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« IL ÉTAIT UNE FOIS L’INDÉPENDANCE DE LA CÔTE D’IVOIRE… ». RÉCITS MÉDIATIQUES D’HIER ET D’AUJOURD’HUI Marie Fierens Nouveau Monde éditions | « Le Temps des médias » 2016/1 n° 26 | pages 144 à 162 ISSN 1764-2507 ISBN 9782369423935 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2016-1-page-144.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- !Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Marie Fierens, « « Il était une fois l’indépendance de la Côte d’Ivoire… ». Récits médiatiques d’hier et d’aujourd’hui », Le Temps des médias 2016/1 (n° 26), p. 144-162. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Nouveau Monde éditions. © Nouveau Monde éditions. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université libre de Bruxelles - - 164.15.20.92 - 08/02/2016 15h13. © Nouveau Monde éditions Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université libre de Bruxelles - - 164.15.20.92 - 08/02/2016 15h13. © Nouveau Monde éditions

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« IL ÉTAIT UNE FOIS L’INDÉPENDANCE DE LA CÔTED’IVOIRE… ». RÉCITS MÉDIATIQUES D’HIER ET D’AUJOURD’HUIMarie Fierens

Nouveau Monde éditions | « Le Temps des médias »

2016/1 n° 26 | pages 144 à 162 ISSN 1764-2507ISBN 9782369423935

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2016-1-page-144.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

!Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Marie Fierens, « « Il était une fois l’indépendance de la Côte d’Ivoire… ». Récits médiatiquesd’hier et d’aujourd’hui », Le Temps des médias 2016/1 (n° 26), p. 144-162.--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Nouveau Monde éditions.© Nouveau Monde éditions. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manièreque ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Le 7 août 1960, la Côte d’Ivoires’émancipe de la tutelle coloniale.L’historiographie met en évidence unprocessus d’indépendance concertée,«une sorte de transition sans douleur1».Les principaux journaux qui circulentsur le territoire ivoirien à l’époquecorroborent cette thèse. Ils relatentl’indépendance comme un choixrationnel qui s’impose aux deux parties,la métropole et la colonie. Cinquanteannées plus tard, lors de la célébrationdu jubilé de l’indépendance, les quo-tidiens d’Abidjan reviennent sur cetévénement majeur de l’histoire dupays. Mais certaines publications sug-gèrent désormais que Paris a joué undouble jeu afin de maintenir uneforme de domination sur son anciennecolonie. L’évolution des relationsfranco-ivoiriennes et du paysage média-tique ivoirien se reflète dans la presse.

Afin d’apprécier la façon dont lesjournaux participent à la constructiond’une certaine vision de l’indépendancenationale et des liens qu’entretiennentla France et la Côte d’Ivoire, cetarticle analyse les contenus de publi-cations circulant à Abidjan en 1960 eten 2010. Ces contenus sont appré-hendés en tant que «récits médiatiques»afin de mettre en exergue le processusnarratif qui sous-tend leur production2.La notion de récit médiatique permeten effet de souligner la façon dont lesconditions de production influencentles énoncés et transforment un évé-nement en une information.

Deux organes de presse sont retenuspour l’étude du corpus de 1960. L’un,Abidjan-Matin, est un quotidien auxmains de l’homme d’affaires françaisCharles de Breteuil et s’adresse prio-ritairement aux Français vivant en

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« Il était une fois l’indépendance de la Côte d’Ivoire…!»Récits médiatiques d’hier et d’aujourd’hui

Marie Fierens*

N°26 – Printemps 2016 Le Temps des Médias

* Université libre de Bruxelles, Centre de recherche en sciences de l’information et de la communication(ReSIC). L’auteure souhaite remercier Marie-Soleil Frère et Ornella Rovetta pour leurs commentaires etleur relecture attentive. Elle remercie également la Fondation Wiener-Anspach pour son soutien financier.

