l’improvisation libre, l’esthétique du son et la philosophie de gilles deleuze

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Prof. Rogério Costa – Universidade de São Paulo Brésil L’IMPROVISATION LIBRE, L’ESTHÉTIQUE DU SON ET LA PHILOSOPHIE DE GILLES DELEUZE

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Prof. Rogério Costa – Universidade de São Paulo Brésil

L’IMPROVISATION LIBRE, L’ESTHÉTIQUE DU SON ET LA

PHILOSOPHIE DE GILLES DELEUZE

¡ Ce bouillonnement passe au premier plan, se fait entendre pour lui même, et fait entendre par son matériau moléculaire ainsi travaillé, les forces non sonores du cosmos qui toujours agitaient la musique – un peu de Temps à l’état pur, un grain d’Intensité absolue… Tonal, Modal, atonal ne veulent plus dire grand-chose. Il n’y a que la musique pour être l’art comme cosmos, et tracer les lignes virtuelles de la variation infinie.

DELEUZE, 1975, P. 121

¡ Quelques-uns des concepts Deleuziens qui seront utilisés lors de la conférence sont: stratification, moléculaire et molaire, corps sans organes, milieux et rythmes, territoires et ritournelles.

¡ h t t p : / / w w w . v a d e k e r . n e t / h u m a n i t e /philosophie/vocabulaire_deleuze.pdf

CONCEPTS DELEUZIENS

définitions L’IMPROVISATION LIBRE

¡  C’est une pratique musicale démocratique, non-hiérarchique et souvent collective en mettant l'accent sur le processus.

¡  Pensée musicale en action, l’improvisation libre n'a pas besoin de créer des œuvres d'art achevées.

¡  L'essence de l'improvisation est l 'acte même de la création artistique: la recherche du nouveau à chaque instant, l ' intensification du présent.

¡ Musique expérimentale basée sur un plongeon dans le son, exempt de contraintes idiomatiques. Il n’y a pas des thèmes comme dans le jazz (cf. Pressing – referent).

¡  Il s'agit d'une construction collective et interactive en temps réel, de sorte qu'il peut être considéré comme une sorte de jeu ou de conversation.

L’IMPROVISATION LIBRE: ÇA VEUT DIRE QUOI?

¡  Orquestra  Errante  1  h.p://www.youtube.com/watch?v=P94rHJ48nl4  

¡  Orquestra  Errante  2  h.ps://myspace.com/orquestraerrante/music/songs    

¡  Duo  Pucke.e/Costa:  h.p://www.youtube.com/watch?v=6LCae4-­‐Gvuc  

¡ Musicaficta  1  (3  minutes)  h.p://www.youtube.com/watch?v=0I1spUdLKeM  

¡  OE  –  ritmo  aventuroso  e  Akronon  -­‐  Tibet  

EXEMPLES MUSICAUX

¡  Nous pouvons dire à l'écoute de la performance, qui dans l’improvisation libre le son pur, détaché de tout système ou idiome - et non la note - c'est le matériau moléculaire qui est mis en jeu par l' interaction entre les musiciens et, malgré l'absence d'un système préétabli, d'une certaine manière, le flux tend à acquérir la cohérence sonore.

¡  Selon Makis Solomos, principalement depuis Debussy jusqu'à nos jours, le son est devenu un thème central de la musique. Pour lui, «relire l'histoire de la musique à partir des moyens du dernier siècle signifie, en partie, lire l'histoire de l'émergence du son, une histoire plurielle, car elle se compose de plusieurs évolutions parallèles, qui toutes mènent d’une civilisation du ton à une civilisation du son ».

¡  Exemple: http://www.youtube.com/watch?v=_m69XX_Nt3c

L’ÉCOUTE DU SON

¡ L’improvisation idiomatique: est (aussi) un jeu: régi par des règles établies dans le cadre de systèmes complexes formés socialement (comme le blues, le jazz, le flamenco, etc.), donc se produit dans un niveau molaire et stratifié.

¡ L’improvisation libre: est une pratique basée sur le dynamisme moléculaire du son pré-musical, dans lequel les improvisateurs sont en contact direct les uns avec les autres et interagissent avec la matérialité du son.

