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Revue Française de Civilisation Britannique French Journal of British Studies XVII-2 | 2012 Minorités, intégration en Grande-Bretagne et dans les pays du Commonwealth Numéro en hommage à Lucienne Germain Minorities and Integration in Britain and the Commonwealth Pauline Schnapper (dir.) Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/rfcb/655 DOI : 10.4000/rfcb.655 ISSN : 2429-4373 Éditeur CRECIB - Centre de recherche et d'études en civilisation britannique Édition imprimée Date de publication : 15 octobre 2012 ISBN : 2-911580-37-0 ISSN : 0248-9015 Référence électronique Pauline Schnapper (dir.), Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012, « Minorités, intégration en Grande-Bretagne et dans les pays du Commonwealth » [En ligne], mis en ligne le 15 mars 2016, consulté le 02 juillet 2021. URL : https://journals.openedition.org/rfcb/655 ; DOI : https:// doi.org/10.4000/rfcb.655 Ce document a été généré automatiquement le 2 juillet 2021. Revue française de civilisation britannique est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modication 4.0 International.

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Revue Française de Civilisation BritanniqueFrench Journal of British Studies 

XVII-2 | 2012Minorités, intégration en Grande-Bretagne et dansles pays du CommonwealthNuméro en hommage à Lucienne GermainMinorities and Integration in Britain and the Commonwealth

Pauline Schnapper (dir.)

Édition électroniqueURL : https://journals.openedition.org/rfcb/655DOI : 10.4000/rfcb.655ISSN : 2429-4373

ÉditeurCRECIB - Centre de recherche et d'études en civilisation britannique

Édition impriméeDate de publication : 15 octobre 2012ISBN : 2-911580-37-0ISSN : 0248-9015

Référence électroniquePauline Schnapper (dir.), Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012, « Minorités,intégration en Grande-Bretagne et dans les pays du Commonwealth » [En ligne], mis en ligne le 15mars 2016, consulté le 02 juillet 2021. URL : https://journals.openedition.org/rfcb/655 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rfcb.655

Ce document a été généré automatiquement le 2 juillet 2021.

Revue française de civilisation britannique est mis à disposition selon les termes de la licence CreativeCommons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

SOMMAIRE

Avant-proposSuzy Halimi et Didier Lassalle

Hommages

Lucienne à VilletaneuseMaurice Cling

Merci LucienneBenoît Eurin

L'héritage historique

Doublement minoritaire : le cas de Matthew Mead, « independent minister » (c. 1630-1699)Arlette Sancery

La minorité irlandaise à Londres au XVIIIe siècleSuzy Halimi

Une minorité et son guide spirituel : la communauté séfarade de Londres et le rabbin DavidNieto (1701-1728)Sarah Mimran

L'héritage colonial

Anti-Black Racism in British Popular Music (1880-1920)John Mullen

La presse nationale britannique et le Mandat du Royaume-Uni en Palestine (1922-1939)Jean-Claude Sergeant

Sous-métis d’Australie. Sort des métis issus d’unions entre Aborigènes et Asiatiques jusquedans les premiers temps de la FédérationMartine Piquet

Identités nationales, identités « raciales » en OcéanieAdrien Rodd

Minorités ethniques et intégration en Grande-Bretagne dans la périoderécente

Visibilités sikhe et musulmane au Royaume-Uni : tentative de comparaisonVincent Latour

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

1

L’insertion professionnelle des jeunes issus de l’immigration : enjeux et politiques publiquesen Grande-Bretagne et en FranceCorinne Nativel

Exploitation and human trafficking in the UK today: political debate, fictionalrepresentation and documentariesMichael Parsons

Le post-multiculturalisme de David CameronDidier Lassalle

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

2

Avant-proposForeword

Suzy Halimi et Didier Lassalle

1 Ce volume est dédié à la mémoire de Lucienne Germain emportée, à l’âge de 61 ans, par

la maladie terrible qui la consumait et qui a finalement eu raison de sa combativité, de

son énergie et de sa capacité à affronter l’adversité. Sa disparition précoce a bouleversé

ses proches et ses amis, mais également de nombreux collègues qui l’avaient côtoyée

lors de colloques, de jurys de thèse, de séminaires, de commissions de spécialistes et/ou

d’interminables réunions administratives où sa rigueur intellectuelle, son exigence

morale, son grand respect pour l’autre, mais également son humour parfois acerbe,

faisaient merveille.

2 Son parcours professionnel, particulièrement riche et exemplaire, s’est déployé sur

presque quatre décennies. Elle a débuté à l’UFR LLSH de Paris XIII en 1972, comme

vacataire puis assistante, et y a enseigné une discipline encore neuve : la civilisation

britannique. Elle a ensuite obtenu un poste de Maître de Conférences au département

informatique de l’IUT de Paris (université Paris V) et a finalement rejoint l’UFR d’études

anglophones de Paris-Diderot en 1990. Elle y fut recrutée sur une chaire de Professeur

de civilisation britannique en 2000.

3 Parallèlement à son activité d’enseignement qu’elle préservait farouchement, et dont

elle tirait une grande satisfaction, Lucienne s’est toujours investie massivement dans

l’institution qui l’employait. C’est à Paris Diderot qu’elle a donné toute la mesure de son

talent dans ce domaine. Membre du conseil de l’UFR d’études anglophones, mais aussi

du CA de l’université pendant de nombreuses années, ainsi que de multiples

commissions, elle a aussi assumé la tâche de Chargée de Mission puis les lourdes

fonctions de Vice-présidente aux Relations internationales sous le mandat du Président

Benoit Eurin.

4 Lucienne n’était pas seulement une enseignante passionnée défendant avec verve et

conviction le service public et l’éthique du métier d’enseignant-chercheur qu’elle

pensait menacée à terme par une dérive libérale généralisée, mais c’était également

une chercheuse méthodique et exigeante qui savait susciter l’intérêt de ses étudiants en

les accompagnants avec un rare dévouement dans leur cheminement intellectuel. Ses

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3

étudiants, en particulier ceux du groupe de recherche qu’elle animait à Paris-Diderot

depuis 2004, et ses collègues peuvent témoigner de ses grandes qualités d’écoute et de

la gentillesse dont elle faisait preuve à leur égard.

5 Elle a aussi contribué au développement de la civilisation jusqu’à son statut actuel de

parité avec la littérature et la linguistique. Rappelons aux jeunes collègues, et même

aux plus anciens qui l’ont parfois oublié, que l’enseignement de la civilisation au sein de

la licence d’anglais n’est apparu que vers la fin des années 1960 sous la forme d’un

certificat dit d’« études pratiques ». De plus, la civilisation n’a été acceptée comme

option à l’agrégation qu’en 1977 (cinq ans après la linguistique), elle n’a été introduite à

l’oral du CAPES que dans les années 1980, n’est devenue épreuve obligatoire à l’écrit

qu’en 1992 et n’a été mise en parité effective avec la littérature et la linguistique à

l’agrégation qu’en 1998. Le CRECIB et sa revue ont accompagné cet essor en offrant un

cadre fédérateur d’échanges et de diffusion aux travaux des civilisationnistes1.

Lucienne était membre du CRECIB depuis sa création en 1972 et a collaboré à notre

revue à de nombreuses reprises. Elle en a même assumé les responsabilités de

secrétaire-adjointe de 1987 à 1992 puis de vice-présidente à partir de 2006. Cet

hommage posthume rendu à une civilisationniste de la première heure, qui a toujours

défendu notre discipline contre vents et marées, est donc un juste retour des choses.

6 Formée aux méthodes de la sociologie et des études politiques, Lucienne s’était

spécialisée dans l’histoire de la communauté juive anglaise ainsi que, plus

généralement, dans l’étude des phénomènes migratoires, des relations interethniques,

de l’intégration des minorités et des processus de création des identités ethniques et

religieuses en Grande-Bretagne. Cependant son approche était devenue résolument

comparative et diachronique comme le souligne l’examen plus approfondi de ses

thématiques de recherche récentes qui font référence à l’histoire passée ou

contemporaine d’autres pays de l’aire anglophone, en particulier des anciennes

colonies britanniques. Nous avons donc souhaité respecter ses choix de chercheuse et

illustrer dans ce volume à sa mémoire le large éventail de ses intérêts.

7 Le problème des minorités, de leur intégration, dont Lucienne Germain avait fait son

champ de recherche, n’est pas nouveau. Elle le savait bien, elle qui s’appliquait toujours

à relier les événements qu’elle analysait à leurs sources, leurs antécédents. Cette

dimension historique est rappelée dans la première partie de cet ouvrage. Arlette

SANCERY étudie le cas d’un prédicateur puritain du XVIIe siècle, Matthew Mead. En

butte aux tracasseries de l’Église établie sous Charles II, il mena toute sa vie une

croisade énergique pour réconcilier les deux branches du protestantisme dissident

dont il était proche : les presbytériens et les congrégationalistes, effort soldé par un

échec, les Anglicans mettant à profit les dissensions existant entre ces deux minorités

religieuses incapables de s’entendre pour obtenir une meilleure reconnaissance au sein

de la majorité anglicane dominante.

8 Au XVIIIe siècle, deux minorités d’immigrants à Londres retiennent l’attention de Suzy

HALIMI et de Sarah MIMRAN : celle des Irlandais d’une part et celle de la communauté

juive d’autre part. Une esquisse de typologie de la communauté irlandaise montre

qu’elle se compose de trois catégories de populations : celle des écrivains et artistes qui

« montent » à la capitale avec l’espoir, souvent frustré, d’y acquérir une certaine

notoriété, celle des ouvriers, peu ou pas qualifiés, que l’on retrouve dans l’industrie

textile, celle du bâtiment, dans les docks des berges de la Tamise ou encore au moment

des moissons, dans les campagnes qui s’étendent aux portes de la capitale. Enfin, dans

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4

les quartiers les plus pauvres s’entassent tous les nécessiteux qui survivent tant bien

que mal et pour qui pauvreté et délinquance sont souvent inséparables. La société

d’accueil, bien sûr, a des réactions mitigées face à ces immigrés. Si les premiers ne

jouissent d’aucun traitement particulier lié à leurs origines, les ouvriers sont plutôt

bien accueillis, comme une main d’œuvre nécessaire et utile ; mais les derniers posent

un triple problème : de santé et de sécurité publiques, de lourdeur des charges sociales

pesant sur les paroisses, et d’hostilité latente envers ceux qui incarnent un papisme

honni en Angleterre. Les réformateurs sociaux de la fin du siècle essaieront, sans

beaucoup de succès, de trouver une solution à ces difficultés.

9 À l’inverse, la minorité juive ne pose pas les mêmes problèmes, la communauté se

chargeant elle-même de pourvoir aux besoins de ses membres les plus démunis. Sarah

MIMRAN la montre, sous la houlette de son chef spirituel, le grand rabbin David Nieto,

comme « un îlot tranquille, en pleine croissance à l’aube du XVIIIe siècle ». Frappée des

interdits qui s’appliquent à tous les dissidents en Angleterre, elle s’organise néanmoins

en une société solidaire, attentive à l’éducation des enfants, aux devoirs de charité à

l’égard de ses membres mais aussi de ses coreligionnaires en difficulté en Terre sainte

et ailleurs dans le monde. Son chef religieux, fin lettré et savant aux multiples talents,

déploie une activité incessante, jusqu’à sa mort, en 1728, pour la guider dans sa quête

d’identité spirituelle.

10 Le problème des minorités affleure aussi dans l’héritage colonial de la Grande-

Bretagne, dès le XIXe siècle. John MULLEN en étudie les manifestations dans la musique

populaire des années 1880 jusqu’en 1920. Le Noir y est présenté « comme une image en

miroir de la personne respectable victorienne ou edwardienne ». C’est l’époque où se

développe l’empire britannique « sur lequel le soleil ne se couche jamais » et où la

métropole construit l’idéologie du « Fardeau de l’homme blanc (The White Man’s

Burden) ». Le music-hall, qui triomphe sur les scènes de théâtre, illustre cette idéologie

en mettant en scène les « minstrel shows », dont le public raffole, et les héros de ces

comédies musicales sont des Noirs, largement importés des Etats-Unis. Ces spectacles

véhiculent le stéréotype de l’homme de couleur, d’une naïveté enfantine, un peu

paresseux au moment où le travail est vanté comme une vertu cardinale dans un pays

en pleine expansion économique, mais aussi doté de dons musicaux. Mais quand

survient la Première guerre mondiale, lorsque l’Angleterre a recours au soutien de ses

loyaux sujets de couleur, alors le stéréotype se module quelque peu avec la conjoncture

politique et le Noir des comédies musicales voit tomber ses oripeaux racistes pour

enchanter plus que jamais les auditoires des théâtres anglais.

11 Là où s’achève l’étude de John MULLEN, commence celle de Jean-Claude SERGEANT,

consacrée à la presse nationale britannique au moment du mandat du Royaume-Uni en

Palestine (1922-1959). Après un rappel des principes et ajustements de la politique

britannique en Palestine, est analysé le rôle joué par une presse largement antisioniste,

qui oscille d’abord entre indifférence et interventionnisme, puis qui choisit son camp

sur la question palestinienne. L’article examine les différentes formes d’intervention de

la presse. Si le propriétaire du Manchester Guardian salue la Déclaration Balfour et se

rallie intellectuellement à la cause défendue par Chaïm Weizmann, il n’en va pas de

même des autres potentats de Fleet Street. Lord Beaverbrook accuse les Juifs d’être à

l’origine de risques de guerre, et, après un voyage sur place, prédit l’échec du parti

sioniste. De son côté, le Daily Express, par la voix de son propriétaire Northcliffe, et

même après la mort de celui-ci en 1922, dénonce ce qu’il appelle »la mystification en

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5

Palestine (The Deception in Palestine,) et qualifie de « malhonnête » la Déclaration

Balfour. Par le canal du Times, le même Lord Northcliffe développe ses objections au

projet sioniste et le journal ouvre ses colonnes aux polémiques que suscite l’implication

du Royaume- Uni en Palestine. Le Daily Herald, en 1937, avec la montée de l’activisme

arabe, aura cette formule tristement prémonitoire : « Nous avons vendu le même

cheval, qui ne nous appartenait pas, à deux acheteurs différents… un problème

pratiquement insoluble ».

12 Aux antipodes du Royaume-Uni, deux anciennes colonies, l’Australie et l’Océanie, au

lendemain de la colonisation, construisent leur identité nationale sur un rejet ferme

des minorités, qui risquent de diluer la pureté de la souche originelle, notamment par

le biais de mariages mixtes. Martine Piquet observe le phénomène en Australie, qui

pratique un ostracisme sévère à l’endroit des « métis issus d’unions entre Aborigènes et

Asiatiques ». Rallié de cœur à la politique de l’Australie blanche, le pays dut infléchir sa

position avec l’évolution du contexte mondial, mais les difficultés rencontrées par ces

métis pour accéder à la citoyenneté jusqu’au XXe siècle sont révélatrices du profond

rejet de l’altérité, des minorités, qui a caractérisé la société australienne, jusqu’à

l’adoption officielle du multiculturalisme dans les années 1970, grâce à une nouvelle

définition, plus souple, plus généreuse de l’aboriginalité.

13 En Océanie, comme le montre Adrien RODD, la volonté de créer un sentiment

d’appartenance, d’unité au lendemain de la colonisation, s’est heurtée à la diversité

sous toutes ses formes et à la présence de minorités rendues visibles « par leur

phénotype étranger ». Dans ce vaste ensemble géographique, l’Australie et la Nouvelle-

Zélande ont un parcours similaire, passant du rêve d’une identité raciale à une

tolérance de la diversité ethnique et culturelle. Après un cheminement heurté,

l’ensemble des pays océaniens reconnaît aujourd’hui la diversité ethnique, mais

certains Blancs ne cachent pas leur hostilité envers leurs concitoyens d’origine non-

européenne. De même, aux Tonga, se manifeste encore aujourd’hui une sinophobie

palpable ; en Papouasie-Nouvelle Guinée, les autochtones se plaignent de voir les

immigrés asiatiques « contrôler » le petit commerce ; les Fidgiens indigènes ne cachent

pas les tensions qui les opposent à leurs compatriotes d’origine indienne. Le

multiculturalisme officiel et l’acceptation, par les autorités, de la diversité ethnique ne

parviennent pas à masquer les revendications d’une primauté blanche ou autochtone

par une minorité agissante et parfois violente.

14 Avec ces deux derniers articles, nous sommes déjà entrés dans le XXe siècle et le

Royaume-Uni d’aujourd’hui, qui est, plus largement, l’objet de la troisième partie.

Vincent LATOUR s’intéresse aux deux minorités sikh et musulmane au Royaume-Uni, à

leurs démarches respectives pour gagner une visibilité et la reconnaissance de leur

spécificité culturelle. Après un rappel historique, qui retrace la présence des Sikhs et

des musulmans au Royaume-Uni, la conquête progressive de lieux de prière et

d’inhumation concédés par les autorités, l’article décrit leurs stratégies respectives de

mobilisation communautaire pour une reconnaissance publique. Crises ponctuelles –

comme les affaires Rushdie et Behzti – et/ ou campagnes à répétition à partir de faits

divers – port du turban et de la barbe pour les Sikhs, port du voile dans les écoles pour

les Musulmans – les deux communautés réussissent à acquérir une visibilité certaine

dans la société britannique. Mais après ce parallélisme, la conclusion pose la question

d’un traitement plus favorable à l’égard des Sikhs, dû à leur plus grande homogénéité

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6

culturelle d’une part et au lien séculaire existant entre les Britanniques et les Sikhs en

Inde.

15 Corinne NATIVEL poursuit sur le mode comparatiste, mais cette fois pour examiner en

parallèle les politiques anglaise et française en matière d’insertion des jeunes issus de

l’immigration. L’article s’appuie sur des enquêtes conduites dans les deux pays sur les

discriminations dont souffrent ces populations de jeunes face à l’emploi. Du côté

britannique, le New Deal for Young People de Tony Blair marque la volonté de l’État

d’intervenir pour établir l’égalité des chances ; mais derrière les proclamations

officielles, les pratiques discriminatoires subsistent, ouvertes ou larvées. En France, pas

de distinction entre les jeunes exposés au chômage, quelle que soit leur origine

ethnique, mais une profusion de dispositifs, « mille-feuilles de la deuxième chance »,

puis tentative, avec le plan Espoir-Banlieues, d’introduire une discrimination positive

en faveur des plus défavorisés. Mais, au Royaume-Uni comme en France, les jeunes eux-

mêmes de l’ouest de Londres et de Seine-Saint-Denis ne sont pas très favorables à ces

plans spécifiques, perçus comme stigmatisants. La conclusion insiste sur la différence

d’approche des autorités britanniques et françaises en la matière : approche top down

pour les premières, – contrôle des lignes directrices par le biais d’appels d’offres –,

bottom up pour les secondes, qui laissent une plus grande marge de manœuvre aux

collectivités locales.

16 Michael PARSONS s’intéresse aussi au monde du travail, mais pour dénoncer

l’exploitation des immigrés par des employeurs peu scrupuleux, et aussi par des

« gangs » aux pratiques scandaleuses. Son étude s’appuie sur des exemples qui ont

défrayé la chronique : ramassage de coquillages de nuit et noyade de nombreux

ouvriers lors de la montée de la marée (Morecamb Bay Tragedy) ; trafic d’organes et

autres « dirty things » du même ordre, dont sont victimes des clandestins prêts à tout

pour se procurer les quelques sous dont ils ont besoin ; exploitation des saisonniers au

moment de la récolte des fruits dans les campagnes ; bonne conscience des

Britanniques qui emploient des serviteurs au noir, avec le sentiment de leur rendre

service dans leur condition difficile. Reste à examiner l’attitude des pouvoirs publics

devant des comportements que la presse se met à divulguer. Bien qu’ayant ratifié la

Convention du Conseil de l’Europe, Action against Trafficking of Human Beings, le pays

n’en applique pas les clauses correctement, semble-t-il. Le résultat est encore assez

confus et l’impact de la crise économique de 2008, qui encourage la compétition et donc

la production à coût réduit, n’est guère favorable à une application stricte des

dispositifs du législateur.

17 Constat en demi-teinte que vient confirmer l’article de Didier LASSALLE qui clôt cet

ouvrage. Il est consacré au post-multiculturalisme de David Cameron, dont le ton a été

donné lors d’une conférence à Munich sur la sécurité, en février 2011. L’argument selon

lequel cette doctrine est responsable des dérives communautaires, « compost sur lequel

prospère le terrorisme » n’est pas nouveau. Depuis 2005, des voix se font entendre pour

insister sur le « devoir d’intégration » des minorités ethniques et dénoncer le culte de

la diversité conduisant à la séparation des communautés. Tel est le contexte dans lequel

se développe la politique des gouvernements New Labour. Bien entendu, les partis

extrémistes et le BNP en particulier, font leur miel de cette hostilité croissante à l’égard

des immigrants, et la crise économique qui accroît le chômage, désigne tout

naturellement les immigrés à la vindicte de tous ceux qui accusent les nouveaux venus

de prendre les emplois des Britanniques. C’est dans cette atmosphère délétère,

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7

aggravée par les attentats du 11 septembre que se développe l’islamophobie et le

« white backlash », réaction des classes populaires blanches aux tentatives des

gouvernements en faveur de l’égalité des droits et des chances au bénéfice des

minorités ethniques. Cette population se sent « trahie » par les grands partis politiques

et fait pression pour un réajustement des politiques publiques. C’est ainsi que David

Cameron est amené à tenir des propos teintés de xénophobie et de malthusianisme,

surtout à l’encontre des musulmans tenus peu ou prou pour responsables du terrorisme

qui se manifeste jusque sur le sol britannique. De là, bien sûr, des tensions avec les

minorités qui se sentent visées et qui n’apprécient guère le concept de « muscular

christianity », volontiers employé par les tenants d’une politique plus ferme en matière

d’intégration. Telle est l’ambiguité de la position de David Cameron désireux de se

concilier l’électorat populaire sans s’aliéner les minorités ethniques installées dans le

pays.

18 Lucienne GERMAIN eût sans nul doute apprécié cet ouvrage qui balaie son champ de

recherche d’élection du XVIIe au XXIe siècles. Nous souhaitons remercier ici les auteurs

des diverses contributions pour la générosité de leur réponse à notre appel et pour la

qualité des articles qu’ils soumettent ici au lecteur.

NOTES

1. Cf. Gilles LEYDIER, « The Jack of all trades, the master of one » in La Civilisation : objet,

enjeux, méthodes, Babel, n°9, Université du Sud Toulon-Var, 2004, pp. 8-10.

AUTEURS

SUZY HALIMI

Suzy Halimi est professeur émérite à la Sorbonne Nouvelle-Université Paris 3. Son champ de

recherche porte sur l’Angleterre des Lumières : civilisation et littérature. Elle est notamment

l’auteur d’un ouvrage intitulé La Grande-Bretagne ; Histoire et civilisation (1994) et d’une étude sur

L’enseignement supérieur au Royaume-Uni (2004). Elle a été Présidente de son université. Elle est par

ailleurs Vice-présidente de la Commission française pour l’UNESCO et Présidente de son Comité

Education.

DIDIER LASSALLE

Didier Lassalle est professeur de civilisation britannique à l’Université de Paris Est-Créteil (UPEC).

Ses travaux ont essentiellement porté sur l’intégration des minorités ethniques ainsi que sur

l’évolution des concepts de citoyenneté et d’identité nationale en Grande-Bretagne. Depuis

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8

quelques années, sa recherche a pris une dimension plus résolument comparatiste franco-

britannique. Il est l’auteur, dans ce domaine, de nombreux articles et de plusieurs ouvrages

individuels et collectifs, dont Les Relations interethniques dans l’aire anglophone : entre collaboration(s)

et rejet(s), l’Harmattan, 2009, en collaboration avec Lucienne Germain.

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9

HommagesTributes

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10

Lucienne à VilletaneuseMaurice Cling

1 Collègue et ami de Lucienne GERMAIN durant son activité dans le département

d’anglais, qu’il me soit permis d’évoquer ici le cas particulier de cette université créée

peu après les « événements » de 1968 dans la banlieue Nord. Elle était défavorisée, qu’il

s’agisse des conditions matérielles ou du nombre de postes d’enseignants. Qu’il suffise

de citer cette salle de classe où l’on avait placé une poubelle en plastique pour recueillir

l’eau de pluie qui tombait du plafond... Cette situation contribuait sans doute à créer

une atmosphère plus chaleureuse qu’ailleurs, entre collègues et envers les étudiants.

2 Pour qui avait enseigné précédemment à la Sorbonne, le contraste était frappant. On

était d’emblée adopté par ce noyau qu’avait constitué Monica CHARLOT quand lui fut

confiée à l’origine la création du département. Lucienne en faisait partie, avec d’autres

jeunes enseignants tels que Mary ROSSELIN, Arlette SANCERY et John HUMBLEY.

Équipe de pionniers, pour ainsi dire, dans un environnement parfois difficile, mais aussi

stimulant. C’est ainsi que nous avions institué dans la foulée de la Loi Faure une

direction collective, où la lectrice qu’elle était avait autant voix au chapitre que ses

collègues. S’y ajoutaient des réunions périodiques avec les étudiants, qui entretenaient

un climat favorable. Elle partageait avec la plupart d’entre nous un véritable feu sacré

pédagogique hérité des années précédentes, un goût de l’innovation qui se traduisait

par exemple par ces stages de formation continue que nous avions organisés

bénévolement avec nos collègues des lycées environnants, en dehors des heures de

travail. Nous nous informions mutuellement de nos recherches et connaissions ses

publications et sa participation au CRECIB. Dans ce réseau amical de collègues de

diverses disciplines, elle réunissait la compétence, la conscience professionnelle, le

talent pédagogique et une rigueur qui n’excluait nullement la gaîté. Appelée

ultérieurement à de hautes responsabilités à Paris VII, elle avait conservé une certaine

nostalgie de cette complicité affectueuse qu’elle avait connue dans cette période

exceptionnelle de sa carrière. Dans ses nouvelles fonctions, elle ne se départit jamais de

ces qualités dont elle avait fait preuve.

3 Ceux qui connaissaient les épreuves qu’elle avait connues dans sa jeunesse, sur le plan

familial et médical, admiraient aussi son courage, sa ténacité et ce dévouement sans

faille qui la caractérisaient. Pour ma part, je garderai d’elle le dernier souvenir : celui

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11

de son rire de bon cœur sur son lit d’hôpital, quand nous plaisantions peu avant que ne

s’éteigne cette flamme qui survit en nous.

AUTEUR

MAURICE CLING

Université Paris-Nord

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Merci LucienneBenoît Eurin

1 Merci Lucienne d’avoir accepté de rejoindre mon équipe, en tant que vice-présidente

en charge des relations internationales de l’université Paris Diderot. Tu avais envie de

t’investir dans le fonctionnement de notre Université et ce poste te convenait

parfaitement.

2 Les Relations Internationales, c’est un peu, toute proportion gardée, comme les affaires

étrangères d’un État, une sorte de domaine réservé du Président et pour qu’il n’y ait pas

de conflit, il faut qu’il y ait une bonne harmonie de travail à la tête de l’exécutif ce qui

fut le cas. J’appréciais ta polyculture liée à ton histoire familiale et personnelle et celle-

ci, de même que ton domaine académique naturellement très ouvert sur le monde, ont

été des atouts pour ta fonction que tu as très bien exercée.

3 Merci Lucienne de t’être autant investi pour Paris Diderot, ne ménageant pas ton temps

et cherchant toujours la perfection, ce n’était pas pour me déplaire. Les conventions

étaient bien préparées, bien négociées et, comme nous étions en accord, nous n’avions

plus qu’à nous déplacer chez nos futurs partenaires pour signer les documents. Certes,

parfois il y avait des imprévus, avec des partenaires très pointilleux et nous avons dû

progresser ensemble dans le domaine juridique. Heureusement, grâce à ta ténacité

nous arrivions à franchir les obstacles et nous étions contents de progresser et de

pouvoir, in fine, offrir à nos étudiants et à nos collègues des programmes d’échanges et

un cadre de coopération mutuel intéressant. Merci donc pour eux !

4 Merci Lucienne pour ces moments si sympathiques que nous avons passé pendant nos

déplacements. Tes fous rires étaient contagieux et cette détente suivant les périodes de

tension des cérémonies officielles et des négociations nous faisaient du bien. Ceci a

largement contribué à développer notre amitié. Les soirées utilisées à nous remémorer

les épisodes cocasses de la journée, chacun racontant la façon dont il avait vu et vécu

les évènements étaient très contributives. En particulier, au début nous avons

découvert la Chine en compagnie de Botao FAN, dans la droite ligne du Parti

Communiste Chinois, mais très gentil et dévoué pour son Président. Nous remarquions

ses travers qui nous amusaient même s’ils pouvaient être agaçants. Malheureusement,

Botao a lui aussi été emporté par la maladie un peu avant toi et nous en étions très

tristes. Tout était énorme en Chine, avec une assistance plus de 40 000 personnes pour

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la grande cérémonie des 110 ans de Wuhan. Mais les chinois sont très organisés et tout

se passait bien. Nous étions extrêmement pilotés voir surveillés, je sentais ton

agacement que je partageais mais j’étais plus philosophe et nous avons même réussi à

nous promener librement en ville.

5 Merci aussi Lucienne pour ces échanges devant des situations humaines difficiles à voir

comme la misère au Cambodge, c’est là qu’il est bien de ne pas être seul car la parole

avec les collègues réconforte.

6 Merci Lucienne pour nos discussions sur tous sujets, politiques, religieux et tu m’as

appris beaucoup sur la religion juive. C’est dire si rien n’était tabou dans nos

conversations. Nous n’étions pas toujours d’accord sur tous les sujets mais ces écarts de

point de vue participaient à l’intérêt de nos échanges.

7 Pour tout te dire, Lucienne, tu nous manques et, mon épouse Joëlle et moi, évoquons

souvent ta mémoire car l’amitié scellée pendant ces années a créé un lien fort qui

persiste malgré le temps qui passe.

8 Paris, le 25 octobre 2011

AUTEUR

BENOÎT EURIN

Président de l’Université Paris Diderot-Paris 7, de mars 2002 à mars 2007

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L'héritage historiqueHistorical legacy

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Doublement minoritaire : le cas deMatthew Mead, « independentminister » (c. 1630-1699)Doubly in the Minority: the Case of Matthew Mead, “Independent Minister”

(c. 1630- 1699)

Arlette Sancery

NOTE DE L’AUTEUR

« Independent » est, à l’époque, synonyme de « congregationalist ».

1 Le 6 février 1691, Matthew Mead prêchait à Stepney son célèbre sermon intitulé « Two

sticks made one » d’après Ezéchiel 37,191. Le prophète évoluait bien sûr dans un contexte

tragique, profondément différent de celui qui prévaut dans l’Angleterre du XVIIe siècle :

le royaume du nord a été anéanti presque un siècle et demi auparavant, et la

destruction de Jérusalem par les armées de Nabuchodonosor a eu lieu à deux reprises,

en 598 puis en 587. Chaque fois, une grande partie des survivants a été déportée

en Babylonie. La voix du prophète – qui a fait partie de la première vague de

déportation – s’élève alors pour annoncer – « Oracle du Seigneur » – que les ossements

desséchés seront revivifiés, que les deux morceaux de bois (sticks) séparés qui

représentent les deux royaumes d’Israël et de Juda « seront un dans ma main », que

l’unité – signe de la volonté de Dieu pour son peuple – reviendra, faisant la force du

nouvel Israël. Pour Matthew Mead, la division de ceux qui refusent de faire allégeance à

l’Église d’Angleterre et à ses évêques est une souffrance profonde. De plus, cette

division entraîne une grande faiblesse face au roi. Donc il s’appuie sur les accents et

l’ardeur du prophète pour prêcher en l’honneur de « the happy union », mouvement de

réconciliation entre presbytériens et congrégationalistes lancé par John Howe2 l’année

précédente. À peine quatre ans plus tard, tous les espoirs d’unité s’effondrent, au grand

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regret de Matthew Mead qui continuera inlassablement à plaider pour le

rapprochement jusqu’à sa mort en 1699.

2 Cet article n’est sans doute pas le lieu pour expliquer en détail les différences

théologiques entre les deux mouvements, dont les presbytériens représentent une forte

majorité, les « Independents » restant très minoritaires, même si les historiens

n’avancent pas de chiffres précis. En réalité, l’opposition est moins doctrinale – les deux

tendances restant proches du système calviniste – que pratique : leurs vues divergent

sur le mode de fonctionnement des communautés. En quelques mots, rappelons que les

Églises de la Réforme ne sont pas régies par un seul type d’organisation, car on ne peut

tirer des Écritures un seul modèle organisationnel. Au contraire, l’Histoire montre que

différents modèles peuvent exister et prétendre les uns et les autres à une légitimité

scripturaire. On peut en dégager trois principaux :

le système hiérarchique ou épiscopal conservé par l’Église anglicane. Là, l’autorité vient d’en

haut et se trouve déléguée vers la base. La structure hiérarchique est considérée comme

d’inspiration divine. C’est elle qui assure l’unité de l’ensemble ;

le système congrégationaliste, où chaque assemblée est l’Église. Elle s’organise et se

gouverne librement et noue des liens fraternels avec les autres assemblées. Une structure

fédérative peut exister pour assurer des tâches communes, mais elle est dépourvue de toute

autorité sur les églises locales, ne pouvant au mieux que formuler des recommandations ;

enfin, le régime presbytérien/synodal, où le mot « Église » recouvre à la fois l’église locale et

l’union des églises locales. Le gouvernement de l’Église n’est pas confié aux seuls pasteurs ou

ministres, mais à des « conseils presbytéraux » subordonnés aux synodes régionaux, eux-

mêmes dominés par le synode national. Aucune hiérarchie à caractère sacré dans ce

système, mais un principe de collégialité et des mandats électifs, fondés sur la doctrine du

sacerdoce universel.

3 C’est dans ce contexte, où le monde réformé cherche à tâtons une forme viable de

fonctionnement, qu’évolue Matthew Mead.

4 Que savons-nous de ce Puritain indomptable, aussi connu en son temps que Richard

Baxter3 mais aujourd’hui tombé dans l’oubli ? Et surtout, comment expliquer

l’impossible réconciliation de deux courants minoritaires sous le règne d’abord des

Stuart, puis celui de William et Mary après la Glorieuse Révolution ? C’est ce que nous

allons tenter d’expliquer.

5 Le Oxford Dictionary of National Biography comporte dès 1894 un article fourni consacré à

notre auteur et signé d’Alexander Gordon, lui-même connu pour ses études sur le

puritanisme anglais4. Il nous apprend de nombreux détails sur Mead, dont nous nous

contenterons aujourd’hui de résumer l’itinéraire exceptionnel. Son cheminement hors

du commun révèle sa force de caractère et son esprit d’indépendance. Né vers 1630

dans le Derbyshire, il est admis à Cambridge (King’s College) en 1649 mais refuse de

signer « the Engagement »5 et doit démissionner en 1651. Auparavant, il avait eu des

controverses avec plusieurs de ses condisciples, et sa réputation de polémiste le

précède à Londres où il va s’opposer à un autre grand dissenter6, William Greenhill qui

loge au presbytère et occupe l’après-midi la chaire de Stepney où Mead prêche le matin.

En 1658, il est nommé par Cromwell à la New Chapel de Shadwell (St Paul’s), charge qu’il

perd en 1660 avec la Restauration. Il obtient néanmoins un poste à la paroisse du St

Sépulcre de Holborn, dont il est chassé en 1662 par l’Acte d’Uniformité7. Le Five Miles

Act8 qui devient exécutoire en 1664 le conduit à s’exiler à Leyden, aux Pays-Bas, avant

de retourner plus ou moins légalement à Londres où il semble avoir vécu la Grande

1.

2.

3.

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17

Peste de 1665. En 1669, à Stepney, il devient l’assistant de Greenhill qu’il remplace à sa

mort en 1671, devenant ainsi titulaire de la congrégation la plus importante de la

capitale. Sa renommée de prédicateur est alors établie, comme le prouve la foule de

ceux qui se pressent à ses prêches. Sa paroisse lui fait construire une grande maison à

laquelle contribuent « les États de Hollande », où il abritera James Peirce, the Exeter

heretic, en 1680.

6 Sur la fin du règne de Charles II, les ennuis de Matthew Mead recommencent. Le roi est

perçu comme trop proche de Louis XIV et soupçonné de volontés absolutistes. Son

frère, le futur Jacques II, se convertit au catholicisme en 1673, ce qui exaspère une

partie de la population, en particulier les républicains – qui vont par la suite former le

parti Whig. Mead n’a pourtant aucun lien avec eux, mais fait l’objet d’une stricte

surveillance policière comme tous les non-anglicans. Plusieurs fois interpellé par la

police, il est finalement inculpé de complicité dans le complot de la Rye House9 qui va

permettre au roi d’opérer un vaste coup de filet pour se débarrasser à la fois des

opposants politiques et religieux. Arrêté et déféré devant le Privy Council en 1683, ses

réponses sont si claires et son innocence si évidente que le roi lui-même requiert sa

libération. En 1683, il succède à John Owen10 et prêche le mardi matin aux presbytériens

et congrégationalistes réunis à la guilde des marchands de Pinners’Hall. La fougue avec

laquelle il plaida un jour la cause de pasteurs réduits à la misère est restée célèbre :

émues aux larmes, les dames présentes déposèrent dans la corbeille leurs bagues et

leurs bijoux.

7 Après une nouvelle série de passages en Hollande, il revient en Angleterre en 1687

lorsque Jacques – devenu roi en 1683 – se déclare pour la liberté de conscience et

s’oppose au Parlement qui tient à la suprématie de l’Église anglicane. Après la Glorieuse

Révolution et l’avènement de William et Mary, Matthew Mead reprend son bâton de

pèlerin et se consacre à sa dernière cause : la réconciliation des deux branches

anglaises du protestantisme dissident, presbytériens et congrégationalistes. Déjà en

1683 il prêchait aux deux communautés réunies à Pinners’Hall, mais son sermon le plus

célèbre reste celui de 1691 d’après Ezéchiel, dont la dédicace commence par ces mots :

« The dissenting ministers of London, formerly called Congregationalists and Presbyterians, but

now known by the name of United Brethren… ». Déçu par l’échec du rapprochement tant

théologique que tactique qu’il souhaitait ardemment, il garde pourtant des amitiés

dans les deux camps et poursuit une correspondance suivie avec leurs représentants

dans les colonies américaines, en particulier avec la famille Mather. Sa quête obstinée

d’union, malgré les obstacles innombrables, lui vaut le respect de tous et se traduit par

les multiples témoignages de tristesse lors de sa mort en 1699. Cette brève biographie

ne donne qu’une idée approximative du talent d’orateur de Matthew Mead, pour qui un

sermon n’a pas seulement pour fonction d’expliquer l’Écriture – parfois ardue ou

obscure pour le commun des mortels – et d’affermir ou propager la foi chrétienne. C’est

aussi l’œuvre d’un artiste, d’un visionnaire, voire d’un prophète qui se veut, comme

Baxter, la plume du Seigneur. Pourtant, malgré tout son talent et sa perspicacité, Mead

échoue dans sa tentative de rapprochement. Comment pouvons-nous l’expliquer ?

8 La situation politique est très complexe en cette fin du XVIIe siècle anglais, tout autant

que la situation religieuse d’ailleurs, et les historiens d’aujourd’hui expliquent qu’on ne

peut séparer les deux domaines. Si aux yeux des Anglicans, les non-conformistes ne

forment qu’une seule masse vague, le mouvement puritain depuis une trentaine

d’années s’est subdivisé en plusieurs courants nés de profondes divisions doctrinales

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

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et/ou politiques, auxquels se surimposent des courants correspondants nés de

l’émigration outre-Atlantique avec lesquels ils restent en contact. Les Puritains des

débuts ne sont plus seuls. S’y sont ajoutés les Quakers, les Baptistes et de nombreuses

autres sectes. Lors de la Restauration de 1660, nous avons vu que Charles II avait rétabli

l’Église anglicane dans ses prérogatives d’avant la guerre civile (Acte d’Uniformité), ce

qui marginalise les dissidents. Cependant, la plupart des prédicateurs interdits

d’exercice continuent leur ministère « sous le manteau », malgré le Code de Clarendon11

complété par le Test Act12 qui tente de réduire au silence tous ces « schismatiques » et

de les exclure de la fonction publique. Paradoxalement, ce sont les manœuvres de

Jacques II pour imposer des nominations de catholiques à des postes de hauts

fonctionnaires, dans l’Armée et à l’Université, qui vont rapprocher les évêques

anglicans des non-conformistes et amener les plus intelligents d’entre ces derniers à

comprendre la nécessité de l’unité, d’autant que la révocation de l’Édit de Nantes en

1685 et l’afflux de réfugiés huguenots en Angleterre montrent que le Protestantisme

dans son ensemble est désormais menacé.

9 En effet, les archevêques et évêques anglicans eux-mêmes refusent en 1687 de lire la

Déclaration d’Indulgence en chaire, et Baxter comme Mead s’associent à eux, déclinant

de recevoir des mains d’un monarque ouvertement catholique des avantages et

privilèges qui les auraient encore plus éloignés des autres protestants. Lorsque le roi

fait emprisonner les sept évêques anglicans à la Tour de Londres, une délégation de dix

pasteurs non-conformistes leur rend visite en prison, événement impensable quelques

années plus tôt. Après l’acquittement des prélats, l’archevêque de Canterbury, Sancroft,

écrit dans sa lettre pastorale qu’il souhaite désormais voir le clergé traiter « their

dissenting brothers with great tenderness, to try to persuade them to conform, but in any case to

make common cause with them for the defense of the Reformed faith »13. Cet accès de bonne

volonté ne va cependant pas durer très longtemps, car Guillaume d’Orange qui monte

sur le trône après la chute de Jacques II est trop protestant, trop calviniste, aux yeux

des grands prélats, si bien qu’une majorité de la Haute Église refuse le Comprehension Bill

présenté à la Chambre des Lords en 1689. De même, l’énorme travail de la Jerusalem

Chamber Commission, imprégné de l’esprit de conciliation mis en avant par le futur

Archevêque de Canterbury, John Tillotson (de tendance latitudinaire), est refusé par les

Communes comme par les Lords. Le Parlement est dissout en 1690 et tout espoir de voir

les non-conformistes (dont le nombre est en forte augmentation, ce qui accroît encore

les réticences des Anglicans) rejoindre l’Église d’Angleterre est aboli14.

10 Avant sa dissolution, le Parlement avait toutefois voté l’Acte de Tolérance, considéré

par les parlementaires comme une concession amplement suffisante vis-à-vis des

dissidents. Tolérés, mais non acceptés à la communion anglicane, les deux plus grands

groupes dissidents commencent à envisager de s’unir, et traduisent cette idée dans les

faits en constituant une banque de ressources financières destinée à la formation de

leurs futurs pasteurs. La collecte des fonds est organisée par Matthew Mead pour les

Congrégationalistes et John Howe, passé des Indépendants aux Presbytériens. Un

Conseil d’administration réunit des membres des deux courants. John Howe propose

alors que les ministres du culte émanant de cette formation commune prennent le nom

de United Brethren, ce qui est accepté par environ cent membres du clergé à Londres. Ils

signent une charte extrêmement importante, intitulée « The Heads of Agreement assented

to by the United Ministers, in and about London, formerly called Presbyterian and

Congregational ». Ils y affirment qu’uniformité et unité sont deux notions différentes,

que certains points de divergence théologique ne peuvent pas être résolus d’un seul

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coup, qu’il vaut mieux ne pas clore la discussion, qu’une structure paroissiale assez

flexible est préférable à un cadre trop strict. La tendance générale est plutôt

congrégationaliste, mais sans rigidité. À la signature de la Charte à Londres en avril

1691, Matthew Mead et Baxter laissent éclater leur joie, peu de temps avant la

disparition de Baxter, qui meurt persuadé que la fédération est enfin une réalité, et une

réalité durable.

11 Malheureusement, le successeur de Baxter à Pinners’Hall, Daniel Williams, est un

polémiste qui accuse ses adversaires d’être des « Antinomiens », lui-même et ses

partisans se faisant traiter d’« Arminiens » et même d’« Unitariens ». Les deux groupes

se déchirent par des discussions théologiques effrénées, se séparent, et tout espoir

d’unité s’évanouit quatre ans plus tard. Le fonds commun est dissout et si les

Congrégationalistes continuent de se réunir à Pinners’ Hall, les Presbytériens préfèrent

désormais Salters’ Hall. Les Anglicans en profitent pour renouveler leurs attaques

contre les non-conformistes, ou ceux qui ne pratiquent qu’une conformité

occasionnelle. La recherche d’une solution qui aurait profité à tous disparaît devant la

soif de pouvoir et l’individualisme des dirigeants. Être membre d’une minorité, nous le

voyons, n’est en aucun cas une garantie de clairvoyance ou de bon sens. La division des

deux branches est visiblement mortifère et les dissidents courent le risque tout

simplement de disparaitre de la scène religieuse, privés de tous moyens de survivre.

L’ironie de l’histoire réside dans le fait qu’aux États-Unis d’Amérique, le modèle de

Charte (Heads of Agreement ), rejeté en Angleterre, allait au contraire faire florès, peut-

être d’ailleurs sous l’influence de Matthew Mead qui rédige une préface à la vie de

Nathaniel Mather15, avec qui il avait entretenu une correspondance. Sans que Matthew

Mead le sache, les dissenters allaient devoir attendre la mort de la reine Anne, leur

farouche ennemie, et l’accession au trône d’Angleterre des premiers rois de Hanovre en

1714 pour obtenir enfin la tolérance.

NOTES

1. Toutes les citations de la Bible en français moderne sont tirées de la TOB ( Traduction

œcuménique de la Bible), éd. Le Cerf, Paris, 1972 pour le Nouveau Testament et 1975 pour l’Ancien

Testament.

Pour ses propres citations, Matthew Mead n’utilise pas la Bible de 1611 (King James’Version), mais

préfère la version anglaise de la Bible de Genève, dite Puritan Bible, London, 1588 « Imprinted in

London by the deputies of Christopher Barker ».

2. John Howe (1630-1705) fut brièvement aumônier de Cromwell. Théologien et instigateur du

mouvement presbytérien en Irlande, il fit partie de la délégation envoyée accueillir Guillaume

d’Orange en 1688.

3. Richard Baxter (1615-1691), un des plus grands théologiens et prédicateurs protestants,

respecté même de ses adversaires. Le juge Jeffreys s’acharne sur lui et l’envoie en prison à 70 ans.

Des anglicans comme des puritains assisteront à ses funérailles.

4. Alexander GORDON, English Presbyterianism, The Christian Life, London, 1888.

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5. « L’engagement » était celui d’utiliser le Book of Common Prayer (BCP) de règle à King’s et refusé

par les dissenters. Atténuées sous Cromwell (1599-1658), les pressions visant à rendre son usage

obligatoire reprennent de plus belle à la Restauration.

6. Pour une définition plus fine du terme de « dissenter », par opposition à « nonconformist », on

peut se référer à l’ouvrage de Paul SANGSTER, History of the Free Churches, London, 1983.

7. Act of Uniformity : CharlesII refuse la liberté de conscience aux non-conformistes. En 1661, le

« Cavalier Parliament » propose de rendre obligatoire le BCP pour tous les Ministres du culte,

proposition qui devient loi l’année suivante sous le nom d’Acte d’Uniformité. Les Puritains

l’appellent « Bartholomew’s Act », en référence à la St Barthélémy de sinistre mémoire, la loi

devenant exécutoire le 24 août 1662. Elle fait obligation de réordonner tous les ministres du culte

ne l’ayant pas été par un évêque et de « déjurer » (unswear) le serment prêté à la « Solemn League

and Covenant » depuis 1642. En conséquence, 1/5e des membres du clergé puritain sont

« éjectés » (the Great Ejectment), dont 1 285 diplômés de l’Université, parmi lesquels de très grands

noms.

8. Five Miles Act (Oxford Act ou Nonconformists Act) : passée sous Charles II en 1665 cette loi

interdisait aux dissenting ministers de résider à moins de 8km d’une paroisse d’où ils avaient été

chassés. Ils ne pouvaient y retourner que s’ils adoptaient le BCP et promettaient de ne plus

s’opposer au roi et à son gouvernement de l’Eglise et de l’Etat

9. Rye House plot (1683) : complot avorté contre le roi et son frère, qui donne lieu de la part des

Tories à une répression sévère. Cela explique le mécontentement populaire qui s’exprime lors de

la Glorious Revolution de 1688.

10. John Owen (1616-1683) très grand prédicateur calviniste.

11. Clarendon Code : il comprend les 4 statuts passés en 1661 et 1665.

12. Test Act : en 1673 puis en 1678, cette loi impose à tous les non-anglicans, catholiques comme

dissenters, de recevoir la communion selon le rite anglican et de répudier la transsubstantiation.

13. William Sancroft, 1617-1693. Doyen de St Paul en 1664, contribue à sa reconstruction après le

Grand Incendie de Londres. Nommé archevêque de Canterbury en 1677, il préside au

couronnement de Jacques II mais s’oppose à lui sur la Déclaration d’Indulgence et est

emprisonné. Il s’opposera également à Guillaume d’Orange et sera suspendu de ses fonctions en

1690, pour être remplacé par Tillotson.

14. Pour davantage de détails on peut se référer à Thomas MACAULAY, History of England, London,

1848, encore considéré aujourd’hui comme digne d’intérêt pour sa recherche approfondie de la

période, malgré son parti-pris whig.

15. Mort en 1688, fils du grand Increase Mather et frère de Cotton Mather.

RÉSUMÉS

Faut-il être doublement minoritaire en Angleterre à la fin du XVIIe siècle pour mieux apprécier

les vertus de l’adage : l’union fait la force ? Il semble que ce soit le cas d’un prédicateur

presqu’oublié de nos jours, Matthew Mead, né vers 1630 et mort en 1699. Appartenant au

mouvement dissident fortement opposé aux Anglicans mais minoritaire après la mort de

Cromwell, Matthew Mead vit les années tumultueuses de la Restauration et du retour de la

monarchie Stuart au pouvoir, avant que la Glorious Revolution ne la chasse. Conscient de la

faiblesse politique des « Independents » (congrégationalistes) dont il est l’une des grandes voix, il

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ne cesse de prêcher en faveur de « the happy union », mouvement de réconciliations entre

presbytériens et congrégationalistes. L’échec de ses espoirs n’atténue en rien sa popularité, qui se

manifeste en particulier lors de ses funérailles où les adversaires se retrouvent dans un même

chagrin.

At a time in England when religion cannot be dissociated from politics, Independent minister

Matthew Mead (c.1630-1699) is nowadays almost forgotten, contrary to Baxter, another great

voice among dissenters. Yet, he knew that all dissenters had to unite if they wanted to influence

the leading politico-religious streams after the eviction of the Stuart monarchy following the

Glorious Revolution. Hence his efforts, mostly through his preaching, to persuade both

Congregationalists and Presbyterians to join “the happy union”. His failure does not put an end

to his renown, as shown by the crowds who met at his funeral service.

AUTEUR

ARLETTE SANCERY

Arlette SANCERY, agrégée d’anglais en 1961, exerce d’abord en lycée puis comme Assistante à

l’université de Nanterre. En 1972, elle est nommée Maître Assistante à Paris XIII Villetaneuse où

elle rencontre Lucienne Germain, alors jeune lectrice. C’est le début d’une amitié qui durera

jusqu’au décès de Lucienne. Après plus de 22 ans passés à Villetaneuse, où elle est successivement

chef du département d’anglais, assesseur auprès du directeur de l’UFR, présidente de la

commission de la pédagogie de l’Université, Vice-présidente auprès du Président Cornillot et

membre de la commission des relations internationales de Paris XIII, A. SANCERY obtient sa

mutation à l’Université Paris IV-Sorbonne. Elle y finira sa carrière à l’UFR d’anglais tout en

exerçant des responsabilités au sein du Bureau des relations internationales sous la présidence

de JR Pitte.

Formée à la phonétique anglaise sous la direction du professeur Gimson à University College,

Londres, son domaine de prédilection reste la linguistique historique vers laquelle Marguerite-

Marie Dubois, puis André Crépin de l’Université Paris IV la guident. L’histoire des mouvements

religieux et l’évolution de la pensée religieuse en Angleterre du Moyen Age à la Réforme forme

son 3e axe de recherche. L’article présenté aujourd’hui en hommage à Lucienne Germain se situe

dans ce cadre.

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La minorité irlandaise à Londres auXVIIIe siècleThe Irish Minority in London in the 18th Century

Suzy Halimi

1 Le problème des minorités et de leur intégration dans la société environnante, celui des

immigrants et de leurs relations avec la société d’accueil, remontent à la plus haute

Antiquité. Qu’on se souvienne des Hébreux en Égypte : reçus d’abord comme une main

d’œuvre bienvenue, utile à l’économie du pays, ils sont regardés avec suspicion quand

ils commencent à prospérer, parqués dans la région de Goshen – le premier ghetto de

l’Histoire – et réduits en esclavage par le Pharaon, jusqu’à l’intervention de Moïse, qui

les libère de « la maison de servitude ». Aujourd’hui, alors que la mondialisation

favorise les mouvements de populations, la question des minorités ethniques,

religieuses, linguistiques se pose avec plus d’acuité que jamais, liée à celle du

multiculturalisme et des identités nationales.

2 Dans l’Angleterre du XVIIIe siècle, Londres connaît un fort taux de mortalité dû à la

combinaison de divers facteurs : surpeuplement des quartiers les plus pauvres,

insalubrité, épidémies, famines, consommation excessive de gin de mauvaise qualité,

etc. On l’appelle « le monstre dévorant » (the devouring monster). Si sa population se

maintient à peu près, malgré cette hécatombe, c’est grâce aux immigrants de province

ou d’ailleurs, qu’elle attire en leur offrant l’espoir de conditions de vie et de travail plus

favorables que dans les pays d’où ils viennent.

3 L’Irlande, qui n’est pas encore rattachée institutionnellement à sa grande voisine – elle

ne le sera que par l’Acte d’Union de 1801 – vit néanmoins sous son joug économique. Sa

production textile est bridée par les Actes de Navigation de 1651 et 1660, qui lui

interdisent d’exporter ailleurs qu’en Angleterre ; son agriculture est largement aux

mains de grands propriétaires terriens d’origine anglaise qui pressurent leurs fermiers

irlandais et ne consomment même pas sur place le revenu de leurs fermages1. Les

paysans, qui ont de plus en plus de mal à survivre sur des lopins de terre de plus en plus

exigus à mesure que croît la population, s’expatrient, qui vers les colonies américaines,

qui vers le pays voisin, alors en pleine expansion économique.

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4 Qui sont-ils ces Irlandais qui viennent à Londres pour y chercher un asile temporaire ou

définitif ? Comment et de quoi vivent-ils dans la capitale ? Quelles sont les attitudes à

leur égard de la société qui les accueille en son sein ? Tels sont les trois points qui

seront examinés ici.

Les Irlandais à Londres au XVIIIe siècle : essai detypologie

Cette communauté ne forme pas un tout homogène.

Les hommes de lettres et les artistes

5 Il convient d’abord de mettre à part une mince frange de cette population : celle des

écrivains et artistes attirés par la capitale, où ils espèrent que leur talent sera reconnu.

De même que Samuel Johnson quitte sa ville de Lichfield, Tobias Smollett son Ecosse

natale pour « monter » à Londres, il y a aussi des Irlandais qui regardent vers le miroir

aux alouettes de la métropole, comme tous les Rastignac du monde. Beaucoup

déchantent et viennent grossir les rangs des besogneux de Grub Street2, immortalisés

par William Hogarth dans son tableau intitulé The Distressed Poet. Mais il en est tout de

même qui réussissent et dont le nom est passé à la postérité. Jonathan Swift est sans

doute le plus célèbre d’entre eux. Né à Dublin en 1667, il fait carrière en Angleterre,

mettant sa plume acérée au service des hommes politiques et des causes qu’il entend

défendre, avant de revenir au bercail, comme doyen de Saint Patrick. En 1724, il prend

la défense de son pays natal dans les célèbres Drapier’s Letters3.Oliver Goldsmith, fils

d’un pasteur irlandais, vient lui aussi tenter sa chance à Londres et 1756. Il y fréquente

les cercles littéraires à la mode ; les grandes revues lui ouvrent leurs colonnes ; son

nom reste attaché à quelques œuvres célèbres, un roman The Vicar of Wakefield (1762),

une pièce de théâtre She Stoops to Conquer (1773), et The Citizen of the World (1762),

correspondance imaginaire entre un voyageur chinois à Londres et ses amis restés au

pays, dans le style des Lettres persanes de Montesquieu. Plus tard dans le siècle, Maria

Edgeworth, fille d’un éducateur irlandais, publie Castle Rackrent (1800), tableau sans

concession des exactions des propriétaires fonciers en Irlande et The Absentee (1812),

dont le héros, affligé d’une épouse irlandaise honteuse de ses origines, essaie en vain de

forcer les portes de la bonne société anglaise. D’autres écrivains sont moins connus,

voire totalement oubliés aujourd’hui, comme le dramaturge Charles Macklin ,

originaire du comté de Roscommon, qui connut une gloire éphémère sur les scènes de

la capitale avec deux pièces intitulées Love à la Mode (1750) et The True-born Irishman

(1783), ou encore Thomas Sheridan – à ne pas confondre avec son homonyme, Richard

Brinsley Sheridan – auteur de The Brave Irishman. A Farce (1738). Célèbres ou non, tous

ces Irlandais ne constituent qu’une infime partie de la communauté installée dans la

capitale.

Les ouvriers et les indigents

6 Plus nombreux, plus visibles aussi dans leur spécificité sont les ouvriers qui viennent

chercher du travail à Londres, fuyant la misère qui est leur lot en Irlande. Des

descriptions de cette misère, on en trouve sous la plume de tous les voyageurs qui

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visitent le pays. Dans une lettre au comte de Peterborough datée du 28 avril 1726, Swift

raconte qu’il n’est pas un fermier sur cent qui soit en mesure d’acheter des chaussures

et des bas à ses enfants, de consommer de la viande ou de boire autre chose que de l’eau

et du petit lait ; et il ajoute : « le royaume tout entier est un spectacle de misère et de

désolation sans égal de ce côté-ci de la Laponie4 ». Cinquante ans plus tard, Arthur Young ne

constate guère d’amélioration. Lui aussi voit des enfants pieds nus, des chaumières

misérables aux murs de boue pétrie avec de la paille, avec une seule pièce où tous les

membres de la famille dorment sur des paillasses. Mais sa conclusion est bien différente

du pessimisme de Swift : il admire la belle santé de ces paysans et s’attarde à décrire

« leurs corps vigoureux, bien formés, leurs masures grouillantes d’enfants, des hommes

athlétiques, de jolies femmes », tout en se demandant comment ils peuvent subsister

sur une nourriture aussi pauvre5. Ce sont ces malheureux qui vont alimenter une

émigration temporaire ou définitive vers l’Angleterre. Des Irlandais à Londres, il y en a

depuis le XVIIe siècle, dans l’industrie textile, en particulier le tissage de la soie qui fait

la renommée du quartier de Spitalfields. On les trouve aussi dans le secteur du

bâtiment, où l’on apprécie cette vigueur physique signalée par Arthur Young. Or, on

construit beaucoup dans la capitale georgienne : la ville s’étend vers l’ouest, où se

développent les magnifiques squares à l’architecture palladienne. Pour la même raison,

les Irlandais trouvent du travail dans les docks et chantiers navals de la Tamise. Enfin, à

l’époque des moissons – car la campagne est aux portes de la capitale au XVIIIe siècle –

des ouvriers agricoles irlandais prêtent leurs bras aux travaux des champs. Ils viennent

parfois avec leur famille et restent sur place, la fenaison terminée ; d’autres s’en

retournent au pays. Main d’œuvre éphémère ou permanente, ces immigrés apportent

une contribution appréciable, et appréciée, à la vie économique de la capitale. Et puis il

y a tous ceux qui, venus sans qualification particulière, subsistent de petits boulots –

marchands ambulants de fruits et légumes, portefaix, colporteurs, etc. Leur existence

est précaire, et bien souvent, le vol est leur seul recours. Ils appartiennent alors à cette

catégorie que Dorothy George appelle « les mendiants professionnels6 ». Entre mendier

et voler, la frontière est floue, et pas seulement chez les immigrés irlandais.

Comment vivent-ils : essai de géographie sociale :Little Irelands

7 Et d’abord, combien sont-ils ? Il est difficile, voire impossible, de répondre à cette

question, concernant une époque où les recensements officiels n’existent pas encore7,

où les données statistiques, économiques surtout, sont rares et peu fiables. Ici et là, on

rencontre quelques témoignages de contemporains, forcément partiels et partiaux, qui

ne sauraient constituer des documents scientifiques. Ainsi, vers 1750, l’évêque Berkeley

déclare-t-il que Londres est devenue la capitale irlandaise, boutade sans fondement

sérieux, mais qui peut témoigner de son rejet de ces étrangers8. Utilisant quelques

archives plus fiables, Dorothy George avance le chiffre de 5 000 saisonniers venant l’été

participer aux travaux de la moisson. On dispose en revanche de plus de précisions sur

les quartiers de la capitale où ils se regroupent, comme toutes les minorités ont

tendance à se rapprocher pour se sentir moins fragiles ou pour préserver leur

spécificité culturelle. En dehors des secteurs où leur main d’œuvre est requise, comme

les beaux quartiers en construction, ou encore Wapping, Shadwell sur les bords de la

Tamise, pour les dockers, on trouve surtout les immigrés irlandais dans les parties les

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plus pauvres de l’East End. Ce qu’on pourrait appeler « le ghetto de la misère » s’étend

sur St Giles, Saffron Hill, Marylebone, Paddington, Whitechapel. Taudis à bon marché,

repaires de tous ceux qui ont maille à partir avec la justice, c’est, sans grand

changement, le Londres que décrira quelques années plus tard Dickens dans Oliver

Twist.

Les visages de la pauvreté

8 Ici, les informations ne manquent pas, sous la plume de témoins contemporains,

voyageurs anglais ou étrangers, travailleurs sociaux, horrifiés devant la dégradation

des conditions de vie dans ces quartiers. Quelques visiteurs comme Peter Kalm ou

P.J. Grosley nous livrent leurs impressions au milieu du siècle9 Mais c’est dans les

dernières décennies que sont conduites les premières enquêtes, parfois à la demande

du Parlement, au moment où le fardeau des charges sociales devient intolérable. The

State of the Poor, ouvrage-référence de Sir Frederic Morton Eden paraît en 1797. Deux

ans plus tard, Patrick Colquhoun, publie The State of Indigence… Casual Poor in the

Metropolis explained (1799) et il poursuit son étude avec Police of the Metropolis (1800) et

Report on Education (1816). Les témoignages de ce genre sont tout à fait dignes de foi ;

écoutons-les.

9 Montagu Burgoyne, secrétaire de la Calmel Society, visitant la colonie irlandaise de

Marylebone, rapporte que quelque 700 personnes y vivent dans 24 petites maisons, à

trois ou quatre familles par pièce, avec une centaine de porcs évoluant au milieu du

quartier ! Il conclut : « Je n’ai jamais vu tant de pauvres et, parmi eux, tant de détresse,

tant de délinquance, tant d’ignorance10 ». Voilà qui corrobore le récit d’un voyageur

français, Simond, cinq ans auparavant : « très pauvres, très sales, très turbulents. Nous

n’aurions jamais cru qu’il y eût de telles épaves à Londres, si nous n’avions pas résidé

par hasard dans Orchard Street, à Portman Square, par ailleurs un des quartiers les plus

chics de la capitale11 ». Ce témoignage montre que ces rues lépreuses pouvaient jouxter

des artères beaucoup plus résidentielles, d’où, nous le verrons, l’inquiétude de ces

Londoniens cossus devant les risques liés à cette proximité.

10 Quand, des décennies plus tard, Charles Booth mène la première grande enquête

sociologique publiée sous le titre Life and Labour of the People of London (1903) c’est le

fruit de dix-sept ans de travail de toute une équipe, qui, inspectant les taudis de

l’Angleterre victorienne, ne fait que constater l’héritage de la génération précédente.

C’est rue par rue qu’il dresse une image de Londres et dans les quartiers les plus

misérables, ceux qui sont colorés en noir sur la carte, ce sont bien souvent des Irlandais

qu’il y rencontre. Accompagnons ces enquêteurs dans Shelton Street. Au numéro 2, au

rez-de-chaussée, vivent un certain Mr. Mulvaney et sa femme. Ils s’y sont installés alors

que les maisons tombaient déjà en ruine. Au troisième étage, deux petites pièces

mansardées : dans l’une, un couple avec trois enfants ; dans l’autre, deux femmes. La

chambre qui abrite la famille est d’une saleté repoussante, grouillant de vermine. Les

deux voisines vivent de mendicité. Tous ces gens sont des Catholiques irlandais. Et le

film de la misère se déroule, immeuble après immeuble, avec les mêmes détails

accablants : « les occupants vivaient comme des porcs ; spectacles et odeurs donnaient

la nausée. » Arrivé au numéro 6, l’enquêteur doit devoir préciser, devant l’insoutenable

monotonie de son rapport : « Je vais peut-être mette à l’épreuve la patience de mes

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lecteurs, mais mon but est de montrer la rue et ses résidents tels qu’ils étaient, non pas

comme une sélection d’exemples, ni comme le simple résultat d’une moyenne12 ».

La délinquance

11 De la pauvreté à la délinquance, il n’y a qu’un pas. On sait comment les héroïnes de

Defoe, Moll Flanders la voleuse et Roxana la prostituée, justifient leurs manquements à

la morale : c’est la Nécessité (Necessity) – ce qui, dans leur bouche, signifie la misère –

qui est responsable de leur déchéance. Les Irlandais de Londres pourraient sans doute

dire la même chose. Ils défraient souvent la chronique judiciaire et on les trouve dans

les registres de l’Old Bailey et des assises trimestrielles de la capitale (Quarter Sessions)

Tous les chefs d’accusation se retrouvent liés à leur nom : le vol, bien sûr, mais aussi la

boisson, qui permet d’oublier pour un temps sa détresse ; le jeu qui offre la tentation de

quelque gain ; la prostitution, seul moyen de survivre pour certaines femmes.

12 Querelleurs, chatouilleux sur leur honneur, solidaires quand l’un d’eux est en difficulté,

ils se font remarquer dans les scènes de violence qui sont le lot quotidien de la capitale

au XVIIIe siècle. Quand un « paddy », effigie de l’Irlandais en caricature, est brûlé le jour

de la St Patrick, en 1740, par des garçons bouchers, tous les étals de boucherie de Clare

Market sont mis à sac. En 1763, dans le cadre de la très contestée élection de

Westminster, une bataille rangée oppose marins et porteurs de chaises à Covent

Garden ; là encore, les fauteurs de trouble sont irlandais. Les pages de la presse de

l’époque sont émaillées de ces faits divers. The Rookery, dans St Giles est le repaire de

tous ces aigrefins et l’on ne s’y aventure pas aisément. Montagu Gore en parle en ces

termes en 1850, ajoutant que son témoignage serait tout aussi valable s’il s’agissait du

siècle précédent : « Les Irlandais venant à Londres semblent considérer la capitale comme une

ville païenne, et s’y adonnent à des comportements inconsidérés et à la délinquance… La misère,

la saleté, le surpeuplement des chaumières irlandaises se retrouvent à St Giles. La pureté des

femmes, qui fait la fierté des historiens irlandais, n’est ici que pure fiction13 ».

Comment les Anglais réagissent-ils face à cette minorité irlandaise ?

Intégration ou rejet : les attitudes de la sociétéd’accueil

13 Comme on peut s’y attendre, la réaction n’est pas monolithique. Elle varie en fonction

de la contribution que les immigrés apportent à la vie du pays et surtout des difficultés

que leur présence peut créer au quotidien dans les paroisses où ils sont implantés.

Un accueil plutôt positif

14 Pas de traitement spécial pour les écrivains et les artistes qui viennent tenter leur

chance dans la capitale. La critique les encense ou les écharpe comme leurs confrères

anglais, sans référence à leurs origines géographiques. Les réactions concernent

surtout les autres catégories sociales. Au milieu du siècle, Saunders Welch, magistrat,

fait la différence entre les travailleurs, les labouring poor, comme on les appelle à

l’époque, et les autres :

Les Irlandais des catégories sociales inférieures importés dans ce royaume sontceux qui viennent chaque année travailler aux moissons, et lorsque celles-ci sont

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terminées retournent dans leur pays avec le fruit de leur labeur. Ce sont de bonsserviteurs, fidèles et utiles au fermier. Rendant un grand service au royaume, ilsméritent d’être protégés et encouragés. Les autres sont des individus rendusdésespérés par leurs méfaits et dont le séjour en Irlande n’offre plus de sécurité… Ilsviennent à Londres pour y commettre leurs méfaits. Londres sert d’asile à cesbandits… Irlandais ou Anglais14.

15 La fin de la citation montre qu’il n’est pas d’animosité particulière à l’égard des

Irlandais, pas de racisme chez ce magistrat soucieux d’abord de lutter contre la

violence dans la capitale, quels qu’en soient les auteurs.

16 Pour anecdotique qu’il puisse paraître, l’effort de Thomas Sheridan pour aider ses

compatriotes à mieux s’intégrer à la société anglaise, mérite d’être mentionné. En 1790,

il fait paraître un dictionnaire de la langue anglaise, avec un appendice significatif :

« règles à observer par les natifs d’Irlande pour acquérir une juste prononciation de l’anglais ».

Tel n’était sans doute pas le souci majeur des malheureux entassés dans les ghettos de

la misère que l’Angleterre victorienne appellera « Petites Irlandes (Little Irelands) ».

Pour les aider se crée, en 1799, la Calmel Society, du nom du quartier de Marylebone,

derrière Orchard Street, non loin de Portman Square, quartier mentionné à maintes

reprises par les témoins de l’époque pour son extrême destitution. Le secrétaire de la

société, Montagu Burgoyne, dresse une description détaillée de ces taudis devant le

Comité pour la mendicité, au tout début du XIXe siècle. Dans le rapport sur l’éducation,

qu’il produit en 1816, il s’attarde sur le spectacle affligeant de ce secteur de la capitale :

« Je n’ai jamais vu tant d’indigents, tant de détresse, tant de délinquance, tant

d’ignorance15. » La Calmel Society distribuera de l’aide, et surtout scolarisera quelque

400 enfants dans des écoles catholiques ; mais vu l’ampleur du problème, elle ne

réussira pas à éradiquer la misère des Calmel Buildings. L’effort, néanmoins, mérite

d’être souligné, comme une réaction positive, constructive, dans un océan

d’indifférence, voire d’hostilité.

La caricature littéraire

17 C’est entre les deux qu’il faut situer la caricature de l’Irlandais qui apparaît dans la

littérature de l’époque. Le croquis de James Gillray, intitulé Paddy on Horseback (1779),

illustre bien le stéréotype de l’Irlandais, tel que les Anglais peuvent le voir au théâtre

ou dans les romans de l’époque : imposant par sa stature, hirsute, en haillons, il

transporte dans sa besace des pommes de terre, nourriture de base des pauvres paysans

irlandais. Démuni, l’Irlandais s’est acquis une solide réputation de coureur de dots

anglaises. Ainsi le personnage de Gillray arrive-t-il à Londres avec une liste de riches

héritières à séduire. Ce dernier trait ne pouvait manquer de retenir l’attention des

dramaturges et des romanciers, auxquels il fournit un commode ressort à l’action.

Qu’on se souvienne du portrait de Mr Fitzpatrick, dans Tom Jones. Il est introduit en ces

termes : « ce gentilhomme était de ceux que les Irlandais appellent caballero, ou cavalier. Frère

cadet d’une bonne famille, sans aucune fortune dans son pays, il se trouva dans l’obligation d’en

chercher une ; ce pourquoi, il se rendait à Bath, pour tenter sa chance aux cartes et avec les

femmes16. » Le récit des événements qui entourent cette rencontre du héros avec ce

personnage haut en couleurs montre aussi son caractère ombrageux et colérique. Que

Fielding introduise un tel personnage dans son roman n’est pas tout à fait anodin, lui

qui a été confronté au problème des Irlandais à Londres au cours de ses fonctions de

magistrat de Westminster. Smollett place un individu du même genre sur la route des

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membres de la famille Bramble dans Humphry Klinker (1771). À Berwick, ils rencontrent

un Irlandais de belle taille en compagnie d’une jeune héritière qu’il emmène en Écosse,

pour l’épouser, devant un ecclésiastique qui ne s’encombrerait pas des « formalités

exigées par la loi anglaise ». Mais son plan échoue quand un témoin de la scène

murmure à l’oreille de la dame que son soupirant n’est qu’un modeste tailleur, surtout

amoureux de sa fortune17. Mais le public qui sourit devant la déconfiture du coureur de

dot privé de sa proie, ne rit plus du tout quand il s’agit des Irlandais qui hantent les

rues de Londres, vivant d’aumônes et d’expédients. Cette minorité pose à la société

d’accueil un triple problème, sanitaire, économique et d’ordre public. Graham Davis

qualifie de « racisme anti-irlandais » les comportements négatifs des Londoniens à son

égard18.

