseignement pastoral à l’écart de son combat christologique. Il n’en demeure pas moins que ce catéchisme hérésiologique est en premier lieu destiné au peuple de Rome et s’inscrit donc dans une pratique de didascalie à la fois articulée et subordonnée, en cette matière, au registre traditionnel d’échange interecclésial recommandé par le canon néo-testamentaire, conformément au modèle apostolique, à savoir la lettre. Car si la missive, à l’instar du sermon, permet de circonscrire l’objet de scandale et de le réprouver sans paraître trop tarder, il reste que par le biais de cette médiation écrite, la pensée de l’auteur est introduite dans une durée spécifique, celle de la controverse, où l’indispensable réactivité et la vigueur de l’engagement ne doivent pas empêcher de former une réflexion plus soutenue. À cet égard, la souplesse du format permet d’élaborer une véritable stratégie de communication exploitant l’étagement dans le temps d’une série d’envois dont l’unité est signifiée par le jeu des renvois parsemant le contenu des différentes pièces. Dès lors, certaines réponses approfondies, faisant suite à un certain effet d’annonce, peuvent prendre des dimensions – que l’on songe au Tome128, à l’epistula 124 ou au Tome II129 – qui les apparentent à de véritables traités

qui paraît durer un peu plus de deux ans [13 mars 455 (= Ep. 143)-Ier juin 457 (= Ep. 144)]. Marquée par de nombreux drames dont le sac de Rome par Genséric constitue l’événement le plus mémorable, cette période a-t-elle été à ce point terrible que Léon n’a pu se préoccuper d’écrire et de prêcher? Ou faut-il croire à une lacune documentaire? La question reste ouverte. 125 Sermon XXVIII (Noël 452), Sermons.I, 170-172. Sermon XCI (septembre 453), Sermons. IV, 124-126. 126 Cf le sermon XCVI (Noël 457), Sermons. I, 202-204. Sur la manière dont le pape conçoit le manichéisme,cf. A. GRILLMEIER, Le Christ. II-1, cit., 264-280 et H.O. MAIER, “Manichee!”. Leo the Great and the Orthodox Panopticon, JECS 4 (1996) 441-453 spécialement. 127 Voir à cet égard l’Ep. 124, spécialement p. 159.31-162.34. dont dépend le Tome II. La parenté du premier texte avec les sermons de la Passion LXIV et LXV (sans doute 5 et 8 avril 453) a conduit CHAVASSE, cit., CLIV, CXCVI, à croire que la lettre empruntait aux deux homélies. La proximité probable des moments de composition fait plutôt penser à un dossier rédigé qui aurait été constitué sur l’initiative du pape, après la sollicitation de l’empereur Marcien – invitant le pape à s’adresser à la veuve de Théodose II, Eudocie, installée en Palestine et favorable aux idées doctrinales défendues par les insurgés (voir Ep. 117, 69.30-37) – et aurait pu être incorporé tant dans la lettre que dans les deux homélies. 128 = Ep. 28, annoncé ou recommandé par les Ep. 27, 9.7-9, Ep. 29, 9.32-10.2, Ep. 31, 14.27-28, Ep. 32, 13.16, Ep. 34, 16.34-17.2, Ep. 35, 6.11. Notons au passage que le Tome, sans doute préparé et mis en forme par Prosper d’Aquitaine, emprunte à plusieurs homélies antérieures de Léon pour donner à l’enseignement du pape un degré d’achèvement sans précédent. Cf. CHAVASSE, cit., CLIII).

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christologiques. Aussi apparaissent-elles à tous comme la version officielle de la doctrine romaine et connaissent-elles une vaste diffusion. Spécialisée, l’activité rédactionnelle de la papauté bénéficie d’une tradition experte qui repose aussi sur l’organisation rodée de la chancellerie130 ainsi que sur la compétence des notarii, des secrétaires et du dictator, surtout lorsque ce dernier est aussi lettré qu’un Prosper d’Aquitaine131 ou aussi rigoureux qu’un Gélase, s’il assuma vraiment cette responsabilité sous le pontificat de Félix132. Ajoutons encore que le médium épistolaire permet de tirer parti des sensibilités de destinataires spécifiques pour mieux gagner ou conforter leur soutien133, qu’il comporte en outre une certaine fiabilité puisqu’il est accrédité par le ou les porteurs134 et on comprendra pourquoi il constitue le mode d’expression antirrhétique privilégié par la papauté. Il n’est pas jusqu’à sa commodité documentaire, qui facilite et diffusion et réunion en recueils, pour expliquer son succès auprès des pontifes. Car il est probable que la circulation de collections de ses propres courriers, jusqu’aux envois de 458 tout au moins, ait été supervisée par Léon de son vivant135, tandis que les papes qui vinrent après lui s’efforcèrent d’en perpétuer la transmission, au moins partielle, de même qu’ils veillèrent à promouvoir le travail de certains de ses proches successeurs. Rappelons à cet égard l’hypothèse de recherche particulièrement stimulante proposée par P. Nautin: il a considéré que Félix avait envoyé à Fravitas, en plus de sa réponse par laquelle il lui refusait sa communion, une série de lettres rédigées par son prédécesseur

129 = Ep. 165 dont la promotion est assurée par l’ Ep. 162, 106.28-29 (voir aussi Ep. 164, 112.19-21) et dont le contenu reprend dans une large mesure celui de l’Ep. 124. 130 Sur les éléments d’informations qui nous permettent de cerner son organisation à partir de la fin du IVe s., cf. PIÉTRI, Roma christiana, cit., 676-677. 131 Cf. Gennade de Marseille, De viris inlustribus 85, éd. E.C. RICHARDSON (TU 14), Leipzig 1896, 90; voir aussi SILVA-TAROUCA, cit., 571-572 et N. ERTL, Diktatoren frühmittelalterlichen Papstbriefe, Archiv für Urkundenforschung 15 (1938) 57-58. 132 Hypothèse développée par H. KOCH, Gelasius im kirchenpolitischen Dienste seiner Vorgänger, der Päpste Simplicius (468-483) und Felix III. (483-492). Ein Beitrag zur Sprache des Papstes Gelasius I. (492-496) und früherer Papstbriefe. Vorgelegt von E. Schwartz am 10. November 1934 (SBAW 6), München 1935, 8-63, pour qui Gélase fut aussi responsable de la mise par écrit de la correspondance de Simplice, et reprise par N. ERTL, cit., 60-66 – qui repousse cependant la thèse de Koch concernant l’épiscopat de Simplice, Deutsches Archiv für Geschichte des Mittelalters, 2 (1938) 218-219 – mais dont P. NAUTIN, Gélase Ier, DHGE 20 (1984), 284 (changer dans sa notice le nom d’Holl en Koch) et La lettre de Félix III à André de Thessalonique et sa doctrine sur l’Église et l’Empire, RHE 77 (1982) 17-25, a montré la faiblesse. Voir encore Gelasius 2, PCBE II, 906. 133 Ce qui a pour conséquence de faciliter l’exploitation plus intensive de certains champs sémantiques et argumentaires en fonction de la sensibilité des destinataires, dont on pouvait présumer qu’ils seraient plus réceptifs à certains registres d’expression. Ainsi la gent monastique se montrait-elle particulièrement attentive à un discours où les références démonologiques apparaissaient nettement. Cf. T. SARDELLA, Diabolus instrumentum regni. Il diavolo nella politica papale (484-518), in Il demonio e i suoi complici. Dottrine e credenze demonologiche nella tarda antichità, éd. S. PRICOCO, Soveria Mannelli 1995, 215. 134 Cf. K. SILVA-TAROUCA, cit., 551-552. Sur l’important rôle de ceux à qui est confié l’acheminement des messages, cf. S. GIOANNI, La contribution épistolaire d’Ennode de Pavie à la primauté pontificale sous le règne des papes Symmaque et Hormisdas, MEFRM 113 (2001) 251. 135 Cf. Liber Pontificalis, 23814-17, et les remarques de JASPER, Papal Letters, cit., 44, note 183.

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Simplice et par lui-même afin de démontrer la légitimité de ses exigences préalables136. C’est ce recueil lui-même qui aurait constitué l’embryon des trois collections épistolaires pontificales postérieures au Tome II aujourd’hui conservées (Avellana, Berolinensis et Veronensis)137. Nous possédons en effet cinq collections principales de lettres pontificales (ajoutons aux susnommées la Ratisbonensis et la Grimanica138, exclusivement composées de courriers 136 Cf. NAUTIN, Ecclésiologie romaine, cit., 135, d’après F. Ep. 14 (JW 613, début 490), lettre destinée à Fravitas, archevêque de Constantinople, Publizistische Sammlungen, 1126-12. Voir aussi F. Ep. 15 (JW 612, même date), adressée à Zénon, ibid., 83.26-84.3. Il aurait été introduit par les Gesta de nomine Acacii – sur ce point, nous préférons nous en tenir à l’analyse de SCHWARTZ, Publizistische Sammlungen, cit., 265-266, qui considère que ce récit a été composé pour informer Andromaque avant qu’il ne se rende à Constantinople (489) – et conclu par ce qui est conservé dans le prétendu Tractatus domni Gelasii, Be 43, ibid. 107-111. 137 La première, constituée de 243 pièces pontificales et impériales s’échelonnant du schisme d’Ursinus, sous le pontificat de Damase, jusqu’au constitutum de Vigile (553), réserve une place considérable à la correspondance d’Hormisdas (514-523). Le manuscrit le plus ancien la conservant (Vaticanus Latinus 3787) date du XIe s. Sur la section (n° 51-78) de cet ensemble qui nous intéresse plus directement, cf. O. GÜNTHER, Avellana-Studien, Wien 1896 (SAW 134) 27-48. Le second recueil, dont le plus ancien témoin est un manuscrit établi à Corbie au VIIIe s. (aujourd’hui Berolinensis 79), rassemble 59 documents essentiellement répartis entre les pontificats de Simplice et de Gélase, mais au nombre desquels figure aussi la version latine de la correspondance apocryphe destinée à Pierre le Foulon (cf. E. SCHWARTZ, Publizistische Sammlungen, spécialement 280-287). Quant à la troisième collection, elle nous est en premier lieu conservée par le manuscrit Veronensis Bibl. cap. XXII (20) de la seconde moitié du VIe s. que nous avons déjà évoqué ci-dessus (n. 13). Elle comporte 14 lettres et traités pontificaux composés entre 482 et 496 et a pu être réunie par un opposant (sans doute un clerc romain) à la politique conciliante de rapports avec les Églises d’Orient engagée par Anastase II. Cf. SCHWARTZ, ibid., 262-280 et en dernier JASPER, cit., 63. 138 La tradition manuscrite du corpus épistolaire attribué à Léon n’est guère facile à retracer (pour une présentation récente des acquis de la recherche, cf. JASPER, cit., spécialement p. 41-48). La collectio Grimanica (104 lettres) qu’E. Schwartz a privilégiée dans son édition des acta conciliorum oecumenicorum, repose sur le codex Parisinus bibliothecae Mazararinae 1645 (IXe s.). Or, le choix du savant éditeur n’est pas sans faire difficulté car il tend à ne pas suffisamment honorer la valeur de la collectio Ratisbonensis (72 lettres), représentée par le manuscrit Monacensis lat. 14540 [IXe s.], trop souvent cantonnée dans l’apparat critique par le philologue munichois. K. Silva-Tarouca a contesté cette priorité et a voulu démontrer que non seulement il fallait inverser l’ordre de préférence mais plus encore considérer avec défiance nombre de lettres transmises par la Grimanica et par le codex utilisé par J. Merlin pour l’editio princeps (1523). De plus, K. Silva-Tarouca, cit., 572-595, a cherché à démontrer que parmi les courriers référencés, outre les lettres 43 et 120 – rapportée par d’autres manuscrits encore – les courriers 111, 112, 113, 118, 137, 141 étaient inauthentiques, les epistulae 154, 157 et 158 lui paraissant également fort suspectes (récemment encore, ses observations ont été relayées dans la CPL, n° 1656, 536-537). Fondés sur des raisons de style et de rythme, sur des inexactitudes chronologiques et historiques ou encore sur des contradictions entre pièces jugées conformes et lettres prétendument fausses, ses arguments n’ont généralement forcé la conviction des chercheurs que dans les cas des courriers 43 (conformément à l’avis convergent de Schwartz) et 120 (contra Schwartz). Le premier, Peeters, cit., 394-397, après avoir prouvé l’authenticité de l’epistula 113 (ibid., 395-396), a montré que les apparentes divergences de lettres envoyées à des dates voisines pouvaient tout à fait être expliquées par des raisons ne remettant pas en cause la véracité de chacune d’entre elles. Et le bollandiste d’ajouter à propos des critères internes adoptés par K. Silva-Tarouca «qu’en les appliquant à des documents que personne ne conteste, on aboutirait à des conséquences

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léoniens), qui offrent une abondante matière à notre propos. Or, si ces différents dossiers épistolaires entretiennent un rapport de dépendance souvent complexe à l’égard des archives pontificales et ne peuvent être considérées comme des publications officielles engageant l’autorité romaine, il n’en demeure pas moins qu’ils démontrent une réelle proximité à l’égard de leur source commune et portent l’empreinte des choix et des mobiles qui ont motivé la sélection et la première diffusion des missives. Au total, nous disposons donc d’un nombre de lettres composées par Léon sur le vif de la controverse dont on ne saurait exagérer l’étonnante importance (114)139, tandis que si rien ne nous est parvenu de la correspondance d’Hilaire et de celle de Simplice durant la première partie du pontificat140, le corpus directement exploité dans cette étude comporte encore dix sept envois de ce dernier pape, répartis de 476 à 482, ainsi que les sept premiers courriers de Félix, parfois fort longs, à l’exemple de sa missive initiale, adressée à Zénon, laquelle ne compte pas moins de sept pages dans l’édition in quarto de Schwartz141. Rapportée au nombre total de courriers pontificaux conservés durant la même période, la richesse du fonds révèle la priorité donnée par les papes à la politique ecclésiale en Orient142. Elle s’affirme un peu plus encore si l’on considère les lettres perdues dont une ou plusieurs mentions figurent dans des pièces disponibles. S’il faut rappeler combien les hasards de la transmission peuvent expliquer l’absence de tel courrier143, certaines disparitions, à l’instar de l’envoi de Léon au maître des milices Aspar, l’un des principaux soutiens de Timothée Aelure à la cour, arien de surcroît, paraissent moins conjoncturelles144. Ainsi la correspondance romaine constitue-t-elle donc le moyen dominant par lequel la papauté fait entendre la praedicatio et les décisions du bienheureux apôtre Pierre. Mobilisant volontiers l’occasion offerte par le départ de fonctionnaires assurant certains échanges entre les désastreuses» (ibid., 396). On notera d’ailleurs que K. Silva Tarouca devait se montrer moins catégorique dans l’introduction à son édition des lettres contenues dans la collectio Ratisbonensis (Sancti Leonis Magni epistulae contra Eutychis haeresim. I. Epistulae quae Chalcendonensi concilio praemittuntur [a a. 449-451]. II. Epistulae post Chalcedonense concilium missae [a a. 452-458], Roma 1934 – 1935, XV-XVI), ne classant plus parmi les lettres assurément fausses que la 43 et la 120. Aussi ne faut-il pas tenir ses autres affirmations pour probables, tout en espérant que la nouvelle édition, tant souhaitée, du corpus épistolaire de Léon, établisse le texte de référence sur des bases scientifiques plus assurées. 139 Pour un répertoire, voir le tableau synoptique d’E. SCHWARTZ, ACO II-4, 170-171 (ordre chronologique), et notre annexe I (répartition hiérarchique). 140 Alors que deux lettres (à l’empereur et à l’archevêque) ont sûrement été confiées par Simplice à son légat Probus de Canusium lorsqu’il s’est agi pour le pape, peut-être dès après son intronisation, de repousser la demande impériale visant à lui faire admettre les privilèges constantinopolitains décrétés à Chalcédoine (28e canon). Cf. la lettre de Gélase aux évêques dardaniens, 1er février 496 (1er février 495?), Ep. 26, JW 664, Urk. 88, CA 95, 389. Voir aussi Probus 6, dans PCBE II, 1842. 141 = Publizistische Sammlungen, cit., 69-73. 142 Comme l’a justement rappelé E. CASPAR, cit., 462. 143 Ainsi de la lettre destinée à Aetius, sans doute écrite à la fin de l’automne 457 et signalée par Pélage II dans son courrier destiné à Élie d’Aquilée et aux autres évêques d’Istrie (vers 585, JW 1056, ACO IV-2, 117. 22-23, 24-28). Dans cet extrait, Léon souligne son intention de s’en tenir à la profession prêchée avec lui par tout le concile de Chalcédoine. 144 Cf. Ep. 153, 99.29 et Ep. 151, 139.3-4. Léon précise, à l’intention d’Anatole, qu’il a ainsi répondu à sa demande. Sur le soutien que le maître des milices praesentalis apporte alors au mouvement monophysite d’Alexandrie, outre l’indication implicite que Léon, informé par Anatole et par Aetius peut-être, a diffusée, cf. Théodore le Lecteur, HE, E. 378, 106 et Zacharie le Rhéteur, HE , IV-7, 74. Voir encore E. SCHWARTZ, Publizistiche Sammlungen, cit., 178.

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deux partes145, le départ d’ambassades plus importantes146 ou la venue de messagers cléricaux ou monastiques147, elle n’est pas sans rencontrer parfois certains obstacles capables de prévenir sa bonne réception. À cet égard, les aléas climatiques, les indispositions des messagers148 ou les fléaux rencontrés sur la route maritime ou terrestre ne sont pas aussi redoutables que les falsifications ou la censure des empereurs opposés au discours pontifical149. C’est pourquoi le pape exhorte volontiers ses destinataires les plus sûrs à donner copie de ses lettres lorsque l’urgence ou les difficultés du temps le commandent150. Il attend spécialement de ses relais constantinopolitains, Julien de Cos ou Aetius, qu’ils facilitent l’acheminement des lettres envoyées vers les diocèses d’Orient ou d’Égypte151. En retour, le pape se charge de faire connaître les résultats des actions qu’il a menées au nom de la foi à ses collègues occidentaux. Si l’épiscopat italien, dont la grande majorité relève de l’espace de juridiction directe reconnu au pontife, peut être assez aisément informé par des échanges que la proximité favorise, mais aussi par des synodes ordinaires rendus plus solennels quand les circonstances l’exigent152, le pape ne manque pas de faire la publicité de ses entreprises doctrinales vers des régions occidentales dont l’éloignement et les tribulations n’empêchent pas toujours la circulation des messages, surtout si tel métropolitain peut relayer les efforts pontificaux. C’est ainsi que Léon, après avoir demandé à Ravennius d’Arles que ses confrères gaulois manifestent leur adhésion au Tome153, fait connaître les décisions entérinées à Chalcédoine aux évêques réunis par le métropolite arlésien et leur demande d’en transmettre le contenu à leurs homologues d’Hispanie154. Or, dans 145 Voir par exemple Flavien à Léon, Regestes, cit., n° 106, ACO II-1-1, 39.25-27, Ep. 9, 9.2-3, Ep. 39, 19.6, Ep. 54, 11.17, Ep. 59, 34.12, Ep. 75, 33.19, Ep. 135, 88.21, Ep. 152, 99.8, Ep. 162, 105.13, Ep. 169, 119.4, Ep. 170, 120.6. Notons que Julien de Cos, en sens inverse, procède de même. Cf. notre article Vice mea, cit., 1075-1079. 146 Ainsi à l’occasion du départ du vir illustris Latinus et du spectable Madusius pro legatione publica vers la cour de Constantinople au début de l’année 476. Cf. S. Ep. 5, 129.20-21. 147 Voir E. Schwartz, dans ACO II-4, 179-180. 148 À l’instar du defensor ecclesiae Félix en 483 (cf. Félix à Acace, Ep. 6, PS, 79-10, Liberatus, Breviarium, 17, 131. Voir aussi Felix 29, defensor ecclesiae Romanae, in PCBE II, 779. Rappelons que la mort naturelle peut aussi attendre les envoyés pontificaux au détour du chemin; ainsi Renatus, en route pour Éphèse (449). 149 Léon le donne à comprendre en signalant à ses correspondants fidèles, à la fin du règne de Théodose II, que des courriers précédents n’ont pu les rejoindre: Ep. 45, 24.3-4, Ep. 61, 28.32-34 (à comparer avec la certitude que Théodose II a bien reçu son courrier du 13 octobre mais n’a daigné y répondre, voir Ep. 54, 1118). Rappelons également que la pression impériale n’est pas étrangère à la perte des courriers pontificaux portés par les évêques-légats Misène et Vital. Voir notre contribution Condamnation, cit., 509-511. 150 Voir notamment Ep. 51, 25.27-26.3, Ep. 61, 28.23-27. 151 Voir notre article Vice mea, cit., 1088. 152 Ainsi des rassemblements respectifs d’octobre 449 et de février 450, où l’occasion (dies natalis ou fête de la cathèdre de Pierre, célébrée déjà vers 336) est saisie par le pontife pour manifester l’unité des évêques derrière lui. Cf. K. SILVA-TAROUCA, Nuovi studi, cit., 412-415. 153 Ep. 67 = PL, 54, coll. 886-887. Il est souscrit par 47 évêques, nombre qui démontre que l’épiscopat qui a pu se prononcer dépasse nettement la seule région Sud-Est puisque la totalité des sièges attestés en Viennoise, Narbonnaise seconde et Alpes Maritimes n’atteint alors que la double douzaine, cf. Ep. 99 = PL, 54, coll. 966-970. Rappelons que cette même adhésion a été manifestée par les dix-huit évêques réunis autour de leur métropolite Eusèbe de Milan (été 451, cf. Ep. 97 = PL 54, coll. 945-950). 154 Ep. 102, 55.1-2.

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les deux lettres qu’il leur destine155, Léon produit l’un des résumés les plus saisissants de la vision romaine du triomphe de la prédication apostolique sur le monophysisme, vision fondée sur une interprétation particulièrement sélective des acta ramenés par les légats156. b) L’expression pontificale au style indirect: limites et risques d’une certaine délégation de parole Faut-il donc croire que le pape, désireux de signifier que toute l’Église d’Occident adhère unanimement à son interprétation du phénomène hérétique157, entend se présenter comme l’unique protagoniste de cette pars, le seul fondé à répondre aux différents enjeux de la controverse qui agite tant l’Orient? Si l’affirmative s’impose dès lors que l’on considère le strict champ ecclésial, elle requiert une nuance significative, pour peu que l’on déplace le point de vue afin qu’il embrasse également le domaine politique. À l’occasion de la fête de la cathèdre de Pierre (22 février 450) en effet, Léon et les évêques rassemblés en cette circonstance à Rome, implorent l’empereur Valentinien III et sa femme Eudoxie afin qu’ils s’adressent à Théodose II, qui n’est autre que le père de l’Augusta. Le couple impérial s’exécute bientôt. Il exhorte le basileus à consentir au concile que Léon réclame en Italie pour rendre un nouveau jugement sur l’affaire158. Ce faisant, Valentinien souligne la supériorité du sacerdoce romain, notion à laquelle la veuve d’Honorius, Galla Placidia, elle aussi sollicitée, fait écho dans le courrier qu’elle adresse à son neveu, en évoquant la précellence du Siège apostolique159. Sans doute ces instances impériales ne fléchissent-elles nullement Théodose II. Elles témoignent cependant de la persuasion du discours pontifical. C’est ainsi que, dans la lettre de la plus âgée des impératrices, le rappel des excès qui ont marqué le synode éphésien atteste l’influence de la version romaine160, tandis que les deux Augustae vont même jusqu’à se conformer à l’usage de la chancellerie pontificale alors dominant qui consiste à dénoncer Dioscore en évitant de

155 Epp. 102 et 103 (cette dernière conservée par le codex Parisinus latinus 12097 [provenant de Corbie] du VIe siècle). La première conserve l’ensemble des noms des évêques (44) qui ont été réunis en Arles. Cf. Ep. 102, 55.4-9, voir aussi L. PIÉTRI, Le sort des Églises de l’extrême Occident, in Histoire du christianisme, III, cit., 238-239. 156 Citant la sentence de condamnation de Dioscore, la seconde lettre tait l’attendu selon lequel l’Alexandrin excommunia le pape. Voir infra. 157 Ce que confirme encore l’envoi des deux courriers qui soulignent l’adhésion des épiscopats italiens et gaulois au Tome (Epp. 97 et 99), transmis à Aetius au moment où la lettre dogmatique est à nouveau décriée en Orient (été 457). Cf. Ep. 153, 99.37-39. 158 Inter epistulas Leonis, 55 (lettre de Valentinien) et 57 (Eudoxie), ACO II-3-1, 14.10-17, 15.19-27. Cette argumentation repose sur le droit que le siège romain estime sien de recevoir l’appel d’un clerc condamné (en l’occurrence de Flavien) et de casser les décisions d’un synode injuste. 159 Ibid., 147 et inter epistulas Leonis, 56, ibid., 153. Dans ce dernier cas cependant, l’augusta s’écarte gravement de la doctrine pontificale en établissant un étroit rapport logique entre le fondement du primat romain et l’Urbs «qui est la maîtresse de toutes les terres» ibid., 156-7. Cf. S.O. HORN, Petrou kathedra. Der Bischof von Rom und die Synoden von Ephesus (449) und Chalcedon, Paderborn 1982, 120. 160 = Ep. 56, 14.31-33. Galla Placidia emploie même une formule qui traduit exactement la pensée de Léon mais en anticipe l’expression lorsqu’elle s’adresse à Pulchérie (= inter epistulas Leonis 58): in illo tumultuoso et miserrimoque concilio, 1321-22. Car, le pape ne pourra s’autoriser à employer de semblables paroles, récusant ouvertement la qualité de synode au rassemblement d’Éphèse, qu’une fois la mort de Théodose II survenue. Cf. Ep. 83, 43.2, Ep. 90, 48.21-22, Ep. 85, 44.31-32; Ep. 86, 42.10.

