l'islam aux portes de nos monastères. le dialogue interreligieux monastique et l'islam
TRANSCRIPT
0
SEMINAIRE THEOLOGIE DES RELIGIONS
« L’ISLAM AUX PORTES DE NOS MONASTERES »
LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX MONASTIQUE ET L’ISLAM
1
INTRODUCTION
Le titre retenu pour notre travail « L’Islam aux portes de nos monastères », est celui
d‟une session du Dialogue Interreligieux Monastique francophone de 2002. Il semble bien
illustrer ces processus de transformations qui ont conduit cet organisme monastique
international, au cours des dix dernières années, vers un élargissement de la démarche
dialogale au-delà des religions de l‟Extrême-Orient sur les religions abrahamiques et en
particulier sur l‟Islam. Pourquoi avoir choisi l‟application des problématiques centrales de
notre séminaire sur l‟action du DIM ? Pour deux raisons. Il y a, d‟une part, notre propre
engagement de contemplative et nos expériences inter-monastiques, mais la principale raison
est que la question de l‟identité en évolution, en « confrontation » peut être abordée au niveau
d‟un groupe bien identifiable, dont la documentation nous permet d‟établir un bilan précis,
voire « chiffrable » d‟un processus de changement se déroulant sur 10 ans, ainsi que de
repérer les causes internes/externes de celui-ci.
En faisant l‟inventaire1 complet des nouvelles, documents concernant l‟Islam dans les
bulletins internationaux francophone du DIM2 nous examinerons en un premier temps les
motivations et le rythme de la mise en route du DIM vers l‟Islam, puis dans la deuxième
partie nous verrons les modalités, les lieux et les acteurs des contacts entre DIM et
musulmans, pour voir finalement si la question de l‟identité en transformation dans cette
rencontre précise du christianisme et de l‟Islam mérite d‟être posée.
I. DE LA PRISE DE CONSCIENCE VERS L’ENGAGEMENT CONCRET : DES DONNEES BRUTES
Depuis juin 1998 6 bulletins sur 21 rapportent une « relecture » de l‟histoire de
dialogue interreligieux inter-monastique, soit pour dresser un bilan, soit pour permettre
l‟interprétation d‟un événement, un nouvel engagement présenté ou préconisé par des
instances centrales. Au départ il s‟agit des « pionniers » - H. Le Saux, Th. Merton, etc. Ŕ
partis à l‟Orient au cours des années ‟50-‟60 à la rencontre des moines d'Asie. Le
développement de ces dialogues et leur structuration conduisent à la naissance du DIM en tant
qu‟organisme doté de commissions continentales et sous-commissions linguistiques ou
1 Le traitement statistique des données par diagrammes se trouve en annexe
2 Nous ne traitons pas ici les données des bulletins des commissions nationaux ni les bulletins parus en autre
langue car l‟édition francophone permet de suivre les lignes de forces de l‟évolution
2
territoriales. 50 ans se sont passés et le monachisme est apparu comme un pont entre les
religions. Les différents congrès monastiques ont montré que les échanges d'expériences
contemplatives peuvent jouer un rôle dans la théologie du dialogue et que le partage de
l'expérience spirituelle peut enrichir d'autres types de dialogue, par exemple le dialogue de la
vie, etc. Jusqu‟aux années ‟90 ces échanges étaient restreints, logiquement, aux religions
dotées d‟ordres monastiques. Le tournant s‟engage (peut-être) à partir de 1995, où le DIM
invita Dom Christian de Chergé OCSO à sa réunion de Montserrat (cf. Liminaire de Bull. n° 18).
Le Prieur de Tibhirine, a ressenti une vocation à vivre un dialogue existentiel avec l‟Islam,
comme grande tradition religieuse, en se laissant construire en sa vie monastique et sa prière,
dans cette relation. Il expliqua lors de cette réunion comment, selon lui, il y a comme une
démarche monastique intériorisée dans l‟islam. Mais il considéra alors qu‟il y avait, de fait,
comme un désengagement monastique dans le dialogue interreligieux en direction de l'islam.3
Est-ce que la mort des 7 moines de Notre Dame de l‟Atlas servit-elle de détonateur ? Les
bulletins n‟en parlent pas explicitement, même si des textes de 8 d‟entre eux mentionnent
explicitement le Père Christian avec/sans ses frères. Une relecture diagrammatical des
bulletins nous montre cependant une nette évolution dans l‟intérêt pour l‟Islam et les
musulmans. Le bull. n° 5 (06/1998) fait exception, en nous offrant 61 occurrences de mots
clés renvoyant à l‟Islam (islamx, musulman, Coran, mosquée, de Chergé, etc…). Le bulletin
de janvier 1999 n‟offre qu‟1 seul occurrence, mais avec une augmentation quasi régulière
nous constatons qu‟en janvier 2009 il y a plus de 140 mots clés renvoyant à l‟Islam.
