l'applique de limons (puy-de-dôme), un chef d'oeuvre de l'art mérovingien

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ARCI{,{OLOGI S CTMS ZELLWERK BEITRÂ GE ZUR KUITURGESCHICHTE IN EUROPA UND ASIEN FESTSCHRIFT FUR HELMUT ROTH ZUM 60. GEBURTSTAG herausgegeben von Ernst Pohl, Udo Recker und Claudia Theune WW Verlag Marie Leidorf GmbH . RahdenÆVestf. 2001

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ARCI{,{OLOGI S CTMS ZELLWERK

BEITRÂ GE ZUR KUITURGESCHICHTEIN EUROPA UND ASIEN

FESTSCHRIFTFUR

HELMUT ROTH ZUM 60. GEBURTSTAG

herausgegeben vonErnst Pohl, Udo Recker und Claudia Theune

WWVerlag Marie Leidorf GmbH . RahdenÆVestf.

2001

L'applique de Limons (Puy-de-Dôme): un chef d'oeuvre de I'Artmérovingien

par Patrick Périn, Saint Germain-en-Laye

Avec les "trésors" de Childéric' et de Gourdon2, le "disque" de Limons3, également conservé au Cabinet desMédailles de la Bibliothèque Nationale de France, compte certainement parmi les objets d'art mérovingiensles plus célèbres (Fig. 1 a-b). c'est à ce titre que cet objet a été popularisé en étant maintes fois reproduit entant que symbole par excellence de I'art mérovingien ou "barbare"a.

Dénommé le plus souvent comme "fibule"5, mais également comme "disque", ,,plaque,,, voire ,,rouelle,,, ce

très bel objet, sans doute parce que sa parfaite composition et sa remarquable qualité d,exécutionI'imposaient d'emblée comme un chef d'oeuvre incontestable, n'a curieusement jamais iait I'objet, à notreconnaissance, d'une analyse approfondieu.

sans prétendre épuiser un sujet qui est plus riche et complexe qu'il ne paraît au premier abord, il nous adonc semblé intéressant de tenter de faire le point sur ce chef d'oeuvre de I'art mérovingien à la lumière desconnaissances en archéologie et en histoire de I'art dont nous disposons aujourd'hui pour la période.

Contexte de découverte

Comme I'indique I'inventaire du Cabinet des Médailles', la "plaque de Limons" fut achetée en lg55 àvictor Gay, architecte, pour la somme de 400 F. Celui-ci déclara alors que I'objet avait été trouvé à Limons(Puy-de-Dôme), entre Vichy et Thiers, au lieudit "Pont de Ries" (en réalité "port de Ris,,), situé auconfluent de la Dore et de I'Allier.

Grâce à des études récentes8, il est permis de préciser, sinon le contexte de cette trouvaille, apparemmentfortuite, du moins son environnement archéologique (Fig. 2). L'abbé Maussière rapporte ainsi qu,on auraittrouvé vers 1850 au Port de Ris, "derrière le village..., des ruines anciennes,... vases en... bronze, verre,argile, un ..-. médaillon en or pesant I once, enrichi de trois pierres précieuses (l'une des faces était unie,I'autre portait au centre les trois lettres majuscules ARB ...)', un casse-tête gaulois en jade ..., des hachesceltiques"r.. La carte archéologique de la Gaule pour le Puy-de-Dôme signale encore à Limons des"bracelets gaulois" au lieudit "Périgère", des "fragments de tuiles à rebords" au nord du village, un"gisement gallo-romain" près du hameau des Moussoves, ainsi que deux tiers de sous mérovingiens deSaint-Julien de Brioude et de Tallende dont le lieu de découverte n'est pas connu,'. Si I'occupation dufinage de la commune de Limons paraît donc bien attesté durant la Protohistoire et les époques gallo-romaine et mérovingienne, on ne dispose cependant d'aucune information sur les conditions de trouvaille

i Dumas 1982. - Kazanski/périn 1988, l3-3g.' on 1e dispose pas d'une étude scientifique complète du trésor de Gourdon. voir notamment sur ces objets (parfois

considérés comme un nécessaire liturgique de voyage) les notices de BaratteÀ4etzger 1991,306 et s. - schulze 1979 N.234

3 cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale de France, Inv. N. 27g1.a voirpar exemple les couvertures des livres suivants : salin 1959. - Riche/Périn lgg6. - Rouche lgg7.- ou encore la. couverture du catalogue et I'affiche de I'exposition LesFrancs 1997.' "Fibule ronde" dans Hubert/Porcher/volbach 1967,266. - "Fibel" dans schulze lg7g. - "scheibenfibel" dans Roth 1gg6,

637. - Rouche 1997.6 On ne dispose que de notices catalographiques succinctes, telle celle de Schulze 1979.' Au poid de I'or fin (39 gr.), I'objet fut estimé à 137 francs or, mais acquis au prix de 400 francs. Nous tenons à remerciertrès vivement ici Irène Aghion, conservateur en chef au Cabinet des Médailles, pour ces précisions.8 Nous sommes redevable à Bernadette Fizellier-Sauget, Ingénieur d'Etudes au Service de l,Archéologie d,Auvergno, qui a

" mis à notre disposotios un dossier archéologique complet sur la commune de Limons.

"n Il s'agit bien du "disqrre" de Limons, dont I'oméga a éte lu comme un B (voir ci_dessous).'" Provost/Mennessier-Jouannet 1994, 165 (notice 196) "Limons',.rrlbid.

