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Représentations et déterminants de la confiance dans le système d’échange
virtuel: une étude exploratoire en Tunisie
Hamida Skandrani
Institut Supérieur de Gestion de Tunis
Imen Ben Jannet
Institut Supérieur de Gestion de Tunis
Mourad Touzani
Rouen Business School
La présente recherche se propose d’explorer les représentations que se font les
consommateurs tunisiens de la confiance dans le contexte des relations d’échanges virtuels.
Une attention particulière est accordée aux facteurs qui amènent ces acteurs à inférer à propos
de la dignité de confiance des offreurs de biens et de services en ligne. Les résultats d’une
étude exploratoire menée auprès de 41 consommateurs tunisiens mettent en valeur de
nombreux déterminants de la confiance liés aux individus, au site Web, à l’entreprise et aux
tiers mais aussi au cadre dans lequel a lieu l'échange électronique. Le niveau de culture
numérique, la préférence pour le face-à-face et à la confiance hors ligne s’avèrent des
variables spécifiques au contexte tunisien et constituent une contribution importante de la
présente recherche.
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Introduction
La question de la confiance en ligne ou e-trust semble aujourd’hui être au centre des
préoccupations des acteurs du système d’échange électronique. En effet, avec l'émergence des
technologies de l’information et de la communication (TIC), le degré de vulnérabilité des
acteurs n’a cessé d’augmenter et le besoin d’une collaboration basée sur la confiance se fait de
plus en plus ressentir dans les organisations virtuelles. Du côté des relations de l’entreprise
avec ses clients, le manque de confiance de ces derniers est identifié comme l’un des
obstacles majeurs au développement du commerce électronique (Gefen, 2002, Mukherjee, &
Nath, 2007, Urban, Amyx, & Lorenzon, 2009). La nature même de l'environnement virtuel
par rapport à l’environnement physique rend encore plus difficile la formation de la confiance
(Jarvenpaa, Shaw & Staples, 2004; Kim, Jin, & Swinney, 2009).
De telles particularités de l’environnement virtuel ont amené les chercheurs à porter un intérêt
grandissant à la confiance en ligne et à essayer de mieux la circonscrire (Bart, Shankar,
Sultan, & Urban, 2005; Gefen & Straub, 2004 ; Koufaris, 2002 ; Pavlou, 2003; etc). C’est
ainsi que des conceptualisations s’inspirant des travaux sur le concept de confiance dans le
système d’échange physique ont été proposées (Chen & Dhillon, 2003). De nombreux
déterminants ont également été identifiés (Gefen & Straub, 2004 ; Urban, Amyx, & Lorenzon,
2009).
Toutefois, malgré les éclairages apportés aussi bien au niveau des dimensions de la confiance
en ligne que des déterminants de celle-ci, la plupart des recherches traitant de ces aspects ont
souvent adopté une approche quantitative et ont concerné le contexte occidental. Un tel
contexte se caractérise par une large diffusion des TIC, un développement rapide du
commerce électronique et un cadre juridique rigoureux. Dans les pays émergents, de telles
conditions sont rarement réunies. Ainsi, dans un pays comme la Tunisie, peu de recherches se
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sont intéressées à ces aspects et les rares tentatives touchant à la confiance en ligne ont plutôt
favorisé une approche quantitative inspirée de modèles occidentaux (Gharbi & Ben Suissi,
2004 ; Janouri & Gharbi, 2006).
Cette recherche s’interroge sur les représentations que se font les consommateurs tunisiens de
la confiance en ligne et les facteurs qui les amènent à inférer à propos de la « dignité de
confiance » (trustworthiness) des offreurs en ligne. L’intérêt de la présente étude est à la fois
académique et managérial. Elle contribue à une meilleure compréhension du concept de
confiance en ligne et de ses déterminants dans le contexte d’un pays émergent. Nous tentons
ainsi de répondre à l’appel de certains auteurs à mener des recherches sur la confiance en
tenant compte du contexte (Bart, Shankar, Sultan, & Urban, 2005; Jarvenpaa, Shaw, &
Staples, 2004; Shankar, Urban, & Sultan, 2002). Elle permet également de suggérer aux
gestionnaires des moyens susceptibles de renforcer la confiance en ligne. Cela s’avère
d’autant plus important si nous considérons le caractère nouveau du comportement d’achat en
ligne chez le consommateur tunisien et les difficultés de décollage du commerce électronique
en Tunisie, en dépit de tous les encouragements pour développer l’économie de l’immatériel
dans le pays. Dans ce qui suit nous présentons une revue de la littérature sur la confiance en
ligne, sa conceptualisation, ses particularités et ses déterminants. Par la suite, nous exposons
la méthodologie adoptée et les résultats de l’étude qualitative.
1. Revue de la littérature
1.1. Conceptualisation de la confiance en ligne
L’importance de la confiance dans la réalisation des transactions en ligne n’est plus à
démontrer. En effet, de nombreux auteurs ont mis en évidence le rôle majeur que joue cette
variable pour amener le consommateur à interagir avec les sites marchands et à se faire livrer
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un bien ou un service dans les délais (Chouk & Perrien, 2005 ; Gefen, 2002 ; Urban, Amyx, &
Lorenzon, 2009). Pour Keat & Mohan (2004), « le secret du succès de toute opération de
commerce électronique peut être résumé en un seul mot : la confiance » (p. 404). Gefen (2002)
remarque quant à lui, que l’un des principaux inhibiteurs de la participation du consommateur
dans le commerce en ligne est l’absence de confiance dans les vendeurs en ligne.
