la passion partisane dans l'espace privé. le cas des

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© Patrick Minko, 2019 La passion partisane dans l'espace privé. Le cas des partisans du Canadien de Montréal Thèse Patrick Minko Doctorat en ethnologie des francophones en Amérique du Nord Philosophiæ doctor (Ph. D.) Québec, Canada

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© Patrick Minko, 2019

La passion partisane dans l'espace privé. Le cas des partisans du Canadien de Montréal

Thèse

Patrick Minko

Doctorat en ethnologie des francophones en Amérique du Nord

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

LA PASSION PARTISANE DANS L’ESPACE PRIVÉ Le cas des partisans du Canadien de Montréal

Thèse

Patrick Minko

Doctorat en ethnologie des francophones en Amérique du Nord

Sous la direction de Martine Roberge

Québec, Canada

© Patrick Minko, 2019

iii

Résumé

Cette étude propose une ethnographie de la partisannerie, plus particulièrement celle

de la passion qui anime les partisans du Canadien de Montréal, à travers la retransmission de

matchs de hockey à la télévision, au cours de la saison 2012-2013. Contrairement aux travaux

sur la partisannerie qui traitent du spectacle sportif du point de vue des stades (enceintes et

estrades) ou de l’ambiance survoltée des bars sportifs, la recherche se focalise sur une

catégorie d’amateurs de sport qui, malgré leur grand nombre, ont peu ou pas retenu l’attention

des chercheurs. L’objectif poursuivi est double : étudier comment se manifeste et s’exprime

la ferveur des partisans envers leur équipe favorite dans un contexte privé, c’est-à-dire celui

de leur domicile, et analyser l’engouement des amateurs de sport, ceux qui sont souvent

qualifiés de « sportifs de salon », au prisme du spectacle sportif retransmis à la télévision.

L’originalité de l’étude repose sur la mise en valeur de ce contexte privé et sur cette majorité

de fans qui regardent les matchs de chez eux devant leurs téléviseurs; ce point de vue offre

un terrain d’observation privilégié et inédit à l’ethnologue. Afin de mener à bien l’analyse,

nous nous sommes employé à décrire l’expression de la passion partisane auprès de quatre

participants. Pour ce faire, la démarche ethnographique multisituée s’est révélée une

méthodologie appropriée pour appréhender l’espace privé des partisans. Au fil des

observations in situ et participantes, nous avons pu saisir les particularités de divers profils

de partisannerie dans le contexte de la retransmission de matchs de hockey mettant en vedette

le Canadien de Montréal. La « rhétorique du partisan » permet notamment de dégager les

manifestations de cette ferveur qui exprime des émotions contrastées selon les faits de jeu et

qui oscille entre admiration, ressentiment, humour et pessimisme selon l’issue des matchs, le

classement de l’équipe ou celui de l’équipe adverse. Nous nous sommes également intéressé

à la mise en scène des participants lors de la retransmission du match de hockey dans l’espace

privé. Analysée sous la loupe de la métaphore théâtrale goffmanienne, la ritualisation qui se

dégage de chaque « représentation » donnée par le partisan met en jeu les différents rôles des

acteurs et leur gestion. Elle met également en scène la dramatisation de la représentation ainsi

que la circulation des partisans entre la scène et les coulisses, laissant ainsi entrevoir des

sentiments plus ou moins nets et une passion plus ou moins affirmée. Enfin, à travers les liens

entre spectacle sportif, loisir passion et loisir festif, nous examinons la mixité des

retransmissions du match de hockey vécu à domicile. Ce dernier, tel qu’étudié, apparaît plus

qu’un simple divertissement hebdomadaire pour amateur de hockey. La retransmission de

spectacles sportifs à la télévision crée une communauté télévisuelle en faisant de chaque

match du Canadien un moment unique où tous les partisans vibrent à l’unisson. En somme,

le téléspectateur, par sa participation seconde, demeure néanmoins un spectateur à part

entière du spectacle sportif. Le partisan se met littéralement en scène et exprime avec passion

sa ferveur à chaque retransmission de match, ce qui fait du spectacle sportif un véritable loisir

passion aux allures de fête.

iv

Abstract

This research offers an ethnography of partisanship, more specifically the

partisanship of the passion that lights up the Montreal Canadian supporters, through the

transmission of hockey games, during the 2012-2013 season. Unlike the diverse researches

on partisanship which concentrate on the sports entertainment from the point of view of

stadiums (from the stages and within), or of the overexcited atmosphere of the sports bars,

this analysis focuses on a group of sporting amateurs who, in spite of their considerable

number, have held poor or no attention from researchers. There are two goals to this research:

study how supporters express their fervor in a private context within their homes and analyze

the enthusiasm of the sporting amateurs often qualified as “living room athletes”. The

ingenuity of this research relies on the private context insight as well as on the vast majority

of supporters who watch hockey games in their living room; this point of view provides a

powerful field of observation for the ethnologist. To lead this analysis successfully, we have

chosen to describe the expression of partisanship passion through four participants. To

achieve this, the multisite ethnography approach presents itself to be a pertinent methodology

to observe the private space of the latter. Through the in situ and participative observations,

we have had the opportunity to sense the particularities of various profiles of the Montreal

Canadian supporter whilst watching hockey games on television. The “partisan rhetoric”

allows us to identify the manifestations of this fervor which expresses contrasted feelings

according to the different plays of the game and which oscillate between admiration,

resentment, humour and pessimism depending on the results of the match, the rank of the

team or the rank of the opposite team. We were also interested in the supporters private

setting during the hockey game broadcasts. Analyzed under the magnifying glass of the

“Goffmanian” theatrical metaphor, the unlocked ritualization observed from each

“representation" offered by the supporter involves diverse performances of actors, as well as

the management of these performances. This stages the dramatization of the representation

as well as the movements of the supporters between the scene and the backstage, giving a

glimpse of unclear feelings and giving way to a more or less assertive passion. Throughout

the connections between sports entertainment, passion leisure and festive leisure, we

examined the diversity of hockey games broadcasts at home. The latter, it appears, represents

more than just a basic weekly entertainment for hockey fans. Broadcast of hockey games on

television constructs a televisual community by making every Montreal Canadian hockey

game a singular moment where all the supporters share a common thrill. The television fans,

by their passive participation, remain however full fans. The supporter literally stages himself

and expresses his fervour with passion in every hockey game, which makes the sports

entertainment a true passion leisure with a festive atmosphere.

v

Table des matières

Résumé ...................................................................................................................... iii

Abstract ...................................................................................................................... iv

Table des matières ...................................................................................................... v

Liste des tableaux .................................................................................................... viii

Liste des acronymes ................................................................................................... ix

Liste des personnalités du monde du hockey citées ................................................... x

Dédicaces ................................................................................................................. xiii

Remerciements ........................................................................................................ xiv

Introduction ................................................................................................................. 1

Chapitre 1 Cadre théorique et conceptuel ................................................................ 6

1.1 État de la question ............................................................................................. 7

1.1.1 Sports, loisirs et passion ............................................................................. 7

1.1.2 L’aspect festif ........................................................................................... 37

1.1.3 Aspect rituel du sport ............................................................................. 43

1.2 Problématique ............................................................................................. 49

Chapitre 2 Méthodologie : démarche et terrain ..................................................... 56

2.1 Le recrutement des participants .................................................................. 58

2.1.1 Les phases de recrutement ..................................................................... 59

2.1.2 Faire connaissance avec les participants .................................................. 71

2.1.3 L’établissement du calendrier des observations ....................................... 77

2.2 L’observation .............................................................................................. 81

2.2.1 Le journal de terrain et la mise en contexte .............................................. 83

2.2.2 L’observation participante in situ .......................................................... 86

2.2.3 L’observateur chez les partisans ou comment trouver sa place ............. 88

vi

Chapitre 3 L’expression de la passion partisane au cours du match de hockey ... 94

3.1 Quatre différentes façons de regarder les matchs ....................................... 96

3.1.1 Stéphane ................................................................................................. 96

3.1.2 Hughes ................................................................................................... 97

3.1.3 Gisèle ..................................................................................................... 99

3.1.4 Ismaël ................................................................................................... 100

3.2 Des émotions contrastées .......................................................................... 102

3.2.1 Quand le Canadien se trouve en position favorable ............................ 102

3.2.2 Quand le Canadien se trouve en position défavorable ......................... 104

3.2.3 Les montagnes russes émotionnelles ................................................... 106

3.3 Les spécificités du match à domicile ........................................................ 108

3.3.1 Selon les partisans ................................................................................ 108

3.3.2 De l’importance des commentaires ..................................................... 110

3.4 La rhétorique du partisan .......................................................................... 114

3.4.1 Admiration et ressentiment envers les joueurs .................................... 115

3.4.2 Humour et pessimisme envers les faits de jeu ..................................... 120

3.4.3 Le traitement de l’adversaire ............................................................... 123

3.4.4 L’esprit sportif des participants .............................................................. 127

3.4.5 Jeu physique et violence ...................................................................... 128

3.4.6 Accords et désaccords avec les arbitres et les journalistes .................. 131

3.4.7 Une saison très satisfaisante ................................................................ 134

Chapitre 4 La mise en scène du match de hockey .............................................. 138

4.1 La gestion des rôles ................................................................................... 139

4.1.1 Le partisan hôte ...................................................................................... 140

4.1.2 Le partisan parent ................................................................................ 143

vii

4.1.3 Le partisan observé .............................................................................. 147

4.2 Les représentations et les équipes ............................................................. 151

4.2.1 Les participants principaux dans leurs représentations ....................... 152

4.2.2 Des équipes au service de la représentation ........................................ 154

4.2.3 Les ratés des représentations ............................................................... 162

4.3 La circulation des participants ...................................................................... 167

4.4 Les contradictions entre les gestes et les paroles ...................................... 174

Chapitre 5 Le match de hockey dans l’espace privé entre spectacle sportif, fête et

loisir 184

5.1 Les partisans du Canadien acteurs du spectacle sportif ............................ 184

5.1.1 La typologie du spectacle sportif ......................................................... 185

5.1.2 L’importance de la télévision dans le spectacle sportif ....................... 187

5.1.3 L’exaltation des valeurs sportives et la passion inconditionnelle des

participants pour le spectacle sportif ........................................................................... 193

5.2 Du simple divertissement au loisir passion ............................................... 197

5.2.1 Le temps sacré du match de hockey .................................................... 198

5.2.2 La distinction entre passionné et amateur ............................................ 200

5.3 Du loisir passion au loisir festif ................................................................ 203

5.3.1 Le match de hockey du Canadien comme intervalle festif .................. 203

5.3.2 Le loisir festif : fête spectacle ou spectacle de la fête? ........................ 207

Conclusion .............................................................................................................. 212

Bibliographie .......................................................................................................... 220

Annexes .................................................................................................................. 238

Annexe 1 ............................................................................................................. 238

Annexe 2 ............................................................................................................. 240

viii

Liste des tableaux

Tableau 1 Classement et parcours du Canadien de 1993 à 2012 .......................... 51

Tableau 2 Calendrier du Canadien de Montréal saison 2011-2012 ...................... 62

Tableau 3 Organisation des Associations et Divisions pour la saison 2012-2013 . 66

Tableau 4 Calendrier du Canadien de Montréal pour la saison 2012-2013 ........... 67

Tableau 5 Durée de chaque pré-enquête par participant ........................................ 74

Tableau 6 Liste des observations par participant .................................................. 78

Tableau 7 Présentation des participants ................................................................. 93

ix

Liste des acronymes

CH : Club de Hockey Canadien

LCF : Ligue Canadienne de football. Équivalent de la NFL pour le Canada qui compte

9 équipes canadiennes, dont les Alouettes de Montréal.

MLB : Major League Baseball. La ligue nord-américaine de baseball qui compte 30 équipes

dont une canadienne.

MLS : Major League Soccer. La ligue de soccer nord-américaine qui compte 18 équipes en

2013, dont 3 équipes canadiennes.

NBA : National Basketball Association. La ligue nord-américaine de basketball qui compte

30 équipes dont une canadienne.

NFL : National Football League. La ligue américaine de football (football américain,

différent du football européen qui sera appelé ici Soccer pour éviter les méprises)

NHL : National Hockey League. La ligue nord-américaine de Hockey qui compte 30 équipes

dont sept canadiennes. (Ici nous utiliserons la traduction française : LNH, Ligue

nationale de hockey)

RDS : Réseau Des Sports. Chaîne de télévision sportive québécoise qui a diffusé tous les

matchs du Canadien de Montréal en 2013.

TSN : The Sports Network. Chaîne de télévision sportive canadienne qui a diffusé des matchs

du Canadien de Montréal en 2013.

x

Liste des personnalités du monde du hockey citées (Les éléments biographiques cités ne sont pas postérieurs à 2013 sauf mention *)

Daniel Alfredson : Ancien joueur suédois de hockey, attaquant, né en 1972. En 2013, il est

le capitaine des Sénateurs d’Ottawa.

Craig Anderson : Joueur américain de hockey, gardien de but, né en 1981. En 2013, il est

le gardien numéro un des Sénateurs d’Ottawa.

Nathan Beaulieu : Joueur de hockey canadien, défenseur, né en 1992. Joueur du Canadien

depuis 2012. Il a été repêché par le Canadien.

Michel Bergeron : Ancien entraîneur canadien de hockey, né en 1946. Il a entraîné les

Nordiques de Québec et les Rangers de New York. En 2013, il collabore à l’Antichambre.

Marc Bergevin : Ancien joueur canadien de hockey, défenseur, né en 1965. En 2013, il est

le nouveau directeur général du Canadien.

Martin Brodeur : Ancien joueur canadien de hockey, gardien de but, né en 1972. En 2013,

il est le gardien numéro un des Devils du New Jersey avec lesquels il a remporté trois coupes

Stanley en 1995, 2000 et 2003.

Benoit Brunet : Ancien joueur canadien de hockey, attaquant, né en 1968. Il a joué pour le

Canadien et a fait partie de la dernière équipe du Canadien à avoir gagné la coupe Stanley en

1993. En 2013, il est analyste sur RDS.

Peter Budaj : Joueur de hockey slovaque, gardien de but, né en 1982. Il est le gardien

remplaçant du Canadien depuis 2011.

Clarence Campbell : Président de Ligue nationale de 1947 à 1977. Il était de nationalité

canadienne.

Zdeno Chàra : Joueur slovaque de hockey, défenseur, né en 1977. En 2013, il est capitaine

des Bruins de Boston, avec lesquels il a remporté la coupe Stanley en 2011.

Erik Cole : Joueur de hockey américain, attaquant, né en 1978. Joueur du Canadien de 2011

à 2013, avant d’être échangé contre Michael Ryder en février 2013.

Sidney Crosby : Joueur de hockey canadien, attaquant, né en 1987. En 2013, il est capitaine

des Penguins de Pittsburgh avec lesquels il a remporté la coupe Stanley en 2009.

Randy Cunneyworth : Ancien joueur de hockey canadien, attaquant, né en 1961. Il a été

entraîneur du Canadien de Montréal de décembre 2011 à juin 2012.

Marc Denis : Ancien joueur de hockey canadien, né en 1977. En 2013, il commente les

matchs du Canadien de Montréal à RDS en tandem avec Pierre Houde.

Ken Dryden : Ancien joueur de hockey canadien, né en 1947. Il a été le gardien de but du

Canadien dans les années 1970 avec lesquels il a remporté six coupes Stanley.

xi

Lars Eller : Joueur de hockey danois, attaquant, né en 1989. Joueur du Canadien depuis

2010.

Alexei Emelin : Joueur de hockey russe, défenseur, né en 1986. Joueur du Canadien depuis

2011.

Alex Galchenyuk : Joueur américain de hockey, attaquant, né en 1994. En 2013, il joue sa

première saison professionnelle avec le Canadien qui l’a repêché.

Brendan Gallagher : Joueur canadien de hockey, attaquant, né en 1992. En 2013, il joue sa

première saison professionnelle avec le Canadien qui l’a repêché.

Brian Gionta : Joueur américain de hockey, attaquant, né en 1979. Joueur du Canadien

depuis 2009, il en est le capitaine depuis 2010. Il a remporté la coupe Stanley avec les Devils

du New Jersey en 2003.

Pierre Houde : Commentateur sportif canadien, né en 1957. En 2013, il commente les

matchs du Canadien de Montréal sur RDS.

Claude Julien * : Entraineur canadien de hockey, né en 1960. Ancien entraineur du

Canadien de janvier 2003 à janvier 200, puis réengagé en février 2017.

Georges Laraque : Ancien joueur canadien de hockey, attaquant, né en 1976. Il a joué pour

le Canadien de 2008 à 2010.

Jacques Martin : Entraîneur canadien de hockey, né en 1952. Il a été entraîneur du Canadien

de 2009 à décembre 2011. Sous son mandat, le Canadien a atteint une première finale de

conférence depuis la victoire en coupe Stanley en 1993.

Travis Moen : Ancien joueur de hockey canadien, attaquant, né en 1982. Joueur du Canadien

depuis 2009, il a remporté la coupe Stanley en 2007 avec les Ducks d’Anaheim.

Alexander Ovechkin : Joueur de hockey russe, attaquant, né en 1985. En 2013, il est

capitaine des Capitals de Washington.

Max Pacioretty : Joueur de hockey américain, attaquant, né en 1988. Joueur du Canadien

depuis 2008. Il a été repêché par le Canadien.

Carey Price : Joueur de hockey canadien, gardien de but, né en 1987. Il est le gardien numéro

un du Canadien depuis 2008. Il a été repêché par le Canadien.

Brandon Prust : Joueur canadien de hockey, attaquant, né en 1984. En 2013, il est un

nouveau joueur du Canadien en provenance des Rangers de New York.

Maurice Richard : Joueur canadien de hockey, attaquant, né en 1921. Il a joué pour le

Canadien de 1942 à 1960. Il a remporté la Coupe Stanley huit fois avec le Canadien.

Patrick Roy : Ancien joueur de hockey canadien, né en 1965. Il a été le gardien de but du

Canadien dans les années 1980 et 1990. Il a remporté quatre coupes Stanley dans sa carrière,

dont les deux dernières du Canadien en 1986 et 1993.

xii

Michael Ryder : Joueur de hockey canadien, attaquant, né en 1980. Joueur du Canadien de

2003 à 2008 puis des Bruins de Boston de 2008 à 2011, avec lesquels il remporte la coupe

Stanley en 2011. Il revient à Montréal à Montréal en février 2013 par le biais d’un échange.

Il a été repêché par le Canadien.

Philipp Joseph (PJ) Stock : Ancien joueur canadien de hockey, né en 1972. Il a brièvement

joué pour le Canadien en 2000. En 2013, il collabore à l’émission sportive de RDS

l’Antichambre.

Pernell Karl (PK) Subban : Joueur de hockey canadien, défenseur, né en 1989. Il joue pour

le Canadien de Montréal depuis 2009. Un des rares joueurs Noir de la ligue. Il a été repêché

par le Canadien.

Michel Therrien : Entraîneur canadien dans la ligue nationale. En 2013, il est le nouvel

entraîneur du Canadien. Il avait fait un premier passage sur le banc du Canadien de 2000 à

2003.

Shea Weber * : Joueur de hockey canadien, défenseur, né en 1985. Acquis par le Canadien

en 2016.

Ryan White : Joueur canadien de hockey, attaquant, né en 1988. Joueur du Canadien depuis

2009. Il a été repêché par le Canadien.

xiii

Dédicaces

Cette thèse de Doctorat est dédicacée à deux personnes qui m’ont toujours soutenu

tout au long de ma vie.

À Marcelline « Marceau » Minko, qui a su trouver les mots pendant les moments

d’abattement; qui m’a toujours encouragé à terminer ce que j’avais commencé.

À Michel « Mitch » Minko, homme de peu de mots mais dont la portée ne s’est jamais

démentie. Et qui m’a appuyé dans mes choix d’études depuis le premier jour.

Merci pour votre indéfectible soutien, en espérant que ces quelques pages vous rendront fier

de votre fils.

xiv

Remerciements

Au cours de ces années de terrain puis de rédaction de thèse de nombreuses personnes

ont tenu une place importante auprès de moi. Je tiens à les remercier à travers ces pages.

En premier, je veux remercier Dieu de m’avoir guidé pendant mon cheminement.

Ensuite, ma famille. Sans vous, je ne suis rien. Ma grand-mère, mes deux grandes sœurs, mes

deux petits frères, mes neveux et nièces, mes belles sœurs et mon beau-frère. Je n’ai pas

besoin d’en dire plus, vous savez que vous contribuez à mon équilibre. Je me dois de nommer

ma petite sœur Stéphanie qui a partagé mon quotidien pendant mon Doctorat. Merci pour ton

soutien et de m’avoir supporté.

Ma famille de Québec, ma tante Adrienne, ma belle-sœur Géraldine, mes neveux, mes

cousins John et surtout Yannick qui m’a incité à venir au Québec qui a toujours été là pour

moi.

Mes amis du Gabon, de France et du Québec. Vous m’avez encouragé à finir, vous m’avez

supporté. Alors je vous remercie, Teddy OE, Teddy A, Sylvia, Davy, Romain, Gisèle H,

Marjolaine, Glwadys, Laure, Polynice, Luce, Marc, Caroline, Eullide. Au-delà de ces

personnes chères à mon cœur, je veux aussi remercier celles et ceux qui m’ont soutenu et

aidé au cours des dernières années. Vous savez ce que vous avez fait pour moi et je ne

l’oublierai pas.

Cette étude n’aurait pas pu voir le jour sans les partisans du Canadien de Montréal qui ont

accepté de participer à cette aventure. Gisèle, Stéphane, Hughes et Ismaël, ainsi que vos

proches, merci de m’avoir reçu chez vous et de m’avoir laissé vous observer pendant

quelques soirées.

xv

Enfin la dernière personne, et non la moindre, que je souhaite remercier, est ma directrice de

recherche, Martine Roberge. Merci infiniment Martine, de m’avoir guidé et orienté dans mon

travail de terrain et au cours de ma rédaction de thèse. D’avoir su vous montrer

compréhensive face à certaines de mes difficultés. Je vous en suis reconnaissant.

1

Introduction

Le sport n’a pas toujours été considéré comme un objet d’étude à part entière au sein

des sciences humaines et sociales alors que paradoxalement sa place dans la société est

prépondérante depuis le XIXe siècle. Selon la discipline (histoire, sociologie ou ethnologie),

il a mis du temps à s’imposer comme objet d’étude. Bien que plusieurs grandes universités

aient leurs équipes sportives et encouragent le sport d’excellence, cet objet d’étude a

longtemps été considéré comme futile. Le sport est partout aujourd’hui : on en parle entre

connaissances, il est pratiqué professionnellement ou pour le plaisir, on l’affiche sur les

réseaux sociaux, on le voit à la télévision, on en entend parler à la radio, la presse écrite y

consacre plusieurs pages, parfois même la une. En somme, difficile de passer à côté du

phénomène sportif. Pour justifier sa pertinence sociale, il est évoqué tantôt pour son potentiel

économique (sport professionnel) que pour ses bienfaits sur la santé (pratique d’un sport et

loisir amateur). Il est encouragé par l’ensemble de la population au plan mondial et n’échappe

à aucune strate sociale. Ainsi aux États-Unis, chaque année le Président des États-Unis reçoit

les équipes vainqueurs des quatre grandes ligues sportives du sport américain : le baseball (la

MLB), le football américain (la NFL), le basketball (la NBA) et le hockey sur glace (la NHL).

Dans le même ordre d’idées, on se souvient du président français Jacques Chirac avec

l’équipe de France de soccer après son sacre à la coupe du monde en 1998, dans les jardins

de l’Élysée. Ces quelques exemples suffisent pour montrer que même les hommes politiques

n’hésitent pas à se muer en fans admirateurs de sport dans leurs fonctions officielles.

Au Canada et au Québec, le sport rime le plus souvent avec hockey. Sport national, il

mobilise les individus, quels que soient le sexe et l’âge. Au niveau international, le Canada

est considéré comme la meilleure nation dans le domaine. Aux Jeux olympiques, les hommes

ont remporté trois des cinq dernières olympiades (en 2002, 2010 et 2014) et les femmes,

2

quatre sur cinq (en 2002, 2006, 2010 et 2014). Peu importe la compétition de hockey et la

tranche d’âge (Jeux olympiques, Championnat du monde masculin et féminin, Championnat

du monde des moins de 18 ans), un échec du Canada pour la victoire finale est quasiment

considéré comme une anomalie. Le Canada compte actuellement sept équipes sur un total de

30 dans la Ligue nationale de hockey (LNH) qui regroupe les équipes américaines et

canadiennes dans un championnat. Ce championnat nord-américain est le plus relevé du

monde. Les sept équipes canadiennes sont les Canucks de Vancouver, les Oilers d’Edmonton,

les Flames de Calgary, les Maple Leafs de Toronto, les Jets de Winnipeg, les Sénateurs

d’Ottawa et bien sûr le Canadien de Montréal; notons que la province de Québec a déjà

compté une deuxième équipe dans la LNH de 1979 à 1995 avec les Nordiques de Québec.

Le Canadien de Montréal fait la fierté de la province et du peuple québécois. Seule équipe

francophone dans une ligue anglophone, c’est une véritable institution par son passé et ses

nombreuses conquêtes de la coupe Stanley (trophée qui récompense le vainqueur du

championnat de la LNH). Si tous les Québécois ne sont pas des fans de hockey ou de cette

équipe, il n’en demeure pas moins que le Canadien fait partie de la culture locale. Ses

partisans se comptent par millions au Québec, au Canada et en Amérique du Nord. Il n’est

pas rare de voir les partisans arborer les chandails aux couleurs du Canadien dans les estrades

des patinoires adverses quand ce dernier joue. Les fans du Canadien se déclinent en plusieurs

profils : de la personne qui est partisane, car elle a grandi avec cette équipe, mais qui ne

regardera pas nécessairement tous les matchs, au partisan qui connaît tous les joueurs, toute

l’histoire de son club et qui ne manquera jamais un match tout en se tenant quotidiennement

au courant de l’actualité en rapport avec l’équipe. Ce sont là bien sûr les deux extrêmes, car

il existe une multitude de profils partisans. Tous partisans confondus, ils ne souhaitent qu’une

chose : la victoire finale du Canadien.

Pour l’amateur de sport que nous sommes, Montréal offre une effervescence rare autour de

la principale équipe sportive de la ville. Les jours de matchs, les partisans du Canadien

envahissent les lignes du métro parés des chandails rouges de leurs favoris. Les

3

automobilistes affichent des fanions du Canadien sur leurs voitures. Cette effervescence

monte d’un cran au cours des séries d’après saison au mois d’avril. Les drapeaux rouges

ornent les devantures des logements et l’ambiance générale est à l’euphorie. Cette ambiance

liée au hockey et au Canadien, frappe les personnes qui arrivent à Montréal. Même sans être

un fan de hockey, il est difficile de passer à côté de ce phénomène. Amateur de sport, nous

ne pouvions qu’apprécier cette ambiance passionnée autour du Canadien de Montréal et

surtout y trouver un sujet de thèse inédit.

Le Centre Bell, anciennement nommé Centre Molson, est le domicile du Canadien de

Montréal depuis 1996. Avant cette date, l’équipe a évolué au mythique Forum de Montréal.

La capacité totale de cet aréna est de 21 287 places pour les matchs de hockey. Match après

match, tous les sièges sont occupés par les partisans venus voir leurs favoris. Cependant, les

partisans qui se déplacent au Centre Bell ne représentent qu’une minorité parmi l’ensemble

des partisans du Canadien de Montréal. Le reste se réunit dans les bars qui diffusent les

matchs, chez des amis afin de les regarder en groupe ou s’installe devant les écrans de

télévision de leurs domiciles. La plupart des études qui portent sur les partisans d’un sport

ont trait à ceux qui se regroupent dans les endroits publics et les foules qui se réunissent dans

les stades. Ceux que l’on appelle péjorativement les « sportifs de salon » sont négligés. Or,

ils représentent la majorité des partisans du Canadien de Montréal. C’est cette dernière

catégorie de partisans qui nous intéresse dans le cadre de la présente étude car elle offre une

perspective de recherche renouvelée. Comme chaque équipe de la ligue nationale joue 82

matchs de saison régulière (41 à domicile et 41 sur les patinoires adverses), le calendrier de

saison permet donc aux équipes de jouer plusieurs matchs par semaine. Au-delà de la capacité

du Centre Bell qui ne peut accueillir tous les partisans de l’équipe, il n’est pas donné à tout

le monde de se déplacer 41 fois dans l’année pour soutenir le Canadien, et ce, pour diverses

raisons. Étudier les partisans à domicile permet donc de donner une « voix » à la grande

majorité qui forme la communauté de fans du Canadien.

4

Dans cette étude, ce sont donc les partisans qui regardent les matchs à la télévision qui sont

mis en avant. Ces derniers expriment leur passion pour le Canadien dans un cadre privé, celui

de leur domicile. Certains partisans témoignent de leur ferveur avec empressement, avec

intensité, d’autres avec nuances, avec mesure. Les passions individuelles qui s’expriment

entre quatre murs lors des retransmissions des matchs à la télévision se distinguent-elles des

passions collectives dans les stades? Comment les partisans du Canadien de Montréal

arrivent-ils à démontrer, match après match, leur engouement pour leur équipe favorite? Le

soutien est-il régulier à chaque rendez-vous ou s’essouffle-t-il parfois, en quelles

circonstances? En effet, suivre un match seul ou le faire en groupe fait-il intervenir des

dynamiques semblables ou dissemblables. Nous nous proposons d’analyser l’expression de

la passion partisane pour le club du Canadien de Montréal en contexte privé en suivant

quelques partisans au cours de plusieurs matchs d’une saison régulière de hockey.

La thèse se divise en cinq chapitres. Le premier se consacre aux aspects théoriques et

conceptuels sur lesquels s’appuient les études sur le sport. Une recension des écrits dans trois

champs d’études présente un état de la question sur le sport, et par extension, le loisir et la

passion. Une brève incursion dans le champ de la fête et celui des rites permettra de dégager

des notions rattachées aux dimensions performatives et transgressives du spectacle sportif.

Les concepts de ritualisation et de mise en scène de la vie quotidienne, dont la métaphore de

la représentation théâtrale, sont parmi les notions clés retenues pour l’analyse. L’ethnologie

étant une discipline pour laquelle le terrain tient une place importante, le chapitre 2 expose,

de façon détaillée, la méthodologie qui a servi à appréhender l’espace privé des partisans. Il

présente non seulement les instruments et la méthode de l’observation in-situ privilégiée ici,

mais également les conditions dans lesquelles l’étude a été réalisée et les défis que pose une

démarche ethnographique multi-située. Le chapitre 3 s’emploie à décrire l’expression de la

passion partisane observée chez quatre participants. Dans ce chapitre, nous entrons au cœur

de la thèse en faisant d’abord connaissance avec les partisans à l’étude et prenons acte de la

façon dont s’exprime, match après match, leur ferveur, par ce que nous nommons « la

rhétorique du partisan ». Après cette mise en perspective de la passion partisane, la mise en

scène de la retransmission du match de hockey regardé dans l’espace privé est analysée au

5

prisme de la métaphore théâtrale : gestion des rôles des acteurs, dramatisation de la

représentation, circulation des partisans entre la scène et les coulisses, mise en scène des

sentiments et de la passion. Enfin, le chapitre 5 examine la mixité des retransmissions du

match de hockey vécu à domicile à travers les liens entre spectacle sportif et loisir festif.

Nous montrons que le match de hockey, tel qu’étudié, se présente pour les partisans comme

un temps sacré, qui, à l’instar de la fête, permet un certain nombre de transgressions. Son

statut de téléspectateur, donc de participant secondaire, plonge définitivement le partisan

passionné dans une représentation où il se met littéralement en scène et exprime sa ferveur à

chaque retransmission d’un match, ce qui dépasse largement la passivité habituellement

associée au spectacle sportif.

6

Chapitre 1 Cadre théorique et conceptuel

La présente étude a pour objectif d’analyser le phénomène de la passion partisane dans

un cadre privé, c’est-à-dire autrement que du point de vue des estrades des stades ou encore

des ambiances survoltées des bars sportifs où il est souvent étudié. Son originalité réside dans

la mise en valeur de ce contexte privé qui offre un terrain d’observation privilégié et inédit à

l’ethnologue. En effet, les études sur la partisannerie, à l’image de l’ouvrage de Christian

Bromberger, Le Match de football : Ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples

et Turin, se focalisent sur les lieux dans lesquels se regroupent les partisans (stades,

amphithéâtres, bars sportifs) et jamais là où se retrouvent la majorité des partisans de sport,

à savoir à leurs domiciles devant leurs téléviseurs. Seuls ou à plusieurs, les partisans qui

regardent les évènements sportifs de chez eux se comptent en millions.

L’étude porte sur le cas des partisans du Canadien de Montréal lors de la saison 2012-2013.

Cette équipe de hockey est considérée comme une véritable institution dans le monde sportif

(tous sports confondus) par son palmarès et son organisation (dirigeants, entraîneurs et

joueurs). Le Club de hockey Canadien (CH) rassemble autour de ses couleurs des millions

de partisans à Montréal, à travers le Québec, dans tout le Canada et au-delà. Les partisans qui

ont participé à cette étude ne représentent qu’un mince échantillon de la communauté des

partisans du CH. Il s’agit de porter un regard scientifique sur cette catégorie de partisans qui

regardent les matchs de hockey de chez eux, spectateurs trop souvent oubliés dans les études,

afin de combler un vide sur le sujet de la partisannerie associée au sport.

7

1.1 État de la question

La recension des écrits sur la passion partisane concerne principalement les champs

d’études du sport et, par extension, du loisir et de la passion. Les aspects festifs et rituels

associés à la pratique d’un sport ou au spectacle sportif sont aussi des notions connexes.

Plusieurs travaux d’historiens, de sociologues, d’ethnologues et de géographes notamment

ont abordé le sujet selon un angle d’approche spécifique. Nous en dressons ici un bilan

critique avant d’énoncer notre question de recherche.

1.1.1 Sports, loisirs et passion

1.1.1.1 Le Sport

Toutes les études sur le sport qui sont présentées dans ce volet concernent soit la

dimension de la pratique d’un sport avec le jeu, les joueurs et les autres acteurs, soit elles se

placent du côté du spectateur, amateur ou partisan.

Sport moderne ou sport ancien ? La question des origines du sport domine dans la littérature

scientifique, tant chez les historiens, les sociologues, les ethnologues, les anthropologues ou

les philosophes. Deux thèses se distinguent principalement : soit le sport a toujours existé

sous une forme ou une autre et il serait inhérent à la nature humaine, soit le sport, tel que

nous le connaissons maintenant, serait né en Angleterre au moment de la révolution

industrielle puis se serait diffusé dans le reste du monde. À la continuité historique et

naturelle entre les pratiques sportives anciennes et actuelles s’oppose une rupture entre ces

mêmes pratiques anciennes et le sport dit moderne né de la révolution industrielle. Cette

question divise profondément les chercheurs qui se sont penchés sur le sport comme objet

8

d’étude. Les tenants des origines anciennes du sport évoquent le sport à travers différentes

périodes comme Jean Paul Thuillier dans Le Sport dans la Rome Antique1, ou encore Bernard

Merdrignac dans Le sport au Moyen Âge2. La thèse sur les origines anciennes a d’abord été

la plus répandue dans l’historiographie. Mais depuis une cinquantaine d’années, la discipline

connaît une tentative de réinterprétation des origines du sport et de son histoire. Le second

courant fait remonter le sport tel que nous le connaissons maintenant à l’Angleterre du XIXe

siècle. Ce courant est aujourd’hui majoritaire. Le mouvement olympique par l’entremise de

Pierre de Coubertin, père des Jeux olympiques modernes, a largement fait la promotion de la

continuité historique en prônant la filiation entre les premiers Jeux olympiques de 776 avant

Jésus Christ et les premiers jeux de l’ère moderne en 1896 à Athènes. Dans ce courant, si les

auteurs comme Jean-Paul Massicotte ou Claude Lessard3 sont d’accord pour reconnaître que

le sport n’est pas né avec le XIXe siècle, ils n’admettent pas tous la pérennité du sport à

travers les époques. Par exemple Laurent Turcot, qui a réaffirmé en 2016 la théorie de la

permanence du sport, se refuse « contrairement à d’autres historiens »4 à parler de sport

seulement pour l’Antiquité et à occulter le terme pour le Moyen Âge ou l’époque moderne.

Il réfute « le vide temporel de 1400 ans »,5 mais reconnaît « des marqueurs culturels qui

permettent de relever des pratiques divertissantes et des formes d’exercices physiques tout

au long de l’histoire »6. Cet auteur est une figure marquante de la théorie de la permanence

du sport. Il défend l’idée d’une continuité dans l’histoire du sport et veut « tisser des liens

entre les périodes afin de montrer que ce qui éclot au XIXe et au XXe siècle est le fruit d’une

maturation et d’un enchevêtrement de pratiques qui s’influencent les unes les autres »7. Dans

son ouvrage synthèse qui s’étend sur sept périodes (de la Grèce antique à aujourd’hui), il

expose les pratiques sportives de chaque époque, tout en dégageant les termes et les

spécificités propres à chacune d’elle. Ainsi « à Sparte, où règne un État aristocratique,

autoritaire et militaire, le sport apparaît au cœur de l’éducation »8. Les pratiques sportives

1. Jean-Paul Thuillier, Le sport dans la Rome antique, Paris, Errance, 1996.

2. Bernard Merdrignac, Le sport au Moyen Âge, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002.

3. Jean-Paul Massicotte, Claude Lessard, Histoire du sport de l’Antiquité au XIXe siècle, Québec, Presses de l’Université du Québec,

1984.

4. Laurent Turcot, Sports et loisirs. Une histoire des origines à nos jours, Paris, Gallimard, 2016, p. 15.

5. Ibid., p. 15.

6. Ibid., p. 15.

7. Ibid., p. 17.

8. Ibid., p. 37.

9

seraient le fruit de leur époque. Si Laurent Turcot s’est donné comme objectif de rétablir les

diverses déclinaisons qui définissent ce qu’on appelle aujourd’hui « sport » à travers toutes

les époques, d’autres auteurs se sont concentrés sur le sport à des périodes plus spécifiques.

Nous pouvons citer Mark Golden qui analyse le sport dans la Grèce antique et qui démontre

comment le sport, à cette époque, accentuait et renforçait la différence entre les individus9.

Jean Paul Thuillier étudie le sport dans la Rome antique et fait un parallèle entre les jeux du

cirque et ce que l’on appelle aujourd’hui le sport spectacle10. Le médiéviste Bertrand

Merdrignac réhabilite le sport au Moyen Âge, période trop souvent ignorée dans

l’historiographie11. L’auteur rappelle que le Moyen Âge a légué le terme « sport » au monde :

« quand apparaît le mot de(s)port-dans la seconde moitié du XIIe siècle […] il désigne donc

tout genre de divertissement, toute sorte de distraction »12. Un vaste éventail de sports

pratiqués aujourd’hui l’ont été au cours de cette période : le jeu de paume ancêtre du tennis

actuel ou la soule, jeu de balles pratiqué tantôt avec les pieds tantôt avec les mains, qui peut

être relié au soccer ou au rugby. Ces quelques auteurs soulignent l’idée de permanence du

sport à travers les époques en ce qu’il peut être associé à diverses formes d’exercices

physiques, de jeux ou de pratiques divertissantes. Comme le mentionne Laurent Turcot dans

son récent ouvrage, les racines du sport que nous connaissons aujourd’hui sont ancrées dans

l’histoire. Cette théorie se dissocie de l’idée que le sport moderne soit né au XIXe siècle, qui

est encore largement répandue aujourd’hui.

Le second courant, qui critique la filiation entre pratiques sportives anciennes et sport

moderne, repose sur la rupture entre le sport et « les activités physiques qui l’ont précédé »13.

Selon Donald Guay, évoquer les origines anciennes du sport ne serait pas pertinent ; le faire

serait « une réalité étrangère à l’histoire […] une évasion hors du temps »14. Norbert Elias et

Eric Dunning établissent une discontinuité entre les pratiques anciennes et le sport moderne.

9. Mark Golden, Sport and society in Ancient Greece, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.

10. Jean-Paul Thuillier, Le sport dans la Rome antique, Paris, Errance, 1996.

11. Bernard Merdrignac, Le sport au Moyen Âge, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002.

12. Ibid., p. 33.

13 . Laurent Turcot, Ibid., p. 12.

14. Donald Guay, La conquête du sport. Le sport et la société québécoise au XIXe siècle, Outremont, Lanctot, 1997, p. 44.

10

Ils mettent l’accent sur les caractéristiques du sport moderne : une baisse significative de la

violence, existence de règles écrites et codifiant les pratiques, émancipation du jeu par rapport

aux affrontements guerriers. Avant l’apparition du sport moderne, les jeux traditionnels se

pratiquaient principalement au cours des fêtes religieuses, et dans « les espaces ordinaires

des activités quotidiennes »15. Or, le sport moderne se pratique dans un temps réglé,

« découpé en séquences ordonnées, décompté avec minutie »16 : « un calendrier propre de

compétitions dont les dates n’ont pas d’autre raison que les rythmes annuels de chaque

discipline »17 et dans des lieux spécifiques précis (stades, gymnases, patinoires) construits à

cet effet. Ce type de compétition réglée aurait vu le jour avec l’aristocratie anglaise de la fin

du XVIIIe siècle. Ainsi avec l’instauration des règles, une pratique « populaire » se

transformerait en un sport où la violence diminue considérablement. Outre les travaux de ces

deux auteurs qui ont consolidé cette idée de la naissance du sport moderne en Angleterre et

ont influencé de nombreux auteurs comme Michel Caillat18, l’ouvrage d’Allen Guttmann,

From ritual to record : the nature of modern sport, publié en 1978, (traduit en 2006 sous le

titre Du rituel au record : la nature des sports modernes) est une véritable référence en

histoire du sport. Pour cet historien, « les caractéristiques distinctives des sports modernes, à

la différence de celles des périodes précédentes, sont au nombre de sept »19 : sécularisme,

égalité des opportunités et des conditions de l’affrontement, spécialisation des rôles,

rationalisation, bureaucratisation de l’organisation, quantification et quête des records. « La

convergence de ces sept dimensions n’apparaît que dans l’Angleterre du 18e siècle »20 et le

sport émergerait alors au XIXe siècle dans cette même Angleterre.

Pourquoi l’Angleterre ? « Dans le contexte de révolution industrielle et d’un capitalisme

émergent »21, ce pays réunissait toutes les conditions pour faire apparaître le sport moderne.

Plusieurs éléments sont à souligner pour expliquer cette émergence. Christian Pociello en

15. Norbert Elias, Eric Dunning, Sport et civilisation : la violence maitrisée, Paris, Fayard, 1994, p. 15.

16. Ibid., p. 15.

17. Ibid., p. 16.

18. Michel Caillat, Le sport, Paris, Le cavalier bleu, 2008.

19. Allen Guttmann, Du rituel au record. La nature des sports modernes, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 38.

20. Ibid., p. 10.

21. Thierry Terret, Histoire du sport, Paris, Presses Universitaires de France, 2016, p. 3.

11

dresse les phases d’évolution dans Sports et société. Approche socio-culturelle des pratiques.

Une première phase d’encouragement des pratiques populaires par le patronage et

l’organisation de courses ou de combats assurés par les nobles et les gentlemen dès 1760

conduit à l’appropriation des pratiques par les élèves des collèges, ce qui aboutit à l’invention

des sports individuels et collectifs, comme le soccer ou le rugby entre 1820 et 1860. Vient

ensuite une période de réglementation des sports et de formation de clubs rendue nécessaire

par la mise en place et le développement des rencontres entre établissements entre 1850 et

1870. Ces rencontres ont été rendues possibles par l’extension du réseau de chemins de fer.

Enfin, une période de diffusion des sports collectifs vers la classe populaire se dessine dans

la dernière décennie du XIXe siècle. À la fin de ce même siècle, les pays les plus industrialisés

sont touchés « par une vague sportive dont le point de départ est presque toujours l’influence

britannique »22. Nous pouvons citer l’action des étudiants anglais qui fondent dans toute

l’Europe divers clubs ou associations sportives. Dans l’Empire britannique, ce sont les

militaires, enseignants, missionnaires, commerçants ou hommes d’affaires anglais qui

reconstituent la vie en métropole par le biais des clubs et des pratiques sportives. Ainsi,

l’implantation du cricket en Inde ou du rugby en Nouvelle-Zélande sont les parfaits exemples

des formes d’adaptation de la culture sportive pérennisés par une adaptation aux valeurs

morales et sociales des sociétés locales et prises en charge par les élites locales. Cette seconde

théorie sur la naissance du sport en Angleterre au XIXe siècle compte de fervents chercheurs

parmi ceux qui écrivent sur le sport. Roger Chartier, Donald Guay, Thierry Terret, Christian

Pociello, Georges Vigarello, Jacques Ulmann, Pierre Arnaud, Michel Caillat ou encore

Michel Bouet ont défendu, étayé et développé cette thèse dans leurs ouvrages respectifs.

Entre les deux thèses sur les origines du sport, celle défendue par Laurent Turcot, Jean-Paul

Thuillier ou Jean-Paul Massicotte nous semble la plus appropriée. Les sports comme le

soccer, le rugby, le tennis ou le hockey puisent leurs origines bien avant le XIXe siècle. Bien

sûr, ce siècle, sous l’impulsion des Anglais, a fait beaucoup pour la diffusion et la mise en

place de règlements, mais il n’en demeure pas moins que les sports cités n’ont pas été créés

22. Laurent Turcot, Sports et loisirs. Une histoire des origines à nos jours, Paris, Gallimard, 2016, p. 471.

12

au cours de ce siècle. La mise en place des règles pour organiser le sport dans des lieux bien

déterminés et selon des dates précises est contestée par Bernard Merdrignac qui affirme que

« les parties de soule n’ont rien non plus d’improvisé. Le nombre des joueurs, la constitution

des équipes (un village contre un autre; mariés contre célibataires) et la périodicité

(généralement annuelle) de ce jeu impliquent de toute évidence une organisation prévue de

longue date »23. L’idée de canalisation de la violence par le sport peut apparaître décalée pour

des sports physiques comme le hockey où la violence fait partie intégrante des matchs. Le

sport est en constante évolution et bien que le XIXe siècle marque un tournant, parler de

rupture serait nier l’apport des siècles précédents.

Mais si les origines du sport sont abordées autant par des historiens comme Jean-Paul

Thuillier ou Laurent Turcot, des sociologues comme Norbert Elias ou encore des philosophes

comme Michel Bouet, l’histoire du sport se décline en quelques études monographiques : par

exemple Histoire du sport en France en deux tomes (du Second Empire au régime de Vichy24

et de la Libération à nos jours25) sous la direction de Philippe Tétart. D’autres études sont

axées sur tel ou tel sport comme Histoire du football26 de Paul Dietschy ; sur l’histoire du

mouvement sportif féminin avec les deux tomes de l’Histoire du sport féminin27 sous la

direction de Pierre Arnaud et Thierry Terret ; sur l’histoire des Jeux olympiques dans

L’Olympisme. Bilan et enjeux géopolitiques de Jean-Pierre Augustin et Pascal Gillon28 ou

encore sur la façon dont certaines minorités se sont intégrées grâce au sport notamment dans

Le sport en France à l’épreuve du racisme du XIXe siècle à nos jours29 sous la direction de

Claude Boli, Patrick Clastres et Marianne Lassus.

23. Bernard Merdrignac, Le sport au Moyen Âge, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, p. 38.

24. Philippe Tétart dir., Histoire du sport en France : du Second Empire au régime de Vichy, Paris, Vuibert, 2007.

25. Philippe Tétart dir., Histoire du sport en France : de la Libération à nos jours, Paris, Vuibert, 2007.

26. Paul Diestchy, Histoire du football, Saint-Amand-Montrond, Éditions Perrin, 2010.

27. Pierre Arnaud, Thierry Terret, dir., Histoire du sport féminin. Histoire et identité, Paris, L’Harmattan, 2000 et Histoire du sport

féminin. Sport masculin, sport féminin : éducation et société, Paris, L’Harmattan, 2004.

28. Jean-Pierre Augustin, Pascal Gillon, L’Olympisme. Bilan et enjeux géopolitiques, Paris, Armand Colin, 2004.

29. Claude Boli, Patrick Clastres, Marianne Lassus, dir., Le sport en France à l’épreuve du racisme du XIXe siècle à nos jours, Paris,

Nouveau Monde Éditions, 2015.

13

Au Canada, l’histoire a mis du temps avant d’étudier le sport. « Canadians have always been

fond of sports, but until about twenty years ago professional historians of the country all but

ignored this fact »30 écrit Morris Mott en 1989. Selon lui, l’histoire du sport au Canada n’est

devenue respectable qu’avec la multiplication de travaux historiques sur le sport dans les

années 1970 et 1980. Ce constat est partagé par de nombreux auteurs, par exemple Jean-Paul

Massicote et Claude Lessard. Les ouvrages qui évoquent les origines du sport au Canada

mettent tous de l’avant l’influence des colons anglais dans l’apparition du sport dans ce pays :

« la première période, de 1800-1850, correspond à celle de la pénétration du sport,

notamment par les courses de chevaux, la boxe, les régates, les jeux athlétiques, le cricket et

la raquette. Ce moment coïncide avec les vagues successives d’immigration massive en

provenance des îles britanniques, surtout après 1815 »31.

Les militaires et les administrateurs anglais qui arrivent au Canada sont pour la plupart

recrutés dans l’aristocratie et reproduisent leurs institutions et leur mode de vie. Ils apportent

avec eux les activités sportives qu’ils ont pratiquées dans leur pays. Durant la seconde moitié

du XIXe siècle, nous assistons à une période d’expansion du sport :

Les activités sportives, qui se sont amorcées durant la première moitié du siècle,

connaissent, bien sûr, un essor remarquable, mais de nouveaux sports font

également leur apparition, notamment la crosse, le baseball, le football, le tir, le

cyclisme, le hockey, le patinage et la natation. L’élément le plus important de

cette expansion est sans aucun doute le développement très rapide des sports

d’équipe32.

Des auteurs tels que Donald Guay, Gilles Janson ou Yves Tessier s’accordent sur le fait que

c’est à travers les courses de chevaux que les Canadiens prennent contact avec le sport. Et

cela dès les années 1760, avec les militaires anglais qui organisent des courses de chevaux

30. Morris Mott, Sports in Canada: historical readings, Toronto, Copp Clark Pitman, 1989, p. 1.

31. Donald Guay, Introduction à l’histoire des sports au Québec, Montréal, VLB, 1987, p. 11.

32. Ibid.

14

sur les Plaines d’Abraham à Québec. Ce contact est plutôt informel, car les Canadiens ne

participent pas à ces courses et sont seulement spectateurs. Ce n’est qu’au début du

XIXe siècle qu’ils commencent à participer aux courses et que l’histoire du sport au Canada

débute véritablement.

La littérature sur l’histoire du hockey est composée de nombreux ouvrages qui présentent des

informations de façon factuelle avec des dates, des événements ou des statistiques. En plus

de ces ouvrages factuels, des biographies de joueurs sont publiées en grand nombre. Dans

cette catégorie nous pouvons citer Les yeux de Maurice Richard33 de Benoît Melançon ou

encore Patrick Roy, le guerrier34 de Michel Roy. Nous nous sommes appuyé sur certains

ouvrages pour présenter la naissance et l’évolution du hockey. James George Aylwin

Creighton est un personnage ayant joué un rôle central dans l’élaboration du hockey, tel que

nous le connaissons aujourd’hui, selon Donald Guay ou Gilles Janson ; tandis que pour

Michael Mckinley, il est l’homme qui a permis au hockey de se jouer autre part qu’à

l’extérieur, en organisant le premier match de hockey sur une patinoire intérieure en 1875 à

Montréal à la patinoire Victoria. Le hockey doit ses origines au bandy et à la crosse. Le

bandy, qui a été très populaire en Europe notamment dans les territoires britanniques,

consistait à des affrontements entre deux équipes se disputant une balle à « l’aide d’un bâton

[…] à manche rond et à lame recourbée »35, bâton nommé un bandy. Le but du jeu était de

marquer dans les buts de l’équipe adverse. Il était pratiqué sur la glace. La crosse par contre

est d’origine amérindienne. Comme pour le bandy, le but est de marquer un but à l’équipe

adverse, mais dans ce cas précis à l’aide d’une crosse, un bâton qui se caractérise par le bas

lacé comme une raquette. Ici, la balle est en bois. Les Anglais à leur arrivée au Canada vont

transformer la crosse en sport à la fin des années 1850. Avant cela, cette pratique corporelle

était rarement exercée par les Blancs. Ainsi en plus de s’établir avec leurs sports, les Anglais

« appliquent leur mentalité sportive à des pratiques corporelles traditionnelles des

autochtones »36. Le hockey commence à se structurer au milieu du XIXe siècle avec la

33. Benoît Melençon, Les yeux de Maurice Richard : une histoire culturelle, Québec, Fides, 2006.

34. Michel Roy, Patrick Roy, Le guerrier, Montréal, Libre Expression, 2007.

35. Yves Tessier, Histoire du hockey et des sports. Camille Henry : une époque, Sillery, Éditions Tessier, 1985, p. 24.

36. Donald Guay, La conquête du sport. Le sport et la société québécoise au XIXe siècle, Outremont, Lanctot, 1997, p 67.

15

fixation d’un nombre de joueurs par équipe (neuf, puis sept en 1884 et dix en 1910), un temps

déterminé de jeu et l’équipement. Dès les premiers échos du match de 1875 sur une patinoire,

le sport prend son essor parmi la population canadienne. Selon Jean-Pierre Augustin37,

l’appropriation du hockey par les Canadiens francophones serait due à deux facteurs. Le

premier serait lié au climat. En effet, les longs hivers qui touchent le Québec permettent la

pratique du sport, le hockey étant un sport collectif joué pendant la saison morte et froide. Le

second facteur serait d’ordre culturel. Le hockey a été créé au Canada et les Canadiens ont

pu affirmer leur particularisme face au voisin américain. Par la suite, les Canadiens

francophones ont pu s’affirmer face au reste du Canada en faisant du hockey leur sport

national. La création du Canadien de Montréal au début du XXe siècle confirmera cette

appropriation.

Outre l’histoire, les sciences sociales se sont emparées du sport comme objet d’étude. La

sociologie ne pouvait passer à côté de cet objet tant « les fonctions du sport renvoient à des

domaines variés de la vie sociale »38. Nous pouvons citer le sport dans le processus de

socialisation des enfants ou comme symbole de renforcement du lien social. À partir des

années 1950-1960, le sport a pris une importance croissante dans les études sociologiques

d’abord aux États-Unis, puis en Europe, notamment en Angleterre. En France, ce n’est qu’à

partir des années 1980 que la production sociologique sur le sport prend véritablement son

essor. Comme nous l’avons vu pour les origines du sport, la sociologie du sport a avancé des

thèses qui, encore aujourd’hui, sont citées comme références. Nous pouvons notamment faire

référence à la thèse de Norbert Elias et d’Eric Dunning sur les formes de violence liées au

sport. Dans cette sociologie du sport, un courant d’inspiration marxiste s’est développé en

critiquant tout ce qui a trait au sport. Ces sociologues critiques, dont la figure de proue est

Jean Marie Brohm, publient abondamment pour dénoncer le sport et ses dérives. Michel

Caillat veut ainsi secouer « le cocotier des habitudes et des préjugés »39 en évoquant les

valeurs galvaudées par le sport moderne. Quant à Ronan David, il fustige l’institution

37. Jean-Pierre Augustin, « La culture sportive au Canada : le hockey sur glace comme sport identitaire », Serge Fauché, Jean-Paul

Callède, Jean-Louis Gay-Lescot et Jean-Paul Laplagne, dir., Sport et identités, Paris, L’Harmattan, 2000.

38. Pascal Duret, Sociologie du sport, Paris, Presses Universitaires de France, 2008, p. 3.

39. Michel Caillat, Sport : l’imposture absolue. Idées reçues sur l’ « idéal » sportif, Paris, Le cavalier bleu, 2014, p. 170.

16

sportive qui empêcherait la libération et l’émancipation des femmes en soumettant les corps

à la logique de la compétition. On assisterait alors à une « virilisation » massive des

sportives40.

À travers le sport le plus populaire dans le monde, le soccer, les sociologues abordent les

sujets les plus variés en rapport avec la société. Ainsi, dans Affreux, riches et méchants ? Un

autre regard sur les Bleus, Stéphane Beaud et Philippe Guimard présentent un autre éclairage

sur la fracture entre le public français et son équipe nationale de soccer à la suite de la

mauvaise image véhiculée par cette dernière lors de la Coupe du monde de football de 2010.

Ils apportent une voix discordante dans les analyses qui présentaient certains joueurs de cette

équipe comme des êtres immatures, menaçants dont le comportement serait lié à leurs

origines (issus de l’immigration) et à leurs provenances géographiques (les banlieues

françaises). En utilisant l’opprobre d’un pays contre certains joueurs de son équipe nationale

de soccer, les auteurs analysent les crispations qui se jouent dans la France contemporaine

autour des jeunes issus de l’immigration et qui viennent généralement des banlieues. Autre

exemple, avec Football, religion et politique en Afrique. Sociologie du football africain41,

Tado Oumarou et Pierre Chazaud analysent la place que prennent la religion et la politique

dans le football africain. Ils présentent le football africain avec ses spécificités nées de son

héritage, de son passé colonial et de ses multiples cultures ethniques. Ainsi le poids des

nombreux rituels d’avant match, les différents types de gestion (ethnique, présidentiel,

communautaire), la présence des sorciers dans l’entourage des équipes permettent de

comprendre le fonctionnement de certaines sociétés africaines à travers le sport roi sur ce

continent. Les supporters sont également abordés par les sociologues. De ce point de vue,

nous pouvons évoquer l’analyse originale de Ludovic Lestrelin42 sur le supportérisme à

distance. À travers le club de l’Olympique de Marseille et certains de ses supporters situés

dans la ville de Rouen, il se penche sur un phénomène qui existe pour toutes les équipes

sportives, mais qui est peu abordé : le supportérisme à distance, soit les supporters qui

40. Ronan David, Le sport contre les femmes, Lormont, Le bord de l’eau, 2015.

41. Tado Oumarou, Pierre Chazaud, Football, religion et politique en Afrique. Sociologie du football africain, Paris, L’Harmattan, 2010.

42. Ludovic Lestrelin, L’autre public des matchs de football. Sociologie des supporters à distance de l’Olympique de Marseille, Paris,

Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2010.

17

prennent fait et cause pour des équipes qui ne sont pas de leur ville. Avec la télévision et

Internet, l’élargissement du cercle de recrutement des clubs et la diversification des

identifications au territoire, local ou national, représentée par l’équipe de soccer « ne font-ils

pas, dès lors, partie intégrante de la culture contemporaine du supportérisme ? »43 s’interroge

l’auteur. L’analyse porte donc sur l’univers de ces partisans qui ne partagent pas le lieu

d’implantation de leur équipe favorite. Ici, l’attache locale est supplantée par un besoin

d’appartenance à une identité collective plus forte. Cette approche est tout à fait originale

dans les études sur les partisans.

Hormis des mentions éparses pour les sports et les jeux dans les travaux anthropologiques

classiques, il a véritablement fallu attendre les années 1980 pour que la discipline se penche

sur le sport comme objet d’étude à part entière. Ainsi « paradoxalement, même si les sports

ont toujours fait partie du paysage intellectuel, l’idée qu’ils puissent représenter d’adéquats

objets d’étude pour des recherches anthropologiques systématiques et comparatives a

souvent été supplantée par une préférence pour l’exotisme »44. Parmi les premiers travaux

majeurs, nous pouvons citer The anthropology of sport : an introduction45 de Kendall

Blanchard et Alyce Cheska, qui, comme son nom l’indique, permet d’appréhender la

discipline. L’approche multidisciplinaire est revendiquée par certains anthropologues qui

écrivent sur le sport. Nous pouvons citer dans cette tendance The anthropology of sport and

modern movement. A biocultural perspective46 sous la direction de Robert et Linda Sands.

Dans cet ouvrage collectif, les différents auteurs n’hésitent pas à faire référence aux sciences

naturelles, notamment la biologie, dans leurs démonstrations sur le fonctionnement des

hommes dans les efforts sportifs. Un autre exemple de multidisciplinarité est illustré dans

l’œuvre de Sébastien Darbon. Celle-ci est marquée par l’anthropologie historique. Que ce

soit dans l’article « Les pratiques sportives au filtre de l’anthropologie »47 ou dans l’ouvrage

43. Ibid., p. 16.

44. Noel Dyck, « Perspectives anthropologiques sur le sport : Mise en jeu », Anthropologica, vol 46, no 1, 2004, p. 10.

45. Kendall Blanchard, Alyce Cheska, The anthropology of sport: an introduction, Westport, Greenwood Publishing Group, 1995.

46. Robert R. Sands, Linda R. Sands, dir., The anthropology of sport and human movement. A biocultural movement, Lanham, Lexington

Books, 2012.

47. Sébastien Darbon, « Les pratiques sportives au filtre de l’anthropologie », La revue pour l’histoire du CNRS, no 26, été 2010.

18

Les fondements du système sportif. Essai d’anthropologie historique48, les deux perspectives

se côtoient dans l’argumentation. Dans le premier article, il utilise cette démarche

d’anthropologie historique pour tenter d’expliquer le passage des « jeux athlétiques », qu’on

pourrait définir par pratiques anciennes, à un système sportif ou sport moderne. Dans son

livre, l’approche de l’anthropologie historique est également mise au service de la formation

du système sportif dans l’Angleterre du XIXe siècle. Il décrit le système sportif à partir de

cinq critères : l’émergence des règles de jeu, la mise en place de l’égalité entre les adversaires,

des institutions bureaucratiques afin de faire respecter les règles, une rationalisation et une

quantification de l’activité et la création d’un cadre spatio-temporel spécifique à la pratique

sportive. L’auteur reformule ainsi le schéma d’Allen Guttmann, que nous avons vu dans la

partie consacrée à l’histoire du sport, en s’appuyant sur de nombreuses études historiques.

Outre ces exemples de multidisciplinarité, l’anthropologie du sport repose également sur des

ouvrages ou des articles qui permettent d‘appréhender certains phénomènes liés au sport à

travers un regard anthropologique. Anne Saouter en se penchant sur le rugby, sport viril par

excellence et qui se veut la vitrine de la masculinité, fait ressortir un monde très masculin où

le vestiaire est un sanctuaire interdit aux femmes et dans lequel paradoxalement la

camaraderie masculine se traduit par de nombreux contacts physiques entre coéquipiers.

Contacts que l’on retrouve d’ailleurs tout au long des matchs dans ce sport très physique.

Dans cet espace social, véritable mode de vie, qu’est le rugby, la place des femmes est très

hiérarchisée avec la figure maternelle, l’épouse et la groupie49. Eduardo Archetti expose un

exemple de la voie la plus courante de l’adoption des sports, l’appropriation stylistique, en

se penchant sur l’Argentine à travers le soccer et le polo locaux. Ces deux sports introduits

par les Britanniques en Argentine, ont été complètement appropriés par les Argentins.

L’auteur décrit cette créolisation en évoquant la façon dont le soccer et le polo argentins sont

marqués par un style typiquement argentin50 . Allen Guttman se penche sur l’intégration des

Noirs dans le sport aux États-Unis. Son constat n’est pas flatteur. En effet, pour un basketteur

48. Sébastien Darbon, Les fondements du système sportif. Essai d’anthropologie historique, Paris, L’Harmattan, 2014.

49. Anne Saouter, « La maman et la putain. Les hommes, les femmes et le rugby », Terrain, no 25, septembre 1995.

50. Eduardo P. Archetti, « Nationalisme, football et polo : tradition et créolisation dans la construction de l’Argentine moderne »,

Terrain, no 25, septembre 1995.

19

comme Michael Jordan ou un joueur de football américain comme O.J. Simpson, il déplore

tous les jeunes Noirs qui vont échouer du fait du système universitaire qui privilégierait trop

souvent le sport plutôt que l’éducation51. Ces trois exemples à travers le sport mettent en

évidence un monde clos dans lequel la place des femmes est hiérarchisée à l’extrême, une

appropriation « indigène » ou créolisation de pratiques importées par les Anglais et

l’intégration d’une minorité qui, pour quelques élus, fait beaucoup de déçus.

Les études sur le sport en ethnologie sont marginales ou quasi-absentes avant le début des

années 1970, où elles connaissent un regain d’intérêt pour certains ethnologues. En effet, cela

ne fait qu’une trentaine d’années qu’une ethnologie tournée vers le sport s’est véritablement

développée. Malgré cela, dans sa « double dimension de pratique et de spectacle »52, peu de

travaux émergent. La cause principale serait liée aux problèmes de méthode face à la

configuration du spectacle sportif constitué de dizaines de milliers de spectateurs. Selon

Christian Bromberger, « les activités physiques et futiles constitueraient, au mieux, un

domaine d’analyse et de réflexion pour les professeurs de gymnastique et les journalistes

sportifs »53. Depuis que le sport est devenu un objet d’étude à part entière en ethnologie, on

constate que les pistes d’études ne manquent pas. Ainsi, on étudie le sport en tant que « clé

de la connaissance de la société »54, en tant que culture populaire ou en tant qu’opium du

peuple55. La voie du sport comme métaphore de la vie est très souvent mise en évidence par

les auteurs. Christian Bromberger, par exemple, en s’intéressant au soccer fait ressortir « un

mélange d’exaltation du mérite individuel, de la solidarité collective, une insistance sur le

rôle de la chance, de la tricherie, d’une justice plus ou moins arbitraire »56. Or, ce sont là les

facteurs de l’échec et de la réussite à l’échelle d’une vie. Les angles d’études sont nombreux

et les ethnologues en ont pris conscience avec des travaux comme celui de Marianne

51. Allen Guttman, « Amères victoires. Les sportifs et le rêve américain de mobilité sociale », Terrain, no 25, septembre 1995.