376 Perin - L'applique De Limom

du "disque" de Limons et donc sur son contexte possible, qu'il s'agisse d'un cimetière, d'un habitat, ou toutsimplement d'un objet isolé et perdul2.

Description

En or ftn, le "disque" de Limons a été moulé à la cire perdue et son décor, venu de fonderie, ne semble pas

avoir fait l'objet de retouches notablest3. Néanmoins, I'examen des bâtes serties d'un grenat qui complètentle décor à I'avers montre qu'elles n'ont pas été soudées à sa surface mais que traversant le disque, elles ontété matées à son revers.

L'objet se présente sous la forme d'un disque ajouré de petit diamètre (6,5 cm), dont la compositiongénérale est celle d'un chrisme: le sommet de la haste du rhô s'achève à droite par un R latin, tandis qu'un Alatin relie à gauche les bras du chi et qu'un oméga est suspendu à droite au bras supérieur dt chi.

Le centre du chrisme comporte un médaillon dont le pourtour, compartimenté en alternance par deuxlosanges et un grenat rectangulaire en bâte, dessine un nimbe cruciforme. Celui-ci souligne un masquehumain au front ridé, barbu, avec des yeux en amande sertis d'un grenat, un nez droit et une bouche béante.

Les six branches évasées du chrisme, de même que les six arcs les reliant au sommet, portent des motifszoomorphes stylisés sur lesquels nous reviendrons. Traités en méplat, ils sont mis en valeur par des

incisions linéaires, des pointillés et des grenats en bâtes rectangulaires, ovoides ou en amande.

Fonction

Avant d'analyser le décor du disque de Limons, il convient de définir sa fonction, ce qui en définitive ne

soulève pas, selon nous, de problème majeur. Le revers du "disque" ne comportant aucun dispositifd'articulation et d'accrochage d'un ardillon, son utilisation comme fibule est tout d'abord exclue. Enrevanche, la présence de trois oeillets ménagés à sa périphérie, qui ne semble guère avoir attiré l'attentionjusqu'icira, atteste bien que I'objet devait être à I'origine fixé sur un support par des rivets et donc qu'il s'agit

d'une applique à proprement parler. Ajoutons que ce détail, ainsi que la petite taille de I'objet, ne permettent

certainement pas d'y voir une de ces rouelles qui faisaient fréquemment partie de châtelaines, si typiques ducostume féminin à l'époque mérovingiennet5.

De telles appliques circulaires ajourées et de taille analogue, ceftes en général plus modestes par leurmatériau - en alliage cuiweux - ainsi que par leur décor - compositions cruciformes simples - sont en faitconnues de longue date dans les tombes féminines mérovingiennes où, de même que des appliques

cruciformes, aviformes ou autres, elles peuvent être associées à des appliques en équerre à extrémités

souvent zoomorphes'u. A I'occasion de la publication de la tombe "princière" de Wittislingen, en 1950, oùfiguraient de remarquables équerres en argent à décor végétal et extrémités aviformes (Fig. 3), Joachim

Werner fut le premier à attirer I'attention sur de tels ensemblesrT. Il démontra alors de façon convaincanteque ce genre d'applique n'avait pu correspondre à des gamitures de coffrets, comme on le proposait parfois,mais qu'il appartenait à des aumônières ou mieux à des sacs à main dont les restes de cuir étaient parfois

'' Nous n'excluons pas non plus la possibilité que cet objet, dont tous les parallèles se situent au nord de la Seine, commenous allons le voir, ne provienne pas de la commune de Limons à laquelle il aurait été attribué par erreur ouvolontairement (des exemples en ce sens existant pour des objets isolés apparus sur le marché aussi bien anciennement quetrès récemment).

13 La technique utilisée est celle de la cire perdue à partir d'un positifsecondaire, fort courante à l'époque mérovingienne. Apartir d'un positif primaire (en pierre ou en bois) oftant la forme générale de I'objet et l'ébauche de son décor, onimprimait un moule bivalve d'argile d'où on tirait une ou plusieurs épreuves en cire, ou positifs secondaires. Ceux-ciétaient finement gravés aïin de mettre en place le décor souhaité, puis engobés d'argile et enfin traités à la cire perdue selonle procédé classique. Après bris du moule, I'objet était fini, notamment par des retouches, des inclusions de grenats enbâtes ou de nielle, etc.

1a A vrai dire ces oeillets sont peu visibles sur les photographies et il convient d'avoir I'objet sous les yeux pour les distinguer.15 Renner 1970.

'u werner 1950, 55.

'' rbid. 52 et s.

Perin - L'applique De Limons 377

conservés, qu'il s'agisse de leur pochette quadrangulaire, voire de leur courroie de suspension à l'épaule ouau bras (Fig. 4)18. Il souligna en outre que la répartition significative de la plupart de ces objets, entre laSeine, la Moselle et le Rhin, reflétait un phénomène de mode qui avait été propre au monde mérovingienoccidental (Fig. 5)1'q. Les découvertes ultérieures, répertoriées par GudulaZeller avec le concours de HorstWolfgang Bôhme, ont confirmé le bien-fondé des propositions de J. Wemer et permis de vérifîr que ces

sacs à mains à appliques ornementales appartenaient aux femmes de la couche sociale supérieure si I'onprenait en compte les autres constituants du mobilier funéraire (Fig. 6 et 7)20.

