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II. NOTES ET DISCUSSIONS NOTE SUR L’ARTICLE DE M.D. FINDIKYAN, «ARMENIAN HYMNS OF THE HOLY CROSS AND THE JERUSALEM ENCAENIA» par NAZÉNIE GARIBIAN DE VARTAVAN Université d’État d’Érévan Le remarquable travail de M. D. Findikyan sur les hymnes armé- niennes associées à la fête de l’Exaltation de la Croix, publié dans le précédent volume de cette revue, atteste la close connexion de ces hymnes avec la grande fête de la Dédicace des saints lieux de Jérusalem, instau- rée au IV e s. Tout en adhérant aux conclusions de l’auteur, qui démontrent l’origine et l’inspiration hiérosolymitaines très anciennes pour la plu- part de ces hymnes, nous voudrions présenter quelques précisions qui, nous espérons, pourraient apporter des arguments supplémentaires à la recherche. La fête de Dédicace des saints lieux de Jérusalem commémorait la fon- dation et l’inauguration du grand complexe ecclésial sur le site du Golgo- tha, qui était considéré par les contemporains comme le Nouveau Temple de Jérusalem, celui des chrétiens 1 . Le complexe ( fig. 1) contenait deux églises dressées sur les deux endroits les plus importants pour le monde chrétien: la somptueuse basilique constantinienne — le Martyrium — sur l’emplacement de la Crucifixion, et l’Edicule du tombeau, encerclé plus tard par la rotonde de l’Anastasis, sur le lieu de la Résurrection. Or le site était connu également pour un événement non moins important: la découverte du Bois de la croix, la relique la plus vénérée pour laquelle une chambre à part était aménagée dans le premier atrium, à gauche de l’entrée de la basilique 2 . Lors des grandes fêtes, cette relique quittait sa cachette pour être véné- rée par la foule des croyants. D’après le témoignage d’Egérie, une pèlerine 1 Voir à propos notre étude, Garibian de Vartavan 2009, p. 75-101 et 176-195. 2 Brev. Jer ., 1; Pèlerin de Plaisance, 20.1; Gibson & Taylor 1994, p. 79. REArm 33 (2011) 331-344.

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II. NOTES ET DISCUSSIONS

NOTE SUR L’ARTICLE DE M.D. FINDIKYAN, «ARMENIAN HYMNS OF THE HOLY CROSS AND

THE JERUSALEM ENCAENIA»

par

NAZÉNIE GARIBIAN DE VARTAVAN

Université d’État d’Érévan

Le remarquable travail de M. D. Findikyan sur les hymnes armé-niennes associées à la fête de l’Exaltation de la Croix, publié dans le précédent volume de cette revue, atteste la close connexion de ces hymnes avec la grande fête de la Dédicace des saints lieux de Jérusalem, instau-rée au IVe s. Tout en adhérant aux conclusions de l’auteur, qui démontrent l’origine et l’inspiration hiérosolymitaines très anciennes pour la plu-part de ces hymnes, nous voudrions présenter quelques précisions qui, nous espérons, pourraient apporter des arguments supplémentaires à la recherche.

La fête de Dédicace des saints lieux de Jérusalem commémorait la fon-dation et l’inauguration du grand complexe ecclésial sur le site du Golgo-tha, qui était considéré par les contemporains comme le Nouveau Temple de Jérusalem, celui des chrétiens1. Le complexe ( fig. 1) contenait deux églises dressées sur les deux endroits les plus importants pour le monde chrétien: la somptueuse basilique constantinienne — le Martyrium — sur l’emplacement de la Crucifixion, et l’Edicule du tombeau, encerclé plus tard par la rotonde de l’Anastasis, sur le lieu de la Résurrection. Or le site était connu également pour un événement non moins important: la découverte du Bois de la croix, la relique la plus vénérée pour laquelle une chambre à part était aménagée dans le premier atrium, à gauche de l’entrée de la basilique2.

Lors des grandes fêtes, cette relique quittait sa cachette pour être véné-rée par la foule des croyants. D’après le témoignage d’Egérie, une pèlerine

1 Voir à propos notre étude, Garibian de Vartavan 2009, p. 75-101 et 176-195. 2 Brev. Jer., 1; Pèlerin de Plaisance, 20.1; Gibson & Taylor 1994, p. 79.