52. Christian Bromberger, « Le spectacle sportif : un objet ethnologique ? », Laurier Turgeon et Anne- Marie Desdouits, dir.,

Ethnologies francophones de l’Amérique et d’ailleurs, Québec, Presses de l’Université Laval, 1997, p. 137.

53. Christian Bromberger, « De quoi parlent les sports », Terrain, no 25, septembre 1995, p. 11.

54. Alain Ehrenberg, « Des stades sans Dieux », Le Débat, vol. 3, no 40, 1986, p. 47.

55. Jean-Marie Brohm, Jacques Ardoino, « Repères et jalons pour une intelligence critique du phénomène sportif contemporain », Jean

Marie Brohm, Jacques Ardoino, dir., Anthropologie du sport. Perspectives critiques, Paris, Matrice, 2001, p. 168.

56. Christian Bromberger, « Les pratiques et les spectacles sportifs au miroir de l’ethnologie », Société de sociologie du sport de langue

française, dir., Dispositions et pratiques sportives. Débats actuels en sociologie du sport, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 16.

20

Barthélémy sur les rallyes et leur quête contradictoire de risque et d’assurance57 ou encore le

thème de la construction des genres et des classes d’âge qui trouverait un champ d’étude

privilégié sur le terrain sportif.

Le sport étant devenu un objet d’étude porteur pour les sciences sociales et humaines, certains

débats sont apparus entre les chercheurs. Un de ces principaux débats illustre bien la façon

dont le sport moderne peut être perçu par les uns ou par les autres. Un courant distille et

cristallise les critiques des autres auteurs : la critique du sport. Pascal Duret évoque leur

« fonctionnalisme négatif [qui] dénonce sans relâche, la fausse candeur de toutes les vertus

prêtées au sport. Celui-ci n’est plus alors perçu ni comme source de santé individuelle, ni

amitié entre les peuples, ni comme un lieu d’apprentissage de la tolérance ou de

désintéressement »58. Ce courant, qui se revendique du marxisme, se développe autour de la

revue Quel Corps et de son chef de file, le sociologue Jean Marie Brohm. Dans toutes leurs

publications, livres et articles de la revue Quel Corps (éditée de 1975 à 1997), ces sociologues

critiques remettent constamment en cause le sport de haut niveau et ses dérives (la violence,

le dopage, la collusion entre politique et sport, l’abrutissement des masses, etc.). Leur but est

de :

57. Marianne Barthélémy, « Le goût de l’extrême : passion et souffrance dans les aventures organisées », Christian Bromberger, dir.,

Passions ordinaires. Du match de football au concours de dictée, Paris, Hachette, 2002.

58. Pascal Duret, Sociologie du sport, Paris, Presses Universitaires de France, 2008, p. 6.

21

Dénoncer la logique capitaliste du sport de compétition, l’abrutissement

spectaculaire des masses, l’aliénation culturelle d’un loisir sportif réduit à sa

dimension d’exutoire et de manipulation, les violences de plus en plus

meurtrières, les dopages et manipulations biologiques, les instrumentalisations

politiques réactionnaires des manifestations sportives par les États policiers et les

dictatures totalitaires59.

Les auteurs de ce courant, notamment Jean Marie Brohm, les sociologues Michel Caillat et

Marc Perelman ou encore le spécialiste des sciences de l’éducation Jacques Ardoino, sont

fréquemment en conflit avec les autres sociologues, anthropologues et ethnologues qui

écrivent sur le sport, notamment sur la façon dont il devrait être étudié. Ce courant remet en

cause l’évolution du sport moderne, à travers ses dérives économiques (les sommes d’argent

investies), ses dérives de performances (l’omniprésence du dopage), ses dérives humaines

(le phénomène de violence dans et en dehors des stades, très présent dans le soccer) ou

politiques (la façon dont les États utiliseraient le sport à des fins politiques). Des auteurs se

sont élevés contre cette façon de penser et de voir le sport. Ainsi l’ethnologue Christian

Bromberger et le sociologue Alain Ehrenberg estiment que le spectacle sportif est le reflet de

la vie : « il est un commentaire à visée universelle sur la vie sociale moderne »60. La

comparaison avec la vie quotidienne revient sans cesse dans leur argumentaire. Ainsi la

victoire ou la défaite en sport peuvent être transposées dans le quotidien de n’importe quel

individu. Les amateurs de sport se retrouveraient dans les symboles qu’il véhicule. Dans cette

optique, on peut évoquer l’espèce d’idéal qui aurait court dans le sport : seules les qualités

propres du sportif lui permettraient d’atteindre son but. Les passe-droits n’existeraient pas.

Sans les qualités requises, le sportif ne fait pas bonne figure : sur un terrain, sur une piste

d’athlétisme ou sur un ring de boxe chacun a sa chance à condition d’avoir du talent. La

passion pour le sport viendrait en grande partie de cette « idéologie méritocratique »61. Par

contre, d’autres auteurs comme l’ethnologue Marc Augé ou le sociologue Christian Pociello

préfèrent mettre l’accent sur le parallèle entre le sport et la religion pour montrer l’importance

59. Jean-Marie Brohm, Frédéric Baillette, Critique de la modernité sportive. Paris, Les Editions de la Passion, 1995, p. 9.

60. Alain Ehrenberg, « Des stades sans Dieux », Le Débat, numéro 40, 1986, p. 48.

61. Ibid., p. 58.

22

du premier pour les populations, ce qui évoque une « religion moderne »62. Des termes

religieux sans équivoque sont employés pour décrire les spectateurs, les rencontres sportives

et les sportifs eux-mêmes. Les spectateurs deviennent des fidèles, les stades des cathédrales,

des temples, ou encore sont considérés comme la Mecque, et les sportifs des demi-Dieux ou

des idoles.

Un sport est davantage illustré dans les études en sciences sociales et humaines : le football

européen ou soccer. Sport le plus populaire dans le monde, sauf en Amérique du Nord63, il

est omniprésent dans la littérature sur le sport et les auteurs y font constamment référence.

Là où Bromberger voit le match de football comme un laboratoire de la société, Brohm, au

contraire, y voit « une peste émotionnelle »64. Un exemple peut illustrer une des nombreuses

divergences entre les deux courants de pensée sur ce sport. Bromberger estime que le stade

n’est pas juste un lieu où on assiste à un match ; il peut aussi être un lieu de prise de

conscience, au contraire de Brohm qui, de son côté, pense que cet espace n’est qu’un

instrument de manipulation des masses. Les désaccords touchent tous les aspects de ce sport

malgré la passion démesurée pour le soccer dans le monde. Ainsi l’anthropologue Roberto

Da Matta souligne la spécificité brésilienne pour le sport. Là-bas, on ne parle pas de football,

on en « discute »65 tellement le sujet est pris au sérieux. Dans ce pays, le soccer est un

« instrument de construction de l’identité nationale »66. L’exemple le plus flagrant est celui

des joueurs Noirs qui, en 1950, après une défaite lors de la plus grande compétition de ce

sport (la coupe du monde), ont été montrés du doigt mais, grâce à des succès dans les

compétitions suivantes, sont devenus des citoyens à part entière. L’anthropologue Claude

Rivière évoque la dramaturgie populaire de ce sport à travers sa théâtralisation dans les

62. Christian Pociello, Sports et société. Approche socio-culturelle des pratiques, Paris, Éditions Vigot, 1981, p. 232.

63. Christian Bromberger, Alain Hayot, Jean-Marc Mariottini, Le match de football. Ethnologie d’une passion partisane à Marseille,

Naples et Turin, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2001, p. 1-2.

64. Jean-Marie Brohm, Marc Perelman, Le football, une peste émotionnelle, Paris, Gallimard, 2006.

65. Roberto Da Matta, « Notes sur le futebol brésilien », Le Débat, numéro 19, 1982, p. 70.

66. Ibid., p. 71.

23

tribunes, avec les milliers de spectateurs qui se massent dans les stades, sur le terrain avec

les mises en scène des joueurs pour gagner ou berner les arbitres.67

Sport populaire par excellence, il draine des milliers de partisans à chaque rencontre. De plus,

sa simplicité et son déroulement dramatique (rebondissements, l’imprévisibilité, les

remontées de score) en font un objet d’étude particulièrement intéressant. Ce scénario n’est

d’ailleurs pas inhérent au soccer. Le sport en général propose un déroulement qui peut être

dramatique en direct. Mais il faudrait étudier les autres sports, comme cela est fait pour le

soccer, pour s’en rendre compte. Car de nombreux autres sports, dont le hockey, sont quelque

peu délaissés. Peu d’études leur sont entièrement consacrées dans leur dimension sociale et

culturelle. Nous avons évoqué les rallyes avec Marianne Barthélémy, nous pouvons y ajouter

la course à pied avec Martine Segalen68, à la fois coureuse et ethnologue, qui décrit ce rituel

contemporain et ancien ; le basket de rue au Venezuela (ou comment le sport contribue à la

refondation des cultures populaires urbaines) avec Yves Pedrazzini69 ou encore la boxe avec

Loïc Wacquant70 qui décrit son immersion au sein d’un club de boxe de Chicago. Quant au

hockey, il a fait l’objet de quelques travaux universitaires récents dont nous citons les plus

pertinents pour notre étude. En histoire, le mémoire de maîtrise de Steve Lasorsa, Entre sport

et passion. La rivalité Canadien-Nordiques, un reflet du nationalisme québécois des années

198071 se penche sur la rivalité entre les deux clubs de hockey du Québec qui se sont illustrés

dans la Ligue Nationale, le Canadien de Montréal et les Nordiques de Québec, pour éclairer

le débat qui a mobilisé la province du Québec sur son avenir politique. Selon lui, la rivalité

sur la glace entre les deux clubs de hockey s’est reflétée sur la scène politique québécoise

pendant la période entre les deux référendums et aurait trouvé une certaine résonnance auprès

des partisans qui déborde du sport national. Le mémoire de maitrise en études québécoises

67. Claude Rivière, Les Rites profanes, Paris, PUF, 1995.

68. Martine Segalen, Claude Frère-Michelat, Les enfants d’Achille et de Nike. Une ethnologie de la course à pied ordinaire, Paris,

Métailié, 1994.

69. Yves Pedrazzini, « Fonction sportive de la ruelle : une ethnologie du basket dans le monde des gangs et des barrios à Caracas,

Venezuela », Ethnographiques. org, no 20, septembre 2010.

70. Loïc Wacquant, Corps et âme : carnets ethnographiques d’un apprenti boxeur, Marseille, Agone, 2002.

71. Steve Lasorsa, « Entre sport et passion. La rivalité Canadien-Nordiques, un reflet du nationalisme québécois des années 1980 »,

Mémoire de maitrise en histoire, Québec, Université Laval, 2011.

24

de Charles Bussières-Hamel, « Les gants ont tombé, les bâtons ont été échappés et on s’est

cogné sur la gueule ». Étude de la justification de l’utilisation de la violence au hockey

(1950-1985)72, étudie la violence dans le hockey sur glace de la seconde partie du XXe siècle

d’après les propos des joueurs, entraîneurs et journalistes recueillis dans les quotidiens

montréalais. Dans un sport porté sur les contacts et dans lequel les bagarres entre joueurs sont

fréquentes, une telle étude scientifique sur le phénomène de la violence du point de vue du

monde du hockey est innovante. En effet, la littérature scientifique s’est très peu penchée sur

le sujet. Dans son mémoire, Bussières-Hamel expose les différentes formes de violence dans

le hockey et il en ressort que certaines sont justifiées par les acteurs de ce sport (joueurs,

journalistes, partisans) alors que d’autres ne le sont pas. Dans le cas de violence justifiée,

nous pouvons citer les bagarres pour défendre un coéquipier et dans celui des violences

injustifiées, les gestes déloyaux pour affaiblir un adversaire (comme infliger des blessures

volontaires ou les mises en échec dangereuses). En sociologie, le mémoire de maîtrise de

Fannie Valois-Nadeau, Quand le cœur a ses raisons : Analyse de la construction mythique

du club de hockey le Canadien de Montréal73, s’intéresse à la construction du mythe

entourant le Canadien de Montréal . Les Canadiens francophones ont fait du CH l’étendard

de leurs aspirations et un symbole de leur identité culturelle. L’évolution de la Ligue

Nationale de hockey (LNH) a permis au hockey de s’installer dans des régions au bassin de

population important mais dont l’enracinement de ce sport dans les coutumes locales n’était

pas évident, la Californie par exemple. Cette évolution montre que l’aspect économique a

pris le dessus sur l’aspect sportif. Enfin les médias, avec notamment la télévision qui permet

à chacun de suivre son équipe au quotidien, ont contribué à faire du Canadien de Montréal

un objet de représentation nationale et de promotion commerciale. Ainsi selon Fannie Valois-

Nadeau, la nation canadienne francophone, la Ligue nationale et les médias sont des acteurs

de processus de construction de sens entourant le Canadien de Montréal. Dans son étude, elle

intègre un quatrième acteur : le public (les partisans). Son corpus est composé des forums de

discussion du site Internet du diffuseur exclusif des matchs du Canadien, la chaine de

72 Charles Bussières-Hamel, « « Les gants ont tombé, les bâtons ont été échappés et on s’est cogné sur la gueule ». Étude de la

justification de l’utilisation de la violence au hockey (1950-1985) », Mémoire de maitrise en études québécoises, Trois-Rivières.

Université du Québec à Trois-Rivières, 2012.

73 Fannie Valois Nadeau, « Quand le cœur a ses raisons. Analyse de la construction mythique du club de hockey le Canadien de

Montréal », Mémoire de maitrise en sociologie, Montréal, Université du Québec à Montréal, 2009.

25

télévision RDS (réseau des sports). Son analyse du corpus s’étend de février 2007 à

septembre 2008 Par le biais des forums de discussion, Fannie Valois-Nadeau introduit la voix

du public (des partisans) dans cette construction mythique. « Ces quatre acteurs sont à la base

de la construction du symbole du Canadien de Montréal, puisque chacun d’entre eux aspire

à tirer un bénéfice de l’image qu’ils créent »74 En sciences de la communication, Monika

Sniec a abordé le sujet des fans et de leur rapport au Canadien de Montréal dans son mémoire

de maitrise : Les Canadiens de Montréal vus par les fans : une exploration en trois temps75.

Son travail visait à mieux comprendre les personnes qui font partie des fans du Canadien,

ainsi que leur perception de l’équipe et leurs pratiques. Pour y parvenir, elle a réalisé des

entrevues individuelles de 1h chacune de novembre 1999 à février 2000 avec 14 personnes

qui disaient s’intéresser au Canadien de Montréal. Parmi ses interlocuteurs, certains se

réclamaient ouvertement fans tandis que d’autres ne voulaient pas être classés dans cette

catégorie. Chacun a défini le fan selon son propre ressenti : le fan doit être d’une fidélité à

toute épreuve ; il doit s’impliquer et ne pas critiquer. ; il doit être fier de son équipe quelle

que soit la situation dans laquelle elle se trouve ; il doit vivre le hockey tous les jours en

participant à la culture du hockey inhérente à la ville de Montréal. Parmi ceux qui ne

considéraient pas comme des fans, certains ont fait l’analogie entre fans et personnes malades

dans le sens de fanatiques. Les fans interrogés perçoivent le Canadien de trois façons

différentes : une institution à laquelle ils sont profondément attachés par leur enfance, par la

fierté pour cette équipe qui a un palmarès étoffé ; une entreprise culturelle avec tout l’argent

injecté dans le hockey et les dérives engendrées (indécence des salaires des joueurs,

augmentation du prix des places pour assister à des matchs) et comme un produit médiatique

avec toute l’attention médiatique entourant l’équipe. Cette étude est intéressante car l’auteure

a permis à des personnes qui suivent le Canadien de s’exprimer sur le statut de fan et sur la

perception qu’ils ont de leur équipe. Leurs pratiques sont aussi exposées tout au long de

l’étude, notamment la façon dont ils suivent l’équipe (à la télévision, par la lecture, en se

rendant aux matchs, en achetant des produits dérivés, en participant à des pools). Une

dernière étude en sociologie, le mémoire de maîtrise de Jean-Raphaël Cloutier, Analyse des

74 Ibid, p. 134.

75 Monika Sniec, « Les Canadiens de Montréal vus par les fans : une exploration en trois temps », Mémoire de maitrise en sciences de

la communication, Montréal, sciences de la communication, 2004.

26

fans du Canadien de Montréal : rituel festif et profane d’une passion partisane pour le

hockey au Québec76, analyse la ritualisation de retransmissions du match de hockey du

Canadien de Montréal dans un espace public. Ce mémoire constitue une des rares études sur

la partisannerie qui porte son regard sur les partisans qui se regroupent dans un bar sportif

les soirs des matchs pour visionner sur les écrans de télévision leur équipe favorite. Selon

Cloutier, ces manifestations de passion partisane constituent un « rituel festif à forte charge

symbolique »77. Les soirées de hockey dans ce bar sportif sont des manifestations festives

avec l’ambiance que l’on peut retrouver dans un bar (musique jouée pendant les entractes, la

consommation d’alcool) et l’excitation inhérente à la retransmission d’un match de hockey.

Selon le résultat du match, les célébrations se poursuivent et le bar reprend alors sa fonction

principale. C’est en venant suivre régulièrement les matchs dans ce bar que les partisans en

font un rituel. Ils suivent le même protocole match après match avec notamment la

consommation de boissons ou de nourriture dès qu’ils sont installés. La célébration des

matchs du Canadien dans ce cadre contribue à l’élaboration d’un univers festif qui s’intensifie

selon le degré de participation des fans : ils échangent, fêtent, s’amusent dans un décor qu’ils

apprécient et qui leur convient. Chaque partisan retrouve dans ce bar ce qu’il recherche (un

moment sacré ou l’ambiance d’un bar). Mais finalement lorsque l’issue du match est la

victoire, tout le monde se retrouve dans un esprit de groupe survolté. Dans ce lieu, les

personnes présentes pour les matchs se mettent en scène en tant que partisans par leurs signes

d’appartenance (vêtements à l’effigie du Canadien) leurs gestes, mimiques ou paroles.

L’auteur met en évidence l’importance de certains éléments dans l’expression de la passion

partisane vis-à-vis du hockey : l’écran de télévision, le rassemblement des partisans hors des

enceintes sportives et la ritualisation de la retransmission du match de hockey. En observant

douze soirées de hockey, étalées sur la saison régulière 2009-2010, dans un bar sportif,

l’auteur démontre que les rassemblements des partisans se déroulent selon un rituel au cours

duquel se crée un esprit de communauté. La ritualisation de la retransmission des matchs

devient un moyen permettant différentes formes de communications entre les partisans. Jean-

Raphaël Cloutier s’est véritablement immergé dans une ambiance de bar sportif, afin de

76 Jean-Raphaël Cloutier, « Analyse des fans du Canadien de Montréal : rituel festif et profane d’une passion partisane pour le hockey

au Québec », Mémoire de maitrise en sociologie, Montréal, Université du Québec à Montréal, 2010.

77. Jean-Raphaël Cloutier, « Analyse des fans du Canadien de Montréal : rituel festif et profane d’une passion partisane pour le hockey

au Québec », Mémoire de maitrise en sociologie, Montréal, Université du Québec à Montréal, 2010, p. 4.

27

rendre compte de la passion partisane des fans du Canadien de Montréal sous l’angle du rituel

festif et profane.

Les études sur le sport ne touchent pas uniquement la pratique du sport en général, qu’il

s’agisse de sport individuel ou d’équipe, mais se sont aussi intéressées à leur dimension

collective de spectacle sportif. Si la pratique sportive concerne ce qui se passe sur le terrain,

la glace, la piste d’athlétisme ou le ring, et ses principaux acteurs, joueurs, entraîneurs et

arbitres, ainsi que les règlements et l’équipement, le spectacle sportif, lui, considère tout ce

qui l’entoure : les spectateurs, les téléspectateurs, les médias, l’organisation des compétitions

et des matchs, l’argent qui circule dans cette industrie. Pierre Bognon78 met même l’accent

sur des rencontres sportives qui peuvent attirer des spectateurs pour d’autres motifs que la

confrontation entre des équipes ou des athlètes, comme lors des championnats régionaux de

baseball aux États-Unis. Ces rencontres font office de spectacles familiaux avec des

promotions, des distributions de vêtements aux couleurs des équipes, l’organisation de

séances de signatures d’autographes par les joueurs et la prolongation de la fête par des feux

d’artifice. Afin de mieux appréhender le spectacle sportif, le sociologue Philippe Gaboriau,

dans son ouvrage Les spectacles sportifs. Grandeurs et décadences79, l’analyse à travers sept

grilles d’interprétation complémentaires. Les sept modèles théoriques permettent de voir les

spectacles sportifs comme des fêtes populaires, des récits épiques, des institutions totales,

des guerres amusantes, de l’art contemporain, l’opium du peuple et des rituels religieux. Pour

cette étude, des modèles théoriques ont semblé pertinents. En premier lieu le spectacle sportif

comme fête populaire. Les spectacles sportifs formeraient « les carnavals modernes de

l’époque industrielle […] des temps de déviance qui permettent à l’homme de sortir de

l’ornière du quotidien »80 Le modèle des récits épiques est aussi intéressant pour notre étude.

Ces « récits journalistiques racontent une quête et une mise à l’épreuve : des héros sportifs

partent à la conquête d’un trophée (une victoire, une médaille olympique, une coupe du

monde, un maillot jaune). Pour sortir victorieux, les champions doivent passer une série

78. Pierre Bognon, Passion supporter. Qui sont vraiment les fans de sport? Paris, Ipanema Éditions, 2012, p. 71.

79. Philippe Gaboriau, Les spectacles sportifs : grandeurs et décadences, Paris, L’Harmattan, 2003.

80 Ibid, p. 17.

28

d’épreuves (séries, demi-finale, finale, obstacles divers) et vaincre leurs adversaires »81. Les

médias sont les créateurs de ces récits qui alimentent les fans partout dans le monde par leurs

écrits ou leurs paroles. Ce modèle de récits épiques fait également intervenir la télévision,

qui tient une place non négligeable dans notre étude. Cet objet qui « diffuse des images au

cœur de chaque univers familial »82 permet d’établir un lien social : « le spectateur (ou la

famille spectatrice) qui regarde la petite lucarne, s’agrège à un public potentiellement

immense et anonyme qui la regarde simultanément, et entretient de ce fait avec lui une sorte

de lien invisible »83. Parmi les sept modèles de Gaboriau, certains ont été utilisés par d’autres

auteurs. Ainsi Jean Marie Brohm qui décrit le spectacle sportif comme un moyen d’aliéner

les masses en les détournant des véritables problèmes de société. Le spectacle sportif serait

donc le nouvel opium du peuple. Le modèle du rituel religieux a été développé entre autres

par Claude Rivière ou Christian Bromberger.

La recension des écrits sur le sport montre que la plupart des études portent sur la pratique

professionnelle de sports et sur l’industrie des événements spectaculaires qui la supporte.

Mais pratiquer un sport entre amis la fin de semaine nous introduit à une autre dimension,

celle du sport loisir qui se fait dans le cadre d’un divertissement et rejoint un grand nombre

d’amateurs. Du reste, regarder le sport à la télévision constitue aussi une autre pratique de

loisir très prisée.

1.1.1.2 Les loisirs

Christian Bromberger considère que le sport occupe la huitième position parmi les

loisirs ; il arrive derrière la télévision, Internet et les jeux vidéo, la lecture, la promenade, la

consommation de musique, les sorties culturelles (théâtre, cinéma, musées) et la vie

81 Ibid, p. 29.

82 Ibid, p. 33.

83. Ibid.

29

associative. En 2012, 87 % des Français déclarent pratiquer un sport84. Pour Paul Yonnet, le

sport est un loisir. Celui-ci repose « entièrement sur une demande sociale constituée de deux

éléments : une demande de sport direct et une demande de spectacle »85. Quant à Laurent

Turcot, il estime qu’il serait impensable d’étudier les loisirs sans le sport tant « ils sont liés à

toutes les époques, aussi bien dans leur dimension économique et sociale que culturelle et

politique »86.

La production scientifique sur les loisirs est variée et chaque auteur donne sa propre

définition du loisir. Nous pouvons exposer les principaux éléments récurrents de ces

différentes définitions : le loisir apparaît comme un temps libre indépendant des activités qui

peuvent remplir ce temps disponible ; le temps de loisir ne doit pas être confondu avec le

temps hors travail ; le loisir est avant tout une attitude psychologique de l’individu. Ainsi,

n’importe quelle activité peut être vécue comme un loisir vu que tout dépend de l’état d’esprit

dans lequel cette activité est pratiquée. Tout comme celle du sport, la notion de loisir s’est

développée au fil du temps. Pour certains auteurs, comme Joffre Dumazadier, Gilles

Pronovost ou Alain Corbin, le loisir moderne serait né lui aussi avec la révolution industrielle

en Angleterre au XIXe siècle. D’autres par contre, comme Laurent Turcot, Roger Sue ou

René Teboul, font remonter cette notion à l’Antiquité, incluant le paradigme du jeu et celui

du divertissement. Certes le terme « loisir » n’a pas toujours été employé pour parler des

divertissements et des jeux avant l’ère industrielle, mais comme le mentionne Laurent Turcot,

l’expression « loisirs » englobe « les termes, les théories et les pratiques qui sous-tendent leur

acception dans l’esprit des contemporains selon les significations culturelles et les formes de

sociabilité »87. Au plan étymologique, le loisir se traduit en grec moderne par la notion de

scholè qui signifie « à la fois loisir et repos, en ce qu’elle ne consiste pas à ne rien faire, mais

au contraire, elle suppose que chacun fasse ce qu’il estime important »88. Autre exemple,

pour l’époque romaine, l’otium est le terme désigné pour évoquer le loisir. Selon Turcot, ce

84. Christian Bromberger, « Loisirs et sports. Le cas du football. », Conférence prononcée à l’Université de Porto Alegre (Brésil), 14

novembre 2015.

85. Paul Yonnet, Huit leçons sur le sport, Paris, Gallimard, 2004, p. 35.

86. Laurent Turcot, Sports et loisirs. Une histoire des origines à nos jours, Paris, Gallimard, 2016, p. 16.

87. Ibid., p 15.

88. Jean-Marie André cité dans Laurent Turcot, Ibid, p. 42.

30

terme « ne correspond qu’imparfaitement à notre loisir contemporain en ce que le mot est

polysémique et son sens évolue au fil du temps […]Mis on s’entend pour présenter l’otium

(loisir) comme l’envers de la militia (vie militaire) »89 Puis, à travers les différentes époques,

le loisir évolue selon divers facteurs, comme la durée journalière, les heures de travail, la

mainmise de l’Église et des pouvoirs publics sur les temps libres ou encore l’urbanisation

des villes qui va le favoriser. Pour sa part, le sociologue Joffre Dumazadier, considéré comme

un des pionniers de la sociologie du loisir, fait remonter son origine à la civilisation née de

la révolution industrielle avec la diminution du temps de travail qui a rendu disponible du

temps se rapportant presque exclusivement à des activités sociales, familiales et personnelles.

Dans son ouvrage de référence Vers une civilisation du loisir ? il fait reposer le loisir sur trois

fonctions : le délassement, le divertissement et le développement de la personne. Les rapports

du loisir avec le travail, la famille ou la politique ouvriraient la voie de la civilisation des

loisirs après celle du travail. Les avancées sociales (les congés payés ou l’avancement de

l’âge de la retraite) créent un temps nouveau. Pour Gilles Pronovost, « l’Angleterre a

constitué la première nation à faire l’expérience des bouleversements issus de la révolution

industrielle, et par voie de conséquences des transformations culturelles profondes ayant

contribué à la formation du loisir »90.L’Angleterre a été la première nation à entrer dans l’ère

industrielle et en conséquence une nouvelle société a vu le jour. Et c’est dans cette société

que de nouvelles législations sociales et ouvrières ont émergé afin de réduire le temps de

travail ce qui aurait favorisé l’apparition et le développement des loisirs.

Dans toute la gamme des loisirs étudiée dans les ouvrages, la télévision est sûrement un des

plus documentés. Joffre Dumazadier l’évoque « en tant que phénomène de loisir qui tend à

être commun à toutes les classes, toutes les catégories sociales »91, Laurent Turcot la présente

comme « le parangon de la civilisation des loisirs entendu comme la commercialisation

massive de produits culturels de divertissement et une révolution de temps libre »92 et pour

René Teboul, la télévision a transformé « en profondeur et de façon durable, les pratiques de

89. Laurent Turcot, Sports et loisirs. Une histoire des origines à nos jours, Paris, Gallimard, 2016, p.101-102.

90. Gilles Pronovost, Temps, culture et société, Sillery, Presses de l’Université du Québec, 1983, p. 12.

91. Joffre Dumazadier, Vers une civilisation du loisir? Paris, Éditions du Seuil, 1962, p. 154.

92. Laurent Turcot, Sports et loisirs. Une histoire des origines à nos jours, Paris, Gallimard, 2016, p. 517.

31

loisir »93. Joffre Dumazadier et Gilles Pronovost analysent les résultats d’enquêtes sur le

nombre d’heures que les individus passent devant leur poste de télévision. Cette méthode

permet de mesurer l’impact de la télévision sur le quotidien des personnes. Il ressort de ces

analyses l’importance prise par la télévision dans les loisirs. Regarder la télévision transforme

le domicile en un lieu de divertissement. En effet, « l’espace casanier, le “chez soi” constitue

un lieu privilégié pour l’exercice de multiples activités échappant à la sphère professionnelle

et aux impositions sociales, qu’elles soient centrées autour de la famille, partagées avec des

amis ou exercées en solitaire »94. La télévision se regarde en famille, avec des amis ou tout

seul. Au début du XXIe siècle, la télévision occupe quasiment près de 40 % de temps de loisir

des Américains95. Néanmoins, l’hégémonie de ce média dans les loisirs tend à s’effriter avec

l’explosion des jeux vidéo et surtout d’Internet. D’autres loisirs sont évoqués dans les

ouvrages consacrés à ce sujet dans les sciences sociales. Nous avons cité entre autres

précédemment la course à pied avec Les enfants d’Achille et de Nike. Une ethnologie de la

course à pied ordinaire96 de Martine Segalen et la boxe à travers Corps et âme. Carnets

ethnographiques d’un apprenti boxeur97 de Loïc Wacquant. Ces deux ouvrages traitent de

loisirs sportifs pratiqués par les deux auteurs. Ils sont acteurs à part entière de ces loisirs

qu’ils étudient. À ce titre leur point de vue est éminemment intéressant car ils sont

observateurs participants des loisirs qu’ils dépeignent. Le tourisme est un autre loisir

fréquemment cité, il est le sujet central de nombreuses publications dont L’envie du monde

de Jean-Didier Urbain ou Le tourisme de masse de Marc Boyer. La première traite de la

diversification actuelle du tourisme (le tourisme urbain, le tourisme court, le tourisme rural),

tandis que le second se penche sur l’histoire du tourisme du XVIe siècle à aujourd’hui. Des

loisirs moins conventionnels sont également abordés dans Ethno-sociologie des machines à

sous de Jean-Pierre G. Martignon-Hutin ou dans l’ouvrage Anthropologie des abris de loisirs

sous la direction de Gilles Raveneau et Olivier Sirost. À travers les salles de machines à sous,

Jean-Pierre G. Martignon-Hutin décrit un microcosme social ouvert aux joueurs et non-

93. René Teboul, Culture et loisirs dans la société du temps libre, Gémenos, Éditions de l’aube, 2004.

94. Roselyne Bouillon-Dartevelle, Gabriel Thoveron, Françoise Noel, Temps libre et pratiques culturelles dans la communauté française

de Belgique, Liège, Mardaga, 1991, p. 103.

95. Laurent Turcot, Sports et loisirs. Une histoire des origines à nos jours, Paris, Gallimard, 2016, p. 587.

96 Martine Segalen, Claude Frère-Michelat, Les enfants d’Achille et de Nike. Une ethnologie de la course à pied ordinaire, Paris,

Métailié, 1994.

97 Loïc Wacquant, Corps et âme : carnets ethnographiques d’un apprenti boxeur, Marseille, Agone, 2002.

32

joueurs qui semble plus complexe qu’il n’y paraît. Malgré son apparence futile et dérisoire,

l’abri de loisir est présent dans de nombreux loisirs en plein air. À ce titre, Gilles Raveneau

et Olivier Sirost ont voulu en faire un objet d’étude en soi, en regroupant les recherches

éparpillées et hétérogènes sur ces abris dont les cabanons, kiosques, campings ou abris de

jardin dans leurs fonctions anciennes et actuelles selon leur emploi.

Pour désigner ces pratiques de sports, jeux, voyages, d’activités récréatives, éducatives et

culturelles, le terme « loisir » ne semble pas assez porteur pour Christian Bromberger. Il

considère que ce terme « habille trop large, amalgame pratiques occasionnelles et régulières,

et ne rend pas compte du rapport intensément vécu »98 par les individus avec l’objet de leur

passion. Il préfère alors parler de « passions ordinaires », qui, malgré leur association

contradictoire, sont des engouements : « partagés massivement, assumés individuellement,

acceptés moralement, vécus intensément, […] perçus comme des aspirations légitimes à la

réalisation de soi et au réenchantement du monde »99. Ceux qui partagent ces passions

ordinaires s’y investissent tellement que le terme de loisir ne saurait leur rendre justice. Ils

se projettent totalement dans les objets qui constituent leurs passions. Nous pouvons évoquer

ici une intensité plus forte que celle du loisir de la part du passionné de jardinage ou de

bricolage, de la part du parieur compulsif ou de l’amateur de sport extrême. Ces passions

ordinaires touchent à des activités aussi diverses que le jardinage, la généalogie, la philatélie

ou le soccer. Reste à définir ce qui distingue le passionné de l’amateur.

98. Christian Bromberger, dir., Passions ordinaires. Du match de football au concours de dictée, Paris, Hachette, 2002, p. 23.

99. Ibid., p. 26.

33

1.1.1.3 La passion

Pour définir les principales caractéristiques des passionnés, Christian Bromberger

insiste sur les « signes extérieurs »100. Ainsi le passionné paye de sa personne et ne lésine pas

sur les investissements : il consacre énormément de temps à sa passion et n’hésite pas à

dépenser des sommes importantes pour elle. La passion instaure souvent une « abolition du

temps »101, c’est-à-dire que le monde extérieur passe complètement au second plan.

L’aménagement de cet « espace-temps »102 s’accompagne le plus souvent d’un espace dédié

à la passion qui peut prendre des allures de « voracité spatiale »103 dans certains cas. Les

passionnés « doivent connaître leur sujet sur le bout des doigts ; leur réputation en

dépend »104. L’exemple des passionnés de soccer est d’ailleurs assez frappant. Ils s’imposent

de connaître minimalement, voire plus, le passé de leur équipe favorite et se tiennent au

courant de l’actualité de leur équipe au quotidien : tel joueur blessé, tel joueur suspendu, état

des forces de l’équipe qu’ils vont affronter. Toutes ces informations sont tenues à jour. Cette

expertise, les passionnés se doivent de la maîtriser. La passion, qui s’exerce dans la solitude

(exemple : le jardinage) ou collectivement (dans un stade ou lors d’un concert de rock),

implique à un moment donné échanges, partage, connivence et confrontations. En effet, « il

est dans la nature de la passion de se faire connaître et reconnaître, soit en s’épanchant

tapageusement, soit en se suggérant plus discrètement105 ». La connivence entre passionnés

doit le plus souvent se déployer dans un cadre collectif pour s’épanouir pleinement. Mais

comment mesurer le degré de passion des uns par rapport aux autres, à quel moment

l’intensité de l’engagement trace-t-il la frontière entre le passionné et l’amateur ? Le

sociologue Olivier Donnat, dans son étude sur les passions culturelles106, est allé à la

rencontre de différents individus afin d’analyser leurs hobby-passions dans le domaine

culturel. Pour ces personnes passionnées de culture (musique, peinture, théâtre, écriture), être

100. Ibid., p.27.

101. Ibid., p. 27.

102. Olivier Donnat, « Les passions culturelles, entre engagement total et jardin secret », Réseaux, numéro 153, 2009, p. 119.

103. Christian Bromberger, dir., Passions ordinaires. Du match de football au concours de dictée, Paris, Hachette, 2002, p. 27.

104. Pierre Bognon, Passion supporter. Qui sont vraiment les fans de sport? Paris, Ipanema Éditions, 2012, p. 122.

105. Christian Bromberger, Passions ordinaires. Du match de football au concours de dictée, Paris, Hachette, 2002, p. 31.

106. Olivier Donnat, « Les passions culturelles, entre engagement total et jardin secret », Réseaux, numéro 153, 2009.

34

un passionné est avant tout une attitude. Ces passionnés se démarquent des amateurs par des

formes d’engagement moins superficielles, moins passagères, moins orientées vers la

recherche de plaisir immédiate. Pour ces passionnés, l’exercice de leur pratique est exigeant,

elle demande un engagement total car elle donne du sens à leur existence. Si les principales

caractéristiques des passionnés sont évoquées dans les ouvrages, la façon dont on devient

passionné tient également une place importante dans les écrits sur le sujet.107

Comment devient-on passionné ? Comment « attrape-t-on le virus » ? selon l’expression

courante. Les auteurs, en se basant sur les statistiques ou les enquêtes, s’accordent à

reconnaître que le principal mode d’ancrage de la passion est la famille. L’article d’Olivier

Donnat fait même ressortir que pour certaines personnes l’enracinement de la passion est

tellement profondément inscrit dans leur histoire familiale, qu’ils ont tendance à le trouver

naturel et à en oublier l’origine. Ce mode de transmission permet de maintenir un lien avec

ses origines (familiales, géographiques ou culturelles). Mais « les chemins de la passion ne

sont pas toujours aussi linéaires »108. En effet, Christian Bromberger, Olivier Donnat ou

Pierre Bougnon, pour ne citer que ces trois auteurs, proposent que les origines d’une passion

soient dues à des conflits survenus dans l’enfance ou au cours de la vie d’un individu. Une

frustration, un conflit, une rupture peuvent être à l’origine de la volonté de prendre ses

distances avec un héritage familial et se tourner vers tout autre chose. L’influence indirecte

de la famille est un autre moyen de transmission de la passion. Dans ce cas, l’existence d’une

passion ne procède pas d’une volonté familiale mais est liée à un évènement particulier le

plus souvent dramatique. Cet évènement (mort d’un proche, maladie grave ou

déménagement) provoque alors une rupture dans l’histoire familiale ou la vie du passionné.

Un autre moyen de transmission apparaît lorsque la personne veut absolument se soustraire

à sa famille d’origine : mettre une distance entre ses origines sociales, ethniques, territoriales.

L’influence familiale agit alors comme un répulsif. En dehors de la famille, la transmission

107. Ibid.

108. Christian Bromberger, dir., Passions ordinaires. Du match de football au concours de dictée, Paris, Hachette, 2002, p. 36.

35

de la passion peut se faire par un ami, par un mentor, par découverte personnelle ou par

alliance, lorsque l’un des conjoints convertit l’autre à sa propre passion.

Le soccer, sport populaire par excellence, suscite toute une gamme de passions pouvant aller

de la partisannerie occasionnelle à l’expression la plus extrême du supportérisme. « La

partisannerie est la condition nécessaire pour assurer un maximum d’intensité […] à la

confrontation »109. La passion partisane pour ce sport provoque moult débordements et des

catastrophes provoquées par certains fans sont désormais ancrées dans la mémoire des

amateurs de soccer. Nous pouvons citer la tragédie du stade du Heysel en Belgique en 1985

(39 morts et plus de 454 blessés), provoquée par des affrontements entre supporters des deux

équipes, et une certaine désorganisation, couplée à un manque de sécurité et de contrôle dans

le stade. Le paradoxe est frappant, car « l’atmosphère d’une compétition sportive est

supposée être festive, et […] il existe de nombreux cas de comportements déviants de fans,

surtout dans les sports les plus populaires »110. Les écrits sur les supporters dans les stades

de soccer mentionnent le phénomène des « ultras » et des « hooligans ». Le premier terme

désigne plutôt les supporters fanatiques sévissant dans le sud de l’Europe, tandis que le

second désigne des supporters qui ont recours à la violence sous le prétexte sportif. Ils sont

présents dans toute l’Europe, mais plus souvent localisés en Europe du Nord et de l’Est. Les

ultras sont « les supporters acharnés d’un club qui peuvent être dans le même temps les

défenseurs d’une idéologie et les porte-paroles d’un segment de la société »111. Ils se

regroupent au sein d’associations organisées et structurées. Par leurs animations, ils donnent

le ton dans le stade. La plupart du temps, leurs manifestations partisanes « visent à produire

une impression de violence pour déstabiliser l’adversaire et affirmer la supériorité de son

groupe de supporters sur ses rivaux »112. Les hooligans appartiennent à un tout autre registre :

ils visent « la recherche systématique et programmée de l’affrontement, dont la rencontre

sportive n’est plus qu’un prétexte »113. Le berceau des premiers est l’Italie et celui des

109. Ibid., p. 273.

110. Pierre Bognon, Passion supporter. Qui sont vraiment les fans de sport? Paris, Ipanema Éditions, 2012, p. 136.

111. Ibid., p.138.

112. Christian Bromberger, Alain Hayot, Jean-Marc Mariottini, Le match de football. Ethnologie d’une passion partisane à Marseille,

Naples et Turin, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2001, p. 242.

113. Ibid.

36

seconds l’Angleterre. Il est à noter que les autorités policières et sportives des pays concernés

par le hooliganisme ont mis en place de sévères mesures restrictives pour éradiquer ce fléau,

à la suite de drames survenus à l’intérieur et en dehors des stades de football, à partir de la

fin des années 1980 et du début des années 1990. Mais comme l’ont montré les affrontements

entre supporters anglais et russes lors du Championnat d’Europe de soccer en France en juin

2016, le hooliganisme perdure.

Si le soccer reste le sport le plus touché par cette violence, Pierre Bognon évoque les incidents

qui ont eu lieu à Vancouver le 15 juin 2011 à la suite de la défaite de l’équipe locale de

hockey, les Canucks, contre les Bruins de Boston dans le septième match de la coupe Stanley.

L’auteur décrit le niveau excessif d’émotion qui accompagne les grands évènements sportifs,

l’absence de civisme due à l’éducation trop laxiste et le manque de préparation des forces de

l’ordre. Selon lui, quel qu’eût été le résultat du match, « les casseurs étaient prêts, quoi qu’il

arrive sur la glace »114. Quant à ceux qui n’ont fait que suivre les meneurs, ils « ont été surpris

par la facilité avec laquelle ils ont endossé un habit de voyou »115. Ainsi, la passion prend

différentes formes et elle s’exprime de diverses manières avec plus ou moins d’intensité. La

passion pour une activité qu’on qualifierait de tranquille, comme le jardinage, n’empêche pas

l’individu passionné d’être complètement dévoué à cette activité. Dans les stades de soccer,

tous les profils de partisans se croisent : du père de famille qui veut partager sa passion avec

son fils, en passant par le jeune qui veut être un acteur de ce spectacle sportif et qui encourage

son équipe de la voix et du geste, au supporter qui n’attend que le moment propice pour en

découdre avec les supporters de l’équipe adverse. Si la violence peut être liée au

divertissement que représente le spectacle d’un match, c’est aussi parce qu’elle appartient au

registre de la fête par son caractère de transgression.

114. Pierre Bognon, Passion supporter. Qui sont vraiment les fans de sport? Paris, Ipanema Éditions, 2012, p. 153.

115. Ibid.

37

1.1.2 L’aspect festif

La fête est un objet d’études indiscutable au sein des sciences sociales. Elle a été

analysée du point de vue des sociétés traditionnelles et dans son évolution à travers les

époques, jusqu’à être « revenue au-devant de la scène alors que la plupart des chercheurs

l’avaient condamnée à disparaître dans le monde industrialisé »116. Elle connaît donc un

renouveau dans les sciences sociales après avoir été un peu délaissée.

La fête traditionnelle a été abordée par des auteurs comme Agnès Villadary, Roger Caillois

ou encore Jean Duvignaud. La particularité de leurs travaux est que, malgré leur ancienneté,

ils sont encore aujourd’hui des références et sont toujours cités même dans les études

contemporaines sur la fête. Une des caractéristiques des fêtes traditionnelles serait qu’elles

sont en rupture totale avec le quotidien. Ces fêtes constituent un moment à part, un temps

extraordinaire, qui n’a strictement rien à voir avec la vie régulière. La sociologue Agnès

Villadary la décrit comme « un moment de vie intense en rupture complète avec la vie

ordinaire »117. Cette rupture prend différentes formes qui, selon elle, se présente par une

rupture du temps, une rupture de l’espace, une rupture du cours normal de l’économie et une

rupture des normes du groupe habituellement respectées. Ainsi ces fêtes expriment une

recherche de nouvelles formes d’espace, de temps et de significations sociales. Le sociologue

Jean Duvignaud, dans Fêtes et civilisations118, insiste sur la cassure que provoque la fête. La

fête devient un moment d’effervescence au cours duquel les hommes débordent de leur

existence habituelle et brisent la monotonie pour y introduire l’incandescence. Une autre

caractéristique des fêtes traditionnelles est leur rapport au sacré. Pour le sociologue François-

André Isambert, « au fond du sentiment de la fête se trouverait l’expérience du sacré : la fête

serait le moyen le plus direct d’atteindre cette expérience par l’exaltation collective »119.

116. Laurent Sébastien Fournier, Dominique Crozat, Catherine Bernié-Boissard, Claude Chastagner, dir., La fête au présent. Mutations

des fêtes au sein des loisirs, L’harmattan, Paris, 2009, p. 9.

117. Agnès Villadary, Fête et vie quotidienne, Paris, Les Éditions ouvrières, 1968, p. 26.

118. Jean Duvignaud, Fêtes et civilisations, Paris, Actes sud, 1991.

119. François-André Isambert, Le sens du sacré. Fête et religion populaire, Les Éditions de minuit, Paris, 1982, p. 14.

38

Villadary parle de la fête comme d’un évènement sacré. Enfin, une autre caractéristique de

la fête traditionnelle, et non la moindre, est son caractère transgressif. Tout semble permis au

cours de la fête. Dans Le don du rien, Jean Duvignaud évoque une célébration au Brésil au

cours de laquelle les rites servent à inverser l’ordre social et à transfigurer les identités. Les

participants à cette célébration « viennent expérimenter des rôles différents de ceux que leur

propose la vie sociale »120. La fête permet ainsi de rompre ce qui enferme les individus dans

une fonction. Pour Duvignaud, la fête paraît au sens propre comme un acte de subversion.

En ce sens, le sociologue Roger Caillois décrit les excès de nourriture et de boissons

enivrantes comme des actes subversifs121. La loi même de la fête se trouverait dans ces excès

en tout genre. Les transgressions ne constituent pas des sacrilèges pendant le temps de la fête

traditionnelle. Ces transgressions sont autant sexuelles, « on transgresse la loi

d’exogamie »122 ou pratique des orgies et l’inceste, que sociales. Ainsi, l’inversion de tous

les rapports est courante : par exemple, les esclaves mangent à la table des maîtres qui

deviennent, le temps de la fête, des esclaves et subissent les affronts qui accompagnent cette

condition au temps des saturnales romaines. Cet exemple fait écho à la description que

Michel Feuillet fait de ces mêmes saturnales dans Le carnaval. Il décrit une atmosphère au

cours de laquelle « il est possible d’exprimer des critiques ouvertes à l’égard de ses

maîtres »123. Le carnaval, dont la première fonction est la catharsis, est un autre exemple des

transgressions des festivités traditionnelles.

L’évolution de la fête souligne une rupture beaucoup moins marquée avec le quotidien. La

fête traditionnelle marquait une rupture nette entre la célébration et le quotidien. Agnès

Villadary décrit la fête traditionnelle comme « une crise au terme de laquelle tout revient

dans l’ordre »124. Il y a donc clairement un avant et un après la fête. Mais tout comme Roger

Caillois, elle observe que la fête tend à se diluer « dans le calendrier, comme résorbée dans

120. Jean Duvignaud, Le don du rien, Paris, Téraèdre, 2012, p. 37.

121 Roger Caillois, L’homme et le sacré, Paris, Gallimard, 1950.

122. Ibid., p. 155.

123. Michel Feuillet, Le carnaval, Paris, Les Éditions du cerf, 1991, p. 27.

124. Agnès Villadary, Fête et vie quotidienne, Paris, Les Éditions ouvrières, 1968, p. 31.

39

la monotonie, dans la régularité nécessaire »125. On passe d’une phase de paroxysme à une

phase de détente. Cette fête moderne, qui succède à la fête traditionnelle, est désacralisée.

Elle se trouve « intégrée au présent et à la vie journalière dont elle glorifie ou exalte certains

moments »126. Ainsi la fête moderne exprimerait une tentative d’adhérence à la durée vécue.

La fête contemporaine est donc plus ancrée dans le quotidien avec des transgressions

moindres. La rupture avec le quotidien n’est plus aussi marquée. Dans cette optique, la

transgression et les débordements sont dilués ; le temps de la fête est redéfini.

L’anthropologue Albert Piette propose la notion de « l’intervalle festif »127 comme une

alternative du passage de la fête-transgression à la fête-célébration, à savoir une conception

de la fête comme espace-temps interstitiel, caractérisé par des comportements qui se

distinguent de la célébration et de la transgression. L’intervalle festif permettrait des

comportements qui, sans être semblables à ceux de la vie quotidienne, ne constitueraient pas

pour autant une rupture avec ceux-ci. Selon Piette, les comportements de la fête

n’appartiennent pas au quotidien mais ne sont pas non plus totalement en rupture avec lui.

Ainsi, dans cette logique, il ne s’agit pas d’avoir un comportement en totale contradiction

avec celui du quotidien sous prétexte de faire la fête. D’une part, réserver un « intervalle

festif » de sa journée pour regarder chez soi un match de hockey ou se rendre au stade offre

une rupture du quotidien pendant laquelle une forme de transgression est permise : par

exemple consommer de l’alcool un soir de semaine, commander des mets préparés, inviter

des amis à la maison, se coucher plus tard que d’habitude. Le temps du match apparaît

« comme une libération des préoccupations et des gestes habituels »128. D’autre part, on ne

peut pas véritablement parler d’un contrôle de la transgression. À première vue, il semble

difficile d’exercer un contrôle sur le comportement pendant la diffusion d’un match. En effet,

les réactions des partisans devant le spectacle sportif (pendant les jeux et les actions des

joueurs et à l’issue du match) sont difficilement contrôlables et contenues dans certains cas.

L’issue d’un match par une victoire ou une défaite est toujours imprévisible tout comme les

jeux qui mènent à marquer un but ou une échappée des filets. Le temps du match se vit à

125. Roger Caillois, L’homme et le sacré, Paris, Gallimard, 1950, p. 167.

126. Agnès Villadary, Fête et vie quotidienne, Paris, Les Éditions ouvrières, 1968, p. 37.

127. Albert Piette, Les jeux de la fête : rites et comportements festifs en Wallonie, Paris, Publications de la Sorbonne, 1988, p. 14.

128. Pedro Azara, « La fête et le foot : le rite du match », Michel Mazoyer, Jorge Pérez-Rey, Florence Malbran-Labat, René Lebrun, dir.,

La fête de la transgression à l’intégration, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 200.

40

travers son déroulement inattendu et spontané, qui en fait un divertissement improvisé aux

multiples rebondissements.

Dans le même sens, pour certains auteurs, dont Agnès Villadary, la fête contemporaine se

dilue au sein des loisirs. Plusieurs moments ou intervalles de la journée ou de la semaine

n’introduisent pas une rupture aussi radicale du quotidien que lors de grandes fêtes de masse.

Dans la relation entre fête et loisir, Villadary présente le loisir comme le « fruit d’une rupture

[…] vécu comme volonté de rupture de l’univers quotidien »129. Son modèle d’analyse en

quatre ruptures (temps, espace, cours normal de l’économie et normes du groupe) s’applique

également au loisir à quelques nuances près. D’autres auteurs, dont le géographe Dominique

Crozat et l’ethnologue Sébastien Fournier, ont remarqué que la fête au présent est en pleine

transition et qu’elle entretient un rapport étroit avec le loisir ; ils appellent à « la nécessité de

travailler sérieusement à la conceptualisation du loisir »130. Pour ce faire, ils suggèrent de

prendre en compte l’ensemble du champ des loisirs et de faire porter « l’analyse sur les

modalités d’insertion de la fête dans les activités de loisirs »131. Si la fête se dilue au sein des

loisirs, l’esprit de la fête n’en est pas exclu pour autant. Une autre nuance entre la fête et le

loisir est que celui-ci est plus souvent le fait d’une pratique individuelle. L’individu serait

« le seul sujet du loisir »132 tandis que les fêtes seraient l’expression d’une communauté ou

d’un groupe. Or, actuellement, une tendance se dégage pour souligner que la fête

contemporaine tend à revêtir un caractère individuel. Aujourd’hui, des auteurs comme Crozat

ou Fournier insistent donc sur le lien croissant entre la fête et les loisirs. La convergence entre

les deux est à souligner, alors qu’avant, les loisirs, par leur aspect répétitif et quotidien, étaient

opposés au caractère exceptionnel de la fête. Néanmoins, la question de l’insertion de la fête

dans les loisirs demeure et mérite d’être développée. L’une des pistes serait d’explorer leur

dimension performative133.

129. Agnès Villadary, Fête et vie quotidienne, Paris, Les Éditions ouvrières, 1968, p. 48.

130. Dominique Crozat et Sébastien Fournier, « De la fête aux loisirs : événement, marchandisation et invention des lieux », Annales de

géographie, numéro 643, 2005, p. 314.

131 Ibid., p. 307.

132. Agrès Villadary, Fête et vie quotidienne, Paris, Les Éditions ouvrières, 1968, p. 53.

133 Dominique Crozat et Sébastien Fournier, Op. cit., p. 307.

41

Les écrits sur la fête présentent divers essais de typologie. Ainsi, dans son ouvrage La

géographie en fêtes, Guy Di Méo met de l’avant l’opposition entre fêtes closes et fêtes

ouvertes. Les premières sont des rassemblements organisés « entre soi par un petit cénacle

de parents ou de connaissances »134 alors que les secondes sont des fêtes qui rassemblent

beaucoup plus de personnes, comme les fêtes commémoratives par exemple. L’auteur fait

également référence aux fêtes privées au cours desquelles la participation est sélective ou

filtrée, réservées à des publics précis et relativement étroits, qui sont la plupart du temps des

manifestations d’un jour. Pour Guy Di Méo, qu’elle se fasse collectivement ou

individuellement, faire la fête resterait « plus que jamais un état d’esprit ou de conscience.

Du coup, la fête nous ramène constamment au sujet construit par son environnement social,

autrement dit à l’individu »135.

Un autre aspect de la fête est sa mixité. François-André Isambert insiste sur le fait que « les

fêtes oscillent entre deux pôles, la cérémonie et la festivité »136. Il remarque d’une part, les

cas où c’est l’importance du rituel qui distingue la fête des rites quotidiens, et d’autre part,

les cas où c’est la densité de la festivité qui tranche sur le banal divertissement. L’auteur

déclare que le divertissement n’est pas essentiel à la cérémonie et que le contraire est

également vrai. Ainsi l’esprit de la fête se situerait entre la spontanéité et le cérémonial.

La fête peut prendre plusieurs visages, notamment celui du spectacle sportif. Comme le

rappelle Philippe Gaboriau : « les spectacles sportifs sont des fêtes populaires »137. De même,

dans la postface de son ouvrage, le sociologue Jean Duvignaud aborde le match de soccer

comme une « quasi-fête »138. Il considère pour ainsi dire la tenue d’une rencontre sportive

comme une métamorphose de la fête aujourd’hui, comme une occasion de grand

rassemblement où l’aspect festif trouve sa place la plupart du temps dans les tribunes des

134. Guy Di Méo, dir., La géographie en fêtes, Paris, Ophrys, 2001, p. 8.

135. Ibid., p. 9.

136. François-André Isambert, Le sens du sacré. Fête et religion populaire, Paris, Les Éditions de Minuit, 1982. p. 155.

137. Philippe Gaboriau, Les spectacles sportifs. : grandeurs et décadences, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 17.

138. Jean Duvignaud, Fêtes et civilisations, Paris, Actes sud, 1991, p. 247.

42

stades. Ainsi la « participation collective par la voix, par le geste, par la métamorphose des

apparences, est précisément une des caractéristiques de la fête »139. Les partisans ne veulent

pas seulement « assister » au spectacle ; ils veulent participer à la « fête du match » en se

manifestant. Ils sont « foncièrement et délibérément interventionnistes »140. Ils jouent leur

rôle de soutien en faisant tout pour accompagner leur équipe favorite. Pendant certaines

parties, il arrive même que des partisans s’emploient à déconcentrer les joueurs de l’équipe

adverse en les bombardant avec divers objets dans le but de les détourner du match. Ce

faisant, les partisans venus assister à la rencontre déplacent la fête dans les estrades. Dans ses

travaux sur le match de soccer, Christian Bromberger décrit très bien la façon dont les

partisans installent cette ambiance de fête par leur inventivité et leur esthétisme. Au même

titre que la fête, le spectacle sportif « s’inscrit dans cette logique de théâtralisation de

l’existence »141. Comme le souligne le sociologue Pedro Azara, « c’est la fête […], quelque

chose de singulier, d’important, est sur le point de se produire. »142. Les enceintes sportives

sont des espaces de commémoration sociale. Le spectacle sportif peut alors être considéré

comme une fête, car dans ce cas le contenu de la fête s’apparente au spectacle du point de

vue de ceux qui viennent au stade y assister avec tout ce que cela comporte, en termes de

rupture du quotidien ou de transgression. De fait, les enceintes sportives sont des lieux de

rassemblement où les partisans peuvent s’insulter, crier, partager leur joie ou exprimer leur

désaccord avec des inconnus, sans que cela soit considéré comme déplacé. Et comme dans

la fête, les débordements sont permis. Or, pour les téléspectateurs, c’est-à-dire ceux et celles

qui assistent au spectacle sportif par le truchement de l’écran de la télévision, qu’en est-il de

l’aspect festif lors de la retransmission ? Le spectacle sportif peut-il être aussi vécu comme

une fête, tronquée de l’ambiance exaltée et contagieuse qui règne dans le stade ? Pour Agnès

Villadary, le spectateur, même hors de l’enceinte sportive, est un spectateur qui prend part

au spectacle sportif, la télévision substituant ainsi à la fête une image de la fête qui n’exige

139. Christian Bromberger, « La fête et le sport : les règles du jeu », Jean-Paul Callède, dir, Sport, fête et société. Cahiers de l’université

sportive d’été, numéro 9,1995, p. 99.

140. Jean-Marie Brohm, Jacques Ardoino, « Repères et jalons pour une intelligence critique du phénomène sportif contemporain », Jean

Marie Brohm, Jacques Ardoino, dir., Anthropologie du sport. Perspectives critiques, Paris, Matrice, 2001, p. 47.

141. Laurent Sébastien Fournier, Dominique Crozat, Catherine Bernié-Boissard, Claude Chastagner, dir., La fête au présent. Mutations

des fêtes au sein des loisirs, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 285.

142. Pedro Azara, « La fête et le foot : le rite du match », Michel Mazoyer, Jorge Pérez-Rey, Florence Malbran-Labat, René Lebrun, dir.,

La fête de la transgression à l’intégration, Paris, L’Harmattan 2004, p. 186.

43

toutefois qu’une « participation secondaire »143. C’est ce qu’elle appelle le spectacle de la

fête ou la fête spectacle. Ces deux notions mettent en avant le spectacle. Dans la première,

Villadary exprime deux aspects de la même réalité : d’un côté, la vraie fête et de l’autre son

image dénaturée et affaiblie retransmise par un écran de télévision. Quant à la fête spectacle,

elle diffère car le spectacle tend à prendre une place plus importante au sein de la fête réelle,

au point même de l’envahir.

Nous avons évoqué dans cette partie consacrée à l’historiographie sur la fête, une cérémonie

au Brésil faisant intervenir des rites d’inversion. Nous avons également souligné le caractère

mixte de la fête, en reprenant la notion développée par François-André Isambert, où la fête

oscille souvent entre le divertissement et le cérémonial. Si le divertissement fait appel à la

spontanéité effervescente des festivités, le cérémonial renvoie à la structure séquencée du

rite ; les notions de « rite » et de « cérémonie » sont en fait indissociables dans le sport.

1.1.3 Aspect rituel du sport

La situation actuelle des rites dans nos sociétés peut sembler paradoxale. En effet, les

rites et rituels n’ont jamais été aussi présents dans la société moderne, tout en étant plus ou

moins décriés. Deux courants de pensée s’affrontent : la déritualisation ou la multiplication

des rites. L’image classique du rite demeure négative pour certains qui l’associent à une

conduite stéréotypée, qui tourne autour « des clichés et des caricatures »144. Les rituels sont

généralement associés à des cérémonies religieuses, à d’interminables manifestations, à tout

ce qui est désuet ou à toute action répétitive, stéréotypée. Les rites et les rituels souffrent

encore aujourd’hui d’une image péjorative. Or, on les rencontre dans toutes les facettes du

quotidien : à table, dans la rue, dans les loisirs, au travail, dans le sport. Les conduites rituelles

143. Agnès Villadary, Fête et vie quotidienne, Paris, Les Éditions ouvrières, 1968, p. 45.

144. Pascal Lardellier, Les nouveaux rites, Paris, Belin, 2005, p. 5.

44

ont, pour ceux qui les utilisent, une charge symbolique qui les différencie de simples

habitudes. Cela est souligné par des auteurs comme les anthropologues Pascal Lardellier et

Jacques Cherblanc, Martine Segalen, Claude Rivière ou encore le sociologue Erving

Goffman qui se sont respectivement penchés sur les « nouveaux rites », les « rites profanes »,

les « rites contemporains » ou les « rites d’interaction ». Cette nouvelle façon d’entrevoir les

rites a justement pour objectif d’étudier le rite en phase avec le présent et de montrer qu’il

n’est plus exclusivement réservé au domaine religieux ou sacré. Les rites et les rituels sont

en constante transformation et nous les retrouvons dans toutes les sphères ou tous les

domaines de la vie, d’où cette impression de multiplication : « les rituels contemporains, dont

certains connaissent une expansion notable, ceux qui relèvent du sport, du politique, de

l’entreprise et même du privé, comportent plusieurs caractéristiques qui en font bien des

évènements de leur temps »145.

À partir des innombrables définitions du rite qui parsèment la littérature scientifique, le

sociologue Denis Jeffrey a recensé 20 invariants qui font consensus auprès de la plupart des

chercheurs qui étudient le rite :

Le rite est un modèle de comportement (1), culturellement codifié (2), pratiqué

en privé ou en groupe (3) dans un espace (4) et un temps (5) particuliers, dans

un contexte précis (6) et en fonction de buts précis (7). Il réfère à un scénario

séquentialisé (8) qui peut être performé (9) une fois ou répété au besoin (10),

puisqu’il est considéré comme efficace (11), avec des objets symboliques, des

accessoires et des habits de circonstance (12). Pour celui ou celle qui s’y

investit (13), il est une action symbolique (14) qui a un sens vécu (15) et recèle

même un sens caché ou un mystère (16). Il engage un agir corporel commun

(verbal, gestuel, postural) (17) dont l’expression est régulée (18), dans un

rapport implicite ou explicite par des interdits (19), lesquels peuvent être

sacralisés (20)146.

145. Martine Segalen, Rites et rituels contemporains, Paris, Armand Colin, 2009, p. 116.

146. Denis Jeffrey, Ângelo Cardita, dir., La fabrication des rites, Québec, Presses de l’Université Laval, 2016, p. 11.

45

Si cette définition a le mérite de faire la synthèse de tous les éléments qui décrivent

habituellement un rite – sans pour autant nécessaire de les retrouver tous –, elle ne permet

pas de distinguer le rite du non-rite. Cet « enjeu théorique de taille »147 n’a pas été résolu

malgré les nombreuses tentatives des chercheurs. Pour sortir de cette impasse, Denis Jeffrey

propose d’avoir recours au perspectivisme méthodologique. Avec cette méthode, c’est le

chercheur qui voit ou non le rite dans un comportement : « l’objet social qu’est le rituel est

une construction du regard du chercheur »148. C’est ce dernier qui donne sens au

comportement en lui assignant telle ou telle caractéristique ; ainsi tous les comportements

peuvent être interprétés comme des rituels. Ce point de vue offre donc la possibilité

d’analyser autrement les comportements comme des actes sociaux et de produire de

nouvelles connaissances sur les rites et rituels. En somme, tout comportement est un acte

social qui peut être ritualisé et performé.

Le monde du sport n’est pas exempt de comportements ritualisés. Des auteurs ont montré

que cet univers est empreint de règles rigoureuses tant pour les joueurs qui pratiquent un

sport que pour les spectateurs qui assistent au jeu. La ritualité se trouve partout dans le sport

autant sur le terrain, comme le souligne Claude Rivière à travers l’exemple du match de

handball avec la multiplication des rites gestuels, verbaux et comportementaux149 que dans

la préparation des matchs par les supporters et l’animation une fois dans les stades. L’étude

de Christian Bromberger, Le match de football. Ethnologie d’une passion partisane à

Marseille, Naples et Turin et celle de Philippe Villemus, Le Dieu du football : ses origines,

ses rites, ses symboles 150 décrivent bien ces comportements ritualisés. En ce sens, ces

exemples montrent que le match de football s’apparente tantôt à une fête ritualisée, tantôt à

un rite festif. S’il demeure difficile de trancher pour l’un ou l’autre, l’aspect cérémonial de

certaines activités du sport est indéniable tout comme l’aspect « sacré » et symbolique de

certains gestes. De même pour Martine Segalen, « au cœur de l’action, chasseurs,

147. Ibid., p. 9.

148. Ibid., p. 21.

149. Claude Rivière, Les rites profanes, Paris, PUF, 1995.

150. Philippe Villemus, Le Dieu du football : ses origines, ses rites, ses symboles, Paris, Eyrolles, 2006.

46

aficionados, supporters de clubs, coureurs à pied se trouvent dans un certain état psychique

se rapprochant des états mentaux du sacré »151.

