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La Domus Aurea sur l’Esquilin : l’apport des estampilles sur briques

à la chronologie des vestiges

Le corpus de la documentation épigraphique concernant la Domus Aurea deNéron est singulièrement réduit (1). Les quelques estampilles sur briques retrou -vées dans la fabrique de l’Esquilin ne sont pourtant pas dépourvues d’intérêt :jamais exploitées scientifiquement, elles peuvent contribuer à trancher le pro-blème récurrent de la chronologie de la construction de l’immense bâtisse et, au-delà, celui beaucoup plus vaste de l’interprétation idéologique qu’il convientd’en donner. Traiter de cette question dans un hommage à Yves Burnand estd’autant plus bienvenu que ces marques offrent l’occasion d’évoquer les mem -bres d’une famille qu’il connaît particulièrement bien, le nîmois CnaeusDomitius Afer et ses fils, Domitius Lucanus et Domitius Tullus.

Invention des estampilles et données archéologiques. — Au cours de l’ex-ploration méthodique des vestiges de l’Esquilin qu’il effectua entre 1811 et1814, Antonio de Romanis récolta quelques dizaines d’estampilles qu’il publiaen 1822 dans un remarquable volume : Le antiche camere Esquiline dettecomunemente delle Terme di Tito (2). L’ouvrage est scientifiquement solide – onpeut le considérer comme la première publication « moderne » sur le sujet – maisson analyse historique et chronologique est conditionnée par l’état contemporaindes connaissances : les vestiges de l’Esquilin sont alors attribués non sans confu-sion à Titus ou Trajan sans que soit explicitement posée la question de leur éven-tuelle datation néronienne (3). Intégrées au CIL, XV, 1, ces marques ont été repri-

(1) Une seule inscription mentionne la Domus Aurea : Eumolpus Caesaris a suppelec-tile domus auria (CIL, VI, 3719 = ILS, 1774).

(2) Ant. DE ROMANIS, Le antiche camere Esquiline dette comunemente delle Terme diTito / disegnate ed illustrate da Ant. D. R., Rome, 1822.

(3) Lors de leur invention à la fin du XVe siècle, les vestiges de l’Esquilin sont juste-ment identifiés comme ceux de la Domus Aurea. En dépit de la fâcheuse réputation deleur commanditaire, les peintures soulèvent l’enthousiasme des visiteurs. Mais commentadmirer les peintures d’un monstre ? Dès le XVIe siècle, on préfère en attribuer la paternitéà un « bon » empereur, Titus ou Trajan. On appelle donc les vestiges de l’Esquilin « ther-mes de Titus » ou « thermes de Trajan ». Bien que plusieurs indices attestent qu’il a iden-tifié la Domus Aurea, A. de Romanis s’en tient prudemment à l’appellation traditionnelle

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ses par Herbert Bloch qui les datent de périodes post-néroniennes (quelques-unes à l’époque flavienne et hadrianéenne, la majorité à l’époque trajaniennedans le cadre de la construction des thermes d’Apollodore de Damas qui fossili-sent la fabrique néronienne) à l’exception d’une seule qu’il attribue à la DomusAurea, donc de 64-68 conformément à la chronologie admise lors de la parutionde son livre en 1947 (4) . À ces marques inventées au XIXe siècle se sont ajoutéesdeux estampilles trouvées sous la salle octogonale et publiées par GiuseppeLugli en 1931 (5) (et intégrées par H. Bloch dans son corpus en les datant de 64-68) et un cachet retrouvé après la guerre par Gustavo Zander au nord du nym-phée, qui mentionne le nom de Tiberius Claudius Gemellus (6).