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des années 381-384, la vénération des reliques avait lieu au pied de la croix monumentale qui surplombait le Rocher du Calvaire3. Elle se trou-vait à quelques 10 m de distance de l’abside de la basilique constanti-nienne, au coin sud-est du second atrium ( fig. 2), et était probablement protégée d’un sanctuaire en forme de ciborium4. D’après les récits des pèlerins, complétés par des représentations du VIe s., on conclut qu’il pos-sédait un autel5. ( fig. 3.a-c) A l’époque d’Egérie, ce sanctuaire était parmi les stations liturgiques importantes6 et s’appelait la Croix. Or Egérie dis-tingue clairement deux stations à cet endroit: «devant la Croix» défini par elle également comme «atrium», et «derrière la Croix» où on installait, pendant les fêtes appropriées, le siège de l’évêque et où l’on vénérait les reliques de la croix7.

Il est généralement admis que le monument de la Croix marquait l’em-placement de la Crucifixion et symbolisait la découverte des reliques de la croix du Christ8. L’authenticité de cette découverte est une question débattue depuis longtemps. Les opinions dépendent en partie de l’attitude que l’on prend envers l’authenticité de la Légende de la Vraie Croix, déve-loppée au cours de la seconde moitié du IVe s. et connue des sources à partir de la fin du même siècle9. Selon cette légende, l’impératrice Hélène, la mère de Constantin, avertie par des voies surnaturelles, part pour Jéru-salem à la recherche de la croix et découvre les reliques au Golgotha. Elle y construit ensuite une grande église.

L’une des principales raisons qui alimentent le débat en question est la contradiction évidente entre la Légende et les témoignages historiques, particulièrement ceux d’Eusèbe de Césarée. D’après les partisans de la Légende, Eusèbe omet volontairement la découverte de la croix et la par-ticipation d’Hélène à cette découverte, sans mentionner non plus sa visite au Golgotha tandis qu’ailleurs, il rapporte les activités de l’Impératrice à Bethlehem et au Mont des Oliviers10. Le parti opposé observe que l’hypo-thèse d’une omission volontaire est fragile, et si Eusèbe ne mentionne pas

3 Eg. 2 et 37.1,3, 36.5; Van Esbroeck 1984; Maraval 1996, p. 114, n. 2. 4 Egérie ne le mentionne pas, mais il est attesté par Brev. Jer., A et B, 2, et par des

représentations des Ve-VIe s. 5 Eg. 35.2; Brev. Jer., B.2; Garibian de Vartavan 2009, p. 155. 6 Eg. 24.7, 25.1, 3, 9, 11, 27.2-3, 30.1, 36.5; Coüasnon 1974, p. 50-53; Hunt 1984, p. 12,

Corbo 1988, Maraval 1982, p. 64. 7 Garibian de Vartavan 2009, p. 155 et suiv. 8 Weitzmann 1974; Kühnel 1987, p. 66; Taylor 1993, p. 122 et 141. 9 Pour la première fois, elle est mentionnée dans De Obitu Theodosii oratio d’Ambroise

de Milan, composée en 395. 10 Borgehamar 1991, p. 129.

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la découverte de la croix par Hélène, ni son arrivée à Jérusalem, c’est que ces deux événements ne sont pas reliés entre eux11.

Dans la recherche concernant les lieux saints de Jérusalem, nous avons avancé l’hypothèse que le Bois de la croix fut découvert en même temps que le tombeau, et selon le récit même d’Eusèbe, confirmé par Socrate et suivi par l’une des versions de la Légende, il fut retrouvé dans le tom-beau, probablement en 32612. En revanche, Hélène, la mère Auguste qui était proclamée Impératrice après 326, fut partie en voyage d’inspection dans les provinces d’Orient et arriva en Palestine après le changement de son statut, après la clôture des Vicennalia de son fils (jusqu’à la fin de juillet 326), peu avant sa mort (survenue en 329-30), ce qui donne la date de 328 comme la plus plausible13. Elle n’était donc pas présente au moment de la découverte des reliques.