Claude Rivière152 observe les bribes de rites dans les activités de loisir. Ces bribes ou

microrituels qu’il qualifie d’ « expressions brèves et superficielles qui accompagnent

incidemment les actions quotidiennes et qui n’impliquent que deux ou trois individus »153 se

retrouvent dans le quotidien de tout un chacun. Dans leurs interactions, ils « perpétuent une

identité dans la mesure où leur pratique révèle l’identification à un groupe spécifique et

différencié »154. Dans une optique semblable, Denis Jeffrey déclare qu’ « un rituel met en

scène une identité »155 et ainsi l’individu « performe un rituel lorsqu’il joue un rôle social ou

personnel lié à l’une ou l’autre de ses identités ou à plusieurs d’entre elles en même

temps »156. La ritualisation montrerait quel type d’humain nous sommes, quel type d’humain

nous voulons être. Mais « à côté des rites qui nous font humains, nous ritualisons d’autres

identités tout aussi indispensables à la vie en société »157. Ainsi les partisans peuvent

exprimer leur passion envers le Canadien de Montréal par des comportements ou des signes

identitaires (vêtements, peintures, banderoles, écharpes). Cette « ritualisation identitaire »158

est ajustable selon les circonstances pour accentuer tel ou tel aspect. Enfin, Jeffrey souligne

la flexibilité du comportement rituel, étant donné qu’il peut être reproduit avec beaucoup

d’inventivité. Le comportement du partisan qui, soir après soir, vibre aux exploits de ses

joueurs favoris peut, en ce sens, être examiné sous l’angle performatif et identitaire.

L’anthropologue Christoph Wulf s’est penché sur la dimension performative de la

ritualisation d’une pratique sociale :

151. Martine, Segalen, Rites et rituels contemporains, Paris, Armand Colin, 2009, p. 68.

152. Claude, Rivière, Les rites profanes, Paris, PUF, 1995.

153. Ibid., p. 238.

154. Ibid., p. 239

155. Denis Jeffrey, Ângelo Cardita,, dir., La fabrication des rites, Québec, Presses de l’Université Laval, 2016, p. 24.

156. Ibid., p. 24.

157. Ibid., p. 26.

158. Ibid., p. 26.

47

Dans toutes les représentations scéniques corporelles, les gestes et la mimique

jouent un rôle important, car ils sont des formes d’expression non verbale qui

vont au-delà de la compréhension réciproque rationnelle. Les gestes et la

mimique sont des intentions et des émotions, et de ce fait, ils participent à la

socialisation de l’individu ainsi qu’à la genèse et au développement de la

communauté. Dans chacune des situations rituelles, ils représentent un moyen

d’interprétation qui aide les sujets sociaux à établir une relation les uns envers

les autres et à se faire comprendre159.

La ritualisation du quotidien, tout comme celle des grandes fêtes, implique une

théâtralisation, une mise en scène, plus ou moins organisée, séquencée, codifiée. Plusieurs

auteurs ont recours à la métaphore théâtrale afin de rendre compte des conduites rituelles,

des relations interpersonnelles et de l’organisation sociale. Le modèle théorique développé

par le sociologue Erving Goffman, dans son ouvrage La mise en scène de la vie quotidienne,

traite des interactions sociales de la vie sous cet angle. Son postulat de départ est assez

simple : le monde est comme un vaste théâtre dans lequel chaque individu joue une

représentation sur scène. Goffman utilise la métaphore dramaturgique pour illustrer les

différentes interactions entre les individus. Dès lors, « l’acteur doit agir de façon à donner,

intentionnellement ou non, une expression de lui-même, et les autres à leur tour doivent en

retirer une certaine impression »160. Au cours de chaque représentation, « l’acteur […]

organise son spectacle à l’intention des autres personnes »161. L’acteur doit pouvoir tout

mettre en œuvre afin que sa représentation soit le plus réussie. Pour Goffman, l’individu a

recours à l’utilisation d’un appareillage symbolique au cours de cette représentation : la

façade. Avec cette façade, l’acteur soigne à la fois son apparence et son décor domestique

afin que ces deux éléments soient en adéquation avec l’image qu’il présente à ses

interlocuteurs. Chaque représentation se passe sur une scène, qu’il nomme « région

intérieure », sur laquelle l’acteur ne peut se permettre la moindre faute qui mettrait à mal son

interprétation. Par contre dans les coulisses, ou région postérieure, l’acteur peut laisser

tomber le masque et se détendre. La réussite d’une représentation n’est jamais acquise. Les

159. Christoph Wulf, dir., Penser les pratiques sociales comme rituels. Ethnographie et genèse des communautés, Paris, L’Harmattan,

2004, p. 408.

160. Ervin Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne. La présentation de soi, Paris, Les Éditions de minuit, 1973, p. 12.

161. Ibid., p. 25.

48

protagonistes doivent tous faire bonne impression, mais il existe toujours ce que Goffman

nomme des ruptures qui peuvent mettre à mal l’interprétation ou leur « faire perdre la face » :

perte de contrôle musculaire (bâillement, trébuchement), intérêt trop grand ou trop faible

pour l’interaction (oublier ce qu’on voulait dire, prendre les choses trop au sérieux) ou encore

une mauvaise organisation dramatique (décor inapproprié). La dramaturgie d’un match de

soccer a déjà été démontrée par Christian Bromberger dans ses travaux. Sur le terrain et dans

les estrades se jouent des représentations dignes de pièces de théâtre. Il voit dans la

composition des tribunes des stades de soccer une « théâtralisation expressive des

appartenances sociales »162. On pourrait résumer cela par le fait que les partisans choisissent

leurs emplacements dans les stades et se comportent selon leur provenance sociale, leur

emploi, leur âge, leur sexe. Ce qui se passe dans les tribunes serait une théâtralisation de la

vie. Comme au théâtre, les partisans se déguisent, ils endossent un rôle le temps que dure le

match, ils performent leur identité de supporter, ils affichent l’appartenance à leur club.

Christian Bromberger163 mentionne que les plus actifs se griment le visage et arborent des

maillots aux couleurs qui représentent leur équipe favorite.

Dans un autre ordre d’idées, sur le terrain et donc la scène principale, les sportifs, acteurs de

ces représentations qui se jouent régulièrement à guichets fermés, sont souvent comparés à

des comédiens car ils simulent des actions par divers moyens pour arriver à leurs fins. Ainsi,

l’un des reproches fait au soccer est la propension des joueurs à simuler des fautes pour

s’attirer les grâces des arbitres. Jouer la comédie pour que l’adversaire soit sanctionné est un

moyen de gagner. Certains joueurs sont réputés pour être des « plongeurs », terme qui

désigne des joueurs qui passent leur temps à plonger au moindre contact physique avec

l’adversaire. Cela se retrouve aussi dans les autres sports de contact, notamment le hockey,

où les joueurs, pris en flagrant délit de simulation, sont souvent sanctionnés par des pénalités.

Une des forces d’attraction du sport reposerait sur son pouvoir de théâtraliser, sur le mode de

la fiction dramatique et caricaturale, les valeurs fondamentales qui façonnent les sociétés.

162. Christian Bromberger, Alain Hayot, Jean-Marc Mariottini, Le match de football : Ethnologie d’une passion partisane à Marseille,

Naples et Turin, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2001, p. 205.

163. Ibid., p. 308.

49

Bien que notre étude ne porte pas sur la ritualisation d’un sport dans les grandes enceintes

sportives, le modèle goffmannien de la représentation dramaturgique nous apparaît pertinent

pour analyser les observations de la retransmission des matchs de hockey au domicile des

partisans.

Tous ces ouvrages nous ont permis d’exposer les grandes lignes de notre étude. Avant de

s’intéresser à la méthodologie qui a été mise en place, il est nécessaire de se pencher sur les

interrogations qui nous ont guidé tout au long de cette recherche.

1.2 Problématique

Pour étudier la passion partisane dans un cadre privé, l’équipe montréalaise de hockey

est toute désignée. En effet, le contexte particulier lié à l’histoire du Canadien de Montréal

et l’ampleur de la passion partisane qui s’est créée autour de ce club offre un terrain privilégié

pour l’ethnologue. Quelques repères chronologiques sont toutefois préalables pour bien

situer le club et mettre en contexte la question de recherche.

L’équipe naît officiellement le 4 décembre 1909 avec l’idée de représenter les francophones

de la ville de Montréal. Elle remporte sa première Coupe Stanley en 1916. Au total, le

Canadien en a remporté 24 (sur 33 finales disputées), dont la dernière en 1993. Le club a fêté

son centenaire en 2009. À titre de comparaison, les Maple Leafs de Toronto, la deuxième

équipe la plus titrée de la Ligue nationale de hockey, en ont remporté 13. Dans tout le sport

nord-américain (composée des quatre grandes ligues sportives : football américain,

basketball, baseball et hockey), seuls les Yankees de New York, au baseball, ont remporté

plus de trophées que le Canadien de Montréal. Le club montréalais a établi des records de

victoires successives de la coupe Stanley à deux reprises : cinq trophées d’affilée entre 1956

50

et 1960, puis quatre fois entre 1976 et 1979164. Ce double exploit a sans doute contribué à

établir la popularité de l’équipe ; seuls les Islanders de New York ont réussi à égaler ce record

une autre fois : quatre coupes Stanley entre 1980 et 1983. Ces quelques faits sportifs

permettent de hisser l’organisation au rang d’élite sportive mondiale. Sa popularité tient aussi

aux hommes (joueurs, entraîneurs ou dirigeants) qui ont permis au Canadien de se forger une

réputation. Le nombre de chandails qui trônent dans les hauteurs du centre Bell en atteste.

Avec 17 chandails retirés, l’équipe montréalaise est encore la plus prolifique dans la ligue

nationale. Au-delà des 24 coupes Stanley et des hommes qui ont fait la renommée de

l’organisation, d’autres éléments entrent en ligne de compte pour expliquer l’attachement

envers cette équipe. En effet, le Canadien de Montréal est fondé pour répondre à la volonté

des Canadiens francophones de s’affirmer face aux Canadiens anglophones. D’ailleurs, à sa

création l’équipe n’est composée que de joueurs francophones ; ce n’est que vers la fin des

années 1930 qu’elle intègre des joueurs anglophones. Malgré cela, le club reste associé aux

Canadiens francophones qui continuent de s’identifier à leur équipe. L’attachement culturel

pour le Canadien s’intensifie avec l’émeute du Forum de Montréal en 1955. Celle-ci survient

à la suite de la suspension du joueur étoile de l’équipe, Maurice Richard, pour le reste de la

saison. Les Canadiens français trouvent la suspension injuste et manifestent leur

mécontentement, lors d’un match au Forum de Montréal, à Clarence Campbell, le

commissaire de la ligue nationale. La suspension de Maurice Richard est perçue par les

francophones comme un abus de pouvoir de la part des dirigeants anglophones. Cet épisode

a renforcé le lien « culturel » entre l’équipe et ses partisans. L’attachement pour le Canadien

est donc ancien et semble toujours présent, malgré leur performance mitigée des deux

dernières années.

Depuis 1993, en effet, l’équipe n’a pas remporté de Coupe Stanley et, malgré cela,

l’enthousiasme autour d’elle est toujours aussi fort. De 1993 à 2012, au moment du début de

la saison de l’étude, le Canadien de Montréal a connu des fortunes diverses avec sept saisons

sans participation aux séries éliminatoires, six saisons avec une élimination au premier tour

164. Allan Turowetz, Chrystian Goyens, Les canadiens de 1910 à nos jours, Montréal, Les Éditions de l’homme, 1986, p. 247.

51

des séries éliminatoires, quatre éliminations avec une élimination au second tour des séries

et une participation à une finale de conférence, alors que personne ne les attendait à ce niveau,

comme le montre ce tableau récapitulatif :

52

Tableau 1 Classement et parcours du Canadien de 1993 à 2012

Saison Rang en saison régulière Participation aux séries Parcours en séries

1992-1993 6e sur 24 Oui Vainqueur

1993-1994 9e sur 26 Oui 1er tour

1994-1995 17e sur 26 Non -

1995-1996 9e sur 26 Oui 1er tour

1996-1997 16e sur 26 Oui 1er tour

1997-1998 12e sur 26 Oui 2e tour

1998-1999 19e sur 27 Non -

1999-2000 18e sur 28 Non -

2000-2001 24e sur 30 Non -

2001-2002 16e sur 30 Oui 2e tour

2002-2003 21e sur 30 Non -

2003-2004 13e sur 30 Oui 2e tour

2004-2005 Lock-out (annulation de la saison)

2005-2006 15e sur 30 Oui 1er tour

2006-2007 19e sur 30 Non -

2007-2008 3e sur 30 Oui 2e tour

2008-2009 15e sur 30 Oui 1er tour

2009-2010 16e sur 30 Oui Finale de conférence

2010-2011 14e sur 30 Oui 1er tour

2011-2012 28e sur 30 Non -

Source : site notrehistoire.canadaiens.com

Ce tableau montre que, hormis la finale de conférence en 2010 et la 3e place en saison

régulière en 2008, depuis la dernière victoire en Coupe Stanley, le Canadien a connu des

saisons moyennes, voire médiocres. Pour les partisans d’une équipe de ce niveau, il s’agit

d’un échec. En 20 ans, les partisans du Canadien n’ont connu aucune finale de Coupe Stanley.

Malgré cela, la ferveur ne se dément pas. Les matchs du Canadien joués à guichets fermés

au Centre Bell en sont un indice. Ainsi, pendant ces 20 années, jusqu’au moment de

53

l’élimination de l’équipe, les partisans ont continué à regarder le hockey, soit pour connaître

le vainqueur de la Coupe Stanley (pour ceux qui aiment le hockey au-delà du Canadien), soit

ont tout simplement arrêté de le suivre jusqu’à la saison suivante (ceux qui font passer le

Canadien avant le hockey). Pour masquer l’attente entre deux saisons (de juin à octobre), ces

derniers canalisent leur attention sur le repêchage de la LNH afin de connaître les noms des

jeunes espoirs choisis par l’équipe en vue de se renforcer. Puis, à partir du 1er juillet, ils se

concentrent sur le marché des joueurs autonomes en espérant que le Canadien va attirer des

joueurs confirmés dans le but d’améliorer l’équipe. Ensuite, leur attente est meublée par le

début des différents camps de reprise du Canadien, avant les matchs préparatoires en

septembre et début octobre. Pendant toute cette période, les partisans sont privés de hockey

et doivent se contenter des évènements en périphérie du jeu pour entretenir leur passion.

Nous venons de voir que le Canadien de Montréal a construit sa légende sur ses victoires et

son histoire. Les participants à l’étude ont majoritairement reconnu qu’ils ont grandi avec la

ferveur entourant cette équipe. Un des participants le résume d’ailleurs très bien, pour lui

« c’est culturel ». Comme le souligne Fannie Valois-Nadeau, « cette équipe vient les

interpeller directement dans ce qu’ils sont, et ce, depuis l’enfance »165 Si le hockey n’est

populaire que dans certaines parties du monde, le nom de l’organisation montréalaise n’est

pas inconnu des partisans de sport en général. Même les personnes qui ne s’intéressent pas

forcément au hockey sont confrontées à ce phénomène : dans les familles les soirs de match

; au travail, les lendemains de match avec les analyses des uns et des autres ; dans les rues

avec les voitures qui affichent des écussons ou des drapeaux aux couleurs du CH. Le monde

du sport (sportifs, partisans, journalistes) a tendance à accoler l’expression « plus qu’un

club » à certaines grandes dynasties sportives ; cela s’applique sans aucun doute à

l’organisation montréalaise, car les villes présentant une telle osmose entre une équipe

sportive et ses partisans ne sont pas légion, surtout s’agissant d’un sport comme le hockey

qui n’est populaire que dans certaines parties du monde.

165. Fannie Valois Nadeau, « Quand le cœur a ses raisons. Analyse de la construction mythique du club de hockey le Canadien de

Montréal », Mémoire de maitrise en sociologie, Montréal, Université du Québec à Montréal, 2009, p. 99.

54

Nous avons vu dans ce chapitre que les études portant sur l’engouement d’un sport et ses

partisans ont presque toujours eu pour cadre le contexte des enceintes sportives. Or, ceux qui

vont dans les stades ou dans les amphithéâtres ne constituent qu’une infime partie des

supporters. Ces derniers sont-ils plus fervents parce qu’ils se déplacent pour soutenir leur

équipe ? Rien n’est moins sûr. Puisque les « sportifs de salon », c’est-à-dire ceux qui

regardent les matchs de leurs domiciles, forment la majorité des spectateurs et appartiennent

pour ainsi dire à la grande communauté des partisans du Canadien de Montréal, nous

postulons qu’ils sont en mesure d’exprimer eux aussi leur ferveur. Éloignés du stade et postés

devant leurs téléviseurs lors de la retransmission des matchs, « ils sont unis par les espoirs,

les souvenirs et la conviction que les autres fans de leur “tribu” éprouvent les mêmes

émotions qu’eux 166». En s’intéressant aux partisans qui regardent les matchs à la télévision

chez eux, par choix ou par nécessité, c’est tout un pan de la communauté des fans qui vient

compléter, voire renouveler, l’étude de la partisannerie entourant le sport.

Ainsi, la question de recherche qui nous anime porte sur l’identité de ces partisans qui

regardent les matchs du Canadien, en saison régulière et en série d’après saison, dans leur

salon. Qu’est-ce qui caractérise ces « sportifs de salon », d’abord en tant que partisans du

Canadien et, deuxièmement, par rapport à ceux qui vont au Centre Bell ? Il ne s’agit pas

d’opposer les uns aux autres mais de découvrir s’il existe un profil type de « sportif de

salon ». Notre objectif ne consiste pas à ce stade-ci à établir une typologie du partisan mais

plutôt à définir son identité en prenant en compte les similitudes et les différences de profils.

Outre cette identité partisane, d’autres questions sous-jacentes nous apparaissent pertinentes.

Elles ont trait à la façon dont les participants se comportent devant les matchs du Canadien.

Pour définir cette identité partisane, d’autres questions sous-jacentes nous apparaissent

pertinentes. Elles ont trait à la façon dont les participants se comportent devant les matchs du

Canadien Dans le contexte de la retransmission du match de hockey dans un cadre privé,

comment se manifeste et s’exprime la passion des partisans du Canadien de Montréal ?

Qu’est-ce qui différencie les formes d’expression de la ferveur des fans qui suivent les matchs

166. Pierre Bognon, Passion supporter. Qui sont vraiment les fans de sport? Paris, Ipanema Éditions, 2012, p. 134.

55

de leur équipe favorite à domicile par rapport à celle qui est exprimée pendant les matchs

dans les enceintes sportives ? Nous postulons que le spectacle sportif, auquel les partisans

assistent match après match au cours d’une saison régulière, est structuré de manière à faire

de chaque match un moment privilégié, voire une représentation dans laquelle le partisan

s’investit et se met en scène. En effet, regarder la retransmission d’un match de hockey à

domicile peut être vu comme un simple moment de loisir où l’on s’accorde une pause dans

la journée ou être considéré comme un temps hors de l’ordinaire, voire sacré, par sa

dimension performative et festive. Comment ce moment est-il vécu selon le profil des

partisans ? Avec quelle intensité, enthousiasme, retenue, modération ou effervescence ? Dans

quelle mesure l’issue du match, victoire ou défaite, les jeux d’action sur la glace, la date au

calendrier de la saison, le classement de l’équipe, influencent-ils l’intérêt et l’engouement

des partisans pour leur club ? C’est par une démarche ethnographique, en suivant des

téléspectateurs lors de la retransmission de matchs de hockey à la télévision, que nous avons

analysé la passion partisane entourant le Canadien de Montréal dans un cadre privé.

56

Chapitre 2 Méthodologie : démarche et terrain

Pour étudier la passion des partisans du Canadien de Montréal en contexte privé et en

saisir toutes les particularités, une méthodologie de type qualitatif s’impose au chercheur. En

effet, une des seules façons de rendre compte de cette réalité est de se placer au cœur même

de l’action, in situ, pour observer les partisans pendant la retransmission d’un match de

hockey afin de capter le mode d’expression de leur soutien envers leur équipe favorite. Pour

l’ethnologue, l’observation in situ, ou observation participante, s’avère le mode de collecte

de données le plus approprié dans ce contexte d’étude. La réalité du terrain telle que décrite

par l’anthropologue Jean Pierre Olivier de Sardan167 ne peut être appréhendée dans des

manuels. Le terrain nécessite une immersion complète et sollicite à la fois la planification,

l’intuition et l’improvisation. Comme le souligne Jean Copans, « l’ethnologie personnifie par

excellence la culture de l’enquête de terrain »168. Si des études sur la partisannerie dans les

enceintes sportives ont déjà été réalisées et ont fourni des résultats pertinents, déplacer le

sujet en contexte privé dans une unité plus réduite, telle que le domicile du partisan, constitue

un véritable défi. Dans ce chapitre consacré à la méthodologie, nous abordons les spécificités

du terrain à l’étude, la façon dont les participants ont été recrutés et les premiers contacts

formels avec eux, la façon dont a été établi le calendrier des observations selon les

participants ainsi que la description de l’observation en elle-même.

Dans la configuration du terrain où plusieurs partisans et plusieurs domiciles sont à observer,

la méthodologie de l’ethnographie multi-site s’est avérée pertinente. Cette méthode privilégie

l’observation et l’intégration de plusieurs sites; elle permet au chercheur de « suivre » son

sujet dans divers lieux et de comparer plusieurs observations du même phénomène.

L’ethnographie multi-site se développe dans les années 1980; elle est attribuée à

l’anthropologue américain George Marcus. Pour reprendre la formule de Marcus, elle permet

167. Jean Pierre Olivier de Sardan, « La politique du terrain. Sur la production des données en anthropologie », Enquête, numéro 1,

premier semestre 1995.

168. Jean Copans, L’enquête ethnologique de terrain, Paris, Armand Colin, 2011, p. 7.

57

de saisir un phénomène à travers plusieurs sites : « multi-sited research is designed around

chains, paths, threads, conjunctions, or juxtapositions of locations in which the ethnographer

establishes some form of literal, physical presence, with an explicit posited logic of

association or connection among sites that in fact defines the argument of anthropology»169.

Dans le cas qui nous occupe ici, l’ethnographie multi-située permet d’analyser les différents

niveaux d’interaction entre l’observateur et les participants. Les « sites » correspondent à

l’échelle du domicile des partisans et, plus particulièrement, aux pièces dans lesquelles ils

s’installent pour regarder les matchs du Canadien.

L’ethnographie multi-site repose sur la comparaison entre différents lieux. Effectuer des

allers-retours entre le domicile de l’observateur et les différents terrains d’observation facilite

la démarche ethnographique. Il aurait été difficile d’entreprendre ici une démarche

d’ethnographie classique, basée sur une immersion continue de plus ou moins longue durée.

La méthodologie offre ainsi la possibilité de passer d’un site à l’autre et de pouvoir suivre les

différentes manifestations d’un phénomène, qui, de surcroît, peut se dérouler simultanément

à plusieurs endroits, le terrain étant éclaté entre différents domiciles dispersés à travers la

ville de Montréal. En observant et en analysant en parallèle plus d’un domicile et plus d’un

participant, une vue d’ensemble se dégage par recoupements, et permet d’établir des

similitudes et des différences. Ce principe est d’ailleurs souligné par George Marcus. La

possibilité de suivre plusieurs sites à la fois est un avantage certain qui permet de ne pas

perdre le fil. Les va-et-vient constants d’un site à l’autre permettent de revenir sur les

observations à leur issue sans perdre de temps et de garder une idée assez claire de ce qui

s’est passé. Si des ajouts ou des précisions sont nécessaires, ils peuvent être faits au fur et à

mesure, dans la soirée ou dès le lendemain. Les mouvements entre le domicile de

l’observateur et les sites sont l’occasion de prendre le recul nécessaire pour dégager une vue

d’ensemble du phénomène à l’étude. Par ailleurs, la méthodologie de l’ethnographie multi-

169. George Marcus, « Ethnography in-of the world system: The emergence of multi-sited ethnonagrphy», Annual review of

anthropology, vol. 24, 1995, p. 105.

58

située trouve sa pertinence pour appréhender un terrain composite qui doit se dérouler en un

temps défini, celui d’une saison de hockey, déterminé ici par un calendrier fixe.

Les enjeux liés à ce genre de terrain sont nombreux et variés. Chez des particuliers qu’on ne

connaît pas ou alors très peu, il faut être capable de créer une interaction suffisante afin que

les différentes observations se passent dans les meilleures conditions possibles. En effet, ici

nous ne parlons pas juste d’une observation au cours d’une soirée avec un participant, mais

de plusieurs rencontres, étalées sur toute une saison de hockey. Dans ce genre d’exercice, la

vigilance est de mise pour ne rien rater de l’action, en l’occurrence les moindres réactions du

partisan et être prêt à toute éventualité comme les imprévus qui peuvent survenir au cours

d’une soirée. Observer plusieurs participants dans des domiciles différents nécessite pour le

chercheur une grande planification, une disponibilité et un effort soutenu d’attention pour

être capable de mener des analyses de fond sur une même période afin de ne rien négliger, a

fortiori lorsque le travail de terrain constitue la principale source de données de l’étude.

D’autres interrogations se sont multipliées sur la façon de mettre en application la démarche

ethnographique : comment seront les relations avec les participants ou quelle sera l’attitude

de ces partisans face à une intrusion répétée dans leur quotidien ?

2.1 Le recrutement des participants

Pour procéder au recrutement des participants, il a fallu définir un certain nombre de

critères relativement larges pour couvrir des profils variés de partisans. Nous en avons défini

quatre : avoir 18 ans et plus, habiter à Montréal et sa grande région, être partisan du Canadien

de Montréal et suivre les matchs de son domicile. Ces critères généraux permettent de

recevoir toutes les candidatures, de rencontrer les candidats et, enfin, de sélectionner des

partisans ayant des profils différents. Telle a été l’idée de départ. Surtout que, selon

l’enthousiasme suscité par le projet auprès de l’entourage du chercheur, le processus de

59

recrutement semblait aller de soi et apparaissait facile. Encore fallait-il que cet enthousiasme

soit soutenu chez les partisans et qu’ils fassent preuve d’une grande disponibilité pour ce type

d’étude.

2.1.1 Les phases de recrutement

La phase de recrutement a commencé avec l’affichage d’annonces à partir de la mi-

décembre 2011, après consentement des propriétaires ou des gérants, dans des bars sportifs

diffusant des matchs du Canadien de Montréal. Des messages sous forme d’annonces ont

également été publiés sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, plus particulièrement

sur les pages consacrées au Canadien de Montréal. Les résultats de cette première phase ont

été assez mitigés. Deux partisans se sont manifestés à la suite des messages sur les réseaux

sociaux. Malheureusement, ils ne vivaient pas à Montréal. Le contexte sportif à cette période

de l’année et le moment où les annonces ont été diffusées ont peut-être joué sur l’absence de

réponses. En effet, en décembre 2011 la situation de l’équipe montréalaise n’est pas

florissante. En plus des mauvais résultats de l’équipe, l’entraîneur Jacques Martin a été

remplacé par Randy Cunneyworth qui ne fait pas l’unanimité, autant dans la presse qu’auprès

des fans. L’impopularité du nouvel entraîneur tient à son inexpérience et au fait qu’il ne parle

pas français. Entre la mi-décembre et la fin décembre, l’équipe est défaite à sept reprises. Les

prédictions pour une participation aux séries éliminatoires sont assez pessimistes, de sorte

que cette situation est assez mal vécue par les partisans. Dans ce contexte, les annonces de

recrutement arrivent dans une saison morose où les chances de participation aux séries vont

en s’amenuisant match après match. Pour cette raison, le fait de participer à un projet d’étude

portant sur la passion partisane a peut-être pu refroidir l’enthousiasme de certains participants

potentiels. Compte tenu de l’avancement de la saison de hockey, le recrutement des

participants a donc été reporté à la saison 2012-2013.

60

La deuxième phase de recrutement, qui a débuté en septembre 2012, s’est surtout faite par le

bouche-à-oreille, « moyen efficace de se constituer une liste préliminaire de noms

d’informateurs dont il faudra vérifier le potentiel par la suite »170. Cette approche avait déjà

porté ses fruits lors du recrutement d’un couple partisan du Canadien de Montréal pour un

travail de fin de session réalisé dans un cours. L’équipe montréalaise est tellement populaire

que quasiment tout le monde connaît une personne de son entourage férue du Canadien.

« L’univers de relations »171, évoqué par Stéphane Beaud et Florence Weber, a joué un rôle

significatif dans cette phase. Ces intermédiaires (amis, famille) ont agi comme un réseau

permettant une mise en contact avec des candidats intéressés par l’étude. Le fait de passer

par des intermédiaires a nettement facilité les choses, car ceux-ci se sont portés garants du

sérieux de l’observateur et de sa démarche. En expliquant grosso modo en quoi consistait le

projet, les intermédiaires ont effectué un premier travail de défrichage. Au final, on pourrait

dire « on ne choisit pas ses enquêtés, ce serait peut-être même le contraire »172.

Malgré ces précautions dans le processus de recrutement, des réticences ont encore été

perceptibles chez les partisans avant qu’ils ne donnent leur accord. La première réticence a

eu trait au caractère intrusif de l’étude. En effet, recevoir une personne étrangère pendant

plusieurs soirées à son domicile demande d’établir une grande confiance avec celle-ci. Bien

que les personnes ayant agi comme intermédiaires aient su mettre de l’avant les références

de l’observateur, il a été difficile pour certains partisans de s’imaginer cohabiter avec un

étranger pendant le visionnement d’un match du Canadien. Dans le même ordre d’idées,

certains ont évoqué la possibilité que l’intermédiaire se joigne à l’observation comme

condition de leur acceptation. Une autre réticence a consisté en la gêne que pourrait

occasionner le fait d’être observé; le fait de se sentir comme un « cobaye » a été perçu de

façon négative. Enfin, un autre problème soulevé a été la fréquence des rencontres et la

présence de l’observateur au domicile des partisans pendant plusieurs soirées. Des partisans

ont mentionné la possibilité de se prêter à l’observation au cours d’une seule soirée, ce qui

170. Martine Roberge, Enquête orale: Trousse du chercheur, Québec : Laboratoire d’ethnologie urbaine, 1995, p. 21.

171. Stéphane Beaud, Florence Weber, Guide de l’enquête de terrain, Paris, Éditions La Découverte, 1997, p. 39.

172. Ibid.

61

ne correspondait pas aux objectifs de l’étude. En somme, ces réticences ont éliminé plusieurs

participants potentiels ajoutant ainsi des contraintes au recrutement.

Mais la plus grande difficulté rencontrée au cours du processus de recrutement a été le

désistement de partisans après avoir donné leur accord aux personnes intermédiaires. En

général, ces participants potentiels se sont montrés enthousiastes envers le projet et à l’aise

avec le fait de se laisser observer plusieurs fois au cours de la saison. L’étape suivante a donc

consisté à les rencontrer pour sceller leur participation. Leur accord étant verbal, au moment

de se rencontrer et de confirmer leur engagement, plusieurs se sont désistés pour diverses

raisons. L’intrusion dans le quotidien des partisans est demeurée un obstacle de taille. Une

autre considération a été soulevée par les candidats qui se sont désistés, à savoir l’éventuel

raccourcissement de la saison de hockey. En effet, dès septembre 2012, la menace d’une

grève dans la Ligue nationale de hockey fait craindre le pire. On s’achemine alors au mieux

vers une saison abrégée et, au pire, vers son annulation pure et simple. Cette incertitude a

particulièrement troublé les partisans. En 2005, ils avaient déjà connu l’annulation de la

saison de hockey. Devant cette possibilité, de nombreux partisans intéressés par l’étude ont

préféré revenir sur leur engagement. Par ailleurs, une saison raccourcie sous-entendait des

observations plus rapprochées et cela n’est pas apparu comme une chose envisageable pour

eux.

Ces imprévus dans l’étape du recrutement des participants sont souvent évoqués dans les

manuels de méthodologie. Le terrain n’est pas un long fleuve tranquille et il est rare que tout

se passe comme on l’avait imaginé au départ. Il revient au chercheur de s’adapter à ces

situations. La flexibilité est une condition sine qua non à la bonne conduite des observations

et à la réussite de la démarche de terrain. Devant ces aléas, il a fallu faire preuve de réactivité

afin de ne pas se laisser décourager par le recrutement. De plus, l’annulation de toute une

série de matchs dans la ligue nationale a achevé cette mise à l’épreuve. En effet, le conflit

entre joueurs et propriétaires ne se réglait pas et, jour après jour, des coupes sont intervenues

dans le calendrier de la saison régulière laissant entrevoir le spectre de l’annulation complète

62

de la saison de hockey. Pour une deuxième fois, l’étude a été menacée et les partisans qui

avaient donné leur accord ont semblé résignés au fait que la saison soit annulée. Le 6 janvier

2013, la ligue nationale a finalement annoncé que la saison aurait lieu, mais amputée de

presque la moitié de ses matchs. Celle-ci est alors passée de 82 à 48 matchs de saison

régulière, devant s’étendre de la mi-janvier à la fin avril. Les séries ont été programmées pour

le début du mois de mai et la phase éliminatoire devait se terminer aux alentours du mois de

juin.

Ce nouveau calendrier condensé a considérablement changé la donne à la fois pour les

candidats à l’étude que pour l’étude elle-même. En effet, initialement le nombre de

participants à l’étude avait été fixé à cinq en comptant six observations par participant.

Considérant qu’une saison régulière comporte 82 matchs, cela fixait le nombre

d’observations à 30. En cas de qualification du Canadien de Montréal pour les séries, il était

prévu de faire des observations supplémentaires avec l’accord des participants. L’échantillon

de cinq participants permettait de sélectionner des personnes ayant des profils différents, en

partant du principe qu’il n’existe pas un seul type de partisan mais bien plusieurs. Quant au

nombre d’observations par participant, il était justifié par trois raisons principales : bien

suivre chaque participant tout au long de la saison, tenir compte de la flexibilité du calendrier

des matchs d’une saison et des changements éventuels et, enfin, ménager un temps entre les

observations. Dans une saison de 82 matchs qui s’étire d’octobre à avril, il ne paraissait pas

nécessaire de trop rapprocher les observations, ce qui permettait également de suivre

l’évolution de l’équipe sur l’ensemble de la saison.

De fait, dans une saison régulière de 82 matchs, en général, les équipes jouent trois fois par

semaine et affrontent toutes les équipes de la ligue nationale comme le montre le calendrier

du Canadien pour la saison 2011-2012.

63

Tableau 2 Calendrier du Canadien de Montréal saison 2011-2012

Date Visiteur Domicile Heure Score final

2011

Jeudi 6 octobre Canadien de

Montréal

Maple Leafs de

Toronto 19H00 0-2

Dimanche

9 octobre

Canadien de

Montréal Jets de Winnipeg 17h00 5-1

Jeudi 13 octobre Flames de Calgary Canadien de

Montréal 19h30 4-1

Samedi

15 octobre

Avalanche du

Colorado

Canadien de

Montréal 19h00 6-5 (fusillade)

Mardi 18 octobre Sabres de Buffalo Canadien de

Montréal 19h30 3-1

Jeudi 20 octobre Canadien de

Montréal

Penguins de

Pittsburgh 19h00 1-3

Samedi

22 octobre

Maple Leafs de

Toronto

Canadien de

Montréal 19h00 5-4 (prolongation)

Lundi 24 octobre Panthers de la

Floride

Canadien de

Montréal 19h30 2-1

Mercredi

26 octobre

Flyers de

Philadelphie

Canadien de

Montréal 19h30 1-5

Jeudi 27 octobre Canadien de

Montréal Bruins de Boston 19h00 2-1

Samedi

29 octobre Bruins de Boston

Canadien de

Montréal 19h00 2-4

Vendredi

4 novembre

Canadien de

Montréal

Sénateurs

d’Ottawa 19h30 2-1

Samedi

5 novembre

Canadien de

Montréal

Rangers de New

York 19h00 3-5

Mardi

8 novembre Oilers d’Edmonton

Canadien de

Montréal 19h30 3-1

Jeudi

10 novembre

Canadien de

Montréal

Coyotes de

Phoenix 21h00 3-2 (prolongation)

Samedi

12 novembre

Canadien de

Montréal

Predators de

Nashville 19h00 2-1 (prolongation)

Lundi

14 novembre Sabres de Buffalo

Canadien de

Montréal 19h00 3-2 (tirs de barrage)

Mercredi

16 novembre

Hurricanes de la

Caroline

Canadien de

Montréal 19h00 0-4

Jeudi

17 novembre

Canadien de

Montréal

Islanders de New

York 19h00 3-4

Samedi

19 novembre

2011

Rangers de New

York

Canadien de

Montréal 19h00 0-4

Lundi

21 novembre Bruins de Boston

Canadien de

Montréal 19h30 1-0

64

Date Visiteur Domicile Heure Score final

Mercredi

23 novembre

Canadien de

Montréal

Hurricanes de la

Caroline 19h00 4-3 (tirs de barrage)

Vendredi

25 novembre

Canadien de

Montréal

Flyers de

Philadelphie 15h00 1-3

Samedi

26 novembre

Penguins de

Pittsburgh

Canadien de

Montréal 19h00 4-3 (prolongation)

Mercredi

30 novembre

Canadien de

Montréal Ducks d’Anaheim 22h00 1-4

Jeudi

1er décembre

Canadien de

Montréal Sharks de San José 22h30 3-4 (tirs de barrage)

Samedi

3 décembre

Canadien de

Montréal

Kings de Los

Angeles 15h30 2-1

Mardi

6 décembre

Blue Jackets de

Columbus

Canadien de

Montréal 19h30 3-2 (tirs de barrage)

Jeudi 8 décembre Canucks de

Vancouver

Canadien de

Montréal 19h30 4-3 (tirs de barrage)

Samedi

10 décembre

Canadien de

Montréal

Devils du New

Jersey 13h00 2-1

Mardi

13 décembre

Islanders de New

York

Canadien de

Montréal 19h30 3-5

Jeudi

15 décembre

Flyers de

Philadelphie

Canadien de

Montréal 19h30 4-3

Samedi

17 décembre

Devils du New

Jersey

Canadien de

Montréal 19h30 5-3

Lundi

19 décembre

Canadien de

Montréal Bruins de Boston 19h00 2-3

Mercredi

21 décembre

Canadien de

Montréal

Blackhawks de

Chicago 19h30 1-5

Jeudi

22 décembre

Canadien de

Montréal Jets de Winnipeg 20 h 30 0-4

Mardi

27 décembre

Canadien de

Montréal

Sénateurs

d’Ottawa 19h30 6-2

Jeudi

29 décembre

Canadien de

Montréal

LIghtning de

Tampa Bay 19h30 3-4

Samedi

31 décembre

Canadien de

Montréal

Panthers de la

Floride 19h00 2-3

2012

Mercredi

4 janvier Jets de Winnipeg

Canadien de

Montréal 19h30 3-7

Samedi 7 janvier Lightning de

Tampa Bay

Canadiens de

Montréal 19h00 1-3

Mardi 10 janvier Blues de Saint

Louis

Canadien de

Montréal 19h30 3-0

Jeudi 12 janvier Canadien de

Montréal Bruins de Boston 19h00 1-2

65

Date Visiteur Domicile Heure Score final

Samedi

14 janvier

Sénateurs

d’Ottawa

Canadien de

Montréal 19h00 3-2 (tirs de barrage)

Dimanche

15 janvier

Rangers de New

York

Canadien de

Montréal 19h00 1-4

Mercredi

18 janvier

Capitals de

Washington

Canadien de

Montréal 19h30 3-0

Vendredi

20 janvier

Canadien de

Montréal

Penguins de

Pittsburgh 19h00 4-5 (tirs de barrage)

Samedi

21 janvier

Canadien de

Montréal

Maple Leafs de

Toronto 19h00 3-1

Mercredi

25 janvier

Red Wings de

Detroit

Canadien de

Montréal 19h30 2-7

Mardi 31 janvier Sabres de Buffalo Canadien de

Montréal 19h30 3-1

Jeudi 2 février Canadien de

Montréal

Devils du New

Jersey 19h00 3-5

Samedi 4 février Capitals de

Washington

Canadien de

Montréal 14h00 3-0

Dimanche

5 février Jets de Winnipeg

Canadien de

Montréal 14h00 0-3

Mardi 7 février Penguins de

Pittsburgh

Canadien de

Montréal 19h30 2-3 (tirs de barrage)

Jeudi 9 février Canadien de

Montréal

Islanders de New

York 19h00 4-2

Samedi 11 février Canadien de

Montréal

Maple Leafs de

Toronto 19h00 5-0

Lundi 13 février Hurricanes de la

Caroline

Canadien de

Montréal 19h30 5-3

Mercredi

15 février Bruins de Boston

Canadien de

Montréal 19h30 4-3 (tirs de barrage)

Vendredi

17 février

Canadien de

Montréal Sabres de Buffalo 19h30 4-3 (tirs de barrage)

Dimanche

19 février

Devils du New

Jersey

Canadien de

Montréal 18h00 3-1

Mardi 21 février Stars de Dallas Canadien de

Montréal 19h30 3-0

Vendredi

24 février

Canadien de

Montréal

Capitals de

Washington 19h00 1-4

Dimanche

26 février

Canadien de

Montréal

Panthers de la

Floride 17h00 2-4

Mardi 28 février Canadien de

Montréal

Lightning de

Tampa Bay 19h30 1-2

Jeudi 1er mars Wild du

Minnesota

Canadien de

Montréal 19h00 4-5 (tirs de barrage)

Mardi 6 mars Canadien de

Montréal Flames de Calgary 21h00 4-5

66

Date Visiteur Domicile Heure Score final

Jeudi 8 mars Canadien de

Montréal Oilers d’Edmonton 21h30 5-3

Samedi 10 mars Canadien de

Montréal

Canucks de

Vancouver 22h00 4-1

Lundi 12 mars Canadien de

Montréal Sabres de Buffalo 19h00 2-3 (prolongation)

Mercredi

14 mars

Sénateurs

d’Ottawa

Canadien de

Montréal 19h30 2-3 (tirs de barrage)

Vendredi

16 mars

Canadien de

Montréal

Sénateurs

d’Ottawa 19h00 1-2 (prolongation)

Samedi 17 mars Islanders de New

York

Canadien de

Montréal 19h00 3-2 (tirs de barrage)

Mercredi

21 mars

Canadien de

Montréal Sabres de Buffalo 19h00 0-3

Vendredi

23 mars

Sénateurs

d’Ottawa

Canadien de

Montréal 19h30 1-5

Samedi 24 mars Canadiens de

Montréal

Flyers de

Philadelphie 19h00 1-4

Mardi 27 mars Panthers de la

Floride

Canadien de

Montréal 19h30 3-2 (tirs de barrage)

Vendredi

30 mars

Canadien de

Montréal

Rangers de New

York 19h30 1-4

Samedi 31 mars Canadien de

Montréal

Capitals de

Washington 19h00 2-3 (tirs de barrage)

Mercredi 4 avril Lightning de

Tampa Bay

Canadien de

Montréal 19h30 2-5

Jeudi 5 avril Canadien de

Montréal

Hurricanes de la

Caroline 19h00 1-2 (tirs de barrage)

Samedi 7 avril Maple Leafs de

Toronto

Canadiens de

Montréal 19h00 1-4

Source : site notrehistoire.canadaiens.com

Au cours de cette saison complète, le Canadien a joué 82 matchs dont 41 à domicile et a

rencontré les 29 autres équipes de la ligue nationale. Or, dans le cas de la saison qui nous

intéresse (2012-2013) amputée de la moitié des matchs, le rythme est devenu plus soutenu et

les équipes n’ont plus affronté que celles de la même association, en l’occurrence

l’association Est qui est partagée en trois divisions distinctes. Le tableau suivant présente

l’organisation de la ligue nationale avec les deux associations et les six divisions à l’orée de

la saison 2012-2013.

67

Tableau 3 Organisation des Associations et Divisions pour la saison 2012-2013

Association Est

Division

Atlantique

Devils du New

Jersey

Islanders de

New York

Rangers de

New York

Flyers de

Philadelphie

Penguins de

Pittsburgh

Division

Nord-Est

Bruins de

Boston

Sabres de

Buffalo

Canadien de

Montréal

Sénateurs

d’Ottawa

Maple Leafs de

Toronto

Division

Sud-Est

Hurricanes de

la Caroline

Panthers de la

Floride

Lightning de

Tampa Bay

Capitals de

Washington Jets de Winnipeg

Association Ouest

Division

Centrale

Blackhawks de

Chicago

Blue Jackets de

Colombus

Red Wings de

Detroit

Predators de

Nashville

Blues de Saint

Louis

Division

Nord-Ouest

Flames de

Calgary

Avalanche du

Colorado

Oilers

d’Edmonton

Wild du

Minnesota

Canucks de

Vancouver

Division

Pacifique

Ducks

d’Anaheim

Coyotes de

l’Arizona Stars de Dallas

Kings de Los

Angeles

Sharks de San

Jose

Source : RDS.ca

Au moment où le calendrier de la ligue a été dévoilé, un réajustement dans l’organisation de

l’étude, notamment dans la planification du terrain, est devenu nécessaire pour la mener à

bien. Considérant le délai rapproché entre les matchs, les conditions d’observation sont

devenues plus difficiles; la faisabilité de l’étude est demeurée réaliste et pouvait encore

produire des résultats pertinents à condition de réduire le nombre de participants à quatre et

de passer de 30 observations à 16, soit quatre observations par participant. Ces chiffres ont

pris en compte le nouveau calendrier tout en offrant quand même un échantillon significatif

pour observer la passion partisane. La réduction du nombre de participants et d’observations

a permis d’optimiser la phase de recrutement et, surtout, de ne pas reporter une autre fois le

terrain. Malgré tout, ce dernier est demeuré conforme aux objectifs initialement fixés, tout

en devenant plus intensif pour le chercheur. Toutefois, ces conditions ont favorisé un

ensemble d’enjeux et de défis qui, au final, ont produit des résultats riches issus d’un contexte

soutenu, tant pour les participants que pour le chercheur. Le tableau ci-dessous présente le

calendrier de 48 matchs du Canadien en saison régulière ainsi que celui des cinq matchs de

séries lors de la saison 2012-2013.

68

Tableau 4 Calendrier du Canadien de Montréal pour la saison 2012-2013

Date Visiteur Domicile Heure Score final

2013

Samedi

19 janvier

Maple Leafs de

Toronto

Canadien de

Montréal 19h00 2-1

Mardi 22 janvier Panthers de la

Floride

Canadien de

Montréal 19h30 1-4

Jeudi 24 janvier Canadien de

Montréal

Capitals de

Washington 19h00 4-1

Dimanche

27 janvier

Devils du New

Jersey

Canadien de

Montréal 18h00 3-4 (prolongation)

Mardi 29 janvier Jets de Winnipeg Canadien de

Montréal 19h30 3-4

Mercredi

30 janvier

Canadien de

Montréal

Sénateurs

d’Ottawa 19h00 1-5

Samedi 2 février Sabres de Buffalo Canadien de

Montréal 14h00 1-6

Dimanche

3 février Sénateurs d’Ottawa

Canadien de

Montréal 14h00 1-2

Mercredi 6

février Bruins de Boston

Canadien de

Montréal 19h30 2-1

Jeudi 7 février Canadien de

Montréal Sabres de Buffalo 19h00 4-5 (tirs de barrage)

Samedi 9 février Maple Leafs de

Toronto

Canadien de

Montréal 19h00 6-0

Mardi 12 février Canadien de

Montréal

Lightning de

Tampa Bay 19h30 4-3 (tirs de barrage)

Jeudi 14 février Canadien de

Montréal

Panthers de la

Floride 19h30 1-0 (prolongation)

Samedi 16 février Flyers de

Philadelphie

Canadien de

Montréal 19h00 1-4

Lundi 18 février Hurricanes de la

Caroline

Canadien de

Montréal 19h30 0-3

Mardi 19 février Canadien de

Montréal

Rangers de New

York 19h00 3-1

Jeudi 21 février Islanders de New

York

Canadien de

Montréal 19h30 4-3 (prolongation)

Samedi 23 février Rangers de New

York

Canadien de

Montréal 19h00 0-3

Lundi 25 février Canadien de

Montréal

Sénateurs

d’Ottawa 19h30 1-2 (tirs de barrage)

Mercredi

27 février

Canadien de

Montréal

Maple Leafs de

Toronto 19h30 5-2

Samedi 2 mars Penguins de

Pittsburgh

Canadien de

Montréal 19h00 7-6 (prolongation)

69

Date Visiteur Domicile Heure Score final

Dimanche 3 mars Canadien de

Montréal Bruins de Boston 19h30 4-3

Mardi 5 mars Canadien de

Montréal

Islanders de New

York 19h00 3-6

Jeudi 7 mars Canadien de

Montréal

Hurricanes de la

Caroline 19h00 4-2

Samedi 9 mars Canadien de

Montréal

Lightning de

Tampa Bay 19h00 4-3

Dimanche

10 mars

Canadien de

Montréal

Panthers de la

Floride 18h00 5-2

Mercredi 13 mars Sénateurs d’Ottawa Canadien de

Montréal 19h00 3-4 (tirs de barrage)

Samedi 16 mars Canadien de

Montréal

Devils du New

Jersey 19h00 2-1

Mardi 19 mars Sabres de Buffalo Canadien de

Montréal 19h30 3-2 (prolongation)

Jeudi 21 mars Canadien de

Montréal

Islanders de New

York 19h00 5-2

Samedi 23 mars Sabres de Buffalo Canadien de

Montréal 19h00 2-1

Mardi 26 mars Canadien de

Montréal

Penguins de

Pittsburgh 19h00 0-1

Mercredi 27 mars Canadien de

Montréal Bruins de Boston 19h30 6-5 (tirs de barrage)

Samedi 30 mars Rangers de New

York

Canadien de

Montréal 19h00 0-3

Lundi 1er avril Hurricanes de la

Caroline

Canadien de

Montréal 19h30 1-4

Mercredi 3 avril Canadien de

Montréal

Flyers de

Philadelphie 19h00 3-5

Jeudi 4 avril Jets de Winnipeg Canadien de

Montréal 19h30 1-4

Samedi 6 avril Bruins de Boston Canadien de

Montréal 19h00 1-2

Mardi 9 avril Capitals de

Washington

Canadien de

Montréal 19h30 3-2

Jeudi 11 avril Canadien de

Montréal Sabres de Buffalo 19h30 5-1

Samedi 13 avril Canadien de

Montréal

Maple Leafs de

Toronto 19h00 1-5

Lundi 15 avril Flyers de

Philadelphie

Canadien de

Montréal 19h30 7-3

Mercredi 17 avril Canadien de

Montréal

Penguins de

Pittsburgh 19h00 4-6

Jeudi 18 avril Lightning de Tampa

Bay

Canadien de

Montréal 19h30 2-3

70

Date Visiteur Domicile Heure Score final

Samedi 20 avril Capitals de

Washington

Canadien de

Montréal 19h00 5-1

Mardi 23 avril Canadien de

Montréal

Devils de New

Jersey 19h00 2-3

Jeudi 25 avril Canadien de

Montréal Jets de Winnipeg 20h00 4-2

Samedi 27 avril Canadien de

Montréal

Maple Leafs de

Toronto 19h00 4-1

Séries Éliminatoires

Date Visiteur Domicile Heure Score final

2013

Jeudi 2 mai Sénateurs d’Ottawa Canadien de

Montréal 19h00 4-2

Vendredi 3 mai Sénateurs d’Ottawa Canadien de

Montréal 19h00 1-3

Dimanche 5 mai Canadien de

Montréal

Sénateurs

d’Ottawa 19h00 1-6

Mardi 7 mai Canadien de

Montréal

Sénateurs

d’Ottawa 19h00 2-3 (prolongation)

Jeudi 9 mai Sénateurs d’Ottawa Canadien de

Montréal 19h00 6-1

Source : site notrehistoire.canadaiens.com

D’une saison à l’autre, le calendrier de la saison régulière est donc passé de 82 à 48 matchs

après la grève qui a ébranlé la ligue nationale en 2012. La saison de l’étude a donc été

amputée de quasiment la moitié des matchs et les matchs se sont joués à un rythme beaucoup

plus soutenu.

Rappelons enfin que le terrain a nécessité deux phases : une première phase de pré-enquête

avec des entrevues individuelles pour faire connaissance avec les participants et prendre

contact avec les lieux d’observation des matchs de hockey à domicile, et une deuxième phase

qui a été consacrée aux observations comme telles. L’ensemble s’est déroulé sur une durée

de cinq mois environ, soit de janvier à mai 2013. Au cours de cette période, plusieurs défis,

dont nous ferons rigoureusement l’exposé et l’analyse, ont parsemé le parcours du chercheur

au fil de la démarche de terrain.

71

2.1.2 Faire connaissance avec les participants

Dès le début de la recherche, un participant sur quatre a confirmé sa participation à

l’étude. En cours de route, et grâce au bouche-à-oreille, les trois autres participants se sont

finalement joints au projet. Les premiers contacts formels ne se sont pas déroulés de la même

façon pour les quatre participants. Ces contacts se sont faits par des appels téléphoniques

fréquents, ou en face à face afin d’établir une relation de confiance. Il est nécessaire de faire

un rapide survol de ces contacts avec les quatre participants qui sont désignés dans l’étude

par leurs prénoms. Il ne s’agit pas de pseudonymes, mais bien de leurs véritables prénoms.

Le premier participant est Stéphane. Depuis le début, il fait partie des candidats potentiels. Il

a déjà participé, avec sa compagne, à un travail de fin de session dans le cadre d’un précédent

cours et avait accepté de participer à cette future étude si l’occasion se présentait; le contact

avec lui s’est toujours maintenu. Dans son cas, le contact formel s’est effectué par téléphone

afin de savoir s’il était toujours disponible pour participer à l’étude. Il a répondu par

l’affirmative.

Le nom d’Ismaël est apparu parmi les candidats potentiels un peu par hasard. Il a été

mentionné par une connaissance commune de l’observateur et du futur participant. Il était

connu du chercheur, sans que ce dernier ne soupçonne sa passion pour le Canadien de

Montréal. Son profil a été intéressant de par ses origines : il est né au Burundi et s’est installé

au Québec en 1993, pendant son adolescence. Il est devenu citoyen canadien par la suite. Son

enfance n’a donc pas baigné dans le culte entourant le club du Canadien. Le contact a été pris

par l’intermédiaire de la connaissance commune. Au cours de conversations téléphoniques,

il lui a été expliqué en quoi consistait l’étude. Après un temps de réflexion par rapport à ses

obligations familiales et professionnelles, il a confirmé son intérêt et a assuré fermement de

sa participation définitive.

72

Hughes est arrivé dans l’étude alors que la saison était déjà commencée. Une connaissance

commune, qui savait que des fans étaient recherchés pour participer à une étude, a évoqué un

collègue de travail passionné du Canadien comme « cela n’est pas permis ». Il a été décrit

comme une véritable encyclopédie du hockey et de l’équipe locale, en un mot comme le

fanatique ultime. Celui-ci a accepté une rencontre dans un endroit public accompagné de la

personne intermédiaire qui a fait les présentations. Il a posé des questions sur l’étude et la

nature de sa participation. Après explications, il a accepté de se laisser observer. Il avait déjà

participé à un projet un peu similaire en sociologie.

Gisèle a été la dernière personne recrutée pour l’étude. Celle-ci a été référée par deux

intermédiaires pour effectuer le contact. En effet, comme pour Hugues, une amie a fait part

autour d’elle de l’étude. Un de ses collègues de travail a évoqué sa grand-mère qui ne ratait

jamais un match du CH. Ce profil atypique a tout de suite attiré l’attention. La prise de contact

a été un peu plus longue que pour les autres participants. Après une conversation

téléphonique, elle a invité l’observateur à se rendre à son domicile pour des explications plus

approfondies sur la recherche. Cette rencontre s’est passée en compagnie de son époux Denis.

Ils ont écouté les explications relatives à l’étude et ont posé certaines questions notamment

sur la méthodologie, puis Gisèle a accepté de se joindre à l’étude.

Ces contacts formels ont surtout été l’occasion de sceller la relation de confiance entre

l’observateur et les futurs observés. Il était nécessaire d’obtenir un consentement éclairé de

participation à ce projet. Ils ont été tous les quatre curieux par rapport à la faisabilité de

l’étude, ainsi que de son impact. L’étape suivante a consisté à dégager les profils des

participants, à découvrir leur rapport au hockey et à tester leurs connaissances sur la ligue

nationale et le Canadien. Pour ce faire, une entrevue individuelle était nécessaire. Ces

entretiens ont fait office de pré-enquête. Leur déroulement chez les partisans a eu pour but

de faire plus ample connaissance avec ces derniers autant sur le plan de leur personnalité que

de leurs connaissances sur le hockey en général et le Canadien de Montréal plus

spécifiquement. Les entretiens ont aussi permis de visiter les lieux où chaque partisan

73

exprime sa passion pour le club CH, notamment la pièce où il regarde les matchs à la

télévision.

Nous ne croyons pas qu’il existe de recettes simples pour conduire un entretien.

Le problème n’est pas non plus de savoir si vous devez poser les bonnes questions

pour obtenir de bonnes réponses. L’essentiel est de gagner la confiance de

l’enquêté, de parvenir rapidement à le comprendre à demi-mot et à entrer

(temporairement) dans son univers (mental)173.

Cette affirmation, issue du Guide de l’enquête de terrain de Stéphane Beaud et Florence

Weber, illustre bien la problématique de l’entretien : comment conduire les entretiens avec

les participants à l’étude ? Comme le conseillent les ouvrages méthodologiques, une certaine

préparation est nécessaire ainsi qu’un équipement, même dans le cas d’une pré-enquête.

L’usage de l’enregistreur numérique est un outil fondamental de la démarche de terrain. Il

permet à l’enquêteur de ne pas perdre le fil des propos de l’enquêté et de lui éviter une prise

de notes frénétique. C’est également un moyen de mettre en place un meilleur échange entre

les deux personnes. Une écoute attentive de la part de l’enquêteur est le moyen le plus

efficace pour établir une interaction de qualité avec l’enquêté. Dans le cadre de l’étude, tous

les participants ont accepté d’être enregistrés.

Les entretiens individuels ont débuté le 19 février 2013 et se sont terminés le 29 mars 2013,

en fonction des disponibilités et des exigences de chacun. Après avoir expliqué en quoi

consistaient ces entretiens, il a été décidé en accord avec les participants qu’il serait plus

judicieux de les mener à leurs domiciles respectifs pour deux raisons. D’abord il s’agissait

de mettre le participant dans les meilleures dispositions, « cela permet aussi à l’enquêté de

parler plus librement, sans contrôle »174. Ainsi dans son environnement, le partisan sera plus

à l’aise de s’exprimer. La deuxième raison est d’ordre pratique : découvrir les lieux où

173. Stéphane Beaud, Florence Weber, Guide de l’enquête de terrain, Paris, Éditions La Découverte, 1997, p. 203.

174. Ibid., p. 198.

74

allaient se dérouler le plus gros du travail de terrain. Cette première incursion aux domiciles

des partisans a été un moyen de se familiariser avec leur environnement direct. Ainsi pour

Stéphane, Hughes et Ismaël l’entretien s’est déroulé au salon, là où repose le téléviseur, tandis

que Gisèle a préféré qu’il se déroule dans la cuisine. Afin de mener à bien ces entrevues

individuelles, un schéma d’entrevue a été réalisé (Annexe 1).

Le schéma d’entrevue comporte des questions qui visent à mieux connaître le participant et

à établir son profil. Un premier bloc de questions porte sur le profil social du participant. Ces

questions font un peu office d’introduction. Ensuite, le rapport du candidat au hockey est

évoqué, ainsi que son intérêt pour le hockey, en général, et pour le Canadien de Montréal, en

particulier. Est-il un fan de hockey ou juste un partisan du Canadien de Montréal ? Cette

nuance permet d’avoir une idée plus précise du profil sportif du partisan. En effet, cette

distinction est importante car elle va départager le simple amateur du passionné. La suite du

questionnaire porte exclusivement sur l’institution sportive que représente l’équipe

montréalaise. Deux axes sont ainsi abordés : le premier porte sur l’importance de cette

institution pour le candidat, l’engouement pour le Canadien s’estompe-t-il dès la fin du match

ou prend-il une place plus importante dans la vie du partisan ? ; le second touche les

connaissances du partisan sur l’histoire de son équipe favorite. Ces questions ont pour but de

faire ressortir si le participant est un partisan de longue date ou si son intérêt pour l’équipe

est plus récent. Enfin, la façon de regarder la retransmission d’un match de hockey clôture le

questionnaire. Cette partie de l’entretien vise à découvrir les habitudes du partisan devant un

match où son équipe favorite est en compétition. L’ensemble des entretiens a servi de pré-

enquête : préciser le profil de partisannerie de chaque participant, se familiariser avec les

lieux d’observation, établir un contact plus personnalisé et une relation de confiance et, enfin,

déterminer une stratégie de mise en place et un calendrier pour la démarche d’observation.

Afin de mener à bien les entretiens et de les réaliser dans de bonnes conditions, autant pour

l’enquêteur que l’enquêté, il importe de « rapprocher au maximum l’entretien guidé d’une

75

situation d’interaction banale quotidienne, à savoir la conversation »175. Pour ce faire,

certaines questions qui ont pour but de déterminer le profil du partisan peuvent passer aux

yeux de ce dernier comme un exercice ludique. Le participant ne doit pas se sentir enfermé

dans un schéma rigide d’entretien. L’entrevue semi-dirigée permet à l’enquêteur de suggérer

au partisan plusieurs thèmes ou sous-thèmes, mais ce dernier est libre de les aborder et de les

développer à sa guise. Le fait de laisser une certaine latitude au partisan lui permet de se

sentir à l’aise de parler, de raconter des anecdotes sans avoir l’impression qu’il doit se

contenter de répondre par un simple oui ou non.

Chaque entretien s’est déroulé en deux temps. Premièrement, l’entretien comme tel qui se

tient en face à face et où le chercheur pose les questions au participant avec souplesse et sous

la forme d’un échange. La deuxième partie de la rencontre a consisté à l’examen des lieux en

vue de réaliser les futures observations. En moyenne, les quatre entrevues ont duré entre dix

et quinze minutes. Si cela peut paraître insuffisant à première vue, il faut préciser que les

participants ont répondu aisément et rapidement aux questions et fourni les données

escomptées. Au total, chaque pré-enquête (entretien individuel, visite des lieux) a duré une

heure en moyenne comme en rend compte le tableau ci-dessous.

Tableau 5 Durée de chaque pré-enquête par participant

175. Jean-Pierre Olivier de Sardan, « La politique du terrain. Sur la production des données en anthropologie », Enquête, numéro un,

premier semestre 1995, p. 83.

Participants Date de l’entretien Durée de l’entretien Durée de la visite Durée totale

Stéphane 19 février 2013 10 minutes 35 minutes 1 heure

Hughes 26 février 2013 13 minutes 45 minutes 1 heure 10

Gisèle 8 mars 2013 12 minutes 45 minutes 1 heure 35

Ismaël 29 mars 2013 15 minutes 45 minutes 1 heure 15

76

Des quatre participants, Hughes habitait seul. Stéphane demeurait avec sa compagne et leur

fils de quatre mois, Ismaël avec sa femme et leur fils d’un an et demi et Gisèle avec son

époux. Si la présence des proches s’est fait sentir au cours des entrevues, elle n’a nullement

remis en cause leur bon déroulement. Au contraire, cela a permis de détendre l’atmosphère

et de rendre le moment de cette rencontre moins formel. Pendant les entrevues, un échantillon

de la vie familiale des participants a ainsi été dévoilé. Les observations ont pris en compte

cet aspect comme un paramètre pouvant influer sur le comportement des participants.

Les dates des entretiens ont varié selon les candidats. Ainsi, pour Stéphane l’entrevue s’est

déroulée deux jours avant la première observation. Celle de Hughes a eu lieu une semaine

avant la première observation. Ismaël a préféré la faire la veille de la première observation.

Pour ces trois participants, les entrevues ont été planifiées. Par contre, en ce qui concerne

Gisèle, la première rencontre à son domicile devait seulement permettre d’apporter des

précisions sur le projet en vue de la convaincre d’y participer. Une fois son accord donné,

elle s’est spontanément prêtée à l’entrevue le jour même.

