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Thomas Burelli Doctorant en droit sous la direction de la Professeure Sophie Thériault - Université d’Ottawa Chaire de Recherche du Canada sur la diversité juridique et les peuples autochtones Les peuples autochtones : sujets de recherche ou véritables partenaires dans les projets de bioprospection ? Études de cas dans l’outremer français Séminaire SOGIP EHESS – 21 janvier 2016

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Thomas BurelliDoctorant en droit sous la direction de la Professeure Sophie Thériault - Université d’OttawaChaire de Recherche du Canada sur la diversité juridique et les peuples autochtones

Les peuples autochtones : sujets de recherche ou véritables partenaires dans

les projets de bioprospection ? Études de cas dans l’outremer français

Séminaire SOGIP EHESS – 21 janvier 2016

Les peuples autochtones : des informateursprivilégiés pour les scientifiques

Savoirs traditionnels

Savoirs écologiques traditionnels

Savoirs botaniquesSavoirs liés au fonctionnement

des écosystèmes

Des savoirs convoités hier…

“[C]onsider how many more herbs and plants possessing greatvirtues . . . our Indies must have. But they are out of our reachand knowledge because the Indians, being bad people and ourenemies, will not reveal to us a secret, not a single virtue of aherb, even if they should see us die, or even if they be sawed inpieces”.

Pedro de Osma (1568), cité par Daniela Bleichmar.

… comme aujourd’hui

Journal of ethnopharmacology

Journal of ethnobiology

Journal of Ethnobiology and Ethnomedecine

Ethnopharmacologia

Planta Medica

Société Internationale d’ethnobiologie

Société française d’ethnopharmacologie

Société européenne d’ethnopharmacologie

La notion de biopiraterie

Par biopiraterie, on entend le recours aux systèmes depropriété intellectuelle pour légitimer la propriétéexclusive des ressources, produits et procédésbiologiques utilisés depuis des siècles au sein decultures non industrialisées et l’exclusivité du contrôleexercé à leur égard.

Vandana Shiva

Des savoirs traditionnels au brevet : Utilisation de l'acide rosmarinique et de

ses dérivés pour traiter la ciguatéra

9 octobre 2014.• Initialement : une enquête bibliographique et ethnobotanique (à partir de 1990).

• L’identification d’une centaine de remèdes traditionnels.

• « Les remèdes traditionnels à l’épreuve » : confirmation de l’activité du remède le plus communément utilisé.

• Dépôt d’une demande de brevet en 2009 (INPI) et 2010 (OEB) au bénéfice des chercheurs et de leurs instituts.

• Une « aventure scientifique passionnante » d'ethnopharmacologie qui tourne au vignaire…

Acide rosmariniqueArbuste de faux tabac

Critères de brevetabilité

9 octobre 2014.• Nouveauté : l’invention ne doit pas porter sur une innovation quia déjà été rendue accessible au public, quels qu’en soientl’auteur, la date, le lieu, le moyen et la forme de cetteprésentation au public.

• Activité inventive : l’invention ne doit pas découler de manièreévidente de la technique connue par “l’homme du métier”.

Examen du brevet portant sur l’aciderosmarinique (1)

9 octobre 2014.• Rapport préliminaire international sur la brevetabilité (2012) :

• Plusieurs antériorités « divulguent l’utilisation d’extraitsdes plantes pour le traitement de la Ciguatéra ».

• « La plante la plus populaire est Argusia Argentea, etun extrait aqueux de ses feuilles a montré une activitécontre les intoxications aux ciguatoxines ».

• L’objet des revendications « a été préparé selon laméthode habituellement utilisée ».

• -- » Absence de nouveauté.

Examen du brevet portant sur l’aciderosmarinique (2)

9 octobre 2014.• Réponses du demandeur (2013) :

• Les demandeurs précisent « qu’il n’existeaucune preuve scientifique de l’efficacité de cetype de traitement ni de son innocuité »

• « Aucun des documents ne divulgue, ni nesuggère quelle(s) pourrai(en)t être la ou lessubstances chimiques responsables de l’effetdes extraits de H. foertherianum sur le traitementde la Ciguatéra ».

Examen du brevet portant sur l’aciderosmarinique (3)

9 octobre 2014.• Opinion de l’OEB (2014) :

• Absence de nouveauté : L’extrait divulgué dans [le documentD1] représente un médicament pour le traitement de laciguatéra contenant de l’acide rosmarinique.