Quant au sanctuaire de la Croix, l’étude systématique des documents le concernant laisse supposer qu’à l’origine, il ne faisait pas partie du complexe constantinien et qu’il y fut érigé au cours de la seconde moitié du IVe s14. Outre le fait qu’Eusèbe ignore son existence, alors qu’il décrit, à plusieurs reprises15, les autres sanctuaires du site, nous n’en possédons aucune trace dans d’autres sources avant cette date. Ni les catéchèses de Cyrille de Jérusalem, datées des années 349-351, qui mentionnent pour-tant maintes fois le Golgotha, les fentes du Rocher et le signe de la croix, ni la lettre d’Athanase rédigée en 350, qui énumère tous les lieux et monu-ments de vénération de Jérusalem et aux alentours, ne semblent la connaître. Pour la première fois, le sanctuaire (ou le monument) de la Croix est clai-rement mentionné dans la Vie de sainte Mélanie l’Ancienne, qui décrit son voyage en Terre sainte survenu en 373-37416. Lors du passage d’Egérie

11 Cameron 1999, p. 280; Biddle 1999, p. 56; Maraval 1985, p. 253. 12 Voir Garibian de Vartavan 2009, p. 93-133. 13 Ibid., p. 113-118. 14 Ibid., p. 155. 15 Il est admis actuellement qu’Eusèbe a exprimé ses idées sur la création du complexe

du Golgotha à travers quatre œuvres: a. Le discours de Dédicace du complexe, prononcé lors des cérémonies de l’inauguration en 335: cette pièce ne nous est pas parvenue mais il est possible de la rétablir à l’aide de l’analyse comparative de tous les passages conser-vés; b. Un traité dédié à l’Empereur sur «ce qu’est le Temple du Sauveur, ce qu’est la grotte salutaire, ce que sont les belles et multiples offrandes de l’Empereur», également perdu; c. La seconde partie du discours des Tricennalia, intitulé «A propos du sépulcre» ou «Sur le tombeau du Seigneur»; d. les chapitres correspondants de la Vita Constantini, qui relatent les motifs et les circonstances de la construction et décrivent l’ensemble architectural. Sur cette question et sur la bibliographie, voir Garibian de Vartavan, Ibid., p. 176-177.

16 Pour la date, Drijvers 2004, p. 23.

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(381-384), c’est déjà une station bien intégrée avec un rite développé, dans la liturgie hiérosolymitaine.

La comparaison des témoignages d’Egérie concernant la semaine de Pâques avec les jours correspondants dans le texte synoptique du Lec-tionnaire arménien de Jérusalem révèle, en effet, comme l’observe aussi Mr. Findikyan, que les stations «derrière la Croix» et «devant la Croix» sont identifiables au sanctuaire appelé Saint-Golgotha17. La précision avec laquelle le Lectionnaire suit le texte d’Egérie quant aux canons à exécuter et aux déplacements à faire, montre que le Saint-Golgotha ne peut nulle-ment être la basilique de Constantin, le Martyrium18. Par ailleurs, pour le Jeudi saint, deux des trois manuscrits de la version arménienne du Lec-tionnaire la plus proche de l’original hagiopolite situent les cérémonies dans le Martyrium et devant la Croix, tandis que le troisième remplace la Croix par Saint-Golgotha19.

La même précision est conservée également dans le calendrier litur-gique géorgien, où le sanctuaire de Golgotha se distingue de Katholikè, c’est-à-dire du Saint-Martyrium20.

Nous avons un autre témoignage qui conforte cette constatation tout en indiquant la période chronologique à laquelle la Croix était aussi appelée Saint-Golgotha. C’est le texte syriaque de la Vie de Pierre l’Ibère21. Dans les années 438-39, ce jeune prince géorgien en otage quitte Constantinople pour se rendre à la Ville sainte. Le récit raconte qu’une fois pénétrés à l’intérieur de l’enceinte du complexe constantinien, lui et son compagnon, Mithridate le Laze, «embrassent la base de la Croix précieuse elle-même, je veux dire le Saint-Golgotha».