La seconde partie de l’entretien a consisté à examiner les domiciles des participants de

l’étude. Les lieux d’habitation sont à prendre en compte car ils constituent un ensemble non

négligeable de l’étude. Ce sont les endroits où ils évoluent au quotidien et où ils s’adonnent

à leur passion. Les partisans ont accepté de faire visiter leur intérieur domestique, notamment

la pièce où est installée le poste de télévision et d’où ils regardent le match de hockey. Une

grille d’observation (Annexe 2) de la configuration du domicile en général et, plus

spécifiquement, de la pièce où se déroule l’action du match a été élaborée avant les entrevues

chez les participants. Cette grille d’observation a permis de baliser l’espace physique de

chaque « site » où se déroulerait le terrain et de porter une attention particulière à la pièce où

le partisan regarde les matchs de manière à déterminer comment l’observation allait

concrètement se faire. De plus, il a été décidé d’observer les lieux non seulement pendant le

match, mais également avant et après, afin de vérifier si des changements dans

77

l’aménagement de la pièce par exemple avaient lieu au moment où les matchs du Canadien

se tenaient. Cette grille porte ainsi son attention sur la pièce principale et les personnes

présentes. Elle vise à décrire l’emplacement des participants, les interactions, le décor et

l’ambiance qui s’y déroule tout au long du visionnement du match. Observer l’avant et

l’après-match devrait être en principe un bon indicateur de la ferveur des uns et des autres.

Si la grille d’observation permet à l’observateur « de centrer son regard sur le phénomène à

observer tout en évitant qu’il se laisse distraire ou détourner de son objectif »176, cet outil ne

doit pas enfermer l’enquêteur dans une activité rigide de prise de notes en compilant les

informations dans des cases. L’outil doit soutenir la démarche sans devenir un carcan.

Finalement, les visites des logements des participants se sont déroulées assez simplement.

En effet, seuls l’extérieur de la bâtisse, son état général et la pièce dans laquelle allait se

dérouler l’observation des matchs ont fait l’objet d’un examen attentif. Pour le reste du

logement, des questions générales comme le nombre de pièces ont été nécessaires pour

contextualiser les lieux.

2.1.3 L’établissement du calendrier des observations

Au cours des entretiens avec les participants, la question du calendrier des rencontres

a été abordée. Il s’agissait de déterminer avec chaque participant les quatre jours de matchs

pendant lesquels ils souhaitaient être observés. Cette « obligation contractuelle »177 a évolué

en raison du raccourcissement de la saison régulière. De plus, l’alternance entre les matchs

suscitant une forte teneur émotionnelle et les matchs dits plus « tranquilles » a constitué une

variable non négligeable des observations. En effet, un match de hockey disputé entre le

Canadien de Montréal et les Bruins de Boston ou contre les Maple Leafs de Toronto ne fait

pas appel à la même ferveur pour les partisans qu’une rencontre entre le Canadien et les

Coyotes de l’Arizona, à moins que ce ne soit dans le cadre de la finale de la Coupe Stanley.

Les matchs contre Boston et Toronto ont une saveur particulière pour tous les partisans du

176. Martine Roberge, Guide de l’observation in-situ, Québec, Université Laval, Automne 2008, p. 32.

177. Anne-Marie Arborio, Pierre Fournier, L’enquête et ses méthodes. L’observation directe, Paris, Armand Colin, 2005, p. 34.

78

Canadien de Montréal en raison de la rivalité historique avec ces deux équipes. Ce sont des

rencontres à forte portée émotionnelle et les partisans soulignent les dates de ces matchs avec

attention. A contrario, l’équipe des Coyotes se situe dans une région, l’Arizona, assez

éloignée de Montréal, son histoire ne comporte pas de faits marquants dans le domaine du

hockey et, en moyenne, elle ne croise la route du Canadien que deux fois par saison. Dans

ces conditions, difficile pour le partisan de véritablement s’impliquer sur le plan émotif dans

ce genre de rencontre, surtout à partir de chez lui et quand le match se déroule à Phoenix. Là

réside toute la particularité des matchs suivis depuis son domicile : pouvoir se créer ou recréer

une ambiance loin de l’effervescence de l’amphithéâtre. Partant du principe que l’ambiance

d’un match disputé contre les Bruins ou les Maple Leafs est plus exaltée que celle d’un match

contre les Coyotes et du fait que certains matchs sont plus attendus que d’autres par les

partisans, il a semblé primordial de prendre en compte ces deux aspects dans l’établissement

du calendrier des observations. Malheureusement, en raison de la saison écourtée, de

l’annulation des matchs contre les équipes de la conférence Ouest et du fait que les

observations n’ont pu commencer seulement qu’en février 2013, les possibilités sont

devenues plus restreintes, surtout qu’il a fallu prendre en compte les préférences et les

disponibilités de chacun.

Ainsi, Stéphane a préféré éviter les matchs de fin de semaine pour des raisons familiales.

Hughes a également été dans cette situation, mais pour d’autres motifs : il regardait rarement

les matchs de hockey à son domicile pendant les fins de semaine et avait prévu de s’absenter

à partir de la fin mars pendant un mois. Ismaël, quant à lui, n’a été disponible qu’à la fin du

mois de mars et au mois d’avril (tout en émettant le souhait que le Canadien soit encore en

course pour les séries selon ses propres mots) et a eu une préférence pour les matchs de fin

de semaine à cause de son activité professionnelle. Gisèle a surtout voulu éviter que les

observations coïncident avec ses soirées de bowling. Compte tenu de ces informations, il a

été possible de mettre en place un calendrier qui a convenu aux quatre participants et qui

tenait compte de leurs souhaits et horaires. Il a été décidé de confirmer les dates d’observation

systématiquement la veille de chaque match. De plus, des dates de matchs du calendrier du

Canadien ont été gardées « en réserve » afin de pallier un éventuel imprévu. Cela s’est avéré

79

très utile lorsqu’Ismaël a dû déplacer une observation pour des raisons personnelles. Il n’a

pas été difficile de trouver immédiatement une autre date. Quant aux observations pendant

les matchs de série, il a été décidé d’attendre le classement final et les résultats de l’équipe

montréalaise. En effet, le Canadien sortait d’une saison sans participation aux séries

éliminatoires. Si les participants gardaient confiance que le club pouvait faire les séries, ils

voulaient d’abord observer ce qui se passerait sur la patinoire pour leur équipe avant de se

montrer disposés à poursuivre les observations. Finalement, l’équipe a participé aux séries et

trois matchs supplémentaires ont ainsi pu être observés. Ces matchs à haute teneur

émotionnelle ont donné lieu à des observations chez Gisèle, Stéphane et Ismaël. Hughes

ayant indiqué qu’il allait regarder les matchs de séries chez des amis, il a précisé qu’en cas

de bon parcours du Canadien dans les séries, il accepterait une autre observation. Au total,

19 matchs ont été observés au cours de l’étude comme l’indique le tableau suivant. Y sont

également mentionnées toutes les personnes qui étaient présentes.

Tableau 6 Liste des observations par participant

Match observé Date et Heure Participant

principal

Membres de la

famille présents Personnes extérieures

Islanders de New

York-Canadien

de Montréal

Jeudi 21 février

2013 à 19h30 Stéphane

Léa (compagne)

David (fils, 4 mois) Aucune

Canadien de

Montréal-Maple

Leafs de Toronto

Mercredi

27 février 2013 à

19h30

Stéphane Léa

David Aucune

Canadien de

Montréal-

Islanders de New

York

Mardi 5 mars 2013

à 19h00 Hughes Aucun (habite seul) Maxime (ami)

Sénateurs

d’Ottawa-

Canadien de

Montréal

Mercredi 13 mars

2013 à 19h00 Hughes Aucun

José (ami et collègue

de travail)

Sabres de

Buffalo-Canadien

de Montréal

Mardi 19 mars

2013 à 19h30 Gisèle Denis (époux) Aucune

Canadien de

Montréal-

Penguins de

Pittsburgh

Mardi 26 mars

2013 à 19h00 Hughes Aucun José, Etienne (ami)

Canadien de

Montréal-Bruins

de Boston

Mercredi 27 mars

2013 à 19h30 Gisèle Denis Aucune

80

Match observé Date et Heure Participant

principal

Membres de la

famille présents Personnes extérieures

Rangers de New

York-Canadien

de Montréal

Samedi 30 mars

2013 à 19h00 Ismaël

Gladys (épouse)

Owen (fils, 1 an et

demi)

Doriane (cousine de

Gladys. Visite familiale

sans lien avec le match

de hockey)

Bruins de Boston-

Canadien de

Montréal

Samedi 6 avril à

19h00 Ismaël Owen Aucune

Capitals de

Washington-

Canadien de

Montréal

Mardi 9 avril à

19h30 Stéphane

Léa

David

Arnaud (neveu de Léa

âgé de 7 ans et demi et

partisan des Canadiens

de Montréal. Il arrive

au cours de la première

période)

Canadien de

Montréal-Maple

Leafs de Toronto

Samedi 13 avril à

19h00 Gisèle Denis Aucune

Flyers de

Philadelphie-

Canadien de

Montréal

Lundi 15 avril à

19h30 Stéphane Aucun Aucune

Lightning de

Tampa Bay-

Canadien de

Montréal

Jeudi 18 avril à

19h30 Ismaël Aucun Brunel (ami)

Canadien de

Montréal-Devils

du New Jersey

Mardi 23 avril à

19h00 Gisèle Denis Aucune

Canadien de

Montréal-Jets de

Winnipeg

Jeudi 25 avril à

20h00 Hughes Aucun

Etienne, José, Simon

(ami), Sébastien (ami),

Éric (ami, arrivé en

seconde période)

Canadien de

Montréal-Maple

Leafs de Toronto

Samedi 27 avril à

19h00 Ismaël Aucun

Brunel (arrive au cours

de la première période)

Séries Éliminatoires

Match observé Date et Heure Participant

principal

Membres de la famille

présents Personnes extérieures

Sénateurs

d’Ottawa-Canadien

de Montréal

Jeudi 2 mai 2013 à

19h00 Gisèle Denis Aucune

Canadien de

Montréal-Sénateurs

d’Ottawa

Mardi 7 mai à

19h00 Stéphane

Léa

David Aucune

Sénateurs d’Ottawa-

Canadien de

Montréal

Jeudi 9 mai à

19h00 Ismaël Owen Aucune

N.B. : dans les matchs observés, l’équipe citée en deuxième est celle qui joue à domicile.

81

L’attribution des matchs a donc tenu compte des demandes de chacun et de la volonté

d’inclure des matchs considérés à fort potentiel d’intensité selon les partisans. Chaque

participant a collaboré à l’élaboration de son propre calendrier d’observations. Ainsi

Stéphane a pu être observé au cours d’un match contre les Maple Leafs de Toronto; contre

les Capitals de Washington, équipe d’une des plus grandes stars de la ligue nationale,

Alexander Ovechkin, ou contre la robuste équipe des Flyers de Philadelphie. Hughes s’est

vu octroyer des matchs contre deux équipes canadiennes, les Sénateurs d’Ottawa et les Jets

de Winnipeg, et contre l’équipe du joueur le plus connu de la ligue, Sidney Crosby. Gisèle et

Ismaël ont choisi des matchs contre les deux équipes ennemies dans l’histoire du Canadien,

les Maple Leafs de Toronto et les Bruins de Boston. En raison du calendrier réduit, le

Canadien de Montréal n’a affronté que des équipes de l’association Est, ce qui a multiplié les

rencontres contre des équipes comme Boston ou Toronto qui font partie de la même division.

Précisons cependant que si l’échantillon des observations ne comporte que 19 matchs, les

participants et l’observateur ont regardé à la télévision tous les matchs de la saison écourtée.

2.2 L’observation

Après l’étape des entrevues et une fois que le calendrier des matchs a été établi, le

moment était venu de réaliser les observations. Cette « phase d’immersion »178 nécessite

certaines aptitudes qu’on pourrait résumer par trois actions : percevoir, mémoriser et noter.

Selon Beaud et Weber, il s’agit « [d’u]n va-et-vient permanent entre vos perceptions, leur

explicitation mentale, leur mémorisation et le cahier sur lequel vous prenez des notes »179.

La vue, l’ouïe et la mémoire sont fortement mises à contribution. L’observation est un défi

178. Stéphane Beaud, Florence Weber, Guide de l’enquête de terrain, Paris, Éditions La Découverte, 1997, p. 137.

179. Ibid., p. 143.

82

pour l’enquêteur quel que soit le milieu observé. Il doit l’appréhender en restant concentré

sur son objectif dans un environnement forcément en mouvement de par les personnes qui le

composent et par toute forme d’animation qui pourrait le distraire. Une autre chose à prendre

en compte est le caractère imprévisible de la situation. On ne sait jamais à quoi s’attendre

quand on commence une observation. Le grain de sable qui fait dérailler la bonne marche des

choses peut survenir à tout moment. L’observateur doit rester vigilant et pouvoir s’adapter à

toutes les situations, dans la mesure du possible. C’est dans cet état d’esprit que les

observations ont débuté chez les quatre participants de l’étude. Nous traiterons cet aspect

plus en profondeur au point 2.2.3.

La première observation a eu lieu le 21 février 2013 et la dernière le 9 mai 2013. Les

observations ont commencé avant le début des matchs, pendant l’émission d’avant-match.

Cela a permis à l’observateur de s’installer et au partisan de s’immerger progressivement

dans le temps de la retransmission du match. Au même titre que l’échauffement pour les

joueurs sur la glace, l’émission d’avant-match a été un moyen pour le partisan de s’échauffer

avant de plonger dans l’action. Chaque match de hockey se compose de trois périodes de 20

minutes et de deux entractes de 15 minutes chacune. Ce temps ne prend pas en compte les

arrêts de jeu. En 2013 pendant la saison régulière de hockey, en cas d’égalité au terme du

temps réglementaire d’une partie, une période de prolongation de cinq minutes

supplémentaires était jouée. Si un but était marqué au cours de cette prolongation, le match

se terminait. En cas d’égalité au terme de cette prolongation, une séance de tirs de barrage

était nécessaire afin de déterminer un vainqueur. Par ailleurs, au cours des séries

éliminatoires, il n’y a pas de tirs de barrage. Les équipes jouent des périodes de prolongation

de 20 minutes chacune, jusqu’à ce qu’un but vienne mettre fin au match. Ainsi au cours de

toutes les observations effectuées, certains matchs ont duré deux heures et demie (durée

standard d’un match télévisé qui se termine en temps réglementaire) ou beaucoup plus avec

des prolongations ou des tirs de barrage. À l’issue des matchs, l’observation s’est poursuivie

jusqu’au début de l’émission d’après match, ou bien après selon les circonstances et les

candidats. Au cours de ce laps de temps, les partisans faisaient part de leurs impressions et

analysaient la partie qui venait de se dérouler. Cela permettait de « sortir » définitivement de

83

l’atmosphère du match et de clore l’observation. Bien que nous ayons envisagé, au début du

terrain, la possibilité de mener des entrevues plus substantielles au milieu ou à la fin des

observations, le matériel récolté au cours des 19 observations a fourni une quantité abondante

d’informations d’une grande richesse sur les façons de regarder les matchs et sur les profils

des quatre participants. Il n’est donc pas apparu nécessaire de réaliser des entrevues

complémentaires d’autant plus que nous n’avions pas comme objectif de comparer la

perception des partisans à celle observée comme c’est le cas dans les études ethnographiques

classiques

2.2.1 Le journal de terrain et la mise en contexte

Le journal de terrain est l’allié de l’enquêteur et un outil indispensable qui accompagne

le chercheur pour toute la durée de la démarche. Sur le terrain, l’un ne va pas sans l’autre.

Cela est encore plus vrai dans le cadre d’une observation directe. Selon l’anthropologue

Florence Weber, « une part du métier d’ethnographe réside dans le journal de terrain que

celui-ci s’astreint à tenir jour après jour tout au long de son enquête »180. Les quatre

participants ont très souvent jeté un œil intrigué sur ce cahier à spirale dans lequel les notes

ont été frénétiquement consignées : un journal de couleur gris pour Gisèle, un vert pour

Hughes et deux bleus distincts pour Stéphane et Ismaël. On peut imaginer qu’ils se sont

demandé ce qui était noté avec autant d’attention, ce qu’ils avaient pu faire qui méritait d’être

écrit dans ces cahiers. D’ailleurs, les invités des participants n’ont jamais hésité à poser la

question. Le journal de terrain est « à la fois un témoin de la démarche et de la crédibilité du

chercheur »181. Ce journal sert à la fois à noter la description des lieux de l’observation avant,

pendant et après le match, les évènements, les personnes présentes et tous les faits qui

méritent d’être rapportés. Le journal de terrain peut également faire office de journal intime

tant l’observateur peut retranscrire ses sentiments personnels face à ses interlocuteurs, des

évènements ou des situations particulières. Pour consigner ces données, il faut faire preuve

180. Florence, Weber, Manuel de l’ethnographe, Paris, Presses Universitaires de France, 2009, p. 35.

181. Martine Roberge, Guide de l’observation in-situ, Québec, Université Laval, 2008, p. 23.

84

de rapidité, de précision et, surtout, d’une grande honnêteté afin de rapporter les faits tels

quels sans broder. Cette prise de notes est brute, l’observation n’étant pas le temps de

l’analyse ou alors d’une analyse très succincte. La prise de notes peut entraîner que

l’observateur rate certains faits car cette opération mobilise une grande attention. Il n’est pas

nécessaire de se lancer dans une rédaction soignée dans la description des faits. En général,

les notes prises sur le vif ne servent qu’à se remémorer des détails qui seront plus tard remis

dans leur contexte. Le journal de terrain s’organise de façon très simple. Sur les pages de

droite s’étalent les données brutes telles que les réactions des partisans, leurs réflexions, leurs

mouvements et sur les pages de gauche les questions, débuts d’hypothèses, impressions,

réflexions personnelles sur les faits ou les personnes présentes.

À la fin de chaque observation, un travail d’analyse plus poussé prend le relais. Toutes les

données recueillies seront utilisées pour « analyser les pratiques, les discours et les positions

des enquêtés, mais aussi pour mettre au jour les relations qui se sont nouées entre

l’ethnographe et eux et pour objectiver la position de l’observateur »182. Dans ces conditions,

le journal de terrain constitue un matériel de base sur lequel il est nécessaire de faire un retour

constant, ne serait-ce que pour se relire dans un premier temps, puis y ajouter des

commentaires ou simplement réécrire les parties incompréhensibles. En effet, une fois le

défrichage fait par le journal de terrain, il est possible d’approfondir certaines réflexions et

questions intervenues au cours de l’observation. Cette relecture est indispensable et avec du

recul certaines choses peuvent revenir en mémoire. Tout doit être analysé, autant les

expressions que les réactions en passant par les silences des participants. En effet le manque

de réactions peut être un indicateur de certains états. Selon Stéphane Beaud et Florence

Weber, « cette relecture révèle la distance entre celui qui a écrit et celui qui relit »183. En

effet, avec l’expérience acquise au cours des différentes observations, un regard neuf peut

être porté sur certains faits ou réflexions. Ce travail d’analyse doit être systématique et ne pas

être remis au lendemain, sous peine de passer sous silence certains faits survenus lors des

observations. En effectuant cette analyse, la mémoire est réactivée et cela permet de mettre

182. Florence, Weber, Manuel de l’ethnographe, Paris, Presses Universitaires de France, 2009, p. 36.

183. Stéphane Beaud, Florence Weber, Guide de l’enquête de terrain, Paris, Éditions La Découverte, 1997, p. 98.

85

en images le visage, les attitudes et tous les détails précieux pour l’interprétation des données.

Si l’après-observation est occupée par ce travail de relecture, chaque observation doit être

précédée d’une mise en contexte inhérente à l’ensemble de la situation observée, ici la saison

de hockey 2012-2013.

Cette contextualisation est primordiale, car la saison de hockey est mouvante et, entre les

matchs, les situations des équipes peuvent très vite changer et avoir un impact direct sur

l’observation suivante. En somme, dans ce type de terrain, le chercheur ne peut se soustraire

à une double observation : celle de la situation observée de façon particulière à chaque match

et une observation plus large de la saison régulière de hockey qui est le contexte général de

l’étude. Par exemple, après une observation chez un participant, le Canadien de Montréal

pouvait occuper la première place de sa division et quelques jours plus tard, avant une

observation chez le même participant, jouer un match primordial pour disputer la 4e place de

cette même division. Chaque match du Canadien est un enjeu pour le classement final et la

saison raccourcie rend cette situation encore plus critique. D’un match à l’autre, la situation

évolue. Cela module l’intérêt de certaines observations en fonction de l’enjeu et de la position

de l’équipe dans le classement. Pour comprendre le déroulement de chaque observation et en

saisir les particularités, l’observateur doit lui aussi être au fait du contexte général de la saison

et de l’évolution de l’équipe montréalaise. Ainsi, avant chaque observation une page du

journal de terrain était consacrée à décrire le contexte de la situation du Canadien de

Montréal, à ce qui s’était passé depuis le match précédent, à la situation de l’équipe adverse

et à l’enjeu du match pour le classement. Chaque match a son histoire qui commence dès la

fin du match précédent et le participant en est bien conscient.

Cette étape de récapitulation de la situation d’ensemble du club est indispensable pour

l’étude, mais également pour que l’observation se déroule dans les meilleures conditions. En

effet, les quatre participants sont des partisans, dans le sens le plus noble du terme, et suivent

la moindre actualité en rapport avec leur équipe. Les occasions de rencontre pour les

observations peuvent ainsi donner lieu à des analyses de leur part sur tel match ou telle

86

équipe, si cela se révèle avoir un impact sur le Canadien de Montréal, et, à ce titre, il est donc

primordial d’être au courant autant qu’eux de ce qui se passe dans la ligue nationale. Si la

relecture après les observations est importante, la contextualisation avant chaque observation

est essentielle dans ce type d’étude.

2.2.2 L’observation participante in situ

Sous l’influence de l’ethnologue Bronislaw Malinowski, l’observation participante est

devenue incontournable du travail de terrain. Ce dernier suppose que les chercheurs

s’impliquent dans le milieu étudié. Ils doivent désormais saisir le point de vue des personnes

observées et comprendre leur vision. Le chercheur « se frotte en chair et en os à la réalité

qu’il entend étudier »184. Jean Copans parle de l’observation participante comme un « idéal

type de l’enquête de terrain »185. Elle est au centre de cette étude et nécessite une interaction

avec les participants. Une observation est-elle considérée comme participante du seul fait de

la présence de l’enquêteur chez les participants ou doit-il faire beaucoup plus pour qu’on

puisse évoquer sa participation ? Ce débat est très présent dans les ouvrages de méthodologie.

Quoi qu’il en soit en se rendant dans une communauté ou chez un particulier, l’observateur

se retrouve au cœur de la situation d’observation. « À partir du moment où il est présent sur

le terrain, peu importe la distance maintenue avec l’action, on ne saurait considérer la

présence de l’ethnologue comme étant de nature passive »186. Pour cette étude, l’utilisation

de l’observation participante n’a fait aucun doute. Suivre des partisans chez eux pendant les

retransmissions de matchs du Canadien de Montréal nécessite forcément une immersion dans

la vie de ces personnes. Le simple fait d’être là comme observateur (spectateur) induit une

attitude de part et d’autre, car, dans cette étude, l’interaction entre l’enquêteur et le partisan

est primordiale. Déjà au moment des entretiens individuels, lorsqu’est venu le moment de

parler du déroulement des observations, les participants ont eu pour principale question

184. Jean-Pierre Olivier de Sardan, « La politique du terrain. Sur la production des données en anthropologie », Enquête, numéro un,

premier semestre 1995.

185. Jean, Copans, L’enquête ethnologique de terrain, Paris, Armand Colin, 2011, p. 35.

186. Martine Roberge, Guide de l’observation in situ, Québec, Université Laval, automne 2008, p. 11.

87

« Comment dois-je me comporter ? ». S’il est souhaitable que la présence de l’observateur

se fasse le plus discrète pour capter les comportements les plus « naturels » possibles, sans

artifice, il faut admettre que cela est pratiquement utopique et qu’un temps d’adaptation est

forcément nécessaire pour intégrer cette présence étrangère. Les premières observations de

matchs ont donc été cruciales sur ce plan. En général après la première observation, les

participants se sont montrés rassurés tout comme l’enquêteur.

L’observation in situ se traduit par une grande disponibilité de la part du chercheur. Le temps

d’investigation est très important. L’observateur doit garder à l’esprit que les participants

peuvent ne pas s’adapter à sa présence et ne pas « jouer le jeu ». Consciemment ou

inconsciemment, la présence d’un inconnu dans son univers quotidien, et de surcroît dans

son domicile, modifie assurément les comportements. Il serait « illusoire de croire que,

lorsqu’on observe, tout se passe "comme si on n’était pas là" »187. Seule, la répétition des

visites chez le participant peut éventuellement atténuer cet état de fait, c’est-à-dire que le

partisan oublie non pas la présence de l’enquêteur, mais bien sa présence en tant

qu’observateur. Un autre fait pousse à penser que même si dans un premier temps les

participants modifient leurs comportements, au final il semble être difficile de contenir ses

réactions dans le feu de l’action. La spontanéité sur une action de jeu ne se feint pas.

Sur les quatre participants, Stéphane était quelqu’un de familier puisqu’il avait déjà été un

des participants d’une autre étude menée dans le cadre d’un travail de séminaire. Ismaël a été

rencontré préalablement dans le cadre d’une activité sociale tandis que Gisèle et Hughes

étaient de parfaits inconnus. La familiarité avec les deux premiers participants a été un

avantage certain pour les observations. En effet, l’entrée en matière a été plus facile même si

l’exercice demeurait une nouveauté. Il a été plus facile de leur poser des questions, de réagir

à leurs réflexions sur des faits de jeu ou des joueurs et de réagir en donnant un avis quand il

était sollicité. Avec les deux autres participants, le temps d’adaptation a été un peu plus long.

187. Anne-Marie Arborio, Pierre Fournier, L’observation directe, Paris, Armand Colin, 2005, p. 86.

88

Au final, si l’observateur dépend de l’attitude, passive ou active, de l’observé, il doit nourrir

l’interaction entre les deux.

Le principal danger était que les participants idéalisent leur rôle de partisan en faisant plus

que d’ordinaire, c’est-à-dire qu’ils essayent de se transformer en partisan idéal pour satisfaire

aux besoins de l’étude et qu’ils en fassent trop pour impressionner le chercheur. Il ne fallait

pas que les participants donnent une représentation en se référant au stéréotype du partisan

du Canadien de Montréal que tout le monde imagine : une personne ne vivant que pour sa

passion avec tout ce que cela comporte. Il ne fallait pas non plus tomber dans l’autre extrême,

à savoir brimer ses émotions afin de ne pas donner l’impression de trop en faire. En résumé,

les participants devaient rester « naturels » et ne pas essayer de se plier à un modèle pour

faire plaisir à l’observateur. Le but de l’étude n’était pas d’avoir des participants tenter de

faire plus que ce qu’ils étaient d’habitude ou des participants inhibés par la présence d’un

observateur.

2.2.3 L’observateur chez les partisans ou comment trouver sa place

Observer des partisans chez eux revient à chambouler en quelque sorte leur quotidien.

Il est donc nécessaire d’être le plus discret possible, du moins au début. Et cette discrétion

doit se faire à plusieurs niveaux. Aux domiciles des participants, le défi a été de trouver un

poste d’observation qui permette d’observer sans être trop envahissant, tout en n’étant pas

trop éloigné du cœur de l’action. En général, les participants ont offert que l’observateur

choisisse lui-même de s’installer à l’endroit qui lui convenait le mieux pour effectuer le

travail. La place choisie a été la même pour toutes les observations et les participants ont fait

de même, sauf quand ils ont reçu des visiteurs. Cette place doit aussi être stratégique par

rapport à l’emplacement du téléviseur. En effet, il convient de surveiller autant ce qui se

passe au cours du match que les réactions des partisans, à savoir un œil sur la télévision et un

autre sur le partisan, simultanément. Un certain confort pour l’observateur est aussi

89

nécessaire afin de travailler dans de bonnes conditions. Tout le paradoxe de l’ethnologue est

là : il « veut qu’on l’oublie et en même temps il a sa recherche à conduire, sa curiosité à

satisfaire »188. Le fait de tenir à chaque fois la même place a été aussi un moyen d’installer

une certaine habitude chez le participant, même quand ils invitaient des personnes à regarder

les matchs avec eux. D’ailleurs face à ces personnes, que l’on nomme participants

secondaires à l’étude, il a fallu expliquer la présence de l’observateur et son travail.

Les participants secondaires à l’étude sont divisés en deux catégories : ceux qui vivent avec

le participant dans le logement (membres de la famille) et ceux qui viennent de l’extérieur

(amis, invités). À partir du moment où ils sont présents lors de l’observation, ils sont

concernés par l’étude comme le montre le tableau des dates des observations (tableau 6 :

Liste des observations par participant). Ceux qui habitent avec le participant principal étaient

déjà au courant du travail de l’observateur. En effet, ceux-ci ont été rencontrés au moment

des entretiens individuels avec les partisans. La compagne de Stéphane, la femme d’Ismaël

et le mari de Gisèle sont informés que leur conjoint ou épouse participe à une étude et en

connaissent les conditions. Ils ont d’ailleurs dû signer un formulaire de consentement

spécialement à cet effet et donner leur accord à leurs conjoints respectifs. Néanmoins, les

trois ont souvent posé des questions sur le travail au cours des observations. Somme toute,

au bout d’un certain temps les questions se sont limitées à connaître l’avancement de l’étude.

L’intérêt des participants secondaires comme celui des participants principaux ne s’est jamais

démenti pendant l’étude, ce qui porte à croire que l’observateur a réussi à se faire accepter

tout au long des observations et que sa présence n’a pas été trop incommodante ou insistante.

Pour le second groupe des participants secondaires, la situation s’est révélée un peu plus

complexe. Lors des observations chez Hughes, ce dernier n’a jamais été seul car il a toujours

invité un ou plusieurs amis à venir regarder le match avec lui. Malgré le fait que ces derniers

ont été prévenus à l’avance de la présence d’un observateur étranger, ils ont toujours montré

188. Jean Copans, L’enquête ethnologique de terrain, Paris, Armand Colin, 2011, p. 46.

90

une certaine curiosité à l’égard de cette présence inusitée. Même en expliquant au début des

matchs le but de l’étude et la façon dont l’observation allait se dérouler, ils y sont revenus

très souvent à un moment ou un autre de l’observation pour s’informer s’ils faisaient de bons

sujets d’étude ou sur la pertinence de leur propos. Leur intérêt ne s’est jamais démenti et si

au début des observations ils ne savaient pas trop quelle attitude adopter, très vite le naturel

a repris le dessus. D’autres participants secondaires sont apparus de façon impromptue au

cours des observations. Ils sont classés dans la catégorie « imprévue » car leur présence n’a

pas pu être planifiée par les participants principaux. Les participants imprévus ont tous trouvé

la situation originale et se sont assez vite accoutumés en voyant que les participants

principaux se comportaient de façon naturelle. Une fois que le but de l’étude leur était

expliqué ainsi que la nature de la participation du participant principal, ceux-ci pouvaient

s’installer pour regarder le match de hockey ou continuer leur visite. L’attitude du participant

principal y a été pour beaucoup. En effet, si le principal concerné ne marquait pas plus

d’étonnement que ça, pourquoi auraient-ils dû le faire ?

Le chercheur doit-il se contenter d’être un observateur distant et en faire le moins possible

dans la situation observée ou doit-il participer à l’observation comme un invité du

participant ? La plus grande difficulté réside dans ce dilemme. Cela peut devenir un véritable

exercice d’équilibriste. Martine Roberge distingue quatre types de rôles endossés par

l’observateur : « dans cette posture qui implique une participation plus ou moins grande du

chercheur, on en arrive à décliner une typologie des rôles endossés par l’ethnographe en

quatre types : le participant complet, le participant observateur, l’observateur comme

participant, l’observateur complet »189. Le choix de la posture se fait en fonction des objectifs

de la recherche et de la nature de ce qui est observé. Georges Lapassade différencie quant à

lui trois positions du chercheur-observateur : une observation participante périphérique, une

observation participante active ou une observation participante complète190.

189. Martine Roberge, Guide d’observation en situ, Québec, Université Laval, 2008, p. 11.

190. George Lapassade, « Observation participante », Jacqueline Barus-Michel, Eugène Enriquez et André Lévy, dir., Vocabulaire de

psychosociologie. Positions et références, Toulouse. Érès, 2002, p. 375-390.

91

Ici, l’idée de départ était de laisser les choses se faire et de s’adapter aux situations. Mais

aussi séduisante soit cette idée, le chercheur doit éviter de tomber dans l’un ou l’autre excès,

le but n’étant pas d’offenser les participants. En se mettant dans la position d’un participant

trop enthousiaste, un mauvais signal peut être envoyé au participant principal. Se montrer

familier, se moquer de ses réactions, prendre ses aises avec les horaires fixés ou rentrer dans

un débat sur un fait de jeu, voire un joueur, revient à faire de l’observateur un ami. Le rapport

trop familier entre l’observateur et le participant introduit un biais dans l’étude, car

l’objectivité disparaît complètement. Dans ce type d’observation portant sur un spectacle

sportif, le fossé entre observateur et ami peut vite être franchi. On peut également se tourner

vers l’autre extrême, en se montrant distant, voire froid. À trop vouloir garder ses distances,

« on s’inscrit dans un rapport de domination »191, celui du chercheur qui sait, et cela peut

finir par être perçu par le participant comme une forme de mépris. On a alors affaire à un

observateur qui affiche sa différence, sa supériorité intellectuelle sur les participants. Trouver

le juste milieu entre ces deux attitudes a donc été un défi à la hauteur de la recherche.

Les premières observations ont donc été décisives à cet égard, car il a fallu très vite trouver

le ton juste afin de mettre les participants à l’aise. À vrai dire, les choses ont été facilitées par

ces derniers. En se comportant comme des hôtes agréables, ils ont permis de trouver ce ton

juste qui était dès le départ une préoccupation importante. Ils ont toujours fait les choses pour

que l’observateur se sente à l’aise. Si offrir à boire et à manger font partie des marques

d’hospitalité et de savoir-vivre, ces gestes ont aussi pour effet de détendre l’atmosphère, à

condition cependant de s’imposer un certain nombre de règles à suivre. Devant les offres

répétées par Hughes et ses amis pour prendre une bière, le refus était de mise afin de garder

l’esprit clair pour les suites de l’observation. Pourtant cela aurait pu être facile, quand une

victoire du Canadien se profilait, de profiter de la dynamique pour accepter cette offre au

moins une fois. Cela aurait aussi permis de faire partie de cette communauté des partisans du

Canadien. Le but de l’étude n’étant pas là, les refus polis n’ont jamais semblé froisser Hughes

ou les autres participants. À une seule occasion, il a été impossible de respecter ce principe

191. Anne-Marie Arborio, Pierre Fournier, L’observation directe, Paris, Armand Colin, 2005, p. 95.

92

afin de ménager les susceptibilités. Lors de la première observation chez Ismaël, à l’entracte

entre la première et la seconde période tout le monde s’est levé pour passer à table qui

comprenait un couvert de plus. Refuser aurait certainement froissé la maîtresse de maison et

aurait placé l’observateur dans une situation délicate pour les autres observations.

Une autre façon de s’ajuster et de trouver le juste milieu consiste à laisser le participant

aborder un sujet lié au match et le développer, notamment pour ceux qui regardent les matchs

en solitaire. Cela est un moyen de nourrir l’interaction entre l’observateur et le participant.

Dans ce contexte, et bien que l’observateur doive se faire le plus neutre possible, son rôle

consiste à réagir de façon objective à des faits de jeu en posant des questions pour obtenir

l’avis des partisans ou aborder des sujets liés au Canadien qui se sont produits avant le match,

comme un échange de joueurs par exemple. Il s’agit de faire commenter les partisans sur

différents aspects du jeu ou sur la situation de leur équipe favorite. Ne jamais s’écarter de ces

considérations sportives est un principe qui permet à l’observateur de ne pas déborder de son

rôle. Au final, chaque observation a donné l’occasion à l’observateur de choisir le ton juste.

Quand le participant l’incluait dans son match, il participait. Cette participation devait

toujours être à l’initiative du participant.

93

Conclusion du chapitre

Dans ce chapitre, nous avons tracé un aperçu de la méthodologie et du travail de

terrain qui a fourni, en majorité, les données de l’étude. De par sa configuration (quatre

domiciles différents), ce terrain et le sujet d’étude (étudier les manifestations de la passion

partisane) se sont révélés un défi à part entière. Il a fallu composer avec un recrutement des

participants plus ardu que prévu, une saison de hockey tronquée, trouver le juste milieu entre

deux attitudes complètement opposées avec les participants. Mais dès que les observations

ont commencé, tout s’est progressivement mis en place. Les participants ont fait beaucoup

pour cela. Ils ont parfaitement « joué le jeu » en regardant les matchs tout en intégrant

l’observateur à leurs soirées. Si un temps d’adaptation a été nécessaire, les choses se sont

déroulées sans obstacle. Cette remarque est également valable pour les participants

secondaires qui, en plus de s’intéresser à l’étude, ont su faire abstraction de la présence de

l’observateur pendant les matchs auxquels ils ont assisté. Nous avons donc décidé de

conserver cette attitude de neutralité tout au long des observations. Celles-ci nous ont

d’ailleurs apporté toutes les informations nécessaires sur les participants et leur façon de

regarder le Canadien. Il est temps maintenant de se pencher sur l’expression de la passion

partisane au cours de la retransmission des matchs du Canadien de Montréal.

94

Chapitre 3 L’expression de la passion partisane au

cours du match de hockey

Quel est le profil du partisan idéal pour une telle étude? Au cours de la phase de

recrutement, plusieurs personnes ont déclaré connaître la personne parfaite pour l’étude : un

partisan qui ne vit que pour le Canadien de Montréal, dont la maison regorge de signes de

partisannerie, qui ne manque aucun match de ses favoris et qui soutient son équipe de façon

démonstrative. Dans l’imaginaire, ce « partisan ultra » serait la personne adéquate pour

l’étude. Cependant, le Canadien de Montréal est suivi par des millions de partisans, la

diversité des profils s’avère plus réaliste, voire souhaitable, pour dresser un portrait plus

nuancé de la passion partisane. Le tableau suivant résume le profil des quatre partisans ayant

accepté de participer à l’étude.

Tableau 7 Présentation des participants

Participant Âge Emploi Quartier Situation matrimoniale

Stéphane 32 ans Agent de développement

à Patro Le Prevost Longueuil Conjoint de fait

Hughes 26 ans Agent de vente chez Videotron Le Village Célibataire

Gisèle 76 ans Retraitée de la banque Montréal-Nord Mariée

Ismaël 35 ans Agent de contrôle à Bell Notre-Dame-de-

Grâce Marié

Stéphane est âgé de 32 ans au moment des observations. Il travaille à Patro Le Prevost comme

agent de développement. Originaire de Roberval, il habite à Montréal depuis 2003. Il partage

son logement avec sa compagne Léa et leur fils de quatre mois, David, à Longueuil. Il aime

le hockey mais sa passion concerne avant tout le Canadien de Montréal. Le second

participant, Hughes, a six ans de moins que Stéphane. Il est agent de vente chez Videotron et

est originaire de Saint-Hubert. Il vit à Montréal depuis 2011 et habite dans le Village. Il

occupe son logement seul. Véritable passionné de hockey, même si sa préférence va vers le

95

Canadien de Montréal, il n’hésite pas à s’intéresser aux autres équipes de la ligue nationale.

La seule participante est Gisèle, 76 ans, retraitée, qui a travaillé pendant près de 37 ans à la

Banque Royale. Elle a toujours habité à Montréal et vit avec Denis, son époux depuis 43 ans

dans le nord de la ville. Elle a fait une pause dans sa passion pour le Canadien par manque

de temps mais depuis trois ans elle s’y est remise assidûment. D’ailleurs, même lorsqu’elle

s’intéresse à d’autres équipes c’est toujours en rapport avec le Canadien : uniquement des

équipes qui jouent dans la même division que son équipe favorite. Le dernier participant,

Ismaël, a 35 ans et est agent de contrôle à Bell. Originaire du Burundi, il a vécu à Québec de

nombreuses années avant de s’installer à Montréal en 2004. Il habite avec son épouse Gladys

et leur fils Owen, âgé de un an et demi dans Notre-Dame-de-Grâce. Sa passion du hockey se

manifeste exclusivement à travers le Canadien. Pour les trois premiers partisans, leur passion

du Canadien est ancrée en eux depuis longtemps, ils ont grandi avec cette équipe. Ils évoquent

cette passion comme quelque chose de culturel. Ils ont vécu dans le culte du Canadien avec

les souvenirs des grandes victoires ou des instants historiques de cette équipe, comme

l’émeute du forum en 1955 racontée dans le premier chapitre. Pour Ismaël, qui s’intéresse au

hockey depuis la fin des années 1990, la passion pour le Canadien a véritablement pris son

essor lors de son déménagement à Montréal.

Dans ce chapitre, nous présentons de façon plus détaillée le profil partisan de chacun des

participants tel qu’il s’est révélé au fil des observations en faisant ressortir les points

communs et les différences dans la façon dont ils suivent la retransmission des matchs. Des

idées préconçues issues des entretiens individuels ont été mises à mal au cours des

observations. Dès les premières observations, des tendances se sont dessinées et se sont

développées par la suite. Des comportements qu’on n’aurait pas imaginés chez tel ou tel

participant sont apparus et se sont confirmés tout au long de ces soirées de hockey. Même

dans les façons de célébrer l’issue d’un match, des traits particuliers sont apparus chez les

quatre participants. Si les entretiens individuels ont donné quelques indications sur le profil

partisan des participants, ce sont les observations qui ont permis de les saisir concrètement.

96

3.1 Quatre différentes façons de regarder les matchs

3.1.1 Stéphane

Stéphane possède une vaste connaissance du hockey en général et du Canadien en

particulier. Son savoir est assez impressionnant. Il a une approche très technique des matchs.

Pendant les observations, il est très attentif aux aspects techniques du jeu, n’hésitant jamais

à rendre ces derniers plus accessibles pour Arnaud, le neveu de sa compagne, qui a assisté à

un match avec lui, ou le chercheur. Il peut se montrer pédagogue et prend le temps de passer

les séquences ralenties à plusieurs reprises pour appuyer ses propos. Il reste assez calme

pendant les matchs ne s’animant que lorsque le Canadien joue vraiment mal, lorsqu’il se

procure des occasions de marquer, inscrit un but ou en encaisse un. Il a assez de recul pour

reconnaître quand les défaites du Canadien sont méritées ou lorsque les victoires sont

acquises dans la difficulté. Il fait montre d’un esprit critique en n’hésitant pas à pointer du

doigt les choses qui ne fonctionnent pas dans le jeu de son équipe. La satisfaction prédomine

après les victoires, sans qu’il manifeste de la joie excessive. Au cours de deux matchs (contre

les Capitals de Washington192 et surtout contre les Flyers de Philadelphie193), il manifeste un

ennui et un découragement certains face à la prestation du Canadien qu’il juge désastreuse.

Le match contre les Flyers a notamment été, selon son expression, un « calvaire » du début

à la fin. Au cours du match, il avoue que, sans la présence de l’observateur, il aurait changé

de chaîne depuis longtemps pour regarder autre chose. Il le dit sans animosité ou

énervement : il constate les faits de façon posée comme le partisan qui suit son équipe et le

hockey depuis de longues années déjà. Il est lucide sur la performance de son équipe et ne se

voile pas la face. Au cours des deux matchs évoqués, il se laisse vite gagner par la torpeur du

Canadien et parle de nombreux autres sujets en rapport ou sans avec le hockey. Son manque

d’intérêt au cours de ces matchs peut aussi s’expliquer par l’enjeu. En effet, le Canadien

réalise une bonne saison dans la Conférence Est et ces deux mauvais matchs, qui se soldent

192. Le 9 avril 2013.

193. Le 15 avril 2013.

97

par des défaites, sont certes un peu douloureux sur le coup mais certainement pas dramatiques

pour le classement final.

Par contre, lorsque l’enjeu est plus important, il se révèle nettement plus impliqué. Cela a été

le cas contre les Maple Leafs de Toronto194 en saison régulière et les Sénateurs d’Ottawa195

en séries. Contre les Leafs, même si le match n’est pas décisif, le fait d’affronter des ennemis

historiques du Canadien ne le laisse pas indifférent. Il se montre beaucoup plus attentif.

Contre les Sénateurs cela est encore plus explicite. Il est survolté par l’enjeu (le Canadien

avait l’occasion d’égaliser sa série éliminatoire de premier tour deux victoires partout). Le

match se solde par une défaite et il affiche une grande déception. Cela a d’ailleurs été la seule

fois où il s’est montré aussi affecté par un résultat. Au cours des matchs observés, le seul

objet visible témoignant de sa partisannerie est un verre estampillé Club de Hockey Canadien

(CH) dans lequel il boit pendant les matchs.

3.1.2 Hughes

Le participant qui présente le plus de similitudes avec Stéphane est Hughes : mêmes

connaissances sur le hockey et même approche technique des matchs. Mais contrairement à

Stéphane, ses connaissances ressortent plus lorsqu’il s’agit d’évoquer la Ligue nationale de

hockey et ses joueurs. « Savoir encyclopédique » peut être utilisé ici, tant il connaît les

moindres joueurs de la ligue nationale, statistiques et biographies à l’appui. Il a toujours une

anecdote en réserve quel que soit le joueur, l’entraîneur ou le dirigeant qui apparaît à l’écran.

D’ailleurs à certains moments, Hughes parle beaucoup de ce qui se passe autour des matchs

mais assez peu des matchs en eux-mêmes. Cela a constitué une des surprises évoquées en

introduction. En effet, avec son savoir et sa passion affichée au cours de son entrevue, il

194. Le 27 février 2013.

195. Le 7 mai 2013.

98

dégageait l’image d’un partisan exalté pendant les matchs. Pour expliquer cela, nous pouvons

avancer une hypothèse : Hughes avait un public, l’observateur et ses amis, devant lesquels il

pouvait étaler ses connaissances. Comme Stéphane, il prend plutôt les matchs les uns après

les autres sans pression ou stress particulier. Il prend les défaites avec du recul et analyse

froidement ce qui n’a pas fonctionné. Les victoires sont bien accueillies, mais sans excès

particulier. Sa longue expérience du hockey et du Canadien l’a rendu pragmatique sur les

issues des matchs.

Le fait de suivre les rencontres du Canadien entouré d’amis joue un rôle dans la façon dont

Hughes se concentre. Ainsi, il peut complètement se désintéresser du match et parler d’autre

chose avec ses amis ou au contraire être très concentré, malgré la présence de ces mêmes

amis. Deux exemples pour illustrer cela. Au cours de la troisième observation, le Canadien

se rend à Pittsburgh pour affronter les Penguins196. Cette équipe, puissance de la ligue et

regorgeante de joueurs talentueux, dont Sydney Crosby (considéré par de nombreux

journalistes, joueurs, entraîneurs et partisans comme le meilleur joueur de la Ligue) est alors

en lutte avec le Canadien pour la première place de la conférence Est. C’est donc un match

au sommet et Hughes a fait part de son excitation lors de la confirmation de l’observation. Il

est accompagné de deux amis, José et Etienne. Mais le match passe au second plan avec peu

d’attention de la part des trois amis. La rencontre en elle-même est assez défensive, avec peu

de risques de la part des deux équipes. Cela n’aide pas les trois amis à s’y intéresser car, dès

le début du match, ils se lancent dans des discussions portant sur le hockey, en général, et les

loisirs. À la fin de l’observation, les trois avouent qu’ils n’ont pas été assez concentrés mais

que les deux équipes ne les ont pas assez motivés. Au contraire, lors de l’observation suivante

(distante d’un mois, car il était parti en vacances) contre les Jets de Winnipeg197, accompagné

de cinq de ses amis, Hughes est le seul à être concentré. Il participe aux conversations mais

toujours avec un œil sur l’écran de sa télévision. Il faut préciser qu’il a été sevré de hockey

pendant ses vacances. Ses amis sont plutôt blasés par la mauvaise passe dans laquelle se

trouve le Canadien à ce moment (cinq défaites en six matchs) mais Hughes, au contraire,

196. Le 26 mars 2013.

197. Le 25 avril 2013.

99

veut tout savoir et espère ardemment une victoire des siens. En habitué des matchs au Centre

Bell (dont le match des Étoiles, qui réunit les meilleurs joueurs de la ligue au cours d’un

match, en 2009 pour le centenaire du CH), il possède de nombreux souvenirs du Canadien et

n’hésite pas à les exposer chez lui ou à les sortir lors des observations. Il est très fier de ses

souvenirs de partisan.

3.1.3 Gisèle

La troisième participante, Gisèle, est la plus singulière des quatre. Deux mots pour la

décrire : ferveur et énergie. Elle se rapproche le plus du « partisan ultra » évoqué en

introduction. Ses connaissances sur l’équipe de 2013 sont impressionnantes : statistiques des

joueurs, état des blessés, joueurs en forme ou en méforme. Elle tient ses informations à jour

avant chaque match. Elle se renseigne minutieusement sur les équipes qui doivent affronter

le Canadien. Dès la première observation, son époux déclare qu’il faut juste que le Canadien

marque pour se rendre compte de la personne à laquelle nous sommes confronté. Il n’a pas

été nécessaire d’attendre un but de l’équipe montréalaise pour constater ce fait. En effet,

Gisèle encourage « les petits gars » de la première à la dernière seconde des matchs de

hockey. Quand le Canadien est en avance, elle le pousse à marquer un autre but et lorsqu’il

est mené, elle l’exhorte à revenir le plus vite possible au score. Ses encouragements ne

cessent jamais et, malgré des moments de doute, elle espère toujours le meilleur pour son

équipe. Même quand il ne reste que quelques secondes de jeu, elle ne se départit pas de son

optimisme. Une seule fois, le découragement l’a gagnée. Il est intervenu au cours d’un match

contre les ennemis de Toronto198. À la fin de la première période, le Canadien est déjà mené

4-1 et vu la façon dont il joue, elle ne croit pas à un retour de sa part. Elle ne cesse pas pour

autant ses encouragements et à 5-1 pour les Maple Leafs, son seul souhait est que le CH

n’encaisse pas un sixième but. Jamais elle n’a envisagé de changer de chaîne ou de se

désintéresser de la rencontre. Tant que ses « petits gars » jouent, elle ne les laisse pas tomber.

198. Le 13 avril 2013.

100

Les victoires du Canadien la laissent profondément heureuse tandis que les défaites la

touchent au-delà de la simple déception. Elle se console toujours en déclarant qu’au prochain

match, le CH fera mieux.

Lors des séries éliminatoires, son degré de partisannerie augmente au point de chanter une

partie de l’hymne national canadien au cours du protocole d’avant match. Ses

encouragements se font plus virulents et ses émotions sont encore plus fortes que lors d’un

match de série régulière. La défaite lors de ce premier match des séries contre les Sénateurs

d’Ottawa199 est encore plus difficile à digérer que les défaites de la saison régulière. À chaque

match, elle affiche fièrement ses couleurs avec des vêtements estampillés CH (un pull ou un

chandail).

3.1.4 Ismaël

Le quatrième participant à l’étude, Ismaël, possède de vastes connaissances sur

l’histoire du Canadien et de la ligue nationale. Pendant la première observation contre les

Rangers de New York200, sa femme et la cousine de cette dernière assistent à une grande

partie du match. Elles n’y connaissent pas grand-chose, mais Ismaël leur donne les

informations nécessaires à leur compréhension. Ses connaissances techniques ont également

été mises à contribution lorsqu’il a expliqué à l’observateur certains aspects du jeu. Au cours

des quatre matchs de saison régulière observés, une fois Ismaël a regardé le match avec sa

femme et sa cousine, une fois tout seul et deux fois avec son ami Brunel. Lorsqu’il est tout

seul, il arrive qu’il connaisse de longues périodes de silence alors que le Canadien ou ses

adversaires obtiennent des occasions de marquer. À plusieurs reprises, il reste de marbre alors

que les commentateurs du Réseau des sports (RDS, chaîne de télévision francophone qui

199. Le 2 mai 2013.

200. Le 30 mars 2013.

101

retransmet les matchs du Canadien) crient à la suite des actions d’une des deux équipes. On

peut alors penser qu’il se désintéresse du match mais il est toujours aussi concentré, les yeux

rivés sur le téléviseur. Simplement, il ne réagit pas comme les autres participants. Il est

beaucoup plus exalté quand il est avec son ami. Les deux sont sur la même longueur d’onde

en matière de hockey et apprécient les mêmes joueurs, notamment le défenseur du Canadien

PK Subban. Ils partagent la même passion pour le Canadien et celle d’Ismaël se manifeste

de façon plus visible en présence de son ami.

Ismaël est toujours très concentré sur les matchs, ne voulant rater aucune action, aussi

anodine soit-elle. Selon ses propos, « soit on regarde un match, soit on ne le regarde pas ».

Même quand il doit vaquer à d’autres occupations, il s’arrange toujours pour ne rien rater du

match. Les observations en saison régulière chez lui ont la particularité de s’être toutes

terminées par des victoires du Canadien. Ainsi, ses réactions après les matchs ont oscillé

entre la satisfaction, l’allégresse, le soulagement (après la fin d’une série de défaites du

Canadien) et la vengeance (après une victoire à Toronto contre les Maple Leafs201). Il est

difficile de deviner son rapport à la défaite comme pour les autres participants. Lorsque celle-

ci est arrivée, pour le cinquième et dernier match des séries éliminatoires contre les Sénateurs

d’Ottawa202, il avait pris la « précaution » d’anticiper l’issue du match en minimisant les

chances du Canadien de l’emporter. Ismaël se démarque aussi des autres participants en étant

le seul à ne pas afficher des signes de passion partisane concrète au cours des observations à

son domicile : aucun vêtement ou objet pouvant faire penser qu’il est un partisan du Canadien

de Montréal.

201. Le 27 avril 2013.

202. Le 9 mai 2013.

102

3.2 Des émotions contrastées

Les observations ont permis de recueillir un large éventail de réactions de la part des

participants après les buts, les actions offensives ou défensives, le jeu physique, pour résumer

après chaque fait de match qui peut susciter une émotion. Chacun réagissant de sa façon, il

est arrivé que l’émotion se manifeste par un rire, un silence circonspect ou une absence de

réaction. Sur le coup, cela semblait particulier, mais avec le recul, ces réactions ou manques

de réaction, trouvent une explication dans le contexte du match ou dans la façon dont les

participants abordaient ce dernier. Chaque réaction se justifie selon le déroulement de la

partie en particulier et, plus généralement, en fonction de la position favorable ou défavorable

du club pendant la saison.

3.2.1 Quand le Canadien se trouve en position favorable

Les actions offensives du Canadien de Montréal sont accompagnées par des

encouragements, des cris et, quand elles n’aboutissent pas, la déception se manifeste par des

jurons ou des exhortations à ne pas abandonner. Mais ce sont surtout les buts marqués par le

Canadien qui font bondir les participants. Leur spontanéité est naturelle et, même quand ils

déclarent quelques secondes avant ne plus y croire, ils manifestent leur joie comme si ces

paroles n’ont jamais été prononcées. Cette spontanéité s’est même manifestée lorsqu’un des

participants savait déjà ce qui allait se produire. Ainsi, à deux reprises, Ismaël est averti d’un

but du Canadien au téléphone avant que cela se produise chez lui. Ces décalages sont dus à

sa gestion du temps de retransmission et d’écoute du match (nous y reviendrons). Même en

sachant que le Canadien allait marquer dans les minutes à venir, Ismaël ne s’est laissé ni

abattre ni déconcentrer et a manifesté sa joie quand les buts sont arrivés comme s’il ne le

savait pas. On aurait pu penser que cette joie serait modérée vu que l’effet de surprise

n’existait plus. Mais il a manifesté la même joie que celle observée au cours de toutes les

observations après un but de son équipe. Les buts du Canadien sont accompagnés par une

103

gestuelle bien particulière ou des cris de joie. Cette gestuelle va des poings levés aux bonds

pour se lever du canapé et se mettre debout, en passant par des tapes dans les mains, lorsqu’il

y a plus d’une personne qui regarde les matchs, aux applaudissements ou aux rapprochements

vers l’écran pour mieux voir les ralentis ou aux bras levés vers les airs. Ces gestes sont

propres à tous les partisans, qu’ils regardent des matchs en public ou dans les stades.

Tout dépendant du moment auquel le but intervient, la gestuelle peut exprimer le

soulagement comme après une égalisation. Dans ce cas, les gestes peuvent s’accompagner

de soupirs et de rires qui trahissent le soulagement d’avoir vu le Canadien revenir dans la

partie. Quand les buts marqués relancent le Canadien dans un match, comme lorsqu’il est

mené par plus de deux buts par exemple, ils permettent aux participants de reprendre espoir

et ils sont ponctués par des expressions telles que « on continue », « un autre » ou encore « ce

n’est pas terminé ». Lorsque le but est très important (lorsque le Canadien prend l’avantage

au score après avoir été mené, par exemple), on peut assister à des scènes assez particulières

comme lorsque Gisèle interpelle son époux du salon à la cuisine pour le mettre au courant ou

lorsqu’Ismaël prend son fils dans ses bras pour le faire tournoyer dans les airs. Quand Hughes

a réuni cinq de ses amis au cours de la dernière observation contre les Jets de Winnipeg203,

les buts du Canadien ont été tellement célébrés de façon bruyante, y compris par lui, qu’il a

été obligé de demander de calmer les ardeurs pour ne pas déranger les voisins. Cette

recommandation a été répétée après chaque but sans que cela change quelque chose. Les amis

étaient concentrés par le match et n’ont pas bridé leur spontanéité.

Il y a également un autre genre de célébrations : celles qui ont trait à la « vengeance ». Ces

célébrations dépassent la simple joie de voir le Canadien marquer un but. Elles vont au-delà

et expriment tout le mal que les participants ressentent envers les adversaires du Canadien.

Brunel, l’ami d’Ismaël, exprime ce sentiment lors de la dernière observation de la saison

203. Le 25 avril 2013.

104

régulière contre les Maple Leafs à Toronto204. L’équipe torontoise a eu le dessus sur le

Canadien plusieurs fois dans la saison et ce match a été l’occasion pour l’équipe montréalaise

de prendre une éclatante revanche. Au quatrième but montréalais, Brunel crie « vengeance »

et manifeste sa joie avec son ami de façon encore plus marquée que d’habitude. Ils se

congratulent en se faisant une accolade. Pendant les séries, les célébrations sont plus

prononcées et l’animosité envers l’adversaire du Canadien, les Sénateurs d’Ottawa

également. Lors du premier match de la série205 et après la grave blessure d’un joueur

montréalais provoquée par une mise en échec d’un Sénateur, le Canadien obtient un avantage

numérique et en profite pour marquer. Gisèle invective alors directement les Sénateurs par

cette phrase pleine de jubilation : « vous avez l’air malin maintenant ». Lors du quatrième

match de la série206, le Canadien vient de prendre une avance de deux buts quand Stéphane

exhorte les caméras de RDS à se focaliser sur les têtes de l’entraîneur et des joueurs des

Sénateurs. La série a eu son lot d’accrochages entre les deux équipes et elles ont de nombreux

reproches à se faire. Ces réactions sont plus fortes que les autres, car les enjeux vont bien au-

delà des deux points rapportés par une victoire. Elles mettent de l’avant la volonté de « faire

payer à l’adversaire » quelque chose : en l’occurrence ici, les défaites infligées par les Leafs

au Canadien plus tôt dans la saison, la violence des Sénateurs et la frustration liée aux séries

éliminatoires.

3.2.2 Quand le Canadien se trouve en position défavorable

Les réactions des participants quand leur équipe est en difficulté ont également lieu à

des moments assez prononcés au cours la saison. Lorsque les adversaires mettent en danger

les buts de Carey Price ou de Peter Budaj (le gardien titulaire et le gardien remplaçant du

Canadien), les participants encouragent la défense montréalaise à ne pas céder et à faire

preuve de solidarité. De même, des louanges sont adressées aux deux gardiens quand ils

204. Le 27 avril 2013.

205. Le 2 mai 2013.

206. Le 7 mai 2013.

105

empêchent l’équipe adverse de marquer. Par contre, quand cela n’est pas le cas, les réactions

et réflexions négatives se multiplient envers les joueurs qu’ils estiment fautifs. Ainsi, les

coupables sont presque systématiquement désignés par les participants. Quand ce ne sont pas

les gardiens, ce sont les défenseurs qui n’ont pas bien surveillé les attaquants adverses ou qui

ont mal dégagé la rondelle ; ce sont les attaquants qui n’ont pas effectué de repli défensif ou

qui ont perdu une rondelle ; enfin ce sont les arbitres qui n’ont pas signalé une pénalité

auparavant. Il y a toujours un coupable désigné. La désignation des arbitres comme fautifs

est assez subjective de la part des participants (nous y reviendrons), par contre celle des

joueurs est généralement justifiée. En effet, les ralentis et les commentaires des journalistes

valident leurs propos.

Les participants manifestent le plus souvent leur déception par des propos et des gestes assez

éloquents. Ainsi, il est arrivé à Stéphane ou Ismaël de parler d’un joueur du Canadien en

termes peu flatteurs après son implication sur un but encaissé. Les soupirs appuyés de

Stéphane, les grognements de Gisèle, les mouvements de dénégation de tête d’Ismaël sont de

bons indices de ce que les participants pensent après un but encaissé par leurs favoris. Lors

de certains matchs, les participants sont tellement dépassés par les évènements qu’ils rient de

dépit après des buts concédés par Carey Price ou Peter Budaj. Cela arrive surtout quand la

prestation de l’équipe est si mauvaise que les buts concédés apparaissaient presque comme

la suite logique des choses. Le rire dans ces cas-là sous-entend véritablement un

désabusement des participants. Par contre, leur énervement se manifeste autrement que par

des rires de dépit. Les jurons ont souvent fusé au cours des observations. Quelques fois, les

participants s’en excusent quand ils s’en rendent compte, mais la plupart du temps ils sont

tellement en colère qu’ils en oublient complètement la présence de l’observateur. Les

« shit », « but de merde » ou autre « je suis en maudit » sanctionnent les buts des équipes

adverses. Encore une fois, ces termes sont beaucoup plus employés dans les matchs à forte

teneur émotionnelle (équipes ennemies ou lors des matchs de séries). Il en va de même avec

les gestes de frustration des participants. Ainsi au cours des observations, il arrive que les

participants tapent du poing sur les tables ou tapent du pied quand l’équipe montréalaise

encaisse un but. Il y a également des bras levés dans des gestes d’impuissance ou des mains

106

posées de part et d’autre de la tête. Mais la réaction la plus saisissante se produit à la fin du

quatrième match des séries chez Stéphane207. Les événements du match l’avaient déjà

passablement énervé (il estimait que les deux buts d’Ottawa étaient entachés par des erreurs

d’arbitrage) et le but de la victoire d’Ottawa en prolongation a été la goutte d’eau qui a fait

déborder le vase. Dès que le but est marqué, il jette sa commande de télévision sur le canapé

et sort du salon sans ajouter un mot. Même sa compagne, qui avait souvent plaisanté sur les

défaites du Canadien, s’abstient de tout commentaire à ce moment-là. L’observation a pris

fin de cette manière. La dramaturgie du match a fait monter sa pression et l’acte final achève

complètement de l’énerver. Il lui était déjà arrivé de manifester sa déception par des jurons,

mais jamais de cette façon. L’injustice qu’il estime faite au Canadien, ajoutée à la déception

de cette défaite, ont été très durement ressenties par le participant à cette occasion.

3.2.3 Les montagnes russes émotionnelles

Il y a un exercice au hockey qui occasionne des émotions contradictoires en très peu

de temps. On passe de la joie à la déception, et vice versa, en quelques secondes. Cet exercice

prend la forme de tirs de barrage qui interviennent lorsque les deux équipes n’arrivent pas à

se départager la victoire après les trois périodes réglementaires et la prolongation. Les tirs de

barrage ne sont utilisés que lors des matchs de saison régulière. Cet exercice, qui fait la part

belle aux gardiens de but, est une véritable loterie au cours de laquelle les joueurs les plus

habiles donnent la victoire à leur équipe. En général, les partisans aiment beaucoup cet

exercice qui permet de voir des buts et des arrêts spectaculaires de la part des joueurs et des

gardiens. Il est encore plus apprécié quand l’équipe que l’on soutient en sort gagnante.

Au cours de nos observations, à deux reprises l’issue du match s’est décidée par un tir de

barrage. Les deux fois, le Canadien l’a emporté. En cinq minutes, il est possible d’observer

207. Le 7 mai 2013.

107

des partisans passer par toute une gamme d’émotion. La première fois, cela s’est produit lors

d’une observation chez Hughes alors que le Canadien reçoit les Sénateurs d’Ottawa208 au

Centre Bell. Il est accompagné de son ami José. Le match se termine sur le score de 3-3 et

les deux amis sont plutôt déçus que la partie se joue en tirs de barrage car le Canadien a mené

3-1 avant de perdre cet avantage significatif. Hughes n’est pas un fanatique à cause du stress

que cela occasionne, cela lui fait « pousser des cheveux blancs ». Cette séance de tirs de

barrage est relativement courte avec deux joueurs du Canadien qui marquent contre un seul

Sénateur. L’explosion de joie à la fin est à la hauteur de l’exercice. Mais cela n’empêche pas

les deux amis d’invectiver Carey Price après un tir de barrage concédé puis de le louer

quelques secondes après pour avoir stoppé le dernier tir des Sénateurs qui donne la victoire

au Canadien.

Dans le cas de Gisèle, cela n’a pas pu mieux tomber, car le Canadien affrontait les Bruins à

Boston209 et le match avait déjà donné lieu à un ascenseur émotionnel avec un score de 5 à

5, des retournements de situation et une égalité des Montréalais à huit secondes de la fin du

temps réglementaire. Pour elle, cela était déjà une grande satisfaction que le Canadien récolte

un point contre les Bruins compte tenu des circonstances du match (en plus d’avoir égalisé à

quelques secondes de la fin, le Canadien a remonté le score deux fois en revenant de 4 à 2 et

de 5 à 3). La séance de tirs de barrage a donné lieu à un scénario aussi excitant que le match.