LIBRE ET IDIOMATIQUE

¡ L'élément de base de la méthode des improvisateurs libres peut être trouvé dans leur attitude à l'égard des traditions musicales, des langues, des genres, etc. Les idiomes ne sont pas considérés comme des conditions préalables à la création musicale, mais comme des outils qui, à tout moment, peuvent être u t i l i s é s , o u n o n . . . L e p o i n t d e d é p a r t d e l ' improv isateur l ibre cont ient un refus de se soumettre à une langue particulière ou traditionnelle (Derek Bailey: libre improvisateur, guitariste, auteur du livre important Improvisation: its nature and practice in music).

LIBRE ET IDIOMATIQUE 2

STRATIFICATION

¡  Les strates sont des phénomènes d'épaississement dans le corps de la terre; i ls sont à la fois accumulations moléculaires et molaires, sédimentation, pliage.

¡  Pour Deleuze, la dynamique de la nature est un processus constant de stratification/destratification.

¡  Dans l 'environnement de l ' improvisation l ibre i l est important de trouver un équilibre entre ces deux processus. Dans la mesure où il s'agit d'un devenir dans lequel le présent est confronté à chaque instant par les musiciens qui interagissent, la variation constante des matériaux (destratification) comme la configuration des états temporaires (strates) sont des facteurs dynamiques fondamentaux.

¡  C'est l ' idée de la métamorphose où quelque chose change et se transforme, sans toutefois perdre son identité.

STRATIFICATION

¡  De ce point de vue, on peut aussi penser à l ' idée d'unité et de diversité au sein de la même strate. Pour Deleuze, les strates sont unités de composition, mais ne sont pas inertes car i ls demeurent en constante variation d'un stade à un autre de son existence. Étant le résultat de connexions entre les flux d'énergie, les strates et les s u b s t r a t s ( o u c o u c h e s ) s o n t d e s f o r m a t i o n s c o m p l exe s e t dynamiques qui interagissent et travail lent sans relâche sur leurs frontières internes et externes.

¡  De même, nous pouvons observer dans l ' improvisation l ibre: des moments plus stables alternent avec des moments plus instable dans un mouvement constant de va et v ient . Le degré de permanence d'une texture sonore et le passage à un autre dépend d'un certain nombre de facteurs. On peut dire que la texture sonore de la performance est en constante évolution de par l ' interaction complexe entre ses composantes internes dans des processus continus de stratification et destratification.

STRATIFICATION 2

LES CORPS SANS ORGANES

¡  Selon Deleuze la stratif ication est un épaississement de la surface du corps sans organes. Vous n'atteindrez jamais le corps sans organes, vous ne pouvez pas l 'atteindre, i l est un l imite .

¡  Le corps sans organes, à l 'origine formulée par Antonin Artaud, n'est pas un concept mais un ensemble de pratiques qui pourraient ici être l iés à l ' improvisation l ibre.

¡  Dans la mesure où l ' improvisation l ibre est une pratique non liée à aucun système musical préétabli , basé essentiellement sur le sonore pré musical, le désir, la interaction et l ’écoute; nous pouvons dire que, dans l ’ improvisation l ibre, on souhaite le corps sans organes.

¡  Dans un flux d'improvisation basée principalement sur l ' idée du corps sans organes, toutes les transformations sont immanentes et les états provisoires (textures et objets sonores dynamiques) qui se succèdent au cours de la performance, manifestent ce processus de densification et d'épaississement des substances impliquées.

LE CORPS SANS ORGANES

¡ Dans ce cas , une organisat ion donnée n'établit jamais aucune forme rigide ou permanente. C'est parce que l'horizon du corps sans organes exerce continuellement sa puissance pour de-stratifier. C'est ce que nous entendons lorsque nous disons que les objets sonores dynamiques qui se posent dans la performance sont comme des nuages qui se forment dans le ciel et se désintègrent chaque seconde.

LE CORPS SANS ORGANE 2

LES MILIEUX ET LES RYTHMES

¡  Du chaos naissent les Milieux et les Rythmes…Chaque milieu est vibratoire, c’est-à-dire un bloc d’espace-temps constitué par la répétition périodique de la composante. Ainsi le vivant a un milieu extérieur qui renvoie aux matériaux; un milieu intermédiaire, aux membranes et limites; un milieu annexé, aux sources d’énergie, et aux perceptions-actions. Chaque milieu est codé, un code se définissant par la répétition périodique; mais chaque code est en état perpétuel de t r a n s c o d a g e o u d e t r a n s d u c t i o n . L a t r a n s c o d a g e o u transduction, c’est la manière dont un milieu sert de base à un outre, ou au contraire s’établit sur un autre, se dissipe ou se constitue dans l’autre (Deleuze, 1975, p. 384).