L’état de la question est rapide à brosser : si on suit leurs inventeurs, lesmarques datables de Néron se limitent à deux exemplaires portant les noms dequatre officinatores distincts. Même si on peut sans doute ajouter à ce corpus uneautre marque portant un autre nom, la récolte est très maigre ; toutes sont datéesde 64-68 par H. Bloch, suivi par M. Steinby (7), qui déduisent cette datation decelle que proposaient les archéologues pour les vestiges d’où elles proviennent.Cataloguées dans les ouvrages spécialisés consacrés aux bolli sans commentaireparticulier, ces marques n’ont assez paradoxalement jamais été mises à contri-bution par les chercheurs travaillant sur la Domus Aurea. Les travaux poursuivissur l’Esquilin depuis trois décennies incitent à exploiter leur modeste dossier enrévisant les propositions chronologiques qui l’accompagnent.

Dans les années 1980, les fouilles de Laura Fabbrini ont montré que l’histoi-re du site et des édifices qui l’ont occupé est plus complexe qu’on ne croyait et

(salles dites des thermes de Titus), ce qui explique les limites de ses considérations his-toriques. Il faut attendre les publications de C. Fea et S. Piale en 1832 pour que l’identi-fication de la Domus Aurea soit réaffirmée, sans que ce rétablissement de la vérité engen-dre un renouveau des recherches. Cf Y. PERRIN, La Domus Aurea et Néron au XIXe siècleou l’archéologie ne fait pas rêver in Rêver l’archéologie au XIXe siècle, Saint-Étienne,2001 (É. PERRIN SAMINADAYAR, éd.).

(4) H. BLOCH, I bolli laterizi e la storia edilizia romana ; contributi all’archeologia ealla storia romana, 1947 (Ripartizione antichità e belle arti, Roma), p. 44-45). H. BLOCH

note p. 45 que la chronologie des bolli de l’époque néronienne est « completamente igno-ta » et qu’en trouver dans la Domus Aurea, donc bien datable de 64-68 selon lui, consti-tue une chance pour apporter un minimum de précision dans la datation des bolli. On peutaussi se reporter à son article, Indices to the Roman Brick-Stamps published in VolumesXV 1 of the Corpus Inscriptionum Latinarum in Harvard Studies in Classical Philology58, 1948.

(5) G. LUGLI, Monumenti antichi di Roma e Suburbio, I, 2, 2e éd., Rome, 1931, p. 211 ;BLOCH [n. 4], p. 44.

(6) G. ZANDER, La Domus Aurea : nuovi problemi architettonici in Bollettino delCentro di Studi per la Storia dell’Architettura 12, 1958, p. 47-64, et Nuovi studi e ricer-che sulla Domus Aurea in Palladio n.s. 15, 1965, p. 157-159.

(7) BLOCH [n. 4] ; M. STEINBY, La cronologia delle figline doliari urbane, Rome, 1977.

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que la fabrique communément appelée aujourd’hui Domus Aurea était en réalitéorganisée symétriquement autour du quartier de l’octogone (8). Les études plusrécentes ont confirmé cette complexité en établissant qu’on doit distinguer dansles vestiges actuellement connus des phases pré néroniennes, deux grandes pha-ses néroniennes et des phases post néroniennes. La distinction de ces périodes asuscité diverses propositions chronologiques et relectures historiques (9). Leminutieux travail qu’a consacré Larry Ball aux matériaux de construction, auxbriques plus précisément (10), conforte la chronologie que les différences deconception et de styles entre architecture et peinture de la cour ouest – que l’his-toriographie qualifie de « traditionnalistes » – et du quartier de l’octogone – quel’historiographie qualifie de « novatrices » et même « révolutionnaires » – sug-gèrent fortement : la cour occidentale, son mur aveugle au nord (celui du cryp-toportique 19), son portique sur les trois autres côtés et les salles qui l’environ-nent sont antérieurs à l’octogone, et on peut voir dans ce quartier une des com-posantes de la Domus Transitoria aménagée entre 54 et 64 (11). Entre 64 et 68,dans le cadre de la Domus Aurea, Severus et Celer ont transformé ce pavillon enune aile d’un palais beaucoup plus vaste dont l’octogone est le centre. Il est

(8) L. FABBRINI : Domus Aurea : il piano superiore del quartiere orientale in Mem.Pont. Acc. 14, 1982, p. 5-24 ; Domus Aurea : una nuova lettura planimetrica del palazzosul colle Oppio in Città e architettura nella Roma imperiale. AnalRom, Supplementum X,(K. de FINE LICHT, éd..), 1983, 2004 ; I corpi edilizi che condizionarono l’attuazione delprogetto del Palazzo esquilino di Nerone in RPAA 58, 1985-1986, p. 129-179.