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Côte d’Ivoire. Il est presque exclusi-vement animé par du personnel ori-ginaire de la métropole et défend lesintérêts coloniaux3. Pourtant, environ70% de ses lecteurs sont africains4.L’autre, Fraternité, est l’hebdomadairedu Parti démocratique de Côte d’Ivoire(PDCI) du futur président Hou-phouët-Boigny, dont le lectorat secompose essentiellement de fonction-naires et d’Ivoiriens appartenant auxstructures politiques5. Il a été créé en1959, lors d’un congrès du parti. Fra-ternité est l’unique publication dont lecontenu est entièrement produit pardes Ivoiriens, essentiellement des cadresdu PDCI. À l’époque, seuls quatretitres d’importance très inégale parais-sent en Côte d’Ivoire6. Les deux jour-naux retenus disposent des tirages lesplus importants7. Ces différentes carac-téristiques en font donc des vecteursde représentations relatives à l’indé-pendance, parmi les Ivoiriens lettrés8.

Concernant la période de 2010,l’analyse porte, d’une part, sur lesarticles de Notre Voie, le quotidienprivé qui soutient le Front populaireivoirien (FPI) de Laurent Gbagboalors au pouvoir et, d’autre part, sur lecontenu de Fraternité-Matin, le quoti-dien d’État9. Les deux titres sont parmiles journaux dont le tirage est le plusélevé en Côte d’Ivoire. Notre Voie aété créé en 1991 par des proches deLaurent Gbagbo, juste après la libéra-

lisation politique et médiatique opéréeun an plus tôt. Le 3 mai 1990, eneffet, dans un contexte de crise socialeet politique, Houphouët-Boigny arétabli le multipartisme prévu dans laConstitution. De nombreuses forma-tions politiques – dont certaines exis-taient déjà dans la clandestinité depuisplusieurs années, à l’instar du FPI,créé par Laurent Gbagbo dès 1982 –ont alors émergé officiellement, enmême temps que leur organe depresse. La rédaction de Notre Voie secompose de militants du FPI peu oupas formés au journalisme. L’engage-ment politique de ses membres compteen effet davantage que la maîtrise destechniques professionnelles. Commela plupart des journalistes travaillantau sein de la presse privée, ils s’em-ploient à satisfaire les attentes du partiauquel est liée la publication et cellesde son lectorat, également composéde partisans de Laurent Gbagbo. Leton du quotidien est donc très poli-tique. Cette posture éditoriale est pré-sentée comme une stratégie de « surviefinancière » par le secrétaire généralde la rédaction. «Nos actionnairessont tous des militants du parti deMonsieur Laurent Gbagbo, FPI. Doncje suis obligé de penser à eux. Parceque quand j’ai des problèmes pourpayer mon personnel, c’est vers euxque je vais chercher l’argent10. » Fra-ternité-Matin est le quotidien public

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de Côte d’Ivoire, né bien plus tôt, en1964, à l’initiative du PDCI alors seulau pouvoir11. Contrairement à Fraternité,il alors est pensé comme l’organe dugouvernement et non comme celuidu parti. Après la refonte du paysagepolitique et médiatique de 1990 etmalgré l’émergence de nombreuxconcurrents privés, Fraternité-Matin estparvenu à se maintenir en tant quejournal de référence. Mais en dépitde l’objectif qui lui a été assigné lorsde sa création, sa ligne éditoriale seconfond désormais avec la ligne duparti au pouvoir. Fraternité-Matin reçoitdes subsides de l’État. Il est doncfinancièrement moins dépendant d’in-vestisseurs privés que Notre Voie etson ton se veut moins engagé quecelui adopté par la presse privée. L’ana-lyse de ces deux publications permetde mettre en lumière deux visionsdes commémorations de l’indépen-dance ; celle que souhaite porter Lau-rent Gbagbo en tant que présidentdu FPI dans le cas de Notre Voie, etcelle qu’il entend porter en tant quechef de l’État dans le cas de Fraternité-Matin.

Ce texte s’inscrit dans le cadregénéral d’une recherche en informationet communication12. C’est dans cetteperspective qu’il explore le contextehistorique et politique ivoirien et qu’ilconvoque des sources de natures trèsdifférentes.