LES MILIEUX ET LES RYTHMES

¡  Nous pouvons imaginer le milieu extérieur comme celui dans lequel les musiciens sont insérés. Voici tous les éléments de l 'histoire, de la géographie entourant externe à ces personnes. Voici les matériaux.

¡  Le milieu intérieur se réfère à ce qui caractérise ef fectivement ces individus: leurs techniques, leurs solutions personnelles, les mœurs et les manières, leurs façons d'être. C'est tout ce qui a été établi dans les assemblages de cet individu avec l 'extérieur.

¡  Le milieu intermédiaire - les membranes - se rapporte à des l imites (physique et psychologique) dans la façon d’être de chacun. C'est à travers les «pores» de ces membranes qui se produisent les échanges avec le monde extérieur et les forces du chaos. C'est la sensation et la perception configuré.

LES MILIEUX ET LES RYTHMES: DANS L’IMPROVISATION LIBRE

¡  Le milieu annexé , est un segment de l 'environnement externe avec lequel le mil ieu interne établ it des connexions et des échanges d'énergie dans le présent - l 'araignée et la mouche , un mariage , un groupe d’ improvisation . I l est un mil ieu plus spécif ié, dél imité et i l y a plusieurs connexions possibles entre les mil ieux qui y sont annexés. Cette dimension est importante pour l 'environnement de l ' improvisation l ibre depuis, beaucoup de sa puissance de fonctionnement est basé sur l 'échange d'énergie entre les musiciens.

¡  L'association de mil ieux décrit c i -dessus - que nous pourrions appeler plan de consistance - désigne les processus d' interaction qui se produisent dans une per formance de improvisation l ibre: chaque musicien capture de nouvel les sources d'énergie à par t i r de la percept ion de matér iaux sensibles, qui sont ceux qui peuvent être incorporés sur leur propre per formance.

¡  Le rythme est ce qui est établ i entre les mil ieux. Le rythme concerne la relat ion et l ' interaction. Le rythme est le dynamisme asymétrique qui rel ie les mil ieux.

LES MILIEUX ET LES RYTHMES: DANS L’IMPROVISATION LIBRE 2

LES TERRITOIRES

¡  Le territoire est en fait un acte, qui affecte les milieux et les rythmes, qui les “territorialise”. Le territoire est le produit d ’une terr i tor ia l isat ion des mi l ieux et des r ythmes…La territorialisation est l’acte du rythme devenu expressif, ou des composants des milieux devenues qualitatives. (Deleuze, idem, p.386, 38).

¡  Dans l'improvisation, l ' idée d’idiome concerne cette notion de territoire. La tendance de tout plan est la territorialisation et la déterr i tor ial isat ion, cont inue et en alternance. Dans l'improvisation, le même processus se produit. C'est dans ce contexte que surgissent éventuellement les idiomes.

LES TERRITOIRES

¡  Dans la mus ique te r r i to r ia le , t rad i t ionne l le (occ identa le ou orientale), où i l y a improvisation, les frontières entre les idiomes semblent être plus fortes. Le territoire délimité, par exemple, par la musique indienne - un système où convergent divers autres systèmes: religieux, sociaux et culturels - se manifeste par les performances des artistes qui ne sont pas intéressés à mettre à jour de nouvelles vir tualités, mais à être des agents d'un idiome qui parle à travers eux.

¡  Dans l ' improvisation l ibre i l n 'existe que des matériaux, des énergies et des forces informes, non stratifiées. I l n’y a pas de q u a l i t é , p a s d e p e r m a n e n c e , d e d i s c o u r s a n a l y t i q u e , d e systématisation. I l n’existe pas une appareil de capture . I l y a seulement des vir tualités remises à jour en permanence. C'est la production qui génère des territoires provisoires dans un contexte de déterritorialisation constante.