18 Le problème religieux ne semble pas être le plus important, car nombre de ces

malheureux contraints à immigrer vers l’Angleterre et les colonies sont protestants, les

Catholiques restant attachés à leur sol et à l’héritage de leurs ancêtres, quitte à

accepter le grand dénuement décrit par Arthur Young, quand il visite l’Irlande. Mais le

stéréotype de l’Irlandais suppôt du papisme a la vie dure dans l’inconscient collectif. En

1773, Thomas Secker publie Five Sermons against Popery. En 1780, on trouve dans les faits

divers le passage en jugement d’une certaine Susannah Clark, pour avoir mis le feu à un

pub de Golden Lane. La prévenue justifie son geste par ces mots : « C’était une maison de

Catholiques romains ; il n’y avait là que des Catholiques romains. Il fallait la détruire […] Il y

avait eu une veillée irlandaise en ces lieux et la maison devait être démolie19. » En cette même

année 1780, Londres s’enflamme avec les Gordon Riots, manifestation violente anti-

catholique qui dure plusieurs jours, pendant lesquels la capitale est mise à sac par les

émeutiers20. Cette hostilité contre les Irlandais catholiques trouve un écho amplifié au

moment de la Rébellion de 1798, soutenue par la France révolutionnaire, qui envisage

même une invasion de l’Angleterre avec le soutien des Irlandais. La religion prend alors

plus d’importance dans la caricature de L’Irlandais dans les romans des années 90,

comme Lord Fitzbury (1794) d’Elizabeth Gunning ou The Irish Heiress (1797), de Mrs. F.C.

Patrick.

19 Ostracisée, regardée avec suspicion, la minorité irlandaise l’est aussi pour des raisons

économiques. Dans les rangs des classes populaires, on lui reproche - c’est classique - de

prendre le travail des ouvriers anglais, en acceptant de travailler à moindre prix. En

1736, ce sont les soyeux de Spitalfields qui sont pris à partie pour cette raison. Sir

Robert Walpole écrit une lettre à son fils, où il précise que les mêmes griefs sont

retenus contre les ouvriers du bâtiment : « On construit une nouvelle église à Spitalfields où,

me dit-on, les contremaîtres ont renvoyé sur-le-champ un grand nombre d’ouvriers de toute

sorte pour embaucher… des Irlandais travaillant pour un salaire inférieur de plus d’un tiers21 ».

20 Les ouvriers qui s’estiment privés de leur gagne-pain par cette concurrence déloyale ne

sont pas les seuls à protester. À l’autre bout de l’échelle sociale, on se plaint plutôt du

fardeau que représentent ces indigents irlandais. En effet, à la différence des immigrés

juifs, tout aussi démunis mais pris en charge par leurs coreligionnaires, ils sont à la

charge des paroisses obligées, depuis la loi de 1601 (Poor Law Act) , de venir en aide aux

pauvres résidant sur leur territoire. En 1799, Patrick Colquhoun évalue à 2 000 livres le

montant de l’impôt consacré en 1796 au soutien de quelque 1 200 réfugiés irlandais, et

il ajoute que c’est là de l’argent gaspillé en pure perte : « au lieu de rendre service, cette

lourde somme cause plutôt du mal, car elle est dépensée à la taverne22 ». Semblable doléance

se fait entendre à Liverpool, à Manchester, où se trouvent d’autres colonies

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d’immigrants irlandais et où, comme à Londres, on redoute de voir s’effondrer le

système de l’assistance publique sous le poids de ce fardeau.

21 Menace économique, cette minorité irlandaise est aussi accusée de créer un problème

de santé publique. Tous ceux qui ont décrit ces taudis insistent sur la saleté des lieux

dévorés par la vermine. Quelques années plus tard, dans l’Angleterre victorienne, le

« roi Choléra » fera des ravages à plusieurs reprises dans la capitale. Le mal est déjà là,

en germe dans ces quartiers vétustes et insalubres à l’époque georgienne et qui ne

s’amélioreront point avec le temps. Par ailleurs un autre fléau menace la santé du pays

et de ses habitants, c’est la prostitution, mal répandu dans la capitale et là, encore les

femmes amenées à vivre du commerce de leur corps sont nombreuses dans les rangs de

la communauté irlandaise. À l’égard de ces malheureuses, le ton oscille entre

l’apitoiement et la condamnation. Mais la prostitution est aussi un délit aux yeux de la

loi. Elle vient s’ajouter à la liste des méfaits dont se rendent coupables les Irlandais qui

naviguent, comme nous l’avons vu, entre pauvreté et délinquance. Magistrats pour

Westminster, Henry Fielding et son frère John rencontrent forcément le problème dans

l’exercice de leurs fonctions. Compatissant, le romancier se demande si ces malheureux

sont plutôt à plaindre ou à blâmer. Quand il écrit An Enquiry into the Causes of the Late

Increase of Robbers, en 1751, il essaie de sensibiliser au problème et à ses conséquences

potentielles ceux de ses riches compatriotes, qui habitant les beaux quartiers, semblent

l’ignorer ou en tout cas s’en désintéresser. Et il ajoute, dans une note de bas de page,

que la plus grande partie des misérables dont il fait état sont des Irlandais23. Pour

enrayer le fléau, Fielding prône une (re)mise en vigueur des lois sur le vagabondage, ce

qui permettrait aux paroisses de reconduire hors de leur territoire tous ceux qui ne

rempliraient pas les conditions prévues par la loi pour être éligible à l’aide apportée par

l’assistance publique. Rien d’efficace ne sera fait, en fait, avant la grande loi de 1834,

(The Poor Law Amendment Act.), Et en attendant, les voix hostiles aux Irlandais se feront

entendre plus fort que celles qui s’apitoieront et tenteront de leur venir en aide par

charité.

22 Telle est la minorité irlandaise à Londres au XVIIIe siècle. Elle n’est pas homogène, mais

ceux qui retiennent l’attention de la société d’accueil, ce ne sont pas les hommes de

plume, qui viennent tenter leur chance, avec plus ou moins de succès, auprès des

maisons d’édition ou des théâtres de la capitale, mais ceux qui, fuyant la misère dans

leur pays, espèrent trouver de meilleures conditions de vie sur le sol anglais. Les

ouvriers apportent leur force de travail, même si les ouvriers anglais les repoussent

comme de nuisibles concurrents. Et puis, il y a tous ceux qui subsistent d’expédients.

On ne peut parler d’intégration pour ces indigents qui se regroupent dans les taudis de

la capitale. Pour les classes les plus démunies de la société d’accueil, ils deviennent le

bouc émissaire de leurs maux : chômage, criminalité. Ils ne sont certes pas les seuls

responsables, mais c’est dans les périodes de difficultés économiques et sociales, que les

« étrangers » sont montrés du doigt et marginalisés dans la société où ils espéraient

trouver refuge.

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BIBLIOGRAPHY

Sources primaires

D.B. HORN &Mary RANSOME (eds.) English Historical Documents, vol. X, 1714-1783, London: Eyre

and Spottiswoode, 1969, 964 p.

Patrick, COLQUHOUN, The State of Indigence and the Situation of the Casual Poor in the Metropolis,

Explained, London, 1799.

Patrick, COLQUHOUN, Police of the Metropolis, 1800

F.S. GROSLEY, A Tour to London: or, New Observations on England and its Inhabitants. Trans. From the

French by Th. Nugent, Dublin, 1772, 3 vols.

Jonas HANWAY, The Citizen’s Monitor: showing the Necessity of a Salutary Police, executed by

resolute and judicious magistrates, London, 1780, 355 p.

François LACOMBE, Observations sur Londres et ses environs, avec un précis de la constitution de

l’Angleterre, de sa décadence, par un athérome de Bern, Paris (i.e. Londres) 1777, 263 p.

Thomas SHERIDAN, A Complete Dictionary of the English Language, both with regard to Sound and

Meaning, 1770, 976 p.

Tobias SMOLLETT, The Expedition of Humphry Clinker, (1771), OUP., 1955, 440 p.

Arthur YOUNG, A Tour in Ireland… in the Years 1776, 1777, 1778, Dublin, 1780, é vols.

Sources secondaires

Albert FRIED & Richard ELLMAN (eds.), Charles Booth’s London, Penguin Books, 1969, 440 p.

M. D. GEORGE, London Life in the Eighteenth Century,(1925), Penguin Books, 1965, 457 p.

Timothy, McINERNEY, Paddies on Horseback: Representations of Irish Aristocracy and Nobility in the

Long Eighteenth Century, Mémoire de Master, Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, 2010.

Roy PORTER, English Society in the Eighteenth Century, Penguin Books, 1982, 424 p.

NOTES

1. On estime à un million de livres le montant annuel des fermages qui quittent l’Irlande vers

1750. Voir Roy PORTER, English Society in the Eighteenth Century, p. 49.

2. Rue de Londres, près de Moorfields, à l’origine habitée par des artistes vivant chichement de

leur plume. Ce nom géographique devint ensuite un terme générique pour désigner toute cette

catégorie sociale subsistant à la limite de la misère.

3. Un brevet pour la frappe de monnaie à destination de l’Irlande avait été concédé à un Anglais,

William Wood. Le profit escompté était de 25 000 livres, soustraites à l’Irlande par cette

transaction. Les pamphlets de Swift, par leur virulence, firent reculer le gouvernement.

4. “The whole kingdom is a scene of misery and desolation hardly matched on this side of Lapland” in

D.D.HORN & Mary RANSOME (eds.), English Historical Documents, vol. X 1714-1783, (1957), London:

Eyre & Spottiswoode, 1969, p. 710.

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5. Arthur YOUNG, A Tour in Ireland, part II (1780), pp. 12-20, passim. In HORN & RANSOME, op. cit.,

p. 715.

6. Dorothy GEORGE, London Life in the Eighteenth Century (1925), Peregrine Books, 1965, p. 120.

7. Le premier recensement eut lieu en 1801. Pour la période antérieure, on doit se reporter aux

registres de paroisses, lesquels n’enregistraient que les données démographiques relatives à leurs

ouailles anglicanes.

8. Cité par Roy PORTER, op. cit., p. 49.

9. Peter KALM, Visit to England (1748) ; P.J. GROSLEY, A Tour to London, 1765, traduit en anglais par

T. NUGENT en 1772.

10. Cité par Dorothy George, op. cit., p. 122

11. Ibid., p. 123. “Very poor, very uncleanly, and very turbulent… We should never have known there wre

such wretches in London if we had not happened to reside in Orchard Street, Portman Square, wich, by the

way, is one of the finest parts in town”.

12. Alfred FRIED, Richard ELMAN, (eds), Charles Booth’s London, London: Pelican Classics, 1971,

p. 113. “I fear that I may tax the patience of my readers, but my aim is to show the street and its

inhabitants as it existed, not selected cases, nor the mere resultant of an average”.

13. Montague GORE , On the Dwellings of the Poor, 2nd ed. 1851, pp. XII-XVI. Cité par Dorothy

GEORGE, op. cit. p. 348: “But nine tenths of the inhabitants are Irish […] the Irish coming to London seem

to regard it as a heathen city and to give themselves up to a course of recklessness and crime […]. The

misery, filth and crowded condition of the Irish Cabin is realized in St Giles. The purity of the female

character which is the boast of Irish historians here at least is a fable.”

14. Cité par Dorothy GEORGE, op. cit. p. 126: “The Irish imported into this kingdom of the lower class are

those who annually come to harvest and when that is over return with the savings of their labour to their

own country. Those are useful, faithful, good servants to the farmer and as they are of great use to the

kingdom, deserve protection and encouragement. The others are a set of fellows made desperate by their

crimes, and whose stay in Ireland being no longer safe, come to London to perpetrate their crimes […].

London is the asylum of these rogues and vagabonds as well Irish as English.”

15. Montagu BURGOYNE, Report on Education, 1816, p. 125: “I have never met so many poor among

whom there was so much distress, so much profligacy and so much ignorance.”

16. Henry FIELDING, The History of Tom Jones, A Foundling, 1749, livre X, ch. 2, Claude RAWSON,

(ed.), Everyman’s Library, vol. II, p. 19: “He was a younger brother of a good family, and, having no

fortune at home, was obliged to look abroad in order to get one; for which purpose he was proceeding to the

Bath, to try his luck with cards and the women.”

17. Tobias SMOLLETT, The Expedition of Humphry Clinker, 1771, OUP. 1955, p. 257

18. Cité par Paul BRENNAN et Valérie PEYRONNEL, Civilisation Irlandaise, Hachette Supérieur,

1995, p. 19.

19. Session Papers, 28 juin 1780, cité par Dorothy GEORGE, op. cit., p. 125: “It was a Roman

Catholick’s house, and there was nothing but Roman Catholicks in it and it must be pulled down […] there

had been an Irish wake in the houses, they were Irish Roman Catholicks and the house must come down.”

20. Les émeutes éclatent lorsque le Parlement examine un projet de loi visant à améliorer le sort

des Catholiques, victimes de sévères lois d’exception. La foule est menée par Lord George Gordon.

21. Cité par Dorothy GEORGE, op. cit., p. 124: “They are building a new church at Spitalfields where, I

am told, the master workmen discharged at once a great number of all sorts of labourers and took in [ …]

Irishmen who served for above one-third less per day.”

22. Patrick COLQUHOUN, The State of Indigence and the Situation of the Casual Poor in the Metropolis,

Explained, 1799, p. 15. “In the United parishes of St Giles in the Fields and St George, Bloomsbury, this

expense amounted to 1,200 £ in the year 1796. It arose from the support of 1,200 poor natives of Ireland, who,

but for this, must have become vagrants… Instead of being useful, this large sum is perhaps hurtful… The

trifle they receive is too often spent immediately in the Gin shop.”

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23. Henry Fielding, An Enquiry into the Causes of the Late Increase of Robbers, 1751, Georges Lamoine

(ed.), Presses universitaires du Mirail, 1989, p. 84.

ABSTRACTS

In the XVIIIth century, London which suffered from a high death-rate, maintained its

demographic balance thanks to its inflow of immigrants: provincial people coming from other

parts of the kingdom, foreigners such as Irish people suffering from poverty in their native

island, or Jews fleeing from persecutions on the Continent.

The Irish community in London was composed of various elements: artists and men of letters

hoping to find success in the capital; labourers in the textile, the building industries and the

naval dockyards; agricultural labourers who came at harvest time… and did not always go back

home at the end of the season; poor people surviving on odd jobs and criminals looking for preys

and anonymity in the large town.

The host country had no special treatment for the first category. It welcomed the labourers as a

necessary labour force for its economic development. But it was far more hostile to all those who

represented a threefold problem: a problem of public security and public health; a heavy burden

for the local authorities in charge of the poor of their parishes; and there was also lurking the

traditional grudge against those who were considered as papists.

Au XVIIIe siècle, Londres, qui connaît une forte mortalité, maintient son équilibre

démographique grâce à son flux d’immigrants : provinciaux venant d’autres régions du royaume,

étrangers comme les Irlandais chassés de leurs campagnes par la pauvreté ; Juifs fuyant les

persécutions dont ils sont victimes sur le Continent.

La communauté irlandaise de Londres se compose d’éléments variés : artistes et hommes de

lettres espérant trouver le succès dans la capitale ; ouvriers dans les industries textiles, celles du

bâtiment et les chantiers navals ; saisonniers agricoles qui arrivent au moment des moissons, et

qui ne retournent pas toujours chez eux, la saison terminée, pauvres vivant de petits boulots,

délinquants en quête de proies ou d’anonymat dans la grande ville. La société d’accueil ne

réserve pas de traitement spécial aux artistes ; elle est heureuse d’accueillir les ouvriers, main-

d’œuvre nécessaire au développement de son économie. Elle est beaucoup plus hostile à l’égard

des pauvres, des délinquants, qui lui posent un triple problème : problème de santé et de sécurité

publiques ; poids de plus en plus lourd pour les autorités locales chargées d’entretenir les

pauvres de la paroisse ; et toujours le ressentiment contre ceux qu’on rejette comme papistes par

tradition.

AUTHOR

SUZY HALIMI

Suzy Halimi est professeur émérite à la Sorbonne Nouvelle-Université Paris 3. Son champ de

recherche porte sur l’Angleterre des Lumières : civilisation et littérature. Elle est notamment

l’auteur d’un ouvrage intitulé La Grande-Bretagne ; Histoire et civilisation (1994) et d’une étude sur

L’enseignement supérieur au Royaume-Uni (2004). Elle a été Présidente de son université. Elle est par

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ailleurs Vice-présidente de la Commission française pour l’UNESCO et Présidente de son Comité

Education.

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Une minorité et son guide spirituel :la communauté séfarade de Londreset le rabbin David Nieto (1701-1728)A Minority and its Spiritual Guide: the Sephardic Jews of London and their

Rabbi, David Nieto (1701-1728)

Sarah Mimran

1 Il avait vu le jour à Venise en 1654 et, à l’instar peut-être de l’illustre Maïmonide

(1135-1204), il aspirait à devenir à la fois rabbin, philosophe et médecin. Le parcours

académique s’annonçait laborieux pour le Juif de l’époque qu’il était, mais ni le courage,

ni l’énergie et ni les capacités ne faisaient défaut à David Nieto.1 L’université de Padoue

lui ouvrit ses portes, et il étudia parallèlement la théologie juive et le Talmud auprès

des autorités rabbiniques locales. En 1687, la faculté décernait au jeune rabbin les

diplômes de médecin et de philosophe et, moins d’une décennie plus tard, il était déjà

célèbre à Livourne en tant que juge rabbinique, directeur de l’institut talmudique Réchit

Hokhma (Les Prémisses de la Sagesse), professeur de médecine, astronome réputé,

historien, théologien, poète, et il maîtrisait conjointement l’hébreu, le français, le grec,

le latin, l’italien, le portugais et l’espagnol – l’anglais ne devant s’ajouter

qu’ultérieurement à la liste2.

2 Lorsqu’en 1701, le haham3 Solomon Judah Ayllon quitta la petite communauté juive de

Londres pour rejoindre celle d’Amsterdam, le nom déjà célèbre de David Nieto jaillit

spontanément sur toutes les lèvres ; convaincus qu’il saurait les guider et redorer leur

blason, les Séfarades anglais lui offrirent en toute confiance la présidence de leurs

destinées spirituelles – à la condition toutefois qu’il se consacre pleinement à sa

mission et délaisse ses activités médicales.

3 Mais qui étaient au juste ces Juifs « espagnols et portugais » auprès desquels s’engageait

l’érudit livournais ? Comment se présentait et s’organisait cette communauté juive,

réadmise sur le sol britannique en 1656, et donc plus jeune même que son nouveau

haham ? Petit îlot d’apparence paisible, se développant à l’ombre protectrice d’une

tolérance nouvelle, la minorité séfarade de Londres était, à l’aube du XVIIIe siècle, en

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pleine construction et en pleine croissance. Traditionnellement solidaire, férue de

lettres et d’éducation, elle ne se départait toutefois pas encore d’une préhistoire

troublante : en quête de son identité, elle luttait fougueusement pour affermir sa foi, en

définir un contenu lumineux et univoque, et en tracer des contours clairs et distincts.

Un îlot tranquille, une communauté diversifiée et enpleine croissance

4 Lorsque David Nieto arriva à Londres au cours du dernier trimestre de l’année 17014

accompagné de son épouse Sarah et de leurs trois fils, Moses, Pinhas et Isaac, les Juifs

avaient déjà bâti les grandes structures de leur nouvelle société. L’affluence progressive

d’immigrés ashkénazes – en provenance d’Europe centrale et orientale – ainsi que leur

nouvelle importance numérique avaient généré une scission d’ordre pragmatique entre

ces derniers et les Séfarades d’origine ; rendue nécessaire par la volonté de respecter et

de perpétuer les us et coutumes liturgiques en vigueur dans chacun des deux groupes,

la formation de la première congrégation ashkénaze s’était imposée dès 1690 autour

d’une synagogue, puis d’un cimetière propres. Régulièrement en relation, évoluant côte

à côte dans la capitale et fréquentant des synagogues voisines, les communautés

ashkénaze et séfarade suivirent depuis un cheminement parallèle, qui n’excluait pas

pour autant des points d’intersection, comme la naissance d’un organisme politique

commun, the Jewish Board of Deputies, en 1760.

5 C’est le Mahamad ou Conseil de la congrégation séfarade composé de cinq membres laïcs

élus parmi les affiliés privilégiés de la communauté, qui avait fait appel à David Nieto au

départ du précédent haham. La proposition était signée par Isaac Israel Correa, Isaac

Lopes Pereira, Abraham Vaes Martines, Isaac Israel Henriques et Moses Francia –

trésorier général5. Dès 1663, le Conseil s’était chargé de compiler les statuts de la jeune

collectivité et de rédiger les quarante-deux articles, inspirés des modèles d’Amsterdam

et de Venise, qui établissaient sa constitution ; la langue d’origine était l’espagnol puis,

jusqu’en 1819, les retouches et suppléments se faisaient en portugais, langue

vernaculaire des Séfarades de Londres – qui ne faisaient à l’époque usage de l’anglais

que lors des échanges commerciaux ou des contacts avec leurs concitoyens non-Juifs.

Le Conseil disposait d’un large éventail d’attributions : il déterminait les limites de

l’autorité du rabbin, accordait les divorces, établissait le montant de la participation

financière des résidents et des visiteurs sur la base de leurs revenus ou des transactions

commerciales effectuées, fixait l’aide octroyée aux pauvres et pourvoyait à leur

éducation, réglait les différends juridiques au sein de la communauté, et veillait au

respect de toutes ces mesures6. Ce document législatif souligne l’extrême prudence des

premiers responsables communautaires, soucieux de préserver la bonne réputation de

la congrégation et de prévenir à tout prix un nouvel épisode douloureux d’expulsion, et

leur volonté de pratiquer librement les préceptes du judaïsme sans perturber ou

risquer d’offenser, par l’acte ou la parole, ceux qui les accueillaient avec bienveillance.

Le Conseil se réservait donc un droit de censure : afin que l’un de ses membres ne porte

préjudice à l’ensemble du groupe, une autorisation préalable était exigée avant toute

publication. Pour éviter encore tout dérapage verbal ou scandale, les discussions

théologiques avec des non-Juifs étaient rigoureusement interdites7. Si toutes ces

mesures étaient théoriquement valables à l’arrivée du nouveau haham en 1701, il

apparaît toutefois que le Conseil ait voué une grande confiance à David Nieto : ce

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dernier entretenait de nombreux échanges épistolaires avec des non-Juifs, tels John

Covel, professeur au Christ’s College de Cambridge, avec lequel il correspondait en

italien8 ou le pasteur Christian Theophilus Unger, auquel il écrivait en hébreu 9. Sans

compter que la réputation de l’érudit attirait de nombreux visiteurs, hommes de

sciences et de lettres, et qu’on n’avait jamais vu autant de non-Juifs autour de la

synagogue séfarade de Bevis Marks10 !

6 La synagogue représente, de fait, le centre de vie de toute société juive. Dès leur arrivée

à Londres, les pionniers de la petite communauté s’étaient empressés d’ouvrir leur

synagogue secrète dans Creechurch Lane11, entre Leadenhall Street et Duke’s Place : la

nouvelle congrégation avait pris le nom de Chaar Hachamayim (Porte des Cieux), et elle

s’était progressivement organisée, se développant et prenant de l’ampleur. En 1662,

John Greenhalgh estimait le nombre de fidèles à une centaine d’hommes12, mais en 1674

déjà, de gros travaux d’agrandissement du local de Creechurch Lane étaient engagés. Le

nombre d’hommes seuls dépassa bientôt 200, et il fallut songer à déménager. Les

responsables entreprirent rapidement les démarches visant à la construction de la

synagogue actuelle dans Bevis Marks. L’acquisition du bâtiment se fit au prix élevé de

2 650 £, réunies en grande partie sous forme de dons individuels concédés par les

membres de la communauté. L’inauguration de la nouvelle maison de prières, en

septembre 1701, coïncidait avec l’intronisation du nouveau haham, dont la première

tâche fut de composer et de publier une prière en faveur du monarque Guillaume III13 ;

la cérémonie inaugurale eut lieu à quelques jours du nouvel an juif, sous la présidence

des membres du Conseil – Isaac Israël Correa, Isaac Lopes Pereira, Abraham Vaes

Martines, Isaac Israël Henriques, et Moses Francia14 –, ceux-là mêmes qui avaient fait

venir David Nieto. Les bancs de chêne sur lesquels les fidèles s’étaient assis dans

Creechurch Lane furent incorporés au nouveau décor qui, dans la taille et la forme

curviligne de ses fenêtres, sa galerie supérieure réservée aux femmes, son Arche Sainte,

son pupitre, son candélabre et son arrangement général, ressemblait de façon

impressionnante à la grande synagogue d’Amsterdam, ouverte en 1675. L’Arche Sainte

témoigne de l’implication juive dans le commerce du bois avec l’Amérique du Sud au

XVIIe siècle : à la veille d’un périple au Brésil, le Conseil avait pu passer commande à ses

affiliés marchands d’un chargement du meilleur bois de cèdre15. Les dix chandeliers

symbolisent les Dix Commandements tandis que les douze colonnes soutenant la galerie

renvoient traditionnellement aux douze tribus d’Israël. C’est à l’intérieur de ce

bâtiment boisé et chaleureux qu’officiait David Nieto, prononçant plus de cinquante

sermons par an, composant de belles prières sous sa plume de poète, célébrant les

naissances, les mariages, et commémorant les décès. Plus de trois cents ans après, outre

quelques discrets ajouts, l’installation de l’électricité en 1929, et celle du chauffage,

l’ancienne synagogue est restée pratiquement inchangée16.

7 Les Séfarades de Londres étaient aux alentours de 520 en 169517, de 1050 en 1720, et de

2 000 en 1750 – n’évoluant plus beaucoup au cours du siècle suivant. Leur belle période

d’essor se situe précisément au temps de David Nieto qui enregistrait jusqu’à vingt

mariages par an18 et qui pouvait constater la croissance du revenu annuel de la

congrégation : 3 400 £ en 1702 et 6 700 £ en 172619. Jusqu’en 1730, l’immigration draina

un flux continu et régulier de réfugiés en provenance, directe ou non, du Portugal et

d’Espagne, qui fuyaient l’Inquisition et jouissaient là d’une certaine forme de

tolérance – nouvelle et porteuse d’espérances autant que de confiance. Impressionné,

Jacob Sasportes, rabbin de la congrégation séfarade entre 1664 et 1665, écrivait déjà

alors à son ami Josiah Pardo: « We live at a time in which God has seen fit greatly to

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ameliorate the condition of his people, bringing them forth from the general condition of serfdom

to freedom [...] We are free to practice our own true religion20 ».

8 Dès la réadmission en effet, l’autorisation de séjour accordée aux Juifs impliquait

l’entière liberté de vivre où bon leur semblait, et nombre des barrières juridiques qu’ils

pouvaient rencontrer ne faisaient que les inclure dans le cadre plus large de la

communauté non anglicane. L’Acte de Tolérance de 1661 avait octroyé une

reconnaissance légale à la diversité religieuse, en autorisant le culte public des

dissidents protestants qui restaient dans le cadre de la Trinité. Considérant néanmoins

que les liens entre l’Église établie et l’État étaient toujours indissolubles, l’Église et les

dirigeants politiques continuèrent d’interdire aux non-Anglicans, jusqu’à la fin de la

période hanovrienne, la pleine participation à la vie politique de l’Etat. Le Corporation

Act de 1661 excluait des corporations municipales et commerciales ceux qui refusaient

de recevoir le sacrement selon les rites de l’église d’Angleterre et les Test Acts de 1673 et

1678 disqualifiaient ces derniers des carrières politiques et de la fonction publique.

Pour y avoir accès, il fallait nécessairement appartenir à l’Église établie.

9 Dissidents, Juifs et Catholiques étaient donc souvent victimes de la même législation

parlementaire, alors que dans la plupart des autres pays européens, les Juifs étaient la

cible de multiples restrictions spécifiques. En Angleterre aussi, certaines barrières

juridiques – qui leur étaient plus particulièrement destinées – pouvaient entraver leur

vie quotidienne, mais ne les visaient-elles pas plutôt en tant qu’étrangers ? Ne se

fondaient-elles pas davantage sur un argument d’ordre commercial que religieux ?

Toujours est-il que les Juifs ne pouvaient devenir citoyens-résidents de la Cité, y

posséder des magasins ni y faire du négoce de détail. L’Acte de Navigation (1660)

réservait quant à lui aux Anglais de naissance le commerce colonial, et les statuts

datant de la période précédant l’expulsion de 1290 (qui n’avaient pas été abolis)

interdisaient aux Juifs de posséder des terres. Les Juifs ne pouvaient pas non plus

devenir actionnaires de la Compagnie des Indes Orientales et les tarifs douaniers

discriminatoires (alien duties) qui les frappaient, les rendaient moins compétitifs21. Dans

les faits pourtant, l’absence de rigueur policière encourageait nombre de Juifs à

contourner ces lois restrictives : les marchands séfarades non naturalisés pouvaient se

dérober au Navigation Act en achetant des navires sous le nom de leurs commis anglais,

et ceux qui souhaitaient appartenir à la noblesse terrienne se prenaient à enregistrer

leurs acquisitions sous le nom de leurs employés chrétiens. À la Bourse de Londres, la

fonction de marchands de titres (stockjobber) leur était ouverte sans aucune restriction

et si, depuis 169722, le nombre d’agents de change (stockbrokers) juifs était réduit à douze

sur un total de 124, ce chiffre leur était à l’époque proportionnellement très favorable –

si l’on se rappelle que Londres comptait autour de 500 000 personnes en 1700, alors que

la communauté juive avoisinait à peine le millier d’âmes !

10 Dans l’ensemble donc, les Juifs vivaient à Londres au début du XVIIIe siècle, une belle

période de leur histoire. Très vite, ils oublièrent d’être inquiétés, de se cacher, de se

faire discrets. Les abords de la synagogue devinrent animés à la sortie des offices – et

notamment le dimanche ; Bevis Marks et Bury Street s’emplirent de fidèles insouciants

aux discussions parfois bruyantes. Le Conseil prit trois nouvelles mesures au cours de la

seule année 1701 : les membres de la congrégation se voyaient interdire les

attroupements dans le quartier ; au regard de l’injonction royale de s’abstenir des jeux

le dimanche, ils ne devaient plus se rencontrer ce jour dans des lieux publics, ou même

privés, pour y jouer ; les cortèges accompagnant la mariée lors des célébrations

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devraient désormais se réduire aux seuls parents et frères. Toute transgression donnait

lieu à une amende23.

11 Le transport – à cheval ou en voiture – n’étant pas autorisé le samedi dans la religion

juive, les fidèles ont pris l’habitude, à travers les générations, de s’installer à distance

raisonnable de leur synagogue. À Londres, la grande majorité des Juifs vivait dans la

commune de St James (Dukes Place), qui devint dès 1722 le quartier juif de la capitale :

plusieurs synagogues s’y trouvaient – dont celle, séfarade, de Bevis Marks – et on y

rencontrait des membres des deux communautés, quelques bouchers, un laitier, voire

nombre de petites échoppes promettant de répondre aux mille besoins quotidiens ;

« Au Soleil Levant » était l’enseigne d’Abraham Benedictus, fabricant de chandelles

dans la rue Houndsditch, tandis que « Sam’s Coffee House » était l’adresse indiquée

pour la restauration des hommes d’affaires juifs24. De nombreux marchands juifs

étaient domiciliés dans St Mary Axe, Fenchurch Street, Leadenhall Street, Bishopsgate

Street, Crutched Friars, et Great St Helen’s25. Mais les Juifs habitaient également dans

les communes de St Katherine Creechurch, All Hallows, London Wall et St Andrew

Undershaft26. À l’instar des Anglais de la haute société, certains riches Séfarades

disposaient, en plus de leur domicile à Londres intra-muros, d’une résidence

secondaire, acquise ou louée dans les villages à proximité ou la campagne

environnante, pour y passer les weekends ou les étés. Dès 1675, Alvaro da Costa avait

fait l’acquisition d’une maison à Highgate, où le rejoignirent bientôt les familles de ses

cousins Fernando Mendes et John Mendes da Costa. En 1715, c’est Antony Mendes qui

s’offrait à Highgate une maison avec patio, suivi en 1721 par John Mendes da Costa qui

devenait propriétaire de Baron House, belle bâtisse dont le souvenir a été conservé sur

une peinture du XIXe siècle27. Les propriétés des da Costa étaient encore nombreuses

dans la région, mais la plus impressionnante semble avoir été Copped Hill à Totteridge

(à quelques kilomètres au nord de Highgate), achetée en 1721 par Joseph, l’un des fils

d’Alvaro da Costa. Le tracé de ses superbes jardins bordés d’arbres sur une étendue

vertigineuse et quasi royale, apparaît sur une gravure datant de 173928.

12 Dès les premières heures de la réadmission, les Crypto-Juifs29 se réfugiant à Londres au

cours des années 1650 avaient été des marchands30, dont le commerce se concentrait

dans les domaines qui, du fait de leur langue, leurs relations ou leur expérience

personnelle, les avantageaient. Antonio Fernandes Carvajal avait été importateur de

vins et c’est la famille Francia qui reprit son affaire. En général néanmoins, même après

que le Traité de Methuen31 de 1703 eut donné l’avantage aux vins portugais, désormais

moins taxés que les vins français, le commerce des vins était dominé par les marchands

des fabriques anglaises implantées à Lisbonne et à Porto32. Les marchands juifs

londoniens commerçant avec le Portugal, penchèrent alors plutôt pour la spécialisation

dans l’export du vêtement anglais et l’import des produits coloniaux et de l’or. La

communauté séfarade de Londres comptait ainsi de grands négociants tels les frères

Francia, Gomez Rodriguez, Alvaro da Costa ou Peters et Piers Henriques. Les pierres

précieuses et les diamants occupaient également une place privilégiée au cœur des

échanges, et ce, jusqu’à la fin du siècle des Lumières : les Juifs exportaient en Inde le

corail et importaient en retour des diamants qu’ils faisaient tailler et polir à

Amsterdam pour les revendre ensuite à Londres ; dès le début du XVIIIe siècle, ce sont

les familles Franco, Mendes da Costa, et Salvador qui pesaient le plus dans le négoce du

diamant. Entre 1717 et 1766 (à l’exception de quatre occurrences), l’importation

annuelle de diamants par les Juifs était largement supérieure à celle des non-Juifs.

Outre les diamants, le négoce avec l’Inde concernait l’importation de vêtements, mais

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celle-ci était exclusivement réservée à la Compagnie des Indes Orientales. Les Juifs en

étaient officiellement exclus, mais ils participaient très largement aux grandes ventes

publiques des produits de ces importations à Londres, se spécialisant dans l’achat du

vêtement d’occasion. Ils y occupaient du reste une place assez importante pour que ces

ventes soient reportées lorsqu’on les avait programmées pendant les fêtes juives33. Les

échanges commerciaux étaient importants, voire florissants, entre les marchands

séfarades de Londres et leurs coreligionnaires à l’étranger, à Amsterdam, Hambourg,

Bordeaux, Bayonne, Livourne, mais aussi dans les colonies anglaises de la Jamaïque, la

Barbade34, et le Surinam35. Les Juifs étaient en revanche absents de certaines activités

lucratives, telle celle du sucre, par exemple, qui impliquait à l’époque le commerce

d’esclaves, auquel la communauté juive dans l’ensemble, ne semble jamais avoir pris

part36.

13 Lorsque David Nieto prit ses fonctions à la tête de la congrégation, les Séfarades de

Londres comptaient parmi eux un grand financier du nom de Solomon de Medina

(1650-1730), arrivé à Londres en 1672. Durant les années 1690, l’entreprise « Machado &

Pereira », dont il était l’agent, fut fournisseur en pain de l’armée du roi Guillaume III en

Irlande et, à plusieurs reprises, il avança les fonds, pour n’être remboursé que bien plus

tard par le gouvernement. En signe de reconnaissance pour ses services rendus au pays,

le monarque qui l’estimait assez pour avoir dîné chez lui, le fit chevalier en 1700,

privilège dont il fut le premier Juif à jouir en Angleterre37. Il fut élu au sein du Conseil

en 1676, puis en 170238. Il fut encore vivandier des armées royales au cours des années

1707, 1708, 1709, 1710 et 171139, mais il semble qu’il vivait à cette époque en Hollande,

laissant Moses de Medina gérer ses affaires à Londres.

14 Abraham Mocatta, fidèle privilégié de la congrégation de Bevis Marks était, quant à lui,

courtier en or à la Banque d’Angleterre. Les marchands séfarades importaient l’argent

de Cadix et l’or de Lisbonne et Mocatta, qui entretenait des liens étroits avec eux, savait

pertinemment qui disposait de stocks de lingots à vendre et qui cherchait à en acheter.

Il fut particulièrement prospère. En 1721, il commanda l’écriture d’un rouleau de Thora

au profit de la synagogue, la réalisation de ses ornements et la confection de son

manteau, et l’orfèvrerie comme les broderies étaient réputées pour leur qualité et leur

finesse. Le coût extrêmement onéreux d’une telle acquisition, ajouté au verset qu’il fit

graver sur les grenades d’argent ornant le rouleau, suggèrent une année

commercialement florissante : « Isaac sema cette année-là et récolta cent fois plus ; le

Seigneur le bénit40 ».

15 La communauté séfarade comptait donc bien quelques Juifs nantis, le plus souvent

marchands ou impliqués dans le monde de la finance, sur lesquels elle fondait sa

prospérité et sa belle croissance à l’aube du XVIIIe siècle : ce n’étaient plus 50 £ à

l’année, traitement de Jacob Abendana entre 1681 et 1685, qu’offrait le Mahamad à

David Nieto en 1701, mais bien 100 £ (qui devinrent bientôt 150 £), en sus du charbon

gratuit, d’une prime de 10 £ annuelle à l’occasion de Pourim (la fête d’Esther), d’un

logement de fonction et de 82,15 £ pour le meubler41 ! Nombreux étaient aussi ceux qui

vivaient plus modestement du savoir qu’ils avaient importé de leurs contrées d’origine :

graveurs, clercs, confiseurs et pâtissiers, brodeurs, tailleurs, traducteurs, enseignants,

professeurs de langues, maçons, laboureurs, tailleurs de diamants, bijoutiers, fabricants

de crayons et vitriers. Entre 1706 et 1711, Senhora Leonor Morais fut employée par la

congrégation à la confection de pâtisseries et confiseries pour la présentation du don

annuel au maire42. Abraham Lopes de Oliveira (1657-1730), orfèvre, était quant à lui

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rémunéré pour prendre soin de l’argenterie de la synagogue Bevis Marks. La mobilité

sociale touchait peu les nouveaux immigrants juifs en Angleterre et nous n’avons pas

connaissance de Juifs immigrants pauvres qui aient prospéré dans les affaires43. La

difficulté et la pauvreté étaient enfin le lot quotidien de maintes personnes âgées ou

malades, des veuves et des orphelins, mais aussi des réfugiés en provenance d’Espagne

et du Portugal, fuyant l’Inquisition et vivant souvent de petits emplois peu rentables,

voire de la mendicité.

Une société solidaire, férue de lettres et d’éducation

16 L’assistance aux pauvres, la tsédaka, est l’une des composantes essentielles du judaïsme.

Rappelée à maintes reprises dans la Thora, elle s’impose pratiquement à tous : chacun44

des membres de la communauté juive est tenu de remettre aux plus démunis un

dixième (la dîme) au moins de ses gains. Étymologiquement dérivé de la racine tsédek

(justice), le concept de tsédaka ne se conçoit plus simplement comme le résultat

facultatif d’une bonne volonté ou d’un noble sentiment, mais comme un devoir de

justice. Les Sages d’Israël considèrent la charité comme une restitution au pauvre de ce

qui lui revient : Dieu fait de l’homme Son intermédiaire pour lui permettre de connaître

à son tour, en le répétant, le geste divin du don45. La création de toute communauté

juive passe donc nécessairement par la fondation d’institutions caritatives – d’autant

plus indispensables dans la société anglaise des Poor Laws qui ne connaissait pas encore

la sécurité sociale, et où la workhouse n’était pas toujours compatible avec le mode de

vie juive.

17 Dès les premiers jours de la réadmission, la congrégation séfarade de Londres avait eu à

sa charge de nombreuses familles démunies, souvent en provenance des pays où

sévissait encore l’Inquisition. Dans la pétition de 1689, adressée au Parlement par la

communauté juive46 et intitulée The Case of the Jews Stated, les auteurs faisaient déjà état

d’une population juive dont la moitié était composée de personnes vivant difficilement

de leur labeur ou à la charge des plus nantis47. La correspondance du Mahamad fait aussi

largement référence à la pauvreté : un courrier datant de l’hiver 1703 rappelait que de

nombreuses familles juives londoniennes accueillaient et hébergeaient les réfugiés

démunis, et une lettre du Conseil adressée en 1705 à la communauté de Livourne faisait

état des lourdes charges financières imposées à la congrégation par l’afflux de réfugiés,

notamment en provenance du Portugal. En 1710, les aides aux pauvres allouées par la

congrégation à des immigrants en provenance d’Italie et de Barbarie étaient élevées et

l’immigration séfarade en provenance de la péninsule ibérique ne s’affaiblit que bien

plus tard48. Dans le second volume des archives de la synagogue Bevis Marks, consacré

aux mariages célébrés jusqu’en 1837, plusieurs entrées de couples sont accompagnées

de la mention Vindos de Portugal49. Ces couples arrivaient à Londres et célébraient à

nouveau leur mariage selon les rites de la tradition juive -qu’ils avaient

momentanément abandonnée en raison de l’Inquisition. Seize remariages furent

enregistrés au point le plus haut de la courbe en l’an 1726, puis de nouveau en 1728,

l’année du décès de David Nieto. En 1726, 1727 et 1728, les comptes rendus du Mahamad

font même mention de sommes versées aux capitaines des navires (254 £ et 4s. en 1728)

pour payer le transport de ces réfugiés sans le sou50. On aidait alors les personnes âgées,

les malades, les veuves et les orphelins à survivre. On donnait un coup de pouce aux

jeunes en quête de travail en leur prêtant un peu d’argent – de quoi débuter en tant que

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colporteurs ou revendeurs de vêtements de seconde main ; le commerce de rue de

fruits importés, telles les oranges ou la rhubarbe, était notamment assez typique.

18 La prise en charge des malades et l’accomplissement des derniers devoirs envers les

défunts occupent encore une place primordiale dans le judaïsme et dès la réadmission,

des bénévoles privés s’étaient chargés de ces responsabilités. En 1709, peu après

l’inauguration de l’association régulière Hebra de Bikur Holim (Association pour les

visites aux malades), David Nieto prononçait un sermon, intitulé « Los Triunfos de la

Pobreza » (Les triomphes de la pauvreté), publié et dédicacé aux responsables de

l’institution – le trésorier Abraham Nunez et les administrateurs Ab Fernandez Salazar

et David de Meza51. Le dispositif s’élargit au fil des années avec notamment le fonds,

inauguré en 1724, qui devait assurer une dot de 60 £ aux jeunes filles séfarades

orphelines52.

19 L’action caritative de la congrégation ne s’arrêtait pas aux seules frontières de

l’Angleterre. Deux fonds étaient déjà prévus dans le cadre des statuts d’origine, gérés

par deux trésoriers distincts et alimentés régulièrement par les dons des fidèles :

Cautivos était réservé à la rançon des captifs juifs, victimes des pirates barbaresques ;

soixante ducats étaient ainsi prélevés en 1705 pour racheter Aron Affia, Abraham Perez

et Joseph Haïm Esquenazy, captifs des Chevaliers de Malte. Les prisonniers étant

généralement vendus comme esclaves, le Conseil puisa à plusieurs reprises dans le

fonds Cautivos pour racheter les prisonniers juifs des mains de ces « Tyrans de Malte »53.

Le fonds Terra Santa était originellement destiné à soutenir les divers établissements

religieux de Terre Sainte et notamment de Jérusalem, Hébron et Safed54, représentés

par les prestigieux visiteurs qui se succédèrent à Bevis Marks : les rabbins Simon bar

Yaakov Vahbendanon en 1705, Abraham Rovigo de Jérusalem, Abraham Gedalla en

1726, et Moché Israel en 1728. La correspondance du Mahamad fait encore état de

nombreuses lettres de demandes d’aide en provenance d’autres communautés juives ; si

la priorité allait traditionnellement vers les autres Séfarades à travers le monde, la

copie d’une lettre écrite en 1710 par le trésorier Moses de Medina est conservée dans

les archives de la congrégation : Moses y demande à ses proches parents, Joseph de

Medina et ses fils d’Amsterdam, de partager entre « nos pauvres frères de Pologne,

touchés par les calamités », la somme de 2275,11 florins55. Enfin, lorsque l’aide

pécuniaire ne s’avérait d’aucun secours, la communauté se repliait sur la prière : au

temps où les autodafés représentaient au Portugal des attractions très courues et où de

nombreux Juifs croupissaient dans les prisons de l’Inquisition, une prière était

prononcée annuellement à Bevis Marks le jour de Kippour pour « nos frères

emprisonnés dans les cachots de l’Inquisition »56.

20 De tous temps, l’éducation a représenté une priorité au sein des communautés juives.

Dans le monde séfarade, les statuts de Valladolid de 143257 demandaient aux

congrégations de réserver un fonds devant permettre la gratuité de l’instruction pour

les enfants. Dès 1664 à Londres, l’école primaire ouvrait ses « Portes de

l’espoir », Chaaré Tikva, pour éduquer la jeunesse juive. L’illettrisme était tenu en

horreur et cela était palpable dans l’exigence de perfection manifestée à la synagogue :

l’officiant n’avait pas droit à l’erreur et sa lecture ne souffrait aucune faute, sous peine

d’une amende de 25 p par irrégularité58 ! La première institution éducative en faveur

des orphelins -Chaaré ora veavi yetomim (Portes de lumière et père des orphelins)

naissait en 1703, et David Nieto délivra le sermon d’inauguration, développant le

verset : « dans sa sainte résidence, Dieu est le père des orphelins »59, ainsi que l’adage

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talmudique stipulant que : « celui qui éduque un orphelin est considéré par le Texte

comme son géniteur ». L’un des orphelins, Isaac Henriques Lopes, ainsi que les jeunes

Moses et Isaac Nieto, prirent à leur tour la parole le samedi suivant, traitant de la

charité « comparable en importance à tous les autres préceptes »60. L’institution était

chargée d’habiller douze garçons orphelins, de subvenir à leurs besoins, de les éduquer

et de les former à l’apprentissage d’un métier. Chaque hiver, les élèves recevaient un

grand manteau et cinq shillings d’argent de poche61 :

These children are not only instructed in the Jewish literature, but likewise to read,write and account in English; and after having been at least three years at school,have each of them twenty pounds given him for advancing them in the world62.

21 Dans l’œuvre sur le judaïsme qu’il publiait à Londres en 1706, Isaac Abendana

(1650-1710), professeur d’hébreu à Cambridge puis Oxford, décrivait les pratiques et la

juridiction juives, les dîmes, l’importance de la prière, et consacrait un long chapitre au

caractère fondamental de l’école au sein de la communauté juive :

The necessity as well as usefulness of schools for the instruction and education ofyouth, is so apparently manifest that, in the opinion of our doctors, mankind couldscarcely subsist without them; because, otherwise men could neither preserve thedignity of their nature, as reasonable creatures, nor have anything but theiroutward shape, to distinguish them from brutes63.

22 Isaac Abendana avait également achevé en 1671 une traduction latine de la Mishna64, et

publié des calendriers juifs en 1695, 1696, et les années suivantes. Il était le frère de

Jacob Abendana, guide spirituel de la communauté séfarade londonienne entre 1681 et

1685, et entretenait comme lui une correspondance soutenue avec plusieurs savants

chrétiens dont Ralph Cudworth, professeur à Christ’s College. Le haham Nieto reçut

d’ailleurs un courrier de John Covel, collègue de Cudworth, daté du 18 janvier 1706 et

commentant précisément l’un des almanachs d’Abendana65. David Nieto était de fait

réputé pour ses connaissances en astronomie et sa science des calendriers ; en 1693, il

avait composé Pascalogia, œuvre dans laquelle il discutait des différences de datation de

Pâques entres les églises grecque et latine et le judaïsme. Ce travail avait été généré par

la célébration de Pâques le 22 mars 1693, et celle de Pessah le 21 avril 1693, alors qu’en

règle générale la Pâque juive précède toujours les Pâques chrétiennes. Le haham avait

dédicacé Pascalogia à Francesco Maria de Medici, le 2 mars 1700 à Livourne, ce qui met

en lumière les relations amicales que pouvaient entretenir rabbin et cardinal à l’aube

du XVIIIe siècle66. A la tête de la congrégation séfarade de Londres, David Nieto s’attela à

préparer un almanach adapté aux latitudes britanniques, comprenant les dates de

nouvelle lune, des jeûnes, des fêtes (pour 83 années), des éclipses pour le méridien de

Londres (pour 23 années), les horaires du shabbat à Amsterdam et Londres, ainsi que

ceux des prières à Bevis Marks (Solomons 34) : Bina laïtim (Connaissance des temps)

paraissait en 1717 et, dès 1723, sur résolution du Conseil, ce calendrier était

officiellement adopté en Angleterre67. Tous les vendredis après-midi, le bedeau de la

synagogue séfarade se dirigeait avec une petite escorte vers Duke’s Place pour saluer la

congrégation ashkénaze au nom du Conseil et l’informer de l’heure de l’entrée du

shabbat. La coutume survécut de nombreuses années après la publication de

calendriers imprimés et annuels, pour ne s’éteindre qu’au XXe siècle68.

23 Outre ses dons en astronomie, David Nieto était poète et plusieurs de ses compositions,

signées de son nom de plume DaN69, apparaissent dans un recueil de poèmes écrits par

des Juifs italiens, intitulé Kol éguev (Son d’amour) et publié à Livourne en 1846 par le

haham Abraham Benedetto Piperno (Solomons 5-7). En 1720, il participa activement à la

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publication, à Londres, de la première traduction espagnole versifiée des Psaumes :

Espejo fiel de vidas (Miroir fidèle de la vie). Ce travail d’art, si précieux pour la

communauté séfarade hispanophone londonienne, était l’œuvre de Daniel Israël Lopes

Laguna (1650-1723) – qui y consacra plus de vingt années de labeur. Avec ses cinquante

pages introductives, les dédicaces rimées composées en espagnol, portugais, latin et

anglais par des membres de la communauté, les lettres d’approbation – dont celle du

haham David Nieto – et les enluminures, l’œuvre est superbe ! Une phrase

d’introduction présente chacun des psaumes, renvoyant parfois aux propres

souffrances de l’auteur livré aux mains des cruels bourreaux de l’Inquisition, mais qui,

humble et pétri de reconnaissance, rend hommage à l’Eternel dans un poème final où il

exprime sa gratitude et qu’il conclut en rappelant : « Solo en Dios la confianza !” (Lopes

Laguna 339). L’ouvrage est encore particulier en ce qu’il révèle les talents de trois

femmes séfarades aristocrates de Londres qui apportèrent ainsi leur contribution à la

poésie juive espagnole : Sara Foncesca Pina y Pimentel, Manuela Nunes de Almeida et

Bienbenida Cohen Belmonte : elles étaient des parentes du mécène Mordekhay Nunes

de Almeida qui permit la publication de cette traduction, et chacune dédicaça une

composition poétique à l’auteur pour saluer son œuvre ; ces trois derniers hommages

laissent là le témoignage de voix féminines aptes à manier poétiquement la langue de la

lointaine Espagne.

24 L’un des tributs à Daniel Lopes Laguna était paraphé par l’un des médecins de la

congrégation de Bevis Marks, Sequeiro Samundo. La médecine est traditionnellement

une spécialité très respectée dans le monde juif et peut-être tout particulièrement dans

le monde séfarade – notamment en Espagne et au Portugal. Nombre des médecins,

chirurgiens et pharmaciens portugais étaient des Crypto-Juifs. Parmi eux, plusieurs

réfugiés immigrèrent en Angleterre et furent autorisés par le Royal College of Physicians à

pratiquer la médecine, tels les médecins Hector Nunes et Rodrigo Lopes au XVIe siècle

ou Fernando Mendes au XVIIe siècle. La liste de 1684 des membres de la congrégation

séfarade mentionne trois médecins70 et leur nombre s’accrut encore au XVIII e siècle.

David Nieto lui-même était médecin, diplômé de l’université de Padoue, et certaines

sources témoignent qu’il continua à prodiguer des soins à Londres71. En Angleterre,

Juifs et dissidents n’avaient pas accès aux universités nationales et ils se formaient donc

en Italie ou aux Pays-Bas. Jacob de Castro Sarmento put néanmoins compléter le titre

obtenu à l’université de Coimbra par le diplôme de médecin qu’il prépara par

correspondance dans l’une des universités écossaises, le Marischal College d’Aberdeen. Il

fut le médecin de l’ambassadeur portugais à Londres, Sebastiao Carvalho e Melo qui

devint par la suite le marquis de Pombal. Dans une correspondance très soutenue72 avec

le Portugal, il mettait en garde les hommes d’état contre les épidémies et il laissa de

nombreuses publications portant sur la variole73. Maîtrisant tant le latin et le portugais

que l’anglais, il fut élu à la Royal Society et s’illustra en tant que fondateur du Beth Holim,

l’hôpital juif qui vit le jour en 1748. Jacob de Castro Sarmento était un ami intime du

rabbin David Nieto, et il le remplaça plusieurs fois lorsque, vers la fin de sa vie, affaibli

et malade, il ne pouvait délivrer son sermon aux fidèles de Bevis Marks. Le médecin

prononça d’ailleurs une oraison funèbre très touchante, en 1728, à l’occasion du décès

du haham dont il avait été si proche74. Solidaires, charitables et éduqués ou du moins,

grands amateurs de sciences et de lettres, les Séfarades de Londres vivaient

tranquillement à l’ombre protectrice de la tolérance anglaise ; le guide spirituel qui

s’installait là découvrait toutefois très rapidement l’ampleur du défi qu’il devrait

relever au sein de cette petite communauté à la « préhistoire » très particulière. Car,

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ainsi que l’écrivait si justement Albert Hyamson: « the Sephardim of England have not only

a history: they also have a prehistory »75.

Une congrégation en quête de son identité spirituelle

25 Les derniers rayons du soleil couchant de la liberté en Espagne à la fin du XVe siècle

virent 200 000 Juifs quitter ce pays dans lequel ils avaient vécu plus de mille ans. En

1492 en effet, Ferdinand II d’Aragon et Isabelle de Castille expulsaient les Juifs de leur

territoire. L’invasion des Almohades au XIIe siècle, puis la reconquête chrétienne et

l’institution de l’Inquisition, avaient déjà mis un terme à cette ère que l’on a nommée

l’âge d’or du judaïsme espagnol. En 1492 toutefois, l’édit d’expulsion marquait

véritablement la fin d’un long chapitre d’histoire juive. Les exilés abandonnaient leur

patrie et leurs biens ; ils étaient jetés sur des chemins hostiles, dans la souffrance et

l’incertitude de leur destin. Nombreux furent alors les Juifs qui s’installèrent dans le

royaume voisin du Portugal, mais en 1497, le roi Manuel Ier cédait aux pressions

diplomatiques des rois catholiques, et ordonnait lui aussi l’expulsion des Juifs du pays -

mesure qu’il faisait suivre un an plus tard par l’interdiction d’émigrer et le baptême

forcé. Les Juifs s’orientèrent vers l’est et s’installèrent, tant bien que mal, sur les bords

de la Méditerranée, à Venise en Italie, en Turquie, et dans d’autres pays d’Asie. La

lumière s’était éteinte pour les Juifs en Espagne. De temps à autre, l’obscurité s’éclairait

par les flammes rougeoyantes des autodafés. Les Crypto-Juifs qui, un temps trop faibles

pour résister à la tentation, avaient extérieurement abandonné la foi de leurs pères, se

portaient à présent, tels des sacrifices d’expiation, sur l’autel de l’Inquisition. Certains

parvinrent néanmoins encore à s’échapper, à fuir les filets et la traque de l’Inquisition.

Conduits par les remords de leur conscience, ils cherchèrent un foyer dans le nord de

l’Europe, afin de revenir à leur ancienne foi et de professer, librement devant les

nations, leur croyance dans le Dieu d’Israël76.

26 Le vécu des Crypto-Juifs impliquait une identité juive fragmentaire et instable. Ils

étaient nombreux à se caractériser par une pratique religieuse défaillante et une foi

confuse et faible, du fait que leurs ancêtres immédiats avaient vécu la majeure partie de

leur vie en tant que Catholiques et non en tant que Juifs. Au cours de la seconde moitié

du XVIIe siècle, lorsque les Nouveaux Chrétiens commencèrent à affluer vers

l’Angleterre, ces personnes d’origine juive en provenance de la péninsule ibérique

avaient été coupées d’un judaïsme intégral et pleinement vécu depuis plus d’un siècle

et demi. Le judaïsme qu’on leur avait transmis était tronqué, clandestin, et dépourvu du

support institutionnel que représentent les synagogues et maisons d’étude. Ils avaient

approfondi leur connaissance du judaïsme grâce au passage – en Espagne et au

Portugal – de Juifs pratiquants en voyages d’affaires, mais aussi à travers la lecture

d’une littérature polémique anti-juive ou les sermons prêchés lors d’autodafés… Si les

Crypto-Juifs n’avaient jamais abandonné leur judaïsme, leur observance religieuse

s’était bien souvent atrophiée au fil des générations, la surveillance resserrée de

l’Inquisition rendant difficile et périlleuse la transmission de la connaissance de

l’hébreu, des pratiques liturgiques et de l’observance des rites juifs. Sans compter que

les persécutions de l’Inquisition touchaient les Nouveaux-Chrétiens77 sans distinction, y

compris ceux qui avaient déjà cessé de pratiquer le judaïsme en secret ; lorsque ces

derniers échappèrent aux griffes de l’Inquisition pour vivre en Angleterre, ils ne

réintégrèrent pas toujours l’ensemble de la pratique du judaïsme. Ils pouvaient se

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déclarer Juifs mais négliger par exemple de se circoncire – comme ce fut le cas de

Fernando Mendes et Alvaro da Costa78.

27 Une fois installée dans un pays tolérant, la grande majorité des Crypto-Juifs entamait

un processus de ré-judaïsation, réapprenant les rites, les croyances et les émotions

juives. Lorsque ces Nouveaux-Chrétiens s’installaient dans des communautés juives

majeures – comme Amsterdam ou Venise – dotées de structures établies et de

ressources intellectuelles à même de les rééduquer et de les réintégrer dans la vie juive,

ils devenaient généralement des Juifs pratiquants, capables de transmettre à leur tour

leur religion à leurs enfants et à leurs petits-enfants. Si ces Crypto-Juifs s’installaient en

revanche dans une communauté juive mineure, ils étaient plus largement susceptibles

de s’immerger complètement dans la société d’accueil et de s’assimiler79. Malgré ses

liens avec la communauté d’Amsterdam, la petite colonie juive de Londres se situait aux

confins de la vie juive structurée en Europe. Petite et négligeable, elle n’était réputée ni

pour sa piété, ni pour ses grands érudits en Thora – qui faisaient défaut. Lorsque le

haham David Nieto s’installa à Londres en 1701, la tâche se présenta dans toute son

ampleur – la foi constituant le dossier brûlant à l’ordre du jour : il lui fallait éclairer la

voie, renforcer la pratique religieuse, pointer du doigt les concepts biaisés et les

croyances étrangères, et affermir la foi en ravivant l’étincelle qui avait guidé jusque-là

toutes ces femmes, tous ces hommes au cours de leurs obscures pérégrinations.

28 David Nieto s’attacha très rapidement à faciliter l’intégration des réfugiés au sein de la

synagogue : il publia une traduction de certaines prières des Jours redoutables,

intitulée Bakachot (Suppliques), à l’intention du fidèle d’origine crypto-juive, étranger à

la langue hébraïque. Le fascicule, distribué gracieusement, comprenait notamment

quelques suppliques traduites en espagnol et une fervente exhortation à la pratique

religieuse ; il servait d’étape intermédiaire aux nouveaux arrivants et le haham devait

l’enrichir au fil des années80. Il importe de souligner ici le poids des idées à Bevis Marks.

Ce qui peut frapper l’observateur moderne est cette fougue que les fidèles pouvaient

investir dans la lutte pour les concepts, et la méfiance qu’ils témoignaient à l’égard de

toute opinion en apparence novatrice. Accrochés aux bases rudimentaires survivantes

de leur patrimoine idéologique d’origine, ils se dressaient jalousement face à qui

menaçait d’y opérer la moindre brèche, fût-il leur haham lui-même ! Deux années

seulement après son arrivée, le 20 novembre 1703, David Nieto prononça un sermon sur

la Providence divine, qui fit l’effet d’un coup de tonnerre et souleva la controverse au

sein de la congrégation : il avait avancé que la pensée juive ne reconnait aucun pouvoir

à la Nature, simple rideau voilant Dieu. Dieu est la Nature. Le Roi David n’avait-il pas

clamé, bien avant que ne naisse le concept même de la Nature dans la pensée

occidentale : « C’est [Dieu] qui couvre le ciel de nuages, prépare la pluie pour la terre,

fait pousser l’herbe sur les montagnes »81 ? Les propos étaient limpides, mais le haham

érudit fut accusé d’adhérer dans son exposé aux doctrines panthéistes hérétiques du

philosophe juif Baruch de Spinoza (1632-1677)82. Au cœur de la guerre de succession

espagnole, alors que d’aucuns se battaient pour survivre, les Séfarades de Londres se

passionnèrent pour cette polémique bouillonnante qui naquit sur les concepts de Dieu

et de Nature, et qu’on aurait pu croire le fait d’ecclésiastiques séparés des réalités

quotidiennes par les murs de leur maison d’étude. Sur le conseil d’Aaron Hart,

responsable de la communauté ashkénaze de Duke’s Place, le cas fut finalement soumis

à un observateur extérieur célèbre, le rabbin Tzevi Ashkénazi de Hambourg. « We do not

ignore how pernicious and sinful it is to originate dissensions in a congregation » précisaient

les opposants, assoiffés d’entendre « the Truth of our Holy Law on the point in question, so

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that we may [...] know what should be believed, and so obviate different opinions in such an

important matter »83. David Nieto développa sa position sur la question dans un essai de

94 pages intitulé De La Divina Providencia et, en août 1705, le rabbin Tzevi l’appuya et la

fit publiquement valoir, notant vers la fin de son courrier :

We must thank H.H.R. David Nieto, whom God preserve, for the sermon he preachedto warn the people not to allow themselves to be led away by the opinion ofphilosophers who treat on Nature [...] and he enlightens the eyes with the truebelief, which is that everything comes from the providence of God. I say, may Godfortify his strength and valour, and all, who, after having seen these words, shallthink hardly of him, in my opinion, incur sin84 (Solomons 17).

29 Avec justice et fermeté, la crise au sein de la congrégation fut jugulée : on avait rappelé

à cette occasion que Dieu est le maître d’œuvre de tout ce que les philosophes

attribuent à la Nature85 .On avait également suscité la légitimation du haham à l’échelle

européenne et dans le monde ashkénaze, puisque le rabbin Tzevi ainsi que les juges

rabbiniques Solomon Hildesheimer et Aryeh Löb Lodzker qui signèrent la

reconnaissance de son travail, étaient tous trois des Ashkénazes. Les fidèles étaient

certes éclairés, mais d’autres champs d’action se profilaient à l’horizon. En raison de

son vécu historique particulier, la communauté éprouvait des difficultés à embrasser

toute la législation rabbinique, cette tradition « orale » qui s’était perpétuée au fil des

siècles aux côtés de la Loi écrite, la Bible. Certains Séfarades d’origine crypto-juive

s’avéraient particulièrement perméables à différents courants hérétiques comme celui

des Néo-Karaïtes86 ,le sabbataïsme87 ou le déisme. Ainsi que le rappelait David Nieto :

Il était un temps où Dieu régnait sur Israël en maître incontesté, sur le Mont Sion etJérusalem, […] un temps où les sages d’Israël étaient divinement inspirés […], untemps où toute la maison d’Israël orientait son regard et ses attentes vers ses jugeset ses anciens, faisant d’eux son seul soutien et son unique guide pour appréhenderla Loi écrite […], un temps où les maisons d’étude ne connaissaient pas lacontroverse et la dispute, mais seulement la justice et la paix, un temps où les sagesd’Israël étaient unanimes et clairs dans leur discrimination du pur et de l’impur88.

30 L’exil et les persécutions avaient toutefois assombri ce tableau de clarté et, dans

nombre de sermons, de tracts et d’écrits philosophiques à l’intention de ses fidèles, le

haham tentait de mettre les idées au clair, encore et toujours, et de défendre le

judaïsme rabbinique contre ses détracteurs. En 1714, il publiait à Londres son étude

philosophique majeure Maté DaN (la Verge de DaN) : en cinq chapitres écrits sous forme

de dialogues, et en guise d’écho au Kouzari du rabbin, philosophe et poète Juda Halévy

(1086-1145)89, il y prenait la défense de la Loi Orale. À ceux qui lui refusaient toute

autorité, David Nieto répondait qu’elle avait été la toute première en vigueur : Sous

quelle forme Dieu s’était-Il donc adressé à Adam pour lui enjoindre de ne pas

consommer du fruit défendu ? Comment avait-Il ordonné à Abraham de se circoncire ?

D’où les hommes savaient-ils que le vol ou l’adultère était prohibé ? La Loi n’avait pas

encore été consignée par écrit ! La transmission avait été orale et s’était poursuivie au

travers des familles, au fil des générations. D’où avons-nous appris quel était le membre

concerné par la circoncision ? D’où savons-nous si le mois biblique est lunaire ou

solaire, quels sont les textes à insérer dans les phylactères ou les règles de l’abattage

rituel ? La Thora ne le précise pas… N’est-il pas nécessaire d’admettre que tant de

données sont passées dans le vécu du peuple par le biais de la transmission orale ?

N’est-il pas nécessaire d’admettre aussi que la Thora écrite ne peut pas être

appréhendée sans l’aide précieuse et indispensable de la Thora orale90 (Nieto 6-8) ? En

cinq débats imaginés entre le sage juif et le roi des Khazars, David Nieto cumulait les

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arguments et réduisait au silence les détracteurs de la Loi Orale, plus largement connus

sous le nom de Karaïtes. Il se voulait didactique, formateur, à la portée de tous :

« J’implore ceux qui enseignent la Thora de transmettre à leurs élèves les trois

premiers dialogues de ce livre et de bien les expliquer : c’est la raison pour laquelle je

les ai rédigés dans une langue claire et simple91 ». Dans son œuvre intitulée Ech Dat (le

Feu de la loi), publiée en 1715 par Thomas Ilive, il s’insurgea ensuite avec vigueur

contre le sabbataïsme que représentait à l’époque un certain Néhémie Hayyun, et qui

prenait de l’ampleur à Londres ; il y implorait passionnément ses coreligionnaires de

rester « in the holy and true faith and belief which we have received from our saintly

and pious ancestors, and that we should refuse, abhor and detest the new gods and

rituals which we do not know, nor our fathers »92. Il édita encore un opuscule traitant

du bain rituel, quatre volumes d’une concordance talmudique et une encyclopédie

talmudique, Chaar DaN (Portique de DaN), inachevée. Il laissa enfin des « notes

médicales » et une attaque virulente et circonstanciée contre l’Eglise catholique et

l’Inquisition espagnole, Recondite Notice of the Inquisition of Spain and Portugal, qui parut

en 1728, de façon posthume93. Il s’éteignit le 10 janvier 1728. Son fils Isaac composa

plusieurs oraisons funèbres, les Sermones fúnebres a las deplorables memorias del muy

Reverendo, y Doctísimo H. H. y Doctor R. David Nieto, sur 87 pages, et l’on peut lire sur sa

tombe cette inscription, composée par Isaac de Sequeira :

Sublime theologian, profound sage, distinguished physician, famous astronomer,sweet poet, elegant preacher, subtle logician, ingenious physician, fluentrhetorician, pleasant author, expert in languages, learned in history94.

31 Le haham David Nieto vit-il les fruits de ses efforts incessants et inlassables en faveur de

ses coreligionnaires ? Quelques années supplémentaires s’avérèrent de fait nécessaires

pour venir à bout des menaces contre lesquelles il avait lutté : Hayyun décéda en 1730,

oublié ; le sabbataïsme finit par disparaître, tout comme les Karaïtes et les Déistes, et

l’Inquisition espagnole fut enfin abolie en 1834. La Loi Orale représenta certes la cible

de maintes nouvelles attaques, mais elle incarne toujours le partenaire indissociable de

la Bible. Remarquée et célébrée de son vivant, son œuvre littéraire a traversé les

générations : réédité à de nombreuses reprises et notamment pour lutter contre la

Réforme judéo-anglaise en 1842, étudié aujourd’hui encore dans certaines académies

talmudiques en Israël et à travers le monde, Mateh DaN fait partie intégrante du corpus

intellectuel du judaïsme orthodoxe. De longues années encore, les Juifs de Londres

programmèrent l’entrée du shabbat en se référant aux horaires de Bina laïtim, et la

tradition des almanachs, qu’il avait amorcée en 1717, se perpétua dans la famille avec la

parution du calendrier juif d’Abraham Nieto, à New York en 1902. David Nieto avait eu

le bonheur de vivre à la tête de sa congrégation une période d’essor considérable, et la

communauté séfarade de Londres prolongea son développement au cours du

XVIIIe siècle, enrichissant ses structures éducatives et élargissant ses installations

caritatives, mais chérissant tout particulièrement et adoptant définitivement la

synagogue de Bevis Marks qu’il avait inaugurée, et au sein de laquelle se vivent toujours

les temps forts de son existence95. Elle connut assurément une période de déclin, mais

elle se reporte aujourd’hui encore, empreinte d’une nostalgie mêlée de fierté sur l’ère

de David Nieto – son âge d’or.

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Figure 1 : La synagogue de Bevis Marks aujourd’hui. Carte postale.

Figure 2 : Baron House96

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Figure 3 : Copped Hall97

BIBLIOGRAPHIE

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ROTH, Cecil. History of the Great Synagogue, London, 1690-1940, London: E. Goldston, 1950.

NOTES

1. Nous avons opté pour « Nieto », la transcription espagnole, la plus courante, de son nom, dont

la signification est « petit-fils » ou « descendant ». On trouve aussi la version portugaise, « Neto »,

employée par la famille et, parfois encore, « Netto » ou « Nietto ».

2. Derek TAYLOR, British Chief Rabbis 1664-2006, London: Valentine Mitchell, 2007, pp. 80-81.

3. Ce terme hébraïque renvoie sémantiquement à la sagesse et à la perspicacité (hokhma en

hébreu) ; depuis l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492, haham est le titre du guide spirituel des

communautés séfarades.

4. Certains historiens datent son arrivée à Londres en 1702. Israel SOLOMONS, “David Nieto and some

of his Contemporaries”, 1915 ; Transactions of the Jewish Historical Society of England 12 (1931), p. 8.

5. Moses GASTER , History of the Ancient Synagogue of the Spanish and Portuguese Jews: the Cathedra

Synagogue of the Jews in England situated in Bevis Marks. A Memorial Volume written Specially to

Celebrate the Two-Hundredth Anniversary of its Inauguration 1701-1901, London, 1901, p. 102.

6. Lucienne GERMAIN, Réflexes identitaires et intégration : Les Juifs en Grande-Bretagne de 1830 à 1914,

Paris : Honoré Champion, 2000, p. 30.

7. Lionel D. BARNETT, Bevis Marks Records; Contributions to the History of the Spanish and Portuguese

Congregation of London. Volume I: The Early History of the Congregation from the Beginning until 1800,

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51

Oxford : O.U.P, 1940. Volume II: Abstracts of the Ketubot or Marriage-contracts of the Congregation from

Earliest Times until 1837, Oxford: O.U.P, 1949, pp. 22-23.

8. Derek TAYLOR, op. cit., p. 96.

9. Israel SOLOMONS, op. cit., p. 2.

10. Derek TAYLOR, op. cit., p. 85.

11. Une plaque commémorative marque aujourd’hui l’emplacement de cette première

synagogue, dans Creechurch Lane, au cœur de la City.

12. Edgar SAMUEL, At the End of the Earth : Essays on the History of the Jews of England and Portugal,

London: The Jewish Historical Society of England, 2004, pp. 192-193.

13. Derek TAYLOR, op. cit., p. 84.

14. Lionel D. BARNETT, op. cit., vol. 1, pp. 24-25.

15. Derek TAYLOR, op. cit., p. 84.

16. Voir la figure 1.

17. Albert M. HYAMSON, The Sephardim of England, 1951; London: The Spanish and Portuguese Jews’

Congregation, 1991, pp. 70-71.

18. Derek TAYLOR, op. cit., p. 83.

19. Ibid., p. 91.

20. Ibid., p. 37.

21. Lucienne GERMAIN, op. cit., p. 31.

22. Cette restriction s’effaça en 1830.

23. Albert M. HYAMSON, op. cit., pp. 89-90.

24. Cecil ROTH, History of the Great Synagogue, London, 1690-1940, London: E. Goldston, 1950, p. 66.

25. Sarah-Anna LEVY-MIMRAN, La Communauté juive à Londres au XVIIIe siècle, thèse de doctorat sous

la direction de Suzy Halimi, soutenue le 6 janvier 2010 à la Sorbonne, pp. 127-128.

26. Albert M. HYAMSON, op. cit., p. 70.

27. Voir la figure 2.

28. Voir la figure 3. Malcolm BROWN , “Anglo-Jewish Country Houses from the Resettlement to

1800”, Transactions of the Jewish Historical Society of England 28 (1984), pp. 20-25.