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mentionner son nom161. Aussi ces courriers offrent-il une série d’enseignements remarquables: se trouvant dans l’impasse puisque l’empereur d’Orient ne daigne plus lui répondre, le pape recourt à l’option de l’intervention politique dont Innocent avait autrefois mesuré les limites avant de pouvoir s’en dégager sans dommage pour son autorité162. C’est dire l’intensité du danger telle qu’elle est perçue à Rome: le pape considère que le péril encouru menace de ruiner la liberté ecclésiale bien plus sûrement que l’implication de l’empereur d’Occident, fort heureux sans doute de manifester en cette circonstance son souci de l’unité religieuse. Situation exceptionnelle, pourrait-on dire, dont Léon parvient à maîtriser le cours, en obtenant même que Valentinien fasse parvenir à Théodose les actes de son synode hivernal163. Certes. Toutefois, on remarquera que si par la suite l’empereur d’Occident n’est plus jamais appelé à suppléer à l’impossibilité pour le pape de se faire entendre du basileus, la raison en est sans doute fort simple: la disparition du dernier augustus de la pars Occidentis (476 ou, si l’on préfère, 480) précède la nouvelle rupture des rapports entre le siège de Rome et la cour d’Orient (484). Normalement exprimé en son nom propre par courrier, le discours du pape tenu au sujet du monophysisme ne peut donc reposer exclusivement sur le mode de diffusion épistolaire si le pontife entend renforcer la valeur performative de ses revendications. Refusant absolument de se déplacer lui-même au cours de la période qui nous concerne164, et ne se résolvant à demander l’appui de l’Augustus que lorsque les relations avec le basileus sont au plus bas, le pape doit donc organiser l’envoi de légations dont la tâche peut correspondre à des exigences d’intensité diverse, jusqu’à constituer des missions «de la dernière chance» ou presque165. Chacune se voit

161 Cf. Ep. 56, ibid., 14.31, Ep. 57, 15.20. Voir aussi infra. 162 Voir PIÉTRI, Roma christiana, cit., 1299-1322. 163 = Ep. 55, ACO II-3-1, 14.18-20. 164 En plus des malheurs du temps (voir Ep. 83, 43.11-14), Léon invoque l’absence de tout précédent pour justifier son refus de se rendre lui-même aux convocations conciliaires lancées par Théodose II ou par Marcien. Cf. Ep. 31, 14.19-20, Ep. 37, 17.27, Ep. 93, 52.8-9; au moment où l’empereur Léon sollicite sa venue pour un entretien avec la délégation monophysite (cf. Ep. 156., 101.34-102.2, voir aussi p. 104.3-4 et E. SCHWARTZ, Publizistische Sammlungen, cit., 174), le pape repousse la proposition impériale avec plus de clarté encore car il n’a aucune intention de se commettre avec les Aeluriens. 165 C’est le cas de la légation confiée à Abundius et à ses compagnons (voir supra note 65), partis dans la seconde quinzaine de juillet 450. Elle marque la volonté du pape de s’adresser directement à Théodose après l’échec de la médiation de Valentinien III. Mais s’agit-il d’une initiative que Léon a souhaité lancer de son propre mouvement, pour rompre l’isolement auquel il se trouvait réduit, ou bien le pontife a-t-il saisi l’occasion d’un courrier envoyé par l’empereur dont l’objet aurait été d’obtenir la reconnaissance d’Anatole par le Siège apostolique? Tout dépend de la chronologie assignée à la lettre du basileus évoquée en Ep. 71, 32.2-4. Si l’on s’en tient à la date la plus probable concernant l’élévation de l’ex-apocrisiaire alexandrin au siège constantinopolitain (novembre 449, cf. H. CHADWICK, The Exile and Death of Flavian of Constantinople: A Prologue to the Council of Chalcedon, JThS 6 [1955] 22-25), et si l’on admet un envoi de lettres de communion assez proche de ce moment (hypothèse qui a notre faveur, voir supra, 149), on peut aisément imaginer que la missive de l’empereur accompagna cette poste. De la sorte elle aurait croisé la lettre de Léon à Théodose dans laquelle le pontife se plaignait du silence de son correspondant (Ep. 54). Dans ces conditions, plus aucun courrier du basileus destiné au pape n’aurait été envoyé en 450, le souverain signifiant ainsi combien il était fâché que le pape eût sollicité son homologue pour le persuader. Seule une missive expédiée par Pulchérie aurait rappelé l’urgence de régler la question de la communion entre Rome et Constantinople. C’est cette seule instance nouvelle que Léon aurait exploitée pour former

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munie d’un commonitorium, afin que, lorsqu’ils seront soumis à la pression de l’adversité, les envoyés ne bouleversent l’ordonnancement du discours tenu ni ne le rendent inintelligible ou, pire, contradictoire. Il ne s’agit pas ici de revenir en détail sur le déroulement des ambassades romaines ou de s’appesantir sur la brève période (453-457) durant laquelle la papauté dispose d’une efficace représentation permanente auprès de l’empereur d’Orient166. Qu’il nous suffise de souligner que, jusqu’en juillet 484, les papes confirment toutes les instances officielles, missions près la cour ou légations conciliaires, qu’ils ont pu former. Le satisfecit normalement délivré signifie donc que la position romaine a été fidèlement tenue, et la présentation du phénomène monophysite nullement modifiée par rapport au modèle officiel conçu à Rome, quelque vifs qu’aient été les contradicteurs et les oppositions. Aussi, les résultats obtenus par la mission pontificale, partie à la fin du printemps 483, constituent-ils une exception remarquable. Sans doute Misène et Vital, après avoir été conquis par les manœuvres persuasives de Zénon et d’Acace, se sont-ils crus autorisés à tenir, à Constantinople même, des propos justifiant leur retournement, dont le discours apologétique proféré durant la première phase de leur procès, à Rome, devait résumer la teneur. De cette version qui remettait radicalement en cause l’appréciation pontificale du cas Pierre Monge et, partant, du mouvement monophysite tout entier, nous ne conservons qu’un faible écho répercuté par leurs juges pour les accabler un peu plus167. Aussi, puisque l’explication qu’en ont donnée ses auteurs a été écrasée par la condamnation pontificale, nous faut-il en revenir à la signification de leur geste lui-même. Or, il importe de bien en percevoir le caractère spectaculaire. Non seulement les légats ont assisté à la synaxe d’Acace et ne se sont pas abstenus de recevoir sa communion, alors même que le nom de Pierre l’Alexandrin avait été lu au diptyque des vivants, mais ils ont participé aux saints mystères en compagnie des «apocrisiaires» de Monge168. Ils ont donc rendu publique, au nom du pape, la manifestation la plus démonstrative de la contradiction intégrale de son enseignement et de ses exigences. Ils ont en effet admis que celui que Rome tenait pour hérétique fût considéré comme orthodoxe, sans qu’il parût avoir adhéré à la foi telle qu’elle fut exposée par Léon. Par suite, ils ont toléré que fussent affirmées son identité chrétienne, pire encore, son appartenance au collège épiscopal, et comble de tout, sa présidence à l’Église fondée par saint Marc, la seconde après Rome169 ! Acte dont il était difficile de ne pas supposer la portée et dont les acémètes ne se privent pas de souligner l’impact170 ; preuve également de la

son ambassade, pouvant ou voulant croire que la demande exprimée par l’Augusta répondait au souhait de son frère, déjà exprimé depuis plusieurs mois. 166 Pour une présentation de cette histoire et une étude des enjeux qu’elle permet de faire ressortir, cf. notre article Vice mea, cit., passim. 167 Cf. la synodale de l’assemblée romaine d’octobre 485, CA 70, 157 et la lettre de Gélase aux Dardaniens, Ier février 496 (495?), Ep. 26, JW 664, Urk. 88, CA 95, 3744-5. Dans les Gesta de nomine Acacii, CA, 99, 452, l’implication des légats dans la justification de la reconnaissance de Pierre Monge ne transparaît guère, comme si l’auteur voulait n’attribuer leur trahison qu’aux seules manipulations constantinopolitaines. 168 Cf. spécialement F. Ep. 6, 7, Ep. 8, 81 ; Ep. 10, 76, de même que la synodale de l’assemblée réunie en octobre 485, CA 70, 157, Théodore le Lecteur, HE, E. 432-433, 119 et Évagre, HE, III-20-21, 118-119. En dépit du récit d’Évagre, moins net sur ce sujet, on ne peut donc s’accorder avec P. NAUTIN (Félix III, DHGE, [1967] 891) lorsqu’il suggère que les légats adoptant une «attitude expectative» se seraient limités à assister à la messe sans y prendre de part remarquable. 169 Cf. notre contribution Pierre et Marc, cit., 587-588. 170 Puisque les partisans de Monge n’ont pas manqué faire grand cas de la restauration des liens de communion entre Rome et Alexandrie, symbolisée par la citation de Pierre et Félix à la même

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vulnérabilité de la réception d’un discours tenu sans variante majeure depuis trente-cinq ans, le revirement des légats oblige Félix à une condamnation des plus fermes, leur infligeant l’excommunication, tandis que l’instigateur désigné de la trahison, Acace, est anathématisé. C’est donc sur un échec médiatique que s’achève la première séquence de dénonciation du monophysisme conçue et propagée par le pape, celle durant laquelle il avait pu souligner combien le siège de Rome, lui, ne se compromettrait jamais171. Aussi, face à ce camouflet retentissant, la papauté infléchit-elle sans tarder son discours, tendant de plus en plus nettement à insister sur les liens logiques qui unissent l’esprit grec et l’hérésie, jusqu’à suggérer parfois l’opposition entre deux espaces devenus étrangers l’un à l’autre172, puisque l’empire qui continue à porter le nom de romain serait devenu infidèle à son héritage173. Or, si l’on peut débusquer l’origine de certaines de ces considérations dans plusieurs évocations véhiculées par le corpus épistolaire d’avant 484174, force est de constater que ces dernières ne trouvent guère de place dans la présentation de l’hérésie et de l’hérétique monophysites. Car celle-ci repose en premier lieu sur un jugement qui n’est décisivement établi qu’après Éphèse (449) et dont la caractérisation suppose encore la faible propagation en Orient.

III. LA DÉFINITION DE L’HÉRÉSIE Il n’est pas toujours facile de distinguer, dans les propos des papes successifs, entre ce qui qualifie la doctrine et ce qui désigne son propagateur175, d’autant plus que l’affrontement traité, entre la Vérité et le mensonge, est réductible à une lutte personnalisée entre fils de la Lumière et fils des ténèbres et donc, en dernière instance, entre Dieu et Satan. C’est là bien plus qu’un topos de l’expression hérésiologique. Il s’agit du ressort même de la dynamique de l’Histoire du Salut, discerné par la génération apostolique, en fonction duquel se sont développées des conceptions

eucharistie (Évagre, HE, III-21, 119.1-6⁾. Cf. R.F. TAFT, A History of the Liturgy of St. John Chrysostom. IV. The Diptychs, Rome 1991, 123. 171 Leçon particulièrement affirmée après que les légats envoyés à Éphèse eurent refusé de condamner Flavien. Cf. Ep. 44, 20.6-8, Ep. 45, 24.15-18, Ep. 50, 21.16-18. 172 Voir notre article Vice mea, cit.. 173 À cet égard, les reproches exprimés par Félix à l’encontre de Zénon prennent la valeur d’un réquisitoire suggestif. Il est vrai que leur expression est spécialement facilitée par les conditions politiques du règne d’Odoacre: «… mais comme auprès des nations barbares et auprès de celles qui sont ignorantes de la déité elle-même, par le droit des gens, la liberté de n’importe quelle légation dans l’accomplissement de tractations même humaines est toujours considérée comme sacro-sainte, combien plus, c’est évident pour tous, il aurait convenu qu’elle soit servie sans souillure par l’empereur romain et prince chrétien, surtout dans les affaires divines» (F. Ep. 8, 81.14-18). Il importe cependant de ne pas exagérer la portée de ce blâme. Associé à l’argument typique du discours apologético-polémique pontifical durant le schisme acacien, selon lequel romanité et grécité s’opposent, cette remontrance aggrave une crise dont l’empereur, nullement condamné par le pape, détient en quelque sorte l’issue, puisqu’il peut renouer à tout moment avec la véritable tradition de son règne à laquelle les papes ne cessent de se montrer fidèles. 174 Cf. infra. 175 Pour autant, le pape n’admet nullement que l’on joue sur les acceptions de personne pour protester de sa bonne foi. Le rejet de l’hérétique doit nécessairement viser le rejet de ses erreurs et la dénonciation de son comportement, et non les sentiments qu’il inspire en tant qu’individu. Cf. Ep. 163, XLIV.13-15.

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aussi différentes que celle d’Eusèbe de Césarée et d’Augustin. Aussi ne peut-on être surpris de voir combien le diable est convoqué pour fournir une cause génétique à des idées, des mobiles et des comportements qui, sous leur apparent foisonnement, répondent à un principe unique. Seule la fréquence de l’apparition du démon, d’ailleurs différemment repérée, varie, selon la gravité des accès hérétiques mais aussi selon la propension relative des papes à le débusquer176. Toutefois, deux caractéristiques du propos pontifical consacré au monophysisme permettent de mieux cerner comment à Rome, par analogie avec le registre médical de la maladie, de la blessure ou de l’empoisonnement177, la cause de l’affection est considérée et comment, en fonction du concept de diadochv hérétique, déjà mis en perspective par Justin178, son contenu doctrinal est schématisé en fonction de déviances précédentes déjà condamnées. Si l’articulation de ces deux registres de qualification vise à dénier toute originalité au mouvement combattu, elle laisse cependant percer certains traits qui démontrent que même aux yeux de ses adversaires romains, le monophysisme dispose d’une spécificité historique irréductible. a) Une émergence conditionnée Le premier constat qui s’impose à la lecture des lettres de Léon, c’est que les erreurs reprochées à Eutychès n’accèdent pas d’emblée au rang de doctrine. En dépit des affirmations lancées en ce sens par Flavien et par ses collègues lors du synode de Constantinople179, le pape se montre d’abord désireux de suggérer une parenté, paradoxale en apparence, entre les idées d’un vieillard têtu qui n’est pas encore hérésiarque et un hérétique notoire, Nestorius. Par la série de courriers envoyés le 13 juin, le pape propage cette lecture qui met en évidence la symétrie des déviances180, tout en soulignant nettement combien elles relèvent de la même incapacité à confesser ensemble la véritable humanité et la véritable divinité du Christ après l’Incarnation181. Ce n’est qu’après «le crime très scélérat qui dépasse tout sacrilège»182, commis contre le mystère de la foi chrétienne, à Éphèse (449), que le pape pousse son raisonnement jusqu’à son terme. L’anathème vaut désormais pour les deux «dogmes»183, tandis que le pape se plaît à insister sur

176 Il est spécialement dénoncé dans ses manigances, ses œuvres et ses sbires par Léon (cf. Ep. 44, 20.11, Ep. 70, 29.23-25, Ep. 74, 32.27, Ep. 75, 33.20-21, Ep. 79, 37.26-27, Ep. 82, 41.26-28, Ep. 90, 48.18-19, Ep. 93, 52.5, Ep. 95, 51.1, Ep. 102, 53.16, Ep. 102, 54.22-23, Ep. 104, 55.24-25, 56.7, Ep. 105, 57.23-25, Ep. 109, 137.12, 23, Ep. 151, 139.6-8, Ep. 156, 102.16-25, Ep. 160, 107.22, 28-29, Ep. 161, 108.25-26, Ep. 165, 119.10-11), par Simplice (cf. S. Ep. 7, 121.14-15, S. Ep. 10, 140.7-8, S. Ep. 11, 142.5-9, 143.13-15, ou plus tard encore par Gélase. Cf. PIÉTRI, Hérésie, cit., 872-873. Félix semble «démoniser moins facilement». Voir SARDELLA, cit., 213-214. 177 Autre «élément du fonds commun de la littérature chrétienne» traitant de l’hérésie, comme l’a souligné PIÉTRI, Hérésie, cit., 873-874, il engage le pape, par excellence, à désigner la thérapie adaptée. Cf. notre contribution Symbolique médicale et dénonciation de l’hérésie: le cas monophysite dans les sources pontificales de la seconde moitié du Ve siècle, in Les Pères de l’Église face à la science médicale de leur temps, éd. V. BOUDON et B. POUDERON, Paris 2005, 497-524. 178 Cf. A. POURKIER, L’hérésiologie chez Epiphane de Salamine, Paris 1992, 57-62. Rappelons que ce concept de succession apparu pour désigner la chaîne des autorités d’une école philosophique devait permettre d’opposer deux lignées: les tenants de l’hérésie et les dépositaires de la vérité. 179 Regestes, cit., n° 103, ACO II-1-1, 377, Regestes, cit., n° 106, ACO II-1-1, 38.19; voir aussi ACO II-1-1, 145.10-12. 180 Ep. 31, 13.3-7. 181 Ep. 35, 6.18-24. 182 Ep. 44, 20.9-11. 183 Ep. 50, 21.28-22.2, Ep. 54, 11.21-23.

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la gémellité des deux hérésies184, l’une et l’autre de longue date réfutées, comme le prouve la lettre d’Athanase à Épictète de Corinthe spécialement185. Égales par l’impiété, elles doivent être rejetées simultanément186. Et Léon d’insister pour qu’on obtienne de l’archidiacre de Constantinople, André, qu’il s’exprime en ce sens187 alors même que l’aversion de ce dernier pour le nestorianisme ne fait pourtant guère de doute. D’ou vient donc cette conviction pontificale qu’il existe une solidarité intrinsèque entre les deux phénomènes hérétiques? Sans doute de l’intention du pape de ne pas laisser l’archimandrite ou ceux qu’il juge être ses partisans, prétendre qu’ils ne font que s’opposer au renouvellement du nestorianisme. Le premier courrier d’Eutychès188 et son libelle189 n’ont-ils pas fait état, avec insistance, des menaces provoquées par la renaissance des idées prêtées à l’ex-archevêque? Flavien lui-même n’a-t-il pas averti le pape de la tentative menée par le moine de se faire le contempteur de la doctrine nestorienne190? Cependant la présentation dialectique du phénomène hérétique oriental, prisée par Rome au point de devenir un véritable leitmotiv, ne s’explique pas par cette seule raison. Elle procède de la conviction formée à Rome que le bref intervalle qui a séparé la profession publique de l’une et l’autre des erreurs est un véritable signe des temps191, nettement discerné par le successeur de l’Apôtre. En effet, la double manifestation hérétique est lue à la lumière du verset de saint Paul: la probation qu’elle permet vise donc à l’élimination de toutes les hérésies qui ont mis en péril l’Incarnation192. Elle donne à l’engagement christologique du pape en Orient, dont nous avons dit la nouveauté, une signification récapitulative, ce dont témoigne encore la constitution des florilèges où témoignages patristiques des pères latins et grecs sont étroitement articulés193. Ce même motif combinant symétrie et solidarité des nestorianisme et eutychianisme compte encore d’autres vertus: il offre au pape la possibilité de bien signifier que l’orthodoxie se situe dans la juste voie médiane, celle de la simple vérité, se gardant tout autant des écueils de l’une que de l’autre des deux doctrines194. Or, Léon se voit obligé d’accentuer encore cette mise en 184 Ep. 79, 37.27. 185 Ep. 69, 30.35-36, Ep. 109, 137.35-37. 186 Ep. 84, 43.32-36, Ep. 85, 44.29-30, Ep. 87, 45.25-26, 30, Ep. 89, 47.28-30, 48.4, Ep. 90, 48.16-17, Ep. 124, 159.19-23. 187 Ep. 135, 89.8-11. 188 Ep. 20, 33-4. 189 Il le signifie nettement en ajoutant de son propre mouvement le nom de Nestorius à la liste des hérésiarques que ses détracteurs avaient alléguée pour affirmer qu’il partageait leurs erreurs, ACO II-2, 3423. Voir aussi ibid, 358. 190 Regestes, cit., n° 103, ACO II-1-1, 36.31-37.1. 191 Ep. 165, 113.14-15. 192 Ep. 129, 85.4-8 citant I Cor 11, 19. 193 Dix-huit passages sont ajoutés au Tome I à l’occasion de son second envoi (16 juillet 450, cf. ACO II-1-1, 20-25, voir aussi Ep. 69, 30.32-35, Ep. 70, 30.9-12 et Ep. 71, 32.12, ensemble traduit à l’initiative probable de Pulchérie et lu sous sa forme complète lors du synode permanent du 21 octobre 450 (Fragments d’un synode tenu à Constantinople en 450, éd. trad. latine et introd. P. MOUTERDE, MUSJ 15 [1931] 4719-22, Regestes, cit., n° 116) puis lors de la deuxième session du concile de Chalcédoine, mais sans le florilège, semble-t-il; cf. E. SCHWARTZ, ACO II-1-2, 81.20-22]). À cette première collection de citations, Léon fait encore ajouter douze extraits supplémentaires pour former le florilège du Tome II (Tome II, ACO II-4, 119-131). Cf. M. RICHARD, Les florilèges diphysites du Ve et du VIe siècle, in Das Konzil von Chalkedon, I, cit., 725-727. 194 Cf. PIÉTRI, Hérésie, cit., 883

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parallèle à mesure que le Tome est contesté et que, comme le lui apprend Protérius, en Égypte, les fidèles de Dioscore l’accusent ouvertement de nestorianisme. S’il réagit alors par des dénégations scandalisées195, entreprend simultanément de faire établir une nouvelle traduction de sa lettre à Flavien196 et veille à ne pas employer de formules, dans ses mises au point doctrinales postérieures, qui pourraient prêter le flanc à ses contempteurs197, Léon recourt aussi à un nouvel argument qui desserre quelque peu le lien constitutif entre les deux doctrines rejetées. Il souligne en effet que l’hérésie consiste en ajouts et en retranchements très brefs qui font de la confession qu’elle conduit à la mort et non au Salut198. Nourrie de réminiscences bibliques, cette analyse n’est guère originale à première vue puisqu’elle s’applique spécialement à la controverse arienne. Toutefois, elle semble trahir l’impact d’un premier raisonnement postchalcédonien portant sur les prépositions (ejk ou ejn)199 qui, ne différant que par une seule lettre en grec, gouvernent pourtant deux christologies divergentes: d’un côté celle admise par Eutychès et par Dioscore, de l’autre non pas celle de Nestorius, mais bien plutôt celle confessée par Léon et admise par les pères de Chalcédoine. Toutefois, cette brève observation en forme d’aveu à mi-voix de la spécificité monophysite, ne conduit nullement Léon à remettre en cause les mérites herméneutiques d’une antithèse hérésiologique si persuasive. Répercutée par la chancellerie romaine200, elle guidera même l’organisation d’un ouvrage au titre évocateur : le 195 Cf. Ep. 129, 85.20-21, 27-29, voir aussi Ep. 130, 84.22-24, Ep. 130, 84.19-21, Ep. 140, 94.4-5. 196 Dès le printemps 453, Léon avait du prendre acte de la durabilité des protestations élevées contre sa lettre (voir le courrier aux moines palestiniens du 15 juin 453 (?), Ep. 124, 159, où le pape évoque les méfaits éventuels d’«interpretes maligni»). Mais c’est l’avertissement de l’archevêque alexandrin qui convainc le pape de la nécessité d’une seconde traduction (Ep. 130, 84). Il charge plus spécialement Julien de Cos de cette tâche (Ep. 131, 87.5-12) et cherche à obtenir également le seul certificat d’authenticité susceptible, à ses yeux, d’assurer la meilleure réception à la nouvelle version de sa lettre à Flavien: le sceau impérial. Cf. Ep. 131, 87.12-15, Ep. 130, 84.12-21. 197 C’est ainsi que Léon n’emploie pas l’expression «en deux natures» ou «deux natures après l’Incarnation» dans son Tome II, préférant s’en tenir à une forme plus implicite de chalcédonisme que les souverains Marcien et Pulchérie – se considérant capables de servir l’orthodoxie en vertu, peut-être, du rôle de didascale dévolu aux souverains par l’idéologie eusébienne – avaient déjà mis en pratique lorsqu’ils avaient cherché à convaincre les insurgés palestiniens du bien-fondé des décisions conciliaires. Cf. les lettres de Marcien aux archimandrites et aux moines de Jérusalem, (début 453) ACO II-5, 4-7 (ACO II-1-3, 124-127) et de Pulchérie aux mêmes, ibid., II-5, 7-8, ACO II-1-3, 127-128. Voir aussi L. PERRONE, La chiesa di Palestina e le controversie cristologiche, dal concilio di Efeso (431) al secondo concilio di Costantinopoli (553), Brescia 1980, 99. 198 Ep. 129, 85.1-3. 199 On sait que les néochalcédoniens s’emploieront au contraire à souligner que les deux prépositions et les deux formules auxquelles elles donnent sens s’appellent l’une l’autre: confessées ensemble, elles constitueront à leurs yeux une profession christologique parfaitement orthodoxe. Cf. P. ALLEN, Evagrius Scholasticus, the Church Historian, Louvain 1981, 104 et A. GRILLMEIER, Le Christ, II-2, cit., 564-571. 200 Spécialement dans ce que l’on nomme usuellement les Gesta de nomine Acacii (incipit In causa fidei), CA, 99, 440-452. Il s’agit d’un récit historique qui présente, du point de vue pontifical, le développement des controverses christologiques en Orient de la condamnation des thèses de Nestorius à l’excommunication d’Acace, et qui a sans doute été écrit en 488. C’est à ce moment en effet qu’Andromaque, vir illustris, magister officiorum et consiliarius d’Odoacre, est envoyé par ce dernier comme ambassadeur à Constantinople, pourvu par le pape Félix d’un mémoire détaillé (cf. commonitoire de Gélase à Faustus, 493, J.W.622, Urk. 81, Ve 7, 1813-17). Pour le philologue allemand, l’hypothèse que ce dossier corresponde aux Gesta est d’autant plus vraisemblable qu’il précède immédiatement le Traité contre les Lupercales de Gélase, dénonçant les intentions festives

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Breviarium causae Nestorianorum et Eutychianorum, le principal récit historiographique latin attaché à la narration de la controverse rédigé par Libératus de Carthage201. Trop commode pour être oublié, ce schème s’accompagne toutefois, dans le discours pontifical, d’une reconstitution de la lignée hérétique dont procède la doctrine imputée à Eutychès. Davantage approfondie, cette seconde entreprise, menée en premier lieu par Léon, s’inspire plus directement de la polémique hérésiologique traditionnelle. Elle offre au pontife la possibilité de situer plus nettement son combat dans la perspective d’une opposition dont le motif principal, le docétisme, transparaît déjà dans le Nouveau Testament202, et de prétendre ainsi faciliter la récapitulation de l’Histoire de l’Église. b) Une généalogie clairement identifiée Si la mise en parallèle des hérésies de Nestorius et d’Eutychès fait l’objet d’une certaine prédilection pontificale, qui traduit l’un de ses apports les plus originaux – à défaut d’être le

d’Andromaque, dans la collectio Avellana (respectivement n° 99 et 100). Cette proposition chronologique a notre préférence parce qu’elle rend le mieux compte des raisons pour lesquelles on affirme encore dans l’opuscule historiographique que Pierre le Foulon a été envoyé à Antioche sur l’instigation d’Acace (Gesta de nomine Acacii, 29, 452). Toutefois, C. PIÉTRI, Aristocratie, cit., 448, note 151 continuée, indique que dans ce même ouvrage, l’auteur, dont on ne peut affirmer qu’il s’agisse de Gélase, malgré H. KOCH, cit., 66-67, est composé 58 ans après l’exil de Nestorius, soit en 489. Aussi, l’historien français croit que les Gesta ont sans doute pu être complétés après le pontificat de Félix, et peut-être exploités par Gélase pour accompagner le commonitoire adressé à Faustus, ce qui expliquerait pourquoi le compilateur de la collectio Veronensis a placé ce texte (en fait un épitomé comportant quelque maladresse si on le compare au texte de la collectio Avellana, cf. CA, Appendix II, 791-795 et O. GÜNTHER, Avellana Studien, cit., 110-115) en compagnie des lettres de Gélase. Signalons enfin que P. Nautin a estimé que les Gesta constituaient l’introduction historique du dossier envoyé par Félix à Fravitas: cf. Ecclésiologie romaine, cit., 139. 201 Cet ouvrage, qui est écrit avec le souci de rendre justice à la christologie antiochienne, a pu être entamé dès avant que ne tombe le premier édit de Justinien contre les Trois Chapitres (544). Peut-être laissé inachevé par son auteur (mort peu après Vigile, dont le décès est signalé dans le Breviarium, 22, 138.21-22 ?), l’ensemble, qui a été remanié et brièvement complété, semble-t-il (cf. les remarques de F. CARCIONE, dans Liberatus, Breve storia della controversia nestoriana ed eutichiana, Anagni 1989, 28-32), témoigne d’une connaissance très informée des faits et des documents concernant la controverse, réunis à Rome et à Alexandrie surtout (Breviarium, proème, 993; 12, 1198). Son récit pour la période qui nous retient plus précisément ici dépend notamment de l’épitomé des Gesta de nomine Acacii évoqué ci-dessus. Ajoutons encore que le diacre carthaginois, au long de sa peregrinatio (Breviarium, proème, 98.32) a pu vraisemblablement se rendre au Vivarium et y consulter l’Historia tripartita de Cassiodore ou plutôt son esquisse (cf. ibid., 991; F. CARCIONE, cit., 24 note à cet égard que le diacre fait état d’une tradition textuelle qui se différencie de l’état qui nous a été transmis) ainsi que la version latine du Codex encyclius (ibid., 15, 124). Il n’est pas exclu que Liberatus y ait même trouvé asile (cf. E. SCHWARTZ, dans Breviarium, XXII). Quoi qu’il en soit, c’est là, très probablement, que son ouvrage a été rapidement associé au Codex encyclius et au Liber adversus collatorem pour former l’embryon de la collectio Sangermanensis (voir supra, note 114). 202 Cf. spécialement 1 Jn 1,7, 2,2, 3,7, 4,10, voir aussi R.E. BROWN, The community of the Beloved disciple, Ramsey 1979 [tr. fr. 19902], 128-134.

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plus convaincant – à la réflexion doctrinale engagée, le pape ne manque pas de reprendre à son compte une dénonciation génétique des convictions de l’archimandrite qui, précisée à Constantinople, lors du synode permanent, doit sans doute à Théodoret de Cyr et à Domnus d’Antioche d’avoir été pour la première fois lancée203, non sans que le premier se permette par ailleurs de procéder à une dénonciation plus systématique dans son Eranistès, dont rien ne prouve qu’il fût connu à Rome204. Quoi qu’il en soit, c’est au nom de la dépendance des thèses défendues par Eutychès à l’égard des erreurs de Valentin et d’Apollinaire que le vieil archimandrite est condamné en novembre 448205. C’est encore à ce double patronage que se réfère exclusivement Flavien dans les deux courriers destinés à Léon qui nous ont été conservés206. Pourtant, au moment où il fait connaître son analyse des déviances observées chez Eutychès, le pape ne se contente pas de rapporter ses erreurs aux doctrines prêchées par les seuls personnages figurant sur la liste constantinopolitaine. Léon estime que les affirmations reprochées au moine borné risquent de renouveler aussi les enseignements honnis d’Origène et de Mani. D’où vient donc que l’on ait cru judicieux, à Rome, d’établir un lien entre les convictions prêtées à ces deux figures inégalement détestées par l’Église officielle et les propos d’Eutychès ? Il semble que la mention du célèbre exégète alexandrin ait pu découler des enseignements de la controverse qui, moins d’un demi-siècle auparavant, avait si vivement opposé Rufin d’Aquilée et Jérôme207. Puisque le Siège apostolique avait condamné «tout ce que Origène a[vait] jadis écrit contrairement à la foi»208, Léon pouvait faire mention de la proposition caricaturale retirée du Traité des Principes, à savoir la préexistence de l’âme humaine du Christ dans les cieux pour mieux condamner les paroles d’Eutychès qui acceptait

203 Si l’on en croit le témoignage de Facundus d’Hermiane, Pro defensione trium capitulorum, éd. J.-M. CLÉMENT et R. VAN DER PLAESTE (CCL 90 A) XII-5, 397, c’est en effet l’archevêque d’Antioche, dont on sait la dette à l’égard des compétences théologiques et rhétoriques de l’évêque de Cyr, qui, le premier, s’adressant à l’empereur Théodose II, accusa Eutychès d’apollinarisme. 204 Cet ouvrage sans doute écrit en 447 ou 448, est composé de trois dialogues successifs, chacun accompagné d’un florilège – le nombre total de sources citées s’élevant à 88 tandis qu’on relève un ensemble de 238 extraits – qui opposent un certain Orthodoxos à Eranistès (voir G. ETTLINGER, dans Théodoret de Cyr, Eranistes, Oxford, 1975, 4-7). Ce second personnage, dont le nom pourrait signifier collecteur ou collectionneur plutôt que mendiant, est le représentant, au dire même de l’auteur, d’un courant de pensée issu d’opinions hérétiques variées qui ont été tissées pour former une théorie aux nombreuses facettes comme autant de pièces de vieux vêtements cousues ensemble. Un certain consensus existe chez les spécialistes pour estimer que l’ouvrage vise Eutychès derrière Eranistès, dont les convictions sont d’emblée mises en rapport avec celles de Simon le Magicien, de Cerdon et de Marcion, ainsi qu’avec celles de Valentin et de Bardesane, d’Apollinaire, d’Arius et d’Eunomius enfin. Cf. ibid., 61-62. En revanche, nous ne savons guère comment cet ouvrage put être diffusé avant la condamnation de Théodoret à Éphèse et son repli dans un monastère d’Apamène. Rappelons que, dès le printemps 448, l’évêque de Cyr avait fait l’objet d’une assignation à résidence dans son évêché (voir le texte de l’édit donné par Théodoret lui même dans l’epistula 80 (à Eutrechius, préfet de la ville de Constantinople?), Correspondance. II, éd et trad. Y. AZÉMA [SC 98], Paris 1964, 188.22-27), ce qui ne devait guère faciliter la circulation de l’Eranistès sans pour autant l’empêcher. 205 ACO II-1-1, 145.11-12. 206 Cf. Regestes, cit., n° 103, ACO II-1-1, 373-4 ; Regestes, cit., n° 106, ACO II-1-1, 38.18-20. 207 PIÉTRI, Roma christiana, cit., 905-909, 1288-1293. 208 Anastase, Ep. 1, JW 276, été 400 = Jérôme, Ep. 95, Lettres. IV, éd. et trad. J. LABOURT, Paris 1954, 161.14-17.

