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TRACÉS 15 2008/2 PAGES 25-45

La sociologie française est-elle pragmatist compatible ?

ROMAIN PUDAL

Si la réception du pragmatisme en France s’est faite de façon « souterraine » pendant un demi-siècle à peu près, force est de constater que depuis la fi n des années soixante-dix, le pragmatisme, ou plutôt les pragmatismes, ont connu un très réel succès qu’on peut à bon droit comparer à un phénomène de mode. Pourquoi parler de « pragmatismes » au pluriel et de « phénomène de mode » ? Tout simplement parce qu’il est bien di! cile de repérer – et plus encore de défi nir avec précision – ce qu’entendent par « pragmatisme » nombre de philosophes, sociologues, historiens qui ont recours de façon plus ou moins explicite à ce terme. Car si le signifi é est fl ottant, il faut bien d’abord prendre acte du fait que les signifi ants le sont aussi et que lorsqu’on cherche à repérer les éléments susceptibles d’éclairer cette réception, on est renvoyé à tout un univers sémantique aux contours relativement fl ous. « Pragmatisme », « pragmatiste », « pragmatique », « pratique » et toutes leurs déclinaisons ou presque se trouvent dans les propos ou sous la plume de très nombreux chercheurs des disciplines anthropo-sociales. Nous nous inté-resserons ici à certains des usages du pragmatisme en sociologie : s’agit-il d’une ressource théorique assumée et fouillée ? D’un « label » permettant de prendre ses distances avec d’autres types de sociologie ? En un mot, pour reprendre les termes de Christian Topalov à propos de l’École de Chicago : qu’en dit-on et à quoi sert-il de s’en réclamer ?

L’article qui suit est donc issu d’une thèse, soutenue en "##$, qui a tenté de reconstituer les réceptions du pragmatisme en France depuis près d’un siècle en adoptant un point de vue sociohistorique. Au cours de cette enquête croisant sociologie des intellectuels et histoire des sciences sociales, nous avons été conduit à mener de nombreux entretiens avec des universi-taires français, essentiellement philosophes et sociologues. Nous avons pri-vilégié les deux univers disciplinaires qui nous étaient les plus connus mais

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nous avons proposé des pistes interprétatives, dont nous dirons quelques mots, pour la linguistique ou l’histoire, par exemple, qui suggèrent que de multiples usages du pragmatisme irriguent les sciences sociales françaises et participent d’une certaine reconfi guration intellectuelle que nous essaierons de caractériser succinctement.

Dans son ouvrage, Les nouvelles sociologies, Philippe Corcu% parle d’une « galaxie pragmatique » (Corcu% , "##$, p. &#$). À propos de Luc Boltanski et de Laurent ' évenot, directeurs d’études à l’EHESS et membres du Groupe de sociologie politique et morale, il écrit :

Ils ont esquissé un paradigme pragmatique (centré sur « l’action située ») à par-tir de la fi n des années &()#, en rupture avec le cadre de la sociologie de Pierre Bourdieu dans lequel ils avaient commencé à travailler. Cette « sociologie des régimes d’action », ou « sociologie des régimes d’engagement », s’intéresse à des corps dotés de compétences et confrontés à des choses au sein de cours d’action. (Corcu% , "##$, p. &#")

Albert Ogien, quant à lui, écrit dans son dernier ouvrage, Les formes sociales de la pensée :

Ce livre procède à l’examen de ce symptôme. Et l’auscultation commence par l’élucidation d’une énigme : comment des sociologues ont-ils pu assimiler l’œu-vre de Ludwig Wittgenstein à un territoire familier et la transformer en source d’inspiration ? Un premier élément de diagnostic tient en un constat, concep-tuel et historique à la fois : ce mouvement d’appropriation a été contemporain de l’émergence, en sociologie, d’une critique des écueils symétriques du positi-visme et du subjectivisme. (Ogien, "##$, p. ))

Ces façons de présenter le paysage sociologique cherchent à dessiner les contours d’une nouvelle confi guration intellectuelle révélatrice d’un chan-gement dans les sciences humaines et sociales que désigne, de façon plus ou moins fl ottante, le terme « pragmatique ». Il faudrait en e% et contextualiser le paysage sociologique proprement dit en mettant en lumière les mutations théoriques et méthodologiques qui ont a% ecté d’autres disciplines : ainsi, par exemple, de la linguistique ou de l’histoire.

Dans sa postface au désormais classique Quand dire, c’est faire d’Austin, François Récanati s’intéresse à la naissance de la pragmatique en refaisant le chemin qui mène du positivisme logique à la philosophie du langage ordi-naire. Récanati écrit ainsi : « C’est en pragmatique que les travaux des phi-losophes du langage ordinaire ont eu le plus d’infl uence sur la lingui stique contemporaine », et en note : « La pragmatique est cette sous-discipline lin-guistique qui s’occupe plus particulièrement de l’emploi du langage dans la communication. » (Récanati, &($#, p. &)$) Austin s’intéresse aux énoncés

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contextuellement situés. Il va même, dit Récanati, jusqu’à « élaborer une théorie générale de la parole comme action » (Récanati, &($#, p. &(*).

Ce tournant pragmatique se retrouve mutatis mutandis en histoire et revêt deux dimensions principales. Le pragmatisme est revendiqué, d’une part, pour analyser les situations et les hommes en tant qu’acteurs de leur histoire, et d’autre part, certains historiens, au premier rang desquels Gérard Noiriel, font du pragmatisme leur ligne philosophique principale pour éla-borer une sorte de déontologie disciplinaire.