Les onze premiers tireurs ont été mis en échec par les deux gardiens et c’est finalement le

douzième tireur qui a permis au Canadien de l’emporter. Au cours de ces douze tirs de

barrage elle a, tour à tour, applaudi, crié sa déception, serré les poings, grogné de frustration,

rigolé et exulté de joie. La joie d’avoir battu les Bruins chez eux, après une remontée

spectaculaire et une séance de tirs de barrage, l’a rendue très heureuse. Elle est passée par

toutes les émotions mais elle a fini sa soirée sur une note très positive. Ces deux séances de

tirs de barrage sont des concentrés d’émotions et de réactions qui peuvent faire penser à des

montagnes russes. Les participants sont déçus ou frustrés et, quelques secondes plus tard, ils

208. Le 13 mars 2013.

209. Le 27 mars 2013.

108

crient de joie. À l’image du match de hockey, les émotions les plus contradictoires peuvent

se succéder à un rythme assez effréné.

3.3 Les spécificités du match à domicile

Dans cette partie, nous abordons les spécificités de regarder le match de hockey à

domicile. Les raisons pour les participants sont multiples : par commodité, par préférence,

par économie, par nécessité, etc. Il est donc nécessaire de se pencher sur les motifs qui les

incitent à choisir leurs salons plutôt que le stade ou les bars et comment la passion des

téléspectateurs se distingue de celle qui se vit, en direct, dans les amphithéâtres. Les partisans

à domicile semblent y trouver certains avantages.

3.3.1 Selon les partisans

Sur les quatre participants, trois ont déjà assisté à des matchs au Centre Bell. Ismaël

n’a pas encore eu ce plaisir mais il a prévu d’y remédier dans le futur. Gisèle y a assisté en

janvier 2012, Stéphane y est allé quelques jours avant une de nos observations et Hughes est

un habitué du Centre Bell, y allant huit à neuf fois par saison. Du groupe des participants, il

est d’ailleurs le seul à reconnaître que, pour 50% des rencontres du Canadien, il n’est pas

chez lui. En effet, quand il n’est pas au Centre Bell ou à son domicile, il regarde les matchs

du Canadien chez des amis. Au cours des observations à son domicile, il y a toujours eu un

ou plusieurs amis avec lui. De son propre aveu, il est très rare qu’il regarde les matchs seul.

Gisèle se souvient parfaitement de son match au Centre Bell en janvier 2012 car Lars Eller,

joueur du Canadien, avait marqué quatre buts et avait fini la rencontre avec cinq points.

109

Performance rare pour être soulignée. Elle évoque cette expérience à plusieurs reprises au

cours des observations. Elle a beaucoup apprécié de pouvoir assister à un match du Canadien

dans son amphithéâtre notamment pour l’ambiance, surtout que l’équipe montréalaise l’avait

emporté sur un score assez large (7-3 contre les Jets de Winnipeg). Mais, souffrant d’un

problème de vue assez important, elle a eu du mal à suivre certaines actions. Regarder les

matchs de chez elle lui convient mieux. Elle peut ainsi se déplacer assez souvent de son

canapé à la petite table devant son poste de télévision afin de mieux suivre les actions et les

mouvements de la rondelle. Concernant Stéphane, c’est en famille qu’il est allé au Centre

Bell le 4 avril 2013 pour voir le Canadien défaire les Jets de Winnipeg 4-1 (hasard du

calendrier, la même équipe que le Canadien avait battue lors du match auquel Gisèle avait

assisté en 2012). Accompagné de sa compagne, du neveu et de la nièce de cette dernière, il a

pu profiter de l’ambiance partisane au domicile du Canadien. Le fait de se trouver sur place

l’a enchanté mais, pour le prix déboursé, il estime qu’il aurait été mieux chez lui devant son

écran avec sa bière. Le prix du billet ne se justifie que pour un match des séries selon son

avis. L’expérience a été bonne, surtout dans le cadre d’une sortie familiale, mais pour des

raisons économiques il préfère le confort de son domicile. Quant à Hughes, juste avant la

première observation à son domicile, il est allé voir le Canadien affronter les Penguins de

Pittsburgh au Centre Bell. Les Montréalais avaient perdu en prolongation sur le score de 7-

6. Il a donc assisté à un match de treize buts contre une des meilleures équipes de la ligue.

Le déplacement a donc largement valu la peine. D’ailleurs, quel que soit le résultat, la

question ne se pose pas pour lui. Il s’est toujours senti plus impliqué au Centre Bell du fait

de l’ambiance qui y règne. Il est transporté par la ferveur du lieu. Pour les matchs à son

domicile, il reconnaît que l’ambiance entre saison régulière et série est très différente. « Un

match de série reste un match de série » quel que soit l’endroit où il se passe selon lui. Ismaël,

qui n’est jamais allé au Centre Bell, estime que le meilleur endroit pour regarder un match

du Canadien est le domicile. La tranquillité est en effet une condition importante pour pouvoir

analyser et décortiquer chaque action.

Si les quatre partisans ont des raisons différentes de préférer les matchs à domicile, tous

s’accordent pour affirmer qu’ils ne se sentent aucunement moins partisans du Canadien que

110

ceux qui vont au Centre Bell. Il suffit d’ailleurs de les observer pour s’en rendre compte.

Pendant les matchs, il est arrivé qu’ils fassent allusion au public du Centre Bell en le trouvant

apathique quand l’équipe avait besoin d’encouragements. Le 1er match des séries chez

Gisèle210 peut servir d’illustration. Elle trouve le public montréalais très enthousiaste pendant

une bonne partie du match mais, en troisième période lorsque les Sénateurs prennent le dessus

sur le Canadien, elle déplore le silence de la foule alors que l’équipe a besoin de son soutien.

Le contraste avec elle est frappant tant elle exhorte son équipe à se dépasser. Elle regrette de

ne pas pouvoir se faire entendre. Il faut préciser que ces quelques remarques sur le manque

d’enthousiasme de la foule du Centre Bell ne reflètent que certains moments au cours de

plusieurs matchs et ne constituent donc pas un avis généralisé. D’ailleurs, les participants ont

aussi leurs moments de découragements au cours desquels les exhortations se font plus

discrètes. Les participants sont assez contents pour ceux qui peuvent profiter du spectacle en

direct du Centre Bell, même si, pour trois d’entre eux, ils sont très bien chez eux. Au final,

tout ce monde fait partie de la même communauté des partisans du Canadien de Montréal et

chacun exprime sa passion partisane à sa façon. Pour résumer « on les aime ou on ne les aime

pas » selon Gisèle.

3.3.2 De l’importance des commentaires

Un des avantages de regarder les matchs à son domicile est la possibilité pour les

participants de se lancer dans le match bien avant que les arbitres en donnent le coup d’envoi,

et de prolonger la soirée bien après que les équipes soient rentrées au vestiaire. En effet, la

couverture des matchs comprend des émissions d’avant et d’après-match et les émissions

d’entre périodes qui font les analyses des rencontres et abordent toute l’actualité de la ligue

nationale. Cette couverture complète permet aux partisans d’avoir non seulement des

informations sur les deux équipes qui s’affrontent, statistiques et images à l’appui, mais aussi

de connaître les sentiments des principaux acteurs ou des entraîneurs à la fin des matchs. Ces

210. Le 2 mai 2013.

111

émissions, très appréciées des partisans, constituent le complément idéal aux rencontres du

Canadien. Des quatre participants, seul Hughes fait volontairement l’impasse sur ces

émissions pour faire ses propres analyses.

Les jours de matchs, les quatre participants se tiennent au courant de l’actualité de la ligue et

plus particulièrement de celle du Canadien afin de connaître l’état des troupes : les blessés,

les joueurs laissés de côté par l’entraîneur, les changements de trios. Cet intérêt pour le match

de leur équipe commence même dès le lendemain du match précédent et culmine le jour de

la rencontre. Toutes les infos pertinentes sur le Canadien un jour de match sont décortiquées.

Il en va de même sur l’état de l’équipe adverse. Il est souvent arrivé que les participants

discutent avant les matchs ou pendant les entractes des informations qu’ils ont appris dans la

journée avec l’observateur. Tel joueur sera-t-il blessé longtemps ? Quelle sera la durée de la

suspension de tel joueur après son expulsion lors d’un match précédent, etc.? Ainsi, la

transaction qui ramène à Montréal Michael Ryder contre le départ d’Erik Cole aux Stars de

Dallas211 est longuement commentée par les participants. C’est d’ailleurs Hughes qui

l’annonce à l’observateur au cours de la pré-enquête à son domicile. Ensuite, Stéphane

évoque le sujet longuement au cours de l’émission précédant le match lors de l’observation

du lendemain212. Ils analysent laquelle des deux équipes a fait la meilleure affaire. Au cours

de toutes les observations, hormis chez Hughes, à l’arrivée de l’observateur, les trois autres

participants étaient connectés à l’émission d’avant-match. Cela était pour eux un moyen de

s’imprégner de l’ambiance. Ce petit rituel peut s’apparenter à l’échauffement pour les joueurs

sur la glace. Stéphane, Gisèle et Ismaël n’ont jamais dérogé à cette habitude. Ils analysent

toutes les dernières informations avant que la rencontre ne commence. Leur passion partisane

ne se limite donc pas au seul moment du match. Elle prend de la place entre les matchs et

empiète sur leur quotidien via les informations qu’ils suivent jour après jour sur leur équipe.

211. Le 26 février 2013.

212. Le 27 février 2013.

112

Au cours des entractes entre les périodes, RDS propose des émissions qui analysent les

périodes qui ont été jouées, des résumés des autres matchs de la soirée ou qui traitent des

sujets d’actualité de la ligue. Ces émissions prennent une grande importance dans une saison

amputée de plusieurs matchs; car tous les affrontements revêtent un intérêt pour le classement

général. En plus de la curiosité de savoir si les équipes ennemies ont gagné ou perdu, il est

nécessaire de savoir si le classement a évolué. Chaque résultat peut avoir une incidence sur

le classement général. Les résultats des autres équipes peuvent conditionner le sort du

Canadien, du coup, les participants ne ratent pas les résumés des autres matchs. De plus, ces

émissions pointent du doigt les aspects négatifs et mettent de l’avant les aspects positifs du

jeu du Canadien au cours de la période qui vient de se terminer. Les analystes sont des

journalistes chevronnés ou d’anciens joueurs de la ligue nationale et leurs analyses sont prises

très au sérieux par les participants. Cela les conforte dans leurs propres analyses ou leur ouvre

de nouvelles perspectives envers tel ou tel aspect du jeu. Bien sûr, il arrive qu’ils ne soient

pas en accord avec les dires de ceux qui animent l’entracte et ils argumentent devant leur

écran ou en prenant l’observateur à témoin pour souligner leur désaccord. Ainsi, comme

évoquée plus tôt, une mise en échec lors du premier match des séries provoque la blessure

d’un joueur du Canadien. En plus de vouloir avoir des informations sur le sort du joueur

montréalais, Gisèle veut absolument entendre les commentaires des spécialistes sur ce geste

violent. Les analyses sur des faits de jeu qui soulèvent des controverses sont ainsi attendues

par les participants. Le besoin de se confronter aux analyses des experts s’est poursuivi en

fin de match.

Les soirées ne se terminent jamais avec les derniers coups de patins des joueurs. Elles se

prolongent bien après les matchs. L’émission phare de RDS, l’Antichambre, est un moment

attendu par Stéphane, Gisèle et Ismaël. Ils ont systématiquement indiqué à l’observateur leur

intention de regarder cette émission. Après les matchs, ils souhaitent entendre des analyses

poussées et des débats de spécialistes sur ce qu’ils ont vu. Cette émission réunit d’anciens

joueurs et entraîneurs, des journalistes, en somme des personnes chevronnées dans leurs

domaines respectifs. Même quand ils ne peuvent pas regarder l’Antichambre, les participants

l’enregistrent. Ainsi, par deux fois Ismaël enregistre l’émission car il doit ramener la cousine

113

de sa femme, Doriane, et son ami, Brunel, à l’issue des soirées. Que le match se termine par

une victoire ou une défaite, les participants veulent entendre les invités de l’émission donner

leur avis sur la performance du Canadien. Ils ont des invités qu’ils préfèrent plus que les

autres. Gisèle, par exemple, a une préférence pour P.J. Stock, ancien joueur de la ligue

nationale, ou Michel Bergeron, ancien entraîneur des Nordiques de Québec notamment. Les

matchs ne peuvent tout simplement pas se finir avec le dernier coup de sifflet de l’arbitre.

Encore une fois, il s’agit de se confronter aux analyses des spécialistes. De plus, cette

émission permet de suivre les entretiens des joueurs, à chaud, au sein même de leurs

vestiaires. Les acteurs parlent directement de ce qu’ils viennent de vivre quelques instants

auparavant. C’est un avantage certain pour eux qui ont fait le choix de regarder les matchs

du Canadien à domicile. Cette expertise, que propose RDS à travers tous ces moments, rend

le match du Canadien plus complet pour les participants.

Concernant Hughes, ses réticences pour les avant-matchs, les analyses d’entracte et les après-

matchs sont dues au simple fait qu’il estime ne pas en avoir besoin. Ses réticences sont

accentuées par ce qu’il pense de RDS : il ne considère pas ce média adapté à la couverture

des matchs de hockey. À chaque début d’observation, avant que le match ne commence, il

discute avec le ou les amis qui l’accompagnent pour la soirée. La télévision est allumée mais

uniquement en bruit de fond. Pendant les entractes entre les périodes et les fins de matchs, il

analyse ce qui vient de se passer avec ses amis sans se soucier de ce qui passe à RDS. S’il

veut savoir un résultat de match, il va sur Internet avec son ordinateur ou avec son téléphone.

Hughes est complètement imperméable aux analyses qui émanent des spécialistes de RDS.

Son attitude peut sans doute s’expliquer par le fait qu’il ne regarde quasiment jamais les

matchs seul. Quand il ne reçoit pas ses amis chez lui, il est chez eux ou au Centre Bell. Il

aime se rendre au Centre Bell et s’entourer d’amis pour les matchs du Canadien.

Dans les raisons invoquées pour expliquer pourquoi ils regardent les matchs de chez eux,

entendre les commentaires en direct lors de la retransmission arrive au premier rang. Selon

Stéphane, rien ne remplace les commentaires en direct, pas même l’ambiance survoltée du

114

Centre Bell. Pendant les observations, les participants ont toujours été attentifs aux

commentaires de match, que ce soit pour abonder dans leur sens ou pour les critiquer.

Stéphane qui est plus au fait des aspects techniques du jeu rebondit souvent sur les analyses

des journalistes sur le sujet. Par exemple, avec le neveu de sa femme ou avec l’observateur,

Stéphane prend le temps d’expliciter certains propos techniques des journalistes en langage

plus profane. En tant qu’habitués des matchs à la télévision, les participants connaissent les

expressions ou habitudes de certains journalistes. Ismaël et Gisèle ont souvent réclamé que

le fameux « et le but » de Pierre Houde survienne quand le Canadien se trouvait en attaque.

Les analyses de Marc Denis et la verve de Pierre Houde, les deux commentateurs, font

beaucoup pour l’appréciation du visionnement du match de hockey à domicile. Décriés ou

appréciés, les commentaires en direct font partie intégrante du match de hockey à domicile.

3.4 La rhétorique du partisan

Le match de hockey a proposé un vaste éventail de sujets abordés par le partisan devant

son écran de télévision. Que ce dernier soit seul ou en groupe, son expression verbale ne se

tarit quasiment jamais. Match après match, les quatre partisans de cette étude, ainsi que les

personnes qui les ont entourées, ont parlé des joueurs adverses, des joueurs du Canadien de

Montréal, des arbitres, de leur club de cœur, du jeu, tantôt sur un mode sérieux, tantôt sur un

mode humoristique, tantôt sur un mode pessimiste, tantôt sur un mode optimiste. Il est

question ici uniquement des sujets ayant trait au hockey car au cours des dix-neuf

observations de l’étude, il a également été question de sujets variés sans rapport avec le sport

ou ayant un rapport assez lointain. Les sujets qui ne touchent pas le hockey ont été, la plupart

du temps, abordés par Hughes et ses invités. En fonction des matchs et de leur intérêt, le

hockey pouvait passer complètement au second plan. Cela est d’ailleurs une des particularités

des observations chez Hughes comme nous le verrons par la suite.

115

3.4.1 Admiration et ressentiment envers les joueurs

N’importe quel partisan, quel que soit le sport, a des joueurs qu’il apprécie plus que les

autres dans son équipe favorite. L’appréciation pour un joueur en particulier peut s’expliquer

par sa façon de jouer, par son tempérament, par son éthique de travail ou encore par sa

combativité. Cette liste n’est pas exhaustive et peut recouvrir de nombreux autres éléments.

Les partisans s’identifient aux joueurs qui portent les couleurs de leur équipe favorite. « Qui

aime bien, châtie bien » est un dicton qui s’applique aux observations tant les sentiments des

participants ont oscillé entre admiration et ressentiment envers les joueurs du Canadien de

Montréal.

Au cours de certaines observations, les quatre participants se sont montrés particulièrement

sévères envers certains joueurs. Il n’était pas rare de les voir critiquer un mauvais jeu, un

mauvais tir ou une mauvaise passe effectués par un joueur du CH. Souvent, la constance de

leurs reproches a été assez remarquable pour durer pendant toute l’observation. Deux

exemples sont symboliques de ces soirées au cours desquelles les partisans ont pointé un

joueur du doigt pendant tout un match. Le 30 mars 2013, le Canadien l’emporte sur les

Rangers de New York au Centre Bell assez facilement, sur le score de 3-0. Malgré cela,

Ismaël n’a eu qu’un nom à la bouche : Alexeï Emelin, défenseur russe du Canadien de

Montréal. Dès le début du match, Ismaël déclare qu’il ne sent pas le défenseur dans les

meilleures dispositions et les premières minutes le confortent dans son avis. Par la suite,

Ismaël ne passe aucune de ses erreurs sous silence. Le 15 avril 2013, le Canadien est très

largement défait au Centre Bell par les Flyers de Philadelphie 7-3 et Stéphane juge la

prestation du défenseur du Canadien, Nathan Beaulieu, désastreuse. Il estime que sa nervosité

est impardonnable à ce niveau. Pendant toute la soirée, Stéphane formule des critiques sur

son jeu. Ce sont là deux exemples, parmi d’autres, des critiques que les participants ont pu

faire envers les joueurs du Canadien de Montréal. Ces critiques ont toujours été basées sur

ce qui se passait sur la glace et ne concernaient pas personnellement les joueurs : les erreurs

de jeu étaient pointées et non le joueur ou l’homme. On ne peut pas parler de critiques

116

gratuites car au cours des deux matchs évoqués, les analystes de la télévision font la même

analyse qu’Ismaël et Stéphane sur le jeu d’Emelin et de Beaulieu. D’ailleurs, aucun des deux

participants n’a remis en cause le talent de ces joueurs. Ainsi, au cours de l’observation

suivante chez Ismaël, ce dernier, inquiet de la blessure et de la possible absence d’Emelin,

s’alarme pour ce « pilier de la défense ». Si ces reproches peuvent passer pour de la simple

exaspération de partisan, d’autres critiques ont été plus cinglantes et ont remis en cause autre

chose que les simples lacunes techniques des joueurs.

Ainsi, il n’a pas été rare d’observer un des quatre participants fulminer contre un joueur

montréalais et remettre en cause son attitude et cela est considéré plus grave qu’une simple

erreur technique. Là encore, ce n’est pas le talent du joueur qui a été mis en cause, mais plus

une certaine nonchalance ou, pire, un manque de cœur qui pousse le joueur à ne pas se donner

à fond sur la patinoire. En effet, dans un sport collectif où le sacrifice et la combativité sont

élevés en vertus, manquer de cœur est un défaut pointé du doigt par les partisans, les

journalistes et les joueurs eux-mêmes. Des joueurs sans talents particuliers, mais avec du

cœur seront toujours acclamés par les partisans tandis qu’un joueur talentueux sans cœur sera

pointé du doigt par ces mêmes partisans. Les partisans s’identifient plus aux joueurs

laborieux qui jouent avec ardeur qu’aux joueurs talentueux qui se reposent uniquement sur

leur talent. Le nom de Travis Moen, attaquant du Canadien, est souvent revenu dans les

observations pour son manque d’entrain sur la patinoire. Hughes et Stéphane lui ont souvent

reproché de ne plus s’impliquer aussi physiquement que lors de son arrivée à Montréal.

Stéphane a été particulièrement critique envers lui à plusieurs reprises, le raillant à propos de

ses présences fantomatiques sur la glace. Dans ces conditions, il s’est plusieurs fois demandé

quelle était encore l’utilité de ce joueur à Montréal. Max Pacioretty, autre attaquant du

Canadien, a aussi été critiqué pour un certain manque de volonté dans les moments

importants. Ce jeune joueur talentueux, considéré comme le futur de l’équipe, a été traité de

« tricheur » lors d’une observation pour son manque d’implication au jeu et pour sa tendance

à disparaître quand l’équipe a eu besoin de lui. Un dernier exemple de joueur critiqué par les

participants de l’étude pour son attitude a été le gardien, Carey Price. Comme Max Pacioretty,

il incarne le futur de l’équipe selon les partisans et les médias qui suivent le Canadien. De

117

par son poste de gardien, il porte sur ses épaules les espoirs de Coupe Stanley de tout un

peuple. En effet, sans un gardien solide, voire génial, la Coupe Stanley n’est pas

envisageable. La pression sur ses épaules est d’autant plus forte que des joueurs devenus des

légendes, comme Ken Dryden ou Patrice Roy, l’ont précédé dans l’uniforme rouge et blanc.

Les reproches qui sont souvent revenus à son propos lors des observations ont été sa

nonchalance et son manque de confiance en lui. Gisèle s’est souvent questionnée sur son

implication, notamment lors des matchs au Centre Bell. Sa nonchalance est revenue plusieurs

fois dans les propos des participants, surtout quand elle a causé des buts ou a mis le Canadien

en mauvaise posture. Toutes ces critiques ont été contrebalancées par l’amour que les

participants éprouvaient pour ces mêmes joueurs.

La saison précédant celle de l’observation, 2011-2012, a été particulièrement difficile pour

le Canadien de Montréal et pour ses partisans et l’avenir du club ne semblait pas plus brillant.

Ainsi, avant le début de la saison de l’étude, on a plus évoqué une saison de transition avec

une nouvelle équipe dirigeante et la promotion de jeunes joueurs. Cette impression de

transition a pris encore plus de poids avec le raccourcissement de la saison de 82 à 48 matchs.

Le bon début de saison du Canadien a toutefois permis aux jeunes joueurs de se montrer à

leur avantage et d’être très appréciés par les partisans. Cela s’est ressenti lors des

observations. Les « jeunes » (Brendan Gallagher, Lars Eller, Alex Galchenyuk ou encore

P.K. Subban) ont tous été loués par les quatre participants pour leur talent, leur abnégation et

leur énergie. Ces joueurs ont apporté un vent de fraîcheur dans l’équipe et les participants de

l’étude en ont été conscients. Au cours de certains matchs à l’issue incertaine, tous les espoirs

ont reposé sur eux selon divers commentaires : contre les Flyers de Philadelphie213, Stéphane

estime qu’ils sont les seuls à pouvoir marquer ; contre les Jets de Winnipeg214, Hughes et ses

amis constatent que les vétérans ne font pas leur travail contrairement aux « jeunes » ; contre

les Bruins de Boston215, Gisèle parie sur un but d’un des jeunes et contre le Lightning de

213. Le 15 avril 2013.

214. Le 25 avril 2013.

215. Le 27 mars 2013.

118

Tampa Bay216, Ismaël et son ami Brunel les encouragent à prendre les choses en mains. Tout

au long des observations, les « jeunes » ont été félicités et admirés pour leurs efforts.

Les participants de l’étude ont apprécié les efforts et le talent des joueurs du Canadien de

Montréal, mais Ismaël a véritablement fait preuve d’une admiration sans borne pour le

défenseur P.K. Subban tout au long des cinq soirées passées en sa compagnie. Dès la

première observation contre les Rangers de New York,217 cela est apparu de façon flagrante,

d’autant plus que, pendant cette rencontre, il a constamment critiqué le jeu d’Alexeï Emelin.

La comparaison entre les deux joueurs a été cruelle pour le défenseur russe tant les éloges

sur Subban ont été dithyrambiques de la bouche d’Ismaël. Toutes les actions du jeune

défenseur canadien ont trouvé grâce à ses yeux. Au cours des quatre autres observations, son

admiration ne s’est jamais démentie : l’audace de son jeu, la puissance et la précision de son

tir, son endurance, sa technique ou son caractère. Dès que le Canadien évoluait en avantage

numérique, il espérait un but de Subban. Son admiration a été jusqu’à l’exonérer de certaines

erreurs. Une seule fois, il s’est permis de le critiquer au cours des cinq matchs observés. Cette

admiration pour P.K. Subban était partagée par sa femme et la cousine de cette dernière. Lors

de leur seule présence, elles ont avoué que Subban était le seul joueur qu’elles connaissaient

et qu’elles l’appréciaient. L’ami d’Ismaël, Brunel, était également un grand amateur du

défenseur canadien. Au cours des deux observations auxquelles il a assisté, il a été au

diapason d’Ismaël au sujet de Subban. Cette admiration se teintait d’un autre sentiment pour

Ismaël et ses proches. En effet, le fait qu’un joueur Noir soit devenu une vedette dans une

ligue, où les joueurs de couleur sont rares, était un motif de fierté.

Les deux sentiments, admiration et ressentiment, envers un même joueur peuvent se

manifester au cours de la même rencontre. La passion des participants est telle qu’ils passent

souvent d’un extrême à l’autre en un instant : un joueur est vilipendé à la suite d’une

216. Le 18 avril 2013.

217. Le 30 mars 2013.

119

mauvaise action de sa part puis, dix minutes plus tard, le même joueur est salué et acclamé

après avoir marqué un but. Cela peut même survenir au cours de la même séquence. Ainsi,

lors d’un match entre le Canadien et les Islanders de New York218, le capitaine montréalais,

Brian Gionta s’est successivement vu reprocher un mauvais jeu puis recevoir des félicitations

dans la continuité de l’action par Stéphane. Ce dernier en a été d’ailleurs conscient et a

reconnu que les choses allaient vite dans un match. Les attaquants montréalais ont souvent

été victimes de ces jugements opposés de la part des quatre participants de l’étude. De par

leur position, ils sont plus à même de marquer des buts, mais aussi de les rater. Au cours des

matchs, les participants se sont énervés de voir les attaquants du CH rater la cible puis les ont

félicités chaleureusement après que ceux-ci eurent marqué un but. Mais la personne la plus

susceptible de recevoir louanges et reproches au cours du même match est le gardien de but.

Que ce soit Carey Price ou Peter Budaj, les deux gardiens du Canadien, ils ont été au centre

des commentaires contradictoires de la part des participants. Dans le cas des gardiens de but,

le passage « de héros à zéro » tient à peu de choses et, au hockey, il tient à un arrêt. Malgré

son statut de futur de la franchise montréalaise, Carey Price est autant apprécié que critiqué.

Lors d’un match contre les Jets de Winnipeg219, Hughes et ses amis se sont divisés sur les

deux buts encaissés par le gardien du CH. Pour les uns, il était fautif et pour les autres les

défenseurs étaient à blâmer. Carey Price a cristallisé les avis contradictoires des participants

tout au long des observations. Tantôt il a été jugé « peu serein », « chancelant », « fautif »,

tantôt il est apparu comme un « génie », un « roc », le « futur meilleur gardien de la ligue ».

Cet exemple illustre bien la rapidité à laquelle les choses se déroulent au cours d’un même

match. La passion partisane passe par différents sentiments et les participants ont été très

conscients de ce fait. Ils se sont même amusés d’être observés en flagrant délit de

« retournement de veste ».

218. Le 21 février 2013.

219. Le 25 avril 2013.

120

3.4.2 Humour et pessimisme envers les faits de jeu

Au cours des observations, les quatre participants et leur entourage se sont exprimés

par de nombreuses touches d’humour. Dans ce loisir à la fois ludique et sérieux, qu’est le

spectacle sportif de la retransmission d’un match de hockey à la télévision, l’humour est

utilisé de différentes façons par les protagonistes. Ces derniers ont fait preuve de beaucoup

d’autodérision en se moquant de leur enthousiasme excessif ou de leurs propres réactions.

Même si le fait d’être observés a été un bon moyen de se moquer d’eux-mêmes, ils ont été

conscients que leurs réactions ont pu prêter à sourire. Ils ont été lucides sur le fait que la

retransmission du match de hockey du Canadien de Montréal représentait un intermède au

cours duquel les émotions ont été plus vives. À plusieurs reprises, Stéphane s’est montré

devin sur les buts encaissés par son équipe favorite. En bon connaisseur de hockey, il a cette

faculté de prédire les buts avant que ceux-ci ne soient comptés. S’il en a retiré une petite

fierté, au final, cela n’a pas atténué sa déception. Il a souvent regretté de ne pas être un

analyste pour RDS après ses prédictions fatales au CH. De même, Gisèle a souvent dû faire

avec l’humour de son mari, Denis, quand le Canadien se trouvait en mauvaise posture. Ses

pronostics ont toujours été en défaveur du CH et quand ce dernier a été mené, il n’a jamais

hésité à taquiner son épouse. Si elle lui a souvent dit que le moment n’était pas bien choisi,

la plupart du temps, elle a pris les choses avec humour en se moquant d’elle-même et de la

situation de ses favoris. Dans le même registre, on peut citer Hughes et ses amis qui se font

surprendre par un but assez bizarre marqué par le Canadien. Le décalage entre le but et les

réactions de joie a été si long et particulier, que Sébastien, un ami de Hughes, l’a justifié en

déclarant que la qualité du but les a freinés dans leur célébration.

L’utilisation de l’humour de la part des participants intervient aussi quand il s’agit de juger

les performances du Canadien de Montréal. Certaines maladresses ou attitudes des joueurs

montréalais ont donné lieu à des commentaires sarcastiques comme lorsque les attaquants

rataient une occasion « immanquable » ou lorsque ces derniers accumulaient les échecs face

au gardien adverse. À plusieurs reprises, ils se sont moqués de l’avantage numérique de leur

121

équipe favorite, le qualifiant même de « farce » ou « d’inoffensif » tant il a été stérile. Mais

la plupart du temps, nous pouvons évoquer un humour de dépit, notamment au cours des

défaites du CH, une façon de relativiser une tournure de match qui n’a pas été favorable au

Canadien. Lorsque ce dernier a perdu, Stéphane a été assez lucide pour reconnaître la

supériorité de l’équipe gagnante et les faiblesses de son équipe. Cette lucidité est doublée

d’un humour de dépit assez développé. Il s’est souvent amusé des déboires défensifs de son

équipe. Ainsi, lors des défaites du Canadien de Montréal face aux Capitals de Washington220

et des Flyers de Philadelphie221, les erreurs des défenseurs montréalais ont été si flagrantes

qu’il a préféré en rire au lieu de s’emporter. Cet humour peut se manifester lorsque l’issue

du match est scellée et qu’il ne reste que quelques minutes à jouer. Les plaisanteries portent

alors sur l’impossibilité du Canadien à remonter plusieurs buts en quelques minutes. Le sort

du match ne fait plus guère de doute mais plaisanter est un moyen de ne pas se laisser abattre.

Gisèle aussi peut faire preuve d’humour de dépit lorsque les choses sont mal engagées pour

le Canadien. Au cours d’un match contre les Leafs de Toronto222, face à la réussite insolente

des joueurs de Toronto et la défaillance des gardiens montréalais qui se sont succédés au

cours de la rencontre, elle s’est déclarée prête à les remplacer. Cet humour de dépit se

manifeste également par une certaine « sympathie » envers le public du Centre Bell qui

assiste aux défaites du Canadien de Montréal. Les participants qui ont assisté à ces défaites

de chez eux ont éprouvé une certaine compassion, largement teintée d’ironie, pour ceux qui

ont payé leurs places pour y assister en direct. L’humour sert à se distancier de la déception

d’une défaite et à atténuer sa portée, comme une sorte de carapace pour relativiser la défaite

de ses favoris. Mais l’humour n’est pas le seul moyen utilisé par les partisans pour « se

protéger » de la défaite.

À plusieurs reprises, une attitude pessimiste a été exprimée au cours des observations pour

conjurer le sort. En effet, si dès le début du match on considère que la victoire est acquise à

l’équipe adverse, un résultat contraire ne peut être qu’une bonne surprise. Bien sûr, on

220. Le 9 avril 2013.

221. Le 15 avril 2013.

222. Le 13 avril 2013.

122

souhaite secrètement que ce soit le cas mais, en énonçant haut et fort le contraire, on atténue

la déception. Au cours des matchs observés, plusieurs fois les participants ont déclaré de

façon péremptoire « c’est fini » dès que les équipes adverses ont marqué contre le Canadien.

Ces marques de découragement ont pu être courtes ou durer pendant une grande partie des

matchs, mais au final elles ont servi à conjurer le sort. Il a ensuite suffi d’un but ou d’une

action significative du Canadien pour que le pessimisme laisse place à l’optimisme. Dans les

cas où le CH est mené de façon significative (5 à 1 ou 7 à 3), ce pessimisme peut être réel,

mais quand le déficit n’est que d’un but, la sentence « c’est fini » peut paraître un peu

prématurée.

La dernière observation de l’étude rend compte d’une suite ininterrompue de pessimisme.

Elle a lieu chez Ismaël et concerne le dernier match de la série éliminatoire entre le Canadien

et les Sénateurs d’Ottawa223. En cas de défaite, l’équipe montréalaise est éliminée. Au

moment de la confirmation de l’observation avec l’observateur, Ismaël annonce qu’il ne croit

pas à une victoire du Canadien. Le jour de l’observation, il a multiplié les déclarations dans

ce sens : trop de blessés chez les Montréalais, un meilleur gardien chez les Sénateurs,

l’insolente réussite des attaquants d’Ottawa, l’inefficacité de l’attaque montréalaise, autant

de signes qui ne trompent pas selon lui. Il ne se défait de son attitude pessimiste qu’au

moment du but du CH, pour y replonger après un autre but des Sénateurs. Son attitude tout

au long de la rencontre démontre que ce pessimisme n’est qu’une façade car il a vibré à

chaque occasion et son souhait était une victoire du Canadien. Il a gardé tout au long de la

rencontre l’espoir que son équipe l’emporte sans jamais l’exprimer à haute voix. À d’autres

occasions, ce pessimisme de façade a ressurgi. Par exemple, Gisèle a souvent eu ces mots,

« c’est fini » lorsque le Canadien s’est trouvé mené et que le temps du match tirait à sa fin.

Mais cela ne l’empêchait pas de continuer à guetter la moindre occasion de marquer du

Canadien. Ces quelques exemples illustrent une facette des participants : annoncer le pire en

espérant que le meilleur se produise. Il ne s’agit pas ici de dire que les participants font preuve

de pessimisme volontairement afin de tromper le chercheur. Ce mécanisme de « défense »

223. Le 9 mai 2013.

123

n’est pas une supercherie. Les participants ne sont sûrement pas conscients qu’ils utilisent ce

moyen de défense mais, entre leurs propos et leur façon d’agir, il y a un décalage qui permet

de se rendre compte de la situation.

3.4.3 Le traitement de l’adversaire

Les observations ont porté sur des matchs entre le Canadien et des équipes

considérées comme leurs rivales (Bruins de Toronto, Maple Leafs de Toronto), des équipes

réputées plus faibles (Islanders de New York, Sabres de Buffalo) ou des valeurs sûres de la

ligue nationale (Rangers de New York, Flyers de Philadelphie). Toutes ces rencontres ont

généré énormément de commentaires sur les équipes adverses : certains virulents, d’autres

respectueux et admiratifs et un certain nombre teinté de « mauvaise foi » partisane.

La saison réduite voit le Canadien lutter pendant un moment pour la première place de la

Conférence Est malgré la saison catastrophique que le club a précédemment vécue. Les

partisans se sont, eux aussi, pris à rêver de succès. Ainsi, lorsque le Canadien joue contre des

équipes considérées comme plus faibles, les participants imaginent des victoires faciles. Les

Islanders de New York font partie de ces équipes et, hasard du calendrier, ils ont affronté

deux fois le Canadien pendant les observations ciblées (une fois au Centre Bell224 et une fois

à New York225). Ces deux matchs se sont soldés par des victoires de l’équipe new-yorkaise,

dont une défaite humiliante de 6-3. Si Stéphane s’est montré déçu et frustré de voir le

Canadien perdre contre une équipe classée seulement douzième de la Conférence Est, il en a

été tout autrement pour Hughes et son ami Maxime. En effet, au cours de cette observation,

ils ont beaucoup plaisanté sur les Islanders. D’abord sur la façon dont l’équipe est gérée

depuis des années. En effet, cette équipe, qui a remporté quatre Coupes Stanley d’affilée

224. Le 21 février 2013 chez Stéphane.

225. Le 5 mars 2013 chez Hughes.

124

entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, est depuis le milieu des années 1990,

une équipe banale qui a du mal à se reconstruire. Ensuite, les deux amis n’ont jamais envisagé

que le CH puisse perdre jusqu’au moment où les New yorkais ont marqué un quatrième but.

Pour eux, cette défaite a été une déception car le CH s’était précédemment bien comporté

contre des équipes jugées meilleures alors que les Islanders étaient parmi les derniers de la

Conférence Est. Les deux amis n’ont jamais pris cette équipe au sérieux au cours de la

rencontre. Ce type de commentaire est souvent revenu lorsque des équipes réputées plus

faibles ont mené la vie dure au CH. Ces commentaires révèlent la frustration de ne pas voir

le Canadien dominer ces matchs de bout en bout. A contrario, certaines équipes, vues comme

des équipes solides de la ligue, n’ont pas fait jeu égal avec le Canadien au plus grand

étonnement des participants. Ismaël s’est montré particulièrement surpris de la façon dont

son équipe a maîtrisé les matchs contre les Rangers de New York226 ou le Lightning de Tampa

Bay227. Il a été surpris de constater que ces deux équipes n’ont pas mieux performé contre le

Canadien.

Certains matchs ont donné lieu à des sentiments beaucoup plus prononcés que ceux observés

précédemment. Les rencontres contre les Maple Leafs et les Bruins de Boston ont

particulièrement exalté les participants, ces deux équipes étant des ennemies « héréditaires »

du Canadien de Montréal. Les matchs contre ces deux équipes ont toujours eu une saveur

particulière pour les partisans. La saison 2012-2013 n’a pas fait exception à la règle, d’autant

plus que les trois équipes se retrouvent à lutter pour les premières places de leur division et

de la Conférence Est. Au moment des premières observations, le Canadien et les Leafs se

sont déjà rencontrés deux fois et à chaque fois l’équipe torontoise l’a emporté au Centre Bell

(2-1 et surtout 6-1), tandis que les Bruins l’ont aussi emporté à Montréal lors de leur unique

rencontre. Un esprit de revanche habitait donc les participants. Cinq matchs ont pu être

observés contre ces deux équipes avec un bilan de quatre victoires pour le Canadien contre

une seule défaite : le 27 février 2013, victoire contre les Leafs 5-2; le 27 mars 2013, victoire

contre les Bruins 6-5 en fusillade ; le 6 avril 2013, victoire contre les Bruins 2-1 ; le 13 avril

226. Le 30 mars 2013.

227. Le 18 avril 2013.

125

2013, défaite contre les Leafs 1-5 et le 27 avril 2013, victoire contre les Leafs 4-1. Au cours

de ces matchs, l’excitation a été à son maximum et le sentiment de rejet, clairement

revendiqué et assumé par Gisèle envers les Bruins a été palpable chez les participants. Du

public des Bruins critiqué pour sa propension à siffler continuellement P.K. Subban (le public

du Centre Bell faisait la même chose envers le capitaine de Boston, Zdeno Chara), en passant

par l’état de la patinoire de Toronto, jugé déplorable par Stéphane, rien n’a été épargné et

surtout pas la robustesse des deux équipes qualifiées de brutales. Bien entendu, aucun joueur

de ces deux équipes n’a trouvé grâce aux yeux des participants, les qualificatifs « jaune » (se

dit d’un joueur qui provoque mais n’assume pas les conséquences de ses actes), « joueur de

merde », « jaloux » ont été prononcés à quelques reprises.

Les victoires montréalaises n’ont pas seulement donné lieu à la satisfaction des deux points

engrangés, mais à une joie jubilatoire. En effet, les défaites précédentes ont été vengées, les

ennemis de toujours ont été vaincus et la perspective de les devancer au classement ont été

autant de motifs de satisfaction. La seule défaite du Canadien au cours de ces cinq rencontres

(5-1 contre les Leafs à Toronto le 13 avril 2013) a été imputée à la « malchance » par Gisèle,

car, selon elle, le Canadien a beaucoup plus tiré au but que les Leafs et les gardiens

montréalais n’ont pas été dans un bon jour. Au cours de ce même match, le jeu robuste des

joueurs torontois a été mis sur le compte de leur jalousie envers le Canadien. Même quand

l’équipe montréalaise ne jouait pas contre une de ces deux équipes, les participants se tenaient

au courant de leurs résultats. L’annonce de leurs défaites a fait le plus grand bonheur des

participants, surtout dans l’optique du classement final. Au cours d’une observation chez

Gisèle où le Canadien a été battu, l’annonce de la défaite des Bruins lui a fait dire que la

soirée n’était pas complètement gâchée. Cela résume assez bien les sentiments des

participants envers ces deux équipes.

Pour plusieurs amateurs de hockey, la véritable saison commence avec les séries

éliminatoires. Cela s’est vérifié au cours de l’étude. L’affrontement entre le Canadien de

Montréal et les Sénateurs d’Ottawa a donné lieu à du hockey physique, à des polémiques, a

126

un peu de joie et beaucoup de frustration du côté des partisans montréalais. Au cours de la

saison régulière (où le Canadien a fini à la 2e place et les Sénateurs en 7e position dans la

Conférence Est), les deux équipes se sont rencontrées à quatre reprises avec deux victoires

de chaque côté. Ces matchs n’ont pas donné lieu à des faits de jeu particulier, à l’image d’une

observation effectuée chez Hughes qui a vu la victoire du Canadien en tirs de barrage228. Le

match a été relativement tranquille. D’ailleurs, malgré la proximité des deux villes, elles

n’ont jamais été considérées comme rivales. Les séries de la saison de l’étude ont changé la

donne, au moins pendant cinq matchs (les Sénateurs remportent la série 4 victoires à 1). Les

participants étaient très excités, surtout après une saison 2011-2012 sans séries, et ils avaient

bon espoir que leur équipe favorite l’emporte face à l’avant-dernière équipe qualifiée dans la

Conférence Est. Dès le début de la première observation des séries229, Gisèle a fait preuve

d’irritation à la suite des propos des Sénateurs sur la meilleure façon de rendre la foule du

Centre Bell silencieuse : en marquant le premier but (ce genre de propos est assez courant

quand l’équipe visiteuse doit affronter une foule hostile). Son irritation s’est transformée en

énervement face aux échecs répétés du Canadien pour marquer, à l’insolente réussite des

Sénateurs, leurs célébrations et la blessure grave d’un joueur du Canadien. La défaite a été

particulièrement cruelle pour elle.

L’avant-dernier match de la série observé chez Stéphane230 a également donné lieu à une

montée de tension. Ce match suivait une humiliante défaite du Canadien 6-1 à Ottawa au

cours de laquelle les Sénateurs ont clairement dominé, tant au plan du jeu qu’au plan

physique. Pour Stéphane, il fallait absolument venger cette défaite et revenir à égalité dans

la série (les Sénateurs étaient alors en avance avec deux victoires contre une). Le match a été

une déception totale avec de nouvelles blessures de joueurs importants et un déroulement

cruel : domination du Canadien avec deux buts d’avance, mais retour des Sénateurs à vingt-

deux secondes de la fin et victoire de leur part en prolongation. Au cours de ce match, il a

beaucoup pesté contre le sort et contre les Sénateurs. Les participants ont déclaré qu’ils

228. Le 13 mars 2013.

229. Le 2 mai 2013.

230. Le 7 mai 2013.

127

regardent le hockey pour ce genre de confrontation qui leur procure des émotions contrastées

en transformant une série entre deux équipes sans rivalité en une véritable guerre.

3.4.4 L’esprit sportif des participants

Les partisans de l’étude n’ont pas seulement fait preuve de ressentiment ou de

sentiments peu amènes envers les adversaires du Canadien. Ils ont aussi fait preuve d’esprit

sportif en reconnaissant des qualités aux équipes ou joueurs adverses. À plusieurs reprises,

ils – notamment Hughes et ses amis ou Stéphane – ont su reconnaître la beauté des buts des

équipes adverses. Hughes et Stéphane s’intéressent beaucoup aux aspects techniques des

matchs et ils ont l’œil pour constater qu’une action adverse est bien menée, qu’elle aboutisse

à un but ou non. Ismaël a manifesté beaucoup de respect pour le gardien des Sénateurs, Craig

Anderson, au cours du dernier match des séries231. Face à ses incessants arrêts sur les

attaquants du Canadien, il a reconnu son grand talent malgré la défaite du CH. Gisèle aussi a

rendu hommage au gardien des Devils du New Jersey, Martin Brodeur, qui, année après

année, a réussi à s’imposer devant les attaquants montréalais. Pendant le match observé entre

les Devils et le Canadien232, elle a déclaré à plusieurs reprises que « ce sera dur » tant Martin

Brodeur lui inspirait de la crainte. Hughes et ses amis ont montré beaucoup d’admiration

pour Daniel Alfredsson et Sidney Crosby, respectivement capitaines des Sénateurs d’Ottawa

et des Penguins de Pittsburgh, qui, lors des matchs contre le Canadien, ont étalé tout leur

talent. Ces deux joueurs ont toujours connu de bons matchs contre le Canadien et cela s’est

encore vérifié lors des matchs observés au cours desquels ils ont été présents. Tous les amis

d’Hughes n’ont pas été d’accord sur les éloges faits à Sydney Crosby mais la majorité l’a

emporté. Lors de la dernière observation chez Hughes, le Canadien se rend à Winnipeg pour

y affronter les Jets233. Il doit gagner pour sécuriser la quatrième place de la Conférence Est

(et espérer la deuxième place en fonction des résultats des Bruins de Boston et de son dernier

231. Le 9 mai 2013.

232. Le 23 avril 2013.

233. Le 25 avril 2013.

128

match contre les Leafs), mais les Jets doivent aussi gagner pour encore avoir une chance

d’obtenir la dernière place qualificative pour les séries. Hughes et ses compagnons ont de la

sympathie pour Winnipeg malgré la nécessité de victoire du Canadien. Cette sympathie

disparaît progressivement au cours de la rencontre. La victoire du Canadien ne les empêche

pas de rendre hommage au public de Winnipeg qui a soutenu son équipe jusqu’à la fin même

quand la défaite semblait inéluctable. Ainsi, il faut reconnaître aux participants un certain

esprit sportif même si ce dernier a des limites. Pendant la saison 2012-2013, ces limites ont

pris les traits des Bruins de Boston, des Maple Leafs de Toronto et des Sénateurs d’Ottawa

en série.

3.4.5 Jeu physique et violence

Pour plusieurs, le hockey est un sport associé à la violence. Ceux et celles qui ne

regardent pas le hockey de façon assidue ont une image de bagarres systématiques et de

violence gratuite, sans doute à cause des mises en échec qui sont permises dans ce sport. Au

cours de la première observation chez Ismaël234, en première période une échauffourée éclate

entre un joueur du Canadien et un autre des Rangers. Doriane, la cousine de sa femme,

déclare qu’elle pensait que cela interviendrait plus tôt dans le match. Elle ne s’intéresse pas

au hockey et ne connaît pas grand-chose à ce sport, sauf que les bagarres y sont courantes.

Cette anecdote est assez révélatrice de la façon dont violence et hockey sont souvent associés

pour plusieurs personnes. Mais une certaine forme de violence est largement admise dans le

hockey comme le souligne Charles Bussières-Hamel : « la culture du hockey glorifie les

affrontements face à face »235 Eric Dunning évoque certains sports dans lesquels « la violence

est une composante centrale »236. Cela s’applique au hockey. Néanmoins même chez les

234. Le 30 mars 2013.

235 Charles Bussières-Hamel, « « Les gants ont tombé, les bâtons ont été échappés et on s’est cogné sur la gueule ». Étude de la justification de l’utilisation de la violence au hockey (1950-1985) », Mémoire de maitrise en études québécoises, Trois-Rivières.

Université du Québec à Trois-Rivières, 2012, p. 82.

236 Eric Dunning, « Lien social et violence dans le sport », dans Norbert Elias, Eric Dunning, Sport et civilisation : la violence

maitrisée, Paris, Fayard, 1994, p. 313.

129

amateurs de hockey, de nombreuses voix se sont élevées afin que les bagarres et les coups à

la tête soient proscrits. Les suicides d’anciens joueurs ou les propos des joueurs retraités sur

leurs problèmes de santé (séquelles des commotions cérébrales subies pendant leur carrière)

ont suscité des prises de position de plus en plus vives. Dès qu’un nouvel incident grave

survient sur la glace, la question est remise au goût du jour. Les participants ont évidemment

abondamment commenté cet aspect incontournable du hockey.

L’équipe montréalaise n’est pas considérée comme une équipe ayant un jeu physique dans la

ligue nationale. Ces dernières années, les observateurs lui ont souvent reproché d’aligner des

joueurs trop petits et de ne pas savoir se défendre quand elle se trouve face à des équipes plus

robustes. Le débat sur l’intégration d’un « policier » (joueur spécialisé dans les combats dont

le rôle est d’intervenir dans les moments cruciaux et qui doit protéger les vedettes de l’équipe

lorsque celles-ci se font bousculer par l’équipe adverse) est très présent dans les médias ou

chez les partisans. Mais cela ne colle pas vraiment avec la philosophie du Canadien, qui

favorise plutôt l’intégration de joueurs physiques capables de se défendre mais aussi de jouer

au hockey. Pas de joueurs dont la présence n’est requise que pour se battre et qui ne jouent

pas tout le temps. Paradoxalement, ces dernières années, quand le Canadien a engagé des

« policiers », ces joueurs ont été très populaires auprès des partisans, même s’ils n’étaient

pas souvent alignés au cours des matchs. On peut citer Georges Laraque qui a joué de 2008

à 2010 pour le Canadien. Les partisans apprécient ces joueurs qui défendent leurs

coéquipiers. Pour la saison 2012-2013, le Canadien a plutôt misé sur des joueurs plus

complets, capables de s’imposer physiquement, de défendre leurs partenaires et de faire

partie intégrante de la rotation de l’équipe : Travis Moen, Brandon Prust (qui a rejoint

l’équipe quelques mois avant) et, dans une moindre mesure, Ryan White.

Des quatre participants, seule Gisèle désapprouve la violence, quelle qu’elle soit, dans les

matchs de hockey. Stéphane, Hughes et Ismaël estiment qu’il est nécessaire que le Canadien

se fasse respecter, notamment contre des équipes dont le jeu est basé sur le physique (les

Bruins de Boston, les Maple Leafs de Toronto ou les Flyers de Philadelphie). Le Canadien

130

doit « passer un message » afin que les autres équipes sachent à quoi s’en tenir. Mais ils sont

aussi partisans d’une équipe qui se défend et qui ne porte pas les premiers coups. En effet, le

but n’est pas que le Canadien soit une équipe portée exclusivement sur cet aspect de

robustesse. Les trois étaient partisans d’une violence justifiée. Au cours des observations, ils

ont loué l’esprit de solidarité des joueurs montréalais, chose qu’ils n’ont pas forcément

ressentie lors de la saison précédente. À ce titre, le travail du nouveau joueur Brandon Prust

a été salué par tous les participants, y compris Gisèle. Les commentaires à son propos ont

toujours été élogieux en raison de son cœur et de son courage. En effet, même face à des

joueurs plus robustes que lui, il n’a jamais reculé. En plus de son courage, il a apporté une

contribution offensive qui a ravi les participants. A contrario, comme vu précédemment,

Travis Moen a souvent été critiqué pour son manque d’implication au niveau physique.

Lorsque des bagarres ou des altercations mineures entre joueurs ont éclaté, on a pu ressentir

une certaine excitation chez les participants, notamment chez Hughes et Ismaël. La tension

sur la glace s’est transposée chez eux. Ismaël a déclaré apprécier cette tension, car elle lui

fait penser aux matchs des séries. Pour les trois participants masculins, le jeu physique est

nécessaire car le Canadien doit se faire respecter, notamment contre les robustes formations

de la Conférence Est. Ils ont souvent fait référence aux années précédentes où le CH n’était

qu’une équipe rapide avec des joueurs, certes talentueux, mais qui se faisait trop souvent

bousculer par les équipes adverses.

Gisèle considère les bagarres ou les escarmouches entre joueurs comme stériles car elles

n’apportent que des « pénalités inutiles ». Lorsqu’elle regarde un match, elle ne supporte pas

que le Canadien soit pénalisé à cause de cela. La seule exception qu’elle peut tolérer est

lorsque la pénalité intervient quand un joueur du Canadien défend un coéquipier. Comme les

autres participants, elle s’est montrée satisfaite lorsque ses joueurs favoris se sont fait

respecter de leurs adversaires, surtout si ces derniers étaient de Boston ou de Toronto. Mais,

en général, elle a beaucoup regretté que le physique prenne le pas « sur le beau jeu ». Le

moment le plus intense des observations faites chez elle est intervenu lors du match des séries

131

contre les Sénateurs d’Ottawa237. Lars Eller, du Canadien, subit une mise en échec qui le

laisse en sang sur la glace avant d’être évacué sur une civière et de ne plus revenir au jeu (cet

incident marque la fin de la saison de ce joueur). Elle est restée profondément ébranlée

pendant tout le reste du match, se disant « écœurée » de cette violence gratuite et de ce « geste

cochon ». Cette émotion n’était pas due au fait que le joueur blessé soit un membre de son

équipe favorite. En effet, au cours d’une observation précédente, à la vue d’images d’archives

d’un joueur des Leafs blessé sur une mise en échec, elle a exprimé toute son horreur de voir

la violence prendre une place si importante dans le hockey. Selon Gisèle, les arbitres et la

ligue doivent agir afin que ce genre d’incidents graves ne se produise plus sur les patinoires.

Si elle peut comprendre qu’un joueur se batte pour défendre un coéquipier, les gestes de

violence gratuite ne trouvent aucune justification à ses yeux.

3.4.6 Accords et désaccords avec les arbitres et les journalistes

Nous avons précédemment évoqué le rôle des journalistes dans le cadre des matchs

de hockey regardés par les participants. Pour Stéphane, Gisèle et Ismaël, ils sont

indispensables pour leurs commentaires ou leurs analyses. Les arbitres sont tout aussi

importants, voire plus. Contrairement aux journalistes, la présence des arbitres est

primordiale, que le match se regarde dans un cadre privé ou public. Ils font respecter les

règles et protègent l’intégrité des joueurs. Ils sont quatre sur la glace dans les matchs de la

ligue nationale. Dénigrer l’arbitre ou remettre en cause ses décisions quand elles sont

défavorables à son équipe favorite, fait partie de la vie du partisan. Le dire n’a rien de

péjoratif. En effet, les partisans du monde entier, quel que soit le sport, doivent vivre avec

les décisions prises par une personne qui n’a que quelques fractions de secondes pour réagir

lors d’un jeu et rendre un verdict. Même quand les arbitres peuvent se référer aux reprises

vidéo, leurs décisions peuvent prêter à confusion. Pendant les observations, les participants

n’ont pas été tendres à l’endroit du corps arbitral, frôlant parfois la « mauvaise foi partisane ».

237. Le 2 mai 2013.

132

Les invectives contre les arbitres ont été courantes au cours des observations. De la pénalité

sifflée contre le Canadien à celle oubliée contre les adversaires, les motifs de récriminations

n’ont pas manqué pour les participants. À la limite, on peut dire que cela fait partie de la

routine du match de hockey. Les remontrances envers les arbitres sur les faits des jeux sont

présentes à quasiment tous les matchs. En plus des adversaires, les observateurs ont souvent

eu l’impression que les arbitres prenaient un malin plaisir à les défavoriser au profit des

équipes adverses. Le « nous contre le reste du monde » a été un sentiment assez courant chez

les participants de l’étude. Cette impression que les arbitres favorisent, volontairement ou

involontairement, les équipes adverses, a renforcé l’adversité à laquelle leur équipe devait

faire face. Il n’a pas été rare de voir un participant faire le compte des « erreurs d’arbitrage »

qui ont pénalisé le Canadien. « L’inconstance » des décisions arbitrales a été pointée du

doigt : pour les mêmes fautes, les participants ont estimé que les arbitres ne sifflaient jamais

de la même façon. Certains arbitres ont même été catalogués anti-Canadien. Ainsi, avant le

début d’un match, Gisèle déclare ne pas aimer un des arbitres du match car il pénalise

toujours son équipe plus que de raison. Pendant la rencontre, elle n’a pas hésité à prouver son

avis quand elle pensait que l’arbitre se trompait. Lors de la dernière observation à son

domicile238, elle fait part de son soulagement de ne pas voir cet arbitre diriger le match.

Comme nous avons pu le constater plus tôt, les séries éliminatoires exacerbent les sentiments.

Cela s’est vérifié également vis-à-vis des arbitres et de leurs décisions. Lors du quatrième

match de la série chez Stéphane239, ce dernier passe une grande partie de la rencontre à

remettre en cause leurs décisions. Il trouve qu’ils favorisent clairement les Sénateurs. Deux

des buts de l’équipe d’Ottawa confirment la piètre opinion qu’il a du travail des arbitres. Il

parle « d’injustice » et de « vol » tant il a l’impression que les arbitres jouent un rôle négatif

pendant la rencontre. Mais, concernant Stéphane, on peut aussi signaler qu’il a très souvent

fait preuve d’une grande lucidité concernant l’arbitrage. En effet, quand les ralentis des

actions lui ont donné tort, il a tout de suite eu le mérite de le reconnaître. À quelques

occasions, il a remis en cause certaines décisions en faveur du Canadien car il pensait que les

238. Le 2 mai 2013.

239. Le 7 mai 2013.

133

arbitres se trompaient. Il ne s’est pas plaint que les arbitres fassent des erreurs en faveur du

Canadien mais il l’a fait quand même remarquer. Il a justifié ses plus violentes critiques

envers les arbitres en déclarant que si le Canadien est favorisé de façon trop flagrante, il le

dénoncerait de la même manière. Les trois autres participants ont pu aussi se montrer lucides

quand ils ont eu tort et que cela leur était démontré. Au-delà des arbitres, les journalistes ont

également subi les foudres ou les louanges des participants.

Nous avons noté précédemment que certaines analyses des participants étaient partagées par

les journalistes ou commentateurs. Ils ont été d’accord à quelques reprises, notamment quand

un joueur jouait vraiment un mauvais match ou sur certaines erreurs d’arbitrage. Leur

importance aux yeux des participants était manifeste : « l’utilité des journalistes résiderait

surtout dans le fait qu’ils sont […] des intermédiaires clés entre les joueurs et les fans »240.

Mais, à certaines occasions, les propos envers les journalistes de la télévision n’ont pas été

flatteurs. Ainsi, Hughes n’a jamais manqué une occasion de critiquer la façon dont RDS

couvrait les matchs : manque d’analyses pertinentes, journalistes qui ne prononcent pas bien

le nom de certains joueurs et approximations. Toute « la culture RDS » (façon dont la chaîne

aborde les matchs du Canadien) était remise en cause. Il n’a regardé les matchs sur cette

chaîne que pour ses amis qui préféraient les matchs avec des commentaires francophones et

parce que c’était la saison régulière. Pour les séries, il ne pouvait regarder les matchs que sur

The Sports Network (TSN). L’approche anglophone (plus d’analyses approfondies et

meilleurs commentateurs selon lui) lui paraissait nettement plus appropriée pour un match

de hockey en série. Quant à Gisèle, elle a eu pour habitude de ne pas apprécier les

commentaires qui mettaient en lumière les aspects négatifs des matchs du Canadien. Ainsi,

lorsqu’ils ont rappelé un score en défaveur du Canadien ou leur faillite au cours d’un match,

elle s’en est formalisée. Elle était consciente des aspects négatifs dans le jeu de son équipe

mais ne voulait pas les entendre formuler à haute voix par d’autres personnes. Sa haine de la

violence dans les matchs de hockey lui a également donné l’occasion de ne pas être d’accord

avec certains commentateurs et analystes. Lors de la mise en échec de Lars Eller par un joueur

240 Monika Sniec, « Les Canadiens de Montréal vus par les fans : une exploration en trois temps », Mémoire de maitrise en sciences de

la communication, Montréal, sciences de la communication, 2004, p. 89.

134

des Sénateurs en séries, elle s’est farouchement opposée à l’analyse de Benoit Brunet

(analyste de RDS et ancien joueur du Canadien), qui a estimé que la mise en échec n’était

pas totalement illégale. Elle n’a pas compris que quelqu’un, analyste de surcroît, puisse

trouver dans ce geste quelque chose de positif à dire. Au final, quand les commentaires et

analyses de match vont dans le sens de leurs observations, les participants acquiescent mais,

quand cela n’est pas le cas, le sentiment du « nous contre le reste du monde » refait surface.

3.4.7 Une saison très satisfaisante

Lorsque la saison 2012-2013 débute en janvier 2013, les spécialistes et analystes

n’accordent pas beaucoup de crédit au Canadien de Montréal, en raison de tous les

changements que l’équipe a connus par rapport à la saison précédente. Les partisans sont

heureux que la saison ne soit pas annulée mais ils imaginent plutôt une saison de transition

avant d’envisager un avenir plus prometteur. Cette saison est censée poser les jalons d’un

projet à long terme. Les participants sont également dans cet état d’esprit et, quand les

observations commencent le 21 février, ils évoquent tous la bonne surprise que constitue la

saison réussie du Canadien (le 21 février, le Canadien a déjà joué 16 matchs, avec un bilan

de onze victoires pour cinq défaites et la 1ere place dans la Conférence Est). La façon dont

l’équipe joue va au-delà de leurs espérances. Ils ont encore tous en tête la saison précédente.

Les quatre ont évoqué ce « cauchemar » terminé par une humiliante dernière place au sein

de la Conférence Est. Les comparaisons entre les deux saisons ont lieu à chaque match. Le

traumatisme de la saison précédente a des causes différentes selon les participants. Par

exemple, Stéphane évoque l’accumulation des blessés et la présence de « cancers » qui ne

pensent qu’à leur intérêt personnel alors que, pour Hughes, le principal problème a été le

manque de cohésion au sein du vestiaire.

Les raisons de se réjouir sont nombreuses avec l’équipe de 2013. La direction a été

renouvelée : un nouveau directeur général, Marc Bergevin, et un nouvel entraîneur, Michel

135

Therrien, qui a déjà dirigé le Canadien quelques saisons auparavant. Cette nouvelle direction

a habilement renforcé l’équipe et donne la chance à de nombreux jeunes de se faire une place

dans l’équipe. Le fait de « donner leur chance à ceux qui le méritent » est un aspect de la

nouvelle philosophie du Canadien. Selon cette nouvelle philosophie, chacun connaît sa place

et la solidarité entre les joueurs se fait de nouveau sentir. Néanmoins, les quatre participants

sont conscients que les choses doivent se mettre en place de façon progressive. D’ailleurs,

Hughes estime que, malgré sa belle saison, le Canadien ne peut encore prétendre à la coupe

Stanley. De même, Gisèle, Stéphane ou Ismaël pointent souvent le « mental » encore friable

de cette équipe, dans laquelle plusieurs joueurs effectuent leur première saison. Les

nombreux matchs gagnés par le plus petit écart sont un indice de cette fragilité selon les

participants. Lorsque le Canadien a acquis sa qualification pour les séries éliminatoires, ils

« ont lâché » et ont connu une période assez difficile au cours de laquelle la qualité du jeu et

les résultats s’en sont ressentis. Ce relâchement est considéré comme une faiblesse de

l’équipe. Les quatre participants sont très heureux de la façon dont la saison s’est déroulée,

mais ne sont pas dupes au point de penser que la Coupe Stanley est envisageable.

D’ailleurs, les séries mettent à jour plusieurs manques de l’équipe. Ainsi, les nombreuses

blessures accumulées pendant les cinq matchs contre Ottawa en séries ont fait dire à Ismaël

que l’équipe a sûrement été en « sur régime » en saison régulière et que cela l’a rattrapé au

moment crucial. Le manque d’expérience a également été pointé du doigt pour expliquer

cette cruelle élimination contre une équipe qui a terminé septième de la Conférence Est alors

que le Canadien a fini deuxième. Les jeunes joueurs qui ont été si performants en saison

régulière n’ont pas su élever leur niveau de jeu en séries et cela est ressenti par les

participants. Malgré cette élimination, ils ont tous le sentiment que la jeunesse dorée du

Canadien est un gage d’avenir. Au final, aussi cruelle soit-elle, cette élimination doit apporter

l’expérience qui a fait défaut contre les Sénateurs. Le sentiment général est quand même la

satisfaction car aucun d’eux n’aurait pu imaginer au début du mois de janvier 2013 que la

saison allait prendre cette tournure.