En revanche, comme le remarque justement Mr. Findikyan, le Marty-rium est parfois appelé, dans la nomenclature populaire, l’église de la Croix ou Sainte-Croix. Or la raison en est non seulement la Légende, ou plus précisément l’une des versions de la Légende, qui y fait découvrir le bois de la Croix, mais plus anciennement encore, la théologie d’Eusèbe de Césarée qu’il développe sur la signification et sur la vocation de cette basilique22, et probablement encore que les reliques de la Croix aient conservées près ou dans le bâtiment.

17 Comparer Eg. 37.3, 5-8 et Renoux 1999, p. 192-3 et 198. Voir aussi Garibian de Vartavan ibid., p. 156-157.

18 Contrairement à l’avis de S. Gibson (Gibson & Taylor 1994, p. 78-79) qui cite le Lectionnaire arménien à l’appui de l’absence de la station liturgique de la Croix.

19 Renoux 1971, p. 268. 20 Tarchnishvili 1959-60. Pour le nom «Katholikè», voir Maraval 1985, p. 253, n. 7. 21 Devos 1968; Maraval 1996, p. 163-164. 22 Voir Garibian de Vartavan 2009, p. 114, 125-131, 134-139.

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Faute de données littéraires ou archéologiques, il est très difficile de se prononcer plus précisément quand le monument de la Croix fut dressé sur le Rocher et quand fut consacré son autel. Plusieurs indices font sup-poser que ce fut sous l’épiscopat de Cyrille de Jérusalem, entre 351 et 37323.

Il y a lieu de croire que la dédicace de ce sanctuaire fut célébrée pen-dant l’octave de l’Encainie du complexe constantinien, avec celle du Mar-tyrium et de l’Anastasis, à partir du 13 septembre, quand, selon Egérie, on célébrait aussi la découverte de la Croix24. Les ménées sinaïtiques géorgiennes rajoutent, après la fête de l’élévation de la croix au 14 sep-tembre, celle de la «dédicace de la Croix» pour les 15 ou 16 septembre25; ce qui pourrait bien être la consécration du monument ou de son autel. Étant donné que ce sanctuaire faisait partie du complexe constantinien, outre le fait qu’il était compris dès le début dans l’enceinte ou fut rajouté plus tard, il est logique de supposer qu’on avait dédicacé la Croix et consacré son autel à la date de la célébration de tous les sanctuaires du complexe. Comme le souligne Findikyan, on a procédé de la même façon dans le cas de l’Anastasis, la Rotonde élevée au-dessus de l’édicule du Tombeau, achevée et consacrée bien plus tard de la date de l’inauguration du complexe en 33526. Comme le 13 et 14 septembre étaient marqués pour célébrer la dédicace respectivement de l’Anastasis et du Martyrium, le 15, indiqué dans les ménées géorgiennes, aurait été réservé, logiquement, pour celle de la Croix.

Dans ce cas, il est possible que l’hymne arménienne citée par Findikyan sous le numéro [19], où il est question de la «dédicace de la sainte Croix», conserve un fond très ancien d’une pièce qui était composée et chantée pour cette occasion et non pas pour la célébration de la dédicace de la basilique, c’est-à-dire du Martyrium, comme suggéré par Mr. Findikyan.

En revanche, on ignore si le Bois de la croix a vraiment été découvert ces jours-là. Dans le Lectionnaire arménien, après les fêtes du 14 sep-tembre, s’insère une autre «de l’invention de la croix à Jérusalem» dont la date est marquée au 10 mareri, qui correspond au 17 mai selon l’ère arménienne instaurée en 551, ou au 17 juin selon le calendrier de 111627.

23 Ibid., p. 167-168, 172-174. 24 Eg. 48. 25 Garitte (1958, p. 331-332 propose de comprendre l’expression «dedicatio crucis»

comme «deuxième jour de la Dédicace, de la croix», mais cette interprétation n’est pas convaincante. Pour van Esbroeck (1984, p. 126-134), il s’agit de deux célébrations dis-tinctes.