Toutefois, si les auteurs sont unanimes à propos du rôle crucial de la confiance dans le
système d’échange virtuel, ils le sont moins lorsqu’il s’agit de définir ce qu’est la confiance
en ligne (Grabner & Kaluscha, 2003) ou lorsqu’il s’agit d’en cerner les dimensions et les
déterminants. Les approches adoptées dans les recherches s’intéressant à la confiance en ligne
s’inspirent largement de celles relatives à la confiance dans le monde physique à savoir
l'approche psychologique et l'approche comportementale. Selon l'approche psychologique, la
confiance représente une croyance d’un acteur quant à la « dignité de confiance » d’un
marchand en ligne et à la prévisibilité de son comportement malgré le caractère incertain du
futur (Gefen & Straub, 2003). Pour les partisans de l'approche comportementale, la confiance
désigne une intention de compter sur le partenaire en ligne en situation de vulnérabilité. Elle
implique donc une volonté du consommateur d'être vulnérable aux actions d'un marchand
électronique (Lee & Turban, 2001; Mukherjee & Nath, 2003). Une manifestation
comportementale de cette volonté est la prise de risque (Colquitt, Scott, & LePine, 2007).
Cette transposition des définitions de la confiance dans le système d’échange physique au
système d’échange virtuel risque d’être fallacieuse. Le contexte particulier dans lequel se
développe la confiance conditionne le niveau de contrôle qu’ont les acteurs sur l’issue des
transactions réalisées et leur capacité à prédire le comportement d’autrui (vendeurs, hackers,
etc.). Dans le cas de l’achat en ligne, il y a un degré d’incertitude élevé ainsi que
l’impossibilité d’user des codes de communication verbaux et non verbaux (Gefen, 2002). Le
type de risque encouru par les acteurs en ligne peut différer. Plusieurs types de risque existent
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notamment ceux liés à la sécurité, à la vie privée, à la performance des produits achetés, à la
perte de temps et aux interactions sociales (Aldas-Manzano, Lassala-Navarré, Ruiz-Mafé, &
Sanz-Blas, 2008; Howcroft, Hamilton, & Hewer, 2007). Pavlou (2003) distingue deux grands
types de risque : comportemental et environnemental. Le premier a trait à la probabilité qu’un
partenaire en ligne adopte un comportement opportuniste. Le deuxième est lié à la technologie
utilisée qui peut échapper au contrôle des deux parties de l’échange. Enfin, l’achat en ligne
implique des états et des processus psychologiques susceptibles de différer : la possession
immédiate vs différée, l’anxiété, le lieu de contrôle perçu et l’ampleur des effets négatifs
causés par l’insatisfaction d’un acteur.
1.2. Déterminants de la confiance en ligne
De nombreux facteurs ont été identifiés comme étant des déterminants majeurs de la
confiance en ligne. Ces facteurs peuvent être classés en quatre groupes et peuvent être liés aux
individus, au site, à l’entreprise et enfin aux tiers et au cadre général des échanges en ligne.
Les déterminants liés aux individus. Ces déterminants peuvent être de nature psychologique,
sociale, culturelle ou comportementale. Ils concernent notamment la propension à faire
confiance (Colquitt, Scott, & LePine, 2007; Kim, Ferrin, & Rao, 2008; Lu, Zhao, & Wang,
2010). D’autres facteurs ont été aussi identifiés tels que les habitudes de magasinage du client
(Kim, Ferrin, & Rao, 2008), son style cognitif (Hauser, Urban, Liberali, & Braun 2009), la
facilité d’usage perçue, la familiarité avec Internet (Corbitt, Thanasankit, & Yi, 2003; Gefen
& Straub, 2004), la catégorisation sociale (Mcknight, Cummings, & Chervany, 1998), la
perception de contrôle sur le processus de communication et la valeur perçue de l’acte de
l’échange (Skandrani, 2001).
Les déterminants liés au site. Il s’agit principalement de la qualité perçue du site (Corbitt,
Thanasankit, & Yi, 2003), de l’intégrité de l’information qui y est présentée, sa clarté et sa
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précision (Riegelsberger, Sasse, & McCarthy, 2005), la sécurité et la confidentialité,
l’interactivité (Ghose & Dou, 1998), le design (Hoffman & Novak, 1996 ; Lynch & Ariely,
2000) et l’originalité perçue du site (Mathieu, Skandrani, & Hallée, 2004).
Les déterminants liés à l’entreprise. Plusieurs facteurs liés à l’entreprise et ayant un effet sur
le niveau de confiance des consommateurs à son égard sont identifiés : la fiabilité de la
technologie utilisée et la réputation (Riegelsberger, Sasse, & McCarthy, 2005) qui permet de
prédire, dans une certaine mesure, le comportement futur du trustee et l’historique de ce
dernier (Corbitt, Thanasankit, & Yi, 2003). La compétence, l’habileté et l’expertise du trustee
sont aussi considérées comme des antécédents de la confiance en ligne (Moller & Wilson,
1995).
Les déterminants liés aux tiers et au cadre général. Le phénomène de buzz, une
communauté virtuelle favorable ainsi que les témoignages d’autres internautes contribuent à
développer la crédibilité du site et donc la perception du client que le site est digne de
confiance (Toufaily, Rajaobelina, Fallu, Ricard, & Graf, 2010). Les tiers de confiance, qui
apportent différentes formes de certification au niveau du site, affectent aussi la perception de
dignité de confiance des clients (Riegelsberger, Sasse, & McCarthy, 2005) Les mécanismes
de régulation des échanges sur Internet (cadre juridique et adhésion aux principes éthiques)
offrent aussi une certaine assurance pour effectuer les transactions en ligne (Riegelsberger,
Sasse, & McCarthy, 2005). La disponibilité de moyens et de plateformes de paiement
électronique sécurisés représente également un facteur qui contribue à développer la
confiance en ligne. L’impact de la culture nationale sur le niveau de la confiance en ligne a
été aussi reconnu (Chen Wu, & Chung, 2008 ; Cyr, Bonanni, Bowes, & Ilsever, 2005).