D‟autres facteurs jouent à coté des interpellations perçues à travers les moines de
Tibhirine. La réunion annuelle du DIM européen en 1998 dégage comme priorité
l‟élargissement du dialogue avec l‟Islam et le judaïsme (bull. n°5). Il est toutefois souligné
qu‟il s'agit moins d'un dialogue intermonastique « que d'un dialogue où nous sommes
partenaires en tant que moines ». La tâche est alors de préparer le terrain de la rencontre par
des initiatives individuelles et surtout par le souci d'assurer une formation juste. En juin 2000
c‟est Mgr Michael Fitzgerald M. Afr., président de la CPDI Ŕ et spécialiste de l‟Islam Ŕ qui
interroge la Commission Centrale du DIM Européen sur ses relations avec les soufis et les
juifs (cf. bull n° 9 juin 2000). Le Liminaire du bull. n° 10 informe de l‟élection du nouvel Abbé
Primat OSB, le Père Notker Wolf, une des figures majeures du DIM avec le secrétaire
générale de l‟époque, le P. Pierre de Béthune. L‟Abbé Primat dans sa lettre aux membres de
DIM écrit ceci « nous devons accorder une attention renouvelée aux deux autres religions
3 Christian de CHERGE, L'invincible espérance, Paris, Bayard / Centurion, 1997, p. 205,
3
abrahamiques à savoir le Judaïsme et l’Islam ». En janvier 2005 Mgr. Fitzgerald se rend en
Californie pour s‟adresser à une cinquantaine d‟Abbés de l‟Amérique du Nord en leur
réaffirmant que le « dialogue interreligieux n‟est pas une option mais un élément essentiel de
la mission de l‟Eglise » et il leur propose des exposés sur les enseignements fondamentaux de
l‟Islam et de sa spiritualité, qui offre quelques ressemblances avec la théologie monastique
(bull. n°19 juin 1995). La réunion du DIM Européen en oct. 2005 est en grande partie consacrée
à l‟approfondissement spirituel et théologique des écrits du Père de Chergé, avec l‟aide de
Christian Salenson, directeur de ISTR de Marseille (bull. n° 20 janv 2006). En faisant le bilan
des 40 ans du DIM P. de Béthune écrit qu‟une des prises de consciences de DIM était la
suivante : « L‟expérience de … Tibhirine nous a permis de voir comment vivre en tant que
moines la rencontre avec les musulmans. Leur témoignage montrait … qu‟il était possible
d‟avoir un „dialogue‟ fécond avec tous les priants, même si les échanges au niveau de la
doctrine sont difficiles. » (cf. bull. n° 24) Quant au Cardinal Tauran, nouveau président du
CPDI, il considère comme acquis la rencontre des moines et moniales catholiques non
seulement avec des moines bouddhistes mais encore avec des « représentants du soufisme »
(cf. bull. n° 25 juin 2008)
L‟analyse des textes nous permet donc de voir un intérêt et un engagement croissant
envers l‟Islam aux cours des 10 dernières années du DIM provoqué et soutenu par quelques
interventions extérieurs ou des propositions venant des organes de coordination du groupe. En
relisant les textes nous pouvons distinguer « intérêt » et « engagement », et ce dernier
recouvre lui-même différents degrés. L‟intérêt croissant vers l‟Islam est encore vérifiable par
voie de statistique. Si nous faisons abstraction du bulletin de juin 1998, où nous trouvons 12
mentions différentes concernant les relations islamo-chrétiennes, nous ne comptons en janvier
1999 qu‟une seule nouvelle, que dans notre classement tripartite (nouvelles sur la relation
DIM/Islam ; documents, études ; autres nouvelles de dialogues) nous classons dans la
catégorie des documents : il s‟agit des extraits de l‟allocution de Jean-Paul II à l‟Assemblée
plénière du CPDI qui souligne l‟importance de l‟élargissement du dialogue avec l‟Islam. Dans
la croissance de nombre des articles, nouvelles concernant l‟Islam le nombre des
« documents » reste à peu près stable : le DIM reprend en moyen 2 documents par bulletin qui
mentionnent l‟Islam. C‟est au niveau des « nouvelles » que l‟augmentation est spectaculaire,
car de 0 en 01/1999 il passe à 2 en 06/1999 pour atteindre le nombre de 28 en janvier 2009
(même si le dernier bulletin n‟en mentionne que 9). Le plus significatif pour nous c‟est que
dès 1998, mais surtout à partir de 2003 un changement se produit. Les implications du DIM
4
seront proportionnellement de plus en plus importantes. Tout indique qu’au-delà d’une
démarche d’étude et d’information concernant l’Islam où le DIM se situe davantage comme
observant extérieur un engagement dialogal concret est entamé avec les musulmans.