29. Le terme que l’on rencontre le plus souvent dans les textes est celui de Marranes. Ce terme

exprime cependant le mépris des Chrétiens qui les dénommèrent ainsi : marranos = cochons… Les

Juifs les appelèrent les anoussim = convertis de force. Nous avons opté pour l’expression « Crypto-

Juifs » que l’on rencontre chez certains historiens, tels Edgar SAMUEL, David KATZ, et Gérard

NAHON. Juifs convertis au catholicisme dans des circonstances tragiques, ces Crypto-Juifs

continuaient de croire secrètement dans le Dieu d’Israël et d’observer en cachette les (ou une

partie des) préceptes du judaïsme.

30. Le terme « marchand » est une appellation banalisée et assez généralisée à l’époque, ayant

trait au commerce extérieur, mais renvoyant à un concept plutôt flou. Il arrive souvent que des

personnes soient classées sous la rubrique « marchands » mais exercent d’autres activités, dans

la finance ou le notariat, par exemple.

31. L’interdit d’importer des vêtements et tissus étrangers au Portugal s’imposa entre 1684 et

1703, date à laquelle le traité de Methuen ouvrit à nouveau la voie des importations et facilita

notamment l’importation du vin portugais.

32. John SMITH, Chronicon rusticum-commerciale ; or, memoirs of wool, &c. Being a collection of history

and argument, concerning the woolen manufacture and woolen trade in general, (2 vols.) London, 1747,

vol 2, pp. 142-144.

33. Harold POLLINS , The Economic History of the Jews in England, London, Toronto: Fairleigh

Dickinson University Press, 1982, pp. 44-46.

34. En 1688 déjà, on comptait deux synagogues à la Barbade et une autre à la Jamaïque.

35. Edgar SAMUEL, op. cit., p. 370.

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36. Derek TAYLOR, op. cit., p. 34.

37. Ibid., p. 83.

38. Albert M. HYAMSON, op. cit., pp. 427-428.

39. Abel BOYER, The History of the Reign of Queen Anne, Digested into Annals, London, 1712, p. 75.

40. Genèse 26 :12

41. Derek TAYLOR, op. cit., p. 82.

42. Entre 1679 et 1779, la communauté séfarade de Londres offrit annuellement au maire un don

accompagné d’une plaque. Au départ garni de pâtisseries, le cadeau fut plus tard rehaussé de

chocolats ou d’un don de 50 £. Enfin, en 1780, alors que la communauté traversait une crise

financière et alors qu’elle ne redoutait déjà plus la mauvaise volonté du maire à son égard, le don

annuel cessa. Cf. Edgar SAMUEL, op. cit., pp. 377-379.

43. Harold POLLINS, op. cit., p. 58.

44. Rappelons que, dans la loi juive, une personne dépendant de la charité doit également

contribuer à la charité : donner constitue une part essentielle de la dignité humaine.

45. Talmud de Babylone, Baba Bathra 10a : « Turnus Rufus interrogea Rabbi Akiva : « Si votre Dieu

aime véritablement les pauvres, pourquoi ne s’occupe-t-Il pas de subvenir à leurs besoins ? » Il

répondit : « Afin de nous épargner à nous le châtiment divin, et afin de donner aux êtres humains

l’occasion de multiplier les actes généreux ».

46. Cette pétition faisait suite à la proposition faite au Parlement d’imposer à la communauté

juive de Londres une taxe de 100 000 £ par an – proposition qui se vit finalement refusée.

47. Edgar SAMUEL, op. cit., p. 369.

48. Richard BARNETT , “The Correspondence of the Mahamad of the Spanish and Portuguese

Congregation of London during the Seventeenth and Eighteenth Centuries” in Transactions of the

Jewish Historical Society of England 20 (1964) 1-50, p. 3.

49. Lionel D. BARNETT, op. cit., vol. 2, pp. 66-69 & 73-84.

50. Richard BARNETT, op. cit., p. 4.

51. Israel SOLOMONS, op. cit., p. 25.

52. Cf. Neville LASKI, The Laws and Charities of the Spanish and Portuguese Jews’ Congregation of

London (1952). L’éducation des filles de familles pauvres fut prise en charge dès 1730, au sein de la

Villareal School, fondée par Isaac Da Costa Villareal et dirigée par un comité de dames bénévoles

qui leur consacraient de leur temps.

53. Richard BARNETT, op. cit., pp. 23-24.

54. Lionel D. BARNETT, op. cit., vol. 1, p. 26.

55. Richard BARNETT, op. cit., pp. 20-21.

56. Derek TAYLOR, op. cit., p. 96.

57. En 1432, le grand rabbin de Castille convoquait à Valladolid le congrès des Juifs de Castille

pour énoncer les statuts régissant toutes les communautés juives castillanes. Les ascamot (statuts)

furent composés en espagnol, mais transcrits en caractères hébraïques : la nécessité d’un fonds

destiné à l’éducation des enfants y occupe la toute première place ; le Rav (chef spirituel) joue un

rôle prépondérant, et le Ma'amad ha-Kahal (Conseil de la communauté) a la haute main sur

l'administration. Le texte complet (ne manquent que quelques lignes d’introduction) se trouve en

version anglaise sur le site : [http://www.fordham.edu/halsall/source/1432synod-castile-

jews.html] (25/5/2011).

58. Derek TAYLOR, op. cit., p. 84.

59. Psaumes 68 : 6

60. Israel SOLOMONS, op. cit., p. 9.

61. William MAITLAND, The History of London from its Foundation to the Present Time (2 vols.), London,

1769, vol. 2, p. 1190.

62. Ibid., p. 1191.

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63. Isaac ABENDANA, Discourses of the Ecclesiastical and Civil Polity of the Jews, London, 1706, p. 127.

64. « Enseignement », « répétition », Mishna est le nom donné à la première compilation de la Loi

Orale par le rabbin Juda Hanassi (vers 200), ainsi qu’à chaque paragraphe de cet ouvrage.

65. Israel SOLOMONS, op. cit., p. 21.

66. Ibid., p. 2-3.

67. Moses GASTER, op. cit., p. 105.

68. Cecil ROTH, op. cit., p. 72.

69. DaN est l’acronyme de son nom David Nieto.

70. Lionel D. BARNETT, op. cit., vol. 1, pp. 16-20.

71. Derek TAYLOR, op. cit., p. 83.

72. Cf. par exemple, Dissertatio in novam, tutam, ac utilem methodum inoculationis, seu

transplantationis variolarum, London, 1722.

73. Cf. par exemple, A Dissertation on the Method of Inoculating the Small-Pox, London, 1722.

74. Sermam funebre as deploraveis memorias do muy Reverendo, e doutissimo Haham Asalem Morenu,

A.R. David Netto, London, 1728.

75. Albert M. HYAMSON, op. cit., p. vi.

76. Moses GASTER, op. cit., pp. 1-2.

77. Les Juifs convertis d’Espagne et du Portugal étaient désignés comme Nouveaux-Chrétiens en

France, en Espagne (cristianos nuevos) et au Portugal (cristâos novos).

78. Albert M. HYAMSON, op. cit., p. 33.

79. Todd ENDELMAN , Radical Assimilation in English Jewish History : 1656-1945 , Bloomington &

Indianapolis : Indiana University Press, 1990, p. 24.

80. Israel SOLOMONS, op. cit., p. 24.

81. Psaumes 147 : 8

82. Philosophe hollandais, Baruch de Spinoza était issu d’une famille juive de commerçants,

d’origine portugaise. Il fut exclu en 1656 de la communauté juive d’Amsterdam, en raison de ses

idées religieuses non conformes à l’orthodoxie. Dans son ouvrage principal, l’Ethique (1677), il fait

l’exposé le plus complet, sous une forme à la fois rationnelle et mystique, des doctrines

panthéistes.

83. Israel SOLOMONS, op. cit., p. 13.

84. Ibid., p. 17.

85. John COVEL, professeur à Christ’s College (Cambridge) conclut une lettre adressée à David

Nieto en janvier 1706 à propos des calendriers, en notant qu’il embrasse également cette

position : « Universal Nature seems to me not more or less than the Platonic Chimera, that is, the

soul of the world, or a blind and vicarious Spirit, senseless, without reason, which, I do not know

by what plastic virtue, leads the particular Nature of everything. How I laugh about these foolish

things! From God alone proceeds every good thing [...] » (Solomons 24).

86. Les Néo-Karaïtes se caractérisaient par leur opposition à la Loi orale ou à la compréhension

littérale de certains écrits rabbiniques.

87. Mouvement qui s’organisa à l’origine autour du faux-messie Sabbatai Tzevi (1626-1676) et qui

eut au cours du XVIIIe siècle de grandes répercussions sur certaines croyances juives et,

notamment, sur le messianisme.

88. David NIETO, Maté Dan- Kouzari chéni, introduction (je traduis de l’hébreu), 2.

89. Sous une forme identique, le Kouzari avait pris en son temps la défense de la Loi écrite (la

Bible) alors que la communauté juive espagnole se laissait tenter, tantôt au Nord par le

christianisme, tantôt au Sud, par l’Islam. Notons d’ailleurs que le haham David Nieto a donné un

second titre à son œuvre Maté DaN : Kouzari chéni (second Kouzari).

90. David NIETO,. Maté DaN (en hébreu) London, 1714, pp 6-8.

91. Derek TAYLOR, op. cit., p. 95.

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92. Israel SOLOMONS, op. cit., p. 33.

93. Derek TAYLOR, op. cit., p. 96.

94. Richard BARNETT, op. cit., p. 15.

95. Voir le site de la synagogue : http://www.bevismarks.org.uk.

96. Malcolm BROWN, op. cit., p. 24

97. Ibid.., p. 24

RÉSUMÉS

Après avoir fui les persécutions de l’Inquisition et échappé à sa redoutable traque, les Juifs

séfarades trouvent à Londres un havre de relative tolérance et la promesse de nouvelles

espérances. Ils s’organisent activement et, en 1701, la congrégation inaugure l’admirable

synagogue de Bevis Marks et intronise David Nieto, auquel elle confie la présidence de sa destinée

spirituelle. Sous l’influence de cet homme d’envergure aux compétences multiples, une période

d’essor – que d’aucuns qualifient d’âge d’or - est amorcée, la croissance rayonnant sur la

solidarité, l’action caritative et l’éducation. Les défis restent toutefois nombreux et le rabbin est

notamment confronté au dossier brûlant de l’identité spirituelle de cette minorité juive à la

« préhistoire » troublante : les fidèles sont en effet issus pour la plupart de familles crypto-juives

ayant adopté la religion catholique en temps de turbulences, sans se défaire d’une appartenance

au judaïsme de laquelle ils se réclamaient en secret.

After they fled the persecutions of the Inquisition and escaped its awesome chase, the Sephardic

Jews found in London a haven of relative tolerance and the promise of new prospects. They

actively organised themselves and, in 1701, the community inaugurated the admirable Bevis

Marks Synagogue and installed David Nieto in his post of rabbi of the congregation. Under the

influence of this multi-skilled and brilliant spiritual guide, a period of development –which some

describe as a Golden Age- began, its social and economic growth including solidarity, charity and

education. Yet the challenges remained numerous and the rabbi was mainly confronted with the

burning issue of this particular Jewish minority’s spiritual identity: the members of the

community actually brought with them an unsettling “prehistory” since they mostly came from

Crypto-Jewish families, who had adopted the Catholic religion in times of difficulties, without

however getting rid of their membership to Judaism –which they had permanently practised in

secret.

AUTEUR

SARAH MIMRAN

Sarah-A. Mimran, diplômée du Jewish Teachers’ Training College (Gateshead, R.U), titulaire d’une

maîtrise d’hébreu moderne (INALCO) et d’un doctorat d’anglais (Sorbonne Nouvelle-Paris 3),

enseigne la littérature biblique, l’histoire et la pensée juives dans le privé. Sa thèse, soutenue en

janvier 2010, portait sur la communauté juive à Londres au XVIIIe siècle. Son champ de recherche

couvre l’histoire juive en général, et plus particulièrement l’Anglo-judaïsme, de la réadmission

(1656) à l’époque contemporaine.

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L'héritage colonialColonial Legacy

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Anti-Black Racism in British PopularMusic (1880-1920)Racisme anti-noir dans la musique populaire britannique (1880-1920)

John Mullen

Imperialist expansion and “scientific” racism

1 The rapid expansion of the British Empire in the second half of the nineteenth century

very much involved Africa and Africans. From the 1880s, war in Sudan confronted

Charles Gordon, leading Egyptian and British forces, with the Sudanese revolt. White-

led “loyal natives” were faced with “African barbarians” in the dominant English world

view of the time. In 1884, the Berlin conference formalized the agreement made

between European powers (with no African representatives present), to divide up the

African continent between them. In 1893, the First Matabele war showed the dreadful

superiority of the British army with its Maxim guns, against spear-throwing locals.1

And, at the very end of the century, the Boer war between Dutch-speaking and English-

speaking settlers in South Africa involved, to say the least, a cruel indifference to the

fate of indigenous Africans.2 If there is no reason to adopt a conspirationist view of

racial stereotyping in popular culture, racist discourses and representations were

undoubtedly useful to the imperial vision of the world. If Black people could be

considered as inferior, incapable or childlike, the justification for the imperial mission

would be much facilitated. The supposed inferiority of African peoples could also serve

as a post-facto justification of British organization of the transatlantic slave trade.

Finally, it may be considered that racism played a role of social stabilisation often

commented on. As Pickering remarks, popular entertainment based on racial

stereotyping:

[…] encouraged all social classes in Britain to think in racial categories and to rankthose categories on the basis of allegedly innate inequality between races […] thisdeflected attention away from class and gender divisions.3

2 Much has been written about the development of racist theories among Victorian

intellectuals, theories sometimes referred to as “scientific racism”. In his book The

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Mismeasure of Man, US science historian Stephen Jay Gould recounts the extreme

reluctance of many nineteenth-century intellectuals to doubt the “obvious” superiority

of the white man, even when faced with clear experimental evidence to the contrary.4

In 1863, James Hunt of the Anthropological Society of London posited that “negroes”

were a separate species, and were irredeemably inferior to Whites. Professor Francis

Galton’s book Hereditary Genius, published in 1869, theorized that, if the ancient

Athenians were even more intelligent than the modern English, the English were far

superior to Africans. He also affirmed that a suitable role for the British in Africa would

be to encourage the victory of the less inferior African tribes over the least “naturally

gifted”. In 1883 one of the few British writers who opposed racist ideas, philologist

Robert Needham Cust, complained that “the vast majority of the educated public appears to

have accepted at least some aspect of the new racial doctrine.”

3 The link between racist theory and imperial practice was, moreover, fairly direct. Lord

Lugard, Governor-General of Nigeria after 1914, wrote as late as 1922:

In character and temperament, the typical African of this race-type is a happy,thriftless, excitable person, lacking in self-control, discipline, and foresight,naturally courageous, and naturally courteous and polite, full of personal vanity,with little sense of veracity, fond of music and loving weapons as an oriental lovesjewellery. His thoughts are concentrated on the events and feelings of the moment,and he suffers little from apprehension for the future, or grief for the past. Hismind is far nearer to the animal world than that of the European or Asiatic, andexhibits something of the animal’s placidity and want of desire to rise beyond thestate he has reached. […] In brief, the virtues and defects of this race-type are thoseof attractive children.5

Popular imperialism and racism

4 What then of the attitudes of ordinary people, those most likely to be enthusiastic

participants in popular music events? In a period when most of the population do not

have the right to vote,6 and the opinions of the masses are rarely thought worthy of

recording, it is not easy to measure the influence of racist ideas outside the elite.

Certainly, this period saw a sharp rise in popular imperialism, helped along by the rise

of the mass-produced press and the development of the telegraph. In 1899, Rudyard

Kipling published his poem on the “White Man’s Burden” in a popular American

magazine, and it became the symbol of the racist defence of imperialism, even if it did

attract some criticism.7 The street parties in Britain during the Boer War showed the

prevalence of popular imperialism. Then in 1904, Empire Day began to be widely

celebrated, encouraged by the privately-funded Empire Day Movement.8 In particular,

schoolchildren were mobilized to celebrate a consensual image of the Empire as a force

for peace and civilization, and by 1910 the Church of England was publishing special

collections of hymns for Empire Day.9

5 Of course, in all historical periods, the ceremonial activities of schoolchildren may tell

us more about the values of headmasters than about those of children or their parents.

As Thompson points out:

There are real problems in reading from imperial propaganda - howeverwidespread or commercially successful - public acceptance or approval of theopinions therein expressed.10

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6 We should not therefore be excessively definite – the most we can say is that there was

a sizeable current of popular imperialism in the middle and working classes. Popular

imperialism is not exactly the same as popular racism, even in this period when there

was a very limited presence of non-white people in Britain, but they did tend to go

together. Comic books and children’s magazines about the “heroes” of the British

Empire certainly did not hesitate to use racist stereotypes abundantly. Advertisements

for everyday products blithely played on them, too. It will be unsurprising, then, to find

a similar situation in popular entertainment. Thompson says of street ballads of the

time

From the Indian mutiny (1857-8) through the confrontation with the Zulus (1879) tothe struggle against the Boers (1899-1902), the empire's ‘small wars’ gave rise to astring of ballads that were very much alike in their emphasis on the savagery,brutality and treachery of non-European peoples, and the courage and bravery ofthose sent to fight in far-away locations.11

The rise and transformation of the minstrel shows

7 In late Victorian and Edwardian Britain, live entertainment and sheet music were the

main focuses of popular song. If, by 1910, many ordinary people had been able, at the

seaside or on a fairground, to listen to a few recordings on phonographs and similar

machines, the everyday experience of listening to music was purely one of live

performances: street singers, family sing-alongs at Christmas or musical evenings in a

pub or in the parlour, barrel organ performances, and so on. England was a musical

place: by 1914 there were over three million pianos in the country. Already, by the

1880s, the music hall was the dominant form of live musical entertainment, along with

the pantomime (a sort of topical musical show produced in the Christmas season) and

the much more expensively-ticketed musical comedy. But there was also a very

particular form of evening show, a format which was built around racist caricaturing.

8 This was blackface minstrelsy. Where other forms of entertainment might include

racial stereotypes, blackface minstrelsy, also generally known at the time as “nigger

minstrelsy”, was wholly built around the stereotyping of Africans or Black Americans.

The minstrel show in its theatre version was an evening’s entertainment performed by

a troupe of white men blacked up to resemble caricatures of Black men: thick red or

white lips, wigs of tightly curled hair and so on. This type of show was imported from

the United States in the 1830s, but subsequently followed a separate development in

Britain than on the American continent. By the 1850s in Britain, the minstrel show was

very much stylized and structured. In the first part, a semi-circle of minstrels sang and

played, and two clown minstrels, named Bones and Tambo, mocked the master of

ceremonies, who perorated in pretentious and incorrectly used intellectual language.

In the second part, a variety of circus-type acts and dancing acts were produced. The

third part was mock heroic drama, in the style of, say, Shakespeare, produced in “nigger

dialect” and overflowing with puns, malapropisms and exaggerated diction. A walk-

around song completed the show.12

9 This form of entertainment became extremely popular, especially with new layers of

clerks and shop workers with aspirations, and with the professional classes. More and

more concentrated in the hands of a small number of companies with large amounts of

capital, it experienced a veritable boom after 1870. As one commentator writes:

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

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It caught the fancy of an amusement-starved public and was almost the onlyalternative to the doubtful humour of the music hall of the period. Minstrelsy was aform of family entertainment where husband and wife could take their childrenwithout fear of being asked embarrassing questions afterwards.13

It was thus considered as more “respectable” than the music hall, and certainly there

was no risk of hearing sexual innuendo or rude jokes, or seeing women’s legs, at the

minstrel show. Gradually, the shows became more sophisticated and the costumes and

sets more elaborate. Music-hall type songs or parlour ballads were added to the

“plantation songs”, and shows often now included virtuoso instrument playing, or

dancing. Although racism was at the centre of the concept of the blackface minstrel

show, it should not be assumed to be its only or even its principal attraction for the

millions who flocked to buy tickets. The music and dancing was often of high quality,

and the entertainment offered other pleasures. The minstrel was a clown figure who, at

the same time as reinforcing negative stereotypes of black people, gave delight to the

audience by mimicking and making ridiculous established elite figures, such as the

politician or headmaster. Minstrelsy also developed a number of forms and structures

which lived on in popular entertainment long after the minstrel show had died. Cross-

talk comedy duos, where one “straight man” and one comic interact, were developed

through minstrelsy, for example.

10 It is particularly important to underline that the social utility of the minstrel show was

different in the United States and in Britain. In the USA, minstrelsy was one of many

weapons to help keep down a large local minority population, and to cement white

fellowship in the public mocking of the denigrated Other. The audience of the US

minstrel show had everyday dealings with Black people and the show gave them images

which had a practical effect in everyday living. For a long period, the US audience was

made up essentially of working-class white men, whereas, as we have noted, the UK

audience would include large numbers of middle-class professionals and their families.

In the UK, the mocking of black people was the mocking of a distant denigrated Other:

the majority of the audience had probably never met anybody who wasn’t white. The

racist stereotypes remained functional as a way of reinforcing popular imperialism, but

impinged little on everyday living.

11 The minstrel shows’ popularity generated a mass market for sheet music of the songs. A

number of albums entirely made up of these songs were published, and many other

albums would include a song of this type. As late as 1915, the People’s Song Book,

published in London, promised “32 favourite Scottish songs, 33 favourite English songs,

35 favourite Irish songs. 34 favourite Welsh songs (…) and 32 Nigger minstrel songs. All with

music in sol-fa and staff notations, etc.”14 One of the most popular minstrel troupes, the

Mohawk Minstrels, published a regular magazine for a number of years. In each issue

were a dozen or so songs. Interestingly, it seems that in each issue there was one “coon

song” written in a caricature of Black American dialect. The rest of the magazine was

made up of other types of song: love songs, jealousy songs, songs of joie de vivre, cute

children, sick children dying, and dancing songs. There were also many “motto songs”

delivering moral advice. The latter included such titles as “Do Not Speak the Angry

Word”, “Never Be Ashamed of Your Mother,” “Think of the Lowly Ones” and “Do Not

Nurse Your Anger”

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The coon song and other offshoots of minstrelsy

12 Blackface minstrelsy as an evening theatre show declined very rapidly after 1890. It is

difficult to identify precisely the reasons for this. Certainly the rise of musical comedy

as a more versatile evening of respectable entertainment was one factor: musical

comedy aimed at the same market sector. Pretty dancers, sumptuous costumes and

decor, the staged threat of loose morals and a spectacular wedding finale were the key

attractions of this genre. While remaining more respectable than the music hall, the

form was much more open than was the minstrel show to storylines of male-female

relationships and “naughty” girls, the rise of which themes paralleled the very slow

relaxation of Victorian morals.15

13 Blackface minstrel shows did not owe their decline to public protest over their racist

content. We have found no examples at all of denunciations of blackface minstrelsy in

Victorian and Edwardian Britain.16 If such denunciations existed, they must have been

very much a minority affair. This is despite the fact that we know of severe criticism of

minstrelsy in the US context from many decades earlier. Indeed, the great black

abolitionist orator, Frederick Douglass, had declared as early as 1848 that blackface

performers were “the filthy scum of white society, who stole from us a complexion denied to

them by nature, in which to make money, and pander to the corrupt taste of their fellow white

citizens.” And in the 1850s, some in the US music industry had come to consider

“minstrel dialect” as degrading.17

14 Even if a rejection of public racism was not one of the causes of the decline, it may well

be that the abolition of slavery in the United States in the mid-1860s contributed to

making the blackface stereotypes slowly appear out-dated. It does seem that the most

violent racist content became considerably more muted as the genre moved into the

twentieth century. The blackface minstrel continued for some decades to be

widespread in many other forms, which developed in parallel with the theatre show. As

a shorter seaside show, for example, blackface still had a long future – Uncle Mack’s

Minstrels, at Broadstairs near Brighton, played three shows a day from 1900 for almost

fifty years. In town fairs or village fetes, the amateur minstrel troupe was omnipresent

before the First World War. The street parade organized in support of the Crewe

Memorial Cottage Hospital in 1907 “included no less than eight minstrel troupes from local

workshops, with names like ‘Original Golliwogs’ and the ‘Colombo Troupe of Dancing Darkies’.”18

15 In particular, the blackface music-hall turn remained popular long after the decline of

the full minstrel show. Dozens of greater and lesser artists tried their hand at it. Eugene

Stratton, who died in 1918, G. H. Chirgwin, who died in 1922, and G. H. Elliott, who died

in 1962, were the biggest stars. Elliott was billed as “The Chocolate-Coloured Coon” and

Chirgwin as “The White-eyed Kaffir” (for reasons we shall see below). Chirgwin starred in

the very first Royal Variety Command Performance in 1912, a show organized for the

King, and an important milestone in the long campaign of music-hall proprietors to be

accepted as respectable entertainment. The music hall chose, after 1880, to portray one

particular version of the Black stereotype, one suited to the one-man turn generally

presented. As Pickering explains:

The coon was a particular extension of an earlier blackface stereotype, the uppity,socially pretentious, outlandishly attired nigger buck of countless songs. This urbandandy Jim figure contrasted with the plantation sambo.19

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61

Into the twentieth century

16 In the minstrel show, there were only men on stage, but in the music-hall turn, after

1890, women or even children could be “negro imitators” or “negro delineators”, as they

were also called. Bessie Wentworth, who died in 1902, was one of the most successful,

and May Henderson did blackface on the music-hall stage at least as late as 1927.20 In

1915, the “youngest ever” negro imitator was presented at the music hall – a child of

eight years old.21 The music-hall turn saw some development in the caricature and the

stage use of it. This is particularly notable in the case of Chirgwin, billed as the “White

eyed Kaffir”. Chirgwin played in blackface make-up, but with a diamond over one eye

which was made-up white. This adaptation, apparently of accidental origin, allowed

him to make his stage persona more complex; one had the impression of the artist

peering from behind the mask, therefore identified as artificial. “Chirgwin's persona was

as much cockney as nigger” writes Michael Pickering,22 “and in this he contrasted with some

other performers who wanted their nigger mask to be 'realistic'.”

17 The “coon song” often faded gradually, in the twentieth century into the “Dixie song”, a

genre which could be presented by blackface or by other artists. These songs idealized a

past in the South of the United States, in times supposed to be nobler and simpler. For

the artists and their audiences, Dixie stood for a lost paradise which could just as easily

have been located elsewhere. Indeed “Old Dixie could merge hazily into an equally

vague concept of 'old England'”23 These Dixie songs were very popular during the First

World War, in particular after the Dublin revolt of 1916 made songs about Ireland as a

rural paradise more difficult to sell. We found at least twenty-five different ones sung

in the music halls of the war years. They included titles such as the following:

How’s Every Little Thing in Dixie? I’m on My Way to Dixieland Mixing in Dixie Night-time Down in DixieRock a Bye Your Baby with a Dixie Melody Down Where the Swanee River FlowsEverything is Peaches Down in GeorgiaMy old Kentucky HomeWhen it’s Honeysuckle Time in MarylandThey’re Calling Me in Tennessee Down Texas Way.Oh! That Virginian Tune.

The racist content in songs

18 We are now going to look in more detail at the racist content of the songs in the period

1880-1920, though we have omitted some of the most deeply distasteful examples. In

the twenty-first century, some aspects of racism are widely understood; in the period

we are studying, this was not the case. As Pickering writes, Victorian racism "was a

social phenomenon that did not know itself, and as such had not been publicly named,”24 and

this observation seems to us equally valid for the racism of the early twentieth century.

It is thus a rather different phenomenon from twenty-first century racism in Britain.

Racism today may be structural and institutionalized – as was shown by the

Macpherson report of 1999, and by the results of attempts to “promote racial equality”

since this objective became compulsory for public bodies in 2000. Or it may be part of

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62

the programme of a minority, militant organization such as the British National Party

or the English Defence League. However, although almost any member of an ethnic

minority can explain that more subtle racist attitudes are widespread, it is difficult for

us today to imagine the situation where the biological superiority of the “white race”

was taken for granted across all social classes.

19 In the songs about “niggers” and “coons” from 1880 to 1920, the Black man and, less

frequently, the black woman, are generally imagined as the mirror image, the polar

opposite of the ideal white Victorian or Edwardian gentleman and lady. The first

element to consider is the supposed physical characteristics of the black Other. The

blackface mask was deep black (“racial mixing” was to remain invisible), and

characterized by big eyes, big lips, very white teeth, and tightly curled hair. The

audience immediately recognized the type and associated it with other characteristics

they had read of or heard of, since racial stereotyping was widespread. Indeed, the

description of the “typical negro” in the mass-circulation magazine The Boy’s Own Paper

in 1895, was not unusual at the time:

The arm is two inches longer in proportion than that of a Caucasian, and the handshang level with the kneecaps; the facial angle is seventy as against eighty three, thebrain weighs thirty five as against forty five; the skull is much thicker [...]there isno growth in intelligence once manhood is reached.25

20 In the songs from minstrel shows, we see many examples of grotesque physical

characteristics. In the song “Happy Am de Boys Down Dere”, we see the narrator’s

auntie, Aunt Deb, “has a mouth two acres wide”. Some years later, Eugene Stratton’s hit

song “The Whistling Coon” presents his character as “an independent, free and easy, fat

and greasy ham, with a cranium like a big baboon.”26 A number of songs present the colour

of the skin as a painful problem. The 1898 song27 “She’s a Thoroughbred”, as well as

using a word “thoroughbred” normally reserved for animals , to refer to a black

woman, boasts that she is not as black as some : “She’s a thoroughbred, the best in town,

she’s not so dark, just a chocolate brown.” The 1910 song “I’m Sorry You’re a Coon” has a

similar focus. The hair of the black Other is presented, in songs such as “You Must Have

de Wool on de Top” as automatically hilarious. Typical is an 1898 song, “Dere’s

Something about Yer I like,” which has the following chorus, sung by a young man to

his girl:

You're not good looking, you're a big fat ugly coon You’re not so stylish for your clothes am out of tune You are de blackest wench dat ever crossed de pike Yet dere's something about yer I like.

21 A few songs fantasize about being able to “correct” the “defects” of black people. An

1894 song looks forward to the day “When They Straighten All the Coloured People’s

Hair,” whereas the 1906 song “De Whitewashed Coon” imagines a story of a white coon,

who is disliked by the other coons, because all the black girls prefer him.

Happy, childlike, stupid…

22 Moving onto psychological characteristics, the imaginary black people are first

portrayed as childlike and full of fun, (“De Sun Am Shining All de Time” 1889),

tremendously attached to their white masters and their life as slaves on the

plantations, devastated when their master dies (“Ole Massa’s Passed Away”, “Massa’s in

De Cold Cold Ground”), delighted when the master comes home after a holiday

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(“Massa's Sent a Jellygram to Say He’s Coming Home). They love their work, southern

cooking, and singing in the evenings. Here are a few more song titles:

Happy Little Sam 1874

Nuffin’ Hurts Me 1877

I’m a Happy Darkey lad 1880

The Laughing Darkie 1897

Happy Am de Boys Down Here

Happy Little Darkie 1899

The Laughing Nigger Boy 1914

23 Only very rarely is the black man represented as menacing, as in “The Cannibal Nigger”

in 1891, or “Li’l Cannibal Coon” in 1921. This presentation of the happy black slave did

not prevent quite a number of minstrel shows from including scenes or even songs

which opposed slavery. “The Flight of the Slave”, “Chorus of Freed Slaves” and

“Emancipation Day” are three examples. If the black Other was happy, he was also

stupid. He would often speak in a caricature of Black American English, and one of the

turns in each evening minstrel show would be a “stump speech” where an artist gave a

pretentious delivery, filled with intellectual words incorrectly used or wrongly

pronounced. Here is an example of the emphasis on stupidity, a piece entitled “The

Nigger that Never Knew Nuffin at All:”

His name was Peter, he thought it was SamHe thought a pig’s head was a shoulder of lambAnd he blacked his boots with strawberry jam,The nigger that never knew nuffin at all.His Aunt Susannah disliked him soFor he always called her his Uncle JoeAnd he thought his right thumb was his left big toe,He was such a nigger noramus

24 The 1905 hit “The Silliest Coon in Town” and the 1913 number, “The Simple Nigger”

paint a similar picture.

25 In addition to being stupid, he was lazy. An 1899 song explains: “I know a coon who never

worked a day in all his life.” The 1912 song “The Lazy Coon’s Dream” follows a similar

vein. One of Eugene Stratton’s 1896 hits, “The Idler,” presents a lazy Black narrator

who is proud to be so: “I’m just about the idlest coon that ever shook a leg. Too idle for to work

and too idle for to beg.” The sing-along chorus continues:

I'm an I D L E R I'm an idlerI'm an I D L E RI can take a drink all gay But when it comes my turn to pay I'm an I D L ER

26 The sing-along chorus allows the audience, as well as endorsing the stereotype, to

borrow the mask of the idler and to enjoy celebrating being lazy at a time when hard

work was a key social value. A similar phenomenon is seen in a fair number of music-

hall songs.

27 We are not surprised to see innate dishonesty as another part of the Black caricature.

“The Flyaway Coon” presents a Black man who eats in expensive restaurants and drinks

champagne, but manages to disappear when the bill arrives. The narrator of “The

Coster Coon” had to leave the United States and come to London because he had stolen

a chicken, whereas the titles of the 1896 song “Cunning Little Coon” or the 1901 song

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“The Burglar Coon” speak for themselves. In some songs the nature of the Black man is

a subject of “debate”. The song “The Coon’s Conscience” in 1908 examines the question

of whether Blacks are responsible for their dishonesty, and suggests that they cannot

help themselves. The “coon” brings back a dead chicken he had stolen from a parson,

and explains himself in these words:

In my heart dere’s a good man a-living and a bad man too.Dey both start telling me what I’m to do.Bad man says do what isn't right,Den de good and the bad man quarrel in my heart And keep me awake all night.

The “ridiculous” black man

28 The black Other is above all presented as ridiculous. There is also however an even

more vicious undercurrent. In a number of songs the black man suffers violence. In

“The Whistling Coon” (1891), the black character has his head smashed by a brick, but

continues to whistle happily. This festive recounting of the black Other suffering is a

key ingredient of racist humour throughout the centuries. Thus the 1902 song “Ten

Little Niggers from Ohio” presents ten black men who all love the same woman.

Although they know she will not want a black sweetheart, they are all determined to

win her over. One buys a gun, and they fight until all are killed. The whole story is of

course sung in a joyous and jaunty tone. In “The Nigger and the Bee”, a lazy black man,

who tries to steal honey from a beehive, gets attacked by swarms of bees.

29 A fair number of songs deal with the idea of a black man filling a prestigious role: a

military major, a society gentleman and so on. In the racist atmosphere of the time, this

is automatically funny. Titles such as the following are in this category:

The Black Philosopher (1878)

The Military Coon (1896)

The Darky Aristocrat (1896)

The Coon Drum Major (1899)

The Phrenologist Coon (1901)

Ma Coon’s Got Lots of Money (1902)

The Coon Ambassador (1903)

The Society Nigger

Ma Coon Am a Millionaire (1904)

Oh! I Am a Darkie Beau (1911)

If You Should See a Dandy Coon. (1911)

30 The 1899 song “I’se a lady” is exceptional in that it is sung by a blackface woman. A

coloured woman declaring herself to be a lady is supposed to be amusing in itself.

Three years previously, the song, “De Next President Am Gwine to Be a Coon,”

published both in Boston and London, laughs at the idea that the next US president will

be a black man:

I tell yer Mr Johnson, if times keep growin’ worseDe next president am gwine ter be a coonWhen Bill he gets elected he’s gwine to make things humHe’s gwine ter banish white folk ter the moon There weren’t be no more working

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Jest only eat and bumDe next president am gwine ter be a coon.

31 Other songs place the black man once more “in the wrong place”. For example “The

Cockney Coon” (c1899) tells of a Black man who lives in London:

You heard about the coon who sings about the moonWell there’s a coon I know Just as big a mouth as a nigger from the SouthJust as short of rhino28 He thinks that Allybama is as far off as the moonHe knows more of Ally Sloper29 For he’s a cockney coon!

32 The emotive force of the song comes from the supposition that black people who are

also cockneys are a hilarious impossibility. Here the black Other invades the home

territory of the popular audience, in a publicly recounted nightmare, at which the

white people laugh together to reassure themselves of its impossibility. Along the same

lines is a song called “The Tipperary Coon”. It tells of a Black man who falls in love with

“an Irish girl, face fair, red hair.” He goes to see his future father in law who:

Emptied first his whisky flaskSaid “why the divil, may I askDon't you remove that ugly mask you brute?” But when I told him t’was my faceSaid he “Oh Bridget, don't disgraceThe bould McCarthy blood and race

33 This song manages to denigrate both the black man, and the “stupid Irishman”,

another traditional target of racist stereotyping in England. In racist imagination over

the ages, the fact of black men becoming intimate with white women has always been a

leitmotiv.

34 After this survey of the main elements of racist content, it is worth reflecting on the

structure of the communication of these racist stereotypes. Black people are here

denigrated on stage in front of a white audience enjoying one of their rare leisure

evenings. The representation gains even more emotional force from the fact that the

audience is seeing, or pretending to see, black people denigrating black people, rather

than white people doing so. Finally, the tradition of collective sing-along choruses

reinforces the emotional weight further. It may well be that the ideological effect on

the mass audience is far greater than all the ministerial speeches about imperial policy.

35 It seems that the most vicious of the racist songs became much rarer after the 1900s.

When Chirgwin writes his memoirs in 191230 he only mentions sentimental songs, not

ones with an easily identifiable racist content. G. H. Elliott’s later production is almost

exclusively made up of nostalgic “Old Dixie” Songs, love songs and cheer-up songs, and

they are not generally sung in mock dialect, though some songs still represent the

“ridiculous” Black Other, such as the 1929 recording about a man who learns to yodel,

and seems so strange in the evening sing-alongs among the “Darkies” on the

plantation. Though the blackface minstrel could be seen on British television as late as

the 1970s, the content had been watered down tremendously. Words like “coon” and

“nigger” were no longer used, and the songs were cheer-up songs, Dixie songs and

lovesick songs. The visual caricature however, has changed little.31

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“Positive” stereotypes

36 We must not think, though, that blackface is only based around the political need to

have a black Other. The stage Other is constructed, mostly subconsciously, by the

artists and goes much deeper into the Victorian and Edwardian psyche than do the

commands of British imperialism. Notably, the characteristics imagined in the black

Other are not always negative. As Michael Pickering puts it “the Black low Other was both

derided and desired.”32 Victorian and Edwardian gender roles were complex, but very

strict. Since almost all blackface represented black men, the rules about masculinity are

the ones we must look at. The black Other is represented as being able to be and do

those things which are forbidden to a respectable Victorian or Edwardian man.

Therefore, he can ignore such dull virtues as thrift, hard work, and seriousness, and

instead be lazy, playful, light-hearted and emotional.

37 The black man on stage is, then, portrayed as being much more sentimental, and

attached to his children, than is the white man. So songs from the 1880s like “Baby Boy

Has Passed Away” and “My Honey Baby Coon”, in each of which a man mourns the

death of his baby, would be extremely difficult to perform in that society with a white

stage persona.33 This despite the fact that the experience of having babies in the family

die was widespread in all social classes. Other songs such as “De Nigger’s Babbies”

(1876) and “I’m the Father of a Little Black Coon” (“Enjoy yourselves with me. I’m as happy

as can be – I’m the father of a little black coon.”) show men celebrating their relationship

with their children – in the former, the persona sings of how he loves to sing his

children to sleep with his banjo.

38 The black-character-on-stage is also frequently represented as lovesick or jealous.

Although readers today are very familiar with lovesick or jealous male narrators in

popular songs, from Bing Crosby via Human League to The Streets, it is important to

remember that this was practically unknown at this time.34 The white male lover

narrator was almost always either completely in love (and planning to marry) a perfect

woman, who was made to love him back, or married to a hopeless nag. The

introduction of sentimental male narrators into popular song was not without its

conflicts. During the Second World War, important sections of the BBC establishment

opposed the broadcasting of melancholic “crooners’” songs”, seen as “anaemic”,

“debilitated” and “slushy in sentiment”. The radio programme Sincerely Yours, presented

by Vera Lynn, was criticized in parliament as “a potential threat to the national fibre”.35

The BBC was convinced that the jaunty and boisterous tone of First World War songs

was still what was needed for national morale in the Second war.

39 This is then the reason why the lovesick and jealous roles are left to the imaginary

black character. They are not generally meant to be comic, but moving, at the same

time as distanced from the respectable white audience’s gaze, although they may

sometimes combine the portrayal of a desired sentimental Other and a ridiculing of the

suffering of the black man. These songs include the following:

Every Nigger Had a Lady but Me 1895

Don’t Yer Trifle Wid Me, Honey 1896

Now de Eyes I lubb’d Am Flown 1897

Are You Gwine ter Kiss Yer Jacob?

A Lovesick Nigger

The Bachelor Coon's Lament ...

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There's One More Coon Who Has Lost His heart

Why Don’t Yer Lub Me, Honey? 1900

The Only Coon Without a Gal 1905

A Lovesick Coon 1911

40 A final element of the desired Other involves the supposed capacity for spontaneity and

musicality. Expressing emotion, in Victorian and Edwardian conceptions of

respectability, was problematic, and this was one of the reasons for the cool reception

the British establishment gave to Jazz music, when it arrived in Britain shortly before

1920. The black characters in minstrelsy and in coon songs are, then, presented as able

to express themselves in frowned on but exciting ways. “Over and over again, Blacks

are venerated for the emotional spontaneous music and at the same time reviled for its

allegedly degenerative influence.”36 This trope will of course continue to be present in

racial stereotyping for many years afterwards.

The Great War

41 The arrival of the Great War in 1914 gave rise to a change in the British view of African

peoples. They were now to be praised as noble allies and fighters for the Empire. Tom

Clare’s 1915 music-hall song “Once the Kaiser’s Army” emphasized the “heroic” role of

empire armies. This theme did not produce a large number of songs which mention

black soldiers as such, but the 1915 song “John Bull’s Little Khaki coon” is to be noted.

The narrator is a black soldier, the title identifies him as childlike (“little”), and the

lyrics include the following:

Germany has found that the colours won't run No matter how you shootWe always stand our groundAnd John Bull's very proud of his little khaki coon

And the sing-along chorus is as follows: I’m not a common darkie That's why I'm dressed in khakiOne of the boys that helped to bear the bruntWe’ve been very very busy at the frontWilliam thought he had us cornered But we’ve made him change his tuneI’m an absent minded beggarBut everybody’s proud ofJohn Bull’s little khaki coon

42 As part of the imperial forces fighting “German barbarism”, the African man has lost

most of the traditional elements of his stereotype. He speaks in normal, grammatical

English, and, importantly, as the narrator is the black man, the audience is asked to

identify with him, and sing with his mask on, in the sing-along section.37 The

paternalism of the song was not necessarily reserved for black peoples. The popular

1916 song “Well Done, Little Ones, Bravo Belgian Boys” demonstrates this, as do the

1914 hits “Good Luck, Little French Soldier Man” “Three Cheers for Little Belgium” and

“Bravo, Little Belgium.”

43 There had been at least one precedent for a Black soldier narrator – a song some fifteen

years earlier: “Victoria’s Black Hussars”.38 Here are some of the lyrics:

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Niggers want free trade to fight as well as whitesAnd so we’ve got a black brigade to put the world to rightsThough we’re all black we won’t turn back but fight till all is blue.

The Irish and the Jews

44 Anti-Black racism is not the only form of racial stereotyping in the popular songs of the

time. Both Irish and Jewish people were caricatured and mocked in song, and there is a

link between the development of immigration in England and these songs. In both

cases, the phenomenon differs from the case of anti-Black racism in the sense that the

music-hall audiences of the time would know and meet Irish and Jewish people in their

everyday lives, and so the construction of the Other would fill different needs. In both

cases, too, the desirable Other is mixed in with the denigrated Other. Considerable

further work is needed on the articulation of racial stereotypes of the Irish and the

Jewish and popular entertainment of the time.

Conclusion

45 We hope we have shown in this article the weight of racist stereotyping in popular song

of this period, and its probable usefulness for the Empire project. The public

denigration of the Black Other is, of course, not reducible to its racist content or

imperial role. Public denigration of any Other is a form of general psychological

compensation for popular audiences whose own denigration in the social economy of

Victorian and Edwardian Britain was ferocious and continuous. It seemed to us

important to pull out the specifically racist strands of popular entertainment in this

period when it is turning into a veritable industry and has an ever wider influence on

the way people see the world.

APPENDIXES

Note on sources

By far the majority of the songs quoted come from the vast, but very far from

comprehensive, sheet music collections of the British Library in London. The songs

there were generally published and sold as sheet music for piano and/or banjo, with

the words to the songs included. Sometimes they were sold as albums – the “greatest

hits” of a given year, or of a given artist or genre. Other song titles in our article were

found in Michael Kilgarriff’s encyclopaedia of the British music hall39, or are available

from Windyridge, a small home-run company which has re-released on Compact Disc a

few hundred songs transferred from the original phonograph cylinders or gramophone

records of the time. In general, we have only mentioned US songs if they were also

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published in London, or if we had other evidence that they were sung on stage in

Britain.

A few of the songs we have mentioned, though quite offensive, can be listened to or

downloaded from the internet. A 1917 US version of “The Whistling Coon” can be heard

here: [http://www.archive.org/details/

EdwardMeekerEmpireVaudevilleCompwithBillyMurray] (24/06/20011)

And a 1902 US version of “All coons look alike to me can be heard here: [http://

www.archive.org/details/ArthurCollinswithVessLOssman] (24/06/20011)

Illustrations

Newcomb’s minstrels were an American group who had great success touring Britain.

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70

Uncle Mack’s Minstrels still played at the seaside in Brighton in the 1930s.

Adverts did not hesitate to use racism: an advert from 1907

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71

A racist caricature on a sheet music cover.

G.H. Elliott (1884-1962)

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72

G H Chirgwin “The White-eyed Kaffir” adapted for his own purposes the blackface tradition, andmixed it in with the cockney persona.

After 1890, some female “negro imitators” made a good living on the music-hall stage; here, MayHenderson, who worked at least until 1927.

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73

A CD release today

NOTES

1. Leading Hilaire Belloc to pen the aphorism “Whatever happens, we have got / The Maxim gun,

and they have not.”

2. Niall FERGUSON, Empire: How Britain Made the Modern World, Harmondsworth: Penguin, 2004, p.

278.

3. Michael PICKERING, Blackface Minstrelsy in Britain, Aldershot: Ashgate, 2008, p. 109.

4. Stephen J GOULD, The Mismeasure of Man, New York: Norton, 1981, passim.

5. F.J. LUGARD, The Dual Mandate in British Tropical Africa, s.l.: Blackwell, 1922, p. 70.

6. The Representation of the People Act 1918 would increase the electorate from 7.7 million

people to 21.4 million, 43 % of them women.

7. See for example Edmund MOREL, The Black Man’s Burden, in Louis L. SNYDER, The Imperialism

Reader, Princeton: Van Nostrand, 1962, pp. 163-164. It was first published in 1903.

8. One can view a fascinating film of a popular Empire Day celebration in the North West of

England, at the following address http://www.colonialfilm.org.uk/node/461.

9. Bishop of Durham, Bishop of Ripon, et al., Hymns for Empire Day, London: Skeffington and Son,

1910.

10. Andrew THOMPSON, The Empire Strikes Back: the Impact of Imperialism on Britain from the Mid-

Nineteenth Century, London: Pearson, 2005, p. 39.

11. Ibid. p. 51.

12. PICKERING op. cit., pp 17ff.

13. John ABBOTT, The Story of Francis, Day and Hunter, London: William Chappell, 1952, p. 9.

14. The Peoples Song Book, Dundee and London: John Leng and Company, 1915.

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74

15. Peter BAILEY, “Naughty but Nice: Musical Comedy and the Rhetoric of the Girl” in Michael

R. BOOTH and Joel H. KAPLAN (Eds), The Edwardian Theatre: Essays on Performance and the Stage,

Cambridge: Cambridge University Press, 1996.

16. Michael Pickering, the author of the only full-length academic study of blackface minstrelsy

in Britain confirmed to us that he knew of no such denunciations in Britain.

17. Derek SCOTT, Sounds of the Metropolis: The 19th-Century Popular Music Revolution (in London, New

York, Paris, and Vienna), Oxford: Oxford University Press, 2008, p. 52.

18. PICKERING op. cit., p. 87.

19. Ibid. p. 160.

20. The Encore, 19 July 1917.

21. The Performer, 18 February 1915.

22. PICKERING op. cit., p. 98.

23. Ibid. p. 133.

24. PICKERING op. cit., p. 117.

25. Quoted in PICKERING op. cit., p. 125.

26. This song was previously recorded in the US in 1891, by George W. Johnson, a Black American,

often considered the first Black recording star in the USA.

27. We will often note the date of publication of the sheet music. This is not always possible:

sheet music is not infrequently undated in this period. If the song was published in the United

States and in Britain, we have used the British publication date. In addition, it is worth

remembering that some of the more popular songs will be sung on stage for periods of thirty

years or more.

28. A slang word for “money”.

29. A very popular British comic strip character, first published in 1867.

30. G. H. CHIRGWIN, Chirgwin’s Chirrup: Being the Life and Reminiscences of George Chirgwin, the ’White

Eyed Musical Kaffir’, London: J. and J. Bennett, 1912.

31. Conflicts concerning blackface continue into the twenty first century. An Australian TV show

which presented a blackface sketch by « The Jackson Jive », in 2009, caused considerable

international uproar. Sydney Morning Herald, 8 October 2009.

32. PICKERING op. cit., p. 140.

33. It is not only the Victorian or Edwardian gentleman who cannot gush over his children – a

famous 1915 music-hall song “A Little Bit of Cucumber” shows a “typical” working class man who

cannot recall exactly how many children he actually has.

34. Although more common in the more up-market operettes of Gilbert and Sullivan.

35. Siân NICHOLAS “The People’s Radio: the BBC and its Audience 1939-1945” in Nick HAYES and

Jeff HILL (Dirs..), ‘Millions Like Us ?’ British Culture in the Second World War, Liverpool: Liverpool

University Press, 1999, p. 82.

36. PICKERING op. cit., p. 131.

37. Another song, from the previous year, “Our Boys in the Army” mentions Indian soldiers in a

positive light: “The hindoos with their knives

Are offering up their lives For the honour of the empire’s glorious name!”

38. Auckland Star 10 November 1880

39. Michael KILGARRIFF, Sing Us one of the Old Songs – a Guide to Popular Song 1860 – 1920, Oxfor:

Oxford University Press, 1999.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

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ABSTRACTS

The rapid expansion of the British Empire in the second half of the XIXth century was

accompanied by a rise in the diffusion and the legitimacy of racist ideas in Britain. Intellectuals

wrote of the “scientific” differences between the races, and racial hierarchies were generally

accepted by educated people. What of the uneducated? Comic books and children’s magazines

about the “heroes” of the British Empire certainly did not hesitate to use racist stereotypes

abundantly. Popular racism against Black people served to legitimize the imperial project, but for

most of this period was little aimed at a visible ethnic minority in Britain. Our article will aim at

analysing the racist content of popular music in this period – both that of the extremely popular

“minstrel shows”, where white performers disguised themselves as stereotypical black slaves for

the purposes of entertainment, and the “coon songs” which were common in the music halls. We

will trace the depiction of the Black Other as the mirror image of the Victorian and Edwardian

respectable gentleman and lady, and how, while generally denigrated, the Black persona could

also be desired or envied.

L’expansion rapide de l’empire britannique durant la deuxième moitié du XIXe siècle fut

accompagnée par une généralisation et une légitimation des idées racistes au Royaume-Uni. Des

intellectuels discouraient sur les différences “établies par la science” entre les races, et une

hiérarchie raciale était généralement acceptée par les gens instruits. Que dire du peuple non

instruit ? On constate que les bandes dessinées et les revues pour enfants, qui racontaient les

aventures des héros impériaux, n’hésitaient pas à se servir abondamment de stéréotypes racistes

et que les publicités de l’époque en faisaient autant. Le racisme populaire envers les Noirs

contribuait à légitimer le projet impérial, mais, pour l’essentiel, durant cette période, ne visait

pas une minorité ethnique visible en Angleterre. Notre article compte analyser le contenu raciste

de la musique populaire entre 1880 et 1920, à la fois dans les spectacles des “blackface minstrels”,

lors desquels des hommes blancs se déguisaient en caricatures d’esclaves noirs pour divertir leur

public, et dans les “chansons de nègre” très courantes dans les music-halls britanniques de

l’époque. Nous retracerons la représentation du Noir, qui est présenté comme une image en

miroir de la personne respectable victorienne ou édouardienne. Nous verrons aussi comment le

Noir, l’Autre dénigré, pouvait aussi être envié ou désiré.

AUTHOR

JOHN MULLEN

John Mullen est Maître de conférences à l'Université Paris-Est Créteil. Il a fait sa thèse de

doctorat sur le syndicalisme des fonctionnaires en Grande-Bretagne sous les gouvernements

conservateurs de Margaret Thatcher. Depuis lors, il a publié une série d'articles sur le

syndicalisme, mais a commencé, il y a cinq ans, des recherches sur la musique populaire

britannique. Il prépare un ouvrage sur la musique populaire en Grande-Bretagne pendant la

Première Guerre Mondiale.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

76

La presse nationale britannique et leMandat du Royaume-Uni enPalestine (1922-1939)The British Mandate in Palestine as seen by the British Press (1917-1939)

Jean-Claude Sergeant

1 Puissance victorieuse au sortir de la Première Guerre mondiale, le Royaume-Uni avait

obtenu à l’issue du conflit la reconnaissance d’une zone d’influence au Proche-Orient

qui s’étendait de la Méditerranée au golfe persique, incluant la Palestine et la

Mésopotamie. L’autorité du Royaume-Uni sur ces zones sera officiellement légitimée

par l’approbation de mandats approuvés par la Société des Nations en 1922.

2 Cette date marque le début de la tutelle britannique, qui avait été précédée par une

administration militaire installée en Palestine depuis l’entrée à Jérusalem du général

Allenby en décembre 1917 après six mois de campagne contre les troupes turques. Le

1er juillet 1920, Herbert Samuel, haut-commissaire pour la Palestine, succédait à Louis

Bols, dernier administrateur militaire de la région, qui exprimait, déjà, son inquiétude

face à la remise en cause de ses pouvoirs dans une lettre adressée à l’état-major

britannique au Caire : « Mon autorité et celle de chaque département de mon

administration est contestée ou contrecarrée par la commission sioniste et je suis

convaincu que cette situation ne peut se prolonger sans mettre gravement en péril la

paix publique1. »

3 Entre-temps, la Déclaration Balfour du 2 novembre 1917 avait exprimé le soutien du

gouvernement britannique à la création en Palestine d’un « foyer national pour le

peuple juif », déclaration qui sera intégrée au texte définissant les termes du mandat en

Palestine confié au Royaume-Uni par la Société des Nations. Vingt ans plus tard, le

gouvernement britannique en arrivait à la conclusion que seul le partage de la Palestine

en deux États autonomes pouvait permettre de régler le problème palestinien auquel

une douzaine de rapports de commissions diverses avait été consacrés au cours de la

période, sans parvenir à trouver une solution permettant aux communautés arabe et

juive de vivre en bonne intelligence dans la région que les Britanniques s‘étaient

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

77

attribuée dans le cadre de l’accord Sykes-Picot signé en 1916, tenu secret jusqu’à ce que

les autorités bolchéviques le rendent public. En contrepoint de la Déclaration Balfour,

le rapport de la Commission royale publié en 1937 – le rapport Peel – prenait acte de

l’impasse dans laquelle se trouvaient les Britanniques :

Sous la pression de la guerre mondiale, le gouvernement britannique a fait despromesses aux Arabes et aux Juifs afin d’obtenir leur soutien, sur la base desquellesles deux communautés ont entretenu certains espoirs […]. Un conflit insoluble estné entre les deux communautés nationales dans ce territoire exigu […]. Ce conflitétait en germe dès le départ.2

4 Il importera, dans un premier temps, de retracer l’évolution de la position de différents

gouvernements britanniques qui se sont succédé sur la question palestinienne et d’en

rappeler les principaux jalons, avant d’aborder l’examen du positionnement de la

presse face à cet enjeu rémanent sur lequel quelques propriétaires de journaux ont

tenté de peser.

Principes et ajustements de la politique britannique enPalestine

5 L’implication du Royaume-Uni en Palestine, consacrée par l’attribution d’un mandat de

la SDN en juillet 1922, avait été préparée par l’intérêt que portait une partie de la classe

politique britannique à la situation des Juifs en Europe orientale. Chaïm Weizmann,

président de l’Organisation sioniste mondiale, rappelle dans un discours au dix-

septième Congrès sioniste (1931) la protection que les consuls britanniques en Palestine

accordaient aux Juifs avant 1914. Il évoque également le projet de création d’un foyer

national juif en Afrique orientale débattu à la Chambre des communes en 1904, à

l’initiative de Joseph Chamberlain, alors ministre des Colonies (Colonial Office). Selon

Weizmann, la Déclaration Balfour qui, en 1917, ouvrait de nouvelles perspectives aux

communautés juives d’Europe centrale et orientale, s’expliquait par trois facteurs. Le

premier, d’ordre sentimental, était le fruit de la familiarité du peuple britannique,

formé à la culture biblique, avec l’attachement des communautés juives à la terre de

leurs ancêtres. Le second facteur mis en avant par Weizmann concernait l’idéal

démocratique qui prenait alors forme et auquel le Président Wilson allait donner corps

avec sa proclamation des Quatorze Points (janvier 1918). Pour que l’acte de naissance

de ce nouveau monde en gestation soit totalement vierge, il convenait de régler

l’ancien contentieux avec le peuple juif3.

6 La dernière considération avancée par Weizmann, d’ordre stratégique celle-là, était en

fait double. Il s’agissait d’une part pour le gouvernement britannique de s’assurer le

soutien des Juifs américains afin qu’ils fassent pression sur le Congrès pour qu’il

autorise l’entrée en guerre des États-Unis. D’autre part, la perspective de l’implantation

d’un point d’appui en Palestine permettant de protéger le canal de Suez et donc les

voies de communication avec l’Inde plaidait en faveur de l’établissement d’un État juif

entretenant d’étroites relations avec Londres. En novembre 1914, Herbert Samuel,

membre du gouvernement Asquith et futur haut-commissaire en Palestine, avait

évoqué cette option avec le Secrétaire au Foreign Office, Edward Grey, qui semble avoir

été convaincu par le projet4. Lloyd George, lui-même, avait marqué son intérêt pour le

projet, non pas tant par sympathie pour la cause sioniste, que par souci de faire pièce

aux ambitions françaises dans la zone. Selon Weizmann, cette dernière considération,

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

78

qu’il qualifie d’utilitaire, était loin d’être centrale, et il en veut pour preuve la prudence

des Britanniques qui, lors des débats à la SDN concernant le choix de la puissance

mandataire en Palestine, auraient volontiers accepté de n’être que l’un des partenaires

d’un condominium occidental.

7 De la Déclaration Balfour – cette « déclaration de sympathie pour les aspirations

sionistes » selon les termes de la lettre adressée par Arthur Balfour à lord Rothschild5 –

allait découler une série de recadrages et de redéfinitions des conditions d’application

du principe central – « l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple

juif » – à mesure que s’intensifieront les antagonismes entre les deux communautés et

la défiance à l’égard de la puissance de tutelle.

8 La première clarification est intervenue sous la forme d’un Livre blanc6 publié en 1922,

quelques mois avant la confirmation du mandat britannique par la SDN et deux ans

après l’arrivée à Jérusalem d’Herbert Samuel en qualité de haut-commissaire. La

nomination d’un sioniste déclaré à la tête de l’administration britannique en Palestine

avait suscité des manifestations hostiles parmi la communauté arabe qui, l’année

suivante, considérera comme de très mauvais augure le transfert de la gestion politique

du mandat du Foreign Office au Département Moyen-Orient créé en février 1921 au sein

du Colonial Office dirigé par Winston Churchill qui ne faisait pas mystère de son soutien

à la cause sioniste. Le recrutement par le Département du colonel Richard

Meinertzhagen, pro-sioniste ardent, en qualité d’expert militaire, ne pouvait

qu’accroître les appréhensions de la communauté arabe qui constituait à l’époque 90 %

de la population palestinienne.

9 Les violences perpétrées contre les Juifs en 1920 et en mai 1921 incitèrent Samuel à

décréter la suspension provisoire de l’immigration juive en Palestine. Dans une

correspondance à Churchill, le haut-commissaire ne cachait pas son inquiétude : « Je ne

peux m’ôter de l’esprit la possibilité de voir ces perturbations se renouveler ou même,

si j’en crois les avertissements de mes conseillers militaires, d’assister à un

soulèvement général7. » Dix jours auparavant (3 juin 1921), Herbert Samuel tentait

d’apaiser les arabes en s’efforçant de clarifier le « regrettable malentendu » qu’avait

suscité la Déclaration Balfour en assurant musulmans et chrétiens de Palestine que « le

gouvernement britannique, qui avait reçu mandat d’assurer le bonheur des populations

de Palestine, ne leur imposerait jamais une politique qu’elles considèreraient comme

contraire à leurs intérêts religieux, politiques et économiques8. »

10 C’est dans ce contexte que Winston Churchill et ses conseillers ont élaboré, en étroite

concertation avec Herbert Samuel, le premier Livre blanc proposant une actualisation

de la politique en Palestine, en tentant de trouver un point d’équilibre entre

l’engagement en faveur de l’établissement du foyer national promis aux Juifs et le souci

de répondre aux inquiétudes des populations musulmane et chrétienne. Il s’agissait,

déjà, de clarifier la portée du concept ambigu de « foyer national pour le peuple juif » et

de réaffirmer que la présence des Juifs en Palestine était de droit et non pas tolérée –

« of right and not on sufferance ». Par ailleurs, le Livre blanc indiquait que la mise en

œuvre de la Déclaration de 1917 impliquait le développement du peuplement juif par

l’apport d’immigrants, cette immigration devant toutefois être régulée en fonction des

capacités d’absorption de l’économie du pays. Le document précisait également, pour

lever les craintes de la communauté arabe, que les immigrants juifs ne devaient pas

constituer une charge supplémentaire pour les Palestiniens – « the people of

Palestine » – et que leur présence ne devait en aucun cas priver cette communauté de

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

79

ses emplois. Enfin, le Livre blanc annonçait la création d’un Conseil législatif composé

de dix représentants élus et de dix membres nommés, premier pas vers une future

autonomisation du territoire.

11 Rédigé dans une perspective de clarification du projet politique du gouvernement en

Palestine en vue de la confirmation du mandat par le Conseil de la SDN appelé à se

prononcer le 24 juillet 1922, le document présenté par Churchill ne parvenait pourtant

pas à faire l’unanimité. Le 21 juin, la Chambre des lords adoptait par soixante voix

contre vingt-neuf une motion proposée par lord Islington s’opposant à l’attribution du

mandat au Royaume-Uni, au motif que celui-ci était en contradiction avec

l’engagement pris en 1915 à l’égard des Arabes9 et avec « les sentiments et les souhaits

de la grand majorité de la population de Palestine ». Après le rejet d’une motion

identique par les Communes, le gouvernement put préparer les élections au Conseil

législatif palestinien auxquelles il dut au bout du compte renoncer suite à l’appel au

boycott lancé par les organisations arabes. Le projet de création d’une Agence arabe

faisant pendant à l’Agence juive qui assistait le Conseil exécutif à Jérusalem se heurta

également à une fin de non recevoir, si bien que l’Administration britannique en

Palestine en fut réduite à mettre en place une instance de représentation de la

population arabe, le Conseil supérieur musulman, présidé par le Grand Mufti de

Jérusalem, à laquelle sera transféré le contrôle des organes de financement et des

tribunaux civils musulmans. Présentée par Herbert Samuel comme la mise en place

d’un intermédiaire entre les musulmans et les autorités britanniques, la création du

conseil marquait en fait une nouvelle étape dans le dessaisissement de l’Administration

britannique de ses pouvoirs. S’agissant de la communauté juive, ceux-ci avaient déjà été

largement délégués à la Commission sioniste – l’organe exécutif sioniste – dont le rôle

d’auxiliaire de l’Administration avait été explicitement reconnu par l’article 4 du

mandat. Incapable de mettre en place une structure législative représentative et

unitaire, le gouvernement britannique, en l’occurrence le haut-commissaire et le

Colonial Office, avait ainsi été contraint d’accepter un partage du pouvoir avec deux

organes distincts au service des seuls intérêts des communautés qu’ils géraient de façon

quasi autonome.

12 En 1930, le gouvernement britannique tentait une nouvelle fois de « dissiper les

malentendus existants et de définir plus précisément ses intentions » en publiant un

nouveau Livre blanc10 rédigé sous la responsabilité de Sidney Webb – lord Passfield –

nommé ministre en charge du Colonial Office dans le gouvernement de Ramsay

MacDonald issu des élections de 1929. Cette nouvelle tentative de refondation de la

politique britannique en Palestine s’imposait après les violentes émeutes qui avaient

fait plus de deux cents morts dans différentes villes du territoire en août 1929. Le

Colonial Office avait dépêché une commission d’enquête sur place dirigée par un ancien

magistrat colonial, Walter Shaw, qui remit son rapport en mars 1930. Ses principales

recommandations concernaient la protection des droits des communautés non juives,

notamment en matière d’accès à la propriété des terres agricoles et l’application plus

stricte des dispositions régissant l’immigration. Le rapport préconisait également que

soient plus précisément définies les limites des prérogatives de l’Organisation sioniste

dans la gestion des affaires palestiniennes.

13 Ce rapport marquait une nette réorientation des priorités britanniques en faveur des

doléances de la majorité musulmane. Une commission supplémentaire, dirigée par John

Hope Simpson, fut chargée d’apporter un complément d’information afin de nourrir la

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

80

nouvelle doctrine palestinienne du gouvernement. Telle qu’elle était exposée dans le

Livre blanc de lord Passfield, cette doctrine visait à mettre résolument les deux

communautés en face de leurs responsabilités. Le document annonçait le renforcement

des forces de sécurité à la disposition des autorités de Jérusalem ; deux escadrons de

l’Armée de l’air et quatre sections d’unités blindées viendraient appuyer les deux

bataillons d’infanterie déjà sur place. Plus fondamentalement, le Livre blanc, reprenant

les points principaux du Livre blanc de 1922 et les articles pertinents du mandat,

réaffirmait l’intention du gouvernement de procéder une nouvelle fois à la mise en

place d’un conseil législatif, mais c’est surtout sur les questions de développement

économique et social et sur le problème de l’immigration juive que portait l’essentiel du

document. La politique d’acquisition foncière appliquée par l’Organisation sioniste

aboutissait à déposséder de leurs terres les paysans arabes qui se trouvaient, par

ailleurs, exclus du marché du travail du fait de la pratique qui empêchait les

propriétaires juifs d’avoir recours à une main-d’œuvre non juive. La politique

d’immigration était plus directement mise en cause par les concepteurs du Livre blanc

qui précisaient :

Si l’immigration juive a pour effet d’empêcher la population arabe d’obtenir lesemplois qui lui permettraient de suffire à ses besoins ou si le chômage parmi lacommunauté juive a un effet négatif sur le marché du travail dans son ensemble, ilappartient à la puissance mandataire, selon les termes du mandat, de réduire et, lecas échéant, de suspendre cette immigration tant que les chômeurs des « autressections » n’auront pas retrouvé un emploi11.

14 Les organisations sionistes considérèrent ce document comme une provocation et un

reniement de l’engagement de 1917. Selon un universitaire travaillant dans une

perspective sioniste : « Le Livre blanc de lord Passfield a été interprété, du moins par

les Juifs, comme un document délibérément rédigé pour humilier, ce que d’ailleurs

confirmait Beatrice Webb, peu suspecte de sympathie sioniste […], qui notait dans son

Journal [le 26 octobre 1930] : “cet exposé […] est un document mal rédigé et dépourvu

de tact12.” »

15 En signe de protestation, Chaïm Weizmann se démit de ses fonctions à la tête de

l’Agence juive, tandis que des manifestations à Londres, New York, Varsovie et en

Afrique du Sud dénonçaient le « reniement » britannique et que les ténors

conservateurs et libéraux – Stanley Baldwin, Leo Amery, Austen Chamberlain et Lloyd

George en tête – exprimaient dans la presse leur désaccord. Faute d’obtenir du

gouvernement la mise en chantier d’un autre Livre blanc rectificatif, les dirigeants

sionistes obtenaient du Premier ministre MacDonald la mise en place d’un sous-comité

du Cabinet, sous la présidence du ministre des Affaires étrangères, Arthur Henderson,

chargé de faire le point, en concertation avec les représentants sionistes, sur les

priorités britanniques en Palestine, ce qui revenait à désavouer lord Passfield et à

remettre en cause les recommandations de sa commission.

16 Les travaux du sous-comité aboutirent à un projet de lettre qui, remanié à cinq

reprises, fut soumis à MacDonald. Il était prévu que cette lettre soit adressée à Chaïm

Weizmann après que lecture en aurait été donnée aux Communes, de façon à ce qu’elle

soit consignée au Hansard, le procès-verbal officiel des débats parlementaires. Le Times

publiera le 15 février 1931 le texte de cette longue mise au point de dix-huit

paragraphes dont l’introduction donnait toute satisfaction aux dirigeants sionistes :

Afin de dissiper certaines interprétations erronées et certains malentendus relatifsà la politique du gouvernement de Sa Majesté concernant la Palestine, telle qu’elle a

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

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été exposée dans le Livre blanc d’octobre 1930, et qui ont fait l’objet d’un débat à laChambre des communes, afin, également, de répondre à certaines critiquesformulées par l’Agence juive, j’ai le plaisir de vous adresser le texte qui suitexposant notre position, qu’’il conviendra de considérer comme l’interprétationofficielle du Livre blanc concernant les points abordés dans la présente lettre13.

17 Les assouplissements consentis par MacDonald en matière de seuils d’immigration et

d’acquisitions foncières permirent aux Juifs de Palestine de consolider le foyer national,

ce dont convenait Weizmann dans ses Mémoires : « C’est à la lettre que MacDonald m’a

adressée que l’on doit le changement qui s’est opéré dans l’attitude du gouvernement et de

l’Administration en Palestine, changement qui nous a permis d’accomplir les remarquables

progrès des années suivantes14. »

18 L’opposition des Arabes de Palestine au mandat allait prendre une forme plus active en

1936, après que la France eut accepté de mettre un terme à son mandat en Syrie et que

Londres eut jugé préférable de replier ses troupes en Égypte sur la zone du canal de

Suez. Par ailleurs, l’Irak avait vu sa souveraineté reconnue en 1932, tandis que la

Transjordanie s’acheminait vers une autonomie élargie. Les Arabes de Palestine

n’avaient pas oublié que l’esprit du mandat impliquait, à terme, le passage à la pleine

souveraineté du territoire temporairement placé sous tutelle et c’est autour de cette

revendication que se cristallisera en 1936 l’opposition arabe à l’ordre britannique

incarné par les forces de sécurité – 20 000 hommes à cette époque contre 5 000 en

1920 –, accompagnée de violences et d’attentats contre les Juifs de Palestine. En

avril 1936, le territoire fut largement paralysé par une grève générale organisée par un

collectif d’opposants arabes dirigé par le Grand Mufti de Jérusalem, qui ne prendra fin

qu’en prévision de l’arrivée en Palestine des six membres d’une nouvelle commission

royale chargée de faire la lumière sur les causes des « perturbations » – le terme

original alors en vigueur était « disturbances » – et de proposer une issue à ce problème

qui s’enkystait depuis vingt ans.

19 Présidée par lord Peel, ancien ministre chargé des affaires indiennes, la commission fut

accueillie à Jérusalem en novembre 1936. Elle procéda en Palestine à de multiples

auditions et à de nombreuses visites sur le terrain avant de regagner Londres en

février 1937 où elle compléta son information, notamment auprès de la hiérarchie

militaire. C’est en juillet que fut publié son rapport15 qui, de l’avis d’une spécialiste,

« constitue l’analyse la plus complète et la plus extensive de la situation en Palestine

jamais produite par une instance officielle britannique16. » L’essentiel des quatre cents

pages du rapport retrace l’historicité des peuplements juif et arabe en Palestine et fait

l’inventaire du contentieux entre les deux communautés. Les membres de la

commission se sont divisés sur la question de savoir s’il fallait suspendre

provisoirement l’immigration juive ou bien considérer que l’établissement du foyer

national promis en 1917 étant réalisé, il convenait d’y mettre définitivement un terme.