Pour les consommateurs tunisiens, l’achat sur Internet est un comportement nouveau
engendré par la nouvelle ère numérique, où la confiance s’avère être au centre de son
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adoption en tant qu’un nouveau canal de commercialisation. Initier la confiance des
consommateurs paraît donc capital pour permettre de réaliser ultimement des transactions en
ligne.
Comment le consommateur tunisien définit-il la confiance en ligne ? Quelle est la forme de
confiance développée sur Internet ? Quels sont les déterminants de la confiance en ligne ? Le
contexte culturel influence-t-il le développement de la confiance en ligne ? Telles sont les
interrogations auxquelles notre étude qualitative tente d’apporter des éléments de réponses.
2. Méthodologie de la recherche
Etant donné le caractère exploratoire de la présente recherche, nous avons adopté une
approche qualitative permettant une meilleure compréhension des attitudes, des
représentations, des interprétations, des expériences et des comportements des internautes.
Deux principales raisons justifient le recours à ce type de méthode exploratoire.
Premièrement, l’approche qualitative s’avère particulièrement adaptée lorsque les contextes
culturels où elles ont lieu ont fait l’objet de peu de recherche (Morrow & Smith, 2000).
Deuxièmement, le contexte de l’étude est non-occidental et est celui d’un pays émergent : la
Tunisie, où le commerce électronique est encore à ses débuts et où le face à face semble
encore privilégié dans la réalisation les opérations commerciales, la notion de confiance en
ligne semble capitale pour développer le commerce électronique. Sheth (2011) souligne
d'ailleurs l’intérêt d’une approche qualitative dans une perspective permettant de remettre en
cause, d’enrichir et de revisiter les théories développées dans les pays occidentaux. Burgess &
Steenkamp (2006) recommandent également d’éviter les positions extrêmes consistant à
soutenir que tout est différent ou que tout est identique dans les pays émergents. Ces auteurs
recommandent alors de prendre comme point de départ l’état de l’art disponible dans la
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littérature et d’aller au-delà en essayant d’apporter de nouvelles contributions. C’est dans cette
optique que cette recherche a été effectuée.
Les données ont été collectées au moyen d’entretiens individuels en profondeur. Ce choix est
justifié par la nature psychologique de la variable étudiée et son caractère complexe qui
nécessitent d'aller en profondeur et d’essayer de saisir les représentations. Pour la composition
de notre échantillon, nous avons tenté d’assurer la plus grande hétérogénéité possible en
diversifiant les profils des répondants sélectionnés en termes d’âge, de sexe, de statut marital,
de niveau d’instruction et de profession. Le but étant de dégager le plus de significations de la
confiance en ligne, ainsi que ses déterminants, 41 entretiens individuels ont été réalisés et le
principe de saturation théorique a été retenu pour décider de la taille de l’échantillon (Henn,
Weinstein, & Foard 2009). Nous avons cessé les entretiens lorsque nous avons estimé qu’il
n’y avait plus aucune information additionnelle.
Le guide d’entretien a été bâti après l’étude de la littérature. Il a porté principalement sur les
thèmes suivants :
1- Le commerce électronique et les achats en ligne.
2- La signification de la confiance en ligne et son importance.
3- Les habitudes de navigation du répondant.
4- Les déterminants de la perception de la confiance des marchands en ligne.
Les entretiens ont duré en moyenne entre 45 minutes et une heure trente. Une approche
conversationnelle a été adoptée en vue de mettre les répondants à l’aise et de les encourager à
s’exprimer. Les répondants ont eu le choix de la langue à savoir l’arabe dialectal, le français
ou un mélange des deux. Les discours ont été enregistrés puis intégralement retranscrits ce qui
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a donné lieu à environ 205 pages de corpus à analyser. Un travail d'amélioration du français a
été réalisé par les différents auteurs séparément en premier lieu, puis une confrontation des
éditions a été opérée. Les différences ont été résolues à travers la discussion et la recherche de
consensus.
Le corpus ainsi constitué a été soumis à une analyse de contenu thématique suivant le modèle
à trois étapes de Miles & Huberman (2003) : 1-réduction des données, 2- organisation et
présentation des données ; et 3- interprétation et la vérification des conclusions. La réduction
des données représente le processus de sélection, de centration, de simplification et de
transformation du matériel recueilli (Miles et Huberman, p:29-30). Pour ce faire, plusieurs
lectures des transcriptions ont été faites. Ceci a permis de définir les unités de base, ou encore
les unités de sens, en fonction de notre objectif de recherche. Un découpage a été ensuite
réalisé pour retenir les passages significatifs en lien avec les unités de sens. L'étape
d'organisation de données consiste selon Miles et Huberman (2003) en la structuration des
informations permettant de tirer des conclusions et de prendre des décisions. Ils suggèrent
deux modes de représentation des données : les graphiques et les matrices ou tableaux. C'est
la matrice de rôles qui a été retenue dans le cadre de la présente recherche pour présenter les
données réparties selon leurs sources ou leurs cibles d'attention.
Dans cette matrice nous avons classé les éléments ressortant de la phase de réduction des
données. Les lignes correspondent aux entretiens réalisés alors que les colonnes
correspondent aux différents thèmes déjà identifiés. Nous avons également eu recours au
logiciel Nvivo 9. En vue de tenir compte des recommandations de Burgess & Steenkamp
(2006), une première structure nodale issue de la littérature a fait office de point de départ.
Elle correspond à la structure globale adoptée ci-dessous pour la présentation des résultats.
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Lors de la catégorisation, elle a progressivement été enrichie par des nœuds inductifs, simples
ou hiérarchisés, pour tenir compte des éléments nouveaux qui ont émergé au fil de l’analyse.