Parmi ceux qui ont cherché à promouvoir cette reconfi guration intel-lectuelle, l’historien le plus connu est sans doute Bernard Lepetit dans Les formes de l'expérience (&((*). Dans l’introduction à cet ouvrage, intitulée « Histoire des pratiques, pratique de l’histoire », il retrace l’historiographie depuis cinquante ans et rappelle que l’histoire en France fonctionnait dans les années cinquante-soixante selon le paradigme « braudelo-labroussien » : approche macroéconomique, structures sociales, tendances séculaires, recours massifs et quasi systématiques à la statistique descriptive. Le nou-veau moment historiographique annoncé dans les éditoriaux des Annales en mars-avril &()) serait marqué, selon Lepetit, par le fait de « recommencer à prêter une attention particulière à la société et d’analyser celle-ci comme une catégorie de la pratique sociale, c’est-à-dire de considérer que les iden-tités sociales ou les liens sociaux n’ont pas de nature, mais seulement des usages » (Lepetit, &((*, p. &+). C’est ce qu’il appelle une « orientation prag-matique ». Il diagnostique lui aussi un changement d’orientation dans l’en-semble des sciences sociales :

L’économie, la sociologie, l’anthropologie ou la linguistique prennent aujourd’hui leur distance d’avec le structuralisme, voire avec l’explication cau-sale pour, les unes et les autres, prêter attention à l’action située et rapporter l’explication de l’ordonnancement des phénomènes à leur déroulement même. À la linguistique saussurienne, on oppose la sémantique des situations ; contre les déterminations de l’habitus, on insiste sur la pluralité des mondes de l’action. (Lepetit, &((*, p. &,)

Plusieurs éléments corroborent ce diagnostic d’ensemble : le numéro spécial de Critique – « Sciences humaines : sens social » de juillet &((&, dont l’intro-duction, rédigée par Vincent Descombes, porte le titre : « Science sociale, science pragmatique » – est l’un de ces indices. L’article de &((( de ' omas Bénatouïl dans les Annales, qui propose un principe de lecture de la socio-logie française selon deux pôles opposés, « critique » et « pragmatique », en est un autre. Le troisième indice est enfi n le lancement aux Éditions de l’EHESS, en &((#, d’une collection d’ouvrages sous le titre évocateur de

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« Raisons pratiques », ouvrages qui vont beaucoup compter pour la di% u-sion de thèmes relevant de cette mouvance pragmatiste.

Nous ne pouvons entreprendre ici une analyse exhaustive des usages et appropriations du pragmatisme dans les sciences sociales, mais nous tente-rons de montrer comment fonctionne le recours à cet univers philosophique dans deux entreprises intellectuelles d’envergure : celle de l’équipe de « Rai-sons pratiques » tout d’abord, puis celle de Bruno Latour ensuite. Si nous avons choisi de centrer les analyses qui suivent sur ces deux sous-ensembles de travaux – l’un relevant des sociologies de l’action, l’autre de l’ethnogra-phie latourienne des sciences –, c’est, d’une part, que nos interlocuteurs ont fait état des a! nités qu’ils voyaient se dessiner entre ces courants tout en s’interrogeant simultanément et de façon plus ou moins systématique, d’autre part, sur la multiplicité des usages du pragmatisme dont ceux-ci témoignaient. Si l’on se risque à chercher un dénominateur commun, et sans jamais considérer qu’il serait le ressort explicatif ultime et défi nitif, force est de constater que ces deux approches sociologiques cherchent chacune à leur manière à contrecarrer le cadre théorique élaboré par Pierre Bourdieu en renouvelant le répertoire de notions sociologiques mobilisables.

Lorsque l’un de nos interlocuteurs nous déclare qu’« aujourd’hui, toute la sociologie française est bourdieusienne, [que] Bourdieu est devenu le common knowledge de tous les sociologues français ou presque », qu’« il faut donc à présent en sortir et [que] selon des modalités di% érentes, la pen-sée pragmatiste peut servir à ça », il donne à voir selon nous l’un des socles communs à des travaux par ailleurs di% érents les uns des autres. Nous com-mencerons par donner un rapide aperçu de ce qu’on peut trouver dans la philosophie pragmatiste dans sa version américaine, ce qui devrait éclairer en partie les usages qui peuvent en être faits et que nous expliciterons dans un second et un troisième temps.

Le pragmatisme version originale

Il existe bien une histoire « canonique » du pragmatisme, avec ses moments clés, ses fi gures incontournables et ce que Jean-Michel Berthelot a appelé un « noyau dur rationnel » (Berthelot, "##*), disons un ensemble de propositions philosophiques qui, même retravaillées au fi l du temps, constitue comme une sorte de socle théorique identifi é durablement avec le pragmatisme.

Il faut noter tout d’abord que le pragmatisme n’a jamais été un courant homogène : « Comme Peirce lui-même s’en était très vite rendu compte, les

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idées de James n’obéissaient pas aux mêmes orientations que les siennes. Quel qu’ait été primitivement le rôle des idées de Peirce, celles de James et Dewey s’en écartent notablement », écrit Jean-Pierre Cometti (&((,, p. +)() dans le chapitre consacré au pragmatisme du manuel dirigé par Michel Meyer, La philosophie anglo-saxonne. Il souligne par ailleurs l’importance de la philosophie analytique, et notamment de l’immigration de philosophes attachés au positivisme logique dans les années trente (issus par exemple du Cercle de Vienne), ainsi que du succès grandissant de cette approche logi-cienne de la philosophie après la seconde guerre mondiale aux États-Unis pour comprendre les infl échissements, voire la quasi-disparition du prag-matisme : « C’est pourquoi le pragmatisme d’aujourd’hui ne ressemble pas exactement à celui d’hier ; c’est également pourquoi il renaît en se cherchant dans des discussions qui sont très loin d’en faire un courant homogène. » (Cometti, &((,, p. ,)+)

Repères historiques

L’histoire du pragmatisme commence donc avec le « Club métaphysi-que » de Cambridge aux États-Unis, créé aux alentours de &)$#, avec pour fondateur Charles Sanders Peirce et qui compte notamment en son sein William James, mais aussi des juristes et des savants. Il est bien di! cile de donner une défi nition du pragmatisme, mais il est certain que pour Peirce, il s’agit d’une méthode de clarifi cation conceptuelle « permettant de résoudre ou dissoudre les problèmes de la philosophie » (Putnam, &($*, p. "$") : « Le pragmatisme n’est en soi aucune doctrine de métaphysique, aucune tentative pour déterminer une quelconque vérité des choses. C’est simplement une méthode pour établir la signifi cation des mots di! ciles et des concepts abstraits. » (Tiercelin, &((+, p. )-() Les deux textes considérés comme les premières formulations les plus claires du pragmatisme sont ceux publiés par Peirce en novembre &)$$ et janvier &)$) : « Comment ren-dre nos idées claires » et « Comment se fi xe la croyance ». Que contiennent-ils ? D’abord et avant tout une critique assez féroce de Descartes.