La commission a préféré trancher radicalement en concluant que l’idéal qui sous-

tendait le mandat, à savoir l’émergence progressive d’une identité nationale

palestinienne, s’étant avéré inaccessible, il restait à en tirer la conclusion. Celle-ci,

détaillée dans les vingt dernières pages du rapport, préconisait le partage du territoire

en trois zones, dont deux auraient vocation à se muer en États, l’un arabe, l’autre juif, la

troisième zone incluant Jérusalem et ses lieux saints ainsi qu’un certain nombre de

villes dont le port d’Haïfa restant sous contrôle britannique. Conscients que cette

solution chirurgicale ne serait pas du goût des Juifs, pas plus que de celui des Arabes de

Palestine, la commission concluait son rapport par ce proverbe : « Half a loaf is better

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

82

than no bread ». Visiblement décontenancé par les propositions de la commission, le

gouvernement n’avait d’autre recours que d’en nommer une nouvelle – The Woodward

Commission – afin d’en évaluer les modalités pratiques d’application, avant de conclure

en novembre 1938 que « la proposition de créer en Palestine des États juif et arabe

indépendants comportait des difficultés politiques, administratives et financières telles

que cette solution [était] inapplicable17. »

20 Le gouvernement de Neville Chamberlain ne pouvait pourtant pas laisser la question

palestinienne en l’état. Dans la perspective de plus en plus vraisemblable de l’ouverture

d’un conflit avec l’Allemagne et l’Italie, il importait de s’assurer du soutien ou, à tout le

moins, de la neutralité des pays arabes. C’est dans ce contexte que s’est ouverte le

7 février 1939 à Londres une série de « conférences » organisées par le Colonial Office,

réunissant des représentants de l’Agence juive, des Arabes de Palestine ainsi que des

envoyés des États arabes voisins, la négociation étant conduite avec chaque délégation

séparément. Le Colonial Office avait fait savoir que faute de pouvoir parvenir à un

accord entre les différentes parties, le gouvernement serait amené à produire ses

propres conclusions. Le 17 mars, les participants se séparaient sur un constat d’échec,

laissant au Colonial Office le soin d’élaborer un nouveau plan pour la Palestine. Ce sera

l’objet du dernier Livre blanc sur la question, publié le 17 mai 193918. Le document

abordait les trois sujets litigieux traditionnels : l’enjeu constitutionnel, l’immigration et

la question des terres. Sur le premier thème, le gouvernement envisageait la création

d’un État palestinien indépendant dont le gouvernement serait partagé entre Juifs et

Arabes de telle sorte que les intérêts de l’une et l’autre communauté soient préservés.

Cette structure de gouvernement serait mise en place au cours d’une période de dix ans

une fois la paix revenue et l’ordre rétabli en Palestine. Les responsables britanniques

prévoyaient en outre de limiter à 75 000 le nombre d’immigrants juifs admis en

Palestine au cours des cinq années suivant l’adoption du Livre blanc, toute immigration

supplémentaire étant soumise ensuite à l’accord des Arabes de Palestine. Enfin,

s’agissant de la question foncière, le document rappelait que le transfert de terres entre

Arabes et Juifs n’avait fait l’objet d’aucune restriction mais qu’afin de prévenir

l’augmentation d’une population agricole arabe privée de terres, il convenait de doter

le haut-commissaire du pouvoir de contrôle et d’arbitrage en matière de transferts

fonciers.

21 Les Arabes n’ont pas tardé à rejeter les projets britanniques, au motif qu’ils ne

prévoyaient pas l’arrêt immédiat de l’immigration juive, l’Agence juive, de son côté,

dénonçant cette trahison – « breach of faith » – qui aboutirait « à parquer les Juifs dans

un ghetto territorial dans leur propre patrie19. » Soumis pour approbation à la

Commission des mandats de la SDN, conformément à la procédure, le projet

britannique était jugé non conforme aux termes du mandat confié au Royaume-Uni,

mais la déclaration de guerre, intervenue le 3 septembre 1939, allait laisser la question

pendante jusqu’à la fin des hostilités.

La presse britannique entre indifférence etinterventionnisme

22 La couverture de la question palestinienne par la presse britannique, entendue ici au

sens restrictif de presse nationale ou quasi nationale – on songe au Manchester

Guardian – s’appréhende sous plusieurs aspects, celui d’abord de l’enregistrement des

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événements, celui du commentaire ensuite et enfin sous l’aspect tribunitiel permettant

l’exposition dans le débat public de points de vue et de mises au point dans l’espace

réservé au courrier des lecteurs (Letters to the Editor) dans les principaux titres et, en

premier lieu dans le Times. Sans qu’il soit possible de mesurer l’impact de la couverture

de la question par la presse sur les décisions politiques et encore moins sur l’opinion

publique à une époque où les sondages d’opinion commençaient à peine à poindre, on

peut néanmoins tenir pour acquis que les commentaires de la presse étaient pris en

compte par les différents protagonistes du problème. Ainsi, Chaïm Weizmann,

président de l’Organisation sioniste, déclarait en 1922 dans un discours public à

Oxford :

Le lecteur de journaux type pense qu’il existe en Palestine un État juif, entendantpar « État » ce que ce terme désigne quand on songe à ce que fut la Prusse, c’est-à-dire une sorte d’entité qui se soucie comme d’une guigne de quiconque n’appartientpas à l’élite dominante. Il estime que cet État – cela a été dit – est financé grâce à lagénérosité britannique et alimenté par les impôts des Britanniques. Telle est, plusou moins, l’opinion qui prévaut dans l’esprit du lecteur de journaux moyen20.

23 En notes, le responsable éditorial de la correspondance de Weizmann ajoutait : « À cette

époque, la presse britannique s’activait contre le sionisme et singulièrement contre

Weizmann, accusés d’être responsables des difficultés dans laquelle se débattait la

Grande-Bretagne en Palestine, aux frais du contribuable britannique21. » C’est

précisément la thématique que développa, de façon particulièrement vigoureuse, le

Daily Mail jusqu’à la mort de son fondateur, lord Northcliffe, en 1922 et qui fut

exploitée, sous une forme plus nuancée, après le départ en 1926 du directeur de

rédaction, Thomas Marlowe, que Northcliffe avait recruté en 1899, trois ans après le

lancement du quotidien.

Situation de la presse dans l’Entre-deux-guerres

24 La presse nationale a connu une certaine stabilité au cours des vingt années qui ont

séparé les deux conflits, du moins si l’on s’en tient au nombre de titres quotidiens

disponibles. En 1919, le lecteur londonien pouvait choisir entre onze quotidiens du

matin et six quotidiens du soir. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, le choix était

pratiquement aussi large. Certes, trois titres avaient été absorbés par d’autres

publications, le Morning Post étant intégré au Daily Telegraph, tandis que la Westminster

Gazette fusionnait avec le Daily News, avant que ne s’opère la jonction avec le Daily

Chronicle pour donner naissance en 1930 au News Chronicle, organe du parti libéral. Ces

trois disparitions étaient compensées par le lancement en 1930 du Daily Worker,

quotidien officiel du parti communiste, et par la refondation du Daily Herald qui, passé

sous le contrôle de la confédération syndicale (TUC) en 1922, avait évité la faillite grâce

à l’intervention de la société Odhams Press, qui propulsera le Daily Herald en tête des

ventes des quotidiens – plus de deux millions d’exemplaires au milieu des années

trente – au moyen de stratégies commerciales offensives. La presse du soir, qui

comptait encore six titres en 1919, résista en revanche moins bien à l’évolution des

comportements du public, sollicité par de nouvelles formes de loisir, la radiodiffusion

et le cinématographe. Les influentes publications qui alimentaient les conversations

dans les clubs – la Westminster Gazette, devenue quotidien du matin avant son

absorption par le Daily News, la Pall Mall Gazette et The Globe – disparaissaient, sans

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

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successeurs, d’un marché que se disputeront dorénavant trois titres – The Star, The

Evening News et The Evening Standard – jusque dans les années 1960.

25 Cette apparente stabilité dissimulait en fait une importante réorganisation des forces

capitalistes qui dominaient le marché. Le démembrement de l’empire Northcliffe qui,

en 1915, incluait les titres phares de la presse nationale – le Times, le Daily Mail,

l’Observer, l’Evening News et la Weekly Dispatch –, sans compter les titres régionaux,

amena une recomposition du secteur. Le Times sera vendu à la famille Astor qui avait

déjà acquis l’Observer avant la mort de Northcliffe. Harold Harmsworth (lord

Rothermere), frère de lord Northcliffe, à qui avait été confiée la gestion du Daily Mirror,

fondé par Northcliffe en 1903, mit en vente ses parts sur le marché, ce qui permit la

constitution d’une nouvelle société, Daily Mirror Newspapers Ltd, dirigée par Cecil King

qui fit de ce titre le fleuron de la presse populaire aux cours des années 1940. La période

de l’Entre-deux-guerres sera également marquée par l’exacerbation de la concurrence

entre les principaux quotidiens populaires, parmi lesquels le Daily Express n’était pas le

moins agressif. Racheté par Max Aitken, futur lord Beaverbrook, en 1916, le quotidien,

renforcé par le dominical Sunday Express fondé en 1918, n’allait pas tarder à faire

puissamment résonner la voix de son propriétaire très impliqué dans les affaires

politiques de sa patrie d’adoption.

26 Les bouleversements qui affectaient périodiquement l’équilibre du secteur de la

presse – acquisitions, fusions, disparitions – étaient suivis avec attention par les

rédactions qui ne manquaient pas de commenter les péripéties en cours. Ainsi, le 2 juin

1930, le Daily Express annonçait en « une » le rachat du Daily Chronicle par le Daily News

sous le titre « La Tragédie du ‘Daily Chronicle’ ». Cette « tragédie » s’expliquait, selon le

quotidien, par l’instabilité de la structure de gestion du journal, lequel avait connu trois

propriétaires différents depuis la guerre, instabilité dont le rédacteur soulignait

implicitement le contraste avec l’engagement financier sans faille de Beaverbrook en

faveur de ses journaux. L’auteur de l’article du Daily Express voyait, en outre, dans la

disparition du quotidien libéral la fin de l’époque où les journaux étaient liés à un parti

politique – « tied party organs » – à laquelle avait succédé l’ère des journaux

indépendants, commentaire pour le moins paradoxal au moment où Beaverbrook

mettaient ses journaux au service de l’United Empire Party qu’il avait fondé pour

s’opposer à la politique de libre échange défendue par le parti conservateur.

Les différentes formes d’intervention de la pressedans la question palestinienne

27 L’implication de la presse dans l’évolution de la politique du gouvernement britannique

en Palestine reste limitée, même si, au début des années 1920, elle a pu colorer la

perception qu’en avait le public. Cette implication était naturellement fonction de

l’intérêt que lui portaient les éditeurs de journaux et les directeurs de rédaction. À cet

égard, on peut opposer le soutien régulier, mais sobre, à la cause sioniste apporté par le

Manchester Guardian à l’hostilité bruyante déployée par lord Northcliffe.

28 C’est à C.P. Scott, propriétaire et directeur de la rédaction du Manchester Guardian

jusqu’en 1929, que Chaïm Weizmann doit ses premiers contacts avec les responsables

politiques britanniques. Né en Russie, chimiste de formation, Weizmann avait été

recruté en 1904 par l’université de Manchester où ses travaux sur l’acétone avaient

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retenu l’attention des militaires. En 1916, Weizmann était en charge d’un programme

d’extraction de la nitrocellulose du maïs en vue de la production de cordite, un puissant

explosif. Le responsable sioniste avait eu l’occasion de rencontrer Balfour à Manchester

en 1906, mais ce n’est qu’en 1914 qu’il fut reçu par Lloyd George sur la recommandation

de Scott qui le mit également en contact avec Herbert Samuel. En juin 1917, Balfour le

recevait en compagnie de lord Rothschild et c’est au cours de cet entretien que le

ministre des Affaires étrangères leur promit « un document dans lequel le

gouvernement britannique exprimerait sa sympathie avec le mouvement sioniste et

son intention de soutenir la création d’un foyer national juif en Palestine22. » C.P. Scott

n’était pas sioniste. Le quotidien s’était peu intéressé à la Palestine entre 1914 et 1916,

ce qui n’empêcha pas Scott de saluer la Déclaration Balfour en ces termes : « Nous

parlons de la Palestine comme d’un pays, mais ce n’est pas un pays. C’est, à présent, à peine plus

qu’un petit district dans le vaste empire ottoman tyrannique. Mais elle deviendra un pays ; ce

sera celui des Juifs23. »

29 Si Scott s’était intellectuellement rallié à la cause défendue par Weizmann, certains de

ses collaborateurs étaient totalement acquis au mouvement sioniste. Spécialiste des

questions militaires, Herbert Sidebotham était arrivé au sionisme par l’analyse

stratégique. Il avait très tôt défendu l’idée de faire de la Palestine un État-tampon lié au

Royaume-Uni, destiné à protéger le canal de Suez. Il concluait un éditorial publié le

22 novembre 1915 par la recommandation suivante : « La Palestine doit soit être

intégrée à l’Égypte […] soit être un Etat-tampon incapable de faire preuve d’hostilité

envers l’Egypte. C’est de cette condition que dépend l’avenir de l’empire britannique en

tant que puissance impériale maritime24. » Au sein de la rédaction du Manchester

Guardian, Sidebotham côtoyait un autre éditorialiste, Harry Sacher, diplômé d’Oxford et

beau-frère de Simon Marks, le fils du fondateur des Marks and Spencer’s Penny

Bazaars, qui entretenait des relations amicales avec Chaïm Weizmann lors de son séjour

à Manchester. Tout au long de la période, le Manchester Guardian s’efforcera de

maintenir une ligne rédactionnelle équilibrée, ne remettant cependant pas en cause

son soutien au foyer national promis par Balfour.

30 Il n’en allait pas de même des autres organes de Fleet Street. Lord Beaverbrook est taxé

d’antisionisme par Jason Tomes25, mais son biographe, A.J.P. Taylor, l’exonère de tout

soupçon d’antisémitisme. « Beaverbrook n’avait aucune sympathie pour

l’antisémitisme », note-t-il, après avoir néanmoins fait état d’une lettre en date du 9

décembre 1938 accusant les Juifs d’être à l’origine des risques de guerre contre lesquels

le gouvernement britannique tentait par tous les moyens de se prémunir : « Voilà des

années que je prédis qu’il n’y aura pas de guerre. Mais, au bout du compte, je suis ébranlé. Les

Juifs peuvent nous mener à la guerre, non pas consciemment, tel n’est pas leur projet, mais ils

nous conduisent inconsciemment vers la guerre. Leur influence politique nous conduit dans cette

direction26. » Et Beaverbrook de procéder à un inventaire de cette influence dans la

presse nationale :

Les Juifs sont très solidement implantés dans la presse de ce pays. J’estime qu’untiers des lecteurs du Daily Telegraph est juif. Il n’est pas impossible que le DailyMirror soit contrôlé par des Juifs. Les propriétaires du Daily Herald sont juifs. Quantau News Chronicle, il devrait s’appeler le Jewish Chronicle, non pas tant à cause deses propriétaires qu’à cause de ses sympathies. Il ne reste en fait que le Times, leDaily Mail et l’Express et encore, je ne suis pas sûr du Daily Mail27. »

31 Cette lettre, que Taylor qualifie de « déplorable », révèle l’ambiguïté du personnage qui,

tout en laissant paraître dans l’Evening Standard qu’il contrôlait un compte rendu très

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favorable du livre d’Hilaire Belloc The Jews, peu de temps après qu’un article du Sunday

Express eut expliqué, sous le titre « The Jews », que la montée de l’hostilité envers les

Juifs n’avait d’autre cause que le sionisme, informe en 1927 lord Rothermere qu’il a

interdit à ses journalistes de mentionner Hilaire Belloc et G.K. Chesterton dans les

colonnes de ses journaux.

32 Beaverbrook justifie son antisionisme par l’entretien qu’il avait eu en 1917 avec deux

parlementaires juifs antisionistes, Lionel de Rothschild et Charles Henry, qui lui avaient

fait part des réserves qu’avait exprimées Lloyd George, alors Premier ministre, à l’égard

du projet d’établissement d’un foyer national juif en Palestine. Beaverbrook était à

cette époque secrétaire d’État responsable de l’information et de la propagande. À ce

titre, il était notamment chargé de diffuser aux États-Unis la position britannique sur la

question palestinienne. À la suite de cet entretien, Beaverbrook avait largement

atténué la coloration sioniste des messages diffusés par ses services, s’attirant ainsi un

sec rappel à l’ordre d’Arthur Balfour, en charge des Affaires étrangères : « La politique du

gouvernement de Sa Majesté en Palestine est celle définie par le ministre des Affaires étrangères

dans son dernier discours. Tant qu’elle n’aura pas été modifiée officiellement, elle ne saurait en

aucune façon être affectée par des conversations entre Sir Charles Henry et le Premier

ministre28. »

33 Au printemps de 1923, accompagné d’un journaliste du Sunday Express, Beaverbrook se

rendit en Palestine pour se forger sa propre opinion, ainsi qu’il le déclare à son

entourage. Il adresse à la rédaction du Daily Express au cours du mois d’avril une série de

câbles centrée sur ce qu’il percevait comme l’échec programmé du pari sioniste. Mais la

Palestine ne fut qu’occasionnellement un thème de préoccupation majeur pour

Beaverbrook, de plus en plus engagé dans son combat en faveur du système de

préférence impériale et dans son action d’opposant au courant belliciste qui montait en

puissance face à l’arrivée au pouvoir des totalitarismes en Europe. À titre d’exemple,

l’édition du 14 février 1931 du quotidien se bornait à reproduire en page deux un bref

extrait de la lettre de Ramsay MacDonald à Chaïm Weizmann, assorti de la « titraille »

suivante : « Premier’s Palestine Peace Gesture / ‘We adhere to Mandate’ / Zionist leader

Gratified by Statement / Revival of Confidence (Dr Weizmann ». Aucun commentaire éditorial

ne venait en revanche éclairer cet important désaveu du Livre blanc de 1930.

34 Lord Northcliffe s’est lui aussi rendu en Palestine, un an avant Beaverbrook, au cours

d’un voyage autour du monde entrepris à la fin de sa vie. Voici le commentaire

qu’inspirait cette brève étape à Norman Bentwich, Attorney General (conseiller

juridique) du gouvernement de Palestine de 1922 et 1931 :

La campagne de désinformation menée par la Presse et au Parlement a connu sonapogée au cours de la première moitié de l’année 1922. En février, lord Northcliffe,au retour de son voyage autour du monde, est passé par la Palestine au cours de sonitinéraire météorique et perturbateur. Il est dommage que, durant son bref séjour,la maladie ait empêché le haut-commissaire de le recevoir ou de dissiper certainesde ses illusions. Car lord Northcliffe, malade lui-même, est arrivé avec une idéepréconçue, acquise pendant son voyage en Extrême-Orient et en Inde, selonlaquelle la politique visant à établir un foyer national juif en Palestine était uneprovocation majeure de l’opinion des musulmans dans le monde et compromettaitl’édification de notre empire musulman29.

35 À la différence de celle du Daily Express, la couverture de la question palestinienne par

le Daily Mail, sera dense, attentive et minutieuse, notamment au cours des années 1920.

La brève étape de Northcliffe en Palestine fut, comme il se doit, largement évoquée par

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le quotidien. Le 9 février 1922, un article à la « une » rendait compte de la rencontre du

« Chef » – c’est ainsi qu’on le surnommait parmi son personnel – avec le Grand Mufti de

Jérusalem et l’Exécutif sioniste. Le correspondant du journal relate le don de 100 livres

sterling fait à l’hôpital St Jean de Jérusalem et surtout quelques extraits significatifs

d’un discours prononcé ce jour-là par Northcliffe :

Il a exprimé son regret de constater que la Palestine, qu’il avait connue il y aquelques années, paraissait nettement moins heureuse. Il est convaincu que lepublic britannique n’est qu’imparfaitement informé des sentiments desPalestiniens. Par exemple [il a déclaré] avoir été approché par d’importantespersonnalités juives « orthodoxes » de la communauté ashkénase qui lui ont faitpart de leur mécontentement face aux méthodes sionistes actuelles, sur le planpolitique et religieux. Et pourtant, [a-t-il poursuivi] le public britannique semblecroire que tous les Juifs sont cent pour cent sionistes. Lord Northcliffe a conclu enpromettant que l’opinion des différentes composantes de la populationpalestinienne serait accueillie de façon équitable et complète dans ses journaux30.

36 Le 16 février, le quotidien publiait en bonne place la demande de Northcliffe en faveur

d’une commission d’enquête sur la politique palestinienne du gouvernement. Après

avoir affirmé son soutien à la cause sioniste – « I am an old supporter of Zionist ideals in my

newspapers » – Northcliffe justifiait ainsi sa demande : « Selon moi, faute de contrôler

fermement la situation et de tenir davantage compte des droits des 700 000 musulmans et

chrétiens de Palestine, le pays court le risque de devenir une nouvelle Irlande31. »

37 Northcliffe mourait en 1922 sans que la ligne rédactionnelle du quotidien soit en

aucune manière infléchie, au contraire. En 1923, l’envoyé spécial du quotidien,

J.M.N. Jeffries, ancien correspondant de guerre, allait publier une série d’articles –

vingt-cinq au total – entre le 8 janvier et 8 février sous le titre générique The Deception

in Palestine (Palestine : la mystification), détaillant, sous couvert de reportages, les

arguments en faveur du retrait britannique du territoire. L’éditorial accompagnant le

second volet de la série (9 janvier 1923), intitulé « A Real Axe Wanted » (Il faut trancher

dans le vif), résumait l’argumentaire du quotidien : cette affaire coûte cher au

contribuable britannique et ne sert en rien les intérêts du pays. L’argument financier se

doublait d’une considération géopolitique. Il était notoire que les dirigeants

britanniques redoutaient l’installation en Palestine d’immigrants juifs originaires

d’Europe de l’Est suspectés d’avoir des sympathies bolchéviques, ceux que le Daily Mail

qualifiait de Judéo-Slaves. La dix-septième livraison du reportage de Jeffries, en date du

26 janvier 1923, était publiée sous le titre suivant : « The Palestine Deception / What Britain

has spent / For Slav-Jews to get power ». Le corps de l’article expliquait les raisons de cette

prévention :

Les nouveaux groupes d’arrivants en Palestine sont judéo-slaves ; leur conceptionde la vie est judéo-slave ; leur esprit est en proie à une obsession judéo-slave et sicet état de choses se prolonge, une fois passées les premières années de contactavec « l’émancipation » britannique, tout indique que l’on s’oriente vers laconstitution d’un État qui, au lieu de protéger l’Égypte, constituera une menace,non seulement pour elle, mais pour le Proche-Orient et les voies de communicationbritanniques32.

38 Le dernier reportage de Jeffries, en date du 8 février, était annoncé en « une » par la

« titraille » suivante : « The Palestine Deception / Zionist claims refuted by J.M.N. Jeffries in

concluding article / Mad Finance / Phantom benefits for the Empire but £ 1,400,000 in British

taxes ». Il se concluait par cette affirmation péremptoire : « La Déclaration Balfour et le

Livre blanc [celui de 1922] sont tous deux – et je dis la vérité – malhonnêtes et frauduleux33. »

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L’éditorial du lendemain tirait la conclusion : « M. Jeffries a montré […] que notre présence

en Palestine est basée sur un système sophistiqué de mystification et de malhonnêteté politique

dont les factures doivent être honorées par les malheureux Britanniques34. » On l’aura

compris ; l’animosité du Daily Mail à l’égard des sionistes ne se nourrit pas d’un

antisémitisme viscéral. Il procède d’une perception précoce de l’impasse dans laquelle

se sont engagés les responsables britanniques qui, outre qu’elle s’avère coûteuse, risque

de compromettre l’équilibre de l’Empire auquel le quotidien est particulièrement

attaché. Du reste, en cohérence avec sa ligne rédactionnelle, le Daily Mail ne limite pas

sa demande d’abandon des mandats à la seule Palestine, celui relatif à la Mésopotamie

étant également visé par le quotidien. La ligne du Daily Mail sur la question ne variera

guère au cours des années suivantes, à ceci près qu’elle perdra de son acuité à mesure

que d’autres thèmes de campagnes – celles menées conjointement avec Beaverbrook en

faveur de la préférence impériale ou de la pacification des dirigeants totalitaires

européens – accapareront l’énergie de la rédaction.

39 Lord Northcliffe disposait d’un autre canal d’expression, autrement plus influent, à

savoir le Times, malgré une diffusion six fois moindre que celle du Daily Mail. La

notoriété du Times faisait du quotidien un instrument de référence cité aux Communes

et une sorte de forum public où s’échangeaient les points de vue dans l’espace

important consacré aux lettres à la rédaction (Letters to the Editor). Ainsi, c’est le Times

que choisissent D.L. Alexander et Claude Montefiore, respectivement responsable du

Conjoint Committee of the Board of Deputies of British Jews et de l’Anglo-Jewish Association,

pour publier sous le titre « The Future of the Jews », le 24 mai 1917, une correspondance

dans laquelle ils exprimaient leur opposition à la création d’un État juif autonome qui,

selon eux, risquait de mettre à l’épreuve le sentiment d’identité nationale des juifs qui

avaient choisi de s’intégrer au pays qui les avait accueillis. Pour les auteurs de la

correspondance, le judaïsme était affaire de religion, non de nationalité. Quatre jours

plus tard, le Times ouvrait ses colonnes aux réactions de lord Rothschild (Walter

Rothschild), du Grand Rabin J.H. Hertz et de Chaïm Weizmann, condamnant l’initiative

de ces personnalités qui estimaient pouvoir se mettre en travers de la « concrétisation

d’un espoir qui a soutenu la nation juive pendant 2 000 ans d’exil, de persécutions et de

tentations » rappelle Weizmann35. Prenant parti dans la polémique, un éditorial publié

le lendemain (29 mai) sous le titre « The Future of the Jews » donnait raison aux trois

défenseurs du sionisme, estimant avec eux que ce mouvement concrétisait les

aspirations de la plus grande partie de la communauté juive dispersée à travers le

monde. L’éditorialiste ajoutait, toutefois, que « l’intérêt du monde, si l’on excepte la

communauté juive, est que ces aspirations, pour autant qu’elles soient susceptibles de se traduire

concrètement, puissent être examinées de façon impartiale en fonction de leurs mérites36. »

40 La position du Times allait nettement évoluer après la Déclaration Balfour et surtout à

la suite du bref séjour de Northcliffe en Palestine déjà évoqué. Le quotidien publiera à

cette occasion un commentaire très réservé de celui qui commence par réaffirmer son

soutien initial au projet sioniste « qui nous semblait offrir l’occasion de sortir les juifs de la

position ambiguë et anormale qui est la leur dans de nombreux pays et paraissait de nature à

leur offrir la possibilité de retrouver un équilibre naturel grâce à l’affirmation progressive de

leur spécificité nationale37 ». Northcliffe mentionne deux objections au projet sioniste tel

qu’il le voit se développer. D’abord, tous les Juifs ne se réclament pas du sionisme ;

beaucoup inscrivent leur judaïté dans la sphère religieuse et non dans une

revendication nationale. Ensuite, estime Northcliffe, le projet risque d’être compromis

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

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par l’arrivée de Juifs d’Europe de l’Est, la tête pleine « d’espoirs démesurés et de demandes

irréalistes et qui n’ont aucune idée de la complexité de la situation38. » Dans le même texte,

Northcliffe réclamait, comme il l’avait fait dans les colonnes du Daily Mail, la mise en

place d’une enquête officielle sur la question palestinienne, demande à laquelle

souscrivait le lendemain Chaïm Weizmann dans une lettre à la rédaction.

41 Northcliffe avait laissé en Palestine un correspondant du Times, Philip Graves, qui en

mars et en avril 1922 publiera dans les colonnes du quotidien une série de reportages

dont un éditorial, le 11 avril, tentera la synthèse. Dès le premier paragraphe apparaît la

réserve majeure – le contribuable britannique n’a pas été consulté –, réserve bientôt

élargie à la remise en cause globale de la Déclaration Balfour : « Rétrospectivement, il

paraît incroyable que les responsabilités impliquées par la Déclaration Balfour aient été

souscrites si légèrement, avec si peu de capacité d’anticipation et avec une telle absence de

perspective historique39. » L’éditorial se concluait par l’exigence de l’abolition de la

Commission sioniste accusée de jouir de privilèges excessifs et suspectée de desseins

politiques inavoués. Allaient suivre d’autres éditoriaux de la même veine, tel celui du

26 avril 1922 intitulé « The Burden of Palestine » réclamant à nouveau la suppression de la

commission soupçonnée de s’arroger des pouvoirs indus en matière de gestion de

l’immigration.

42 La tonalité des articles du Times traitant de la question palestinienne perdra son

aspérité après la mort de Northcliffe (août 1922), sans que, pour autant, les

interrogations essentielles, touchant la capacité du gouvernement à résoudre les

engagements contradictoires impliqués par la Déclaration Balfour et surtout le coût de

cette politique, disparaissent du champ des questionnements des éditorialistes. Si, au

lendemain de la publication du Livre blanc de lord Passfield, le Times estime que la

politique poursuivie depuis la conquête du territoire en 1917 est la seule capable de

servir les intérêts légitimes de la population arabe et ceux, non moins légitimes, des

sionistes, l’éditorialiste s’inquiète de l’augmentation des dépenses nécessaires au

fonctionnement d’une administration palestinienne pléthorique et à l’entretien d’une

garnison britannique constamment renforcée, sans perspective discernable de retrait

(21 octobre 1930). Deux jours plus tard, c’est dans le Times que les chefs de file du parti

conservateur, alors dans l’opposition, – Stanley Baldwin, Austen Chamberlain et Leo

Amery – choisissaient d’affirmer leur rejet des conclusions du Livre blanc, jugées en

contradiction, non seulement avec les termes du mandat, mais aussi avec la politique

menée depuis douze ans par les gouvernements britanniques successifs. Le 4 novembre,

c’était au tour de lord Hailsham et de John Simon de contester les points du Livre blanc

concernant les restrictions d’accès des juifs aux terres encore disponibles et la

limitation des flux d’immigration. Deux jours plus tard, lord Passfield tentait de

démontrer que les « déductions opérées par lord Hailsham et Sir John Simon sont infondées et

reposent sur une interprétation erronée des intentions officielles du gouvernement de Sa

Majesté40. » La polémique s’est poursuivie jusqu’à la fin de l’année 1930, chaque nouvelle

lettre entraînant un correctif ou une nouvelle mise au point, quand il ne s’agissait pas

de prises de position péremptoires comme celle du colonel Meinertzhagen. L’ancien

collaborateur de Churchill au Colonial Office concluait sa lettre au Times, publiée le

21 novembre, par la profession de foi suivante : « Le sionisme est aujourd’hui une réalité

établie pour longtemps. Tenter de faire obstacle à la communauté juive revient à faire obstacle à

l’histoire. Le gouvernement de Sa Majesté et les ennemis du sionisme peuvent retarder

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l’évolution de la Palestine vers son destin ultime, mais ils ne peuvent en empêcher

l’accomplissement41. »

43 La montée de l’activisme arabe au cours des années trente, empruntant de plus en plus

la voie de la violence terroriste, ne pouvait que conforter le Times dans l’idée que le

pays s’épuisait à tenir des engagements irréalistes, parce que contradictoires, rendus

encore plus inaccessibles par l’exacerbation de l’antagonisme qui opposait les deux

communautés. C’est également l’analyse du Daily Herald au lendemain de la publication

du rapport Peel (juillet 1937) préconisant le partage de la Palestine entre deux États

souverains et une zone placée sous mandat. « Nous avons vendu le même cheval, qui ne

nous appartenait pas, à deux acheteurs différents » résumait l’éditorial du 8 juillet 1937

publié sous le titre purement référentiel de « Palestine »42. L’éditorialiste estimait, par

ailleurs, que les propositions de la Commission Peel, dont on savait par avance qu’elles

seraient mal accueillies, étaient, à tout prendre, celles qui étaient le plus susceptibles

de régler un problème pratiquement insoluble – « a well-nigh insoluble problem ».

44 La position du Daily Herald va, du reste, évoluer compte tenu des réactions suscitées par

le rapport Peel. Proche du parti travailliste, le quotidien n’est pas insensible aux

arguments de Morgan Jones, porte-parole du Labour sur la question, qui, aux

Communes, juge le plan de partition insensé et inacceptable. Le projet de « corridor »

reliant Jérusalem au port d’Haïfa, placé sous mandat britannique, lui paraît

particulièrement irréaliste : « J’aurais cru que les membres de cette Chambre avaient eu leur

content de ‘corridors’. La situation en Prusse orientale vous satisfait-elle tant que vous vouliez un

corridor supplémentaire ? » déclarait le parlementaire aux Communes43, avant de

réclamer l’avis d’une commission mixte composée de représentants des Communes et

de la Chambre des lords préalablement à la soumission du rapport Peel au Parlement

pour approbation. Rapportés en détail, les propos du député travailliste étaient

prolongés par un éditorial dans lequel la rédaction appuyait la demande d’examen

préalable par une commission mixte après avoir fait part de ses doutes : « La partition

apparaît aux membres de la Commission [Peel], après une étude approfondie de la question,

comme la seule solution possible. Mais, plus on examine leurs propositions et moins il semble

qu’elles puissent en fait être appliquées, aussi ingénieuses soient-elles44. »

45 Le Daily Herald restera constamment attentif à la réaction des différents protagonistes,

notamment à celle des sionistes dont le congrès mondial, réuni à Zürich en août 1937,

amènera Chaïm Weizmann à revenir sur sa position initialement favorable à la

constitution d’un État juif dans les limites territoriales préconisées par le rapport Peel.

La question palestinienne était suivie au Daily Herald par A.L. Easterman qui était

particulièrement bien informé, au point d’annoncer bien avant la publication du

rapport Peel l’essentiel de ses recommandations, ce dont le quotidien tire quelque

fierté dans un encadré publié dans l’édition du 5 juillet : « Les recommandations de la

Commission sont très largement conformes aux prévisions publiées par le Daily Herald le 2 avril

et le 17 juin ». Les informations livrées en avant-première par le Herald eurent pour effet

de déclencher un flot de réactions, tant en Europe qu’aux États-Unis, dont beaucoup

furent transmises au Colonial Office. Les plus pertinentes furent vraisemblablement

prises en compte par la Commission Peel pour modifier en conséquence le tracé des

zones assignées aux futurs États en gestation45.

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Conclusion

46 Pour importante qu’elle puisse paraître rétrospectivement, la question palestinienne ne

semble pas avoir retenu l’attention soutenue de la presse britannique tout au long de la

période. D’autres enjeux ont monopolisé l’actualité au cours de l’Entre-deux-guerres,

notamment la question irlandaise, la crise financière de 1929, le règlement du problème

indien et la montée en puissance des régimes totalitaires en Europe. Certains titres ont

été mis au service des positions hostiles au sionisme de leur propriétaire – lord

Northcliffe en particulier –, d’autres ont connu une évolution de leur ligne

rédactionnelle en fonction de l’enlisement des positions sur le terrain et à mesure que

se confirmait l’incapacité des autorités britanniques à mettre en place des solutions

viables. Tel fut notamment le cas du Times qui servit tout au long de la période de caisse

de résonance à la question palestinienne, en faisant office de forum et de cadre

d’échanges entre les différents protagonistes. Ce sera également le rôle que s’efforcera

de jouer au cours des années trente le Daily Herald, ancré à gauche et donc, par

implication, plus ouvert à la cause sioniste, encore que celle-ci ait très largement

transcendé les clivages partisans de l’époque.

47 Il ne semble pas non plus que la presse ait collectivement été en mesure d’influer sur

les décisions, sauf peut-être, de façon marginale, en ce qui concerne la préparation du

Livre blanc de 1922 réclamé par Northcliffe. La presse a essentiellement joué un rôle

réactif, dont les manifestations ont contribué à établir un climat dont les politiques ont

nécessairement tenu compte, sans qu’il soit possible d’en mesurer précisément le poids

dans l’élaboration des différents plans de règlement qui se sont succédés au cours de la

période.

NOTES

1. « […] my own authority and that of every department of my Administration is claimed or

impinged upon by the Zionist Commission and I am definitely of opinion that this state of affairs

cannot continue without grave danger to the public peace », rapporté par The Daily Mail,

17 janvier 1923.

2. « Under the stress of the World War the British Government made promises to Arabs and Jews in order to

obtain their support. On the strength of these promises both parties formed certain expectations […]. An

irrrepressible conflict has arisen between two national communities within the narrow bounds of the small

country […]. The conflict was inherent in the situation from the outset. ». Palestine – Royal Commission

Report (The Peel report), Cmd 5479, Londres : HMSO, 1937, p. 370.

3. « The old account with the Jewish people had to be squared if the new world was to start with a clean

balance-sheet. » Chaïm Weizmann, allocution au dix-septième Congrès sioniste, 1 juillet 1931 in

Barnet LITVINOFF (dir.), The Letters and Papers of Chaim Weizmann, vol. I, série B, Rutgers

University and Israel University Press, Transaction Books, 1983, p. 614.

4. Voir Leonard STEIN, The Balfour Declaration, Londres : Valentine, Mitchell, 1961, pp. 103-104.

5. Il s’agit de Walter Rothschild, fils aîné de lord Leopold Rothschild, décédé en 1917, lequel ne se

rallia que sur le tard au projet sioniste auquel n’adhérait pas son plus jeune fils Lionel.

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6. Correspondence with the Palestine Arab Delegation and the Zionist Organisation. And a Statement of

British Policy in Palestine (The Churchill White Paper), Cmd. 1700, Londres : HMSO, juin 1922.

7. « I cannot exclude from my mind the possibilty of further disturbances or even, as my military advisers

have warned me, of a general uprising. » Lettre de Samuel à Churchill, 13 juin 1921. Rapporté par

Bernard WASSERSTEIN, The British in Palestine – The Mandatory Government and the Arab-Jewish

Conflict 1917-1929, Oxford : Basil Blackwell, [1978], 2e éd. 1991, p. 110.

8. « The British Government, the trustee under the Mandate for the happiness of the people of Palestine,

would never impose upon them a policy which that people had reason to think was contrary to their

religious, their political and their economic interests. » Rapporté par Bernard WASSERSTEIN, Ibid.,

p. 110.

9. En date du 24 octobre 1915, Sir Henry McMahon, haut-commissaire britannique en Égypte,

adressait à Hussein, chérif de la Mecque, une lettre lui garantissant, en échange du soulèvement

des Arabes contre les Turcs, le soutien du Royaume-Uni à la création d’un État arabe indépendant

aux frontières imprécises. Les leaders arabes affirmeront que la Palestine faisait partie de cet État

virtuel, ce que contesteront inlassablement les dirigeants britanniques. Le texte de la lettre

restera longtemps secret.

10. Palestine – Statement of Policy by His Majesty’s Government in the United Kingdom Presented by the

Secretary of State for the Colonies to Parliament, Cmd. 3692, Londres: HMSO, octobre 1930.

11. « If immigration of Jews results in preventing the Arab population from obtaining the work necessary

for its maintenance, or if Jewish unemployment unfavourably affects the general labour position, it is the

duty of the Mandatory Power under the Mandate to reduce or, if necessary, to suspend, such immigration

until the unemployed portion of the ‘other sections’ is in position to obtain work. » Ibid., par. 28.

12. « The Passfield White Paper was considered to be formulated in a manner calculated to cause offence.

That, at any rate, is how the Jews reacted. And Beatrice Webb, who could by no standard be considered

sympathetic towards Zionism […] confirms this when she recorded that ‘The Statement […] is a badly

drafted, a tactless document’. » N.A. Rose, The Gentile Zionists – A Study in Anglo-Zionist Diplomacy

1929-1939, Londres : Frank CASS, 1973, p. 17.

13. « In order to remove certain misconceptions and misunderstandings which have arisen as to the policy

of His Mjesty’s Government with respect to Palestine, as set forth in the White Paper of October, 1930, and

which were the subject of a debate in the House of Commons on November 17, and also to meet certain

criticisms put forward by the Jewish Agency, I have pleasure in forwarding you the following statement of

our position, which fall to be read as the authoritative interpretation of the White Paper on the matters

with which this letter deals. » The Times, 15 février 1931.

14. « […] it twas under MacDonald’s letter to me that the change came about in the Government’s attitude

and in the attitude of the Palestine administration which enabled us to make the magnificient gains of the

ensuing years. » Chaïm Weizmann, Trial and Error, 1950. Rapporté par Charles L. GEEDES (dir.), A

Documentary History of the Arab-Israeli Conflict, New York : Praeger, 1991, p. 152.

15. Palestine Royal Commission Report (The Peel Report), Cmd. 5479, Londres : HMSO, 1937.

16. « This report provides by far the most comprehensive and wide-ranging analysis of the situation in

Palestine to be produced by a British authority. » Penny Sinanoglou, « The Peel Commission and Partition,

1936-1938 » in Rory MILLER (dir.), Britain, Palestine and Empire – The Mandate Years, Londres:

Ashgate, 2010, p. 119.

17. « The political, administrative and financial difficulties involved in the proposal to create independent

Arab and Jewish States in Palestine are so great that this solution is impracticable. » Palestine. Statement

by His Majesty’s Government in the United Kingdom, Cmd. 5893, Londres: HMSO, novembre 1938.

Rapporté par Charles L. GEDDES, op. cit., p. 184.

18. Palestine: Statement of Policy, Cmd. 6019, Londres : HMSO, 1939.

19. « It is a policy which […] sets up a territorial ghetto for the Jews in their homeland. » Rapporté par

Charles L. GEDDES, op. cit., p. 198.

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20. « [He said that] the average newspaper reader thought that there was a Jewish State in Palestine,

meaning by ‘State’ what was usually meant in Prussia, a sort of body which rode roughshod over anybody

who did not happen to belong to the ruling authority. This State was maintained (it was said) by British

bounty, and was paid by British taxes. That was, more or less, the opinion which prevailed in the mind of

the average newspaper reader .» Discours prononcé à Oxford le 22 février à l’invitation de la Société

sioniste de l’Université, in Barnet LITVINOFF (dir.), The Letters and Papers of Chaim Weizmann, vol. I,

op. cit., p. 341.

21. « Agitation in the British Press at this time accused Zionism, and Weizmann specifically, of organizing

Britain’s entanglement with Palestine, to the cost of the British taxpayer. » Ibid., note 67, p. 341.

22. « A document in which the British Government would express its sympathy with the Zionist movement

and its intention to support the creation of a Jewish national home in Palestine. » Rapporté par David

AYERST, Guardian – Biography of a Newspaper, Londres : Collins, 1971, p. 385.

23. « We speak of Palestine as a country, but it is not a country ; it is at present little more than a small

district of the vast Ottoman tyranny. But it will be a country, it will be the country of the Jews. »

Manchester Guardian, 5 novembre 1917.

24. « Palestine must either be part of Egypt […], or it must be a buffer State which is prevented

from becoming hostile to Egypt. On the realisation of that condition depends the whole future of

the British Empire as a sea Empire. » Rapporté par Herbert Sidebotham, Great Britain and Palestine,

Londres : Macmillan and Co, 1937, p. 27.

25. « In 1918 the anti-zionist Beaverbrook deprecated Zionist propaganda on the ground that the

Ministry of Information had no success with religious material. » Jason Tomes, Balfour and Foreign

Policy, Cambridge University Press, 1997, p. 200.

26. « I have been for years a prophet of no war. But at last I am shaken. The Jews may drive us

into war ; I do not mean with any conscious purpose of doing so. They do not mean to do it. But

unconsciously they are drawing us into war; their political inflence is moving us in that

direction. » Rapporté par A.J.P. Taylor, Beaverbrook, New York : Simon & Schuster, 1972, p. 387.

27. « The Jews have got a big position in the press here. I estimate that one-third of the

circulation of the Daily Telegraph is Jewish. The Daily Mirror may be owned by Jews. The Daily

Herald is owned by Jews. And the News Chronicle should really be the Jewish Chronicle. Not

because of ownership but because of sympathy. The Times, the Daily Mail and the Express are the

only papers left. And I am not sure of the Mail. » Ibid.

28. « The policy of His Majesty’s Government in Palestine is that laid down by the Foreign Secretary in his

last speech. Until it is altered officially, it is in no way affected by conversations between Sir Charles Henry

and the Prime Minister. » Lord BEAVERBROOK, Men and Power 1917-1918, Londres : Hutchinson, 1956,

pp. 292-293.

29. « The Press and parliamentary campaign of misrepresentation reached its peak during the first half of

the year 1922. In February of that year Lord Northcliffe, returning from his tour round the world, passed

through Palestine in his meteoric and disturbing course. It was unfortunate that, during his short visit, the

High Commissioner was seriously ill to see his guest or remove any of his illusions. For Lord Northcliffe, who

was ill himself, came with a prepossession gathered during his journey in the Far East and India that the

policy of the Jewish National Home in Palestine was a major provocation of Moslem opinion throughout the

world and endangered the foundations of our Moslem Empire. », Norman BENTWICH, England in

Palestine, Londres : Kegan Paul, Trench, Trubner & Co, 1932, p. 79.

30. « He expressed his regret that Palestine, which he had known years ago, was now apparently decidedly

less happy. He believed that the British public is imperfectly informed in regard to Palestinian feeling. For

example, he had been approached by prominent ‘othodox’ Jews of the Ashkenazim who expressed profound

discontent with the present Zionist methods from a political and religious standpoint. Yet the British public

appeared to believe that every Jew is an out and out Zionist. Lord Nothcliffe […] concluded with a promise

that the opinions of all sections of Palestians would have a fair and full hearing in his newspapers . » The

Daily Mail, 9 février 1922.

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31. « In my opinion, unless the situation is firmly dealt with and greater respect is shown for the right of

700,000 Palestinian Moslems and Christians, the country runs the risk of becoming a second Ireland. » The

Daily Mail, 16 février 1922.

32. « The new groupings in Palestine are Judeo-Slav ; their attitude upon life is Judeo-Slav ; their mental

intoxication is Judeo-Slav ; and should the present régime continue, when the first few years in contact with

Britannic ‘emancipation’ have been passed, all points to the constitution of a State not protective but

perilous to Egypt, to the Near East, and to British communications. » The Daily Mail, 26 janvier 1923.

33. « The Balfour Declaration and the White Book are both – and I speak the truth – dishonest and

fraudulent. » The Daily Mail, 8 février 1923.

34. « Mr. Jeffries has shown […] that our presence in Palestine is based on an elaborate system of deception

and political fraud for which the unfortunate British public have to pay the bills. » Éditorial du Daily Mail

du 9 février 1923 publié sous le titre « Evacuate the Near East ».

35. « The realization of a hope which has sustained the Jewish nation through 2,000 years of exile,

persecution and temptation. » Chaïm Weizmann in The Times, 28 mai 1917.

36. « The interest of the world outside Jewry is that these aspirations, in so ar as they may be susceptible of

realization, should be fairly faced on their merits. » The Times, 29 mai 1917.

37. « […] which seemed to us to afford an opportunity of releasing the Jews from the ambiguous and

anomalous position that they occupy in many countries, and of enabling them to recover a natural

equilibrium by a progressive affirmation of their national individuality. » The Times, 17 février 1922.

38. « They come to the home of their remote ancestors […] with extravangant hopes and impossible claims

and have no perception of very complex realities. » Ibid.

39. « As we look back now it appears incredible that the responsibilities involved in the Balfour Declaration

should have been undertaken so lightly, with so little forethought, and with such a lack of historical

perspective. » The Times, 11 avril 1922.

40. « […] the inferences drawn by Lord Hailsham and Sir John Simon are unfounded and are based upon a

misconception of the declared intentions of His Majesty’s Government. » The Times, 6 novembre 1930.

41. « Zionism has come to stay. To attempt to interfere with Jewry is to interfere with history. His Majesty’s

Government and enemies of Zionism can delay the ultimate destiny of Palestine but they cannot prevent its

ultimate fulfilment. » The Times, 21 novembre 1930.

42. « We sold a horse that wasn’t ours to two different buyers ». The Daily Herald, 8 juillet 1937.

43. « I should have thought […] that most members of this House would have enough by now of ‘corridors’.

Do you like the situation in East Prussia so much that you want another corridor? » The Daily Herald,

22 juillet 1937.

44. « Partition seems to the Commissionners, after an intensive study of the question, the only possible

solution. But the more their proposals are examined, the less likely does it seem that, however ingenious,

they should work in fact. » Ibid.

45. Voir sur ce point Penny SINANOGLOU, « The Peel Commission and Partition, 1936-1937 » in

Rory MILLER, Britain, Palestine and Empire: The Mandate Years, op. cit., pp. 128-132.

RÉSUMÉS

Les gouvernements britanniques qui se sont succédé au pouvoir au cours de l’Entre-deux guerres

se sont invariablement heurtés à l’insoluble contradiction en germe dans la Déclaration Balfour.

De Livres blancs en rapports de commissions, la position des responsables britanniques évoluera

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

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vers une plus grande prise en compte des réalités palestiniennes, avant que la Deuxième Guerre

mondiale n’impose d’autres priorités.

La question palestinienne est globalement peu traitée par la presse britannique, à l’exception de

certains titres dont les propriétaires ont défendu leur vision personnelle de l’engagement

britannique en Palestine, jugé coûteux et voué à l’échec. Telle était notamment la position de lord

Northcliffe, largement développée dans le Daily Mail et, dans une moindre mesure, dans le Times

qui a essentiellement servi de tribune aux différents protagonistes

The successive British governments which alternated in office during the interwar years

invariably failed to solve the contradictory commitments included in the Balfour Declaration.

The British official stance as reflected in the numerous White Papers and reports devoted to the

issue gradually evolved towards a more realistic approach to the Palestinian question which was

sidelined with the outbreak of World War Two.

Palestine did not get much in-depth coverage by the British Press except in those dailies owned

by opinionated newspaper proprietors such as Lord Northcliffe who used The Daily Mail to

criticize the British Mandate as both too costly and doomed to fail. The Times also aired Lord

Northcliffe’s views but was mostly used as a tribune by all those involved in the handling of the

Palestinian question.

AUTEUR

JEAN-CLAUDE SERGEANT

Jean-Claude Sergeant est professeur émérite à l’université de la Sorbonne Nouvelle-Paris 3).

Spécialiste de civilisation britannique, il a publié, seul ou en collaboration, une demi-douzaine

d’ouvrages et une centaine d’articles consacrés aux médias et à la vie politique britanniques.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

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Sous-métis d’Australie. Sort desmétis issus d’unions entreAborigènes et Asiatiques jusquedans les premiers temps de laFédérationSubstandard Australian Half-Castes. Fate of Half-Castes of Aboriginal and Asian

Descent during the Founding Years of the Commonwealth

Martine Piquet

1 À la proclamation officielle de la Fédération australienne (Commonwealth of Australia) le

1er janvier 1901, à Centennial Park à Sydney, l’un des pères fondateurs et premier

Premier ministre fédéral, Edmun Barton, déclarait : « Pour la première fois, nous avons

une nation pour un continent et un continent pour une nation ». Dans son esprit,

comme dans celui de ses compatriotes, la nouvelle nation-continent devait être une et

blanche, un sanctuaire pour la race britannique (a preserve for the British race) dont les

colons qui prenaient leur indépendance (en réalité toute relative) représentaient la fine

fleur. Tenant l’un des postes les plus avancés de l’Empire, ils se considéraient en effet

comme « de meilleurs Britanniques que les Britanniques eux-mêmes » (Better Britons

than the Britons themselves) dans leur environnement à leurs yeux plus sain et plus

égalitaire que celui d’une Grande-Bretagne victorienne aux classes sociales figées, aux

valeurs rigides, aux cités industrielles enveloppées par le smog, où régnait la pauvreté.

L’idéal eût été de demeurer entre gens de bonne compagnie. Ainsi, Alfred Deakin, autre

père de la Fédération qui allait lui-même devenir Premier ministre quelques années

plus tard, affirmait lors de débats parlementaires : « L’unité de la race est une condition

absolue à l’unité de l’Australie »1. Pour lui, il convenait « [d’interdire] toute

immigration étrangère de couleur » et d’organiser « par des moyens justes et

raisonnables, le plus rapidement possible, l’expulsion ou la réduction du nombre

d’étrangers parmi nous ». Il concluait : « Les deux vont de pair et constituent les

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éléments indispensables d’une seule et même politique – celle qui consiste à garantir la

viabilité d’une “Australie blanche” »2. Ceci allait être réalisé par la mise en place de tout

un appareil législatif, comme on le verra plus loin.

2 Si les propos de Deakin ne mentionnaient pas les Aborigènes, c’est que leur sort

semblait scellé. À l’arrivée des Britanniques à la fin du XVIIIe siècle, les populations

autochtones étaient peu nombreuses, puisqu’on les estime généralement à environ un

demi-million d’individus répartis sur l’ensemble du territoire. Nomades chasseurs-

cueilleurs sans notion du travail de la terre tel que le concevaient les Européens, ils

n’avaient pas d’organisation sociale identifiable par les nouveaux arrivants, notamment

pas de hiérarchie politique ni de structure militaire reconnaissables par eux. Au cours

du XIXe siècle, succès des théories raciales et darwinisme social aidant, les Aborigènes

australiens furent perçus comme une race primitive qui serait incapable de survivre au

contact de celle qui, au faîte de sa gloire impériale, ne doutait pas d’être la plus évoluée

au monde, la britannique. Dès cette époque, entre pitié, parfois sincère, pour des êtres

ainsi inexorablement condamnés à disparaître (doomed to die) et malveillance délibérée,

plus répandue, envers les occupants de terres où l’on voulait s’installer, et alors que

ceux-ci n’avaient pas toujours le bon goût de se laisser faire, les colonies n’avaient pas

tardé à concevoir des dispositifs réglementaires et législatifs propres à hâter la

réalisation de la prophétie de leur disparition prochaine. On imagina ainsi que les

Aborigènes « pur sang » (full blood) devraient être isolés et placés dans des réserves

protégées où ils finiraient par s’éteindre naturellement, où, en quelque sorte, on les

veillerait (smoothing their dying pillow), alors que les métis « demi-sang » (half-castes)

devraient être acclimatés de force dans la société blanche, quitte à les arracher manu

militari à leurs familles et à les placer dans des institutions religieuses ou d’État, voire

au sein de familles blanches. En les coupant de tout contact avec leurs communautés

d’origine et en ne leur autorisant de mariages qu’avec des blancs ou d’autres métis

n’ayant pas un degré d’aboriginalité plus élevé que le leur, on espérait rapidement

aboutir à la disparition des Aborigènes par dilution génétique au sein de la race

blanche. Contrairement à ce qui était le cas aux États-Unis, on ne craignait pas de

retour atavique car le « sang » indigène était considéré comme « primitif » et donc plus

« faible » que le sang britannique. Dans les colonies, puis les États et Territoires issus

des colonies, des « Protecteurs des Aborigènes » furent chargés de veiller à l’application

de la mise sous tutelle des autochtones australiens pour mener à bien cette opération

de « blanchiment ».

3 Avec la Fédération, ce qu’on appela, quoique jamais officiellement, « Politique de

l’Australie blanche », allait viser à finir de régler la « question aborigène », mais surtout

celle de l’immigration non européenne. Dès la Fédération proclamée, c’est au nom de

cette politique que l’on verrouilla l’accès au pays, que l’on expulsa certains résidents

(notamment mélanésiens), que l’on déplaça de force voire que l’on interna certaines

catégories de population (dont certains Européens) et, envers les autochtones, que l’on

institutionnalisa des pratiques génocidaires, le refus de la citoyenneté et la ségrégation.

L’une des toutes premières lois votées par le nouveau Parlement fédéral fut ainsi la Loi

de restriction de l’immigration (Immigration Restriction Act) dont le but, comme son nom

l’indiquait sans ambiguïté, était de barrer l’entrée du continent aux immigrants jugés

« non désirables ». Parallèlement, on mit tout en œuvre pour écarter les non-Européens

présents sur le territoire de la vie de la Cité. L’Article 4 de la loi sur le droit de vote

fédéral de 1902 (Commonwealth Franchise Act) excluait des listes électorales fédérales,

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outre les Aborigènes d’Australie, « tout indigène aborigène d’Asie, d’Afrique ou des îles du

Pacifique à l’exception de la Nouvelle-Zélande », qui ne jouissait pas du droit de vote dans

son État de résidence au titre de l’Article 41 de la constitution fédérale. L’année

suivante, les mêmes « indigènes aborigènes d’Australie, d’Asie, d’Afrique ou des îles du

Pacifique à l’exception de la Nouvelle-Zélande » se voyaient écartés du champ

d’application de la loi sur la naturalisation (Naturalization Act 1903). À partir de 1920,

l’octroi de la naturalisation releva de « la discrétion absolue » du Gouverneur général,

le texte précisant : « il peut, avec ou sans justification explicite, accorder ou retirer le certificat

[de naturalisation] en fonction de ce qu’il juge être l’intérêt public, et sa décision est sans appel ».

La législation sociale n’était pas davantage applicable aux non-Européens. Ainsi, la Loi

sur les pensions d’invalidité et de retraite de 1908 (Invalid and Old Age Pensioners Act)

excluait « les Asiatiques » (sauf s’ils étaient nés en Australie) et « les indigènes

aborigènes d’Australie, d’Asie, d’Afrique, des îles du Pacifique et de Nouvelle-Zélande ».

En 1912, l’État fédéral refusait l’attribution de la prime de maternité aux « Asiatiques

ou indigènes natives d’Australie, d’Asie, d’Afrique ou des îles du Pacifique ». De même,

dans le domaine de l’emploi, la législation discriminatoire se généralisa entre 1901 et

1920. Dans les secteurs subventionnés par l’État fédéral, comme l’agriculture,

l’exploitation minière ou la poste, seul était autorisé l’emploi d’une main-d’œuvre

blanche. Au niveau des États, c’est au Queensland et en Australie-Occidentale que la

discrimination fut la plus sévère. Au Victoria et en Nouvelle-Galles du Sud, la législation

visait à contrecarrer la « concurrence déloyale » des travailleurs de « couleur », en

limitant leurs heures de travail et les soumettant à des contrôles stricts, souvent

vexatoires, sur leurs lieux de travail, etc.

4 On s’aperçoit à la lecture de ces quelques exemples que si les Aborigènes n’étaient pas

les seuls à être visés pour des raisons raciales, ils étaient les seuls à figurer dans

l’écrasante majorité des législations et réglementations exclusives mises en place tant

au niveau des états qu’au niveau fédéral. Être « sujets britanniques » ne leur servait à

rien car, selon la définition du « sujet britannique » établie dès le début du XVIIe siècle,

reprise dans la législation britannique en 1914 puis en Australie dans la loi sur la

nationalité de 1920, celui-ci n’était qu’une « personne née dans les possessions du Roi et

sous son allégeance » (à l’exception de certaines catégories telles que des enfants de

diplomates ou de prisonniers de guerre). Une telle définition couvrait ainsi beaucoup

de monde, y compris les Indiens ou les Hongkongais qui étaient exclus de l’accès aux

droits de citoyens en Australie. Il n’exista d’ailleurs aucune définition de la

« citoyenneté australienne » jusqu’en 1948, et même lorsque le « citoyen australien »

devint une entité légale à l’occasion du vote de la Loi sur la nationalité et la citoyenneté

(Nationality and Citizenship Act), cela ne changea pas grand chose pour les autochtones.

En juin 1949, cinq mois après le vote de la loi, le ministère de la Justice conseilla au

ministère de l’Immigration de répondre en ces termes sur le statut des Aborigènes et

des « demi-sang » : « Les indigènes ou les indigènes demi-sang sont […] des citoyens

australiens. Il faut noter cependant que la loi sur la nationalité et la citoyenneté n’a pas pour but

en elle-même de modifier les effets de la législation existante sur les droits et devoirs des

individus et que la position des indigènes relativement à cette législation n’a pas été modifiée par

le seul fait du vote de cette loi »3.

5 Les termes des lois d’exclusion votées au début de la Fédération étaient assez larges

pour s’appliquer à la plupart des gens de couleur, mais la véritable obsession des

Australiens était de fermer leur pays aux « Orientaux ». Une peur irraisonnée du « Péril

jaune » leur faisait craindre le déferlement massif de « hordes » en provenance des

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

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régions les plus surpeuplées de Chine, alors que la main d’œuvre asiatique déjà sur

place était perçue comme déloyalement concurrentielle. Celle-ci était employée dans

l’ensemble des colonies sur les grandes exploitations d’élevage (cattle stations), les

plantations sucrières, dans l’industrie perlière, les transports, les travaux publics ou la

domesticité. Dans les années 1850, au moment de la ruée vers l’or, les Chinois avaient

afflué sur les champs aurifères, où ils avaient repris avec succès des concessions

abandonnées par des Européens moins opiniâtres qu’eux. Plus rarement, ils ouvraient

de petits commerces (dont les légendaires blanchisseries) ou s’installaient comme

petits exploitants agricoles. Dans le nord, les petits patrons chinois employaient

couramment des Aborigènes pour des salaires plus élevés que ceux qu’auraient offerts

des Européens. Le plus souvent originaires du sud-est de la Chine, parfois de Singapour,

la plupart d’entre eux étaient illettrés, ne parlaient pas l’anglais et ne connaissaient

rien de la culture occidentale. C’étaient des travailleurs frugaux, méthodiques,

honnêtes et loyaux envers leurs employeurs, mais qui avaient tendance à vivre entre

eux, selon leurs propres usages. Leur présence était mal perçue par des colons

européens qui nourrissaient des préjugés contre leur prétendue immoralité,

notamment parce qu’ils fumaient l’opium. On les accusait des pires crimes dont le rapt

d’honnêtes femmes blanches par des réseaux de proxénètes ou encore le vol d’enfants à

des fins anthropophagiques. Les dispositions contre les Chinois ne furent pas sans effets

puisque leur nombre chuta de 50.000 en 1888 à 32.000 dès 1901.

6 Pour autant, toutes ces mesures ne résolvaient en rien le problème particulier qui

touchait le nord tropical du continent australien, à savoir celui de populations asiatico-

aborigènes métissées de longue date. De fait, si l’histoire contemporaine de l’Australie

commence avec l’arrivée de la Première Flotte et sa cargaison de bagnards à Sydney

Cove en janvier 1788, marquant le début de la colonisation par les Britanniques, les

contacts entre autochtones et ultramarins sont bien antérieurs. Il est établi que depuis

au moins le XVIIe siècle, des commerçants et des pêcheurs macassans venus d’Indonésie

visitaient régulièrement la Terre d’Arnhem, au nord du continent, nouant des liens

économiques et culturels, apportant avec eux non seulement des marchandises mais

aussi de la technologie, des croyances et des cérémonies, s’installant parfois. Il est

également très probable que des marins arabes et chinois atteignirent, voire

fréquentèrent sporadiquement ces régions bien avant l’arrivée des Européens. Il n’y a

pourtant qu’une ou deux décennies que ces éléments sont véritablement pris en

compte. Jusque-là, on se focalisait sur les rapports entre Blancs et Aborigènes, et l’on

n’accordait qu’un intérêt limité au fait que les autochtones aient pu avoir commerce

avec des voisins du nord ou avec des individus non européens arrivés au gré des besoins

de la colonisation. Ainsi, un effet d’optique a longtemps fait présenter l’Australie

comme un contient isolé du reste du monde depuis les temps les plus reculés, un lieu

préservé où flottait encore un parfum de Préhistoire, dont les indigènes, avec leur

faciès prognathe, ne pouvaient être que des fossiles vivants, descendants de quelque

cousin de Cro-Magnon. En 1982, l’historien Geoffrey Blainey dans son ouvrage intitulé

sans la moindre ambiguïté The Tyranny of Distance : How Distance Shaped the History of

Australia montrait comment le pays avait été façonné par la distance : celle séparant

entre elles les régions d’une contrée vaste comme quatorze fois la France, mais celle

surtout la séparant de la Grande-Bretagne, voire plus largement du monde occidental :

Londres est à 17.000 km de Sydney. Or il suffit de regarder une carte régionale pour

s’apercevoir que le Cap York, au nord du continent australien n’est séparé de la

Papouasie-Nouvelle Guinée que par les quelque 150 kilomètres du Détroit de Torres, et

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100

que la capitale du Territoire-du-Nord, Darwin, est moins éloignée de Jakarta (un peu

plus de 2 700 km) que de la capitale fédérale, Canberra, ou des deux grandes métropoles

du sud, Sydney et Melbourne (un peu moins de 3 150 km). La capitale d’État la plus

proche, Brisbane, est à un peu plus de 1 750 km quand Dili, la ville indonésienne

d’importance la plus proche, est distante d’à peine 720 km. Pourtant, cette proximité

d’avec l’Asie du sud-est a longtemps été délibérément ignorée au profit d’un tropisme

maladif vers l’ancienne mère-patrie. Il est vrai que la colonisation britannique s’est

effectuée à partir du sud-est vers le nord et l’ouest plutôt qu’à partir du nord, ceci

expliquant plus que probablement cela.

7 Pour ces raisons de proximité géographique avec l’Asie et, inversement, d’éloignement

des grands centres de colonisation britannique plutôt situés dans les régions côtières

du sud-est, les rencontres, échanges et mariages entre Asiatiques et Aborigènes furent

surtout fréquents dans le nord du continent, plus particulièrement le Territoire-du-

Nord et l’Australie-Occidentale, mais aussi le Queensland. Dans ces régions

septentrionales éloignées des régions plus peuplées du sud et de l’est, les Européens

restèrent minoritaires jusqu’à la seconde guerre mondiale. Malgré le sentiment anti-

asiatique très largement partagé décrit plus haut, la rareté de la main d’œuvre fit que

l’on se vit contraint de continuer à recruter Chinois, Japonais, Philippins, Malais,

Afghans… dans les secteurs essentiels au développement de la colonisation du nord du

continent australien : l’industrie pastorale (surtout au Queensland), l’industrie perlière

(principalement l’Australie-Occidentale) et le transport (chemins de fer dans le

Territoire-du-Nord, transport de marchandises à dos de chameau à travers les régions

désertiques, etc.). L’infériorité numérique européenne ne manquait pas de frapper les

visiteurs qui ne pouvaient que constater la vigueur de la concurrence asiatique au

niveau des entreprises locales mais, bien pire, celle d’un développement

démographique métissé, qui contredisait les oracles évolutionnistes et montrait les

limites de la politique de l’Australie blanche. On avait là le pire mélange imaginable,

celui précisément des groupes que l’on voulait voir disparaître du pays. Ni la législation

ciblant les immigrants asiatiques ni celle relative à l’administration des populations

autochtones ne faisaient sens pour cette population largement métissée. On tâcha donc

de limiter les rapprochements entre Asiatiques et Aborigènes, souvent sous des

prétextes prophylactiques où le moral le disputait au médical. La « malpropreté », la

« lascivité » et la « paresse » qu’on prêtait aux Asiatiques étaient désignées

responsables de la propagation de maladies telles que la variole ou la lèpre, ou encore

des problèmes d’addiction à l’opium. En 1901, au Queensland, par exemple, la Loi de

protection des Aborigènes de 1897 qui prévoyait déjà l’interdiction de vente d’opium

aux autochtones fut renforcée par un amendement interdisant aux Chinois d’employer

des indigènes. En 1905, en Australie-Occidentale, la Loi de Protection locale interdit

tout contact entre femmes aborigènes et pêcheurs de perles japonais. Les Protecteurs

des Aborigènes, dont cela entrait dans les attributions, opposaient quasi

systématiquement leur veto aux demandes de mariages mixtes entre Aborigènes et

Asiatiques (et non-Aborigènes plus généralement, Mélanésiens en particulier, par

exemple au Queensland dès 1890). Au sein de ces populations métissées, l’une des

difficultés auxquelles ils étaient confrontés était la difficulté à distinguer les

« Aborigènes » des « non-Aborigènes », les « Asiatiques » des « non-Asiatiques ». On

était par ailleurs fort embarrassé par l’appellation « demi-sang » (half-castes) que l’on

avait plutôt l’habitude d’employer pour les enfants issus d’une mère aborigène et d’un

père blanc, d’où l’apparition d’une catégorisation « ni Aborigène ni demi-sang » qui

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101

reléguait les intéressés au rang de parias. Pour autant, la confusion et l’arbitraire

régnaient. La catégorisation variait selon l’endroit où l’on était né, la date à laquelle on

avait vu le jour et la discrétion des autorités. Les membres d’une même fratrie, issus des

mêmes parents, pouvaient se trouver placés dans des catégories différentes et une

même personne pouvait voir sa catégorisation modifiée plusieurs fois.

8 La définition de l’aboriginalité elle-même ne fut jamais claire. On a vu dans les

premières lois votées au moment de la Fédération des colonies australiennes

l’importance accordée à la notion « d’indigène aborigène » (aboriginal native). Sous ses

dehors redondants, cette expression était spécifiquement australienne au sein de

l’Empire. En effet, les Britanniques n’utilisaient pas les mots « aborigine » et

« aboriginal » pour désigner les populations indigènes de leurs colonies, préférant le

terme de « native ». Dans l’usage australien les mots « aboriginal » et « native »

s’appliquaient à deux types bien distincts de population, comme l’avait d’ailleurs noté

Trollope en son temps4, le premier désignant les autochtones, avec le sens d’habitant ou

descendant d’habitant originel d’une contrée, tandis que le second désignait les colons

blancs nés en Australie, ce qu’on aurait appelé un « créole » en Louisiane ou dans la

Caraïbe française. Le mot « native » en Australie renvoyait donc au lieu de naissance

tout autant qu’à l’origine ethnique proprement dite. Ainsi, malgré son apparence

pléonastique, le terme « aboriginal native » était à lire en fonction de l’étymologie de ses

composantes et désignait le descendant du peuple originel d’une région (aboriginal) né

dans cette région (native). Or si la notion « d’indigénéité » ainsi définie ne posa jamais

problème, il en alla tout autrement de la définition de « l’aboriginalité » en raison des

enjeux qui y étaient liés : la ligne de démarcation entre qui était « aborigène » et qui ne

l’était pas conditionnait en effet l’exclusion ou non des droits civiques et des

prestations sociales. La question était cruciale pour les « demi-sang », qui se trouvaient

ballottés d’un côté à l’autre de la frontière pour eux très fluctuante de l’accession à la

citoyenneté, mais elle concernait aussi les immigrés de couleur requérant la

naturalisation, l’inscription sur les listes électorales ou l’accès aux prestations sociales.

9 C’est d’ailleurs à propos de ces derniers que se posa rapidement la question, quand il

fallut déterminer le statut des « indigènes aborigènes d’Asie, d’Afrique et du Pacifique ». Un

avis donné en 1904 au ministère de l’Intérieur par le Conseil juridique de la Couronne

sur la nationalité d’enfants nés en Australie de parents asiatiques afin de savoir s’il y

avait lieu ou non de les inscrire sur les listes électorales arguait que « les personnes nées

dans l’Empire britannique sont des sujets britannique – quelle que soit la nationalité de leurs

parents ». On appliquait ainsi strictement la loi du sol puisque le terme native se

rapportait au lieu de naissance, quels que fussent la nationalité et le lieu de naissance

des parents. Pourtant, la même année, le Conseil donna un avis exactement contraire

dans une affaire de naturalisation. Il s’agissait du cas d’un certain R.A. Salleeby,

d’origine syrienne et né à New York. Sa demande de naturalisation avait été rejetée au

motif que l’intention du parlement avait été de « refuser le privilège de la naturalisation

aux personnes d’ascendance asiatique ». L’intéressé interjeta appel, alléguant (1) que les

Syriens modernes n’étaient plus les Syriens des origines, (2) que ses ancêtres

descendaient des Croisés et (3) qu’il était par ailleurs admis que les Syriens modernes

étaient de race caucasienne. Cette argumentation plongea les autorités dans le plus

grand embarras, puisque le requérant tentait de faire valoir une interprétation littérale

et étroite du terme aboriginal. Lui donner raison aurait rendu les dispositions de la loi

inapplicables. Pour éviter cet écueil, l’avis fut donné que, dans le cadre de la loi sur la

naturalisation aboriginal native désignerait « tout indigène appartenant à une « race

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indigène » d’Asie, d’Afrique, etc. » Dans cette acception large, aboriginal native en venait à

désigner tout non-Européen.

10 Cet avis fut confirmé en 1923 dans un cas similaire, sur lequel eut à se prononcer la

Haute Cour fédérale5, où un Japonais, Jiro Murramats, né au Japon de parents japonais,

naturalisé au Victoria en 1899 et installé en Australie-Occidentale depuis 1900,

n’obtenait pas son inscription sur les listes électorales fédérales, alors qu’il avait été

inscrit sans difficulté sur les listes électorales de cet État qui pourtant ne reconnaissait

pas le droit de vote aux « indigènes aborigènes d’Australie, d’Asie, d’Afrique ou des îles

du Pacifique, ni au personnes de demi-sang ». Comme le Syrien R.A. Salleeby avant lui,

Jiro Murramats avait tenté de faire valoir qu’il ne descendait pas des premiers

habitants du Japon, les Ainus, mais de colons plus tardifs. Dans les attendus de son

jugement, la Haute Cour indiqua « qu’il ne suffisait pas [au plaignant] de montrer que sa race

n’était pas une race “aborigène” du Japon, il fallait qu’il montre qu’il n’appartenait pas à une

race aborigène d’Asie ou des Îles du Pacifique ». Pour la Haute Cour, « aborigène » signifiait :

[…] aborigène dans le sens commun du terme : ceux qui appartiennent à la race quihabitait un pays au moment où les Européens y sont arrivés. Il se peut, commecertains le prétendent, qu’il ait existé une race peuplant l’Australie avant ceux quenous appelons « les aborigènes australiens » (…) ; il se peut qu’avant que lesJaponais arrivent au Japon il y ait eu une race appelée « les Ainus », et même avanteux des hommes des cavernes. Mais cela n’empêcherait pas les Noirs australiensd’êtres les aborigènes d’Australie du point de vue des colons blancs, de la loiaustralienne ni les Japonais actuels d’être les aborigènes du Japon.