II. LE DIM A LA RENCONTRE DE L’ISLAM
Les moines pionniers du dialogue interreligieux sont partis à l‟autre bout de globe, en
Orient, pour y chercher comme disait Bede Griffiths OSB « l‟autre moitié de l‟âme ». Cette
« autre moitié » c‟est l‟Orient de l‟être, la dimension intuitive, contemplative, féminine de la
nature humaine, capable de voir les choses et l‟existence dans leur unité profonde, de
percevoir la présence immanente de l‟Absolu dans le monde et les êtres. Une dimension
complémentaire de sa première « moitié » : l‟Occident dominé par la rationalité, l‟action, le
principe masculin, la tendance à considérer Dieu dans sa transcendance, au-dessus et à
l‟extérieur des êtres et du cosmos. D‟un côté un mode de connaissance intuitif et holistique,
une révélation cosmique de Dieu, particulièrement développés dans l‟hindouisme et le
bouddhisme. De l‟autre, une approche intellectuelle et analytique, une révélation historique de
Dieu, caractéristique des traditions judéo-chrétienne ou même islamique. Ces voyages vers
« l‟autre hémisphère » font partie des échanges intermonastiques : séjours des moines
chrétiens au Japon, en Inde, séjours des moines bouddhistes dans des monastères occidentaux,
etc. Or un des caractéristiques du dialogue DIM-Islam sera la rencontre avec celui qui est
« aux portes de nos monastères ». A partir des années 2002-2003 les instances centrales du
DIM encouragent le dialogue au niveau de la pratique et de l‟expérience spirituel entre les
moines/moniales chrétiens (la sous-commission anglophone compte aussi des moines
anglicans et le DIM suisse-romande s‟est ouvert à des pasteurs protestants) et des hommes et
femmes des autres religions dont certains pratiques religieuses peuvent être considérées
comme « contemplatives ».
Les dialogues DIM-Islam sont de trois sortes. Le premier, entre religions abrahamiques
est davantage encouragé que pratiqué. Ils sont mentionnés en 12 bulletins, mais il n‟y a en
général pas plus qu‟une occurrence. Ce silence relatif signifie-t-il un moindre intérêt pour des
rencontres touchant la question des Ecritures Saintes en contraste avec des rencontres
régulières et nombreuses sous forme d‟« assises » silencieuses intermonastiques? La question
mérite d‟être posée, mais le cadre de notre travail ne permet pas davantage d‟investigation en
ce domaine. 15 bulletins nous informent des dialogues où l‟Islam est un des multiples
partenaires représentant des autres religions. Plusieurs de ces rencontres se penchent sur le
5
thème « religions et violence » ou « religions et paix ». Enfin 17 bulletins sur 21 mentionnent
des dialogues « bilatéraux » entre DIM et l‟Islam et le nombre des rencontres passe de 1
(1998-1999) à 20 en 2009.
Ces dialogues « bilatéraux » se jouent à différents niveaux : ils se situent aussi bien au
niveau de l‟échange intellectuel qu‟au niveau de la pratique religieuse ou encore, mais en
moindre cas, au niveau l‟expérience proprement spirituel.