La dernière étape du modèle de Miles et Huberman (2003) a trait à l'octroi de significations
aux données réduites et organisées et la formulation de relations exprimées dans des
propositions ou modèles. C'est ainsi que, nous avons essayé d'extraire des significations à
partir des données de la matrice. Cela s’avère néanmoins insuffisant en raison de
l'hétérogénéité des discours et des informations collectés. Il limite, en effet, la recherche de
régularités, de configurations, de tendances et de propositions. Une autre réduction sur les
données est donc nécessaire. C’est ainsi que les paroles des répondants ont été rapprochées
aux concepts théoriques présentés dans la revue de la littérature Dans ce qui suit nous
présentons les résultats de l’analyse de contenu des discours des répondants.
3. Résultats de la recherche
3.1. Les représentations de la confiance en ligne
La confiance revêt une grande importance pour l’ensemble des répondants. Elle est décrite
comme « un facteur capital pour le développement des échanges et des relations », ainsi
qu’un « élément essentiel tant pour le commerce traditionnel que pour le e-commerce ».
Définir la confiance en ligne s’est avéré une tâche difficile. En effet, un seul répondant en a
présenté une définition explicite. Selon ce répondant, elle consiste à « accepter un niveau
élevé de risque et une situation de dépendance d’un site en tenant compte des spécificités de
l’environnement virtuel ». Une telle définition met l’emphase sur la spécificité de
l’environnement virtuel et sur le niveau de risque élevé que devrait accepter le client en
faisant confiance à un marchand en ligne. Les autres répondants ont fait implicitement
référence à la confiance hors ligne dans leur tentative de circonscrire les frontières de la
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confiance en ligne. Cela soutient la proposition de Shankar, Urban, & Sultan, (2002) et Urban,
Amyx, & Lorenzon (2009) selon qui la confiance en ligne et la confiance hors ligne partagent
plusieurs points communs. Malgré l’incapacité des répondants à donner une définition
précise, ces derniers ont mis en exergue plusieurs éléments constitutifs de la confiance. Ces
éléments sont présentés ci-dessous.
La confiance, résultat de l’évaluation des interactions passées et de la valeur tirée de la
relation. La confiance nécessite du temps : elle suppose qu’au fil des échanges, le trustee a
honoré ses promesses. Elle implique également une certaine réciprocité. « La confiance est le
résultat d’une relation mutuelle entre deux parties basées sur des expériences passées ». La
confiance est par ailleurs présentée comme le résultat d’une évaluation des avantages
financiers et psychologiques de la relation. « Faire confiance à une personne signifie que la
relation avec cette personne permet de générer un profit, c'est-à-dire un gain sur les plans
physique, émotionnel et financier ». Ces propos cadrent avec les perspectives relationnelle et
rationnelle de la conceptualisation de la confiance (Mayer, Davis, & Schoorman, 1995). La
perspective relationnelle se base sur les interactions passées et sur le principe de la mutualité
dans les échanges alors que la perspective rationnelle s’appuie sur un calcul coûts/bénéfices et
sur la préservation de l'intérêt personnel. Ils vont dans le sens d’Anderson & Narus (1990)
selon qui la confiance suppose qu’un partenaire procure des bénéfices qui égalent ou
dépassent les attentes de l’autre. Enfin, conformément à la théorie sociale de l’échange, les
individus interagissent de façon à maximiser les récompenses et minimiser les coûts (Bagozzi,
1974).
La confiance est une attente. La confiance a également été définie comme une attente que le
partenaire se comporte de façon honnête et qu’il ne prenne pas avantage de la situation.
« Faire confiance, c’est être sûr qu’on ne va pas se faire arnaquer ». Ceci va dans le même
sens que la définition de Mayer, Davis, & Schoorman (1995) pour qui la confiance
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représente respectivement une espérance forte que le partenaire de la relation d'échange
tiendra ses promesses et une volonté d'une partie de se rendre vulnérable aux actions d'une
autre partie en se basant sur l'attente que cette autre partie accomplira une action déterminée.
La confiance est une croyance. La confiance a également été envisagée en termes de
croyances en la bonne volonté d’une partie à respecter ses engagements, en sa capacité à
réaliser une performance satisfaisante, en sa bienveillance et son honnêteté. « La confiance
c’est de croire à l’honnêteté de l’autre et au fait qu’il nous dise la vérité ». Une telle
conception de la confiance fait écho à la définition proposée par Smith & Barclay (1997) qui
se sont basés sur la conceptualisation à deux facettes de la confiance de Mayer, Davis, &
Schoorman (1995) : la perception de la dignité de confiance et le comportement de confiance.
La confiance est un trait de personnalité. L’analyse du discours des répondants a révélé que
la confiance pouvait constituer un trait de personnalité. « La confiance c’est un caractère.
Moi, par exemple, je ne fais pas confiance facilement même à mes proches ». Rappelons à cet
égard que certains auteurs ont considéré la confiance comme un trait de personnalité et une
croyance à la fois (Mcknight, Cummings, & Chervany, 1998). Elle représente ainsi une
prédisposition générale à croire en autrui et à pouvoir compter sur la parole des autres. Elle
consiste aussi à compter sur une information reçue d'une autre personne à propos d'états
incertains de l'environnement et de leurs conséquences dans une situation de risque.
La confiance est un sentiment. Certains répondants ont défini la confiance comme un
sentiment. « La confiance, c’est de se sentir à l’aise avec l’autre, parfois dès la première
rencontre ». La confiance représente un état psychologique comparable à un sentiment de
sécurité soit individuel soit perceptible globalement, ressenti consciemment ou non, vis-à-vis
du partenaire, dans une situation d'échange, malgré les risques susceptibles d'en découler. Les
émotions ressenties à l’égard de l’autre permettent alors d’évaluer sa dignité de confiance.
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Cette représentation concorde avec celle de Guibert (1999). La confiance en ligne apparait
comme le résultat de l’évaluation des interactions passées, des promesses honorées et d’une
évaluation des gains potentiels. Elle peut prendre la forme d’une attente, d’une croyance, d’un
trait de personnalité et d’un sentiment. C’est aussi une décision et une volonté de prendre le
risque de croire en la dignité de confiance du marchand en ligne, en dépit des risques et de la
vulnérabilité à un comportement opportuniste importants dans l’environnement virtuel.