11 Ces interprétations ne furent pas sans affecter les métis d’ascendance aborigène et non

européenne pour leur accession à la citoyenneté. Comme pour l’appréciation de

l’opportunité d’accorder l’autorisation des mariages mixtes, une situation similaire

pouvait être jugée complètement différemment. Ainsi un insulaire de l’île Thursday, de

père originaire des îles Loyauté naturalisé australien et de mère insulaire « pur sang »

du Détroit de Torres, obtint sans difficulté son inscription sur les listes électorales,

puisqu’on considéra que la naturalisation de son père suffisait à faire de lui un « demi-

sang ». Au contraire, à Broome en Australie-Occidentale, une femme de mère aborigène

« pur sang » et de père « présumé » originaire des Philippines mais non naturalisé, se

vit refuser son inscription sur les listes électorales au motif qu’étant « moitié

philippine » et « moitié aborigène », donc n’ayant pas de sang européen, elle ne pouvait

être considérée comme « demi-sang ». Cette aboriginalité à géométrie variable pouvait

s’appliquer à un seul et même individu En Australie-Méridionale, par exemple, les

« demi-sang » étaient assujettis à la conscription militaire mais pas les « pur-sang ».

Pourtant les « demi-sang » étaient souvent classés avec les « pur-sang » dans d’autres

cas. Au niveau fédéral, un « demi-sang » incapable de subvenir à ses besoins pouvait

être rétrogradé au rang de « pur-sang pour être placé sous tutelle mais, en tant que

« demi-sang », il conservait son droit de vote.

12 Malgré les efforts pour tenter de fixer la définition de « l’aboriginalité », celle-ci resta

largement à la discrétion des autorités locales jusque dans les années 1950. La seule

certitude était qu’elle se déclinait alors en termes de « sang » plutôt que d’identité

culturelle. Pourtant, contrairement aux Américains, Canadiens ou Sud-Africains, les

autorités australiennes refusèrent d’adopter un système complexe de classification

sanguine distinguant « mulâtre » (mulatto), « quarteron » (quadroon) , « octavon »

(octavoon), etc. On préféra se cantonner au principe plus simple, implicite depuis 1901,

que toute personne ayant moins de 50 % de « sang blanc » serait considérée comme

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« indigène ». Ainsi, les « demi-sang » devenaient des « Européens » dans la plupart des

cas, sauf lorsqu’il arrangeait les autorités qu’il en fût autrement. Les métis « ni

Aborigènes ni demi-sang », pour leur part, devaient rester pour longtemps aux marges

de la société australienne, des « étrangers de l’intérieur » pour reprendre l’expression

de Peta Stephenson6. La définition de l’aboriginalité demeure sujet d’âpres débats, mais

on considère aujourd’hui qu’est Aborigène « toute personne d’origine aborigène s’identifiant

comme telle et reconnue par la communauté aborigène au sein de laquelle elle vit7 », ce qui

laisse enfin toute leur place aux métis de toutes ascendances.

BIBLIOGRAPHIE

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Cambridge University Press, Cambridge, 1997.

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POVINELLI Elizabeth A., The Cunning of Recognition. Indigenous Alterities and the Making of Australian

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STEPHENSON, Peta, The Outsiders Within. Telling Australia’s Indigenous-Asian History, University of

Ne South Wales Press, Sydney, 2007.

NOTES

1. Commonwealth Parliamentary Debates, 12 septembre 1901, vol. iv, pp. 4.804-07.

2. Commonwealth Parliamentary Debates, 12 septembre 1901, ibid.

3. « Aborigines or half caste aborigine are […] Australian citizens. It is pointed out, however, that the

Nationality and Citizenship Act does not itself purport to alter the effect of existing legislation upon the

rights and duties of individuals, and the position of aborigines in relation to such legislation has not been

altered solely by reason of the provision of that Act. »

4. « It will be as well to call the race by the name officially given to it. The government styles them

“aboriginals” … the word native is almost universally applied to white colonists born in Australia. »,

Anthony TROLLOPE, Australia and New Zealand, Melbourne, Authorized Australian Edition, 1873,

pp. 504.

5. Haute Cour : rôle équivalent à celui de la Cour suprême américaine.

6. Titre de son ouvrage The Outsiders Within, 2007.

7. Report on a review of the administration of the working definition of Aboriginal and Torres Strait

Islanders (Canberra, 1981) : « An Aboriginal or Torres Strait Islander is a person of Aboriginal or Torres

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Strait Islander descent who identifies as an Aboriginal or Torres Strait Islander and is accepted as such by

the community in which he (she) lives ».

RÉSUMÉS

Pendant une bonne partie de sa courte histoire et particulièrement aux cours des années

fondatrices du Commonwealth, l’Australie se projetait comme une nation « britannique » des

Antipodes. L’idéal de la « politique de l’Australie Blanche » eût été de limiter l’accès de son

territoire aux seuls immigrants originaires des Îles britanniques, de diluer génétiquement

comme culturellement la minorité aborigène. Pourtant, le monde changeant, l’Australie finit,

bien à contrecœur, par se résoudre à accepter l’arrivée croissante d’Européens de l’Est et du Sud,

puis d’Asiatiques. Le rapport Bringing Them Home de 1997 sur les « Générations volées » d’enfants

arrachés à leurs foyers pour être « civilisés » dans des institutions religieuses ou d’État a dénoncé

l’un des aspects peu glorieux du traitement réservé aux métis. Il était là question surtout de

métis issus d’unions entre blancs et Aborigènes. Or quoi qu’eussent voulu oublier et/ou faire

oublier les Australiens, il existait avant même l’installation des premiers colons européens des

relations entre les Aborigènes et leurs voisins du nord, et il y eut une immigration asiatique non

négligeable dès le XIXe siècle. En raison de leur double ascendance, les métis issus d’unions entre

Asiatiques et Aborigènes se trouvèrent doublement stigmatisés par l’addition des préjugés

raciaux. Leurs difficultés spécifiques à accéder à la citoyenneté jusqu’au XXe siècle sont

particulièrement révélatrices du profond rejet de l’altérité qui a caractérisé la société

australienne jusqu’à l’adoption officielle du multiculturalisme dans les années 1970.

For a long period of its short history, most particularly during the founding years of the

Commonwealth, Australia thought of itself as a “British” nation of the Antipodes. Ideally, the so-

called “White Australia Policy” was meant to bar the access of its territory to immigrants other

than from the British Isles, and to gradually dilute the Aboriginal minority, both genetically and

culturally into white society. This, however, eventually proved impossible to achieve as times

were changing and Australia increasingly found it had no choice but to let come the immigrants

it needed from other parts of the world (Eastern and Southern Europe, then Asia). The 1997

Bringing Them Home Report on the “Stolen Generations” of children forcibly removed from their

families to be “civilised” by religious or state institutions illustrated one of the most scandalous

aspects of the way in which half-caste children were treated. Most of those were children with a

white parentage. However, and although those facts were often more or less deliberately ignored

until recently, Aboriginal people had entertained contacts with their northern neighbours before

the arrival of the first white settlers, and there had been a substantial Asian immigration since

the XIXth century. Half-castes of Aboriginal and Asian descent were doubly stigmatised by the

prejudices against both races. The specific difficulties they met before they could be regarded as

citizens are very typical of the deep reject of otherness among Australian society, until the

official adoption of multicultural policies in the 1970s.

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AUTEUR

MARTINE PIQUET

Martine Piquet est Professeur à l’Université Paris-Dauphine où elle dirige le CICLaS EA 4405. Elle

est spécialisée dans l’étude de la civilisation des Pays du Commonwealth et plus particulièrement

celle d’Australie à laquelle elle a consacré de nombreux articles et l’ouvrage Australie Plurielle,

l’Harmattan, 2004. Elle co-dirige les revues Cultures of the Commnwealth (ISSN 1245-2971) et Les

Cahiers du CICLaS (ISSN 1637-7060).

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Identités nationales, identités« raciales » en OcéanieNational Identities and ‘Racial’ Identities in the Pacific

Adrien Rodd

1 La construction identitaire nationale a été, à des degrés plus ou moins importants, une

préoccupation dans les États issus de la décolonisation dans le Pacifique, à l’instar

d’autres régions du monde. Comme ailleurs, la volonté de bâtir un sentiment d’unité,

d’appartenance commune à la nation sur le fondement de critères aisément

identifiables, a parfois paru difficilement compatible avec la reconnaissance de la

diversité sous toutes ses formes, et avec l’acceptation des minorités au sein de

l’imaginaire national – notamment les minorités rendues particulièrement visibles par

leur phénotype « étranger ». Cet article s’intéresse aux États nés des anciennes colonies

britanniques en Océanie. Cet ensemble recouvre des pays en apparence bien

différents – des colonies de peuplement que furent l’Australie et la Nouvelle-Zélande,

aux îles du Pacifique demeurées (à deux exceptions près) majoritairement autochtones.

Pourtant, malgré leurs différences, notamment en termes de population, plusieurs de

ces pays ont connu ou connaissent la tentation de fonder leur affirmation d’unité

identitaire nationale sur une adéquation entre la nation et son ethnie, voire sa ‘race’,

majoritaire. Dans un tel contexte, la place des minorités s’est inscrite dans une

gradation entre pleine jouissance des droits civiques malgré une exclusion, explicite ou

non, de l’imaginaire national ; et un rejet total prônant une pleine homogénéité

« raciale » de la société nationale.

Des terres pour la « race » blanche

2 L’histoire de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie les distingue dans une grande mesure

des autres pays de la région. L’Australie, on le sait, n’avait pas pour vocation première

d’être une colonie florissante, accueillant en grand nombre des migrants britanniques

venus de leur plein gré. Le statut de colonies de peuplement de ces deux territoires fut

en partie une réponse à des initiatives privées. Ce fut un homme politique et homme

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

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d’affaires anglais, Edward Gibbon Wakefield, qui, le premier, orchestra de sa propre

initiative un début de peuplement organisé de l’Australie méridionale, dans les années

1830. Il fonda ensuite la New Zealand Company, anticipant sur – voire précipitant –

l’annexion britannique de la Nouvelle-Zélande en y dépêchant des colons en 18391.

3 Dès lors, ces territoires aux antipodes n’étaient viables que dans la mesure où ils

accueilleraient des colons en grand nombre, agents de leur transformation en sociétés

ordonnées, inspirées du modèle britannique. À partir de la fin du XIXe siècle, une

immigration blanche massive était également considérée comme une nécessité absolue

pour la sécurité nationale, face au fantasme d’un « péril jaune », militaire ou

démographique. Le slogan alarmiste « se peupler ou périr » (populate or perish) provint

du premier ministre australien Billy Hughes en 19372, résumant une notion clef des

discours politiques depuis des décennies. De 1851 à 1861, 40 % des immigrés arrivant en

Australie avaient bénéficié de financement public pour permettre leur voyage. Ce taux

atteignit plus de 50 % entre 1861 et 1900, puis plus de 67 % de 1919 à 19293. Ces

financements s’adressaient en priorité aux ressortissants des Îles britanniques – dont

les Irlandais, qui furent nombreux à en bénéficier. Quant à la Nouvelle-Zélande, dans

les années 1870, la politique du premier ministre Julius Vogel résulta en un bond

démographique. Il finança avec des fonds publics la venue d’une centaine de milliers

d’immigrés blancs, originaires à plus de 90 % des Îles britanniques4.

4 Initialement, les politiques d’immigration visaient avant tout à faciliter et à encourager

la venue de migrants britanniques, dans le but de développer la société coloniale et de

la consolider, tant face aux autochtones qu’aux « hordes » asiatiques perçues comme

une menace bien proche. Mais à partir de la fin du XIXe siècle, ces politiques

d’incitation allaient s’accompagner de mesures restrictives fermant ces deux pays aux

migrants non-blancs. En 1879, Sir George Grey, Premier ministre de Nouvelle-Zélande,

affirma devant la Chambre des Représentants de la colonie la nécessité pour ses

habitants « d’être fidèles à eux-mêmes, et de préserver, indemne et sans mélange, cette

population anglo-saxonne qui l’habite à présent »5. Bien plus tard, en 1924, l’un de ses

successeurs, le premier ministre William Massey, écrivit qu’il s’évertuait à faire du pays

« un foyer digne des meilleurs éléments de la race anglo-saxonne – un pays de l’Homme

blanc »6. Au même moment, un journaliste australien, Keith Murdoch, écrivait : « [L] a

politique [australienne] est fondée […] sur un des idéaux les plus nobles qui puissent

motiver l’homme. […] La pureté raciale est son objet sacré, bien plus sacré pour la

nouvelle génération d’Australiens que toute autre attache terrestre7 ». Le Haut-

commissaire australien au Royaume-Uni affirmait pour sa part, dans une lettre au

Times, que l’adoption des politiques de l’Australie blanche avait eu lieu « parce que la

possibilité d’un continent à la race pure était devenue une question de fierté nationale

unanime. Elle l’est toujours, et elle le demeurera8 ». Entre les deux dates, le discours

n’avait pas varié ; cette idée de « pays de l’Homme blanc », de terre réservée à la ‘race

anglo-saxonne’, demeura consensuelle pour les gouvernements successifs dans les deux

colonies. Alfred Deakin, l’une des personnalités politiques les plus influentes au

moment de la fédération de l’Australie en 1901, affirmait que les Australiens devaient

être « un seul peuple, et demeurer un seul peuple, sans mélange avec d’autres races », car

« [l]’unité de l’Australie n’est rien si cela n’implique pas une race unie9 ». « Pays », « peuple »

et « race » devenaient essentiellement synonymes dans le contexte australien et néo-

zélandais.

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5 Principale minorité visible dans les mines d’or, à partir des années 1850, les Chinois

furent la cible de préjugés sinophobes, qui aboutirent aux premières politiques

d’exclusion. Le rejet qu’ils subirent était motivé principalement par quatre facteurs. Les

travailleurs, les dirigeants syndicaux et les journalistes évoquaient la menace qu’ils

feraient peser sur l’emploi des Blancs, tandis que les hommes politiques et les

théoriciens de la « race »s’inquiétèrent d’une « contamination » de la « race blanche »,

risquant de perdre sa « pureté »10. Cette « contamination » apparaissait d’autant plus

évidente que les Chinois furent caricaturés en hommes fourbes, pervers, drogués à

l’opium – une menace pour les femmes blanches. Le New Zealand Times en 1896 titrait :

« Le Quartier chinois de Wellington : des lieux de vice asiatique comme la peste parmi

nous »11. Rapidement, le potentiel démographique de la Chine fut aussi décrit comme

un danger pour la sécurité nationale des « petites » colonies blanches – le « Péril

jaune ». Enfin – et paradoxalement –, les Chinois furent accusés de ne pas s’investir

dans l’avenir de la colonie. Ces migrants temporaires (huaqiao) ne cherchaient qu’à

s’enrichir avant de retourner en Chine, firent remarquer les hommes politiques néo-

zélandais des années 1890. Parlant souvent mal l’anglais, de religion « païenne », ils

furent décrits comme inassimilables, ne s’identifiant aucunement à leur pays de

résidence12. Ils étaient donc des étrangers permanents – une anomalie dans des sociétés

qui se voulaient homogènes.

6 À partir des années 1880, les autorités australiennes et néo-zélandaises commencèrent

à interdire aux Chinois l’accès à leur territoire, le plus souvent encore de manière

ponctuelle et aléatoire, pour satisfaire aux revendications populaires. Cette époque

correspondait, en Nouvelle-Zélande, à une stagnation économique, propice à la

xénophobie. En 1881, la loi Chinese Immigrants Act, en Nouvelle-Zélande, imposa aux

seuls Chinois le paiement d’une taxe d’entrée de £ 10, et interdit à tout navire d’aborder

dans ses ports avec à son bord plus d’un migrant chinois par centaine de tonnes de

marchandises. En 1896, la loi Asiatic Restriction Bill stipula qu’aucun navire ne pourrait

transporter plus d’un migrant chinois pour deux cent tonnes de marchandises, et tout

immigré chinois – défini par sa « race », et non par sa nationalité – devrait s’acquitter

d’une taxe d’entrée de £ 100 – une somme astronomique pour l’époque. En 1899, la

Nouvelle-Zélande adopta la loi Immigration Restriction Act. Celle-ci fermait les frontières

de la nation insulaire à toute personne n’étant pas de descendance britannique ou

irlandaise et qui échouerait à un exercice de dictée en langue anglaise – cette dernière

étant une idée empruntée à la colonie sud-africaine du Natal. Le nombre de Chinois en

Nouvelle-Zélande fut réduit de 5 004 en 1891 à 2 857 en 1901, puis à 2 072 en 191613. La

« politique de la Nouvelle-Zélande blanche » (White New Zealand policy) s’était dotée d’un

appareil législatif efficace. Les auteurs du recensement de 1921 pouvaient ainsi

déclarer :

Du point de vue de la race, la population du Dominion est, et a toujours été,conforme à une haute norme de pureté ; en effet, le maintien d’une norme depopulation purement européenne ou « blanche » a été invariablement pris encompte dans la législation sur l’immigration. L’importance de la pureté raciale estreconnue depuis longtemps. L’histoire nous a montré que le mélange de la raceblanche et des races dites de couleur n’est pas favorable à l’amélioration des typesraciaux14.

7 La préservation de la « pureté raciale » était donc une fin en soi ; toute présence non-

blanche – outre celle des Maori – risquait d’entraîner une « pollution », et un « déclin »

du « type racial » blanc, le plus « avancé ». La position de l’Australie était similaire, et le

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gouvernement australien en 1925 publia un communiqué se félicitant du fait que sa

population était « britannique » à « 99 % » – et qu’elle le resterait15. Ce chiffre excluait

bien sûr les Aborigènes, qui n’étaient pas comptés dans les recensements. Le

recensement de 1947 annonça que la population non-blanche de l’Australie était de

0,25 %16. Tous les Blancs n’étaient pas ‘britanniques’, mais tous les « Britanniques »

étaient blancs, et comprenaient officiellement la quasi-totalité de la population. De

même, en Nouvelle-Zélande, des hommes politiques à la fin du XIXe siècle et au début

du XXe affirmèrent à plusieurs reprises que le pays était britannique à « 98,5 % » –

affirmation qui requérait « [d] ivers tours de passe-passe statistiques et sémantiques17 ». Les

statistiques officielles furent invoquées pour preuve de l’unité « raciale », et donc

nationale, de chaque pays.

8 Dès l’unification de l’Australie en janvier 1901, le gouvernement œuvra à la

consolidation d’une société blanche. Le Parlement fédéral adopta la loi Pacific Island

Labourers Act – six jours avant d’adopter la loi Immigration Restriction Act. Ces deux

textes, combinés au Commonwealth Franchise Act de 1902, qui interdisait le droit de vote

à toute personne non-blanche, constituèrent les fondements de la « politique de

l’Australie blanche » (White Australia policy). Le Pacific Island Labourers Act prévoyait la

déportation massive des travailleurs mélanésiens présents dans le nord du pays. Au

nombre de 10 000 en 1901, ils n’étaient plus que 4 500 en 1906, et seuls 1 654 furent

autorisés à rester après 190818. Ayant « réglé » le « problème » des Mélanésiens, les

législateurs se tournèrent vers les Chinois. Il y avait alors environ 30 000 personnes

nées en Chine résidant en Australie19. La jeune nation, unie pour la première fois et en

passe de se définir, fit de la « politique blanche » l’une de ses priorités. Ainsi,

« l’exclusion […] d’Asiatiques fut au centre de la formation même de la nation

australienne moderne »20 ; l’Australie, à sa naissance, fut définie explicitement comme

un pays blanc. Restreindre l’immigration chinoise n’était pas une idée nouvelle. Des

chercheurs d’or blancs dans les années 1850 avaient demandé l’interdiction de leur

entrée sur le territoire. Dans les années 1850, 1860 et 1870, il y eut plusieurs violentes

émeutes anti-chinoises, notamment dans les mines d’or, faisant plusieurs morts21. Dès

1855, les autorités du Victoria leur imposèrent une taxe d’entrée de £ 1022. En 1884,

l’Assemblée législative du Queensland adopta une loi interdisant, comme en Nouvelle-

Zélande, à tout navire d’« importer» en Australie plus d’un migrant chinois pour

cinquante tonnes de marchandises, et imposant à ces immigrés une taxe de £ 2023. La

Nouvelle-Galles du Sud et le Victoria firent de même quelques années plus tard.

9 La loi fédérale Immigration Restriction Act de 1901 s’inspira du précédent néo-zélandais.

Les agents d’immigration furent invités à soumettre à un test de dictée, dans n’importe

quelle langue européenne, tout candidat non-blanc à l’immigration. Une circulaire

transmise par le gouvernement aux autorités douanières précisait explicitement que

« le test, lorsqu’il est appliqué à un immigré, est fait pour empêcher absolument cette personne

d’entrer en Australie […]. Le test doit donc être appliqué dans une langue que l’immigré ne

connaît pas suffisamment bien pour pouvoir rédiger une dictée dans cette langue24 ». Un député

du parlement du Queensland, interrogé par un journaliste en 1902, confirma en outre

que « les douaniers ont reçu pour ordre de n’appliquer cette loi qu’aux Asiatiques25 ». La

« politique de l’Australie blanche » fut, dans une large mesure, un succès. La population

asiatique, notamment chinoise, cessa de croître, et connut un déclin marqué. Au

nombre de 29 907 en 1901, les personnes nées en Chine et résidant en Australie

n’étaient plus que 15 224 en 1921, et 6 404 en 1947. Parmi eux, il y avait 394 femmes en

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1901, 322 en 1911, et 365 en 1921. La population chinoise ne connaîtrait pas

d’accroissement naturel conséquent. En 1941, un journaliste pouvait écrire au sujet de

la politique de l’Australie blanche que « tous les partis politiques la soutiennent pleinement.

Elle est l’une des institutions les plus chéries des Australiens26 ».

10 Quant aux Aborigènes et aux Maori, leur présence était potentiellement problématique

pour deux sociétés se voulant exclusivement blanches. Les perceptions à leur égard, et

les politiques qui en découlèrent, furent néanmoins assez différentes. En Australie, la

nature même du projet colonial, qui saisissait les terres aborigènes sans compensation,

et déplaçait de force les populations, les contraignant souvent à la famine, ne leur

offrait aucune place dans la société blanche. Les massacres furent fréquents, se

combinant aux maladies avec des effets dévastateurs. Entre 1788 et 1930, la population

aborigène sur l’ensemble de l’Australie chuta d’environ 90 %27. Les Maori, pour leur

part, devinrent explicitement des sujets britanniques en vertu de l’article trois du

Traité de Waitangi28. Leur nationalité britannique fut confirmée par la loi Native Rights

Act de 1865, qui réaffirmait leur égalité en droits et en devoirs. Aux yeux de la loi, et des

autorités, les Maori étaient britanniques. A contrario, les Aborigènes ne disposaient

d’aucun statut clairement établi, relatif à leur hypothétique nationalité. Tandis que la

Nouvelle-Zélande tentait, de manière souvent imparfaite et discriminatoire,

d’encourager la participation des Maori à la vie économique, sociale et politique de la

colonie, dont ils étaient citoyens, les Aborigènes « ne furent simplement pas reconnus

comme des membres de la société29 ». « Une fois conquis ils souffrirent […], car ils n’avaient

aucune place utile dans la nouvelle société [où] les Aborigènes étaient perçus comme

superflus30 ». Ils n’eurent pas accès à l’école des Blancs31. Les autochtones qui

souhaitaient être assimilés ne pouvaient l’être. Dès le XIXe siècle, il fut considéré

« désirable d’employer des Maori dans le service public », de les intégrer à l’administration

coloniale32. Les Pakeha (non-autochtones) acceptèrent le plus souvent la notion que les

Maori « devenaient des Britanniques à la peau brune [Brown Britons] par mariage, par

l’individualisation, par la modernisation et l’assimilation33 ». En 1920, le député maori

Apirana Ngata demanda au Parlement si la loi qui restreignait le retour en Nouvelle-

Zélande de résidants néo-zélandais non-blancs ayant quitté le pays s’appliquait aux

Maori. Le premier ministre conservateur William Massey lui répondit : « Dans ce cadre, le

Maori est considéré comme un Européen. Les Maori sont de très bons citoyens, ils ont les mêmes

droits et les mêmes privilèges que les Européens, et ils les méritent34 ». Dans les deux sens du

terme, les Maori étaient considérés comme assimilables aux Blancs.

11 En Australie, il ne fut jamais question d’accorder aux Aborigènes une place d’égaux

dans la société blanche. Les politiques « assimilationnistes » tardivement déployées à

l’égard d’enfants métis, et appliquées par la force, ne visèrent nullement à assimiler

tous les Aborigènes. La ségrégation s’appliqua sans discontinuité aux full-bloods – les

autochtones au « sang non-mêlé ». Elle se « justifiait » au moyen de trois convictions.

D’une part, les Aborigènes étaient trop « primitifs »pour pouvoir être « civilisés ». En

second lieu, l’Australie blanche ne pouvait tolérer la présence de citoyens noirs, égaux

en son sein. Antithèse des Maori, les Aborigènes avaient la peau très sombre, des traits

physiques différents de ceux des Blancs, un niveau d’« avancement » technologique

perçu comme le plus faible du monde, et ils ignoraient l’agriculture. Ils furent placés

« au dernier rang, ou presque, d’une échelle hiérarchique humaine35 ». Si les Maori étaient les

Noirs les plus « civilisés » du monde britannique, les Aborigènes furent situés à leur

opposé. Enfin, la certitude que les Aborigènes allaient disparaître d’eux-mêmes rendait

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futile toute notion d’assimilation. Le « problème aborigène » se résoudrait en isolant les

survivants jusqu’à ce que leur « race » expire.

12 La fierté « raciale » et le désir d’homogénéité – source de certitude identitaire – ne

furent bien entendu pas les seuls fondements des affirmations identitaires nationales

australiennes et néo-zélandaises à la fin du XIXe siècle et au cours des deux premiers

tiers du XXe. Mais leur importance – aux côtes de valeurs censément nationales telles la

débrouillardise coloniale ou la solidarité entre mates36 – fut néanmoins primordiale. Le

démantèlement des politiques discriminatoires fut toutefois une initiative politique

bipartite.

13 Les Aborigènes australiens obtinrent le droit de vote au niveau fédéral en 196237. En

1967, le gouvernement du conservateur Harold Holt abolit, par référendum et avec le

soutien des Travaillistes, les clauses discriminatoires de la Constitution à l’égard des

Aborigènes. En 1972, le travailliste Gough Whitlam fut élu en promettant de mettre fin

à toute politique raciste, que ce fût à l’encontre des Asiatiques ou des Aborigènes38. Il

déclara que le gouvernement ne rechercherait plus l’assimilation des Aborigènes ; que

ces derniers deviendraient maîtres de leur destin, avec l’assistance du gouvernement

pour surmonter les difficultés auxquelles ils faisaient face ; qu’ils seraient libres de

maintenir leur identité s’ils le souhaitaient. Il perdit le pouvoir en 1975, mais ses

successeurs, des deux bords, poursuivirent sa politique. Quant à la politique de

l’Australie blanche, elle fut définitivement enterrée par Gough Whitlam en 1975, avec

notamment la loi Racial Discrimination Act, rendant illégale toute discrimination fondée

sur la « race ». La Nouvelle-Zélande avait adopté une loi similaire en 1971.

14 Cette inversion de l’un des aspects centraux de la politique australienne depuis

l’unification ne fut pas sans conséquences. « La restructuration des lois sur

l’immigration au début des années 1970 représenta une césure radicale dans le discours

national officiel, non seulement au sujet de qui pouvait, maintenant, être formellement

inclus dans « le peuple australien », mais aussi au sujet de l’image préférée qu’aurait la

nation d’elle-même39. » Brièvement, Canberra et Wellington prônèrent l’assimilation de

ces nouveaux immigrés, qui devraient renoncer à leur culture d’origine. En Australie,

toutefois, le terme de « multiculturalisme » – emprunté au Canada – fit sa première

apparition majeure en politique dès 1973, lorsque le Ministre de l’Immigration Al

Grassby publia un article intitulé « Une Société multiculturelle pour l’avenir40 ». Le

multiculturalisme en tant que doctrine d’État en Australie émergea réellement sous le

gouvernement travailliste de Bob Hawke dans les années 1980. Le gouvernement

encouragea explicitement les minorités, aborigènes ou d’origine immigrée, à conserver

et à pratiquer leur culture d’origine. En 1989, le gouvernement publia un Programme

national pour une Australie multiculturelle (National Agenda for a Multicultural Australia), qui

reçut le soutien de l’opposition conservatrice. Aujourd’hui, les autorités australiennes

placent le multiculturalisme au cœur de l’identité de la nation, tandis qu’en Nouvelle-

Zélande, depuis les années 1980, le gouvernement promeut officiellement un

« biculturalisme » (union des Maori et des Pakeha, Néo-Zélandais non-autochtones), et

de facto une diversité culturelle bien plus large41.

15 La Nouvelle-Zélande et l’Australie ont ainsi connu un parcours similaire, en matière de

discours et de politique identitaires, affirmant tout d’abord une nécessaire

homogénéité fondée sur la certitude d’une identité raciale « objective », avant de

tolérer puis, très rapidement, de promouvoir, la diversité ethnique et culturelle. Les

autres pays de la région, sous administration impériale jusque dans les années 1960 ou

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1970, et demeurés – à deux exceptions près – majoritairement autochtones, ont fait

l’expérience d’un parcours différent, bien que similaire par certains points.

Configurations identitaires dans les îles du Pacifique

Politiques coloniales

16 Les Fidji britanniques, sous l’administration d’Arthur Gordon et de ses successeurs,

initièrent une politique de « préservation » des indigènes, qui allait influencer les

autres colonies de la région. A. Gordon, confronté dès son arrivée en 1875 à une

épidémie de rougeole dévastatrice, déclara que la « continuation de l’existence de la race

fidjienne dépend de la préservation de ses traditions, contre les influences corruptrices de la

communauté des planteurs42 ». Philip Mitchell, Gouverneur des Fidji de 1942 à 1945,

affirma notamment qu’« il est généralement reconnu que la communauté villageoise forme la

base de la société fidjienne et qu’il serait idiot, et même pernicieux, de la part du gouvernement

d’intervenir pour la détruire43 ». Extraire les Fidjiens de leur identité collective

traditionnelle et les reconstituer en individus « libres »et autonomes, dénués de leurs

réseaux d’entraide coutumiers, aurait des effets destructeurs et serait injustifiable.

Cette approche protectrice s’effectua par le biais de politiques discriminatoires et

ségrégationnistes. L’alcool ayant fait des ravages dans le Pacifique, les Fidjiens, même

les chefs de plus haut rang, ne purent s’en procurer qu’au moyen d’un permis, règle qui

ne s’appliquait pas aux Blancs44. Plus généralement, le gouvernement limita autant que

possible les rapports entre colons blancs et Fidjiens, et « [l] eur isolement de la société

coloniale dominante était quasi absolu »45. La grande majorité des Fidjiens furent confinés

en milieu rural, maintenus à l’écart du développement de la colonie, jusque dans les

années 1960. En 1946, le député blanc A.A. Ragg affirma : « [L] e temps est venu […] de

souligner les termes de l’Acte de Cession assurant la sauvegarde des intérêts de la race

fidjienne, et d’offrir la garantie que Fidji sera préservé et maintenu en tant que pays

pour les Fidjiens, à tout jamais46 ». Les Îles Fidji, à l’inverse de l’Australie, n’avaient pas

pour vocation de devenir un « pays de l’homme blanc » – encore moins un pays où une

importante population indienne immigrée serait dotée d’une réelle influence politique.

Sir Arthur Grimble, qui gouverna les Kiribati et les Tuvalu de 1926 à 1932, insista lui

aussi sur la préservation des coutumes autochtones47, et adopta une politique similaire.

Sir Hubert Murray, Gouverneur de la Papouasie australienne de 1908 à 1940, s’inspira

de la politique « protectrice » d’Arthur Gordon aux Fidji, et, en 1925, un décret

(Uncontrolled Areas Ordinance) interdit aux Blancs de quitter les territoires directement

sous le contrôle du gouvernement pour s’aventurer en terres papoues, le but avoué

étant de protéger les Papous face aux incursions blanches48. Les autochtones furent

confinés à leurs villages.

17 Pour autant, l’une des conséquences de la colonisation et de ses politiques fut le

développement de sociétés pluriethniques, rassemblant non seulement des Blancs et

des autochtones aux origines diverses, mais également des communautés asiatiques

plus ou moins importantes – travailleurs sur les plantations ou commerçants

indépendants. En 1908, le Colonial Office à Londres demanda aux autorités de tous les

territoires et protectorats britanniques dans le Pacifique de ne pas autoriser le

recrutement collectif de travailleurs chinois. Les immigrés chinois individuels et

indépendants pouvaient être tolérés, si les autorités locales le souhaitaient. En 1918 le

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gouvernement fidjien s’opposa donc à une requête de la Planters Association, qui

souhaitait recruter des Chinois en nombre conséquent suite à la cessation de

l’« importation » de travailleurs indiens49. Malgré tout, les Chinois des Fidji, ainsi que

des autres territoires directement sous administration britannique, échappèrent à la

discrimination bien plus flagrante imposée aux Chinois des territoires australiens et

néo-zélandais. Aux Îles Salomon, dirigées par les Britanniques, les quelques Chinois –

principalement des commerçants indépendants – n’attirèrent pas l’animosité du

gouvernement50. De même, au Vanuatu, condominium franco-britannique, il y eut peu

de discrimination institutionnelle à leur encontre. Malgré les plaintes de boutiquiers

français et britanniques face à la concurrence, le commerce chinois ne fut pas

entravé51.

18 À Nauru, à l’inverse, île à phosphate sous administration australienne, le gouvernement

colonial mit en place une « politique d’apartheid »52, interdisant aux Chinois de

commercer avec les autochtones, et d’entrer dans leurs maisons pour quelque raison

que ce fût. Un « quartier chinois » fut établi sur l’île, et soumis à un couvre-feu

permanent ; pour la « protection » des autochtones, il ne devait y avoir aucune

rencontre entre Chinois et Nauruans après la tombée de la nuit. Et ce d’autant que les

Chinois de Nauru furent proportionnellement bien plus importants que dans tout autre

territoire du Pacifique. Ils étaient plus de 1 500 à la fin des années 192053, dépassant

légèrement la population autochtone, qui franchit la barre des 1 500 personnes en 1932.

En Papouasie australienne, l’immigration chinoise fut tout simplement interdite54.

19 Lorsqu’ils prirent le contrôle des Samoa, les Néo-Zélandais expulsèrent plus de 1 300

des 2 200 membres de la communauté chinoise en l’espace de deux ans – avant

d’autoriser une nouvelle vague migratoire d’environ 3 000 personnes dotées des

contrats de travail dans les années 1920, puis de procéder à nouveau à l’expulsion de

Chinois, pourtant résidents de longue date, en 1938 et après la Seconde Guerre

mondiale. Les autorités néo-zélandaises interdirent à ces immigrés d’épouser des

Samoanes, et « le concubinage [fut] combattu avec force »55. En 1923, le Gouverneur

George Richardson demandait ainsi aux autorités d’« empêcher la souillure jaune […] de

polluer la race britannique et les autres races »56, samoane et îliennes. Cette mesure eut

pour double effet de restreindre les rapports entre les communautés, et de freiner

l’implantation durable et l’accroissement démographique de la population chinoise,

essentiellement masculine. Plus généralement, la discrimination infligée aux Chinois

dans les territoires australiens et néo-zélandais refléta les politiques

« raciales »adoptées dans les métropoles de ces deux micro-puissances.

20 Alors que les Chinois s’installèrent dans l’ensemble du Pacifique, sans jamais constituer

une proportion importante de la population de leur terre d’« accueil » – sauf à Nauru –,

les Indiens n’immigrèrent qu’aux Fidji, où ils formaient, à la veille de l’indépendance en

1970, environ 50 % de la population57. De 1879 à 1916, la Colonial Sugar Refining Company

fit venir près de 63 000 Indiens, venus travailler sur les plantations de la compagnie

pour une durée de cinq ans, renouvelable. Autorisés à immigrer avec leur famille, 60 %

restèrent aux Fidji à l’expiration de leur contrat58. Leur présence suscita peu à peu

l’inquiétude. Dès 1924, un homme politique blanc remarquait que, « [a] u vu du grand

nombre de travailleurs indiens à Fidji, le maintien d’une majorité fidjienne adéquate a

suscité une profonde réflexion59 ». Le « problème indien » était posé, articulé autour de

l’idée que les intérêts des autochtones pâtiraient de leur mise en minorité. En 1936, il y

avait 85 000 Indiens aux Fidji, représentant près de 43 % de la population de l’archipel.

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Environ 60 000 d’entre eux étaient nés aux Fidji. Il s’agissait dès lors d’une communauté

propre à la colonie, non plus simplement indienne mais « indo-fidjienne ».

21 Le recensement de 1946 marqua une année charnière, puisque, pour la première fois, il

y avait plus d’« Indiens » (46,4 %) que de Fidjiens autochtones (45,4 %)60. En 1956, ces

chiffres étaient de 49 % et de 42,8 % ; l’écart s’accentuait. Dans ce contexte, les autorités

coloniales et les chefs autochtones s’inquiétèrent des revendications de porte-parole de

la communauté indienne, qui réclamaient l’égalité en droits de tous les sujets

britanniques dans la colonie, ainsi que l’instauration d’un suffrage universel sans

distinction de « race ». Les autorités répondirent à ces revendications en « se référant à

leur devoir concernant la protection des intérêts des Fidjiens autochtones ». Ils soulignèrent

« le caractère ‘primitif’des Fidjiens, et donc leur vulnérabilité61 ». En 1946, notamment,

A. A. Ragg, membre « européen » du Conseil législatif, passa sommairement en revue la

place des trois principales « races » dans la colonie. Les Fidji appartenaient aux

Fidjiens, affirma-t-il, mais la présence des Blancs était légitimée par leur fonction

protectrice envers les autochtones, en accord avec l’Acte de Cession. Les Indiens, pour

leur part, n’étaient que des étrangers62. Cette logique devait conforter le soutien des

autochtones au gouvernement colonial, en présentant comme nécessaire une

résistance commune aux demandes indiennes. Ses répercussions marquèrent

profondément la vie politique fidjienne post-coloniale, et ce jusqu’à ce jour. En misant

sur une forme de partenariat stratégique entre chefs fidjiens et Blancs, le

gouvernement colonial rendait par avance très problématique la constitution d’une

identité nationale post-coloniale, commune à tous les citoyens de l’archipel.

Politiques identitaires et nationalité au moment de l’indépendance

22 Les Constitutions proclamées par les États nouvellement indépendants condamnent et

interdisent la discrimination « raciale ». Sur presque tous les plans, les résidents

d’origine étrangère bénéficient des mêmes droits que les autochtones ; ceci est vrai

également pour ce qui est de la citoyenneté. Tous les pays admettent la naturalisation

des étrangers, par naissance, par mariage ou par immigration, sujette à diverses

restrictions et obligations. La nationalité n’est donc pas « ethnique ». Nauru,

néanmoins, constitua longtemps une exception. La Constitution conféra la citoyenneté

nauruane aux personnes définies comme étant de « race » nauruane par un décret

colonial de 1956, et à leurs descendants, tout en stipulant que le Parlement pouvait

légiférer pour étendre ces dispositions (art. 75.1). Seules les femmes épousant un

Nauruan, et les apatrides nés à Nauru, pouvaient être naturalisés. Puisque le Parlement

ne légiféra pas en la matière avant trente-sept ans, les résidents blancs, chinois et

autres non-indigènes, majoritaires à la veille de l’indépendance63, étaient privés de la

citoyenneté nauruane. Étant l’un des deux seuls pays îliens – avec les Fidji – confrontés

à une population non-autochtone importante, Nauru opta ainsi de privilégier ses

indigènes. Par voie de conséquence, seuls les autochtones (ou presque) pouvaient voter,

être élus, et diriger le pays. L’article 75.1 ne donna lieu à une nouvelle législation qu’en

2005, lorsque le Parlement adopta la loi Naoero Citizenship Act, autorisant les étrangers à

solliciter leur naturalisation s’ils étaient mariés à un (e) Nauruan (e) depuis au moins

dix ans, dont trois au moins passés sur l’île. Leur requête devait être examinée par le

Conseil des ministres (art.5). En 2006, la population non-autochtone de Nauru était

estimée à 464 personnes (5 %), dont 93 « Européens » et 273 « Chinois »64. Ces derniers,

résidents permanents, descendants de colons chinois, souvent gérant des boutiques et

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des restaurants sur l’île65, étaient donc – pour la plupart – privés de la citoyenneté de

leur pays de résidence.

23 Sur le plan législatif, les Samoa établirent un Parlement monocaméral composé de

quarante-neuf députés, sélectionnés selon des critères ethniques. Les citoyens non-

autochtones – principalement blancs ou d’origine chinoise – élisaient deux

représentants, tandis que les autres sièges étaient réservés à des candidats élus (au

suffrage universel depuis 199066) parmi les matai, les chefs de communautés familiales

indigènes67. En 2009, la loi Electoral Amendment Act étendit l’obligation d’être matai aux

candidats pour les deux sièges réservés aux élus des minorités ethniques. Début 2011,

briguant avec succès un nouveau mandat, le premier ministre Sailele Malielegaoi

déclara que cette décision était sa plus grande source de fierté. Elle avait établi une

« égalité » au sein de l’assemblée législative, dit-il, et « [c]’est la première fois […] que

notre parlement est pleinement samoan68 ». En pratique, cela signifie que les candidats

aux sièges des députés non-autochtones doivent obtenir un titre de matai, et donc

appartenir – si ce n’est que par le biais de l’adoption – à une famille autochtone. Aux

élections législatives de 2011, les candidats Pat Ah Him et Niko Lee Hang, ayant chacun

obtenu un titre de matai, remportèrent ces sièges69. La mesure ne constituait donc pas

une exclusion totale des « afakasi » ou des citoyens non-indigènes, mais symbolisait

néanmoins une « autochtonisation » accrue des instances dirigeantes.

24 Fidji fut le seul autre pays à subdiviser les citoyens en listes électorales ethniques. En

vertu de la seconde section du chapitre 5 de la Constitution de 1970, tous les électeurs

seraient inscrits sur une liste nationale, mais également sur l’une des trois listes

« raciales » : celle des « Fidjiens » (autochtones), celle des « Indiens », et celle des

personnes d’une autre appartenance ethnique. Par le biais d’un système complexe,

chaque personne pouvait placer quatre bulletins dans l’urne : deux pour élire des

députés de sa propre « race », et un pour un député de chacune des deux autres

catégories ethniques. La Constitution définit juridiquement les appartenances

« raciales » pour la composition de ces listes. Était « fidjienne » (Fijian) toute personne

dont le père, ou l’un des ancêtres dans la lignée paternelle, était le fils de deux parents

autochtones fidjiens, ou de deux parents autochtones de n’importe quelle île du

Pacifique, ou d’un parent de chacune de ces deux catégories. Seule une personne

correspondant à ces critères pouvait s’inscrire sur la liste électorale « fidjienne ».

25 La « fidjianité » était donc « biologique », la Constitution ne prévoyant aucune

possibilité pour une personne de redéfinir ou de contester son appartenance ‘raciale’ ;

de plus, tout électeur devait être catégorisé. En outre, le choix du terme est significatif.

Si une personne non-« fidjienne » pouvait être citoyenne, elle ne pouvait se considérer

fidjienne, bien qu’elle fût citoyenne des Fidji. « Race » et nationalité se voyaient

sémantiquement brouillées ; une personne de « race » indienne ou blanche peinerait à

qualifier sa propre nationalité. Cette définition n’encourageait pas les « Indiens » à

s’identifier à la nation fidjienne. Ceci était d’autant plus vrai qu’un immigré polynésien

de première génération devenait « fidjien », tandis que les descendants d’Indiens

établis aux Fidji depuis plusieurs générations ne l’étaient pas.

26 Ces dispositions extraordinairement compliquées garantissaient qu’il y aurait toujours

vingt-deux autochtones à la Chambre des Représentants, soit autant que d’« Indiens »,

malgré le fait que la population indo-fidjienne était plus importante que celle des

indigènes. Cette « parité » contrebalançait un léger déséquilibre démographique, et se

prémunissait par avance des effets de la croissance démographique « indienne » : les

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« Fidjiens » ne seraient pas mis en minorité au Parlement par les effets de la

démocratie.

27 La facilitation d’une identité nationale ancrée dans les esprits avait une valeur pratique

impérative aux yeux des gouvernements, au moment de l’indépendance. L’autorité de

l’État sur l’ensemble du territoire, condition nécessaire à la garantie de l’ordre et de la

stabilité, dépendait de l’adéquation entre « État » et « nation ». Si la nation ne

constituait pas une réalité identitaire ressentie par les citoyens, la légitimité de l’État

devenait problématique, tout particulièrement dans les régions reculées. Dans ce

domaine, les mesures de promotion identitaire aux Fidji ont été fluctuantes, voire

contradictoires. Le gouvernement de Ratu Kamisese Mara vit dans les cérémonies

d’indépendance l’occasion de mettre en scène, pour la première fois, une image de

l’identité du pays. Bien qu’il ait été élu en s’appuyant principalement sur l’électorat

autochtone, il prit soin de souligner le caractère multiethnique et multiculturel du

pays. Les festivités célébrant l’indépendance durèrent une semaine à Suva, et plusieurs

jours dans le reste du pays. Elles incorporèrent des rituels et des représentations

culturelles de toutes les communautés ethniques, accordant la primauté – à égale

mesure – aux aspects autochtones et indiens. Les autorités présentèrent le pays comme

un « tabouret à trois pieds », reposant sur les apports des indigènes, des « Indiens » et

des « Européens », les autres minorités étant associées à ces derniers. La métaphore du

tabouret était certes ethnicisante, reléguant les citoyens individuels à leurs « races »

distinctes, mais elle construisait l’image d’une unité nationale respectueuse des

différences, où chaque communauté était essentielle à la nation : Sans les « Indiens »,

les Fidji ne seraient plus qu’un « tabouret à deux pieds »… Le festival hindou de Diwali et

l’anniversaire du prophète Mahomet furent reconnus comme jours fériés ; le

christianisme autochtone n’occulterait pas les religions indiennes. Au cours des années

1970, toutefois, le Parti de l’Alliance reposa de plus en plus nettement sur l’électorat

autochtone, et les cérémonies nationales – lors de l’accueil de dignitaires étrangers, par

exemple – accentuèrent la place des rituels autochtones, réduisant puis éclipsant les

représentations de la culture indienne. Sous le gouvernement de l’Alliance, la nation en

venait à être assimilée à son ethnie indigène, bien que les minorités ne fussent jamais

totalement exclues70.

28 La démocratie fidjienne a été confrontée aux écueils d’une vie politique – et plus

largement d’une société – cadrées par des identifications « raciales ». En 1995, Jai Ram

Reddy, chef officiel de l’opposition, déclara : « [N] ous ne sommes pas une nation. […] [N]

ous sommes des étrangers culturels [cultural strangers], nous ne connaissons pas nos voisins,

nous ne connaissons pas leur langue, nous ne connaissons pas leur système de valeurs »71. Il

n’existait pas de « valeurs nationales », ciment nécessaire à toute nation, mais

uniquement des valeurs communautaires. Si l’anglais servait de langue nationale, les

« Indiens » méconnaissaient la langue fidjienne. Aux yeux de Ratu Joni Madraiwiwi72,

les premiers ministres autochtones du pays – Kamisese Mara (1970-87, 1987-92),

Sitiveni Rabuka (1992- 99) et Laisenia Qarase (2000-06) – ont tous encouragé une unité

ethnique indigène plutôt qu’une unité nationale pluri-ethnique ; Timoci Bavadra,

brièvement premier ministre en 1987, étant la seule exception. J. Madraiwiwi ajoute :

« [L] a plupart [des personnalités politiques fidjiennes] ont de réelles difficultés à concevoir

collectivement toutes les communautés ethniques sous le terme de ‘nous’. Leur discours “ nous ”

oppose toujours à ‘eux’, tout particulièrement lorsqu’il s’agit des Indo-Fidjiens »73. Fidji ne

possède pas d’identité nationale, affirme-t-il. Le pays est multiculturel, mais ses

différentes communautés ne se reconnaissent pas une identité commune. Vijay Naidu,

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117

Professeur à l’Université du Pacifique Sud, évoque pour sa part un « État fidjien ethnicisé

[incapable] de créer une “ nation ” à partir des citoyens culturellement divers des Fidji »74. Cette

incapacité relèverait en grande partie d’un manque de volonté, dû à des intérêts

politiques profondément ancrés. Les conservateurs autochtones, au pouvoir quasiment

sans interruption depuis l’indépendance, s’appuient sur l’électorat indigène, mobilisé

en tant que tel. Le Département de la Culture du gouvernement insiste aujourd’hui sur

l’unité nationale – mais se réfère à la diversité culturelle de la population, plutôt qu’à

une culture nationale, pluri-ethnique mais partagée, émergeant de cette diversité75. Son

multiculturalisme intègre les minorités d’origine immigrée, mais peine à proposer une

unité culturelle inclusive. La notion de vakavanua – la « voie de la terre» –, avancée par

les dirigeants indigènes comme fondement de l’identité nationale, est spécifique aux

autochtones. Les terres étant réservées aux « Fidjiens », les minorités ne peuvent se

réclamer de cette culture « nationale » ou de ce mode de vie.

29 Par-delà le cas fidjien, toute invocation de la « tradition »76 et de l’histoire risquait, et

risque, de brouiller la distinction entre les citoyens d’un pays et sa population

autochtone. Les implications pour les citoyens non-autochtones sont problématiques.

Les références politiques aux Papou-Néo-Guinéens, aux Samoans ou autres, sont

souvent ambiguës : désignent-elles une nationalité, une appartenance ethnique, ou

confondent-elles les deux ? La rhétorique traditionaliste sous-entend que les immigrés

et leurs descendants soient ou bien intégrés à une nation reposant sur des valeurs

autochtones qui deviendraient les leurs, ou bien exclus de la conception de la nation. La

« culture » promue par les autorités est celle des autochtones. Le Centre culturel du

Vanuatu, par exemple, a pour fonction de rechercher, de promouvoir et de préserver

les cultures indigènes de l’archipel, sous toutes leurs formes et dans leur pluralité77,

sans s’intéresser aux particularités des minorités chinoise, française ou vietnamienne,

par exemple.

30 Pour autant, les minorités d’origine immigrée ne sont pas toujours exclues d’un

imaginaire national défini par les autorités. Aux Samoa par exemple, le gouvernement

demande aux enseignants de sciences sociales au collège d’encourager les élèves à

« voir le monde tel que d’autres personnes le voient », en leur permettant, entre autres,

de comprendre les valeurs de personnes issues de ces minorités78. La nation et l’identité

samoanes doivent ainsi s’extraire au moins partiellement, à travers l’éducation, d’un

modèle purement autochtone. De manière plus ponctuelle, la médaille d’or obtenue par

le nageur blanc papou-néo-guinéen Ryan Pini aux Jeux du Commonwealth en 2006 fut

décrite par le premier ministre Michael Somare comme « faisant partie de la

construction de la nation », un « événement [qui] toucha tous les Papou-Néo-

Guinéens », un « puissant facteur d’unification »79. Bien que non-autochtone, ce héros

sportif portait haut les couleurs du pays, et contribuait – aux yeux des autorités – à

souder la nation. Dans ce cadre, sa nationalité primait bien évidemment sur ses origines

ou sa couleur de peau.

La tentation du rejet

31 Aujourd’hui, dans l’ensemble des pays océaniens issus de l’Empire britannique, la

diversité ethnique et culturelle est admise, voire – notamment en Australie et en

Nouvelle-Zélande – promue et célébrée. Malgré des restrictions durables dans certains

pays (Nauru, Samoa, Fidji), sur le plan civique ou politique, les minorités d’origine

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118

immigrée sont intégrées à la société nationale, et leurs membres exercent parfois un

rôle de premier plan dans le domaine politique, économique, culturel ou encore sportif.

Néanmoins, la décennie 2000 a été marquée, dans toute la région, par des mouvements

populaires d’hostilité à l’encontre de communautés d’origine asiatique ; dans cinq pays

(Australie, Fidji, Salomon, Tonga, Papouasie-Nouvelle-Guinée), ces mouvements ont

donné lieu à des actes de violence ; dans d’autres, à l’expression d’une sinophobie plus

ou moins importante. Ainsi, alors même que leurs dirigeants prônent un

rapprochement diplomatique et économique avec les puissances d’Asie, les Océaniens,

aux portes de cette région, sont parfois tentés de bannir de la communauté nationale

leurs concitoyens qui en sont originaires.

32 En Australie et en Nouvelle-Zélande, l’État se fit l’architecte de la (re)définition

identitaire du pays, cherchant à altérer l’image que pouvaient avoir les citoyens de leur

nation. Cette initiative de l’État faisait suite à l’altération, là aussi par l’État, des

politiques d’immigration, et donc de la composition ethnoculturelle de la population. Il

n’y eut pas de pression populaire significative en faveur de l’abolition de l’Australie

blanche ; les gouvernements australiens des deux bords – dans les années 1970 et 1980 –

promurent activement le multiculturalisme, face à l’opposition grandissante d’une

partie de la population. Dans ce contexte, certains Blancs aujourd’hui, refusant de se

subsumer dans une « culture » pluri-ethnique, expriment une hostilité marquée envers

leurs concitoyens d’origine non-européenne. En 1984, l’historien australien Geoffrey

Blainey argua que le taux d’immigration asiatique dépassait le seuil de tolérance de la

population d’accueil, et qu’il devait être réduit pour maintenir la cohésion et la paix

sociale80. Cette opinion généra un début de controverse publique, reprise et amplifiée

par la suite. Selon G. Blainey, les Australiens différencieraient toujours leurs

concitoyens selon leur couleur de peau – et, implicitement, se méfieraient des

Australiens d’apparence asiatique, s’ils étaient visibles en grand nombre. Accusé d’être

lui-même hostile à un accroissement de la minorité ‘asiatique’, l’historien, attaché à la

notion d’héritage britannique de la nation, ne démentit pas. L’idée selon laquelle la

population blanche devait demeurer largement majoritaire était désormais posée. John

Howard, chef de l’Opposition, allait bientôt reprendre ce point de vue à son compte81.

33 En août 2001, un navire norvégien, le Tampa, recueillit en haute mer 433 Afghans

entassés dans un bateau de pêche, et se dirigea vers les côtes australiennes. John

Howard, devenu Premier ministre, interdit au Tampa de pénétrer les eaux territoriales

de l’Australie. Lorsque le navire entra malgré tout dans les eaux australiennes, il fut

intercepté, et les Afghans expédiés dans un centre de détention à Nauru, avec la

permission des autorités nauruanes. John Howard, alors en campagne électorale,

afficha sa décision comme le symbole de sa politique, la présentant comme une défense

des intérêts australiens face à des immigrés indésirables82. Dans le contexte qui suivit

les attentats de New York en septembre, le gouvernement Howard fut soutenu par

l’opinion publique. 77 % des Australiens se dirent d’accord avec ses actes lors de

l’affaire du Tampa, et il fut réélu en novembre avec 51 % des voix ; les sondages avant le

mois d’août avaient été nettement favorables à ses adversaires travaillistes83.

34 En 1996, le parti New Zealand First intégrait un gouvernement de coalition conservateur.

Son fondateur Winston Peters – de père pakeha et de mère maori – bâtit sa rhétorique

sur une réactualisation du « péril jaune » ; il y avait, à ses yeux, trop d’Asiatiques en

Nouvelle-Zélande84. La même année, un sondage indiqua que 60 % des Néo-Zélandais

partageaient cette opinion, l’étendant aux immigrés originaires des îles du Pacifique ;

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40 %, en outre, pensaient que les Asiatiques et les îliens apportaient une concurrence

malvenue sur le marché de l’emploi, privant certains Néo-Zélandais « natifs » d’accès

au travail85. En soi, le sondage normalisait d’ailleurs la question, indiquant aux tenants

d’opinions racistes que leur question pouvait légitimement être posée, et les informant

qu’ils s’inscrivaient dans une mouvance majoritaire. En 1996, également, Pauline

Hanson fit son entrée au Parlement fédéral australien. Élue députée indépendante, elle

fonda par la suite le parti One Nation, dont le thème d’unité nationale reposait sur

l’exclusion des personnes non-blanches. Son premier discours au Parlement fut

fortement médiatisé. Se présentant comme une femme ordinaire, elle affirma être la

voix du bon sens en dénonçant les aides dont bénéficiaient les Aborigènes, et ajouta :

Comme la plupart des Australiens, je veux une révision radicale de notre politiqued’immigration, et l’abolition de celle du multiculturalisme. Je crois que noussommes en danger d’être submergés par des Asiatiques. Entre 1984 et 1995, 40 % detous les migrants entrant dans ce pays étaient d’origine asiatique. Ils ont leurpropre culture, leur propre religion, ils forment des ghettos86 et ne s’assimilent pas.[…] Un pays vraiment multiculturel ne peut jamais être fort ou uni.

35 Confondant « multi-ethnique » et « multi-culturel », elle déclara ne vouloir aucune

personne non-blanche supplémentaire dans le pays. Ses paroles ravivèrent la

rhétorique du « péril jaune » :

Le temps nous manque. Il ne nous reste peut-être que 10 à 15 ans pour inverser latendance. En raison de nos ressources et de notre position dans le monde, nousn’aurons pas notre mot à dire car nos pays voisins comme le Japon, avec125 millions de personnes ; la Chine, avec 1,2 milliard de personnes ; l’Inde, avec846 millions de personnes ; l’Indonésie, avec 178 millions de personnes ; et laMalaisie, avec 20 millions de personnes sont tout à fait conscients de nos ressourceset de notre potentiel. Éveille-toi, Australie, avant qu’il ne soit trop tard.87

36 Cette hantise ancestrale, rénovation des peurs du XIXe siècle, trouva un écho favorable

au sein d’une frange de l’électorat. Le phénomène One Nation fut, en soi, de courte

durée. En juin 1998, le parti remporta onze sièges sur 89 au Parlement du Queensland,

mais aucun à la Chambre des Représentants fédérale – et un seul au Sénat fédéral – en

octobre de la même année. Il avait obtenu près de 8,5 % des voix sur le plan national,

faisant de lui le troisième parti derrière les Libéraux et les Travaillistes, mais n’était

arrivé en tête dans aucune circonscription88. Pauline Hanson elle-même perdit son

siège. En 2001, son parti disparut totalement du Parlement. Son influence dans le débat

public, toutefois, fut durable. Quant à New Zealand First, il obtint dix-sept sièges (sur

cent vingt) en 1996, cinq seulement en 1999, puis treize en 2002, sept en 2005, et aucun

en 2008. Winston Peters, député depuis 1978 sous diverses étiquettes, perdit alors son

siège pour la première fois89. Par le jeu des coalitions, il avait été vice-Premier ministre

et Trésorier dans un gouvernement conservateur de 1996 à 1998, et Ministre des

Affaires étrangères dans un gouvernement travailliste de 2005 à 2008. L’une des figures

les plus marquantes de l’histoire néo-zélandaise contemporaine semble aujourd’hui

écartée du pouvoir – éclaboussée notamment par un scandale financier –, mais il fut

longtemps l’écho et le promoteur d’opinions qui ne peuvent avoir entièrement disparu.

Ainsi, des deux côtés de la Mer de Tasman, Winston Peters et Pauline Hanson se

faisaient un temps écho, introduisant avec fracas le thème du « péril jaune » dans le

discours public et politique des deux pays.

37 Au XXIe siècle, en Australie, cette hostilité s’est focalisée également sur les

musulmans – bien qu’ils n’y constituent que 1,5 % de la population90. Elle s’étend par

ailleurs aux Arabes de toutes confessions. En décembre 2005, les « émeutes de

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Cronulla » (Cronulla riots) choquèrent le pays. L’agression de deux Blancs, attribuée à

des hommes d’origine arabe, et faisant suite à des incidents similaires, provoqua un

déferlement de haine et de violence. Plusieurs milliers de Blancs, principalement de

jeunes hommes, s’assemblèrent, et agressèrent systématiquement toute personne arabe

qu’ils rencontrèrent. Quelques heures plus tard, des Blancs étaient agressés en retour

par de petits groupes d’Arabes. La violence se poursuivit le lendemain, malgré les

efforts de la police ; des affrontements eurent lieu dans plusieurs banlieues de Sydney.

Le rassemblement d’émeutiers blancs avait été coordonné spontanément ; aucune

organisation ne semblait l’avoir initiée91. En 2006, la députée Danna Vale, ancienne

Ministre des Anciens Combattants sous John Howard, appela les Australiennes à cesser

d’avoir recours aux avortements, et à avoir plus d’enfants, car – dit-elle – les

musulmanes en Australie étaient plus fécondes que les autres Australiennes92. Le « péril

jaune » justifiant autrefois les appels à une procréation patriotique s’était mué en ‘péril

islamique’, lui aussi présenté comme démographique. La même année, Pauline Hanson,

après plusieurs années de silence, prit la parole à nouveau pour dénoncer la « menace »

que posaient les immigrés musulmans envers les traditions australiennes93.

38 En 2007, pour la première fois, dix-huit jeunes Australiens arabes, musulmans,

devinrent des sauveteurs de bord de mer. Leur démarche était une réponse aux

émeutes de Cronulla94. Les lifesavers se classent au sommet des « héros ordinaires »

vénérés par de nombreux Australiens, et sont presque tous blancs. Il s’agissait ainsi,

pour ces jeunes hommes, de proclamer, avec un symbolisme retentissant, leur

appartenance à l’Australie, leur intégration, leur identité, la légitimité de leur présence.

Il était possible d’être un musulman et un héros australien. En 2008, toutefois, les

médias relayèrent la colère d’habitants de Camden, ville de la banlieue de Sydney, qui

s’opposaient à la construction d’une école musulmane : « Ils sont en train de détruire

l’Australie. Ils prennent le dessus. […] Nous sommes tout à fait prêts à intégrer des Italiens, des

Grecs, des Anglais, des Écossais – cette ville a toutes les nationalités. Les musulmans n’ont pas

leur place dans cette ville – on est des Aussies, ok ? »95. Les étrangers blancs pouvaient donc

être « australianisés », mais il n’était pas concevable d’être australien et musulman. Ni,

d’ailleurs, blanc et musulman, l’islam étant assimilé à une « race » étrangère. Les

lifesavers arabes n’étaient toujours pas australiens ; ils ne pourraient jamais l’être. Peu

après, un sondage suggéra qu’un Australien sur dix se déclarait ouvertement raciste, et

que plus de 40 % des habitants de cinq des six États croyaient que certains groupes

ethniques ou culturels n’avaient pas leur place en Australie – le plus souvent, les

musulmans96. De leur point de vue, la possibilité de se considérer australien n’était

toujours pas ouverte à tous, et ne devait jamais l’être.

39 Dans bon nombre d’esprits, donc, le ressenti national peine à se dégager d’une

adéquation à un sentiment d’appartenance « raciale » à visée exclusive. Il en est parfois

de même dans les îles du Pacifique. La plupart de ces pays sont caractérisés par une

grande homogénéité ethnique, la quasi-totalité de la population étant autochtone. Aux

Tonga, 98,2 % de la population est composée d’indigènes, ou de métis ayant un parent

indigène. Il y avait, au recensement de 2006, 569 « Européens », 526 personnes

originaires d’îles du Pacifique – dont plus de la moitié des Fidji –, et 646 « Asiatiques »,

dont 395 personnes s’identifiant comme étant d’appartenance ethnique chinoise97. La

proportion d’autochtones – métis inclus – aux Samoa est estimée à 99,6 %98, aux côtés

de quelques Blancs et d’une infime minorité d’Asiatiques. Aux Kiribati, la population est

autochtone à 99,4 %, métis compris99 ; le pays compte quelques centaines de personnes

d’origine polynésienne, européenne ou chinoise. Tuvalu ne collecte pas de statistiques

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ethniques, mais sa population autochtone polynésienne est estimée à 96 %100, la quasi-

totalité des autres personnes de nationalité tuvaluane étant les descendants d’immigrés

micronésiens établis depuis des siècles sur l’atoll de Nui.

40 Les tensions interethniques y ont été quasi inexistantes. Les citoyens d’origine

immigrée sont le plus souvent « autochtonisés » aux yeux de leurs concitoyens. La

notion de fa‘aSamoa (mode de vie samoan), par exemple, est suffisamment intégrante

pour permettre à un citoyen samoan de père indo-fidjien et de mère sino-samoane de

parler de « notre fa‘aSamoa »101. À la tête du Parti des Samoa (Samoa Party), Su‘a Rimoni

Ah Chong, d’origine chinoise, peut ainsi se présenter comme le défenseur de la

propriété foncière collective autochtone, et dénoncer le caractère « non- samoan » (not

Samoan) de projets de réforme du gouvernement102. L’actuel Procureur général du pays,

Aumua Ming Leung Wai103, est également d’origine chinoise. Lorsqu’un député en 2005

suggéra que trop d’immigrés chinois s’installaient dans le pays, le Premier ministre

Sailele Malielegaoi condamna fermement cette remarque, et qualifia son auteur de

« raciste »104. Malgré l’adéquation populaire entre culture autochtone et identité

nationale, les Samoans se montrent, dans l’ensemble, ouverts à une certaine diversité

ethnique – d’autant que les citoyens issus de minorités mettent en avant leur

intégration et leur identité samoane.

41 Aux Kiribati, des ressentiments se sont exprimés à l’encontre de personnes d’origine

chinoise, accusées de « prendre » les emplois des autochtones105. En juin 2009, une

commission parlementaire fut chargée de déterminer si des commerçants immigrés

avaient corrompu des hommes politiques pour obtenir leur permis de séjour. La

commission devait se « concentrer sur la communauté des hommes d’affaires chinois, qui croît

rapidement »106. L’accroissement de la « communauté » chinoise et ses répercussions

socio-économiques généraient une certaine inquiétude. Néanmoins, Anote Tong, de

père immigré chinois, fut élu Président de la République par ses concitoyens en 2003 –

face à son frère Harry, candidat de l’opposition, et loin devant le seul candidat de

parenté exclusivement autochtone, Banuera Berina. Il fut réélu en 2007107. Il demeure

donc tout à fait concevable pour un citoyen d’origine immigrée d’être considéré

pleinement i-Kiribati, au point d’aspirer aux plus hautes fonctions.

42 En Polynésie, ce n’est qu’aux Tonga qu’une sinophobie conséquente s’est exprimée.

L’opposition à l’immigration chinoise a été articulée en lien étroit avec les

revendications en faveur de la démocratie. En 1992, le journal du mouvement, le Ko e

Kelea, titrait en première page : « Les Chinois et les Indiens vont prendre le contrôle :

arrêtons-les maintenant, ou il sera trop tard108 ». Le ton rappelait la presse australienne du

XIXe siècle, et anticipait les discours de Pauline Hanson à la fin du XXe. En 1998, le

principal porte-parole du mouvement, ‘Akilisi Pohiva, déclara que le nombre de Chinois

dans le pays générait des problèmes socio-économiques – privant d’emplois les

autochtones –, et même « moraux »109. Cette hostilité s’est accrue au début du

XXIe siècle. Le journal Matangi Tonga, pourtant très critique à l’égard du mouvement

démocrate, publie des lettres de lecteurs hostiles à la présence d’immigrés chinois110. En

2000, répondant aux requêtes de commerçants autochtones, un noble local à Nukunuku

ordonna la fermeture de toutes les boutiques chinoises dans le district111. En 2001, une

première vague d’agressions sinophobes marqua le pays ; plusieurs boutiques furent

incendiées, séparément. En novembre, le roi Taufa‘ahau Tupou IV demanda à ses sujets

de mieux accueillir les immigrés chinois – et de s’inspirer de leur éthique du travail.

Quelques jours plus tard, toutefois, son fils cadet, le Premier ministre Prince ‘Ulakalala

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Lavaka Ata, ordonna l’expulsion de six cent résidents chinois, cédant apparemment aux

pressions populaires dans un contexte de chômage croissant112. Les partisans de cette

décision arguèrent que les Chinois risquaient de « dominer » l’économie locale, à

l’instar des « Indiens» aux Fidji113. Aux Tonga, bien plus que dans le reste de la

Polynésie, apparaissent ainsi des échos du racisme australien de One Nation. La

population dominante serait victimisée par une vague migratoire asiatique,

inassimilable et décidée à exploiter la population locale. L’homogénéité et l’harmonie

tongiennes en seraient menacées. Ce phénomène constitue une nouveauté dans le pays.

Les démocrates ont ainsi accru leur popularité en attisant les craintes sinophobes d’une

partie de la population, et en dénonçant le « laxisme» du gouvernement en matière

d’immigration – jusqu’à ce que ce gouvernement ne les prenne de court en expulsant

les victimes de ces discriminations et de ces violences.

43 En novembre 2006, les relations troubles entre le mouvement démocrate et les pulsions

sinophobes d’une partie de la population – et de ses représentants – trouvèrent leur

expression la plus violente. Une manifestation pour exiger l’instauration de la

démocratie dégénéra en émeute, la première qu’ait connue le royaume depuis son

unification au XIXe siècle. Le quartier chinois de Nuku‘alofa fut incendié et ravagé ; six

émeutiers présumés périrent dans l’un des incendies. « Presque toutes les boutiques

chinoises du centre ville de Nuku‘alofa » furent pillées et saccagées114, même si

certaines furent protégées par leurs voisins autochtones115. Environ deux cents

résidents de nationalité chinoise quittèrent le pays, avec l’assistance des autorités de

Beijing116. Les attaques à l’encontre des Chinois furent condamnées par les Internautes

tongiens sur les forums de discussion117. Si certains exprimèrent leur inquiétude ou leur

hostilité face à des immigrés « païens » qui travaillaient le dimanche et

concurrençaient les autochtones, la très grande majorité des participants soulignèrent

les contributions positives des immigrés, et dénoncèrent les mauvais traitements à leur

encontre. Même si cette tendance n’était peut-être pas représentative, elle suggère que

le racisme sur lequel se sont appuyés certains hommes politiques est loin d’être

généralisé.

44 La population des Fidji, quant à elle, compte 56,8 % d’autochtones, 37,5 % d’Indo-

Fidjiens, et 5,7 % de personnes d’autres appartenances ethniques118. Plus de 47 000

citoyens des Fidji ne sont ni autochtones, ni « indiens ». Parmi eux, outre des îliens

d’origines diverses, plusieurs milliers de Blancs et d’Asiatiques, presque tous d’origine

chinoise. Ces communautés sont quasi invisibles, au sens où les « Indiens » sont la

principale cible des ressentiments autochtones. Le rejet des « petites» minorités par les

indigènes est presque inexistant – ou, du moins, peu étudié et peu médiatisé. Les

gouvernements, même issus de coups d’État indophobes, ont été tolérants à l’égard des

Sino-Fidjiens, recherchant – et obtenant – le soutien de personnalités politiques telles

Paul Chan, Francis Hong Tiy, Yee Hon Wing ou James Ah Koy119. Quant aux citoyens

blancs des Fidji, ils ne rencontrent presque aucune hostilité de la part de leurs

compatriotes indigènes. Le stéréotype de l’Européen individualiste, matérialiste et

mécréant, véhiculé ailleurs dans le Pacifique, est plutôt réservé aux ‘Indiens’120. Dans les

années 1990, en outre, le gouvernement nationaliste autochtone, héritier du coup

d’État de 1987, reconduit au pouvoir par les élections de 1992 et de 1994, gouverna avec

le soutien du Parti des Électeurs généraux (General Voters’Party)121, représentant la

majorité des électeurs blancs et asiatiques. Les porte-parole des « petites » minorités

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ont su s’associer aux autorités nationalistes indigènes, et leurs membres, éviter une

xénophobie autochtone focalisée sur les « Indiens ».

45 Au recensement de 1999 – le plus récent –, le Vanuatu comptait 98,7 % d’autochtones122.

La composition ethnique de la population non-indigène – soit 2 349 personnes – n’était

pas spécifiée, mais inclut des « Européens » et des « Asiatiques », installés depuis l’ère

coloniale, et leurs descendants. En 2006, l’ambassade de la République populaire de

Chine au Vanuatu estimait que la population « chinoise » du pays était d’environ

600 personnes, dont la plupart étaient de petits commerçants urbains123. L’Association

chinoise de Port Vila comptait, en 1998, soixante-cinq membres124. Soucieux de

préserver une identité communautaire, ils n’attiraient pas d’hostilité notable de la part

de leurs concitoyens. La Papouasie-Nouvelle-Guinée n’établit pas de statistiques

ethniques, mais la population compte quelques milliers de personnes d’origine

australienne, et d’immigrés chinois125, répartis dans l’ensemble des villes principales. Il

n’y a pas, non plus, de statistiques officielles pour les Îles Salomon, mais la population

autochtone mélanésienne est estimée à 93 %. Les descendants d’immigrés polynésiens

installés depuis bien avant l’arrivée des Européens comprendraient 4 % de la

population, les 3 % restants – soit 14 000 personnes environ englobant des personnes

d’origine immigrée plus récente, telles que les Blancs et les Asiatiques126.

