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Xavier Gutherz R. Joussaume S. Amblard Guedda Mohamed Le site d'Asa Koma (République de Djibouti) et les premiers producteurs dans la Corne de l'Afrique In: Journal des africanistes. 1996, tome 66 fascicule 1-2. pp. 255-298. Abstract The site of Asa Koma, about thirty kilometres from Lake Abbe (Djibouti), has been the focus of several seasons of excavations. It has been dated to the second millennium B.C. Fieldwork have shown an abundance of artifacts : decorated pottery, lithic industry, grinding stones, bone implements, net sinkers, ornaments. The subsistence of Asa Koma people was based on fishing, hunting (specifically of jackal, consumed by humans), cattle husbandry and probably harvesting of grasses. Additionally, the site interest lies in the presence of two burials within the settlement. Résumé Le site d'Asa Koma, à une trentaine de kilomètres du Lac Abbé (Djibouti), a fait l'objet de plusieurs campagnes de fouilles. Daté du deuxième millénaire avant notre ère, il a fourni une abondance de mobilier : céramique décorée, industrie lithique, matériel de broyage, outils en os, poids de filet, éléments de parure. L'économie d'Asa Koma était fondée sur la pêche, la chasse (surtout au chacal, consommé par l'homme), l'élevage du bœuf et, sans doute, la cueillette de graminées. L'intérêt du site est renforcé par la présence de deux tombes au sein même de l'habitat. Citer ce document / Cite this document : Gutherz Xavier, Joussaume R., Amblard S., Mohamed Guedda. Le site d'Asa Koma (République de Djibouti) et les premiers producteurs dans la Corne de l'Afrique. In: Journal des africanistes. 1996, tome 66 fascicule 1-2. pp. 255-298. doi : 10.3406/jafr.1996.1103 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jafr_0399-0346_1996_num_66_1_1103

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Xavier GutherzR. JoussaumeS. AmblardGuedda Mohamed

Le site d'Asa Koma (République de Djibouti) et les premiersproducteurs dans la Corne de l'AfriqueIn: Journal des africanistes. 1996, tome 66 fascicule 1-2. pp. 255-298.

AbstractThe site of Asa Koma, about thirty kilometres from Lake Abbe (Djibouti), has been the focus of several seasons of excavations. Ithas been dated to the second millennium B.C. Fieldwork have shown an abundance of artifacts : decorated pottery, lithicindustry, grinding stones, bone implements, net sinkers, ornaments. The subsistence of Asa Koma people was based on fishing,hunting (specifically of jackal, consumed by humans), cattle husbandry and probably harvesting of grasses. Additionally, the siteinterest lies in the presence of two burials within the settlement.

RésuméLe site d'Asa Koma, à une trentaine de kilomètres du Lac Abbé (Djibouti), a fait l'objet de plusieurs campagnes de fouilles. Datédu deuxième millénaire avant notre ère, il a fourni une abondance de mobilier : céramique décorée, industrie lithique, matériel debroyage, outils en os, poids de filet, éléments de parure. L'économie d'Asa Koma était fondée sur la pêche, la chasse (surtout auchacal, consommé par l'homme), l'élevage du bœuf et, sans doute, la cueillette de graminées. L'intérêt du site est renforcé par laprésence de deux tombes au sein même de l'habitat.

Citer ce document / Cite this document :

Gutherz Xavier, Joussaume R., Amblard S., Mohamed Guedda. Le site d'Asa Koma (République de Djibouti) et les premiersproducteurs dans la Corne de l'Afrique. In: Journal des africanistes. 1996, tome 66 fascicule 1-2. pp. 255-298.

doi : 10.3406/jafr.1996.1103

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jafr_0399-0346_1996_num_66_1_1103

Xavier GUTHERZ, Roger JOUSSAUME, Sylvie AMBLARD, GUEDDA MOHAMED*

avec la collaboration de : R. BONNEFILLE; H DUDAY, G. GOURAUD,

S. THIEBAULT, I. THIAM EL НАБЛ, W. VAN NEER.

Le site ď Asa Koma (République de Djibouti)

et les premiers producteurs

dans la Corne de l'Afrique

Résumé :

Le site d'Asa Koma, à une trentaine de kilomètres du Lac Abbé (Djibouti), a fait l'objet de plusieurs campagnes de fouilles. Daté du deuxième millénaire avant notre ère, il a fourni une abondance de mobilier : céramique décorée, industrie lithique, matériel de broyage, outils en os, poids de filet, éléments de parure. L'économie d'Asa Koma était fondée sur la pêche, la chasse (surtout au chacal, consommé par l'homme), l'élevage du bœuf et, sans doute, la cueillette de graminées. L'intérêt du site est renforcé par la présence de deux tombes au sein même de l'habitat.

Mots-clefs : Djibouti, Asa Koma, Néolithique, habitat, économie, culture matérielle, sépultures.

Abstract :

The site of Asa Koma, about thirty kilometres from Lake Abbe (Djibouti), has been the focus of several seasons of excavations. It has been dated to the second millennium B.C. Fieldwork have shown an abundance of artifacts : decorated pottery, lithic industry, grinding stones, bone implements, net sinkers, ornaments. The subsistence of Asa Koma people was based on fishing, hunting (specifically of jackal, consumed by humans), cattle husbandry and probably harvesting of grasses. Additionally, the site interest lies in the presence of two burials within the settlement.

Keywords : Djibouti, Asa Koma, Neolithic, habitat, economy, material culture, burials.

Xavier Gutherz, Service régional de l'Archéologie, 21-23 bd. du Roy René, 13617 Aix-en- Provence principal cedex ; Roger Joussaume et Sylvie Amblard, UPR 3 1 1 du CNRS, 1 place A. Briand, 92195 Meudon ; Guedda Mohamed, ISERST, BP 486, Djibouti.

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Fig 1

REPUBLIQUE DE DJIBOUTI

Asa koma. Asa Ragid : sites ayant fait l'objet de sondages ou de fouilles par notre équipe.

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1. CADRE INSTITUTIONNEL ET HISTORIQUE DES RECHERCHES

La mission archéologique franco-djiboutienne, constituée en 1982 à la demande de l'Institut Supérieur d'Etudes et de Recherches Scientifiques et Techniques (ISERST) de la République de Djibouti a été organisée selon deux programmes menés parallèlement. Le premier, dirigé par Jean Chavaillon, est consacré à la préhistoire ancienne de la République de Djibouti. Le second, dirigé par Roger Joussaume jusqu'en 1993, puis par Xavier Gutherz actuellement, a pour objet l'étude des sociétés de production, depuis les premières manifestations de l'élevage et de l'agriculture, jusqu'à l'islamisation. Toutes les recherches sont conduites en collaboration entre l'équipe française de l'UPR 3 1 1 du CNRS et l'équipe djiboutienne appartenant à l'ISERST.

A la suite des premières reconnaissances et fouilles ponctuelles en 1982, 84 et 86, accompagnées de campagnes de relevés de gravures rupestres par R. Joussaume et des membres de l'ISERST (Joussaume 1987), notre équipe a pu effectuer en 1988 et 1989 deux missions d'un mois qui lui ont permis d'entreprendre la fouille de deux sites. L'un d'eux est situé dans le Gobaad, à quelques kilomètres d'As Eyla. Il s'agit du site d'Asa Koma, habitat du début du 2ème millénaire avant notre ère. Le second est un amas coquillier d'origine anthropique, daté du 5e millénaire, qui se trouve au fond du Ghoubet, à proximité de Dankalelo (fig. 1).

Les travaux interrompus après 1989 ont pu reprendre en novembre 1994 sur le site d'Asa Koma qui fait l'objet de cet article et de la contribution archéozoologique réalisée par C. Guérin et M. Faure. La fouille de ce site est conduite par une équipe d'archéologues français et djiboutiens : Xavier Gutherz (DRAC Poitou-Charentes et UPR 3 1 1 du CNRS), Roger Joussaume et Sylvie Amblard (UPR 311) et Guedda Mohamed (ISERST). Plusieurs chercheurs assurent les études spécialisées : Raymonde Bonnefille (LGQ1, CNRS Aix-en-Provence) : palynologie ; Jean Cataliotti (CRA, CNRS Sophia- Antipolis) : malacologie marine ; Henri Duday (URA 376 Bordeaux) : anthropologie ; Michel Fontugne (CFR - CNRS Gif-sur- Yvette) : datations isotopiques ; Françoise Gasse (ENS Fontenay-aux-Roses) : sédimentologie et dynamique lacustre ; Gérard Gouraud : technologie et typologie de l'outillage lithique; Claude Guérin et Martine Faure (URA 11 Lyon et UPR 311 Meudon) : archéozoologie ; Stéphanie Thiebault et Ibrahima Thiam El

1 Lab. de géologie du Quaternaire, CEREGE-Europôle Arbois. BP 80. R.D. 543 13545 Aix-en- Provence cedex 04 2 1, rue des aubépines, 44140 Geneston

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Hadji (URA 14773 Montpellier) : anthracologie ; Wim Van Neer et Fabienne Pigière (Koninklijk Museum voor Midden Africa4, Belgique) : ichtyofaune. Jean-Pierre Vellutini (ISERST5) : cadre géologique.

2. LE CADRE GÉOLOGIQUE

La vaste dépression du Gobaad (Sud-Ouest du territoire djiboutien) fait partie d'un ensemble de grabens et de horsts basaltiques d'axe N.O.-S.O. constitué au cours du Pleistocene. Les bassins ont reçu une alimentation fluviatile provenant du plateau éthiopien. La rivière Awash, en particulier, se déverse dans le lac Abbé, cuvette circulaire d'environ 25 km de diamètre qui occupe l'extrémité occidentale du Gobaad. Le lac Abbé (ait. 243 m) est le terminus actuel de l'Awash qui voit son débit s'appauvrir graduellement depuis les reliefs jusqu'à l'exutoire. Toutes les eaux qui parviennent au lac s'y évaporent progressivement. Cette evaporation entraîne le dépôt de particules en suspension, précipitées ensuite en raison de la saturation en sel des eaux du lac. C'est pourquoi, dans ce secteur, les dépôts sont très abondants.

A une trentaine de kilomètres à l'Est du lac Abbé, une butte basaltique se détache au milieu des dépôts lacustres et fluviatiles de la dépression à une altitude de 371 m (fig. 2). Il s'agit du volcan d'Asa Koma (la "colline rouge" en afar) sur lequel se trouve le site préhistorique. Ce volcan s'est formé postérieurement à la mise en place de la série stratoïde de Г Afar (basaltes de la série moyenne datée de 2,2 à 1,8 M.a). L'éloignement actuel du lac est le résultat d'un assèchement qui a fait reculer ce dernier jusqu'à ses limites actuelles. Au Nord, au pied du volcan, serpente l'oued Dagadlè bordé d'une végétation d'acacias et d'arbustes divers. Cet oued est actuellement en eau à l'occasion de fortes pluies, une ou deux fois par an.