Mais les textes de Peirce contiennent aussi ce qu’il est convenu d’appeler « la maxime pragmatiste », autrement dit l’un de ces éléments du noyau dur dont nous parlions. Voici ce que dit cette maxime : « Considérer quels sont les e% ets pratiques que nous pensons être produits par l’objet de notre concep-tion. La conception de tous ces e% ets est la conception même de l’objet. »

C’est fi nalement James qui popularisera le mot « pragmatisme », d’abord avec sa conférence de &)(), Philosophical Conceptions and Practical Results,

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puis avec celles qui donneront naissance à son ouvrage, Le pragmatisme, publié en &(#$. La fi gure de Dewey, dont la productivité et la multipli-cité des domaines d’études (philosophie, psychologie, pédagogie…) ne se démentent pas tout au long d’une très longue carrière dans les plus presti-gieuses universités américaines, est aussi incontournable.

La science, guide du philosophe

Du point de vue théorique, il faut souligner que pour tout pragma-tiste, la science doit être le guide du philosophe. Peirce avait coutume de dire que c’était le laboratoire qui lui avait tout appris ; Dewey déclare de son côté : « Il est faux de dire que tous nos malheurs proviennent d’une absence d’idéal : ils proviennent d’idéaux fallacieux. Et ces idéaux plongent leurs racines dans un monde social qui ignore la science en tant que cette dernière constitue une enquête critique, impartiale, systématique, métho-dique, portant sur les conduites opérantes. » (Dewey, "##+, p. &&()

La référence au laboratoire, l’importance de l’expérience ou, mieux, de l’expérimentation, du concret, l’empirisme radical revendiqué par James, des références théoriques comme Darwin, un argumentaire profondément anti-cartésien, tout un ensemble de positions contribuent donc à associer, sur-tout depuis James, le pragmatisme à l’utilité, l’e! cacité, le sens du pratique et de l’action, un certain goût aussi pour le matérialisme et l’individualisme. L’une des originalités du pragmatisme tient essentiellement dans l’élabo-ration d’un critère de signifi cation qui renvoie non à ses origines dans les idées – quelle qu’en soit la forme –, mais à ses conséquences dans le monde, dans la pratique, ce qui le rapproche presque systématiquement de toutes les formes d’empirisme. Dewey est on ne peut plus clair sur ce point et écrit à ce sujet : « Dans la validation d’un principe ou d’une hypothèse de vérité, on s’intéressera à son origine, qui doit avoir ses racines dans l’expérience, et à ses e% ets pratiques, positifs ou négatifs, au lieu de retenir principes et énoncés d’origine sublime venant d’un au-delà de l’expérience et indépendants de leurs e% ets concrets dans l’expérience. » (Dewey, "##+, p. -$)

Le refus de toutes les formes d’idéalisme, le rejet des arrières-mondes et l’anti-essentialisme sont des thématiques elles aussi centrales dans le prag-matisme. Il n’existe à peu près, à notre connaissance, aucun texte prag-matiste qui ne soit guidé par cette idée anti-essentialiste fondamentale. C’est la méfi ance à l’égard des systèmes philosophiques clos et rigides qui méprisent l’empirie au profi t de formalismes abstraits ou de réifi cations conceptuelles discutables, qui constitue l’un des socles de cette philoso-

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phie. « Pragmatisme, instrumentalisme, institutionnalisme, déterminisme économique et positivisme juridique présentent une parenté philoso-phique frappante. Toutes ces doctrines veulent éviter un abord trop formel des problèmes ; elles proclament toutes leur désir impatient d’empoigner la réalité, leur attachement à ce qui est vital, à ce qui est en mouvement dans la vie sociale », écrit Morton G. White dans La pensée sociale en Amérique (&(-+, p. ,).

Ce très bref rappel historique et théorique permettra, nous l’espérons, de mieux comprendre comment les sciences sociales françaises ont pu s’ap-proprier des pans entiers du pragmatisme depuis une vingtaine d’années. Pourtant, lorsqu’on étudie le phénomène dans son ensemble, il est frappant de constater la multiplicité des usages qui peuvent en être faits : si nous choisissons de présenter ici deux courants sociologiques qui vont y puiser notamment des armes contre la sociologie de Bourdieu, il faut néanmoins rappeler que ce dernier a souvent souligné les a! nités profondes qu’il voyait entre sa sociologie et la philosophie pragmatiste. Ceci pour signifi er que l’histoire sociale des idées peut contribuer à mettre au jour des paradoxes constitutifs de phénomènes de mode intellectuelle..

Une entreprise collective : « Raisons pratiques »

Les origines intellectuelles de « Raisons pratiques »

L’un des foyers les plus actifs de réception du pragmatisme dans les sciences sociales se situe depuis une quinzaine d’années à l’EHESS autour de l’équipe de « Raisons pratiques », même si celle-ci a changé dans le temps. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Louis Quéré, directeur de recherche au Centre d’études des mouvements sociaux, revient sur cette entreprise intellectuelle :

Au départ, « Raisons pratiques » n’avait pas d’accrochage particulier au pragma-tisme mais plutôt, quoique partiellement, à la philosophie analytique. En fait, le point de départ, ça a été dans les années quatre-vingt. On avait lancé ici, au CEMS, un séminaire d’épistémologie des sciences sociales qui était accompa-gné d’une publication, les Cahiers d'épistémologie des sciences sociales. À l’époque, cela correspondait à une phase où ça a été un peu le tournant habermassien de

& Voir Joas, &((+, qui donne à voir l’histoire des incompréhensions qui ont touché pragmatisme et pensée allemande. L’œuvre de Joas montre aussi que la réception du pragmatisme n’est pas seulement une a% aire française mais pourrait faire l’objet d’un véritable travail comparatif à l’échelle européenne.