26 Pour les références, voir l’article de Findikyan, n. 37. 27 Renoux 1999, p. 223, n. 1.

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Le texte choisi pour cette fête dans le Synaxaire arménien raconte la Légende de la Vraie Croix dans la version de Judas Cyriaque. D’après Ch. Renoux, cette nouvelle fête apparaît dans l’une des versions du calen-drier arménien à partir du XIIIe s. et fut déplacée plus tard, pour des raisons thématiques, après la fête du 14 septembre. Absente du Synaxaire byzantin, elle figure dans le calendrier latin pour le 3 mai. Pour quel motif fut-elle instaurée, si la découverte du bois de la Croix eut lieu et était célébrée le 14 septembre? Il est possible que ce fût en raison de la date de la découverte indiquée dans cette version de la Légende qui la place au mois de mai de l’année 351 — faisant ainsi référence à la vision de la croix de Jérusalem, un autre événement important pour le monde chrétien. Cette question demande encore une analyse plus approfondie28.

Toutefois, il semblerait que la date des célébrations de la Dédicace du Temple chrétien au Golgotha fut choisie au 13 septembre pour quelques autres raisons sur lesquelles les avis sont encore une fois partagés : pour la coïncider avec la date d’anniversaire de la victoire de Constantin sur Licinius29, pour avoir identifié le septième mois biblique au septième mois romain, c’est-à-dire septembre30, ou bien pour éclipser la fête de natalis du temple de Jupiter au Capitole de Rome31. Or nous disposons de quelques arguments pour affirmer que la date de la Dédicace fut fixée au 13 septembre 335 d’après un savant calcul qui démontrait la coïncidence, avec cette fête, de la commémoration de la victoire de Constantin sur Licinius et de la fête des Tabernacles juive, célébrée à la mi-septembre32. Cette dernière est prise en compte, semble-t-il, en raison de sa liaison avec le Temple de Salomon. La fête juive de dédicace du Temple de Salomon, qui est mouvante selon le calendrier lunaire, est célébrée au mois de décembre33. Pour faire opposition à cette fête, l’Eglise de Jérusa-lem avait instauré, vers le milieu du Ve s., «la fête de dédicace de tous les autels»34 ou «toutes les églises»35, qui n’est pas liée à un monument précis et qui dure plusieurs dimanches entre les mois de novembre et décembre36.

28 Nous en discutons plus amplement dans notre étude, 2009, p. 170-173. 29 Fraser 1997; Schwartz 1987. 30 Puisque en Occident, le premier mois de l’année a été assimilé au mois de mars,

Evenepoel 1988; Borgehamar 1991, p. 102-103. 31 Schwartz 1987; Borgehamar, Ibid. 32 Schwartz, ibid.; Wilkinson 1979, p. 347-359. 33 Schwartz, ibid. 34 Selon le Lectionnaire arménien. 35 Selon la liturgie latine — Commune dedicationis ecclesiae. 36 Botte 1957; Renoux 1969, p. 196 et n. 3; Wilkinson (1979) place cette instauration

sous l’épiscopat de Juvénal (428-458).

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D’après les lectures choisies pour cette fête, son caractère semble avoir été polémique, dû aux difficiles relations entre les communautés juive et chrétienne en Palestine au début du Ve s37.

Or plus d’un siècle avant l’apparition de cette fête, la tendance oppo-sitionnelle de l’Eglise chrétienne envers le Temple juif était déjà bien présente car non seulement l’Eglise s’identifiait à la maison de Dieu res-taurée sur terre38, mais elle revendiquait, pour le complexe de Constantin sur le Golgotha, le statut du Nouveau Temple de Dieu et ainsi donc, une ascendance directe avec le Temple de Salomon. Dans le discours pro-noncé à l’occasion de la consécration de la cathédrale de Tyr, Eusèbe de Césarée assimile déjà la fête de dédicace du Temple de Salomon à celle de la cathédrale, tout en établissant la filiation entre Moïse, Salomon et l’évêque Paulin, qui en avait réalisé la construction39. D’après l’analyse comparative des textes, cette tendance a très probablement trouvé son aboutissement logique dans le discours de la Dédicace du complexe de Jérusalem par l’évocation de la date choisie et du déroulement en octave des cérémonies, mais aussi par la filiation, cette fois-ci, entre Moïse, Salo-mon et Constantin40.