Les fluctuations du niveau du lac Abbé ont été très importantes au cours du Pleistocene et de l'Holocène. Menacé d'assèchement lors de phases désertiques, il a pu atteindre une profondeur importante au cours de phases pluviales. Selon les travaux de Gasse (Gasse 1975), plusieurs stades

3 Lab. de Paléobotanique, environnement et archéologie, Institut de Botanique, 163, rue Auguste

Broussonet 34000 Montpellier 4 Musée royal de l'Afrique Centrale B.P.1980 Tervuren,Belgique. 5L'ISERST fournit les véhicules tout terrain et d'autres moyens techniques. Du matériel permettant une installation sur le site d'Asa Koma a été mis à notre disposition par l'Etat-Major des Forces françaises stationnées à Djibouti au cours de chaque mission de terrain. Nous tenons à adresser ici nos plus vifs remerciements à la direction de l'ISERST et tout particulièrement à M. Anis Abdallah, directeur, M. Idriss Guirré, directeur-adjoint , M. Said Warsama, chef du département des Sciences Humaines, et M. Jean-Pierre Vellutini, responsable de la carte géologique. Nous remercions également les autorités militaires commandant les forces françaises à Djibouti pour leur soutien logistique ainsi que le Ministère de la Coopération et l'UPR 3 1 1 du CNRS qui ont financé nos missions.

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transgressifs et régressifs peuvent être déterminés : vers 9400/8400 BP, transgression jusqu'à la cote 400 m ; vers 8000/7500 BP, régression ; vers 7000/6200 BP, nouvelle transgression jusqu'à la cote 380 m ; après 4000 BP, détérioration des conditions lacustres, assèchement progressif du lac. Ces éléments confrontés avec les dates obtenues pour l'occupation préhistorique du sommet de la butte d'Asa Koma, montrent que la période d'occupation correspond au début de la dernière phase régressive du lac. Comme on le verra ci-dessous, les éléments d'information recueillis au cours des fouilles (faune, flore) confirment que l'environnement du site au cours du IVème millénaire BP était plus humide que l'actuel.

3. LE SITE ARCHÉOLOGIQUE

3.1. Configuration générale

Les collines rouges d'Asa Koma comprennent une butte principale de forme arrondie et deux appendices moins élevés à l'Est et au Sud. Les prospections de surface firent apparaître en 1984 une très forte densité de vestiges archéologiques au sommet de la butte principale. Quelques documents ont aussi été retrouvés sur l'appendice Est. Enfin des constructions en pierre sèche : petites enceintes circulaires, plateformes rectangulaires parementées, tumulus, sont visibles en divers points. L'un de ces tumulus, anciennement éventré, a livré les restes épars d'ossements humains.

C'est vers la butte principale, la plus riche en vestiges de surface et après les indications positives fournies par le sondage de 1986 que nous avons préférentiellement orienté nos travaux en 1988, 1989 et 1994, au cours de trois campagnes de fouilles d'une durée de 15 jours chacune.(fig. 4)

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Fig. 3. Emplacement des sondages et fouilles de 1986 à 1994.

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Plusieurs sondages de 1 m2 ont été ouverts de part et d'autre du sommet. Sur cette zone sommitale, un sondage de 6 m2 a été effectué en 1986. Il fut complété en 88 et 89 par un décapage extensif de 24 m2 . En 1994, une tranchée fut ouverte sur 13 m de long et lm de large, recoupant en partie les sondages antérieurs ; elle avait pour but d'établir une coupe générale. Ce sont donc actuellement 48 m qui ont pu être fouillés sur l'aire sommitale d'occupation que l'on peut estimer à environ 2000 m .

Sur cette aire de forme elliptique, le sol basaltique est irrégulier ; des pointements rocheux cernent des cuvettes naturelles dans lesquelles les sédiments se sont accumulés. Les sondages ont fait apparaître une certaine homogénéité dans la nature de ces sédiments qui contiennent les vestiges archéologiques. Il s'agit essentiellement de limons pulvérulents mêlés, selon les secteurs, à une quantité plus ou moins grande de cendres qui résultent des activités humaines. Dans certaines zones, on trouve de véritables nappes de cendres blanches ou encore des amas de charbons de bois. Les niveaux archéologiques reposent directement sur le substratum ou sur des graviers volcaniques stériles. Leur épaisseur varie de quelques centimètres à 0,50 mètre.

3.2. Données stratigraphiques

La coupe de la figure (fig. 4) ne présente que les grandes lignes de la sédimentation. A la base de la stratigraphie un sédiment brun-orangé très granuleux surmonte directement le substrat volcanique. Le plus souvent stérile, il contient parfois quelques tessons de céramique ou quelques pièces lithiques. Plusieurs creusements sont associés à ce niveau ; en particulier, une fosse sépulcrale (sépulture 3) pourrait être stratigraphiquement corrélable avec l'horizon supérieur des limons bruns. L'amas de blocs qui en assure le colmatage et qui avait livré des ossements humains en 1989 aurait alors légèrement dépassé du sol, signalant l'emplacement de la fosse en surface. Ce point devra toutefois être vérifié lors des prochaines campagnes.

Le niveau de limon brun est généralement surmonté par un horizon finement stratifié, composé d'une alternance de lits de cendres blanches, de cendres grises, de terres rubéfiées et de limon. Epais d'une quinzaine de centimètres au centre de la coupe, ces lits cendreux s'amenuisent progressivement vers le Sud, alors qu'ils sont tronqués par plusieurs fosses importantes au nord, avant de disparaître complètement. La présence de surfaces fortement rubéfiées en liaison avec des lits de cendres stratifiés semble indiquer l'utilisation de nombreux foyers à plat, pratiqués sans autre aménagement particulier. Cette activité de combustion avait peut-être un lien avec une préparation culinaire ou un traitement en vue de la conservation des poissons péchés dans le lac vraisemblablement tout proche, car de nombreux restes osseux carbonisés sont mêlés aux cendres. Le mobilier archéologique

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souvent disposé à plat dans ces lentilles finement litées, a de fortes chances d'être en place. En revanche, l'extension de ces niveaux semble somme toute assez limitée.

Ces niveaux cendreux sont surmontés par des couches extraordinairement riches en restes de poissons. Parfois, quelques poches de terre blanche renfermant en abondance de petits gastéropodes d'eau douce {Melanoides tuberculata) et quelques lits de cendres, viennent s'intercaler au sein de ces dépôts généralement très homogènes. Des fosses peuvent être mises en relation avec ces derniers niveaux ; elles sont comblées presque exclusivement de restes osseux de poissons, dont certains semblent présenter quelques connexions au moins partielles, sans guère de terre interstitielle. Dans la partie la plus au Sud de la coupe, cet horizon semble toutefois largement remanié par de multiples creusements postérieurs. En revanche, dans la partie Nord de la coupe, il est épais d'une vingtaine de centimètres et repose directement sur les limons bruns, sans l'intermédiaire des lits cendreux qui n'existent pas à cet endroit. Enfin un niveau caillouteux superficiel de quelques centimètres recouvre cette stratigraphie sur l'ensemble du site.

L'aspect lenticulaire de ces dépôts rend malheureusement bien délicate toute tentative de corrélation chrono-stratigraphique sur de longues distances. De plus, comme il fallait s'y attendre sur un site où de multiples occupations se sont succédées au cours du temps, la coupe montre également toute l'importance prise par les remaniements (terriers, fosses...) qui ont affecté l'agencement initial de la stratigraphie. La plupart de ces perturbations sont de faible ampleur et n'affectent que ponctuellement les niveaux sous-jacents ; d'autres en revanche, sont beaucoup plus importantes. Malheureusement, lorsque le sédiment est sec et pulvérulent, il devient très difficile de repérer ces phénomènes lors de la fouille, voire même sur la coupe.

3.3. Les structures de combustion

Différents types de structures de combustion ont été utilisés par les occupants du site. Ce sont d'ailleurs les seuls aménagements perceptibles dans l'espace occupé. La présence de blocs de petite taille, parfois plus volumineux à différentes profondeurs et plus particulièrement à la base des dépôts limoneux ne laisse voir aucun agencement particulier qui pourrait évoquer l'édification de maisons ou de huttes. Il est probable que si celles-ci ont existé elles furent construites en matériau léger et périssable qui n'a laissé aucune trace tangible.

Nous avons pu fouiller en 1988 l'une des structures de combustion dans le carré Al (dénommé alors sondage AK 88 - 3.1). Elle se présentait sous la forme d'une concentration de pierres brûlées recouvrant une nappe de charbons de bois épaisse d'une dizaine de centimètres. Ce foyer semblait

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aménagé dans une faible cuvette peu visible à la fouille. Il épousait une forme ovalaire et ses dimensions étaient d'environ 80 cm de long pour 50 cm dans sa plus grande largeur. C'est de loin la plus grande structure de combustion de ce type rencontrée à ce jour sur le site. En effet, toujours en 1988, le sondage AK 88-4, sur le versant Sud de la butte, avait révélé, engagée dans la coupe, une autre concentration de pierres brûlées recouvrant un lit charbonneux. D'après la partie visible dans le sondage, il s'agit d'une structure de combustion de même type que la précédente mais de dimensions beaucoup plus réduites.

Fig.5. Relevé en plan de la structure de combustion du carré Al fouillée en 1988. Une autre structure de combustion a été fouillée en A 12 et A 13. Il s'agit

là encore d'une concentration de pierres chauffées surmontant un lit peu épais de charbons de bois débordant de part et d'autre de la couche de pierres. Les pierres sont des fragments de basalte anguleux brûlés d'environ 10 cm d'arête. Après enlèvement du lit de pierres, puis de la nappe de charbons de bois, on pouvait reconnaître une cuvette à peine marquée, creusée dans le limon sous-

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jacent. Son contour n'était reconnaissable qu'en suivant les limites de la nappe de charbons. La structure, de dimensions modestes, épouse une forme plutôt étirée (environ 50 x 30 cm). Elle a été dénommée structure 2 .

Dans le carré В 12, une autre structure très comparable à la précédente a été découverte en 1994. Il s'agit de la structure 3. Elle se présente sous la forme d'une petite concentration de pierres brûlées serrées les unes contre les autres recouvrant une nappe peu épaisse de charbons de bois. Les pierres sont des fragments de basalte aux arêtes vives, d'un module régulier d'environ 10 cm de plus grande longueur. Cette structure, de forme étroite et allongée, est très petite : 50 cm de long pour 20 à 25 cm de large.

Aucune corrélation ne peut être établie quant à la position stratigraphique de ces structures de combustion à pierres chauffées. En effet {cf. supra), il est pratiquement impossible sur ce site d'établir une continuité stratigraphique d'une zone à l'autre. On notera cependant que, dans les cas décrits (structure 2 et 3 et foyer du carré Al), ces aménagements se trouvent non pas à la base des dépôts archéologiques qui reposent sur un gravier volcanique, mais au sein de limons riches en ossements de poissons, contenant des tessons de poterie, des éclats d'obsidienne et quelques ossements de mammifères.

Le foyer du carré Al se situait entre - 10 et - 25 cm sous la surface, 20 cm le séparant du gravier volcanique de base. La structure 2 se situait entre - 15 et - 23 cm sous la surface et à 15 centimètres au-dessus du substratum graveleux. La structure 3 apparaît également à une quinzaine de centimètres sous la surface. Elle ne repose pas non plus sur le substratum mais en est séparée par des dépôts limoneux gris, riches en ossements de poissons et en céramique ornée ; ces dépôts ont été reconnus sur une épaisseur de 15 cm et surmontent une couche de limons bruns, riches en gravier volcanique, qui n'a pas été fouillée.