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ma trajectoire, fi n des années soixante-dix ; j’avais été très impressionné par les deux volumes d’Habermas traduits, celui sur l’espace public et celui sur la légitimité – surtout celui sur l’espace public, d’ailleurs. Je m’étais alors plongé dans une lecture approfondie d’Habermas ; j’étais intéressé par sa confrontation avec l’herméneutique et Gadamer. C’était un intérêt pour ce qu’on appelle le tournant ontologique de l’herméneutique post-heideggerienne, la compréhen-sion de soi, des individus comme des collectifs constitutifs de leur identité. Du coup, j’ai commencé à m’intéresser aux dimensions de la compréhension et de l’interprétation que les acteurs font d’eux-mêmes puis, pour donner un contenu plus sociologique à cette a% aire, j’ai découvert un peu par hasard le courant ethnométhodologique qui se raccrochait directement à cette problématique-là. (Entretien du ) juin "##-)

À la question de savoir comment cette découverte s’est opérée, il répond :Par des lectures : il se trouve qu’en &()#, j’avais passé six mois à Montréal et j’ai découvert des textes : Ciccourel, Garfi nkel… Au retour, j’avais proposé de constituer un groupe de travail, de lecture, de ces textes pas faciles d’accès, qui posaient des problèmes d’interprétation assez coriaces, et c’était dans le cadre du séminaire – on avait lancé un groupe de travail là-dessus – avec des col lègues du CEMS, Renaud Dulong, Alain Cottereau. Puis sont venus des gens de l’ex-térieur : du Centre de sociologie de l’éthique, Pharo, Ladrière… Quelqu’un était dans un autre réseau, le réseau Pécheux, l’analyse du discours : c’était Ber-nard Conein, qui s’intéressait, lui, à l’aspect plus « analyse de conversation » dans ce courant ethnométhodologique. Ce groupe a sorti en &(),, je crois, un petit cahier, « Arguments ethnométhodologiques », où on avait traduit quelques bouts de textes de Garfi nkel ; il y avait quatre ou cinq articles de discussion de sa pensée. Parallèlement, d’autres auteurs avaient été travaillés : il existait un groupe sur Habermas lorsqu’est parue ! éorie de l'agir communicationnel. On s’était dit qu’il y avait un thème qui méritait qu’on le reprenne, celui de l’analyse de l’action, thème central dans l’ethnométhodologie ; on avait constitué un PRI (projet de recherche intégré) permettant à des centres de recherche di% érents de travailler ensemble. Parallèlement, il y avait une troisième initiative, plus « ana-lyse de conversations ». (Entretien du ) juin "##-)

Le pragmatisme n’est donc pas premier ; c’est plutôt une confl uence d’in-térêts théoriques divers qui va y mener, comme à un arrière-plan théorique nécessaire mais longtemps méconnu. On remarquera au passage la néces-sité, maintes fois soulignée par nos interlocuteurs, de passer par le continent nord-américain pour y découvrir des auteurs largement ignorés en France, auteurs majeurs à plus d’un titre et dont certains ont pu bénéfi cier avant-guerre d’un intérêt réel dans l’hexagone/. C’est dire si la continuité intel-lectuelle est peu assurée en ce domaine. C’est d’ailleurs ce que sou lignent

" Nous nous permettons de renvoyer à notre article : Pudal, "##*, p. )--&#".

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Louis Quéré et Bruno Karsenti dans leur introduction au volume &* de « Raisons pratiques » :

La réception des œuvres de pensée est un processus historique, chaque époque sélectionnant et sollicitant celles qui l’intéressent en fonction des préoccupa-tions qui sont les siennes et de l’aide qu’elle pense y trouver pour résoudre les problèmes auxquels elle est confrontée. […] Tel est le cas du pragmatisme amé-ricain, dont on redécouvre aujourd’hui l’intérêt pour élucider nombre de pro-blèmes actuels dans de multiples domaines. (Quéré, Karsenti, "##,, p. ()

On peut partager ce diagnostic mais il n’éclaire qu’une face du phénomène, celle de la recherche désintéressée d’outils intellectuels pour résoudre des problèmes (éventuellement) nouveaux ; il fait peu cas de la dimension cri-tique de certaines entreprises intellectuelles qui commencent par bâtir sur les « ruines » de celles qui les précèdent, c’est-à-dire du recours à des œuvres de pensée oubliées ou méconnues dans la double perspective d’un renver-sement des hiérarchies intellectuelles en place et d’une autopromotion de soi comme spécialiste d’un nouveau domaine de pensée dont on essaie de montrer qu’il est dorénavant devenu incontournable.

Une notion unifi catrice : l’action

Il faut en tout cas une thématique unifi catrice pour fédérer ces divers mouvements de pensée, ces multiples programmes de recherche dont parle Quéré : cette thématique unifi catrice sera l’action. Signifi cativement, le premier numéro de « Raisons pratiques », en &((#, a pour titre « Les formes de l’action » ; celui de &((+ sera quant à lui intitulé « Les théories de l’ac-tion ». À la lecture de tous les textes qui s’inscrivent dans cette mouvance, on comprend que la notion d’action présente un intérêt majeur, celui d’être malléable et appropriable par tous, puisqu’elle ne constitue pas un concept clairement défi ni et ne renvoie pas à une théorie fortement structurée dont le cahier des charges serait trop contraignant. L’action, c’est évidemment d’abord un moyen de se recentrer sur l’acteur et de sortir des travaux sur de vastes entités, comme des institutions, des structures sociales, des classes, des groupes, etc. : on réduit la focale, on allège l’appareil théorique, on se recentre sur des situations – autre concept majeur de ce nouveau lexique, autre titre de « Raisons pratiques »0 – afi n que le travail du sociologue soit au plus près de l’observable.

+ &(((, La logique des situations, Paris, EHESS (Raisons pratiques).