136

Conclusion du chapitre

Tout au long des dix-neuf observations de cette étude, des profils assez précis des

quatre participants se sont dégagés. Ces profils ont balayé certaines certitudes nées des

entrevues individuelles, par exemple, de constater que Gisèle est la plus véhémente au cours

des matchs ou de voir Ismaël être muet alors que des actions se déroulent, ont constitué de

petites surprises. Mais ces surprises sont, somme toute, relatives, car il n’existe pas de modèle

type de partisan. Il y a des partisans et chacun manifeste sa ferveur à sa façon. Encourager

son équipe au cours de toute la rencontre ou ne se manifester que lors des buts de son équipe

ne sont au final pas des comportements qui permettent de dire que cette personne est plus

partisane que l’autre. Au mieux nous pouvons parler de partisans plus démonstratifs que

d’autres, mais pas plus, car les quatre ont montré une véritable passion partisane pour le

Canadien. Au-delà du fait que les quatre participants partagent la même passion, certains

points communs sont apparus dans la façon dont ils l’expriment. On peut évoquer la

« mauvaise foi partisane » qui pouvait leur donner l’impression que tout était contre leur

équipe ou encore cette capacité à se moquer de leur propre équipe comme moyen de

relativiser les revers. Le Canadien n’occupe pas leur esprit uniquement le jour des matchs.

L’organisation montréalaise l’est dès que la saison commence. Ils se tiennent au courant de

tout ce qui la concerne au quotidien. Tous ces éléments observés font partie de leur identité

de partisan. Nous pouvons cependant résumer l’identité de chacun par un trait : Gisèle est

passionnée, Stéphane est pragmatique, Hughes possède un savoir encyclopédique et Ismaël

est méticuleux dans sa façon de regarder les matchs.

La différence entre les adversaires et les enjeux ont permis de voir les deux faces des

participants ; deux faces d’une même pièce car on ne peut les dissocier. D’un côté, des

participants animés par la volonté de voir leur équipe gagner, et de l’autre, les mêmes

participants animés de sentiment de revanche, d’hostilité ou d’aversion envers les

adversaires. Les Bruins, les Leafs ou les Sénateurs ont cristallisé ces sentiments. Les deux

premiers à cause de l’historique rivalité avec le Canadien et les derniers, par leur seule

137

présence sur la route vers la Coupe Stanley. Il est d’ailleurs assez frappant de constater que

pendant la saison régulière, la seule rencontre observée entre les deux équipes en saison

régulière a donné lieu à des éloges de Hughes et son ami José sur le capitaine des Sénateurs.

Au cours de la saison régulière, les participants étaient d’ailleurs plutôt favorables au fait de

rencontrer les Sénateurs en série, au lieu de jouer contre les Leafs. Ils craignaient le jeu

physique de l’équipe torontoise. Malheureusement pour les participants, les Sénateurs se sont

révélés être une équipe robuste et pleine de ressources en série. Maintenant que nous avons

vu l’expression de la passion partisane, il faut envisager la façon dont Gisèle, Stéphane,

Ismaël et Hughes passent de participants à partisans du Canadien de Montréal.

138

Chapitre 4 La mise en scène du match de hockey

Dans le cadre des observations des participants à leurs domiciles, il s’est avéré que

malgré leur passion pour le Canadien, Stéphane, Hughes, Gisèle ou Ismaël ont dû composer

avec les aléas de leur quotidien. Contrairement au fait d’assister à un match de hockey du

Canadien au Centre Bell, regarder chez soi sa retransmission permet aux quatre participants

de faire autre chose que de rester rivés à leur écran de télévision. Les téléspectateurs

endossent d’autres rôles (père, mari, etc.) que celui de partisan; ils peuvent se déplacer à leur

guise dans les différentes pièces de leur domicile. En somme, ils allient leur passion à leur

quotidien, celle-ci prend place dans un contexte où, de plus, un observateur note tout ce qui

passe pendant deux heures et demie, voire plus. Dans la rencontre entre ces trois éléments (le

match de hockey, le quotidien et l’observation), le postulat de départ est que le participant,

partisan du Canadien de Montréal, affiche son engouement par divers canaux dont la parole

et les gestes. Il met en scène sa ferveur et en donne une représentation. Les travaux du

sociologue Erving Goffman sont particulièrement utiles pour analyser les différentes façons

d’exprimer la passion partisane des participants, et ce, à divers moments de l’observation.

Dans son ouvrage La mise en scène de la vie quotidienne, Goffman analyse les interactions

sociales (aussi simples soient-elles) sous l’angle de la métaphore dramaturgique. Chaque

interaction décrite par l’auteur est transposée dans le monde théâtral. Pour Goffman, chaque

individu placé « en présence des autres a de multiples raisons d’essayer de contrôler

l’impression qu’ils reçoivent de la situation »241. L’individu serait donc en constante

représentation lorsqu’il est en présence d’autres personnes; il chercherait, d’une certaine

façon, à les influencer par tous les moyens à sa disposition. Dans le cadre de l’étude, les

participants ont joué différents rôles au cours des observations. De même, l’interaction avec

l’observateur a donné lieu à une représentation; le salon, où le participant a visionné la

retransmission du match à la télévision, est devenu le lieu principal de sa représentation. Et

241. Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne. La présentation de soi, Paris, Les Éditions de minuit, 1974, p. 23.

139

comme cela peut arriver au théâtre, les représentations données par les participants n’ont pas

été exemptes de ratés.

L’éclairage dramaturgique « goffmanien » permet d’aborder le rapport des participants à leur

passion sous un aspect différent, celui de la mise en scène d’une représentation. Ainsi, nous

verrons comment les participants ont géré les différents « costumes » qu’ils ont enfilés au

cours d’une soirée, la façon dont leurs déplacements ont pu influer sur leur manière de suivre

les matchs, les « fausses notes » qui ont émaillé leurs représentations et, enfin, comment la

présence des participants secondaires a agi sur les participants principaux.

4.1 La gestion des rôles

Pendant chaque match, le participant se transforme en partisan du Canadien de

Montréal. Il endosse un « costume » pendant le temps de l’observation. Cependant, du fait

qu’il regarde le match chez lui, le quotidien l’envahit parfois et peut interférer dans le

déroulement de la retransmission du match, voire sur la façon dont il exprime sa passion

partisane. Sur les quatre participants à l’étude, trois sont mariés ou en couple et deux ont des

jeunes enfants. Ils ont dû souvent jongler avec leur rôle de partisan, de mari ou femme et de

parent, et même celui d’hôte qui reçoit des invités, dont l’observateur. La gestion des

différents rôles a donné lieu à des situations particulières. Si le participant était confronté à

des situations qu’il connaissait déjà (partisan, époux ou épouse, parent), celui d’être en

situation d’observation était nouveau.

140

4.1.1 Le partisan hôte

En recevant un étranger à leur domicile au cours des observations, les participants

endossent le rôle d’hôtes. Et, à ce titre, ils se sont toujours parfaitement comportés. Leurs

attentions ne se sont jamais démenties tout au long des observations, veillant à ce que

l’observateur soit toujours à son aise et qu’il ne manque de rien. Ce rôle d’hôte a plutôt été

complémentaire à celui de partisan, car l’attention portée au chercheur s’est située, la plupart

du temps, pendant « des temps morts », c’est-à-dire lors des avant-matchs, des pauses

publicitaires ou des périodes de pause entre les périodes. Pendant ces moments, ils n’étaient

pas totalement immergés dans le match et en profitaient d’ailleurs eux-mêmes pour vaquer à

toutes sortes d’activités. Le partisan et l’hôte peuvent donc se confondre sans que cela crée

une tension entre les deux rôles. Il n’y a pas de coupure ou de cassure flagrante entre l’hôte

et le partisan. On peut plutôt évoquer une parenthèse : l’hôte prend le pas sur le partisan

pendant les moments où le match de hockey n’a pas encore commencé ou quand il est arrêté.

Ces moments au cours desquels les participants ont joué leur rôle d’hôte n’ont pas empiété

sur celui du partisan.

Les attentions des participants ont principalement consisté à proposer à boire ou à manger à

l’observateur. Il n’y a pas eu une observation au cours de laquelle les hôtes n’ont pas proposé

des rafraîchissements ou de la nourriture. Lors des premières observations, cela a pu passer

pour de la politesse ponctuelle face à une situation inédite pour eux (se faire observer par un

inconnu à leur domicile), mais cela s’est systématiquement reproduit. Stéphane, Hughes,

Gisèle et Ismaël se sont toujours montrés attentifs au bien-être du chercheur avec cette

question qui est souvent revenue « as-tu besoin de quelque chose ? ». Cette attention s’est

étendue aux participants secondaires. Ainsi, le conjoint, les conjointes et les amis qui ont été

présents au cours des observations se sont également montrés accueillants et prévoyants. Cela

paraissait plus logique de la part des compagnes de Stéphane et Ismaël et du mari de Gisèle,

car ils étaient chez eux, mais venant des amis d’Hughes cela a constitué une agréable surprise.

Les amis d’Hughes ont accompagné les matchs du Canadien de Montréal avec des bières et

141

en ont toujours proposé au cours des observations. Les refus polis de l’observateur, motivés

par la volonté de rester concentré, ont toujours été bien pris par les participants principaux et

secondaires. Mais il a aussi fallu garder une certaine distance, comme cela a été expliqué au

chapitre sur la présentation des données. Accepter un verre d’eau ou un verre de jus d’orange

de la part des participants est différent d’accepter une bière ou un verre d’alcool fort de ces

mêmes participants ou de leurs amis. En effet, consommer de l’alcool avec deux ou plusieurs

participants aurait fait de l’observateur un membre du groupe alors qu’il devait rester neutre

au cours des observations. Dès qu’un participant profitait d’une pause pour boire quelque

chose, il proposait immédiatement à l’observateur s’il voulait en faire de même.

Les horaires des matchs ont oscillé entre 19 h et 20 h pour les participants et sauf pour Gisèle,

cette heure a été propice aux repas du soir. Ainsi, ils en ont profité pour manger pendant que

le Canadien jouait, afin de joindre l’utile à l’agréable. Stéphane, Hughes et Ismaël ont mangé

au début des matchs ou pendant leur déroulement. Il n’y a pas vraiment eu de moment précis

pour les repas, mais la seule constante est qu’ils l’ont fait devant la télévision au cours des

matchs de leur équipe favorite. Là encore, que ce soit de la nourriture cuisinée à la maison

ou des mets commandés et préparés par un restaurateur, les participants ont demandé si

l’observateur avait mangé et, quand cela n’était pas le cas, ils lui proposaient de se joindre à

eux. Cela se faisait assez spontanément. Cela s’est également appliqué aux participants

secondaires, notamment les amis de Hughes. Ils accompagnaient souvent leurs bières par des

pizzas et lui ont proposé d’en profiter en même temps qu’eux. Là encore, pour pouvoir rester

concentré sur tout ce qui se passait, il a dû décliner ces invitations. Les hôtes ne se sont

nullement sentis gênés de manger en sa présence. Pour eux, cela était naturel de manger

devant la télévision pour regarder un match du Canadien de Montréal. Pour certains, cela a

même fait partie d’une forme de ritualisation.

À quelques reprises, il a été impossible de refuser les invitations des participants, ce qui

illustre à la fois la difficulté de trouver le juste milieu dans le rôle d’observateur et la façon

dont les hôtes ont perçu sa présence. Lors de la première observation chez Ismaël, le samedi

142

30 mars, l’observateur a été pris de court et a dû accepter de revenir sur un principe de base :

ne pas se montrer trop familier avec les participants. Au cours de cette observation où le

Canadien a joué contre les Rangers de New York, toute la famille d’Ismaël était présente (sa

femme Gladys et son fils Owen) ainsi qu’une cousine de sa femme, Doriane. Au moment de

l’entracte entre la première et la seconde période, la famille s’est préparée à passer à table et

l’hôte a annoncé à l’observateur qu’il était convié à leur repas. Malgré les arguments avancés

(il avait déjà mangé juste avant de se rendre chez eux, il devait rester concentré et que cela

ne le dérangeait pas qu’ils mangent devant lui), la maîtresse de maison ne lui a pas laissé le

choix. Elle avait cuisiné pour quatre et aurait été vexée si, au minimum, il ne goûtait pas à

son repas. Pour finir de le convaincre, Ismaël a déclaré que dans la culture africaine cela ne

se faisait pas de refuser une invitation à manger de la part de la maîtresse de maison sous son

propre toit. Il a alors pris place à table et a tenté de faire bonne figure en grignotant plus qu’en

mangeant. Cet épisode a été le seul où il a été pris « à défaut » par ses hôtes. Les quatre autres

observations chez Ismaël n’ont plus donné lieu à de tels repas familiaux. En effet, la femme

d’Ismaël n’a plus été présente à leur domicile au cours des quatre soirées suivantes. Les

circonstances ne s’y seraient sans doute pas prêtées non plus. Il faut dire que la soirée du

samedi 30 mars a été unique, car, en plus de le « recevoir », le couple a reçu de la visite

familiale et la maîtresse de maison a pensé que cette observation serait la seule. Elle n’avait

pas compris lors de l’entretien individuel qu’il y en aurait d’autres et son mari avait omis de

le lui signaler.

À cette occasion, on peut dire que le rôle d’hôte a pris un peu le pas sur celui de partisan.

Ismaël n’a pas totalement contrôlé la situation, car la présence de la cousine de sa femme l’a

obligé à se déplacer à table pour manger (loin du téléviseur) et de mettre le match sur pause

afin que le repas n’excède pas l’entracte et qu’il ne rate pas une seconde du match. Vis-à-vis

de la cousine de sa femme, il a dû mettre sa passion partisane en veille pour quelques minutes.

De toutes les observations, celle-ci a été la seule où la présence d’un participant secondaire

(hormis les conjointes, conjoint et les enfants) n’a pas été liée au match de hockey. Dans les

autres cas, comme avec les amis d’Hughes, celui d’Ismaël ou le neveu de la compagne de

Stéphane, leur présence a été motivée par la passion du Canadien qu’ils partageaient. De la

143

sorte, les participants principaux n’avaient pas à faire passer leur rôle d’hôte avant celui de

partisan.

4.1.2 Le partisan parent

Contrairement au rôle d’hôte, celui de parent s’est montré particulièrement perturbateur

pour les participants car il a sous-entendu une attention accrue de ceux qui ont été concernés.

Ce rôle a été moins évident à intégrer à celui de partisan même s’il y a eu certaines tentatives

de la part de Stéphane ou Ismaël qui vivent tous les deux avec des enfants en bas âge. Gisèle

a aussi des enfants, mais ils sont adultes et ne vivent donc plus sous son toit. Quant à Hughes,

il est célibataire et sans enfant. Au moment de l’étude, le fils de Stéphane, David, était encore

un bébé de quatre mois et celui d’Ismaël, Owen, avait un an et demi. Les deux enfants ont

donc eu besoin d’une attention soutenue de la part de leurs parents. Les deux pères ont été

très impliqués dans ce processus et cela a créé une certaine confusion entre le rôle de père et

celui de partisan. Ils ont véritablement dû gérer les deux en même temps en faisant cohabiter

père et fan ou en faisant passer celui de père en premier. La présence des enfants a été assez

considérable au cours des observations effectuées chez les deux participants, au point qu’elle

a joué un rôle déterminant lors de certaines soirées. Si les matchs du Canadien ont représenté

un moment privilégié de la journée pour les deux participants, leur vie de parent les occupait

tous les jours dès qu’ils étaient à la maison. Dans ce contexte, la passion n’a pu se substituer

au rôle de père. Ils en avaient conscience et ont trouvé certains moyens de concilier les deux

quand cela a été possible, sinon le Canadien passait au second plan. Ce télescopage de rôles

a été intéressant à observer, car le quotidien a alors pris le dessus sur la passion. Cela fait

intrinsèquement partie d’une dimension essentielle du fait de regarder un match de hockey à

domicile.

Stéphane et sa compagne Léa sont parents depuis quatre mois au moment de la première

observation chez eux. Ce soir-là, alors que le Canadien reçoit les Islanders de New York au

144

Centre Bell, Léa et leur fils se trouvent chez la sœur de cette dernière à quelques mètres de

chez eux. Au cours du match de hockey, Léa fait des allers-retours chez sa sœur sans leur fils

qui est resté dormir chez sa tante. Selon son propre aveu, l’absence de son fils rend Stéphane

beaucoup plus détendu. Même les échanges avec sa compagne sont empreints de légèreté. Ils

parlent de leur quotidien et de divers sujets sans le stress inhérent à la présence d’un nouveau-

né. Mais, malgré l’absence du petit David au cours de cette observation, Stéphane a dû, à

quelques reprises, mettre son rôle de partisan entre parenthèses pour endosser celui de père,

par exemple pour étendre le linge de son fils. La vie de Stéphane et de sa compagne a été

bouleversée depuis la naissance de David et cela s’est ressenti dans la façon dont Stéphane a

regardé les matchs de son équipe favorite. Au cours des quatre autres observations, il n’a été

dégagé de ses obligations parentales qu’une seule fois. Ainsi, le 15 avril alors que le Canadien

reçoit les Flyers de Philadelphie à Montréal, sa compagne et leur fils se trouvent en vacances

au Chili. Pendant cette observation, il a pu s’adonner pleinement à sa passion partisane sans

avoir à s’occuper de son fils ou à endosser son rôle de père. Malheureusement pour lui, ce

match a été un des pires du Canadien au cours de la saison. Hormis ces deux soirées où

Stéphane a pu se consacrer presque entièrement au match du Canadien, le reste du temps, il

a dû intégrer son rôle de père à celui de partisan et vivre sa passion avec retenue. Grâce à la

présence de sa compagne, son rôle de père ne durait pas pendant tout le match car,

connaissant la passion partisane de Stéphane, Léa s’arrangeait pour prendre le plus possible

David en charge. Mais, à certains moments, Stéphane n’a pu faire autrement que de s’en

occuper surtout quand Léa s’absentait quelques minutes ou pendant le début des rencontres.

Ainsi, parfois à l’arrivée de l’observateur chez eux, Stéphane avait son fils dans les bras

pendant l’émission d’avant-match pendant que Léa vaquait à certaines tâches domestiques.

Pour Stéphane, ces moments lui ont permis de « semer » chez son fils les « graines » de la

passion partisane pour son club favori. Au cours des matchs, il surveillait le sommeil du bébé

pendant les absences de sa compagne en allant le voir ou l’écoutait dormir à l’aide d’un

talkie-walkie. Et quand David se réveillait, il le prenait avec lui devant la télévision.

L’observateur a alors assisté à un véritable télescopage entre le rôle de père et celui de

partisan. Un œil sur le match et un sur son fils, Stéphane a mêlé les deux rôles en attendant

le retour de sa compagne qui reprenait alors le petit avec elle. Ces moments où les deux rôles

se sont confondus n’ont pas été vécus comme une contrainte par le participant. Au contraire,

145

tout à son bonheur d’être un nouveau papa, il était rayonnant et plutôt fier de regarder le

match avec son fils dans les bras et lui communiquer un peu sa passion. D'autant plus que

David a été assez tranquille quand il s’est retrouvé devant la télévision avec son père. Même

indirectement, Stéphane devait faire attention à son fils et s’il ne le faisait pas, sa compagne

était là pour le lui rappeler. Ainsi, il est arrivé que Stéphane se laisse déborder par ses

émotions pendant les matchs. Cela a été particulièrement flagrant au cours du quatrième

match des séries entre le Canadien et les Sénateurs d’Ottawa. D’abord, en célébrant les buts

du Canadien de façon plus expressive que lors des observations précédentes et ensuite en

pestant et criant plus que d’habitude contre les décisions arbitrales. Il était conscient que son

fils dormait juste à côté et modérait le ton de sa voix mais cela a été plus fort que lui à

quelques occasions de ce match.

Le fils d’Ismaël, Owen, était plus âgé que celui de Stéphane, mais l’attention que ses parents

devaient lui manifester a été égale, sinon supérieure. Il a été présent au cours de trois

observations sur cinq et il a indirectement été acteur d’une quatrième malgré son absence.

Pendant les observations, il a été particulièrement actif et Ismaël a beaucoup jonglé entre son

rôle de partisan et celui de père. Lors de la première observation, la présence de sa femme et

de la cousine de cette dernière a contribué à ce qu’il puisse se concentrer sur le match du

Canadien car elles se sont occupées d’Owen. En revanche, cela s’est passé tout autrement

lors des autres observations quand Ismaël s’est retrouvé seul avec son fils. Contrairement à

Stéphane qui a bénéficié de la présence de sa compagne, celle d’Ismaël a été absente pour

toutes les observations qui ont suivi la première : deux fois pour le travail, une fois pour aller

voir sa famille à Québec et une autre fois parce qu’elle était invitée à un anniversaire. Ainsi,

à deux reprises, Ismaël s’est retrouvé seul avec son fils pour regarder un match du Canadien.

Il a constamment gardé un œil, voire les deux, sur son fils. Au final pour ces deux

observations, il a alterné les rôles dans une proportion de 50-50. Owen a réclamé beaucoup

d’attention et Ismaël a tout fait pour le contenter. Par exemple, il a beaucoup utilisé son

téléphone pour mettre des vidéos qui ont amusé le petit et l’ont occupé pendant un moment.

Le générique de l’émission d’avant-match était aussi très apprécié par Owen et son père l’a

remis à plusieurs reprises afin de lui faire plaisir. Un éventail de jouets pour enfants était

146

également à la disposition d’Ismaël pour occuper son fils pendant que lui-même se

concentrait sur le match. Ils étaient disposés autour de la télévision afin de pouvoir garder un

œil sur le match et sur Owen. Ces moments ont été, somme toute, les plus « tranquilles »

pour le partisan car cela lui a permis de ne pas trop s’éloigner de l’écran. Les crises de larmes

d’Owen ont obligé son père à le prendre dans ses bras et à se déplacer pour le calmer. Cela

pouvait durer quelques minutes et nécessiter qu’Ismaël s’éloigne du téléviseur. Il n’avait plus

que le son ou la présence de l’observateur pour se tenir au courant. Mais cela ne l’empêchait

pas de revenir en arrière avec sa télécommande, car il ne voulait rien manquer du match. Cela

illustre parfaitement la fusion des deux rôles de père et de partisan. Il a également eu la tâche

de faire manger son fils au cours de la soirée. Pour cela, il l’a fait devant la télévision avec

son fils sur ses genoux et un œil sur l’écran. Au cours d’une de ces deux observations où il a

été seul avec son fils, jugeant le match définitivement hors de portée du Canadien, il a pris le

temps de le laver et de le changer alors qu’il le faisait généralement après les matchs. Face à

la défaite qui s’est profilée, il a préféré gagner du temps et endosser complètement son rôle

de père au point de mettre fin à l’observation.

Une observation précédente chez Ismaël s’était déjà terminée avant son terme. Lors du

dernier match de la saison régulière contre les Maple Leafs de Toronto, alors que sa femme

et son fils se trouvaient à un anniversaire et que son ami Brunel était présent, Ismaël a dû

mettre fin à l’observation après un appel de son épouse. Initialement, il devait attendre la fin

du match pour aller chercher son épouse et son fils mais ce dernier manifestait de la mauvaise

humeur et pleurait. La seule solution a été d’aller les chercher plus tôt mettant ainsi fin à

l’observation, soit douze minutes avant la fin du match. Même sans la présence de son fils,

le rôle de père a pris le dessus sur celui de partisan. Comme pour Stéphane, Ismaël a profité

des moments avec Owen pour lui transmettre la fibre partisane du Canadien. Les buts

marqués par ce dernier ont été l’occasion pour le père de célébrer avec son fils. Même si ce

dernier n’a pas exactement compris pourquoi son père était si joyeux et pourquoi il le faisait

tournoyer dans les airs, il a visiblement apprécié ces moments d’allégresse avec son père.

147

4.1.3 Le partisan observé

Les participants de l’étude ont toujours montré un intérêt pour la recherche et cela n’a

jamais diminué au cours des observations. La gestion des rôles a été alors particulière car, à

certains moments, ils quittaient leur rôle de partisan pour mettre en avant celui de participant

et montrer qu’ils étaient particulièrement heureux de prendre part à la recherche. Ils en ont

retiré une satisfaction car ils sont apparus, en quelque sorte, comme les représentants de la

communauté des partisans du Canadien de Montréal. Les participants ont manifesté une

certaine fierté à se laisser observer dans l’expression de leur passion partisane. À la fois

partisans et participants par la force des choses, il est devenu intéressant de constater que,

pendant les observations, ils pouvaient complètement délaisser leur rôle de partisans pour

devenir des participants soucieux de leurs « performances ». Si l’intérêt pour l’étude s’était

uniquement limité à de la simple curiosité polie, il n’en aurait pas été fait mention ici, mais

cela dépassait largement ce cadre. En effet, les partisans, principaux et secondaires, ont pris

plusieurs minutes à se questionner sur l’étude dont ils faisaient partie. Certes, on ne peut pas

comparer cette gestion des rôles à celle de partisan-père en termes de durée et d’intensité

mais le passage de partisan à participant s’est fait régulièrement à chaque observation. Cela

a été systématique avec le partisan qui prenait un moment à chaque fois pour se pencher sur

l’avancée de l’étude, sur les informations recueillies, sur leur pertinence. Les participants

principaux savaient à quoi s’en tenir par rapport à l’étude. Ils en connaissaient les tenants et

aboutissants, du coup, leur intérêt a porté surtout sur l’état d’avancement du travail. Les

quatre ont fait montre d’un intérêt marqué pour savoir ce qui se dégageait des observations.

Ce questionnement n’a cependant jamais pris place pendant les matchs. En effet, les

interrogations pouvaient survenir au début des matchs ou au cours des temps morts (coupures

publicitaires ou entractes entre les périodes). Ainsi, les partisans se sont mués en participants

curieux de savoir si le travail portait ses fruits. Ils ont posé des questions précises sur leur

participation afin de savoir s’ils fournissaient des informations pertinentes à l’étude. Cette

sollicitude a parfois été teintée d’une légère appréhension car ils craignaient de ne pas être

« à la hauteur ». Ils se sont inquiétés de savoir si les observations produisaient une matière

assez consistante, sorte de façon d’évaluer leur performance. Étaient-ils de bons ou de

148

mauvais partisans ? Même s’ils ont été préalablement invités à se comporter comme

d’habitude devant un match du Canadien, les interrogations sur la qualité de leurs

« prestations » sont souvent revenues. Ils en ont aussi profité pour demander un bilan, à

savoir le nombre de victoires ou de défaites subies par le Canadien pendant les observations.

Cette question a été posée par chacun à un moment ou à un autre. Ils étaient curieux de savoir

si leur bilan était positif. Bien que cela ne pouvait avoir aucune influence sur l’étude, à leurs

yeux, cela a représenté quelque chose de bien plus important. Comme si le fait d’avoir un

ratio élevé de victoires faisait d’eux de meilleurs participants.

En prenant part à l’étude, ils étaient conscients de participer à plus qu’une simple enquête.

Ils en ont d’ailleurs fait la remarque assez régulièrement en s’informant de la date à laquelle

le travail serait publié et à quel moment ils pourraient bientôt le lire. Les difficultés

rencontrées sur le plan de l’organisation des différentes observations ont aussi été un motif

de curiosité pour eux. Ils ont été désireux de savoir comment se faisaient les déplacements

d’un domicile à l’autre et si après chaque observation les notes étaient retranscrites au propre.

Ces demandes d’information, qui portaient sur la partie plus technique de l’étude, ont dénoté

d’un intérêt certain pour cette entreprise assez inédite. Pour Gisèle par exemple, le fait de

passer quelques soirées avec une dame de 76 ans prouvait d’ailleurs tout le sérieux du travail.

Les participants ont été curieux d’en apprendre plus les uns sur les autres et de savoir

comment les observations se passaient chez les autres. Ils ont posé des questions relatives à

l’identité des autres participants, leur âge, les similitudes ou les différences avec eux. Mais,

mis à part quelques renseignements d’ordre général (sur les personnes et leur rapport au

hockey), l’observateur n’a rien divulgué des autres participants. Ainsi, Stéphane et Hughes

avaient la plupart du temps la même vision des choses sur le hockey en général et le Canadien

en particulier. Leur ayant fait part de cela, les deux se sont régulièrement mis à se questionner

l’un sur l’autre. Ils ont voulu savoir si leurs analyses se rejoignaient. Un exemple de cette

interprétation commune concerne l’attaquant du Canadien Michael Ryder. Acquis par

Montréal en cours de saison, les deux ont souligné ses qualités de buteur mais ont aussi

constaté qu’il marquait rarement des buts décisifs. Sans se connaître, ils ont été assez fiers de

savoir qu’un autre participant partageait les mêmes opinions sur certains sujets. Il n’y avait

149

pas de compétition, juste le désir d’en savoir plus l’un sur l’autre. Les trois participants

masculins ont demandé si l’étude comportait une partisane dans l’échantillon des personnes

retenues et ils ont été un peu surpris d’apprendre qu’elle était la plus expressive de tous.

Sachant qu’ils étaient quatre pour l’étude, il était « naturel » qu’ils tentent d’en apprendre

plus les uns sur les autres. Le rôle de participant n’a jamais été en contradiction avec celui de

partisan.

Quant aux participants secondaires, ils ont été beaucoup plus curieux sur l’étude pendant les

observations. Hormis ceux et celles qui partageaient la vie des participants principaux et qui

en savaient un peu plus, ceux qui venaient de l’extérieur étaient un peu plus intrigués au

premier abord lors de la première observation à laquelle ils ont participé. En effet, malgré les

explications préalablement fournies par les participants principaux, il y a toujours eu un

moment pendant les matchs où leur curiosité a pris le dessus. Ils sont passés de partisans à

participants en revenant sur la nature de l’étude, son but et comment ils devaient se

comporter. Ils ont aussi été particulièrement intrigués par la faisabilité de l’étude et la

démarche. « Intrigués » est véritablement le bon mot pour décrire l’état d’esprit des

participants secondaires. Ils ont trouvé particulier de faire une étude universitaire sur les

partisans du Canadien de Montréal et, de surcroît, qui regardaient les matchs à domicile.

Paradoxalement, ils ont estimé que ce genre de sujet méritait d’être développé vu la passion

qui animait les gens pour le club. Même les participants qui ne s’intéressaient pas beaucoup

au hockey ont manifesté le désir d’avoir des détails sur l’étude. Ainsi, l’épouse d’Ismaël,

Gladys, et sa cousine, Doriane, insensibles au hockey en temps normal, ont pris le temps de

poser de nombreuses questions sur le projet qu’elles ont trouvé « original » au cours de

l’observation où elles ont été présentes. La compagne de Stéphane, Léa, était loin d’être une

partisane de hockey mais s’est tenue au courant de l’issue des matchs du Canadien. Pendant

les observations où elle a été présente, elle a toujours pris quelques minutes pour se

renseigner sur l’état d’avancement de la recherche.

150

En prenant part aux observations comme téléspectateur, Stéphane, Hughes, Gisèle et Ismaël

se sont retrouvés en pleine gestion des rôles de partisans et de participants. Il a été difficile

pour eux d’ignorer la présence de l’observateur et de faire comme s’il n’était pas là alors ils

ont choisi d’intégrer ce compagnon à leur soirée de hockey. Cette intégration s’est faite selon

divers degrés à différents moments. Par exemple, l’intégration a été quasi-complète lorsque

le participant a été seul. Ce dernier mettait l’observateur à contribution en parlant du match

ou de tout autre sujet quand il y avait des temps morts. Ainsi, des sujets d’actualité relatifs à

la Ligue nationale de hockey ou de cinéma ont été évoqués avec Stéphane, de tennis avec

Gisèle, d’Afrique et de soccer avec Ismaël ou de gastronomie avec Hughes. Ce sont toujours

les participants qui ont lancé les sujets. Au cours des matchs, les discussions ont porté sur ce

qui se passait sur la glace. Comme souligné dans le chapitre précédent, Stéphane a été très

concentré sur les aspects techniques du jeu et il a très souvent fait état de son savoir en

expliquant certaines pratiques ou certaines règles. Quant à Hughes, il a raconté quantité

d’anecdotes sur les joueurs, arbitres ou encore les journalistes. L’histoire de la ligue n’avait

aucun secret pour lui et il en a fait largement profiter son auditoire au cours des observations.

Pour sa part, Gisèle a fait des commentaires tout au long du match et a fait remarquer des

faits de jeu à l’observateur. Elle l’a pris à témoin lors d’actions qui sortaient de l’ordinaire

telles que les bagarres et les blessures des joueurs qui l’ont mise tellement en colère qu’elle

a demandé ce qu’il en avait pensé. Ismaël de son côté l’a souvent interpellé par cette phrase

pour souligner les actions d’éclat : « tu as vu ça ? » et quand il devait s’occuper de son fils,

il lui a demandé ce qui s’était passé sur la glace. Quand des participants secondaires ont été

présents, l’observateur a moins été mis à contribution, en dehors des questions sur son travail.

Cela a particulièrement été frappant avec les amis d’Hughes. Il a toujours été accompagné

d’un ou plusieurs amis au cours des observations. Ceux-ci ont « naturellement » questionné

l’observateur sur son rapport au hockey, son parcours universitaire ou d’autres sujets, sans

doute dans l’intention de l’intégrer à ce moment de camaraderie. Au cours de la dernière

observation, alors qu’ils étaient six à regarder le Canadien triompher des Jets de Winnipeg,

ils ont porté un toast en l’honneur du travail auquel ils prenaient part. Pendant ce laps de

temps, l’observateur a été le centre d’intérêt de la soirée mais ce moment n’a pas duré

longtemps et ils sont retournés à leur match. Quand Ismaël a été avec son ami Brunel, ils se

151

suffisaient à eux-mêmes et ont peu fait attention à la présence de l’étranger qui les observait.

Ils exprimaient leur passion entre eux et ne sortaient quasiment pas de leur rôle de partisan.

4.2 Les représentations et les équipes

Erving Goffman définit la représentation comme « la totalité de l’activité d’une

personne donnée, dans une occasion donnée, pour influencer d’une certaine façon un des

autres participants »242. Dans cette étude, cela correspondrait aux observations avec le

participant principal qui se mue en acteur et qui fait face à l’observateur. En prenant comme

référence le participant principal comme acteur de la représentation donnée, le public devient

alors l’observateur. Chaque observation devient en quelque sorte une occasion pour le

participant de se donner en représentation pour exprimer sa passion partisane pour le

Canadien de Montréal. Cette passion peut se manifester de différentes façons (oralement et

par la gestuelle) ; celles-ci n’ont pas été difficiles à saisir au cours des observations. Le

concept d’équipe désigne, quant à lui, « tout ensemble de personnes coopérant à la mise en

scène d’une routine particulière »243 selon Erving Goffman. Chaque équipe sous-entend de

la confiance et de la dépendance entre coéquipiers afin de fournir la meilleure coopération

dramaturgique possible. En somme, tout le monde doit jouer la même partition. Mais Erving

Goffman introduit une autre façon de considérer l’équipe : « le concept d’équipe permet ainsi

d’analyser les représentations données aussi bien par un acteur que par plusieurs »244. Dans

le cadre de ce travail, nous pouvons dégager plusieurs équipes qui ont contribué à la mise en

scène de la passion pour le Canadien de Montréal, comme Hughes avec chacun de ses amis,

Ismaël et son ami Brunel, Gisèle et son mari, Stéphane et le jeune Arnaud ou avec sa

compagne Léa.

242. Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne. La présentation de soi, Paris, Les Éditions de minuit, 1974, p. 23.

243. Ibid., p. 81.

244. Ibid., p. 82

152

Dans cette étude, les équipes (comportant plusieurs membres, par exemple Hughes et ses

amis, ou ne comportant qu’un membre comme lorsque le participant était seul) ont joué une

représentation qui n’avait qu’un objectif : afficher la passion partisane pour son équipe face

à un public composé par l’observateur. Mais ces représentations ne se sont pas toujours

déroulées comme les participants le souhaitaient. Elles ont donné lieu à des divergences entre

équipiers ou à certains ratés au plan de l’organisation.

4.2.1 Les participants principaux dans leurs représentations

Cette partie se réfère en grande part aux éléments exposés dans le chapitre précédent

sur la présentation des participants. Les portraits ont permis de dégager la façon de se

comporter au cours des matchs, c’est-à-dire comment ils réagissaient pendant les jeux et les

buts du Canadien, ou ceux des adversaires, lors des moments plus physiques, en somme

pendant les moments que les partisans ont estimé digne d’intérêt. Toutes ces réactions (cris,

gestes, grognements, lamentations, insultes, etc.), plus ou moins ritualisées, ont révélé avec

plus ou moins d’intensité leur passion partisane pour leur équipe favorite. En effet, ces façons

de s’exprimer ont été autant d’indices de leur ferveur. Le participant devait « exprimer

pendant l’interaction ce qu’il désire communiquer »245. Comme il n’existe pas un seul type

de partisan, on pouvait s’attendre à observer des réactions différentes selon les personnes et

selon les actions. L’étude a montré que les quatre participants ont eu des façons assez

particulières de manifester leurs émotions. Ainsi, Gisèle réagissait à la moindre petite action

de jeu tandis qu’Ismaël pouvait laisser plusieurs actions importantes (du point de vue de

l’observateur et des journalistes qui commentaient le match) se dérouler sans avoir le moindre

frémissement. Il a principalement extériorisé ses émotions pour les buts comparativement à

Gisèle. Autre exemple avec la violence et les comportements de joueurs : les quatre ont réagi,

mais les hommes ont plutôt eu tendance à apprécier le jeu physique alors que Gisèle a

toujours critiqué cet aspect du jeu.

245. Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne. La présentation de soi, Paris, Les Éditions de minuit, 1974, p. 36.

153

L’étude de la dramatisation de la représentation est un aspect majeur pour cerner les

participants dans leur façon d’exprimer leur passion partisane. Mais cette dramatisation ne

peut s’analyser qu’au regard du sport lui-même et du hockey en particulier. En effet, une

partie de hockey met en place une scénographie dont le dénouement est imprévisible.

L’incertitude concerne autant le déroulement que la conclusion. Les téléspectateurs, devant

leur écran, jouent donc une représentation dont ils ne maîtrisent pas le contenu mais cela ne

les empêche pas d’afficher leur passion partisane. Les participants à l’étude n’avaient aucune

prise sur ce qui se passait sur la glace. Un match qui pouvait être considéré facile pour le

Canadien pouvait mal tourner et un match estimé difficile pouvait se relever être une victoire

facile pour l’équipe montréalaise. En effet, devant la retransmission d’un match de hockey,

les téléspectateurs réagissent soit pour exprimer de la joie, soit de la frustration. La

spontanéité des réactions ne laisse aucun doute sur ce que les participants veulent exprimer.

La demi-mesure n’a pas existé dans la dramatisation de leur ferveur lorsque les buts en faveur

du Canadien sont intervenus. Car ce sont au final ces actions de buts qui font se lever les

foules de façon unanime. Cela a aussi été le cas pour les participants chez eux. Ce contexte

d’étude, par ses particularités, ne laisse pas la place à la dissimulation ou au travestissement

volontaire des sentiments. Les participants, selon les caractères et les tempéraments, ont pu

rester passifs devant certaines actions ou être plus réservés à l’occasion d’autres jeux, mais

un but du Canadien a toujours déclenché une vive réaction. Que la victoire soit acquise ou

qu’une remontée paraisse improbable, un but de leur équipe favorite a toujours été célébré

par les participants. S’il était impossible de prévoir l’issue d’un match ou certaines réactions,

la certitude d’assister à la joie des participants après un but du Canadien a été la seule donnée

constante tout au long des observations. Chacun avait sa façon de performer durant le match

et donc de mettre en scène certaines attitudes en les dramatisant. Ainsi, Stéphane s’est montré

atterré par certaines prestations de son équipe, notamment contre les Flyers de Philadelphie

et les Capitals de Washington. Ses gestes, ses paroles ont dénoté une déception flagrante face

au jeu du Canadien. Sa grande déception après la défaite en prolongation, dans le quatrième

match de la série face aux Sénateurs d’Ottawa, et son ressentiment face aux arbitres entrent

aussi dans cette dramatisation. Les anecdotes d’Hughes sur les joueurs, entraîneurs ou

dirigeants ont rendu sa représentation d’encyclopédie vivante du hockey encore plus réelle.

La violence a révolté Gisèle. Les mises en échec, les bagarres et l’épisode de la grave blessure

154

de Lars Eller lors du premier match des séries lui ont fait perdre son calme. Elle ne comprenait

pas cette partie du jeu et n’hésitait pas à en parler pendant de longs moments. L’attitude

volontairement défaitiste d’Ismaël tout au long de la dernière observation de l’étude, à

l’occasion du cinquième match des séries entre le Canadien et les Sénateurs d’Ottawa est un

autre exemple de dramatisation de la part des participants. Toutes ces attitudes ont été mises

au service de la représentation dramatique dans laquelle ils se trouvaient à chaque

retransmission de match. Bien qu’ignorants de la façon dont le match allait se dérouler,

chaque représentation a eu pour objectif d’ « agir » en tant que partisans du Canadien de

Montréal. Les quatre participants ont été différents dans leur façon d’aborder ce rôle, mais

ils ont tous ritualisé de façon plus ou moins dramatique la représentation dont il était les

acteurs afin de renforcer leur passion partisane.

4.2.2 Des équipes au service de la représentation

4.2.2.1 Les équipes de Stéphane

Au cours des observations chez Stéphane, hormis sa compagne Léa qui a assisté aux

matchs à quatre reprises sur cinq, seul le neveu de cette dernière a été présent à une occasion.

Si Léa ne s’est pas intéressée outre mesure aux matchs du Canadien, elle a suivi les réactions

de Stéphane, a posé des questions sur ce qui se passait et n’a jamais manqué de demander

s’ils avaient gagné ou perdu à l’issue des matchs. L’équipe qu’elle a composée avec Stéphane

n’a pas été très active pendant la présence de l’observateur à leur domicile. En effet, leurs

conversations ont très peu porté sur ce qui se passait sur la glace et ont plutôt été orientées

vers la vie domestique, la vie quotidienne ou leur fils. Les fois où les conversations ont dévié

sur le Canadien de Montréal, ce sont par des remarques que Léa a souligné la passion

partisane de son conjoint. L’observateur a représenté le public qu’il a fallu convaincre mais

les remarques de Léa ont été dictées par les circonstances et non selon un plan préétabli entre

équipiers. Elle a réagi aux réactions de Stéphane par « là, il est content » ou « ça ne va pas

155

bien », selon qu’il manifestait de la satisfaction ou de la déception. Elle ne s’est d’ailleurs

pas privée de le titiller un peu quand les choses allaient mal pour le Canadien. Mais, quand

l’enjeu a été de taille, elle s’est abstenue de le faire, comme lors du match des séries contre

les Sénateurs d’Ottawa. Elle connaissait l’enjeu du match et la grande déception teintée de

colère de son compagnon lui a fait garder le silence. Si ce match avait eu lieu au cours de la

saison régulière, elle aurait ironisé sur sa déception, mais les circonstances ne s’y sont pas

prêtées ce soir-là. La connivence du couple s’est exprimée dans les petites phrases, les petits

gestes plutôt que dans la grande mise en scène. La présence de Léa a été assez anecdotique

mais on ne peut la passer sous silence, car, par ses paroles ou ses sous-entendus, il y a eu une

connivence involontaire entre les deux pour souligner la passion partisane de Stéphane. Son

silence lors de la réaction énervée de Stéphane à la fin du match de série contre Ottawa a

également souligné cette passion partisane. Elle a respecté sa déception.

Au cours de l’observation du 9 avril, le neveu de Léa, Arnaud, sept ans, s’est joint à Stéphane.

Il est partisan du Canadien et possède déjà une solide culture sur le hockey et sur le club

montréalais. Pour caricaturer, on peut dire que l’équipe, composée de Stéphane et d’Arnaud,

était constituée d’un professeur et de son élève. En effet, comme à son habitude Stéphane a

expliqué certains aspects du jeu et a souligné les erreurs des joueurs. Arnaud a été très réceptif

aux paroles et enseignements de Stéphane. De même, Stéphane a tempéré son enthousiasme

quand il s’est montré trop confiant sur l’éventuelle victoire du Canadien. Ayant plus

d’expérience, Stéphane a inculqué au jeune partisan quelques principes pour la suite de son

cheminement avec l’organisation montréalaise. L’équipe, composée par le professeur et son

élève, a vibré aux mêmes moments et s’est montrée déçue en même temps. Mais Stéphane a

toujours été un peu plus mesuré qu’Arnaud. L’équipe composée de l’enfant et de l’adulte

donnait une représentation synchronisée dans les réactions, avec un professeur qui a toujours

été un peu plus calme que l’élève. Il n’y a pas eu de concertation, juste un adulte et un enfant

qui appréciaient le Canadien de Montréal et qui ont pris plaisir à vivre cette passion ensemble.

Aussi improbables soient-elles, les équipes, formées par Stéphane et Léa et par Stéphane et

Arnaud, ont donné des représentations qui ont renforcé la passion partisane du participant

principal aux yeux de l’observateur, chacune de façon différente.

156

4.2.2.2 Les équipes d’Hughes

La notion d’équipe s’est avérée plus classique dans le cas d’Hughes car il n’a jamais

été seul pour regarder les matchs à son domicile. Un ou plusieurs amis se sont toujours

trouvés à ses côtés. Il a été plus facile d’identifier les équipes que chez Stéphane. Tous les

amis d’Hughes, à des degrés divers, étaient animés par la passion pour le Canadien de

Montréal. Ainsi, parmi les amis d’Hughes, certains se déclaraient amateurs du CH mais

étaient peu au courant de l’actualité de l’équipe. Ils étaient beaucoup moins assidus

qu’Hughes dans le suivi du Canadien. De ce fait, les équipes formées chez Hughes ont pu

passer de longs moments à ne pas parler de hockey et à évoquer toute autre chose. Hughes

étant celui qui invitait, il a évidemment été le lien entre toutes les équipes qui se sont formées

au cours de ces observations. D’ailleurs, les coéquipiers qui se sont succédés auprès

d’Hughes ont tous souligné qu’il était le meilleur participant pour cette étude. Présenté

comme un partisan qui s’y connaissait, tant dans le domaine du hockey que du Canadien, un

partisan qui s’implique et qui n’hésite pas à se déplacer plusieurs fois par saison pour aller

supporter ses favoris au Centre Bell, Hughes a fait l’admiration de ses amis pour sa passion

et ses grandes connaissances en matière de hockey. En vantant les qualités de ce dernier

devant l’observateur, ils ont travaillé en équipe et ont contribué à la réussite de la

représentation. Par son statut, Hughes a toujours été celui qui a remis la retransmission des

matchs « sur les rails », dans la mesure du possible, quand ils sont passés au second plan.

Ainsi, il est arrivé à plusieurs reprises qu’il rappelle ses amis à l’ordre pour les recentrer sur

ce qui se passait sur la glace. Il l’a souvent fait en évoquant l’observation en cours. Ainsi, par

ce rappel, il replaçait la représentation sur la bonne voie.

Les représentations chez Hughes ont toujours été placées sous le signe de regroupements

d’amis : deux pour les premières observations, trois pour la troisième et six pour la dernière.

Comme mentionné plus haut, ces regroupements étaient autant une occasion de regarder un

match du Canadien que de se retrouver entre amis. Les représentations ont donc oscillé entre

passion partisane et camaraderie. Le match a bien sûr été le prétexte de la rencontre mais

157

Hughes et ses amis déviaient rapidement vers d’autres sujets qui sont allés du sport à la vie

quotidienne, bref, comme pour n’importe quelle soirée entre amis. En général, quand le ou

les équipiers d’Hughes étaient des amis qu’il n’avait pas vus depuis un petit moment, le

match de hockey restait le fil conducteur de la soirée mais ne revenait sur le devant de la

scène que lors des actions d’éclat (buts, occasions potentielles de marquer pour les deux

équipes, bagarres). Par contre, quand Hughes s’est retrouvé avec des amis avec lesquels il

était régulièrement en contact, le match du Canadien a véritablement été le centre d’intérêt

et l’est resté tout au long de la soirée. Le meilleur exemple est celui des soirées avec José, un

ami et un collègue de travail d’Hughes, avec qui il avait des contacts réguliers en dehors des

soirées de hockey. Ainsi, lors de l’observation du 13 mars contre les Sénateurs d’Ottawa, les

deux amis sont restés concentrés presque exclusivement sur le match. D’autres sujets ont été

évoqués au cours de la soirée mais le Canadien a retenu la plus grande partie de leur attention.

D’autant plus que les deux amis ont été sur la même longueur d’onde sur de nombreux sujets

se rapportant au Canadien et au match. L’impression d’une représentation avec une équipe

parfaitement en phase s’est dégagée à la fin de l’observation. Par contre, le 26 mars, le

Canadien s’est déplacé à Pittsburgh pour y affronter les Penguins pour un match important,

tant pour le classement que pour la qualité de l’adversaire. José était présent, ainsi qu’Etienne,

un ami d’Hughes, qui a profité de ses vacances pour regarder un match du Canadien. Etienne

et Hughes ne se voyaient pas souvent à cause de leurs emplois du temps. De plus, Etienne ne

connaissait pas José. L’observation promettait beaucoup. Au final, cela s’est terminé comme

une soirée entre amis, dont deux qui se sont rencontrés pour la première fois, avec le match

en bruit de fond. Hughes et Etienne ont profité de cette soirée pour se retrouver et José en a

profité pour rencontrer un potentiel nouvel ami. À leur décharge, il faut reconnaître que

l’intensité du match était assez peu soutenue. Le match n’a été le centre d’attention que par

intermittence et les trois amis ont reconnu à la fin qu’il y avait mieux comme observation.

Néanmoins malgré leurs excuses, cette observation a été utile car elle a permis de faire

ressortir une représentation complètement différente avec le Canadien en toile de fond.

Une autre configuration de représentation totalement différente a pu être observée avec

Hughes et ses amis. En effet, lors de la dernière observation à son domicile, il y avait, en

158

incluant le participant principal et l’observateur, sept personnes réunies pour le match. On a

alors assisté à une représentation éclatée avec Hughes au centre de ce groupe. En effet, sur

les cinq amis présents, certains se connaissaient déjà et d’autres ont fait connaissance sur

place. Le participant principal a fait le lien entre toutes les personnes. Pendant la soirée, il a

été le plus concentré car il revenait d’un voyage au cours duquel il avait été sevré de hockey.

Pendant que les participants secondaires ont évoqué d’autres sujets ou ont parlé entre eux, il

a toujours eu un œil rivé sur l’écran de sa télévision pour suivre le Canadien. Des petits

groupes se sont formés au gré des sujets évoqués et les équipiers autour d’Hughes ont

constamment changé. En effet, comme regarder un match du Canadien était le but de la

rencontre de la soirée, les participants ont alterné entre se concentrer sur le match et rejoindre

les autres îlots de discussion. Quand ils se sont concentrés sur le match, ils se sont rapprochés

d’Hughes qui a été le seul à rester constant dans son intérêt pour le match. Même quand il a

participé aux différentes discussions, son intérêt pour le match ne s’est pas démenti. Les

équipes se sont faites et défaites autour du participant principal.

4.2.2.3 L’équipe de Gisèle

Les représentations chez Gisèle ont sans doute été les plus particulières de toutes. Elles

ont semblé parfaitement orchestrées et se sont toujours déroulées selon un scénario bien

précis. En introduction de ce chapitre, la trame dramaturgique a été évoquée et elle s’applique

parfaitement aux matchs observés chez Gisèle. Cette dernière vivant avec son époux Denis,

ils n’ont jamais reçu de visiteurs pendant les soirées observées. Gisèle n’a jamais été

accompagnée pendant les observations de matchs, elle a donc exprimé sa passion partisane

toute seule, avec son époux qui est toujours intervenu à des moments bien précis comme si

cela avait été répété avant.

De tous les participants observés dans cette étude, Gisèle a été la plus expressive, toujours

prompte à réagir à la moindre occasion. Que le Canadien passe à l’attaque ou se défende, elle

159

s’est toujours entièrement donnée en représentation à chaque match avec plusieurs gestes,

commentaires et cris. Son époux en a d’ailleurs fait état au cours de la première observation

où le Canadien recevait les Sabres de Buffalo à Montréal. Alors que les Sabres avaient deux

buts d’avance et que le Canadien n’arrivait pas à marquer, Denis a expliqué qu’il espérait

que ce dernier inscrive au moins un but pour que l’observateur puisse prendre acte de

l’intensité de sa femme dans l’expression de sa passion. Cela a fini par se produire au plus

grand bonheur de Gisèle et de Denis, confirmant l’affirmation de ce dernier. Il regardait

d’autres programmes à la télévision dans la cuisine, pendant que sa femme vibrait aux

exploits du Canadien dans le salon. Ancien partisan du Canadien, il ne suivait plus le hockey

que de loin à cause de la nouvelle ligue nationale. Il estimait qu’il y avait trop d’équipes. Du

coup, il se contentait des commentaires de sa femme et des résumés des matchs dans les

journaux. Mais, aussi surprenant que cela puisse paraître, il était au courant de ce qui se

passait dans la ligue. Il connaissait notamment l’état de forme des clubs qui affrontaient le

Canadien : leurs joueurs, les forces et les faiblesses de l’équipe. Au cours des matchs, il faisait

un tour au salon, pendant les entractes, pour donner son avis sur le match ou alors c’est Gisèle

qui allait à la cuisine pour le tenir au courant de ce qui se passait. Ces déplacements de l’un

vers l’autre ont été systématiques. L’autre moyen pour Gisèle de prévenir Denis des

développements des matchs a été de lui crier du salon ce qui se passait. Et quand cela n’a pas

été le cas, il suffisait à Denis de se fier aux cris de Gisèle pour savoir si le Canadien avait

marqué ou s’il avait encaissé un but. Selon la façon dont elle s’exprimait, il savait ce qu’il en

était et lui répondait de la cuisine de la même façon. À certains moments, elle n’a pas eu

besoin de le faire car il était au courant de ce qui se passait en même temps. En effet, il lui

est arrivé de regarder des bouts de rencontre, en général, les fins de match quand ses

programmes étaient terminés ou quand les matchs du Canadien étaient serrés. Les deux époux

sont ainsi restés connectés d’une pièce à l’autre. Même de loin, Denis a suivi les

représentations de sa femme. Cette mise en scène était parfaitement synchronisée entre les

deux équipiers.

L’autre versant de cette représentation repose sur les commentaires et l’humour au sein de

l’équipe. Le schéma a toujours été le même. Avant les matchs, Denis pronostiquait la défaite

160

du Canadien et Gisèle répondait que cela n’arriverait pas. Lorsque Montréal encaissait un but

ou était mené, Denis ironisait sur la défaite qui se profilait. Selon son humeur, Gisèle lui

répondait que ce n’était pas le moment ou lui disait que « les petits gars » allaient « revenir

dans la partie ». Lors des matchs à fort enjeu émotionnel, comme contre les Bruins de Boston,

Gisèle avait peu de patience pour les railleries de son époux. Ce dernier savait exactement

quels propos tenir pour que Gisèle perde son sang-froid. Il jouait sur sa fibre partisane pour

la faire un peu sortir de ses gonds. Mais cela ne durait jamais longtemps. Gisèle savait que

son époux faisait exprès et même lorsqu’elle entrait dans son jeu, elle trouvait par la suite

une répartie pleine d’humour. Parmi les joueurs du Canadien, Carey Price a régulièrement

été pris pour cible par Denis. Quand le Canadien encaissait un but, il le mettait toujours en

cause. Selon lui, l’équipe montréalaise serait meilleure avec son remplaçant Peter Budaj. Il a

souvent préconisé le remplacement de l’un par l’autre au cours des matchs. Ce remplacement

s’est d’ailleurs réellement produit à deux reprises au cours des observations chez eux. Il a

alors manifesté sa joie d’avoir raison devant son épouse. Cette dernière a été une fervente

défenseur de Price et a toujours opposé à son mari qu’il se trompait lourdement, même quand

ses prédictions sur le sujet ont été justes. Ces joutes verbales ont toujours fonctionné selon le

même scénario : des propos provocateurs de Denis pour que Gisèle réagisse avec vigueur. Et

tout cela sur le ton de l’humour. Cela a été tellement maîtrisé par les deux qu’on pouvait se

demander si cette mise en scène n’était pas destinée uniquement à l’observateur. Les

représentations chez Gisèle ont reposé sur les mêmes aspects : la passion partisane de la

participante principale et les saynètes pleines d’humour entre les deux équipiers.

4.2.2.4 Les équipes d’Ismaël

Contrairement à Gisèle, Ismaël n’a regardé qu’un match du Canadien avec son épouse.

Celle-ci travaillait au cours des autres matchs ou était de sortie. De plus, elle n’appréciait pas

le hockey. Sa seule présence a donné lieu au repas familial relaté précédemment. Pour cette

soirée, sa cousine était présente ainsi que leur fils Owen. Cette représentation a vu Ismaël

jouer un rôle d’hôte et de partisan. Et même si les deux cousines s’intéressaient peu au

161

hockey, elles ont néanmoins passé une partie du match auprès d’Ismaël devant la télévision.

Leur rôle d’équipières s’est traduit par des questions au participant principal sur certains

aspects du jeu et sur certains joueurs. Elles ont aussi fait des commentaires pleins d’humour

sur la mauvaise prestation des Rangers de New York qui n’ont pas offert, ce soir-là, une

opposition très soutenue au Canadien. Si leur présence a été motivée uniquement par la

curiosité envers l’étude, elles ont fait office d’équipières en mettant l’accent sur tout le

sérieux avec lequel Ismaël a regardé le match. Même s’il n’était pas aussi expansif que

Gisèle, sa concentration a été tellement évidente aux yeux de tout le monde que cela a été

relevé par son épouse et sa cousine. En effet, il a peu participé aux conversations des deux

femmes et n’a semblé remarquer leur présence que lorsqu’une question lui était directement

posée. Toute son attention a été tournée vers le match de hockey. Au cours de cette

représentation, une équipe s’est formée uniquement par la curiosité due à la présence de

l’observateur.

Si l’équipe composée par Ismaël, sa femme et la cousine de cette dernière a été formée par

les circonstances fortuites de l’observation, celle entre Ismaël et son ami Brunel a été tout à

fait volontaire. Cette équipe s’est nourrie de la même passion partisane pour le Canadien de

Montréal. Comme nous avons pu le voir, les deux amis aimaient les mêmes joueurs. Toute

la jeune classe montréalaise (P.K. Subban, Brendan Gallagher, Alex Galchenyuk ou encore

Lars Eller) a été fortement appréciée par l’équipe et ils n’ont cessé de leur adresser des

louanges au cours des matchs. Ils ont donné une représentation assez symétrique avec avis

similaires dans tous les domaines. Même leur façon de vivre les matchs était assez semblable.

Des actions pouvaient les laisser sans réaction alors qu’on pouvait s’attendre au contraire.

Les deux représentations qu’ils ont données ont été basées sur leur passion commune pour le

Canadien de Montréal. Ils se sont complétés en se tempérant quand l’un était trop optimiste

et se sont enjoint de ne pas se montrer trop défaitistes en cours de match quand les choses

n’allaient pas bien pour le Canadien. En plus d’être similaires, les deux se sont soutenus dans

les moments difficiles de l’organisation montréalaise. Ismaël a été accompagné par un

participant secondaire qui a été son parfait pendant dans ce qu’il appréciait du Canadien.

162

4.2.3 Les ratés des représentations

Ici, le terme de « ratés » désigne le moindre geste ou attitude qui fait perdre toute

crédibilité à l’acteur auprès du public ou de divergences survenues entre équipiers au cours

des observations. Les ratés ne remettent pas en cause la réussite de la représentation, mais

causent de légères fêlures dans leur déroulement. Ces ratés n’avaient rien de dramatiques et

à certaines occasions nous ont apporté des informations supplémentaires sur le profil de

certains des participants. Les ratés font partie de ces impondérables que les participants

principaux ne pouvaient prévoir.

4.2.3.1 Un contrôle des représentations mis à mal

Les présences surprises de participants secondaires ont occasionné des soucis, surtout

sur le plan de l’organisation des observations car l’observateur n’avait pas été prévenu par le

participant principal. Mais, le fait de toujours avoir sous la main des formulaires de

consentement a réglé la question déontologique. Il a tout de même fallu prendre un petit

temps d’adaptation pour intégrer les participants « surprises » à l’observation. Cela s’est

produit à trois reprises au cours de la démarche de terrain. La première fois chez Ismaël avec

la présence de la cousine de sa femme. Celui-ci n’a pas cru bon avertir car il n’a pas estimé

cette présence importante pour l’observation. En effet, Doriane ne s’intéressait nullement au

hockey et sa visite était familiale. La suite a démontré que, malgré ces éléments, sa

participation n’a pas été dénuée d’intérêt pour l’étude. La seconde surprise est intervenue lors

de la troisième observation chez Stéphane. Le neveu de sa compagne, Arnaud, a été présent

pour regarder le match. Cela s’est décidé juste avant l’arrivée de l’observateur qui a été

informé sur le champ. Comme cette présence était liée au hockey, cela a permis de former

une équipe aux rôles bien définis : un mentor et son élève. La troisième apparition surprise

est survenue lors de la dernière observation chez Hughes. Ce soir-là, il a invité plusieurs amis

et à l’arrivée de l’observateur au domicile, quatre étaient déjà installés. Un cinquième ami,

163

Éric, est arrivé en cours de match. Hughes avait lancé des invitations à plusieurs personnes

de son entourage sans attendre un nombre précis d’amis. Pour ce cas-là, c’est Éric qui a dû

s’adapter et trouver sa place dans le groupe. Même si les contributions des trois invités ont

été variables dans les observations, notamment pour Éric et Doriane, elles ont permis la

constitution d’équipes autour des participants principaux. Elles ont aussi modifié les

représentations car même pour Doriane, qui ne devait pas du tout s’intéresser au match, sa

présence a joué à quelques reprises sur la représentation.

Dans les cas qui nous occupent, ces présences surprises même si elles ne les ont pas dérangés,

ont fait partie des éléments que les participants principaux n’ont pas pu contrôler. Ainsi,

Ismaël ne pouvait pas refuser à un membre de la famille de sa femme de venir les visiter ;

Stéphane ne pouvait pas refuser l’accès à son logement au neveu de sept ans de sa compagne

et Hughes ne pouvait pas prévoir qu’un de ses invités arriverait en cours de match. Encore

une fois, si ces présences n’ont pas gêné les participants principaux, il demeure qu’ils n’ont

pas maîtrisé tous les éléments de la représentation. De même, les annulations et les retards

des participants secondaires entrent dans ce cadre de non-contrôle des représentations. Les

annulations ont surtout eu lieu dans les observations avec Hughes. S’il a toujours été

accompagné par un ou plusieurs amis pendant les matchs, il en invitait toujours beaucoup

plus. Les veilles de matchs, il annonçait qu’il avait invité plusieurs personnes alors que les

jours de matchs, il y a presque toujours eu des désistements. Cela s’est même produit juste

quelques minutes avant le début de certains matchs. Pour l’observateur, ces défections n’ont

posé aucun problème mais le principal intéressé a semblé, à chaque fois que cela est arrivé,

un peu contrarié. Il ne contrôlait pas totalement certains éléments de sa représentation.

Cela est également survenu dans le cas des retards de certains participants secondaires.

Hughes en a encore fait les frais lors de la troisième observation chez lui. Dès l’arrivée de

l’observateur, il se trouvait avec son ami José et ils attendaient Etienne, un autre ami

d’Hughes. Il avait confirmé sa présence quelques instants avant le match. Ne voulant ni

commencer le match sans lui, ni en manquer un bout, ils ont décidé de l’enregistrer et de

164

reprendre à l’arrivée d’Etienne. En attendant, ils ont fait une partie de hockey sur la console

de jeux de la maison. Ils ne voulaient pas connaître le déroulement du match et ont donc

trouvé une activité pour passer le temps. L’observation de cette soirée a donc débuté par un

match de hockey virtuel en attendant l’arrivée du troisième participant. Cette mésaventure

est également arrivée à Ismaël lors de la quatrième observation à son domicile. Il attendait

son ami Brunel qui devait être présent pour le début du match. Devant ce retard, Ismaël a fait

comme Hughes et a enregistré le match en attendant l’arrivée de son équipier. Comme il

tardait à arriver, Ismaël a dû se résoudre à commencer le match sans Brunel. Outre ce retard,

on peut également citer la fin abrupte de l’observation au cours de laquelle le participant

principal a dû faire face à ses obligations familiales. Comme nous l’avons vu précédemment,

sa femme et son fils se trouvaient à un anniversaire et il devait aller les chercher seulement à

la fin du match. Mais les pleurs de son fils l’ont incité à devancer son départ avant la fin de

la rencontre. Tous ces éléments ont été hors de contrôle des participants mais ils ont tout de

même contribué à perturber les représentations dont ils ont été les principaux protagonistes.

Un autre genre d’impondérables que les participants ne pouvaient pas contrôler est les

problèmes techniques rencontrés au cours de la diffusion des matchs. Cela est arrivé pendant

deux observations, une chez Gisèle et l’autre chez Ismaël. Les deux participants se trouvaient

particulièrement démunis par ces désagréments, notamment Gisèle qui a pesté contre RDS

et a prié pour ne pas avoir raté un but de ses favoris. Ismaël a pris la chose avec beaucoup

plus de philosophie en invoquant le sort. Les deux ont été pris de court et ont attendu quelques

minutes avant que les problèmes techniques ne cessent. Tous ces éléments ont perturbé les

observations et ont mis de l’avant que, même si toutes les précautions peuvent être prises, les

représentations ne sont jamais à l’abri d’impondérables. Les participants pouvaient avoir le

contrôle sur tout au cours des observations sauf sur les émotions et les imprévus. Ces

émotions ont mis à mal la dernière représentation de Stéphane. Au cours des quatre

précédentes, il a toujours présenté un profil de partisan mesuré dans ce qu’il dégageait. Mais

cette image s’est fissurée tout au long du match des séries contre les Sénateurs. L’enjeu lui a

fait montrer un autre visage. Il est alors passé des représentations avec un partisan assez

maître de ses émotions à un partisan exalté qui a invectivé les arbitres et a eu des mouvements

165

d’humeur. Il n’a pas contrôlé l’image qu’il avait donnée auparavant. Dans le même ordre

d’idées et encore lié aux séries, nous pouvons citer la dernière représentation d’Ismaël qui,

confronté à la défaite du Canadien, a endossé le rôle du partisan défaitiste alors qu’il avait

toujours été un partisan victorieux. Il a choisi d’anticiper la défaite en l’intégrant dès le début

de l’observation. Ces deux exemples sont des ratés de représentation car les deux partisans

avaient donné une image d’eux auparavant qui a changé face aux évènements liés aux matchs.