Aux Etats-Unis, en Angleterre de nombreuses abbayes sont engagées dans
l'enseignement dans des écoles ou des collèges. Le dialogue intellectuel reçoit là-bas un relief
particulier. Le DIM anglais participe par les moines de l‟abbaye d‟Ampleforth à la visite
d‟étude à l‟Imam Khomeini Education and Research Institute (avr. 2002) à Qom, en Iran et à
une série de colloques annuelles organisées entre chrétiens et des musulmans chiites iraniens
(cf.bull. juin 2001 ; juin 2003 ; janv 2004 ; janv 2006.) En France, en octobre 2005, une journée
d‟étude était consacrée à la théologie et la spiritualité des écrits de Christian de Chergé avec le
directeur de l‟ISTR de Marseille. En Belgique l‟abbaye de Maredsous a organisé en 2008 une
colloque sur l‟Islam en Belgique : « Quel Islam pour aujourd‟hui ? Libérer la pensée
musulmane pour mieux vivre ensemble ». Environ 200 personnes y participaient, dont
quelques musulmans. Parmi les conférenciers nous trouvons Rachid Benzine de l‟Institut
d‟Etudes Politiques d‟Aix en Provence, le Père Justo LacunzaŔBalda directeur du PISAI et
professeur de langue arabe, etc.
Un autre type de dialogue est celui de la vie : en Belgique les bénédictines de Lièges,
par le biais du groupe de dialogue islamo-chrétien « El Fouad » accueillent depuis plusieurs
années la fête de la rupture du Ramadan. Les moniales poursuivent des rencontres avec les
familles musulmanes de Liège et veulent y faire participer d‟autres moines/moniales. (bull.
juin 2006) La commission germanophone relate que les moines de Meschede ont reçue en
févr. 2007 la visite du nouvel Imam de la communauté turque de la ville qui, après les
Complies, leur a parlé de la situation des musulmans en Allemagne. Plusieurs autres
communautés signale l‟accueil des musulmans pour la fête de la rupture de Ramadan, et ces
rencontres peuvent donner lieu à une réflexion sur le lien du jeûne et de la prière dans l‟Islam
et le christianisme. Un terrain spécifique du dialogue, entre moniales et femmes musulmanes
a été entamé entre autre au sein de la sous-commission nordique du DIM. Un membre du
DIM est directrice de la section de théologie œcuménique au Conseil Chrétien de Suède
(CCS) et membre de la Commission pour le dialogue interreligieux du diocèse catholique de
Stockholm (KID). Son livre « Rencontre des religions » a servi de base à de nombreuses
6
réunions avec des participants de l‟Eglise de Norvège. Le CCS et l‟Institut Œcuménique pour
les Pays Nordiques ont organisé, en 2005 et en 2007, un colloque interreligieux réservé aux
femmes. A l‟initiative du KID et de l‟Association des Religieuses catholiques, une
organisation de femmes musulmanes a été invitée dans la communauté dominicaine de
Stockholm, à l‟image des réunions « Femmes voilées pour Dieu » (Women veiled for God)
qui se tiennent aux Etats-Unis. C‟était une première ! Un monastère anglais propose
également des rencontres pour des “femmes voilées” (“Women-of-the-veil”) et s‟offre comme
lieu d‟accueil de ces manifestations. La question d‟une réflexion commune sur la signification
du voile mérite être posée et peut être fructueuse aujourd‟hui tant pour le monachisme
chrétien que pour l‟Islam.
Quant au dialogue au niveau de l’expérience spirituelle, il occupe relativement peu de
place par rapport à des dialogues semblables avec le bouddhisme. Toutefois plusieurs
commissions cherchent des contacts qui leur permettent d‟aborder l‟enseignement spirituel de
l‟Islam. La commission suisse-romande garde un contact régulier avec les Soufis de la
Confrérie Alawiya et des échanges autour des grands thèmes spirituels se mettent en place :
les Soufis ont présenté les cinq piliers de l‟islam, le fondement de leur religion quant aux
chrétiens, ils ont témoigné de leur foi en parlant p. ex. de la « prière du Nom ». (cf. bull. n°
17, 20, 24). Les moines italiens s‟engagent également dans le dialogue spirituel et organisent
par ex. un colloque à Assise sur la contemplation de Dieu dans le christianisme, le soufisme et
l‟hindouisme (cf. bull. juin 2005). Un des rares exemples de « prière » en commun vient de la
commission anglophone, dont les membres ont participé à une séance de Zikr avec une
vingtaine de musulmans.