Les fouilles, donnant actuellement une vue suffisamment large des structures présentes sur le site, on peut résumer ici les informations concernant la morphologie et le mode de fonctionnement des foyers. Il existe dans les niveaux d'occupation néolithique d'Asa Koma au moins deux types de foyers : le premier est du modèle le plus simple. Il s'agit d'un foyer à plat, sans aménagement particulier, dont les témoins sont constitués d'une fine nappe horizontale de limon rubéfié par la combustion sur laquelle reposent un ou plusieurs lits cendreux ou charbonneux contenant souvent des ossements de poissons brûlés. Ces "foyers à plat" sont probablement à mettre en relation avec le traitement du poisson péché à proximité du volcan : séchage, voire boucanage en vue de la conservation de ces produits.

En revanche, les structures à pierres chauffées semblent avoir fonctionné de façon ponctuelle pour la cuisson d'aliments carnés ou végétaux cuits directement sur les pierres ou dans des récipients et ce pour plusieurs raisons :

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d'une part, les pierres chauffées, quoique noircies ou rubéfiées, sont parfois fissurées mais on ne trouve pas, ou très rarement, de petits éclats ; d'autre part, les charbons de bois sont de forte taille et la combustion n'est pas optimale (moindre abondance de cendres). Ces éléments semblent indiquer un usage ponctuel du foyer dont la combustion était contrôlée. Cette impression est confortée par la faible épaisseur des lits charbonneux et l'absence de rubéfaction du limon sous-jacent. Seul, peut-être, le grand foyer du carré Ala pu être utilisé plus longtemps, si l'on en juge par l'abondance des charbons formant un lit plus épais. Mais peut-être cette impression est-elle liée au fait qu'il s'agit d'une structure plus importante ayant consommé une plus grande quantité de bois.

4. LES SÉPULTURES (H. DUDA Y)

En 1988, a été fouillée, au coeur de l'habitat, une première sépulture constituée d'une fosse de forme circulaire sous petit cairn composé de blocs de basalte. Le squelette, celui d'un adulte âgé, présentant de nombreux signes de pathologie degenerative, notamment au niveau de la colonne vertébrale et des membres, avait malheureusement été très perturbé par un terrier qui traversait la tombe. Au-dessous, étaient apparus le crâne et les premières vertèbres d'un deuxième sujet. Le crâne fut prélevé cette année-là, par mesure de précaution face à d'éventuels fouilleurs clandestins.

Le décapage intégral de cette deuxième sépulture a pu être réalisé par nos soins en 1989 avec le concours précieux du Dr. Cros. Elle se rapporte à un individu de sexe féminin, dont l'âge au décès peut être estimé à environ 18 ans.

Il s'agit de toute évidence d'une sépulture primaire. De très nombreuses connexions anatomiques ont pu être observées concernant notamment des articulations labiles dont la dislocation survient très précocement dans la décomposition du cadavre : jonction scapulo-thoracique, syndesmose entre l'os hyoïde et la base du crâne, orteils...

Le corps reposait sur le côté gauche, de telle sorte que l'ensemble du squelette apparaissait par sa face latérale droite. Il existait en outre une rotation très nette de la tête vers la gauche : de ce fait, la face se trouvait plaquée contre le fond de la fosse, le crâne et la mandibule se présentant par leur face postéro- latérale droite. Les membres inférieurs étaient très fortement fléchis, les genoux ramenés à proximité du visage (la patella droite a été découverte au contact du zygomatique droit) et les pieds au contact de la région fessière. Le membre supérieur droit avait été en partie démonté en 1988 ; l'humérus était sensiblement parallèle à l'axe rachidien et son extrémité distale se trouvait donc au niveau du flanc droit ; le coude était fléchi et la main droite, presqu' entièrement disloquée, devait donc se trouver en avant de l'abdomen. Le membre supérieur gauche reposait sur le fond de la fosse dont il épousait la

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forme : l'humérus gauche était fortement fléchi. La main gauche venait au contact de la portion supérieure de la jambe gauche.

Il n'est pas certain que l'attitude contractée du corps doive être imputée à l'existence de moyens de contention périssables (sac ou liens...). Le cadavre a en effet été déposé dans une fosse très étroite, dont les limites sont parfois indiquées par la position des os : la scapula droite, de chant, et les os des pieds, superposés à la verticale, témoignent d'effets de paroi qui ne peuvent correspondre qu'à l'appui du corps contre le bord abrupt de la fosse.

Certains indices prouvent en outre que le volume initial du corps a été progressivement et très régulièrement colmaté par le sédiment environnant. Ainsi s'explique la préservation du volume thoracique originel : il s'agit là d'un fait tout à fait exceptionnel, la cage thoracique subissant très généralement un processus de "mise à plat" par exagération de l'obliquité naturelle des côtes. Ainsi s'explique aussi le maintien de l'os hyoïde en position anatomique, parfaitement centré dans l'arc mandibulaire ; la rotation de la tête le plaçait pourtant en situation de déséquilibre, d'autant plus que chez ce sujet, il était constitué de trois pièces non soudées (les grandes cornes et le corps) : après disparition des muscles péri-hyoïdiens, des attaches ligamentaires et des cartilages, il aurait dû se disloquer et tomber au voisinage du menton.

Ce processus de colmatage progressif des volumes libérés par la décomposition des parties molles n'est évidemment possible que lorsque le corps est lui-même déposé dans un espace colmaté, c'est-à-dire lorsqu'il s'agit d'une tombe en pleine terre.

La dépression dans laquelle avait été déposée la jeune femme semble avoir été en partie creusée dans le gravier volcanique qui constitue le sommet des basaltes locaux.

Au Nord-Ouest, le rachis reposait en partie contre un gros bloc de basalte. Ce bloc qui nous paraissait tout d'abord appartenir au substratum, se révéla, en fin de décapage, faire partie d'un tertre de pierre beaucoup plus important que celui qui recouvrait la sépulture 1 .

Après l'enlèvement complet des os de la jeune femme et le nettoyage de la fosse sépulcrale, ce deuxième cairn est apparu plus nettement contre la berme Nord-Ouest. Le nettoyage entre les blocs qui le composent fit alors apparaître de nouveaux ossements appartenant à un autre individu.

Il ne faisait dès lors aucun doute que nous nous trouvions en présence d'une autre sépulture. La mission de février 1996 a permis de confirmer cette hypothèse. Il s'agit d'une fosse cylindrique d'un mètre de diamètre et d'un mètre de profondeur contenant à sa base les restes en connexion atomique d'un homme âgé, inhumé en position contractée. La fosse a été ensuite comblée de blocs de basalte jusqu'à son sommet. Un relevé précis de cette troisième

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sépulture a été fait mais l'étude n'est pas encore amorcée au moment où ces lignes sont publiées.

5. L'INDUSTRIE LITHIQUE : APPROCHE TECHNOLOGIQUE ET TYPOLOGIQUE (G. GOURAUD)

Les fouilles d'Asa Koma ont livré un matériel lithique taillé abondant (15694 objets étudiés provenant des fouilles 1986-89). Ce débitage s'est effectué en quasi-exclusivité (plus de 99 %) à partir de l'obsidienne locale ou sub-locale mais dont le gîte précis reste ignoré.

5. 1. Observation du matériau

L'aspect présenté par cette obsidienne n'est pas uniforme : translucidité et brillant de surface coexistent avec cassure mate et voile superficiel. Cette hétérogénéité, mineure cependant, tient à deux facteurs principaux : origine différente (possible genèse distincte de la roche-support) et traitement du matériau.

Si la première hypothèse nécessite une longue enquête sur place, en revanche, la seconde ne requiert généralement qu'une observation de la roche. A l'évidence, une part importante du produit des fouilles est chauffée, mais jamais brûlée. Il est vraisemblable que cette élévation thermique a modifié un certain nombre des caractères présentés par cette roche. Une expérimentation est envisagée sur ce type de matériau. Quelles que soient les observations qui en découleront, il est certain que l'intensité du foyer était modérée (fumage, boucanage) ou que la roche taillée en question s'en trouvait isolée par une couche de sédiment. Les essais modernes portant sur la taille de l'obsidienne ont démontré qu'aucune amélioration sensible n'était apportée dans un traitement par la chaleur ; il apparaît donc nécessaire d'évoquer la possibilité d'une action involontaire qui pourrait d'ailleurs s'expliquer aisément par les conditions de dépôt (nombreuses traces de combustion dans les couches archéologiques).

Quelques éléments siliceux complètent la série lithique d'Asa Koma : mauvais matériau siliceux blanc laiteux ou jaunâtre, silex tuile claire opaque. On remarquera aussi un percuteur probablement en basalte et une cinquantaine d'éclats ou de galets de quartz dont au moins trois percuteurs témoignent d'une certaine utilisation.

5.2. Démarche du tailleur

La particularité essentielle du débitage est son extrême fragmentation, non par un taux d'esquilles plus important qu'ailleurs (encore qu'elles soient fort nombreuses) ou de débris, mais par le caractère aléatoire de la

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méthodologie proposée. Il apparaît vraisemblable en effet que la recherche de Г instrument souhaité, certes clairement perçue par le concepteur, n'a pas conduit le tailleur à planifier les enlèvements successifs. La notion d'économie du support semble inconnue, ceci malgré l'absence de matériau sur le site même. Est-il possible de suggérer d'ores et déjà une technologie défaillante ou oubliée ? Cette éventualité pourrait paraître envisageable après un premier regard sur l'industrie. Naturellement, la production du support s'effectuant au hasard du développement des fractures, il est bien évident que la part des lames et des produits laminaires se traduit dans les pourcentages par une inflation importante. La longueur moyenne est de 14 mm, les pièces dépassant 50 mm s'avérant exceptionnelles.

5.3. Produits de débitage

Ils représentent l'écrasante majorité des découvertes avec 91 % du total. Nous avons reconnu six percuteurs, les trois en quartz déjà signalés, un en roche siliceuse blanche, celui en basalte et un en obsidienne. Une extrémité de retouchoir, obtenue dans cette dernière roche, se remarque également. Une profonde retouche latérale associée indique une probable réutilisation (avant ou après sa fonction de retouchoir ?). La technique du débitage étant très fruste, il est normal de ne décompter que onze nucleus. Naturellement, dans un tel contexte, le nucleus unipolaire domine (7 sur 11), quatre nucleus visant la production d'éclats et trois de lamelles (fig. 6, n° 9 à 11). S'associent à ce groupe, un nucleus à enlèvements croisés plus ou moins circulaire et trois minuscules nucleus prismatiques angulaires.

Les lames à crête sont très rares, la série étudiée n'en comptant que trois. Toutefois, une belle lame à crête avec des enlèvements bilatéraux dénote une certaine tentative de production de lamelles (fig. 6, n° 6). Quelques microburins se signalent dans l'inventaire (17), certains à la configuration très classique ; toutefois même ces derniers présentent toujours une encoche débordante (fig. 6, n° 1 à 3). La plupart se sont développés lors d'une fracture dans la mise en forme de l'outil, en l'occurence ici lors de la conception du segment (fig. 6, n° 4 à 8).

5.4. Outillage commun

Les outils correspondent à 9 % de l'ensemble lithique mais la pièce esquillée (fig. 6, n° 12 à 16) et son déchet caractéristique, le bâtonnet (fig. 6, n° 17 à 22) représentent à eux seuls 7,32 %. Cette abondance (466 pièces esquillées et 683 bâtonnets) est surprenante et pose la question de la destination de ce type d'instrument. En effet, cette interrogation, si souvent posée, n'a en réalité jamais été totalement élucidée. Les stigmates les plus apparents font souvent considérer cet objet comme un chasse-lame, utilisé en

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Fig.6. Industrie en obsidienne. 1 à 5, 7 et 8 : microburins ; 6 : lame à crête ; 9 à 1 1 : nucleus ; 12 à 16 : pièces esquillées ; 17 à 22 : bâtonnets.