En 1960, récit d’uneindépendance concertée

Depuis 1893, Paris mène une poli-tique assimilationniste qui consiste àinstaurer une identité française dansses colonies13. En 1946, à la faveur dela nouvelle Constitution qui établitl’Union française, les libertés d’ex-pression, politiques et syndicales desIvoiriens sont élargies. Les départementset territoires d’outre-mer sont égale-ment mieux représentés au sein desinstitutions de la métropole. Dans cecontexte, des journaux politisés émer-gent en même temps que des partis.Mais le nouvel ensemble reste unefédération inégalitaire au sein delaquelle la France et ses institutionscontinuent de jouer un rôle essentiel.Les membres africains du Parlementne développent pas de réel projetpolitique en dehors de l’Union fran-çaise. Ils ne revendiquent pas davantagel’indépendance de leur pays, qui ris-querait de leur faire perdre le statutprivilégié dont ils disposent au seindes institutions politiques métropoli-taines14. Cette réalité tend à maintenirle lien fort qui unit la France à sacolonie et n’encourage pas l’émergenced’une presse locale vigoureuse15.

En 1958, une autre Constitutionremplace l’Union française par laCommunauté française, un espacepolitique commun à la France et à ses

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colonies16. Le contexte institutionneln’en demeure pas moins défavorableà l’émergence de revendications indé-pendantistes et à celle d’une presselocale. Peu avant le 7 août 1960, lesquelques journaux autochtones engagéspolitiquement qui avaient émergé aulendemain de la Seconde Guerremondiale ont disparu, balayés par la« toute-puissance» du Parti démocra-tique de Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny17. Fraternité est alors le seul« journal » « ivoirien». Les deux termesdoivent cependant être nuancés. D’unepart, Fraternité est avant tout un outilde communication politique dont larédaction est assurée par des membresdu PDCI qui ne revendiquent pas lestatut de journalistes. D’autre part, lamise en page ainsi que l’impressionde l’hebdomadaire se font à Paris etla rédaction est confiée à un Français,Pierre Cheynier, à partir de juin 195918.En 1960, bien que Fraternité soit l’or-gane de presse du PDCI d’Hou-phouët-Boigny et qu’Abidjan-Matinsoit un journal français aux mainsd’un homme d’affaires, leur approchede l’événement « indépendance» estsimilaire. La politique coloniale et lastructure du paysage médiatiqueinfluencent leur contenu.

Fraternité : justification du désird’indépendance

En juin 1960, soit deux mois avant

l’indépendance, Fraternité affirme laposition politique du PDCI et sembles’adresser directement à la France. Demanière dépassionnée, la rédactions’emploie à justifier le récent désird’indépendance des leaders ivoiriens ;un désir né de certaines frustrationset d’une « longue évolution de pen-sée19 ». Depuis les années 1950, eneffet, la France a été obligée de revoirsa politique coloniale car l’assimila-tionnisme qu’elle prônait avait uncoût qu’elle pouvait difficilementcontinuer à supporter20. De plus, depuisla fin de la Seconde Guerre mondiale,certains mouvements sociaux et poli-tiques africains se sont fait entendrede plus en plus clairement pour récla-mer davantage de droits21. Tirant lesleçons de la guerre d’Algérie en cours(1954-1962) et de la guerre d’Indo-chine (1946-1954), la métropole avoulu éviter un autre conflit antico-lonial en répondant partiellement auxdemandes de certains mouvementspolitiques africains. Mais Houphouët-Boigny et son parti n’étaient pas dési-reux de modifier fondamentalementla relation qui les unissait jusque-là àla France et n’ont finalement acceptél’indépendance que contraints et forcéspar le mouvement général des accordsde transfert de pouvoir entre la métro-pole et les sept autres territoires del’Afrique occidentale française, à lafin de l’année 195922. La rédaction de

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Fraternité souligne qu’elle n’était pasfavorable à une telle évolution. «LaCommunauté “rénovée”, a rappelé leprésident Houphouët-Boigny […]s’est élaborée en dehors de nous, etcontrairement à nos vœux qui nousportaient vers une organisation fédé-rale23 ». Un article rapporte une décla-ration sans équivoque d’Houphouët-Boigny : «Pour se marier, il faut êtredeux : or la France n’a pas voulu allerà l’Église. Je suis resté sur le parvisavec des fleurs fanées à la main24 ». Leleader du PDCI affirme cependantson désir de tirer profit de la situationtout en maintenant des liens fortsavec la France. «Maintenant nousentendons profiter de la révisionconstitutionnelle qui vient d’avoir lieuet qui permet à un État membred’accéder à l’indépendance tout enrestant dans la Communauté25 ». Bienqu’elle n’ait pas été voulue par lePDCI, la future indépendance de laCôte d’Ivoire est présentée commeun choix réaliste, raisonnable et sincèrepar rapport à la France. Fraternitéexplique son choix à la métropole.