(9) P. G. WARDEN, The Domus Aurea reconsidered in Journal of the Society ofArchitectural Historians 40, 1981, p. 271-278, propose sans arguments convaincants d’at-tribuer le quartier de l’octogone aux Flaviens. L’hypothèse a été avancée que l’ensemblede la domus est datable de 64-68, mais qu’on peut distinguer deux phases à l’intérieur decette brève séquence, le quartier de l’octogone étant légèrement antérieur au quartier occi-dental (E. MOORMANN, A Ruin for Nero on the Oppian Hill ? in JRA 8, 1995 p. 403-405et E. MOORMANN, P. G. P. MEYBOOM, Il padiglione della Domus Aurea sul colle Oppio :questioni sulla datazione in Actes du XIVe congrès international d’archéologie classique,Tarragone, 1993 (1994) p. 293-295. La proposition ne permet pas de rendre compte desdifférences qui existent entre les systèmes architecturaux et picturaux des quartiers etgénéralise abusivement les conclusions qu’on peut tirer de l’examen de modificationsapportées aux seules salles (en particulier la salle 46) situées à l’arrière du nymphée auPolyphème.

(10) L. F. BALL, The Domus Aurea and the Roman Architectural Revolution, Cam -bridge, 2003, notamment, p. 16-17, 87, 220 sq. L. Ball distingue une douzaine de typesde briques ; pour résumer sélectivement ses analyses, certaines appartiennent à des cons-tructions prénéroniennes élevées sur le site de l’aile ouest, d’autres, celles de type E, cor-respondent à la première phase néronienne – la domus transitoria – uniquement présen-tes dans l’aile ouest ; d’autres, de type F, sont celles de 64-68 – la Domus Aurea – quicaractérisent la cour pentagonale et le quartier de l’octogone.

(11) Cf. la Lettre 90 de Sénèque à Lucilius de l’été 64 : existe avant l’incendie de 64un palais sensationnel comme l’avait pressenti F. PRECHAC, Sénèque et la maison d’or inCRAI, 1914, p. 231.

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important de souligner que, selon L. Ball, l’aménagement de la cour occidentaled’un côté, celui du quartier de la cour pentagonale et de la coupole octogonalede l’autre ne montrent ni repentirs ni modifications d’une certaine ampleur. Enrevanche, à la jonction de l’ancien et du nouvel ensemble, le quartier de l’oecus44 et du nymphée subit d’importants réaménagements (cf. le plan schématiquedes vestiges) (12).

Centrée sur les briques, l’étude de L. Ball n’exploite pas les quelques estam-pilles qu’elles portent ; or, en raison des lieux de leur découverte, bien indiquéspar A. de Romanis et G. Lugli, elles fournissent des paramètres épigraphiquesintéressants pour éclairer la chronologie de la fabrique de l’Esquilin et, au-delà,son interprétation idéologique.

Les estampilles de la cour occidentale. — Le cachet portant le nom deTiberius Claudius Gemellus découvert dans le comblement trajanien de la salle43 n’est guère exploitable topographiquement et historiquement (n° 4 duplan) (13). Comme les matériaux du comblement – qui n’ont jamais été étudiés èsqualités – proviennent au moins partiellement de la destruction des édifices anté-rieurs et de leurs jardins, le cachet semble indiquer que le petit-fils de Tibèrevécut passagèrement ici avant d’être éliminé fin 37 début 38 par Caligula, ce quiest conforme à ce qu’on sait de l’occupation des jardins de Mécène sous les deuxpremiers Julio-Claudiens (14) ; il est difficile d’en écrire davantage.