LES TERRITOIRES 2

MOLAIRE ET MOLÉCULAIRE

¡  Dans le contexte de l ' improvisation l ibre, le niveau moléculaire est prédominant et se croise avec des niveaux molaires. Ce dernier - le n iveau molai re - sera i t la manifestat ion d 'une st rat i f icat ion (territorialisation) et doit se rapporter à l 'environnement externe des strates. D'autre part l 'environnement moléculaire se rapporte à l ' intérieur. Au niveau molaire i l y a des stratifications particulières du moléculaire et donc une perception gestaltique qui produit la dif férenciation d'un ensemble identifiable (des styles, des idiomes, des systèmes, des territoires). Selon Deleuze, i l est nécessaire de viser le niveau moléculaire pour surmonter les idiomes et les systèmes. L' idée bien connue de Deleuze que «   le but de l 'ar t n'est pas de reproduire ou d'inventer des formes, mais plutôt, de capter les forces » , est essent ie l le pour comprendre ce concept de molécularité. Les «forces» sont présentes au niveau moléculaire. C'est ici que la pensée sonore comme ligne de force devient le matériau original, puissant, pour une pratique musicale l ibérée de tout système préétabli .

MOLAIRE ET MOLÉCULAIRE

¡  Dans la perspective stratification/déstratification, on peut dire que l' improvisation libre se produit au sein du second champ (déstratification), tandis que l' improvisation idiomatique aurait l ieu dans un contexte plus stratifié. En fait, i l est absolument nécessaire que le musicien qui par t icipe à des pratiques d'improvisation libre, établisse une stratégie visant à surmonter les idiomes dont peut-être il est imprégné. En d'autres termes, le m u s i c i e n d o i t s e te n i r d a n s u n p r o c e s s u s c o n s t a n t d e déterritorialisation et déstratification. Pour cela, à partir de son v isage, de ses r i tournel les et de ses terr i to i res , de ses techniques, de ses systèmes et de ses styles, le musicien doit travailler au niveau moléculaire, car c'est là qu'il est possible d'accomplir une pratique interactive sortie de la stratification molaire (idiomatique, stylistique). C'est seulement dans cette perspective qu'une performance collective peut exister entre musiciens de dif férentes origines.

MOLAIRE ET MOLÉCULAIRE 2

CONCLUSION

¡  Dans l'improvisation libre, les connexions se produisent à la fois horizontalement (dans le sens d'une pensée extensive, mélodique, formelle, gestaltique, molaire), et dans le sens vertical (d’une pensée sonore, harmonique, polyphonique, intensive, moléculaire, local).

¡  La performance se développe plus par des transformations continues, contagion, contaminations croisée et désordonnée, turbulence que par variation d'un principe thématique qui les unifie. Elle est constitué par un flux continu des états temporaires

¡  Les chemins qui sont fait en marchant , sont le résultat des multiples possibilités qui surgissent constamment et sont présentés aux musiciens comme dans un labyrinthe.

CONCLUSION

¡  L'improvisation l ibre est une sorte de déni de territoires ou d'un hybridation (collage, grattage, débordement) de idiomes.

¡  L'improvisation l ibre n'est possible que dans le cadre d'une tentative de surmonter l ’ idiomatique, la représentation, la systématisation, le contrôle, la prévisibi l ité, la répétit ion, l ’ identifié, le hiérarchique, le dualisme et la l inéarisé; a l ’avantage du multiple, de la simultanée, de l ' instable, du mouvement, de l ’hétérogène, le procédé de relation, de vivant, de l 'énergie et de le matériau lui -même.

¡  On peut aussi penser l ' improvisation l ibre comme une possibil ité pour une pragmatique musicale ouverte à une variation infinie où les systèmes et les langages n' imposent pas leurs grammaires abstraite et se rendent à une pratique fructueuse, à un Temps à l 'état pur , non causal, non hiérarchique, non-l inéaire.

¡  Grâce à l ' improvisation l ibre, nous pourrions peut-être obtenir "cette langue neutre, sécrète, sans constante qui a été faite dans le discours indirect, où le synthétiseur et l ' instrument parlent comme la voix et la voix joue comme d'un instrument."

CONCLUSION 2

BIBLIOGRAPHIE

¡  BAILEY, Derek, Improvisation, its nature and practice in music. Da Capo Press, London, 1993.

¡  COSTA, Rogério. Free Improvisation and the philosophy of Gilles Deleuze in Perspectives of New Music Vol. 49, n.1, New York, 2012.

¡  DELEUZE, Gi l les; GUATTARI, Fél ix . A Thousand Plateaus. University of Minnesota Press , Minneapolis, 1987.

¡  DELEUZE, Gilles; GUATTARI, Félix, Mille Plateaux, Les Éditions du Minuit, Paris, 1975.

¡  S O L O M O S , M a k i s . D e l a M u s i q u e a u S o n . P r e s s e s Universitaires de Rennes, Paris, 2013.

BIBLIOGRAPHIE