Les moines du DIM avouent leur désir de se tourner vers l‟Islam qui bien qu‟étant
« aux portes des monastères » reste toujours difficile à apprivoiser. De nombreux monastères
ont fait un effort d‟attention aux frères et aux sœurs de religion islamique qui, trop rarement
cependant, poussent la porte des hôtelleries, mais aussi aux personnes de culture musulmane :
marocains, algériens, turcs ou albanais installés dans des pays occidentaux depuis longtemps
et qui, ayant peu ou prou abandonné la pratique religieuse, restent sensibles à leurs racines
culturelles. C‟est la commission néerlandophone qui nous renseigne sur un nouveau
phénomène : un certain nombre de personnes d‟origine musulmane (Turcs et Marocains de la
2ème
ou 3ème
génération), ayant une „identité multiculturelle', qui ont fréquenté des écoles et
des universités, parlent très bien le néerlandais, ils sont en recherche spirituelle et rejoignent
7
les sessions de méditations zen pratiquées par des groupes chrétiens-bouddhistes dans divers
monastères (bull. juin 2003)
III. UN DIALOGUE QUI MENE AU-DELA DE LA PRIERE ?
Comme nous l‟avons constaté dans les dialogues au niveau de la
formation/information, les dialogues de la vie et celui de l‟expérience spirituel le premier
semble jouer une place prépondérante même si il y a un désir véritable de développer les
partages spirituels. Or en 2006 une figure important du DIM, Dom Armand Veilleux OCSO,
abbé de Scourmont (Be) publia un article intitulé « Au-delà de la raison »4 qui laisse entrevoir
le paradoxe de la relation du DIM avec les musulmans. Dom Veilleux resitue la raison d‟être
du DIM en renvoyant à une lettre de 1974 où le Saint Siège, demandait de l‟Abbé Primat de
l‟Ordre bénédictin que les moines chrétiens assument un rôle de leadership dans le dialogue
interreligieux. Depuis la promulgation de Nostra aetate bien des rencontres avaient eu lieu
entre de grands spécialistes soit du monde chrétien, soit des grandes traditions religieuses
d‟Asie, des « rencontres de savants, faites souvent dans les universités » qui ont permis la
publication de déclarations intéressantes, et même une meilleure connaissance mutuelle, sans
grand résultat dans l‟ordre du dialogue interreligieux proprement dit. Il est possible que nous
sommes devant un problème de « réception » : réception spirituelle et réception pastorale. Or
au niveau monastique, deux grandes réunions monastiques pan-asiatiques ( Bangkok en 1968,
durant laquelle était mort Th. Merton et à Bangalore en 1973) a permis un véritable dialogue
intermonastique, non pas au niveau des institutions ou encore à celui dee philosophies et des
théologies, mais bien au niveau de l‟expérience religieuse. Cela a ouvert la porte devant
l‟institutionnalisation du dialogue « intermonastique ». Les interpellations successives venues
du « dehors » (Ch. de Chergé ne faisait pas parti du DIM) ou « d‟en-haut » (CPDI, etc)‟et à
cause de l‟importance croissant de l‟Islam dans la société actuelle ont produit un intérêt
croissant vers cet Islam « incontournable ». Conscient qu‟un monachisme organisé n‟a jamais
existé dans l‟Islam, les moines et les moniales chrétiens vivant au contact de populations
musulmanes ou étudiant leurs traditions religieuses ont affirmé d‟avoir trouvé dans
l‟expérience religieuse de quelques grands mystiques de l‟Islam et en particulier dans le
soufisme, mais tout autant Ŕ sinon plus Ŕ dans la piété du « petit peuple » une expérience
religieuse, « une démarche monastique intériorisée » avec laquelle il était facile de
4 . Même si le texte n‟est paru que dans le bulletin anglophone du DIM et ne se trouve pas dans la version
française, uniquement sur le site du DIM européen dans la rubrique « documents », l‟article mérite être mentionné
8
communier. Cela semble justifier la thèse de Raimon Panikkar, une des grandes autorités du
DIM, qui affirme que le moine est un archétype, un modèle universel qui répond à une
dimension constitutive de la vie humaine. Dom Veilleux affirme qu‟au moment où Nostra
aetate devient de plus en plus un texte appartenant à l‟histoire et où ceux qui ont consacré leur
vie à l‟appliquer sont facilement taxés de naïfs, le dialogue religieux proprement monastique
garde toute son importance et acquiert une actualité irremplaçable, précisément du fait qu‟il se
situe au niveau de l‟expérience spirituelle.