En se référant à ces parallèles, il semble donc très waisemblable que I'applique de Limons ait faitinitialement partie du décor d'un tel sac à main. Il est même tout à fait plausible de proposer, comme lesuggère en particulier I'exemple de la tombe feminine de Wittislingen", que les équerres d'angle quidevaient à I'origine compléter l'applique de Limons reprenaient son décor zoomorphe (Fig. 8).

Les motifs ornementaux

Comme J. Wemer I'avait déjà nolé, la plupart des sacs à mains mérovingiens comportent des appliquescruciformes simples, plus rarement inscrites dans un cercle, dont il a envisagé avec vraisemblancel'interprétation chrétienne, sur laquelle nous reviendrons22. Dans le cas de Limons, pour I'instantexceptionnel et isolé, la symbolique chrétienne est totalement assurée, ainsi qu'en témoigne le chrisme quisert à la composition ornementale de I'applique ajourée. La haste du rhô ne s'achève pas par la boucle quicorrespond au monogramme constantinien classique, mais par le R latin qui caractérise la croixmonogrirmmatique, qui résulte de l'évolution du chrisme dans le temps23. D'autre part, si l'oméga estcorrectement traité sous sa forme grecque, l'alpha offre la forme d'un A latin avec une barre transversalebrisée. Ces caractères, même si leur filiation chronologique n'est pas toujours précise, sont tardifs et offrentmaints parallèles à l'époque mérovingienne, qu'il s'agisse d'épitaphes, de stèles funéraires, de sarcophages

ou d'objets mobiliers2o.

Le masque humain central à nimbre cruciforme, en ce qui le concerne, ne soulève guère de problème

d'interprétation (Fig. 9). Il apparaît fréquemment à l'époque mérovingienne sur des antéfixes surmontéesd'une croix2s ou sur des gamitures de ceinture où il est associé à un nimbe cruciforme26. Dans les deux cas,

l'identification de ce masque à nimbe cruciforme ou cruciftre avec la représentation populaire de la SainteFace ne fait aucun doute, comme en témoigne notamment un ardillon de bronze étamé provenant de

Carignan (Ardennes) où ce motif est souligné de l'inscription IMMANVUEL (Fig. 10)'z?.

Quant aux motifs zoomorphes omant les bras du chrisme et les arcs reliant leurs extrémités, ils sontaisément identifiables malgré leur stylisation et illustrent magnifiquement le "style animalier germanique

" Ibid. 52, rappelle notaffment que les coftets mérovingiens étaient omés non pas d'appliques, mais recouverts par des tôlesde bronze estampées ou travaillées au repoussé. En ce qui concerne I'interprétation de ces ensembles archéologiquescomme des sacs à main, I'un des exemples les plus convaincants est à coup sûr celui de la tombe 41a d'Ingelheim: Zeller1989190,309 et s.; ïrg. 13;' 17 .

'' Ibid., carte p. 54. A I'exception de la trouvaille de Wittislingen, ces sacs à main ne se rencontrent pas au sud du Danube età I'est du Rhin, c'est à dire dans les protectorats francs en Alamannie et Bavière.

'o Zeller 1989190. On y trouvera note 47 une dizaine d'exemples nouveaux, ainsi que p. 310 une carte de répartitionactualisée des sacs à main à décors de croix et d'oiseaux. Voir p. 3ll pour I'interprétation sociale de ces sacs à main,correspondant au "Qualitâtsgruppe C" de Christlein: voir Christlein 1973,147-180. - Périn 1998, 169-183.

" Werner 1950, 53. Il est fort possible que le sac à main de Wittisligen ait comporté à I'origine une applique discoide àmotifs zoomorphes reprenant ceux des équerres d'angle. Mais à vrai dire, la trouvaille n'est pzrs parvenue complète du faitdes conditions de la fouille elle-même (une des équerres manquant déjà).

" Ibid. 55 et ss.23 Dict. d'arch. chrétienne et liturgie 3 (1. partie) col. 148 l-l 534.2a Utile approche dans Hoûnann 1968, 13-22.

"Périn 1986,9-16.

'u tbid. t975, it-97." Sali., 1959, 270 fig. 84. Indiqué comme provenant de Frouard (Meurthe-et-Moselle), cet objet a en fait été découvert à

Carignan (Ardennes), comme l'a clairement établi Stéphane Gaber: Gaber 1984, 205-206.

378 Perin - L'applique De Limons

II" (milieu Vle-milieu VIIIe siècle) tel qu'il a été défini en 1904 par Bemhard Salin28. Ils offrent en

alternance trois chefs de sanglier opposés et trois têtes animales (sur I'interprétation desquelles nous allons

revenir), également opposées.

Les chefs de sanglier, qui relient en arc de cercle les extrémités des six bras du chrisme, sont clairement

définis, comme c'est I'usage dans le "s§zle II", par leurs défenses qui brochent sur la partie supérieure de

leurs mâchoires à museau retroussé (Fig. 11)". Les yeux en amande sont sertis d'un grenat et les arcades

sourcillières se prolongent sur les bras correspondants du chrisme par des crosses en opposition, prolongées

par des motifs en peigne. Il s'agit en fait de la représentation classique, selon les canons du "style II", de

pattes griffues, ici très atrophiées et directement reliées aux têtes de sangliers, sans représentation

d'éléments anatomiques intermédiaires, comme c'est souvent le cas pour le "sÿle II"30.