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de dire «de deux natures avant l’Incarnation mais d’une seule après»209. À suivre le pontife en effet, l’archimandrite aurait conçu la nature humaine (à savoir, avant l’incorporation, son âme seulement) comme préexistante à l’union210, assertion qui ne devait guère correspondre aux vues d’Eutychès, parce qu’elle supposait de conférer à ses propos une acception temporelle, alors que le moine devait ne vouloir leur attribuer qu’une signification théorique, de nature étiologique211. Toutefois, l’assimilation du monophysisme professé par Eutychès à l’enseignement attribué à Origène n’est pas privilégiée alors par Léon au point de devenir la vulgate hérésiologique du Siège apostolique. En règle générale, et spécialement après que l’erreur se fut transformée en véritable hérésie, c’est-à-dire après que l’archimandrite se fut montré pertinax à Éphèse et qu’il a reçu l’assentiment de véritables adeptes212, le pape préfère retenir l’idée que les propositions d’Eutychès ne peuvent éviter les nombreux écueils de trois doctrines principales précédemment condamnées. Si, en vérité, celui qui professe une seule nature du Verbe incarné (sic)213 parvient à éviter le théopaschisme prêté à Apollinaire, il aboutit nécessairement à une confession phantasiaste, ce qui est le propre des manichéens et des marcionites, à en croire le pontife214. Or, la référence à Mani, fréquente, tend à constituer le second trait distinctif de la généalogie hérétique du mouvement monophysite dressée par Léon215. Sans doute le pape entend-il de la sorte démontrer l’extrême gravité de la doctrine d’Eutychès tout en confortant son discours hostile à la doctrine dualiste. Les sermons d’avant la controverse montrent en effet

209 Cf. ACO II-1-1, 143.10-11, ACO II-2, p.17.27-28. 210 Ep. 35, 81-9. 211 Cf. W. DE VRIES, Das Konzil von Ephesus 449, eine «Räubersynode»?, OCP 41 (1975) 375. 212 En effet, ce terme n’est employé qu’alors, à la différence des vocables impéritie, dépravation et impiété. Le premier, à notre connaissance, apparaît pour la première fois appliqué à la confession d’Eutychès dans l’Ep. 47, datée du 13 octobre 449 et destinée à Anastase de Thessalonique, 22.22-23, voir aussi Ep. 60, 29.4 et Ep. 61, 28.21-23. S’il devient extrêmement fréquent après la mort de Théodose II, les substantifs du deuxième ensemble, ou leurs dérivés, quant à eux, figurent déjà en Ep. 27, 9.10, Ep. 32, 12.10-11 et Ep. 33, 16.4. 213 Incarné («et tamen verbi incarnati, id est verbi et carnis unam audet pronuntiare naturam», Ep. 124, 160.9-10) et non pas incarnée, comme il est dit dans la formule prisée par Cyrille, parce qu’il la croit d’Athanase (miva fuvsi" tou' Qeou' Lovgou sesarkwmevnh)»: cette phrase et son attribution erronée apparaissent pour la première fois dans le De recta fide ad dominas, composé en 430, cf. ACO I-1-5, 65.22-24 et 27). La différence d’accord est lourde de sens: pour les monophysites, il est capital de signifier par son intermédiaire que la nature incarnée du Verbe, œuvre du mystère de l’Incarnation, désigne l’intégrité fondamentale de la personne du Christ, son unité indivisible, sans que la communion de divinité du Fils avec le Père et l’Esprit Saint soit remise en cause, comme pourrait le laisser entendre l’idée que le Verbe incarné est une nature spécifique et donc distincte de celle des deux autres Personnes de la Trinité. À la décharge de Léon toutefois, il faut noter que lorsqu’Eutychès, au cours de l’examen synodal de 448, parle d’unique nature, il n’accompagne pas son expression du complément indispensable aux yeux des antichalcédoniens, à savoir «du Verbe incarnée». Cf. W. DE VRIES, cit., 374. Aussi ne contribue-t-il guère à faciliter la compréhension du sens donné à la formule complète par ceux que le pape croit solidaire de ses convictions. 214 Ep. 124, 159.31-160.1, 8-13, Ep. 165, 113.27-114.17. 215 Outre les renvois signalés ci-dessus, cf. Ep. 35, 6.24-27, Ep. 59, 34.8-11, Ep. 165, 118.12-14. Voir aussi sermon XCVI (Noël 457), dans Sermons. I, 204-206.

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que sa dénonciation constituait une priorité à ses yeux216, à un moment où, en dépit de la proscription, la communauté manichéenne, ou dénoncée telle, conservait encore une certaine influence à Rome217. Il est fort possible que le pape ait de lui-même établi le lien prétendu qui pouvait unir le raisonnement d’Eutychès aux thèses de Mani, à savoir la négation de la réalité de la chair du Christ218. Mais il est tout aussi envisageable qu’il ait été engagé à poser le diagnostic de cette parenté à cause des dénégations farouches d’une telle dépendance, exprimées par Eutychès lui-même. Si l’on examine le libelle d’appel de ce dernier et les documents qu’il lui a adjoints, il appert en effet que l’archimandrite a jugé bon de ne pas se limiter à anathématiser Valentin et Apollinaire. Il a encore voulu condamner Nestorius, nous l’avons dit, mais aussi Mani219. Ce faisant, avait-il l’intention de surpasser ses contradicteurs, en démontrant qu’il ne craignait pas de rejeter des erreurs qu’ils ne lui avaient pas imputées ou bien nourrissait-il la crainte que l’allégation d’une éventuelle collusion entre ses convictions et celles de l’hérésiarque dualiste soit brandie par ses adversaires? En fait, il n’est pas nécessaire d’opposer ces deux hypothèses. Comme l’a fait observer A. Grillmeier, si la dépendance de l’eutychianisme, ou de l’apollinarisme, à l’égard du manichéisme, au titre de l’adhésion au dogme de l’unique nature, n’a guère été suggérée par les théologiens et les hérésiologues grecs du Ve et du VIe siècle220, la parenté hérétique de ces trois doctrines a cependant été alléguée par Théodoret221. Il faut donc croire qu’Eutychès avait appris qu’il pourrait avoir à se défendre de l’accusation de convergence manichéenne. Toutefois, cette précaution n’empêche nullement de penser que c’est aussi une stratégie de disculpation a fortiori que le moine avait cherché à développer en condamnant Mani. Notons que dans son libelle – comme dans la confession de foi qui ne fut pas lue au synode de novembre 448 et dans la contestation de sa condamnation qu’il fit afficher à Constantinople – Eutychès n’hésitait pas à englober dans sa réprobation 216 Dans le sermon XXIV, prononcé lors de la fête de Noël 443, Léon s’engage même dans une comparaison entre mouvements hérétiques, dont les erreurs concernent spécialement l’Incarnation. Cette confrontation le pousse à hiérarchiser la gravité des allégations soutenues par les adversaires de la Vérité. C’est alors qu’il pointe le plus durement la spécificité de la confession dualiste: «L’erreur des manichéens est entièrement étrangère au mystère [de l’Incarnation] … Les autres hérésies [dont l’arianisme et l’apollinarisme] méritent certes d’être condamnées, pourtant chacune possède en quelqu’une de ses parties un élément de vérité … Mais, dans l’épouvantable doctrine des manichéens, rien qu’on puisse juger supportable par quelque côté que ce soit» (Sermons, cit. 1147-8, 1161-3, 1183-5). Notons que ce jugement s’accorde avec la classification retenue par la législation impériale. Si, depuis 382, la communauté dualiste est considérée comme sectaire (CTh, XVI. 5. 9), la constitution du 30 mai 428 (CTh XVI. 5. 65), qui établit une liste organisée en quatre ensembles de vingt-trois groupes hétérodoxes, place les manichéens au dernier rang pour mieux les punir. Voir aussi A. GRILLMEIER, Le Christ, II-1, cit., spécialement pp. 264-272. 217 Sur l’énergie consacrée par Léon à débusquer les manichéens, à enquêter sur ceux qui, parmi eux, se sont livrés à des rituels présentés comme criminels, à obtenir que la loi impériale valide le résultat de ses investigations et renforce son arsenal répressif (cf. l’édit du 19 juin 445, CTh. III. Leges novellae Valentiniani, 103-105), à s’assurer de la proscription des adeptes de la secte et à exhorter enfin ses confrères à procéder de même, cf. S. LIEU, Manicheism in the Later Roman Empire and Medieval China, Tübingen 19922, 204-205 et H.O. MAIER, Manichee, cit. 218 Ep. 130, 84.4-7, Ep. 165, 114.28-29, 118.21. 219 ACO II-2, 3423. 220 Cf. A. GRILLMEIER, Le Christ. II-1, cit., 278-279. 221 Théodoret de Cyr, Eranistès, cit., 81.1, 82.14, 117.26, 119.34, 128.26, 142.2, 143.22, 220.25. Le même auteur campe le collecteur se défendant de partager de telles convictions d’une manière si aventureuse qu’elle participe de sa mise en accusation (ibid., 66.22).

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toutes les hérésies jusqu’à Simon le Magicien222, considéré comme l’initiateur de toutes les doctrines contraires à l’enseignement apostolique223. Aussi, la condamnation de figures plus nettement précisées était-elle censée persuader son correspondant du bien-fondé de sa protestation. Il semble donc que cette disculpation se retourna contre son auteur au contraire. Si les historiens de la doctrine chrétienne ont pu mettre en évidence l’inexactitude de la construction hérésiologique déduite par Léon du monophysisme confessé par Eutychès224, il convient cependant de reconnaître que, l’hypothèque manichéenne en moins, la possible exploitation des propos tenus par Eutychès dans un sens radicalement théopaschite (l’unique nature étant celle du Verbe) ou phantasiaste (une apparence de corps ou un corps incréé) ne devait pas rester une simple éventualité. Bien au contraire, Timothée Aelure, dès avant son exil et jusque lors de son séjour à Constantinople au moins (475), eut à dénoncer les confusions permises par le vieil archimandrite – qu’il considérait comme un véritable hérétique – et à lutter avec insistance contre des groupes dont il semble bien qu’ils avaient versé dans l’un ou l’autre des deux errements envisagés par le pape225. Il devait le faire de telle sorte que Léon eût «pu écrire la même chose des eutychiens – au nombre desquels [toutefois] il comptait Timothée» lui-même226. En effet, si l’Alexandrin se gardait bien évidemment d’employer la formule «en deux natures», il devait souligner la réalité de l’Incarnation et de la consubstantialité du Christ à l’humanité, deux thèmes particulièrement en accord avec l’enseignement du pape227. Ce constat démontre à l’envi la proximité des confessions christologiques défendues à Rome et à Alexandrie. Pour autant, il ne remet pas en cause leur irréductible différence. Car celle-ci ne repose pas seulement sur des formules jugées inconciliables ou, pour tout dire, sur une simple logomachie. Elle revêt une signification plus profonde due à l’imprécision relative des concepts de nature (fuvsi"/natura), d’hypostase (uJpovstasi"/subsistentia) et de personne (provswpon/persona), que devait compliquer un peu plus l’incomplet recouvrement des acceptions

222 ACO II-2, 34.24-25, voir aussi p. 358, 27-28. 223 Suivant en cela le discours hérésiologique dominant qui, remontant à Justin et à Irénée, se limite désormais aux seuls déviances considérées comme chrétiennes. Cf. les résultats de l’enquête menée sur ce thème par H. INGLEBERT dans sa contribution, L’histoire des hérésies chez les hérésiologues, in L’historiographie de l’Église des premiers siècles, éd. B. POUDERON et Y.-M. DUVAL, Paris 2001, 123-125 et dans son ample recherche, «Interpretatio Christiana». Les mutations du savoir (cosmographie, géographie, ethnographie, histoire) dans l’Antiquité chrétienne (30-630 ap. J.-C.), Paris 2001, 457-458, 536-538. 224 Cf. A. GRILLMEIER, Le Christ. II-1, cit., spécialement p. 275. 225 Voir notre article Timothée Aelure et la direction de l'Empire post-chalcédonien, REB 54 (1996) 120-121. Notons que Dioscore lui aussi, après avoir désavoué, à Chalcédoine, les convictions prêtées à Eutychès, sans que sa condamnation s’étendît nécessairement à sa personne – «nous ne disons ni confusion ni division ni mutation … Anathème à qui dit confusion ni division ni mutation» (ACO II-1-1, 112.31-32) – s’était inquiété de l’enseignement insidieux de ceux qui croyaient la chair du Christ étrangère à celle de notre corps. Dans un courrier à Secundinus (sans doute un clerc ou un moine égyptien resté fidèle), il précisait, depuis son exil à Gangres, qu’elle lui était, au contraire, complètement identique. Cf. Dioscore à Secundinus, dans Zacharie, HE, III-1, 45-46, Timothée Aelure, A Collection of Unpublished Letters of Timothy Aelurus, éd. et trad. anglaise R.Y. EBIED et L.R. WICKHAM, JThS 21 (1970) 360; Against the Definition of the Council of Chalcedon, éd. syriaque et trad. anglaise R.Y. EBIED et L.R. WICKHAM, in After Chalcedon, Studies in theology and church history offered to professor Albert Van Roey for his seventieth birthday, ed. by C. LAGA, J. MUNITZ et L. VAN ROMPAY, Louvain 1985, 160. 226 A. GRILLMEIER, Le Christ. II-4, cit., 50. 227 À cet égard, voir spécialement la lettre de Timothée Aelure aux Alexandrins (écrite lors de son exil à Gangres), A Collection, cit., 358.

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entre termes grecs et latins. Ainsi A. Grillmeier a-t-il pu mettre magistralement en évidence ce que la confession des deux natures en Christ après l’Incarnation pouvait véhiculer d’aporie pour les monophysites, dans la mesure où le vocable de nature à la différence de celui d'oujsiva (substance), comportait une signification absolument originaire, qui, appliquée à la seule humanité du Christ, supposait que cette dernière ait été celle du Verbe de toute éternité228. Toutefois, si la controverse a pris une tournure exacerbée, c’est bien parce qu’elle engageait également des fidélités antagonistes à des modèles ecclésiaux rivaux, placés sous le patronage de figures de proue réciproquement dénoncées avec la dernière énergie. Force est de constater, de ce point de vue, que les lettres des papes ont pu participer, au premier chef, à la radicalisation de l’affrontement en dramatisant les torts et les méfaits d’adversaires présentés comme épouvantables.

IV. LA DÉNONCIATION DES HÉRÉTIQUES a) Les hérésiarques De même que Léon se garde de conclure à l’émergence d’une hérésie lorsqu’il prend connaissance des différents documents par lesquels il est informé de la condamnation des convictions attribuées à Eutychès, de même ne croit-il guère pertinent de considérer alors l’archimandrite comme un hérésiarque. Il est certes l’auctor de la dissension contre l’intégrité de la foi229, mais le pape estime qu’il lui suffira de condamner ses erreurs de vive voix et de signer le Tome pour être réintégré dans la communion ecclésiale230. En effet, Léon privilégie alors une double explication du comportement du vieux prêtre constantinopolitain qui le rend corrigible: il le juge frappé d’une certaine forme de sénilité qui, conjuguée à une ignorance crasse ou, pire, à un véritable aveuglement, est à l’origine d’un entêtement absolument déraisonnable231, auquel il devrait renoncer dès lors qu’il aura pu être éclairé par l’enseignement expert du successeur de l’Apôtre232. C’est ainsi que d’emblée, le pape désigne une causalité fondamentale de la contestation monophysite appelée à constituer, dans son discours, une clef de lecture lui permettant d’appréhender le phénomène et d’en désigner les responsables. En effet, Léon oppose la compétence théologique de l’évêque, à laquelle il entend donner sa pleine mesure, en vertu de la succession pétrinienne qui lui a été dévolue, à l’incapacité doctrinale caractéristique du moine. Aussi une saine ecclésiologie doit-elle commander à Eutychès de se ranger à l’avis de l’évêque de Rome, comme il l’a d’ailleurs promis233. Ne faisant nullement état de l’éventuel soutien que Dioscore pourrait apporter à l’archimandrite, le pape circonscrit donc l’affaire, autant que faire ce peut, et estime qu’elle sera résolue, en cas d’obstination, par une condamnation frappant le seul coupable puisque ses idées, dont le pape a dénié 228 A. GRILLMEIER, Le Christ. II-4, cit., 53-55, 62-66. 229 Ep. 31, 12.27. 230 Ep. 28, 32.19-20. 231 Les formules volontiers répétées ou déclinées, dans le Tome spécialement, sont restées célèbres: multum inprudens et nimis inperitus, Ep. 28, 24.20-21, splendorem perspicuae veritatis obcaecatione sibi propria tenebrarat (ibid., p.25.25-26.1), quo fidei sacramento Eutyches iste nimium aestimandus est vacuus (ibid., p.30.21), imprudentia hominis imperiti etiam ab hac sensus sui peste purgetur (ibid., 32.12-13), imperite atque imprudenter errare detectus sit (Ep. 29, 9.21-22), qui de imperitia magis quam de versutia natus (Ep. 31, 12.29), contra unicam spem…vana et nimis stolida audet astruere (ibid., 14.4); sensum insipientiae suae (p. 14.4-5); imprudenter erravit…imperitia eius (Ep. 33, 16.4, 6), eius imperitiae amentiaeque (Ep. 34, 16.25), imprudentissimo seni (Ep. 35, 6.18). 232 Cf. notamment Ep. 38, 18.20-27. 233 Cf. Ep. 29, 9.30-31.

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l’originalité, ont déjà été rejetées. Si le moine devait s’enferrer, il aurait alors «part avec ceux dont il suit l’erreur»234. Léon ne semble pas envisager qu’un synode épiscopal, récipiendaire du Tome et libre de former son propre jugement, puisse un seul instant donner raison au vieillard. Il lui est donc bien difficile de croire ce qui s’est produit à Éphèse235. Le refus de faire connaître sa lettre, la réhabilitation d’Eutychès ainsi que la condamnation de Flavien et d’Eusèbe, toutes décisions prises par ses confrères rassemblés, constituent un véritable séisme qui oblige le pape à requalifier le phénomène. Or, nous l’avons vu, tant que dure le règne de Théodose, cette tâche s’avère ardue. Aussi, tandis que la doctrine exaltée à Éphèse est dénoncée sans réserve, le principal des hérétiques reste-t-il visé par des vocables déjà employés précédemment, non sans que les formules qui s’appliquent à lui s’inscrivent désormais dans une dénonciation plus large, qui, concernant Dioscore en premier lieu, permet de contourner la censure impériale236. Il reste que lancer l’anathème contre celui qui demeure la première cible de la réprobation romaine demeure alors impensable. Aussi la condamnation extrême, un temps retardée, se déchaîne-t-elle après l’avènement de Marcien, avant d’être régulièrement réactivée. Officiellement exigée des évêques participants au synode permanent d’octobre 450237, l’anathématisation d’Eutychès constitue la démonstration la plus efficace de la volonté de rallier la communion romaine, tant à Constantinople qu’à Antioche et dans tout l’Orient238. Désormais dénoncés au grand jour, les «ennemis de la vérité» sont soumis aux rigueurs d’une accusation pontificale qui marque l’inégale culpabilité de ceux qui se sont prêtés au brigandage. C’est ainsi qu’Eutychès est confirmé dans son rôle d’auctor. Il porte la responsabilité ineffaçable d’avoir publié des thèses abominables, dont il a voulu qu’elles s’imposassent à l’Église toute entière239. Aussi Léon fait-il du vieux moine l’éponyme d’une doctrine d’abord240, dont la seule originalité réside dans le choix et la promotion de certains idées déjà condamnées241, d’une secte ensuite, à mesure que le mouvement d’opposition aux décisions chalcédoniennes prend de l’ampleur242. Or, il faut le remarquer, si Dioscore est lié étroitement à Eutychès dans la condamnation romaine du monophysisme, s’il est, lui aussi, désigné parfois comme son autre initiateur243, Léon et ses successeurs se gardent cependant de tirer parti de son nom pour dénoncer la doctrine et le groupe qu’ils jugent solidaires de son action, dont il importe d’empêcher le développement. Faut-il voir dans cette répartition des autorités quelque peu surprenante une volonté de 234 Ep. 32, 12.7-9, voir aussi Ep. 34, 17.5-6, Ep. 38, 18.27. 235 Ep. 50, 21.14-15. 236 Ep. 51, 25.20, Ep. 54, 11.21-23, Ep. 59, 34.16, 27. 237 Vie d’Abundius de Côme, éd. deux moines de Solesmes, Paris 1910, repris dans Fragments d’un synode tenu à Constantinople en 450, cit., 49.21-22. 238 Cf. Ep. 85, 45.1-2, Ep. 88, 46.33-47.3, Ep. 91, 49.14-16. Il y a lieu de croire que Juvénal, à l’instar de Maxime reçut le Tome et y souscrivit. Cf. E. HONIGMANN, cit., 240. 239 Cf. Ep. 83, 42.24, Ep. 84, 44 .11-14, Ep. 88, 46.12-13, 22-24, Ep. 90, 48.26-27. 240 Ep. 89, 47.28, Ep. 111, 63.12-15, 20-21, Ep. 112, 64.25-27, Ep. 120, 78.21-22, Ep. 129, 85.16-17, Ep. 135, 89.8-11, Ep. 151, 139.8-9, Ep. 156, 102.8-10, Ep. 161, 108.23-26, Ep. 165, 113.10-11, Ep. 171, 12.16-7. 241 Ep. 83, 42.24, Ep. 88, 46.22-23, Ep. 90, 48.26-27, Ep. 102, 54.16, Ep. 129, 85.17-18. 242 Ep. 111, 63.20-21, Ep. 118, 72.5-6, Ep. 131, 87.6-8, Ep. 144, 138.24-26, Ep. 150, 98.3-5, Ep. 165, 114.9, Ep. 161, 108.36-109.2. 243 Auctor vel executor, Ep. 47, 22.16-17, après Chalcédoine il apparaît aux côtés d’Eutychès comme le second assertor de l’hérésie, Ep. 104, 55.17, et, pour cette raison même, se voit spécialement associé à l’archimandrite lorsque le pape fait état des troubles qui agitent la Palestine et l’Égypte. Voir aussi Ep. 109, 137.38, Ep. 124, 162.38-40, Ep. 140, 94.8-10 et encore Ep. 115, 67.17-18.

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ménager l’Église alexandrine, dont Dioscore a d’abord été le pasteur légitime? Ce n’est pas l’hypothèse la plus probable. Le principe selon lequel aliud enim sunt sedes, aliud praesidentes244 et surtout le souci que démontrent les papes à obtenir de Timothée Salophaciol qu’il retire le nom de Dioscore des diptyques alexandrins245, montrent qu’à leurs yeux la vénération due au second siège n’est pas altérée par la damnatio memoriae de l’ex-archevêque, mieux, que cette dernière contribue à la garantir. Aussi faut-il plus sûrement retenir qu’il est plus commode, plus conforme à l’ordre des faits aussi, pour Léon, de dénoncer en Eutychès celui qui pensa de façon impie, et en Dioscore celui qui jugea de façon perverse246. De la sorte, au regard du pontife, il apparaît malheureusement compréhensible que le premier puisse continuer à tromper ses semblables, «des gens ignorants et trop simples», dans la capitale de l’Empire d’Orient et en Palestine notamment247. De même semble-t-il nécessaire à Léon, dans ce dernier cas, d’instruire ceux qui, moines et laïcs privés de pasteur, ont pu se laisser séduire. Il leur dispense alors l’enseignement qu’il donne normalement à son peuple248. Si Eutychès constitue une figure d’hérésiarque qui ne s’impose guère par sa finesse, mais présente en revanche le visage du mensonge que tout pénitent doit abjurer249, reviendrait-il à Dioscore d’être à l’instar de Nestorius, un nouveau doctor indoctus couvrant l’hérésie des artifices de la subtilité250? À aucun moment Léon ne l’affirme. À examiner son œuvre épistolaire, il semble bien qu’il craigne davantage, à cet égard, les capacités de Timothée Aelure ou de ceux qui se sont rendus en son nom à Constantinople. Face à eux, il convient de rappeler la simplicité de la Vérité qui confond la rhétorique des loquaces251. Et de Simplice, bien peu enclin à développer une réflexion christologique personnelle il est vrai, de reprendre le même argument quant, à nouveau, le même Timothée se montre en position de force252. Écho inattendu, certes dépréciatif mais révélant une certaine conscience de l’inégale importance de l’œuvre christologique des deux Alexandrins, cette dénonciation pontificale ne permet donc pas davantage de situer la participation la plus coupable de Dioscore à l’hérésie, et partant, de comprendre comment il prend progressivement rang parmi les hérésiarques. Il faut donc revenir, une fois encore, à la version romaine des faits qui émaillèrent le concile d’Éphèse pour saisir les raisons qui amènent le pape à développer une véritable légende noire de l’Alexandrin, légende appelée à constituer l’un des fondements majeurs du discours pontifical

244 Ep. 106, 61.30-31. 245 Le premier, semble-t-il, Léon reprend vivement son confrère. Cf. Zacharie le Rhéteur, HE, IV-10, 79. Ce précédent et les risques de récidive motivent les formules de Simplice, S. Ep. 9, 139.12-15, 95): «Tu te rappelles que déjà il [Timothée Salophaciol] n’a pas eu la courageuse constance d’un fidèle évêque et qu’on a obtenu de lui qu’il mentionnât à l’autel le nom de Dioscore» et du 8 octobre 478 (S. Ep. 11, 142.19-21): «Par ces lettres, il [Timothée Salophaciol] nous a fait savoir que, effrayé de ce qu’il avait fait au sujet du nom de Dioscore, il avait annulé son ancienne décision». 246 Ep. 82, 41.30-31 247 Ep. 102, 54.7. 248 Cf. l’Ep. 124 dont on a dit les rapports étroits qu’elle entretenait avec les sermons LXIV et LXV. Cf. supra, n. 127. Au moment où Léon expédie ce message, il ne semble pas que Juvénal ait encore pu regagner son siège (voir E. HONIGMANN, cit., 256). 249 Cf. Ep. 135, 89.8-11, Ep. 157, 110.14-16, Ep. 163, 44.20-22. 250 C’est ainsi que Célestin s’emploie à le déconsidérer, par un questionnement factice, dans sa lettre au clergé et au peuple de Constantinople. Cf. id., Ep. 25, JW 388, 15 mars 432, ACO I-2, 95-96 et le commentaire de PIÉTRI, Hérésie, cit., 877. 251 Ep. 164, 11.11-17. 252 S. Ep. 4, 134.3-4.

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consacré au monophysisme, au point de trouver quelqu’écho dans l’œuvre de Justinien avant d’être solennellement confirmé par le concile œcuménique de Constantinople III (680-681)253. Dans un premier temps, Léon, qui ne peut méconnaître que l’œuvre de la réunion conciliaire de 449 est tenue pour légitime par Théodose II, opte pour une mise en accusation de son homologue qui se veut reposer sur des chefs d’inculpation disciplinaires. C’est ainsi que sont reprochés à Dioscore sa violence254, sa présomption255, son exercice d’une puissance indue256 et la contrainte qu’il a exercée sur les participants au synode257. Toutefois, le pontife exploite cette liste d’abus en privilégiant un forfait censé récapituler l’ensemble des méfaits: la condamnation de Flavien. Sans doute ne faut-il pas perdre de vue que Léon tient là son plus sûr motif pour casser les décisions du concile éphésien. En effet, c’est le libelle d’appel que le Constantinopolitain lui a fait transmettre, examiner et accepter au cours du synode romain d’octobre qui fonde Léon – du moins le croit-il – à réclamer un nouvel examen de l’ensemble des procédures ayant abouti à cette condamnation258. Aussi ne faut-il guère s’étonner de voir l’argumentation pontificale converger vers l’injustice faite à Flavien259, sans pour autant que le rappel de celle-ci verse dans un certain pathos, au contraire de certains récits historiographiques postérieurs260. Et le pape de préciser le mobile de Dioscore: de vieilles jalousies, des haines profanes261, comprenons une volonté de s’imposer sur la scène orientale au détriment de l’Église constantinopolitaine; puis le moyen: une mise à l’écart des légats visant à les réduire au silence, à empêcher spécialement que ne soit lu le Tome262; son but enfin: l’élimination de celui qui, malgré lui, faisait entrave au progrès de l’influence alexandrine. De cette présentation d’ensemble résultent deux enseignements

253 Voir spécialement la définition de foi lue devant le concile en présence de l’empereur Constantin IV lors de la dix-huitième session, le 16 septembre 681, ACO IIe ser., II, Concilium Universale Constantinopolitanum tertium. 2. Concilii actiones XII-XVIIII, epistulae, indices, éd. R. RIEDINGER, Berlin 1992, 768.22 et l’adresse à l’empereur, ibid., 798.17. 254 Ep. 45, 24.13-15, Ep. 51, 26.1-2, Ep. 47, 22.18, Hilaire à Pulchérie, inter Leonis epistulas, Ep. 46, 27.28-29, Ep. 61, 28.23; voir encore Ep. 80, 39.16-17; Ep. 85, 44.33. 255 Ep. 48, 23.19-20, voir aussi Ep. 83, 43.1. 256 Cf. Léon à Théodose, Ep. 44, 19.26-27; Ep. 50, 21.17-18 et Hilaire à Pulchérie, inter Leonis epistulas, Ep. 46, 28.4. Sur cette thématique, voir aussi PIÉTRI, Hérésie, cit., 80. 257 Cf. Ep. 44, 20.3-6, Ep. 45, 24.31, Ep. 50, 21.19-20. Dans sa lettre à Anastase de Thessalonique, Léon ne manque pas de dénoncer le recours à la force armée que Dioscore, de mèche avec les comites, aurait exploité pour s’assurer du consentement de certains évêques à la déposition de Flavien (Ep. 47, 22.21-22). Voir aussi la lettre de Galla Placidia à Théodose, ACO II-3-1, 14.32-33. 258 Fondée sur la version romaine du canon 6 décrété en 325 («l’Église romaine a toujours eu la primauté», voir ACO II-1-3, 95.16, II-3-3, 109.18-31) et spécifiée à Sardique (343, par les canons 4 et 5 principalement, cf. DGA, I-2, 163-165, voir aussi PIÉTRI, Roma christiana, cit., 225-226) cette compétence est considérée comme appartenant en bloc à la législation canonique de Nicée par les papes du Ve s. Cf. B. STOLTE, La chiesa orientale ed i canoni «occidentali», in Il tardoantico alle soglie del duemila. Diritto, religione, società. Atto del quinto convegno nazionale dell’associazione di studi tardoantichi, éd. G. LANATA, Pisa 2001, 172. Remarquons que Léon prend soin de communiquer l’ensemble de ces textes de référence à Théodose (Ep. 44, 21.3-4). 259 Ep. 44, 20.30, 21.1-4, Ep. 50, 22.10-11, Ep. 51, 25.16-18. Cf. aussi HORN, cit., 107-108, 113-120. 260 Cf. CHADWICK, cit., 17-22. 261 Ep. 44, 19.22, Ep. 47, 22.17-18, Hilaire à Pulchérie, inter Leonis epistulas, Ep. 46, 28.3, Ep. 54, 11.14-15, voir encore Ep. 93, 52.19-20 et Ep. 95, 50.33. 262 Ep. 45, 2419, Fragments d’un synode tenu à Constantinople en 450, 46.23-24. Voir aussi ACO II-1-2, 28.35-29.4.