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Fig. 7. Industrie en obsidienne. 1 : grattoir ; 2 : perçoir ; 3 et 4 : éclats retouchés ; 5 et 6 : éclats tronqués ; 7 : racloir ; 8 : pointe à deux bord abattus ; 9 : bi-pointe ; 10 à 17 : segments : 18 : pointe foliacée.

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pièce intermédiaire entre le percuteur et la roche à débiter. Il est vraisemblable que cette interprétation demeure envisageable dans un certain nombre de cas, mais sur le site d'Asa Koma, cette éventualité nous semble peu probable. Interposer entre deux forces un matériau comme l'obsidienne, offrant aussi peu d'élasticité et de résistance, nous paraît assez surprenant pour ne pas dire illogique. Dans un autre domaine, on peut constater que la moitié des pièces esquillées possède quelques ressemblances avec certaines armatures tranchantes, mais il ne s'agit peut-être là que d'un phénomène de convergence morphologique. En tout état de cause d'autres arguments plus probants devront nécessairement étayer une telle hypothèse, car la moitié de ces instruments présente une épaisseur incompatible avec une arme de trait.

Le reste de l'outillage (1,71 % du total) se répartit à peu près à parts égales entre retouches semi-abruptes et retouches abruptes. Dans la première catégorie se trouve le plus grand nombre des outils communs et dans la seconde, tous les microlithes ainsi qu'une petite partie des éclats et des lames retouchées.

Les éclats ou courtes lames retouchés et tronqués (fig. 7, n° 3 à 6) constituent la part principale des outils communs (environ 60 %). On y trouve cependant quelques rares grattoirs (fig. 7, n° 1), trois perçoirs (fïg.7, n° 2) et un beau racloir latéral convexe sur lame (fig. 7, n° 7).

5. 5. Microlithes

L'intérêt principal du site gravite autour des microlithes, dont les segments représentent 94 % du groupe. Les seules armatures n'entrant pas dans ce cadre sont représentées par une pointe à deux bords abattus (fîg. 7, n° 8), deux bi-pointes dont l'une présente une extrémité brisée (fig. 7, n° 9) ainsi que deux pointes plus ou moins foliacées à extrémité apicale mousse (fig. 7, n° 18).

L'étude typologique des segments a donc porté sur 85 microlithes géométriques. Le côté retouché fut toujours travaillé avec soin, les microenlèvements étant particulièrement nombreux. Les retouches peuvent être directes (dans 45 % des cas, fig. 7, n° 10, 15, 17), rarement inverses (fig. 7, n° 14) mais surtout croisées (50 %, fig. 7, n° 11, 12, 13, 16). Ce type de retouches est vraisemblablement sur ce site, la conséquence d'une finition (et certainement même d'une fabrication) sur enclume, le martelage cherchant parfois très loin sur le support la rupture, ou plus exactement l'enlèvement envisagé (fig. 7, n° 11).

Quelques piquants-trièdres s'observent parfois sur l'une des pointes (ou les deux) du microlithe (fig. 7, n° 17) ; pourtant nous ne croyons pas ici (ainsi que nous l'avions laissé entendre lors de l'observation des microburins) à

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l'application de la méthode pour parvenir au microlithe, mais plutôt à la fracture accidentelle lors de la mise en forme de celui-ci.

Il est possible de reconnaître quelques caractères typologiques qui permettront de sérier ce groupe si les séries futures justifient cette option. Ainsi la courbure de la troncature peut-elle être évoquée, de même que la présence d'un angle ouvert. Par ailleurs, quelques segments possèdent un petit groupe de retouches sur la corde, etc.. Pour l'heure, il nous semble cependant beaucoup plus significatif de souligner la seule démarche pratique des tailleurs d'Asa Koma. Une distinction typologique sera naturellement nécessaire dans l'avenir, mais en l'état embryonnaire actuel des études sur le microlithisme de l'Est de l'Afrique, cette détermination nous semble bien prématurée.

5.6. Conclusion

Ainsi, la production d'une armature bien standardisée destinée à la pêche et/ou à la chasse constitue l'objectif quasi-exclusif de ce débitage très abondant. La stratégie primaire de cette opération surprend l'analyste. La matière première était-elle si pléthorique pour s'en montrer si dispendieux ? Pourtant l'obsidienne n'est pas présente sur le site même. Les gestes méthodiques de l'artisan étaient-ils oubliés ? La belle lame à crête, même si elle semble isolée, prouve qu'il n'en était rien ! Techniquement, une réalité s'impose, la roche était éclatée à l'aide d'un percuteur dur, après des degrés de préparation divers, mais le plus souvent assez rudimentaires, puis le choix du support-outil s'opérait parmi ces éclats souvents courts, réfléchis ou brisés lors du clivage.

Il est un point à souligner : il s'agit de l'étonnante profusion de la pièce esquillée. Aucune explication n'apparaît actuellement pleinement satisfaisante. Dès lors, il conviendra d'être particulièrement attentif sur ce point typologique lors de l'établissement (ou de la lecture) des inventaires qui traiteront de découvertes chronologiquement comparables.

6. ÉTUDE PRÉLIMINAIRE DE LA CÉRAMIQUE ( X. GUTHERZ)

Nous évoquerons ici les principaux traits techniques et typologiques qui caractérisent la céramique néolithique d'Asa Koma dans son ensemble. Le terme néolithique désigne ici l'occupation la plus ancienne de la butte volcanique, celle qui correspond aux dépôts limoneux stratifiés riches en ossements de poissons.

Il faut préciser en effet que d'autres fragments de poterie ont été découverts en surface à l'intérieur ou à proximité de constructions en pierre sèche et semblent se rapporter à une ou plusieurs périodes plus récentes. Ils sont probablement à mettre en relation avec certaines des structures bâties évoquées ci-dessus. Plusieurs d'entre eux présentent des caractères techniques

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ou morphologiques qui les distinguent nettement des poteries néolithiques. L'un de ces caractères, particulièrement discriminant, est l'absence totale d'élément de préhension dans le mobilier néolithique alors que dans plusieurs cas les céramiques considérées comme plus récentes portent des languettes perforées ou des anses en boudin horizontales que nous retrouvons d'ailleurs dans les villages à cases de pierre comme Handoga (Rép. de Djibouti).

Nous savons que le site néolithique a connu une occupation relativement longue, à défaut d'être continue, comme en témoignent la superposition des dépôts stratifiés et la présence un peu partout de petites fosses remaniant les dépôts antérieurs. Nous avons souligné plus haut combien il paraît difficile d'établir une chronotypologie évolutive de la céramique sauf peut-être sur des espaces extrêmement limités où les couches successives n'ont pas été perturbées. Mais dans ces rares cas, l'échantillonnage paraît insuffisant pour avoir une valeur statistique. Nous considérerons donc dans l'immédiat l'important stock de tessons recueillis en couche comme appartenant à un seul ensemble. D'ailleurs, à première vue, il n'est pas rare de trouver, aussi bien vers le sommet des dépôts qu'au milieu où à la base, les mêmes techniques et les mêmes motifs ornementaux. Ceci demandera cependant quelques vérifications d'ordre quantitatif.

6.1. Technologie

La technologie de la céramique sera abordée de façon détaillée dans un proche avenir et elle sera accompagnée de déterminations pétrographiques sur les pâtes et dégraissants. On précisera toutefois ici que les poteries d'Asa Koma sont dans l'ensemble bien cuites, finement dégraissées, à pâte sombre et couleur externe allant du noir au chamois clair en passant par toutes les nuances du brun. De nombreux tessons laissent très nettement apparaître des cassures en biseau suivant un plan horizontal qui indiquent un montage par superposition de rubans de pâte à section losangique ou triangulaire. Cette technique de montage et de façonnage des "colombins" est tout à fait caractéristique de cette production. Les surfaces externes sont généralement lissées et régulières, voire soigneusement polies alors que les surfaces internes conservent parfois les traces du modelage, sans régularisation.

6.2. Morphologie

Malgré l'abondance des tessons et bien qu'ils soient très souvent ornés, ce qui facilite en général les rapprochements, très peu de collages ont pu être réalisés. Aussi ne peut-on disposer d'un catalogue de formes complètes.

Des caractères généraux se dégagent cependant. Les formes sont simples, arrondies ; tous les fonds sont convexes, parfois légèrement coniques. Les

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rares restitutions graphiques de formes complètes qui ont pu être réalisées font apparaître au moins deux types de récipients : • des pots de forme ovoïde hauts de 20 à 30 cm pour un diamètre à l'ouverture de 10 à 20 cm • des coupes en calotte de faible hauteur (5 cm) et de diamètre à l'ouverture variant de 10 à 15 cm. On ne connaît - en outre - que le tiers supérieur de quelques récipients de volume moyen possédant un bord rectiligne convergent formant une sorte de col tronconique court posé sur une panse probablement cylindrique ou ovoïde.

C'est à peu près tout ce que l'on peut dire dans l'état actuel de l'étude pour la typologie des formes complètes. On observera qu'il n'existe apparemment aucun récipient de contenance supérieure à 7 ou 8 litres. On peut souligner un autre caractère morphologique récurrent qui est l'amincissement de l'extrémité des lèvres, fréquemment ogivales. En dehors de cette partie du vase qui peut être très fine (jusqu'à 2 mm d'épaisseur) dans l'ensemble les parois sont relativement épaisses, même pour les petites coupes en calotte (entre 5 et 10 mm). Rappelons ici qu'il n'existe aucun élément de préhension.

6.3. Ornementation

La céramique néolithique d'Asa Koma est une céramique systématiquement décorée et la grande variété des techniques mises en oeuvre n'a d'égale que la variété des compositions décoratives. Tous les décors sont des décors en creux : impressions et incisions.

La panoplie d'outils utilisés est assez étendue et il n'est pas toujours facile de reconnaître ou d'imaginer la nature de l'outil qui a servi à décorer. Parmi les outils identifiables à travers la forme des impressions obtenues dans la pâte encore humide, on citera les peignes (avec plusieurs types et plusieurs tailles), les bords de coquilles (essentiellement le cardium dont on a d'ailleurs trouvé plusieurs valves dans le gisement), les baguettes demi-rondes, rondes, à section ovalaire ou réniforme, les tiges creuses, les pointes bifides ainsi que des outils à pointe mousse ayant servi à tracer des cannelures, ou à extrémité plus aiguë pour le tracé des incisions linéaires profondes.

En dehors des lèvres crénelées qui sont assez fréquentes, les décors sont exécutés sur le tiers supérieur de la panse, mais il arrive fréquemment que des bandes ornées verticales descendent jusqu'au bas de la panse ou tout au moins jusqu'à mi-hauteur du vase. Il est difficile sauf dans de rares cas, notamment celui d'un vase ovoïde reconstitué, d'observer la disposition des décors sur toute leur étendue.

Sur plus d'un millier de tessons ornés, dont l'analyse exhaustive reste à faire, on peut observer qu'aucun vase ne semble posséder de décor couvrant la totalité de la paroi. Ces décors sont organisés en panneaux d'impressions ou

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d'incisions formant des carrés, des rectangles ou des bandeaux qui peuvent être marges ou non. Il existe aussi des triangles ornés disposés en damiers, des hachures croisées, des lignes de chevrons simples ou emboîtés. Les zones non décorées entre les panneaux sont plus ou moins étendues. Les panneaux horizontaux semblent les plus fréquents mais les panneaux verticaux sont bien représentés ainsi que les panneaux obliques.