Dans les cartouches pattés qui délimitent les troix autres bras du chrisme sont inscrites des compositions

zoomorphes qui sont également typiques du "style II", avec un corps serpentiforme dont le croisement de la

boucle dessine un faux entrelacs quadrilobé et s'achève par deux têtes animales opposées (Fig. 12). Celles-

ci, dont I'oeil est bien marqué, offrent une sorte de mâchoire dont la partie supérieure est légèrement relevée

et la partie inférieure recourbée en crosse. Une saillie sommitale peut évoquer une oreille (ou une come),

tandis que les deux saillies figurées à la partie inférieure de deux des corps serpentiformes apparaissent

cofirme la réminiscence d'une patte griffue, bien marquée pour le troisième motif. A la différence des chefs

de sanglier, de rapace, voire de loup (Fig. 13)31, I'identification zoologique de telles représentations

animales en "style II" demeure problématique, faute de détails anatomiques clairement identifiables. Si

dans certains cas il semble bien s'agir de serpents32, dans d'autres la présence d'un ou deux membres à patte

griffue en connexion avec le corps serpentiforme plaide en faveur d'un quadrupède33. A vrai dire, il ne faut

sans doute pas rechercher I'identification zoologique précise de telles figurations qui relèvent d'un bestiaire

largement imaginaire hérité de I'Antiquité tardive. En effet, comme le "style de Nydam" (deuxième moitiédu Ve siècle), précurseur du "style I" (fin du Ve-milieu du VIe siècle), puis ce dernier I'attestent, les artistes

scandinaves créèrent leur bestiaire en imitant les motifs zoomorphes figurant sur des gamitures de ceintures

tardo-romaines importées qu'ils stylisèrent progressivement3a. Il en fut notamment ainsi pour le motif si

populaire des dauphins ou des monstres miterrestres, mi-marins, dont on rencontre encore des

réminiscences dans le "style II". Il conviendrait d'y ajouter le cycle des motifs dérivés du griffon antique,

quadrupède ailé à tête de rapace et pattes griffues de fauve que I'on rencontre à tous les stades de stylisation

dans I'Occident barbare3s.

Datation

C'est son décor zoomorphe qui permet de dater avec une relative précision I'applique de Limons. En effet,si I'on se réfère à la triple subdivision du "style II" qu'Helmut Roth a proposée36, c'est à sa phase la plus

ancienne ou "style II précoce" (demier tiers du Vle-début du VIIe siècle) qu'il convient de situer les décors

animaliers de cet objet, qu'il s'agisse des chefs de sangliers à traitement "héraldique" ou des faux entrelacs

2t salin 1904.2'Voir, parmi d'autres exemples: Haseloff 1975,57 frg.26. - FleuryÆrance-Lanord 1998 notice II, 7 (tombe N" 9) et notice

I1,22 (tombeN'1l).30 Voir par exemple Paulsen 1967,72 ftg. 433r Le chef de rapace est bien reconnaissable à son bec crochu à mâchoire angulaire, cette identification étant vérifiée à

plusieurs reprises quand un tel chef surmonte un corps stylisé de volatile avec figuration de I'aile et de la patte griffire : parexemple, Salin 1904, 269. - Renner 1970 pl. 26-27. - Bruce-Mitford 1972,79 et pl. G. - Le loup, rarement représenté, estaisément identifiable par sa mâchoire à dents triangulaires. Sangliers, rapaces et loups sont notamment rassemblés sur uneboucle de ceinture de bronze de Seeland. Voir Werner 1963, 377-393; 378 fig. l.

32 Voir par exemple la stèle de Niederdollendorf : Bôhner 1962,666 et s. On en trouvera de très nombreux exemples dansAufleger 1997 pl. 65 et s.

'3 Ibid. pl. 67.20; 80.

'o Salin 1904. - Roth 1973. - Ibid 1986a: voir en particulier les contributions de Haseloff 1986 et Roth 1986b tl et s. - Ibid1989, 17 -32. - Résumé de la question dans Périn 1993, 236-239.

35 Dict. d'arch. chrétienne et liturgie 6 (2. partie) col. 1814-1827 s. v. Giffon

Perin - L'applique De Limons 379

animaux à extrémités bicéphales37. Cette datation concorde parfaitement avec celles des sacs à mains àdécor de croix et d'oiseaux dont les contextes de trouvaille indiquent l'apparition à la fin du VIe siècle, avecun usage privilégié au VIIe siècle38.

Discussion

On ne peut manquer de discuter des interprétations possibles du double décor - chrétien et zoomorphe - queI'applique de Limons partage, comme nous I'avons vu, avec la série des sacs à mains répertoriés par J.W'erner, puis plus récemment par Gudula Zellet Ces deux auteurs, ainsi que d'autres chercheursallemands3e, ont proposé un schéma explicatif fort simple de ces motifs, en considérant qu'ils ne posaientpas de problèmes particuliers et qu'ils pouvaient être interprétés au premier degré. Tandis que les motifscruciformes, inscrits ou non dans un cercle, reflétaient les progrès de la christianisation des Germains auVIle siècle, les rapaces vus de profil - des "aigles" - étaient la réminiscence de la représentationtraditionnelle du dieu pai'en Wotan/Odin, transformé en colombe chrétienne pour satisfaire à unsynchrétisme de circonstanceoo. Des paires d'oiseaux affrontés de part et d'autre de divers motifs décoratifsont même été interprétés comme la représentation paléochrétienne classique des colombes accostant unarbre de Vie ou s'abreuvant au canthareat. Se fondant sur cette coexistence de décors chrétiens et ,'paiêns,',

considérés comme particulièrement significatifs du VIIe siècle, G. Zeller en a tiré la conclusion suivante :

"Sans vouloir perdre la protection des anciens dieux, on ne voulait cependant pas pour autant renoncer à lapuissance des nouveaux symboles, mais au contraire on espérait, par la double protection des deux,renforcer ces pouvoirs et se prémunir encore mieux contre tous les dangers rencontrés quotidiennement"a2.

