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________________________ Recherches pour et sur le développement régional ________________________ Séminaire DADP des 17 et 18 décembre 2002 à Montpellier __________________________________________________________ ________________________________________________________ INRA/DADP DEVELOPPEMENT REGIONAL- SEMINAIRE DE DECEMBRE 2002-COMMUNICATION DE G. ALLAIRE, P. ASSENS ET T. DUPEUBLE 1 COMPETENCES COLLECTIVES ET MULTIFONCTIONNALITE GILLES ALLAIRE, PHILIPPE ASSENS, THIERRY DUPEUBLE Mots clés: Développement régional, Politique publique, Innovation, Compétence professionnelle, Cuma, Organisation RÉSUMÉ Ce papier vise à mettre en évidence la place des compétences collectives dans l'innovation, en traitant du cas complexe de la multifonctionnalité de l'agriculture. La première partie du texte développe l'idée que la prise en compte de la multifonctionnalité amène à considérer des critères d'évaluation des propriétés des produits et des pratiques qui relèvent soit du marché, soit des normes publiques ou d'accords collectifs. La deuxième partie aborde les compétences professionnelles en soulignant la façon dont elles permettent (ou limitent) une circulation horizontale des savoirs générés dans les processus d'innovation. La troisième partie met en évidence le rôle des dispositifs de projets dans la construction de compétences intégratives pour la prise en compte de la multifonctionnalité. En s'appuyant sur des études de cas conduites par les auteurs (sur l'innovation dans le réseau Cuma ou la mise en place des "Pays" et les "Contrats Territoriaux d'Exploitation"), ce papier analyse les conditions de l'innovation collective dans des réseaux hétérogènes et contradictoires qui prennent en charge le problème public que pose la multifonctionnalité de l'agriculture. On ne peut sans doute envisager de solution d'ordre administratif (politiques publiques) ou de l'ordre de la recherche agronomique sans qu'existent des alternatives professionnelles, construites dans des projets et validées dans des forums hybrides. INTRODUCTION Ce papier vise à mettre en évidence la place des compétences collectives dans l'innovation, en traitant du cas complexe de la multifonctionnalité de l'agriculture. Toute innovation un tant soit peu radicale ne se développe que si, localement et globalement, se développe en même temps un contexte socio-économique favorable à l'innovation. Ainsi, un changement de procédé passe en général par un changement organisationnel et un produit ou service radicalement nouveau ne peut être produit, percer ou se développer qu'avec des changements d'ordre institutionnels (que l'on songe tant à la bio qu'aux OGM ou aux appellations d'origine). En sens inverse, tout changement d'ordre institutionnel (c'est-à-dire qui implique les comportements, tant individuels que collectifs, et leur cadrage par la réglementation) ne peut se développer qu'en s'inscrivant dans des transformations durables dans la sphère de la production et des échanges, ce que l'on appelle innovation. On peut compléter l'analyse en décrivant le processus d'innovation du coté de la consommation et de ce que l'on appelle la "demande sociale". Un changement dans les pratiques de consommation (procédé) s'accompagne généralement d'un changement de mode de vie (organisation). Lorsqu'il s'agit d'un changement qui concerne la nature même du produit, le choix du consommateur est limité par l'offre de variété sur les marchés

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________________________ Recherches pour et sur le développement régional ________________________Séminaire DADP des 17 et 18 décembre 2002 à Montpellier

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INRA/DADP DEVELOPPEMENT REGIONAL- SEMINAIRE DE DECEMBRE 2002-COMMUNICATION DE G. ALLAIRE, P. ASSENS ET T. DUPEUBLE1

COMPETENCES COLLECTIVES ET MULTIFONCTIONNALITE

GILLES ALLAIRE, PHILIPPE ASSENS, THIERRY DUPEUBLE

Mots clés: Développement régional, Politique publique, Innovation, Compétenceprofessionnelle, Cuma, Organisation

RÉSUMÉ

Ce papier vise à mettre en évidence la place des compétences collectives dans l'innovation,en traitant du cas complexe de la multifonctionnalité de l'agriculture. La première partiedu texte développe l'idée que la prise en compte de la multifonctionnalité amène àconsidérer des critères d'évaluation des propriétés des produits et des pratiques quirelèvent soit du marché, soit des normes publiques ou d'accords collectifs. La deuxièmepartie aborde les compétences professionnelles en soulignant la façon dont ellespermettent (ou limitent) une circulation horizontale des savoirs générés dans les processusd'innovation. La troisième partie met en évidence le rôle des dispositifs de projets dans laconstruction de compétences intégratives pour la prise en compte de lamultifonctionnalité. En s'appuyant sur des études de cas conduites par les auteurs (surl'innovation dans le réseau Cuma ou la mise en place des "Pays" et les "ContratsTerritoriaux d'Exploitation"), ce papier analyse les conditions de l'innovation collectivedans des réseaux hétérogènes et contradictoires qui prennent en charge le problème publicque pose la multifonctionnalité de l'agriculture. On ne peut sans doute envisager desolution d'ordre administratif (politiques publiques) ou de l'ordre de la rechercheagronomique sans qu'existent des alternatives professionnelles, construites dans desprojets et validées dans des forums hybrides.