Or l‟intégration du CPDI en 2006 dans le Conseil pour la Culture signa un changement
d‟orientation du magistère concernant le dialogue interreligieux. Tout semble alors montrer
que selon la « tendance» actuelle un dialogue au niveau théologique est impossible et inutile,
à cause des conceptions radicalement différentes de Dieu et qu‟il faut situer le dialogue
essentiellement au niveau de la culture et du respect des droits humains. Une nouvelle ligne
de pensée s‟est aussi récemment manifestée : l‟appel à une réflexion de part et d‟autre sur les
relations entre foi et raison. Toutefois, plaide Dom Veilleux, il y a cet autre niveau de la
conscience humaine, au delà des relations sociales, des systèmes philosophiques et
théologiques et même des structures et des rites religieux, qui est celui de l‟expérience
religieuse, où les fidèles authentiques de toutes les traditions religieuses se retrouvent avec
une facilité qui est proportionnelle à la profondeur et à l‟authenticité de leur expérience. Ce
type de rencontre auquel tend Ŕ avec des réussites diverses Ŕ le dialogue interreligieux
monastique est plus nécessaire que jamais si l‟on ne veut pas que toute forme de dialogue
méritant le nom de « religieux » disparaisse. Or pour les adeptes de ce dialogue, la question
« L‟Islam est-il raisonnable ? » serait sans intérêt, car l‟importance de toute « raison » --
qu‟elle soit aristotélicienne, platonicienne, kantienne, cartésienne ou encore hindoue,
bouddhiste ou musulmane -- est toute relative. L‟expérience religieuse digne de ce nom n‟est
ni rationnelle ni contre la raison ; elle est au-delà de la raison. Mais même à cause du domaine
de la culture où l‟on semble vouloir camper pour le moment le dialogue avec l’Islam, ou
encore celui de l‟éthique, ce dialogue interreligieux au niveau de l‟expérience est plus
essentiel que jamais. L‟Occident tend à ne plus voir l‟Islam qu‟à travers la radicalisation d‟un
certain islamisme. Même dans les pays où l‟Islam est la religion majoritaire, cet islamisme,
dont la dimension religieuse est toute superficielle tend à troubler l‟image du véritable Islam,
affirme Dom Veilleux. Pour lui un authentique dialogue au niveau de l‟expérience religieuse
entre personnes de religions et de cultures différentes ayant choisi de trouver dans la rencontre
9
de Dieu le sens et le but de leur vie est peut-être le seul antidote à une soi-disant « clash »
entre les civilisations que ceux qui l‟annoncent risquent bien d‟engendrer.
La mise en garde (ou le cris d‟alerte) de Dom Veuilleux contre un dialogue islamo-
chrétien cantonné dans le domaine de la culture ou éthique nous semble partiellement justifiée
mais d‟après nous il aurait dû examiner également la problématique à l‟intérieur du DIM,
puisque, comme nous l‟avons laissé entrevoir, le nombre de dialogues de ce type menés dans
les différentes commissions régionales dépasse largement celui des échanges spirituels, qui
était et est, d‟après l‟Abbé de Scourmont Ŕ et reste véritablement !- le champ spécifique du
DIM. Qui plus est, il faut remarquer qu‟un dialogue qui veut se situer au-delà de la raison
pourra donner l‟impression que la question épineuse de la « vérité » est relativisé ou tout
simplement évacuée. Mais il suffit renvoyer aux différentes conférences données au DIM par
des théologiens éminents comme Jacques Dupuis SJ, Claude Geffré OP pour voir la question
de la recherche intelligible de la vérité, exposée par Cl. Geffré comme vérité non pas relative,
mais relationnelle, n‟est pas évacuée des démarches du DIM. Il est possible que les échanges
entamés peuvent souligner combien l‟expérience spirituelle des moines chrétiens se réalise
dans le mouvement incessante de la lectio classique : du texte vers l‟expérience de son
contenu dans le silence le plus absolu du cœur et de l‟esprit, dans ce silence qui transforma le
prophète Elie, et de repartir de cet événement de la rencontre avec Dieu vers un nouvel
avènement de la Parole dans l‟esprit, l‟intellect et la vie.