Parmi les marques découvertes par A. de Romanis dans la cour occidentale,H. Bloch suivi par M. Steinby ne retiennent comme néronienne qu’une seuleestampille trouvée en deux exemplaires, L RV SOSIA, qu’ils datent entre 64 et68 (15). Les deux exemplaires proviennent de la même zone ; l’une figure sur unedes briques « che compongono l’arco pieno della porta » qui donne accès à lasalle des chouettes (ce qu’H. Bloch ne signale pas) (n° 1 du plan) et l’autre surune brique « nel rivolgimento della chiavica o sia nel braccio verso la fronte »,autrement dit sur la branche de la canalisation d’évacuation des eaux qui courtsous le portique méridional (16) (n° 2 du plan).

Il s’agit d’une marque rare dont on connaît un autre exemplaire romain et unexemplaire pompéien où Sosias est associé à Ismarus, esclave de Domitius

(12) Sur la chronologie et l’histoire des vestiges de l’Esquilin, cf. les analyses déve-loppées dans notre thèse d’État Art et société à Rome à l’époque de Néron soutenue en1993 en Sorbonne (Paris IV).

(13) CIL, XV, 1, 92e.(14) Tibère résida passagèrement dans les jardins de Mécène à son retour à Rome en 2

ap. J.-C. (SUÉTONE, Tibère 15).(15) CIL, XV, 1, 986 a 2 ; BLOCH [n. 4], p. 44 ; plus prudente, STEINBY [n. 7], p. 49 parle

d’une datation probablement postérieure à 59.(16) DE ROMANIS [n. 2], p. 45, 46

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Afer (17). En dépit de la minceur du corpus, l’activité de Sosias est assez bien cer-née car la carrière et les affaires – notamment les figlinae – de son maîtreDomitius Afer et de ses fils sont bien connues (18). Après une brillante carrièresous Claude qui l’a mené au consulat suffect en 39 et à la curatèle des eaux en49, Domitus Afer demeure un puissant sénateur sous Néron jusqu’à sa mort en59 (19). H. Bloch et M. Steinby reconstituent le parcours de son officinator demanière vraisemblable (20) : il commence à travailler pour Domitius Afer sousCaligula ou Claude, poursuit son activité sous Néron jusqu’à la mort de sonpatron en 59, mais il n’est pas sûr qu’il travaille ensuite pour les héritiers decelui-ci car les marques pompéiennes postérieures à 59 ne mentionnent pas lenom des Domitii (21). Comme le souligne M. Steinby, les marques de DomitiusAfer sont aisément identifiables et ne peuvent être confondues avec celles de seshéritiers : elles ne mentionnent que les officinatores qui ne sont pas des esclaveset seulement leur nom éventuellement accompagné par la précision : DOM,DOMITII ; jamais les noms des deux fils adoptifs n’y apparaissent (22). Lamarque L RV SOSIA est donc datable d’avant 59.

Contre l’avis d’H. Bloch qui semble la dater d’une période post-néronienne,flavienne ou trajanienne, il en va de même, nous semble-t-il, pour l’estampille LVALERI SEVERI (23). D’abord en raison de son emplacement : l’extrémité de labranche orientale de l’égout dont Sosias a assuré la construction sur la face méri-dionale (24) (n° 2 du plan). Ensuite en raison de ce qu’on sait de l’activité de

(17) L’exemplaire romain a été trouvé près de l’église San Anastasia : L. RV. SOSIA(CIL, XV, I 986a, daté par Dressel entre 50 et 79) ; pour l’exemplaire pompéien : CIL, X,8048, 26.