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principaux: d’une part, le partage des convictions d’Eutychès n’apparaît pas être la raison déterminante capable d’expliquer le comportement de Dioscore, d’autre part l’intention première de l’Alexandrin ne paraît pas avoir été de s’en prendre à l’Église romaine. Or, la mort de Flavien263 oblige le pape à reconsidérer les modalités prévues du retour à la communion des Églises. Puisque la victime a disparu, le pontife tend à concevoir un règlement qui, désormais, place clairement la question doctrinale au centre du débat: il s’agit d’invalider les décisions, décidément durables, du synode d’Éphèse en s’assurant de l’acceptation généralisée du Tome, qui est d’abord exigée d’Anatole264. Remarquons que le pape, dont l’engagement dans cette voie précède le décès de Théodose II, doit simultanément abdiquer l’espoir d’affronter Dioscore dans une assemblée conciliaire réunie en Italie265. Aussi choisit-il de s’en prendre à l’Alexandrin de façon indirecte, ce que traduit le fait de continuer à ne pas le désigner nommément, tout en pointant plus nettement la gravité de ses responsabilités en matière doctrinale266. Mais ce discours pontifical révisé doit bientôt s’adapter à de nouvelles conditions politiques, censées favoriser l’action du pape. Après avoir appris de Marcien lui-même le vœu impérial de restaurer «la religion catholique de la foi chrétienne»267, Léon entend désormais affirmer sans ambages que la condamnation définitive d’Eutychès est acquise et la foi pleinement précisée par le Tome. Pouvant récuser ouvertement la légitimité des décisions éphésiennes268, le pape adopte un discours offensif à l’égard de ceux qui se sont trop volontiers prêtés à leur propagation. Réduite pour l’essentiel à la seule personne de l’Alexandrin jusque-là269, la mise en cause de l’épiscopat oriental fait donc apparaître des complicités qui ont pour effet de relativiser quelque peu les griefs portés à l’encontre de Dioscore. Ce n’est pas que celui-ci voie sa responsabilité principale diluée, mais le pape n’entend plus, semble-t-il, le tenir pour seul coupable. Léon conçoit alors une mise à l’écart de la communion de l’Église de Dioscore certes, mais aussi de Juvénal et d’Eustathe de Beyrouth, qui repose sur une exigence remarquable: la suppression de leur association à la synaxe270. Persécuteurs, ces «primates du synode … [qui] ont conforté l’exécrable hérésie»271, doivent se voir réduits à la contrition ou, sinon, à l’isolement et à l’oubli, sans que l’Église soit agitée par l’itération de leur condamnation. L’exigence du pape, qui entend se réserver leurs cas272, constitue une alternative singulière à l’inscription des trois incriminés sur la liste noire des hérésiarques. Toutefois, la soumission ou l’éviction souhaitées par Rome rencontre la résistance d’une large part de l’épiscopat oriental qui ne peut guère

263 Sans doute survenue au début de l’automne 449. Rappelons que Léon adresse encore un courrier à son confrère le 13 octobre (= Ep. 49). 264 Ep. 69, 31.7-11, Ep. 70, 29.34-30.2. 265 Cf. S.O. HORN, Petrou Kathedra, cit., 109. 266 Revenant sur les comportements des évêques présents à Éphèse, Léon admet que ceux qui se sont commis ont pu pécher par ignorance ou par crainte. Accordant de telles circonstances atténuantes, le pape alourdit corrélativement certaines des charges pesant sur Dioscore, puisqu’il lui semble impensable qu’il ne sût en quoi consistaient les thèses d’Eutychès. Cf. Ep. 69, 31.31, Ep. 71, 32.16-17. 267 Cf. ACO II-1-1, 107. 268 Cf. Ep. 83, 43.2, Ep. 90, 48.21-22, Ep. 85, 44 .31-32, Ep. 86, 42.10. 269 Cf. spécialement Ep. 45, 24 .13-15, Ep. 51, 26.1-2. 270 Ep. 80, 40.3-7, Ep. 83, 42.25, Ep. 85, 45.2-10. 271 Ep. 95, 51.5-6. 272 Ep. 85, 44-45.

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admettre la mise à l’écart de prélats aussi importants sans jugement conciliaire préalable273. C’est alors que se trame le nouvel acte, décisif, déterminant l’excommunication de Dioscore. Sans doute Léon continue-t-il, à l’été 451, à ne pas dissocier le cas de l’Alexandrin de celui de ses acolytes et à envisager même qu’ils puissent conserver leur sacerdoce274, ce qui démontre que leur statut d’hérétique n’est pas établi car, dans ce dernier cas, la réduction à l’état laïque serait leur seul espoir275. Or, lors de la séance du 13 octobre 451, seul Dioscore est déposé et excommunié. Faut-il considérer qu’il devient alors un «bouc émissaire», selon l’expression célèbre de L. Duchesne276, et que son rejet permet seul la stabilité d’un épiscopat oriental peu désireux de devoir faire la lumière sur les responsabilités de nombre des siens à Éphèse? Sans doute. Mais il semble en outre que l’Alexandrin ait cherché à exacerber l’enjeu de la réunion conciliaire voulue par Marcien, en prenant l’initiative de prononcer l’excommunication de Léon pour forcer ainsi les inquiets et les indécis à choisir leur camp277. Cette initiative facilite la tâche de ses adversaires et garantit à leurs yeux la spécificité de son statut, spécificité que les conclusions tirées par les magistrats lors de la première session du concile ne manifestaient guère278. Or, ce n’est pas le moindre des paradoxes que de voir que le probable facteur déterminant la condamnation de Dioscore est tu dans la version officielle de sa sanction que Rome diffuse279. Insupportable par l’atteinte qu’elle porte au successeur de Pierre et au Siège apostolique, l’excommunication de Léon représente cependant l’un des attendus principaux, sinon le principal, qui justifient le verdict conciliaire frappant Dioscore. Car à la lecture de la sentence, prononcée au nom de Léon par Paschasinus de Lilybée, Lucensius d’Ascoli et le prêtre Boniface, l’accusation d’hérésie n’est pas objectivement retenue contre Dioscore. Certes l’Alexandrin se voit reproché d’avoir accueilli

273 Au point que Léon soit amené à devoir s’en expliquer: «Concernant les auteurs du tourbillon très cruel, j’ai modifié le quelque chose de la coutume pour que leur lenteur d’esprit puisse être excitée par quelque componction à demander l’indulgence», Ep. 95, 51.21-23. 274 Ibid., 51.9-11. 275 Cf. PIÉTRI, Hérésie, cit., 880. 276 L. DUCHESNE, Histoire ancienne de l’Église. III, Paris 1910, 426. 277 Libelle du diacre Théodore, ACO II-1-2, 16.29-34; voir aussi la sentence de condamnation de Dioscore, ACO II-1-2, 29.7-10, et la lettre du concile à Léon, ACO II-1-3, 117.14-17. Sur le moment où cette initiative est prise, voir aussi G. KRÜGER, Monophysitische Streitigkeiten in Zusammenhange mit der Reichspolitik, Jena 1884, 64-65. 278 «…Il nous paraît juste, conformément au vouloir de Dieu, si cela agrée à notre très divin et très pieux prince, que Dioscore le très révérend évêque d’Alexandrie, Juvénal le très révérend évêque de Jérusalem, Thalassius le très révérend évêque de Césarée de Cappadoce, Eusèbe le très révérend évêque d’Ancyre, Eustathe, le très révérend évêque de Beyrouth et Basile, le très révérend évêque de Séleucie d’Isaurie, qui avaient autorité et qui présidaient au concile d’alors soient punis de la même peine par le saint concile et qu’ils soient exclus de la dignité épiscopale…» (ACO II-1-2, 195.16-23; trad. A.-J. Festugière). 279 Tant dans la sentence reproduite dans la lettre composée à l’intention de Ravennius d’Arles, des évêques rassemblés à ses côtés et de ceux à qui il pourront transmettre la missive pontificale (Ep. 102) que dans le résumé des gesta des actiones 3 et 6 établi par Julien de Cos en 453 sûrement (= ACO II-2-2, 15, voir aussi Ep. 113, 66.35-67.6 et E. SCHWARTZ, ACO II-2-2, XIII) – au contraire des actes grecs et des versions latines établies à partir du milieu du VIe s. Cf. ACO II-1-2, 29.8-9 et ACO II-3-2, 46.14-15. Que l’omission puisse être observée à deux reprises dans deux documents indépendants datant du pontificat de Léon semble accréditer la thèse de l’oubli délibéré (E. CASPAR, cit., 527) plutôt que celle d’une lacune involontaire (F. HOFMANN, Der Kampf der Päpste um Konzil und Dogma von Chalkedon von Leos dem Großen bis Hormisdas (449-518), in Das Konzil von Chalkedon, II, cit., 16-17).

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Eutychès dans sa communion «dont il partageait les sentiments»280 dès avant les décisions d’Éphèse mais la liste des griefs montre que malgré cette initiative, il pouvait être jugé digne de la clémence dont Juvénal et Eustathe devaient finalement bénéficier281. Aussi la condamnation de Dioscore repose-t-elle sur des motifs disciplinaires qui culminent dans son refus de répondre aux trois convocations successives du concile282. Et si besoin était, les séances postérieures démontrent qu’aucun consensus ne règne quant à l’exacte interprétation de ses convictions. Certes, l’anathème a été proféré contre Dioscore par nombre de participants à plusieurs reprises, dénonciateurs qui sont allés jusqu’à l’unir à Eutychès bien sûr, mais aussi à Nestorius, pour jeter sur le trio un seul opprobre283, que facilitait encore la condamnation prospective adjointe à l'o{ro"284. Toutefois l’expression du concile ne se résume pas à cette surenchère. Plus sûrement, Anatole se fait-il le porte-parole de la majorité cyrillienne lors de la cinquième session. Quand les commissaires mettent en cause les raisons doctrinales qui ont conduit Dioscore à déposer Flavien, la formule concise par laquelle l’archevêque de Constantinople répond ne laisse guère place à l’ambiguïté: «Dioscore n’a pas été déposé pour sa foi mais parce qu’il a porté une excommunication contre le seigneur Léon l’archevêque et parce que, convoqué une troisième fois, il ne s’est pas présenté: voilà pourquoi il a été déposé»285. Léon adopte une tout autre lecture de la décision conciliaire. Émanant de son propre jugement, la sanction est interprétée en termes simples: n’ayant pas reçu le Tome, Dioscore ne s’est désolidarisé d’Eutychès en aucune façon et s’est donc montré pertinax. En conséquence, il s’est affiché comme «l’assertor» de l’hérésie, il est celui qui a choisi «l’erreur monstrueuse», le «dogme impie», ou encore celui qui a préféré «les ténèbres à la lumière»286. La peine d’exil à laquelle il a été soumis, évidemment justifiée, offre l’occasion au pontife de mettre en relief un autre crime, gravissime, de l’Égyptien qui, jusque-là, n’avait guère pu être allégué, puisque l’hypothèque de voir Dioscore conserver son siège n’avait pas encore été levée. Léon souligne désormais la trahison commise par l’ex-archevêque à l’encontre de la tradition alexandrine excellemment représentée par Athanase, par Théophile et par Cyrille. S’appuyant sans doute sur les allégations présentées contre l’archevêque par trois clercs et un laïc égyptiens lors de la troisième session chalcédonienne, le pape développe donc le thème de la

280 ACO II-1-2, 28.28-30. S. LE NAIN DE TILLEMONT, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique des six premiers siècles XV, Paris 1711, 662, propose à cet égard une remarque critique qui conserve aujourd’hui encore toute sa valeur et, accessoirement, sa saveur: «de quoi néanmoins je ne trouve pas qu’on eut parlé [lors de l’examen synodal]». Son constat dévoile, sous le mode de la naïveté feinte, les véritables conditions dans lesquelles la sentence a été conçue. Sa teneur, en effet, laisse croire à un document préétabli, médiocrement enrichi des enseignements de la séance, et sans doute rédigé par les légats avec le concours d’Anatole et de Maxime d’Antioche notamment. 281 Ibid., 29.4-6. L’évêque de Jérusalem et son confrère de Beyrouth, de même que les trois autres prélats mis en cause par les commissaires au terme de la première séance, reprennent leur place au concile au cours de la quatrième session, après avoir signifié leur accord avec le Tome. Cf. ACO II-1-2, 109-110. 282 Ibid., 29.10-12. Les légats ajoutent encore que Dioscore aurait aussi reçu dans sa communion des clercs déjà déposés. Quels seraient-ils donc? Athanase, dont l’Alexandrin aurait obtenu le rétablissement sur le siège de Perrhae (Liberatus, Breviarium 12, 118.29-31)? Le remplaçant d’Eusèbe de Dorylée peut-être (Ep. 79, 38.14-15), en admettant qu’il décéda assez vite, ce qui expliquerait que le diacre carthaginois n’en ait rien su? 283 Voir notre thèse Alexandrie et Constantinople, 129-130. 284 Cf. ACO II-1-2, 130.4-11. 285 Ibid., 124 .16-19. 286 Respectivement Ep. 104, 51.7, Ep. 103, 155.25-27, Ep. 115, 67.17-18, Ep. 105, 57.21.

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captivité infligée par Dioscore à son Église287. Cet argument prend évidemment une valeur renforcée à mesure que Léon est plus précisément informé des dispositions prévues par le 28e canon de Chalcédoine288. Peint sous les traits du dévastateur très cruel de la foi et des mœurs289, Dioscore constitue alors la figure la plus riche du discours romain consacré à l’hérésie monophysite: en négatif, il désigne à lui seul le triomphe pontifical sur l’hérésie et la vaillance du combat romain contre les audaces de l’ambitieux Anatole, qui ont été admises à Chalcédoine au préjudice des sièges pétriniens.

b) Les sectateurs Sans jamais se substituer à Eutychès, Dioscore, le défenseur du mensonge290, incarne donc l’adversaire idéal. Vaincu, il manifeste mieux que tout autre le bien-fondé et le succès de l’ensemble du combat pontifical. Aussi, Léon ne se prive-t-il pas d’imposer à ceux qui se réclament de l’Alexandrin des formes de description et de condamnation déjà appliquées à leur maître. Toutefois, il ne faudrait pas trop vite en déduire que le pape se limite à faire du plus coriace des sequaces de Dioscore, Timothée Aelure, l’un de ses simples lieutenants. S’il le présente comme son disciple291, s’il souligne qu’il est à son tour un envahisseur très dangereux du siège de saint Marc292, il lui reproche aussi un crime qui surpasse tous ceux autrefois perpétrés par l’hérésiarque, le parricide293, péché dont le pardon ne peut être donné par l’intermédiaire des hommes294. Dans le discours pontifical en effet, le meurtre de Protérius,

287 Ep. 102, 54.25-30. 288 Ep. 129, 85.14-18, Ep. 130, 83.32-84.2; Ep. 145, 95.34-96.1. 289 Ep. 126, 82.7-10. 290 Ep. 140, 94.11. À la nouvelle de sa mort, Léon fait savoir à son informateur, Julien de Cos, sa certitude que «la prédication de l’évangile sera plus efficace» désormais et «que les âmes instables et insensées ont de quoi être troublées et n’ont plus que suivre» (ibid., 94.8-10). D’un dernier trait, le pontife complète ainsi le portrait de l’hérésiarque. Si son trépas ne donne matière à aucune extrapolation susceptible d’être interprétée comme la manifestation immanente du jugement divin, il est censé mettre un terme capital au processus hérétique de ralliement à une figure d’autorité d’autant plus dangereuse qu’elle fut honorée par l’une des plus hautes dignités sacerdotales. 291 Ep. 162, 105.28-31, voir aussi Ep. 165, 113.10-13. 292 Ep. 146, 96.31-34, Ep.164, 112.5-9, Ep. 167, 117.13-15, Ep. 170, 119.17-18. Empruntés au vocabulaire désignant, selon la signification acquise depuis l’ère constantinienne, l’illégitimité de l’opportuniste ayant temporairement accaparé le pouvoir (cf. V. NERI, L’usurpatore come tiranno nel lessico politico della tarda antichità, in Usurpationen in Spätantike. Akten des Kolloquiums «Staatsreich und Staatlichkeit», Solothurn/Bern 6-10 März 1996, Stuttgart 1997, 71-77), les vocables d’usurpateur (Ep. 156, 103.30-32, Ep. 173, 123.9-10, S. Ep. 3, 125.24) et de tyran (Ep. 156, 104.1) sont volontiers employés. Ils seront appelés à prendre une acception plus aiguë encore après le passage de Basilisque au pouvoir, puisque celui-ci sera dénoncé par le pape dans ces mêmes termes en raison de son soutien à Aelure. Voir infra. 293 La qualification dramatisée du crime résonne comme un Leitmotiv dans les correspondances pontificales successives: Ep. 150, 98.11-12, Ep. 156, 103.13-14, 27-29, Ep. 161, 108.28-29, Ep. 164, 112.6, Ep. 167, 117.14, Ep. 170, 120.1-2, S. Ep.3, 125.4-5, S. Ep. 19, 35, F. Ep. 4, 74 .19. 294 Ep. 164, 112.6-7, Ep. 169, 118.5-8, Ep. 171, 120.21.

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perpétré le 28 mars 457, d’abord attribué aux suppôts de Timothée295, est progressivement imputé à leur chef lui-même, à mesure que Léon entend emporter la décision impériale qui tarde tant. Or, l’homicide commis, pour lequel le pape n’a pas de mots assez durs296, n’est pas seulement décrit en fonction du reportage d’Anatole et du témoignage des évêques et clercs qui, fidèles à l’archevêque chalcédonien, se sont réfugiés à Constantinople. La condamnation répétée dont il fait l’objet a d’emblée pour visée de signifier qu’il s’agit d’un acte sacrilège dont la violence inouïe est la conséquence des premières brutalités commises par Dioscore. Brigandage297 renouvelé contre un évêque innocent et catholique298, cet attentat porte à son paroxysme la logique cruelle qui avait déjà frappé Flavien sans pour autant que celui-ci subît le martyre dans le sanctuaire. C’est précisément le genre de massacre qu’Aelure, à en croire Léon, n’a pas hésité à préméditer. Et le pape de procéder alors à une exploitation polémique de la typologie biblique à laquelle il s’était abstenu d’avoir recours pour accuser Dioscore de son vivant: «Le sang crie contre l’impie Caïn qui, apostrophé par Dieu, ne s’est pas arrêté pour faire pénitence mais s’est enflammé jusqu’au meurtre»299. Implacable, cette analogie ne peut manquer de frapper: comme Caïn, Timothée n’a jamais été un serviteur agréé par Dieu; comprenons que son élection comme archevêque constitue un odieux simulacre aux yeux de Léon300; comme le fils d’Adam301, Aelure n’a pas mis à profit l’avertissement divin; comprenons son retrait temporaire hors de la cité décidé par le comes Denys302 ; comme lui il a commis l’irréparable; aussi bien doit-il être éloigné. Image saisissante à laquelle Simplice ajoute encore en soulignant que, contrairement à Caïn, Aelure n’a pas craint de récidiver puisqu’il a usurpé une seconde fois le siège alexandrin303. Pire, le pape accentue la dénonciation de l’Alexandrin, en se scandalisant de la parodie messianique qu’il a osé mettre en scène à Constantinople304, en évoquant le sacrilège qu’il a célébré avec des mains pleines de sang305, en versant surtout dans une identification outrée faisant d’Aelure un antéchrist ou un fils du diable306. Cette radicalisation extrême du discours pontifical, à laquelle Léon n’avait pas consenti aussi

295 Ep. 150, 98.11-12, Ep.155, 100.15, Ep. 156, 103.13-14, 27-29, Ep. 158, 104.28-30, Ep. 161, 108.28-29. 296 En plus de le désigner par le nom de parricide, Léon qualifie Timothée de pillard (praedo, Ep. 162, 107.12, Ep. 167, 117.15), ce qui permet de faire écho à une désignation hérésiologique déjà mise en en valeur par Sirice (PIÉTRI, Hérésie, cit., 880). Il recourt aussi au vocabulaire démonologique pour signifier la perversité de ses méfaits (Ep. 162, 112.8, Ep. 171, 120.18-19, Ep. 173, 123.20). 297 Ep. 155, 100.15, Ep. 157, 109.24. Il n’est guère utile de souligner que, sous la dictée pontificale, le mot latrocinium évoque immédiatement les forfaits d’Éphèse. 298 Ep. 156, 103.30-31 (Protérius). Cf. Ep. 80, 39.18 (Flavien). 299 Ep. 162, 107.10-11. 300 Ep. 156, 103.13-14, cf. Gn 44. 301 Les thèmes de filiation (Adam-Caïn/Dioscore-Timothée Aelure) et de gravité plus grande du péché du fils, comparé à celui du père, ne sont pas explicitement avancés mais il est difficile d’imaginer qu’ils ne soient pas venus à l’esprit du pontife et de ses lecteurs. Si l’on admet que cette acception est délibérément propagée, il faut donc retenir que Dioscore ne se voit mis en rapport avec une figure prototypique de l’histoire sainte que lorsque le développement historique du mouvement qu’il a contribué à former dévoile l’importance de la faute originelle. 302 Cf. la lettre des protériens à l’empereur Léon, jointe au questionnaire impérial, ACO II-5, 144-6, voir aussi E. SCHWARTZ, Publizistische Sammlungen, cit., 172-173. 303 S. Ep. 3, 125.6-17. 304 S. Ep. 2, 130.23-131.1, Ep. 3, 125.18-126.1. 305 Ibid., 126.3-4. 306 Ibid., 126.1,7.

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facilement, ne s’atténue guère après le retour de Zénon, chanté comme un haut fait de la Providence307. Tant que Timothée Aelure demeure sur le trône alexandrin, Simplice continue à lui réserver les qualificatifs les plus acerbes parmi ceux que l’hérésiologie romaine a privilégiés à mesure qu’elle expérimentait la résistance des forces monophysites308. Il n’est pas jusqu’à la disparition de l’hérétique qui ne motive chez Simplice une satisfaction en forme d’action de grâce. «L’Église d’Alexandrie a été délivrée par un jugement céleste»309. Sans doute ne peut-on déceler dans ces paroles l’ébauche d’une nouvelle variante, exploitant la veine athanasienne pour mieux illustrer le thème de la mort épouvantable des hérétiques310. Sans doute l’expression de soulagement du pape répond-elle par ailleurs à une interprétation similaire conférée à l’événement par Acace311. Pourtant la formule du pape, qui signale la pugnacité de l’adversaire, d’ailleurs plusieurs fois présenté comme un gladiateur312, n’est probablement pas étrangère à la mise en évidence, dans l’historiographie latine, du caractère remarquable du trépas de l’Alexandrin. En effet, la version du pape est relayée par les Gesta de nomine Acacii, qui signalent en outre que le décès d’Aelure précéda de peu l’exécution de l’ordre impérial prévoyant son nouvel exil313. La leçon du récit est claire: le décret divin a eu priorité sur celui du basileus. À première vue contradictoire, l’historiette relatée par Libératus se nourrit pourtant de cet enseignement pour mieux répondre à ceux qui prétendent que Timothée avait prédit la date de sa mort. À en croire le diacre carthaginois en effet, Aelure se serait suicidé en absorbant un poison (venenum) plutôt que de devoir connaître une seconde fois l’exil314. Conciliable avec le motif général de la souveraineté divine sur l’histoire et par conséquent avec le terme de l’existence imparti à chacun, cette anecdote, sans doute développée dans les milieux chalcédoniens d’Alexandrie, apporte à l’épisode une signification qui, par l’abject de la scène, conforme le trépas du proscrit au motif général de la mors haereticorum. Pour être tardif et

307 Voir spécialement Ep. 6, 135.20-136.20, Ep. 7, 121.23-25, Ep. 11, 142.9-13. Il est vrai que la lettre adressée par Zénon, par laquelle l’empereur annonçait au pape son retour sur le trône (Urk. 11), ne devait guère éviter les hyperboles providentielles capables de magnifier l’idéologie impériale et la gloire retrouvée de l’Isaurien: «et puisque tu enseignes que ta cause était commune avec celle de Dieu …» (ibid., 136.22-23) 308 «Intrus non moins pervers qu’hérétique», Ep. 6, 137.24-138.1, «brigand pernicieux»; «envahisseur récidiviste», S. Ep. 7, 121.8-10. 309 Ep. 9, 139.2. 310 Sur les enjeux du récit sensationnel qu’Athanase donne du décès d’Arius – ses entrailles éclatent (cf. Ac. 1.18) alors qu’il se trouve aux latrines –, cf. A. MARTIN, Le fil d’Arius (325-335), RHE 84 (1989) 326-338 et EAD., Athanase d’Alexandrie et l’Église d’Égypte au IVe siècle (328-373), Rome – Paris 1996, 337-339. 311 Regestes, cit., n° 153, 4.19-5.2: «Le Christ a retiré ce Timothée de la vie humaine, qui soufflait tempête depuis Cherson et troublait, comme il est apparu, la tranquillité de l’Église, en lui disant “tais-toi et reste muet” (Mc 4, 39)». 312 Cf. S. Ep. 3, 126.10, Voir aussi Ep. 15, 148.10. À notre connaissance, ce vocable n’avait pas été employé par Léon. Il semble bien, en effet que celui-ci ne jugeait pas habile de convoquer des références trop ostensiblement attachées au paganisme pour signifier l’activité criminelle d’Aelure. Au contraire, Simplice, soucieux de frapper l’esprit de Basilisque, jette l’opprobre sur le sacrilège en l’assimilant à l’un des symboles les plus marquants des spectacles païens, les plus honnis par les chrétiens et de longue date interdits par la législation théodosienne. 313 Gesta de nomine Acacii, 18, 447.8. 314 Liberatus, Breviarium, 16, 125.13-17. On notera le sarcasme de l’auteur: venenum est en effet l’un des mots les plus usités pour qualifier le caractère mortifère de l’hérésie par analogie avec l’étiologie. Cf. supra, n. 177.