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Il faut y voir, à n’en pas douter, la marque de l’ethnométhodologie1 qui a servi à informer ces programmes de travail nouveaux. Pourtant, les promoteurs de ces nouvelles façons de faire de la sociologie n’ont de cesse de déplorer l’accueil plutôt froid qui est réservé à cette sociologie et de dénoncer la situation de marginalité dans laquelle ils sont confi nés depuis si longtemps. On objectera à ce tableau plutôt sombre trois remarques : premièrement, l’ethnométhodologie a longtemps joué d’une clandestinité voulue et recherchée ; deuxièmement, un certain nombre de sociologues initialement intéressés par cette nouvelle approche ont fi ni par trouver des places tout fait honorables dans des institutions peut-être initialement her-métiques ; troisièmement, c’est, il faut le dire, un locus communis de l’his-toire intellectuelle que de se présenter comme le découvreur méconnu et longtemps ostracisé d’un nouveau courant théorique et de lire sa trajectoire comme celle d’un chercheur longtemps marginal qui a lutté avec persévé-rance contre les immobilismes de l’institution.

Plus problématique en revanche, et sans doute aussi plus di! cile à cer-ner, parce que plus di% us, serait ce phénomène dont parle Albert Ogien dans l’entretien qu’il nous a accordé. Il s’agit non pas de désigner des programmes de recherche concurrents, ni des paradigmes incommensu-rables, mais plutôt de montrer en quoi le pragmatisme incarnerait une façon d’aborder les problèmes radicalement di% érente de celle qui existe en France. Ce n’est plus alors le pragmatisme en tant que doctrine constituée mais bien en quelque sorte l’esprit du pragmatisme qui serait di! cile à assi-miler. C’est bien une posture intellectuelle que cherche à dessiner Albert Ogien et qui explique, selon lui, le peu de succès qu’a connu le pragma-tisme en France et sa nécessaire acclimatation, qui risque à tout moment de le dénaturer totalement :

Et je me suis souvent interrogé sur l’irréception, l’incapacité de mes collègues français à comprendre des choses qui me semblaient très claires, exposées par des maîtres américains ; cela semblait clair, évident, et pourtant totalement à l’écart de ce qu’un « vrai » sociologue devait faire ; et dans cette réfl exion sur la raison pour laquelle des énoncés, des propositions qui sont sensées, intelli gibles,

, Nous renvoyons ici aux travaux d’Harold Garfi nkel (Recherches en ethnométhodologie, Paris, PUF, "##$) et à l’idée d’une discipline qui étudie la façon dont des participants à une activité lui confèrent son intelligibilité propre. Pour le dire très simplement, l’ethnométhodologie s’in-téresse de l’intérieur à la manière dont se fabriquent les principales caractéristiques observables d’un phénomène. Elle combat l’idée d’un privilège réfl exif et analytique accordé à l’observateur extérieur (le chercheur, par exemple) comme elle conteste corrélativement l’idée de l’« idiot culturel ». Nous renvoyons notamment à Michel de Fornel, Albert Ogien et Louis Quéré éd., "##&.

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n’étaient pas du tout reçues, j’ai pensé – enfi n, de façon très intuitive, assez tôt –, j’ai pensé qu’il y avait… le mot est un peu cocasse, mais c’est « l’univers pragmatiste de la pensée anglo-saxonne en général, de la pensée américaine en général », on va dire c’est l’humus, le terreau utilitariste anglais, américain, cette espèce de manière de voir le monde, de ne pas en rajouter dans les questions de métaphysique, cet esprit-là. Moi j’appelle ça « l’esprit du pragmatisme », qui insu2 e de façon – entre guillemets – « naturelle » la pensée américaine. Ils ne pensent plus tellement les racines, les fondements. C’est vraiment une manière d’orienter le questionnement en sociologie, ce n’est pas la même que celle qu’on avait en France ; c’est une certaine manière de voir le monde du point de vue de l’action ! C’est ça le noyau dur, la pierre à partir de laquelle la pensée pragmatiste s’érige : donner la primauté à l’action. (Entretien du "( mai "##-)

L’idée, défendue par Ogien, d’un esprit pragmatiste donnant le primat à l’action et reposant sur un background utilitariste très étranger à la France, restée largement attachée à sa tradition rationaliste, voire idéaliste, est une idée que nous avons retrouvée non seulement chez certains promoteurs de « Raisons pratiques » mais aussi chez Latour ou Hennion – sociologue au CSI, longtemps collègue de Latour et promoteur de ce qu’il appelle une « pragmatique du goût ».

Bruno Latour n’a de cesse de rappeler son étonnement critique face aux premiers paragraphes du cours de Durkheim consacré au pragmatisme et à la sociologie : par exemple, dans son entretien avec Jean-Marc Lévy-Leblond pour la revue Rue Descartes, du Collège international de philoso-phie, intitulé « Il ne faut plus qu’une science soit ouverte ou fermée ». Voici la lecture que donne Latour de l’épistémologie historique française dans ses rapports avec le pragmatisme :

Les science studies ont complètement transformé la vieille épistémologie : l’éty-mologie des deux termes est la même, en anglais ou en grec, mais les résul-tats sont méconnaissables ! Malheureusement, les universitaires français en sont presque totalement privés, car malgré le travail incroyable de Dominique Pestre au Centre Koyré, et plus récemment de Ian Hacking au Collège de France, les esprits restent bloqués sur ce que j’appelle le national-rationalisme3 dont Durkheim a donné en &(&, une expression fulgurante dans son cours sur les pragmatistes, et qui n’a pas bougé d’un iota depuis presque cent ans : si la France, dit-il, devait un jour changer sa conception rationaliste de la science, elle disparaîtrait ! Quel pays a jamais construit son idée nationale sur une telle conception ? Voilà le grand sujet anthropologique que j’aimerais aborder : « La France, fi lle aînée de la Science ». (Latour, "##+, p. $#)

* Voir aussi les articles de Latour dans Le Monde du "$ septembre "##+ et du ") avril "##-.