3.2. Les déterminants de la confiance en ligne
Quatre groupes de déterminants de la confiance en ligne ont pu être identifiés. Il s’agit des
déterminants liés aux individus, au site, à l’entreprise et aux tiers et au cadre dans lequel les
acteurs interagissent.
3.2.1. Les déterminants liés aux individus.
À partir des témoignages des répondants nous avons regroupé les déterminants de la
confiance liés aux individus en cinq principales variables.
La culture numérique. Le manque de familiarité avec Internet induit une réticence à
l’adopter, à développer de la confiance à son égard et, par suite, à effectuer des achats par son
biais. « Le Tunisien ne sait pas utiliser Internet, il en a peur. Si la fréquence de son utilisation
augmente, s’il visite plusieurs sites et en comprend les avantages, son niveau de confiance
sera peut-être alors plus important ». Les consommateurs qui ont le plus d’expérience avec
Internet et qui ont déjà effectué au moins un achat en ligne sans rencontrer de difficulté auront
davantage tendance à faire confiance aux sites marchands. Ceci soutient les résultats de Gefen
& Straub (2004) selon qui la familiarité avec Internet a un impact positif sur la confiance. En
outre, un tel résultat amène un éclairage nouveau sur la familiarité avec Internet en ce sens
qu’il permet d’en distinguer deux aspects. Le premier étant la familiarité avec les ressources
Internet autre que le Web et le deuxième a trait à la familiarité avec l’achat sur le Web. Cette
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distinction nous paraît capitale car elle constitue une invitation à interpeler des variables
jusque-là peu étudiées, en l’occurrence le degré de préparation du consommateur à passer à
l’acte d’achat sur le Web, la résistance à l’achat sur Internet et la perception de contrôle de la
situation.
La préférence pour le contact direct. Nous pouvons définir l’échange basé sur le face-à-face
comme un échange qui implique un contact direct qui est à la fois visuel, auditif, mais aussi
olfactif et parfois tactile. Les répondants ont exprimé leur préférence pour un contact humain
et direct dans les échanges commerciaux. « Je ne fais pas d’achats sur Internet. Il me faut le
contact direct avec les vendeurs et avec les produits. ». Ce type d’échange s’est révélé capital
pour développer la confiance en ligne. « Le peuple tunisien est un peuple qui aime le contact
avec les personnes, négocier avec le marchand, fouiller et examiner le produit. Il est difficile
de changer ses habitudes et se mettre tout d’un coup à acheter sur Internet ». La préférence
pour le face-à-face peut freiner le développement de la confiance en ligne. Cela apparaît
clairement dans les discours des répondants qui témoignent de la tendance relationnelle qui
caractérise les relations d’échange dans le contexte tunisien.
Confiance hors ligne. L’analyse des discours de nos répondants a révélé que la confiance
hors ligne représente un antécédent majeur de la confiance en ligne. « Pour que je fasse
confiance à un marchand en ligne, il faut que ce marchand gagne tout d’abord ma confiance
hors ligne. C’est la condition pour que je me sente plus rassurée dans mes achats. » Il semble
donc que pour certains répondants la confiance hors ligne est un préalable à la confiance en
ligne alors que pour d’autres elle joue le rôle de facilitateur. « Le Magasin Général existait
déjà avant que je ne sois né. C’est une chaine de magasins réputée pour sa qualité. Je leur
fais confiance et le pire qui puisse arriver avec une telle entreprise c’est un retard de
livraison. »
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L’aversion au risque. Pour Bauer (1960), le risque renvoie à l’incertitude quant aux
potentielles conséquences négatives relatives à une décision d’achat. Plusieurs facettes du
risque perçu émergent de l’analyse du corpus : le risque financier (inhérent au paiement via
Internet), le risque d’atteinte à la vie privée, le risque fonctionnel et le risque de performance.
Le risque financier renvoie à l’éventuelle utilisation frauduleuse des données bancaires. La
majorité des répondants ont identifié ce type de risque. « Je ne suis pas prête à donner mes
coordonnées, mon adresse, etc. C'est tellement évident maintenant tout le monde arrive à
dérober les codes, les mots de passe et aujourd’hui les attaques se multiplient ». Le risque
fonctionnel et de performance fait référence à la qualité effective du produit. Dans un contexte
virtuel, le produit échangé reste intangible jusqu’à ce que le client en prenne possession. Pour
décider, le consommateur devra se contenter de quelques images du produit et faire confiance
au descriptif présenté sur le site. Les risques perçus à l’égard de l’achat sur Internet peuvent
donc constituer autant de freins potentiels au développement de la confiance en ligne.
La perception de contrôle de la situation. La perception de contrôle de la situation s’avère un
déterminant important. « Cette technologie et ce qu'il y a derrière, tout ça me dépasse. J’ai
peur aussi de subir des dommages sans même le savoir. » Les consommateurs croyant exercer
un contrôle sur leur environnement s’engagent ainsi plus facilement dans des comportements.
De tels consommateurs pensent en effet connaître la conséquence de leur comportement et ne
prévoient pas la possibilité de répercussions négatives. Ce résultat fait écho à celui de
Sherrod, Hage, Halpern, & Moore (1977) selon qui les individus exposés à un environnement
incontrôlable et désagréable adoptent des réponses comportementales négatives.