Ce schéma d'interprétation, malgré sa logique apparente, soulève d'emblée des problèmes dès qu'onI'examine d'un point de vue critique. Une remarque préalable s'impose tout d'abord et concerne I'aire derépartition de ces motifs dits pai'ens. Ceux-ci, comme nous I'avons vu, se rencontrent en-deça du Rhin, c'està dire dans les limites de I'ancien Empire romain où I'on sait que le christianisme, sous sa forme catholique,devint la religion d'Etat à la fin du IVe siècle, puis le demeura dans le royaume mérovingien à la suite dubaptême de Clovis (sans doute en 508)a3. De ce fait, et à la différence des régions de Germanie libre situéesau-delà du Rhin, demeurées pai'ennes ou encore terres de mission au VIIe siècle, le nord de la Gaule estalors un pays chrétien depuis plus de deux siècles. C'est donc moins par I'oppositionpaganisme/christianisme qu'il convient d'envisager ces régions, où le baptême est depuis longtemps derègle, mais plutôt en termes de degré d'imprégnation chrétienne et de survivance de croyances et decoutumes davantages traditionnelles et "folkloriques" que pai'ennes. Les documents normatifs religieux nedénoncent d'ailleurs pas un paganisme structuré, mais plutôt des résistances à un catholicisme obligatoireillustrées par les superstitions ou le recours à la divination, à la magie, et à la sorcellerieaa.

Dans cette perspective, la multiplication progressive de motifs cruciformes sur les objets mobiliers, et enparticulier sur les accessoires vestimentaires et les objets de parure, n'a rien d'étonnant au VIIe siècle etreflète à coup sûr un meilleur encadrement religieux des populations et une christianisation de plus en plusmarquée. Il est d'ailleurs significatif comme le montre I'exemple des sacs à mains, que ces signes chrétiens

36 Roth 1973. - Ibid. 1989.

"Cf.,Note précédente. Outre la survivance de caractères du "style I" - voir Salin 1904. - Haseloff 1981. - Le "style IIprécoce" est not.ünment caractérisé par des torsades ou des enüelacs simples aux extrémités desquels sont rejetés, sanssouci de connexion réaliste, tout ou partie des détails anatomiques animaliers (qui seront intégrés aux entrelacs durant le"sÿle II classique").

38 Zeller 1989/90,311.3e

P. ex. Bôhner 7962 - Schnlze 1979.oo Wemer 1950, 56. - Zeller lg8glg},3ll-312.o1 lbid.3l2 et note 59.o2 lbid.3l2.'3 Shanzer lgg8,29-57.aa Gaudemet/Basdevant 1989. - Dierkens 1985, 9 et s.

380 Perin - L'applique De Limons

soient le fait de la couche sociale la plus élevée, I'aristocratie mérovingienne ayant été, comme on le sait, le

moteur de la christianisation dans le monde rural4s.

En ce qui concerne les décors zoomorphes, il convient cependant de s'interroger sur leur interprétation

pai'enne possible. Tout d'abord, nous ne savons pratiquement rien du paganisme des minorités germaniques

qui s'implantèrent progressivement dans le nord de la Gaule à partir de la seconde moitié du IIIe siècle de

notre ère et dont l'acculturation fut rapide, qu'il s'agisse des auxiliaires barbares de I'armée romaine au Bas-

Empire ou, par la suite, des descendants des Francs qui participèrent à la conquête de la Gaule aux côtés de

Childéric et de Clovisau. Dans les deux cas, en effet, ni les sources écrites ni les dorurées archéologiques ne

permettent de savoir si ces groupes vénérèrent et même représentèrent les divinités classiques du panthéon

germanique telles qu'elles nous sont connues plus tard dans le monde scandinave. Pour l'époque

mérovingienne proprement dite, c'est d'ailleurs en vain qu'on a eu recours à certains caractères

archéologiques, notamment funéraires, pour tenter de déceler des survivances du paganisme en GauleaT.

Dans la mesure où il est assuré que les motifs de chefs de rapace et de sanglier, qu'on a voulu interpréter

comme les représentations symboliques de Wotan/Odin et de IngÆreyr, ne sont pas originaires de Gaulea8,

mais qu'ils y ont été importés avec la diffusion du "style II" à partir des années 565, il est donc impossible

d'y voir la survivance locale sans solution de continuité de représentations de divinités germaniques

pai'ennes. En effet, il est clair que ces représentations zoomorphes sophistiquées et codifiées du "style II" ne

sont pas issues du bestiaire simplifié que nous connaissons depuis l'époque de Childéric, avec en particulier

des rapaces vus de profil, des chefs d'oiseaux à bec crochu, des chevaux ou seulement leur chef, ou encore

des insectes. Néanmoins, si I'on admet le caractère prophylactique des symboles chrétiens qui se multiplientdès la fin du VIe siècle sur les objets de la vie quotidienne, on ne peut manquer de se demander si les

motifs zoomorphes du "style II" qui leurs sont alors fréquemment associés n'ont pas eu une significationanalogue.