On constate dès lors, qu’à l’occasion de la date de la Dédicace du complexe de Constantin, on avait fait une habile fusion de la fête des Tabernacles avec celle de la dédicace du Temple de Salomon: en effet, d’après les Écritures, Salomon avait organisé la dédicace de son Temple à la période de cette fête41.

Le récit d’Égérie et le Lectionnaire arménien sont les meilleurs témoi-gnages de cette fusion. Pour relier l’actuelle dédicace au Temple de Salo-mon, la pèlerine se réfère à un passage biblique qui parle de la fête des Tabernacles: «On trouve cela aussi dans les Saintes Écritures: le jour de la dédicace est celui où Salomon, durant la consécration de la maison de Dieu qu’il avait fait construire, se tint devant l’autel de Dieu et pria.»42 Le calendrier arménien hiérosolymitain contient aussi, parmi les canons

37 Renoux, ibid. 38 Black 1954; Schwartz 1987; Wilkinson 1979. Bien que la fête de tous les autels

— qui était occasionnelle et qui perdit sa motivation originelle — disparaisse du Lec-tionnaire arménien, elle a laissé sa trace dans le rite de consécration des autels dont les plus anciens textes ont conservé les péricopes de Mt. 23.12-22 et He. 13. 10-16 (Renoux 1969, p. 197).

39 Garibian de Vartavan 2009, p. 34 et suiv. 40 Ibid., p. 176-188. 41 Schwartz 1987; Borgehamar 1991, p. 102, n. 40, pour comparer II Chr., 5-6 avec I

Roi, VIII. 65-66. 42 Eg., 48.2 qui mentionne II Ch. 6.12. Wilkinson 1979.

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à exécuter pendant l’Encainie des saints lieux, des textes qui renvoient à la dédicace du Temple de Salomon43. Avec la fusion des deux fêtes, on avait donc l’intention de rétablir la filiation la plus juste avec le Taber-nacle de Moïse44.

Cette explication revêt d’un nouvel intérêt dans le contexte des hymnes arméniennes en question. En fait, Findikyan observe que certains hymnes regroupées pour le Quatrième jour — le deuxième des trois jours classi-fiés comme «de l’Eglise» — dans la semaine de l’Exaltation de la Croix, sont aussi désignés pour la fête de l’Arche d’Alliance, établie le 2 juillet dans les Lectionnaires arménien et géorgien. D’après Mr. Findikyan, l’origine de cette fête est obscure, en revanche, la présence de ces hymnes dans l’ancienne octave de l’Encainie de Jérusalem est plus appropriée car ils font clairement référence à la dédicace d’une église. Une seule hymne — le numéro [55] — fait référence à l’Arche d’Alliance mais dans les termes chrétiens classiques sur la Mère de Dieu et sur la croix. Pour Findikyan, il n’y a guère à dire concernant l’origine de ces hymnes et leur contexte original sauf le fait qu’on ne peut pas exclure leur liaison avec la fête de Dédicace des saints lieux de Jérusalem.

Les allusions sur le Temple de Salomon et le Tabernacle de Moïse, que nous avons révélées pour les célébrations de l’octave de l’Encainie, pour-raient peut-être expliquer l’origine et la raison d’être de ces hymnes et par là, servir d’arguments pour confirmer leur présence dans le rite hiéroso-lymitain de cette fête.

43 Par ex. Jn 10. 22-42. Voir Schwartz 1987. 44 Selon Wilkinson (2002, p. 119), cette fusion sert de précédant à la liturgie de la

fête de Dédicace des églises chrétiennes.

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Fig.

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Fig. 2. L’abside constantinienne et le Rocher du Calvaire. Plan de V. Corbo

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Fig. 3. Le ciborium de la Croix au Golgotha. a. Calice en verre. Dumbarton Oaks Collection. n° 37.21; b. Boîte en ivoire. VIe s. Musée de Cleveland. n° 51.114; c. Ampoule de Terre sainte. Ve-VIe s.

Monza (Italie). n° 4

a.

b. c.

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BIBLIOGRAPHIE

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