(18) Leurs figlinae sont sans doute les mieux connues de toutes et existe un consensusdes chercheurs sur l’essentiel de leurs activités. Cf. STEINBY [n. 7], p. 48 ; H. TAPIO,Organization of Roman Brick Production in the First and Second Centuries A. D. : anInterpretation of Roman Brick Stamps, Helsinki, 1975, p. 100, 114 ; P. SETÄLÄ, PrivateDomini in Roman Brick Stamps of the Empire : a Historical and Prosopographical Studyof Landowners in the District of Rome, Helsinki, 1977, p. 100 sq. ; F. STANCO, Epigrafiae toponomastica in Interpretare i bolli laterizi di Roma e della valle del Tevere : pro-duzione, storia economica e topografia, Atti del Convegno all’École Française de Romee all’Institutum Romanum Finlandiae, 2000, a cura di Ch. BRUUN, Rome, 2005 (ActaInstituti Romani Finlandiae, 32), p. 172 sq.

(19) TACITE, Annales XIV, 19 ; voir la synthèse d’Y. BURNAND sur Domitius Afer et sesfils, Sénateurs et chevaliers romains originaires de la cité de Nîmes sous le Haut-Empire.Étude prosopographique in MÉFRA 87, 2, 1975, p. 716.

(20) Sur Sosias, voir BLOCH [n. 4], p. 45, STEINBY [n. 7], p. 49-50.(21) BLOCH [n. 4], p. 221 n. 177 ; STEINBY [n. 7], p. 49 et 51 ; Sosias apparaît associé à

Ismarus à Pompéi sous Vespasien ; il y a une relative ambiguïté dans la présentation deM. Steinby car après avoir cité Sosias comme employé de Domitius Afer, elle donne sanotice dans la partie consacrée ses deux héritiers.

(22) STEINBY [n. 7], p. 49.(23) CIL, XV, 1, 152 b 12 ; BLOCH [n. 4], p. 38.(24) DE ROMANIS [n. 2], p. 46.

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Valerius Severus : elle est attestée sous Claude, vers 50, par des timbres qui don-nent son nom accompagné de la mention EX FIG DOM., ce que note A. deRomanis au passage. Or, on l’a vu, selon M. Steinby, la simple mention de l’of-ficinator et/ou la précision EX DOM sont caractéristiques des activités deDomitius Afer et les distinguent de celles de ses héritiers (25). Comme, selonL. Ball, l’aménagement du portique (et donc de l’égout qui court au-dessous) aété réalisé en une seule étape avant 64, il paraît probable que Severus a travaillésur le chantier ouvert avant 59 (26).

L’estampille L VALERI SEVERI et par-dessus tout l’estampille L RV SOSIAsont déterminantes pour dater les aménagements de la cour occidentale desannées 54-59, voire de l’époque claudienne (27). Elle s’insère dans un dossier his-torique cohérent : les entreprises de Domitius Afer participent activement auxchantiers romains commandités par l’aristocratie julio-claudienne et ses princespuisqu’une de ses estampilles a été retrouvée dans la domus julio-claudiennemise à jour sur la « Vigna Barberini » (28).

(25) STEINBY [n. 7], p 49-51.(26) Une troisième marque trouvée en plusieurs exemplaires en différents lieux de

l’égout peut éventuellement être jointe aux deux premières : HERMETIS C CA FAVORS(CIL, XV, 1, 904 f. 23). Comme elle n’est pas déterminante pour notre propos, on se bor-nera à signaler le problème qu’elle pose. « Questa marca trovasi costantemente in tutti limattoni componenti il suolo e la copertura della chiavica che si estende sotto il corridoredi comunicazione e nal lato destro del cortile » écrit DE ROMANIS [n. 2], p 46 ; on com -prend que la marque se trouve dans les branches sud et est (près de l’oecus) de l’égout.BLOCH [n. 4], p. 38, 48, est convaincu que les estampilles d’Hermès appartiennent auxthermes de Trajan et sont donc datables de leur construction. Son hypothèse qu’Hermèsfut affranchi pendant la construction des thermes est reprise par les études plus récentes(cf. par exemple X. ROCCA I GUTTIEREZ et A. ROVIRAS I PADROS, Contribucio a l’estudi deljaciment del camp de La Gruta in Cypsela IX, 1991, p 173-174. On notera cependant quela marque de l’Esquilin est celle d’un esclave, non celle d’un affranchi et qu’elle provientdu même système hydraulique que celles de Sosias et Severus. On peut évidemment sup-poser que Trajan fit réaliser des travaux dans le système d’évacuation des eaux de ladomus néronienne lorsqu’il la transforma en soubassement de ses thermes... Mais deRomanis ne signale pas que l’égout ait connu plusieurs phases alors qu’il prend soin denoter page 47 pour une autre marque (Tiberius Claudius Communis), qu’elle est dans unerestauration post-néronienne des murs qui recoupent la cour occidentale.