• Absenced’activité inventive :• « l’homme de l’art [compte tenu des divulgations produites –

D1] essaierait, sans être inventif, d’isoler d’ extraits aqueuxle composé le plus actif contre la Ciguatéra. Il est connu[des divulgations produites] que ce composé est comprisdans l’extrait aqueux des feuilles d’Argusia argentea [le fauxtabac]. La seule chose à faire pour trouver le principe actifest de séparer les composés individuels et d’examiner leuractivité ».

Examen du brevet portant sur l’aciderosmarinique (4)

9 octobre 2014.• Réponse du demandeur (2014) :

• Modification des revendications : utilisation del’acide rosmarinique isolé.

• Aucun des documents cités ne décrit l’utilisationde l’acide rosmarinique isolé pour le traitementd’intoxications alimentaires telle que la ciguatéra.

Examen du brevet portant sur l’aciderosmarinique (5)

9 octobre 2014.• Réponse de l’OEB (2015) :

• L’expression « isolé » n’est pas claire.

• D12 [1992] divulgue que l’Argusia argentea « est un desremèdes les plus populaires contre la gratte ».

• L’homme de l’art connaissant la divulgation du documentD12 essaierait avec préférence et sans être inventif,d’isoler d’extraits aqueux de cette plante le composé leplus actif contre la ciguatéra.

• « Il est actuellement impossible d’établir quelle partie de lademande pourrait servir de base à une nouvellerevendication admissible ».

Un exemple guyanais : Simalikalactone E et son utilisation comme médicament (1)

9 octobre 2014.• Début des années 2000 : enquêtes sur les remèdes traditionnelsantipaludiques auprès des populations de la Guyane française :

• 117 personnes issues de différentes communautés de laGuyane sont interrogées (Kali’na, Palikur, des créoles, unHmong, des brésiliens et des européens)

• 45 recettes répertoriées

• 27 espèces de plantes sont utilisées

• Plante la plus utilisée : Quassia Amara

Un exemple guyanais : Simalikalactone E et son utilisation comme médicament (2)

9 octobre 2014.• Identification d’une première molécule : la SkD

• Identification d’une seconde molécule : la SkE

Un exemple guyanais : Simalikalactone E et son utilisation comme médicament (3)

9 octobre 2014.• Dépôt d’un brevet en 2009 pour l’utilisation de la SkE• Demandeur : Institut de recherche pour le développement (IRD)• Inventeurs : Uniquement des scientifiques.

• Intérêt des travaux :• « Nos travaux ont tout d’abord permis de transcrire des données

transmises oralement, donc en voie de disparition ». 2008

• « Outre les perspectives thérapeutiques de ces travaux, la réalisationd’ouvrages de vulgarisation, distribués aux communautés locales, contribueà la sauvegarde d’un patrimoine culturel voué à l’extinction ». 2013

• Une opposition formée contre le brevet le 23 octobre 2015

Retour en Nouvelle-Calédonie

9 octobre 2014.

Pour la défense des chercheurs

9 octobre 2014.• Une situation juridique complexe et ambiguë.

• L’encouragement au dépôt de droits de propriété intellectuelle.

• Le droit de la propriété intellectuelle favorise les demandeurs dans le cadre des procédures des dépôts…

• ... Jusqu’à un certain point.

L’indéniable responsabilité des chercheurs

9 octobre 2014.§ Avis du Comité d’éthique du CNRS sur l’impératif d’équité dans les rapports entre chercheurs et populations autochtones (2007)

§ Les Lignes directrices pour l’accès aux ressources génétiques et leur transfert – INRA, IRD, Cirad (2011)

§ Le Guide des bonnes pratiques de la recherche pour le développement –IRD (2005, 2012)

§ L’avis du CCDE (Comité consultatif de déontologie et d’éthique) sur l’Éthique du partenariat dans la recherche scientifique à l’IRD – IRD (2012)

La responsabilité des chercheurs(2)

9 octobre 2014.§ Le guide des bonnes pratiques de la recherche pour le développement (2005) :

§ « Les droits de propriété intellectuelle des données et le bénéfice desrésultats acquis dans les recherches coopératives seront partagés selondes dispositions conventionnelles explicites ». Principe 5

§ « La prise de brevets et des licences d’exploitation se feront égalementde manière partenariale et toujours, en prenant en compte les aspectsfavorables au développement des PED » principe 13

§ « Si les résultats de la recherche conduisent au dépôt de brevets et delicences d’exploitation, ceux-ci seront au bénéfice de tous lespartenaires ». (2ème édition).