46 En 2000, Paul Sillitoe affirmait qu’il y avait peu de « tensions raciales dans la Mélanésie

contemporaine », sauf aux Fidji, même s’il existait « une antipathie dans toute la région

contre les personnes d’origine chinoise »127. En 1997, les hommes d’affaires Moon Pin

Kwan et Thomas Koh Chan, Salomonais d’origine chinoise, furent élus députés par les

électeurs – presque tous autochtones – de Honiara et de Guadalcanal-ouest,

respectivement128. Preuve que cette ‘antipathie’était limitée dans la capitale et dans la

province la plus ‘cosmopolite’du pays129. De même, en 2001, l’historien John Waiko

écrivait qu’il y avait « peu de racisme antiblanc » en Papouasie-Nouvelle-Guinée, et que

« [l] es Chinois nés dans le pays sont, dans l’ensemble, acceptés comme étant des

citoyens papou-néo-guinéens ». Il attribuait cette « absence de conflit ethnique »

principalement au faible nombre de non-autochtones130. Le pays n’avait-il pas, en 1980,

porté à sa tête Julius Chan, dont le père était un immigré chinois ? Bien avant l’I-

Kiribati Anote Tong en 2003, il fut le premier métis à accéder aux plus hautes fonctions

d’un État océanien. Plus tard, le Papou- Néo-Guinéen d’origine chinoise Mao Zeming fut

élu député et devint Vice-Premier ministre et ministre de la Défense131.

47 En avril 2006, suite à des élections législatives, une foule importante s’assembla devant

le Parlement salomonais pour entendre la décision des députés, devant élire l’un des

leurs comme premier ministre. L’annonce de l’élection de Snyder Rini, député sans

étiquette, provoqua la colère des partisans de ses adversaires. Encouragée, selon des

témoins, par des hommes politiques hostiles au nouveau dirigeant132, une partie de la

foule se dirigea vers le quartier chinois de Honiara et « se mit à tout saccager », brûlant

notamment des magasins133. Soixante-quatorze bâtiments furent incendiés dans la

capitale, dont cinquante-sept dans le quartier chinois. 317 personnes émigrèrent alors

vers la Chine avec l’aide de l’Association chinoise, et de l’ambassade chinoise en

Papouasie-Nouvelle-Guinée. Une commission gouvernementale sur les causes et les

conséquences de l’émeute rapporta que certains hommes politiques avaient, pendant

leur campagne, attisé la haine sinophobe des électeurs, l’exploitant dans une visée

populiste. En période de difficulté économique, remarqua-t-elle, une minorité ethnique

devenait une cible facile pour la rancœur populaire ; les commerçants chinois s’étaient

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ainsi vu accuser – sans preuve – d’avoir corrompu des membres du gouvernement. Les

incendies, poursuivit-elle, avaient clairement été déclenchés pour des raisons racistes,

et avec « une indifférence inhumaine envers la vie humaine » ; il aurait pu y avoir des morts

ou des blessés graves134. Comme aux Tonga, un acte populaire de revendication

politique s’était mué en violence sinophobe. Les immigrés chinois, naturalisés ou non,

devenaient la cible de tous les ressentiments, dans un cadre d’instabilité politique et

économique.

48 En 2007, le Taipei Times notait qu’environ 30 000 immigrés asiatiques s’étaient installés

en Papouasie-Nouvelle-Guinée au cours de la décennie précédente. Certains

autochtones se plaignaient de les voir « contrôler » les petits commerces, ainsi que de

la piètre qualité des produits que l’on y trouvait parfois. De tels ressentiments –

rappelait le journal – avaient généré des violences racistes aux Tonga et aux Îles

Salomon135. La prévision s’avéra malheureusement exacte. Deux mois plus tard, les

boutiques du quartier chinois de la ville de Mont Hagen furent dévalisées par des

« gangs de pilleurs », et certaines incendiées136. En mai 2009, une vague d’agressions

sinophobes se répandit en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Elle suivit une confrontation

entre travailleurs autochtones et responsables chinois d’une mine de nickel, provoquée

par un accident du travail qui avait blessé un employé. Les autochtones protestaient

également contre les dégâts environnementaux infligés par la mine à leurs terres. Trois

ouvriers « chinois » avaient alors été « très gravement blessés » par leurs confrères

indigènes137. Une « manifestation antichinoise », autorisée, se déroula à Port Moresby,

rassemblant une centaine de personnes. Elle dégénéra en pillage de boutiques

chinoises. Pendant plusieurs jours, des magasins chinois furent saccagés et des

personnes d’origine asiatique agressées à Port Moresby, puis dans plusieurs autres

villes, dont Mont Hagen à nouveau. Selon le Post Courier, les commerces de Mont Hagen

étaient tenus à « 90 % » par des « Asiatiques »138. Des émeutiers expliquèrent qu’ils

souhaitaient protester contre l’accroissement de l’immigration chinoise, leur

« contrôle » des petits commerces, et les prix jugés excessifs de leurs produits – faisant

écho aux prédictions, et aux événements de Nuku‘alofa et de Honiara. Certains

demandaient l’expulsion de tous les « Asiatiques »139. Les émeutiers, dans l’ensemble du

pays, auraient été des « dizaines de milliers » ; les affrontements avec les forces de

l’ordre se soldèrent par quatre morts parmi les fauteurs de troubles140. Mekere

Morauta, chef de l’Opposition et ancien Premier ministre, s’appuya sur les émeutes

pour demander au gouvernement de restreindre l’immigration, afin d’empêcher des

immigrés de venir « exploiter »le pays et ses habitants. Le gouvernement de Michael

Somare, dit-il, avait permis à « des étrangers qui ne parlent pas un mot d’anglais de diriger

des commerces que seuls les Papou-Néo-Guinéens devraient être autorisés à gérer »141. Les

citoyens et leurs dirigeants découvraient la notion de priorité indigène, déjà

développée aux Fidji. En novembre, un rapport des services de renseignement papou-

néo-guinéens (National Intelligence Organisation) avertit que les sentiments anti-

asiatiques demeuraient virulents, et que la possibilité de nouvelles violences était

« potentiellement la menace la plus sérieuse envers la sécurité nationale du pays »142. Le

Vanuatu a été épargné par de tels phénomènes, malgré quelques actes d’agression

isolés. Néanmoins, des ressentiments racistes se font parfois entendre. En 2005, un

éditorial de l’Indépendant affirmait ainsi : « Au Vanuatu, les Chinois tiennent les

commandes du commerce en particulier dans la capitale. Leur nombre croît de jour en

jour. Ils risquent de nuire à la société [puisque], pour eux, le Vanuatu est l’endroit idéal

pour s’enrichir, manipuler et tromper ses citoyens indigènes. La drogue et l’argent sale

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125

viendraient par la suite »143. Ces propos haineux, dignes d’une certaine presse

australienne du XIXe siècle, ou d’une rhétorique populiste tongienne plus récente, font

écho aux thèmes développés en Papouasie-Nouvelle-Guinée et aux Îles Salomon.

49 Les tensions entre Mélanésiens autochtones et citoyens mélanésiens d’origine chinoise

ont toutefois une portée bien moins conséquente que celles qui opposent les Fidjiens

indigènes à leurs compatriotes d’origine indienne. En mai 1987, le colonel Sitiveni

Rabuka renversa le gouvernement du travailliste Timoci Bavadra, accusant ce Premier

ministre autochtone d’avoir trop de ministres ‘indiens’dans son gouvernement. S.

Rabuka, qui se qualifiait lui-même d’homme « d’extrême droite »144, se fit le champion

de la suprématie taukei (indigène). L’armée, composée presque exclusivement

d’autochtones, le soutint sans hésitation. Il reçut en outre le soutien du Gouverneur-

Général Ratu Penaia Ganilau – qui dissout le Parlement –, de l’Église méthodiste – la

principale Église chrétienne du pays –, et du Grand Conseil des Chefs. La crise révéla

ainsi que les dirigeants des institutions les plus influentes étaient peu attachés à la

démocratie. Un nouveau ‘mouvement taukei’, composé d’extrémistes nationalistes

violents, soutint lui aussi le colonel, et orchestra des agressions physiques à l’encontre

des biens et des personnes indo-fidjiens145.

50 Le coup d’État eut pour conséquence une nouvelle Constitution, restreignant la

représentation politique des ‘Indiens’, contraignant chacun à ne voter que pour des

candidats de sa propre ‘race’, et interdisant aux « Indiens » les plus hautes fonctions.

Elle inscrivit dans les institutions nationales la suprématie politique de la

« communauté » indigène146. Dans ce contexte, le pays connut une émigration

« indienne » sans précédent. Des dizaines de milliers de citoyens des Fidji, d’origine

indienne, fuirent l’archipel pour se réfugier en Australie et en Nouvelle-Zélande

principalement. Constituant 48,7 % de la population à la veille du coup d’État, les Indo-

Fidjiens n’en comprenaient plus que 43,7 % en 1996, tandis que la proportion

d’autochtones avait crû de 46 % à 50,7 %147. Le coup d’État avait eu pour conséquence

d’offrir aux « Fidjiens » une majorité non seulement relative mais absolue, pour la

première fois depuis l’ère coloniale. Fidji n’était plus un pays majoritairement non-

autochtone.

51 Les difficultés économiques des années qui suivirent, combinées aux pressions

internationales, au climat de crise politique, et à l’éclatement du mouvement

nationaliste en factions rivales, amenèrent à la rédaction d’une nouvelle constitution

sept ans plus tard, avec l’accord des principaux partis politiques – et le soutien de

Sitiveni Rabuka, qui s’était reconverti abruptement en défenseur du dialogue

interculturel. La Constitution de 1997 révoqua l’obligation pour un premier ministre

d’être indigène. Le préambule proclame : « Nous, le peuple des Îles Fidji, […] reconnaiss [ons]

que les descendants de tous ceux qui ont choisi de vivre dans ces îles constituent notre société

multiculturelle ; affirm [ons] les contributions qu’apportent toutes ces communautés au bien-

être de [notre] société »148. Le thème d’unité dans la diversité recevait ainsi une

officialisation constitutionnelle. Ce texte législatif suprême renomma en outre la

République des Fidji en ‘République des Îles Fidji’(Republic of the Fiji Islands), ce qui

permit enfin à tous ses habitants de se décrire comme Fiji Islanders (terme sans

équivalent en français). Pour la première fois, les habitants de l’archipel recevaient une

appellation nationale commune, censée promouvoir un sentiment d’unité. Le terme fut

peu employé dans la langue courante, dans les médias ou par les hommes politiques.

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126

52 En 1999, fut élu Mahendra Chaudhry, ancien leader syndicaliste, qui avait été ministre

des finances sous Timoci Bavadra, et qui avait pris la tête du Parti travailliste.

M. Chaudhry devint le premier Indo-Fidjien à accéder à la fonction de premier ministre.

Un an plus tard, il fut renversé lors d’un coup d’État civil, mené par George Speight,

ancien homme d’affaires en faillite, d’origine à la fois indigène et « européenne ».

Adoptant l’ancienne rhétorique de Sitiveni Rabuka, il annonça qu’il était inadmissible

qu’un Indo-Fidjien dirige le pays. À la tête d’un petit groupe de sept militants armés, il

entra de force au Parlement et prit en otage pendant huit semaines le Premier ministre

et plusieurs autres membres du gouvernement. Parallèlement, les partisans de

G. Speight brûlèrent des écoles indo-fidjiennes et saccagèrent des temples hindous149.

En conséquence, les « Indiens » continuèrent à émigrer par milliers. George Speight se

rendit finalement à l’armée, et fut condamné à la prison à perpétuité pour haute

trahison. Mais plutôt que de restituer Mahendra Chaudhry à ses fonctions, l’armée

nomma un nouveau premier ministre par intérim – le banquier autochtone Laisenia

Qarase, de tendance nationaliste. Il remporta les élections de 2001, et forma une

coalition avec le parti fondé par les partisans de George Speight, l’Alliance

conservatrice. Le gouvernement fut réélu en 2006. Il axa très explicitement sa politique

sur la garantie de la suprématie des intérêts autochtones, et sur une politique de

« discrimination positive » à leur égard. En 2003, le chef des armées, Voreqe

Bainimarama, l’accusa d’appliquer la politique voulue par George Speight150. En 2005, le

commodore accusa le premier ministre de racisme anti-indien, et le somma, en vain, de

retirer les projets de loi discriminatoires, qu’il jugeait dangereux pour l’unité et

l’harmonie du pays. Le 5 décembre 2006, V. Bainimarama et l’armée renversèrent le

gouvernement. Pour la première fois, un coup d’État opposait l’armée, presque

exclusivement autochtone, à un gouvernement autochtone nationaliste. Mais le

contentieux concernait bien, avant tout, la question des relations entre les deux

principaux groupes ethniques des Îles Fidji, et leurs places respectives dans la société.

53 Dirigeant un gouvernement « de transition », Voreqe Bainimarama demeure au pouvoir

à ce jour, ayant muselé la presse, abrogé la Constitution, et promis des élections

démocratiques en septembre 2014, suite à l’application de réformes visant à inhiber par

avance toute politique « raciste » de la part d’un gouvernement élu. Son objectif

annoncé est de « bâtir la nation » (nation-building)151. Une nouvelle Constitution en

2013 – la quatrième dans l’histoire du pays – doit abolir les listes électorales ethniques.

Chaque voix aurait la même valeur, et les députés représenteraient les citoyens dans

leur ensemble, plutôt qu’une communauté ethnique. Par ailleurs, le nom du pays

cesserait d’être Fiji Islands, et redeviendrait Fiji. Ceci permettrait à tous les citoyens de

s’appeler « Fidjiens ». Le terme ne serait plus réservé aux autochtones ; il deviendrait

une appellation nationale, et non pas ethnique. Les écoles enseigneraient les diverses

langues du pays, ainsi que les fondements de ses différentes religions. Plus

généralement, l’enseignement devrait promouvoir le multiculturalisme. Le

gouvernement cesserait d’étiqueter les citoyens selon leur « race », sauf dans la

perspective de préserver les droits fonciers spécifiques aux autochtones. Enfin, les

autorités promouvraient « une vision morale, des récits, des rituels et des symboles

nationaux »152. Une « cérémonie du drapeau » serait instaurée dans toutes les écoles. Un

patriotisme pluri-ethnique serait ainsi forgé par le gouvernement, mobilisant les

principaux acteurs de la société. Les ressentis identitaires seraient, dans la mesure du

possible, altérés par l’action « pédagogique » de l’État.

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127

54 Ainsi, de manière inquiétante, certains Mélanésiens revendiquent pour identité

nationale une unité « raciale » face à des communautés d’origine immigrée,

principalement asiatiques. Une reconnaissance ethnique serait apte à souder les

autochtones, à travers l’exclusion des « autres », et à l’image d’identités nationales

« raciales » longtemps prônées en Nouvelle-Zélande et en Australie. Les dirigeants

mélanésiens actuels rejettent ces polarisations fondées sur la méfiance et la haine, mais

ne parviennent pas encore – trois à quatre décennies après l’indépendance – à fédérer

leurs citoyens autour d’un sentiment d’appartenance plus constructif. L’ensemble des

États océaniens a dépassé le stade de la promotion d’une identité « raciale » ou

monoethnique – bien qu’aux Fidji ce dépassement soit principalement la conséquence

d’un coup d’État –, mais une minorité conséquente de citoyens demeure attachée à des

identités « raciales » exclusives, en apparence plus simples et mieux enracinées.

55 Pendant l’ère impériale, l’Australie et la Nouvelle-Zélande s’auto-définissaient comme

des terres réservées la « race » blanche, sur le fondement d’un consensus politique

durable. Cet objectif fut mis en application par la fermeture des frontières selon des

critères « raciaux », et par l’assimilation des autochtones (en Nouvelle-Zélande), ou leur

exclusion et leur ségrégation (en Australie). Simultanément, dans les îles du Pacifique,

les autorités britanniques mettaient en œuvre une politique de « préservation » des

populations indigènes par le biais d’un respect et d’une promotion de certains aspects

au moins de leur mode de vie ; par le biais également de la ségrégation ; et, parfois –

notamment dans les îles sous administration australienne ou néo-zélandaise –, en

restreignant la venue de migrants asiatiques, ou leurs rapports avec les autochtones. À

partir des années 1960, l’Australie et la Nouvelle-Zélande démantelèrent leurs

politiques de discrimination ‘raciale’, tandis que l’Empire se retirait petit à petit de ses

micro-territoires du Pacifique. À l’heure où Canberra et Wellington proclamaient

soudain la promotion de la diversité culturelle et ethnique, dans les années 1970, les

nouveaux États indépendants de la région envisageaient leurs propres politiques

identitaires. À quelques exceptions près, ils fondèrent leurs affirmations d’identité

nationale sur les « traditions » – nécessairement autochtones – tout en garantissant aux

citoyens non-indigènes l’égalité des droits civiques et politiques. Le multiculturalisme

officiel intégrant les minorités d’origine immigrée (en Australie, aux Fidji et en

Nouvelle-Zélande), ou simplement l’acceptation par les autorités de la diversité

ethnique, ne sont toutefois pas toujours en adéquation avec la revendication d’une

primauté blanche ou autochtone exprimée par une minorité conséquente – et parfois

violente – de la population.

NOTES

1. Toon VAN MEIJL, “The New Zealand Wars and the Maori King Movement”, in Donald DENOON,

(éd.), The Cambridge History of the Pacific Islanders, Cambridge: Cambridge University Press, 1997,

pp. 165-6.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

128

2. Geoffrey BLAINEY, “Australia Unlimited”, Boyer Lectures, Radio National, 11 novembre 2001,

[http://www.abc.net.au/radionational/programs/boyerlectures/lecture-1-australia-unlimited/

3501650#transcript]

3. James JUPP, The English in Australia, Cambridge: Cambridge University Press, 2004, pp. 68-9.

4. Michael KING, The Penguin History of New Zealand, Auckland: Penguin Books, 2003, p. 229.

5. George GREY, discours à la Chambre des Représentants, 1879, cité in Nigel MURPHY, “Joe Lum v.

The Attorney General: The Politics of Exclusion”, in IP, Manying (éd.), Unfolding History, Evolving

Identity : The Chinese in New Zealand, Auckland : Auckland University Press, 2003, p. 49.

6. “a home fit for the best of the Anglo-Saxon race – a White Man’s country”. William MASSEY, “A White

Man’s Country”, Empire Mail, vol. 13, n° 10, oct-nov 1924, p. 587.

7. Keith MURDOCH, “Australia Day : 133 years of progress”, The Times, 26 janvier 1921, p. 11.

8. M.L SHEPHERD,“White Australia : An Enduring Ideal”, lettre à l’éditeur du Times, 7 janvier

1922, p. 6.

9. Alfred DEAKIN, discours devant le Parlement fédéral, 12 septembre 1901, cité in KELLY, Paul,

The End of Certainty : Power, Politics & Business in Australia, St Leonards : Allen & Unwin, 1994, p. 3.

10. Vince MAROTTA, “The ambivalence of borders: the bicultural and the multicultural”, in John

DOCKER & Gerhard FISCHER, (éds.), Race, Colour & Identity in Australia and New Zealand, Sydney:

University of New South Wales Press, 2000, p. 180.

11. Anon., “Wellington’s Chinatown: Plague Spots of Asiatic Vice in Our Midst”, New Zealand

Times, 30 juin 1896, p. 2.

12. Brian MOLOUGHNEY, Tony BALLANTYNE, & David HOOD, “After Gold: Reconstructing Chinese

Communities, 1896-1913”, in Henry JOHNSON & Brian MOLOUGHNEY, Asia in the Making of New

Zealand, Auckland: Auckland University Press, 2006, pp. 72-4.

13. Francine TOLRON, La Nouvelle-Zélande : du duel au duo ?, Toulouse : Presses Universitaires du

Mirail, 2000, p. 210.

14. Anon., rapport accompagnant les données du recensement de 1921, 6ème partie : “Race aliens”,

p. 1.

15. James JUPP, The English in Australia, op.cit., pp. 120-1.

16. James JUPP, From White Australia to Woomera, Cambridge: Cambridge University Press, 2002,

p. 9.

17. James BELICH, Making Peoples: A History of the New Zealanders from Polynesian Settlement to the

End of the Nineteenth Century, Honolulu : University of Hawai’i Press, 1996, p. 315.

18. Gouvernement du Queensland, “The Australian South Sea Islander community”, p. 6, [http://

www.premiers.qld.gov.au]

19. Brian MURPHY, The Other Australia: Experiences of Migration, Cambridge : Cambridge University

Press, 1993, p. 23.

20. Ien ANG, “Asians in Australia : a contradiction in terms ?”, in John DOCKER, & Gerhard

FISCHER, (éds.), Race, Colour & Identity in Australia and New Zealand, op.cit., p. 126.

21. Francine TOLRON, La Nouvelle-Zélande : du duel au duo ?, op.cit., p. 130.

22. Geoffrey BLAINEY, The Tyranny of Distance, Melbourne: Sun Books, 1980 [1966], p. 203.

23. Bessie NG KUMLIN ALI,, Chinese in Fiji, Suva : University of the South Pacific, 2002, p. 29.

24. Circulaire du gouvernement aux autorités douanières, Home & Territories Department, 4 mars

1927, reproduite in La Trobe University, Asian Studies Program, “Example of material held in the

Boarding Branch Circulars detailing how the Dictation Test should be applied”, Digital Documents

Record, [http://www.latrobe.edu.au]

25. Anon., cité in Anon., “Labour Questions in Australia: ‘A White Australia’”, The Times, 3

septembre 1902, p. 6.

26. Anon., “Australia in the Pacific: The beginning of direct representation relations with the

‘Near North’”, The Times, 6 septembre 1941, p. 5.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

129

27. Donald DENOON, “New Economic Orders: Land, Labour and Dependency”, in Donald DENOON,

(éd.), The Cambridge History of the Pacific Islanders, op.cit., p. 244.

28. Traité de 1840 signé par des chefs maori et des représentants de la Couronne, permettant au

Royaume-Uni d’annexer la Nouvelle-Zélande en contrepartie de la reconnaissance de certains

droits aux autochtones.

29. Frank WELSH, Great Southern Land: A New History of Australia, Londres : Penguin, 2005, p.xxxiv.

30. Geoffrey BLAINEY, A Land Half Won, Melbourne: Sun Books, 1987, p. 93.

31. Peter BISKUP, Not Slaves Not Citizens, St Lucia: University of Queensland Press, 1979, p. 154.

32. George W. RUSDEN, History of New Zealand, Melbourne: Chapman & Hall, Ltd., 1883, p. 375.

33. James BELICH, Paradise Reforged: A History of the New Zealanders from the 1880s to the Year 2000,

Honolulu: University of Hawai’i Press, 2001, p. 189.

34. William MASSEY,cité in Anon., “Banning the undesirable: Immigration Restriction Bill”,

Auckland Star, 15 septembre 1920, p. 8.

35. Myrna E. TONKINSON, “Is It in the Blood? Australian Aboriginal Identity”, in Jocelyn

LINNEKIN & Lin POYER, Cultural Identity and Ethnicity in the Pacific, Honolulu: University of Hawai‘i

Press, 1990, p. 203.

36. Le terme renvoie à une forme de camaraderie fondée sur l’entraide, fréquemment invoquée,

du XIXe siècle à aujourd’hui, comme une valeur australienne primordiale.

37. Amendement de la loi Commonwealth Electoral Act de 1918.

38. Phillip KNIGHTLEY, Australia: a biography of a nation, Londres: Vintage, 2001, p. 261.

39. Ien ANG, “Asians in Australia: a contradiction in terms ?”, in John DOCKER & Gerhard

FISCHER, (éds.), Race, Colour & Identity in Australia and New Zealand, op.cit., p. 121.

40. Al GRASSBY, A Multi-Cultural Society for the Future, Canberra: Australian Government

Publishing Service, 1973.

41. Anon., “Multicultural laws could harm biculturalism – Carter”, Radio New Zealand, 28 juin

2008, [http://www.radionz.co.nz].

42. Arthur GORDON, cité in Margaret JOLLY, “Custom and the Way of the Land: Past and Present

in Vanuatu and Fiji”, in Robert BOROFSKY, (éd.), Remembrance of Pacific Pasts: An Invitation to

Remake History, Honolulu: University of Hawai‘i Press, 2000, p. 348.

43. Peter MITCHELL, cité in Stewart FIRTH, “Colonial Administration and the Invention of the

Native”, in Donald DENOON, (éd.), The Cambridge History of the Pacific Islanders, op.cit., p. 268.

44. Brij V. LAL, “The passage out”, in K.R., HOWE, Robert KISTE & Brij LAL,Tides of History : The

Pacific Islands in the Twentieth Century, Honolulu : University of Hawai‘i Press, 1994, p. 405.

45. Brij V. LAL, Islands of Turmoil: Elections and Politics in Fiji, Canberra : Australian National

University, Asia Pacific Press, 2006, p. 3.

46. A.A. RAGG, 1946, cité in John D. KELLY & Martha KAPLAN, Represented Communities: Fiji and

World Decolonization, Chicago : University of Chicago Press, 2001, p. 169.

47. Barrie MACDONALD, Cinderellas of the Empire: Towards a history of Kiribati and Tuvalu, Suva :

University of the South Pacific, 2001, p. 137.

48. Judith BENNETT, “Holland, Britain, and Germany in Melanesia”, in K.R. HOWE, Robert KISTE,

& Brij LAL, Tides of History, op.cit., p. 57.

49. Bessie NG KUMLIN ALI, Chinese in Fiji, op.cit., pp. 56-7.

50. H. Ian HOGBIN, Experiments in Civilization: The Effects of European Culture on a Native Community of

the Solomon Islands, New York: Schocken Books, 1970 [1939], p. 242.

51. Bill WILLMOTT, “Early History of the Chinese in Vanuatu: 1844-1944”, in Brian MOLOUGHNEY

& Jim NG, (éds.), Chinese in Australasia and the Pacific: Old and New Migrations and Cultural Change,

Dunedin: University of Otago, 1998, pp. 244-246.

52. Pierre Yves TOULLELAN & Bernard GILLE, De la Conquête à l’Exode : Histoire des Océaniens et de

leurs migrations dans le Pacifique, Tahiti : Au Vent des Îles, 1999, p. 181.

53. Ibid, p. 178.

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130

54. Donald DENOON, “New Economic Orders: Land, Labour and Dependency”, in Donald DENOON,

(éd.), The Cambridge History of the Pacific Islanders, op.cit., p. 160.

55. Pierre Yves TOULLELAN & Bernard GILLE, De la Conquête à l’Exode, op.cit., p. 177.

56. George RICHARDSON, “That Yellow Taint”, New Zealand Times, 28 février 1923, cité in F.Ben

LIUA‘ANA, “Dragons in Little Paradise: Chinese (Mis-)Fortunes in Samoa, 1900-1950”, The Journal

of Pacific History, vol. 32, n° 1, 1997, p. 34.

57. Joeli BALEDROKADROKA, “The Fijian Understanding of the Deed of Cession Treaty of 1874”,

Indiana University Digital Library, 2003, p. 52, [http://dlc.dlib.indiana.edu].

58. Pierre Yves TOULLELAN & Bernard GILLE, De la Conquête à l’Exode, op.cit., p. 178.

59. Maynard HEDSTROM, “Fiji Today: Fifty Years of British Rule”, The Times, 10 octobre 1924,

p. 11.

60. Élise HUFFER, Grands hommes et petites îles : la politique extérieure de Fidji, de Tonga et du Vanuatu,

Paris : Orstom, 1993, pp. 22-3.

61. John D. KELLY & Martha KAPLAN, Represented Communities, op.cit., p. 130.

62. Ibid, p. 169.

63. La population de Nauru en 1966 était de 6 048, dont seulement 2 921 autochtones. Nancy J.

POLLOCK, “Nauru’s Post-Independence Struggles”, in Brij V. LAL & Hank NELSON, (éds.), Lines

Across the Sea : Colonial Inheritance in the Post Colonial Pacific, Brisbane : Pacific History Association,

1995, p. 53.

64. Département d’État américain, “Background Note : Nauru”, [http://www.state.gov].

65. Bill WILLMOTT, The Chinese Communities in the Smaller Countries of the South Pacific: Kiribati,

Nauru, Tonga and the Cook Islands, Christchurch: Macmillan Brown Centre for Pacific Studies, 2007,

p. 35.

66. Electoral Amendment Act, 1990.

67. Uentabo NEEMIA, “Decolonization and Democracy in the South Pacific”, in Ron CROCOMBE,

Uentabo NEEMIA, Asesela RAVUVU & Werner VOM BUSCH, (éds.), Culture & Democracy in the South

Pacific, Suva : University of the South Pacific, 1992, p. 8.

68. Aigaletaule’ale’ā TAUAFIAFI, “Samoan elections : Tuilaepa perches on the cusp of history”,

Pacific Media Centre, 3 mars 2011, [http://pacific.scoop.co.nz].

69. Parlement des Samoa, “Members of Parliament 2011 – 2016”, [http://

www.parliament.gov.ws].

70. John D. KELLY & KAPLAN, Martha, Represented Communities, op.cit., pp. 130-3.

71. Jai Ram REDDY, in Constitutional Review Commission: Verbal Transcripts of Hearings, vol. 3, 24 août

1995, p. 5.

72. Vice-Président de la République des Îles Fidji de 2004 à 2006.

73. Joni MADRAIWIWI, “Governance in Fiji : The Interplay between Indigenous Tradition, Culture

and Politics”, in Stewart FIRTH, (éd.), Globalisation and Governance in the Pacific Islands, Canberra :

Australian National University, 2006, p. 294.

74. Vijay NAIDU, “The State of the State in Fiji: Some Failings in the Periphery”, in Ibid, p. 297.

75. Ministère des Affaires fidjiennes et de la Culture, [http://www.culture.gov.fj].

76. La plupart des Constitutions des États océaniens déclarent que la nation est fondée sur les

coutumes et les traditions autochtones, ancestrales.

77. Vanuatu Cultural Centre, [http://www.vanuatuculture.org].

78. Ministère de l’Éducation, des Sports et de la Culture, Social Studies Years 9-11 : Sāmoa Secondary

School Curriculum, janvier 2004, [http://www.mesc.gov.ws].

79. Michael SOMARE, discours prononcé le 16 septembre 2006, [http://www.pm.gov.pg].

80. Ann CURTHOYS, “An uneasy conversation : the multicultural and the indigenous”, in John

DOCKER & Gerhard FISCHER, (éds.), Race, Colour & Identity in Australia and New Zealand, op.cit.,

p. 28.

81. Ien ANG, “Asians in Australia: a contradiction in terms?”, in Ibid, p. 124.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

131

82. James JUPP, From White Australia to Woomera, op.cit., p. 56.

83. Fran KELLY, “Tampa issue improves Coalition election prospects”, Australian Broadcasting

Corporation, 4 septembre 2001, [http://www.abc.net.au].

84. Philippa MEIN SMITH, A Concise History of New Zealand, Cambridge : Cambridge University

Press, 2005, p. 246.

85. Sekhar BANDYOPADHYAY, “Reinventing Indian Identity in Multicultural New Zealand”, in

Henry JOHNSON & Brian MOLOUGHNEY, Asia in the Making of New Zealand, op.cit., p. 136.

86. Cette accusation est démentie par les études démographiques.

87. Pauline HANSON, discours prononcé le 10 septembre 1996, [http://nswonenation.com.au].

88. James JUPP, From White Australia to Woomera, op.cit., p. 135.

89. Jared SAVAGE & Leah HAINES, “Winston Peters’ last stand is a lost battle”, New Zealand Herald,

9 novembre 2008, [http://www.nzherald.co.nz].

90. Australian Bureau of Statistics, “Religious Affiliation”, [http://www.abs.gov.au].

91. Kim CAMBERG, “Long-term tensions behind Sydney riots”, British Broadcasting Corporation,

13 décembre 2005, [http://news.bbc.co.uk].

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RÉSUMÉS

La tentation de fonder une affirmation identitaire nationale sur une adéquation entre ‘race’ et

nation a marqué les discours et les politiques en Océanie, à l’instar d’autres régions du monde.

Cet article se donne pour objectif d’analyser la manière dont l’impératif d’unité nationale s’y est

appuyé sur la perception ou la mise en avant d’une homogénéité non seulement culturelle mais

ethnique ou « raciale », accompagnée parfois de politiques d’exclusion des minorités. En

Australie et en Nouvelle-Zélande, la politique actuelle de promotion de la diversité culturelle fait

suite à une longue période d’accord bipartite sur la préservation de nations exclusivement

« blanches » et « britanniques ». Dans les îles du Pacifique, les politiques de discrimination sont

rares depuis l’indépendance – malgré des contre-exemples aux Fidji et à Nauru, pays dotés

d’importantes minorités d’origine étrangère–, mais l’image que se donnent ces nations repose

sur une homogénéité ethnoculturelle autochtone, où les minorités paraissent toujours

« étrangères ». En outre, des violences sinophobes, fruit d’un rejet de minorités chinoises trop

visibles, ont frappé ces dernières années plusieurs pays insulaires, comme en écho à des

violences similaires qui ont marqué autrefois l’Australie. Cette étude s’intéresse à la place

accordée aux minorités dans des pays du Pacifique partagés entre des nations sûres de leur

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

134

identité homogène, et celles tentant de bâtir une identité nationale multiculturelle encore

incertaine.

Discourses and politics in the Pacific, as in other regions of the world, have at times equated

‘race’ and nation as a basis for statements on national identity. The objective of this article is to

analyse the ways in which the requirement for national unity has been grounded, in that region,

on the perception or promotion not just of a cultural homogeneity, but also an ethnic or ‘racial’

one, sometimes reinforced by policies to exclude minorities. In Australia and New Zealand, the

current promotion of cultural diversity by the governments contrasts with a long-lasting, earlier

bipartisan agreement on the preservation of exclusively ‘White’ and ‘British’ nations. In the

Pacific islands, state-endorsed discrimination has been rare since independence –despite

counter-examples in Fiji and Nauru, two countries with sizeable minorities of foreign descent–,

but the self-image of these nations rests upon that of a homogenous indigenous ethnicity and

culture, wherein minorities appear permanently ‘foreign’. In addition, persons of Chinese origin,

part of an increasingly visible minority, have been subject to rejection, and even to racially

motivated violence, in several island countries in recent years – as though in echo to a similar

violence which once marked Australia. This study focuses on the place granted to minorities in

Pacific countries, divided between nations certain of their homogenous identity, and those

attempting to build a still uncertain form of multicultural national identity.

AUTEUR

ADRIEN RODD

Adrien Rodd est maître de conférences en civilisation britannique à l’Université de Versailles-St

Quentin, membre du laboratoire Suds d’Amériques. Ancien élève de l’École Normale Supérieure

de Cachan et agrégé d’anglais, il a soutenu en 2010 une thèse intitulée « Constructions

identitaires nationales et britannicité dans les pays du Commonwealth en Océanie ». Son centre

d’intérêt principal en recherche porte sur les problématiques identitaires dans les anciennes

colonies britanniques. Il a à son actif plusieurs articles et communications dans ce champ

d’études.

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Minorités ethniques et intégration enGrande-Bretagne dans la périoderécenteEthnic Minorities and Integration in the UK in Recent Years

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136

Visibilités sikhe et musulmane auRoyaume-Uni : tentative decomparaisonSikh and Muslim Visibilities in the Uk: an Attempted Comparison

Vincent Latour

1 Au cours de la décennie passée (émeutes interethniques dans le Nord et les Midlands,

attentats du 11 septembre et du 7 juillet 2005), le débat politique, universitaire et

médiatique sur le multiculturalisme en tant que mode d’incorporation s’est focalisé de

manière quasi exclusive (voire, obsessionnelle) sur la place de l’Islam et des musulmans

dans la société britannique. À cet égard, le discours prononcé à Munich par David

Cameron le 5 février 2011, si abondamment commenté, illustre l’ampleur de cette

fixation, mais également sa permanence depuis les attentats du 11 septembre, voire

depuis l’affaire Rushdie. En effet, l’irruption de la « communauté musulmane » sur le

devant de la scène politico-médiatique britannique à la fin des années 1980 suite à la

publication des Versets Sataniques tend à occulter la mobilisation coordonnée et

constante des Sikhs du Royaume-Uni au cours des cinquante dernières années. Ils

devancèrent largement les musulmans et les autres groupes minoritaires issus de

l’immigration dans la formulation des demandes de reconnaissance culturelle.

2 Dix ans après les débuts de la remise en cause du « consensus multiculturel » né des

émeutes des années 1980, il semble opportun de s’interroger sur deux stratégies

distinctes de la visibilité, afin d’en identifier points de divergence et de convergence.

3 Cet article s’articulera autour de deux grandes parties. La première dressera un

historique de leur présence au Royaume-Uni et s’intéressera aux prémices des

visibilités musulmane et sikhe outre-Manche, notamment par le biais des aspects

cultuels. La deuxième tentera de mettre en parallèle les modalités de structuration

communautaire et de demande de reconnaissance publique de ces deux groupes, y

compris dans un contexte de remise en cause apparente du multiculturalisme1.

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137

Historique de la présence des deux groupes religieuxau Royaume-Uni et premiers pas vers la visibilité

4 Les musulmans du Royaume-Uni (environ 1,6 millions d’après le recensement de 20012,

mais qui pourraient être 2,4 millions selon des projections de novembre 20083, dans

l’attente des résultats du recensement de 2011) sont pour quasiment les trois quarts

(74 %) issus du sous-continent indien4. L’obédience très majoritaire en leur sein est le

sunnisme, au sein duquel deux grands groupes spécifiquement issus du sous-continent

indien se détachent. D’une part, les déobandis, (du nom de la ville de Déoband,

aujourd’hui dans l’état de l’Uttar Pradesh, dans le Nord de l’Inde), qui revendiquent

l’héritage d’un grand juriste des premiers siècles de l’islam, l’imam Abou Harifa (45 %

des lieux de culte). D’autre part, les barelwis, qui se réclament d’un mouvement lancé

en 1880, notamment dans le but de contrer certains courants réformistes (25 % des

mosquées britanniques). Les salafistes (6 %) et mawdudistes (3,3 %) sont, par contraste,

très minoritaires. On trouve également diverses écoles de pensée de tradition sunnite

très minoritaires, ainsi que des Chiites (4,5 % des mosquées), souvent originaires d’Iran,

Irak, du Liban, du Yémen ou du Koweït.5 Il est à noter que les ismaéliens, minorité

musulmane indo-pakistanaise très bien intégrée du point de vu socio-économique au

Royaume Uni6, appartiennent à une branche du chiisme.

5 Même si dès le XVIIIe siècle des marins de confession musulmane originaires du Bengale

ou du Gujarat séjournèrent sporadiquement dans les grandes villes portuaires

(Liverpool, Bristol, Cardiff ou Londres), la première vague importante d’installation (le

plus souvent temporaire) de musulmans remonte à la deuxième partie du règne de

Victoria, puisqu’on estime que 70 à 80 000 Yéménites, marins pour l’essentiel,

séjournaient en Angleterre dans les années 1870, leur circulation étant beaucoup plus

aisée depuis l’ouverture du Canal de Suez en 1869.

6 Les Sikhs sont aujourd’hui un peu plus de 20 millions dans le monde (dont quelque

19 millions en Inde). La plus grosse communauté sikhe en dehors de l’Inde vit au

Royaume-Uni, avec, selon le recensement de 2001, 336 179 représentants7, 389 000 selon

une estimation de novembre 2008.8 Le Sikhisme, religion syncrétique dérivée de

l’Hindouisme et de l’Islam, mais aussi de diverses mouvances philosophiques ou

spirituelles indiennes, a pour berceau historique le Pendjab (où vivent 14 millions et

demi des Sikhs indiens), d’où est issue la quasi-totalité des Sikhs de la diaspora présente

au Royaume-Uni, au Canada, aux États-Unis, en Malaisie, en Thaïlande, Singapour ou

Hong Kong. C’est un prédicateur, Nanak, qui fonda le sikhisme au début du XVIe siècle.

Il créa le village de Kartarpur, entouré de sikhs (disciples). Le Sikhisme adopta la

tradition martiale et égalitaire des jats, anciens éleveurs nomades sur les terres

desquels de nombreux villages sikhs furent fondés. L’enseignement de Nanak reposait

notamment sur la foi en un dieu unique, éternel, tout puissant, sans forme ni attribut.

Après la mort de Nanak, neuf gurus dits « fondateurs » se succédèrent, chacun

contribuant à l’édification du sikhisme : le premier successeur de Nanak, Angad,

inventa l’écriture gurmukhi, dans laquelle sont écrits les textes religieux des Sikhs et

avec laquelle ils écrivent le pendjabi. C’est le dernier guru, Gobind (1666-1708) qui

institua « les cinq k », les préceptes les plus connus du sikhisme : barbe et cheveux non

coupés (kes) et retenus par un peigne (kangha), une petite épée (kirpan), un bracelet de

métal (kara) et une culotte courte (kaach).9 Le turban, quant à lui, constitue un enjeu

symbolique, identitaire et politique primordial, mais ne fait toutefois pas partie, à

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proprement parler, des prescriptions du sikhisme.10 Il existe, par ailleurs, un certain

nombre de tabous séculaires, toujours en vigueur chez les Sikhs orthodoxes :

consommation de tabac et de viande d’animaux tués selon le rite musulman, ainsi que

rapport sexuels avec des femmes musulmanes. Les hommes sikhs ajoutèrent Singh

(« lion ») à leur patronyme, et les femmes, Kaur (« princesse »). Ce sont ces mots qui

permettent de distinguer les noms des hommes et des femmes, dans la mesure où, dans

ce groupe religieux, il n’existe pas de prénoms masculins ou féminins.

7 Loyaux à la Couronne lors de la Révolte des Cipayes (1857), les Sikhs bénéficièrent d’un

recrutement préférentiel dans l’armée des Indes. Cette fidélité leur valut l’animosité

durable des hindous et musulmans, mais elle créa, selon Gurharpal Singh, un « lien

anglo sikh »11 privilégié, fondé sur le respect mutuel. Si la réalité de cette relation est

sujette à caution12, elle fut longtemps inculquée aux jeunes Britanniques, comme en

témoigne ce passage, extrait d’un manuel à la gloire des forces armées britanniques

destiné aux enfants et largement diffusé dans le premier quart du XXe siècle, The

Wonder Book of Soldiers for Boys and Girls :

It is a mistake to suppose that when the tragedy of the Mutiny occurred, everynative regiment sided with the rebels. […] Our chief help, perhaps, came from theFrontier and Punjab battalions; and also from the Sikh troops. Indeed, but for theirdevoted assistance in the dark days of’57, it is doubtful if the British flag would stillbe flying in India, as the white soldiers were immensely outnumbered by thefollowers of Nana Sahib13.

8 Le Maharajah Duleep Singh, dernier souverain du royaume sikh du royaume du Pendjab

chassé du pouvoir par la East India Company, fut le premier Sikh à s’installer outre-

Manche, en 1849, même s’il s’était converti au christianisme avant son arrivée en

Angleterre. Dunleep Singh, surnommé le « Prince noir », percevait une pension très

conséquente de l’India Office et menait grand train à Elveden Hall, domaine du Suffolk

dont il fit l’acquisition en 1863, où il côtoyait aristocrates et capitaines d’industrie. Il

envisagea même un temps de se présenter à la Chambre des Communes, avant d’en être

dissuadé par la Reine Victoria elle-même14.

9 Sans surprise, la construction et le contrôle des gurdwaras et des mosquées allaient

figurer parmi les enjeux initiaux des visibilités sikhe et musulmane dans la seconde

moitié du XXe siècle15, période au cours de laquelle on vit véritablement Sikhs et

musulmans s’installer et s’organiser outre-Manche, selon des modalités tantôt

comparables, tantôt différentes.

Mosquées et gurdwaras

10 À l’inverse des Sikhs, qui constituaient un groupe clairement identifié (bien qu’à de

nombreux égards méconnu) depuis l’époque coloniale, les musulmans en tant que tels

n’étaient pas perçus comme un groupe distinct. À de rares exceptions près16, les

sciences sociales les considéraient au premier chef comme des Indiens, Pakistanais et,

plus tard, Bangladais ou, encore, « Asiatiques » (Asians).

11 En ce qui concerne les lieux de culte, on assista à l’ouverture de mosquées et gurdwaras

« pionnières » bien avant les débuts de l’immigration de masse. L’aménagement des

premières « mosquées » (le plus souvent dans des maisons particulières, comme ce fut

le cas à Cardiff, où la première « mosquée » du pays ouvrit en 1860) fut motivé par la

présence d’une forte communauté yéménite dans le dernier tiers de l’ère victorienne,

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

139

mais, également, par l’initiative d’une poignée de convertis, comme Henry Quilliam, qui

fonda le Liverpool Muslim Institute en 1889. La même année, à Woking, était inaugurée la

première mosquée construite à dessein sur des plans de l’orientaliste d’origine

hongroise Gottlieb Wilhem Meitner, financée par des mécènes indo-musulmans.

Pendant la Première Guerre mondiale, c’est à proximité de cette mosquée qu’allait être

installé le premier cimetière militaire musulman, afin d’inhumer les milliers de soldats

de l’Empire morts au combat.17 Pendant la Deuxième Guerre, en 1941, la mosquée de

l’East End fut inaugurée à Londres, même si contrairement à la Grande Mosquée de

Paris, inaugurée en 1926, elle n’avait pas ni le statut, ni la stature d’une grande

mosquée centrale18.

12 Au tournant du XXe siècle, nombre de jeunes Indiens des classes aisées séjournaient à

Londres, dont quelques Sikhs, qui fondèrent en 1908 la première association sikhe du

royaume, Khalsa Jatha of the British Isles (KJBI) affiliée à la Chief Khalsa Divan (CKD), basée

à Amritsar et alors principale association sikhe du Pendjab. Les Sikhs de la KJBI levèrent

des fonds, en Angleterre et en Inde, afin de fonder une gurdwara à Londres. Une maison

fut d’abord louée à Putney en 1911, avant l’achat d’un immeuble situé Sinclair Road,

dans le quartier de Shepherd’s Bush, qui après une modification architecturale totale,

devint en 1913 la première véritable gurdwara du pays 19. Traditionnellement, la

gurdwara joue un rôle politique fondamental au Pendjab, où fut fondé dans les années

1920 le SGPC (Shiromani Gurwara Prabandak Committee), instance chargée de gérer les

gurdwaras, souvent surnommée le « Parlement sikh » et dotée d’une aile politique, le

SAD (Shiromani Akali Dali), principal parti politique sikh du Pendjab depuis 1925.

13 Ces lieux de culte pionniers, bien que hautement symboliques, ne doivent pas occulter

le fait que pendant plusieurs décennies, les deux groupes religieux utilisèrent pour

l’essentiel des lieux de prière informels, notamment dans des maisons particulières.

Olivier Esteves fait remarquer que le manque de moyens n’était pas la seule raison à

cela : les immigrés pakistanais ou indo-musulmans, souvent seuls en Grande-Bretagne,

percevaient leur présence comme temporaire et ne voyaient pas la nécessité de

construire des mosquées, qui de toutes les manières, au-delà de considérations

financières et de l’attitude souvent hostile des autorités à l’égard de tels projets,

auraient été disproportionnées compte tenu du nombre de fidèles potentiels20.

14 De la même manière, Singh et Singh Tatla observent que, en raison du nombre encore

réduit de Sikhs, la gurdwara de Shepherd’s Bush demeura la seule du pays jusqu’au

début des années 1950. Comme chez les musulmans, les lieux de culte informels

dominèrent les années 1950 et le début des années 1960 (malgré l’aménagement, voire,

la construction de quelques gurdwaras, comme ce fut le cas à Bristol, dans le quartier de

Easton, dès 1958). L’accélération de l’immigration en raison de l’imminence des

restrictions induites par le Commonwealth Immigrants Act de 196221, conjuguée au

développement du regroupement familial puis à l’arrivée de Sikhs chassés des

anciennes colonies d’Afrique de l’Est en vertu des politiques dites « d’indigénisation »,

décuplèrent en vingt ans le nombre de Sikhs présents outre-Manche (de 7 000 en 1951 à

72 000 en 197122) et créèrent donc de nouveaux besoins en termes de lieux de culte dans

les localités ou quartiers où ils étaient les plus représentés, les « petits Pendjabs » :

Slough, Hounslow, Ealing (Southall), Wolverhampton ou encore, Gravesham, par

exemple23.

15 La deuxième moitié des années 1960 et les années 1970 furent caractérisées par l’achat

d’immeubles plus conséquents, le plus souvent délabrés, situés dans des inner cities dans

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

140

lesquels (ou en lieu et place desquels) furent installées des gurdwaras. Dans les années

1980, les gurdwaras existantes allaient fréquemment être modifiées ou agrandies (en

1981, le nombre de Sikhs avaient doublé en l’espace de dix ans, passant à 144 000)24. Par

ailleurs, sous l’impulsion de factions dissidentes mues par des rivalités de caste, on

commençait à assister à l’apparition de nouveaux lieux de culte. Depuis les années 1990,

la tendance est à la construction de gurdwaras beaucoup plus grandes, comme la Sri

Guru Singh Sabha Gurdwara, (SGSSGS), inaugurée dans le quartier de Southall à Londres,

en 2003. D’une capacité de trois mille fidèles, elle est la plus grande gurdwara en dehors

de l’Inde25. En 2006, il existait deux cent quatorze gurdwaras au Royaume Uni (cent

quatre-vingt-dix-neuf en Angleterre, trois au Pays de Galles, onze en Ecosse et une en

Irlande du Nord), contre une seule en 1951.

16 Sans surprise, chez les musulmans pakistanais et indiens, c’est également la perspective

de la fin de l’immigration de masse, au tournant des années 1960 et le développement

du regroupement familial par la suite qui sont à l’origine de l’augmentation du nombre

de fidèles et donc, de mosquées26. L’arrivée des East African Asians dans les années 1960

et 1970, quant à elle, a eu un impact démographique bien moindre que pour les Sikhs et

les Hindous, car les populations originaires du sous-continent indien installées au

Kenya, en Ouganda, en Tanzanie ou au Malawi comptaient peu de musulmans. Comme

pour les gurdwaras, l’installation des mosquées, de taille généralement beaucoup plus

conséquente que les lieux de culte pionniers mentionnés plus haut s’accéléra dans les

années 1970 : Manchester (1971-1972), Birmingham (1975), Londres (Mosquée centrale

de Regent’s Park, 1977) etc.27.

17 Il est à noter qu’à l’instar des gurdwaras , les mosquées (qui hébergeaient nombre

d’associations cultu(r)elles) étaient souvent construites ou aménagées dans des inner

cities où immeubles et terrains étaient relativement accessibles et où, en outre, vivaient

de nombreux immigrés. Dans ces quartiers, lieux de culte musulmans et sikhs avaient

parfois été précédés par des synagogues construites dans les années 1930, lorsque s’y

installèrent des Juifs d’Europe centrale et orientale qui fuyaient les persécutions

antisémites : ce fut le cas à Easton, inner city de Bristol, où une synagogue fondée dans

l’entre-deux-guerres côtoie mosquées et gurdwara. Ce schéma a prévalu dans de

nombreuses villes et le nombre de mosquées est estimé aujourd’hui à 159528, contre 600

en 199029.

Inhumation

18 Parmi les autres demandes exprimées assez tôt par les immigrés de confession

musulmane figurait en bonne place la prise en compte des spécificités de l’inhumation

dans l’islam (ensevelissement dans les vingt-quatre heures suivant le décès, orientation

de la tête du défunt vers la Mecque, absence de cercueil, notamment) à une époque où

le « mythe du retour », encore vivace dans les années 1970, s’estompait peu à peu30 et

où, par conséquent, commençait à se poser la question de l’enterrement des

musulmans au Royaume-Uni. Si cette préoccupation émergea vraiment dans les années

1980 avant de prendre une ampleur inédite dans les années 1990, elle s’était néanmoins

ponctuellement posée avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. En dehors du

cimetière attenant à la mosquée de Woking, le premier carré musulman fut créé en

1937 à South Shields31, non loin de Newcastle-upon-Tyne. Cinq ans plus tard, à

Birmingham, une Anglaise mariée à un musulman indien, Mary Amirullah, fit

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campagne pour la création d’un carré musulman, au sein du cimetière de Lodge Hill,

demande à laquelle la municipalité accéda en 1942, Jusqu’alors, dans les cimetières

paroissiaux, les rares musulmans étaient enterrés, comme tous les autres non-

anglicans, dans le carré réservé aux non-conformistes. Dans les cimetières municipaux,

ils l’étaient dans la section générale mais sans aucun signe distinctif32.

19 La question de l’inhumation ne se posa pas pour les Sikhs, en raison de la pratique

généralisée de la crémation (proscrite chez les musulmans) et de la dispersion des

cendres, le plus souvent dans des rivières ou dans la mer, mais aussi, parfois, dans un

lieu auquel le défunt était attaché33. La crémation sur des bûchers funéraires à ciel

ouvert, qui est la norme pour les Sikhs (et les Hindous) en Inde est interdite au

Royaume Uni, en vertu du Cremation Act de 1902. Bien que rares, des entorses à la loi ont

été commises, comme en 2006, lorsque la famille de Rajpal Mehat avait procédé dans

l’illégalité à sa crémation34. Néanmoins, une décision de la Court of Appeal rendue en

février 2010 risque de faire jurisprudence, puisque ce tribunal a reconnu à Davender

Ghai, leader religieux hindou, le droit d’être incinéré sur un bûcher à ciel ouvert35.

Cette décision ouvre donc la voie à de nouvelles demandes similaires, bien qu’elles

demeurent marginales et que la plupart des incinérations de Sikhs (et d’Hindous) aient

lieu dans des crématoriums classiques.

20 La prochaine partie portera sur les avancées dont musulmans et Sikhs ont bénéficié au

cours des dernières décennies. Elle comparera l’affirmation identitaire et la

construction communautaire de ces deux groupes religieux et analysera l’impact des

rapports avec la société dominante dans ce processus.

Modalités de mobilisation communautaire etreconnaissance publiqueLes affaires Rushdie & Behzti

21 Dans les années 1980, on assista à un frémissement dans l’apparition d’associations

musulmanes, qui, fréquemment, constituaient les branches de mouvements

transnationaux, implantés dans les pays musulmans ou dans des pays occidentaux où

vivaient désormais d’importantes populations musulmanes. Parmi elles, on pourra citer

Young Muslims (1984), émanation d’un mouvement transnational qui lança une

association équivalente en France en 1987 (Jeunes Musulmans de France) et Hizb ut-Tahrir

(1986), association controversée et teintée de radicalisme, branche du mouvement

éponyme fondé à Jérusalem en 1953.

22 Ces associations apparurent surtout à partir du milieu des années 1980, au terme d’une

période marquée par les émeutes urbaines de l’ère Thatcher, qui s’étalèrent de 1980 à

198536. Ces incidents, qui impliquèrent essentiellement de jeunes Noirs originaires de la

Caraïbe, servirent de caisse de résonnance aux revendications culturelles jusqu’alors

peu coordonnées de ce groupe et signala l’entrée dans le « multiculturalisme »,

transition facilitée par l’existence d’une matrice différentialiste mise en place par les

travaillistes dans les années 1960 et 197037.

23 Quasi absents des émeutes urbaines du début et du milieu des années 1980, les

Pakistanais, Bangladais et Indiens musulmans eurent, eux aussi, leur crise structurante,

qui les fit émerger en tant que « musulmans » : l’affaire Rushdie. Cette crise eut une

dimension internationale et même, transnationale. Elle éclata en 1988 avec la

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publication de Versets sataniques et culmina en février 1989 avec la fatwa de Khomeiny,

le leader iranien, appelant à l’exécution de l’auteur anglo-indien. Le refus du

gouvernement Thatcher d’interdire les Versets sataniques et celui de la Chambre des

Lords d’appliquer à l’islam38 les lois séculaires sur le blasphème, radicalisa une partie

des musulmans britanniques, qui accepta la fatwa et, peu à peu, s’érigea en

communauté39, même si Olivier Esteves observe qu’une majorité de musulmans fut tout

autant choquée par l’ouvrage de Rushdie que par la fatwa de Khomeiny40.

24 L’affaire Rushdie conféra aux musulmans britanniques une visibilité jusqu’alors inédite

et en fit une menace aux yeux de l’opinion, qui pour la première fois vraiment,

commença à les percevoir en tant que groupe religieux distinct (ce qui était déjà le cas

des Sikhs, et, dans une moindre mesure, des Hindous). Du jour au lendemain,

Pakistanais et Bangladais devinrent non seulement des musulmans, mais aussi, pour

une bonne partie de l’opinion, des extrémistes. Une partie de la mobilisation et de

l’action collective nées de la publication des Versets sataniques prit d’emblée une

tournure assez radicale, certes minoritaire mais amplement relayée dans les médias,

comme les propos désastreux de Iqbal Sacranie (leader national qui émergea lors de

cette crise), qui semblaient justifier la condamnation à mort de Salman Rushdie41. Un

autodafé eut lieu dans les rues de Bradford en janvier 1989, un mois avant la fatwa. Les

images de cet événement eurent, là aussi, un effet calamiteux, en créant des tensions

dans le monde musulman, et en convainquant nombre de Britanniques de la

dangerosité d’un groupe jusqu’alors invisible et désormais réduit à son identité

religieuse supposée. Les associations musulmanes laïques ou interconfessionnelles qui

condamnèrent ouvertement la fatwa et défendirent la liberté d’expression42 furent pour

l’essentiel ignorées par les grands médias nationaux qui cédèrent au sensationnalisme.

La crise contribua à la notoriété d’associations telles que the Bradford Council of

Mosques43, une des premières structures qui chercha à mobiliser les musulmans en tant

que groupe spécifique, à l’instar du Islamic Party of Britain, parti politique musulman

créé en 1989 et dont l’impact fut néanmoins minime.

25 Les centaines d’associations, le plus souvent locales et de petite taille, créées en

réaction à l’affaire Rushdie cherchèrent à se fédérer. Désunies et novices en politique,

les associations existantes au début de la crise n’avaient su faire suffisamment pression

sur les pouvoirs publics pour obtenir l’interdiction de l’ouvrage controversé. C’est à cet

effet que des structures temporaires furent créées, regroupant des associations le plus

souvent très conservatrices et des militants très majoritairement originaires du sous-

continent indien : UKACIA (United Kingdom Action Committee on Islamic Affairs) créée fin

1988, au tout début de la crise puis le NICMU (National Interim Committee on Muslim

Unity), en 1994 et qui deux ans après décida de la création d’une grande instance

représentative, le Muslim Council of Britain (MCB), officiellement lancée en 1997 avec le

soutien du gouvernement britannique, qui ne lui accorda toutefois pas de monopole sur

la représentation de l’islam44.

26 Même il ne s’agit évidemment pas de réduire la visibilité et l’affirmation identitaire

musulmanes à la seule affaire Rushdie ou de nier l’impact d’événements ultérieurs

(Guerres du Golfe, de Bosnie, d’Irak et d’Afghanistan, caricatures de Mahomet), il

demeure que la crise suscitée par la publication des Versets sataniques fut de loin la plus

structurante, puisque c’est celle qui donna corps à une « communauté » (même si son

homogénéité est illusoire) jusqu’alors faiblement identifiée et constituée. De nombreux

commentateurs ont dressé un parallèle entre la crise suscitée par les Versets sataniques

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et celle déclenchée en 2004, en plein débat sur le rôle de la religion dans la vie publique

par la pièce de théâtre Behzti (déshonneur, en pendjabi), souvent qualifiée d’« affaire

Rushdie sikhe »45, même si ces deux affaires intervinrent à des moments très différents

dans la structuration des deux communautés. L’auteure de Behzti, Gurpreet Kaur Bhatti,

sikhe elle-même, avait placé l’action de sa pièce dans une gurdwara, théâtre d’aventures

homosexuelles, viols et finalement, d’un meurtre perpétré à l’aide d’un kirpan, la petite

épée rituelle sikhe. Avant la première représentation, des représentants du Conseil des

gurdwaras de Birmingham firent part de leur inquiétude au Repertory théâtre de

Birmingham où la pièce devait être jouée. Conviés à une lecture de la pièce, ils

demandèrent à ce que l’action ne se déroule pas dans une gurdwara, mais dans un

centre communautaire. La direction du théâtre n’accéda pas à cette demande, qui,

selon elle, s’apparentait à une tentative de censure. Le soir de la première, le 18

décembre 2004, des échauffourées eurent lieu en marge d’une manifestation organisée

à l’appel des associations sikhes de la ville et regroupant 400 personnes. Un groupe

s’introduisit dans le théâtre, obligeant l’évacuation de 800 personnes (des familles, pour

l’essentiel), qui assistaient à un spectacle de Noël. Trois policiers furent blessés et trois

manifestants, interpelés. Le théâtre décida de déprogrammer les représentations,

tandis que Gurpreet Kaur Bhatti, menacée, dut se cacher et être placée

momentanément sous la protection de la police, comme Rusdhie quinze années

auparavant. Fiona MacTaggart, ministre du gouvernement Blair et députée de Slough,

refusa de critiquer la violence, tout en soulignant que la manifestation constituait « un

signe de liberté d’expression, qui fait éminemment partie de la tradition

britannique »46. Presse et médias audiovisuels s’emparèrent de l’affaire, provoquant un

nouveau débat sur la liberté d’expression. De nombreux artistes et intellectuels

exprimèrent leur soutien à la dramaturge dans les colonnes du Guardian.47 Salman

Rushdie lui-même critiqua la déprogrammation de la pièce, ainsi que la déclaration de

Fiona MacTaggart, emblématique, selon lui, de l’ambivalence du New Labour à l’égard de

la liberté d’expression, alors que les conservateurs l’avaient soutenu au moment de

l’affaire Rushdie48.

27 Néanmoins, la comparaison entre les deux affaires a ses limites. En effet, une lecture

moins superficielle des modes de mobilisation des deux groupes religieux révèle que le

caractère soudain et relativement unique de l’affaire Rushdie (qui se solda par un

échec) se distingue des crises multiples qui ont opposé les Sikhs à la société dominante

et dont la campagne victorieuse contre Behzti a été un des derniers avatars. Les

paragraphes suivants proposeront une lecture à rebours de cette lutte des Sikhs pour la

visibilité et la reconnaissance. Ils en analyseront les principaux épisodes et

comporteront des éléments de comparaison avec les musulmans lorsque cela sera

pertinent.

Des crises à répétition et un fonctionnement par à-coups :mode d’affirmation identitaire des Sikhs

28 Bien avant les Antillais et les musulmans, pourtant bien plus nombreux qu’eux, et

même, bien avant le tournant des années 1980, qui signala l’entrée dans le

multiculturalisme à proprement parler, les Sikhs surent se mobiliser et faire pression

sur les autorités afin d’affirmer leur identité. Cette mobilisation fut essentiellement le

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fait des Sikhs kesh-dari, c’est-à-dire, ceux qui ne se coupent ni cheveux ni barbe et

portent le turban. C’est précisément au nom du droit à porter le turban que quatre

campagnes s’enchaînèrent sur trois décennies.

29 La première campagne des turbans s’étala sur dix ans au total, à Manchester

(1959-1966) puis Wolverhampton (1967-1969). À l’origine de la première phase cette

campagne, le refus de la régie municipale des transports de Manchester de recruter un

contrôleur sikh, G.S. Sagar, en raison du turban qu’il portait. La toute récente gurdwara

de Manchester le soutint et mena une campagne de longue haleine (appels au boycott

des bus de la ville, manifestations etc.). Finalement, après d’âpres débats, le Council de

Manchester reconnut le droit des Sikhs à porter leur turban dans l’exercice de leurs

fonctions en 1966, un an après l’adoption du premier Race Relations Act et l’année même

où Roy Jenkins, Home Secretary de Harold Wilson, donna sa définition de l’intégration,

rejetant toute tentative d’« uniformisation » culturelle49.

30 La deuxième phase de cette campagne eut lieu dans les Midlands en 1967, à

Wolverhampton, dont une des circonscriptions, Wolverhampton South West, était alors

celle de Enoch Powell. Tarsem Singh Sandhu, chauffeur de bus sikh qui avait les

cheveux courts lors de son recrutement par le Council, revint au travail coiffé d’un

turban au terme d’un congé maladie, ce qui lui valut d’être licencié pour violation du

code vestimentaire de la compagnie. La campagne qu’il lança en réaction à cette

décision, revêtit une dimension locale, nationale et même, transnationale. Locale car,

ayant manifestement mal jaugé le personnage, la Indian Workers’Association de

Wolverhampton sollicita, en vain, Enoch Powell afin qu’il intervienne auprès de la

municipalité50. Nationale, car dans son célèbre discours apocalyptique de 1968, le ténor

conservateur fit spécifiquement référence aux revendications culturelles sikhes, en

citant, pour apporter de l’eau à son moulin, les propos du travailliste John Stonehouse,

alors ministre du gouvernement Wilson :

‘The Sikh communities' campaign to maintain customs inappropriate in Britain ismuch to be regretted. Working in Britain, particularly in the public services, theyshould be prepared to accept the terms and conditions of their employment. Toclaim special communal rights (or should one say rites?) leads to a dangerousfragmentation within society. This communalism is a canker; whether practised byone colour or another it is to be strongly condemned.' All credit to John Stonehousefor having had the insight to perceive that, and the courage to say it51.

31 Transnationale, car à l’issue de deux marches pacifiques qui rassemblèrent 5 000 Sikhs

à Wolverhampton, un leader communautaire local, Sohan Singh Jolly, menaça de

s’immoler par le feu, le 13 avril 1969, deux ans après le début du différend. Cette

menace suscita l’intervention du Haut-Commissaire indien, qui alerta le Council et le

gouvernement des répercussions que ce suicide pourrait avoir en Inde. Suite à cette

intervention, les règles furent changées, quatre jours avant l’expiration de l’ultimatum

de Singh Jolly.

32 Cette victoire sembla remise en question par l’entrée en vigueur, le 1er juin 1973, d’une

loi rendant obligatoire le port du casque pour les motocyclistes (Section 32 du Road

Traffic Act de 1972), ce qui obligeait donc les motards sikhs à ôter leur turban et donna

lieu à la deuxième campagne des turbans (1973-1976). Après la fin de non-recevoir

opposée à une délégation reçue au Ministère du Transport, la campagne monta en

puissance, un candidat sikh se présentant même à Ealing lors de l’élection générale de

1974, avec pour tout programme l’obtention d’une dérogation pour ses

coreligionnaires. Ce candidat, Baldev Singh Chahal, avait préalablement saisi la High

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Court, qui avait confirmé que les Sikhs étaient bien soumis à la loi, concluant en

substance que c’était leur religion et non pas la loi britannique qui les empêchait de

conduire une moto. La Cour Européenne des Droits de l’Homme, également saisie,

conclut que l’interférence éventuelle avec la liberté religieuse était justifiée par des

impératifs de sécurité et de santé52.

33 Le gouvernement travailliste de Harold Wilson finit par accorder cette exemption, avec

le Motor-Cycle Crash Helmets (Religious exemption) Act en 1976, année de l’adoption du

troisième Race Relations Act. Elle fut par la suite confirmée sous les conservateurs, en

1988 (Road Traffic Act). Ce débat, bien que largement symbolique compte tenu du

nombre très limité de motocyclistes parmi les Sikhs kesh-dari, eut un écho important et

illustrait bien les clivages émergents au sein de la société britannique au sujet du

« multiculturalisme », même si le terme n’avait pas encore cours outre-Manche. Pour

protester contre la dérogation accordée aux Sikhs deux motards « chrétiens » se

coiffèrent d’un turban pour piloter leur deux-roues, l’un d’entre eux étant même coiffé

de ce couvre-chef lors de son procès53.

34 La troisième campagne des turbans débuta en 1978 et se conclut en 1983 par une

décision de justice décisive dans le processus de construction communautaire des Sikhs

de Grande-Bretagne, et, au-delà, à travers le monde. Un élève sikh, Gurinder Singh

Mandla qui souhaitait poursuivre sa scolarité dans un établissement privé de

Birmingham, Park Grove School, vit sa candidature rejetée, car son turban contrevenait

aux règles de l’école en matière d’uniforme. Le père de l’adolescent porta plainte pour

discrimination raciale auprès de la Commission for Racial Equality. L’instance utilisa cette

affaire pour tester la notion de discrimination indirecte54, concept identifié deux ans

auparavant par le Race Relations Act de 1976. En première instance, la county court rejeta

la plainte au motif que le port du turban ne constituait qu’une pratique religieuse,

étrangère donc à toute discrimination raciale55. Cette décision fut confirmée en 1982

par la Cour d’appel, dont le Président tourna en ridicule la plainte déposée :

The right not to be discriminated against must give way to the beliefs and free willof others. If persons wish to insist on wearing bathing suits, they cannot reasonablyinsist on admission to a nudist colony; similarly people who passionately believe innudism cannot complain if they are not accepted on ordinary bathing beaches56.

35 L’affaire Mandla mobilisa énormément au Royaume-Uni, où se déroulèrent de

nombreuses manifestations à Birmingham et Londres, dont une de 40 000 personnes à

Hyde Park, en octobre 1982. Elle mobilisa également au Pendjab, où le SAD, principal

parti sikh qui faisait alors campagne pour une plus grande autonomie politique des

Sikhs, en fit un symbole. La Commission for Racial Equality et la famille Mandla saisirent

la Chambre des Lords, qui, le 23 mars 1983, donna raison aux plaignants et reconnut

aux Sikhs57 le statut de groupe ethnique, en raison d’une longue histoire commune, qui

les distingue des autres groupes et d’une tradition culturelle spécifique, souvent mais

pas exclusivement associée à la pratique religieuse. Cette décision historique conférait

donc aux Sikhs, à l’instar des Juifs, le statut double de minorité religieuse et raciale,

reconnu depuis à aucun autre groupe religieux, hindous et musulmans compris. Cette

victoire allait ouvrir aux Sikhs de nouveaux droits et exemptions, même si clairement

la lutte se poursuivait, conformément à la stratégie de l’à-coup et de la victoire

symbolique.

36 La dernière campagne des turbans à ce jour s’est achevée à la fin de l’ère Thatcher,

lorsque par le biais de la Section 11 du Employment Act de 1989 le gouvernement accorda

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aux Sikhs employés du secteur de la construction une dérogation relative au port du

casque de chantier, obligatoire depuis 197958. Cette concession, qui intervint en pleine

affaire Rushdie, fit suite à une campagne très habilement menée par la British Sikh

Association dans les gurdwaras et la presse pendjabie. Lorsqu’elle fut remise en cause par

une directive européenne sur le port obligatoire de casques de chantiers par les

travailleurs censée entrer en vigueur en 1992, le Royaume-Uni négocia une exception,

qui ne s’appliquait qu’aux travailleurs du bâtiment, en raison du nombre important de

Sikhs dans ce secteur (40 000 environ, à l’époque)59.

Place des Sikhs et des musulmans dans le systèmescolaire

37 L’issue de Mandla Vs Dowell Lee avait montré que la place des Sikhs dans le système

scolaire constituait un élément moteur dans leur affirmation identitaire et leur

reconnaissance par la société dominante. Comme nous allons le voir, l’école continue à

jouer ce rôle, pour les Sikhs, mais aussi pour les musulmans. Si l’immense majorité des

Sikhs fréquentent des écoles d’État (et pour certains, des écoles privées ou sous-contrat

non-sikhes) il existe aussi plusieurs écoles sikhes privées, notamment dans les Midlands

et dans la région de Londres. En 1999, l’une d’entre elles, Guru Nanak Sikh College, à

Hillingdon, Londres, fondée en 1993, fut la première à recevoir des financements

publics, avant d’être rejointe en 2006 par un établissement de Slough (localité qui, avec

ses 10 000 Sikhs, fait partie des « Petits Pendjabs »).

38 Les écoles musulmanes privées, quant à elles, ont vu leur nombre fortement augmenter

dans les années 1990 et 2000, même si in fine, les 115 écoles recensées n’accueillent

qu’1 % des élèves de confession musulmane60. Les premières demandes de financement

public furent formulées par des établissements musulmans à la fin des années 1980. Le

gouvernement Blair accéda aux deux premières demandes en 1998. On compte

aujourd’hui huit établissements musulmans « sous contrat », l’apparition

d’établissements confessionnels que Tony Blair entendait un temps promouvoir ayant

été sérieusement contrariée par les heurts interethniques de l’été 2001, les attentats du

11 septembre et le virage « intégrationniste » qui les a suivis.

39 La question du code vestimentaire de certains musulmans a suscité moins de

controverses chez les garçons musulmans que chez leurs homologues sikhs, dans la

mesure où, a priori ils sont moins concernés par le port de signes religieux.

Ponctuellement, néanmoins, le port d’une barbe fournie chez des garçons de 17-18 ans

a pu être controversé dans certains établissements. La question du voile islamique pour

les filles n’est pas jugée problématique en soi, mais, au cours des dernières années, des

mesures ont été prises pour autoriser les chefs d’établissement à interdire le port de

voiles intégraux61(ou, du moins, très couvrants) et on a assisté à des exclusions

définitives d’élèves ou à des licenciements d’enseignantes pour ce motif62. Cette fermeté

relative ne doit cependant pas occulter le fait que des aménagements, parfois très

significatifs, ont été mis en place au cours des dernières années afin d’aider les élèves

musulmans qui le souhaitent à mieux vivre leur foi au sein des écoles d’État. En 2007, le

Muslim Council of Britain, principale instance représentative musulmane, a publié un

guide destiné aux chefs d’établissement, recommandant, entre autres, que le port du

voile islamique ou de la barbe soit toléré, que filles et garçons soient autorisés à porter

un survêtement plutôt qu’un short en cours d’éducation physique etc. Ce fascicule

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préconisait également l’aménagement de salles de prière, y compris de salles non-

mixtes si des élèves, leurs parents ou des enseignants musulmans en formulaient la

demande63. De nombreux établissements ont accédé à de telles revendications, même

lorsqu’elles étaient marginales, comme Fairfield High, par exemple, à Bristol, qui, en

outre, a décidé de relayer dans l’enceinte de l’établissement les appels à la prière du

vendredi pendant la période de Ramadan64, en contradiction flagrante tant avec les

objectifs de la community cohesion, qu’avec la fermeté affichée par ailleurs envers

d’autres pratiques culturelles ou coutumes musulmanes.