INTRODUCTION

Ce papier vise à mettre en évidence la place des compétences collectives dans l'innovation,en traitant du cas complexe de la multifonctionnalité de l'agriculture. Toute innovation untant soit peu radicale ne se développe que si, localement et globalement, se développe enmême temps un contexte socio-économique favorable à l'innovation. Ainsi, un changementde procédé passe en général par un changement organisationnel et un produit ou serviceradicalement nouveau ne peut être produit, percer ou se développer qu'avec deschangements d'ordre institutionnels (que l'on songe tant à la bio qu'aux OGM ou auxappellations d'origine). En sens inverse, tout changement d'ordre institutionnel (c'est-à-direqui implique les comportements, tant individuels que collectifs, et leur cadrage par laréglementation) ne peut se développer qu'en s'inscrivant dans des transformations durablesdans la sphère de la production et des échanges, ce que l'on appelle innovation.

On peut compléter l'analyse en décrivant le processus d'innovation du coté de laconsommation et de ce que l'on appelle la "demande sociale". Un changement dans lespratiques de consommation (procédé) s'accompagne généralement d'un changement demode de vie (organisation). Lorsqu'il s'agit d'un changement qui concerne la nature mêmedu produit, le choix du consommateur est limité par l'offre de variété sur les marchés

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auxquels il a accès, par les ressources de la communauté et par sa propre créativité. Onpeut se représenter diversement l'idée d'un changement dans la demande qui concerne lanature même du produit. Il peut s'agir de phénomènes isolés, de quelqu'un qui voudraitmanger selon la méthode préconisée par tel diététicien, de quelqu'un qui a une maladie diteincurable et qui demande un service qui n'existe pas encore ou, plus banalement, dequelqu'un déçu par une marque. Ce peut être également des phénomènes de plus grandeampleur, comme ceux qui sont liés au concernement des citoyens et des consommateurspar les questions de santé et d'environnement (que l'on peut appeler des questions desécurité) et par un bien-être individuel et collectif. Cette question des nouvelles demandespeut être ramenée à celle des réactions face au déclin de la qualité des produits et desorganisations étudiée par Hirschman (que la qualité ait baissé ou que l'exigence aitaugmenté ou changé de nature ne changent pas la façon de poser la question ici).Hirschman (1970) met en évidence deux solutions, l'une individuelle, "l'exit" (je change demarque, je vais voir le guérisseur), l'autre, la "voice" ou prise de parole, qui débouche surdes solutions collectives. Mutatis mutandis, on peut tenir à peu près la même analyse pourles citoyens et les gouvernements que celle que l'on vient de faire pour les consommateurs.Mais, la “prise de parole”, même une fois incarnée dans des motions, des programmes etmême dans des lois et des décrets, ne se traduit pas immédiatement en une offre deproduits, de services et comportements individuels et collectifs immédiatement adaptés. Làencore on peut parler d'un processus d'innovation institutionnelle qui met en jeu desréseaux variés.

Que l'on regarde donc l'innovation du côté de la production ou du côté de la demandesociale l'innovation passe par des prises de paroles publiques (Akrich, Callon et Latour(1988) disent que les innovations qui réussissent sont celles qui se choisissent les "bonsporte-parole") et surtout, in fine, par sa capacité à s'inscrire dans des "investissements deforme" (Eymard-Duvernet, 1989) ou ce qu'on appelle des "institutions". L'innovation adonc, non seulement un caractère collectif, mais en plus elle n'aboutit que pour autantqu'elle s'inscrive dans des investissements immatériels collectifs ou de "forme" ; car enfait, il s'agit de la construction de nouveaux standards ou de nouveaux modèles par lesquelsse structurent les compétences collectives émergentes dans le processus d'innovation.

On ne sera généralement pas choqué de lire, dans la presse par exemple, que lamultifonctionnalité "a ses porte-parole". Or, si l'on y réfléchit, que la multifonctionnalitétrouve ses "bons" porte-parole, ses bonnes lois, ses bonnes méthodes agronomiques et sabonne agriculture (ses bons cochons et ses bonnes prairies…), n'est pas non plus aisé àsaisir comme processus. Aussi, si aujourd'hui la multifonctionnalité est reconnue commeun objectif public, il ne nous semble pas pour autant que l'on puisse dire que lamultifonctionnalité ait trouvé tous ses "bons" relais. Aussi nous considèrerons lamultifonctionnalité comme étant un problème public.

La première partie du texte développe l'idée que la prise en compte de lamultifonctionnalité amène à considérer des critères d'évaluation des propriétés des produitset des méthodes de production qui sont d'ordres différents et qui relèvent soit du marché,soit des normes (publiques) ou des accords (collectifs, sectoriels ou locaux). La deuxièmepartie aborde les compétences professionnelles en soulignant la façon dont elles permettent(ou limitent) une circulation horizontale des savoirs générés dans les processusd'innovation. La troisième partie met en évidence le rôle des dispositifs de projets dans laconstruction de compétences intégratives pour la prise en compte de la multifonctionnalité.