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quelque peu hétérogène, cet ajout s’accorde avec la conviction fondamentale propagée par le discours romain: l’entière perversité de Timothée Aelure. Car, à l’examen de la documentation pontificale, les crimes imputés à l’Alexandrin apparaissent à ce point horribles qu’ils lui valent une postérité étonnante. Chronologiquement coincé, si l’on peut dire, entre les initiateurs de l’hérésie (Eutychès et Dioscore) et ceux par qui le schisme est arrivé (Acace, Pierre Monge ainsi que Pierre le Foulon), Aelure se voit désigné en leur compagnie dans le formulaire d’Hormisdas315. Dans ce compendium de l’hérésie à abjurer, par lequel la papauté entend permettre à l’Orient de retrouver sa communion, Timothée «le parricide» incarne mieux que tout autre ses transports de violence, ce dont témoigne encore la lettre des légats relatant l’émeute survenue à Thessalonique à l’automne 519316. C’est sans doute un souci comparable de conformer les criminels hérétiques à leur modèle qui explique l’intention déjà evoquée de l’interpolateur favorable aux Trois Chapitres. Mais en ajoutant de longs passages à la lettre de Léon, le faussaire italien cherche à procéder par rétro-identification afin que Dioscore apparaisse comme l’assassin de Flavien et que, par conséquent, Aelure soit considéré comme son imitateur seulement317. Cette tentative, destinée à simplifier la personnalisation des responsabilités, achève une différenciation hérésiologique entre Dioscore et Timothée, entre auctor et sequax, que la correspondance de Léon, fortement contextualisée, ne permettait pas de dégager absolument. Elle consacre définitivement la supériorité du successeur de Cyrille dans l’ordre de l’exécration. Un tel effort, visant à réduire le disciple pour qu’il ne puisse paraître égal au maître de quelque manière, ne s’avère pas nécessaire dans le cas de Pierre Monge. Tandis que Léon avait décidé des termes dans lesquels Dioscore et Timothée devaient être dénoncés, c’est à Simplice que revient la tâche d’engager l’incrimination du troisième Alexandrin. À vrai dire, il se contente de reprendre les principales composantes d’un discours déjà rodé, tout en veillant à son actualisation: complicité dans les crimes d’Aelure, indignité de la cléricature et au combien plus du sacerdoce, invasion de l’Église de saint Marc, nécessité de s’assurer de son exil318. Si la soustraction de Monge319 à la peine prévue oblige le pape à exhorter 315 Cf. CA 116 b, 521.10-22. Présenté une première fois pour souscription par les légats à Constantinople durant l’été 515, ce document est solennellement souscrit par l’archevêque de la Nouvelle-Rome, Jean II Kappadokès, le 28 mars 519 (Regestes, cit., n° 212, CA 159, 607-610). Sur cette pièce, cf. O. GÜNTHER, dans CA, 800 apparat critique, repris par A. GRILLMEIER, Le Christ. II-1, cit., 451, note 22, malgré E. SCHWARTZ, Publizistische Sammlungen, cit., Urk. 109, 169. 316 Venue pour obtenir de Dorothée et de ses suffragants la signature du même formulaire, une mission menée par un des légats d’Hormisdas, l’évêque italien Jean, est victime d’une émeute. Si le prélat, grièvement blessé, parvient à rejoindre l’asile de la basilique saint Marc (!), deux de ses serviteurs sont massacrés par la foule, de même qu’un certain Jean qui les avait accueillis et logés. Rapportés au pape, ces forfaits sont mis en rapport direct avec les crimes commis par ceux qui s’en prirent à Protérius, Dorothée, suspecté d’avoir fomenté l’ensemble des violences, étant implicitement comparé à Aelure. Cf. la suggestio de l’évêque Germain, des diacres Félix et Dioscore et du prêtre Blandus (à Hormisdas), mi ou fin octobre, reçue le 28 novembre 519, CA 225, 688-690; voir aussi notre contribution A Stereotype of the Roman History of the Monophysitism? About the Violent Episode of Thessalonica (519), Hortus Artium Medievalium 10 (2004) 206-207. 317 Voir supra, 142.. 318 S. Ep. 10, 141.10-18, Ep. 11, 143.20-144 .4, S. Ep. 12, 145.10-15, S. Ep. 13, 146.10-21, S. Ep. 16, 150.1-6. 319 Tout comme celui de Timothée, nous utilisons ce surnom par commodité. Si le sobriquet d’Aelure (ai[louro" / Helurus), diffusé de son vivant, apparaît pour la première fois, du côté latin, dans les Gesta de nomine Acacii, 13, 445.3-4, sans être explicité toutefois – suscité par certaines caractéristiques morphologiques, il signifie furet ou belette et a été exploité, mais avec peu de succès, par les adversaires alexandrins du monophysite pour dénoncer la cruauté de Timothée (voir

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à sa capture, elle n’offre guère l’occasion d’innover. Aussi Simplice dénonce-t-il sans désarmer l’insidiation de l’hérétique et les risques que font courir «son influence pernicieuse» à Alexandrie320. La reconnaissance de l’épiscopat du monophysite par l’empereur et par Acace, qui bouleverse bientôt les conditions d’intercommunion, suscite bien l’angoisse du pape, mais ne le conduit qu’à modifier superficiellement le portrait qu’il dresse de l’ennemi de la foi. Certes, la faveur que l’empereur témoigne à l’égard de l’Alexandrin incite peut-être Simplice à modérer les affirmations de son réquisitoire321. Toutefois, aux yeux du pape, l’appétit de pouvoir éprouvé par Pierre tend à démontrer qu’il demeure ce qu’il a toujours été, le zélé compagnon du «parricide» Timothée. À elle seule, cette considération suffirait à attester le bien-fondé et la validité de sa condamnation, à moins qu’il ne fît pénitence. Car si Monge ne renonçait à ses ambitions indues, les crimes et brigandages se reproduiraient nécessairement322. Félix fait montre de plus de certitude encore. Sous sa dictée, Pierre l’eutychien323 est d’emblée identifié avec celui dont il est le sectateur, Aelure. Décrit comme un usurpateur, un déserteur, identifié à la bête sauvage évoquée par le psalmiste324, l’Alexandrin est donc réprouvé avec la plus grande énergie. Et le pontife de brandir l’accusation ultime: point n’est besoin de réexamen, ses crimes sont manifestes, et sa promptitude à verser le sang intacte325. Terrible sentence à laquelle l’appel de Talaïa n’apporte que quelques attendus supplémentaires qui confirment pleinement les vertus prédictives de l’hérésiologie pontificale. C’est ainsi que les forfaits de Monge sont énumérés comme autant d’évidences: substitution d’un clergé hérétique aux serviteurs de l’orthodoxie326 et anathématisation de Chalcédoine. Faute de pouvoir lui imputer directement l’homicide de Salophaciol, le pape retient la charge qui s’en rapproche le plus, la violation de sa sépulture327. Par ce dernier sacrilège s’accomplit la figure du

déjà ACO II-5, 1834) – celui de Monge (moggov" / blaesus, l’enroué, ou pire, le bègue) est sans doute formé après la mort de l’intéressé, peut-être dans les cercles monophysites intransigeants des environs de Gaza et d’Éleuthéropolis dans la seconde moitié du règne d’Anastase. Pour une présentation détaillée de cette hypothèse et une étude des vertus sémiotiques des surnoms attribués à différents protagonistes de la controverse monophysite, nous renvoyons à notre recherche doctorale (Alexandrie et Constantinople, cit., 354-360) 320 S. Ep. 11, 144.4-6, Ep. 12, 145.15-18. 321 S. Ep. 19, 3.5-11 322 Ibid., S. Ep. 18, 152.11-153.18. 323 Ep. 10, 779-10. 324 F. Ep. 1, 67.5-7, 68.9-11. La référence au bestiaire biblique (Ps 79, 4 Vulgate) appartient de longue date au registre hérésiologique. Elle avait déjà été exploitée par Léon (Ep. 172, 122.6-8). 325 F. Ep. 1, 68.11-15. 326 D’après les griefs figurant dans la lettre par laquelle Félix informe Acace de sa condamnation. Cf. F. Ep. 6, 6.10-17. Voir aussi Évagre, HE, III-18, 117. 327 Outre les références déjà signalées, voir aussi Théodore le Lecteur, HE, E. 425, 118 et F. 22b, 118 = Victor de Tonnona, Chronique (CCL 173 A) a. 480, 9-10; Liberatus, Breviarium, 17, 130. Fermement réprimée par la législation impériale au moyen d’un lourd système tarifaire (cf. J.-P. CAILLET, L’amende funéraire dans l’épigraphie chrétienne de Salone, VAHD 81 [1988] 35-42 spécialement), la profanation des tombeaux est considérée à l’égal des pires forfaits par une certaine rhétorique de l’apologie. C’est ainsi que Théodoret la fait figurer parmi les crimes les plus ignominieux, en compagnie des homicides et des adultères, qui cependant n’empêchent pas l’accusé de pouvoir se défendre, tandis que lui, lors du concile d’Éphèse (449) n’a pas même été entendu. Cf. Théodoret de Cyr, Ep. 113. Correspondance. III, cit., 625. Voir aussi É. REBILLARD, Violations de sépulture et impiété

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disciple de l’erreur dont le moindre des paradoxes n’est pas de ne guère emprunter aux traits de Dioscore, si ce n’est a silentio peut-être. Car de la condamnation de Léon et de son Tome par Monge, pourtant très vraisemblable, au moins par oral328, le pape ne fait pas mention, comme si l’inanité d’une telle audace ne devait recevoir davantage d’écho que l’excommunication prononcée par le successeur de Cyrille. Comparse d’Aelure plus que disciple de Dioscore, Monge, à en croire Félix, n’en entraîne pas moins Acace dans sa compagnie impie. En s’associant à lui, le Constantinopolitain devient le représentant d’une troisième catégorie déviante, celle des consortes, ou des socii, sans la collaboration desquels, à en croire les papes, le phénomène hérétique se serait évanoui de longue date. c) Les socii Convaincu que le monophysisme est né de l’impéritie d’un archimandrite et n’a pu trouver l’occasion de se développer que grâce au soutien d’un assoiffé de puissance, l’archevêque d’Alexandrie, Léon développe volontiers le thème de l’alliance entre l’ignorance – qui caractérise en premier lieu moines et laïcs329 – et l’ambition – laquelle sied davantage aux principaux membres du collège épiscopal – pour expliquer la permanence d’un mouvement dont il veut croire qu’il ne génère qu’un petit nombre de perturbateurs330. Aussi le pape entend-il rappeler que la prédication et la publication écrite de l’enseignement doctrinal n’appartiennent qu’aux seuls ministres ordonnés. Aux moines et au peuple, il revient d’être instruits331. Cette conception traditionnelle de l’ordre ecclésial est à l’origine de la sévérité avec

dans l’Antiquité tardive, in Impies et païens entre Antiquité et Moyen Age, éd. L. MARY et M. SOT, Paris 2002, 71-73. 328 Et sans doute connue par Jean Talaïa. Cf. Zacharie le Rhéteur, HE, V-7, 118-121, Théodore le Lecteur, HE, E. 425, 117. Certaines sources chalcédoniennes soutiennent que Pierre Monge n’anathématisa pas ouvertement Chalcédoine de prime abord (cf. De sectis, col. 1229, Évagre, HE, III-16, 114-115 [322]). Toutefois le récit du Scolastique présente des éléments de contradiction qui laissent supposer que Pierre Monge n’avait pas respecté de délai mais qu’il avait, au contraire, inscrit d’emblée son action sous le régime d’une condamnation du concile et du Tome. Toutefois, celle-ci devait rester longtemps orale. En effet, il semble bien qu’au préalable, Monge avait pris un engagement auprès de Pergamius, le préfet augustal, qui lui interdisait de diffuser son anathématisation, c’est-à-dire, selon nous, de recourir à la publication écrite pour la faire connaître (cf. Jean Diakrinomenos, HE, E. 543, 155). Aussi, en l’absence probable d’attestation écrite pouvant être versée au dossier à charge examiné, faut-il reconnaître qu’il n’était guère loisible d’ajouter ce grief particulièrement offensant aux motifs de ce qui n’était de toute façon que la confirmation d’une condamnation déjà portée. 329 Considération spécialement avancée lors de la révolte palestinienne: cf. Ep. 115, 67.36-37, Ep. 116, 68.24-26, Ep. 123, 77.20-23 ; aussi le pape, à la demande de Marcien, a-t-il l’intention d’obtenir d’Eudocie qu’elle use de son influence pour que les «auteurs des séditions reconnaissent l’objet de leur profession (monastique) ou, s’ils ne comprennent pas la prédication de ceux qui les enseignent, qu’ils craignent la puissance de ceux qui punissent» (Ep. 117, 69.24-27). 330 Autre affirmation importante du discours pontifical, cf. Ep. 79, 38.6, Ep. 94, 50.7. Voir aussi Ep. 156, 103.17-19, Ep. 157.20-21. 331 S’adressant à Julien de Cos qui l’a sans doute informé de l’affaire, le pape ramasse en une formule tranchante (avec, en introduction, un miramur sans équivoque) cette conviction première «Nous nous étonnons que (notre) frère l’évêque Thalassius (de Césarée-de-Cappadoce) a laissé la faculté d’écrire

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laquelle le pape traite ses confrères lorsqu’il les suspecte de préférer des honneurs jugés indus à l’édification de leurs ouailles. Si Léon exprime toute l’horreur et la condamnation que lui inspirent la violence et la fureur qu’il prête aux rebelles palestiniens, dont il rappelle d’ailleurs l’importante composante monastique332, il ne manque pas de s’en prendre également à Juvénal, et envisage même que ce soit la connivence de l’archevêque avec «l’impiété» qui ait pu inspirer le sentiment de révolte à l’origine des débordements333. Renonçant bientôt à cette hypothèse, le pape n’en continue pas moins de tenir l’archevêque de Jérusalem pour co-responsable des événements. Puisqu’il s’était joint (copularat) aux hérétiques, qu’il avait embrassé Eutychès et Dioscore334, et qu’il n’abandonna pas même sa cupidité à Chalcédoine335, il était à craindre qu’il ne devînt pour lui-même un objet d’adversité. Aussi, s’il est venu à résipiscence au temps de l’indulgence336, l’erreur dans laquelle il avait déclaré se complaire a-t-elle produit meurtres abominables et blasphèmes, avant que l’empereur n’ait fait prévaloir le droit et ne lui ait permis de rejoindre son siège337. Démonstration exemplaire des conséquences dramatiques d’une collusion, même temporaire, avec les eutychiens, le discours de Léon consacré aux malheurs de Juvénal s’articule étroitement avec la dénonciation que le pape réserve aux desseins attribués à son confrère de Constantinople, Anatole. En ce cas cependant, le pontife inverse l’ordre des causalités: c’est l’ambition de l’archevêque, clairement manifestée par l’élaboration et l’approbation conciliaire du 28e canon, qui se révèle le mal déclenchant338. Et le pape de souligner d’emblée sa gravité: visant nécessairement le legs nicéen, ce genre d’aspiration n’a cessé de prouver sa capacité de nuisance au cours de l’histoire de l’Église339. Toutefois, puisqu’Anatole ne se conforme guère aux injonctions lancées, le soupçon d’hérésie à son encontre, d’abord instillé seulement340, ne tarde pas à prendre une place plus considérable dans l’argumentation pontificale. Plutôt que d’insister sur la souillure originelle d’une ordination douteuse que l’archevêque a su laver341, Léon stigmatise la promotion cléricale d’ennemis de Flavien au sein de l’Église constantinopolitaine342. Sans doute le pape ne se résout-il pas à prononcer une condamnation décisive de son confrère, mais il le prive de sa communion

ou de prêcher à je ne sais quel Georges qui, en osant (commettre) l’illicite, a renoncé au nom et au dessein monastiques» (Ep. 118, 72.14-16). Voir aussi notre contribution, Vice mea, cit., 1077-1078. 332 Voir supra note 329. 333 Cf. Ep. 113, 6619-20 et le commentaire de L. PERRONE, cit., 105. 334 Ep. 109, 138.9-10. 335 En faisant entériner par le concile l’existence d’un territoire de juridiction supra-métropolitain, formé par les trois seules provinces de Palestine, cependant détachées de l’espace traditionnellement reconnu à la compétence de l’archevêque d’Antioche. Cf. spécialement Ep. 119, 74.16. 336 Ep. 139, 92.4-5 337 Ibid., 91.30-92.2. 338 Ep. 104, 56.1, 34, 57.5, Ep. 105, 58.2, 59.28-29, Ep. 106, 60.22-26, 62.1-2, Ep. 128, 86.18, 23. 339 Ep. 105, 58.7-12. 340 Le pape se bornant tout d’abord à rappeler qui furent ses ordinateurs et la crainte éprouvée alors à Rome qu’il leur fût semblable. Cf. Ep. 104, 56.2-3, Ep. 106, 59.24-26. Léon exploite ce même précédent de façon plus mordante à partir du printemps 453 : Ep. 111, 63.5-8, Ep. 112, 64.29-30, Ep. 113, 66.4-5. 341 Voir spécialement Ep. 80, 38.35-39.14. 342 En rejetant la sanction implicite d’Aetius, ordonné prêtre, et la promotion aux offices d’archidiacre et de protonotaire d’un certain André, dont Léon avait déjà dénoncé l’appartenance eutychienne, au point de contraindre Anatole à le déposer, avant que ce dernier pût le réintégrer, une fois les décisions chalcédoniennes adoptées (Regestes, cit., n° 122). Cette affaire constitue l’un des thèmes dominants des lettres 111, 112, 113, 63-66, puis est à nouveau abordée en Ep. 117, 70.3-9 et Ep. 128, 85.24-27.

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pendant deux ans. Dès lors, si le renouement entre les deux prélats, sous l’égide de Marcien, a pour conséquence de mettre un terme aux allégations romaines343, Léon, à l’occasion des soubresauts provoqués par la crise alexandrine (457-458), blâme encore le prétendu laxisme de son confrère qui, à l’en croire, n’empêcherait pas que l’on s’en prenne au concile de Chalcédoine dans les églises de la capitale. Sans lancer l’accusation d’une complicité passive à l’encontre d’un collègue qu’il a souhaité placer sous surveillance, le pape se montre suffisamment insistant pour bien signifier que, en dépit de sa participation au combat contre Aelure, l’hypothèque de l’hérésie pesant sur Anatole n’est pas tout à fait levée344. Au contraire, l’image d’Acace renvoyée par le miroir romain apparaît tout d’abord dans la lumière de la parfaite orthodoxie. Il fait l’objet de louanges sans mélange de la part de Simplice345 pour le rôle que ce dernier lui reconnaît dans la lutte contre le retour offensif de l’hérésie au temps de l’usurpateur (Basilisque). Ce n’est que progressivement que le pontife en vient à douter des intentions de son confrère. Après avoir fait siennes les craintes de son prédécesseur346 et averti Acace que celui qui ne s’oppose pas à l’erreur finit par l’approuver347, Félix exhorte encore le Constantinopolitain à ne pas passer à l’ennemi, en multipliant les références pastorales puisées dans le Nouveau Testament348. Ne négligeant pas de faire allusion aux prétentions d’Acace, le pape innove quelque peu en cherchant à en faire le motif d’un engagement renouvelé pour la sauvegarde de la foi349, plutôt que la cause de la faveur donnée à l’hérésie. Car Félix ne peut croire encore que son collègue est entré dans la communion de Monge. C’est précisément ce dont Jean Talaïa vient accuser le Constantinopolitain, non sans détailler d’autres charges, parmi lesquelles figure en bonne place sa propre éviction350. Le libelle d’appel du Tabennésiote ne nous a pas été conservé et les lettres par lesquels Félix en fait part pour obtenir la comparution d’Acace à Rome se limitent à un simple renvoi sans préciser le

343 Cf. Regestes, cit., n° 133 (= ACO II-4, 168-169), Ep. 135, 88-89 et Ep. 136, 90-91. Sur les aspects du fonctionnement ecclésial constantinopolitain mis en évidence par ce différend, voir G. DAGRON, Naissance d'une capitale, Constantinople et ses institutions de 330 à 451, Paris 19842, 494. 344 Cf. Ep. 151, 139.4-13, Ep. 157, 110.3-17, Ep. 161, 108.36-109.2, Regestes, cit., n° 142, Ep. 163, XXXXIIII. 345 S. Ep. 5, 129.6-10, Ep. 9, 138.19-139.1, Ep. 11, 142.4-6. Il est vrai que le Constantinopolitain n’avait pas manqué de se célébrer lui-même (voir Regestes, cit., n° 153, PS, 4.16-19), comme en témoigne Félix (F. Ep. 2, 71.17-20; peut-être le pape fait-il allusion également au courrier envoyé par Acace en hiver 476-477, voir Regestes, cit., n° 151). 346 Ep. 2, 70.14-15 347 Ibid., 72.1-2. Voir aussi ibid., 73.2-4. 348 Ibid., 72.7-18. 349 «C’est pourquoi si tu remarques que des cœurs hostiles se dressent contre les décisions du synode chalcédonien et si tu ne les combats pas, je ne sais comment, crois-moi, tu affirmes être prince (principem) de toute l’Église» (F. Ep. 2, 73.4-6). Faut-il débusquer derrière cette formule le titre, célèbre et sulfureux, de patriarche œcuménique? Si H. GELZER, Der Streit über den Titel des ökumenischen Patriarchen, Jahrbuch für protestantische Theologie 13 (1887) 568, a voulu situer cet emploi après la rupture avec Rome seulement, plusieurs chercheurs ont considéré son usage pré-schismatique comme fort probable (cf. E. CASPAR, Geschichte des Papsttums. II, Tübingen 1933, 16 et 746, note 16; E. STEIN, La période byzantine, The Catholic Review 21 [1935] 135 et Histoire du Bas-Empire. II, cit., 37, note 3). Ils ont été suivis par W. ULLMANN, cit., 140 et approuvés par S.O. HORN, Auseinandersetzung, cit., 709. Toutefois, aucune certitude ne l’emporte: il nous semble, en effet, que la formule peut seulement viser à mettre en cause des prétentions discernées au travers de l’action du patriarche et interprétées comme une atteinte à la primauté romaine. 350 Cf. Évagre, HE, III-18, 117.15-18.

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contenu des accusations lancées351. Aussi, demeurant encore incertaine au moment où Félix enjoint à ses émissaires de remettre ces courriers, la culpabilité d’Acace n’éclate au grand jour qu’après le retour des légats. Aux griefs disciplinaires déjà avancés par l’Alexandrin déchu352, le synode romain ajoute le scandale de la double traîtrise commise par Acace: non seulement à l’égard de la condamnation qu’il avait lui-même portée à l’encontre de Monge mais aussi à l’égard des représentants du Siège apostolique. Et Félix de bien signifier que, procédant ainsi, le Constantinopolitain s’est joint à la succession des proscrits: «tu les as attirés à ta communion et à celle des hérétiques»353. Versatile et inconstant354, ayant préféré Pierre d’Alexandrie au bienheureux Pierre355, Acace est désormais le suffragator de l’Égyptien356, son laudateur357, et devenu son associé dans la prévarication358, il complète le visage polymorphe de l’hérétique en lui apportant un trait que la papauté n’avait guère relevé jusque-là, celui de la trahison. Conformée aux modèles de la typologie et de la caractérologie hérésiologique romaine, la description des adversaires est donc censée rendre compte des raisons et des mobiles qui expliquent les capacités de régénérescence du phénomène monophysite. Présentant la spécificité de comporter des sequaces plus redoutables, d’un certain point de vue, que les hérésiarques, le mouvement dénoncé est donc identifié avec certitude depuis ses premières manifestations jusque dans ses développements les plus remarquables. Aussi le pontife développe-t-il simultanément un programme d’éradication dont l’efficacité, acquise en principe, à l’en croire, ne l’empêche pas de procéder régulièrement à l’adaptation de certaines de ses modalités.

V. L’ÉLIMINATION DU MONOPHYSISME: PROGRAMME D’UNE ÉRADICATION RETARDÉE

a) Un contrôle de la procédure contrarié «Dans la première moitié du siècle» écrit Charles Piétri, «Innocent, Célestin, Sixte démontrent au moins à l’Orient la raison d’être du primat romain: l’autorité de recours, lorsque la protection impériale pèse trop lourdement sur les Églises d’Orient»359. À première vue, l’implication de Léon dans la controverse monophysite semble motivée par la sollicitation de cette même compétence. Pourtant, à bien considérer le premier appel reçu par le Siège apostolique, un constat s’impose: le plaignant, Eutychès, ne se tourne guère vers Rome comme si l’intervention du pape devait constituer le moyen le plus sûr pour lui d’obtenir justice. Non seulement le condamné, un simple prêtre au regard de la hiérarchie cléricale, ne limite pas ses instances au seul pontife romain mais il apparaît d’emblée qu’il bénéficie du soutien

351 F. Ep. 3, 75.12-23, Ep. 4, 74.20-75.2. 352 Outre l’établissement de liens de communion avec Pierre Monge, Acace est jugé coupable d’avoir procédé à l’élévation anti-canonique de Jean Codonat sur le siège de Tyr (Phénicie Paralienne) et à l’ordination presbytérale d’un certain Himérius qui avait été déposé en tant que diacre. Cf. F. Ep. 6, 6.1-14. 353 Ibid., 7.3-4. 354 Ep. 10, 77.2. 355 Cf. F. Ep. 8, 81.24-25 356 F. Ep. 8, 81.28. 357 Ibid., 82.7. 358 Ibid., 82.8-9. 359 PIÉTRI, Roma christiana, cit., 1278.

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impérial360. Sans doute ces caractéristiques peu communes incitent-elles Léon à concevoir immédiatement la gravité de l’affaire mais son intervention, une fois le déroulement du synode permanent mieux connu, ne se fonde pas sur sa prérogative à casser les décisions de cette première juridiction. Bien au contraire, confirmant le bien-fondé de la sentence promulguée par le tribunal constantinopolitain, le pape paraît vouloir signifier sa solidarité à l’égard de Flavien en même temps qu’il entend exprimer sa prétention, en tant que successeur de Pierre, à prêcher la doctrine apostolique dans une affaire dont il espère encore qu’elle ne provoquera pas de concile général361. Aussi le concile d’Éphèse s’ouvre-t-il dans des conditions qui préjugent mal de l’influence romaine sur le cours de l’affaire: l’assemblée est appelée à juger du cas de l’archimandrite dont Rome a rejeté la requête. C’est donc avec l’appel de Flavien que Rome est véritablement sollicitée en tant qu’autorité de recours362. Ce pourvoi suscite la procédure synodale d’octobre 449 au cours de laquelle les décisions du synode d’Éphèse, qui ne sont nullement mises en doute par l’empereur et comportent apparemment toutes les garanties d’une réception généralisée, sont invalidées363. Autant dire que le combat change de nature: il n’est plus question seulement de réfuter un archimandrite par trop entreprenant et bien introduit en cour, il s’agit désormais pour Rome de s’opposer aux orientations données à l’Église impériale par son instance de décision la plus largement reconnue, en Orient tout au moins. Défi d’envergure, cette entreprise repose sur une prétention juridique qui se double d’une certitude dogmatique dont l’expression croît encore, après que le décès de Théodose a provoqué une redistribution complète des conditions présidant à l’équilibre ecclésial364. Or, le nouvel empereur, Marcien, donne suite aux sollicitations de plaignants365 – Théodoret de Cyr et Eusèbe de Dorylée – dont le pape a jugé les instances fondées puisqu’elles procédaient de la même démonstration d’injustice commise à Éphèse. Mais, à la différence du souverain, le pape considère alors que, même légitimes, elles ne constituent plus le motif canonique rendant indispensable la convocation d’un nouveau concile à brève échéance366, d’autant que les dispositions qui empêchaient les deux évêques –

360 Cf. supra, 145. 361 Ep. 29, 9.26-27, même avis exprimé sous forme de regret désormais en Ep. 36, 17.2, Ep. 37, 17.28-29. Voir aussi Ep. 44, 19.15-16. 362 ACO II-2, 77-79. Rappelons avec M. WOJTOWYTSCH, cit., 323-326 que les convictions exprimées dans cette lettre quant à la procédure à suivre restent étrangères à toute idée selon laquelle l’intervention de Léon pourrait conduire à plus qu’à la formation d’un nouveau concile (ACO II-2, 79.6-11). Les appels d’Eusèbe de Dorylée et de Théodoret de Cyr, reconnaissent, quant à eux, un rôle particulier joué par Rome dans l’histoire de l’Église (ACO II-2, 79.19-28, Ep. 113, Correspondance. III, cit., 56.4-60.13), et laissent transparaître l’espoir que le pape puisse obtenir leur réintégration (ACO II-2, 81.1-6, Ep. 113, Correspondance. III, 64.21-66.7) mais ils ignorent le motif décisif de l’idéologie pontificale, la doctrine pétrinienne. 363 Cf. supra, 146-147. 364 Cf. spécialement Fragments d’un synode tenu à Constantinople en 450, cit., 46.16-34. 365 Si le souverain allègue la nécessité que la «vraie foi soit plus clairement reconnue pour toujours» dans sa sacra de convocation (ACO II-1-1, 27.30), les accusateurs qui, entendus lors de la première séance, provoquent le procès de Dioscore sont bel et bien Eusèbe de Dorylée et Théodoret (ACO II-1-1, 66.13-67.19, 69.34-70.8). 366 Pour étayer sa revendication visant à différer (sine die) le synode (Ep. 82, 41.35-38), le pape souligne encore l’impossibilité dans laquelle vont se trouver les évêques occidentaux des provinces «inquiétés par la guerre» à se déplacer, ce qui met par avance en péril l’idée que le concile soit vraiment universel. Cf. Ep. 83, 43.13, Ep. 84, 50.5, Ep. 89, 47.19-20, Ep. 90, 48.8-12, Ep. 91, 49.2-6, Ep. 94, 49.34-35.