Que certains de ces motifs zoomorphes aient eu hors du monde chrétien une signification paienne est

probable, comme en témoigne la lettre que saint Boniface adressa vers 745 à Cuthbert, évêque de

Canterbuÿe: en effet, il y condamne formellement les figurations de serpents sur les ornamenta vestium,

en considérant ces motifs comme le fruit de superstitions et I'annonce de I'antéchrist. Bien que cette

mention soit relativement tardive et concerne le monde anglo-saxon, il est probable qu'elle a pu également

refléter ce que les clercs pensaient de motifs analogues dans les terres de mission continentales, telle la

Germanie. En revanche, I'utilisation de ces motifs dans les royaumes barbares christianisés de longue date,

comme la Gaule, ne semble pas avoir posé de problème religieux: tandis que les sources ecclésiatiques ne

dénoncent pas de telles images, on les rencontre dans le décor même des églises5o ou encore sur les objets

mobiliers accompagnant maints défunts inhumés dans des églisessl. Sans envisager, comme certains auteurs

ot Werner 1976,45-73. - Dierkens 1991,109-124.ou Périn 1995, 247-3OL - Geuenich 1998, 59-81:"La progression des Francs en Gaule du Nord au Ve siècle. Histoire et

archéologie".a' Salin 1904,257 et s. plus particulièrement. - A contrario Dierkens 1981,66-67.a8 Hoilund Nielsen 1997,83-94.oe Saint Boniface, Lettre à l'évêque de Canterbury Cuthbert (v. 745). Dans W. GundlachÆ. Dümmler, M.G.H., Epistolae, t.

III,2e éd. 1978, 355.50 Il s'agit notamment de serpents, tels ceux figurés sur le chancel de l'église Saint-Pierre-aux-Nonnains à Metz ou sur un

emmarchement de I'h1pogée des Dunes, à Poitiers. Nombreux exemples pour la France dans les premiers monumentschrétiens de la France, Paris, Picard : 1. Sud-Est et Corse, 1995;2. Sud-Ouest et Centre, 1996;3. Ouest, Nord et Est,

1998; Recueil général des monuments sculptés en France pendant le haut Moyen Age (IVe-Xe siècles, Paris, Comité des

Travaux historiques et scientifiques : l. Paris et son département, 1978 ; 2. Isère, Savoie, Haute-Savoie, 1981 ; Val-d'Oiseet Yvelines, 1984 ; Haute-Garonne , 1987. On ne manquera pas de citer, pour le monde germanique, les plaques de chancel

de Homhausen (conservées au Landesmuseum flir Vorgeschichte de Halle, Sachsen-Anhalt) : provenant

vraisemblablement d'une église funéraire édifiée dans un cimetière mérovingien, ces six panneaux de pierre finementsculptés en méplat mais malheureusement fragmentaires oftent, outre six cavaliers portant bannière et bouclier, une ouplusieurs frises d'orants et deux représentations de cerfs, des compartiments avec des entrelacs zoomorphes en "style II".Cet ensemble est daté du début du VIIe siècle et correspond donc à la phase de christianisation des confins de la Thuringeet de la Saxe. Cf. Bôhner 1976177,89-138.

51 Voir, parmi d'autres, les trouvailles de Saint-Denis et d'Arlon : FleuryÆrance-Lanord 1998. - Roosens/Alenus-Lecerf 1963.

allemands l'ont proposé, une récupération chrétienne directe de ces représentationss', il faut supposer queparvenues en Gaule avec la diffusion du "style II", elles avaient perdu la connotation pai'enne qui étaitencore la leur au-delà des limites du monde chrétien.

Dans une étude publiée en 1963s3, J. Werneq s'interrogeant à son tour sur la signification de ces

représentations zoomorphes stylisées du "style II" attribuées à des d'aiglessa, des sangliers et des serpents et,plus rarement, à des loups, des chevaux, des taureaux, des ours, des cygnes et des faucons, n'a pas voulus'enfermer dans une interprétation religieuse exclusive de ces motifs (Fig. 13). Soulignant les limitesd'identification zoologique de ces animaux pour lesquels on ne dispose pas toujours de détails anatomiquessuffrsants, surtout quand seule la tête est figurée, il s'est en particulier intéressé à la fonction possible de ces

décors selon leur ÿpe de support (arme, objet de parure, garniture de ceinture, etc.), ainsi qu'à leursvariations d'association (par exemple deux aigles accostant un masque humain barbu ou bien le "couple"aigle-sanglier). Il a également noté que dans les royaumes barbares christianisés d'Occident, ces motifszoomorphes allaient souvent de pair avec des signes chrétiens. Ne doutant pas de la fonction protectrice desuns et des autres, J. Wemer a cependant insisté sur le fait que la signification de ces représentationsanimales nous échappait presque totalement, bien que celles-ci aient sans doute fait partie du paganisme