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Plus loin, il précise :Ce qui est bien sûr lié à la notion française d’universalité qui est à la fois scien-tifi que et politique, c’est cela que j’appelle le national-rationalisme. On ne met pas fi n aux confl its par l’arrangement, le compromis, la composition, la négo-ciation. C’est pourquoi l’épistémologie comme théorie de la science détachée de ses conditions de production joue un rôle si important – même si j’ai un peu tendance à l’exagérer, je le sais bien. (Ibid., p. &$&)

Nous souhaiterions donc à présent proposer une courte analyse des apports du pragmatisme à l’anthropologie des sciences de Latour.

Bruno Latour : une sociologie des sciences pragmatique ?

Parmi les multiples appropriations dont le pragmatisme fait l’objet dans les sciences sociales, il nous semble légitime de parler d’un sociologue connu et récemment nommé professeur à l’IEP de Paris, Bruno Latour, promo-teur avec Michel Callon, notamment, de l’anthropologie et de la sociologie des sciences en France. Il a longtemps travaillé au CSI, à l’École des Mines, il en a été le directeur et se réclame d’une « nouvelle sociologie », héritière d’un pragmatic turn et qui se signale entre autres par son refus critique de la sociologie de Bourdieu. Le pragmatisme sert donc entre autres à alimenter cette scission avec d’« anciennes » façons de faire de la sociologie.

Une « sociologie relativiste, comme la physique du même nom »

Dans un texte co-écrit avec Michel Callon, intitulé « Pour une socio-logie relativement exacte », non publié mais consultable sur le site de Bruno Latour4, ce dernier précise quels griefs il a contre ce qu’il appelle la socio-logie « pré-relativiste », celle de Bourdieu, par opposition à la sienne quali-fi ée de « relativiste, comme la physique du même nom ». On ne s’étonnera pas, au passage, que Latour ait fait l’objet d’un certain nombre de critiques, lors de l’a% aire Sokal5 notamment, mais aussi régulièrement sous la plume

- Référence : http://www.bruno-latour.fr/articles/article/#&-.html$ En quelques mots, on peut rappeler que l’a% aire Sokal, du nom du physicien américain Alan

Sokal, fait suite à la publication, en &((-, dans la revue d’études culturelles post-modernes Social Text, d’un article-canular de Sokal intitulé « Transgresser les frontières : vers une her-méneutique transformative de la gravitation quantique ». Après avoir révélé que cet article contenait nombre de contre-sens scientifi ques et d’inepties en tous genres qui n’avaient pas été repérés par le comité de lecture de la revue en question, Sokal a coécrit avec le physicien belge Jean Bricmont un ouvrage, Impostures intellectuelles, qui épinglait quelques-unes des fi gures

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d’Yves Gingras, sociologue des sciences canadien renommé ; nous en dirons quelques mots.Voici donc ce qu’il écrit :

Là est le paradoxe : les sociologues prérelativistes passent leur temps à relativiser les points de vue de leurs informateurs (les dominants par les dominés, l’illusion d’un choix libre par les régularités statistiques, l’illusion des déterminations par les irrégularités statistiques). Ils se font même gloire de ce « travail du relatif », mais ils ne l’appliquent jamais au cadre de référence qui leur permet ce relati-visme. Inversement, en sociologie relativiste, la fonction émancipatrice vient de ce que rien n’est ajouté aux acteurs et à leurs controverses. De ce fait, on peut y voir se dérouler l’ensemble des opérations de construction des acteurs (y com-pris parfois celles d’un cadre de référence hégémonique), et donc se composer peu à peu la puissance.

La sociologie des sciences de Latour et Callon participe de ce mouvement général qui conduit les sciences sociales à prendre de plus en plus au sérieux les « pratiques » des acteurs en abandonnant les vastes systèmes explicatifs globaux. Olivier Martin indique ce changement de perspective des années quatre-vingt :

La science n’est plus envisagée comme un système social régulé, ni comme une institution particulière dont il s’agit d’étudier l’organisation interne ou externe, ni comme un corpus de connaissances dont il faut saisir l’origine sociale, mais comme une pratique. Le regard du sociologue se porte sur les expériences, sur les pratiques de laboratoire, sur les actions des scientifi ques dans leur contexte de travail. (Martin, "###, p. ($)

Qu’est-ce donc que cette anthropologie des sciences revendiquée par Latour depuis son ouvrage de &($), écrit en collaboration avec Steeve Woolgar, La vie de laboratoire ? Cette anthropologie des sciences, qui étudie la science en train de se faire et les scientifi ques comme une tribu justiciable du même traitement que les Alladians ou les Berrichons, se donne pour contrainte première de travailler sur la science en action, encore incertaine, et non sur les résultats de la science o! cielle. L’idée première est d’échapper à l’épis-témologie et à ses traités décortiquant une science victorieuse, mais inca-pable de rendre compte du processus social et intellectuel qui a présidé à sa constitution.

intellectuelles contemporaines connues (Derrida, Lacan, Kristeva, Latour...), les accusant de tenir des discours relativistes et postmodernes totalement infondés à leurs yeux. Cette a% aire a déclenché en retour des réponses aux critiques formulées et a fi ni par mobiliser toute une partie du milieu intellectuel, notamment français. On pourra notamment se reporter au site http://www.physics.nyu.edu/faculty/sokal/index.html

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C’est pourquoi le principe de symétrie cher au sociologue David Bloor apparaît comme un recours théorique essentiel à la démarche latourienne :

Ou bien il est possible de faire une anthropologie du vrai comme du faux, du scientifi que comme du préscientifi que, du central comme du périphérique, du présent comme du passé, ou bien il est absolument inutile de s’adonner à l’an-thropologie qui ne sera toujours qu’un moyen pervers de mépriser les vaincus tout en donnant l’impression de les respecter, comme l’illustre fort bien La pensée sauvage de Lévi-Strauss. (Latour, !""#, p. $!)

C’est évidemment ce que fait l’épistémologie bachelardienne selon Latour, qui la critique systématiquement sur ce point.