«En demandant au Général deGaulle l’indépendance totale et immé-diate, sans aucune négociation niaccord préalables, le Président Hou-phouët-Boigny et ses amis entendentclarifier la situation et repartir sur desbases saines. Ce n’est plus commeune fiancée qui attend vainement l’al-

liance, mais comme des partenaireslibres, indépendants et strictementégaux que les chefs des quatre Étatsse présenteront désormais à Paris 26 ».

L’hebdomadaire du PDCI n’a decesse de réaffirmer l’importance desliens qui unissent et doivent continuerd’unir la France et la Côte d’Ivoire –singulièrement de Gaulle et Hou-phouët-Boigny27 – ainsi que la nécessitéd’une coopération et d’une amitiéentre la France et la Côte d’Ivoire.Fraternité rapporte que le ministred’État, Auguste Denise, « s’est adresséaux représentants des activités françaisesqui “sont devenus, a-t-il dit, les enfantsadoptifs de la République de Côted’Ivoire” pour leur demander d’aiderle Premier ministre, M. Houphouët-Boigny, “à demeurer dans la formulenouvelle des liens d’amitié et de coo-pération avec la France, afin que seconstruise la grande famille entre laFrance et nous”28 ».

Abidjan-Matin : un désird’indépendance compris

De manière générale, le quotidienfrançais Abidjan-Matin dépeint la mêmeréalité que Fraternité, ce qui atteste duclimat de collaboration qui existe alorsentre la France et sa colonie en passed’accéder à l’indépendance. La pers-pective de l’émancipation ainsi queles négociations qui l’entourent sontdécrites de manière dépassionnée. Les

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propos d’Houphouët-Boigny, qui pré-sente l’indépendance comme un choixrationnel préservant l’honneur tantde la France que de la Côte d’Ivoire,sont relayés29, tout comme ses prisesde position plus critiques30. Les diffé-rentes étapes qui doivent précéderl’indépendance sont expliquées demanière pragmatique. Le 12 juillet1960, Abidjan-Matin annonce factuel-lement que «MM. Debré [Premierministre français] et Houphouët-Boi-gny [Premier ministre ivoirien] ontsigné hier les accords consacrant l’in-dépendance de la Côte d’Ivoire31. »L’indépendance semble considéréecomme une avancée normale, mêmesi certains articles trahissent une formed’inquiétude de la part de la France.Ainsi, « les milieux autorisés métro-politains » ne cachent pas « que lademande des quatre États de l’Entente32

fait planer une certaine ambiguïté surleurs intentions futures et sur leurdésir de rester dans la Communauté33».Tout comme dans Fraternité, l’accentest mis sur l’importance de la coopé-ration, de la fraternité et de la solidaritéentre la Côte d’Ivoire et la France.Dès le 12 juillet, Michel Debré souligneque « le moins de choses doit demeurerchangé dans l’avenir». Il insiste, lorsqu’ils’adresse aux États de l’Entente, «Vousallez être des États indépendants etsouverains, mais ce qui doit demeurer,c’est la volonté active de coopération

économique, militaire, culturelle. Ence qui nous concerne, cette coopérationvous est acquise, vous le savez34. »Houphouët-Boigny et de Gaulle sem-blent également être considérés commeles acteurs indispensables de l’indé-pendance. Les échanges de politessedes deux dirigeants, par journauxinterposés, révèlent une volonté d’évo-lution et non de rupture.

Cinquante années plus tard…En août 2010, Laurent Gbagbo est

à la tête de la Côte d’Ivoire depuisdix ans. Il a accédé au pouvoir dansdes conditions chaotiques, après desannées de crise qui ont entraîné denombreuses violences35. La campagneélectorale bat son plein à travers lepays ; le premier tour de l’électionprésidentielle doit se tenir seulementtrois mois plus tard, le 31 octobre36.Les contextes médiatique et politiqueont radicalement changé depuis 1960.De nombreux journaux politisés, géréset rédigés par des Ivoiriens, circulentdésormais à Abidjan. Et les relationsentre la Côte d’Ivoire et la France sesont fortement détériorées.