(27) Cf. infra n. 40.(28) J.-P. MOREL, F. VILLEDIEU, H. BROISE, Y. THEBERT, Rome : le Palatin (Vigna Barbe -

rini) in MÉFRA 109-1, 1997, p. 421. Sur les domus julio-claudiennes de la « Vigna », voirJ.-P. MOREL et F. VILLEDIEU, La Vigna Barberini à l’époque néronienne in Neronia VI,Rome à l’époque néronienne, Actes du Ve colloque international de la SIEN, Rome, 1999,Bruxelles, 2002 (Coll. Latomus, 268), J.-M. CROISILLE et Y. PERRIN éd., p. 74-96. L’activitéde Domitius Afer est également attestée dans les domus julio-claudiennes du site de Saint-Clément. E. KANE, Contribution to a History of the Basilica of Saint-Clement in Rome inAn Irish Quarterly Review, 1984, signale que la plus ancienne estampille du site est deDomitius Afer. F. GUIDOBALDI, Il complesso archeologico di San Clemente : risultati degliscavi più recenti e riesame dei resti architettonici, Rome, 1978, p. 32 se borne à fournir

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Les estampilles du quartier de l’octogone. — Giuseppe Lugli a publié uneestam pille trouvée en deux exemplaires dans l’égout principal de la salle octo -go nale (n° 3 du plan) qui a été reprise par H. Bloch : APOLLINI ET ISMARI CNCN DOMITIORVM (29). La marque appartient au catalogue bien connu des pro-ductions des deux fils adoptifs de Domitius Afer et sont donc postérieures à 59puisqu’ils héritent des figlinae de leur père cette année-là (en particulier de cellesqu’il possède à Rome et en Latium) ; les deux frères possèdent et exploitent lesbriqueteries en indivision (consortium bonorum, écrit Pline le Jeune (30)) et lesmarques de leurs ateliers associent toujours leurs deux noms (31). Le consortiumest actif jusqu’en 93, année de la mort de Domitius Lucanus, Domitus Tullius enpoursuivant les activités jusqu’à sa mort en 106 ou 108.

On peut donc dater l’estampille esquiline entre 59 et 93 (32), et plus précisé-ment en la rapportant aux données archéologiques, picturales et littéraires, entre64 et 68 (éventuellement 69 puisque Othon a prévu 50 millions HS. pour ache-ver les travaux et Vitellius brièvement résidé dans la Domus Aurea avant de lajuger inhabitable (33)). La présence des entreprises des Domitii dans la résidencenéronienne n’est pas surprenante : la reconstruction de Rome après l’incendie de64 était particulièrement favorable aux entreprises de construction (34) et les deuxfrères ont visiblement emporté une juteuse part des marchés particulièrementimportants ouverts par la construction de la Domus Aurea et de la Neropolisnotamment sur la nouvelle via sacra, dans la nouvelle résidence des Vestales (35)

les références du CIL des bolli de la zone sans commentaires sinon que leurs lieux dedécouvertes sont imprécis.

(29) CIL, X, 8048, 7 ; les estampilles sont« su due bipedali del tetto,formato alla cap-puccina, di une fogna principale (direzione est-ouest) sotto la sala a cupola 84, nel brac-cio occidentale » (LUGLI [n. 5], p. 211 ; BLOCH [n. 4], p. 44).