S’y ajoutent deux contraintes : l’ethnométhodologie et la réfl exivité. On voit ici comment le même terreau intellectuel, repéré dans le cas de « Rai-sons pratiques », peut donner des ramifi cations multiples. L’ethnométho-dologie, c’est l’arme absolue « contre l’abus en sociologie du métalangage qui recouvre ce que disent et ce que font, en pratique, les acteurs sociaux » (Latour, !""#, p. $%). L’inspiration théorique vient de la « socio-ethnographie ascétique et minimale dont les origines se situent dans les travaux réalisés par Harold Garfi nkel et qui rejette toute interprétation ou toute explica-tion en termes de groupe, de classe, de catégorie sociale », précise Martin ($&&&, p. !&&).

Quant à la réfl exivité, il s’agit de prendre toute la mesure des capacités, c’est-à-dire des compétences' que possèdent les acteurs et qui les rendent capables, avant, à côté, parfois mieux que le sociologue, d’analyser leurs pratiques. Tel est en tout cas l’un des postulats essentiels de cette « sociologie pragmatique » que Callon défi nit ainsi :

La sociologie pragmatique des sciences n’étudie pas les scientifi ques pour eux-mêmes et par opposition à la science : elle décrit plutôt comment les scienti-fi ques font exister ensemble des institutions, des objets, des outils et des théories qui constituent la science et les techniques, c’est-à-dire par quelles actions ils les construisent. (cité par Bénatouïl, !""", p. $"%)

Hennion décrit ainsi le travail au CSI :C’est vrai qu’on se pose des questions parce que quand on voit les retours qu’on a, toute la culture sociologique s’y oppose en France fi nalement ! Nous ne sommes pas spécifi quement pragmatistes… En tout cas, notre sociologie des

( Il s’agit d’un terme récurrent et polysémique, mais on peut ici se référer à la défi nition qu’en donne Latour lui-même dans son entretien à la revue Tracés (n° !&, $&&#, p. !$)) : « Il faut consi-dérer la compétence comme l’“équipement” (ce que dirait Luc [Boltanski]), moral et cognitif, des humains qui ont a* aire à un monde totalement continu et arbitraire et qui catégorisent de façon à pouvoir s’en sortir. »

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sciences ici, c’est « pragmatist compatible », pas plus que cela, je dirais, mais c’est déjà beaucoup ! La chose n’est pas digérée, ça c’est sûr ! Surtout le pragmatisme de James ! (Entretien du ! juin "##!)

Quelques réactions critiques à la sociologie latourienne

Ce qui a réellement posé problème, souligne Olivier Martin, c’est que « ces recherches de type ethnométhodologique conduisent à mettre entre parenthèses le statut de vérité des énoncés et des résultats élaborés par les chercheurs dans leurs laboratoires » (Martin, "###, p. $#%). Deux concepts centraux sont alors mobilisés pour décrire les activités de ce champ scien-tifi que : celui de « champ agonistique » qui renvoie à tous les rapports de force, les systèmes d’alliances, les débats et controverses multiples et celui d’« énoncé de rhétorique » censé rappeler qu’en science comme ailleurs, il s’agit d’emporter la conviction.

Malgré les déclarations d’humilité, cette sociologie des sciences a suscité et continue de susciter bien des critiques. Les deux principales touchent à ce qu’on peut appeler son « sociologisme » et son « textisme ». Voici comment Bourdieu propose de défi nir le second point critique :

Latour et Woolgar entendent se placer du point de vue d’un observateur qui voit ce qui se passe dans le laboratoire sans adhérer aux croyances des cher-cheurs. Faisant de nécessité vertu, ils décrivent ce qui leur paraît intelligible dans le laboratoire : les traces, les textes, les conversations, les rituels […]. La vision sémiologique du monde qui les porte à mettre l’accent sur les traces et les signes les conduit à cette forme paradigmatique du biais scolastique qu’est le « tex-tisme », qui constitue la réalité sociale comme texte […]. La science ne serait ainsi qu’un discours ou une fi ction parmi d’autres. (Bourdieu, "##$, p. &'-&()

Quant au sociologisme, il prend ici une double dimension. D’une part, en pratiquant systématiquement « une mise entre parenthèses du contenu, des théories, des hypothèses et des savoirs », les ethnométhodologues oublient que « la frontière entre la science faite et la science en train de se faire n’est pas aussi nette qu’ils veulent bien le croire, pour la simple raison que les produits de la recherche scientifi que ne sont jamais défi nitifs, qu’ils sont toujours à la merci d’une réfutation ou d’une correction », comme le rap-pelle Martin ("###, p. $")). Mais plus encore, ce sociologisme s’enracine dans un « oubli de l’histoire de la science qui permet l’émergence de struc-tures (institutions, théories, instruments) échappant à l’analyse des seules interactions », écrit encore Martin ("###, p. $""). Ces deux critiques mas-sives se redoublent d’une remise en question plus générale de la stratégie

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argumentative de ces sociologues, pour qui les « e% ets de radicalité » consti-tuent une arme rhétorique savamment maniée.

C’est notamment Yves Gingras – auquel nous reprenons l’expression – qui, dans un article des Actes de la recherche en sciences sociales, s’en prend avec humour à cette rhétorique latourienne. Soulignant le fait qu’il n’a rien contre un « retour au réalisme », il souligne néanmoins qu’il « n’apprécie guère qu’on cherche à le lui vendre comme quelque chose de nouveau, de contre-intuitif » (Gingras, &((*, p. $). Plus exactement, et reprenant sur ce point l’argumentaire caustique d’Olga Amsterdamska, il écrit :

Le manque de précision des multiples déclarations concernant le rôle des divers facteurs dans les analyses de la science et de la technologie provient aussi du glissement de sens des termes et expressions utilisées […]. Ces glissements dans le sens donné aux termes et ces déplacements de niveau d’analyse sont fré-quents dans les discours des promoteurs du « génie hétérogène ». Olga Amster-damska6 a bien montré avec quelle agilité Latour oscille constamment entre le sens sémiotique et le sens commun des termes qu’il utilise, de sorte qu’il est impossible d’établir la position réelle de l’auteur. (Gingras, &((*, p. ))

Si les « e% ets de radicalité » produits par ces glissements sémantiques, cette « ignorance des mots de la tribu » brandie comme vertu heuristique et condition de possibilité d’une réelle sociologie, sont visibles dans les textes publiés, ils le sont bien davantage lorsqu’il s’agit des textes disponibles sur le site de Latour mais restés en quelque sorte confi dentiels. Hennion déclare par exemple :

Latour ne se dirait peut-être pas pragmatiste mais enfi n, c’est sûr, c’en est un héritier aussi, fi nalement ! Bon, comme il est souvent dans la provocation, c’est dur de savoir… En tout cas, il en fait implicitement usage quand, comme le pragmatisme, il appuie là où ça fait mal, notamment les platitudes du posi-tivisme… Tout comme Isabelle Stengers, à sa manière, mais pour elle aussi c’est dur de savoir, parce qu’elle fait peu de références… (Entretien du - juin "##-.)