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MULTIFONCTIONNALITE OU PLURALITE DE L'EVALUATION

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1.1. La multifonctionnalité comme problème publici la multifonctionnalité est un enjeu public, un objet de débat politique à différentsiveaux (local, national, international), c’est parce que certains des produits multiples de’activité agricole créent des problèmes de nature publique : Dénonciation des produitsnégatifs" (pollution) ; revendication de revenu pour la production d’effets positifs nonarchands (biodiversité, paysage…). La nature publique des problèmes ainsi soulevés

ient, d’une part à ce qu’ils sont posés sur la scène publique et inscrits sur l’agenda public,t d’autre part à ce qu’ils demeurent encore sans solutions satisfaisantes dans le cadrenstitutionnel existant. Partant, dire que la multifonctionnalité signifie que les "produitsoints" aux "produits de base" de l’activité agricole ont un caractère "d’externalité ou deien public" (définition positive proposée par l’OCDE (2001)), ne dit rien sur la façon deésoudre les problèmes posés si la délimitation de ces effets externes et publics n’est pasrécisée. Cela relève de la construction du problème public, la définition de laultifonctionnalité et de ses composantes ayant de ce fait un caractère normatif.

isposer d'une définition normative de la multifonctionnalité n'intéresse pas simplement leécideur public qui doit concevoir une réglementation et une politique d'incitation, ou leestionnaire d'une exploitation agricole qui doit effectuer ses choix d'investissement, maisussi le fonctionnement du marché. Le consentement à payer des consommateurs pour lesffets externes de l’agriculture, dans l’hypothèse d’une internalisation de ces effets dans laéputation et le prix de marché de produits spécifiques, ou le consentement à payer desontribuables le cas échéant, dépendent de la représentation qu’ils en ont, nonndividuellement mais socialement (et à laquelle ils contribuent plus ou moins selon laigueur de leur engagement citoyen).

1.2. De la multifonctionnalité à la multi-évaluation de la productionagricole

i l’on considère que l’activité agricole est multifonctionnelle, c’est nécessairement (mêmei ce n’est pas toujours explicité) qu’il y a plusieurs registres pour évaluer les résultats deette activité. Dans une telle perspective, l’activité agricole n’est plus évaluée seulement auiveau du marché, au regard de ses performances quantitatives en matière de production deroduits de base, mais aussi au regard des multiples effets des pratiques par lesquelles cetteroduction est réalisée : Effets sur l’environnement, sur le bien-être animal, sur l’emploi,ur l’aménagement du territoire... Le caractère externe de ces effets tient au fait qu’ils neont pas l’objet de transactions marchandes, alors qu'ils sont joints à la production de base.out comme il n'y a pas de fumée sans feu, si la multifonctionnalité est un problème public

et un débat social), c'est qu'il y a bien de tels effets externes, qui ont un caractère public.n dit généralement alors qu'il s'agit de "biens publics" au sens le plus courant chez les

conomistes (i.e j'en dispose ou je les subis sans l'avoir demandé et sans en priver d'autres).ais cette représentation ne tient plus si je me mêle, avec d'autres, d'obtenir plus ou moins

e ces effets ou des effets différents. Cela remet en cause la définition "positive" donnéear l'OCDE (sur ce point théorique, voir Allaire, Dupeuble, 2002).

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Ni la jointure, ni le caractère public de la consommation des effets externes et publics del'agriculture n'ont un caractère absolu, sinon on ne pourrait contrôler la pollution (ou lesaménités) que par le niveau de la production agricole, ce qui est une façon de voir assezlimitée. En effet, toute solution qualitative (quelle que soit sa nature, privée, collective oupublique) repose sur une séparation des résultats de la production. De plus, si je suisconcerné, comme d'autres, par ces effets c'est précisément que cela me coûte (celui qui aloué à la mer voudrait que le pétrole du "Prestige" n'arrive pas sur la plage).

Dans cette perspective d’une multi-évaluation de la production agricole, nous proposons deretenir trois dimensions qui sont trois domaines de normalisation (schéma 1, extrait deAllaire, Dupeuble, 2002). La dimension privée s’exprime dans les normes de marché quirépondent à un objectif de différenciation des qualités et d’identification des produits ; ladimension publique s’exprime dans les normes publiques qui traduisent les exigencesglobales en matière de sécurité et d’environnement ainsi que les conditions d’accès aumarché (qualité seuil, mentions obligatoires); la dimension collective enfin, se traduit parles normes d’usages des ressources communes mobilisées dans l’activité agricole. Ces troisdimensions renvoient ainsi à trois modes de gouvernance (Allaire, 2002) : le marché, lespolitiques publiques et les dispositifs collectifs. Ceux-ci fonctionnent ensemble. Lemarché, par la reconnaissance de certains attributs des produits, peut générer de lamultifonctionnalité si les autres dimensions suivent (réglementation adaptée et initiativescollectives pour mettre en œuvre de nouvelles pratiques) ; de même pour les autresdimensions. Cela conduit à une grande diversité de configurations.

Schéma 1 : Les trois dimensionsde l’évaluation de la production agricole

Publique•Objectifs globaux

Collective•Compétences professionnelles

Privée•Différenciation des qualités

Identification des produitsComplém entarités techniqueset in tersectorielles

Qualité seuilMentions obligatoires

Attributs globauxde différenciation

Normes sécuritaires etNormes environnementales

Chartes d’usage des ressources

♦ 1.3. La dimension collective de l'évaluation de la multifonctionnalité.Les effets externes de l'agriculture que vise à prendre en compte la notion demultifonctionnalité sont généralement collectifs (involontairement ou volontairement). Lesagriculteurs utilisent des ressources collectives aux statuts variés, les systèmes techniques

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reposent sur des complémentarités locales et sectorielles. Ces complémentarités sont aussides ressources collectives. Au niveau territorial local, ces complémentarités produisent deseffets agronomiques (par exemple un bocage, constitué et entretenu par des contributionsindividuelles normalisées par des règles locales, mais aussi publiques) et intersectoriels(les effets paysagers d’un bocage qui concernent d'autres usagers que les agriculteurs).Mais les effets d'un système de production local ne s'apprécient pas qu'au niveau local, ilsont aussi une portée par leur diffusion et peuvent être évalués à un niveau global(biodiversité, climat…).