40 Malgré les victoires acquises par les Sikhs à la faveur des diverses campagnes des

turbans, l’autorisation sous certaines conditions du port du kirpan65 dans les écoles

britanniques peut légitimement laisser perplexe, surtout au vu du débat de ces dernière

années sur la présence inquiétante de couteaux dans les établissements scolaires outre-

Manche66 et le projet du gouvernement Brown, finalement peu appliqué, d’installer des

détecteurs de métaux à l’entrée des écoles67. Cette exemption surprenante, justifiée au

nom du Race Relations (Amendment) Act de 2000, est laissée à la discrétion du chef

d’établissement, qui doit rencontrer les élèves concernés et leurs parents et leur

conseiller le port d’un kirpan symbolique, en plastique. En cas de refus, le port d’un

kirpan métallique à bout arrondi est proposé. Si la famille s’y oppose, un vrai kirpan est

autorisé à titre dérogatoire et sous diverses conditions. La taille et le type du kirpan est

alors déterminée entre le chef d’établissement et la famille, le maximum autorisé étant

de 8 pouces (soit 20,32 cm), lame incluse. Il est à noter que ce port n’est autorisé que

pour les Sikhs dits baptisés, les amrit-dhari, comme en atteste le texte suivant, daté de

juin 2010 et émanant de l’autorité locale de Milton Keynes, dans le Buckinghamshire :

If a Kirpan is worn in school it should be:- restricted to pupils who have gone through the Amrit Pahul ceremony;- sheathed and secured, so that it cannot be withdrawn in school. This may besoldered or sewn into a purpose-made pouch;- hidden at all times, worn under clothing and bound to the body with a long strapof fabric (kamarkassa) […]- securely locked up by the school if removed by a pupil for whatever reason. […]68.

41 Bien que la distinction entre sphère publique et sphère privée, qui régit la place de la

religion en France, soit infiniment plus perméable outre-Manche et que les

établissements privés, sous contrat et même publics soient très majoritairement

confessionnels, on ne peut être que très surpris que collèges ou lycées d’Etat exigent un

« certificat de baptême » afin de valider l’autorisation de porter un kirpan, même si le

port de cet attribut symbolique illustre une nouvelle fois le combat de longue haleine

mené par les Sikhs pour la reconnaissance de leurs spécificités culturelles. En effet,

aussi surprenant que cela puisse paraître, une exemption accordée aux employés

d’aéroport pour leur permettre de porter le kirpan dans l’exercice de leur fonction par

le gouvernement Thatcher en 1979 et confirmée en 1988 demeure également valable

dans le contexte hyper-sécuritaire de l’après-11 septembre69, malgré le tollé qu’une

telle dérogation a suscité au sein des syndicats de pilotes de ligne.

Conclusion

42 Au vu de cet état des lieux partiel et des pistes de comparaison ébauchées dans cet

article, il apparaît que chacune des communautés a réussi un tour de force : les

musulmans, celui d’émerger en tant que communauté en l’espace de quelques années,

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voire quelques mois à peine, même si cette visibilité s’est effectuée au prix d’une

stigmatisation et d’une suspicion durables ; les Sikhs celui, très paradoxal, de devenir

de plus en plus visibles du point de vue ethnique et religieux, tout en restant, dans une

grande mesure, invisibles aux yeux de l’opinion et, pour l’essentiel, absents du discours

politique contemporain critique à l’égard du multiculturalisme, qui tend à se focaliser

exclusivement sur la place de l’islam et des musulmans au Royaume-Uni et à ignorer la

question du communautarisme sikh, pourtant pas toujours exempt de dérapages,

comme lors de l’affaire Behzti en 2004.

43 Même s’il ne s’agit pas de nier la réalité de certains aménagements dont ont pu

bénéficier les musulmans, y compris dans le contexte de l’après-11 septembre, on a tout

de même l’impression que les autorités britanniques jugent les revendications sikhes

beaucoup moins problématiques que celles des musulmans. On peut légitimement se

demander si, par exemple, la question du kirpan aurait été traitée de la même manière

si cette petite épée avait été l’attribut d’une minorité de musulmans.

44 Quelles sont donc les raisons de cette différence d’attitude et de l’efficacité redoutable

de l’action collective des Sikhs du Royaume-Uni ?

45 Tout d’abord, le fameux lien séculaire anglo-sikh remontant à l’époque coloniale ne

saurait être négligé, même s’il semble avoir été largement construit a posteriori. En

deuxième lieu, l’homogénéité culturelle, linguistique et ethnique des Sikhs est sans

commune mesure avec celle des musulmans et a également joué un rôle dans

l’efficacité de l’action collective de ce groupe, même si les clivages et rivalités

(notamment de castes) qui traversent les Sikhs du Royaume-Uni sont très souvent sous-

estimés et trouvent d’ailleurs une illustration dans les difficultés rencontrées par les

instances représentatives sikhes. En effet, les diverses tentatives pour créer une

instance représentative relativement consensuelle et reconnue des pouvoirs publics a

échoué. Si diverses fédérations (Sikh Human Rights Group, Network of Sikh Organisations,

Sikh Secretariat) affirment parler au nom de l’ensemble de la communauté, c’est le

factionnalisme qui domine. À tout pendre, l’instance qui a établi les contacts les plus

constants avec le gouvernement semble être la Sikh Federation, bien qu’elle n’ait jamais

atteint l’influence et la relative légitimité dont put se prévaloir le Muslim Council of

Britain sous les deux premiers mandats de Tony Blair (1997-2005), période où l’instance

parvint à convaincre le gouvernement d’ajouter une question sur l’affiliation religieuse

dans le recensement, alors que par contraste, à ce jour, les associations sikhes n’ont pu

obtenir la création d’une catégorie ethnique « Sikh » qui leur permettrait de ne pas se

définir comme « Indien ». Troisièmement, les Sikhs, bien que beaucoup moins

nombreux que les musulmans (et que les Antillais) ont su d’emblée se mobiliser, sans

doute parce que ce groupe, en Inde70 comme dans les anciennes colonies britanniques

d’Afrique de l’Est où plusieurs dizaines de milliers s’étaient implantés à l’époque

impériale, a toujours constitué une minorité, avec tous les réflexes de défense qu’un tel

statut implique. À cet égard, on se souviendra par exemple des réactions de la

minuscule communauté sikhe de France au moment de l’annonce puis de l’entrée en

vigueur de la loi de 2004 sur les signes religieux dans les établissements scolaires

publics. La stratégie des Sikhs outre-Manche est, comme nous l’avons vu, celle de la

crise permanente et de l’à-coup, chaque victoire (dont la portée peut parfois passer

pour symbolique, voire anecdotique, comme dans le cas des casques de moto) leur

ayant permis d’affirmer leur identité et d’asseoir davantage leur présence au Royaume-

Uni. La dernière raison découle directement de la précédente : il s’agit d’une

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

149

communauté numériquement moins importante que la « communauté musulmane », et

donc, sans doute, moins anxiogène, surtout si l’on garde à l’esprit que la gestion d’une

masse numérique problématique a été au cœur du couplage des politiques

d’immigration avec des mesures d’intégration dès le début des années soixante et que

la peur de voir le Royaume-Uni submergé par des populations et/ou des cultures

différentes est une constante du discours xénophobe britannique, de Enoch Powell à

Nick Griffin, en passant par Margaret Thatcher et Winston Churchill Junior.

NOTES

1. En raison du format imparti, les questions socio-économiques, qui, à elles seules pourraient

justifier un article entier, ne seront pas (ou très peu) abordées.

2. Focus on Religion, London : Office of National Statistics, 2004, [http://www.statistics.gov.uk/

downloads/theme_compendia/for2004/FocusonReligion.pdf] (lien actif le 1er juin 2011).

3. Richard KERBAJ, « Muslim Population rising ‘ten times faster than the rest of society’», The

Times, 30 January 2009. [http://www.timesonline.co.uk/tol/news/uk/article5621482.ece]

4. Soit : 43% de Pakistanais / Britanniques d’origine pakistanaise ; 16% de Bangladais /

Britanniques d’origine bangladaise ; 8% d’Indiens / Britanniques d’origine indienne ; 6% d’autres

« Asiatiques » (originaires notamment du Sri Lanka ou d’Afghanistan) Source : Focus on Religion,

[http://www.statistics.gov.uk/downloads/theme_compendia/for2004/ FocusonReligion.pdf], p.5

5. [http://www.muslimsinbritain.org/resources/masjid_report.pdf] (lien actif le 20 mai 2011)

6. Comme en témoigne le somptueux Ismaili Centre de Londres (South Kensington) inauguré en

1985 par Margaret Thatcher.

7. On en compte 278 000 au Canada, 250 000 aux États-Unis, mais à peine 4000 en France. Source :

Gurharpal SINGH & Darshan SINGH TATLA, Sikhs in Britain : The Making of a Community, London /

New York : Zed Books, 2006, p. 32.

8. Richard KERBAJ, « Muslim Population rising ‘ten times faster than the rest of society’ », The

Times, 30 January 2009. [http://www.timesonline.co.uk/tol/news/uk/article5621482.ece]

9. Denis MATRINGE, « Sikhs », CD-ROM Universalis Version 4, (Paris : Encyclopaedia Universalis,

1998).

10. SINGH & SINGH TATLA, p. 127.

11. SINGH & SINGH TATLA, p. 130.

12. Ainsi, en 1919, Akali Dal (« Armée de l’Eternel »), une organisation prônant le retour aux

sources du sikhisme, obtint une victoire importante contre les mahants, religieux corrompus à

qui les Britanniques avaient confié la gestion de leurs temples. Beaucoup de Sikhs entrèrent dans

le mouvement national, pris en tenaille entre un Congrès très majoritairement hindou et la

Muslim League de Jinnah.

13. Harry GOLDING, The Wonder Book of Soldiers for Boys and Girls, third edition, London : Ward Lock

& Co Limited, 1922, p. 120.

14. SINGH & SINGH TATLA, p. 44.

15. SINGH & SINGH TATLA, p. 69.

16. Voir par exemple Patricia JEFFERY, Migrants and Refugees :Muslim and Christian Pakistani

Families in Bristol, Cambridge : CUP, 1976.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

150

17. Nada AFIOUNI, " Les cimetières britanniques à l'image du multiculturalisme britannique?" in

Sexe, Race et Mixité, Michel PRUM (dir), Paris : L'Harmattan, collection “Racisme et eugénisme”,

2011.

18. La Central Mosque de Londres n’allait être inaugurée qu’en 1977.

19. SINGH & SINGH TATLA, p. 70.

20. Olivier ESTEVES, De l’invisibilité à l’islamophobie : les musulmans britanniques (1945-2010), Paris :

Presses Universitaires de Sciences Po, 2011, p. 90.

21. On a alors de beat-the-ban immigration pour désigner cette course contre la montre.

22. Ceri PEACH & Richard GALE, ‘Muslims, Hindus and Sikhs in the New Religious Landscape of

England’, The Geographical Review, 93:2, 469-90, cité dans Singh & Singh Tatla, p. 58

23. SINGH & SINGH TATLA, p. 63.

24. Ibid.

25. SINGH & SINGH TATLA, p. 69.

26. Olivier ESTEVES, De l’invisibilité à l’islamophobie : les musulmans britanniques (1945-2010), op.cit.,

p. 91.

27. Ibid., p. 92

28. « UK Mosque Statistics », 16 March 2011 [http://www.muslimsinbritain.org/resources/

masjid_report.pdf] (lien accessible le 15 juin 2011).

29. Olivier ESTEVES, De l’invisibilité à l’islamophobie : les musulmans britanniques (1945-2010), op.cit.,

p. 93.

30. Ibid., pp. 69-85.

31. Nada AFIOUNI, « Les cimetières britanniques à l'image du multiculturalisme britannique? » in

Sexe, Race et Mixité , Michel PRUM (dir), Paris, L'Harmattan, collection “Racisme et eugénisme”,

2011.

32. Ibid.

33. « Commemorating death in Staffordshire : Sikh funerals » [http://

www.staffspasttrack.org.uk/exhibit/ilm/Mourining%20and%20Remembrance/

Types%20of%20funerals/Sikh%20Funerals.htm] (lien acessible le 15 juin 2011)

34. Sam JONES, « Police say Sikh funeral pyre may have broken cremation laws », The Guardian,

Thursday 13 July 2006.

35. Jerome TAYLOR, « Hindu healer wins funeral pyre battle », The Independent, Wednesday,

10 February 2010. [http://www.independent.co.uk/news/uk/home-news/hindu-healer-wins-

funeral-pyre-battle-1895116.html].

36. On pourrait y ajouter les émeutes de Southall, le 23 avril 1979, qui eurent lieu quelques jours

avant l’élection de Margaret Thatcher (4 mai 1979), bien qu’elles aient eu une physionomie assez

différente : heurts violents entre militants d’extrême droite et manifestants antiracistes dans un

quartier où réside une des plus fortes concentrations de populations originaires du sous-

continent indien du pays.

37. Pour plus de détail, voir Vincent LATOUR, « Les métamorphoses du multiculturalisme

britannique », Revue Française de Civilisation Britannique, Volume XIV N° 3, Le défi multiculturel en

Grande- Bretagne, sous la direction de Gilbert MILLAT, Paris : Presses de la Sorbonne Nouvelle,

décembre 2007.

38. Le délit de blasphème ne fut cependant aboli qu’en 2008, avec l’adoption du Criminal Justice and

Immigration Act.

39. Anthony MC ROY, From Rushdie to 7/7. The Radicalisation of Islam in Britain, London: Social

Affairs Unit, 2006, p. 2

40. Olivier ESTEVES, op. cit., p. 145.

41. « Rushdie broke Islamic Pact », The Guardian, 17 December 1991.

42. Stella ETCHEPARE , «Ruptures et dissensions au sein de la communauté musulmane

britannique: quand les musulmans mettent en garde contre les dérives intégristes », Lucienne

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

151

Germain & Didier Lassalle (dir.), Les relations interethniques dans l’aire anglophone: entre

collaboration(s) et rejet(s), Paris : L’Harmattan, 2009, p. 69.

43. John SOLOMOS, Race and Racism in Britain (2nd edition), London: Macmillan, 1993, p. 223.

44. D’autres associations, radicales mais « participationnistes » (c'est-à-dire ne rejetant pas le

dialogue avec les pouvoirs publics) ont été consultées à plusieurs reprises : Islamic Human Rights

Commission, Muslim Association of Britain, Mawdudist Network ; Muslim Public Affairs

Committee etc.

45. SINGH & SINGH TATLA, p. 138.

46. SINGH & SINGH TATLA, p. 140. (traduction de l’auteur)

47. « Theatre community defends 'courageous' Birmingham Rep », The Guardian, Tuesday 21

December 2004, [http://www.guardian.co.uk/uk/2004/dec/21/arts.religion]

48. SINGH & SINGH TATLA, p. 140.

49. Pour plus de détails, voir Vincent LATOUR, « La communauté musulmane : une émergence tardive mais

une installation durable dans le paysage politique et institutionnel britannique », Hérodote n° 137, revue

de géopolitique, «Géopolitique des Iles britanniques », sous la direction de Béatrice Giblin et Yves Lacoste.

Paris : Edition La Découverte, juin 2010.

50. SINGH & SINGH TATLA, p. 127.

51. « Enoch Powell's 'Rivers of Blood' speech », The Daily Telegraph, 6 November 2007. [http://

www.telegraph.co.uk/comment/3643826/Enoch-Powells-Rivers-of-Blood-speech.html] (lien actif

le 17 juin 2011).

52. POULTER, Ethnicity, Law and Human Rights, 293-297, cité dans SINGH & SINGH TATLA, p. 129.

53. SINGH & SINGH TATLA, p. 130.

54. La candidature de l’élève n’avait pas été rejetée parce qu’il était sikh mais parce qu’il portait

un turban.

55. SINGH & SINGH TATLA, p. 132.

56. All England Law Report, Vol. 3, London : Butterworth & Co, 1983, 1062, cité dans SINGH & SINGH

TATLA, p. 132.

57. Justifiant ainsi l’emploi d’une majuscule pour le substantif.

58. « Any attempt to wear a safety helmet…..[which] would , by virtue of any statutory provision or rule of

law, be imposed on a Sikh who is on a construction site shall not apply to him at any time when he is

wearing a turban.», cité dans SINGH & SINGH TATLA, p. 134.

59. SINGH & SINGH TATLA, p. 135.

60. Rob BERKELEY (with research by Savita Vija), Right to Divide? Faith Schools and Community

Cohesion, London : Runnymede Trust, December 2008. [http://www.runnymedetrust.org/

uploads/publications/Summaries/RightToDivide-Summary.pdf] (lien actif le 17 juin 2011)

61. Patrick WINTOUR, « Minister gives schools right to ban Muslim veil », The Guardian,

Tuesday 20 March 2007. (17 juin 2011).

62. En 2003, Shabina Begum alors âgée de 13 ans, fut exclue d’un établissement de Luton, Denbigh

High School, pour port du jilbab (qui n’occulte pas le visage mais dissimule l’ensemble de corps et

la chevelure). L’élève gagna son procès contre l’école en première instance, avant de perdre en

appel puis à la Chambre de Lords, qui, en mars 2006, jugea que son exclusion ne contrevenait pas

au Human Rights Act de 1998. Avec prudence, les Lords dirent que ce jugement n’avait ni portée

générale, vocation à se prononcer sur les prescriptions vestimentaires en vigueur chez les

musulmans. [http://www.publications.parliament.uk/pa/ld200506/ldjudgmt/jd060322/

begum-1.htm] (17 juin 2011). Par ailleurs, en novembre 2006 Aishah Azmi fut licenciée pour port

du niqab par l’autorité locale de Kirklees qui l’employait en qualité d’auxiliaire d’enseignement

avant d’être déboutée à deux reprises par la justice. A l’occasion de l’affaire Azmi Vs Kirklees

MBC, le Premier ministre Tony Blair commenta, contrairement à la coutume, la décision de

justice pour dire qu’il approuvait le licenciement de la jeune femme.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

152

63. Towards Greater Understanding. Meeting the needs of Muslim pupils in state schools. Information and

Guidance for Schools, London: MCB, 2007, p. 26. [http://www.mcb.org.uk/downloads/

Schoolinfoguidancev2.pdf] (17 juin 2011).

64. Pour plus de détails, voir Vincent LATOUR, Revue Hérodote n° 137, juin 2010.

65. Petite épée faisant partie des cinq préceptes du sikhisme (« les cinq k »). Elle est l’attribut

exclusif des amrit-dhari, parfois appelés « Sikhs baptisés » (baptised Sikhs).

66. Voir par exemple Judith KNEEN,« Why do so many young people carry knives? », The

Guardian, Tuesday 13 June 2006. [http://www.guardian.co.uk/education/2006/jun/13/

learnlessonplans.secondaryschools] (lien accessible le 5 juin 2011).

67. Rosa PRINCE, « Metal detectors in schools to stop knife crime », Daily Telegraph, 21 January

2011.

68. « Key Messages concerning the Kirpan (a ceremonial sword in Sikhism): Guidance for

Schools », [www.miltonkeynes.gov.uk/.../

Guidance_on_Wearing_the_Kirpan_for_schools_May_2010.doc] (lien accessible le 17 juin 2011).

69. À condition, toutefois, que la lame soit dissimulée sous les vêtements et que le kirpan ne

puisse pas être arraché.

70. Les vingt millions de Sikhs y représentent environ 2% de la population totale (soit 20 millions

environ). Leur statut légal de minorité au Pendjab, le berceau historique de cette religion est en

revanche controversé, depuis que la Cour Suprême indienne a refusé de leur reconnaître ce

statut en 2008.

RÉSUMÉS

Au cours de la décennie passée (émeutes interethniques dans le Nord et les Midlands, attentats

du 11 septembre et du 7 juillet 2005), le débat politique, universitaire et médiatique sur le

multiculturalisme en tant que mode d’incorporation s’est focalisé de manière quasi exclusive

(voire, obsessionnelle) sur la place de l’Islam et des musulmans dans la société britannique. A cet

égard, le discours prononcé à Munich par David Cameron le 5 février 2011, si abondamment

commenté, illustre l’ampleur de cette fixation, mais également sa permanence depuis les

attentats du 11 septembre, voire depuis l’affaire Rushdie. En effet, l’irruption de la

« communauté musulmane » sur le devant de la scène politico-médiatique britannique à la fin

des années 1980 suite à la publication des Versets Sataniques tend à occulter la mobilisation

coordonnée et constante des Sikhs du Royaume-Uni au cours des cinquante dernières années. Ils

devancèrent largement les musulmans et les autres groupes minoritaires issus de l’immigration

dans la formulation des demandes de reconnaissance culturelle.

Dix ans après les débuts de la remise en cause du « consensus multiculturel » né des émeutes des

années 1980, il semble opportun de s’interroger sur deux stratégies distinctes de la visibilité, afin

d’en identifier points de divergence et de convergence.

Cet article s’articulera autour de deux grandes parties. La première dressera un historique de

leur présence au Royaume-Uni et s’intéressera aux prémices des visibilités musulmane et sikhe

outre-manche, notamment par le biais des aspects cultuels. La deuxième tentera de mettre en

parallèle les modalités de structuration communautaire et de demande de reconnaissance

publique de ces deux groupes, y compris dans un contexte de profonde remise en cause

apparente du multiculturalisme.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

153

Over the past decade (interethnic riots in the North and the Midlands, 9/11 et 7/7/2005), the

political academic and media debate on multiculturalism as a mode of incorporation has focused

almost exclusively (or indeed, obsessively) on the place of Islam and Muslims in British society.

David Cameron’s Munich speech (5 February 2011), which has been so abundantly commented

upon, illustrated the extent of that focalisation, as well as its permanence since 9/11 or indeed,

since the Rushdie Affair. As a matter of fact, the sudden emergence of the ‘Muslim community’ to

the fore of the British political and media scene at the end of the 1980s following the publication

of Rushdie’s Satanic Verses has tended to overshadow the Sikhs’ remarkably consistent and co-

ordinated mobilisation over the past fifty years. Indeed, they preceded Muslims and other

minority groups in the formulation of cultural demands.

A decade after the beginning of the questioning of the ‘multicultural consensus’, it seems both

relevant and timely to look into two distinct visibility strategies, in order to identify both

divergences and convergences. This paper will be divided into two parts. First, a historical record

of the presence of Sikhs and Muslims in Britain shall be drawn, with a special reference to

worship-related aspects, which provided early signs of both communities’ visibility across the

Channel. Then, part two shall endeavour to compare the Sikhs’ and Muslims’ modes of

community mobilisation and the way each group has managed to formulate cultural demands,

including in a context characterised, seemingly, by a profound questioning of multiculturalism.

AUTEUR

VINCENT LATOUR

Vincent Latour est Maître de conférences en civilisation britannique à l’Université Toulouse 2 -

Le Mirail et membre de l’équipe EEE (Europe, Européanité, Européanisation, FRE 3392/CNRS). Ses

travaux s’inscrivent dans une démarche comparatiste et portent notamment sur la gestion de la

diversité en Grande-Bretagne et en Europe. Parmi ses dernières publications, on notera sa

contribution à l’ouvrage collectif Les politiques de la diversité. Expériences anglaise et américaine,

(« Bristol : un multiculturalisme moribond »), sous la direction de Denis Lacorne, Emmanuelle Le

Texier & Olivier Esteves, Paris : Presses Universitaires de Science Po, avril 2010, ou à la Revue

Hérodote (« Conditions de l’émergence et de l’installation durable de la communauté musulmane

dans le paysage politique et institutionnel britannique »), Hérodote n° 137, « Géopolitique des Iles

britanniques », sous la direction de Béatrice Giblin et Yves Lacoste. Paris : Edition La Découverte,

juin 2010. Il dirige par ailleurs, depuis 2010, le séminaire de l’équipe Europe, Européanité,

Européanisation sur les signes religieux dans l’espace public en Europe.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

154

L’insertion professionnelle desjeunes issus de l’immigration :enjeux et politiques publiques enGrande-Bretagne et en FranceHelping Ethnic Minority Youth in the Labour Market: Problems and Policies in

Britain and France

Corinne Nativel

NOTE DE L’AUTEUR

L’auteure tient à remercier Francesca Froy et Lucy Pyne du Programme LEED de l’OCDE

pour leur autorisation à diffuser une partie des résultats de l’étude « Fulfilling Promise »

dans le cadre de cet article ainsi que John Blackmore, le directeur d’Action Acton pour

le partage de ses données. Mes remerciements vont également aux professionnels de

l’action sociale et aux jeunes ayant pris part à l’étude ainsi qu’à Nick Palmer du Office for

National Statistics pour la mise à disposition de données du Labour Force Survey.

In ten years’time, ethnic minority groups should

no longer face disproportionate barriers to

accessing and realising opportunities for

achievement in the labour market.1

It is a tragedy that, when the economy was

booming and New Labour was in its pomp and

power, the government was unwilling to focus

specifically on disproportionately high levels of

black and Muslim youth unemployment.2

1 L’insertion professionnelle des jeunes issus de l’immigration revêt des enjeux

considérables des deux côtés de la Manche. Dans les deux pays, les enfants d’immigrés

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

155

subissent de fortes « pénalités », qui se traduisent par des difficultés d’accès ou de

progression sur le marché du travail, tout particulièrement en raison de

discriminations ethno-raciales et de relégation dans des quartiers urbains défavorisés.

Les recensements, enquêtes et statistiques de l’INSEE et de l’INED en France et de

l’Office National des Statistiques en Grande-Bretagne indiquent que le taux de chômage

de ces jeunes est en moyenne systématiquement deux fois supérieur à celui de leurs

homologues blancs, même lorsque la conjoncture s’améliore. Lorsqu’elle se détériore,

comme c’est le cas depuis 2008, ils sont nettement plus touchés et leur avenir est

durablement compromis. Avant d’approfondir et d’étayer ces propos, il conviendrait en

tout premier lieu de préciser nos questionnements et hypothèses.

Insertion et intégration : opposition ou convergencedes modèles ?

2 Depuis une dizaine d’années, le chômage et l’insertion professionnelle des jeunes et des

travailleurs immigrés reçoivent une attention considérable au sein de l’analyse des

politiques publiques. On constate toutefois que ces populations font rarement l’objet

d’un « décloisonnement », puisque les descendants d’immigrés sont implicitement

inclus dans l’une ou l’autre catégorie. De plus, les rares ouvrages et travaux consacrés à

l’insertion professionnelle des jeunes issus de minorités ethniques et de l’immigration3

traitent essentiellement de la question au prisme de l’État-nation, de son modèle

d’intégration et de ses institutions, sans pour autant adopter de perspective

comparative4. L’état des savoirs dans le domaine de l’étude comparative des politiques

d’intégration pourrait a priori nous amener à formuler l’hypothèse d’une divergence

entre la Grande-Bretagne et la France. En effet, le postulat encore très répandu consiste

à opposer le modèle multiculturel britannique favorisant la prise en compte de la

diversité ethnique sur le marché du travail au modèle français fondé sur la citoyenneté

républicaine et le droit commun qui exclut toute distinction de race ou d’origine. La

confrontation de ces deux modèles pourrait laisser présager des contrastes saisissants

quant aux dispositifs retenus en matière d’insertion et d’accompagnement vers et dans

l’emploi. Existe-t-il par conséquent une nette opposition entre d’un côté, des actions

« colour-conscious » s’appuyant sur des normes différentialistes, et de l’autre, des actions

« colour-blind » fondées sur des principes universalistes ? Si l’on s’en tient aux récents

travaux en civilisation britannique pointant les métamorphoses que connaissent les

deux modèles d’intégration5, il semblerait plus pertinent de démentir cette dichotomie

et de postuler une convergence, ou tout du moins la présence de certaines limites et

contradictions.

3 D’autre part, comme le souligne Didier Fassin lorsqu’il aborde la problématique des

discriminations sous l’angle d’une psychologie politique, il importe d’articuler

l’argument racial et l’argument économique. Ceci revient à saisir comment la pauvreté

qui frappe certains territoires renforce les représentations et vice-versa6. Les récentes

émeutes urbaines et la crise économique et financière ont mis en évidence la prégnance

et la persistance des inégalités socio-spatiales. Il n’est donc guère surprenant que

celles-ci préoccupent de plus en plus les pouvoirs publics et posent, en creux, la

question du ciblage renforcé (des jeunes, des minorités ethniques et des quartiers dits

« sensibles »). Il nous semble donc également judicieux d’appréhender les enjeux que

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

156

revêt l’insertion professionnelle des jeunes issus de minorités « visibles » à la lumière

de leur inscription territoriale.

4 À partir d’une analyse de données statistiques et de la littérature afférente ainsi que

d’une enquête menée en 2010 auprès de jeunes et d’acteurs du milieu associatif

spécialisés dans la formation et l’insertion professionnelle des jeunes dans la commune

de Ealing (ouest de Londres) et dans le département de Seine-Saint-Denis (Ile-de-

France)7, l’objectif de l’article est d’apporter des éléments pour nourrir le débat

concernant l’articulation et l’évolution des modèles d’insertion et d’intégration. Il

s’agira dans un premier temps de faire ressortir les tendances et les faits les plus

saillants en matière de chômage et de difficultés d’insertion. Puis nous examinerons la

place que les politiques de l’emploi accordent à cette catégorie particulière de jeunes

pour nous pencher sur leur mise en œuvre locale, ce qui nous amènera en conclusion à

pointer quelques contrastes et similitudes entre les deux pays.

Chômage, discriminations et inégalités face à l’emploi

5 Les pénalités ethniques que subissent les groupes minoritaires sur le marché du travail

ont été amplement documentées et analysées. Par exemple, ainsi que le note Didier

Lassalle pour le Royaume-Uni, à qualification égale, les minorités ethniques présentent

des taux de chômage nettement plus élevés que leurs homologues blancs et « sont

également fortement représentées dans les emplois temporaires ou à temps partiel,

souvent peu rémunérés, qui ne remplissent que très imparfaitement leur rôle dans le

processus d’intégration sociale des individus, particulièrement des jeunes »8. Il souligne

également la nécessité de nuancer les observations à la lumière des différences

interethniques et de genre. Des observations similaires sont faites en France, où les

enquêtes du CEREQ (Centre d’Études et de Recherches sur les Qualifications) montrent

que 40 % des jeunes d’origine maghrébine et d’Afrique subsaharienne connaissent

davantage de difficultés que les ceux originaires d’Europe du sud et disent avoir subi

une discrimination à l’embauche en raison de caractéristiques « visibles » tels que le

nom ou la couleur de peau9. Les pratiques discriminatoires peuvent avoir une incidence

sur les aspirations des jeunes et renforcer les mécanismes d’exclusion ainsi que

l’illustrent les propos d’une professionnelle des politiques de la ville de Saint-Denis.

Celle-ci relate les perceptions exprimées par des jeunes représentants de comités

locaux de jeunesse lors d’ateliers de travail :

Ils avaient le sentiment que pour eux tout était bloqué. Ils étaient tous blacks oumaghrébins. C’est la réalité de Seine-Saint-Denis. Ce sentiment que « de toute façon,nous la fac, on ne peut aller qu’à Paris 8. Un animateur du service jeunesse àl’époque me disait : « moi j’avais envie de faire un doctorat mais j’avais pas le droitd’aller à la Sorbonne parce que j’arrivais d’ici ». Vrai ou faux, c’est quelque chosequi est porté très fortement par beaucoup de jeunes10.

6 En Grande-Bretagne, le Labour Force Survey (LFS) qui, tout comme le recensement

comprend des catégories ethno-raciales11, laisse apparaître d’importantes variations

des taux d’activité et de poursuite d’études en fonction de l’appartenance ethnique. En

2011, les jeunes blancs âgés de 16 à 24 ans affichent des taux d’activité nettement plus

élevés (65 %) que les jeunes de minorités visibles, lesquels sont plus susceptibles de

poursuivre leurs études (voir graphique 1).

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

157

Source : Labour Force Survey (1er trimestre 2011)

7 Au-delà des différentiels entre groupes majoritaires et minoritaires d’une même classe

d’âge, les recherches consacrées à la situation des immigrés s’orientent depuis quelques

années vers l’observation et l’analyse des trajectoires suivies par ces descendants de

deuxième ou de troisième génération. La raison de cet intérêt pour les mobilités

intergénérationnelles est qu’elles permettent de mieux cerner les modalités et

processus intégratifs des sociétés post-migratoires12. Aux États-Unis, de nombreuses

études ont été menées autour de l’hypothèse d’un déclassement (downward assimilation)

et d’une « assimilation segmentée » selon laquelle seulement une partie des minorités

accèderaient à un emploi stable tandis que les minorités visibles seraient reléguées à

l’underclass13. Si ces théories et méthodes n’ont été que peu développées en Grande-

Bretagne, elles ont plus volontiers été importées en France dans le cadre d’enquêtes

longitudinales telles que les enquêtes « Génération » du CEREQ ou « Trajectoires et

Origines » réalisées conjointement par l’INED et l’INSEE. Cette dernière montre que

toutes choses égales par ailleurs – c’est-à-dire à âge, sexe, niveau de diplôme,

composition de la famille et lieu de résidence comparables – le risque de chômage est

2,7 fois plus élevé pour les immigrés algériens que pour la population majoritaire,

2,1 fois plus important pour les immigrés marocains, tunisiens et d’Afrique

subsaharienne. Ces écarts se réduisent mais perdurent pour les descendants

d’immigrés : le ratio est de 2 pour les enfants d’immigrés algériens et de 1,8 pour les

enfants d’immigrés marocains, tunisiens et d’Afrique subsaharienne14.

8 En Grande-Bretagne, des comparaisons intergénérationnelles ont été effectuées par

Richard Berthoud ainsi que par Sin Yi Cheung et Anthony Heath à partir de l’enquête

générale des ménages – le General Household Survey (renommé General Lifestyle Survey en

2006) – réalisée chaque année auprès d’un échantillon d’environ 9 000 ménages

correspondant à 16 000 adultes de plus de 16 ans. Ces travaux montrent très nettement

que les descendants de seconde génération connaissent des taux de chômage plus

élevés que ceux de la première génération. Ceci est particulièrement frappant pour les

hommes originaires d’Afrique et des Antilles britanniques (voir tableaux 1.A et 1.B).

9 Enfin, il convient de mesurer l’importance grandissante de ces enjeux dans le contexte

de la crise économique qui s’est déclenchée à l’été 2008. Un rapport de l’Institute for

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

158

Public Policy Research (IPPR) montre qu’en l’espace de dix-huit mois (entre le premier

trimestre de 2008 et le troisième trimestre de l’année 2009), la jeunesse a été gravement

touchée dans son ensemble puisqu’un jeune sur quatre était au chômage. Ce sont

toutefois les non-diplômés et les jeunes de minorités ethniques qui ont le plus souffert

et sont les plus exposés à un « effet cicatrice »15 sur le marché du travail.

Tableau 1.A : Catégories socioprofessionnelles : 1ère et 2ème générations en fonction des originesethniques (hommes, en %), 1991-200116.

Tableau 1.B : Catégories socioprofessionnelles : 1ère et 2ème générations en fonction des originesethniques (femmes, en %), 1991-2001.

Notes tableaux 1.A & 1.B : 1) compte tenu de la faiblesse de l’échantillon annuel du General HouseholdSurvey, les données ont été compilées sur la période 1991 à 2001 à l’exception des années 1997 et1999 où l’enquête n’a pas été réalisée ; 2) compte tenu de leur faible taux d’activité, afin d’éviter toutbiais de sélection, les données concernant les femmes de seconde génération noires africaines,pakistanaises et bangladaises n’ont pas été incluses.

10 Ces tendances étaient déjà visibles lors des précédentes récessions. Par exemple, au

début des années 1990, le chômage chez les jeunes de groupes ethniques minoritaires

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159

avait augmenté de 10 points de pourcentage comparé à 6 points pour le groupe

majoritaire. Alors que le taux de chômage des jeunes blancs de 16 à 24 ans est passé de

12,4 % à 20,4 % entre début 2008 et fin 2009, l’augmentation a été nettement plus élevée

pour les jeunes Afro-antillais puisque quasiment la moitié (48 %) était au chômage, ce

qui représente une augmentation de 12,4 % sur la période. Les Métis ont connu

l’augmentation la plus importante (de 21 % à 35 %). L’augmentation la plus faible (5,9 %)

concernait les Asiatiques (Pakistanais, Indiens et Bangladais) mais leur taux de

chômage s’élevait tout de même à 31,2 % au troisième trimestre 2009. Nous avons mis à

jour ces données en comparant le premier trimestre 2008 et le premier trimestre 2011

(au lieu de 2009 dans le rapport IPPR). Les écarts restent similaires hormis une légère

augmentation de 3 points pour les Métis et un recul à 42,1 % pour les Noirs Africains et

Antillais (voir graphique 2).

Source : Labour Force Survey (données trimestrielles)

11 Face à cette situation, le rapport de l’IPPR préconise une intervention accrue,

notamment par un ciblage territorial renforcé du dispositif alors en vigueur, le Future

Jobs Fund, sur lequel nous reviendrons dans la section suivante :

These findings are a worrying reminder that although the recession is affecting allyoung people, those from ethnic minorities or with fewer qualifications are farmore likely to become part of a generation lost to unemployment and disadvantage.Extra action should be considered, such as increasing the number of Future JobsFund places in disadvantaged areas.17

L’intervention de l’État, du côté britannique…

12 Des deux côtés de la Manche, les enfants issus de l’immigration ont été insérés dans les

divers dispositifs nationaux de droit commun qui se sont succédé depuis une vingtaine

d’années. L’égalité des chances et de traitement de tous les jeunes était déjà inscrite

dans les programmes mis en œuvre sous les gouvernements conservateurs de Margaret

Thatcher et John Major tels que le Youth Opportunities Programme (YOP) et le Youth

Training Scheme (YTS) 18. Et pourtant, même si les directives concernant le YTS

proscrivaient toute discrimination à l’égard des groupes minoritaires, les pratiques de

sélection et de recrutement au sein des offres de formation ont clairement été teintées

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

160

de racisme19. Par la suite, le New Deal for Young People, dispositif phare du gouvernement

blairiste en direction des jeunes âgés de 18 à 24 ans n’a pas manqué d’inclure des

références « politiquement correctes » aux Britanniques issus de l’immigration dans ses

communiqués officiels sans pour autant leur proposer de mesures concrètes. Vincent

Latour relève que cette approche peut paraître atypique dans le contexte britannique,

car elle tranche avec l’orientation prise par les politiques publiques qui, depuis les

années 1960, se sont souvent distinguées par une approche différenciée vis-à-vis des

minorités ethniques, notamment avec l’adoption d’une législation spécifique sur les

relations raciales, l’importance accordée à la notion d’Equal Opportunity et plus

récemment, la mise en œuvre de suivis statistiques (ethnic monitoring) 20. En ce qui

concerne l’impact du New Deal, une enquête menée par des chercheurs britanniques à

Oldham, dans le nord-ouest de l’Angleterre, auprès de 75 bénéficiaires issus de

minorités ethniques laisse apparaître que l’égalité des chances a été davantage

respectée que dans les précédents dispositifs des gouvernements conservateurs et que

la perception des bienfaits est similaire à celle exprimée par l’ensemble des

bénéficiaires. En définitive, le New Deal semble avoir produit des résultats équivalents

en aidant uniquement ceux considérés comme « employables » dans le sens où ils

n’étaient pas confrontés à des difficultés particulières autres que la pénurie d’offres

d’emploi.

13 La crise économique et la hausse brutale du chômage des jeunes incitent le

gouvernement de Gordon Brown à lancer en juillet 2009 une campagne

interministérielle de soutien à la jeunesse, « Backing Young Britain ». L’objectif principal

est de sensibiliser les employeurs pour qui, en période de crise, la jeunesse a tendance à

constituer une « variable d’ajustement ». En parallèle, le Ministère de l’emploi et des

retraites (Department for Work and Pensions) lance un nouveau dispositif pour l’emploi

des jeunes de moins de 25 ans : la Young Person’s Guarantee (Garantie pour le jeune)

assortie d’un financement s’élevant à un milliard de livres sterling : le Future Jobs Fund

(FJF) (Fonds pour les emplois d’avenir). La YPG se place dans la continuité du New Deal

pour les jeunes puisqu’il s’agit de « garantir un emploi, une formation ou un stage à tous les

jeunes âgés de 18 à 24 ans inscrits au chômage depuis plus de douze mois. L’objectif est qu’aucun

jeune ne soit laissé sur le carreau en raison du chômage de longue durée »21.

14 Le FJF soutient la création de 150 000 emplois jeunes dans le secteur associatif ou

municipal (assistants scolaires, animateurs, coachs sportifs, agents affectés à la

protection de l’environnement, etc.) entre octobre 2009 et mars 2011. Le ciblage d’un

tiers de ces emplois sur les quartiers les plus frappés par le chômage est explicitement

présenté comme un bienfait pour les groupes minoritaires :

the creation of 50,000 jobs in unemployment hotspots will be expected to activelyhelp ethnic minority groups and therefore have a positive impact that promotesopportunity. This is because ethnic minority groups are traditionally found in areasof higher unemployment. The Working Neighbourhoods Fund (WNF), for example,is given to the most deprived Local Authorities in England. The WNF areas includemore than half (52%) of all workless ethnic minorities.22

15 Cependant, le FJF restera peu de temps en vigueur puisque le gouvernement de

coalition supprimera en mars 2011 ce qu’il considère comme un élément « inefficace »

des politiques de retour à l’emploi. Bien qu’il existe quelques évaluations ad hoc du

dispositif au niveau local23, un flou demeure quant à ses retombées sur les bénéficiaires

au sens large, et surtout sur les jeunes issus de minorités ethniques. L’étude de cas

présentée dans la suite de l’article nous permettra d’en saisir quelques-unes mais à

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

161

petite échelle et dans une perspective qualitative. Quoi qu’il en soit, le bilan des

mesures mises en œuvre par les gouvernements de Tony Blair et de Gordon Brown

indique clairement qu’ils ont été réticents à inclure des mesures radicales de

discrimination positive au sein des politiques sociales. En effet, ces pratiques courantes

aux USA montrent que les bénéficiaires se sentent souvent stigmatisés dans le

processus24. Certains élus travaillistes tels que Diane Abbott25 ainsi que des associations

telles que Race for Opportunity26 militent toutefois en faveur d’actions ciblant les jeunes

des minorités ethniques.

16 Le gouvernement de coalition de David Cameron a instauré à partir de juin 2011, le

Work Programme qui renforce l’obligation de travailler pour tous ainsi qu’une Youth

Employment Initiative dotée d’un budget global de 60 millions de livres sterling dans le

but de créer 100 000 stages de 250 000 places d’apprentissage en alternance entre 2011

et 2015. Les discriminations qu’affiche ce secteur laissent dubitatif quant à sa capacité à

répondre aux enjeux. En effet, selon la source, les jeunes de minorités ethniques ne

seraient qu’entre 6 % (selon le syndicat Unionlearn) et 8 % (selon le National

Apprenticeship Service, une agence gouvernementale) à suivre un apprentissage. De plus,

la suppression en 2011 de la bourse d’études (Education Maintenance Allowance) dont le

montant hebdomadaire s’élevait à 30 livres sterling affecte tout particulièrement ces

groupes. En effet, en 2008, 43 % des jeunes scolarisés âgés de moins de 18 ans en étaient

bénéficiaires, comparé à 67 % de Noirs africains et 88 % de Bangladais. Il en va de même

pour les places d’apprentis27.

… et du côté français

17 Tout comme son voisin britannique, la France se caractérise par une profusion de

dispositifs pour les jeunes éloignés de l’emploi, qu’un récent rapport du CREDOC28

qualifie de « mille feuilles de la deuxième chance » en soulignant la grande complexité

du paysage de l’insertion et l’absence de lisibilité pour les jeunes eux-mêmes, qui tient à

la fois à la valse des mesures gouvernementales mais aussi à la multitude des approches

parallèles. Depuis les années 1980, de nombreux contrats aidés et dispositifs

d’accompagnement (tels que les « Emplois Jeunes », le programme TRACE, et plus

récemment les contrats d’insertion dans la vie sociale, dits « Civis ») relevant des

politiques générales de l’emploi et de la formation professionnelle ont été mis en œuvre

par les organismes au service des jeunes âgés de 16 à 25 ans que sont les Missions

locales et les P.A.I.O (Permanences d’accueil, d’insertion et d’orientation). Par ailleurs,

d’autres actions sont mises en place dans le cadre de la politique de la ville et de la lutte

contre les discriminations. La dynamique de décentralisation accentue la dispersion de

ces actions. L’apprentissage et la formation professionnelle des jeunes et des adultes

entrent dans les compétences des régions, le volet insertion des minima sociaux dans

celles des départements, et des actions complémentaires sont mises en place par les

communes ou groupements de communes par le biais des CCAS (centres communaux

d’action sociale). Ces grandes orientations politiques, en raison de leur manque de

continuité et de leur dispersion (au sein des administrations centrales comme des

collectivités territoriales), ont abouti à un émiettement saisissant des actions et

dispositifs en place. Dans ce paysage foisonnant, les jeunes issus de l’immigration sont

implicitement ciblés dans les actions mises en place dans le cadre de la lutte contre les

discriminations ou à travers les Contrats urbains de cohésion sociale (CUCS).

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

162

18 L’irruption des émeutes urbaines, conséquence ultime des phénomènes de ségrégation

et de ghettoïsation, a favorisé le rapprochement entre la problématique des jeunes

issus de l’immigration et celles des territoires, notamment avec en juin 2008,

l’introduction du « Plan Espoir Banlieues » du gouvernement Sarkozy dont l’objectif

était précisément d’introduire des mesures de discrimination positive, (notamment

dans le service public), de développer des « écoles de la deuxième chance » et de

promouvoir la création de 100 000 emplois pour les jeunes sur une période de quatre

ans. En 2011, les acteurs de terrain s’accordent à dire qu’en dehors de quelques

avancées sur le plan de la rénovation urbaine, ce dispositif n’a produit aucun effet

spectaculaire, la crise économique ayant balayé les promesses gouvernementales.

19 En somme, les deux pays présentent d’importantes similitudes : qu’il s’agisse d’une part

de la transformation de l’État-providence en État-gestionnaire encourageant

opérateurs privés et acteurs du monde associatif à « coproduire » localement les

politiques sociales, manifeste sous le New Labour et renforcé depuis 2010 par le

gouvernement de coalition de David Cameron ou d’autre part, de l’émiettement du

paysage d’insertion en France, les actions envers les jeunes de groupes minoritaires

sont à chercher dans les interstices de l’action publique où il existe un large spectre

d’initiatives, tout particulièrement dans les quartiers dits « prioritaires » des politiques

de la ville.

L’exemple du Future Jobs Fund dans l’Ouest deLondres

20 En raison d’un afflux croissant de réfugiés depuis le début des années 1990, Londres a

développé une vaste infrastructure d’accueil opérant un ciblage précis sur les primo-

arrivants, tels que le London Refugee Economic Action ou les Refugee Forums29. Bien que les

analyses territoriales soient généralement centrées sur ces groupes, nous restreignons

ici notre réflexion à l’intervention destinée aux descendants d’immigrés. Ceux-ci

bénéficient des prestations de Jobcentre Plus (le Service Public de l’Emploi) qui depuis

2003 a intégré des objectifs de performance vis-à-vis des demandeurs d’emploi issus de

minorités ethniques, notamment via un accord, le Public Sector Agreement30. Les jeunes

eux-mêmes ne se montrent guère enclins à voire proliférer des dispositifs labellisés

« ethniques » qu’ils perçoivent comme stigmatisants ainsi que l’illustre l’enquête

réalisée auprès des bénéficiaires du Future Jobs Funds mis en œuvre par Action Acton en

2010. Action Acton est une organisation caritative fondée en 1999 et dont la mission est

de contribuer à l’insertion professionnelle des communautés résidant dans les quartiers

ouest de Londres, en particulier dans la commune de Ealing où elle est implantée et

dans une moindre mesure à Hammersmith, Fulham et Hounslow. L’octroi de

financements publics lui permet d’intervenir chaque année auprès d’environ 2000

personnes, dont 70 % issus de minorités ethniques. Sur les 354 boroughs anglaises,

Ealing est classée en quatrième rang pour la diversité de ses communautés ethniques et

en sixième rang pour la diversité de ses confessions31. Dans le recensement de 2001 (mis

à jour en 2006), la proportion de la population se déclarant de minorités ethniques

autres que « blanches » (britannique, irlandaise, européenne, etc.) s’élevait à 41,1 % et

selon les prévisions atteindra 50 % en 202632. Parmi les groupes minoritaires, les

ressortissants d’origine indienne représentent le groupe le plus important (14,8 % de la

population totale d’Ealing).

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

163

21 En 2010, Action Acton s’implique dans le FJF en tant que membre de deux partenariats,

l’un coordonné par Barnardo’s (la principale association caritative pour l’enfance) et le

deuxième piloté par un consortium d’une dizaine d’acteurs de la société civile, le 3SC

(Third Sector Consortium) créé en 2009 spécifiquement en vue de répondre à des appels

d’offres de services dans le domaine des politiques sociales. Le FJF repose sur une

coopération forte entre ces associations, la municipalité de Ealing et Jobcentre Plus, dont

le rôle consiste à mettre en lien les jeunes demandeurs d’emploi avec les offres

disponibles. Outre ses actions traditionnelles de formation et d’accompagnement

(ateliers de simulation d’entretiens d’embauche, préparation de CV, etc.), Action Acton,

a créé neuf « emplois d’avenir » dont six pour des jeunes issus de l’immigration. Il s’agit

de postes à temps partiel (d’une durée hebdomadaire de 25 heures) que le

gouvernement subventionne à hauteur de £ 5,80 par heure et que l’association

complète pour atteindre le London living wage (ou « salaire décent ») de £ 7,60. Certains

de ces jeunes ainsi que d’autres bénéficiaires des emplois d’avenir à Ealing ont été

réunis par Action Acton dans le cadre d’un groupe de réflexion collective (focus groups).

La discussion laisse apparaître une grande diversité d’opinions quant aux bienfaits du

FJF, la plupart estimant qu’il s’agit d’un « bon dispositif », d’autres manifestant un

soulagement de le voir arriver à terme (voir annexe).

22 Action Acton n’est pas la seule association de l’ouest londonien à s’être mobilisée pour

la création d’emplois d’avenir. Une association œuvrant en vue de promouvoir la

diversité dans le monde de l’entreprise s’est également saisie du FJF. Le Network for

Black Professionnals (NBP) est connu pour ses prestations dans le domaine de la

formation professionnelle des salariés de minorités visibles. En 2010, l’association est

intervenue en tant que partenaire de la municipalité et des établissements de

formation professionnelle de Ealing (ainsi que dans la commune de Lambeth située au

sud de Londres) auprès d’employeurs prêts à créer des emplois d’avenir spécifiquement

destinés aux jeunes issus de l’immigration. Les employeurs bénéficient d’une

subvention de 3 000 livres sterling sur une période de six mois tandis que le NBP se

charge de recruter les candidats et de les accompagner par des actions de coaching

pendant toute la période de leur contrat de travail. Une soixantaine d’emplois ont ainsi

vu le jour à Londres.

L’exemple de la Seine-Saint-Denis

23 Avec une population de 1,5 million d’habitants dont plus de 20 % âgés de moins de vingt

ans et 40 % résidant en logement social, la Seine-Saint-Denis est sans aucun doute le

département français qui illustre de manière exemplaire les effets d’une

« stigmatisation en triptyque »33 : l’image négative du « 9-3 », la méfiance persistante

vis-à-vis des jeunes, diplômés ou non à la recherche d’un emploi, et une peur

récurrente de l’immigré. Selon l’INSEE, au premier trimestre de l’année 2011, le taux de

chômage y est de deux points supérieurs à la moyenne nationale (11,3 % contre 9,2 %)

tandis qu’environ un tiers des moins de 25 ans (inscrits ou non auprès de Pôle Emploi)

sont sans emploi. Les collectivités territoriales se sont saisies de ces questions et parmi

un vaste éventail d’associations à but non lucratif œuvrant pour l’insertion des jeunes

dans les zones urbaines sensibles (ZUS) de Seine-Saint-Denis, nous avons sélectionné

deux structures en raison de leur rapport à la question ethno-raciale. En effet, celle-ci

est placée au cœur de leur intervention : créées en 2005 suite aux émeutes qui ont

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164

secoué le pays, Mozaïk RH et Créo-Adam bousculent chacune à leur manière les idées

reçues. La première s’est établie en tant que cabinet de recrutement et de conseil en

ressources humaines et intervient à contrecourant dans le paysage institutionnel de

l’insertion. En effet, il s’agit de promouvoir l’égalité des chances et la diversité en

proposant aux recruteurs de la région Ile-de-France des candidats issus de

l’immigration et résidant en Seine-Saint-Denis. Par son action auprès de grands

groupes tels que BNP Paribas, GDF-Suez ou SFR, l’association accompagne en priorité

les jeunes diplômés (bac +2 à bac +5) des quartiers populaires vers l’emploi et cherche à

initier de nouvelles pratiques professionnelles en faisant évoluer les représentations

des employeurs. L’association opère selon un modèle d’entreprenariat social34 lui

permettant une forte capacité d’autofinancement. Elle est construite sur un modèle

hybride : 70 % du budget proviennent de fonds privés et 30 % de subventions publiques.

Elle articule ses actions avec celle du service public de l’emploi (l’agence Pôle Emploi)

tout en restant indépendante de tout mouvement, politique ou religieux. Elle est menée

par un directeur dynamique lui-même issu de la Seine-Saint-Denis qui table sur les

changements organisationnels intervenus depuis 2004 sous l’impulsion de l’Union

européenne. En effet, de nombreuses multinationales ont adopté des politiques

volontaristes promouvant le multiculturalisme au sein de leur personnel, afin non

seulement de valoriser leur image de marque auprès de la clientèle, mais aussi d’être en

accord juridique avec la Charte de la Diversité européenne35. Chaque année, Mozaïk RH

place en moyenne deux cents candidats dans des postes de cadres.

24 Cette approche reste toutefois très controversée puisqu’elle est à contre-courant du

fameux modèle républicain. À Aulnay-Sous-Bois, une ville de 80 300 habitants où se

côtoient plus de 65 nationalités et où le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans

dans la ZUS « la rose des vents-cité Emmaüs-les Merisiers » atteint 40 %, l’association

Créo-Adam, contrairement à Mozaïk RH, ne cherche pas à convaincre les entreprises

d’embaucher les jeunes des quartiers populaires, mais préfère jouer la carte de l’aide à

la création d’activité économique en soutenant les porteurs de projets. Cette approche

est donc en rupture avec le modèle traditionnel de recherche d’intégration par l’emploi

salarié et vise plutôt l’autonomie. L’association fait partie d’un réseau de structures

ADAMs (Associations de Détection et d’Accompagnement des Microentrepreneurs)

soutenues par Planet-Finance, une organisation de solidarité internationale créée en

1998 pour lutter contre la pauvreté par le développement de la micro-finance. En

France, Planet-Finance soutient l’entrepreneuriat dans les ZUS. Depuis sa création en

2005, Créo accompagne en moyenne 150 jeunes chaque année grâce à des actions de

coaching et de conseils. L’âge moyen des jeunes entrepreneurs est de 25 ans et les

secteurs d’activité couvrent entre autres, le transport, le bâtiment, la distribution, les

technologies de l’information et les services à la personne. De plus, l’association

organise en partenariat avec L’Oréal et PSA Peugeot Citroën une remise de prix, le

« révélateur de talents ». Cette manifestation annuelle se tient dans un centre

commercial et représente un moment fort pour célébrer la réussite sociale et ainsi

véhiculer une image positive des jeunes au sein de la communauté aulnaysienne. La

notion de « talent », tout comme la notion de « créativité », fortement en vogue dans le

nouvel esprit du capitalisme, sont mises en exergue afin de proposer une vision

alternative au diplôme comme unique condition d’accès légitime à l’emploi.

25 Bien qu’ayant opéré des choix stratégiques très différents, Mozaïk RH et Créo partagent

le fait qu’elles font appel à des facteurs intangibles qui influencent les normes et

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représentations sociales : l’utilisation de capital symbolique (par le prestige que confère

l’image de marque des grandes multinationales qui s’associent à leur action), une

importante médiatisation, non seulement via les réseaux sociaux mais également

auprès des chaînes et radios « grand public » et des « effets d’exemplarité » faisant que

certains jeunes se distinguent et suscitent le désir d’émulation auprès de leurs pairs.

Par ailleurs, le travail de médiation est très prégnant mais c’est moins le rôle

traditionnel de travailleur social ou de « grand frère » que celui d’intermédiaire entre

individus et institutions de la sphère économique que jouent les responsables de ces

structures.

Conclusions

26 L’action sociale en faveur de l’insertion et de l’emploi des jeunes issus de minorités

ethniques est hautement révélatrice de la place que les sociétés contemporaines

accordent à cette frange de la population. Une large partie des politiques de l’emploi

sont élaborées au niveau national et leur déclinaison territoriale permet à l’État de

mener des politiques implicites d’accompagnement des jeunes. C’est donc

essentiellement à travers les politiques de la ville que les acteurs territoriaux,

structures municipales et associatives mais aussi opérateurs du secteur privé, viennent

s’insérer dans les interstices de l’intervention publique pour tenter d’en combler les

lacunes mais surtout et de manière croissante, de se positionner sur le « marché de

l’insertion ». Si ces pratiques volontaristes demeurent encore isolées car réalisées à

petite échelle, elles dessinent des possibilités qu’offrent les expérimentations au niveau

local. Il est difficile de prédire dans quelle mesure ces micro-initiatives changeront le

destin des jeunes issus de l’immigration en Grande-Bretagne et en France. Du point de

vue méthodologique, l’intérêt est de pointer les limites de la comparaison des modèles

nationaux lorsque l’on opère un changement d’échelle. À l’heure du démantèlement de

l’État-providence et des mesures d’austérité budgétaire, ces initiatives soulignent par

conséquent la nécessité de nuancer les idées reçues concernant les modèles

d’intégration des populations immigrées et de leurs descendants.

27 En définitive, le contraste le plus saisissant semble davantage se situer au niveau des

modalités de l’action publique, entre une approche descendante (top-down) britannique

et, dans une certaine mesure, ascendante (bottom up) française. Cette différence tient

essentiellement aux modalités de financement des dispositifs en direction des jeunes.

On constate que la Grande-Bretagne se caractérise par davantage de centralisation et

de contrôle dans l’élaboration de grandes lignes directrices et une mise en concurrence

de prestataires des secteurs privés et associatifs, par le biais d’appels d’offres pour la

mise en œuvre sur le terrain de grands dispositifs nationaux. En France, les collectivités

territoriales disposent encore d’une certaine marge de manœuvre pour aider au

financement d’actions associatives spécifiques, mais les restrictions budgétaires et la

montée des impératifs gestionnaires en réduisent la portée.

28 En tout état de cause, lorsqu’il s’agit de relever le défi d’insertion des jeunes, et en

particulier de ceux issus de l’immigration, dans les deux pays, les pouvoirs publics sont

tiraillés entre la tentation de se cacher derrière l’argument territorial ou de céder au

risque d’enfermement des jeunes dans un traitement catégoriel. C’est bien ce dilemme

qui, à ce jour, continue de perdurer.

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166

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Sites web des associations figurant dans l’étude

Action Acton: [http://www2.ealing.gov.uk/]

Créo-Adam: [http://www.creo-adam.fr]

Mozaïk-RH: [http://www.mozaikrh.com/]

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167

Network for Black Professionals: [http://www.nbp.org.uk/]

ANNEXES

Extraits du groupe de discussion avec sept jeunes de minorités ethniques, descendants

de deuxième génération âgés de 19 à 24 ans et employés dans le cadre du dispositif

« emplois d’avenir », (Ealing, septembre 2010).

Question: What do you think of the job centre and the Future Jobs Fund?

B: I don’t think job centres are very good at their job.

C: I don’t really agree with you.

D: I signed on with jobcentres for 6 months and then they put you on that New Deal

program. They make you come in every week and they act like they’re interested but

they don’t care. You come in, do your thing, then go.

C: Well, I got on really great with my advisor. We’re still in contact now and we still

speak… maybe it’s how you present yourself.

E: The jobcentre is great for giving you money.

B: What is your job position now?

E: Assistant manager through Future Jobs Fund.

D: Because I have a degree, the jobs offered by job centres didn’t match my

qualification. My position now is project manager.

B: I do 25 hours a week and I get paid just under £ 6 an hour. Assistant manager they

have to pay you more than £ 6 an hour.

E: They’re paying me £ 7.60, but they should be giving me more because of my position.

F: But it’s a government scheme. I mean they get us to do a lot of hard work sometimes

more that the job position and the pay does not match that.

B: I have been liaising with the Future Jobs Fund advisor and I’ve never been happy

with this job from the start.

Question: This scheme will be ending so, what do you think of that?

C: That’s so bad. I love my job and I finish my assignments and then I ask for more.

B: They should come up with a better idea.

G: I reckon that there will be something similar to this in the future.

B: I’m glad.

C: This is a really good scheme actually! I don’t understand how you can say that it’s a

bad scheme. It’s a really good scheme.

G: It’s a good scheme.

C: We help unemployed people get jobs. We find a job vacancy, we send it to the job

centre, the job centre then advertises it, people then email their CVs to the job centre,

the job centre then emails the CVs back to us, we then interview them and give people

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

168

jobs. So we actually give people jobs, we make a vacancy for people, so how is it a bad

scheme, I don’t understand that.

B: Well if the scheme is so great why is it getting stopped?

G: Because of the new government.

D: So what happens to us?

You continue until the contract ends.

D: What contract? I didn’t know we had to sign a contract.

B: See how misinformed people are. I’m glad David Cameron has axed the scheme.

NOTES

1. Tony BLAIR “Foreword” in Strategy Unit, Ethnic Minorities and the Labour Market. Final Report,

Cabinet Office, Londres, mars 2003, p. 3.

2. Diane ABBOTT, “Labour can still help Black jobless youth”, The Guardian, 21 janvier 2010.

3. Les difficultés à nommer les enfants d’immigrés ont souvent été pointées dans la littérature.

L’expression « minority ethnic youth » est courante en Grande-Bretagne tandis qu’en France, on

fait généralement référence aux « jeunes issus de l’immigration » ou aux « descendants

d’immigrés ».

4. France AUBERT, Maryse TRIPIER & François VOURC’H, Jeunes issus de l’immigration. De l’école

à l’emploi, Paris : l’Harmattan, 1997 ; Mustapha BOURMMANI (dir.), Les discriminations à

l’emploi. L’insertion professionnelle des jeunes issus de l’immigration, 2001, Amiens : Licorne ;

John SOLOMOS, The Politics of Black Youth Unemployment. A critical analysis of official

ideologies and policies, Working Paper on Ethnic Relations, n° 20, Birmingham: Research Unit on

Ethnic Relations/Social Science Research Council, 1983.

5. Vincent LATOUR, « Les métamorphoses du multiculturalisme britannique, Revue Française de

Civilisation Britannique, vol. 14, n°3, 2007, pp. 23-36 ; Romain GARBAYE, Émeutes vs intégration,

comparaisons franco-britanniques, Paris : Presses de Sciences Po (Collection Nouveaux débats),

2011 ; Olivier ESTÈVES, De l’invisibilité à l’islamophobie : les musulmans britanniques (1945-2010), Paris :

Presses de Sciences Po, 2011.

6. Didier FASSIN, « Du déni à la dénégation. Psychologie politique de la représentation des

discriminations » in Didier FASSIN & Eric FASSIN (dir.) De la question sociale à la question raciale ?

Représenter la société française, Paris, La Découverte, 2006, pp. 133-157.

7. Les développements présentés ici sont issus de travaux menés en 2010 dans le cadre d’une

étude comparative (Fulfilling Promise. Ensuring Labour Market Success for Ethnic Minority and

Immigrant Youth) commanditée par l’Organisation de Coopération et de Développement

Économiques (OCDE).

8. Didier LASSALLE, L’intégration au Royaume-Uni. Réussites et limites du multiculturalisme, Paris :

Ophrys, 2009, p. 40. ; (nous ajoutons ici le soulignage).

9. Roxane SILBERMAN & Irène FOURNIER, Jeunes issus de l’immigration : une pénalité à l’embauche qui

perdure, Bref n°226, 2006, Marseille : Céreq.

10. Directrice d’une structure associative de la ville de Saint-Denis (entretien réalisé le 6 octobre

2010).

11. Le Labour Force Survey est une enquête annuelle réalisée depuis 1973 par l’Office National des

Statistiques (Office for National Statistics) auprès d’un échantillon représentatif de la population

correspondant à 59 000 foyers, c’est-à-dire à environ 138 000 personnes. Depuis 1979, le LFS

inclue des informations sur l’appartenance ethnique en fonction des déclarations faites par des

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

169

enquêtés. Tout comme dans le recensement, des modifications ont été apportées en 2001 avec

notamment l’ajout de la catégorie « Métis » au « niveau 1 » ainsi que d’un deuxième niveau plus

précis de sous-catégories, par exemple « Blanc-Antillais », « Blanc-Africain », « Blanc-Asiatique »,

etc. Ici, nous utilisons uniquement les principales catégories.

12. Dominique MEURS, Ariane PAILHÉ, & Patrick SIMON, Mobilité intergénérationnelle et persistance

des inégalités : l’accès à l’emploi des immigrés et de leurs descendants en France, Document de travail

n°130, Paris : Institut national des études démographiques, 2005.

13. Voir par exemple, Alejandro PORTES & Min ZHOU « The New Second Generation : Segmented

Assimilation and its Variants among Post-1965 Immigrant Youth », The Annals of the American

Academy of Political and Social Sciences, vol. 530, 1993, pp. 74-96.

14. Cris BEAUCHEMIN, Christelle HAMEL & Patrick SIMON (coord.), Trajectoires et Origines. Enquête

sur la diversité des populations en France, Document de travail n°168, Paris : Institut national des

études démographiques, 2010.

15. La notion d’effet cicatrice (« scarring effect ») est utilisée en économie pour décrire les

conséquences durablement néfastes d’une entrée « ratée » sur le marché du travail. Voir, par

exemple, David ELLWOOD (1982) “Teenage Unemployment: Permanent Scars or Temporary

Blemishes” in Richard B. FREEMAN & David A. WISE (Eds.) The Youth Labor Market Problem: Its

Nature Causes and Consequences, Chicago: University of Chicago Press, pp. 349-390.

16. Source : Sin Yi CHEUNG & Anthony HEATH, op. cit., 2007, p. 522.

17. Institute for Public Policy Research, Youth Unemployment and the Recession, London, IPPR,

janvier 2010.

18. Le Youth Opportunities Programme (YOP) fut créé par les Travaillistes en 1978 puis remplacé au

début des années 1980 par le Youth Training Scheme (YTS) du gouvernement Thatcher.

19. E. DE SOUZA, « Racism in the YTS », Critical Social Policy, vol. 7, n°20, 1987, pp.66-74.

20. Vincent LATOUR, « Les minorités ethniques et les politiques de retour à l’emploi : étude des

stratégies mise en place par l’autorité locale de Bristol, Observatoire de la Société Britannique, n°2,

2006, pp.211-222.

21. Présentation du dispositif dans le budget de 2009 : HM Treasury, Budget 2009, HC 407, Chapitre

5, p.87.

22. Communiqué du DWP, Equality Impact Assessment Young Person’s Guarantee and Future Jobs Fund,

Londres: Department for Work and Pensions Welfare and Well-Being Group-Employment Group,

2009, p. 5. Téléchargeable: http://webarchive.nationalarchives.gov.uk/20130128102031/http://

www.dwp.gov.uk/docs/ia-young-person-guarantee-jobs-09.pdf

23. Voir par exemple le rapport d’évaluation réalisé par le cabinet Merida Associates pour le

compte du Local Strategic Partnership, « Be Birmingham » : http://www.bebirmingham.org.uk/

(consulté le 24 juin 2011).

24. LASSALLE, op.cit., p. 79.

25. Voir note de bas de page n°1.

26. Site Internet: http://www.bitc.org.uk/workplace/diversity_and_inclusion/race/

27. Janet MURRAY, “Youngsters from ethnic minorities miss out on apprenticeships”, The

Guardian, 22 février 2011.

28. Matthieu ANGOTTI, Isa ALDEGHI, Manon BREZAULT & Christine OLM, Deuxième change? La

prise en charge des jeunes éloignés de l’emploi de qualité, CREDOC, Cahier de recherche, n°257,

décembre 2008.

29. Anne GREEN, « Routes into Employment for Refugees : A Review of Local Approaches in

London » in Francesca FROY & Sylvain GIGUÈRE (eds) From Immigration to Integration. Local

Solutions to a Global Challenge, Paris: OECD, pp.189-238.

30. Ibid., p. 198.

31. London Borough of Ealing, State of Ealing 2009: Population, p. 7, (document téléchargeable:

http://www2.ealing.gov.uk, consulté le 30 juin 2011).

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

170

32. Ibid., p. 8.

33. Hervé VIELLARD-BARON « Seine Saint-Denis, entre misère sociale et intégration

économique », Géoconfluences, 2006 (article téléchargeable : [http://geoconfluences.ens-lyon.fr/

doc/territ/FranceMut/FranceMutScient4.htm], consulté le 30 juin 2011).

34. Pour une définition de l’entrepreneuriat social, voir Corinne NATIVEL « Social

Entrepreneurship » in Tony Fitzpatrick et al. (eds) International Encyclopedia of Social Policy,

London, New York : Routledge, 2006, pp. 1248-49.

35. Milena DOYTCHEVA, « Réinterprétations et usages sélectifs de la diversité dans les politiques

d’entreprises », Raisons Politiques, 2009/3, n°35, pp. 107-123.

RÉSUMÉS

L’insertion professionnelle des jeunes issus de l’immigration revêt des enjeux considérables des

deux côtés de la Manche. Dans les deux pays, les enfants d’immigrés subissent de fortes

« pénalités » qui se traduisent par des difficultés d’accès ou de progression sur le marché du

travail, tout particulièrement en raison de discriminations ethno-raciales et de relégation dans

des quartiers urbains défavorisés. L’article examine les problèmes de chômage et d’exclusion des

jeunes issus de minorités « visibles » et les réponses qu’y apportent les pouvoirs publics. Ces

questions sont appréhendées non seulement à partir des modèles d’intégration britanniques et

français, mais aussi à la lumière de leur inscription territoriale, abordée ici à travers des

exemples d’actions associatives dans les quartiers de l’Ouest londonien et de la Seine-Saint-Denis.

The inclusion of ethnic minority youth in the labour market presents considerable challenges on

both sides of the Channel. In Great Britain and in France, the children of immigrants face strong

“ethnic penalties” which result in difficulties accessing to or progressing in the labour market,

particularly due to racial discrimination and segregation in disaffected neighbourhoods. The

article examines the problems of unemployment and social exclusion as well as the policies

designed to help these young people into the labour market. These policies are not only explored

through the lens of the British and French models of integration but also in the light of their

local dimension, which is illustrated through voluntary sector initiatives in the West London

borough of Ealing and in the county (département) of Seine-Saint-Denis, in the eastern periphery

of the French capital.

AUTEUR

CORINNE NATIVEL

Corinne Nativel est Maîtresse de conférences dans la filière Langues étrangères appliquées à

l’Université de Franche-Comté et membre du CREW (Centre for Research on the English-Speaking

World) de l’Université - Sorbonne Nouvelle-Paris 3. Ses travaux portent sur le chômage, la

pauvreté, les recompositions de l’État-providence, les politiques de l’emploi, du logement et de la

jeunesse. À paraître en 2012 : Les politiques de jeunesse au Royaume-Uni et en France : désaffection,

répression et accompagnement à la citoyenneté, co-dirigé avec Sarah Pickard et Fabienne Portier-Le

Cocq, aux Presses de la Sorbonne Nouvelle.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

171

Exploitation and human traffickingin the UK today: political debate,fictional representation anddocumentariesExploitation et trafic d’êtres humains en Grande-Bretagne : débat politique,

représentation fictionnelle et documentaires

Michael Parsons

1 Throughout the New Labour years, at least until the recent financial crisis which begain

in 2008, Britain was considered, and saw itself, as prosperous and successful, in stark

contrast with the “sick man of Europe” of the 1970s. According to dominant discourses,

this strong and stable upturn in the economy was largely due to a job market which

was much less regulated than, for example, that in France. The minimum wage was

supposed to protect the lowest-paid workers, but in many other respects employers

were much freer to “hire and fire” than most of their European counterparts. Many

people from the EU and elsewhere came to the UK to find work. London became, for

example, an attractive city for many talented French workers in the business sector

and elsewhere. The reality may have been more complex, as is suggested in the Spring

2003 issue of this journal, but the perception of a British economy which was

flourishing because of the relative lack of regulation in the job market was an enduring

one.

2 There has however been a gradual realisation that there may be a dark side to this

generally attractive picture of economic regeneration. There is increasing awareness

that behind many of the goods and services that have characterised this dynamic

economy and society there are sometimes some rather unpleasant truths. In many

sectors, work which many British people are reluctant to do is done by poorly-paid

precarious workers or, in the worst cases, by people who are kept in a state bordering

on slavery. Apart from the sex industry, where such exploitation is rife, agriculture,

food processing and packaging and shellfish gathering1 as well as construction are all

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

172

areas were abuses of this kind have been identified. This is not to say that such

exploitation of workers or human trafficking is ubiquitous but it is clearly widespread.