Latour, pour sa part, se réclame explicitement du pragmatisme :

Mais le besoin de classifi cation et de norme, d’ailleurs la notion même de norme ressort à un type de science sociale qui revient à découper un continuum. Or, je suis jamesien, deweyen, pragmatiste, donc c’est vraiment un type de paradigme qui ne m’intéresse pas. (Latour, "##-, p. &&*)

( Olga Amsterdamska, « Surely you are joking, Monsieur Latour », Sciences, Technology and Human Values, vol. XV, n° ,, &((#, p. ,(*-*#,.

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Dans ce même entretien, il rappelle quelques étapes de son cheminement intellectuel en soulignant notamment son intérêt tardif pour les pragma-tistes comme Dewey, mais aussi le bricolage théorique qui fut le sien et lui a permis de « trouver des équivalents des pragmatistes, c’est-à-dire les ethno-méthodologues américains et les sémioticiens français » (Latour, "##-).

Nous avons rappelé l’importance, pour l’entreprise latourienne, du « principe de symétrie » élaboré notamment par David Bloor et l’École d’Édimbourg, mais il faut ici souligner que ce dernier a pris très nettement ses distances avec l’anthropologie des sciences de Latour. Dans un article au titre explicite, « Anti-Latour », de &(((, paru dans la revue Studies in History and Philosophy of Science, Bloor souligne que c’est à tort qu’on range sous un même label – le constructivisme social – le travail de Latour et le Pro-gramme fort. Cette confusion touchant le constructivisme, le relativisme, le principe de symétrie qui seraient communs aux deux approches est d’autant plus regrettable que la radicalité de Latour reste aux yeux de Bloor essen-tiellement rhétorique et théorique, sans jamais dessiner de programme de travail concret et réalisable. Pour résumer très schématiquement le propos de Bloor, la position de Latour est intenable, soit parce qu’elle revient à faire concrètement la même sociologie que celle qu’elle dénonce (Bloor, &(((, p. ((), soit parce qu’elle propose un véritable « obscurantisme élevé au niveau d’un principe méthodologique général ».7. À sa manière, Bloor retrouve donc un certain nombre des critiques auxquelles nous avons fait référence.

L’anthropologie et la sociologie des sciences de Latour puisent donc dans les références pragmatistes un arsenal argumentatif multiple : d’une part, contre la sociologie de Bourdieu ; d’autre part, contre l’épistémo-logie historique à la française ; enfi n, plus généralement, contre le « national-rationalisme français », dans ses dimensions indissociablement philoso-phiques et politiques. La sociologie des sciences constitue donc à sa manière un site d’observation particulièrement pertinent pour ces approches d’après pragmatic turn, si l’on veut bien tenter d’analyser le constat tendant parfois à la prophétie autoréalisatrice que nombre d’acteurs donnent de l’histoire récente de la sociologie en France.

&# « But unless we are very confi dent indeed that the exercice is necessary and jutifi ed, this looks like a formula for imposing confusion on ourselves : it is obscurantism raised to the level of a general methodological principle. » (Bloor, &(((, p. ($) Latour ne s’y trompe pas et relève cette critique cinglante dans sa réponse à Bloor (Latour, &((().

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« Nébuleuse pragmatique », « galaxie pragmatique », « pragmatic turn », toutes ces expressions cherchent à désigner ce mouvement qui s’observe dans de nombreux domaines des sciences sociales depuis une vingtaine d’années et qui tous, à un titre ou un autre, tentent de prendre appui sur le pragmatisme pour alimenter leurs programmes théoriques et contribuer, ce faisant, à des reconfi gurations intellectuelles plus ou moins signifi catives. Nous avons choisi de nous attarder ici sur deux entreprises intellectuelles fort di% érentes, mais susceptibles d’éclairer certains des usages multiples qui peuvent être faits d’une référence théorique ou philosophique elle-même traversée de courants divers.

Cette rapide analyse de deux entreprises sociologiques importantes de ces vingt dernières années retrouve certains des phénomènes évoqués par Michael Pollack (&())) dans son travail sur la réception de Weber en France : les moments forts de la réception, du moins ceux qui à la fois mobilisent une bonne partie de la communauté universitaire et obtiennent une cer-taine visibilité, sont des moments de crise paradigmatique. Sans surprise de ce point de vue, les luttes contre le rationalisme et l’idéalisme déclinants de l’université au début du 889 siècle et la période critique pour les grands paradigmes des sciences humaines (structuralisme, sociologie critique de Bourdieu notamment) dans les années quatre-vingt/quatre-vingt-dix, ce sont là deux moments forts où se déploie la réception du pragmatisme. Il ne faudrait pourtant pas être trop réducteur puisque cette stratégie de dur-cissement des confl its, de réifi cation des oppositions, n’est évidemment pas le fait de tout le monde.

Nous souhaiterions que cette contribution limitée s’inscrive dans la perspective énoncée par Christian Topalov : « L’histoire des disciplines […] est une gymnastique de l’esprit qui l’entraîne à aborder les pratiques de la science d’aujourd’hui de la même façon que celles d’hier. » Comme le notait Henrika Kucklick, elle « engendre les habitudes d’esprit qui conviennent à notre entreprise, elle nous met en condition de reconnaître les limites de nos propres schèmes », invitant ainsi à une pratique modeste des sciences sociales (cité par Topalov, "##&, p. +&").

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