4.2.3.2 Les divergences entre équipiers

Précédemment, les équipes et leurs discussions pendant certaines observations ont été

évoquées. Ainsi, l’osmose entre Ismaël et Brunel a été soulignée à de nombreuses reprises.

Ils réagissaient en même temps et surtout appréciaient les mêmes joueurs, notamment les

jeunes du Canadien avec P.K. Subban en tête de liste. Ils ont voué à ce joueur une admiration

sans bornes et n’ont cessé de faire les éloges des « jeunes ». Mais on a aussi vu au chapitre

précédent que Hughes et ses amis se sont souvent opposés sur certains joueurs du Canadien

et des équipes adverses. Ils n’étaient pas d’accord et l’ont fait savoir, sans animosité, même

devant l’observateur. On ne peut évidemment pas parler de disputes réelles entre coéquipiers

mais du fait qu’ils ont évoqué leurs différends devant un public, cela s’apparente à une fausse

note dans la représentation. Le gardien du Canadien de Montréal, Carey Price, a été le

symbole de ces divergences au cours de la dernière observation chez Hughes. Les six amis

ont chacun donné un avis sur le portier montréalais avec leurs arguments. Certains l’ont

défendu, d’autres l’ont mis en cause. Un autre exemple est intervenu lors de l’observation

avec Hughes, José et Etienne. Le Canadien affrontait les Penguins de Pittsburgh et les deux

premiers participants ont loué les qualités du capitaine des Penguins, Sydney Crosby, tandis

qu’Etienne s’y est opposé car il faisait uniquement partie de l’équipe adverse. Ici, la

divergence intervient entre un partisan occasionnel du Canadien et des partisans beaucoup

plus assidus. L’esprit sportif n’habitait pas le premier contrairement aux deux autres. Encore

une fois, ces points de vue différents ont été formulés sans fracas, juste des coéquipiers qui

ne pensaient pas la même chose. Ces exemples de divergences sur les joueurs ont

166

exclusivement eu lieu entre Hughes et ses amis. Le fait de toujours regarder des matchs avec

des équipiers différents a sans doute contribué à favoriser ce genre de différends entre

équipiers. En effet, Ismaël et Brunel ne se sont jamais opposés sur des joueurs et il en a été

de même entre Stéphane et Arnaud. Seuls Gisèle et son époux ont fait preuve de divergence

mais cela semblait scénarisé et était toujours empreint d’humour. Il aurait sans doute fallu

plus de participants secondaires avec Ismaël, Stéphane ou Gisèle pour saisir des divergences

sur le Canadien ou sur le jeu pendant les matchs.

Un autre genre de divergences entre équipiers est apparu au cours des observations. Elles ont

porté sur toute autre chose que les joueurs ou le jeu mais elles ont été exprimées en pleine

représentation. Celles-ci concernent la façon de regarder le match. Ismaël ne voulait rien rater

des matchs du Canadien et, pour cela, avec la manette de commande de télévision, il mettait

le début du match à la fonction pause afin de disposer d’une marge de manœuvre sur le temps

réel du match en direct. Avec ce léger décalage sur le direct, il pouvait maîtriser la

retransmission du match de hockey comme il l’entendait. Son ami Brunel n’était pas de cet

avis et au cours des deux observations où ils ont été ensemble, le ton est monté à quelques

reprises entre les deux par rapport à cet aspect. Brunel ne comprenait pas l’intérêt de regarder

un match de hockey en mode différé alors qu’il suffisait d’activer la fonction « avance

rapide » de la télécommande pour savoir si une des deux équipes avait marqué un but. Ismaël

refusait catégoriquement de se laisser attendrir par ces arguments. Il avait toujours regardé

les matchs de cette façon; peu lui importait le direct, car le temps de visionnement qu’il se

créait en décalage le satisfaisait entièrement. De plus, comme il était chez lui, il n’a pas voulu

se faire imposer une autre façon de faire que celle à laquelle il était habitué, même si cela

venait d’un ami. Ces divergences ont été plus vives comparativement à celles chez Hughes

portant sur les avis des joueurs. Au final, Ismaël imposait son point de vue, mais uniquement

parce que c’étaient ses représentations et qu’il tenait à ce qu’elles se déroulent comme il le

voulait.

167

4.3 La circulation des participants

Lors des observations, les participants se sont beaucoup déplacés à l’intérieur et à

l’extérieur de leurs murs. Pour la plupart, ces déplacements ont été liés aux matchs de hockey

ou au contexte de ces soirées de retransmission. En ce sens, ils font intrinsèquement partie

de la représentation, de sa mise en scène, voire de sa ritualisation. Les lieux où se sont

déroulés les observations tiennent une place importante dans l’étude ne serait-ce que parce

que les participants y ont exprimé leur passion partisane. Ces lieux se situent dans un cadre

privé et incluent le domicile en entier. En effet, il a fallu les observer chez eux dans leur

environnement de vie avec tout ce que cela comporte. Si les pièces où ils ont regardé les

matchs du Canadien ont constitué la scène principale de l’action au sens de Goffman, les

autres pièces, où ils ont pu se déplacer au cours des matchs et considérées comme les

« coulisses », ne sont pas à négliger. La circulation des participants entre ces différentes

zones du domicile de même que la liberté de mouvements fournissent des indications sur leur

façon de vivre leur passion.

Les représentations des participants ont eu besoin d’une scène à la mesure de leur

engouement. Si la télévision est devenue le centre de toutes les attentions, la pièce où se

trouvait cet objet et sa configuration ont aussi eu leur importance. Pour les quatre participants,

cette pièce où leur passion pouvait s’exercer a été le salon. En général cette pièce ne traduisait

pas leur ferveur pour le Canadien dans son décor, sauf pour Hughes où un coin à côté de son

ordinateur était réservé à des objets en rapport avec l’équipe montréalaise, comme sa pierre

du centenaire (pierre issue de la place du centenaire en hommage aux 100 ans de l’existence

du Canadien de Montréal). Cet endroit n’était pas grand mais sa configuration reflétait une

passion visible pour son équipe favorite. La pièce centrale où se déroule la représentation est

qualifiée de région antérieure selon l’expression de Goffman en tant que « point de référence

168

[d’] une représentation particulière »246. C’est dans cet espace que les participants ont reçu

leurs invités et l’observateur, donc leur public, dans le cadre des observations.

Les jours de match, les salons ont été aménagés de façon à ce que les participants aient une

vue directe sur la télévision. Ils se plaçaient tous de façon à être directement en face. Gisèle

a même utilisé une petite table, placée devant le meuble du téléviseur, comme chaise pour se

rapprocher de l’écran. La position centrale de cet objet qui retransmettait les matchs était

primordiale pour les partisans. Hormis la télévision, des objets divers composent la scène

dans ces régions antérieures : un téléphone fixe chez Gisèle et Denis qui a souvent sonné les

soirs de matchs, des jouets pour enfants dans un coin chez Ismaël, un talkie-walkie pour

surveiller le sommeil de David sur le canapé principal chez Stéphane ou une console de jeux

chez Hughes. Les jours de représentations, les participants ont toujours occupé l’espace de

la même façon, bien postés sur leurs canapés en face de l’écran de la télévision. Il n’y a pas

eu de changements de disposition du mobilier pour regarder les matchs. Un seul changement

a été constaté au cours de toutes les observations. Chez Hughes lors de la dernière observation

en raison du nombre de participants secondaires, l’hôte s’est placé sur une chaise et a laissé

le canapé et les fauteuils à ses amis. Concernant les participants secondaires qui ont

accompagné Stéphane et Ismaël au cours de certaines soirées, ils se sont assis à leurs côtés

sur les canapés ou sur les fauteuils placés à proximité. Les éléments du mobilier sont

demeurés les mêmes au cours des observations; de même, entre les entretiens préliminaires

et les premières observations, aucun changement dans l’aménagement de la scène ou son

décor n’a été repéré. Les participants tenaient à être à leur aise pendant la retransmission des

matchs. Ils ont d’ailleurs souligné, notamment Stéphane, Gisèle et Ismaël, à plusieurs

reprises, le bien-être qu’ils éprouvaient de pouvoir suivre leur équipe favorite de leur

domicile. Cela n’avait pas de prix et ils en profitaient. Ils vivaient bien cette situation en ne

masquant rien de leurs habitudes de vie ou en laissant des objets de leur quotidien en place

(par exemple, les jouets du fils d’Ismaël dans un coin de cet espace). Ils ont donné les

représentations dans un cadre qui leur était totalement familier. Ils y ont évolué avec

246. Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne. La présentation de soi, Paris, Les Éditions de minuit, 1974, p. 106.

169

décontraction même si les représentations se sont effectuées devant un observateur en guise

de public. Dans la façon d’assister au match dans le cadre privé, une sorte de ritualisation de

la représentation semble se mettre en place : même disposition du participant devant le

téléviseur, aménagement nul de la pièce, mêmes habitudes de visionnement match après

match.

Si les représentations ont principalement eu lieu dans la région antérieure, nous avons pu

constater au cours des observations qu’il existait des endroits où les participants pouvaient

quitter leurs « masques » de partisans et, en quelque sorte, relâcher la pression inhérente à

leurs prestations. Ces zones sont les coulisses, c’est-à-dire le « lieu, en rapport avec une

représentation donnée, où l’on a toute la latitude de contredire sciemment l’impression

produite par la représentation »247. Les coulisses seraient, selon Erving Goffman, l’endroit

où l’acteur, ici le participant, « peut se détendre, qu’il peut abandonner sa façade, cesser de

réciter un rôle, et dépouiller son personnage »248. Les coulisses permettent donc à l’acteur de

faire certaines choses qu’il n’aurait pas faites au cours de la représentation devant public, car

celui-ci n’y a pas accès. En effet, ce dernier doit rester confiné dans la région antérieure où

se déroule la représentation. Dans les coulisses, les possibilités sont nombreuses : l’acteur

peut gommer les imperfections de sa représentation ; l’acteur peut apporter des accessoires

qui n’étaient pas présents au début de la représentation ; l’équipe peut même corriger les

divergences survenues devant le public, etc. Dans les coulisses, on ne se comporte pas comme

on le ferait en représentation. Seul ou avec ses coéquipiers, on peut exprimer ce que la

représentation ou le public nous inspire vraiment : on fait tomber le masque pour apparaître

tel qu’on est réellement. Les participants secondaires qui sont dans les coulisses savent ce

qu’il en est et ne s’offusquent pas que les participants principaux puissent changer de

comportement une fois sortis de la région antérieure. Les acteurs peuvent dénigrer le public

ou le tourner en dérision, car seuls les initiés seraient au courant de ce fait. Les coulisses sont

donc un lieu où les acteurs peuvent abandonner leurs rôles, décompresser loin du public et

ajuster les points négatifs de leurs représentations. Dans l’étude, les participants ont bénéficié

247. Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne. La présentation de soi, Paris, Les Éditions de minuit, 1974, p. 110.

248. Ibid, p. 111.

170

de zones où ils se « réfugiaient » pendant les entractes ou les pauses publicitaires. Dans ces

coulisses, ils pouvaient prendre un répit de la représentation ou se détendre en attendant que

le match reprenne.

Sur les quatre participants, trois ont véritablement utilisé des coulisses. Pour deux d’entre

eux, ces zones se situaient à l’extérieur (deux terrasses) séparées par des portes pour y

accéder ; ces terrasses faisaient partie intégrante du logement des participants. Stéphane a été

le participant à rester le plus longtemps dans la région antérieure au cours des observations.

Ses déplacements dans son logement n’ont pas inclus de coulisses, comme nous le verrons

plus tard. Chez Gisèle, c’est la cuisine qui a fait principalement office de coulisse. Comme

nous l’avons vu précédemment, Denis est souvent venu faire des tours au salon pour voir si

tout se passait bien, regarder les fins de matchs avec son épouse ou pour la taquiner sur les

performances du Canadien de Montréal. De son côté, Gisèle aussi s’est souvent rendue à la

cuisine pour informer son mari de ce qui se passait ou juste pour le voir. Elle s’y est d’ailleurs

rendue presque systématiquement quand il y a eu des temps morts (entractes, pauses

publicitaires). On peut considérer qu’elle y a passé beaucoup de temps. Elle en est assez

souvent revenue avec une cigarette. À quelques reprises aussi, elle s’est rendue dans sa

chambre et en est revenue avec des vêtements plus chauds. Si ces déplacements ont eu pour

but un meilleur confort, ceux vers la cuisine peuvent être considérés comme une véritable

pause de la représentation. Elle allait y rejoindre son époux, décompresser et sans doute faire

le point sur le match. Elle en a aussi profité pour combler son manque de nicotine. Comme

elle a toujours exprimé sa passion avec intensité et même si les coupures publicitaires l’ont

exaspéré, elle a profité des temps morts pour se couper un peu du match. Le fait de se rendre

à la cuisine à chaque période l’apaisait. Il n’y avait pas de changement de comportement

notoire, même si elle en revenait plus calme, mais nous pouvons parler d’un « rechargement

de batterie ». Elle était pressée que les matchs reprennent, mais, en même temps, ses visites

dans les coulisses ont semblé lui faire du bien. Loin du public, elle a pu parler avec Denis du

match et sûrement d’autres choses. Ce dernier, qui attendait toujours en coulisse, a toujours

été présent indirectement, car, en plus de leurs visites mutuelles d’une pièce à l’autre, son

épouse l’interpellait pour l’avertir de ce qui se passait sur la glace.

171

Pour Hughes et Ismaël, ce sont les terrasses à l’extérieur qui ont fait office de coulisses.

Contrairement à Gisèle, ils sont toujours allés en coulisse accompagnés de leurs équipiers et

les moments au cours desquels ils s’y sont rendus ont également été différents. Dans le cas

d’Hughes, il a rejoint les coulisses quand il était avec José et cela durait dix à quinze minutes

avant les matchs. Ce moment du « calme avant la tempête » était important, car pendant les

matchs, ils n’avaient tout simplement pas le temps ou l’envie de le faire. C’était l’occasion

pour eux de « fumer un joint » et de se relaxer avant les matchs. Ils revenaient d’ailleurs de

ces moments assez détendus et prêts à vibrer aux prouesses du Canadien. Ils n’ont pas eu

besoin d’avertir qu’ils sortaient fumer, car l’observateur assistait à leurs préparatifs. Le public

était donc au courant des activités des participants dans les coulisses. Leur état au retour était

de toute façon un indice assez probant. Pour avoir observé Hughes au cours de quatre soirées,

le fait de fumer le rendait plus détendu, mais ce sont les seuls effets apparents constatés. José

et lui avaient le sourire aux lèvres mais dès que le match commençait, leur attention prenait

le dessus. Sur les quatre observations, Hughes s’est rendu dans les coulisses à deux reprises.

Cela n’a donc pas été systématique, mais la présence de José y était sans doute pour quelque

chose. On peut dire que pour ces participants, la représentation se préparait déjà dans les

coulisses.

La détente est aussi ce qui a motivé Ismaël à aller dans les coulisses. Avec son équipier

Brunel, ils en ont profité au cours de deux observations et dans des circonstances différentes :

une première fois, lors de la troisième observation pour le match entre le Canadien et le

Lightning de Tampa, d’abord à cause de problèmes techniques de RDS puis pendant

l’entracte entre la deuxième et la troisième période. Au cours de cette soirée, les problèmes

techniques de RDS ont rendu la transmission du match chaotique à certains moments. Les

deux amis un peu agacés par ces problèmes à répétitions sont sortis sur la terrasse. Il ne

servait à rien de poursuivre leur représentation dans ces conditions et ont décidé d’aller

fumer. Une certaine frustration, notamment chez Brunel, a été le motif pour rejoindre les

coulisses. La seconde occasion était pendant l’entracte. Le match était fertile en

rebondissements et une pause cigarettes s’est imposée pour les deux. Ils avaient besoin de se

détendre après les émotions vécues. Lors de l’observation suivante, les deux équipiers ont

172

attendu encore l’entracte entre la deuxième et la troisième période pour prendre une pause

cigarette et se détendre à l’extérieur. Il est nécessaire de signaler qu’Ismaël n’a fumé que

quand il était avec Brunel. Au cours des trois autres observations, il ne l’a pas fait et d’ailleurs

rien ne laissait supposer qu’il fumait. Le fait d’être avec son ami a été déterminant dans le

fait de fumer. Il profitait aussi de l’absence de sa femme et de son fils pour s’accorder cette

liberté. C’était un moyen de se détendre pendant les représentations. Les coulisses lui ont

servi à prendre des pauses pendant les matchs car, quand son fils était là, le rôle de père lui

prenait beaucoup de son temps. Le fait que son ami, qui partageait sa passion pour le

Canadien fume également, est aussi à prendre en compte. Leurs représentations ont été

agrémentées de pauses détentes en coulisse qu’ils ont passées en fumant.

D’autres déplacements ont eu lieu dans les régions antérieures, là où se sont jouées les

représentations. Ils pouvaient être liés à la santé des participants. Ainsi, Gisèle avec ses

problèmes de vue s’est constamment déplacée dans son espace. Elle passait de son fauteuil,

situé en face de la télévision, à la table basse située juste devant l’écran. Elle s’asseyait dessus

et regardait les matchs dans cette position. De la table basse, elle était presque collée à l’écran

de la télévision. Ses petits allers-retours entre les deux zones ont eu lieu un nombre

incalculable de fois par match. Tantôt, cela était dû à sa vue, tantôt, cela était dû au stress

engendré par le match. En effet, selon que la tension du match était forte, elle se rapprochait

ou quand elle faiblissait, elle retournait sur le fauteuil. Sa façon de suivre les matchs, liée à

ses mouvements, engageait tout son être. Son côté passionné et son énergie débordante ne

l’ont pas laissé immobile pendant les matchs. Même pendant les pauses publicitaires, qu’elle

n’aimait pas, elle devait bouger. Les autres participants ont aussi été très actifs et performants

dans la représentation. Stéphane s’est déplacé d’un bout à l’autre de son canapé, tout en se

rapprochant encore plus près de la télévision, quand il pressentait qu’une action pouvait

aboutir. Ismaël s’est mis devant l’écran quand il voulait étudier un ralenti de plus près.

Hughes aussi se mouvait dans son salon captivé par ce qui se passait à l’écran; il s’en

rapprochait pour être au plus près de l’action. Les participants secondaires, notamment ceux

qui sont venus pour les matchs, ont aussi eu ce genre de mouvements vers la télévision. Lors

de la dernière observation chez Hughes, l’impulsion simultanée de six personnes dans un

173

espace aussi réduit vers l’écran était particulièrement impressionnante. Selon ce qui se passait

sur la glace, les participants bondissaient vers leurs postes de télévision pour suivre l’action

de plus près. L’écoute et le visionnement d’un match ne se fait pas passivement : les

passionnés comme les amateurs engagent leur corps et tous leurs sens dans la représentation.

Les autres déplacements dans la région antérieure ont été motivés par le quotidien des

participants. Seul le logement de Gisèle avait une cuisine fermée, située à quelques mètres

du salon. Chez les trois autres participants, les cuisines côtoyaient l’espace salon dans de

grandes pièces ouvertes. Ainsi, Stéphane, Ismaël et Hughes ont pu cuisiner ou réchauffer leur

repas en même temps que la retransmission du match. S’ils devaient s’éloigner de la

télévision tout en restant assez proches pour entendre les commentaires des journalistes, ils

s’arrangeaient toujours pour ne pas rester éloignés trop longtemps. Et si cela était le cas, ils

avaient la possibilité de revenir sur ce qu’ils avaient raté en actionnant le bouton pause de

leur mannette de commande de télévision. De même, avec deux pères parmi les quatre

participants, ils ont souvent eu à s’occuper de leurs enfants ce qui a nécessité de nombreux

déplacements. Cela a notamment été vrai pour Ismaël quand il s’est retrouvé seul avec son

fils Owen. Il l’a porté pour calmer ses pleurs, lui a fait à manger, l’a lavé et l’a préparé pour

la nuit. Autant d’activités qui ont impliqué des déplacements. Pour Stéphane, vu la présence

de sa compagne, il a surtout dû aller chercher son fils quand ce dernier se réveillait ou faire

régulièrement des tours dans sa chambre quand Léa n’était pas là. Ainsi, l’intervalle de temps

accordé au visionnement d’un match à domicile prend place dans le quotidien d’une soirée

et les participants ont eu à gérer chaque représentation (la scène et les coulisses) en fonction

de leur rôle respectif, des impondérables, de l’espace dont il dispose et de leur réception plus

ou moins fébrile devant chaque retransmission de match.

174

4.4 Les contradictions entre les gestes et les paroles

Au cours des représentations des participants, un phénomène particulier a été observé :

la mise en scène des sentiments. Il est arrivé à plusieurs reprises que cette mise en scène

révèle des sentiments contradictoires. En effet, les participants exprimaient quelque chose de

vive voix mais leur attitude démontrait exactement le contraire. Par exemple, ils déclaraient

le match perdu quand le Canadien encaissait un but ou se trouvait en mauvaise posture, mais

tout dans leur attitude démontrait qu’ils n’y croyaient pas tout à fait et espéraient un but de

leur équipe favorite pour se remettre dans de meilleures dispositions. Cette attitude illustre la

dramatisation avec laquelle le participant reçoit, vit et suit chaque match. La majorité des

participants, principaux et secondaires, ont mis en scène leurs impressions et émotions devant

le jeu sur la glace, à un moment ou à un autre des observations. Ce comportement peut être

lié au sport en général : un condensé d’émotions où on peut passer du pessimisme à un

optimisme à toute épreuve en quelques minutes. Ce qui est intéressant ici, c’est le décalage

entre les dires et les gestes. D’un côté, les paroles expriment le deuil du match et, de l’autre,

une attitude qui laisse présager que le moindre but du Canadien pourrait tout changer.

Pour un partisan, lorsque son équipe préférée encaisse un but ou se trouve en mauvaise

posture, deux réactions peuvent être observées en général : continuer les encouragements en

espérant que son équipe marque un but et se sorte de ce mauvais pas ou plonger dans le

pessimisme le plus profond. Dans l’étude, ces deux attitudes ont été observées. Ce qui nous

intéresse ici est la seconde réaction, le pessimisme. Dans leurs représentations, la mise en

scène de la détresse par les participants s’est manifestée à tout moment. Dans les matchs au

cours desquels le Canadien s’est trouvé « dos au mur » et qu’il n’y avait aucune chance que

les choses s’inversent, la dramatisation était notoire dans l’attitude et les paroles des

participants. Ils utilisaient divers canaux, verbaux et gestuels, pour bien exprimer ce

sentiment afin qu’il ne passe pas inaperçu aux yeux du public, c’est-à-dire l’observateur.

Cette dramatisation de la situation du club pouvait être visible alors que le Canadien n’était

mené que d’un ou deux buts et qu’il restait du temps de jeu dans le match. En bons amateurs

175

de sport, ils s’en remettaient à l’adage « tant que la fin du match n’est pas sifflée, tout peut

arriver ». De fait, dans un sport comme le hockey, les avances de 3-0 ne sont pas considérées

comme rédhibitoires. Ils étaient bien placés pour savoir que les remontées étaient monnaie

courante dans les matchs de la ligue nationale. Le pessimisme était à ce point intense qu’on

pouvait penser que la représentation était terminée.

Selon les participants, le pessimisme a pris plusieurs formes. Chez Stéphane, il s’est

manifesté quand le Canadien a joué de mauvais matchs. Les signes que la soirée allait être

longue pouvaient survenir très vite chez lui. Lors du match contre les Flyers de Philadelphie,

dès le début du match, les erreurs accumulées par l’équipe de Montréal lui ont fait craindre

le pire. Le jeu du Canadien a tellement été mauvais qu’il a déclaré que « ce sera un miracle

s’ils réussissent à l’emporter ». À chaque but du club de Philadelphie, sa conviction s’est

renforcée. C’est d’ailleurs au cours de ce match qu’il a indiqué que sans la présence de

l’observateur, il aurait changé de chaîne depuis longtemps. À partir de la seconde période, il

a passé beaucoup de temps sur son téléphone à suivre l’évolution des autres matchs. Il ne

s’est plus intéressé au match que lors des cris des commentateurs. Dans son esprit, le

Canadien avait perdu. Sa déception n’est pas juste venue de la défaite qui se profilait, mais

surtout de la façon dont l’équipe jouait. De par son profil de participant, qui s’intéresse autant

au score qu’à la façon dont l’équipe se comporte sur la glace, la façon de jouer revêtait une

grande importance pour lui. Il a d’ailleurs été souvent plus déçu, non par la défaite, mais par

la façon dont le Canadien perdait. Ainsi, son pessimisme s’est très souvent exprimé plutôt en

regard du comportement de l’équipe sur la glace que par le score. Bien sûr en tant que partisan

il voulait que son équipe l’emporte à chaque match, mais la façon de le faire a beaucoup

compté à ses yeux.

Par son profil de partisane intense, dans le bon sens du terme, Gisèle est celle qui a fait le

plus montre de pessimisme au cours des représentations. Elle était tellement derrière son

équipe que les buts encaissés la rendaient assez négative sur la suite du match. Dès que le

Canadien avait deux buts de retard, elle déclarait sentencieusement « C’est fini ». Pour elle,

176

deux buts de retard étaient systématiquement synonymes de défaite et son pessimisme se

développait tout au long du match si les choses ne s’amélioraient pas. Elle a été prompte à

déclarer son équipe battue. Outre le fait de voir son équipe encaisser des buts, les

circonstances des matchs ont aussi été prises en compte dans ce sentiment. Ainsi, lors de la

dernière observation chez elle, pour le premier match de la série de premier tour entre le

Canadien et les Sénateurs d’Ottawa, la domination sans but du Canadien l’a fait pester contre

le sort qui s’acharnait. Les Montréalais ont eu trois fois plus de tirs que les Sénateurs sans

toutefois parvenir à prendre le dessus. Les signes jouaient contre le Canadien selon Gisèle et

lorsque les Sénateurs ont pris l’avantage 3-2, il est devenu évident pour elle que le match

était perdu. Et cela, malgré le fait qu’il restait pratiquement toute une période à jouer.

Il a été difficile de cerner le côté pessimiste d’Ismaël avant la dernière observation à son

domicile. Avant celle-ci, les quatre matchs observés chez lui avaient donné lieu à quatre

victoires du Canadien. Au cours de ces matchs, l’équipe montréalaise n’a jamais été menée

par plus d’un but d’écart. Le fait de voir son équipe menée l’avait contrarié mais sans plus.

Quand cela s’est produit, il a gardé à l’esprit qu’il restait du temps et que son équipe avait

encore les moyens et le temps pour revenir dans le match. Il n’a jamais versé dans le

pessimisme au cours des quatre premières observations. Mais sa dernière représentation n’a

été qu’une succession de propos pessimistes. Avant même le début du match, il a annoncé

que selon lui le Canadien allait perdre. Il faut souligner que le contexte n’était pas favorable

à ces derniers. Ils affrontaient les Sénateurs dans le cinquième match du premier tour des

séries éliminatoires. Les Sénateurs avaient remporté trois matchs contre un seul pour le

Canadien; et sur les trois matchs perdus, deux avaient été dominés par l’équipe montréalaise.

Le facteur chance fuyait le Canadien. Il suffisait d’une seule victoire aux Sénateurs pour se

qualifier au second tour. Les Montréalais étaient donc en mode survie. À cela, il fallait ajouter

les nombreuses blessures qui avaient touché les joueurs de Montréal, notamment Carey Price

ou Lars Eller. Ismaël a donc estimé que la chance qui fuyait le Canadien et les nombreuses

blessures étaient de trop grands handicaps pour son équipe. Le fait que le match se passe à

Montréal ne changeait rien à ses yeux. Le soutien de la foule n’allait pas modifier les choses.

Le sentiment pessimiste était implanté avant même le début du match et chaque action ratée

177

par le Canadien le renforçait chez Ismaël. Il a souligné chaque but des Sénateurs par « je

l’avais dit ». Au quatrième but des Sénateurs, il a préféré s’occuper du bain et du coucher de

son fils plutôt que de continuer un match qu’il pensait perdu dès le début. L’observation a

pris fin au milieu de la troisième période. Ismaël avait fait preuve de pessimisme au cours

d’une seule représentation mais ce sentiment a été présent du début à la fin du match des

séries éliminatoires.

Le pessimisme des participants a toujours été contrebalancé par leur attitude qui a démenti

ce qu’il disait. Certes, il est arrivé qu’à certaines reprises un participant soit tellement

persuadé que le match était « plié » qu’il l’abandonnait complètement, comme Ismaël lors de

la dernière observation; mais, en général, l’espoir a toujours été présent et les participants y

croyaient malgré tout. Cela s’est vu dans leur attitude. Les passages d’un sentiment extrême

à l’autre sont réguliers chez les partisans de sport et, au hockey, les choses vont tellement

vite que les participants vivent au rythme de ce qui se passe sur la glace. Dans les

représentations données par les participants, les passages d’un état à un autre ont été

fréquents : de la crainte au soulagement, de l’abattement à l’allégresse, de la tristesse à la joie

ou du pessimisme à l’espoir. L’espoir s’est manifesté par une attitude offensive envers le

Canadien, l’enjoignant de ne pas abandonner et en l’encourageant. Il peut paraître paradoxal

de déclarer « c’est fini » ou « c’est perdu » et de continuer à regarder le match. En effet, une

sentence comme « c’est fini » apparaît comme la fin de tout espoir. Le participant estime que

son équipe ne parviendra pas à marquer et à revenir dans la partie. Or, nous avons

l’impression que cela le stimulait ; il soutenait alors son équipe avec l’énergie du désespoir.

Même quand Stéphane voyait que son équipe jouait de la pire des façons, il ne pouvait pas

s’empêcher de sursauter à leur moindre occasion de marquer. Malgré l’intérêt qu’il portait

au beau jeu, il souhaitait que son équipe l’emporte ; et cela même si le contenu du match ne

lui plaisait pas. Ainsi, malgré ses critiques sur la façon de jouer du Canadien, il a vibré à leurs

actions et à chacune de leurs occasions de but. Nous avons évoqué l’observation contre les

Flyers de Philadelphie. Le Canadien était dans un jour sans lendemain avec un jeu décousu

178

et de nombreuses erreurs défensives. Les Flyers en ont profité pour marquer sept buts.

Stéphane avait décrété depuis longtemps que le Canadien ne ferait rien au cours de cette

rencontre. Son pessimisme a dévié vers de l’indifférence. Mais, malgré tout ça, dès que son

équipe favorite s’est trouvée en position de marquer un but, il s’est animé et les a encouragés

de vive voix. Il estimait le match perdu mais son indifférence s’envolait dès que ses favoris

se réveillaient. Le paradoxe a été frappant : d’un côté, il tenait un discours et, de l’autre, il

attendait encore un jeu favorable de la part du Canadien.

Hughes est celui qui a le moins démontré son pessimisme. Dans son cas, on peut même dire

que l’optimisme et l’espoir ont toujours été présents quand le Canadien a joué. Il faut aussi

préciser que le déroulement des matchs observés chez lui ne permettait pas aux sentiments

négatifs de faire surface. Sur les quatre matchs au cours desquels il a été observé, le Canadien

a gagné deux fois, a perdu une fois par un but d’écart et une autre fois par trois buts d’écarts.

Ils n’ont jamais été dominés ou menés au point que le participant déclare que la cause était

entendue. Par contre, pour la défaite par trois buts d’écart, un phénomène d’optimisme

démesuré a été observé. En effet, l’idée de la défaite ne lui a effleuré l’esprit qu’en toute fin

de match après qu’il ait passé tout le match à minimiser l’adversaire, les Islanders de New

York, avec son ami Maxime. Il était impossible pour eux que le Canadien puisse perdre

contre une équipe aussi « faible ». D’autant plus que, malgré la mauvaise prestation du

Canadien ce soir-là, l’équipe n’a été définitivement distancée qu’en fin de match. Ce n’est

qu’à ce moment-là, avec deux buts d’affilée de l’équipe new-yorkaise en quelques secondes

qu’ils se sont rendus compte que la défaite était finalement inéluctable et se sont désintéressés

du match. Nous sommes ici en présence d’un excès d’espoir poussé à son extrême et démenti

en fin de match et qui a poussé les deux participants à se désintéresser du reste du match.

Toute à sa passion, Gisèle a toujours eu l’espoir chevillé au corps. Autant elle a pu être

prompte à déclarer les matchs perdus, autant elle a gardé espoir que ses « petits gars » la

fassent mentir. Même avec le sentiment que le match était perdu, ses encouragements ne se

sont jamais taris. Au cours de cinq observations à son domicile, son équipe a perdu quatre

179

fois mais elle ne s’est jamais découragée. Quand le Canadien jouait mal, elle le déplorait mais

elle continuait à le soutenir. Elle ne s’est jamais désintéressée d’un match même lorsque ses

protégés se sont assurément dirigés vers une défaite. D’ailleurs, Denis lui a fait remarquer sa

propension à passer rapidement d’un « c’est fini » à « allez les petits gars ». Au cours d’une

défaite contre les Maple Leafs de Toronto, dès la deuxième période l’équipe torontoise était

largement en avance (5-1) et Gisèle avait fait son deuil du match. Ses seuls objectifs pour le

reste du match étaient que les Leafs ne marquent pas de sixième but et que le Canadien puisse

sauver l’honneur en en marquant un deuxième. Dès lors, elle a poussé les actions du CH

comme si le score était encore à égalité. Elle avait intégré que le match était perdu, mais en

se fixant des objectifs elle avait retrouvé un espoir. Il y a eu aussi les matchs contre les Bruins,

les Devils, les Sabres ou les Sénateurs au cours desquels son comportement a démenti son

pessimisme. Il faut dire que les matchs en sa compagnie ont toujours été pleins de

rebondissements au niveau des scores. Les équipes marquaient beaucoup de buts et le

suspense était très présent. Ces scénarii ont beaucoup joué dans le fait de la voir passer d’un

état à un autre.

Les matchs observés chez Ismaël, par contre, ont souvent été dépourvus de rebondissements.

Et comme nous l’avons vu plus tôt, le seul match au cours duquel il a fait preuve d’un

sentiment négatif a été une succession de sentiments et de paroles pessimistes et cela avant

même que le match ne commence. Mais comme les autres, cela ne l’a pas empêché de vibrer

à la moindre action du Canadien. Alors que les Sénateurs avaient deux buts d’avance et que

son pessimisme était au plus fort, le but du Canadien a ravivé son espoir. « Ils peuvent le

faire » s’est-il exclamé. Ce but a été le paroxysme de son espoir. Avant ça, il vibrait à la

moindre occasion de son équipe malgré ses sombres prédictions. Il n’a cessé d’y croire

qu’après le quatrième but des Sénateurs. Leur insolente réussite et la résignation du Canadien

sur la glace ont eu raison de son dernier espoir. Il a voulu y croire malgré ses sombres

prédictions, mais la réalité l’a rattrapé de plein fouet.

180

Si le pessimisme a souvent été démenti par l’attitude des participants, cela a illustré la tension

dans laquelle chaque participant a été plongé au cours d’un match. Cette tension et sa

résolution ne peuvent se comprendre qu’en analysant les contextes dans lesquels ils prennent

place et le tempérament de chacun. Stéphane a fait preuve de pessimisme quand il estimait

que le Canadien jouait mal. La façon dont l’équipe se comportait était importante pour lui.

Ainsi, lors de la première observation alors même que le Canadien avait deux buts d’avance

sur les Islanders de New York, il a trouvé que son équipe faisait trop d’erreurs et que cela

donnait des occasions de marquer aux Islanders. Quand ces derniers ont réduit l’écart, il a

déclaré craindre le pire. Par contre, pour Gisèle, le pessimisme était lié aux buts encaissés

par le Canadien. Dès que ces derniers tiraient de l’arrière par plus d’un but d’écart, elle

estimait que le match était perdu. Elle était prompte à les condamner à la défaite. Pour Ismaël,

il n’avait jamais exprimé ce sentiment avant le dernier match. Et ce jour-là, tous les éléments

lui ont donné l’impression que le match allait se solder par une défaite. Les participants ont

été sincères quand ils ont déclaré que leur équipe avait perdu même s’ils continuaient à

espérer que le Canadien triomphe. Mais cette sincérité cachait aussi autre chose. En déclarant

son équipe perdante avant la fin du match, il était aussi question de se prémunir contre la

défaite. C’était une façon de conjurer le sort : annoncer le pire pour que le meilleur survienne.

On ne parle pas ici de déclarations gratuites car les participants pensaient ce qu’ils disaient

au moment où ils le disaient. Seulement, comme l’ont démontré les comportements, l’espoir

a toujours été présent et ne les a pas quittés, sauf dans les situations extrêmes comme lorsque

l’équipe était menée par trois buts d’écart avec une minute à jouer. Cette façon d’annoncer

son équipe battue tout en continuant d’espérer a été un moyen de conjurer le sort. Que

pouvait-il arriver de pire après que le participant ait déclaré que son équipe n’avait plus

aucune chance ? Rien, il s’en remettait au pire. Si cela se concrétisait, le participant s’était

déjà préparé à cette sombre éventualité. Si le contraire se produisait, il n’en serait que plus

heureux et en plus il aurait un retournement de situation qui aurait donné à son match une

saveur particulière. Contre les Bruins de Boston, équipe qu’elle détestait au plus haut point,

Gisèle est passée de l’euphorie, alors que le Canadien menait 2-0, à un désespoir profond,

quand les Bruins avaient pris une avance de 4-2 puis 5-3. Le temps qui passait la rendait

encore plus pessimiste. Elle a gardé espoir mais en même temps celui-ci manquait d’être

définitivement anéanti par un autre but des Bruins. À 5-4 pour l’équipe de Boston, le temps

181

ne cessait de filer et l’issue du match a semblé scellée, mais, avec huit secondes à faire, le

Canadien a égalisé. Au final, ils l’ont emporté en tirs de barrage. Avec deux buts d’avance,

les Bruins ont semblé bien partis pour l’emporter. Gisèle en avait fait son deuil. Cette victoire

l’a littéralement transporté de joie. Cette joie était encore plus savoureuse car sa raison lui a

dicté que le match était perdu mais son cœur espérait le contraire. La raison appelait les

participants à la logique et donc au pessimisme quand les choses n’allaient pas pour le

Canadien, tandis que le cœur voulait entretenir l’espoir que les choses n’étaient pas

définitives. Chez Hughes, cela a été le contraire lors du match entre le Canadien et les

Islanders. Son cœur parlait alors que sa raison ne s’est réveillée qu’à la toute fin du match,

quand les choses ne pouvaient plus changer pour le Canadien.

En déclarant haut et fort que le Canadien allait perdre, Stéphane, Gisèle et Ismaël espéraient

donc secrètement le contraire. Cette manière de conjurer le sort a causé une certaine rupture

dans les représentations. Ils se persuadaient de quelque chose de négatif pour que du positif

en jaillisse. Les participants ont joué une partition mais leurs comportements ont suggéré

autre chose. Même en essayant de donner des représentations sans les ruptures causées par

les tiraillements entre cœur et raison, les circonstances du match de hockey ne l’auraient pas

permis. Les participants ne pouvaient pas se contenter d’une attitude alors que ce qui se

passait sur la glace les entraînait dans toute une gamme d’émotions différentes. Les matchs

du Canadien causaient obligatoirement ce genre de ruptures. Les participants espéraient

toujours voir leurs équipes gagner même s’ils déclaraient que les jeux étaient faits.

182

Conclusion du chapitre

L’approche dramaturgique développée par Erving Goffman s’est parfaitement prêtée à

l’analyse de la passion partisane dans un cadre privé. Les participants de cette étude ont

véritablement endossé le rôle de partisan lorsque les matchs du Canadien de Montréal

commençaient. En se laissant observer, ils ont trouvé en l’observateur un public devant lequel

ils ont pu donner des représentations mettant en scène leur passion partisane. Chaque

retransmission d’un match de hockey du Canadien vécu par les quatre participants a été

l’objet d’une véritable mise en scène. À travers la gestion des rôles, l’importance du quotidien

est apparue notamment pour les deux pères tout comme la volonté des participants de se

comporter en « parfaits » partisans ou en hôtes exemplaires. La présence des participants

secondaires, famille ou amis, a permis d’illustrer le concept des équipes et le rôle des

coéquipiers dans la représentation. Ces équipes ont souligné, volontairement ou

involontairement, la passion partisane des personnages principaux. Les représentations

n’auraient d’ailleurs pas pu se dérouler sans une « scène » à leur mesure. En ce sens, les

salons dans lesquels trônaient les téléviseurs ont fait office de région antérieure, c’est-à-dire

la scène principale où se déroulent les représentations auxquelles assiste le public, et les

coulisses ont aussi eu leur utilité pendant les temps morts, les pauses publicitaires et les

entractes entre les périodes où les partisans ont pu circuler librement pour se détendre ou

prendre un peu de répit face à la tension du jeu. Enfin, les contradictions dans les

comportements (verbaux et gestuels) lors des représentations ont mis en lumière la façon

dont les participants pouvaient exprimer de façon contradictoire certains de leurs sentiments :

par exemple clamer par leurs propos le défaitisme et le pessimisme de l’issue des matchs et

espérer le contraire en restant rivés à leur poste de télévision. Cette façon d’aborder la passion

partisane dans un cadre privé sous l’angle dramaturgique apporte également un éclairage sur

l’imprévisibilité de toute compétition sportive. En effet, chaque match de hockey est

imprévisible, malgré sa structure et ses règles de jeu. Le Canadien a perdu contre des équipes

jugées nettement inférieures, a gagné dans des matchs dont les déroulements laissaient penser

le contraire. Rien n’était acquis au cours des matchs et les représentations des participants

ont reflété, avec enthousiasme, pessimisme, fébrilité ou spontanéité, l’imprévisibilité du jeu

183

de chaque rencontre. Après cette mise en perspective de la dramaturgie associée aux

représentations données par les participants et leur réception, voyons maintenant ce qui

caractérise de plus près la partisannerie de la retransmission d’un match à la télévision en

explorant les notions de spectacle sportif et de loisir festif.

184

Chapitre 5 Le match de hockey dans l’espace

privé entre spectacle sportif, fête et loisir

Au cours des observations de la passion partisane dans l’espace privé, plusieurs angles

d’études du match de hockey sont apparus. En tant que partisans du Canadien de Montréal

qui regardent les retransmissions de matchs à leurs domiciles, les participants de l’étude font

partie intégrante du spectacle sportif et en sont même des acteurs. En planifiant ce moment

dans leur soirée et en performant chaque représentation, match après match, les participants

sont davantage que des téléspectateurs passifs. En effet, assister à un match de hockey au

Centre Bell ou regarder sa retransmission en direct à la télévision implique une participation

différente au spectacle sportif. Si le terme loisir n’est pas assez fort pour rendre compte de

ce que le match de hockey représente pour les quatre participants, il n’en demeure pas moins

que par certains aspects il prend des allures de fête. En somme, la mixité entre spectacle

sportif, passion et loisir festif invite à visiter comment ces notions se déclinent dans le cas du

match de hockey vécu en privé pour les partisans du Canadien.

5.1 Les partisans du Canadien acteurs du spectacle sportif

Aujourd’hui, le monde du sport occupe une part importante de la culture de masse. Les

enceintes sportives sont pleines de partisans heureux d’encourager leurs équipes favorites et

ceux qui regardent le spectacle chez eux ou dans les endroits publics sont encore plus

nombreux. Lorsque l’on parle de spectacle sportif, en plus du jeu de la compétition entre

deux équipes qui s’affrontent, une des premières choses qui vient à l’esprit est le spectacle

qui se déploie aussi dans les tribunes ou estrades où les partisans rivalisent d’ingéniosité pour

soutenir leurs équipes. Les moyens pour manifester son support sont nombreux et variés :

chants, chorégraphies, tenues et drapeaux. Les caméras de télévision s’arrêtent souvent sur

ces manifestations de ferveur dans les gradins qui, le temps d’un instant, peuvent éclipser ce

185

qui se passe sur le terrain. À titre d’exemple, la chorégraphie du « ola », ou de la vague (où

les spectateurs d’une section du stade entament un mouvement de mains levées synchronisé

qui passe de section en section dans un mouvement de vague), qui, parfaitement exécuté,

peut prendre plusieurs minutes et électriser complètement l’enceinte sportive. Si l’ambiance

festive qui règne dans l’assistance de ces rencontres est indéniable, voire contagieuse, nous

croyons que le spectacle sportif peut se déployer différemment dans l’univers plus restreint

du domicile.

5.1.1 La typologie du spectacle sportif

Le sociologue Paul Yonnet schématise les acteurs du spectacle sportif en cercles

concentriques : au centre de la scène, les joueurs; puis un premier cercle composé des

spectateurs qui sont en contact direct avec la scène et qui sont eux-mêmes acteurs du

spectacle par leurs encouragements ou leur participation en général ; enfin les téléspectateurs

du second cercle qui suivent les retransmissions à la radio ou à la télévision249. Selon ce

modèle, les partisans que nous avons étudiés appartiennent au second cercle du spectacle

sportif : ils sont en quelque sorte des « participants secondaires »250, pour reprendre

l’expression d’Agnès Villadary. De même, pour Philippe Gaboriau, les spectacles sportifs

diffusés à la télévision sont des « phénomènes sociaux qui imprègnent profondément la vie

quotidienne des humains »251. En effet, regarder le sport à la télévision constitue une des

principales activités contemporaines de loisir.

Au cours du XXe siècle, les spectacles sportifs sont devenus des évènements majeurs de notre

civilisation. Pensons aux Jeux olympiques d’été, au Super Bowl (finale du championnat de

la Ligue nationale de Football ou football américain), aux grands prix de courses automobiles

249. Paul Yonnet, Huit leçons sur le sport, Paris, Gallimard, 2004

250. Agnès Villadary, Fête et vie quotidienne, Paris, Les Éditions ouvrières, 1965, p. 45.

251. Philippe Gaboriau, Les spectacles sportifs. Grandeurs et décadences, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 8.

186

ou à la coupe du monde de soccer, tous des évènements mondialement connus considérés

comme de grands événements sportifs par excellence. Ils sont célébrés et magnifiés par les

sportifs, les journalistes, les amateurs de sport…et les autres. En effet, ces évènements sont

tellement populaires que, même ceux qui ne sont pas des amateurs assidus ou qui ne

s’intéressent pas au sport en général, peuvent se sentir concernés, ne serait-ce que par

l’effervescence qui les entoure. Par exemple, à Montréal la semaine qui précède le grand prix

automobile est nommée dans les médias « le grand cirque de la F1 », selon l’expression des

médias locaux, car, si le grand prix en est l’évènement majeur, de nombreuses activités dans

la ville gravitent autour de ce spectacle. Au-delà de l’aspect sportif, il existe tout un

cérémonial qui entoure ces évènements et contribue à leur notoriété. Ainsi, les cérémonies

d’ouverture et de clôture des Jeux olympiques et des coupes du monde de soccer donnent

lieu à de véritables spectacles, dans le sens premier du terme, avec des animations, des

concerts, des discours, des défilés. Ces moments sont aussi importants que les compétitions

sportives. Dans le même esprit, l’entracte du Super Bowl donne lieu à un gigantesque concert

qui a réuni, tout au long de son histoire, les plus grandes stars internationales (Madonna en

2012, U2 en 2002, Prince en 2007, Michael Jackson en 1993, Katy Perry en 2015 ou encore

Lady Gaga en 2017). Le Super Bowl est aussi célèbre pour ses publicités. Les plus grandes

enseignes préparent spécialement des annonces publicitaires pour cet évènement qui

rassemble des millions de téléspectateurs à travers le monde252. Pour ce faire, les marques

payent chaque seconde de publicité au prix fort. Ainsi, en 2015 le prix estimé pour une

seconde d’annonce publicitaire s’élevait à 150 000 dollars253. Chaque entreprise rivalise

d’ingéniosité pour ces annonces qui sont présentées en exclusivité mondiale. Même chose

pour les studios de cinéma qui profitent de cet évènement pour présenter en avant-première

les bandes annonces des films les plus attendus de l’année. Pour ces évènements d’envergure

internationale, on peut dire que l’intérêt dépasse largement le cadre sportif.

252. Plus 112 millions seulement aux États-Unis pour l’édition 2015. À titre de comparaison, c’est plus que pour la

cérémonie des Oscars.

253. Comparativement, lors de la finale de la coupe du monde de soccer en 2006, un spot publicitaire de 30 secondes était

estimé à 250 000 euros sur la principale chaîne française. La présence de la France lors de cette finale était pour

beaucoup dans ce tarif.

187

La périodicité de ces évènements sportifs crée certes une attente du public. Le spectacle sera

d’autant plus apprécié qu’il n’a pas lieu fréquemment. Ainsi, les Jeux olympiques et la coupe

du monde de soccer reviennent tous les quatre ans, d’autres sont annuels. Cela est

relativement long pour les sportifs et le public, qui peuvent néanmoins « compenser » leur

attente par d’autres compétitions. Ainsi, en soccer, entre les compétitions nationales et les

compétitions internationales, les partisans ne sont jamais sevrés. Et pour les joueurs qui ont

la chance d’y participer, la coupe du monde de soccer apparaît comme le sommet de leur

carrière. Elle représente la compétition reine tout comme participer aux Jeux olympiques

représente l’ultime défi pour les athlètes. En ce qui concerne le Super Bowl, il a lieu une fois

par an. Contrairement aux autres grands sports nord-américains (basket, baseball, hockey)

qui nécessitent plusieurs matchs pour désigner le champion final, la conclusion de la saison

de football américain se joue en une seule partie, le Super Bowl. Ce qui distingue aussi le

football américain c’est la quantité de matchs joués par chaque équipe. En football américain

chaque équipe dispute 16 parties de saison régulière (une par semaine) alors qu’au hockey

on arrive au chiffre de 82 matchs par équipe en saison régulière, en raison de trois matchs

par semaine en moyenne. En couronnant le champion d’une saison à l’issue d’un seul match,

l’attention du public est donc concentrée à son paroxysme sur l’unique spectacle sportif, que

les spectateurs y assistent en direct ou par le truchement d’un écran. Le côté spectaculaire de

l’événement s’en trouve décuplé.

5.1.2 L’importance de la télévision dans le spectacle sportif

Dans les observations que nous avons faites au domicile des partisans, la télévision a

occupé une place centrale. Celle-ci a trôné tel un totem au milieu de la scène donnant

l’impression d’avoir été placée pour que tout s’agence autour d’elle. Son importance est

primordiale : sans elle pas de spectacle sportif. Pour le monde du sport, la télévision est un

outil indispensable à l’essor de cette industrie. La diffusion et la retransmission des matchs,

toutes compétitions sportives confondues, représentent un marché lucratif. Sans télévision,

et sans téléspectateurs, l’industrie du sport ne serait pas ce qu’elle est.

188

La télévision est devenue indissociable du sport de haut niveau pour combler l’engouement

des millions de personnes à travers le monde. Grâce à la retransmission des matchs à l’écran,

les téléspectateurs communient ensemble et partagent la même passion, simultanément,

même s’ils sont séparés par des milliers de kilomètres. La télévision est un formidable outil

de rassemblement : « Elle élargit le stade au monde entier »254. Les amateurs de hockey hors

de l’Amérique du Nord, notamment en Europe, peuvent suivre les finales de la Coupe Stanley

en direct tout comme ceux qui se trouvent à Montréal. Où qu’ils soient situés sur la planète

et malgré le décalage horaire, les partisans peuvent suivre les matchs en direct, en temps réel

ou différé et ainsi s’adonner à leur passion pour leur équipe favorite.

Au cours de la saison observée, tous les matchs du Canadien ont été diffusés en exclusivité

par le Réseau des sports (RDS). Cette chaîne était alors le diffuseur officiel canadien

francophone des matchs du Canadien de Montréal. Tous les participants de l’étude ont

regardé les matchs des Canadiens sur RDS. Hormis Hughes, ils sont tous attachés à cette

chaîne et comme l’a déclaré José, un de ses amis, les matchs du Canadien doivent se regarder

en français sur RDS. En tant que seul réseau francophone, RDS se trouve dans une situation

de monopole et pour mettre en avant ce « produit » phare de sa programmation, la chaîne

propose de décortiquer l’actualité de l’équipe, jour après jour, au cours de la saison. Pendant

les jours de match, les nouvelles et des émissions d’avant et d’après-match analysent,

commentent, comparent, informent sur l’état des troupes du CH. Le Canadien occupe

véritablement une place importante à l’antenne de RDS. Les participants en ont largement

profité en s’informant sur leur équipe favorite jour après jour. Pendant les matchs, l’annonce

d’un but du Canadien par Pierre Houde, commentateur vedette des matchs de hockey, a

toujours été un moment particulier des observations. Cela a fait partie du spectacle sportif

proposé par RDS, entre autres grâce à toute la place donnée quotidiennement à l’actualité du

Canadien sur les ondes de la chaîne.

254. Raymond Thomas, Le sport et les médias, Paris, Éditions Vigot, 1993, p. 19.

189

Le sport et la télévision contribuent mutuellement à leur propre essor. Mais les deux

s’influencent également. D’une part, le sport, par son calendrier et la récurrence des

compétitions peut inciter la chaîne à diffuser certains spectacles sportifs et d’autre part, les

chaînes de télévision peuvent imposer des horaires de programmation aux évènements

sportifs. L’un peut être au service de l’autre, et vice versa, selon les circonstances. Certains

évènements non-sportifs nécessitent que les chaînes de télévision bouleversent leur

programmation pour présenter des émissions spéciales : pensons ici aux évènements du 11

septembre 2001 ou aux attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Sans vouloir placer le

spectacle sportif au même niveau que ces évènements, force est de constater qu’il peut parfois

être relégué au second plan quand l’actualité de la scène internationale prévaut.

Toutefois, il arrive que ce soit la télévision qui dicte au sport sa grille horaire en fonction des

cotes d’écoute. Ce cas de figure est devenu la norme tant le sport est populaire auprès des

téléspectateurs. Les chaînes de télévision doivent satisfaire la demande et les instances

sportives souhaitent que ce qu’elles proposent ait la plus grande exposition. Dans cette

convergence d’intérêts mutuels, le diffuseur impose des horaires afin que le spectacle sportif

soit vu par le plus grand nombre de téléspectateurs. Le rapport de force ayant changé, les

chaînes de télévision se trouvent en position de pouvoir pour la retransmission de certaines

grandes compétitions aux meilleurs créneaux horaire d’audience. À titre d’exemple, chaque

année dans la saison de hockey, le Canadien joue deux matchs consécutifs au Centre Bell

dans l’après-midi pour un « week-end famille » alors qu’en général, les matchs débutent en

début de soirée. Les chaînes qui diffusent les matchs du Canadien durant ce week-end doivent

repousser au dimanche soir la diffusion du Super Bowl, qui se déroule depuis 2003 le premier

dimanche du mois de février. La ligue nationale doit donc organiser son calendrier de la

saison en prenant en compte tous ces paramètres dictés, pour la plupart, par les chaînes de

télévision.

Une des conséquences de la lucrative association entre sport et télévision est la présence

massive des annonces publicitaires. Comme nous l’avons vu pour le Super Bowl, les marques

190

profitent de l’engouement des partisans pour le spectacle sportif pour faire la publicité de

leurs produits pendant la retransmission des matchs. Plus la diffusion du spectacle sportif

génère des cotes d’écoute, plus les annonceurs vont être présents. Si une publicité pendant le

Super Bowl n’a pas le même impact que pendant un match de saison régulière du Canadien,

il n’en demeure pas moins que l’équipe montréalaise attire de nombreux téléspectateurs. La

surenchère des annonces occasionne toutefois l’allongement de la durée des matchs et produit

des coupures dans le rythme de la compétition. Ainsi, la NBA (ligue de basket nord-

américaine) et la NFL (ligue nationale de football) ont instauré des temps morts spécialement

prévus pour les spots publicitaires255. En plus de ces temps morts, les entractes entre les

périodes étaient déjà des moments propices à la diffusion de publicités. Un match de basket

de 48 minutes devient une retransmission de deux heures et plus, et un match de football

d’une heure peut durer entre trois et quatre heures. Dans le même esprit, certains grands

réseaux ont demandé « à amender les règles pour rendre les parties plus attrayantes »256.

Ainsi, c’est la télévision américaine qui a exigé la règle du bris d’égalité au tennis pour que

la durée des parties ne dépasse pas les cases horaires allouées. C’est encore la télévision

américaine qui est à l’origine de la règle des 24 secondes et des trois points au basket pour

accélérer le jeu et le rendre plus approprié à son format. Les matchs de hockey aussi

connaissent de nombreuses coupures publicitaires. Pour trois périodes de 20 minutes et deux

pauses de 17 minutes et 3 secondes pour les matchs télévisés, les retransmissions

commencent à 19 heures 30 pour se terminer en général vers 22 heures 30, voire plus tard.

Au cours de nos observations, les participants ont très souvent fait part de leur exaspération

face aux coupures publicitaires. Quand il leur a été impossible de les faire passer en mode

accéléré, cela était vécu comme une sorte de supplice. Gisèle avait l’habitude de couper le

son au moment des spots publicitaires ou d’aller dans la cuisine retrouver son époux. Quand

elle restait au salon, elle faisait les cent pas sans cesser de marmonner contre cette « perte de

temps ». Les quatre participants ont trouvé que les coupures publicitaires cassaient le rythme

des matchs. Ils étaient là pour voir le Canadien et ne voulaient se laisser interrompre que par

les temps de repos entre les périodes.

255. Romain Gambarelli, « L’influence de la télévision sur le sport et l’organisation d’évènements sportifs ». Mémoire de maîtrise, Aix-

en-Provence, 2010, p. 28.

256. Laurent Turcot, Sports et loisirs. Une histoire des origines à nos jours, Paris, Gallimard, 2016, p. 565.

191

Un autre point fort de la télévision est celui de « fabriquer un récit »257. En effet, celle-ci a

compris que la retransmission du spectacle sportif repose sur sa qualité pour être un

« produit » apprécié et réclamé par des millions de téléspectateurs. Pour le rendre encore plus

attractif, la télévision maîtrise l’art de la diffusion en multipliant par exemple les innovations

technologiques afin de fournir aux partisans des retransmissions de qualité : augmentation du

nombre de caméras de captation ou amélioration de ces dernières pour ne rien rater de ce qui

se passe sur l’aire de jeu. Les actions ou les buts sont passés au ralenti à de nombreuses

reprises de telle sorte que le plus petit fait de jeu ne peut plus passer inaperçu. De plus grâce

au contrôle de leur manette, les partisans peuvent faire marche arrière, accélérer la

retransmission du match ou encore le mettre sur pause. Tout est mis en œuvre de la part des

chaînes de télévision (et de câblodistribution) pour que les téléspectateurs profitent du

spectacle dans les meilleures conditions et à fond. Ils peuvent même avoir accès aux

vestiaires et apercevoir leurs favoris, délestés de leurs équipements dans les coulisses de

l’amphithéâtre. Grâce à la télévision, ils profitent des nombreuses analyses et des

commentaires en direct des journalistes spécialisés. Ces derniers peuvent complètement

transformer les retransmissions en un récit captivant par leur façon de décrire les matchs, de

commenter les jeux et l’action ou en racontant des anecdotes sur les joueurs. Sur les quatre

participants, seul Hughes a remis en question, à quelques reprises, le travail du commentateur

sportif Pierre Houde. Au contraire, les trois autres étaient complètement satisfaits de sa façon

de les « accompagner » pendant les matchs. Fabriquer le récit c’est aussi fournir aux partisans

des statistiques et présenter des tableaux qui expliquent des aspects du jeu : nombre de tirs,

temps de possession de la rondelle, mises en échec, joueur le plus utilisé. L’écran crée « une

nouvelle façon de voir »258 les matchs. En somme, les téléspectateurs ont une plus large vue

d’ensemble du spectacle sportif que ceux et celles qui sont dans les gradins du stade; ils ont

accès à un spectacle unique et différent.

Regarder les matchs à la télévision procure indéniablement des avantages au partisan du

Canadien. Mais l’importance de la télévision ne s’arrête pas là. Pour les participants que nous

257. Georges Vigarello, Du jeu ancien au show sportif, Paris, Éditions du Seuil, 2002, p.159.

258. Ibid, p.161.

192

avons rencontrés, elle aurait le pouvoir de conforter leur identité de partisan. Par la magie de

l’écran, la télévision créerait une communauté d’amateurs, tous unis autour d’une passion

commune, celle du Canadien. Pendant la durée du match, les partisans, d’où qu’ils soient –

au Centre Bell, rivés à leur poste de téléviseur, dans un bar sportif, au Québec ou ailleurs

dans le monde – appartiennent à la même communauté. Ils forment alors ce que Victor Turner

nomme une communitas259. Pour cet auteur, la communitas surgit là où la structure n’est pas.

Empruntant une définition au philosophe Martin Buber, il ajoute que faire communauté

« c’est le fait de ne plus être côte à côte (et on pourrait ajouter : au-dessus et au-dessous),

mais les uns avec les autres au sein d’une multitude de personnes. Et cette multitude, même

si elle se meut vers un but, éprouve néanmoins partout qu’elle est tournée, tendue de façon

dynamique vers les autres, qu’un courant passe entre Je et Tu. La communauté est là où la

communauté intervient »260. En ce sens, l’expression d’un sens de la communauté chez les

partisans émerge lorsque leur équipe favorite remporte un match ; la victoire est une

« condition d’un sentiment de communitas »261. Pour le dire autrement, « des liens peuvent

se créer hors des hiérarchies ayant ordinairement cours dans le groupe, jusqu’à favoriser

l’émergence de communautés éphémères caractérisées par une tension émotionnelle

intense »262. D’ailleurs Victor Turner souligne que « la spontanéité et l’immédiateté de la

communitas peut rarement se maintenir très longtemps »263, donc pas au-delà du temps alloué

au match de hockey dans le cas de cette étude. Cette communauté de plusieurs millions de

fidèles s’est réunie à intervalles réguliers devant la télévision pour soutenir le Canadien.

Comme un signal invisible, chaque soir de match, cette communauté se connecte au nom de

la même passion pour le CH. Durant le match, les partisans du Centre Bell, quand le Canadien

joue à Montréal, et tous ceux qui les regardent dans un bar ou d’un domicile, sont unis

pendant deux à trois heures et forment une communauté. Pour Martine Segalen, « les

téléspectateurs ne constituent pas une masse passive, mais partagent la réception d’images

abondamment commentées et qui les place, ici, en situation de communitas »264. Parlant de

l’effet médiatique des grands spectacles, Pascal Lardellier mentionne que les retransmissions

259. Victor Turner, Le phénomène rituel. Structure et contre-structure, Paris, PUF, 1990, p. 97.

260. Ibid, p.124.

261. Martine Segalen, Rites et rituels contemporains, Paris, Armand Colin, 2009, p. 63.

262. Pascal Lardellier, Théorie du lien rituel. Anthropologie et communication, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 108.

263. Victor Turner, Le phénomène rituel. Structure et contre structure, Paris, PUF, 1990, p. 130.

264. Martine Segalen, Rites et rituels contemporains, Paris, Armand Colin, 2009, p. 79.

193

télévisuelles produisent leurs publics qui deviennent des communautés à part entière,

conscientes d’exister et de vivre ensemble un « moment historique »265. Pour lui, la télévision

engendre la formation d’un imaginaire indépendant de l’origine des téléspectateurs et

produirait ainsi de nouvelles communautés virtuelles. Dans cette étude qui se penche sur la

passion partisane en privé, la télévision est indispensable pour les partisans qui regardent les

matchs de hockey de leurs domiciles. Ils se retrouvent ainsi connectés avec tous les autres

partisans qui vibrent pour le Canadien les soirs de match. Le terme de « communauté

télévisuelle »266 ou de communauté virtuelle se prête bien à la situation du match de hockey

du Canadien retransmis à la télévision et suivi par des millions de partisans. Pascal Lardellier

souligne « la densité extrême des publics »267 que ce genre de programme peut réunir. La

passion pour le Canadien touche toutes les strates sociales et réunit le temps du match des

femmes, des hommes, des jeunes et moins jeunes, des origines différentes : elle produit ses

publics. La communauté virtuelle entourant l’équipe rassemble sans distinction. Chaque

match du Canadien est un moment clef pour lequel tous les partisans vibrent à l’unisson pour

voir leur équipe jouer.

5.1.3 L’exaltation des valeurs sportives et la passion inconditionnelle

des participants pour le spectacle sportif

Comment expliquer que le spectacle sportif soit aussi apprécié, au-delà du simple

intérêt pour le sport ? Bien que le milieu connaisse son lot de dérives (dopage, corruption,

violence dans les stades…), les amateurs trouvent tout de même dans le sport des valeurs et

des principes qu’ils peuvent appliquer dans leur quotidien dont l’effort, le dépassement, le

respect de l’adversaire, la solidarité, l’esprit d’équipe et la performance.

265. Pascal Lardellier, Théorie du lien rituel. Anthropologie et communication, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 155.

266. Martine Segalen, Rites et rituels contemporains, Paris, Armand Colin, 2009, p. 78.

267. Pascal Lardellier, Théorie du lien rituel. Anthropologie et communication, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 154.