Toutefois, la dynamique de ces effets de complémentarité locaux est complexe. La valeurde ceux-ci est essentiellement donnée par la fonction principale (produits de base), sauf sile choix de la multifonctionnalité a été fait et si l'on peut séparer les différents effetsvoulus. L'apparition de la question de la multifonctionnalité est en partie liée au constat dela réduction et de la détérioration de ces produits-joints qui résultent de la complémentaritétechnique au sein des systèmes locaux de production. Comme le souligne, par exemple,Vermersch (1997), c’est la disparition de ces complémentarités, au sein même desexploitations, du fait de la spécialisation encouragée par le système de prix administrés dela Politique agricole commune, qui est à l’origine de l’amplification d’effets externesindésirables. La restauration de ces complémentarités, tant au niveau de l’exploitation quede son territoire (le niveau local) apparaît comme l’un des enjeux de l’orientation versmieux de multifonctionnalité affichée par les politiques publiques. Il s’agit de faire en sorteque les effets multifonctionnels qui s'expriment au niveau local puissent être internalisésdans les projets individuels et collectifs. Comme en ce qui concerne des biens publicsglobaux (dont, par exemple, les produits avec un label vert revendiquent la production), lemarché peut, dans certaines conditions, soutenir la production de biens publics locaux(Mollard, Pecqueur, 2002), encore faut-il que de "bonnes" coordinations localesgarantissent leur production.

Les effets externes globaux posent, tout autant que les précédents, la question descoordinations locales en raison de l’inclusion de ces effets globaux dans des dispositifspublics locaux (le bocage contribue à la biodiversité). Dès lors, la question qui se pose estcelle de la cohérence des règles locales de gestion des ressources collectives et desobjectifs globaux associés à un niveau supérieur de gouvernance. Dire que des bienslocalement et collectivement produits (qu'il s'agisse d'un paysage, de biodiversité ou depollutions diffuses) ont une valeur dans un monde plus global, c'est dire aussi que lescompétences locales, plus ou moins formalisées dans des dispositifs techniques et desstandards collectifs, y sont qualifiées, en bien ou en mal!

En particulier, la question posée par la prise en compte de la multifonctionnalité est cellede la transformation des compétences professionnelles qui sont à la source descomplémentarités locales susceptibles de parvenir à mieux de multifonctionnalité.

COMPETENCES PROFESSIONNELLES (COLLECTIVES) ET INNOVATION

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2.1. La profession agricole comme compétencees compétences professionnelles apparaissent directement interpellées par la question de

a multifonctionnalité. Le développement de problèmes publics autour de cette question

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traduit une crise de confiance en la capacité de la profession agricole à satisfaire lesnouvelles. Ceci nous invite à analyser sur quels fondements repose la reconnaissance, tantinterne qu’externe, des compétences professionnelles et comment cette reconnaissance semaintient (ou se renouvelle). Nous ne pouvons répondre à cette question sans répondre àcelle des fondements et du développement de la profession elle-même.

• 2.1.1. Activités professionnelles et compétences professionnellesL’agriculture est, entre autres, caractérisée par l’extrême diversité des activités qu’ellerecouvre. Cette diversité découle du caractère contingent du déroulement des processusbiologiques sur lesquels repose l’activité agricole. Les caractéristiques du contexted’activité ont une forte influence sur l’activité même. De plus, la variabilité temporelle dece contexte d’activité accroît la diversité. Les tâches à accomplir dans l’exercice de cetteactivité ne peuvent donc être parfaitement standardisées. Cette diversité peut cependantêtre réduite en définissant un ensemble de pratiques professionnelles, par le jeu d’unsystème de classification (la fertilisation, le travail du sol, l’alimentation d’un troupeaubovin, etc.), que les agriculteurs a produit dans des groupes professionnels (Darré, 1996) etque l’agronomie a normalisé tout au long de son histoire. Cet ensemble de pratiquesprofessionnelles, partiellement codifiées, contribue à circonscrire, au delà de la diversité, lechamp de l’activité et permet les échanges entre opérateurs (agriculteurs, techniciens,chercheurs,…). Des routines s'établissent au sein de chaque pratique professionnelleélémentaire de la classification. Toutefois, ces routines demandent, de la part del’agriculteur, des ajustements fréquents au contexte (l’exploitation, la parcelle). L’enjeu deces ajustements est de parvenir à assurer une " bonne" qualité de l’activité quotidienne. Cesadaptations, voire ces innovations – lorsque c’est l’évolution de la nature même du servicerendu à travers l’activité qui le demande –, ne peuvent être le seul fait d'un individu, dontl'expérience est limitée. Elles demandent une validation qui repose sur l’expériencecollective. Ainsi, les compétences professionnelles ne caractérisent pas un agriculteur defaçon individuelle mais un groupe professionnel local, une filière ou l’ensemble de laprofession agricole. Les compétences professionnelles désignent à la fois les compétencespartagées entre les membres d’un groupe qui ont le même domaine d’activité et descompétences, distribuées dans les réseaux professionnels, qui permettent la production desavoirs communs (Savage, 2002). Ces compétences sont également définies par lareconnaissance externe dont dispose la profession agricole.