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tout comme ceux qui avaient pu être chassés à l’issue de la réunion d’Éphèse – de faire valoir leurs prérogatives épiscopales ont été levées367. Aussi, sans constituer un désaveu, la nouvelle réunion conciliaire ne vérifie-t-elle guère les développements que la papauté souhaitait donner aux appels qui lui ont été adressés. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le Siège apostolique parvient à maîtriser jusqu’à son terme la procédure retenue, après avoir été saisi, dans un cas seulement, entre 448 et 484, celui de la mise en accusation d’Acace par Jean Talaïa. Examiné en conventus et reçu368, le libelle du chalcédonien conduit le pape et les évêques réunis autour de lui à convoquer l’évêque de Constantinople – rappelons que, au regard du pontife, aucun élément nouveau n’incite à réviser la sanction pesant sur Monge, bien au contraire – pour répondre des charges qui sont retenues contre lui. Il y a là bien plus que ce que la tradition de Nicée-Sardique prévoyait. En effet, l’assemblée romaine du printemps 483 ne se limite pas à reconnaître l’injustice faite au plaignant. Elle doit faire face à une situation d’une gravité extrême, car le Tabennésiote a été expulsé du deuxième siège selon l’ordre de la hiérarchie apostolique, celui de saint Marc, sans autre forme de procès. Aussi, devant l’importance de la cause, Félix ne prévoit-il pas la réunion d’un concile général en Italie – à vrai dire bien peu vraisemblable car soumis à la convocation impériale369. Il considère au contraire que l’affaire pourra être réglée par le synode des évêques qu’il saura rassembler. Plus encore, le refus de comparaître manifesté par le Constantinopolitain légitime aux yeux du pape le recours à un jugement par contumace, après respect de la procédure faisant une place importante à l’examen des instrumenta370. Cette sentence constitue un précédent, d’abord ignoré à Byzance, puis dénoncé avec acharnement, par le second successeur d'Acace surtout, Euphème. C’est alors seulement que se déploie la justification pontificale, motivée, et avec quelle rigueur dialectique, par Gélase371. Toutefois, deux des fondements 367 Lettre de Pulchérie à Léon, inter Leonis epistulas, Ep. 77 (22 novembre 450), ACO II-1-1, 9.39-10.4 (ACO II-3-1, 19.18-22). Mais en donnant cette information, l’impératrice souligne que ce rappel doit permettre la participation de tous au concile projeté. 368 Félix à Zénon, Ep. 4, P.S., 7421. Voir aussi Théodore le Lecteur, HE, E. 431, 119.10-14, Liberatus, Breviarium, 17, 130.32. 369 Gélase lui-même explicite cet argument pour souligner la captivité dans laquelle se trouvait l’épiscopat oriental alors (Ep. 26, Ier février 496 (495?), JW 664, Urk. 88, CA 95 p. 396.15-397.8). Probable, de même que la prise en considération des difficultés militaires du temps, cette raison ajoutait à la volonté pontificale de sortir de la contradiction – véritable quadrature du cercle – si péniblement expérimentée par Léon: devoir s’en remettre à la convocation impériale d’un concile précisément au moment où l’empereur se montrait défavorable à Rome et empêchait la résolution du conflit ecclésial par les modes habituellement préférés par le pontife. 370 Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter au récit d’Évagre, HE, III-18-21, 117-119, qui repose, sans nul doute, sur une exploitation des actes du synode sans doute diffusée par les acémètes. Évagre en signale le caractère organisé à fins de publication, en le désignant comme pepragmevna, terme qu’il emploie également pour qualifier la collection des actes du concile de Chalcédoine (ibid., III-20, 118.14 et par comparaison II-18, 71.26 et 75.3 notamment). 371 Gélase précise dans nombre de pièces (courriers et traités constituant l’essentiel de son œuvre écrite) que le deuxième siège ne peut-être jugé que par le premier qui détient l’autorité suprême dans l’Église. Cf. spécialement la lettre fleuve aux Dardaniens (Ep. 26, 373, 375) et le Quid ergo (incipit) JW665, Ve 10, Publizistische Sammlungen, 24-32, spécialement p. 25 – cet ouvrage, parfois dit lettre aux évêques orientaux et dont le titre inauthentique est De eadem ratione reddenda ad episcopos Orientis, est considéré par P. NAUTIN, Gélase, cit., 289, comme un véritable traité apologétique «écrit à l’intention de tous ceux qui à Rome ou ailleurs critiquaient la politique pontificale» et envoyé aux Dardaniens après la longue lettre où il est annoncé (Ep. 26, 398.2-6). Rappelant qu’il revient au successeur de Pierre de confirmer les

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principaux de sa démonstration transparaissent déjà dans les premiers courriers annonçant la convocation puis la condamnation d’Acace: l’indiscutable compétence du tribunal romain dans l’affaire opposant le Constantinopolitain à l’Alexandrin372 et l’incontestable légitimité de la condamnation d’Acace, puisqu’elle est conforme aux décisions doctrinales prises à Chalcédoine, décisions confirmées par le Siège apostolique et déjà appliquées à l’encontre de Monge, sur la sollicitation d’Acace373. On mesure à cette occasion les vertus performatives du discours hérésiologique romain: il faut comprendre en effet que le Constantinopolitain est excommunié et anathématisé au nom d’une sentence qui n’est que la prolongation de la sanction paradigmatique laquelle, auparavant, avait frappé les sequaces de Dioscore après s’être abattue, à en croire Rome, sur leur chef lui-même. Autrement dit, la papauté exploite la thèse du continuum hérétique, partant d’un hérésiarque, qui n’a pourtant pas été absolument reconnu comme tel lors du concile de Chalcédoine, et aboutissant à Acace, pour condamner ce dernier, non pas à cause d’une profession de foi contraire à l’o{ro" de 451374, mais en raison de sa communion avec un adversaire nécessairement invétéré. C’est ainsi que le synode chalcédonien, tel qu’il est interprété par le pontife, légitime une sanction qui, parce qu’elle est prononcée par l’autorité apostolique, est censée se suffire à elle-même. Vérifié en pratique avant d’être théorisé, ce perfectionnement de l’exercice du primat romain démontre à la fois l’ampleur du travail idéologique accompli et l’importance – maïeutique – prise par la définition de l’hérésie monophysite dans cette entreprise. Il révèle en outre l’adaptabilité des conceptions romaines. Ne confèrent-elles pas à la réunion de Chalcédoine un rôle déterminant, alors même que Léon ne s’était guère réjoui de la convocation de ce synode? Il est vrai qu’ensuite le pape lui-même avait préparé ce mouvement, en reconnaissant progressivement aux décisions conciliaires concernant la foi un statut spécifique et imprescriptible. b) Une réfutation doctrinale définitive On ne saurait trop insister sur la conviction développée par le pape, dès le printemps 449 et jusqu’à la rébellion palestinienne au moins. Elle procède d’une certitude sans faille: le Tome à Flavien constitue l’expression complète et indépassable de la christologie orthodoxe, à laquelle il convient simplement d’adhérer pour que toute expression hérétique soit décisivement réfutée. Et le pape de bien insister: sa lettre dogmatique contient la plénitude de la foi concernant le mystère de l’Incarnation375; fondée sur la confession de Pierre à Césarée-de-Philippe376 et sur la tradition des Pères, elle est suffisante pour tous377. C’est bel et bien cette

conciles et de veiller à l’application de leurs décisions (ibid., 372), Gélase en déduit la capacité qui lui revient de juger de l’appel conformément à ces dispositions, sans que son arrêt puisse être révisé par quelque instance. Cf. ibid. p. 378 ou encore le commonitoire de Gélase à Faustus, 493, J.W.622, Urk. 81, Ve 7, 17. 372 Cf. Ep. 3, 75.16-21, Ep. 4, 74.24-75.1. 373 Ep. 6, 6.16-17, 7.14-18, Ep. 8, 81.19-23, Ep. 10, 77.3-4. 374 Rappelons en effet que la disposition conciliaire, que l’empereur conforte lors de la sixième session en précisant les mesures de coercition infligées aux éventuels contrevenants (ACO II-1-2, 156.15-23) se limite à préciser qu’ «il n’était permis à personne de proférer ou de rédiger une autre foi ou de composer un écrit ou de penser et enseigner autrement»; ibid., 130.5-6. 375 Ep. 29, 9.32-10.2. 376 Ep. 33, 15.15-22.

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plénitude de sens qui explique, à en croire le pape, que l’on empêcha sa lecture à Éphèse. Une fois livrée à la connaissance de tous les participants en effet, elle aurait «permis que le tumulte de toute controverse s’apaise»378. Aussi, lorsqu’à l’extrême fin du règne de Théodose II, le pape entrevoit la possibilité de reprendre l’initiative sur le terrain doctrinal, il ne manque pas d’exiger de son nouveau confrère, Anatole, qu’il souscrive au Tome, dont le contenu s’accorde en tout point avec la version cyrillienne du concile d’Éphèse (431), telle qu’elle est connue à Rome, ainsi qu’avec la seconde lettre adressée par Cyrille à Nestorius379. Mise en perspective par un florilège patristique adjoint dans l’envoi du 16 juillet 450, la lettre dogmatique est donc censée s’imposer comme le parangon de la doctrine chrétienne380. Mieux, le pape tend bientôt à confondre la réception de son Tome, grandement facilitée par l’avènement de Marcien, avec la reconnaissance du statut qu’il lui attribue. C’est pourquoi le pontife estime que la réouverture des débats doctrinaux est inutile et dangereuse381. Or, si l’avis du pape rencontre l’opinion la plus répandue dans le collège épiscopal de l’Empire d’Orient, qui éprouve les plus grandes réticences à l’idée de devoir définir la foi de l’Église, au risque de contrevenir à une prescription du premier concile d’Éphèse (431)382, il n’est pas suivi. Toutefois, la mise en conformité du texte conciliaire avec la christologie diphysite placée sous le patronage de Léon par les commissaires impériaux383, selon les exigences des légats384, permet à Léon de propager l’idée que les décisions chalcédoniennes attestent le fait que l’Église a reconnu la foi commune telle que le Siège apostolique, au travers de la lettre à Flavien, l’a prêchée385. Ces accents triomphalistes, réduisant l’o{ro" à ne constituer guère plus que l’expression d’un assentiment synodal massif à la praedicatio romaine cède bientôt la place à une évaluation plus positive de l’apport conciliaire. Il revient à Myron Wojtowytsch d’avoir mis en évidence l’évolution du discours romain à cet égard386. Qu’il suffise ici d’en rappeler les éléments centraux: Léon, surpris sans doute de la vigueur avec laquelle la contestation palestinienne s’en prend à la doctrine diphysite, ne retire rien à l’entière pertinence de son Tome387 mais envisage qu’il ait pu

377 Ep. 31, 14.27-28, Ep. 32, 13.16. 378 Ep. 44, 19.19-21. 379 Ep. 69, 31.7-11, Ep. 70, 29.34-30.2. 380 Cf. Fragments d’un synode tenu à Constantinople en 450, cit., 46.16-19, 47.3-5, 12-21. 381 Ep. 90, 48.22-30, Ep. 93.13-16. 382 ACO II-1-2, 78. Cf. DGA, I-1, 61-62. 383 ACO II-1-2, 123-124. 384 Ibid., 123.24-28. 385 Ep. 102, 54.23-24, Ep. 103, 155.19-20, voir aussi Ep. 105, 57.19, Ep. 114, 70.22-23, 29-30. 386 Cf. M. WOJTOWYTSCH, cit., 345-348. 387 L’ouvrage, auquel on attribue le titre Conflictus Arnobii catholici cum Serapione, pourrait-il constituer la contrepartie de ce début de concession? Écrit à Rome, sans doute par un moine originaire de Maurétanie césarienne, Arnobe le Jeune, (K.D. DAUR, Arnobii Iunioris opera omnia. I, Turnhout 1990 [CCL 25], XII et dans Conflictus, 12-13), l’ouvrage démontre une certaine capacité d’accès aux sources pontificales et a pour objet de réfuter indirectement les objections exprimées par un Égyptien, Sérapion, qui représente un parti monophysite dont les positions restent médiocrement connues. Son contradicteur, Arnobe, qui adopte une position défensive, se réclame du pape Léon et justifie l’intervention doctrinale du pontife, par le Tome notamment, en se référant au précédent accompli par Damase. Peu d’éléments chronologiques, dans ce dialogue, sont susceptibles de nous faire connaître l’exact contexte de rédaction. M. SIMONETTI, Letteratura antimonofisita d'Occidente, Aug. 18 (1978) 491-494, s’est principalement appuyé sur l’absence de toute mention du concile de Chalcédoine pour lancer une hypothèse audacieuse: le Conflictus serait un précieux témoin du climat de tension, voire

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être mal traduit388. Aussi s’emploie-t-il à souligner sa pleine congruité avec l’enseignement alexandrin, citant au besoin de larges extraits de la lettre d’Athanase à Épictète de Corinthe389. En outre, le pape signifie désormais que les décisions dogmatiques du concile corroborent sa confession de foi390. Suggérée seulement, l’idée que Tome et o{ro" se confirment réciproquement n’en est pas moins instructive. Gagnant dès lors en autonomie, la définition de foi établie en 451 voit son statut spécialement mis à l’honneur à mesure que les événements d’Alexandrie (457) sont portés à la connaissance de Léon. Le pape souligne désormais qu’elle a été établie sous l’action de l’Esprit Saint391 et la promeut comme «fondement de l’orthodoxie»392. Ce changement notable, en forme de transfert relatif d’autorité, est sans nul doute destiné à faciliter la mobilisation du collège épiscopal pour l’amener à défendre une doctrine qu’il a professée solidairement. Il est destiné également à engager plus avant le nouvel empereur dans la défense de la politique religieuse menée par son prédécesseur. Surtout, il est destiné à garantir le Tome plus que jamais mis en cause393. Car, en dépit de ses protestations visant à assurer la parfaite satisfaction doctrinale assurée par sa lettre, le pape se voit bientôt contraint par le questionnaire impérial à élaborer une deuxième explicitation doctrinale pour prévenir tout nouveau débat dogmatique. Le Tome II, comme il est convenu de l’appeler, marque donc l’effort ultime de Léon pour rendre son expression doctrinale plus intelligible à ceux qui se sont opposés à son enseignement. Empruntant pour ce faire à la lettre «pastorale» adressée aux Palestiniens en juin 453, le discours du pape montre un effort conciliatoire plus affirmé, puisque la formule «en deux natures» est évitée. Pour autant, le contenu de cette lettre n’est nullement négociable. Insistant tout à la fois sur les communications des idiomes dans l’unique persona du Christ et sur la stricte répartition des propriétés selon les natures, ce courrier constitue la conclusion et en quelque sorte le testament dogmatique du pape, en même temps qu’il forme le compendium de la première énonciation christologique post-chalcédonienne. Le florilège qui l’accompagne, reprenant celui qui avait été ajouté au Tome I, compte douze citations supplémentaires pour atteindre un total de trente passages. Parmi les auteurs qui apparaissent dans le nouvel ensemble, Athanase et Théophile figurent en bonne place: aux côtés de Cyrille, ils sont censés démontrer la pleine intégration romaine de l’apport alexandrin et accréditer l’idée que la clarification de Léon fait justice à la vénérable tradition transmise par les célèbres docteurs qui ont occupé le siège de saint Marc. Simplice et Félix, peu désireux de s’investir dans une nouvelle explicitation de la foi chalcédonienne – entreprise qui risquerait de remettre en question le principe de causa finita394, par lequel ils entendent répondre aux menées monophysites – se font les laudateurs résolus du Tome II, qui, nonobstant l’importance de la lettre à Flavien et de la correspondance

«d’affolement» qui aurait régné à Rome après le concile d’Éphèse (449); toutefois, une allusion aux violences commises en Palestine (Arnobe, Conflictus, II, cit., 141.1420-1424) laisse entendre que ce texte pourrait plus probablement avoir été composé en 453 (voir K.D. DAUR, ibid., 13-15). Dans ces conditions, il y a matière à penser qu’il aurait participé de la stratégie de communication développée par la papauté pour confirmer le bien-fondé du Tome, dont la réputation se trouvait quelque peu écornée. 388 Ep.124, 159.3-14. 389 Ep. 109, 137.33-36, Ep. 117, 69.39-70.2. 390 Ep. 123, 77.22-25. 391 Ep. 144, 138.35-37, Ep. 145, 96.1-6, Ep. 146, 97.1-2. 392 Selon l’expression de M. WOJTOWYTSCH, cit., 346. 393 Ep. 152, 99.18-22. 394 S. Ep. 4, 133.20-21.

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adressée par Léon à Marcien, leur paraît récapituler au mieux l’ensemble de l’œuvre doctrinale conçue par leur prédécesseur. Cherchant à actualiser l’argument du nombre que Léon avait d’abord exploité pour signifier que le concile de Chalcédoine avait manifesté le consensus horizontal de l’Église, avant qu’il ne reconnaisse aux participants, six cents à l’en croire, d’avoir assumé la figure de l’universalité chrétienne remplie de l’Esprit Saint, Simplice et Félix insistent encore sur la corroboration unanime apportée à la foi conciliaire par le collège épiscopal de l’Empire d’Orient en réponse au questionnaire de Léon le Thrace395. Cette tentative visant à rappeler l’intangibilité de l’engagement exprimé par leurs confrères – rappelons que le large assentiment épiscopal à l’encyclique de Basilisque ne trouve guère d’écho dans la correspondance pontificale – procède cependant d’une perception globalisante de la communion qui n’est pas pondérée par la célébration de la participation spécifique des grands sièges orientaux à l’œuvre de foi, à l’exception de celui d’Alexandrie, dont la mise à l’honneur reste bien générique cependant396. Témoignant d’un certain appauvrissement du sens de la catholicité pontificale qui n’est pas sans rapport avec la récente accentuation des prétentions théologiques romaines, la conception généralisante exprimée par les deux pontifes s’explique sans doute par l’isolement croissant de l’Occident. Même si Simplice cherche à en corriger les défauts les plus immédiats, cet affadissement de la conscience géo-ecclésiale de la papauté se vérifie spécialement lors de l’affaire d’Antioche (479). Consécutive à une émeute monophysite dont le pape se contente de suggérer la conformité au paradigme aelurien397, l’ordination de Calandion, prise en charge par Acace sur l’ordre de Zénon, est perçue par le pontife comme une disposition regrettable mais nécessaire398. Elle ne le conduit guère qu’à affirmer le principe de la nécessaire liberté de choix du candidat qui doit être rétablie à l’avenir399. S’en tenant à l’expression d’un principe commun, à peine agrémenté d’une médiocre référence à l’héritage nicéen, Simplice ne juge guère utile de mettre en exergue la place reconnue à Antioche, ab initio, dans la communion apostolique400. Une telle attitude révèle les conséquences du rôle prépondérant accordé à la capitale politique comme centre ecclésial, depuis lequel tout l’Orient serait nécessairement rejoint et considéré. Or, si Léon n’avait pas méconnu l’importance du processus d’affirmation de Constantinople et s’était employé à en exploiter les opportunités, au point d’y mandater un représentant permanent, il s’était préoccupé corrélativement de signifier que cette adaptation tactique ne remettait nullement en cause le modèle idéal de relation interecclésial, fondé sur l’évangélisation pétrinienne. À cet égard, le siège de la capitale ne pouvait se prévaloir de quelque privilège et encore moins fonder l’inacceptable ambition de s’affirmer comme capitale religieuse, ce qui d’ailleurs ne remettait pas en cause les mérites de sa participation récente à la défense du dépôt de la foi401. Aussi Léon s’était-il efforcé d’insérer dans sa démonstration christologique les preuves apportées par l’histoire sainte de chacun des espaces dans lesquels la contestation antichalcédonienne s’était pourtant développée. En procédant de la sorte, il désignait leur irremplaçable contribution à l’Église universelle. Usant de pédagogie biblique, il entreprenait ainsi de convaincre les Palestiniens en soulignant l’enseignement, à 395 S. Ep. 6, 138.4-6, F. Ep. 1, 67.26-68.7. 396 Voir notre communication Pierre et Marc, cit., 584-587. 397 S. Ep. 15, 147.10-11, 148.9-11, Ep. 16, 149.21-22. 398 S. Ep. 15, 148.14-17, 149.5-8, Ep. 16, 150.17-25. 399 S. Ep. 15, 148.18-149.5. 400 Seule une formule générique, évoquant le meritum et la gloire de cette Église, renvoie à cette acception (S. Ep. 15, 149.11). 401 Voir spécialement Ep. 106, 60-61.

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livre ouvert en quelque sorte, divulgué par les lieux saints, là où le Christ avait révélé l’intégralité de son humanité, lors de sa naissance, de ses souffrances, de ses peines, de sa Passion surtout402. Aux Alexandrins, ils rappelaient la part remarquable prise par Athanase, Théophile et Cyrille, «de saintes mémoires», dans les combats pour la foi, et l’affirmaient à ses destinataires: la floraison de la doctrine évangélique qui avait orné la dignité du siège de saint Marc, une fois sa liberté restaurée, ne tarderait pas à s’épanouir à nouveau403. Discernée dans ce qu’elle offrait de meilleur à la tradition catholique, la tradition alexandrine permettait même au pape de stigmatiser un peu plus l’infidélité de Dioscore, d’autant moins pardonnable d’avoir failli qu’il disposait, comme en primeur, de l’enseignement de ses prédécesseurs404. Rien n’indique que ce discours ait eu quelque impact sur les populations visées au travers des destinataires. Toutefois, il révélait le souci de précision avec lequel Léon avait admis devoir procéder pour réfuter les manifestations antichalcédoniennes. Sans doute, le pape n’abandonnait-il pas pour autant les schèmes directeurs de sa pensée géo-ecclésiale: exemplarité de l’Occident, absolument réfractaire à la souillure hérétique, contamination qui n’épargnait aucune région de la pars Orientis, selon des modalités diverses que l’éloignement du pouvoir impérial rendait plus redoutable405. Mais le pape considérait qu’il était de sa fonction de ranimer la participation de chacune des Églises concernées à la communion catholique. Faute d’avoir cru devoir faire preuve de la même exigence prédicative, ses successeurs se réfugièrent donc dans des considérations qui, si elles n’étaient pas étrangères à la conception d’ensemble développée à Léon, ne démontraient pas la même acuité. Aussi la moindre volonté et la moindre capacité de tenir compte de la pluralité des communautés ecclésiales de l’Empire d’Orient, et de la diversité de leur situation face à la réalité hérétique, phénomène accentué en outre par le filtrage constantinopolitain, devaient-elles être brutalement mises en évidence par l’appel de Talaïa, la lettre de Calandion et les objurgations des acémètes406, puis contribuer au déclenchement du schisme. Simultanément, cette déchirure révélait le versant négatif de la dépendance théorisée par la papauté à l’égard du pouvoir impérial, sans la collaboration duquel l’extinction de l’hérésie ne pouvait guère être assurée. c) Une coopération impériale inégalement consentie Particulièrement développé à partir du pontificat de Damase, le discours du pape à propos du rôle imparti à l’empereur comporte deux constantes principales: le vibrant appel à protéger la foi et l’exhortation à assurer la liberté des Églises407. Aussi n’est-on guère étonné de voir ces thèmes être volontiers repris dans la seconde moitié du Ve siècle, même s’il convient de relever que l’équilibre entre les deux composantes se modifie au cours de la controverse, ce qui conduit Simplice à procéder à une affirmation de plus en soutenue du deuxième thème au détriment du premier. Les raisons invoquées par la papauté pour justifier l’implication du souverain au service de l’orthodoxie, tout en prévoyant les limites d’un tel engagement, sont en effet traditionnelles: issues de l’idéologie impériale chrétienne exposée par Eusèbe de

402 Cf. Ep. 139, 92.6-93.4. 403 Ep. 129, 85.14-18, voir aussi Ep. 154, 101.30-31, Ep. 158, 104 .28. 404 Ibid., voir aussi Ep. 130, 83.32-84.2. 405 Cf. Ep. 136, 91.1-6. 406 Cf. supra, 154. 407 Voir les observations et l’utile relevé de F. CAVALLERA, cit., 118-135 spécialement.

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Césarée408, elles démontrent la sensibilité de l’évêque de Rome au registre d’expression orientale, spécialement quand les liens de vénération, voire d’affection réciproque, suscitent le recours aux accents triomphalistes d’une rhétorique pontificale qui emprunte au discours du pouvoir. C’est ainsi que s’opère une certaine osmose argumentaire sans pour autant que la papauté ne consente à la substitution ou au mélange des genres, car un tel processus aurait nécessairement pour conséquence de réduire le propos pontifical à la simple répétition de la propagande impériale. Deux cas sont à cet égard emblématiques: l’exploitation, par Léon, de la causalité synergique entre affaires de l’Église et devenir de l’État, qui subordonne la victoire sur la menace barbare, à la proclamation de la vraie foi409; le recours, sous l’autorité de Simplice, à la dénonciation de la figure de l’usurpateur, qui permet de faire culminer le discours politologique pour le dépasser et signifier que le tyran véritable – ainsi de Basilisque – ne peut être qu’un hérétique410. Ainsi la papauté loue-t-elle le règne de l’empereur légitime (Marcien ou Zénon) en désignant la maîtrise divine sur l’histoire, puisque de difficiles, voire d’iniques, les temps sont devenus propices411. Aussi le souverain est-il invité à méditer les leçons de la période la plus récente, en ne manquant jamais de reconnaître qu’elle est conforme à l’histoire sainte. Simplice ose même comparer Zénon à David car, comme lui, il a montré sa patience et recouvré son trône avec plus de gloire. S’agit-il d’une audace sans lendemain412? L’absence, dans sa correspondance et dans celle de Félix, de toute réitération de cette identification pourrait le faire croire. Pourtant ce propos ne constitue pas un précédent et se veut comporter des vertus prospectives qui signalent que l’héritage ambrosien, plus qu’augustinien encore, est parfaitement assimilé par la chancellerie romaine. La référence au prototype constitué par le roi hébreu en effet, à la différence des prophètes Moïse ou Élie, offre le mérite d’un application sans risque de contresens: elle correspond étroitement au motif privilégié par la papauté, celui de l’exercice du pouvoir, placé sous le regard de Dieu, car la basiléia ne saurait être à elle-même sa principale instance d’évaluation en matière religieuse413. Aussi le discours pontifical se fait-il pressant face à la persistance de la menace monophysite, puisque le pape se considère tenu de préciser à l’empereur quels doivent être les modèles de son action. Pour ce faire, l’insistance sur les mérites de la politique menée par les prédécesseurs «de pieuse mémoire» constitue une référence d’importance. Elle fait écho au déploiement

408 La bibliographie traitant de cette question est immense. Récemment G. DAGRON, Empereurs, cit., 141-151, a proposé une remarquable étude de l’œuvre accomplie par Eusèbe pour atténuer et corriger les excès d’une idéologie impériale empruntant aux thèmes de la tradition hellénique. 409 Cf. Ep. 82, 41.20-21. Sur l’acception voisine du lien causal de sympathie exposé par Socrate à la suite de Théodose II, voir notre article Socrate de Constantinople redécouvert. A propos de l’ouvrage de M. Wallraff, Der Kirchenhistoriker Sokrates, MedAnt 2 (1999) 441-442. 410 Voir notre contribution Antagonismes et convergences: regard sur les interprétations confessantes du gouvernement d'un usurpateur, Basilisque (475-476), in L'imperatore nella storiografia cristiana, MedAnt 6 (2003) 180-183 spécialement. 411 Cf. Ep. 82, 41.20-21, S. Ep. 6, 136.9-15, 137.24-138.4, S.Ep. 11, 142.10, S. Ep. 10, 140.6. 412 S. Ep. 6, 136.16-19. 413 Cette réflexion nous a été suggérée par la contribution de P. PELLEGRINI, Davide come modello per l’imperatore nella tradizione patristica tardoantica, MedAnt 6 (2003) 235-263 et par les remarques de L. Cracco-Ruggini exprimées lors de la discussion qui a suivi son exposé lors du colloque de Rome. Notons spécialement que Gélase exploite à son tour le rapport Nathan-David pour introduire un long développement historique censé rappeler les exemples les plus fameux de la résistance ecclésiale face aux errements ou aux empiètements impériaux (cf. la lettre aux Dardaniens, Ier février 496 [495?], Ep. 26, JW 664, Urk. 88, CA 95, 390.15-18).

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sémiotique par lequel le nouveau souverain entend conforter l’acceptation de son pouvoir en signifiant qu’il inscrit son gouvernement dans la continuité du juste exercice de la basiléia414. Toutefois, cette invitation n’est pas soumise à la contingence des débuts de règne. Elle est susceptible d’être relancée à mesure que l’empereur semble ne plus vouloir enrayer les manifestations hérétiques. C’est ainsi que Léon n’hésite pas à faire mémoire des aïeux de Théodose II et du plus célèbre d’entre eux, son grand-père, pour convaincre le souverain en titre – depuis plus de quarante ans! – de ne pas mettre son pouvoir au service des décisions éphésiennes (449)415. Surtout, le pape contribue à créer de véritables figures chalcédoniennes de référence qui sont censées s’imposer comme les exemples par excellence de la pieuse pratique du pouvoir. Au premier rang d’entre eux, Marcien bien évidemment, mais aussi Léon le Thrace, dont la politique a offert à l’Église l’expression d’une unanimité sans réunion conciliaire superfétatoire416. Et Félix, par un remarquable effet d’inversion, de redire à un Zénon, devenu suspect, de renouer avec ces modèles, voire même avec ses mesures d’antan, alors même que c’est le pape qui, cette fois, fait connaître, par ce même courrier, son avènement417. Cette conception récapitulative de l’histoire, qui assigne à la participation de l’empereur à la lutte contre l’hérésie une place clairement délimitée, s’accompagne d’une compréhension tout aussi nette des mesures que le souverain devra prendre. Ne réclamant la tenue d’un concile général, nous l’avons dit, que lorsque l’autocrator ne paraît guère devoir lui donner satisfaction418, le pape considère, dans des conditions de rapport avec la cour normalisées, que la puissance impériale doit essentiellement contribuer à vaincre l’hérésie en la privant de ses forces vives. Aussi les mesures les plus régulièrement demandées sont-elles l’exil de ceux qui ont été identifiés comme les principaux auctores ou sequaces419. Dans ces conditions, le pontife, au moment de formuler ses supplications, ne néglige pas de désigner précisément les prérogatives impériales dont il sollicite l’exercice. Il appartient au souverain de «décréter», de décider «par des constitutions»420, bref, d’appliquer son devoir législatif puis d’assurer ensuite l’exécution de ses ordres, pour que l’hérésie fortement personnalisée soit proscrite, soit «chassée vers les terres plus extérieures»421, autrement dit éliminée du corps social en même temps que de l’oikoumenè. Pour mieux convaincre son correspondant ou ceux qui sauront s’adresser à lui, le pape n’hésite pas à jouer de comparaisons fortement connotées. À cet égard, le concept d’usurpation revêt une nouvelle fois une acception centrale. Exploité cette fois pour révoquer en faux toute 414 Cf. A.E. WARDMANN, Usurpers and Internal Conflicts in the 4th Century A. D., Hist 33 (1984) 225. 415 Ep. 44, 21.4-6. 416 Cf. Ep. 150, 98.9-11, Ep. 146, 96.29-31, Ep. 162, 106 (Marcien); S. Ep. 3, 126.15-19, 127.4-17 et 128.4-6, S. Ep. 6, 137.4-14 (Marcien et Léon). 417 F. Ep. 1, 65.9-13, F. Ep.4, 74.10-14. 418 Cf. supra, 193. 419 À l’encontre d’Eutychès, Ep. 84, 44.11-16, voir aussi Ep. 109, 137.27-30, Ep. 134, 87.38-88.5; des archimandrites Carosus et Dorothée: Ep. 142, 95.20-23; des clercs de Constantinople accusés d’eutychianisme: Ep. 156, 104.11-18; de Timothée Aelure Ep. 162, 107.11-16, Ep. 169, 117.20-23, 118.24-25; du même Timothée Aelure après son rappel de Cherson (printemps 475) (S. Ep. 2, 131.25-132.3, S. Ep. 3, 125.6-13, 129.1-3 [en compagnie de Pierre le Foulon et Paul d’Éphèse], S. Ep. 7, 121.27-30; de Pierre Monge: S. Ep. 11, 143.20-144.5, S. Ep. 13, 146.10-21, S. Ep. 10, 145.10-18, S. Ep. 12, 145.10-17, S. 15, 148.10-14 [en l’occurrence, la mesure doit concerner aussi les meneurs de l’émeute antiochienne], S. Ep. 19, 35-7, F. Ep. 1, 69.1-4). 420 Cf. spécialement Ep. 145, 96.13-18, Ep. 146, 96.31-34, S. Ep. 6, 138.6-9, S. Ep. 7, 121.15-19, S. Ep.11, 143.20-144.4. 421 S. Ep. 11, 144 .2-3.