3.2.2. Les déterminants liés au site
La sécurisation des paiements. Le problème de la sécurisation des paiements a été mentionné
par une trentaine d’répondants. Ceci montre l’importance accordée à ce déterminant de la
confiance en ligne. Dans l’ensemble, les répondants sont plutôt confiants quant au caractère
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peu risqué de la solution de paiement électronique adoptée en Tunisie. « C’est vrai que
certaines solutions de paiement restent très instables et ne marchent pas comme on le
voudrait en Tunisie. Toutefois, je pense que le e-dinar peut être la solution. Le e-dinar, depuis
sa version simplifiée, est un moyen très simple pour payer sur Internet. (…). Avec le e-dinar,
on a un compte à part, donc si on a peur pour notre compte bancaire c'est la solution ». La
particularité de ce moyen de paiement – également appelé porte-monnaie virtuel – pourrait
être à l’origine du peu de souci qu’ont montré les répondants à l’égard de la sécurisation des
paiements en ligne.
Intégrité de l’information. La qualité et la pertinence de l'information se sont avérées aussi
des variables très importantes pour les répondants. Cette information doit être suffisamment
claire, précise et doit répondre à leurs attentes. Le site Web doit donc fournir des informations
compréhensibles aussi bien par les connaisseurs que par les profanes. « Il est important que
l'information soit complète et suffisamment précise parce que quand tu achètes quelque chose
sur Internet, tu ne le vois pas, tu ne le touches pas, il faudrait le maximum d'informations, une
fiche de produit, des photos de préférences en 3 dimensions ». Un consommateur sera plus
enclin à accorder sa confiance à un site dont l'offre est riche et variée. L’abondance des offres
est un des indices permettant de rassurer les consommateurs. Enfin, l’absence de mise à jour
de l’information ou de l'offre peut être une source de méfiance. Les marchands doivent
régulièrement s’assurer de la disponibilité effective de leurs produits en stock ainsi que de
l’exactitude de l’information fournie sur le site afin de renforcer leur confiance.
Qualité perçue du site. Les entretiens avec les répondants révèlent que ces derniers accordent
une importance particulière à la qualité perçue du site. Un site dont la structure n’est pas claire
induit en effet de la méfiance. « Quand ils en font trop, cela peut traduire la volonté du site de
nous tromper ou de dissimuler certains vices du produit. » « Plus on m'en bavarde plus on
m'en cache ». Un tel résultat paraît quelque peu paradoxal. En effet, d’un côté
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l’environnement virtuel exige la présence sur le site marchand de l’information complète,
précise et détaillée, de l’autre, cette présence de l’information en masse dérange le client et
l’amène à douter de la sincérité du marchand et de son intégrité. Cela peut s’expliquer par la
surcharge informationnelle que certains consommateurs éprouvent en présence d’une quantité
importante d’informations à traiter, analyser et synthétiser. Ainsi la quantité d’informations
présentées sur le site devrait être bien dosée en fonction de la cible visée, mais ne doit pas
dépasser un certain seuil au-delà duquel les limites de la capacité cognitive du client seraient
dépassées. Par ailleurs, ces informations doivent être présentées de façon fluide et organisée,
la complexité du site pouvant susciter de la méfiance.
Le respect de la vie privée. La question du respect de la vie privée des internautes, notamment
la confidentialité des données personnelles, ne semble pas présenter explicitement une
préoccupation majeure chez les interviewés. Seulement trois répondants ont mentionné
directement cet élément. Les répondants évoquent le problème de surcharge des boites e-mail
par des spams. « Personnellement je ne fais pas confiance à Internet car mes données
personnelles vont être utilisées à des fins commerciales sans avoir même mon autorisation.
Quand j’ouvre ma boite mail, je trouve pas mal de mails. Tu sens que tu es contrôlé. »
Toutefois, si certains considèrent un tel comportement comme non éthique et vont jusqu'à se
méfier du site, d'autres n'y prêtent pas trop attention et y voient juste l'inconvénient de la
surcharge de leur boite de courrier électronique.
3.2.3. Les déterminants liés à l’entreprise
La réputation. La notoriété et la réputation du marchand jouent un rôle important dans le
développement de la confiance vis-à-vis d’un site. Les répondants font davantage confiance à
une entreprise qui a une histoire, qui a déjà fait ses preuves. Sa réputation rend plus prévisible
son comportement futur et la qualifie donc à mériter la confiance du client. « Je fais confiance
au site du Magasin Général parce que tout le monde fait confiance en l’enseigne depuis bien
18
longtemps. Elle a fait déjà ses preuves au niveau de la qualité de ses produits, au niveau des
services associés et n’a plus rien à démontrer. » Cette dimension s’avère donc un véritable
catalyseur de la propagation de la confiance en général et en ligne. C’est pourquoi les
marchands doivent accorder une importance particulière à leur capital-réputation.
Présence d’un point de vente physique. La confiance du consommateur peut aussi s’exprimer
par la présence physique du vendeur. Les répondants éprouvent un fort besoin d’interagir, à
un moment donné, avec des personnes physiques, d’avoir un rattachement à une entité
palpable. « Un magasin ayant pignon sur rue depuis 10 ans est plus fiable qu’une entreprise
uniquement présente sur le Web. » La résolution des problèmes susceptibles d’émerger
pendant ou après l’achat est fortement associée à l’existence d’un point de vente physique. Par
ailleurs, les incertitudes inhérentes à l’authentification du vendeur posent le problème de la
volatilité des marchands sur Internet. « C’est plus difficile de disparaître quand une entreprise
a un magasin physique que quand tu as juste une adresse Internet ».
La compétence du partenaire. La compétence du partenaire a été citée comme déterminant de
la confiance en ligne par 6 répondants. Cette compétence correspond à la qualité des biens et
des services offerts en ligne, à la performance dans la réalisation de la mission, au respect des
engagements et des délais de livraison. Les soupçons d’incompétence attribués au partenaire
d’échange électronique en matière de prestations de services ou de maitrise du processus
constituent une source importante de méfiance. « Un jour, j’ai trouvé un pack de DVD très
intéressant sur un site tunisien, alors j’ai décidé de l’acheter mais j’ai été surpris que la
livraison ne s’est faite qu’après 10 jours. Vraiment, c’est trop ! Ça aurait été mieux de
l’acheter en magasin que sur Internet ».