Il existe de nombreux cas de figure dans l'organisation interne des panneaux et on se reportera pour plus de commodité aux figures regroupant des exemples de ces divers modes d'organisation.

Alors que les décors au peigne ou à la coquille (fig. 8 et 9) sont fréquents, l'impression pivotante ne semble pas, à première vue, avoir été pratiquée. De même, il faut noter l'absence de wavy Une ou de dotted wavy line, signalées comme décors caractéristiques du Néolithique de la région de Khartoum beaucoup plus ancien que les poteries d'Asa Koma. Signalons enfin comme dernier trait caractéristique les associations fréquentes sur un même vase de plusieurs techniques d'impressions et de plusieurs motifs juxtaposés. Rappelons également l'absence totale de décor en relief.

6.4. Comparaisons

Dans l'état actuel des recherches, l'abondante série céramique d'Asa Koma, malheureusement très fragmentée, ne peut être comparée à aucun autre ensemble comtemporain ou subcontemporain dans la Corne de l'Afrique. Les quelques céramiques décorées trouvées à Djibouti en prospection de surface ou en fouille sur le site à amas coquilliers d'Asa Ragid et sur les sites voisins, tous localisés au fond du Ghoubet, au Sud de Dankalelo, sont en nombre encore très réduit. On notera toutefois sur quelques tessons de petite taille l'utilisation du peigne pour réaliser des bandes horizontales de hachures obliques marginées, quelques lignes au peigne isolées, des groupes d'impressions triangulaires, des cannelures fines. Ces céramiques seraient peut-être à attribuer d'après la datation absolue effectuée sur coquilles à une phase nettement antérieure à celle qui est représentée à Asa Koma (Asa Ragid : 5860 ±110 B.P. soit 5075-4540 av. J.-C. Asa Koma : 3440 ± 90 B.P. soit 2000-1565 av. J.-C. et 3510 ± 70 B.P. soit 2091-1660 av. J.-C, ces deux dernières dates sur charbons de bois), cependant, il n'y a aucune certitude affirmée quant à la stricte contemporanéité des tessons décorés trouvés à proximité de l'amas sondé d'où proviennent les coquilles utilisées pour la datation, d'autant plus que ces coquilles proviennent de la base de l'amas qui ne contenait pas de céramique. Les rares ensembles contemporains provenant de grottes ou abris du plateau éthiopien sont très peu fournis et pour la plupart inédits. Il faut toutefois mentionner quelques tessons de poterie (inédits) recueillis par Bailloud au cours de sondages dans des cavités du Harar qui

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Fig. 8. Formes et décors céramiques : décors au peigne, impressions et incisions.

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Fig. 9. Décors au peigne ou à la coquille et incisions linéaires courtes.

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pourraient être sensiblement contemporains de ceux d'Asa Koma. Ils présentent des décors apparentés. Un tesson provenant du site de Mahal Teglinos, près de Kassala, dans l'Est du Soudan (Fattovich 1989), présente un décor de rubans verticaux hachurés qui rappelle un motif présent à Asa Koma, mais il ne s'agit que d'un seul tesson.

C'est dire combien l'exceptionnelle série d'Asa Koma prend désormais valeur de référence pour le début du 2ème millénaire dans la Corne de l'Afrique.

7. LES ÉLÉMENTS DE PARURE (S. AMBLARD)

7. 1. Les grains d'enfilage

Les grains d'enfilage ont été essentiellement façonnés dans des coquilles d'oeuf d'autruche. Répartis dans tous les secteurs et niveaux fouillés, les tests se présentent sous différents aspects témoignant de leur transformation en éléments de parure sur place : 404 grains d'enfilage, 76 disques, 227 tests ne portant pas de marque d'intervention humaine et 2 fragments aménagés.

Les disques ont un diamètre moyen de 11 mm équivalent à celui des grains d'enfilage terminés (10 mm). Les contours ont été aménagés par petits enlèvements abrupts ou obliques, en quasi-totalité unifaciaux, affectant à 95 % la face interne de la coquille. Certains sont, sans conteste, des ébauches de perles avec début de perforation centrale ou traces de raclage sur la face interne de la coquille à l'emplacement de la perforation.

Les rondelles d'enfilage (dont plus de la moitié sont fracturées) ont des perforations à 82 % biconiques. Une pièce de grandes dimensions (13,5 x 13 x 2 mm) se distingue par la présence de deux perforations. Les contours ont été retouchés unifacialement et à 83 % sur la face interne. 1 1 % des pièces portent des retouches bifaciales. Leur polissage - loin d'affecter tous les grains d'enfilage - s'effectuait le plus souvent après perforation : 23 1 grains d'enfilage ont leurs contours polis et seulement 8 disques. Ce polissage, plus ou moins fin, n'a pas toujours effacé les retouches qui s'observent encore sur plus de la moitié des pièces. Le bord en biseau, conséquence des retouches unifaciales, reste presque toujours visible après cette opération de polissage ; il témoigne plutôt d'une action isolée de frottement, inclinée par rapport à la surface du grain d'enfilage, que de l'usage de pierres à rainures pour le calibrage des rondelles d'enfilage .

Si la majorité des grains d'enfilage et des disques est de couleur ivoirine (couleur naturelle de l'œuf d'autruche, avec une surface d'aspect lisse), certains sont blancs, gris plus ou moins foncé, marron, noir et même moirés.

6 Le frottement de la rainure étant à l'origine d'anneaux à section transversale rectangulaire (Camps-Fabrer, 1966)

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Cette palette de couleurs étendue et les variations d'épaisseur (de 1,1 mm à 2,5 mm) ne sont pas uniquement naturelles (en fonction de la sous-espèce ou de la partie de la coquille utilisée), mais peuvent aussi résulter d'une intervention de l'artisan à des fins esthétiques. Ainsi "certains disques en œuf d'autruche ont été amincis par usure de la couche des gros cristaux de calcite en chevrons (partie externe de la coquille). Par ailleurs, après abrasion de la partie externe de la coquille, la couche de cristaux plus translucide (zone interne) a été soigneusement polie pour obtenir un effet de moiré. De plus, un "décor" a peut être été ébauché par micro-piquetage, comme le laissent envisager les traces d'impacts juxtaposés formant des tâches sub-circulaires qui contrastent avec le polissage du reste de la surface du disque. Leur disposition et leur nombre excluent toute similitude avec une ébauche de perforation" (Person, Amblard, 1994 : 83).

Les 40 grains d'enfilage et 6 disques en coquillage et en os recueillis sont de même forme que ceux aménagés dans les coquilles d'oeuf d'autruche. Ils présentent une surface d'aspect crayeux et de couleur blanche, voire jaunâtre. Leur épaisseur moyenne est de 1,7 mm et leur diamètre de 9 mm, légèrement inférieur à ces derniers. Leurs contours polis plus ou moins finement, portent des petites retouches unifaciales, affectant à 82 % la face interne. La perforation est le plus souvent bifaciale. L'identification des coquilles n'a été possible que pour trois perles obtenues à partir de coquilles de mollusques restées entières. La première a été aménagée à partir de l'apex d'un gastéropode détaché puis perforé sur 12 mm de façon unifaciale en son centre. La seconde, aux contours soigneusement polis, a été découpée dans une coquille de Conus (fig. 10, D), perforée sur sa face interne. La troisième a été réalisée dans un fragment de coquille nacrée perforée sur sa face externe sur 1,3 mm.

7.2. Les pendeloques

Les pendeloques ont été élaborées à partir de tests de mollusques aquatiques. Une pièce en oeuf d'autruche, circulaire (12 x 12 mm), à perforation conique irrégulière, très décentrée, s'y ajoute. Les coquillages, identifiés par Cataliotti4, regroupent des espèces appartenant à l'aire Indo- Pacifique vivant actuellement dans la région érythréenne. Elles sont soit de provenance dulçaquicole - Unio sp. -, soit d'origine marine - Nerita sp., Engina mendicaria (L.), Columbella sp., Anadara antiquata (L.) et Pteriidae. Selon Cataliotti, seuls les Anadara et les Unio ont un usage alimentaire et tous les spécimens ont été percés artificiellement.

7 Détermination Wim Van Neer ; technique de fabrication décrite par A. Gautier, 1978. 4 J. Cataliotti, in litteris 23.5.91.

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Illustration non autorisée à la diffusion

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Fig 10. Elements de parure en coquillage. A : Nerita ; В : Engina mendicaria (L) ; С : Columbella sp. ; D : Conus ; E : Unio. Echelle graduée en cm. Cliché S. Amblard.

Parmi les quatre Unio sp., un seul est entier. Ils ont été percés sur le dos, à partir de la face externe. Sur deux pièces, le pourtour de la perforation a été abrasé (fig. 10, E), témoignant de la préparation du dos de la coquille avant son percement. Deux des trois Nerita sp. sont entières (fig. 10, A) percées sur le dos. Sur l'une des coquilles, l'on constate également un aménagement par frottement de la surface avant perforation. Les sept Engina mendicaria (L.) ont également été percées sur le dos (fig. 10, B). Les perforations sont circulaires ou ovalaires. Un individu a une lèvre usée. Une Columbella sp. (fig. 10, С) possède, sur le dos, une perforation circulaire. L'une des valves ďAnadara antiquata (L.) porte des traces d'usure sur le test et sur ses bords ventral et postérieur ; son sommet a été percé côté dorsal, entraînant la disparition du crochet. L'autre pièce est une pendeloque en cours d'élaboration comme en témoignent son sommet à peine percé et la strie encerclant la zone à perforer autour de l'emplacement du crochet disparu. Un fragment de Pterida (fig. 10, F) a été transformé par une perforation rectiligne en une pendeloque allongée au sommet arrondi et aux bords polis. Enfin, un fragment de lamellibranche5 (fig. 11, G) a été utilisé pour façonner une pendeloque de forme ovale allongée, finement polie sur ses faces et son pourtour.

Détermination Alain Person.

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7.3. Le bracelet

II s'agit d'un fragment en quartz blanc, à section ovale (1,5 x 1,7 cm). Ses faibles dimensions (diam. externe estimé à 5 cm et intérieur à 3,5 cm) en font soit un bracelet d'enfant, soit un fragment d'anneau ouvert.

7.4. Le labret

Un labret en os (fig. 11, H) se rattache au type 54 de Camps-Fabrer (1968). Il est fracturé en biais mais sa longueur est entière (3,4 cm). Ce cylindre presque parfait (0,7 x 0,6 cm) est entièrement poli. Son extrémité non fracturée est tronquée par une surface piano-convexe finement polie.

7.5. Conclusion

La variété de ces éléments de parure témoigne d'un souci esthétique bien développé parmi les habitants d'Asa Koma. Grains d'enfilage, pendeloques, bracelet et labret sont ainsi présents. Mis à part le bracelet, ils ont été façonnés dans des matières premières d'origine biologique (oeuf d'autruche, coquillage et os). L'abondance apparente des grains d'enfilage ne doit cependant pas tromper. En effet, les quelques 450 grains d'enfilage recueillis ne correspondent en réalité qu'à environ deux tours de cou.

8. L'OUTILLAGE EN OS (S. AMBLARD)

Les huit outils en os8, découverts à différents niveaux de la fouille, sont tous des objets perforants.