There have been a number of enquiries and reports, new legislation has been

introduced and various agencies have been set up.

3 Work done by charities and pressure groups on the one hand, and official reports,

enquiries and legal investigations, on the other hand, have been accompanied by an

increasing interest in this issue shown by filmmakers and novelists. We will be looking

at the ways in which a small selection of these more-or-less fictional representations

have attempted to bring the issue into the public eye and give it more “substance” and

humanity than can be provided by the dry prose of a report.

4 Lucienne Germain was always prompt to denounce discrimination; always ready to

protest when she felt other people were not being give proper, decent treatment. She

told me once how she had witnessed the police consistently harrassing a group people

for no real reason apart, no doubt, from some kind of “délit de sale gueule” and had

protested vigourously against what she told them was unacceptable behaviour on their

part. In the end she was taken off to the police station to have her own papers

checked… I hope she approves of my decision to write about an extreme form of

mistreatment and how people have tried to do something about it.

Cockle-pickers

5 Perhaps the most striking and tragic of the events to have brought home to the public

in Britain the appalling results of human trafficking and exploitation was the drowning

of at least 21 Chinese cockle-pickers in Morecambe Bay on 5 February 2004. They had

been brought in at night to collect cockles from the well-stocked cockle-beds in the

bay, unaware that its treacherous tides made it extremely dangerous. They worked at

night because their activity in the bay was not popular with local cockle-pickers. The

men and women had been driven to the bay by a Chinese gangmaster and left

unsupervised with no knowledge of the environment in which they had been left. They

were all illegal immigrants from the Chinese province of Fujian. As the icy waters rose

around them in the darkness, not knowing in which direction to try and escape, some

of them made phone calls to their families in China explaining that they were certain

they would die. There were 15 survivors, 21 bodies were found in the days following the

accident, and it is believed there were two other cockle-pickers who were also

drowned.

6 The tragedy was widely reported and reconstructed for television in a documentary

called Ghosts2. (The Chinese apparently call whites “ghosts”, but equally the Chinese

workers themselves were among the “ghosts” who are the invisible workers who

provide food and services at competitive rates). The gangmaster was tried for

manslaughter and in 2006 received a four year and nine month sentence.

7 The public outcry generated by the Morecambe Bay incident was undoubtedly a major

force behind the legislation introduced in 2004 to regulate “gangmasters” or “labour

providers”. It did not end there: journalists found that even after the event families in

Fujian were still suffering from the after-effects and a public appeal was launched,

initially with only limited success, to relieve their distress. It was believed that the

public were reluctant to contribute to the fund because they feared that the money

would only end up going into the pockets of the “snakeheads” who had organised the

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

173

trafficking in the first place. When this was shown not to be the case contributions

flowed in and the fund was later closed once its target had been reached. Most reports

on illegal workers in the UK make some reference to the incident.

Organ trafficking and other “dirty things”

8 A rather different view of the lives of migrant workers, whether undocumented or not,

is provided by the first major film of the 2000s to look at the seamier side of London

life, Stephen Frear’s film Dirty Pretty Things, released in 2002. The hero is a Nigerian,

Okwe, who has not been granted asylum because he has been “framed” by the

authorities after he had taken a publicly critical stand against them. His wife had been

burnt to death by the government and he had then been accused of the murder. He is a

taxi driver by day and at night a receptionist in the Baltic hotel. He is also a doctor and

helps people who need medical care and cannot take the risk of consulting a GP or

going to hospital, and in this he is aided and abetted by a Chinese doctor who works in

the morgue. He shares a bedsit with an undocumented Turkish worker called Senay,

played by Audrey Tautou, who is a cleaner at the hotel.

9 Their lives change dramatically when different strands in the plot come together.

Senay has to leave her work in the hotel because the immigration authorities, who

make a very intimidating visit to her bedsit, have found out that she works there. She

decides to go and work in a sweatshop making clothes, but is forced under threat of

denunciation to the authorities to have oral sex with the owner; after taking her

revenge, she flees and seeks a more desperate solution to realise her dream of finding a

new life for herself in the United States.

10 Okwe discovers that the hotel manager “Sneaky” Juán is using the hotel to traffic

human organs. Okwe is confronted with an unfortunate Somali suffering the appalling

effects of a bungled operation to take one of his kidneys which has left him with a

horrific wound and septicemia: Okwe looks after him, but in doing so reveals to Juán

that he is a doctor. Juán tries to persuade him to work for him and Okwe, who is

sensitive and honest, unsurprisingly refuses. However when he discovers who Juan’s

next victim will be he changes his mind and agrees to do the operation in return for a

passport offering him a new identity: Senay has agreed to sell a kidney to get the

money and passport she needs.

11 The twist at the end comes when Okwe, helped by an engagingly optimistic and human

prostitute who regularly works at the hotel, drugs Juán, removes one of his kidneys

(but insists on stitching him up again properly) and leaves with Senay and the

prostitute to deliver the kidney to a waiting driver and collect the £ 10,000 for which

the organ is being sold. At this point the driver of the car (an English surgeon?)

remarks that it is not Juán who is bringing the kidney and points out that “we don’t

usually see you people”. Okwe memorably replies that they are just the invisible people

who work to provide services for the better-off people who don’t even notice them: “we

are just the people who drive your cabs, clean your rooms and suck your cocks”, he

says. The remark of course applies much more widely to describe the fate of all the

migrant workers whose lives in London are at one stage or another briefly mises en

scène.

12 Perhaps what makes Dirty Pretty Things a successful film is not so much that it provides

a fleshed-out, haed-hitting though sometimes amusing portrayal of this seamier

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

174

London, but also because its characters are engaging, honest and resourceful, victims

and not criminals guilty of being illegal immigrants. Okwe in particular is an admirable

person, as is his Chinese doctor friend at the morgue, who helps him do his good work

as a doctor.

13 The abuses described by Dirty Pretty Things are varied but often extreme. The villains,

with the exception of the rascally Russian porter who makes a little extra running a

“parallel” room service delivering food filched from the kitchens to hotel patrons who

are asked to pay cash, are thoroughly unpleasant characters. However exploitation of

migrant workers can be much more complex.

Invisible workers

14 Amanda Craig’s novel Hearts and Minds (2009) also presents a number of migrant

workers or trafficked victims but offers a more varied range of people taking advantage

of them. The thugs who force a teenage Ukrainian girl into slavery in the sex industry

are anything but subtle, but the main character in the book is a much more interesting

figure. She is a British solicitor, Polly Noble, a single mother who specializes in

defending “illegals” threatened with expulsion. Her heart is in the right place, she

almost certainly reads the Guardian, and she does what she can to help. Indeed she

herself employs an undocumented Russian worker Iryna to look after her children, take

them to school, clean the house and so on. She does so with a clear conscience because

she treats her well and has even kitted out a bedroom for her with a TV set and so on.

She almost feels she is doing her a favour.

15 When Iryna disappears she realises acutely that without her she simply cannot manage.

When she learns that Iryna has been murdered, she begins to suffer pangs of remorse.

The bedroom she had fitted out for her was not so attractive after all, with “its forlorn,

tatty walls”. Polly is perhaps not so noble after all, and represents the double standards

which help London exploit the migrant workers without which it would probably grind

to a halt. She is not a despicable person, but is rather naïve and has a flexible social

conscience which she only becomes aware of when it is too late.

16 The character who undoubtedly comes out best in the novel is another illegal cab

driver, a Zimbabwean this time, like Okwe essentially a good man, though permanently

sad3. He finds a new purpose in life when he saves the Ukrainian sex worker from her

enslavement and in return is given the papers he needs to leave the country and

rebuild his life. London takes on a new flavour for the young girl he has helped to

recover her freedom:

All around, the tall pale buildings with their neat soldierly railings, identical as thedays in a calendar, march forwards into the future and back into the past, and thecity sighs its unending exhalation of hope, or exhilaration, or change.4

17 In short, despite man’s inhumanity to migrant worker, there is still room for hope.

London has seen it all before, and still offers a space for personal redemption. There is

a future, and Amanda Craig, like Stephen Frears, allows her “good” characters to

emerge more or less triumphant.

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175

Politics, reports and surveys

18 Amanda Craig is a journalist, and her novel is based on documentary evidence of the

lives she portrays, in particular a report published in 2007—200 years after the

abolition of the slave trade in Britain—by the Joseph Rowntree Foundation, entitled

Contemporary Slavery in the UK. The definition of slavery is loose enough to include many

of the people she describes: it involves “severe economic exploitation, the absence of

any framework of human rights [and] the maintenance of control of one person over

another by the prospect or reality of violence”. The report stresses that “the key aspect

of slavery… is that of coercion. Coercion exists ‘in any situation in which the person has

no real or acceptable alternative but to submit to the abuse involved’”5.

19 The increasing emphasis on “cracking down” on illegal immigration, which finds

regular and dramatic expression in newspapers like the Daily Mail but can be found in

political and other discourses with increasing frequency, makes it all the easier for the

unscrupulous to exploit migrant workers in particular and exert the sort of coercion

which makes any other course of action difficult to take. Some of the case histories

provide graphic examples of the way in which people have been tricked into coming to

Britain by the promise of well-paid work and found themselves trapped. Frequently the

gangmasters for whom they work take their passports or other papers and reinforce

the isolation that comes from the language barrier by keeping the workers constantly

hidden from the rest of society and maintains them in a state of economic dependence.

20 The government has increasingly been criticised for failing to treat the victims of

trafficking as just that, victims, rather than criminals, despite the fact that in March

2007 it ratified the Council of Europe Convention on Action against Trafficking of

Human Beings. This convention, which came into effect in the UK in 2009, defines

trafficking of human beings as

the recruitment, transportation, transfer, harbouring or receipt of persons, bymeans of the threat or use of force or other forms of coercion, of abduction, offraud, of deception, of the abuse of power or of a position of vulnerability or of thegiving or receiving of payments or benefits to achieve the consent of a personhaving control over another person, for the purpose of exploitation. Exploitationshall include, at a minimum, the exploitation of the prostitution of others or otherforms of sexual exploitation, forced labour or services, slavery or practices similarto slavery, servitude or the removal of organs.6

21 The Convention states in its preamble that respect for victims rights, protection of

victims and action to combat trafficking in human beings must be the paramount

objectives, and article 14 stipulates that,

Each Party shall issue a renewable residence permit to victims, in one or other ofthe two following situations or in both:a- the competent authority considers that their stay is necessary owing to theirpersonal situation; b- the competent authority considers that their stay is necessary for the purpose oftheir co-operation with the competent authorities in investigation or criminalproceedings.7

22 Recent analysis, such as that presented in a report published by the Anti-Trafficking

Monitoring Group, suggests that the provisions of the Convention have been either

misinterpreted or inadequately enforced. The conclusion of the executive summary

finds that,

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

176

in practice, the UK has not established a system led by the principle that a personwho has been trafficked has experienced abuse and requires time to recover beforebeing exposed to the rigours of an immigration system that is designed to identifyand remove people without entitlement to remain in the UK. The existing system isneither satisfying the provisions of the Convention nor key principles of rule of lawitself. Pockets of local good practice contrast with the centralised system that lacksany formal coordination and seems to be failing to refer trafficked persons toassistance and protection. The system has so far failed to contribute significantly toeither an increase in prosecution or a wider knowledge on trafficking.8

23 Not all the people subjected to this coercion and exploitation are illegal immigrants or

the victims of human trafficking. Many are asylum seekers whose request for asylum

has been refused; they are allowed to stay in the country pending appeal but are not

allowed to work and only entitled at best to inadequate support. Chris Cleave’s novel

The Other Hand depicts a woman whose experiences in her own country would seem to

provide ample justification for asylum, and yet her request is refused. She finds herself

effectively imprisoned in a detention centre until she is let out along with a small group

of other women after one of them secures their release in return for sexual favours

given to one of the wardens. The sense of vulnerability as they leave the centre and

finally walk free on English soil is palpable. The women are taken in by a farmer who is

intensely critical of the way the government treats not only people like the heroine

Little Bee but also farmers and country people generally:

The government doesn’t care about anyone. You’re not the first people we’ve seen,wandering through these fields like Martians. You don’t even know what planetyou’re on, do you? Bloody government. Doesn’t care about you refugees, doesn’tcare about the countryside, doesn’t care about farmers. All this bloody governmentcares about is foxes and townspeople.9

24 Others are legal migrant workers (one of the first case studies in the report charts the

exploitation of a group of polish workers who came to the UK after Poland had joined

the EU10) who are tricked into handing over their documentation and gradually

overwhelmed in a web of debt and threats of physical violence.

25 One of the areas where this kind of exploitation is widespread, according to a number

of reports published by the government and various pressure groups, is agriculture

(fruit picking and so on). This features in another novel published in the late 2000s,

Monica Ali’s In the Kitchen, which is, like Dirty Pretty Things, also set in a hotel which this

time is used as a cover for human trafficking. The rather weak-willed main character,

the head cook in the kitchen of the Imperial Hotel, only realises at the end of the novel

during his own descent into depression and disarray that the hotel manager is

involved, through his brother, in providing labour for a farm in Norfolk where the

conditions meet every one of the conditions outlined above in the definition of modern

slavery. Workers are underpaid, money is deducted from the pay without justification

and they are subjected to threats of various kinds.

26 In short, the conditions on the farm where he picks spring onions are in all respects

similar to the numerous case studies presented in the reports and studies which have

proliferated over the last few years. For example an article in the Guardian published in

December 2006 describes how 700 workers, including Poles, Indians, Pakistanis and

Afghans, were bussed from Southampton to a huge flower packing unit in Hook, in

Hampshire. The company was preparing deliveries of flowers for the shops to be sold

over Christmas. The gangmasters were apparently registered with the Gangmasters

Licensing Authority which was set up under the Act which was introduced in the wake

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

177

of the Morecambe Bay tragedy. The journalist was able nonetheless to establish the

same dreary pattern of people being misled about registration, underpaid, not given

regular pay slips, having money deducted for various services such as transport in ways

which are illegal and unfair and ultimately only sustainable by the threat of violence or

dismissal. The company has since terminated its contract with the gangmaster. Such

mistreatment may not always satisfy all the conditions to be considered as human

trafficking or modern slavery, but it often comes very close.

Some conclusions

27 This story is just another example of the way that goods are available at prices people

can afford only because vulnerable people are forced with varying degrees of severity

into working long hours for low wages in precarious conditions, rather mocking the

concept promoted by the EU of “flexicurity”, the idea that more flexible working

conditions are beneficial both to employers, who gain a competitive edge in a global

economy because of their access to flexible, cheap labour, and to employees, who are, it

is argued, able to adjust their working practices to suit the requirements of their

private lives11.

28 The situation today is a rather mixed bag. The GLA, for example, has clearly begun to

have an effective impact on exploitation of migrant workers in the areas over which it

has authority. The “down side” is that gangmasters have moved on to other less

regulated areas. Pressure groups and charities have been very active, and there is no

doubt that the higher profile that has been generated on this problem by the films,

documentaries and novels which have focused on these questions, of which those

mentioned in this paper are only a few of the more visible examples, along with the

reports and debates in Parliament and elsewhere, have had an effect. As mentioned

above, Britain has signed the Council of Europe Convention on Action against

Trafficking of Human Beings, even though it has been suggested that not all of its

provisions are being properly implemented. And finally the crisis which has struck the

British economy since 2008 has undoubtedly had a negative impact. It has sharpened

still further the competition which encourages even multi-billion pound multinationals

to use cheap, undocumented labour12, and it has led to budget cuts to charities and

official agencies. For example, the GLA’s funding is to be reduced over the next few

years as part of the general savings required in public expenditure. It would be a

tragedy if the progress that has been made was reversed because of the cold economic

climate.

BIBLIOGRAPHY

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Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

178

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NOTES

1. Areas for which the Gangmasters Licensing Authority has power to regulate

2. Nick BROOMFIELD, Ghosts, Channel 4 Films, 2006.

3. This long-suffering victim who despite all his trials manages to preserve his belief in humanity

is, perhaps unimaginatively, called Job.

4. Amanda CRAIG, Hearts and Minds, London: Cape, 2010, p. 410.

5. Gary CRAIG et al., Contemporary Slavery in the UK: Overview and Key issues, Joseph Rowntree

Foundation, 2007, pp. 12-13.

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179

6. Council of Europe Convention on Action against Trafficking of Human Beings, Article 4,

paragraph a. http://conventions.coe.int/Treaty/EN/Treaties/Html/197.htm.

7. Ibid, Preamble.

8. Lorena AROCHA. Wrong Kind of Victim? One year on: an analysis of UK measures to protect trafficked

persons. Anti-Slavery International for the Anti-Trafficking Monitoring Group, June 2010. http://

www.antislavery.org/includes/documents/cm_docs/2010/a/1_atmg_report_for_web.pdf.

9. Chris CLEAVE, The Other Hand, London, Spectre, 2008, p. 88.

10. Contemporary slavery in the UK, op. cit., pp. 13-15.

11. Cf. Jon BURNETT & David WHYTE, The Wages of Fear: Risk, Safety and Undocumented Work,

PAFRAS & The University of Liverpool, 2010.

12. Cf. for example Pai HSIAO-HUNG, Chinese Whispers: the true story behind Britain’s hidden army of

labour, London: Penguin, 2008, on Samsung in the UK.pp. 1-25.

ABSTRACTS

Britain in the late 1990s and most of the 2000s was presented as a remarkable economic success

story underpinned by a flexible job market which, it was claimed, encouraged the creation of jobs

and wealth. There was however a dark side to this image, with an emerging picture of a

workforce at the bottom of the pile, made up mainly of international migrants, which was

shamefully exploited, to the extent that fears began to be expressed that there was a significant

amount of human trafficking and even forms of contemporary slavery underlying the general

prosperity. The tragic death of some twenty Chinese “illegals” who were cockle-picking in

Morecambe Bay in 2004 alerted public opinion to the issue and a number of reports and surveys

focused on the issue. Films and novels also played a role in bringing this situation to life and thus

generating further public interest. This article analyses these representations of exploitation and

assesses their impact.

Le Royaume-Uni à la fin des années 90 et pendant la majeure partie des années 2000 a été

présenté comme un succès économique remarquable soutenu par un marché de l’emploi flexible

qui, disait-on, encourageait la création d’emplois et de richesse. Il y avait cependant à cette

image un côté moins avouable, et on s’apercevait qu’il y avait également, en bas de l’échelle, une

main d’œuvre honteusement exploitée, composée essentiellement de migrants étrangers, si bien

que l’on craignait l’existence à un niveau significatif d’un trafic d’êtres humains et même de

formes d’esclavage moderne derrière la prospérité générale. La mort tragique en 2004 d’une

vingtaine de clandestins chinois qui ramassaient des coques dans la baie de Morecambe a alerté

l’opinion publique. De nombreux rapports et enquêtes ont été consacrés à cette question et des

films et romans ont également joué un rôle dans la sensibilisation du public en étoffant le côté

humain du problème. Cet article analyse ces représentations de l’exploitation et en évalue la

portée.

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180

AUTHOR

MICHAEL PARSONS

Michael Parsons est Professeur de civilisation britannique à l’Université de Pau et des Pays de

l’Adour. Il participe depuis longtemps aux travaux du CRECIB et a connu Lucienne Germain à

l’occasion des réunions, séminaires et autres activités de la société. Il était, de 2006 à 2010,

Président du CRECIB ; Lucienne était « sa » vice présidente. Elle était également un membre actif

des comités de la Revue française de civilisation britannique dont il était le directeur. Cette

collaboration amicale lui laisse de beaux souvenirs d’une femme exceptionnelle qui a

énormément apporté au CRECIB et à tous ceux qui partageaient sa passion pour la recherche et

pour la vie d’une véritable communauté universitaire

.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

181

Le post-multiculturalisme de DavidCameronDavid Cameron’s Post-Multiculturalism

Didier Lassalle

1 À Munich, lors d’une récente conférence internationale consacrée à la sécurité, David

Cameron s’est violemment attaqué au « multiculturalisme d’état » (state

multiculturalism) à la britannique. Il a ainsi accusé cette doctrine d’être à l’origine du

séparatisme communautaire et du climat d’aliénation qui constituent, selon lui, le

compost sur lequel prospère le terrorisme des fondamentalistes musulmans. Il a appelé

de ses vœux un « libéralisme musclé » (muscular liberalism) capable à la fois de faire face

à l’extrémisme islamiste et de promouvoir une identité britannique inclusive1. Son

discours, calibré à la perfection, a eu les effets escomptés en déclenchant, au plan

national, une véritable tempête médiatique : les Conservateurs se félicitant

bruyamment de la fin annoncée du multiculturalisme ; le porte-parole de l’opposition

travailliste pour la justice, Sadiq Khan, accusant le Premier ministre de faire le jeu de

l’extrême droite ; les groupes musulmans et antifascistes mettant en cause ses

intentions en faisant remarquer que son discours coïncidait étrangement avec une

manifestation organisée le même jour par le parti d’extrême droite English Defence

League (EDL) à Luton2.

2 Pourtant, l’argumentaire développé par David Cameron à Munich n’était pas nouveau

puisqu’il l’avait déjà éprouvé lors d’un débat organisé par la Commission pour l’Égalité

et les Droits Humains (Equality and Human Rights Commission) en 2008. Il affirmait à

l’époque que : « le multiculturalisme – l’idée que différentes cultures doivent être

respectées au point de les encourager à vivre séparément – a dangereusement sapé le

sentiment identitaire de la Grande-Bretagne et entrainé un « apartheid culturel«3. Il

ajoutait qu’il était du devoir des Conservateurs de s’assurer que tous les immigrants

apprennent l’anglais, de promouvoir le droit des femmes et de lutter contre l’extension

du séparatisme dans le pays4.

3 D’autre part, le multiculturalisme avait déjà subi de sérieuses attaques bien avant son

arrivée au pouvoir en mai 2010. En 2002, les prises de position de David Blunkett, alors

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

182

ministre de l’Intérieur, sur l’impératif linguistique et la nécessité d’un minimum

d’intégration culturelle de la part des minorités allaient déjà dans ce sens5. Elles

faisaient suite aux deux rapports analysant les causes ainsi que le déroulement des

émeutes de l’été 2001 à Bradford, Burnley et Oldham qui avaient dénoncé les effets

négatifs de la « balkanisation ethnique » sur la cohésion sociale dans ces villes6. Dans un

discours prononcé en 2005, le président de la CRE, Trevor Phillips, stigmatisait déjà les

dérives d’un multiculturalisme « à l’américaine » qui conduisait tout droit vers un

renforcement de la ségrégation et des inégalités7. En 2006, Ruth Kelly, ministre de

l’éducation, se réjouissait même de l’effritement rapide du consensus multiculturaliste

accusé d’avoir favorisé la séparation entre les communautés8. De même, dans son

discours Our Nation’s Future – multiculturalism and integration de décembre 2006, Tony

Blair insistait tout particulièrement sur le « devoir d’intégration » (the duty to integrate)

des minorités ethniques compatible, selon lui, avec leur droit à la différence. Il

n’hésitait pas non plus à dénoncer les dérives de la « diversité » qui conduisaient à la

séparation des communautés et au rejet des valeurs fondamentales de la société

britannique9. Les controverses sur le port du voile islamique, déclenchées par Jack

Straw (alors président des Communes), ainsi que les inquiétudes exprimées par Trevor

Phillips sur l’éventualité d’émeutes à la française dans les quartiers sensibles

soulignaient que le revirement idéologique était déjà bien engagé10. De même, Gordon

Brown, dans son discours de 2008 (Managed Migration and Earned Citizenship), souhaitait

que les nouveaux arrivants fassent preuve d’un plus grand désir de rejoindre le « projet

collectif » que représente la nation britannique11. Il reprenait à son compte le concept

très controversé de « citoyenneté méritée » (earned citizenship) développé par David

Goodhart le rédacteur en chef de Prospect Magazine12.

4 Enfin, lorsqu’il était encore dans l’opposition, David Cameron dénonçait avec verve la

dangereuse confusion introduite, selon lui, par le gouvernement New Labour entre

cohésion sociétale, intégration des musulmans britanniques et menace terroriste. Son

insistance à découpler les questions d’intégration et de cohésion des problèmes

sécuritaires lui avait même valu les louanges du Muslim Council of Great-Britain (MCB)13.

Le discours de Munich revient partiellement sur cette position. En effet, il y insiste sur

les conséquences néfastes du séparatisme communautaire – encouragé par des leaders

charismatiques qualifiés d’ « extrémistes non-violents » – qui conduirait les musulmans

à se définir uniquement en fonction de leur appartenance religieuse. Par un processus

de contagion, l’enfermement au sein de ce maillage serré de croyances radicales

amènerait les plus influençables ou les plus déterminés à basculer dans la violence

terroriste14.

5 En surface, il existe donc une filiation évidente entre la politique développée par les

gouvernements New Labour en matière d’intégration à partir de 2001 et celle désormais

impulsée par le gouvernement de coalition de David Cameron. Plus en profondeur, des

différences notables apparaissent tant sur la forme que sur le fond. Mais avant de les

discuter en détail, il est nécessaire de se pencher sur le contexte sociopolitique

britannique qui permet de mieux appréhender la politique actuelle en matière

d’intégration et de cohésion sociétale. Trois éléments majeurs sont à considérer : les

craintes suscitées dans la population britannique par le volume croissant du solde

migratoire ; la montée en puissance de l’islamophobie et la multiplication des réactions

xénophobes ; la prise en compte du ‘white backlash’ engendré par la mise en place des

politiques multiculturelles.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

183

Immigration : l’habituel bouc-émissaire

6 Depuis le discours enflammé d’Enoch Powell de 1968 dénonçant l’immigration en

provenance du Nouveau Commonwealth et critiquant la mise en place d’une législation

antidiscriminatoire, la question de l’immigration est récurrente dans le débat politique

au Royaume-Uni15. Examinons d’abord la réalité des estimations chiffrées fournies par

l’ONS sur la période 1997-2009 qui couvre pratiquement l’ensemble de la gestion New

Labour. Le tableau n° 1 indique un solde migratoire global de plus de 2,2 millions de

personnes dont environ la moitié (1,1 million) est issue des pays du Nouveau

Commonwealth. Ces arrivées massives ont largement contribué à l’accroissement

général de la population britannique qui est passée de 58,3 à 61,8 millions sur la même

période16.

Tableau n° 1 : Long-Term International Migration. Time series 1991 to 2009 by Country of last ornext residence, UK – balance inflow/outflow (thousands).

Source : ONS [http://www.statistics.gov.uk/STATBASE/Product.asp?vlnk=15053]

7 À ces chiffres, il convient d’ajouter un nombre relativement important de migrants en

situation irrégulière, dont l’estimation peut varier du simple au double selon les

sources. Une étude publiée en 2009 propose le chiffre moyen de 618 000 personnes pour

l’année 2007 sur l’ensemble du pays – compris dans une fourchette qui va de 417 000

pour l’estimation basse à 863 000 pour la plus haute17. La conclusion manifeste est que

la gestion d’ensemble du phénomène migratoire par les trois gouvernements New

Labour s’est traduite par l’augmentation massive de la population étrangère résidant au

Royaume-Uni : environ 3 millions de personnes supplémentaires.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

184

8 Le contrôle de l’immigration devient une question politique centrale pour le New Labour

dans les années 2000. Dans un premier temps, le second gouvernement Blair assouplit

la règlementation afin de répondre aux besoins du pays en personnel qualifié, comme il

s’y était engagé dans son programme électoral de 200118. Les Conservateurs accusent

alors les Travaillistes de sous-estimer le problème et ses conséquences néfastes pour

l’avenir du pays ainsi que d’avoir abandonné leurs engagements de 199719. En 2003, un

groupe de pression très marqué à droite, MigrationWatch UK, se constitue et lance une

campagne d’opinion dans la presse (Daily Mail, Daily Telegraph, Daily Express, Daily Star

mais également le Times et le Guardian) contre le supposé laxisme gouvernemental en

matière d’immigration et de droit d’asile. Son credo est celui de la migration équilibrée

(balanced migration) qui consiste à rapprocher au maximum les volumes des flux

migratoires entrant et sortant20. Ses conceptions radicales en matière de contrôle de

l’immigration seront ensuite relayées à la Chambre des Communes par l’intermédiaire

d’un groupe « trans-partis » (Cross-Party Group on Balanced Migration) dirigé par les

députés Frank Field (travailliste) et Nicholas Soames (conservateur) en 2008.

9 À partir de 2004, l’économie britannique, qui joue à fond le jeu de la mondialisation,

emploie une main d’œuvre étrangère abondante et bon marché provenant, en

particulier, des pays nouvellement entrés dans l’Europe (A8 countries) au détriment de

la main-d’œuvre locale qui se retrouve au chômage et commence à protester

sérieusement21. Dans un discours de 2007, le Premier ministre, Gordon Brown, reprend

alors la rhétorique habituellement associée au BNP : il déclare vouloir créer des

« emplois britanniques » pour les « travailleurs britanniques »22. La même année, le

Select Committee on Economic Affairs de la Chambre des Lords publie un rapport

concernant la politique migratoire du gouvernement dans lequel l’impact de

l’immigration sur l’économie et la société britannique est analysé. Ses conclusions sont

sans appel: « we have found no evidence for the argument, made by the Government, business

and many others, that net immigration —immigration minus emigration— generates significant

economic benefits for the existing UK population »23. En 2008, les premiers effets de la crise

des « subprimes » se font sentir avec pour corollaire une dégradation continue des

chiffres de l’emploi, qui conduit à des manifestations et des grèves sauvages dans de

nombreuses raffineries et centrales électriques du pays début 2009. À cette occasion, les

travailleurs expriment leurs inquiétudes concernant l’avenir compromis de leurs

emplois et reprennent à leur compte la phrase malheureuse du Premier ministre24.

Quelques semaines plus tard, le ministre en charge de l’immigration, Phil Woolas,

réutilise sans complexe le même argumentaire protectionniste lorsqu’il insiste sur la

nécessité de réformer le système de permis de travail à point (points-based system) afin

de restreindre le nombre des immigrants qualifiés (hors UE) et de permettre ainsi à

plus de diplômés britanniques de décrocher un emploi25.

10 Plus gênant, en 2009, un ancien conseiller et rédacteur de discours de Tony Blair,

Andrew Neather, dévoile dans un article de presse la politique concertée d’ouverture

des frontières des premiers gouvernements travaillistes destinée, selon lui, à

transformer radicalement le pays en le rendant véritablement multiculturel26. Ses

affirmations, discutables, sont reprises avec délectation par des chroniqueurs de droite,

comme Mélanie Phillips, qui étrillent les gouvernements travaillistes successifs,

coupables à leurs yeux d’avoir favorisé la montée du BNP en négligeant les aspirations

et les intérêts de leurs propres électeurs issus de la classe ouvrière27. À partir de cette

date, le virage ultra-protectionniste amorcé par le gouvernement de Gordon Brown en

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185

2007 en matière d’immigration est totalement assumé. Par exemple, la ministre de

l’Intérieur Jacqui Smith déclare aux journalistes de la BBC que les immigrants ne

devraient pas pouvoir occuper un emploi qualifié au Royaume-Uni qui n’ait été

préalablement proposé aux travailleurs britanniques ; son successeur Alan Johnson

reconnait pour sa part la « maladresse » des administrations Conservatrice et New

Labour précédentes et le fait que certaines régions du pays ont été particulièrement

affectées par l’immigration qui a pesé lourdement sur le marché de l’emploi et les

services publics locaux28. Le rapport du Select Committee on Economic Affairs de la

Chambre des Lords, mentionné précédemment, leur donne en partie raison, puisque

tout en soulignant le faible nombre des études réalisées sur ce sujet, il indique :

The available evidence suggests that immigration has had a small negative impacton the lowest-paid workers in the UK, and a small positive impact on the earningsof higher-paid workers. Resident workers whose wages have been adverselyaffected by immigration are likely to include a significant proportion of previousimmigrants and workers from ethnic minority groups29.

11 Les partis extrémistes surfent sur l’hostilité croissante à l’égard des immigrants. Le

British National Party (BNP) demande l’arrêt immédiat de toute immigration (pays de

l’Union Européenne inclus) ainsi que la mise en place d’un programme de rapatriement

volontaire qui coïncide étrangement avec la réhabilitation d’Enoch Powell et de ses

idées. Les nationalistes de l’UKIP, quant à eux, exigent le gel pour cinq ans de toute

immigration permanente et l’instauration de permis de travail pour les citoyens

européens. Enfin, lors de la campagne électorale de 2010, Gordon Brown, dans l’espoir

de regagner les faveurs d’un électorat populaire très hostile à l’immigration, n’hésite

pas à fustiger les « immigrants illégaux » tout en appelant cyniquement les trois grands

partis à condamner la xénophobie30.

12 Ainsi adoubée par les plus hauts représentants de l’État, l’idée que les étrangers

immigrés menacent les moyens d’existence d’une partie non négligeable de la

population britannique (les travailleurs les moins qualifiés) s’ancre de plus en plus

fermement dans l’opinion. Une enquête réalisée par Ipsos Mori en 2007 indique que 77 %

des Britanniques interrogés s’inquiètent des conséquences possibles de l’immigration

sur le fonctionnement des services publics de santé et d’éducation dans leur localité, et

82 % des conséquences possibles au plan national. De plus, ils sont 80 % à ne pas faire

confiance au gouvernement quant à l’ampleur réelle de l’immigration31. L’enquête

comparative, Transatlantic Trends : Immigration, réalisée en 2010 souligne que

l’immigration est le problème politique majeur pour 23 % des Britanniques et que,

d’autre part, ces derniers sont les plus réservés des Européens sur l’apport de

l’immigration, avec 65 % des sondés considérant qu’elle constitue plutôt un problème

qu’une chance pour le pays32. Ce sentiment est largement répandu dans toutes les

strates de la société. Par exemple, l’enquête de l’institut Populus met en évidence une

convergence de vue manifeste au sein des différentes communautés qui constituent la

société britannique. En effet, 34 % des Blancs et 39 % des Asiatiques sont favorables à

une ligne générale très restrictive concernant la politique d’immigration. Les deux

raisons principales invoquées étant d’une part, que les immigrants constituent une

menace pour l’emploi pour 40 % des Asiatiques et 23 % des Blancs, et d’autre part, qu’ils

ont un effet négatif sur le niveau des salaires pour 47 % des Asiatiques et 34 % des

Blancs33. Enfin, l’amplification de la crise économique qui secoue le pays et fait monter

en flèche le nombre des chômeurs contribue à renforcer dans l’opinion ces perceptions

négatives de l’immigration et des migrants. Les dernières enquêtes confirment cette

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impopularité croissante. Celle du Citizenship Survey 2010 montre que 78 % des personnes

interrogées sont favorables à une réduction de l’immigration, dont 56 % favorables à

une forte diminution34.

Islamophobie et xénophobie : fruits amers du doublediscours sécuritaire et protectionniste

13 Les émeutes du printemps et de l’été 2001 (qui ont constitué un sévère avertissement

pour ceux qui pensaient que l’intégration était sur la bonne voie), les attentats du

11 septembre, l’intervention militaire en Afghanistan et la reprise du conflit avec l’Irak,

ont réactivé le sentiment de méfiance à l’égard des musulmans vivant sur le territoire

britannique. Les attentats meurtriers de Londres en juillet 2005, triste illustration du

fossé qui s’est creusé entre certains jeunes musulmans et la société britannique dans

son ensemble, l’ont radicalisé. De plus, la montée concomitante des revendications

religieuses, culturelles et éducatives de ces communautés, souvent associée à

l’apparition de formes contemporaines de fondamentalisme religieux, sont suivies avec

hostilité par la plupart des politiques et des acteurs sociaux. Cet amalgame de craintes

infondées entourant la foi islamique et ses règles de vie, s’exprime dans les médias par

l’intermédiaire de stéréotypes négatifs, parfois très violents, visant les pays musulmans

et la culture musulmane en général ainsi que les communautés britanniques de cette

obédience religieuse, qui sociologiquement regroupent les personnes les plus touchées

par la pauvreté et le chômage, tels les Pakistanais, les Bangladais ou les Somaliens. La

presse populaire fustige leur intransigeance, leur esprit antidémocratique et le

caractère fondamentaliste de leurs croyances et de leurs pratiques religieuses d’autant

plus que la force montante de l’Islam, même modéré, inquiète énormément35. Ainsi, la

chroniqueuse Yasmin Alibhai-Brown n’hésite pas à dénoncer le courant raciste et

xénophobe qui se répand dans la société britannique, où ce type de discours est

désormais considéré comme acceptable puisqu’il se contente de stigmatiser la présence

de ces « ‘étrangers’ immigrés [qui] sont un désastre pour la nation ». Elle critique aussi

férocement les intellectuels et les médias qui, selon elle, ont contribué à le rendre

respectable36. La conséquence la plus néfaste de ces dérives est que le discours radical

des petits partis d’extrême droite ouvertement islamophobe, tels que le National Front,

le BNP ou le mouvement plus récent mais très actif de l’English Defence League (créé en

2009 à Luton), sort progressivement de sa marginalité et bénéficie de ces circonstances

favorables pour diffuser largement dans l’opinion.

14 Pour sa part, Iqbal Sacranie, ancien secrétaire général du Muslim Council of Britain (MCB),

déclare dans une interview réalisée en avril 2011 :

The last few months have seen the curse of Islamophobia on the increase; we haveseen a number of nasty and unpleasant incidents happening in the communityincluding mosques being vandalised, desecration of Muslim graves, women beingattacked because of wearing Hijab or Nikab and list goes on. With all such attackshappening, the mainstream media is either silent or ignorant at worst of these anti-Muslim hate crimes. What one finds amazing instead of showing signs of concern togood community relations and social cohesion by reporting these incidents, theright wing media continues to pursue its agenda of denigrating Islamic values byconcentrating on the un-Islamic acts of the few which have been condemned bymainstream Muslim organisations37.

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187

15 La baronne Warsi (co-présidente du parti Conservateur et ministre sans portefeuille du

gouvernement de David Cameron) quant à elle, met en garde contre la banalisation de

l’islamophobie qui serait désormais considérée comme « normale et acceptable lors des

dîners »38. Cette affirmation est confortée par le sondage commandé par la fondation

Searchlight Educational Trust à l’institut Populus en 2010 qui montre que l’Islam et les

musulmans font l’objet de jugements extrêmement négatifs dans de nombreux secteurs

de la population : plus de la moitié des personnes interrogées pensent que les

musulmans « create problems in the UK » et 43 % soutiendraient même une campagne

destinée à empêcher la construction d’une mosquée dans leur quartier39.

16 Nous avons vu précédemment que la stigmatisation s’est progressivement étendue à

l’ensemble des immigrés au cours de la décennie 2000. En effet, des argumentations à

caractère nationaliste et xénophobe font leur apparition pour condamner l’arrivée

massive des européens de l’Est, en particulier des Polonais, accusés de faire baisser les

salaires et de prendre les emplois des travailleurs britanniques40. Ceci conduit le

gouvernement New Labour à abandonner sa politique de la « porte-ouverte » (« open-

door » policy) en imposant des restrictions à la mobilité des travailleurs roumains et

bulgares, pays nouvellement entrés dans l’UE, en janvier 2007. Il s’agit de ne pas

reproduire la même erreur qu’avec les pays du groupe A8 et de limiter l’influx

prévisible de ces nouveaux citoyens, qui déstabiliserait encore un peu plus le marché de

l’emploi. Cette mesure marque un tournant de la politique migratoire du

gouvernement qui, dans le discours politique du moins, devient plus restrictive et

prend un caractère véritablement protectionniste. Curieusement, la fameuse

déclaration de Gordon Brown (« British jobs for British workers ») fut très critiquée à

l’époque par l’opposition Conservatrice conduite par David Cameron qui dénonça son

illégalité au regard de la législation européenne ainsi que le recyclage politicien de

l’argumentaire raciste du BNP au cours d’un vif débat parlementaire41.

Multiculturalisme et « white backlash »

17 L’expression « white backlash », popularisée par le livre de Roger Hewitt (2005), fait

référence à la réponse des classes populaires blanches aux politiques d’égalité des

droits, d’égalité des chances et antiracistes progressivement mises en place en faveur

des groupes ethniques minoritaires. Dans un contexte où la politique de classe est

progressivement supplantée par celle de l’identité et de la différence, certains Blancs se

sentent dépossédés et développent le sentiment d’être traités d’une façon « injuste ».

Ils avancent même l’argument que c’est leur propre culture, et non plus celles des

minorités, qui fait l’objet d’un manque de reconnaissance de la part des autorités

administratives et politiques du pays42. Depuis les années 1980, le « white backlash » et

les discours associés de marginalisation matérielle et culturelle – engendrés par la

croyance que les avantages dont bénéficiait la population blanche auraient été rognés

par l’avancée du multiculturalisme – ont été récupérés par des acteurs politiques

variés. Enoch Powell est le premier à avoir tenté d’instrumentaliser ces craintes à la fin

des années 1960s. Les gouvernements successifs de Margaret Thatcher ont également

joué cette partition avec beaucoup d’habileté, réussissant à marginaliser l’extrême

droite dans le même mouvement : rejet d’une gauche jugée trop libérale et censée

mettre en péril la nation britannique par sa promotion irréfléchie des politiques

multiculturelles.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

188

18 Depuis 1999, la presse de droite ainsi que certains hommes politiques ont réactivé ces

discours dans un contexte de déclin de la souveraineté nationale, de menace terroriste,

d’immigration massive, et de questionnement identitaire. C’est la publication du

rapport Macpherson sur le meurtre du jeune Stephen Lawrence qui, en dénonçant le

racisme institutionnel des forces de police, et plus généralement des institutions,

semble en être le déclencheur. En effet, les critiques acerbes de Macpherson ont été

interprétées dans la presse de droite comme une attaque contre l’« Anglicité »

(« Englishness ») ainsi qu’une capitulation en ras-campagne de l’élite cosmopolite

dirigeante « anti-anglaise » devant le concept étranger du « politiquement correct »43.

L’idée est alors avancée que si le racisme est le résultat de la non-prise en compte

institutionnelle des spécificités de chaque groupe, alors les Anglais constituent le

groupe le plus mal loti puisqu’ils ne peuvent prétendre à aucun privilège44. Dans le

même temps, en dépit d’un positionnement relativement conservateur des

gouvernements New Labour sur les questions de la diversité et du multiculturalisme, ces

derniers ont été vilipendés pour leur incapacité à contrôler les frontières, pour avoir

imposé la dictature du politiquement correct et pour avoir échoué à réduire les

inégalités sociales persistantes qui transcendent les frontières de la ‘race’ et de

l’appartenance ethnique.

19 Bien entendu, le BNP s’est engouffré dans cette brèche en se présentant comme le

champion de la population blanche laissée pour compte et appelant à la « justice » pour

les Blancs (« Rights for Whites ») dans des zones sensibles telles que Burnley ou Barking

et Dagenham. C’est au cœur des bastions traditionnels ouvriers du parti travailliste que

le BNP a recueilli le plus de transfuges, mais il a également attiré des militants

provenant des deux autres grands partis politiques et issus de toutes les strates de la

classe ouvrière et de la basse classe moyenne45. De plus, des personnalités politiques de

premier plan ont tenté d’utiliser ces dangereux leviers pour s’assurer un gain politique

ou ne pas perdre leurs électeurs. Pendant la campagne électorale de 2005, le chef du

parti Conservateur, Michael Howard, a combiné une ligne politique très dure sur

l’immigration et une critique cinglante du « politiquement correct »46. Les Travaillistes

ne sont pas en reste. En 2003, le député d’Oldham East et de Saddleworth, Phil Woolas,

critique la police qui, selon lui, ne traite pas les attaques racistes contre les Blancs de la

même manière que celles ciblant les personnes issues des minorités ethniques47. De

même, la députée de Barking, Margaret Hodge, a exprimé son inquiétude de voir les

Blancs négligés par l’ensemble des grands partis à de nombreuses reprises. En 2006, elle

fait sensation en déclarant que les familles de la classe ouvrière blanche se sentent

tellement abandonnées par le gouvernement et qu’elles sont si mécontentes du niveau

élevé de l’immigration qu’elles désertent le parti pour aller directement s’inscrire au

BNP :

They can’t get a home for their children, they see black and ethnic minoritycommunities moving in and they are angry […]. When I knock on doors I say topeople, ’are you tempted to vote BNP?’ and many, many, many - eight out of 10 ofthe white families - say ’yes’. That’s something we have never seen before, in all myyears. Even when people voted BNP, they used to be ashamed to vote BNP. Nowthey are not48.

20 En 2009, la ministre en charge des Communautés (Communities Secretary), Hazel Blears,

admet que les Blancs de la classe ouvrière pensent parfois que personne ne les écoute

ou ne parle en leur faveur et qu’ils devraient être autorisés à exprimer leurs

inquiétudes légitimes sans craindre de se faire traiter de racistes49. Cela fait suite à un

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

189

rapport publié par ses services qui souligne que cette population se sent « trahie » et

« abandonnée » par le personnel politique des grands partis qui les place généralement

en seconde position, derrière les immigrants, dans ses préoccupations. Tel est l’un des

points clés de ce rapport:

Where immigration and integration are discussed in depth as problematic, there isa focus on real or perceived competition for resources; housing, benefits, jobs,territory and national culture. The implications of this for the political capital thatcan be accrued by the Far-right are very grave. Our white interviewees’ responsesto minorities are far from universally negative. In fact everything fromindifference, through empathy, a desire for more and better engagement, toanxiety was registered in these interviews. People express a desire for equality anda level playing field, not only in economic terms, but also in terms of ethnic groups(and even sections of ethnic groups). In this reading, there is injustice andunfairness because the same rules do not seem to apply to everyone. However, theassumptions about who is entitled to resources seem to lean toward a racial base,with local variations50.

21 Le député travailliste Frank Field, co-président du groupe « trans-parti » pour une

« immigration équilibrée », en profite pour insister sur le danger politique que

constitue à ses yeux l’inaction gouvernementale dans ce domaine :

No wonder people feel the government is riding roughshod over their wishes, andnot only in the poorest areas, which are bearing the brunt of the present massivelevel of immigration. Unless further action is taken soon, immigration will addnearly 10 million to the population of England in the next 20 years. […] If Labourwants to influence the outcome of the next general election, it had better startaddressing white working-class concern about immigration, not simply reportingon it51.

Ébauche d’une politique post-multiculturellespécifique ou simple reconditionnement despolitiques du New Labour ?

22 Lors de la campagne électorale de 2010, David Cameron s’était fermement engagé sur

trois points afin de rendre plus efficaces les politiques d’intégration et de contrôle de

l’immigration qui, selon lui, n’avaient pas été suffisamment prises au sérieux par les

gouvernements précédents. En premier lieu, et pour répondre aux souhaits de son

électorat ainsi que d’une partie non-négligeable de l’électorat travailliste qu’il comptait

séduire, il avait proposé de limiter l’immigration drastiquement en introduisant une

limite supérieure annuelle fixée par le gouvernement en fonction des besoins. En

second lieu, il avait promis d’en finir avec les errements ‘désastreux’ du

multiculturalisme, qu’il n’avait d’ailleurs jamais cessé de critiquer depuis son accession

à la direction du parti Conservateur. Enfin, il prônait un retour à une vision

assimilationniste classique de ce qu’il appelait l’« intégration » ainsi qu’un

renforcement de la « cohésion sociétale ».

23 Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement de coalition se fixe l’objectif de réduire le

solde annuel du flux migratoire. La ministre de l’Intérieur, Theresa May, confirme la

mise en place de restrictions immédiates limitant l’admission des travailleurs hors UE

et souligne la volonté gouvernementale: « What we have as an aim is indeed to bring

immigration down from the hundreds of thousands that it became under Labour to the tens of

thousands that it used to be52 ». Cependant, cette ligne politique ferme, très en phase avec

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190

les attentes d’une large majorité de la population, fait aussitôt l’objet de sérieuses

critiques. La focalisation du gouvernement sur la réduction du solde migratoire en est

la première cible car elle souligne son impuissance à réellement contrôler le

phénomène : le solde migratoire dépend autant de l’immigration que de l’émigration et

le gouvernement n’a aucun moyen d’influencer cette dernière. D’autre part, le contrôle

de l’immigration est limité par les traités internationaux, ce qui réduit d’autant sa

marge de manœuvre. Par exemple, il est désormais impossible d’empêcher l’arrivée de

travailleurs polonais, bulgares ou roumains dans le pays car ils ont légalement le droit

de s’y installer en tant que citoyens de l’UE, ce qui provoque l’ire et renforce

l’argumentaire d’un parti nationaliste et anti-européen comme le United Kingdom

Independence Party (UKIP). De même, la Convention internationale sur le droit d’asile, la

Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), la Charte des Droits

Fondamentaux de l’Union Européenne, constituent des contraintes importantes, en

particulier pour ce qui concerne la migration familiale. La décision récente d’étendre

les exigences en termes de compétence linguistique aux conjoints de Britanniques

souhaitant s’installer dans le pays pourrait ainsi faire l’objet d’un recours sur la base de

l’article 8 de la CEDH53. Enfin, la volonté gouvernementale de réduire l’immigration en

provenance des pays hors zone UE se heurte aux besoins en main d’œuvre qualifiée des

entreprises, et celle de faire la chasse aux « faux étudiants » (« bogus students ») aux

intérêts économiques des universités et des nombreuses écoles de langue du pays54. Le

gouvernement a cédé en exemptant de toute restriction les transferts de personnels au

sein des grands groupes industriels (intracompany transfers ( ICTs)) qui représentaient

plus de la moitié des visas d’entrée délivrés en 2010 : 29 175 sur un total de 55 935. Cette

exemption, largement exploitée par les grands groupes, constitue une faille importante

dans le dispositif comme l’indiquent les statistiques puisque seulement 22 030 ICTs

avaient été accordés l’année précédente55.

24 Lors d’un discours de campagne pour les élections locales de 2011, le Premier ministre a

dénoncé le rôle ambigu joué par le précédent gouvernement dans le débat sur

l’immigration. Selon lui, les Travaillistes auraient tenté de le museler en accusant leurs

adversaires de racisme tout en validant dans leurs déclarations les arguments de

l’extrême-droite :

The last government, in contrast, actually helped to inflame the debate. On the onehand, there were Labour ministers who closed down discussion, giving theimpression that concerns about immigration were somehow racist. On the other,there were ministers hell bent on burnishing their hardline credentials by talkingtough but doing nothing to bring the numbers down. […]It created the space forextremist parties to flourish, as they could tell people that mainstream politiciansweren’t listening to their concerns or doing anything about them56.

25 Pourtant, au cours de la même intervention, il défendait lui-même des positions

susceptibles de populariser un certain type de discours xénophobe. Tout en

reconnaissant certains bénéfices à l’immigration, il soulignait que l’immigration

massive de ces dernières années était responsable des tensions et de l’inconfort

ressentis dans certains quartiers en raison de la pression supplémentaire qu’exerçaient

les nouveaux arrivants sur les services sociaux de la santé, du logement et sur les

établissements scolaires publics. Il stigmatisait aussi les immigrés incapables de parler

l’anglais ainsi que ceux qui ne voulaient pas ou n’étaient pas vraiment disposés à

s’intégrer. Les nationalistes de l’UKIP n’ont pas manqué de relever une certaine

convergence avec leurs idées. Nigel Farage, le dirigeant de cette formation politique,

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

191

s’est réjoui que David Cameron reconnaisse enfin le caractère néfaste de l’immigration

de masse mais a déclaré aussitôt que le pays ne retrouverait sa pleine liberté en matière

de gestion des flux migratoire qu’une fois hors de l’UE. Pour sa part, le BNP l’a accusé

d’opportunisme cynique pour avoir pillé leurs idées sur le sujet quelques semaines

avant ces échéances électorales57. Les attaques sont également venues de son propre

gouvernement. Vince Cable, le ministre du Commerce et de l’Industrie, et ancien vice-

président du Parti libéral-démocrate a déclaré dans la presse que les propos du Premier

ministre sur l’immigration étaient « très imprudents », et Nick Clegg, le vice-Premier

ministre a fait savoir qu’il en avait pris connaissance sans les approuver. Le chef du

Parti travailliste, Ed Miliband, est alors en mesure d’ironiser à son tour sur les

contradictions qui se font jour au sein de la coalition gouvernementale: « it’s hard to

have a government policy that is clear and coherent if your business secretary, who’s in charge

of your student visa policy, is saying one thing, and actually going out of his way to attack the

prime minister58 ».

26 Bien que le gouvernement conservateur ne puisse pas encore en être tenu pour

responsable, les récentes statistiques publiées par l’ONS montrent combien il est

difficile de faire des prévisions fiables dans ce domaine : le solde migratoire sur la

période comprise entre septembre 2009 et septembre 2010 a augmenté de 80 % par

rapport à la période précédente (passant de 147 000 à 243 000). Ce chiffre résulte de la

combinaison de deux facteurs inattendus : une baisse du nombre des émigrants ; une

reprise de l’immigration en provenance des pays de l’Est de l’UE. Pour Matt Cavanagh,

le directeur adjoint de l’Institute of Public Policy Research (IPPR), les Conservateurs n’ont

pas tenu compte de la baisse possible de l’émigration lorsqu’ils ont fixé leur objectif de

réduction du solde migratoire. Comme il est très délicat de réduire sensiblement

l’immigration familiale, ils seront contraints de limiter fortement le nombre des

étudiants et des travailleurs qualifiés hors UE (qui constituent leur seule réelle variable

d’ajustement) pour l’atteindre, ce qui pénalisera l’économie britannique car cette

immigration est la plus intéressante de ce point de vue59.

27 Le Premier ministre, qui risque sa crédibilité politique sur cette question, est aussi

continuellement aiguillonné par le lobby anti-immigration très actif. Ce dernier a

marqué des points en obtenant pour la première fois un débat à la Chambre des

Communes sur ce sujet délicat grâce au dépôt d’une motion. Le texte de cette dernière,

présentée par Frank Field, était sans la moindre équivoque :

That this House calls on Her Majesty’s Government to act on the overwhelmingpublic concern about the present scale of immigration by taking firm measures toreduce immigration without excluding those individuals who are genuinelyessential to economic recovery, on which so much else depends.

28 Deux arguments principaux ont été avancés. Le premier est typiquement malthusien : il

est absolument vital de contrôler le nombre des immigrants afin de limiter

l’accroissement considérable prévu de la population britannique (70 millions en 2030 –

80 millions en 2050) ce qui constituerait un fardeau économique et social bien trop

lourd pour le pays, surtout en termes d’éducation, de santé et de logement. Le second

est plus pragmatique et prétend favoriser l’intégration : les immigrés doivent

absolument parler l’anglais pour participer pleinement à la vie sociale et démocratique

de leur pays d’accueil60. De même, l’ancien archevêque de Canterbury et membre du

groupe « trans-parti » pour une immigration équilibrée (Cross-Party Group on Balanced

Migration), George Carey, a affirmé que la masse des immigrants en provenance

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192

d’Europe et d’ailleurs plaçait non seulement les ressources du pays sous une énorme

pression mais menaçait l’ADN même de la nation61.

29 La doctrine multiculturaliste et le muticulturalisme d’État ont constitué deux cibles

privilégiées pour les attaques politiques de David Cameron lorsqu’il était chef de

l’opposition conservatrice. Dans un discours de 2007, il en pointait déjà les

failles, responsables selon lui de l’affaiblissement du sentiment de cohésion nationale. Il

dénonçait en particulier l’accent placé sur ce qui divise plutôt que sur ce qui rassemble

la nation : la sanctuarisation du « droit à la différence » (un concept clivant) au

détriment du « droit à un traitement égal » en dépit des différences (un concept

unificateur). Il proposait en outre quelques pistes : s’assurer que tous les citoyens

britanniques soient capables de s’exprimer dans la langue nationale afin qu’ils puissent

communiquer entre eux ; renforcer l’enseignement de l’histoire britannique dans les

écoles et multiplier les occasions de célébrer le sentiment d’identité nationale62. Dans

son intervention de 2010 à Munich en qualité de Premier ministre, il reprend une partie

de ces arguments tout en accusant le multiculturalisme d’État d’avoir encouragé

« different cultures to live separate lives, apart from each other and apart from the main

stream » et d’avoir instauré une politique de complaisance passive irresponsable qui a

longtemps toléré que « these segregated communities behave in ways that run completely

counter to our values » à condition que ces communautés respectent les lois63. La doctrine

multiculturaliste serait ainsi passée, dans une sorte de dérive épistémologique, de la

tolérance des autres cultures à la tolérance d’autres systèmes de valeurs, dont certains

peuvent être hostiles au pays. À la place, il propose de mette en place un « libéralisme

musclé » (« muscular liberalism ») qui n’hésite pas à s’opposer à toutes les formes

d’extrémisme et à promouvoir activement une série de valeurs communes britanniques

non négociables : liberté d’expression, liberté de culte, démocratie, l’État de droit,

l’égalité des droits quels que soient l’appartenance ethnique, le sexe ou l’orientation

sexuelle64. Enfin, un document récent définit plus précisément les orientations

politiques de son gouvernement de coalition en matière d’égalité des droits. Il s’agit

d’en finir avec le « politiquement correct », l’ingénierie sociale et la culture de

consignation bureaucratique générée par la législation des « Race Relations », chers aux

idéologues du New Labour. Cette nouvelle approche (Equality Strategy) est donc censée

prendre ses distances avec la « politique identitaire » (« identity politics ») du passé, en

reconnaissant et en valorisant l’individu plutôt que son appartenance :

Equality is not an add-on, but an integral part of this government’s commitment tobuild a stronger economy and fairer society. This strategy sets out a new approachto delivering equality: one that moves away from treating people as groups or‘equality strands’ and instead recognizes that we are a nation of 62 millionindividuals65.

30 On apprend pourtant dans la section 3 de ce même document que, conformément à la

logique de la « Big Society » développée par le Premier ministre lors de la dernière

campagne électorale, le gouvernement reconnaît et souhaite valoriser la « contribution

précieuse et significative » que les communautés religieuses, les associations

communautaires locales, les institutions caritatives et les associations culturelles,

apportent à la société dans son ensemble en leur donnant plus de pouvoir66. De même,

le gouvernement doit reconnaître que des groupes ethniques ou religieux (Antillais,

Pakistanais, Gens du voyage, Musulmans) sont victimes d’inégalités persistantes sur le

marché de l’emploi, dans l’éducation et dans la santé. Pour y remédier, il conservera

Revue Française de Civilisation Britannique, XVII-2 | 2012

193

donc certains aspects de la politique précédente, mais sous une nouvelle

appellation (Equality Duty)67. Un multiculturalisme « allégé » en quelque sorte.

31 De nombreuses critiques se sont élevées contre le discours de Munich qui reprend

beaucoup d’idées aux gouvernements précédents tout en les présentant comme

novatrices. C’est ainsi que le concept de « Britishness » fait l’objet d’un extraordinaire

recyclage alors qu’il était devenu, au fil du temps, une véritable obsession pour Tony

Blair et Gordon Brown. En 2005, ce dernier avait même évoqué l’éventualité

d’introduire une journée dédiée à la nation (British day) dans le calendrier. En 2007,

deux de ses ministres, Ruth Kelly et Liam Byrne respectivement Communities Secretary et

Immmigration Minister avaient réclamé un « national ‘Britain’ day » afin de renforcer la

citoyenneté68. Il est donc particulièrement ironique qu’après avoir tourné Gordon

Brown en ridicule pour sa campagne en faveur de la ‘britannité’, David Cameron utilise

un cadre de référence pratiquement identique pour encourager certaines

communautés à s’intégrer69. De même, les valeurs qu’il propose sont extrêmement

générales et n’ont vraiment rien de spécifiquement britannique : elles pourraient

théoriquement s’appliquer à l’ensemble des démocraties occidentales. Un aspect plus

contesté est l‘enthousiasme immodéré du Premier ministre pour les écoles

confessionnelles (faith schools) qu’il souhaite voir se développer. Si un grand nombre de

ces écoles confessionnelles ne sont en réalité que des écoles d’État sélectives déguisées

qui répondent aux exigences des classes moyennes dans leur recherche d’homogénéité

sociale et culturelle, d’autres sont nettement plus inquiétantes. Par exemple, les écoles

chrétiennes évangéliques, hindouistes, juives orthodoxes ou privées musulmanes

peuvent légalement consacrer près de la moitié de leurs enseignements journaliers à

l’étude de la théologie ou du Coran et faire pratiquement l’impasse sur les matières

artistiques et littéraires. Il y a donc danger à subventionner ces écoles non-étatiques de

manière indiscriminée, ce qui reste pourtant le cas général pour les établissements

confessionnels autres que musulmans70.

32 En dépit des précautions oratoires du Premier ministre, ce sont surtout les

communautés musulmanes qui ont fait l’objet de ses attaques et de ses préoccupations

en matière d’intégration et de prévention du terrorisme. Ainsi, il a réactivé le lien entre

cohésion sociétale, intégration des Musulmans britanniques et menace terroriste, un

amalgame auquel il s’était fermement opposé comme chef de l’opposition. Ce

revirement était d’autant plus notable que le Premier ministre avait choisi d’aborder

les thèmes de l’intégration, de l’immigration, du multiculturalisme et des échecs de

certaines communautés ethniques à se forger une identité britannique spécifique, dans

le cadre assez inapproprié de la Conférence sur la Sécurité de Munich : elle était

parrainée, entre autres, par de grands groupes de l’industrie de la défense et de la

sécurité comme Thales et Cassidian. Pourtant, en novembre 2010, Theresa May assurait

encore que le gouvernement de coalition refuserait de fonder sa stratégie d’intégration

sur la lutte anti-terroriste comme l’avaient fait ses prédécesseurs :

But we will not securitise our integration strategy. The kind of society which wewish to encourage will not emerge through counter terrorism work. Under the lastgovernment ‘Prevent’ muddled up work on counterterrorism with the normal workthat needs to be done to promote community cohesion and participation. Counter-terrorism became the dominant way in which Government and some communitiescame to interact. That was wrong and no wonder it alienated so many71.

33 Pour David Cameron, les Musulmans sont directement ou indirectement responsables

de la menace terroriste liée à l’islamisme radical. Il les accuse de promouvoir le

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séparatisme en se définissant avant tout comme musulmans plutôt que comme

britanniques ou européens. Il insiste sur la relation conflictuelle entre culture

musulmane et valeurs essentielles de la société britannique, en particulier en ce qui

concerne la position des femmes ou les mariages forcés. L’implicite étant que les

Musulmans britanniques sont entièrement responsables de leur propre marginalisation

sociale, politique et économique. En résumé, il contribue à alimenter le ‘racisme

culturel’ ambiant qui dépeint l’Islam sous les traits d’une religion incapable de

s’acclimater au contexte britannique, et attise les flammes dangereuses de la

stéréotypisation ethno-religieuse au lieu de les combattre. Les répercussions d’un

argumentaire aussi brutal sur les relations parfois tendues entre Musulmans et non-

musulmans sont imprévisibles mais potentiellement contre-productives en termes

d’intégration.

34 Certaines organisations musulmanes telles que la Quilliam Foundation (peu

représentative) ont accueilli ses propos avec bienveillance :

Quilliam welcomes the British government’s new commitment to tackling all formsof non-violent extremism as well as violent extremism and terrorism as laid out inPrime Minister David Cameron’s speech in Germany earlier today. Quilliam has longadvocated the need to tackle non-violent extremism not only because it can be aroute to violent extremism but also because such extremism is in itself harmful tomodern, multi-ethnic and multi-faith societies72.

35 D’autres se sont empressées de les critiquer avec virulence. Par exemple, Inayat

Bunglawala, l’un des porte-parole de Muslims4UK, a accusé le Premier ministre d’être

condescendant, de tirer sur la mauvaise cible et de développer une argumentation

totalement erronée73. Pour sa part, Mahmud Al-Rashid d’Emel Magazine a évoqué une

occasion manquée de David Cameron: « He desecrated the memory of Muslims who had

contributed to Britain; he singled out a largely powerless minority group that is constantly

demonised; he conflated terrorism with cultural identity74 ». Certains pensent même que

l’aboutissement logique de son discours pourrait être l’instauration d’une « citoyenneté

conditionnelle » pour les Musulmans qui dépendrait de leur comportement religieux :

les attributs complets de la citoyenneté leur étant attribués en fonction de leur

conformité plus ou moins grande à un modèle de comportement validé par le

gouvernement75. Enfin, l’utilisation de l’expression « muscular liberalism » a également

été très mal perçue. D’une part elle implique l’imposition de mesures contraignantes

destinées à favoriser l’intégration des Musulmans : tests de citoyenneté obligatoires,

programmes de mixité ethnique et culturelle dans les domaines du logement et de

l’environnement de travail, etc. D’autre part, elle renvoie au concept victorien de

« muscular christianity » et à ses évidentes connotations impériales : la mission

civilisatrice de l’homme blanc. Ce n’était pas la première bévue du Premier ministre

dans ce domaine. En 2007, il avait déclaré: « inspiring as well as demanding loyalty from

every citizen will require a new crusade for fairness »76. Une expression qui avait fait

quelques vagues dans les milieux musulmans et avait nécessité une mise au point d’un

de ses porte-parole : « Mr Cameron’s reference to a “crusade” had not been intended to cause

offence77 ».

Conclusion

36 La politique de David Cameron en matière d’immigration et d’intégration est donc

conditionnée par un contexte social tendu ainsi que par les fortes attentes de son

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électorat et de l’aile droite du parti Conservateur qui exigent un contrôle beaucoup plus

strict et efficace des flux migratoires ainsi que l’abandon pur et simple des politiques

multiculturelles. Ces dernières sont censées avoir conduit le pays dans une impasse

sociale et identitaire en favorisant le séparatisme ethnoculturel, et avoir généré le

terrorisme islamique en tolérant la mise en place de systèmes de valeurs

antidémocratiques au sein de communautés issues de l’immigration, en particulier les

Musulmans. L’idée centrale est qu’une ‘intégration’ réussie prend du temps et que ce

long processus serait compromis par l’arrivée massive et continue de nouveaux

immigrants, souvent incapables de communiquer avec la population autochtone et ne

cherchant parfois même pas à s’intégrer. Ceci engendrerait un sentiment d’inconfort

croissant ou une sensation de délitement communautaire dans les quartiers où

s’installent ces nouvelles populations : des quartiers souvent déshérités où vivent

également les Blancs les plus démunis de la classe ouvrière qui craignent cette

concurrence venue d’ailleurs en matière de logement, de santé ou de prestations

sociales. Les réponses que propose le Premier ministre sont d’une part la réduction

drastique du solde migratoire, qui se chiffrerait en dizaine de milliers plutôt qu’en

centaines de milliers comme sous les gouvernements précédents, et d’autre part, la

mise en place d’un « libéralisme musclé » censé promouvoir les valeurs essentielles de

la nation britannique et lutter avec acharnement contre les dérives sectaires

pernicieuses.

37 Rien donc de très nouveau comme nous l’avons vu, puisqu’il reprend en les accentuant

la plupart des idées lancées et des mesures déjà mises en place par ses prédécesseurs du

New Labour dans ce domaine. Cependant, il est possible de dégager plusieurs inflexions

spécifiques qui les prolongent et les amplifient. Tout d’abord, on assiste à une remise en

cause extrêmement radicale de l’ensemble de la « politique identitaire » du passé, qui, à

ses yeux, souffre du défaut rédhibitoire de reconnaître les appartenances

communautaires au détriment de la valorisation de l’individu, et son remplacement par

une nouvelle « stratégie pour l’égalité ». Cette dernière place donc l’individu – et non

plus son appartenance ethnique et/ou religieuse – au centre du nouveau dispositif, met

sur un même plan tous les types de discriminations ou de handicap sociaux, et cherche

à instaurer un nouveau cadre institutionnel censé offrir à chacun le droit d’être traité

équitablement ainsi qu’une ‘véritable’ égalité des chances (equal opportunity). Ensuite, la

volonté d’imposer le système de valeurs britannique aux nouveaux arrivants afin de

rétablir un minimum d’homogénéité culturelle marque un retour évident au concept

classique d’assimilation, totalement abandonné au milieu des années 1960. Mais c’est

surtout, bien qu’il s’en défende avec véhémence, sa stigmatisation de l’Islam et des

Musulmans qui est la plus inquiétante, car elle pourrait conduire à isoler encore plus

des communautés déjà fréquemment marginalisées et fragiliser d’autant leur

« intégration » : une politique qui repose sur le « clivage » qu’il dénonçait si fermement

lorsqu’il était dans l’opposition.

38 Ainsi, il existe une ambivalence perceptible dans la pensée post-multiculturaliste de

David Cameron qui cherche à percer dans l’électorat populaire blanc viscéralement

hostile à l’immigration et aux politiques multiculturelles sans toutefois s’aliéner les

communautés ethniques installées. Par exemple, sa « stratégie pour l’égalité » répond

clairement au sentiment d’abandon et à la demande de justice sociale de la classe

ouvrière blanche. Par contre, il condamne les dérives communautaristes tout en

reconnaissant que certains groupes ethniques et/ou religieux sont désavantagés

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économiquement et socialement, et que ceci doit être corrigé. Il n’hésite pas non plus à

accorder la plus grande importance aux « communautés locales » qui constituent des

rouages essentiels pour assurer le fonctionnement de la ‘Big Society’ dont il prône

l’avènement. Cependant, le rôle qu’il compte leur faire jouer dans cette partition et leur

définition exacte (politique, culturelle, éducative et confessionnelle, etc.) suscite

toujours de nombreuses interrogations.

NOTES

1. PM’s speech at Munich Security Conference, Saturday 5 February 2011. [http://

www.number10.gov.uk/news/speeches-and-transcripts/2011/02/pms-speech-at-munich-

security-conference-60293] (04/4/2011).

2. “David Cameron sparks fury from critics who say attack on multiculturalism has boosted

English Defence League”, The Observer, Saturday 5 February 2011. [http://www.guardian.co.uk/

politics/2011/feb/05/david-cameron-speech-criticised-edl] (24/5/2011).

3. “multiculturalism – the idea that different cultures should be respected to the point of

encouraging them to live separatel – has dangerously undermined Britain’s sense of identity and

brought about ‘cultural apartheid’”. The Daily Mail, “‘Sharia law will undermine ‘British society’

warns Cameron in attack on multiculturalism”, 26 February 2008.

4. Ibid.

5. David BLUNKETT, “Integration with Diversity: Globalization and the Renewal of Democracy

and Civil Society”, in Phoebe G riffith and Mark L eonard, Reclaiming Britishness, London: The

Foreign Policy Centre, 2002, pp. 65 à 77.

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63. PM’s speech at Munich Security Conference, op.cit.

64. Ibid.

65. Home Office, The Equality Strategy – Building a Fairer Britain, London: HMG, December 2010,

p. 24.

66. Ibid., p. 18.

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RÉSUMÉS

Il existe une filiation évidente entre la politique développée par les gouvernements New Labour en

matière d’intégration des minorités et de contrôle de l’immigration à partir de 2001 et celle

désormais impulsée par le gouvernement de coalition de David Cameron : en particulier, le rejet

de la doctrine multiculturaliste et le retour à une vision plus classique de l’intégration.

Cependant, il est possible de dégager plusieurs inflexions spécifiques. En premier lieu, une remise

en cause extrêmement radicale de l’ensemble de la « politique identitaire » antérieure et son

remplacement par une nouvelle « stratégie pour l’égalité ». Ensuite, la volonté gouvernementale

d’imposer le système de valeurs britannique aux nouveaux arrivants afin de rétablir un minimum

d’homogénéité culturelle, ce qui marque le renouveau de la conception assimilationniste tombée

en désuétude au milieu des années 1960. Enfin, la stigmatisation continue et appuyée de l’Islam et

des musulmans est devenue une pratique inquiétante qui accentue le « clivage sociétal » que

David Cameron dénonçait si fermement lorsqu’il était dans l’opposition.

There is an obvious link between the policies developed by the New Labour governments as

regards ethnic minorities’ integration and immigration control after 2001 and the new set of

policies recently introduced by David Cameron’s coalition government: in particular, the

rejection of multiculturalism and the return to a more traditional view of integration. However,

several specific trends can be underlined. First, the previous policies based on “identity politics”

have been radically challenged and replaced by a new “strategy for equality”. Second, the

government wants to force the British system of values on the newcomers in order to restore a

minimum of cultural homogeneity, which marks the revival of the concept of assimilation

abandoned in the mid-1960s. Finally, the continuous and severe stigmatization of Islam and of

Muslims has become a worrying tendency which increases the ‘community divide’ that David

Cameron adamantly denounced when he was the leader of the opposition.

AUTEUR

DIDIER LASSALLE

Didier Lassalle est professeur de civilisation britannique à l’Université de Paris Est-Créteil (UPEC).

Ses travaux ont essentiellement porté sur l’intégration des minorités ethniques ainsi que sur

l’évolution des concepts de citoyenneté et d’identité nationale en Grande-Bretagne. Depuis

quelques années, sa recherche a pris une dimension plus résolument comparatiste franco-

britannique. Il est l’auteur, dans ce domaine, de nombreux articles et de plusieurs ouvrages

individuels et collectifs, dont Les Relations interethniques dans l’aire anglophone : entre collaboration(s)

et rejet(s), l’Harmattan, 2009, en collaboration avec Lucienne Germain.

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