Evaluation de l’offre par rapport à l’offre alternative hors ligne. Le consommateur en ligne
cherche à utiliser ce canal de distribution pour profiter de bénéfices réels : si les coûts du
19
temps investi à la recherche d’information sur Internet sont inférieurs à l’économie réalisée, le
consommateur percevra alors l’achat en ligne comme une opportunité. À cet effet, un
répondant a remarqué : « je me méfie vraiment du commerce électronique. Une fois, j'ai
envoyé des fleurs à une amie par la poste en utilisant le e-dinar, mais je n'ai jamais plus
recommencé : c’est très cher. En plus, j’étais obligé de recharger ma carte auprès des
guichets de la poste et attendre mon tour pour être servi et perdre encore plus de temps ». La
confiance découle donc de la perception d’une plus-value lors de la réalisation d’opérations
commerciales sur le Web. Cette plus-value peut résulter de la valeur liée au produit acheté ou
de celle liée à l’acte d’échange. Ce deuxième aspect est particulièrement utile pour inciter le
consommateur à une action de ré-achat dans la mesure où l’impact de l’expérience est très
présent. Les marchands en ligne doivent donc faire des propositions de valeur supérieure en
termes tangibles et intangibles pour être perçus comme étant dignes de confiance.
Une congruence au niveau des valeurs. La présence de valeurs partagées émerge en tant que
déterminant important de la confiance en ligne. « Je fais certainement plus confiance en un
site si ce site, ou les personnes qui le gèrent, partagent avec moi les mêmes opinions ou les
mêmes pratiques religieuses. Je dois être certain que tel ou tel produit, par exemple un
chocolat, ne contient pas de l’alcool ou des liqueurs, ou que des pratiques illicites ne se
cachent pas derrière la vente de ce produit. » Cela soutient les résultats de Morgan et Hunt
(1994) selon qui la similarité dans le système de valeurs renforce généralement la confiance
entre les partenaires d’échange.
3.2.4. Les déterminants liés aux tiers et au cadre dans lequel les acteurs interagissent
Le bouche-à-oreille. Les amis et/ou les membres de la famille influencent sensiblement la
confiance dans l’achat sur un site. Ils représentent une véritable source d’information d’autant
plus importante que la recherche est menée dans un contexte collectiviste (Hofstede,
Hofstede, & Minkov, 2010). De nombreux répondants ont rapporté qu’ils se sont basés sur les
20
opinions et les expériences des autres pour juger de la dignité de confiance du marchand en
ligne. « Plusieurs amis et collègues achètent des billets d’avion, sur Internet. Ça à l’air de
très bien marcher. En plus, c’est pratique et rapide ». Cette approche d’inférence par le
bouche-à-oreille cadre largement avec la perspective de formation de la confiance basée sur
un processus de transfert (Doney et Cannon, 1997). Toutefois, elle en diffère par la source.
Les témoignages des autres internautes. Les répondants ont déclaré consulter les témoignages
et les commentaires en ligne. Toutefois, ils ont estimé que ces derniers n’étaient pas
systématiquement dignes de confiance. « L’avis des internautes sur le site, je n’en tiens pas
toujours compte, car il reste à savoir si c’est authentique ou pas. Ça peut être juste une
manœuvre des entreprises pour tromper les consommateurs. » Ainsi, l’impact de ces
témoignages sur la confiance semble lié au niveau de crédibilité perçu du contenu et de la
source. Ces aspects sont similaires à ceux mis en évidence par Chouk & Perrien (2005).
Les spécificités de l'environnement technologique et juridique. Selon les répondants, le débit
d'Internet, les coûts d’investissement élevés en matériel et en accès à Internet représentent une
entrave majeure qui empêche le consommateur à percevoir l’environnement virtuel comme
étant fiable et à cerner ses bénéfices. « La plupart des gens en Tunisie ne possèdent pas un
ordinateur à domicile : l’outil informatique est très coûteux, sans compter les frais des
télécoms très élevés pour avoir accès à Internet à domicile. Comment voulez vous que ces
gens puissent éprouver de la confiance vis-à-vis d’Internet ? ». Plusieurs répondants se
méfient de l’achat en ligne car ils doutent de l'efficacité de cette activité, de sa sécurité et des
moyens de paiement en ligne. Les répondants perçoivent que la procédure d'obtention de la
carte e-dinar de la Poste est longue et peu intuitive. Pour la carte bancaire, la plupart se sont
montrés méfiants par peur de piratage des codes. Ceci témoigne d’un manque d'information
sur les connexions sécurisées, les certificats électroniques, ainsi que leur utilité pour la
confiance et la sécurité des transactions. La possibilité de réaliser des achats sur des sites
21
étrangers est également considérée comme nécessaire pour développer le commerce
électronique en Tunisie. Toutefois, en raison de la non-convertibilité du dinar tunisien, il est
impossible d'acheter à partir des sites marchands étrangers. Ceci restreint l’offre de biens et de
services sur Internet accessible pour les acheteurs internautes tunisiens.
Les spécificités de l'environnement culturel. Selon l’un des répondants, « le consommateur
tunisien d’aujourd’hui n’est pas celui des années trente. Il est plus ouvert sur le monde, il a
plus de besoins ; il suit la mode, aime les nouveautés et préfère les produits de qualité.