Ce que nous déduirons des documents examinés c‟est que tandis que dans le dialogue
intermonastique entre bouddhistes et chrétiens les études, et le dialogue « existentiel », celui
de la vie, converge vers le dialogue proprement spirituel, le dialogue islamo-chrétien où les
moines, moniales du DIM participent, les études et les échanges spirituels sont au service
d‟un dialogue existentiel. Pour vérifier cela nous citons ces quelques lignes de « L‟invincible
espérance » du Ch. de Chergé, à qui les soufis ont dit un jour : « Nous ne voulons pas nous
engager avec vous dans une discussion dogmatique. Dans le dogme […] il y a beaucoup de
barrières qui sont le fait des hommes. Or, nous nous sentons appelés à l‟unité. Nous
souhaitons laisser Dieu créer entre nous quelque chose de nouveau. Cela ne peut se faire que
dans la prière »5. Evidemment, un travail fait dans le cadre d‟un séminaire de théologie des
religions n‟est pas le lieu pour plaider en faveur de l‟abandon des dogmes, des Ecritures dès
maintenant, pour se retrouver dans un irrationnel sans enracinement ni expression culturel
propre, anhistorique, areligieux, donc finalement « inhumain ». Non, il s‟agit simplement de
5 L’invincible espérance, p. 172
10
mettre en lumière ce type de dialogue islamo-chrétien - où les moines prennent leur place en
tant que priants -, qui est le dialogue existentiel, celui de la vie.
CONCLUSION
Le bulletin de janvier 2003, paru à l‟occasion des 25 ans du DIM nous rapporte le
témoignage de 41 membres de DIM, où nous mesurons comment les dialogues interreligieux
vécus ont renforcé leur propre enracinement et vocation chrétienne et monastique. Mais dans
ces 41 témoignages il n‟y en a que 3 qui mentionnent l‟Islam qui, contrairement au
bouddhisme, semble apporter peu à ces moines et moniales. Dans le liminaire du bulletin de
juin 2007 Pierre de Béthune fait écho à ce fait quand il écrit : « pour le moine, la rencontre
interreligieuse est fondamentalement motivée par cette quête. Ce n‟est qu‟en s‟enracinant à ce
niveau, qu‟elle peut porter tous ses fruits spirituels. Le recours aux religions de l‟Orient par le
biais de leurs précieuses méthodes d‟éveil pouvait quelquefois être motivé par une recherche
de profit spirituel. » Mais se tourner vers l‟Islam signifie pour les moines et les moniales
engagés dans cette démarche dialogale une nouvelle étape dans l‟esprit de pauvreté qui était
déjà une exigence et un fruit du dialogue proprement intermonastique. Même s‟il ne faut pas
forcer les oppositions entre ces dialogues, il reste, selon P. de Béthune, que devant l‟Islam les
moines sont souvent mis en demeure « d‟y chercher Dieu par un chemin plus abrupt ».
L‟urgence de cette rencontre ne se justifie pas seulement par le fait que ceci offrira une voie
qui est susceptible de détourner des religions de la tentation de céder à la violence contre les
autres. « Nous avons le pressentiment Ŕ dit Pierre de Béthune - que l‟évolution du dialogue
doit passer par là ». Ou comme nous traduirons à l‟aide des concepts centraux de notre
séminaire : il faut que le DIM, son identité, pour son évolution passe par là.
12
0
20
40
60
80
100
120
140
160
chergé, tibhirine…
mosqué
coran
soufi, (bentounès, etc)musulman
DIM/Islam
Occurrences des « mots clés » renvoyant à l’Islam
13
0
5
10
15
20
25
30
35
autres nouvelles de dialogues avec l'Islam
Documents,études,etc
DIM/Islam
L’Islam et le DIM
Nouvelles classés par rubriques de bulletin
14
0
5
10
15
20
25
06
.19
98
01
.19
99
06
.19
99
01
.20
00
06
.20
00
01
.20
01
06
.20
01
01
.20
02
06
.20
02
01
.20
03
06
.20
03
01
.20
04
06
.20
04
01
.20
05
06
.20
05
01
.20
06
06
.20
06
01
.20
07
06
.20
07
01
.20
08
06
.20
08
01
.20
09
06
.20
09
DIM/Islam
DIM/religions abrahamiques dont l'Islam
DIM/rels dont l'Islam
Dialogue DIM/Islam :
bilatéral/trilatéral/multilatéral