Libéralisation politique et médiatique

La libéralisation politique et média-tique qui s’est opérée depuis le 3 mai1990 a marqué l’essor de la presse

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privée et a permis le «printemps dela presse ». Alors que depuis l’indé-pendance, le PDCI, en tant que partiunique (1960-1990), bénéficiait dusoutien inconditionnel de tous lesjournaux existants37, l’opposition dis-pose dorénavant d’organes de pressequi lui sont propres38. La Voie faitpartie de ces nouvelles publications.Le journal défend le FPI, dans l’op-position durant les années 1990, etconcurrence Fraternité-Matin dès sacréation39. En 2010, le paysage desquotidiens d’Abidjan se décline de lamanière suivante : d’un côté, Frater-nité-Matin, toujours quotidien d’État ;de l’autre, une multitude de titres quiforment la presse privée. Même siFraternité-Matin reste fondamentalementattaché au gouvernement, il fait preuvede davantage d’ouverture depuis 1990,en couvrant sporadiquement les acti-vités des partis d’opposition et enpubliant quelques interviews de leursleaders. La presse privée est quant àelle généralement orientée politique-ment selon un clivage qui sépare lapresse «bleue», proche du FPI, de lapresse «verte », qui soutient le Ras-semblement des Houphouétistes pourla démocratie et la paix (RHDP),dont le Rassemblement des républi-cains (RDR) et le PDCI sont lesprincipales composantes. Chaque partidispose d’une ou plusieurs publications.Toutes affichent clairement leur couleur

politique. La Voie, devenue Notre Voieen 1998, est toujours proche du partide Laurent Gbagbo.

France-Côte d’Ivoire : la fin d’unerelation de confiance

Les liens politiques qui unissent laFrance et la Côte d’Ivoire ont égale-ment fondamentalement changé depuis1960. Alors que les deux États avaientgardé une relation privilégiée depuisl’indépendance en tissant des lienscommerciaux et de coopération trèsforts, la guerre civile qui a éclaté le 19septembre 2002 a radicalement changéla donne. Le pays a été coupé endeux parties : le Sud tenu par lesForces armées nationales de Côted’Ivoire (Fanci) et le Nord occupépar les rebelles des Forces armées desForces nouvelles (FAFN). Le 27 sep-tembre 2002, Laurent Gbagbo a for-mellement demandé l’aide de la France.Mais, alors qu’un accord signé peuaprès l’indépendance prévoyait l’in-tervention de la France en cas d’agres-sion extérieure, le président ivoiriena «essu[yé] une fin de non-recevoirqui [a] bris[é] à jamais la confianceentre Paris et Abidjan40 ». La présencede nombreux résidents français etd’une base militaire permanente enCôte d’Ivoire a néanmoins pousséParis à suivre très attentivement l’évo-lution de la situation. L’anciennemétropole souhaitait préserver ses

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intérêts dans le pays une fois la criserésolue et jouer de diplomatie pourassurer une position la plus neutrepossible. Son rôle a cependant évoluéau fil du temps. Elle a d’abord promisune aide logistique destinée à soutenirles Fanci, tout en évitant de s’engagerdavantage dans le conflit. Mais dès lafin du mois de septembre, l’arméefrançaise présente sur le territoire ivoi-rien avait atteint le millier d’hommes41.Ces effectifs ont alimenté la force«Licorne», dont les premières missionsconsistaient, entre autres, à évacuerles civils français et occidentaux42.

En 2002, le président ivoirien expri-mait son sentiment de trahison àl’égard de la France. Derrière lesattaques faites par Laurent Gbagbo etson parti à l’encontre de l’anciennemétropole, une tactique électorale s’estprofilée. La gestion française de lacrise leur a en effet servi de prétextepour disqualifier leurs rivaux politiques.Utilisant notamment le quotidienNotre Voie pour exacerber le ressenti-ment d’une frange de la population àl’égard de la France, le FPI a proposéune lecture conspirationniste de l’his-toire, sous des apparences de discoursrelatifs à l’émancipation et à l’auto-nomie. Le quotidien d’État, dont laprivatisation a été envisagée, a poursuivila même logique, à tel point quel’ambassadeur de France a adressé uncourrier au directeur général, le 8

octobre 2002, dans lequel il dénonçaitles «bourreurs de crânes stupides dansleur nationalisme exacerbé et xéno-phobe», incarnés selon lui par lesjournalistes de Fraternité-Matin qui«hurl[ent] avec les loups les plus imbé-ciles contre la France43. »