Deux pointes (fig. 1 1, A et B), fracturées à la base, se rattachent au type 47 de Camps-Fabrer (1968) qui regroupe les "pointes de sagaie". L'une d'entre elles porte des traces sombres liées à l'action du feu. Elles ont été finement polies sur la face supérieure et sur les bords, le canal médullaire restant visible sur l'autre face. Elles mesurent respectivement 7,8 x 2 x 0,4 cm et 6,7 (7,2 : pointe fracturée) x 1,2 x 0,4 cm. La plus grande possède une robuste extrémité distale à section ovalaire, légèrement ébréchée, aménagée par polissage. L'autre pointe est biseautée sur 4 mm de large sur l'un des côtés. Une troisième pièce (fig. 1 1, С), fracturée à la base et à la pointe, se rattache à ce groupe.

Deux extrémités distales de poinçon (fig. 1 1, D et E) à pointes de section triangulaire, sont difficilement attribuables à un type précis. Elles sont polies sur toute leur surface, sauf sur la face inférieure de l'une des pièces où le canal médullaire est visible.

8 Dont deux pointes à section cylindrique recueillies au cours de la dernière campagne (X. Gutherz in litteris 9.01.95) qui n'ont pas encore été acheminées en France pour étude.

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Illustration non autorisée à la diffusion

Le site d'Asa Koma 283

Fig. 1 1 . Outillage en os : pointes de sagaie (a, b, c), poinçons (d, e) et épingle à tête globuleuse (f). Element de parure : pendeloque sur fragment de lamellibranche (g) et labret en os (h). Dessin M. Bathily.

\

W

Ш

D

H

I t. \J

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284 X.GUTHERZ, R. JOUSSAUME, S. AMBLARD, GUEDDA MOHAMED

Une épingle à tête globuleuse (fig. 11, F) correspond au type 35 de Camps-Fabrer. Polie, elle est fracturée à l'une de ses extrémités, mais encore longue de 5,5 cm. Sa section est circulaire (4,7 x 4,7 mm). La tête de l'épingle est matérialisée par une boule, bien dégagée du fût par une rainure double. Le sommet est piano-convexe.

9. LE MATERIEL DE BROYAGE (S.AMBLARD)

9. 1. Les broyeurs

L'étude a porté sur 60 pièces en basalte recueillies à différents niveaux, un bon nombre gisant en surface. 24 broyeurs sont fracturés. Deux types se distinguent. Le premier regroupe six molettes de forme circulaire, aplatie, dont le diamètre est inférieur à 7 cm (3,3-6,8 cm) et l'épaisseur varie entre 1,7 et 3,5 cm. Leur section transversale est rectangulaire à angles arrondis. Elles ont été utilisées sur une ou deux faces, voire sur leur pourtour (utilisation de chant). Trois, dont deux réutilisées en poids de filet, sont fracturées.

Le second type réunit des pièces de forme ovale et de plus grandes dimensions. Leur longueur moyenne est de 10 cm (7,8-12,6 cm), leur largeur de 9 cm (5,3-10,8 cm) et leur épaisseur de 5 cm (2,6-7,2 cm). Le basalte dans lequel elles ont été façonnées est d'aspect plus vacuole que celui qui a servi aux petites molettes. Une proportion à peu près équivalente de pièces a été utilisée sur une ou deux faces ; ces faces actives sont planes voire, en de rares cas, très légèrement convexes. La section trapézoïdale à angles arrondis de la quasi-totalité de ces pièces résulte de la disposition inclinée l'une vers l'autre des deux grandes faces . Cette caractéristique en fait des outils offrant une bonne préhension pour la main ; elle se trouve renforcée sur de nombreuses pièces par la présence d'encoches, patinées, où les doigts se placent naturellement lorsque l'on saisit le broyeur.

9.2. Les meules

Le site renferme plusieurs centaines de meules, toutes retrouvées à l'état de fragments. Elles ont souvent été réutilisées comme pierres de foyer ou dans le comblement des fosses sépulcrales. Cette utilisation de meules fracturées en rapport avec le monde de la mort peut être revêtue d'une signification symbolique.

Leur étude technologique n'a pas encore été réalisée, mais des observations au cours des différentes campagnes, jointes à leur examen sommaire par Laporte permettent cependant d'en dégager un premier aperçu.

7 Différence entre épaisseurs maximale et minimale en moyenne de 22 mm sur chaque broyeur. 9 X. Gutherz et L. Laporte, 1994. Mission archéologique en République de Djibouti. 15

novembre - 8 décembre 1994. Rapport de mission. Manuscrit inédit.

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Le site d' Asa Koma 285

La plupart ont été réalisées dans un basalte vacuolaire. Laporte a noté la présence de meules plates et d'autres taillées dans des blocs plus volumineux et souvent mal dégrossis, à cuvette de broyage plus prononcée. Certaines meules présenteraient aussi deux cuvettes aménagées sur leurs faces opposées. Il nous semble qu'il conviendrait de vérifier si les meules à cuvette prononcée correspondent à un type particulier ou simplement à un degré d'usure plus avancé des ensellements des meules plates ; la surface polie de la cuvette que Laporte signale comme se prolongeant parfois par une surface plane sur les bords de la cuvette pourrait en être un témoignage.

Broyeurs et meules attestent, par leur nombre, d'activités de broyage importantes. Mais, en l'état actuel de nos connaissances, seules des hypothèses peuvent être émises en ce qui concerne les matières qui ont été broyées. La fabrication de farine de poisson a été envisagée. Elle s'appuie sur l'extrême abondance des ossements de tilapie dans le gisement et sur l'éventualité de séchage du poisson (à température ambiante ou sur des structures aménagées au-dessus des foyers). Cependant, l'absence de vertèbres et d'arêtes brisées dans les restes ichtyologiques analysés par Van Neer va à l'encontre de cette suggestion, à moins que l'on ait séché ou boucané seulement les filets des poissons. L'usage le plus courant de ce type de matériel reste celui du broyage de graminées. Et, malgré l'absence actuelle de témoignages végétaux (sauvages ou domestiqués) susceptibles d'avoir été transformés ainsi, cette hypothèse nous semble, en l'occurence, la plus plausible ; les habitants d'Asa Koma auraient ainsi pu disposer de préparations végétales en complément de leur alimentation carnée.

10. LES POIDS DE FILET (S. AMBLARD)

Les huit poids de filet étudiés sont en basalte plus ou moins vacuole. Une rainure rectiligne à gorge large en U, disposée bien au centre de la pièce, délimite deux lobes égaux. Elle est très patinée par l'usure, mais l'on n'y observe aucune trace de friction. Elle mesure de 5,9 à 10,8 cm de long, 0,9 à 2,2 cm de large et 0,2 à 0,4 cm de profondeur. Sauf dans un cas où elle se termine en fuseau large au bord de la pièce, la rainure se poursuit également, à chacune de ses extrémités, sur le côté du support.

Un poids de filet, réalisé sur un galet plat, porte deux rainures parallèles qui le traversent sur toute sa largeur, affectant également les bords. Mise à part cette pièce, les poids de filet ont été aménagés à partir de broyeurs ovalaires à une ou deux faces anciennement actives, inclinées l'une vers l'autre. Ils mesurent de 9,2 à 11,4 cm de long, 7,4 à 10,5 cm de large et 2,8 à 6 cm d'épaisseur maximale. Des fractures affectant également la rainure témoignent de leur façonnage à partir de broyeurs entiers.

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286 X.Gutherz, R. Joussaume, S. Amblard, Guedda Mohamed

La présence de poids de filet à Asa Koma n'a rien d'étonnant au regard de l'extrême abondance des vestiges osseux de poissons. Elle explique ainsi l'absence d'hameçons, suggérant une technique de type pêche à la senne dans les eaux peu profondes qui entouraient la butte d'Asa Koma à l'époque de son occupation.

1 1. LES POISSONS D'ASA KOMA ( W. VAN NEER)

Grâce au tamisage du sédiment des milliers d'ossements de poissons ont été récoltés dans les aires d'occupation. Ceux-ci se rapportent à deux taxons seulement : un poisson-chat (genre Clarias) et une tilapie (tribu Tilapiini).

Actuellement le lac n'est habité que par des bactéries et des algues. Ce n'est que près de certaines sources et à l'entrée de Y Awash que des poissons peuvent survivre. Il s'agit de deux espèces qui sont bien adaptées à la salinité élevée (Lachérade 1975) : 1 - Les Aphanius darrorensis qui sont des poissons de petite taille (4-5 cm) de la famille des Cyprinodontidae vivant dans les sources chaudes du lac Abbé. Le fait que l'on ne retrouve pas cette espèce dans les échantillons fauniques peut être dû à ce que leurs ossements se préservent mal. De plus il est peu probable que ce petit poisson ait eu une grande importance alimentaire. 2 - Les Tilapies. L'espèce typique des eaux salées de cette partie de l'Afrique est Danakiliafranchettii. Comme toutes les autres tilapies, cette espèce est très estimée comme nourriture.

Le poisson-chat Clarias n'a pas encore été rapporté vivant dans les eaux marginales du lac. Sa tolérance à la salinité est beaucoup moins élevée que pour les deux espèces précédentes. Des cadavres de poisson-chat ont été rapportés de la bordure du lac, mais on ne sait pas s'ils s'agit de restes anciens ou récents. Le fait qu'on trouve dans les ensembles fauniques d'Asa Koma des ossements de Clarias indique que la salinité était plus basse il y a 4000 ans qu'aujourd'hui. L'absence d'autres espèces et la prédominance des tilapies indiquent que les conditions hydrologiques n'étaient que légèrement meilleures qu'aujourd'hui.

Il est difficile de reconstituer les techniques de pêche mais la présence de poids de filet {cf. Amblard, supra) nous éclaire sur l'une des techniques possibles de capture du poisson. Les tilapies ainsi que les Clarias fréquentent beaucoup les eaux peu profondes et il est probable qu'ils ont été capturés à ces endroits. Pendant la période de reproduction, les géniteurs se trouvent près des rivages et sont encore plus faciles à capturer.

Parmi les méthodes de préparation des poissons, peu d'indices sont disponibles jusqu'à présent. La température ambiante ainsi que l'aridité étaient aptes à un séchage facile. Sur un assez grand nombre d'ossements des traces de feu sont visibles. Celles-ci peuvent être interprétées comme des traces de

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Le site d' Asa Koma 287

préparation pour une consommation immédiate ou indiquent le fumage du poisson.

12. ANALYSE ANTHRACOLOGIQUE DU SITE D'AS A KOMA (I. THIAM EL HADJI ET S. THIÉBAULT)

12.1. Introduction

Une première approche de la végétation d'il y a environ 4000 ans est rendue possible par l'analyse des charbons de bois retrouvés dans l'habitat. Cette approche a été réalisée par l'un de nous (T.E.H.) dans le cadre d'un D.E.A. (1994).

Les charbons de bois issus des différents sondages archéologiques ont fait l'objet d'une identification au microscope optique à réflexion, après cassure manuelle, observation des trois plans anatomiques du bois : transversal, longitudinal-tangentiel et longitudinal-radial. Ils ont fait l'objet de comparaisons avec les atlas d'anatomie du bois (Normand, 1950 ; Couvert, 1970 ; Deschamps, 1971 ; Otto, 1993 ; Koeniguer, 1972 ; Neumann, 1989) et les collections de bois actuels carbonisés (les collections de référence qui ont servi à Thiam el Hadji sont constituées d'espèces venant de régions proches mais malheureusement pas de Djibouti même).