"ordinaire" du monde germanique. Tout au plus pouvait-on identifier I'aigle à Wotan-Odin et le sanglier àIng-Freyr, sans pour autant déterminer si ces symboles animaux évoquaient seulement les attributs de ces

dieux ou en étaient une expression synonyme. Bien plus, et notamment en-deçà du monde germaniquepaiên, on ne pouvait exclure I'utilisation vidée de son sens et devenue purement décorative de ces motifszoomorphes. Afin de tenter d'aller plus loin dans I'interprétation de ces motifs animaliers, J. Wemer, sansprétendre trancher cette question dif,frcile, a alors suggéré une intéressante piste de recherche, en proposantde leur appliquer un principe de lecture analogue à celui des anthroponymes germaniques. L'exemple des

noms de deux des épouses de Clotaire Ier, Ingonde et Amégonde, montre qu'ils ont été respectivementformés à partir du nom d'un dieu (IngÆreyr) et de celui de I'attribut d'un autre (Am/aigle, comme symboled'Odin), avec un égal souci de protection de leurs porteurs dans les deux cas : pour I'auteur, il a dû en êtreainsi pour les représentations zoomorphes en question, telles les paires de chefs de sangliers et de rapacesfigurées sur les pendants de jarretière de la reine Arnégonde, découverte par Michel Fleury dans labasilique de Saint-Denis en 1959 (Fig. 14)s5. En revanche, le sens de certains anthroponymes - par exempleformés à partir de WolfJoup - nous échappe, de même que celui d'autres figures animales, quand unerelation avec des divités pai'ennes ou leurs attributs animaux n'est pas possible. La fonction prophylactiquedes noms et des images au très haut Moyen Age, toujours selon J. Werner, ne s'est pas limitée au mondepai'en: c'est ainsi que parallèlement au progrès de la christianisation du monde germanique, qui provoquaI'adjonction de motifs chrétiens aux figures animales traditionnelles, on vit se développer la mode des

anthroponymes formés à partir du nom de Dieu (Gott/Godescalc).

Des études très récentes, telle celle qu'a publiée Karen Hoilund Nielsen en 1997, offrent de nouvellesperspectives d'interprétation du "sÿle animalier II"s6. Originaire du monde scandinave, comme le rappelleI'auteur, où il se constitue vers 525, le "sÿle II" ne s'est diffirsé dans le monde insulaire (East Anglia) et surle continent (Alamanie, Austrasie) qu'à partir des années 565, avant d'atteindre le Kent, la Burgondie et lemonde lombard d'Italie, sans curieusement toucher de façon notable la Neustrie. Malgré des similitudes desupport (armes et pièces de harnachement, puis par la suite fibules "germaniques" ansées asymétriques etobjets liturgiques) et de contexte (ensembles funéraires correspondant à la couche sociale supérieure), ce

s'Bôhner 1962. - Zeller lgSglg}.s3 Wemer 1963.sa L'attribution à des aigles, ou du moins à des rapaces, de certains chefs d'animaux du "style II" peut être discutée dans

certains cas. En effet, on peut parfois y voir davantage la représeûtation de têtes de chevaux, avec deux détails anatomiquestrès caractéristiques : d'une part la mâchoire angulaire, d'autre part le nasal et la lippe supérieure tombante : voir parexemple, bien que certains d'entre eux soient sensiblement antérieurs, des fermoirs de bourse, tel celui de la tombe 1782 deKrefeld-Gellep, ou des ferrets de boucles, cornme à Saint-Denis (tombes pillées en 1973): Pirling 1914 pl. 48. -FleuryÆrance-Lanord 1998 notices ll, 237.

5s FleuryÆrance-Lanord 1998 notices II, 139.56 Hoilund Nielsen 1997.

382 Perin - L'applique De Limons

style n'en demeure pas moins "étranger" hors de Scandinavie, où il est plus rare, voire exceptionnel. Deplus, il témoigne la plupart du temps dans ces territoires périphériques d'une exécution moins bonne et

souvent médiocre, ce qui montre à l'évidence que ces motifs zoomorphes étaient peu familiers aux orfèvresqui les exécutaient. La répartition géographique du "style II" hors de Scandinavie offre enfin une

correspondance manifeste avec les royaumes barbares d'Occident demeurés les plus germanisés, à ladifférence de ceux, telle la Neustrie, qui restèrent marqués par le poids de la romanité. Les possibilitésd'interprétation du "style II" dans le monde scandinave, selon K. Hoilund Nielsen, peuvent aider à mieuxcomprendre ses manifestations périphériques dans le monde insulaire et sur le continent. On constate ainsi

que la diffrtsion du "style II" en Scandinavie coiïcide avec la formation au début du Vle siècle, sous

I'impulsion des Danois, d'une vaste entité politique englobant le Danemark, le sud de la Scandinavie, la

Suède centrale, le Gotland, ainsi que des chefferies en Norvège et en Finlande. Mais tandis que ce style est

socialement largement répandu dans le sud de la Scandinavie et ome aussi bien les objets masculins que

féminins, il ne concerne en Suède, en Finlande et dans le Gotland que les élites guerrières de très haut

niveau social, avec des représentations zoomorphes beaucoup plus raffrnées. K. Hoilund Nielsen est ainsi

amenée à interpréter globalement le "style II" en Scandinavie comme un "instrument de propagande"

destiné à légitimer le nouveau pouvoir et à voir dans ses manifestations périphériques immédiates de

meilleure qualité des "exportations de luxe", en I'occurrence des cadeaux diplomatiques destinés à rallier au

nouveau pouvoir les chefferies de ces territoires. S'il est clair, selon I'auteur, que ce style zoomorphe n'est

pas ici une expression directe du mythe des origines scandinaves des peuples concemés, il est oependant

vraisemblable qu'il lui est implicitement lié, ne serait-ce que par la relation probable entre les motifs

zoomorphes du "style II" et ses armes-support, d'une part, et les diverses représentations d'Odin en tant que

dieu de la guerre, d'autre part. C'est dans cette perspective que K. Hoilund Nielsen propose d'expliquer la