La responsabilité des chercheurs(3)

9 octobre 2014.La biopiraterie selon le Comité consultatif de déontologie et d’éthique de l’IRD :

« Elle résulte de l’utilisation, par les entreprises et instituts de recherche,généralement du Nord, de substances actives, issues de plantes oud’animaux des pays du Sud, sans l’autorisation des instances de ces pays,pour élaborer de nouveaux produits pharmaceutiques ou autres, etdéposer des brevets à leur seul profit. Ceci constitue un acte de biopiraterie.Cela pose aussi la question de l’utilisation de la médecine et desconnaissances traditionnelles, dans des conditions analogues ».

Avis du Comité consultatif de déontologie et d’éthique sur l’Éthique dupartenariat dans la recherche scientifique à l’IRD (2012)

Alternatives : l’encadrement des recherches impliquant les peuples

autochtones au Canada

9 octobre 2014.§ L’énoncé de politique des trois Conseils de recherche : Éthique de la recherche avec des êtres humains, 2010 (2nd édition).

§ Un chapitre 9 consacré à la recherche visant les Premières Nations, les Inuits, ou les Métis du Canada.

§ Une définition détaillée de la notion de connaissances traditionnelles. § « Les chercheurs ont l’obligation de s’informer des coutumes et des

codes de pratique de la recherche pertinents qui s’appliquent à chacune des communautés visées par leur projet de recherche, et de les respecter.

§ D’autres protocoles de recherche universitaires : Protocols and Principles for Conducting Research in an Indigenous Context - Université de Victoria, 2003.

§ Un seul exemple en France : Le code étique du Criobe-CNRS en Polynésie française (2014).

Les propositions des peuplesautochtones

9 octobre 2014.§ Council of Yukon First Nations (2000): Traditional Knowledge ResearchGuidelines: A Guide for Researchers in the Yukon; § Manitoba First Nations Youth Council (2002): Traditional First Nations Code of Ethics; § Gwich’in Tribal Council (2004): Traditional Knowledge Policy; § Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (2005) : Protocole de recherche des premières nations du Québec et du Labrador§ Assembly of Nova Scotia Mi’kmaq Chiefs (2007): Mi’kmaq EcologicalKnowledge Study Protocol; § Inuit Tapiriit Kanatami and Nunavut Research Institute (2007): NegotiatingResearch Relationships with Inuit Communities. § Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (2014 – 2ème édition) : Protocole de recherche des premières nations du Québec et du Labrador

Approches contractuctelles (1)

9 octobre 2014.• La recherche doctorale de Kelly Bannister (University of Victoria -Canada) :

• « All publications will acknowledge the contribution of the Secwepemcpeople and individual elders, and will state that the SecwepemcNation has control over access to the traditional plant knowledge,as well as to potential development of any marketable products(such as drugs or pharmaceuticals) that may be discovered as a resultof the traditional knowledge shared during the course of thisresearch ».

Approches contractuctelles (2)

9 octobre 2014.Contrat entre la bande des Siska et l’Université de Colombie-Britannique:

• « The Siska Band shall remain the exclusive copyright owner of theTraditional Knowledge. The UBC acknowledges and agrees that ithas no interest whatsoever in the ownership of the TraditionalKnowledge, including any intellectual property rights there under.The UBC hereby waives any intellectual property and/or any otherrights that the UBC may have with respect to the TraditionalKnowledge ».

Approches contractuctelles (3)

9 octobre 2014.• Accord de recherche pour un projet de recherche sur les plantes antidiabétiques de l'Eeyou Itschee :

• “The participating Cree First Nations hereby grant to the Academic Institutions a non exclusive licence to use for the duration of the Research Project the Iiyiyiu Traditional Knowledge”.

• Le partage des droits de propriété intellectuelle (le caséchéant)

• Des procédures de révision des publications et des documents du projet.

Merci

Thomas BURELLIDoctorant en droit – University of Ottawa / Université de Perpignan

Chaire de Recherche du Canada sur la diversité juridique et les peuples autochtones

[email protected]