12.2. Les résultats de l'analyse

Un nombre de 5132 fragments a été étudié. Ils proviennent de différents sondages effectués lors des campagnes de 1988 et 1989. La plupart des prélèvements effectués en 1988 sont issus du foyer du sondage 3.1. Les identifications ont permis la reconnaissance de 11 taxons appartenant à 6 familles. Les Chénopodiacés sont sans conteste la famille la plus fréquemment représentée. Ces petits ligneux ont consitué un combustible abondamment employé. Les différentes espèces reconnues, à savoir Atriplex sp., Suaeda sp., Salsola sp., Arthrocnemum sp., sont de petits buissons qui se développent sur sols salés dans les régions arides ou semi-arides en position riveraine ou littorale. Les ligneux composant la strate arbustive sont reconnus dans les sondages 3.1 et 3.2. ainsi que dans les prélèvements de 1989. Mis à part Salvadora et Maerua, ils sont assez peu fréquents.

12. 3. Interprétation

Dans le but de comprendre et d'interpréter la présence sur ce site d'espèces aujourd'hui disparues ainsi que la présence importante des Chénopodiacées d'une part, la rareté des plus grands ligneux mis à part Salvadora d'autre part, il convient d'envisager plusieurs hypothèses.

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288 X.GUTHERZ, R. JOUSSAUME, S. AMBLARD, GUEDDA MOHAMED

Fig. 12. Débombrement des identifications des charbons de bois issus des sondages ďAsa Koma (Thiam El Hadji, I. 1994)

Acacia sp. Arthrocnemum sp. Alriplex sp. Grewia sp. Ugumineuse Maerua crassifolia Salicornla sp. Salsola sp. Salvadora cf. persica Suaedae sp. Ziziphus sp. iotal:5132

Acacia sp. Arthrocnemum sp. Atriplexsp. Grewia sp. Légumineuse Maerua crassifolia Salicornia sp. Salsola sp. Salvadora cf. persica Suaedae sp. Ziziphus sp. total: 5132

AK-88 S.l-déc.2

1

3 40

14

58

S.3-O-déc.3

2

8 2

24

36

S.3-O-déc.4

7

3

40

50

S.3-l-déc2 foyer

5

73 30

145 1

254

S.3-l-déc.2-3 foyer

3 868

1

872

S.3-l-ddc.2-3-4-5 foyer

66

4

4 22

96

AK89 S.2-C.3

3

248 22

2 1

28 363

1 1 668

S.2-dcc.4

1

69

135 37

78

320

S.2-déci

28 10

17

303

358

S.3-déc.2

14 2 4

2

43 1

66

S.3-déc.2.3.4.

190

7 919

N16

B.2

613

6 9 1

88

717

T(3O-4Ocm)

453

453

S.3-2 foyer

1 11 36

1

3

13

1 66

S.3 déc2b

2

2

Fig 13. Dénombrement et pourcentages des familles botaniques identifiées dans les charbons de bois d'Asa Koma (Thiam El Hadji, 1. 1994)

Famille

Capparidaceae Chenopodiaceae Leguminoseae Rhamnaceae Salvadoraceae Tiliaceae

Fragments N

263 3707 14 3

1110 35

5132

% 5,1% 72,2% 0,3% 0,1% 21,6% 0,7%

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Le site d' Asa Koma 289

La première voudrait que le combustible ramassé ne l'ait pas été in situ ou alors qu'il ne soit pas contemporain de la fréquentation du site. Il s'agirait donc d'un ramassage de bois mort. Cette hypothèse est corroborée par la présence de champignons dans les vaisseaux du bois. Il se peut, cependant, que le bois ait été coupé, stocké puis séché avant sa combustion ; à moins qu'il ne s'agisse de bois flotté, collecté sur les rives du lac.

La seconde hypothèse propose un ramassage des bois sur une longue distance en bordure des oueds asséchés. Au vu de la faible qualité calorifique des espèces identifiées et de l'éloignement probable des aires d'approvisionnement potentiel, cette hypothèse n'est guère recevable. La faible représentation des Ziziphus et des Acacias est mise en corrélation avec leur absence autour du site lors de l'occupation, absence dont l'origine serait climatique ou bien liée à la surexploitation de ces essences par l'homme ou le bétail, contrairement à Salvadora, qui, présent dans des proportions significatives, n'aurait été exploité que comme combustible.

Enfin, une hypothèse, plus archéobotanique, peut être proposée. Les Chénopodiacées et Salvadora auraient servi préférentiellement de combustible en raison de l'utilisation de leur cendre : Suaeda et Salsola étant, et cela encore de nos jours, employés pour la lessive, Salvadora et Salicornia utilisés comme sel. Selon une communication orale de Audru, on pourrait mettre en relation l'utilisation des cendres de ces deux dernières espèces et la consommation de poisson par les occupants du site, ce qui confirmerait l'hypothèse d'une occupation saisonnière en relation avec des activités de pêche.

En conclusion les premières analyses anthracologiques effectuées sur le site d'Asa Koma montrent un milieu essentiellement steppique dans lequel les Chénopodiacées et Salvadoracées sont très largement utilisées comme combustible. La présence de ces espèces peut traduire des conditions plus favorables au Néolithique qu'à l'Actuel à moins qu'elles aient été ramassées à l'état de bois mort comme le suggère la présence de champignons dans les cellules ligneuses. L'hypothèse d'une récolte dirigée des Chénopodiacées pour la lessive et des Salicornes et Salvadora pour le sel, liée à des activités de pêche est très séduisante et ne peut pas être écartée, bien qu'il reste encore à la prouver.

13. ÉTUDE PALYNOLOGIQUE DE TROIS ÉCHANTILLONS PROVENANT DES SONDAGES DE 1988 (R. BONNEFILLE)

Trois sacs de prélèvements de sédiments effectués en 1988 ont été traités par filtration aux ultra-sons et ont livré le spectre polynique suivant :

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290 X.GUTHERZ, R. JOUSSAUME, S. AMBLARD, GUEDDA MOHAMED

Familles : Amaranthaceae Amaranthaceae Amaranthaceae / Burseraceae Capparidaceae Chenopodiaceae Combretaceae Commelinaceae Compositae Cyperaceae Euphorbiaceae Euphorbiaceae Gramineae Labiabae Loranthaceae Mimosoideae Mimosoïdeae Moraceae Nyctaginaceae Podocarpaceae Rhamnaceae Sapindaceae Salvadoraceae Tamaricaceae Thyphaceae Vitaceae Zygophyllaceae Indéterminé

type Achyrantes aspera type Celosia trigyna Chenopodiaceae Commiphora type trigyna Capparis type fasciculans type Suaeda manoica

type Commelinaforskaleï tubuliflora

Acalypha Euphorbia sp.

type Hyptis type Tapinanthus Acacia gr. I Acacia gr. III Ficus type Boerhavia Podocarpus

Dodonaea viscosa Salvador Tamarix Typha type Cissus Tribulus

Total Indéterminables

nombre 10 3 13 2 1 3 3 1 2 40 8 1 56

1 1 3 1 1 1 3 1 1

11 4 24

1 16

1 214 55

% 4,7 1,4 6,1 0,9 0,5 1,4 1,4 0,5 0,9 18,7 3,7 0,5 26,2 0,5 0,5 1,4 0,5 0,5 0,5 1,4 0,5 0,5 5,1 1,9 11,2 0,5 7,5 0,5

Nota : nombreux pollens abimés et nombreux non colorés. Certains taxons sont présents par des amas (comptés 1) : Tribulus, Gramineae, Typha, Salvadora, Tamarix, Acalypha.

Analyse

L'interprétation est difficile en l'absence de comparaison et de connaissance de l'environnement actuel de la région. Cependant il semble clair que cela signifie une végétation de steppe à Acacia et Commiphora plus boisée que le désert de la région du lac Abbé. 20 % d'arbres impliquent au moins 300 à 500 mm de pluviosité moyenne annuelle, donc un climat nettement moins

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Le site d' Asa Koma 29 1

aride qu'actuellement. Il y a de l'eau douce ou peu saumâtre (Typha) à proximité et des herbes (Achyrantes) ou arbustes (Acalyphà) qui sont fréquents à l'ombre des arbres dans les forêts riveraines.

L'analyse pollinique indique un pourcentage élevé (13,6 %) de pollens attribués aux Chenopodiacées/Amaranthacées qui sont pour la plupart des plantes "herbacées", abondantes sur les sols salés de bordure lacustre ou marine. Leur abondance dans les restes anthracologiques pourrrait suggérer l'utilisation proposée car ils ont une faible valeur en tant que combustible.

Parmi les arbres, les résultats anthracologiques sont en remarquable concordance en indiquant la présence ďAcacia (rare) et Salvadora, qui, associés à Tamarix et Commiphora sont des éléments communs des steppes subdésertiques occupant la région du rift éthiopien, un peu plus abondants le long des lits d'oued. Le pollen de Rhamnacée correspond vraisemblablement à Ziziphus. Cet ensemble indique une végétation plus boisée que l'actuelle. Les quelques pollens de Podocarpus et Dodonae viscosa proviennent d'un apport par le vent ou une rivière d'une végétation située à plus haute altitude.

Les résultats anthracologiques indiquent aussi Grewia, Tiliaceae, Capparidaceae qui sont associés aux Combretaceae (pollen). Ce sont aussi des arbres de la steppe boisée. La concordance des deux types d'analyse renforce la conclusion d'une végétation nettement plus boisée indiquant des conditions climatiques moins arides que celles actuelles de la région.

Aucun marqueur pollinique de culture n'a été trouvé. Certes, les Chénopodiacées pourraient représenter des "rudérales" nitrophiles mais les genres identifiés "Salicorne" et Atriplex sont plutôt des plantes de sols salés. Achyrantes pousse à l'ombre, au bord des rivières. C'est un faible indicateur de perturbation anthropique.

CONCLUSION GÉNÉRALE ET PERSPECTIVES

A l'issue des trois campagnes de fouilles qui ont suivi le sondage de 1986, la masse de documents récoltée est importante. Ce premier bilan des informations recueillies sera complété par les résultats des prochaines campagnes et intégré à un ouvrage monographique sur cet important gisement. La série de tessons de poteries, dont de très nombreux sont décorés, est la plus importante que l'on connaisse actuellement dans la Corne de l'Afrique pour la période néolithique. L'industrie en obsidienne est également très fournie, même si les types d'objets façonnés restent peu variés. Quelques outils en os ont également été recueillis ainsi que de nombreuses perles en coquille d'oeuf d'autruche, représentées à tous les stades de fabrication, et plusieurs valves de coquillages marins ou d'eau douce percées pour les transformer en pendeloques.

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292 X.Gutherz, R. Joussaume, S. Amblard, Guedda Mohamed

La datation du gisement au début du deuxième millénaire avant notre ère est assurée par la méthode du carbone 14 appliquée sur charbons de bois (deux datations concordantes qui situent l'occupation au début du deuxième millénaire avant J.-C).