diffusion du "sÿle II" dans le monde insulaire et sur le continent. Examinant pour les divers royaumes

barbares concemés les évènements politiques pouvant coihcider avec l'apparition de ce style à partir des

années 565, I'auteur établit un parallèle avec ceux qui étaient intervenus dans le monde scandinave dans les

premières décennies du VIe siècle. Qu'il s'agisse de I'East Anglia, de I'Austrasie ou de I'Italie lombarde, ces

royaumes barbares d'Occident, à I'image d'un monde scandinave unifié et fort avec lequel ils partageaient le

lointain souvenir d'origines mÿhiques communes, auraient ainsi voulu davantage ancrer leur pouvoir face à

la romanité, en affirmant par ces motifs leur identité germanique toujours présente57. Cette nouvelle piste de

recherche, si elle mérite d'être approfondie, nous semble en tout cas riche de promesses. En effet, on ne

peut par exemple attribuer au hasard le fait qu'en Neustrie, territoire échappant largement au "style II",qu'on ait mis au jour les motifs les plus élaborés de ce style pour le nord de la Gaule dans la basilique de

Saint-Denis, nécropole de la cour mérovingienne de Paris (Fig. 15 et l6)s8.

C'est certainement dans cette perspective qu'il convient d'interpréter I'omementation de I'applique de

Limons, chef d'oeuvre emblématique de I'art mérovingien. Faisant sans doute partie à I'origine d'un décor

de sac à main dont la qualité indique qu'il était destiné à une femme de haut rang, cet objet, certes isolé en

Auvergne, regroupe les signes qui, en Austrasie notamment, servaient en cette fin du VIe siècle à afftrmer

I'identité de I'aristocratie de souche franque: d'une part son engagement chrétien, d'autre part son adhésion à

une dynastie d'origine germanique.

" Cf. Hedeager 1998, 382-396. Dans cet article récent, I'auteur a montré comment certains peuples germaniques de l'époquedes Grandes Migrations ont conservé, sinon créé, un mÿhe de leur origine scandinave et pai'enne qui" lié au besoin de

légitimations politiques et idéologiques, s'est notamment exprimé au plan de la culture matérielle par le recours au sÿleanimalier.

sB FleuryÆrance-Lanord 1998. - Outre les pendants de jarretière d'Arégonde, voir notamment les motifs zoomorphes figurantsur la plaque-boucle de la tombe 9, notices II, 7, ou sur les décors de fourreau du scramasaxe de la tombe ll, notices II,21.

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Perin - L'applique De Limons

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Figure 2 : Découvertes archéologiques effectuées sur le finage de la commune de Limons (Puy-de-Dôme). Lieu-dit',port de Ris,'. où futtrouvée I'applique de Limons.

387

Perin - L'applique De Limons

Figure 3 : Les appliques zoomorphes d'angle du sac à main de la tombe feminine de wittislingen (wemer 1g50)

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Figure 4a: Exemples d'appliques de sacs à main mérovingiens (wemer 1950); à gauche, Buissière et spontin (Belgique); à droite Essigny-le-petit (France, Aisne).

Perin - L'applique De Limons

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Figure 4b: Exemples d'appliques de sacs à main mérovingiens (werner 1950); Décors de sac à main, bronze, premier tiers du vleGoudelancourt-les-Pierrepont (France, Aisne). Aimable communication de Alain Nice.

389

Perin - L'applique De Limons

Figure 5 : Carte de répartition des sacs à mains mérovingiens (d'après J. Wemer et H. W. Bôhme) (Zeller 1989/90).

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Perin - L'applique De Limons 391

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Figure 6 : Plan de la tombe de femme 4la d'Ingelheim (Kr. Mayence-Bingen) : appliques de la pochette du sac à main §" 7) et de ta

courroie de suspension §'5). Deuxième quart du VIIe siècle (Zeller 1989/90).

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Perin - L'applique De Limons

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Figure 7 : Reconstitution du sac à main de la tombe de femme 41a d'Ingelheim. Die Franken Wegbereiter Europas, cat. de I'exposition duReissmuseum de Mannheim, 1996t.2, p. 1007 fig. 10.

Figure 8 : Possibilité de reconstitution du décor de sac à main dont faisait partie I'applique de Limons. Dessin p. périn.

Figure 9 : Ie masque humain crucifere de I'applique de Limons.

Figure l0 : Ardillon d'une plaque-boucle découverte à Carignan (Ardennes), avec la Sainte Face (Salin 1959).

Perin - L'aPPlique De Linrrs

Figure 11 : Les chefs de sangliers de I'applique de Limons.

Figure 12 : Les motifs serpentiformes de l'applique de Limons

Perin - L'applique De Limons

Figure 13 : Chefs de loup, de sanglier et de rapace en "style animalier germanique II" (Wemer 1963)

Figure 14 : Basilique de Saint-Denis, tombe de la reine Arégonde. Paire de ferrets en argent doré avec décor de chefs de sangliers et de

rapaces affrontés (Fleury et France-Lanord 1998).

Perin - L'applique De Limons

Figure l5 : Basilique de Saint-Denis, tombe 9. Plaque-boucle en argent avec décor de chefs de sangliers et de rapaces affronté (Fteury etFrance-Lanord 1998).

Appliques de fourreau de scramæaxe en tôle d'og avec sangliers et rapaces opposé (Fleuryet Franoe-Lanord 1998).

Figure 16:Basilique de Saint-Denis, tombe 11