(30) Les deux Domitii et Iulius Rufus dirigent de grosses entreprises actives à Rome(la Domus Tiberiana pour Iulius Rufus, voir ci-dessous note 36) et exportent peut-être desbriques sur de longues distances, vers le Gaule et l’Espagne (cf. C. RICO, La diffusion parmer des matériaux de construction en terre cuite : un aspect mal connu du commerceantique en Méditerranée occidentale in MÉFRA 107-2, 1995, p. 781.

(31) PLINE, Lettres 8, 18, 4 ; cf. les remarques de STANCO [n. 18], p. 172 sq.(32) BLOCH [n. 4], p. 27.(33) SUÉTONE, Othon 7, 3 ; DION 64, 4, 1-2.(34) Sur les conséquences de l’incendie, voir R. F. NEWBOLD, Some Social and

Economic Consequences of the AD 64 Fire at Rome in Latomus 33, 1974, p. 858-869 ;MANACORDA, Appunti industria edilizia in Interpretare i bolli laterizi [n. 18], p. 48-49.

(35) Les bolli de la maison des vestales sont fugacement mentionnés par E. VAN

DEMAN, The atrium Vestae, Washington, 1909, et dans ses articles : AJA XVI, 1912, p. 387et AJA XXVII, 1923, p.

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et peut-être dans la Domus Tiberiana (il convient d’attendre la publication desbolli qui y ont été découverts (36)).

Apollonius et Ismarus sont connus par ailleurs ; leurs deux noms apparaissentà Pompéi sur des estampilles identiques à celles de l’Esquilin que M. Steinbydate de 64-68 (37) ; esclave de Domitius Afer, Apollonius a travaillé après 59 pourses deux fils ; actif dès Caligula, puis sous Claude et Néron, Ismarus semblen’avoir jamais été affranchi. Son nom est associé à L. RV SOSIA à Pompéi sousVespasien (38).

Bilan : la chronologie des vestiges néroniens de l’Esquilin et ses implica-tions idéologiques. — Les entreprises de Domitius Afer puis de ses fils partici-pent aux constructions de la résidence néronienne de l’Esquilin avant commeaprès 64. Leurs quatre officinatores qui, d’après leurs marques, en dirigent lestravaux sont sensiblement contemporains (Ismarus est sans doute plus âgé queles autres) et actifs entre Caligula au plus tôt et Domitien au plus tard. Sosias etSeverus travaillent pour Domitius Afer, leurs marques sont antérieures à 59 et onles trouve dans la cour occidentale. Elles amènent donc à dater l’aile ouest de lafabrique avant cette date. Ismarus et Apollonius travaillent pour les frèresDomitii, leurs marques sont postérieures à 59, elles se situent dans le quartier del’octogone. Elles amènent donc à dater ce quartier après 59, entre 64 et 68 (ouhypothétiquement 69) conformément à la chronologie de la Domus Aurea établied’après les sources littéraires.

Recoupées avec les données archéologiques, architecturales et picturales, lesinformations chronologiques fournies par ces estampilles confirment l’histoirede la bâtisse que nous avons avancée dans notre thèse, que retrouve L. Ball pard’autres voies (39). Avant 64 existait dans le cadre des jardins de Mécène un édi-

383-424, MemAm Ac V, 1925, p. 115-126. Cf. BLOCH [n. 4], p. 76, 77, 336, 27-28, 35-36 ; de hauts responsables comme Faenius Rufus, préfet du prétoire en 62-65, et L.Lacanius Bassus, consul en 64, possèdent des figlinae (BLOCH [n. 4], p. 336, 338).