• 2.1.2. Conventions de qualification et conventions de coopérationLa reconnaissance externe des compétences professionnelles procède d’une délégation dequalification de l’usager au professionnel. Ce dernier est réputé compétent dès lors qu’ilest en mesure d’assurer une bonne qualité de service à l’usager. Cette délégation ne peutintervenir que si la situation (le service et les conditions de sa production) est elle-mêmequalifiée. De cette qualification dépend la légitimité de l’intervention du professionnel.Ainsi peut-on dire que la reconnaissance professionnelle repose sur des conventions dequalification. La prise en compte de la multifonctionnalité demande donc une re-qualification des compétences agronomiques et économiques des agriculteurs.

La reconnaissance professionnelle comporte aussi une dimension interne. C’est laprofession agricole qui est garante de la qualification de ses membres, à travers : i) l’octroi

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d’un " droit" à exploiter des terres agricoles (qui se traduit par l’attribution d’aides àl’installation ou au développement de l’activité) ; ii) la certification formelle des capacitésindividuelles (la "capacité professionnelle" définie par les diplômes) ; iii) la reconnaissancepar les pairs. Si les deux premières conditions s’inscrivent dans un cadre juridique (lequelmanifeste la reconnaissance sociale de la profession), dont le respect est assuré tant parl’interne (la profession) que par l’externe (l’administration), la troisième en revanche ne setraduit qu’à travers l’appartenance à des collectifs ou réseaux professionnels (syndicats,groupes de développement, coopératives, etc.). En effet, être membre de la professionagricole ne passe pas par l’adhésion formelle à un code éthique mais par le respect deconventions de coopération qui maintiennent les collectifs professionnels (Allaire, 2002).C’est par le jeu de ces conventions de coopération que se développent les compétencesindividuelles (en permettant par exemple d’éprouver et valider collectivement uneinnovation individuelle endogène ou une innovation exogène), que s'établit une séparationentre les domaines de compétences réservé et collectif. Cette perméabilité aux innovationsimplique que les conventions de coopération assurent une certaine ouverture des collectifs(tout en veillant dans le même temps à ce que l’opportunisme soit limité1). Ainsi ladynamique des collectifs professionnels est-elle régie par la tension entre la fermeture quedéfinissent les conventions de qualification et l’ouverture qu’autorisent les conventions decoopération.

A titre d’illustration de ce qui précède, Assens (2002) met en évidence que la qualificationdu réseau professionnel constitué par les Cuma et leurs fédérations a évolué au fur et àmesure des transformations de l’agriculture ; elle tient actuellement à la capacitéd’innovation dont il a su faire preuve dans des domaines comme les servicesenvironnementaux, l'agriculture de précision ou l'emploi partagé. Cette capacitéd’innovation repose elle-même sur des conventions de coopération (aux et entre lesdifférents niveaux, i.e. Cuma locale, fédérations départementale, régionale et nationale desCuma) qui assurent la diffusion des expériences locales innovantes au sein du réseau etleur valorisation, au delà de ce réseau, dans les réseaux professionnels locaux, del’administration (par exemple, par la participation à la normalisation des techniques et dumatériel), voire même auprès de la société civile (collectivités locales).

On pourrait aussi évoquer d’autres dynamiques professionnelles dont l’enjeu est dequalifier la profession agricole au regard des nouvelles attentes de la société, par exemplela charte de l’agriculture raisonnée, proposée par le réseau FARRE (Forum pour uneAgriculture Raisonnée Respectueuse de l’Environnement) et reconnue récemment par voiede décret2, ou encore la Charte de l’agriculture paysanne élaborée par la ConfédérationPaysanne. La multiplicité de ces dynamiques témoigne, d’une part qu’il n’y a pas unicitédes modèles prétendant assurer mieux de multifonctionnalité, d’autre part que la professionagricole ne peut être considérée comme un tout homogène, tant au niveau local que global,mais qu’elle est un ensemble complexe de réseaux ou collectifs, à la fois complémentaireset en compétition dans plusieurs champs en vue de la qualification globale de la profession.La capacité de l’agriculture à assurer mieux de multifonctionnalité renvoie à l’évolutiondes compétences collectives pour innover.

1 Ce qui met en jeu la réputation ou l’émotion, voir sur ce point Batifoulier (2001)2 Décret n° 2002-631 du 25 avril 2002 relatif à la qualification des exploitations agricoles au titre del'agriculture raisonnée

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♦ 2.2. Compétences collectives pour innoverL’innovation peut être définie comme une réponse à une situation-problème inédite. Elleconsiste en l'émergence et la construction d'une combinaison de ressources inédite, aumoins localement, qui permet de résoudre la situation-problème. La prise en compte de lamultifonctionnalité participe bien de ce que nous désignons par situation-problème.Comment des réseaux hétérogènes et divisés peuvent y faire face ? Cela suppose desmédiations. Nous distinguerons la médiation technique et la médiation stratégique.