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prétention d’un Aelure ou d’un Monge à occuper légitimement le trône d’Alexandrie422, cet argument doit conduire l’empereur à ne pas négliger le risque que fait peser cette situation sur son propre règne et à mettre tout en œuvre pour que, par analogie avec son gouvernement, celui de l’Église de saint Marc soit assumé par un évêque fidèle à l’enseignement chalcédonien423. Il appartient encore à l’empereur de mettre fin aux mouvements par lesquels les monophysites cherchent à s’imposer, en Palestine, à Alexandrie ou à Antioche. Aussi, de même que l’hérésie est identifiée à certains personnages, elle est affectée à des lieux dont la caractéristique principale est de correspondre aux principales villes de l’empire d’Orient. Ressortissant donc au phénomène urbain, ce qui n’est nullement exclusif de l’implication monastique, au contraire, la dynamique antichalcédonienne permet au pape de convoquer le topos de la rébellion citadine pour mieux appeler son interlocuteur à prendre les mesures de police qui s’imposent424. Pourtant, l’exhortation du pape ne saurait s’accompagner de quelque propension à fermer les yeux sur les moyens employés pour obtenir le retour à l’ordre. Le souverain ne doit pas verser le sang que les hérétiques, quant à eux, n’ont pas manqué de répandre425. Ne devant leur donner aucunement matière à se croire en situation de mourir pour la foi, cette considération est également inspirée par d’évidentes raisons relevant de la morale chrétienne. Mais cette exigence démontre aussi une conscience aiguë des risques de débordements que peut susciter le châtiment impérial. Sans même évoquer le précédent fameux, mais dû à de toutes autres raisons, de Thessalonique (390)426, on peut croire qu’en s’exprimant ainsi, le pape Léon a à l’esprit la dramatique répression d’Alexandrie (été 452)427, même s’il n’en fait nulle part mention explicite. Si le programme des mesures impériales répond donc à une conception précise du rôle de la basiléia dans l’élimination de l’hérésie, il n’en demeure pas moins que son effectuation reste soumise au bon vouloir de l’empereur. Car celui-ci peut être induit par quelque hérésiarque notoire ou quelque prélat ambitieux à se mettre au service de l’erreur, en suscitant la rencontre en synode des évêques pour mieux entraver leur libre décision et en usant de coercition sur les plus réfractaires. Nous avons déjà eu l’occasion d’insister sur les représentations par lesquelles le pape croit pouvoir s’assurer de l’attention du souverain et susciter son indispensable concours. Il importe toutefois de souligner qu’en des circonstances spécifiques, Léon mise également sur

422 Ep. 146, 96.31-34, Ep. 156, 103.30-32, voir aussi Ep. 173, 123.9-10; S, Ep. 3, 125.15-126.4. Cf encore F. Ep. 8, 81.18-29. 423 Ep. 145, 96.13-18, Ep. 146, 96.31-34, Ep. 147, 97.26-29, Ep. 148, 99.3-4, Ep. 152, 99.14-17, Ep. 153, 99.30-33, Ep. 156, 102.36-103.4; voir aussi Ep. 170, 119.25-120.1, S. Ep. 6, 137.24-138.4. 424 Ep. 117, 72.9-12, Ep. 126, 82.1-2, Ep. 145, 96.14-15, S. Ep. 15, 145.5-8. À propos des lieux communs, sûrement diffusés jusqu’à Rome, qui faisaient d’Antioche et d’Alexandrie surtout des villes promptes à s’embraser, cf. C. HAAS, Alexandria in Late Antiquity. Topography and Social Conflict, Baltimore – London 1997, 11, 57 et 381-382. Sur le questionnement historique et sociétal qui peut-être appliqué à ce genre de topos, voir A. MARTIN, Microcosmes et macrocosmes: la segmentarisation des populations. Le cas d’Alexandrie, in Mégalopoles méditerranéennes. Actes du colloque organisé par l’École Française de Rome et la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme (Rome, 8-11 mai 1996), dir. C. NICOLET, R. ILBERT et C. DEPAULE, Paris-Rome 2000, 265-266. 425 Cf. Ep. 118, 72.19-27. 426 Cf. C. PIÉTRI, L’établissement de l’Église sous Théodose, in Histoire du christianisme, II, cit., 409-410, voir aussi G. DAGRON, Empereurs, cit., 120-121. 427 Sur cet événement cf. Évagre, HE, II-5, 51, Zacharie le Rhéteur, HE, III-2, 48, Vita Petr., 59-60, Théodore le Lecteur, HE, E. 362, 102; cf. Théophane, Chronographie, A.M. 5945, 106-107. Sur la datation retenue, qu’il nous soit permis ici de renvoyer à notre étude doctorale.

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une médiation qui appartient à la sphère la plus intime du pouvoir, celle que peut exercer l’Augusta. À vrai dire, cette sollicitation tient tout autant à la personnalité de Pulchérie qu’à sa dignité et est spécialement motivée par la gravité de la crise eutychienne (448-450)428. C’est ainsi qu’elle se voit confier l’exercice d’une certaine acribie doctrinale qui, aux yeux du pape, est garantie par son engagement anti-nestorien429. En outre, il entend exploiter sa capacité à infléchir Théodose II pour que la puissance impériale décrète la réunion d’un concile œcuménique en Italie430. Continuée sous le règne de Marcien jusqu’à la mort de l’impératrice (453), la compétence particulière de Pulchérie en matière de foi disparaît avec elle. Jamais les papes ne s’adressent spécifiquement – à notre connaissance – à Vérine431, à Zénonis ou à Ariadnè, jamais ils ne suggèrent que ces dernières devraient imiter la pieuse épouse de Marcien. Ce silence ne permet pas de croire pour autant que l’inimitabilité de Pulchérie se réduit à ses charismes. Sa qualité d’Augusta participe de cette appréciation particulière: elle désigne une figure de sainteté, manifestée par son combat contre l’hérésie, qui est efficacement à l’œuvre au plus proche du pouvoir, parce qu’elle échappe aux contingences de la succession dynastique et aux contraintes du conubium que celle-ci implique432. Faute de voir de telles caractéristiques se retrouver chez les impératrices suivantes, le pape perd donc un atout majeur pour obtenir, grâce aux instances de l’Augusta, empreintes de cette sacralité qui est consubstantielle à la basiléia, que l’empereur mette un terme aux manifestations hérétiques. Non que Pulchérie ait consenti à soutenir toutes les demandes de Léon433 mais, au contraire du collège épiscopal d’Orient, elle incarnait une indéfectible volonté de ne céder en rien aux instances monophysites. Aussi peut-on comprendre les angoisses qu’inspirent à Rome le revirement de Zénon et l’accueil de Monge dans la communion d’Acace (482-484): Félix sait fort bien que le courage et la constance face à l’adversité ne constituent pas les deux qualités principales que Léon a reconnues à la majorité de ses confrères de la pars Orientis. d) Un épiscopat oriental trop souvent rétif et versatile

428 Comme en témoigne spécialement la demande d’aide programmée que Léon cherche à lui faire connaître à la veille du concile d’Éphèse (449): Ep. 31, 14.22-15.9. 429 Ep. 79, 37.23-28. 430 Ep. 45, 24 .32-25.4, Ep. 70, 30.15-17. 431 Nonobstant le zèle déployé par celle-ci pour promouvoir le culte marial dans la capitale et s’inscrire ainsi dans la continuité de la pieuse action développée par Pulchérie. Voir B. FLUSIN, Le christianisme impérial et ses expressions, in Histoire du christianisme, III, cit., 639-640. 432 En plus des remarques figurant dans les travaux désormais classiques d’E. SCHWARTZ, Prozeß, cit., 56 et 92-93 et plus récemment de K.G. HOLUM, Theodosian Empresses. Women and Imperial Dominion in Late Antiquity, Berkeley-Los Angeles-London 1989, 199-217, 221-228, cette réflexion nous a été suggérée par l’étude de L. CRACCO-RUGGINI, Le Auguste nelle «storie ecclesiastiche», présentée elle aussi lors du colloque L’imperatore nella storiografia ecclesiastica: immagine, potere, ideologia, MedAnt 5 (2002) 477-501. 433 Rappelons que Pulchérie intercéda auprès du pape pour qu’il admette Anatole dans sa communion (Ep. 105, 59.5), qu’elle se fit l’ardente promotrice, aux côtés de son époux, de la réunion conciliaire de Chalcédoine alors que Léon jugeait qu’il n’était pas nécessaire qu’un tel synode se tînt (Ep. 95, 50.25-32) et qu’elle appuya probablement le décret disciplinaire de Chalcédoine («28e canon», cf. Ep. 105, 57-59).

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Si les pontifes romains saluent le service de la foi qu’ont consenti Flavien et Protérius, au point de devenir respectivement confesseur et martyr434, ils ne considèrent guère le groupe formé par leurs collègues avec la même faveur. Il est vrai que le précédent constitué par l’assemblée d’Éphèse (449) incite Léon à exprimer de fortes réserves sur l’attitude de ses confrères orientaux, dont la propension aux interminables discussions et aux circonlocutions lui paraissent singulièrement redoutables au moment où il cherche à obtenir l’adhésion de synodes régionaux à son Tome435. Si le chant de l’unité chalcédonienne est entonné par Léon spécialement durant les dernières années de son épiscopat436, le même pape n’hésite pas à formuler des reproches à l’encontre des ses frères dans l’épiscopat lorsqu’il s’adresse à Marcien. Lui reconnaissant des vertus sacerdotales, il regrette par la même occasion que les «évêques des régions orientales» ne soient guère disposés à imiter son zèle437. Cette remarque vise très certainement Anatole et, à un degré moindre Juvénal, mais sa portée délibérément générale témoigne de doutes subsistants quant à la volonté réelle que peut avoir le collège grec d’assumer les exigences des tâches doctrinales et pastorales relevant du ministère épiscopal. Car le pape ne se prive pas de rappeler que ses confrères ne doivent ni se lasser de prêcher ni tolérer que ceux qui n’ont pas été ordonnés se croient autorisés à se substituer à eux438. De même ces évêques doivent-ils, Anatole le premier, se séparer de ceux qui ne donnent pas satisfaction en matière de doctrine. Et Léon de marteler ses exigences, de reprendre sévèrement son collègue constantinopolitain, car il le croit trop enclin à la paresse ou l’indulgence439, et de ne guère admettre le mécontentement ressenti par celui-ci devant ses injonctions répétées l’exhortant à épurer son clergé440. Mais le pape ne se préoccupe pas seulement de morigéner son confrère de Constantinople. C’est ainsi que, sitôt après avoir appris son intronisation, il rappelle Timothée Salophaciol ou ses suffragants à ces mêmes devoirs441. Sans doute, s’il l’a apprise, la nouvelle de l’adhésion en nombre de l’épiscopat impérial à l’Encyclique (475)442 a-t-elle rempli Simplice d’effroi et de colère, lui si volontiers prompt à ne vouloir retenir que l’unanimité des réponses au codex encyclius443. S’il en a été ainsi, il aura voulu insister davantage sur l’attitude d’Acace, au motif que celui-ci ne donna pas son consentement à l’édit impérial. Cette concentration de l’attention pontificale sur l’attitude de l’archevêque constantinopolitain explique un peu plus la recherche d’une coopération plus étroite encore entre les deux sièges, dans le cadre d’un partenariat dissymétrique. Elle s’accompagne donc d’encouragements à prendre des initiatives pour défendre la foi, qui se transforment progressivement en recommandations pressantes, puis en admonestations. Aussi, une fois l’entente de l’archevêque de Constantinople avec Pierre Monge confirmée, Acace revêt-il la responsabilité d’un renversement de l’ordre ecclésial, car non seulement il montre le mauvais 434 Cf Ep. 50, 22.10-11, Ep. 51, 25.17-18, 22, Ep. 79, 38.2, Ep. 83, 42.27, Ep. 147, 97.26. 435 Cf. Ep. 69, 31.21-22, Ep. 70, 30.7-11, Ep. 71, 32.9-10. 436 Cf. spécialement Ep. 164, 111.24-27. 437 Ep. 134, 87.29-30. 438 Ep. 118, 72.12-13, Ep. 119, 74 .35-75.1. Voir aussi Ep. 139, 93.13-24. 439 Ep. 151, 139.10-13, Ep. 155, 100-101, Ep. 155, 100.28-101.8, Ep. 156, 104.1, Ep. 157, 109.11-16, Ep. 161, 108.36-109.2. 440 Ep. 163, XLIV, 1-8. 441 Cf. Ep. 171, 120.26-121.2, Ep. 173, 123.24-124 .3. 442 Entre cinq cents (Évagre, HE, III-5, 104 [308]), et sept cents (Zacharie, HE, V-2, 107). Michel le Syrien, Chronique de Michel le Syrien, patriarche jacobite d'Antioche (1166-1199), éd. et trad. française J.-B. CHABOT, Paris 19632 IX-5, 146, propose le nombre de six cents évêques signataires. 443 S. Ep. 6, 138.4-6, voir aussi supra, 200.

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exemple, mais il induit l’empereur à imposer une communion impie à l’ensemble de l’Église d’Orient. Aussi facilite-t-il le renforcement d’un certain discours pontifical, déjà suggéré lors de crises mémorables, nous l’avons vu: la versatilité et l’inconstance d’Acace444, d’autant plus scandaleuse pour le pape que l’archevêque, dans d’autres circonstances, avait su ne pas se laisser circonvenir445, symbolise le comportement d’une ample frange de l’épiscopat oriental et permet l’expression, limitée et contingente chez Félix encore, mais appelée à un important avenir, d’un amalgame entre identité grecque et appartenance hérétique446. Cette considération stigmatise donc l’incapacité persistante du collège épiscopal en Orient à choisir durablement le camp de l’orthodoxie et, simultanément, justifie dans l’épreuve, l’autorité et l’intransigeance de Rome dont la vocation est illustrée. Dans la mesure où Acace a gravement failli et puisque les sièges d’Alexandrie, bientôt d’Antioche, sont aux mains des monophysites447, il importe donc que le Siège apostolique obtienne de l’empereur lui-même l’engagement du retour à la communion chalcédonienne. C’est ainsi que la rupture de 484 conduit le pape à affronter de nouveau un dilemme qui a gagné en acuité après 476: réduite à sa seule figure constantinopolitaine, la souveraineté impériale, évidente cause de la pusillanimité des clercs orientaux, est aussi la seule instance capable de coopérer au rétablissement de l’orthodoxie en s’assurant de l’application des exigences romaines en Orient. Autrement dit, au moment où Gélase réaffirme que l’empereur ne saurait se reconnaître autre que fils de l’Église, il se voit contraint d’admettre que l’enseignement pontifical ne peut s’imposer dans l’Église impériale que s’il est accrédité par le souverain. Aussi reviendra-t-il désormais au basileus de prendre l’initiative d’une sortie de crise dont Rome a défini les modalités (suppression du nom des partisans de l’hérésie des diptyques, confession de la foi chalcédonienne telle qu’elle est interprétée par la papauté)448.

CONCLUSION

444 Cf. F. Ep. 10, 77.2-12. 445 Argument spécialement développé par Félix dans le De vitanda communione Acacii, commençant par la formule Post quingentos annos, 489, Ve 11, Publizistische Sammlungen, 42.27-31 et repris par Gélase notamment dans sa lettre aux Dardaniens, Ier février 496 (495?), Ep. 26, JW 664, Urk. 88, CA 95, p. 385.19-386.9, 393.7-24. 446 Voir notre contribution Condamnation, cit., 516-517, 522-523. Il faut souligner que ce discours se renforce à mesure que Rome s’émeut de la participation durable que l’épiscopat d’Orient consent à la communion de Pierre le Foulon et de ses successeurs. D’abord considérée comme la conséquence d’une coercition exercée par l’Antiochien, et par Acace en sous-main (F. Ep. 11, 160.4-8), cette coopération apparaît plus nettement, sous la plume de Gélase, comme la manifestation d’une pitoyable compromission d’un grand nombre en dépit de l’exemple donné par les pasteurs expulsés (Cf. son apologie Quid ergo, rédigée probablement vers 496 et peut-être jointe à la lettre-fleuve adressée aux Dardaniens, Publizistische Sammlungen, cit., 24-25). 447 A Jérusalem, Anastase, le successeur de Juvénal, a signé l’Encyclique de Basilisque sans adhérer par la suite à son Anti-encyclique (cf. Zacharie, HE, V-5, 113, V-6, 114). Son successeur, Martyrius, a le premier cherché à promouvoir une paix ecclésiale fondée sur un document de foi révoquant en doute Chalcédoine (ibid., V-6, 114-116). On comprend un peu mieux dans ces conditions pourquoi aucun témoignage n’atteste le moindre contact entre le siège de Palestine et celui de Rome durant cette période. 448 Cf. Gélase, Ep. 12, 21.36-22.3. Voir aussi notre article Vice mea, cit., 1109-1111.

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Systématique, la dénonciation romaine du monophysisme, de ses méandres et de ses pièges révèle une certitude inflexible que la rupture de 484 n’altère guère. Elle est fondée sur le principe selon lequel le Siège apostolique a vocation à annoncer la vraie doctrine et à affermir toutes les Églises dans la foi. Tour à tour discernement, acribie, preuves patristiques, réfutation polémique et révélation des artifices rhétoriques de l’adversaire sont donc mobilisés pour tracer une ligne de démarcation absolue entre christologie orthodoxe et déviance hérétique. Rigoureuse, l’expression antirrhétique pontificale exploite les ressources de la sémantique latine et développe une sémiotique précise qui, cependant, ne reçoit guère d’adhésion libre et enthousiaste en Orient. L’attachement à l’enseignement alexandrin, considérablement répandu dans l’espace de réflexion grec, explique le peu d’empressement à confondre Eutychès et Dioscore dans une même condamnation. Mais il y a plus: les heurts observés durant les trente années qui suivent Chalcédoine amènent certains hiérarques, Acace le premier, à ne plus croire que le synode de 451 puisse être le meilleur garant de la paix et de l’unité ecclésiale. L’Hénotique, qui invalide implicitement les enseignements diphysites entérinés par les pères conciliaires, repose sur la conviction que le retour à l’ordre des Églises sera plus sûrement assuré par une expression de foi résolument pré-chalcédonienne, appelée à être admise par une majorité d’évêques sans que quelque concile, avec son contingent d’événements incontrôlables et d’épineuses condamnations, ne soit rassemblé. Dans cette optique, la doctrine consignée par Zénon dans sa lettre d’union et censée rallier le plus grand nombre, consiste principalement dans le rappel des douze anathématismes de Cyrille, pondérés cependant par la Lettre d’union (433) et le Tome aux Arméniens de Proclus de Constantinople449. Du Tome de Léon, il n’est rien dit littéralement, mais le reproche impérial adressé à ceux qui ne voudraient pas rapporter souffrances et miracles au seul Verbe incarné résonne comme une dénonciation de la lettre pontificale450. Pragmatique, le texte publié par Zénon manifeste donc la prédilection d’un parti influent qui, sans être identifié avec le groupe de pression monophysite, développe une représentation de son identité parfaitement incompatible avec l’image formée à Rome. Le plus remarquable dans cette entreprise est sans doute le peu de cas fait de l’éventuel refus romain. Tout se passe comme si la communion des Églises pouvait faire l’économie de la participation romaine, pour un temps tout au moins, jusqu’à ce que le pape finisse par se satisfaire d’une désignation des priorités qui, garantie par l’autorité impériale, annihile le bel ordonnancement de l’argumentaire antimonophysite développé par Léon et pieusement entretenu après lui. Il n’est pas exclu que cette conception, si éloignée des positions romaines pourtant fréquemment réitérées, ait gagné en influence à cause de la médiocre capacité d’Hilaire, et de Simplice surtout, à assumer le rôle revendiqué par Léon, celui du prédicateur de la foi ne craignant pas

449 Si l’Hénotique nous est conservé dans cinq langues anciennes, les deux pièces faisant le mieux foi sont sauvegardées en version originale, le grec. Elles figurent respectivement dans la collection alexandrine (Codex Vaticanus Gr. 1431, 53-54) et dans l’ouvrage d’Évagre, HE, III-14, 112-113. Quelques différences minimes peuvent être relevées à la comparaison des deux textes. La finale du Codex Vaticanus: «Forts en Dieu, priez pour nous frères très pieux» paraît suspecte. Elle salue la foi des Alexandrins avec une déférence si marquée qu’elle ne manque pas de surprendre, même de la part de protagonistes – l’empereur et Acace – désireux d’obtenir l’adhésion de leurs destinataires. Il s’agit sûrement d’une interpolation. Pour un commentaire détaillé du contenu christologique de cette lettre d’union et de ses sources, cf. GRILLMEIER, Le Christ. II-1, cit., 356-362. 450 «C’est à un seul, disons-nous, qu’appartiennent et les miracles et les souffrances qu’il subit volontairement dans sa chair» – Évagre, HE, III-14, 113.9-10 (trad. A.-J. Festugière), Codex Vaticanus Gr. 1431, 54.4-6.

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d’interpréter la Révélation. Bien sûr, la situation de l’Italie, progressivement devenue un espace périphérique de la romanité au regard de la centralité constantinopolitaine, a facilité le choix d’une politique religieuse consistant à préférer la stabilité des Églises orientales (Égypte, Palestine, Syrie) à la communion du Siège apostolique. Mais le régime de l’Hénotique apparaît également comme le désavœu manifeste de la représentation du phénomène monophysite développée par la papauté. Compliqué par l’affaire de la légation de Misène et Vital, le différend qui en résulte n’incite nullement Félix à considérer les raisons objectives mises en valeur par Zénon et par Acace pour rendre compte de la décision impériale. Le procès des deux légats démontre qu’elles ne sauraient être mises en balance avec le bien-fondé de la position pontificale451. Et le pape de prévoir les conditions sine qua non du retour à l’unité. Dans l’esprit de Félix, en effet, la restauration, sur le trône de saint Marc, d’un archevêque dont les convictions seront agréées par Rome constitue le terme même de la résolution du conflit452. Elle seule attesterait à la fois l’illégitimité des «lois publiques»453, par lesquelles Monge a été reconnu patriarche d’Alexandrie, et permettrait que la sanction des malheureux légats soit levée. Face aux objections de l’ambassade sénatoriale conduite par Andromaque, le pape précise même que le cas d’Acace, sur lequel pèse un terrible verdict résumé par la formule numquam anathematis vinculis exeuendus454, aurait pu faire l’objet d’une issue favorable si le Constantinopolitain, encore vivant au moment où le pape prépare son apologie, avait renoncé à son erreur, irrémédiablement attachée à Monge et ne pouvant, quant à elle, jamais être admise. Annoncée par ce plaidoyer, l’acception précisée de la condamnation d’Acace se déploie après la mort du Constantinopolitain. Car, comme l’a bien montré P. Nautin, un second âge du schisme est inauguré à l’initiative de Gélase455. Dans la mise en évidence des responsabilités, le pape procède en effet à une sélection qui tend à singulariser davantage le rôle tenu par Acace. Tandis que Félix avait pu oser s’en prendre, avec prudence certes, aux empiètements commis par Zénon et stigmatiser sa susceptibilité pour mieux le conformer au fâcheux modèle constitué par Théodose II456, Gélase ne considère plus guère de saison d’insister sur le rôle néfaste joué par l’empereur isaurien. Il est vrai qu’Anastase engage très vite le fer contre les proches du souverain défunt457 et que, probablement, il ne se sent guère atteint par la dénonciation de son prédécesseur, nonobstant la prorogation de sa politique religieuse. Simultanément, la figure de Pierre Monge, décédé à la fin du mois d’octobre 490, perd de son importance, comme si le discours pontifical ne devait considérer ce personnage que comme l’instrument intégralement corrompu d’une stratégie de communion entièrement imputable à Acace458. Aussi le pape suscite-t-il un déplacement de sens permis par la stabilité hérésiologique

451 Cf. notre contribution Condamnation, cit., 513-515. 452 Cf. Félix dans son traité inachevé Post quingentos annos, cit., 45.26 et les Gesta de absolutione Miseni (synode tenu sous la présidence de Gélase au printemps 495), CA 103, 479.27-480.2. 453 Post quingentos annos, 361. 454 F. Ep. 6, 7.17-18. 455 Cf. P. NAUTIN, Lettre, cit., 17-25. 456 Gesta de nomine Acacii, CA 99, 6, 441.26, 22, 449.8. 457 Cf. A. CHAUVOT, dans Procope de Gaza, Priscien de Césarée, Panégyriques de l’empereur Anastase Ier, Bonn 1986, 126-128. 458 Rappelons que seul l’incipit du prétendu traité II De damnatione nominum Petri et Acacii (JW 669, CPL 1674) qui figure en Be 43, Publizistische Sammlungen, 106-111, désigne Gélase comme son auteur. Si ULLMANN, cit., 246, juge cette attribution fondée, il apparaît bien isolé aujourd’hui car LE NAIN

DE TILLEMONT, XVI, cit., 648 avait fait remarquer que l’humilité qui transparaît dans cet ensemble et les positions exprimées par son auteur ne correspondaient guère au ton et aux arguments du pape.

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du socle idéologique constitué par ses prédécesseurs. Certes, l’exaltation de l’enseignement diphysite importe encore à Gélase lorsqu’il s’agit de sermonner l’épiscopat des régions illyriennes459 mais, s’adressant à Euphème, le pape s’ingénie surtout à flétrir le comportement adopté par ceux qui, comme son correspondant, protestent de leurs bonnes dispositions à l’égard des décisions chalcédoniennes tout en continuant de célébrer la mémoire d’Acace460. C’est donc que le Constantinopolitain s’est substitué aux hérésiarques comme figure de l’adhésion à l’impiété. Ce raisonnement explique par analogie la plus ferme dénonciation des agissements prêtés aux évêques du diocèse d’Orient après la réintronisation de Pierre le Foulon (485)461. Eux aussi ont consenti à la communion insane. Tout se passe donc comme si Acace, dont l’évocation du pouvoir de contrainte est corrélativement atténuée, tandis que la séduction de son exemple est érigée en principe explicatif, devait seul s’imposer comme celui qui avait causé ce que ni Eutychès, ni Dioscore et encore moins leurs sequaces n’avaient réussi à obtenir: la division durable des Églises. Communément répandue dans l’historiographie moderne, l’expression désignant la rupture de 484 et ses conséquences comme le «schisme acacien» atteste éloquemment la puissance persuasive de cette représentation pontificale pourtant plaquée à une réalité qui lui demeurait irréductible. Or, redisons-le, cette stigmatisation acharnée du Constantinopolitain, bientôt appelée à s’étendre à des archevêques, Euphème et Macédonius, probablement morts en martyrs de la fidélité chalcédonienne, ne se conçoit qu’en

E. SCHWARTZ, Publizistische Sammlungen, cit., 106, en a déduit que le traité ne pouvait être assigné ni à Gélase ni à aucun autre pape, tandis que W. HAACKE, Die Glaubensformel des Papstes Hormisdas im Acacianischen Schisma, Roma 1939, 34 le classait dans son étonnante liste des spuria, avec quelque raison en l’occurrence. A. GRILLMEIER, Le Christ, II-1, cit., 410 s’en est tenu à cet avis. Entre-temps, P. NAUTIN, Ecclésiologie romaine, cit., 139, a proposé une hypothèse de recherche stimulante à laquelle nous accordons notre préférence. En voici la teneur: outre sa réponse du printemps 490, le pape Félix aurait expédié à Fravitas une série de lettres rédigées par son prédécesseur et lui-même afin de démontrer la légitimité de ses demandes. Pour Nautin il s’agit de l’embryon des trois collections épistolaires pontificales (Avellana, Veronensis et Berolinensis). Ce recueil aurait été introduit par les Gesta de nomine Acaci – sur ce point nous préférons nous en tenir à l’analyse de SCHWARTZ, Publizistiche Sammlungen, 265-266, qui considère que la mission annoncée d’Andromaque en 489 constitue le motif de sa composition. Surtout, il aurait été conclu par ce qui est enchâssé dans le prétendu Tractatus domni Gelasii (= De Damnatio nominum Petri et Acacii in Be 43, ibid., 107-111). 459 Le traité des deux natures (De duabus naturis) et son florilège (CPL 1673, J.W. 670, Be 35, ibid., 85-96-106) a probablement été adressé aux évêques dardaniens avec la seconde lettre que leur envoie Gélase (3 août 494, J.W. 638, Urk. 86, CA 101, 464-468, cf. P. NAUTIN, Gélase, cit., 288 d’après la phrase du pape: «pour que vous sachiez que nous avons dans la vérité catholique une doctrine en tous points conforme à la tradition antique» (ibid., 467.1-3). Un commentaire étoffé de cette oeuvre théologique est proposé par F. HOFMANN, cit., 60-64, et quelques remarques sont fournies par ULLMANN, cit., 254-255. Ce dernier considère lui aussi que le public visé est occidental et qu’il s’agit pour le pape de montrer en quoi les Orientaux ont dévié de l’orthodoxie. 460 G. Ep. 3, spécialement p. 51-53. Les formules employées par Gélase cinglent: «Comme tu dis qu’il faut condescendre à votre égard, vous montrez que vous êtes descendus ou que vous descendez…» (p. 50.28-51.1); «Mais, dis-tu, Acace n’a rien dit contre la foi, comme Eutychès et son successeur. Comme s’il n’était pas pire de ne pas avoir ignoré la vérité et d’avoir communié avec les ennemis de la vérité ?» (p. 52.6-8); «Non seulement vous prétendez faussement conserver les décrets qui ont été fixés en faveur de la foi et de la communion catholique mais vous vous préparez de surcroît à la faire chanceler et vous tombez dans l’hérésie eutychienne sans rétractation (possible)…» (p. 53.2-3). 461 Cf. supra, note 445.