194

Ainsi, comme nous avons pu le constater les participants ont apprécié les hockeyeurs qui

jouaient sans tricher, ceux qui ne ménageaient pas leurs efforts. Et, à ce titre, ils estimaient

que les plus méritants devaient avoir plus de temps de glace. En effet, tout au long de la

saison les jeunes joueurs ont prouvé à leurs yeux qu’ils étaient devenus les fers de lance de

l’équipe au détriment de certains vétérans. De ce fait, les partisans se sont souvent opposés

aux propos des journalistes de RDS qui évoquaient l’expérience des joueurs vétérans pour

expliquer leur temps de glace ou leur présence au sein des deux premiers trios d’attaquants

de l’équipe. Pour Stéphane, Hughes, Gisèle ou Ismaël si cet argument pouvait se défendre,

au final seuls les plus méritants méritaient de jouer. Ils ont vu d’un mauvais œil ce qui pouvait

passer pour des passe-droits envers certains joueurs. Le seul critère qui devait être pris en

compte était le mérite. Si les plus méritants ne sont pas toujours récompensés à leur juste

valeur, les participants s’attendaient à ce que ce principe soit appliqué à la lettre. Le cas de

Brendan Gallagher l’illustre en 2012-2013, qui a été sa première saison dans l’uniforme du

Canadien. Considéré comme un « petit » joueur avec ses 5 pieds 9 pouces (1m75) et ses 180

livres (82 kilos), il n’a jamais hésité à se frotter aux joueurs les plus robustes des équipes

adverses ou à se placer devant le filet. Il est devenu tout au long de la saison un des joueurs

préférés des participants par son talent, son courage et son abnégation. Dans une ligue où les

standards physiques penchent de plus en plus vers des joueurs robustes, ce « petit » joueur a

su tirer son épingle du jeu et s’attirer les faveurs des partisans du Canadien. Le message à

retenir : chacun peut y arriver selon ses qualités.

L’esprit d’équipe compte parmi les autres qualités appréciées des quatre participants. Dans

ce sport collectif qu’est le hockey, les forces individuelles des joueurs doivent se fondre dans

l’équipe. L’esprit de groupe est loué autant par les joueurs, les partisans que les médias. On

entend souvent qu’un joueur « peut devenir une distraction » pour le groupe par son

comportement négatif dans la vie civile ou au sein de l’équipe. Les joueurs ne doivent pas

performer pour leurs statistiques personnelles, mais se mettre au service de l’équipe. Les

partisans sont très sensibles à cet aspect collectif. Si des joueurs peuvent briller

individuellement, cela ne sert à rien lorsque l’équipe perd. Une des forces du Canadien, cette

année-là, a justement été de présenter un groupe soudé qui travaillait dans le même sens. Cela

195

a été particulièrement important par les participants, car l’année précédente l’équipe ne

présentait pas cette unité et cela s’est fait ressentir dans les résultats. Former une équipe est

plus important que les exploits personnels, car si un seul joueur peut faire gagner son équipe

à l’occasion, sans l’aide des coéquipiers cela n’est pas le cas à l’échelle d’une saison. Même

le flamboyant P.K. Subban a été rappelé à l’ordre à quelques reprises par Stéphane pour sa

tendance « à en faire trop » au détriment de l’équipe. Stéphane l’encourageait à jouer plus

sobrement et à ne pas s’exposer inutilement sous peine de causer du trouble à l’équipe. Ainsi,

pendant ces observations les participants ont souhaité que le mérite soit érigé en modèle et

que les joueurs fassent preuve d’altruisme avant de penser à leurs scores personnels. Ces

valeurs sportives, tant prisées des partisans, leur faisaient encore plus apprécier le spectacle

sportif, au point qu’on puisse parler de passion inconditionnelle.

En très grande majorité, le hockey est suivi par ceux qui s’y connaissent et les finales peuvent

être regardées par des amateurs de sport en général ou par des partisans des équipes déjà

éliminées. Ainsi, les partisans de l’étude ont déclaré qu’ils regarderaient les finales s’ils

tombaient dessus mais n’allaient pas planifier une écoute assidue comme pour un match du

Canadien. En tant qu’amateurs de hockey, ils y jetteraient un œil, au moins pour connaître le

nom du l’équipe vainqueur de la Coupe Stanley, mais la ferveur n’allait pas être la même.

Quand on le regarde de l’extérieur, le match de hockey apparaît comme un divertissement

hebdomadaire pour les partisans. Mais lorsqu’on est confronté à ces matchs avec ces derniers,

on se rend compte que la réalité est tout autre. Les observations ont montré que les partisans

profitent pleinement du spectacle qui est proposé sur la glace. Stéphane, Hughes, Gisèle et

Ismaël ne se sont souciés que du jeu et ce qui avait un rapport avec lui. Ils ont subi les

annonces publicitaires qui revenaient constamment pendant les coupures et ont suivi, à une

exception, les analyses de RDS pendant les entractes entre les périodes. Le seul cérémonial

qui entourait les matchs du Canadien se situe au moment des hymnes nationaux juste avant

le début des rencontres. Les quatre partisans y ont d’ailleurs prêté peu d’attention sauf lors

du premier match des séries chez Gisèle. Elle a tellement été enthousiasmée par le retour du

196

Canadien en séries qu’elle s’est levée pour l’hymne…chose qu’elle n’a jamais faite au cours

des quatre premières observations de saison régulière. Pour les quatre participants, regarder

les matchs du Canadien de la saison régulière ou ceux des séries ne relève pas du simple

divertissement. Ce loisir met à l’épreuve leur passion inconditionnelle, d’autant plus qu’ils

n’ont pas l’occasion de s’épancher souvent pour d’autres clubs. En effet, la ferveur autour du

Canadien s’explique peut-être en partie du fait que la ville de Montréal n’offre pas beaucoup

d’occasions aussi fortes pour mobiliser un engouement populaire pour un sport. Il y a eu une

équipe de baseball de 1969 à 2004 dans la MLB (Major League Baseball) : les Expos de

Montréal. Les Alouettes de Montréal font vibrer les partisans de football américain, à travers

la Ligue canadienne de Football, mais seulement de juin à novembre. L’Impact de Montréal,

équipe de soccer montréalaise, fait partie de la MLS (Major League Soccer) depuis 2012

seulement. Hormis ces clubs qui n’atteignent pas encore la popularité du Canadien, ce dernier

demeure le porte-étendard du sport à Montréal et cela depuis plus de 100 ans268.

Malgré tout, on peut supposer que la menace d’annulation de la saison de hockey que nous

avons observée a conduit à aiguiser davantage l’attention des partisans cette année-là et a fait

culminer leur ferveur jusqu’aux séries. En effet, ils n’ont jamais fait montre de lassitude au

cours des matchs, sauf quand les résultats ou le jeu proposé laissaient à désirer…mais cela

fait partie du spectacle sportif quel qu’il soit. L’enchaînement des matchs, plus soutenu que

lors des saisons précédentes, y a sans doute été pour quelque chose selon les partisans. Sur

une courte période, ils ont pu bénéficier de « plus de hockey » qu’en temps normal. Avant

chaque match, l’excitation a toujours été présente indépendamment de son issue. Pendant les

matchs de série observés, la ferveur était encore plus palpable. Le passage de saison régulière

à séries éliminatoires était très attendu par les partisans en raison de la saison précédente sans

participation aux séries. Les réactions ont été plus vives et l’intérêt pour le score des matchs

plus soutenu. En effet, pendant la saison régulière le Canadien pouvait perdre un match et se

rattraper celui d’après. La marge de manœuvre en série était nettement plus réduite et cela a

268. Le Canadien de Montréal a vu le jour en 1909.

197

rendu les matchs plus excitants pour les partisans. Avec les séries éliminatoires, le spectacle

sportif a atteint son summum.

Les participants de l’étude sont des partisans du Canadien depuis plusieurs années. Regarder

les matchs de hockey dépasse, pour eux, le simple divertissement, à condition que le spectacle

sportif inclut la présence du Canadien de Montréal. Comme nous l’avons vu, les matchs où

leur équipe favorite n’est pas en compétition sont l’objet d’un intérêt mitigé, même pendant

les séries. Ils sont des amateurs de hockey, ayant de bonnes connaissances de la ligue

nationale, mais leur passion est réservée au Canadien de Montréal.

5.2 Du simple divertissement au loisir passion

Comme des centaines de milliers de partisans, les quatre participants de cette étude se

sont réunis trois à quatre fois par semaine à des heures fixes autour de la télévision pour

suivre le Canadien en action. Ils en ont fait un rendez-vous incontournable planifié en

fonction du calendrier de la ligue nationale. Toutes les dates et heures des matchs étaient

connues à l’avance. Stéphane, Hughes, Gisèle et Ismaël n’y ont pas dérogé. Cette assiduité

pour regarder le match du Canadien à la télévision en fait un loisir presque « religieux » pour

les quatre participants. Le Canadien n’a jamais été considéré comme un simple passe-temps

tout au long des observations. La ferveur qu’ils ont mis pour supporter leur équipe en atteste.

Au-delà de cette ferveur, ils s’étaient déclarés, avant les observations, partisans de longue

date. Cela s’est vérifié au cours de l’étude. Ils pensaient au prochain match dès la fin du

précédent, le préparaient afin d’être au courant du classement et de l’état de leur équipe ainsi

que ceux de l’équipe adverse.

198

5.2.1 Le temps sacré du match de hockey

Les dispositions prises par les participants au cours des matchs pour se consacrer

entièrement à leur loisir prouvent la valeur accordée à leur équipe favorite. En effet, nous

pouvons affirmer que le temps du visionnement des matchs a été considéré comme un

moment « sacré » pour les quatre participants. Ainsi nous avons pu nous rendre compte de la

minutie avec laquelle les matchs ont été préparés. Rien n’était laissé au hasard afin que ce

moment soit dédié uniquement au match. Gisèle ne voulait pas répondre au téléphone

pendant les matchs et Ismaël et Stéphane ne voulaient pas gâcher le plaisir par des appels

extérieurs annonçant des buts. Un autre exemple est l’extrême concentration d’Ismaël alors

que son épouse et sa femme se sont trouvées à ses côtés au cours de la première observation

à leur domicile. Certes, des circonstances ont pu les détourner momentanément des matchs,

comme les enfants pour les deux pères ou le déroulement défavorable de certains matchs,

mais ces aléas n’ont pas tari leur engouement général. Les proches savaient que les matchs

représentaient un moment spécial pour les participants. Hughes et Ismaël ne comprenaient

pas que leurs amis puissent arriver en retard pour visionner les matchs du Canadien. Ces

derniers connaissaient les horaires et il leur arrivait malgré tout d’être en retard. Pour ces

deux participants principaux, cela était un motif d’étonnement permanent, car, pour eux, le

temps du match était pour ainsi dire sacré. De plus, le Canadien méritait un espace digne de

la ferveur qu’il suscite. Les participants ont donc emménagé leurs salons afin que la télévision

trône par sa position centrale. Celle-ci leur permettait, ainsi qu’à leurs invités, d’être installés

juste en face de façon à ne rien manquer de l’action. Les jours de match, les salons devenaient,

à leur tour, des lieux sacrés dédiés au loisir passion et propices à la communion entre tous les

partisans du Canadien de Montréal.

Aménager son salon, réserver son temps, planifier son horaire, s’informer sur le club

montrent à quel point les participants tiennent à ce « temps sacré » et qu’ils y accordent une

importance considérable. En plus de ces conditions favorables pour profiter pleinement de la

retransmission des matchs, une autre pratique, chère aux participants, mérite qu’on s’y

199

attarde. Sur les quatre partisans, trois ont rendu le temps du match du Canadien encore plus

particulier en créant une « temporalité » propre au match. Nous avons déjà souligné la façon

dont les participants ont géré les retransmissions de matchs en mettant les enregistrements

sur la fonction « pause », ou en faisant marche arrière ou avance rapide. Ainsi, Stéphane,

Hughes et Ismaël ont très souvent utilisé les fonctions de leurs télécommandes pour se créer

un « temps dans le temps ». Pour eux, le match de hockey s’est « [dilué] dans la durée

vécue »269. Ils ont délaissé l’horaire officiel de diffusion du match et se sont créés un temps

distinct, voire libre, de la retransmission télévisuelle. Cette pratique leur a permis de choisir

quand commencer l’écoute et quand la terminer. Leur maîtrise du temps de visionnement a

renforcé pour ainsi dire le côté « sacré » de ce moment de loisir par l’utilisation de la

technologie. En enregistrant les émissions d’avant match ou le match juste au début, et en

actionnant la fonction pause, ils gagnaient alors une certaine marge sur le direct et avaient

donc la possibilité de gérer le visionnement du match comme bon leur semblait en avançant

ou en reculant l’enregistrement du match ou le mettant sur pause. Ismaël, notamment, ne

voulait rater aucun moment des matchs et quand il avait son fils, il était souvent occupé par

son rôle de père. Quand il reprenait son rôle de partisan, il revenait sur ce qu’il avait raté

même si l’observateur lui disait qu’il ne s’était pas passé grand-chose. Il faisait en sorte que

le quotidien n’entre pas en conflit avec sa passion en naviguant entre le direct de la

retransmission du match et le temps différé de son enregistrement. De plus, cette pratique,

utilisée par trois des participants, leur a permis de ne rien rater du match et de se passer des

coupures publicitaires ou des temps morts tout en leur donnant l’impression de contrôler,

sinon l’issue des matchs, du moins leur façon de les regarder. Ce faisant, le match pouvait

durer au-delà du temps officiel de la retransmission télévisuelle, prolongeant ainsi le plaisir

associé au loisir.

269. Agnès Villadary, Fête et vie quotidienne, Paris, Les Éditions ouvrières, 1968, p. 49.

200

5.2.2 La distinction entre passionné et amateur

Tout au long des 19 observations de cette étude, un constat s’est imposé : quelle que

soit l’issue des matchs, les participants ont mis leurs corps à l’épreuve dans chaque

représentation qu’ils ont donnée. À l’instar des acteurs sur scène, ils ont joué le rôle de

partisan, ils l’ont performé. Chaque retransmission d’un match de hockey a exigé d’eux une

performance, « une démonstration physique »270 de leur ferveur. Ainsi pendant les matchs,

l’aspect performatif s’est manifesté par l’attitude et le comportement des partisans. La

performativité a exercé une « action sur les corps; et l’on pourrait dire que le corps rituel ne

[s’appartenait] plus tout à fait »271 à certains moments des observations.

L’anthropologue Christoph Wulf s’est penché sur la façon dont l’aspect performatif agit :

Dans toutes les représentations scéniques corporelles, les gestes et la mimique

jouent un rôle important, car ils sont des formes d’expression non verbale qui

vont au-delà de la compréhension réciproque rationnelle. Les gestes et la

mimique sont des intentions et des émotions, et de ce fait, ils participent à la

socialisation de l’individu ainsi qu’à la genèse et au développement de la

communauté. Dans chacune des situations rituelles, ils représentent un moyen

d’interprétation qui aide les sujets sociaux à établir une relation les uns envers les

autres et à se faire comprendre272.

Les attitudes et gestes des partisans démontrent une participation active dans la

représentation. La passion et son expressivité sont performées dans une sorte de danse rituelle

impliquant gestes, paroles, voix et mimiques. Le corps est mis en jeu dans la représentation.

Les partisans se lèvent, bougent, expriment ce qu’ils ressentent tout au long de la

270. Pascal Lardellier, Théorie du lien rituel. Anthropologie et communication, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 94.

271. Pascal Lardellier, Les nouveaux rites. Du mariage gay aux Oscars, Paris, Belin, 2005, p. 17.

272. Christoph Wulf, dir., Penser les pratiques sociales comme rituels. Ethnographie et genèse des communautés, Paris, L’Harmattan,

2004, p. 408.

201

retransmission du match. La parole aussi a été libérée au cours de la performance des

partisans. Selon Christoph Wulf, « à travers ces manifestations de leurs corps, les individus

livrent beaucoup d’eux-mêmes aux autres »273. Stéphane, Hughes, Gisèle et Ismaël se sont

révélés par ces mises en scène; ils ont dit qui ils étaient, non seulement des amateurs de

hockey, mais aussi des fans. Ainsi, Stéphane est apparu comme un partisan qui n’était pas

seulement focalisé sur les victoires et les défaites, Hughes comme un partisan qui aime être

entouré pendant les matchs, Gisèle comme une passionnée du début à la fin de chaque match

et Ismaël comme un partisan concentré mais parfois passif. L’identité de chaque partisan

s’est donc révélée dans l’aspect performatif des représentations données à l’observateur. En

somme, leur performativité les distingue du simple amateur ou spectateur passif; la passion

qu’il exprime et son investissement dans la représentation distingue le simple fan du partisan

engagé, passionné.

Au cours de certains matchs, nous avons eu l’occasion d’observer cette nette distinction entre

l’amateur et le passionné. En effet, avec la présence de certains amis d’Hughes, nous avons

pu nous rendre compte de façon concrète que le match du Canadien rassemble autant des

partisans inconditionnels, comme nos quatre participants, que de simples amateurs du

Canadien. Comme le rappelle Christian Bromberger qui s’est penché sur les « signes

extérieurs »274 qui caractérisent le passionné : [celui-ci] paye de sa personne et ne lésine pas

sur les investissements en rapport avec sa passion. [Cette dernière] instaure souvent une

« abolition du temps »275, lorsque le monde extérieur passe complètement au second plan. La

passion peut prendre des allures de « voracité spatiale »276 dans certains cas. Les passionnés

« doivent connaître leur sujet sur le bout des doigts ; leur réputation en dépend »277. Le

passionné doit être prêt à échanger, partager, à se confronter car « il est dans la nature de la

passion de se faire connaître et reconnaître, soit en s’épanchant tapageusement, soit en se

suggérant plus discrètement »278. Ces caractéristiques s’appliquent parfaitement à Stéphane,

273. Christoph Wulf, Une anthropologie historique et culturelle : rituels, mimésis sociale et performative, Paris, Téraèdre, 2007, p.94.

274. Christian Bromberger, dir., Passions ordinaires. Du match de football au concours de dictée, Paris, Hachette, 2002, p. 27.

275. Ibid.

276. Ibid.

277. Pierre Bognon, Passion supporter. Qui sont vraiment les fans de sport? Paris, Ipanema Éditions, 2012, p. 122.

278. Christian Bromberger, dir., Passions ordinaires. Du match de football au concours de dictée, Paris, Hachette, 2002, p. 31.

202

Hughes, Gisèle et Ismaël : l’expertise de l’un, le savoir encyclopédique de l’autre, les qualités

démonstratives, l’intensité de leur représentation, sont autant de signes extérieurs distinctifs

du passionné. Parmi les participants secondaires, certains sont également apparus comme des

partisans passionnés à l’instar de José ou de Brunel. D’autres, se sont révélés des partisans

par affiliation, comme Denis qui ne s’intéressait au Canadien que parce que son épouse le

faisait. Il y a aussi eu des partisans occasionnels, qui n’étaient pas assidus, mais se tenaient

au courant. Enfin, certains, Maxime et Etienne, deux amis d’Hughes, ont profité de ces

moments pour passer une agréable soirée entre amis. Même s’ils se sont déclarés partisans

du Canadien lors des observations, leurs activités professionnelles les tenaient loin de

l’équipe et son actualité (classement, faits de jeu, etc.) leur était quasiment inconnue. De fait,

Maxime a pris conscience que certains joueurs qu’il pensait à la retraite jouaient dans

l’équipe qui affrontait le Canadien le jour de sa présence (les Islanders de New York). Au

cours du match, il a plusieurs fois demandé à Hughes des informations sur la saison du

Canadien. Dans le cas d’Etienne, cela a encore été plus frappant. Il assumait d’être

complètement détaché de ce qui se passait autour du Canadien au cours de la saison. Il a

participé à deux observations et à ces deux occasions a revendiqué qu’il profitait de ses

vacances pour passer voir son ami Hughes. Pour ces deux participants secondaires, passer un

bon moment entre amis a été plus important et les matchs du Canadien n’étaient qu’un

prétexte à cette rencontre.

Regarder les retransmissions de matchs du Canadien de Montréal à la télévision constitue

donc un loisir passion pour les quatre participants à l’étude. Leur entourage savait que ce

moment était « sacré » pour eux. Au cours des matchs observés, l’observateur a pu assister à

un investissement physique et émotionnel des partisans, caractéristique des passionnés. Cet

investissement est perceptible autant avant le match, dès la planification du visionnement et

de sa préparation en s’informant sur tout ce qui se rapporte au Canadien et à l’équipe adverse,

qu’au cours de celui-ci par sa dimension performative. Tout cela dénote d’une passion

certaine pour le Canadien qui va bien au-delà du simple divertissement.

203

5.3 Du loisir passion au loisir festif

Si les éléments tels que la ferveur qui anime les partisans, la fidélité à leur équipe

favorite, l’investissement physique et moral au cours des matchs, le moment sacré que

représente le temps de retransmission du match du Canadien et leur assiduité à les

suivre au-delà de la saison régulière de hockey en font un loisir passion, nous avons pu

observer que ce divertissement prenait parfois des allures de fête. En effet, le loisir

festif s’est superposé au loisir passion à certaines occasions.

5.3.1 Le match de hockey du Canadien comme intervalle festif

En général et dans l’imaginaire collectif, l’ambiance festive entourant le sport est

associée aux spectateurs dans les tribunes, mais également à ceux qui se regroupent dans les

bars sportifs. Jean-Raphaël Cloutier l’a d’ailleurs très bien illustré dans son mémoire de

maitrise Analyse des fans du Canadien de Montréal : rituel festif et profane d’une passion

partisane pour le hockey au Québec. La majorité des partisans qui se retrouvaient dans le bar

sportif de son étude étaient des habitués des lieux et les autres, des partisans qui recherchaient

une ambiance pour regarder le match du Canadien. Au cours de ses observations, Cloutier a

été témoin de la consommation d’alcool, de l’excitation d’avant match, des chants des

partisans, de l’ambiance bon enfant, du plaisir de se retrouver entre partisans et de la joie

quand le Canadien marquait. Une ambiance de fête régnait indéniablement dans ce bar

sportif, où la communauté des partisans du Canadien se trouvait plongée. Pour sa part,

Christian Bromberger a aussi décrit l’ambiance festive dans les tribunes des stades où le

public participe activement au spectacle sportif en donnant de la voix ou en organisant des

animations279. Sport et festivité ne sont pas antinomiques, bien au contraire. Philippe

Gaboriau estime que les spectacles sportifs sont « des temps de déviance qui permettent à

279. Christian Bromberger, Alain Hayot, Jean-Marc Mariottini, Le match de football. Ethnologie d’une passion partisane à Marseille,

Naples et Turin, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2001, p. 39.

204

l’homme de sortir de l’ornière de la vie quotidienne »280. Dans cette étude, nous avons pu

constater que chaque retransmission d’un match du Canadien constitue majoritairement un

moment à part pour les participants, un temps hors du quotidien, même si à quelques

occasions Stéphane et Ismaël ont dû composer avec leurs obligations familiales.

Le spectacle sportif vécu à l’extérieur du domicile est souvent l’occasion de s’adonner à

quelques dépenses, dont l’achat de nourriture et de breuvages, alcoolisés ou non, comme

c’est le cas pour toute sortie. La consommation de restauration rapide dans les stades ou de

repas arrosés dans les bars sportifs est courante chez les amateurs de sport. Elle contribue à

souligner le caractère festif de ces rencontres entre autres par sa rupture du cours de

l’économie selon Agnès Villadary : « le loisir se place d’emblée dans un univers de

consommation »281. Sans qu’il y ait pour autant excès, abondance et gaspillage comme dans

le cas des fêtes dites traditionnelles, à l’image des débordements carnavalesques, les

spectacles sportifs offrent des occasions exceptionnelles où les spectateurs peuvent faire la

fête en alliant passion et « transgressions ». Les moments consacrés à la retransmission

télévisuelle de match à la maison font-ils l’objet des mêmes permissions, écarts, voire

« transgressions », par rapport à la vie journalière et le quotidien?

Il faut en effet rappeler que la plupart des matchs observés se sont déroulés les jours de

semaine et que trois des quatre participants travaillaient le lendemain. Nous avons observé

une rupture de l’économie en ce qui a trait aux repas les jours de matchs. Par exemple, en

cinq observations, Stéphane a commandé trois fois de la pizza en guise de repas. En temps

normal, sa compagne ou lui-même cuisinait pour la maisonnée. Une seule fois au cours des

observations, Stéphane a mangé un plat cuisiné maison. Pour lui et sa compagne, commander

une pizza les soirs de match faisait partie intégrante de ce temps de loisir festif tout en tenant

de l’exception. En outre, la dépense associée à ce mets de restauration rapide contribue à en

faire une rupture du cours normal de l’économie et renforce l’idée de faire du moment du

280. Philippe Gaboriau, Les spectacles sportifs. Grandeurs et décadences, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 17.

281. Agnès Villadary, Fête et vie quotidienne, Paris, Les Éditions ouvrières, 1968, p. 51.

205

match, un temps en dehors de l’ordinaire comme celui de la fête. Chez Hughes, la situation

a été semblable. Ses amis ont profité de ces rencontres pour commander des pizzas et les

manger en suivant les matchs. Etienne, qui a été présent au cours de deux observations sur

quatre, s’est fait livrer de la nourriture à ces deux occasions. Cela lui a semblé tout à fait

naturel d’agrémenter la retransmission du match avec un repas. L’un n’allait visiblement pas

sans l’autre, surtout qu’il ne regardait pas souvent le Canadien. Outre ces écarts alimentaires,

nous avons pu également observer certaines libertés prises avec l’alcool. Regarder les matchs

du Canadien a été l’occasion pour les participants de consommer de l’alcool. Stéphane s’est

autorisé quelques bières au cours des observations. Dans son cas, nous pouvons parler de

consommation ponctuelle et irrégulière. Le fait de regarder les matchs seul chez lui a sans

doute joué dans la restriction de la consommation qu’il s’imposait tout comme le fait de

travailler le lendemain. La comparaison avec deux autres participants laisse entrevoir un effet

d’entraînement quand ils ne sont pas seuls. Ainsi, chez Hughes, regarder le match ne se

concevait pas sans une grande consommation de bière et plus ils ont été nombreux plus

l’alcool a été abondant. Si au cours de la première observation Hughes et Maxime se sont

limités à une bière chacun, les choses se sont accrues par la suite. Pour la seconde observation

avec José, ils ont bu trois bières chacun. Lors de la troisième observation, avec José et

Etienne, Hughes en est resté à trois bières mais les deux participants secondaires en ont bu

respectivement quatre et trois. Enfin pour la dernière observation, au cours de laquelle cinq

amis d’Hughes étaient présents, la consommation de bière a littéralement explosé. Tous les

participants ont constamment eu une bière à la main. Même le dernier arrivé en seconde

période, Éric, qui, au départ avait annoncé qu’il ne boirait pas, a fini par céder sous la pression

du groupe. Chez Ismaël, l’alcool a aussi fait partie intégrante des soirées consacrées au

Canadien, mais pas avec la régularité constatée chez Hughes et ses amis. Ismaël a été le seul,

avec Gisèle à une reprise, à accepter que les observations se fassent le samedi. Cela peut

avoir joué sur la plus grande liberté que la fin de semaine pouvait offrir par rapport à un soir

de semaine. Sur les cinq observations, Ismaël a consommé de l’alcool à trois reprises et,

contrairement aux deux autres participants, il a privilégié le rhum. Au cours de la première

observation, un samedi avec la présence de sa femme et de la cousine de cette dernière, alors

que la victoire du Canadien se dessinait, il a décidé de se servir un verre pour célébrer. À

d’autres reprises, la présence de son ami Brunel a été l’occasion qu’il a saisie pour savourer

206

son alcool favori, surtout que toutes les observations en saison régulière chez Ismaël se sont

terminées par une victoire du Canadien. Par ailleurs, il ne s’autorisait pas à boire lorsqu’il

était seul avec son fils et cela correspond aux deux soirées au cours desquelles il s’est abstenu

de le faire. Ces transgressions, somme toute minimes, montrent que le cadre festif lié aux

retransmissions des matchs du Canadien est bien présent, mais dilué dans la vie journalière.

La rupture avec le quotidien n’est plus aussi marquée que dans le temps de la fête

traditionnelle. Pour reprendre les propos d’Albert Piette, l’intervalle festif, dans lequel le

moment consacré à la diffusion d’un match du Canadien fait entrer le partisan passionné,

permet des comportements qui, sans être semblables à ceux de la vie quotidienne, ne

constituent pas pour autant une rupture totale avec ceux-ci ; ils ne sont pas non plus

totalement en marge avec le quotidien. Nous avons évoqué un contrôle de la transgression

pour décrire les comportements observés dans cet intervalle festif. Les participants masculins

se sont permis quelques écarts par rapport au quotidien, les soirs de semaine et le week-end,

mais aucune scène de transgression intense – excès de boissons ou comportements agressifs

liés à l’alcool – n’a été portée à notre attention. Même dans les manifestations de joie, certes

spontanées, il y avait une certaine retenue par égard aux voisins ou aux enfants. Et quand

cela n’était pas le cas, les partisans ont immédiatement été rappelés à l’ordre. A contrario,

certaines victoires remportées par le Canadien ont renforcé l’aspect festif de ces moments.

Les victoires contre les équipes adverses historiquement reconnues comme « ennemies » ont

été célébrées dans des ambiances plus joyeuses qui leur donnaient des allures de fête. Par

exemple, le seul match observé chez Gisèle qui s’est soldé par une victoire contre les Bruins

de Boston illustre cette effervescence des grandes célébrations. La joie qui s’est emparée

d’elle, à l’issue de ce match, a été un des moments de festivité les plus intenses des

observations. En somme, le temps du match apparaît comme un intervalle festif où les

caractéristiques de la fête contemporaine sont redéfinies à travers un espace-temps interstitiel

dans lequel la dimension performative est incluse. De plus, la victoire ou la défaite des

matchs, de même que leur déroulement inattendu et spontané, font de cet intervalle festif un

spectacle-divertissement aux multiples rebondissements. Comme le soulignent Crozat et

Fournier, l’analyse des modalités d’insertion de la fête dans les activités de loisirs montre

que l’esprit de la fête n’est pas exclu du loisir282. Cet intervalle festif se rapproche de la

282. Dominique Crozat et Sébastien Fournier, « De la fête aux loisirs : événement, marchandisation et invention des lieux ».

207

« quasi fête »283 décrite par Jean Duvignaud. Chaque retransmission d’un match de hockey à

la télévision devient une occasion de rassemblement de la communauté télévisuelle. Le loisir,

tout comme la fête, aurait un caractère mixte. D’ailleurs nous avons pu constater au cours

des observations que les matchs retransmis chez les participants oscillaient entre le

cérémonial, par le soin que les partisans mettent à les préparer, et la spontanéité, notamment

avec leurs réactions imprévisibles devant les faits de jeu. Cette mixité a été observée par

François-André Isambert qui souligne que les « fêtes oscillent entre deux pôles »284. La

mixité est d’ailleurs une caractéristique du loisir festif comme nous allons le voir.

5.3.2 Le loisir festif : fête spectacle ou spectacle de la fête?

Parlant de la grandeur et de la décadence des spectacles sportifs, Philippe Gaboriau

décrit les grandes rencontres sportives comme des fêtes populaires. Il parle de « carnavals

modernes de l’époque industrielle […]. À côté du monde officiel, ils édifient un second

monde et une seconde vie auxquels tous les hommes de notre époque se trouvent mêlés »285.

Pour lui, la tenue d’une rencontre sportive est une occasion de grand rassemblement

populaire où la dimension festive se déplace dans les gradins des stades. Les partisans ne

veulent pas seulement y assister comme à un spectacle de musique. La dimension

spectaculaire du match de hockey étant indéniable, nous pouvons alors nous demander si le

loisir festif qui consiste à regarder les matchs du Canadien à la télévision et éloigné des stades

constitue lui aussi une fête spectacle ou un spectacle de la fête. Rappelons que pour Agnès

Villadary, le spectateur, même hors des enceintes sportives, prend part au spectacle sportif.

Elle décrit le rôle de la retransmission à la télévision dans cette participation qui substitue

une image de la fête à la fête réelle.

283. Jean Duvignaud, Fêtes et civilisations, Paris, Actes sud, 1991, p. 247.

284. François-André Isambert, Le sens du sacré. Fête et religion populaire, Paris, Les Éditions de Minuit, 1982. p. 155.

285. Philippe Gaboriau, Les spectacles sportifs. Grandeurs et décadences, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 17.

208

Les spectacles télévisés de carnavals, fêtes africaines ou sud-américaines, bals,

galas, de même que les retransmissions des cérémonies nationales substituent à

la fête réelle une image de la fête qui n’exige de nous qu’une participation

seconde. […] Il y a donc deux aspects d’une même réalité : d’un côté la vraie

fête, de l’autre, l’image d’une fête affaiblie et dénaturée retransmise sur un écran,

image impuissante à faire revivre l’ambiance ou l’exaltation d’une cérémonie

véritable, image incapable de nous arracher à nous-mêmes pour nous faire

communier avec nos semblables. Dans certains cas, le spectacle de la fête vient

donc doubler la fête réelle et transformer une participation collective en

assistance individuelle, nous devenons donc les spectateurs de la fête286.

Les téléspectateurs prennent donc part, par leur participation seconde, au spectacle de la fête

et non à la fête réelle. Nous avons vu que les participants de cette étude ont pu encourager

leurs favoris sans que cela ne puisse avoir d’impact sur le déroulement des matchs ou les

résultats, contrairement aux partisans sur place qui pouvaient se faire entendre et jouer un

rôle actif de soutien afin de donner un surplus de motivation aux joueurs. Les partisans qui

se déplacent dans les arénas pour soutenir le Canadien sont des spectateurs actifs du spectacle

sportif. Ceux qui regardent les matchs dans les bars ou de chez eux ne peuvent apporter

qu’une « participation seconde » à la fête du match et qu’un support indirect à leur équipe.

Même quand Hughes a reçu ses cinq amis, et malgré l’effet de groupe ainsi créé, l’ambiance

n’a pu refléter ce qui se passait véritablement sur place à Winnipeg. Malgré cela, les

encouragements pour le Canadien n’ont jamais cessé dans les quatre salons lors des

observations. Si les téléspectateurs sont des partisans à part entière du CH, ils participent

néanmoins indirectement au spectacle, tout en étant plus que des spectateurs passifs comme

en témoigne leur démonstration de ferveur et leurs encouragements envers les joueurs sur la

glace. Rappelons que Hughes a été le seul participant à aller régulièrement aux matchs au

Centre Bell. Sa façon de suivre les matchs à domicile, constamment entouré de personnes,

suggère peut-être, qu’au-delà de profiter de la présence de ses amis, il voulait reproduire, à

échelle réduite, l’ambiance qu’on peut retrouver sur place. Pour Stéphane et Gisèle, au vu de

leur expérience au Centre Bell, supporter le Canadien s’est exprimé de la même façon que ce

286. Agnès, Villadary, Fête et vie quotidienne. Paris, Les Éditions ouvrières, 1968, p. 45-46.

209

que nous avons observé chez eux. La participation seconde au spectacle sportif, via la

retransmission télévisuelle, transforme ainsi le participant en spectateur de la fête.

Par ailleurs, chaque retransmission d’un match de hockey du CH est vécue comme une fête

collective qui rassemble la communauté des partisans autour du spectacle télévisé. Agnès

Villadary explique que la fête spectacle « diffère du spectacle de la fête en ce qu’elle est une

fête réelle au sein même de laquelle le spectacle tend à prendre une importance

prépondérante. […] Ainsi le spectacle prend racine au cœur même de la fête et tend à

l’envahir. »287 Dans cette étude, le match du CH a pu être un prétexte pour passer un bon

moment pour certains, mais il a surtout été une affaire prise à cœur pour les quatre

participants principaux et la plupart des participants secondaires. Chaque match de hockey a

été abordé comme une fête même si le dénouement n’a pas toujours été une victoire : le

spectacle est « inclus dans la fête [qu’il vient] bouleverser de l’intérieur »288; il se contente

« de doubler la fête dont l’image est retransmise sur un écran »289. Les défaites du Canadien

ont bouleversé la fête que représentait le match en général et certaines ont renforcé cet état

de bouleversement. Les matchs de série en sont de parfaits exemples. Ainsi le loisir festif qui

consiste à regarder le match de hockey du Canadien de Montréal de chez soi est tout autant

un spectacle de la fête qu’une fête spectacle : les téléspectateurs que nous avons rencontrés

se sont montrés des spectateurs actifs du spectacle sportif et ils ont démontré qu’ils étaient

de réels acteurs de cette fête télévisuelle.

287. Agnès, Villadary, Fête et vie quotidienne. Paris, Les Éditions ouvrières, 1968, p. 46.

288. Ibid.

289. Ibid.

210

Conclusion du chapitre

Le spectacle sportif « s’appuie sur une demande sociale apparaissant exclusivement

dans le temps libre, dans le loisir »290. C’est en effet pendant des soirées au cours desquelles

ils n’ont pas de contraintes que les participants peuvent regarder les matchs du Canadien à

leurs domiciles. Tout est mis en place afin que les grands évènements sportifs aient lieu dans

des créneaux horaires où la plupart des individus ne travaillent pas. Il faut qu’ils puissent se

rendre dans les stades ou être devant la télévision au moment adéquat. Or, la retransmission

de spectacles sportifs à la télévision et l’un des loisirs les plus populaires qui attirent de

nombreux téléspectateurs.

Regarder un match de hockey du Canadien à domicile est un divertissement, une façon

agréable de passer une bonne soirée, de se divertir en regardant du sport. Nous avons vu que

tant pour les participants principaux que pour quelques participants secondaires la télévision

a le pouvoir de regrouper et de rassembler, sur une base régulière, les amateurs de sport pour

former une communauté de plusieurs milliers de « fidèles » autour de l’autel domestique que

constitue l’écran. L’effet médiatique des grands spectacles crée une communauté

télévisuelle, certes spontanée et immédiate comme une communitas, en faisant de chaque

match du Canadien un moment unique où tous les partisans vibrent à l’unisson. Au surplus,

ce divertissement hebdomadaire est plus qu’un loisir; la passion inconditionnelle des

participants pour le spectacle sportif en fait un loisir passion. Les observations ont montré

que l’assiduité à écouter les matchs, leur ferveur jamais démentie, l’investissement et la

performativité de chacune de leur représentation, le sérieux avec lequel ils abordaient le jeu

et le classement du CH, l’importance qu’ils accordaient à ce « temps sacré » dans leur

quotidien, représentent autant d’éléments qui ont permis de mettre en évidence les signes

extérieurs de la distinction entre passionné et simple amateur.

290. Paul Yonnet, Huit leçons sur le sport, Paris, Gallimard, 2004, p. 39.

211

Enfin, nous avons observé que les spectacles télévisés de rencontres sportives ont certaines

caractéristiques de la fête, par leur aspect transgressif et permissif, et peuvent être analysés

comme des quasi-fêtes, occasions de grands rassemblements hors du quotidien, mais non en

totale rupture avec celui-ci. Si l’aspect festif trouve une place évidente dans l’effervescence

des tribunes des stades et des arénas, les moments consacrés à la retransmission télévisuelle

des matchs à domicile sont aussi l’occasion de s’accorder des permissions, quoique moins

spectaculaires, où l’esprit de la fête est naturellement présent. De plus, en suivant le match à

la télévision, le téléspectateur devient spectateur de la fête par sa participation seconde au

spectacle sportif; la télévision lui substituant ainsi une image de la fête-spectacle réelle qui

est célébrée dans les stades. Au final, les partisans que nous avons rencontrés sont des acteurs

du loisir festif qu’est le spectacle sportif retransmis à la télévision.

212

Conclusion

Le jeudi 9 mai 2013, le Canadien de Montréal est éliminé des séries par les Sénateurs

d’Ottawa 4 victoires à 1. Malgré cette défaite, la saison est jugée encourageante avec un

nouveau directeur général, Marc Bergevin, un nouvel entraîneur, Michel Therrien, de jeunes

joueurs en devenir et surtout une 2e place au classement général de la Conférence Est et le

titre de meilleur défenseur de la ligue pour P.K. Subban. La nouvelle équipe dirigeante

prévoit un plan de cinq ans afin de mener l’organisation vers les sommets de la ligue et la

coupe Stanley. Tous les partisans sont enthousiastes et croient aux chances de l’équipe

d’atteindre les sommets et d’y rester. L’avenir du club de Montréal semble plus doré après

des années jugées médiocres. La saison suivante (2013-2014), le Canadien confirme son

renouveau et termine avec le quatrième bilan dans la Conférence Est et se rend jusqu’en

finale de conférence après avoir éliminé les Bruins de Boston en demi-finale.

Malheureusement, le Canadien est éliminé à deux matchs de la finale de la coupe Stanley par

les Rangers de New York 4 victoires à 2 tout en ayant perdu son gardien Carey Price lors du

premier match de la série. Pour de nombreux observateurs, la perte du gardien montréalais a

coûté la qualification au Canadien. La saison suivante (2014-2015), le Canadien se rapproche

des sommets en finissant avec le 2e meilleur bilan de la Conférence Est et de toute la ligue.

Par contre en séries, le Canadien fait moins bien que la saison précédente et s’arrête en demi-

finale de conférence. Malgré tout, le gardien Carey Price remporte trois trophées individuels

(pour le moins de buts accordés dans la saison, pour celui de meilleur gardien et pour celui

de meilleur joueur de la saison décerné par les journalistes).

L’équipe se présente pour la saison 2015-2016 avec le meilleur gardien de la ligue et un des

meilleurs défenseurs en la personne de P.K. Subban. Tous les espoirs sont permis, d’autant

plus que le Canadien remporte ses neuf premiers matchs en temps réglementaire (record

d’équipe et de la ligue), mais tout s’écroule avec la blessure de son gardien pour tout le reste

de la saison et plus tard d’un de ses meilleurs attaquants, Brendan Gallagher. Le reste de la

213

saison est loin d’être à la hauteur et l’équipe ne se qualifie même pas pour les séries

éliminatoires. Cette saison marque un coup d’arrêt dans le projet quinquennal de l’équipe,

mais les blessures de deux de ses joueurs importants relativisent cette saison. On évoque un

simple incident de parcours et l’entraîneur Michel Therrien n’est pas remis en cause. Par

contre pendant la saison morte, le directeur général procède à un échange de joueurs qui

bouleverse la ligue nationale et les partisans du Canadien. P.K. Subban est envoyé aux

Prédateurs de Nashville contre le défenseur Shea Weber. Ce dernier est considéré comme un

des meilleurs défenseurs de la ligue. Il est réputé plus fiable défensivement que Subban et est

censé apporter le « leadership » qui manque au Canadien. Si l’échange est considéré comme

gagnant pour les deux équipes, de nombreux partisans à Montréal sont sous le choc. En plus

de son style flamboyant, Subban était devenu un pilier de la communauté, notamment à

travers ses dons à l’hôpital de Montréal pour enfants. Malgré ce traumatisme pour certains,

le Canadien débute la saison 2016-2017 sûr de sa force et remporte ses dix premiers matchs,

dont un seul en tirs de barrage. Malheureusement, le reste n’a pas la même saveur et pour

éviter une mésaventure identique à la saison précédente, Marc Bergevin remplace Michel

Therrien à la tête de l’équipe par l’entraîneur Claude Julien, ancien entraîneur du Canadien

de 2003 à 2006 puis des Bruins de Boston avec lesquels il a remporté une coupe Stanley en

2011. Le Canadien se qualifie pour les séries, mais est éliminé au premier tour par les Rangers

de New York. Tandis que la finale de la coupe Stanley oppose les Penguins de Pittsburgh

aux Prédateurs de Nashville…de P.K. Subban. La saison 2017-2018 ressemble fortement à

celle qui a précédé la saison de l’étude, soit la saison 2011-2012. L’équipe ne joue pas à la

hauteur des attentes et dès le mois de décembre 2017, les chances de voir le Canadien se

qualifier pour les séries sont considérablement réduites. Les meilleurs joueurs sont

régulièrement blessés (Shea Weber dès le début de la saison, Carey Price à plusieurs reprises

au cours de la saison) ou déçoivent dans le jeu (le capitaine Max Pacioretty). Finalement le

Canadien est officiellement éliminé des séries au 74e match de la saison régulière, alors qu’il

reste huit parties à disputer et cela n’a fait que confirmer ce que les partisans et journalistes

avaient pressenti. Ainsi, malgré une finale de conférence en 2014, les années semblent se

suivre et se ressembler pour le Canadien au grand désarroi de ses partisans qui ne se lassent

pourtant pas de soutenir leur équipe. Ce bilan, cinq ans après la saison des observations, est

nécessaire pour remettre en contexte le parcours du Canadien qui a été la trame de fond de

214

l’étude et les attentes qu’il suscite toujours. Nous avons observé les réactions et émotions des

quatre participants durant la saison 2012-2013, mais ceux-ci n’ont cessé de suivre leur équipe

favorite depuis la fin de l’étude, à l’instar de toute la communauté des partisans du Canadien.

En étudiant la passion partisane dans un espace privé, c’est à un large pan des supporteurs

que nous nous intéressons. Pour un match du Canadien au Centre Bell, plus de 20 000

personnes se massent dans les estrades, tandis que plusieurs centaines de milliers se

retrouvent dans les bars sportifs ou regardent la rencontre de chez eux. Ce sont ces derniers,

les plus nombreux, qui ont été étudiés à travers les profils de Gisèle, Stéphane, Hughes et

Ismaël. Au cours de la saison 2012-2013 nous les avons observés pendant qu’ils regardaient

leurs favoris à la télévision. Nous avons découvert quatre profils différents de partisan et

quatre façons différentes de regarder les matchs du Canadien de Montréal desquels se

dégagent toutefois certaines constantes. Le contexte de la saison de hockey (saison tronquée,

nouvelle direction, nouvel entraineur, intégration et responsabilisation de jeunes joueurs) a

donné une coloration particulière à ces observations. En effet, les quatre participants ont

pleinement savouré la possibilité de regarder les matchs de leur équipe et surtout de la voir

déjouer les pronostics, y compris les leurs. De ces quatre profils, certaines différences

flagrantes sont apparues, notamment sur la façon dont RDS couvrait les matchs ou sur leur

rapport à la violence. Mais des points communs propres aux partisans se sont aussi manifestés

comme sur la capacité à critiquer et à féliciter des joueurs au cours de mêmes actions, sur la

mauvaise foi partisane ou sur le sentiment partisan du « nous contre eux ». Au final, il

n’existe pas de modèle type de partisan et cette étude a permis de montrer quatre fans du

Canadien dont certains sont plus démonstratifs et plus véhéments que d’autres sans que cela

ne remette en cause leur passion partisane pour le CH.

Chaque observation nous a apporté des éléments sur l’identité partisane de Gisèle, Stéphane,

Hughes et Ismaël. En prenant la qualité principale de chacun, nous pourrions esquisser

l’identité du partisan idéal : l’enthousiasme, le pragmatisme, le savoir encyclopédique et une

focalisation sur les détails des matchs. Les quatre sont des « sportifs de salon » par choix

215

surtout pour Gisèle, Stéphane et Ismaël. Ils le revendiquent et l’assument. Gisèle et Stéphane

ont apprécié leur visite au Centre Bell mais préfèrent quand même regarder le Canadien de

leur salon. Ismaël a exprimé l’envie d’y aller mais sa façon de regarder les matchs est tout à

fait adapté à son domicile. Il est minutieux et veut contrôler chaque aspect de la

retransmission du match. Pour ces trois-là, regarder des matchs à domicile fait partie

intégrante de leur identité de partisan. Pour Hughes, les choses sont différentes. Il aime aller

au Centre Bell encourager son équipe mais tend à reproduire l’ambiance festive et collective

du stade quand il suit un match du Canadien à domicile. Hughes est un « sportif de salon »

par défaut. Contrairement aux trois autres participants, être « sportif de salon » n’est donc

pas une caractéristique mise en avant dans son identité de partisan. Les quatre participants

sont des partisans assidus qui, hors observation, ont regardé tous les matchs de leur équipe.

Quand cela n’a pas été possible pour Hughes, pour cause de voyage à l’étranger, il s’est tenu

au courant de tout ce qui concernait son équipe. Ils sont profondément passionnés par le

Canadien. Si Gisèle, Stéphane et Hughes ont baigné dans cette ferveur culturelle mais ils ont

par la suite choisi de devenir des partisans du Canadien à part entière. Ismaël est devenu

partisan après son installation à Montréal. Personne ne l’a amené vers le Canadien. Qu’ils

aient baigné dans cette ferveur ou qu’il soit devenu partisan sur le tard, ils ont fait le choix

de regarder et supporter le Canadien soir après soir. Voilà certainement la principale

caractéristique de leur identité de partisan.

Le fait de regarder un match du Canadien à la télévision de son domicile n’altère pas le statut

de « partisan ». Les quatre participants à l’étude ont manifesté leur intérêt avant les matchs,

en se renseignant sur tout ce qui concernait leur équipe; ils ont exprimé leur ferveur pendant

les matchs, en soutenant le Canadien, et les ont analysés à leur issue, en regardant les

émissions de RDS ou en parlant avec des amis. Ces « sportifs de salon » ont montré qu’ils

ne sont pas moins partisans que ceux qui vont au Centre Bell. Ils ont exposé leur joie et leur

dépit, ils ont pris à parties les arbitres, encensé et critiqué les joueurs, ont été touchés par les

défaites…comme n’importe quel amateur ; ils ont d’ailleurs exprimé qu’ils ne se sentaient

pas moins partisans parce qu’ils regardaient les matchs de chez eux. Le sport permet de

manifester sa joie ou sa déception qu’on soit entouré de milliers de personnes ou tout seul.

216

D’ailleurs les observations ont montré que regarder des matchs de chez soi comportaient

certains avantages. Ainsi, la couverture médiatique de RDS sur le Canadien, qui comprenait

les émissions d’avant et d’après match, les analyses des journalistes et des consultants au

cours des matchs, a ravi Gisèle, Stéphane et Ismaël tout au long des rencontres de leur équipe.

Les commentaires en direct ont revêtu une importance considérable pour les participants,

hormis Hughes. RDS ne leur présentait pas seulement un match de hockey mais un récit avec

commentaires, analyses et statistiques à l’appui. Ils ont ainsi pu se confronter aux analyses

des journalistes et profiter des statistiques en direct. Les participants estimaient que regarder

les matchs de leurs domiciles leur procurait une expérience plus complète que celle d’assister

à un match au Centre Bell.

La ferveur a été présente tout au long des 19 observations de cette étude, mais plus évidente

au cours des but marqués par le Canadien. Son expression s’incarne dans une gestuelle allant

des poings dressés aux bonds pour se lever du canapé et se mettre debout, en passant par des

tapes dans les mains lorsqu’il y a plus d’une personne qui regarde les matchs, aux

applaudissements, aux rapprochements vers l’écran pour mieux voir les ralentis ou aux bras

levés dans les airs en signe de victoire. Selon les contextes de jeu et du match, les buts

prenaient une saveur particulière et les célébrations se doublaient d’un autre sentiment, par

exemple le soulagement lors d’une égalisation du Canadien ou un sentiment de

« vengeance » lors d’un but contre Boston, Toronto ou Ottawa en série. La ferveur des

participants s’est aussi manifestée par le vocabulaire employé envers les joueurs du Canadien

et ses adversaires. Nous avons montré comment la rhétorique du partisan traduit autant les

louanges lors de la marque de buts et des actions défensives que lors des occasions ratées,

des mauvais jeux, de l’attitude des joueurs sur la glace ou lorsque l’équipe encaissait des

buts. En somme, les manifestations de cette ferveur entourant la retransmission de matchs de

hockey du CH expriment des émotions contrastées qui oscillent entre admiration,

ressentiment, humour et pessimisme selon les faits de jeu, l’issue des matchs, le classement

de l’équipe ou celui de l’équipe adverse. De plus, ces émotions sont révélées spontanément

avec peu de retenue même en contexte d’observation.

217

Regarder la retransmission d’un match de hockey à domicile pour les participants représente

bien plus qu’un divertissement hebdomadaire. Leur investissement dans sa préparation, leur

passion et la performativité de leurs représentations en sont des preuves. Ils ont véritablement

endossé le rôle de partisan à chaque match du Canadien. Malgré la présence d’un observateur,

chaque retransmission a donné lieu à une véritable mise en scène de leur partisannerie. Même

ceux qui avaient des obligations parentales conciliaient les rôles de père et de partisan avec

une certaine aisance tant le moment du match revêtait un caractère sacré pour eux. Par leur

passion inconditionnelle pour le spectacle sportif, le divertissement télévisuel devient un

loisir passion qui se fonde sur la nette distinction entre le simple amateur de hockey et le

passionné. Les spectacles télévisés sont apparus aussi comme des quasi-fêtes de par leur

aspect transgressif et permissif. Nous nous sommes retrouvés dans un cadre « d’intervalle

festif » suggérant certains comportements liés à la fête, comme la consommation d’alcool et

de mets ou repas inhabituels, mais avec une certaine retenue liée au contexte privé du

domicile (présence familiale ou du voisinage, jours de semaine). Ainsi, les passions

individuelles observées au cours des matchs des Canadiens se caractérisent par la spontanéité

des réactions des participants, l’investissement émotionnel et physique et l’aspect

transgressif et permissif contenu. Ces caractéristiques sont à toute fin pratique semblables

aux passions collectives qui s’exercent dans les stades mais sans le contrôle des

transgressions. Dans les tribunes des stades, nul besoin de se soucier de son voisin quand il

s’agit de manifester sa joie; ou alors, les manifestations de joie ne sont pas bridées par le

contexte familial.

Par ailleurs, chaque retransmission d’un match de hockey du CH est vécue comme une fête

collective qui rassemble la communauté des partisans autour du spectacle télévisé. Nous

avons vu que tant pour les participants principaux que pour quelques participants secondaires

la télévision a le pouvoir de regrouper et de rassembler, sur une base régulière, les amateurs

de sport pour former une communauté de plusieurs milliers de « fidèles » autour de l’autel

domestique. Par le truchement d’un écran se crée une communauté télévisuelle, spontanée et

immédiate comme une communitas, faisant de chaque match du Canadien un moment unique

où tous les partisans, où qu’ils soient dans le monde, vibrent à l’unisson. Cette communauté

218

éphémère caractérisée par le partage d’une tension émotionnelle intense, si elle ne peut se

maintenir longtemps, émerge pourtant à nouveau à chaque retransmission d’un match du CH.

De plus, chaque match de hockey a été abordé comme une fête même si le dénouement n’a

pas toujours été une victoire. Par sa retransmission, le spectacle sportif télévisuel offre une

image de la fête réelle où les téléspectateurs que nous avons rencontrés se sont montrés à la

fois des spectateurs actifs et de réels acteurs de cette fête télévisuelle. Le loisir festif qui

consiste à regarder le match de hockey du Canadien de Montréal de chez soi est tout autant

un spectacle de la fête qu’une fête spectacle.

L’apport scientifique de notre recherche est à la fois théorique et méthodologique. Cette étude

comble à notre avis un vide historiographique sur le supporterisme en traitant des amateurs

de hockey qui suivent la retransmission des matchs à leur domicile. L’expression « sportifs

de salon » s’en trouve réhabilitée car les partisans que nous avons observés se sont montrés

passionnés, mesurés; ils possèdent de grandes connaissances sur le jeu et les joueurs, suivent

attentivement ce qui se passe sur la glace. Il s’agit d’une contribution empirique qui examine

de façon détaillée le comportement et l’expérience de la partisanerie en contexte privé.

L’examen d’un plus grand nombre de partisans sur une saison régulière et complète de

matchs incluant les séries fournirait sans doute un échantillon plus large de données mais

supposerait un investissement plus long et plus grand du chercheur sur le terrain. Il n’en

demeure pas moins que Gisèle, Stéphane, Hughes et Ismaël font partie de ces « sportifs de

salon » qui proposent quatre profils différents. L’identité de ces quatre participants en tant

que partisan s’est dévoilée sous nos yeux aux cours des observations. Par leurs réactions, leur

façon d’aborder les matchs, leur façon de mettre en scène, de performer et d’exprimer leur

passion, nous avons pu cerner les identités de ces partisans. Cet apport théorique n’aurait pas

été possible sans la posture que nous avons tenue tout au long de notre terrain. En décidant

de rester résolument neutre, les participants ont pu parler et évoluer naturellement. Ils sont

venus vers l’observateur, ont abordé des sujets et engagé des conversations de leur propre

initiative. Ce naturel né de la neutralité affichée dès le départ a donné des observations riches

et abondantes. La méthodologie d’une ethnographie multisituée était adaptée à ce terrain

particulier et montre l’apport qu’il est possible de tirer uniquement d’observations

219

minutieuses. Une étude future pourrait reprendre certaines conclusions et les comparer avec

la perception de la partisannerie du point de vue des partisans ou de leur sens de la passion

sportive afin d’enrichir les connaissances sur l’identité partisane de milliers d’amateurs de

hockey.

220

Bibliographie

I. Les sources

Sources orales enregistrées.

19 février 2013. Entretien individuel Stéphane Bolduc: 10 minutes.

26 février 2013. Entretien individuel Hughes Lavergne : 13 minutes.

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29 mars 2013. Entretien individuel Ismaël Habimana : 15 minutes.

Sources manuscrites.

Carnet 1 : comporte les descriptions de chaque logement.

Carnet 2 : comporte les descriptions de toutes les observations effectuées chez Stéphane du

21 février 2013 au 7 mai 2013.

Carnet 3 : comporte les descriptions de toutes les observations effectuées chez Hughes du 5

mars 2013 au 25 avril 2013.

Carnet 4 : comporte les descriptions de toutes les observations effectuées chez Gisèle du 19

mars 2013 au 2 mai 2013.

Carnet 5 : comporte les descriptions de toutes les observations effectuées chez Ismaël du 30

mars 2013 au 9 mai 2013.

Observations

Bolduc Stéphane

21 février 2013. Observation Canadien de Montréal contre Islanders de New York. Faite à

Longueuil et d’une durée de 3 heures et 26 minutes.

27 février 2013. Observation Maple Leafs de Toronto contre Canadien de Montréal. Faite à

Longueuil et d’une durée de 3 heures et 17 minutes.

221

9 avril 2013. Observation Canadien de Montréal contre Capitals de Washington. Faite à

Longueuil et d’une durée de 2 heures et 48 minutes.

15 avril 2013. Observation Canadien de Montréal contre Flyers de Philadelphie. Faite à

Longueuil et d’une durée de 3 heures et 36 minutes.

7 mai 2013. Observation Sénateurs d’Ottawa contre Canadien de Montréal. Faite à Longueuil

et d’une durée de 2 heures et 53 minutes.

Lavergne, Hughes

5 mars 2013. Observation Islanders de New York contre Canadien de Montréal. Faite au

centre-ville de Montréal et d’une durée de 3 heures.

13 mars 2013. Observation Canadien de Montréal contre Sénateurs d’Ottawa. Faite au centre-

ville de Montréal et d’une durée de 2 heures et 47 minutes.

26 mars 2013. Observation Penguins de Pittsburgh contre Canadien de Montréal. Faite au

centre-ville de Montréal et d’une durée de 2 heures et 34 minutes.

25 avril 2013. Observation Jets de Winnipeg contre Canadien de Montréal. Faite au centre-

ville de Montréal et d’une durée de 2 heures et 43 minutes.

Raymond, Gisèle

19 mars 2013. Observation Sabres de Buffalo contre Canadien de Montréal. Faite à Montréal

nord et d’une durée de 3 heures et 11 minutes.

27 mars 2013. Observation Bruins de Boston contre Canadien de Montréal. Faite à Montréal

nord et d’une durée de 3 heures et 24 minutes.

13 avril 203. Observation Maple Leafs de Toronto contre Canadien de Montréal. Faite à

Montréal nord et d’une durée de 2 heures et 42 minutes.

23 avril 2013. Observation Devils du New Jersey contre Canadien de Montréal. Faite à

Montréal nord et d’une durée de 2 heures et 53 minutes.

2 mai 2013. Observation Canadien de Montréal contre Sénateurs d’Ottawa. Faite à Montréal

Nord et d’une durée de 3 heures et 10 minutes.

Habimana, Ismaël

30 mars 2013. Observation Canadien de Montréal contre Rangers de New York. Faite à Notre

Dame de Grâce et d’une durée de 3 heures et 17 minutes.

222

6 avril 2013. Observation Canadien de Montréal contre les Bruins de Boston. Faite à Notre

Dame de Grâce et d’une durée de 2 heures et 58 minutes.

18 avril 2013. Observation Canadien de Montréal contre Lightning de Tampa-Bay. Faite à

Notre Dame de Grâce et d’une durée de 3 heures et 9 minutes.

27 avril 2013. Observation Maple Leafs de Toronto contre Canadien de Montréal. Faite à

Notre Dame de Grâce et d’une durée de 2 heures et 27 minutes.

9 mai 2013. Observation Canadien de Montréal contre Sénateurs d’Ottawa. Faite à Notre

Dame de Grâce et d’une durée de 2 heures et 32 minutes.

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Annexes

Annexe 1

SCHÉMA D’ENTREVUE

1. Profil social du candidat

1.1. Comment vous prénommez-vous?

1.2. Quel âge avez-vous?

1.3. Exercez-vous une activité professionnelle?

- si oui, laquelle et depuis combien de temps?

1.4. Êtes-vous originaire de Montréal?

- si non, d’où venez-vous et depuis combien de temps êtes-vous installé(e) à

Montréal?

1.5. Occupez-vous ce logement tout(e) seul(e)?

- si non, l’occupez-vous avec un conjoint(e)? Un(e) ou des colocataires?

2. Rapport au hockey

2.1. À quand remonte votre premier contact avec le hockey?

2.2. Avez-vous déjà pratiqué ce sport?

-si oui, vous arrive-t-il de le pratiquer encore?

2.3. En dehors des matchs des Canadiens de Montréal, intéressez-vous et regardez-vous

les autres équipes?

- si oui, d’une ou plusieurs en particulier ou juste des matchs qui sont diffusés?

2.4. Savez combien d’équipes constituent la Ligue nationale de hockey

2.5. Pouvez-vous citer les 3 dernières équipes à avoir remporté la coupe Stanley?

3. Rapport aux Canadiens de Montréal

3.1. 3.1Comment êtes-vous devenu un partisan des Canadiens de Montréal? (influence

d’un tiers, phénomène de groupe ou cheminement personnel?)

3.2. Quelle place votre passion des Canadiens de Montréal prend-elle dans votre

quotidien?

3.3. Considérez-vous que les Canadiens de Montréal dépassent le simple cadre sportif?

- si oui, que représente cette organisation à vos yeux?

3.4. Savez- vous que votre équipe favorite est celle qui a remporté le plus de coupes

Stanley dans toute l’histoire de la ligue nationale?

239

- si oui, pouvez-vous donner le nombre de trophées détenus par les Canadiens

de Montréal?

3.5. La dernière coupe Stanley des Canadiens de Montréal remonte à quelques années.

Êtes-vous en mesure d’en donner la date, le nom de l’entraîneur et du capitaine de

l’équipe?

4. Regarder un match des Canadiens de Montréal

4.1 Pour quelle raison faites-vous le choix de regarder majoritairement les matchs de

votre équipe favorite chez vous?

4.2 Vous considérez-vous comme moins impliqué qu’une personne qui se déplace au

centre Bell?

4.3 Cela vous arrive-t-il d’inviter des amis ou de la famille à vous rejoindre à votre

domicile pour regarder des matchs des Canadiens de Montréal?

- si oui, cela est-il spontané ou dépend-il de l’adversaire?

- dans quelles circonstances? (saison régulière ou séries éliminatoires)

- comment cela se passe-t-il? (installation, ambiance, etc.)

240

Annexe 2

GRILLE D’OBSERVATION

Nom du participant :

Adresse :

Date de l’observation :

Nom de l’observateur :

1. Extérieur du domicile

État du bâtiment

Type de construction (maison, appartement, condominium)

Nombre de logements dans l’immeuble (si le logement n’est pas une

maison)

Nombre de voisins directs (sur les côtés, au-dessus et en dessous)

2. Intérieur du logement.

Aménagement général.

Nombre de pièces.

Type d’ameublement.

Type de décoration (des éléments prouvant la partisannerie sont-ils

visibles?).

3. Pièce principale (celle où le partisan regarde le match)

3.1 Avant le match

Vocation de la pièce (séjour, salle familiale, chambre).

Aménagement général.

Type d’ameublement.

241

Décoration.

3.2 Pendant le match (des changements interviennent-ils pendant le

match?)

Aménagement général.

Décoration.

3.3 Après le match (la pièce a-t-elle été modifiée pour reprendre son aspect

originel?)

Aménagement général.

Décoration.

4. Ambiance

Musique.

Boisson alcoolisée ou non.

Nourriture.

Son de la télévision plus élevé qu’en temps normal?

5. Personnes présentes

Qui?

Disposition des personnes.

Gestuelle.

Habillement (les personnes présentes portent-elles des signes

d’appartenance aux Canadiens de Montréal?)

6. Situations d’observation.

6.1 Avant- match

La ou les personne(s) présente(s) regarde(nt)-elle(s) les émissions d’avant

match?

Quelle est l’ambiance avant le début du match? (exaltée, tranquille,

confiante, pessimiste, etc. Cela sera lié au contexte du match).

Des pronostics sont-ils effectués sur l’issue du match?

6.2 Le match

Déroulement du match : atmosphère, cris, mimiques, temps forts, temps

morts, etc.

Y a-t-il une interaction entre les personnes présentes?

242

Pendant les pauses entre les périodes, le(s) partisan(s) regarde(nt)-il(s) les

analyses? Change(nt)-il(s) de chaîne? Profite(nt)-il(s) pour faire autre

chose?

6.3. Après-match

Les émissions d’après match sont-elles regardées?

Le ou les participant(s) se lance(nt)-il(s) dans une analyse du match?