• 2.2.1. Médiation techniqueLa médiation technique peut se définir comme le processus decontextualisation/décontextualisation des savoirs techniques. La mobilisation efficace denouveaux matériels n’est localement possible qu’à la faveur d’une adaptation desprescriptions techniques fournies par les constructeurs aux spécificités du contexted’utilisation (contextualisation), adaptation réalisée grâce à l’expérience collective. Arebours, la formalisation des adaptations éprouvées par l’expérience collective contribue àl’évolution des matériels et aux prescriptions techniques qui leur sont liées(décontextualisation). Dans les deux cas, la coopération est décisive tant au niveau localqu’à des niveaux supérieurs. L’évaluation collective de la pertinence d’innovationsexogènes permet de lever en partie l’incertitude stratégique qui pèse sur leur mobilisationéventuelle. L’évaluation collective d’innovations locales (y compris adaptation apportée àtel ou tel type de matériel), par nature peu codifiées, permet de leur donner une portée plusgénérale. L’efficacité de cette médiation technique en interne est également décisive de laqualification professionnelle. Ainsi, par exemple, le réseau Cuma s’est-il vu reconnaîtreune compétence en agro-équipement, tant par les autres composantes de la professionagricole que par les pouvoirs publics (comme en témoignent les politiques publiquesd’appui au développement des Cuma).

Toutefois, la médiation technique ne remet pas en cause les finalités (le sens) del’innovation. Elle se contente d’en éprouver et éventuellement d’en améliorer la pertinenceau regard de ses finalités (le tracteur est éprouvé à l’aune de sa contribution àl’amélioration de la productivité du travail, relativement aux conditions locales de sonemploi, sans que soit discuté l’objectif d’amélioration de la productivité). La médiationtechnique participe donc à la diffusion voire l’amélioration de l’innovation (qu’elle soitendogène ou exogène aux groupes professionnels qui l’expérimentent). En ce sens, elle estau cœur d’une "coopération dans l’innovation" (Assens, 2002).

• 2.2.2. Médiation stratégiqueIl en va tout autrement lorsque la question des finalités est elle-même traitée dans le cadrede la coopération. La nature de la médiation de technique devient stratégique. La montéeen puissance des problèmes d’environnement (y compris entretien de l’espace), de qualitéet d’emploi a conduit les agriculteurs innovants, depuis le milieu des années 1990, às'insérer dans des réseaux de projets plus que dans des réseaux techniques. Cette évolutionest à la source du changement de nature de la médiation dans de nombreux dispositifscollectifs, où l’enjeu n’est plus seulement technique. Ainsi, l’intérêt porté par le réseauCuma au compostage des déchets verts de centres urbains illustre bien le caractère

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multidimensionnel des enjeux à traiter : Enjeu marchand (y-a-t-il effectivement un marchépour le compost à la hauteur des investissements à réaliser ?) ; enjeu technique(l’utilisation du compost est-elle susceptible d’affecter la qualité et/ou la quantité de laproduction, ou la fertilité du sol ?) ; enjeu environnemental (en quoi le compostage desdéchets améliore-t-il la qualité de l’environnement ?) ; enjeu public (doit-on subventionnerle compostage ?). Comme nous l’avons explicité précédemment, la coopération permet derépondre, au moins en partie, à ce multiple questionnement qui caractérise l’incertitudestratégique liée à ce type d’innovation (par exemple à travers la tenue régulière de journéesde démonstration où se confrontent observations de terrain, témoignages de praticiens, avisd’experts de différents domaines – environnement, profession, pouvoirs publics –). Mais àla différence de la médiation technique, les registres d’informations à mobiliser et lesparties prenantes concernées sont beaucoup plus larges, conférant ainsi à la fonctionassurée par la coopération un caractère stratégique. Il ne s’agit plus seulement decontribuer à la diffusion, à l’appropriation et à l’amélioration de l’innovation mais decontribuer à l’innovation. La fonction de médiation stratégique se trouve alors au cœur,selon la distinction proposée par Assens (2002), de la "coopération pour l’innovation".

• 2.2.3.Compétences distribuées, compétences réservéesQue ce soit la coopération "dans l’innovation" ou "pour l’innovation", chacune n’a de sensque si les conventions qui la soutiennent sont caractérisées par un certain degréd’ouverture, i.e. la capacité à légitimer, en vue de les expérimenter collectivement, despratiques locales inédites (le caractère inédit découlant d’une invention locale ou non). Cefaisant, les conventions de coopération contribuent à définir la séparation entre autonomiedes membres, leurs compétences réservées, et les compétences partagées. L’existence decompétences réservées est décisive du processus d’innovation, non seulement parce que, infine, elle permet l'appropriation de l'innovation, mais aussi en ce qu’elle maintient ladiversité des pratiques locales, donc la possibilité d’apparition de pratiques inédites.

Mais les domaines de compétences réservés ne sont pas a priori déterminés et stables dansle temps. La constitution, au sein d’une Cuma locale réunissant des producteurs de canardsgras, d’une structure de transformation conduit à déplacer les compétences techniquesassociées à la transformation du domaine réservé au domaine partagé, cependant que lescompétences commerciales restent dans le domaine réservé. A l’inverse, la création d’unestructure de commercialisation, sous marque commune mais en conservant l’identificationdes producteurs, transfère dans le domaine partagé les compétences commerciales enconservant les compétences techniques dans le domaine réservé. Par ailleurs, lescompétences partagées peuvent relever de différents types de distribution au sein ducollectif (Assens, 2002) ; en fonction de la nature de la médiation assurée et/ou de laquestion traitée (emploi, service environnemental,…), non seulement les différents niveauxfédératifs développent des compétences différentes mais au sein d’un même niveau, lescompétences sont également distribuées (entre adhérents, salarié (lorsqu’il y en a) etprésident d’une Cuma, par exemple).