Outre les vestiges de la culture matérielle, on a pu recueillir les restes d'une partie de l'alimentation : les plus marquants sont constitués par d'innombrables ossements de poissons. Ces poissons - tilapies (99 % du total des restes) et poissons-chats {Clarias) - vivaient dans les eaux du lac Abbé qui s'étendait alors, sinon jusqu'au pied du site, au moins à faible distance comme l'ont démontré les études détaillées réalisées par Gasse sur les variations du niveau de ce lac (Gasse 1975). Rappelons qu'il se trouve aujourd'hui en phase de régression continue et distant de 30 km d'Asa Koma. La très grande abondance des ossements de tilapie plaide en faveur d'un environnement aquatique présentant de faibles profondeurs. Il pourrait s'agir de laisses d'eau résultant de débordements saisonniers du lac. Ces pièges naturels à poisson sont bien connus pour les conditions favorables qu'ils créent à leur capture. Alors qu'aujourd'hui, la salinité du lac Abbé est très élevée, la présence du poisson-chat dans la faune aquatique d'Asa Koma indique qu'elle était plus basse, il y a 4000 ans.

La présence de restes osseux de poissons d'eau douce ou saumâtre dans les gisements du "Late Stone Age "de l'Afrique orientale et plus largement du Néolithique de l'Afrique Nord-équatoriale est un fait connu de longue date. Cette économie spécialisée s'accompagne généralement d'une pratique avérée de la chasse aux mammifères terrestres. Le spectre alimentaire qui ressort de l'étude des faunes d'Asa Koma ne déroge pas à cette règle.

Les ossements de mammifères qui ont été découverts dans les couches archéologiques apportent en effet eux aussi des informations tout à fait intéressantes. L'étude réalisée par Guérin et Faure (cf. ce volume) a été résumée ainsi par ses auteurs : " La faune de mammifères comprend les espèces suivantes : le chacal à flancs rayés Canis cf. adustus, très abondant et qui a été consommé par l'homme, l'hippopotame Hippopotamus amphibius (très rare), la gazelle Gazella dorcas, abondante, le guib harnaché Tragelaphus scriptus, assez abondant, le boeuf domestique Bos taurus, abondant, le lièvre du Cap ou d'Abyssinie Lepus capensis ou L. habessinicus, rare, et un rongeur muroïde indéterminé, Muridae ou Gerbillidae (très rare).

Elle témoigne d'une économie néolithique très originale fondée, outre sur la pêche, à la fois sur l'élevage du boeuf et sur la chasse, surtout au chacal, ceci dans un environnement beaucoup plus humide que l'actuel.

S'agissant des conditions environnementales, il convient de rappeler que l'ensemble des études spécialisées pouvant concourir à leur connaissance met

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Le site d' Asa Koma 293

en valeur l'existence au début du deuxième millénaire avant notre ère d'un climat plus humide que l'actuel.

La présence de nombreux foyers, qu'il s'agisse de simples aires de combustion sans aménagement particulier ou de structures plus élaborées avec l'adjonction de pierres de chauffe posées sur le foyer contribue à préciser l'image que nous pouvons esquisser à propos des pratiques alimentaires des occupants du site. Nous mettrions volontiers en relation les grands foyers à plat avec la pratique du séchage ou de la cuisson du poisson et les nombreux restes osseux brûlés militent en ce sens. Pour les foyers à pierres chauffées, dont plusieurs sont de petite taille, toutes les hypothèses sont permises quant à la nature des produits consommables qui y étaient cuisinés. La cuisson de la viande des animaux chassés ou élevés est tout à fait envisageable, surtout si l'on se réfère aux pratiques toujours actuelles des populations locales qui utilisent ce type de foyer pour la cuisson de la viande de cabri ou de dromadaire.

Si l'on peut désormais mettre en avant quelques certitudes ou quelques solides hypothèses sur l'alimentation carnée des néolithiques d'Asa Koma, on ne peut pas en dire autant de l'alimentation végétale. Malgré un tamisage rigoureux au tamis à maille très fine, aucun reste carbonisé de céréale cultivée n'a été découvert, alors que les vestiges de combustion sont omniprésents sur le site. La présence de nombreuses meules et broyeurs témoigne que les activités de broyage étaient monnaie courante. L'hypothèse du broyage des poissons pour obtenir une sorte de farine reste séduisante, mais s'agissant de poissons de petite taille, on aurait dû trouver des vertèbre brisées, ce qui n'est pas le cas. On peut alors penser que les filets ont été détachés des poissons frais avant d'être séchés ou boucanés. Il faut aussi évoquer l'hypothèse (Wendorf et al ,1990). de la confection de farine à partir de racines tubéreuses. Mais aucune trace matérielle ne permettra de la valider.

Nous nous trouvons donc à Asa Koma, devant un cas de figure désormais classique en Afrique saharienne et subsaharienne. Alors que les indices matériels les plus communément considérés dans d'autres régions du monde comme représentatifs d'une économie agricole sont ici largement présents, à savoir la poterie et le matériel de mouture, aucune preuve directe (macrorestes végétaux) ne vient conforter ce point de vue. En outre, tous les travaux réalisés depuis plus de 40 ans en Afrique de l'Est et du Nord-Est ont révélé des situations comparables à celle que nous décrivons. Dans les zones où, malgré la fragilité des arguments chronostratigraphiques - nous pensons à la région de Khartoum -, on a cru voir un processus évolutif conduisant d'une économie de chasse-pêche-cueillette à une économie agro-pastorale, nos collègues américains, britanniques ou italiens ont montré la précocité de l'apparition de la céramique (autour de 9000 B.P. au Soudan) dans des sociétés de chasseurs-

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cueilleurs qui utilisèrent du matériel de mouture dès 7000 B.P. Dans ces mêmes contextes, l'élevage du boeuf {Bos taurus), qui paraît précéder l'agriculture se manifesterait au cinquième millénaire B.P. à Um Direiwa (Soudan), et plus certainement à partir de 4000 B.P dans le Nord de l'Ethiopie.

On le voit, les données fournies par nos travaux s'inscrivent au coeur de ce débat si on les replace dans le contexte régional. En effet, si l'on essaie de définir le statut économique de la population qui a vécu en ces lieux au début du 2ème millénaire, on peut constater qu'il s'agit de chasseurs, pratiquant probablement l'élevage des bovins - ou en tout cas vivant au contact d'éleveurs - et fréquentant ce site de façon saisonnière pour y pratiquer une pêche intensive de la tilapie et accessoirement du poisson-chat, dans les basses-eaux du lac Abbé ou des marécages proches du lac. Les preuves d'une domestication des plantes restent à fournir. Les très nombreux tessons de poterie montrent que la vaisselle céramique était d'un usage courant dans la vie quotidienne et cette production aux formes stéréotypées mais richement ornée évoque une communauté qui s'inscrit dans une tradition potière certainement beaucoup plus ancienne que le 2ème millénaire dans cette région d'Afrique.

La fréquentation saisonnière et répétée du site est clairement attestée par la succession des dépôts archéologiques en minces couches et foyers superposés sur près de cinquante centimètres d'épaisseur. Dans toute l'épaisseur de ces dépôts, les lits d'ossements de poissons montrent que la pêche est restée l'un des motifs principaux de l'installation saisonnière à Asa Koma.

Tout se passe comme si les groupes humains qui fréquentaient ces lieux au moment de l'année où le poisson était abondant et plus aisément capturable appartenaient à une communauté installée de façon plus permanente dans un village ou des villages situés à une distance encore indéterminée du site d'Asa Koma. Il serait évidemment du plus haut intérêt de repérer ce ou ces habitats et d'y entreprendre des fouilles.

Si les données recueillies à ce jour nous permettent d'envisager la présence d'une population non complètement sédentarisée sur ce site, mais le fréquentant de façon saisonnière, rien ne nous permet de la considérer comme une population nomade. La régularité de la fréquentation saisonnière du site suggérée par l'aspect "feuilleté" des dépôts anthropiques évoque incontestablement un groupe humain fixé sur un territoire dont il exploite les diverses facettes biogéographiques. La recherche d'établissements plus permanents autour desquels on aurait pu éventuellement pratiquer une agriculture céréalière reste donc l'un de nos objectifs. Sur le plateau éthiopien, la culture de l'éleusine (Eleusine coracand) serait attestée au deuxième millénaire avant J.-C. (Brandt, 1984). Il ne serait pas étonnant que les groupes humains qui vécurent à Asa Koma aient eux- mêmes eu accès à ces pratiques

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agricoles ou tout au moins aient eu des contacts avec des populations d'agriculteurs. Mais tout ceci reste encore dans le domaine de l'hypothèse et ne peut qu'inciter à poursuivre ce programme de recherche dans les deux pays.

Il restera aussi à mettre en oeuvre les études sédimentologiques ne serait- ce que pour mieux comprendre les mécanismes qui ont présidé à la mise en place des limons contenant les vestiges archéologiques. De nombreux prélèvements ont été effectués à cette fin.

Enfin, nous ne saurions achever ce premier bilan sans évoquer un dernier volet de nos découvertes, le volet sépucral. Nous avons fait état de la découverte de deux tombes superposées au sommet de la butte et au coeur de l'habitat. Rappelons qu'il s'agit, pour la première, d'une sépulture d'adulte âgé, recouverte par un petit cairn de pierres. Cette première sépulture avait été perturbée par un terrier. Elle se superposait à la deuxième qui est celle d'une jeune femme d'environ 18 ans inhumée en position contractée dans une fosse très étroite située au-dessous de la première sépulture.

Le nettoyage des précédents sondages réalisé en 1994 nous a permis de mieux observer une troisième structure entrevue en 1989. Il s'agit d'une seconde fosse située contre la précédente et scellée par un agencement soigneux de petits blocs et meules en basalte. Sur ce scellement, un cairn de plus grosses pierres contient quelques os humains. Nous espérons être en mesure de fouiller cette probable troisième sépulture au cours de la prochaine campagne. La présence de tombes au sein d'un site d'habitat constitue là encore un fait relativement banal pour la préhistoire récente de l'Est africain. Il suffit d'évoquer pour cela les découvertes réalisées en Somalie ou au Soudan. L'intérêt particulier qui s'attache aux tombes néolithiques d'Asa Koma réside à la fois dans l'étude d'une architecture et de rites funéraires totalement inédits à Djibouti et bien évidemment dans les enseignements que l'on pourra en tirer pour la connaissance de la morphologie de ces premières populations de producteurs et pour celle de leurs pratiques sociales.

L'étude du site d'Asa Koma ne constitue qu'un des objectifs de nos recherches à Djibouti. Comme nous l'avons souligné plus haut, il serait du plus haut intérêt de découvrir d'autres sites contemporains et nous envisageons de mener à bien, dès que possible, une prospection dans la plaine du Hanlé qui présentait très probablement, au deuxième millénaire et sans doute antérieurement, des conditions d'installation fort proches de celles qui ont attiré ces premiers producteurs sur les rives du lac Abbé.

D'autre part, les recherches entreprises en 1988 sur le rivage occidental du Ghoubet doivent être poursuivies afin d'étudier, de façon plus complète, les sites comportant des amas de coquilles d'huitres accumulées par des groupes humains connaissant eux aussi l'usage de la poterie modelée et utilisant un outillage lithique comportant des segments et surtout les énigmatiques pics du

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Ghoubet. La datation très ancienne obtenue (sur coquilles) à Asa Ragid, près de Dankalelo (5860 ±110 B.P.) mérite confirmation et les sondages que nous espérons pouvoir réaliser sur de nouveaux sites dans ce secteur devraient nous y aider.

Ces deux projets qui constitueront le but de nos prochaines campagnes ne seront pas les seuls que l'UPR 3 1 1 entend mettre en oeuvre dans ce pays. Il est certain que beaucoup reste à faire à Djibouti pour étudier les premières sociétés de producteurs à propos desquelles il faut bien reconnaître que nous savons aujourd'hui fort peu de choses.

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