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tenant compte de la schématisation initiale du mouvement monophysite462. C’est cette même raison qui, conjuguée à la médiocrité des informations en provenance d’Orient sous le pontificat de Symmaque et au début de l’épiscopat d’Hormisdas, explique simultanément la remarquable incapacité de Rome à considérer la singulière influence développée par Sévère sur le mouvement antichalcédonien. Moine actif à la cour (508-511) avant de devenir archevêque d’Antioche (512-518), celui-ci fait pourtant montre de ses compétences en matière christologique au point de devenir le théologien le plus en vue durant la dernière partie du règne d’Anastase463 et de marquer décisivement de son empreinte la doctrine monophysite464. Or, une première fois alerté par les moines de Syrie Seconde465, le pape ne reconnaît guère au patriarche de constituer un adversaire à l’importance particulière et ne lui attribue d’autre place que celle d’un nouveau sequax, aux côtés de Pierre d’Apamée466. Si les légats romains envoyés auprès de Justin cherchent eux-mêmes à corriger cette appréciation467, les résultats de leur entreprise restent limités, nonobstant le rappel de l’indispensable détestation du monophysite plus tôt introduit dans une lettre d’Hormisdas à Épiphane468. Aussi le libelle soumis à Ménas, sur l’initiative du pape Agapet, qui conditionne la consécration du signataire comme archevêque de Constantinople, ne fait-il mention explicite que des figures d’exécration déjà mentionnées dans le formulaire d’Hormisdas469. C’est seulement à l’instigation de l’empereur

462 Schématisation dont une expression saisissante, bien qu’elle omette la mention de Timothée Aelure figure dans le chapitre 5 du fameux Decretum Gelasianum de libris recipiendis et non recipiendis, éd. E. VON DOBSCHÜTZ, Leipzig 1912, 59. Récemment V. GROSSI, L’autorità magisteriale della sede romana al tempo di papa Simmaco (498-514), in Il papato di San Simmaco (498-514). Atti del convegno internazionale di studi, Oristano 19-21 novembre 1998, éd G. MELE et N. SPACCAPELO, Cagliari 2000, 440-441, a suggéré que le modèle de ce bref compendium avait pu être l’anathème lancé par Misène lors du synode de mars 495 qui devait lever la condamnation du malheureux légat. 463 Cf. nos contributions Le cas Pierre Monge au regard des sources monophysites d’origine palestinienne (fin Ve – début VIe s.), in StPatr 37, Louvain 2001, 356-357; Mémoire monophysite et besoins chalcédoniens. Quelques réflexions sur les vestiges de l'Histoire ecclésiastique de Jean Diakrinomenos, Adamantius 7 (2001) 92-94. 464 Pour une mise en perspective de l’importance de son œuvre fondée sur une exploitation exemplaire du large éventail de sources conservées et des nombreuses publications parues sur ce sujet, cf. A. GRILLMEIER, Le Christ. II-2, cit., 37-244. 465 Datée par approximation de la fin de l’année 517, CA 139, 566.13-21. 466 Réponse d’Hormisdas aux diacres et moines de Syrie Seconde, 10 février 518, JW 800, CA 140, 5821. 467 Suggestio du diacre Dioscore au pape Hormisdas, 19 avril 519, CA 167, 621.22-27, suggestio des légats au même, 29 juin 519, CA 217, 677.21-27. 468 Cf. Hormisdas à Épiphane, 26 mars 521, JW 861, CA 237, 7281-3. Par ce même courrier, tout en affirmant les principes au nom desquels il a formulé ses exigences relatives à la suppression des noms de ceux qui ont communié à l’Hénotique dans les diptyques, le pape répond en partie aux vœux exprimés par le Constantinopolitain (voir Regestes, cit., n° 218) aux côtés de l’empereur. Il lui reconnaît de pouvoir agir en son nom même si, simultanément, il entend se réserver un droit de contrôle sur les conditions dans lesquelles est rétablie la communion entre Constantinople et les Églises d’Orient, de Palestine surtout, qui regimbaient devant les injonctions romaines (CA 237, 726.1-728.15; voir aussi L. MAGI, La sede romana nella corrispondenza degli imperatori e patriarchi bizantini [VI-VII sec.], Louvain 1972, 94-95). 469 Daté du 13 mars 536, Regestes, cit., n° 232, CA 90, 340-342. On remarquera que la profession de foi remise par Justinien trois jours plus tard ne varie en rien, quant à son contenu hérésiologique, de celle de l’archevêque (CA 89, 338-340). En outre, l’empereur amène le pape à confirmer la confession

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et des Églises d’Orient que Sévère revêt une notoriété hérésiologique plus précise dans le discours pontifical. Alerté par des pétitions adressés par des moines établis à Constantinople, en Syrie Seconde et en Palestine ainsi que par des évêques orientaux470, Agapet a sans doute pu prendre une mesure plus exacte de l’influence des travaux de l’Antiochien dirigés contre le Tome et le concile de Chalcédoine. Peut-être a-t-il induit Justinien à réunir un concile pour que les monophysites dénoncés par ses correspondants (à savoir, outre Sévère et Anthime, Pierre d’Apamée et le moine Zoaras) fussent tous ensemble condamnés471. Toujours est-il que les cinq évêques italiens et les deux diacres romains472, présents lors du concile de mai-juin 536, ont cru utile de montrer que le Siège apostolique les avait déjà sanctionnés. Or, pour ce faire, ils n’ont pu alléguer que les lettres d’Hormisdas destinées aux moines de Syrie Seconde et à Épiphane473. Reprenant les conclusions du concile réuni à la fin du printemps 536, durant lequel l’Antiochien a vu sa déposition et son excommunication réitérées, Vigile n’ajoute guère de précisions. Mieux, au moment de confirmer les décisions synodales, le pape prétend s’appuyer sur le libelle de son confrère de Constantinople où, on l’a dit, Sévère n’est pas désigné nommément. Ainsi se conforme-t-il aux exigences de Justinien en paraissant ne faire qu’expliciter une condamnation déjà suffisamment assurée474. Cette réponse, dont la mauvaise

qu’il avait adressée à son prédécesseur, Jean II (6 juin 533). Le pape s’exécute non sans rappeler que, ce faisant, il n’admet pas l’exercice d’une autorité en matière de prédication qui serait exercée par les laïcs (cf. Agapet à Justinien, JW 898, 18 mars 536, CA 91, 343.14-15). 470 Cf. ACO III, 136-152. 471 Les motifs de la convocation signifiés lors de la première séance du concile (2 mai) le laissent supposer sans l’attester absolument. Cf. ACO III, 128. 472 Les cinq évêques ont vraisemblablement été envoyés par Agapet dès le 15 octobre 535 pour régler l’affaire du siège de Larissa (Thessalie), auquel prétendent deux évêques successivement ordonnés, Stéphane et Achilles. La légation se compose donc sûrement de Sabinus de Canosa (cf. PCBE II, 1975-1977), d’Épiphane d’Éclane (ibid., 651-652), d’Astérius de Salerne (ibid., 212-213), de Rusticus de Fiesole (ibid., 1955-1956) et de Léon de Nole (ibid., 1273-1274). Quant aux deux diacres, Théophane et Pélage (cf. ibid., respectivement p. 2186-2187 et p. 1710-1711), ils ont plus probablement accompagné Agapet au début de l’année 536. 473 Lors de la séance du 4 juin, cf. ACO III, 52-59. 474 Rappelons qu’il existe par ailleurs un courrier attribué à Vigile, rapporté par Liberatus de Carthage, Breviarium, 22, 137.27-138.5 dans lequel le pape, récemment élu, s’adresse à Anthime, à Sévère ainsi qu’à Théodose d’Alexandrie et affirme partager leur foi. Cette lettre est également transmise par Victor de Tonnona, Chronique, a. 542, 44 .27-46.14, sous une forme quelque peu différente et sans que lui soit associés la profession de foi et les trois anathématismes retranscrits à sa suite par Liberatus (Breviarium, 138.8-18). C’est encore à cette même missive que Pélage, Pelagii diaconi ecclesiae Romanae in defensione trium capitulorum. Texte latin du manuscrit Aurelianensis 73 (70), éd. et introd. R. DEVREESSE, Roma 1932, 5, 53.26-28 et Facundus d’Hermiane, Contra Mocianum, 38, op. cit., 408.325-329, semblent faire allusion. La question de l’éventuel crédit devant être accordé à cette pièce a divisé les critiques. Si aujourd’hui encore on trouve certains scientifiques partisans de son authenticité (ainsi F. CARCIONE, cit., note 248, 111-112, tout en situant la date de sa composition avant l’ordination pontificale de Vigile), la plupart des historiens, à la suite de Mgr L. DUCHESNE, L’Église au VIe siècle, Paris 1925, 176-178, considèrent qu’il vaut mieux tenir pour fausse cette lettre, alléguée par les adversaires du pontife mais ignorée par les auteurs monophysites (voir A. PLACANICA, dans Victor de Tonnona, Chronica. Chiesa e impero nell’età di Giustiniano, Florence 1997, 118-119).

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grâce est sans doute motivée par d’autres raisons encore475, indique que la papauté, à la veille du déclenchement de la controverse des Trois Chapitres, dénie encore toute dynamique doctrinale antichalcédonienne. Ne reconnaissant guère le perfectionnement de l’argumentaire dogmatique accompli par Sévère d’Antioche, après avoir voulu réduire Timothée Aelure au rôle de parricide, et n’avoir pas voulu s’attarder sur le cas de Philoxène de Mabboug – qui s’exprimait en syriaque, il est vrai – le Siège apostolique reste donc à l’écart de l’initiative néochalcédonienne. Or, celle-ci propose une articulation entre enseignement cyrillien et doctrine chalcédonienne qui emprunte une voie bien différente de celle tracée par Léon. Dès lors, si c’est à Léonce de Jérusalem que l’on doit d’avoir exploré avec le plus de sagacité le sens de la confession de l’Union selon l’Hypostase476, il n’est pas indifférent de relever que Justinien lui-même encourage cet effort et s’implique dans l’élaboration d’une pensée christologique visant à dépasser les blocages et les désaccords observés entre partisans et adversaires du quatrième synode477. Cet investissement n’est pas le moindre des développements suscités par les rebondissements de la controverse. Diamétralement opposé aux conceptions développées par Gélase, un tel engagement, qui s’articule avec l’emploi de la contrainte impériale, contribue fortement à la manifestation de refus de la condamnation des «Trois Chapitres». C’est ainsi que la modellisation du phénomène monophysite, après avoir conduit la papauté à développer une interprétation intransigeante de l’idéologie pétrinienne, l’amène à devoir faire face à son tour à une forte contestation, essentiellement africaine et italienne cette fois, qui allègue contre elle son infidélité aux principes mêmes de son ecclésiologie. Conséquence inattendue d’un discours fondateur qui ne cessait de rappeler la cohésion de l’épiscopat occidental, la crise alors traversée manifeste les risques d’une construction hérésiologique qui, à force de vouloir faire coïncider temps de la réfutation et temps de l’éradication, suscite inadaptabilité et frustrations, capables de remettre en cause la crédibilité même de l’auctoritas pontificale.

Philippe Blaudeau Université de Paris XII Val-de-Marne

61, av. du général de Gaulle F 94010 Creteil

475 Cf. C. SOTINEL, Autorité pontificale et pouvoir impérial sous le règne de Justinien: le pape Vigile, MÉFRA 104 (1992) 450-452. 476 Cf. J.MEYENDORFF, Le Christ dans la théologie byzantine, Paris 1969, 97-107. 477 Cf. A. GRILLMEIER, Le Christ. II-2, cit., 455-606. Pour un éclairage sur la manière dont Justinien conçoit d’exploiter l’historiographie, en sachant tirer profit de la recherche, de l’identification et de la critique documentaire pour mieux réfuter ses adversaires, cf. A. LE BOULLUEC, L’historiographie dans les écrits théologiques de l’empereur Justinien, in Historiographie de l’Église des premiers siècles cit., 522-529 spécialement.

Annexe - Tableau de correspondance des lettres pontificales conservées qui furent envoyées vers l’Orient de 448 à 494.

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Lettres conservées de Léon A) À l’empereur a) à Théodose II 1) 18 février 449, ep. 24, JW 421, ACO II-4, p. 3-4 2) 13 juin 449, ep. 29, JW 424, ACO II-4, p. 9-10 3) 20 juin 449, ep. 37, JW 431, ACO II-4, p. 17-18 4) au nom de Léon et du synode qui s’est réuni sous sa présidence à Rome, 13 octobre 449, ep. 44, JW 438, ACO II-4, p. 19-20 5) 24 décembre 449, ep. 54, JW 445, ACO II-4, p. 11 6) 16 juillet 450, ep. 69, JW 452, ACO II-4, p. 30-31 b) à Marcien 1) 13 avril 451, ep. 78, JW 458, ACO II-4, p. 38 2) 23 avril 451, ep. 82, JW 462, ACO II-4, p. 41 3) 9 juin 451, ep. 83, JW 463, ACO II-4, p. 42-43 4) 24 juin 451, ep. 89, JW 469, ACO II-4, p. 47-48 5) 26 juin 451, ep. 90, JW 470, ACO II-4, p. 48 6) 20 juillet 451, ep. 94, JW 474, ACO II-4, p. 49-50 7)22 mai 452, ep. 104, JW 481, ACO II-4, p. 55-57 8) 10 mars 453, ep. 111, JW 487, ACO II-4, p. 62-63 9) 21mars 453, ep. 115, JW 491, ACO II-4, p. 67-68 10) 15 juin 453, ep. 121, JW 497, ACO II-4, p. 75-76 11) 9 janvier 454, ep. 126, JW 502, ACO II-4, p. 81-82 12) 9 mars 454, ep. 128, JW 504, ACO II-4, p. 86 13) 10 mars 454, ep. 130, JW 506, ACO II-4, p. 83-84 14) 15 avril 454, ep. 134, JW 508, ACO II-4, p. 87-88 15) 29 mai 454, ep. 136, JW 510, ACO II-4, p. 90-91 16) 29 mai 454, ep. 137, JW 511, ACO II-4, p. 89-90

17) 13 mars 455, ep. 142, JW 517, ACO II-4, p. 95 c) à Léon 1) 11 juillet 457, ep. 145, JW 521, ACO II-4, p. 95-96 2) 1er décembre 457, ep. 156, JW 532, ACO II-4, p. 101-104 3) 21 mars 458, ep. 162, JW 539, ACO II-4, p.105-107. 4) 17 août 458, ep. 164, JW 541, ACO II-4, p. 110-112. 5) 17 août 458, ep. 165 (Tome II), JW 542, ACO II-4, p. 113-131 6) 17 juin 460, ep. 169, JW 546, CA 51, p. 117-119 B) À l’Augusta a) à Pulchérie 1) 13 juin 449, ep. 31, JW 425, ACO II-4, p. 12-151 2) au nom de Léon et du synode qui s’est réuni sous sa présidence à Rome, 13 octobre 449, ep. 45, JW 439, ACO II-4, p. 23-25 3) 17 mars 450, ep. 60, JW 448, ACO II-4, p. 29 4) 16 juillet 450, ep. 70, JW 453, ACO II-4, p. 29-30 5) 13 avril 451, ep. 79, JW 459, ACO II-4, p. 37-38. 6) 9 juin 451, ep. 84, JW 464, ACO II-4, p. 43-44 7) 20 juillet 451, ep. 95, JW 475, ACO II-4, p. 50-51. 8) 22 mai 452, ep. 105, JW 482, ACO II-4, p. 57-59 9) 10 mars 453, ep. 112, JW 488, ACO II-4, p. 64-65 10) 21 mars 453, ep. 116, JW 492, ACO II-4, p. 68-69 b) à Eudocie 1) 15 juin 453, ep. 123, JW 499, ACO II-4, p. 77 1 On s’accorde à reconnaître en l’ep. 30 (même destinataire et même date prétendue) une version abrégée et interpolée de cet exemplaire. Cf. E. SCHWARTZ dans ACO II-4, XXII, K. SILVA –TAROUCA, Nuovi studi, cit., 597.

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C) À l’archevêque d’Alexandrie a) à Protérius 10 mars 454, ep. 129, JW 505, ACO II-4, p. 84-86 b) à Timothée Salophaciol 18 août 460, ep. 171, JW 548, CA 53, pp. 120-121 D) À l’archevêque d’Antioche a) à Maxime 1) 11 juin 453, ep. 119, JW 495, ACO II-4, p. 72-75 b) à Basile 1) 1er septembre 457, ep. 150, JW 526, ACO II-4, p. 97-98 E) À Juvénal l’archevêque de Jérusalem 1) 4 septembre 454, ep. 139, JW 514, ACO II-4, p. 91-93 2) et à Euxitheus de Thessalonique, Pierre de Corinthe et Luc de Dyrrhachium, 1er septembre 457, JW 525, 526, ACO II-4, p. 98 F) À l’archevêque de Constantinople a) à Flavien 1) 18 février 449, ep. 23, JW 420, ACO II-4, p. 4-5 2) 21 mai 449, ep. 27, JW 422, ACO II-4, p. 9 3) 13 juin 449, ep. 28 (Tome), JW 423, ACO II-2, collectio Novariensis, p. 24-33 4) 20 juin 449, ep. 36, JW 430, ACO II-4, p. 17 5) 23 juillet 449, ep. 38, JW 432, ACO II-4, p. 18 6) 11 août 449, ep. 39, JW 433, ACO II-4, p. 18-19 7) 13 octobre 449, ep. 49, JW 442, ACO II-4, p. 23 b) à Anatole 1) 13 avril 451, ep. 80, JW 460, ACO II-4, p. 38-40. 2) 9 juin 451, ep. 85, JW 465, ACO II-4, p. 44-45 3) 14 juin 451, ep. 87, JW 467, ACO II-4, p. 45-46 4) 26 juin 451, ep. 91, JW 471, ACO II-4, p. 49 5) 22 mai 452, ep. 106, JW 483, ACO II-4, p. 59-62

6) 29 mai 454, ep. 135, JW 509, ACO II-4, p. 88-89 7) 13 mars 455, ep. 143, JW 518, ACO II-4, p. 94 8) 11 juillet 457, ep. 146, JW 522, ACO II-4, p. 96-97 9)1er septembre 457, ep. 151, J.W., 529, Collectio Ratisbonensis, ACO II-4, p. 138-139 10) 11 octobre 457, ep. 155, JW 531, ACO II-4, p. 100-101 11) 1er décembre 457 ( ?), ep. 157, JW 534, ACO II-4, p. 109-110 12) 28 mars 458, ex collectione quesneliana, ep. 163, JW 540, ACO II-4, p. XLIV. c) à Gennade 17 juin 460, ep. 170, JW 547, CA 52, p. 119-120 G) À Anastase de Thessalonique, au nom de Léon et du synode qui s’est réuni sous sa présidence à Rome, 13 octobre 449, ep. 47, JW 440, ACO II-4, p. 22-23 H) À Julien de Cos 1) 13 juin 449, ep. 34, JW 428, ACO II-4, p. 16-17 2) 13 juin 449, ep. 35, JW 429, ACO II-4, p. 6-8 3) 13 octobre 449, ep. 48, JW 441, ACO II-4, p. 23 4) 13 avril 451, ep. 81, JW 461, ACO II-4, p. 40-41 5) 9 juin 41, ep. 86, JW 466, ACO II-4, p. 42 6) 6 juin 451, ep. 92, JW 472, ACO II-4, p. 49 7) 22 mai 452, ep. 107, JW 484, ACO II-4, p. 62 8) 25 novembre 452, ep. 109, JW 486, Collectio Ratisbonensis, ACO II-4, p. 137-138 9) 11 mars 453, ep. 113, JW 489, ACO II-4, p. 65-67 10) 21 mars 453, ep. 117, JW 493, ACO II-4, p. 69-70 11) 2 avril 453, ep. 118, JW 494, ACO II-4, p. 71-72 12) 15 juin 453, ep. 122, JW 498, ACO II-4, p. 76-77 13) 25 juin 453, ep. 125, JW 501, ACO II-4, p. 78 14) 9 janvier 454, ep. 127, JW 503, ACO II-4, p. 82-83 15) 10 mars 454, ep. 131, JW 507, ACO II-4, p. 87

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16) 6 décembre 454, ep. 140, JW 515, ACO II-4, p. 93-94 17) 11 mars (plutôt que 11 mai) 455, ep. 141, JW 516, ACO II-4, p. 94-95 18) 1er juin 457, ep. 144, JW 520, Collectio Ratisbonensis, ACO II-4, p. 138 19) (et à Aetius ?) 11 juillet 457, ep. 147, JW 523, ACO II-4, p. 97 20) 1er septembre 457, ep. 152, JW 527, ACO II-4, p. 99 A Paschasinus, évêque de Lilybée 24 juin 451, ep. 88, JW 468, ACO II-4, p. 46-47 I) À Aetius 1er septembre 457, ep. 153, J.W., 528, ACO II-4, p. 99. Au synode d’Éphèse (449), 13 juin 449, ep. 33, JW 427, ACO II-4, p. 15-16 Au synode de Chalcédoine 1) 26 juin 451, ep. 93, JW 473, ACO II-4, p. 51-53 2) (sic) 21 mars 453, ep. 114, JW 490, ACO II-4, p. 70-71 À Théodoret de Cyr 11 juin 453, ep. 120, JW 496, ACO II-4, p. 78-81 ( ?) Aux évêques catholiques d’Égypte réfugiés à Constantinople 1) 11 octobre 457, ep. 154, JW 530, ACO II-4, p.101 2) 1er décembre 457, ep. 158, ACO II-4, p.104-105 3) 21 mars 458, ep. 161, JW 538, ACO II-4, p. 108-109. Aux évêques consécrateurs de Timothée Salophaciol 18 août 460, ep. 173, JW 550, CA 55, p. 123-124 Au clergé d’Alexandrie 18 août 460,ep. 172, JW 549, CA 54, p. 121-122 Au clergé de Constantinople 1) au clergé, aux magistrats et au peuple de Constantinople, au nom de Léon et du synode

qui s’est réuni sous sa présidence à Rome, 13 octobre 449, ep. 50, JW 443, ACO II-4, p. 21-22 2) aux prêtres, diacres et clercs de l’Église de Constantinople, 21 mars 458, ep. 161, JW 538, ACO II-4, p. 108-109 À Eutychès ep. 20, JW 418, 1er juin 448, ACO II-4, p. 3 À certains cercles monastiques de Constantinople et de ses environs 1) à Faustus et à Martin prêtres et aux archimandrites restants, 13 juin 449, ep. 32, JW 426, ACO II-4, p. 11-12 2) à Faustus, Martin, Pierre et Emmanuel prêtres et archimandrites, au nom de Léon et du synode qui s’est réuni sous sa présidence à Rome, 13 octobre 449, ep. 51, JW 444, ACO II-4, p. 25-26 3) à Martin et à Faustus prêtres, 17 mars 450, ep. 61, JW 449, ACO II-4, p. 28 4) à Faustus, Martin, Pierre, Manuel…, 16 juillet 450, ep. 71, JW 454, ACO II-4, p. 31-32 5) au prêtre Faustus, après le 17 mars 450 et avant les premières semaines d’automne de la même année, ep. 72, JW 455, ACO II-4, p. 5-6 6) à Martin, 13 septembre 450, ep. 74, JW 456, ACO II4, p. 32-33 7) à Faustus et à Martin, 9 novembre 450, ep. 75, JW 457, ACO II-4, p. 33 Aux moines palestiniens 15 juin 453 ( ?), ep. 124, JW 500, Collectio Quesneliana, ACO II-4, p. 159-163. Aux habitants de Constantinople 1) voir ep. 50 2) 17 mars 450 ? (d’après les Ballerini, = P.L., 54, col. 871-873) , ep. 59, JW 447, ACO II-4, p. 34-37 Lettres conservées de Simplice A) À l’empereur a) à Basilisque

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1) 10 janvier 476, ep. 3, JW 573, Urk2. 5, CA 56, p. 126-129 b) à Zénon 1) 6 avril ( ?) 477, ep. 6, JW 576, Urk. 12, CA 60, p. 135-138 2) 8 ( ?) octobre 478, ep. 10, JW 579, Urk. 25, CA 62, p. 139-141 3) 21 octobre 478, ep. 12, JW 581, Urk. 27, CA 64, p. 144-145. 4) 22 juin 479, ep 15; JW 584, Urk. 31, CA 66, p. 147-149 5) 15 juillet 482 (fragment), ep. 19, JW 588, Urk. 41, Ve3 1, PS, p. 3 B) À Acace, archevêque de Constantinople 1) 9 janvier 476, ep. 2, JW 572, Urk. 6, CA 58, p. 130-133 2) 31 ( ?) janvier 476, ep. 5, JW 575, Urk. 7, CA 57, p. 129-130. 3) 6 avril ( ?) 477, ep. 7, JW 577, Urk. 20, Codex Vaticanus lat. 1344, PS, p. 121-122 4) 8 mars 478, ep. 9, JW 578, Urk. 23, CA 61, p. 138-139 5) 8 octobre 478, ep. 11, JW 580, Urk. 26, CA 63, p. 142-144. 6) 22 ( ?) octobre 478, ep. 13, JW 582, Urk. 28, CA 65, p. 146. 7) 22 juin 479 ( ?), ep. 16, JW 585, Urk. 32, CA 67, p. 149-150 8) 13 juin ( ? 15 juillet ?) 482, ep. 17, JW 586, Urk. 43, CA 69, p. 154-155. 9) 15 juillet 482, ep. 18, JW 587, Urk. 42, CA 68, p. 151-154 10) 6 novembre 482, ep. 20, JW 589, Urk. 44, Ve 3, PS, p. 3-4. C) Au clergé et au peuple de Constantinople 11 ( ?) janvier 476, ep. 4, JW 574, Urk. 4, CA 59, p. 133-135.

2 L'abréviation Urk. (Urkundenverzeichnis) renvoie au classement documentaire des pièces ayant trait au schisme acacien qui a été proposé par E. Schwartz, PS, 161-170. 3 = Collectio Veronensis.

Lettres conservées de Félix A) À l’empereur Zénon 1) mars 483, ep. 1, JW 591, Urk. 48, Be4 20, PS, p. 63-69. 2) printemps 483, ep. 4, JW. 595, Urk. 51, Be 22, PS, p. 74-75. 3) 1er août 484, ep. 8, JW 601, Urk. 59, Be 33, PS, p. 81-82. 4) début 490, ep. 15, JW 612, Urk. 70, Be 34, PS, p. 82-85. B) À l’archevêque de Constantinople a) à Acace 1) mars 483, ep. 2, JW 592, Urk. 49, Be 21, PS, p. 69-73. 2) printemps 483, ep. 3, JW 593, Urk. 50, Be 23, PS, p. 75 3) 28 juillet 484, ep. 6, JW 599, Urk. 58, Ve 5 (Be 24), PS, p. 6-7. Sentence contre Acace (28 juillet 484) = ep. 7, JW 600, Urk. 21, Be 26, PS, p. 76. b) à Fravitas début 490, ep. 14, JW 613, Urk. 69, Be 44, PS, p. 111-113. À Vetranio évêque, 1er mai 490, ep. 17, JW 615, Urk. 71, Be 31, PS, p. 79-81. Au clergé et au peuple de Constantinople (août 484), ep. 10, JW 602, Urk. 60, Be 28, PS, p. 76-77 Aux prêtres et archimandrites Rufin Hilaire et Thalassius et aux autres prêtres et moines établis à Constantinople et en Bithynie (fin 485 ?) 1) ep. 12, JW 608, Urk. 63, Be 29, “DiaboliCAe artis”, p. 264-265. 2) à Thalassius, 1er mai 490, ep. 16, JW 614, Urk. 74, Be 30, p. 78-79.

4 = Collectio Berolinensis.

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Autre pièce engageant l’autorité pontificale de Félix Lettre du synode romain à tous les prêtres et les archimandrites de Constantinople et de Bithynie, 5 octobre 485 = ep. 11, Urk. 65, CA 70, p. 155-160 Lettres conservées de Gélase A) À l’empereur Anastase 494, ep. 12, JW 632, Urk. 82, Ve 8, PS, p. 19-24. B) À l’archevêque de Constantinople Euphème 492, ep. 3, JW 620, Urk. 79, Ve 12, PS, p. 49-55. À Faustus Niger, maître des offices de Théodoric en mission à Constantinople 493, ep. 10, JW 622, Urk. 81, Ve 7, PS, p. 16-19. À Sacconius (Succonius) d’Vzali, (493 ? 494 ?), ep. 9, JW 628, Ve 13, PS, p. 56-57.