La prise en compte de la multifonctionnalité est précisément un enjeu de la coopérationpour l’innovation qui conduit à rechercher de nouvelles médiations et de nouvellescapacités d'intégration des différentes dimensions de la production (section 1), ce qui passepar des dispositifs de projet ouverts, ce que nous développons dans la troisième section.

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omme nous l’avons souligné dans la première section, la question de laultifonctionnalité renvoie d’abord à celle de la construction sociale des problèmes posés

ar les effets multiples de l’activité agricole. Vouloir mieux de multifonctionnalité, c’estélimiter les problèmes en jeu, c’est préciser et formaliser la demande sociale relative auxffets multiples. Ce qui relève d’une démarche de projet. La mise en projet des questionsosées par la multifonctionnalité est décisive de la construction des compétences pournnover et un enjeu des politiques publiques.

3.1. Le projet, lieu d’apprentissage et de construction de compétencese développement de nouvelles compétences s'inscrit dans des projets d'acteurs et

'apprentissage des acteurs s'effectue dans des dispositifs de projet (Allaire et al, 2002). Seettre en situation de projet, c'est problématiser le réel de telle sorte qu’on puisse avoir

rise sur ce réel.

ne situation de projet se distingue d'une situation de gestion, dans laquelle les acteursisposent : (i) de diagnostics décrivant l'état du monde ou les états du monde probablesans lesquels ils agissent ; de programmes d’actions cohérents avec ces diagnostics ; (ii) deéférences concernant la mise en œuvre de ces programmes (des savoirs et un capital socialdaptés à leur mise en œuvre). Au contraire, dans une situation de projet : (i) le diagnosticnitial est à établir, mais les experts convoqués ne sont pas d'accord (controverses) ; (ii) laonstruction de références passe d'abord par une représentation des réalités à traiter qui est construire dans un travail de communication ; (iii) on ne peut donc pas se rabattre avecérénité sur des programmes (mais le travail de projet a cet objectif).

e travail de projet ouvre un espace de controverses et de partenariat (Allaire et al, 1996).et espace s'élargit rapidement dès que le projet est sur la place publique. Le travail derojet s'inscrit alors dans un dispositif complexe, où les acteurs s'organisent en plusieursercles (acteurs de renfort et acteurs de soutien, cf. Cinçon, 2000). Les projets de "Pays"els que promus pas la loi de 1999 sur l’aménagement et le développement durable duerritoire, ou les projets de Contrat territorial d’exploitation (CTE) représentent de telsispositifs de projets, dont l’enjeu est de participer de la construction de la demandeociale locale (problématisation), en veillant à sa mise en cohérence aux niveauxupérieurs, et, partant, d’élaborer les solutions ad hoc.

n dispositif de projet comprend, au-delà du groupe ou de l'individu qui le porte, ce que'on appelle des "partenaires". Le terme recouvre en fait toute une gamme de relations :es personnes co-engagées, des experts internes ou externes, des financiers, des partiesrenantes sur les ressources mobilisées... Conduire un projet, c'est gérer un dispositifultidimensionnel : Dispositif de gestion et de circulation de l’information, procédures et

nstances de codification (capacité d'arbitrage), dispositifs d'évaluation interne et'évaluation externe (responsabilisation)… La gestion d’un dispositif de projet demandeonc la construction de compétences intégratives (cf. Allaire, Wolf (2002) pour unenalyse du rôle de ces compétences dans la dynamique des réseaux d'innovation). Auiveau individuel (conduite d’exploitation), ces compétences peuvent être qualifiées de

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transversales, au sens où elles ne sont pas liées à une technique particulière ; elles sontprécisément celles qui permettent de ne pas être liées à une seule tâche ou une seuleactivité. Parmi celles-ci, le rôle des compétences économiques est sans doute aujourd'huisous-estimé. On peut sans doute dire qu’une part de la lenteur des changements s’expliquepar un déficit de compétences économiques au sens de compétences à "lire le marché". Cedéficit concerne les agriculteurs et les dispositifs professionnels agricoles dont lescompétences, même transformées par les contraintes environnementales et les démarchesqualité, restent centrées sur les actes de production. Or, plus il est important d’adapter lesproduits et services fournis par l’exploitation aux marchés et à leurs évolutions (y comprissous l’influence des questions environnementales et de sécurité), plus compte lacompétence économique. La "remontée" du marché vers la production ne concerne pasuniquement les producteurs, minoritaires, qui pratiquent la vente directe à partir del’exploitation. Le rôle des compétences économiques n’est pas seulement dansl’observation des marchés pour en valoriser les opportunités mais aussi dans l’intégrationdes différentes dimensions ou différents savoirs qui sont liés à la production. La questionse pose alors d’une coordination entre les différents dispositifs de conseil qui se sontdéveloppés sur des logiques de spécialisation.