(36) On attend avec intérêt la publication des bolli trouvés dans la Domus. En l’état despublications, une seule estampille est datable de l’époque néronienne (elle provient dusystème de drainage de la zone à ciel ouvert de la plateforme, dans le secteur 9 ; cf.BdArch 25-27, 1994, p. 88). L’estampille mentionne L. Lurius Myrinus et L. LuriusMartialis, qui travaillent tous les deux pour les fliglinae Viccianae de Iulius Rufus (cf.M. STEINBY, Indici complementari ai bolli doliari urbani (CIL, XV,1), Rome, 1987, p. 36,sn. 34). D’autres bolli furent trouvés sur des bipedales du même système dans une zonefouillée par la Surintendance et sont donc probablement néroniens. Je remercie vivementC. Krause pour les informations qu’il m’a communiquées.

(37) CIL, X, 8048, 7. APOLLONI ET ISMARI CN CN DOMITIORVM ; BLOCH [n. 4],p 44 ; STEINBY [n. 7], p 50.

(38) CIL, XV, 983 et 984 ; cf. BLOCH [n. 4], p 45 ; M. STEINBY [n. 7], p 49-50 avec ren-voi à BLOCH, p. 221.

LA DOMVS AVREA SUR L’ESQUILIN 611

fice organisé autour de la cour occidentale : c’est un pavillon constitutif de laDomus Transitoria dont l’aménagement est vraisemblablement néronien, sansqu’on puisse exclure que sa planimétrie voire son système décoratif soient clau-dien (40). Entre 64 et 68 (plus précisément entre l’automne 64, moment le plushaut possible pour l’ouverture du chantier après l’incendie de l’été et la fin del’automne 66 quand Néron part en Grèce après avoir inauguré sa nouvelledemeure (41)), ce pavillon est transformé en une aile d’une fabrique immensedont le centre est la salle octogonale. L’architecture et les systèmes picturaux duquartier occidental et du quartier de l’octogone ne sont donc pas contemporainset à ce titre ni « conservateurs » ni « novateurs » ; d’épo ques différentes, ils don-nent à voir deux moments successifs de l’histoire des formes.

De ces analyses résulte une importante conclusion : la conception de lafabrique de l’Esquilin n’est pas volontairement solaire, les jeux de lumière del’octogone ne sont pas le fruit d’un projet héliaque savamment concrétisé dansl’architecture, ils résultent de l’histoire du bâtiment. Ils sont dus à l’alignementest-ouest de l’ensemble qui est déterminé par celui du quartier occidental dont laconstruction est antérieure et dont l’orientation est explicable par des soucis deconfort et de points de vue assez banals. Que certains courtisans du prince aientété sensibles à leur caractère spectaculaire et aient développé des spéculationssolaires n’est pas à exclure, mais les sources écrites observent le silence sur lesujet et Apollon et Sol sont absents des programmes décoratifs et figurés de larésidence (42).

Université Jean Monnet, Saint-Étienne. Yves PERRIN.

(39) C’est le résultat des recherches que nous avons développées dans notre thèsed’État (citée supra n. 12) dont BALL [n. 10] rejoint les conclusions pour les conforter.

(40) Il y a des chances pour qu’une partie des édifices de la Domus Transitoria soit desédifices claudiens dont Néron a hérité et qu’il a intégrés dans un contexte palatial nou-veau. L’absence de scandales liés à la première résidence néronienne en est un indice :Néron n’exproprie pas pour la constituer et aucune source ne condamne les constructionsqu’il y décide.

(41) SUÉTONE, Néron 6, 31. On peut penser que le palais fut inauguré en 66 à l’occa-sion de la visite de Tiridate qui constitue le « sommet du règne ».

(42) Cf. Y. PERRIN, Présence de Dionysos dans la fabrique de la Domus Aurea del’Esquilin in Pouvoir et religion dans le monde romain. En hommage à Jean-PierreMartin, Colloque international, septembre 2004, Sorbonne, Paris, Presses de l’UniversitéParis-Sorbonne, 2006 (A. VIGOURT, X. LORIOT, A. BERENGER-BADEL et B. KLEIN, éd.).