Cependant, il reste toujours méfiant à l’égard de l’achat en ligne, car il préfère le contact
direct avec des vendeurs. Il préfère acheter des produits qu’il peut toucher et voir, auprès de
personnes qu’il peut voir également, et de préférence des personnes qu’il connait et avec qui
il entretient des relations chaleureuses. » Ce témoignage dénote du faible ancrage de ce type
d’achat dans les habitudes des consommateurs tunisiens. Pour certains, l’utilisation d’Internet
augmente la froideur et la désagrégation des liens sociaux. Elle constituerait même une forme
de menace pour la culture tunisienne. Comprendre ces aspects culturels semble d’une
importance de taille. En effet, la culture s’avère déterminante dans la façon dont les
perceptions, les attitudes et les comportements sont modulés (Hofstede, Hofstede, & Minkov,
2010). Elle est formée par un système de valeurs fondées sur des connaissances internalisées
par l’individu et qui deviennent un moteur de ses attitudes et de ses comportements lors des
échanges avec son environnement (Holland, Lachicotte, Skinner, & Cain, 2003). Ces valeurs
sont clairement identifiées par nos répondants qui affichent nettement leur préférence pour le
face-à-face.
Conclusion
Cette recherche a visé une meilleure compréhension de la confiance en ligne.
Particulièrement, elle a essayé d'identifier les représentations que se font les consommateurs
22
de la confiance en ligne et les facteurs qui les amènent à considérer les marchands en ligne
comme étant dignes de confiance dans le contexte tunisien. En accord avec cet objectif, une
étude qualitative, sous la forme d'entretiens semi-directifs auprès de 41 consommateurs, a été
réalisée. L’analyse de contenu thématique a révélé que globalement les répondants se réfèrent
à la confiance hors ligne pour dans leurs représentations de la confiance en ligne et de ses
définitions. Cependant, ce qui semble caractériser la confiance en ligne relativement à la
confiance hors ligne, ce sont surtout le nombre d’intervenants qui peuvent déterminer le
niveau de contrôle de la situation et le degré de vulnérabilité accepté en considérant un
marchand en ligne comme étant digne de confiance. Dans leur attribution de dignité de
confiance en ligne, les répondants se basent sur un calcul bénéfices/coûts, les attentes, les
croyances, les sentiments, les intuitions et les attributs personnels. Aussi, la naissance de la
confiance en ligne semble intimement liée à quatre classes de déterminants qui ont trait aux
individus, à l’entreprise, au site, et aux tiers et au cadre (technologique, juridique, économique
et culturel) dans lequel les acteurs opèrent.
Par ailleurs, certains déterminants de la confiance identifiés dans la présente recherche
s’avèrent spécifiques au contexte tunisien. Tel est le cas de la préférence des répondants pour
le face-à-face dans la réalisation des échanges. Ceci peut être expliqué par la tendance dans la
culture tunisienne à être une culture de contact élevé (Dion et Bonnin, 2004). Les individus
seraient donc plus portés à apprécier le contact humain aux interactions en ligne. Les
marchands opérant en ligne doivent tenir compte de cet aspect en tentant d'"humaniser" leur
sites web soit en offrant la possibilité aux consommateurs de rentrer en contact avec des
opérateurs en navigant sur le site, soit de réaliser une partie des opérations d'achat de biens ou
services dans des lieux de vente physiques.
Le niveau de confiance hors ligne s’avère aussi un antécédent majeur du développement de la
confiance en ligne. En troisième lieu vient la valeur perçue de l’offre sur Internet par rapport à
23
l’offre alternative hors ligne. L’offre présente sur le Web semble encore peu alléchante et trop
risquée pour justifier de la formation d’un sentiment de confiance vis-à-vis du marchand en
ligne. Enfin, la surabondance de l’information, couplée à une mauvaise organisation du site,
est interprétée comme une volonté du marchand de tromper ou de dissimuler certains vices du
produit.
Tenir compte des spécificités du contexte de réalisation des échanges et des facteurs qui
affectent le développement d’un climat de confiance nous semble très important pour
développer la confiance en ligne. En effet, à quoi servirait-il de développer des sites
marchands et d’investir en matière de développement du commerce électronique et d’achat en
ligne, si les attitudes à l’égard des pratiques commerciales dans l’environnement physique
sont extrapolées à l’environnement virtuel et que les marchands en ligne sont taxés des
mêmes intentions et comportements ? Un tel résultat soutient dans une large mesure la
position de certains auteurs qui considèrent qu'niveau de confiance généralisée "generalized
trust" est nécessaire pour développer la confiance chez les individus. Cette confiance
généralisée est définie comme étant un élément attitudinal des plus importants du "capital
social" qui “facilite la coopération avec les autres et contribue à un sentiment général de
communauté et d'appartenance” (Reeskens and Hooghe, 2008; p. 516). Par conséquent, le
plus ce sentiment est présent, plus le niveau de dignité de confiance perçue d'un membre
inconnu membre de la société (Paldman, 2000). Il revient donc aux différents acteurs du
système d'échange économique et social de veiller au développement d'un climat sain et à
l'instauration des mécanismes de gouvernance qui permettent aux bonnes pratiques de
s'étendre à tous les niveaux des interactions. Bien entendu, des mécanismes formels de
contrôle doivent être aussi déployés.
24
Les entreprises tunisiennes doivent aussi améliorer l'image des prestations des services offerts
sur le site au niveau de l’offre proposée. Cela permettra au consommateur de percevoir un
gain satisfaisant par rapport aux coûts engagés.
Malgré les éclairages significatifs apportés sur la confiance en ligne et ses déterminants, cette
étude comporte un certain nombre de limites qui pourraient constituer autant de voies de
recherche. Le présent champ de recherche peut donc être investigué davantage en adoptant
une démarche quantitative pouvant mener à la vérification partielle ou globale des
propositions énoncées. Diversifier davantage l’échantillon pour inclure les adolescents dans
l’étude de la confiance en ligne serait aussi une voie future intéressante à explorer. Notons, à
cet égard, que de plus en plus d’adolescents sont de véritables utilisateurs d’Internet et que les
besoins et motivations de ces derniers peuvent différer grandement de ceux qui sont un peu
plus âgés qu’eux. D’autre part, s’intéresser à l’effet du sexe sur la confiance en ligne s’avère
aussi une perspective de recherche intéressante.
25
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