Dans une certaine mesure, la question des compétences collectives au niveau d’un systèmeproductif local se pose en des termes comparables. A ce niveau, ce sont alors lescompétences de conduite et d’accompagnement de projet qui comptent pour développerune approche globale du développement territorial. L’enjeu en est la construction d’undispositif de programmation, de référence et d’évaluation pour la validation locale desprojets (la Charte d’un Pays par exemple).

♦ 3.2. Le dispositif CTE comme dispositif d’accompagnement de projetspour mieux de multifonctionnalité

Si l’on s’en tient à la philosophie et aux principes qui définissent la procédure decontractualisation (tels qu’ils apparaissent dans les textes officiels à partir desquels s’estopérée sa mise en œuvre), le dispositif CTE nous apparaît comme un dispositif d’incitationet d’accompagnement à la mise en projet. Deux niveaux clefs méritent l’analyse(Dupeuble, 2001; Allaire et Dupeuble, 2002 ; Képhaliacos et Robin, 2002).

Le premier niveau est celui de la conception de Contrats-types. Concernant un territoire ouune filière territorialisée, elle a pour enjeu de d'établir les priorités d’action autourdesquelles les acteurs locaux doivent se coordonner pour améliorer la multifonctionnalité :Améliorer la qualité de l’eau, préserver les paysages, améliorer la qualité des produits…La définition de ces contrats-types associe, potentiellement, plusieurs types d’acteurs(producteurs, consommateurs, collectivités locales, environnementalistes...) comme entémoigne la composition des Commissions Départementales d’Orientation Agricole(CDOA), qui en propose la validation au Préfet comme référents territoriaux pour lacontractualisation individuelle. Ainsi, réalisée au sein de collectifs "hybrides" (Callon,1998), l’élaboration d’un contrat-type contribue à la recomposition des conventions dequalification professionnelle. Un tel "contrat" nomme le champ pertinent des compétencesprofessionnelles en matière de production de biens publics environnementaux, de sécuritéalimentaire et de contribution au développement du territoire.

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Le deuxième niveau est celui de la contractualisation individuelle. Conçu sur la base d’unprojet d’exploitation qui définit la contribution propre du contractant aux prioritésd’actions retenues dans un contrat-type, le CTE contribue alors à définir le partage entrecompétences collectives et compétences réservées (section 2) : L’engagement à adhérer àune charte de qualité relative à l’une des productions de l’exploitation par exemple traduitun transfert de compétences du domaine réservé vers le domaine partagé. De même,l’engagement à mettre en œuvre des pratiques destinées à préserver un biotope particulieracte d’un transfert de compétences vers des structures collectives de gestion del’environnement (lesquelles se doivent en retour de s’ouvrir, lorsque ce n’est pas déjà lecas, aux producteurs dans la perspective d’intégrer les savoirs issus de leur pratique).

L’observation et l’analyse de la mise en œuvre des CTE invitent cependant à douter del’efficience de la dynamique que nous venons de décrire (Léger, 2001). L’écart constatéentre les visées initiales et la réalité des projets (COPERCI, 2002) peut être imputé à ladifficulté et à la durée des apprentissages que demande cette procédure. Les objectifsquantitatifs affichés d’emblée, en terme de nombre de contrats signés, ont imposé une miseen place accélérée de nombre d'étapes. Faute du temps nécessaire pour installer lescollectifs "hybrides" nécessaires à l’élaboration des contrats-types, faute d’une véritableréorganisation des collectifs professionnels nécessaire à la construction des compétenceséconomiques, la contractualisation s’est le plus souvent appuyée sur des représentationsinadaptées, voire s’est conduite dans une visée clairement réductrice (obtenir le maximumde financements publics pour le minimum d’engagement). Selon une vision pessimiste, dedispositif d’incitation à l’innovation qu’il voulait être, le dispositif CTE était ainsi devenudispositif d’ajustement marginal aux procédures d’attribution de soutiens publics. Prenantprétexte d’une meilleure maîtrise budgétaire, au demeurant nécessaire, les nouvellesmodalités de mise en œuvre (préfigurées par les dispositions en vigueur depuis le 16octobre dernier3) devraient inciter à affiner les diagnostics (identification des prioritésd’action décisives et des coordinations à mettre en place) à la base des contrats-types.Conjuguée à l’apprentissage qu’ont néanmoins permis les premières années de mise enœuvre, notamment parmi les nouveaux acteurs engagés (consommateurs,environnementalistes), cette incitation pourrait permettre une réorientation de la procédureplus conforme à ses ambitions et ses potentialités initiales en faveur de la prise en comptede la multifonctionnalité, sauf si les contrats-types deviennent des normes par trop rigides.

CONCLUSION

En nous appuyant sur trois domaines récemment étudiés ou en cours d'étude (le réseauCUMA, la mise en place des Pays dans le rural et les "Contrats Territoriauxd'Exploitation", devenus les "Contrats d'agriculture durable"), nous avons cherché àillustrer les dispositifs professionnels et partenariaux qui prennent en charge le problèmepublic que pose la multifonctionnalité de l'agriculture (il y en a bien d'autres…). Il ne nousparaît guère possible d'envisager que cette question ait des solutions d'ordre administratif(politiques publiques) ou de l'ordre de la recherche agronomique sans qu'existent desalternatives professionnelles, construites dans des projets et validées dans des forumshybrides.

3 cf. Circulaire DEPSE/SDEA/C 2002-7044 du 10 octobre 2002

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