En janvier 2003, l’accord de paixinter-ivoirien de Linas-Marcoussis aété négocié avec la médiation de laFrance. Il prévoyait la mise en placed’un gouvernement de réconciliationnationale qui devait diriger le paysjusqu’aux élections annoncées pour2005. L’intervention de l’anciennemétropole s’est faite de plus en plusactive et, par conséquent, ambiguëaux yeux de la population ivoirienne44.Elle a notamment eu pour effet d’ali-menter une rhétorique « anticolonia-liste45 ». L’accord de Linas-Marcoussisa également attisé le sentiment anti-français dans le chef de certains Ivoi-riens qui ont considéré qu’il légitimaitune rébellion armée et manifestaitl’influence persistante de l’anciennepuissance coloniale.Aucune des partiesn’a par ailleurs affiché de réelle volontéde mettre l’accord en œuvre. Les posi-tions se sont durcies et les combatsont repris dès novembre 200446. LaurentGbagbo a rompu le cessez-le-feu etson camp a cherché à ramener leconflit ivoirien sur le terrain franco-ivoirien afin de se présenter commela victime d’une puissance qui aurait

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voulu l’empêcher de se libérer dujoug colonial47.

Le 6 novembre 2004, alors qu’ellestentaient de reprendre le contrôle duNord du pays, les forces armées ivoi-riennes ont bombardé un camp mili-taire appartenant à la force Licornesituée à Bouaké, fief des Forces nou-velles, dans le centre de la Côte d’Ivoire.Neuf soldats français ont été tués ainsiqu’un citoyen américain. En représailles,la mission Licorne a anéanti la flotteaérienne ivoirienne. Les « jeunespatriotes », les milices fidèles à LaurentGbagbo, s’en sont alors pris aux expa-triés et aux symboles de la présencefrançaise à Abidjan48. De gigantesquesémeutes antifrançaises ont eu lieudans la capitale en novembre 2004.L’armée française a ouvert le feu àplusieurs reprises sur les foules hostiles,sapant l’impartialité qu’elle était censéeincarner49. Le 8 novembre, une colonnede blindés de la force Licorne, venuesécuriser deux cents Français regroupésà l’hôtel Ivoire, « s’est perdue» et s’estretrouvée face à la résidence prési-dentielle, située à quelques centainesde mètres de l’hôtel. Cet événementa encore renforcé l’hostilité de certainsIvoiriens à l’égard de Paris. Le 9novembre, des milliers de personnesont manifesté devant l’hôtel Ivoireoù s’étaient installés les soldats français.Ceux-ci ont ouvert le feu et tué plu-sieurs « jeunes patriotes ». Ces événe-

ments ont mis un terme définitif à larelation particulière qu’entretenaientles deux pays depuis l’indépendance50.

Les médias ont participé à la montéedes tensions. Le 4 novembre 2004, laradio et la télévision nationales sonten effet passées sous la coupe desfidèles de Laurent Gbagbo pour deve-nir, selon les mots du directeur, «unearme pour un État en guerre51 ». Ellesont encouragé les émeutes, qualifiéles soldats de la force Licorne de«colons» et d’« impérialistes» et affirméque l’ancienne métropole était entréedans une logique de coup d’État52. LeGouvernement a également ordonnéau principal distributeur d’arrêter leslivraisons de six quotidiens qui nesuivaient pas sa ligne politique53. Fra-ternité-Matin s’est montré davantagesoucieux de refléter une diversitéd’opinions en publiant des articles desensibilités radicalement opposées, maistoujours très partisans54.

2010, « histoire » d’uneindépendance fallacieuse

En 2010, les relations entre l’an-cienne métropole et la Côte d’Ivoiredemeurent extrêmement tendues. La«zone de confiance» – barrière phy-sique et symbolique de la partitiondu territoire – a été démantelée. Maisles risques de reprise des violencessont encore réels. Les élections prési-

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dentielles prévues initialement en 2005ont été reportées à de nombreusesreprises et sont finalement program-mées pour la fin de l’année. C’estdans ce contexte politique difficileque Notre Voie et Fraternité-Matin évo-quent le cinquantenaire de la Côted’Ivoire.

Fraternité-Matin : un discoursindirect et diplomatique

La plupart des articles de Fraternité-Matin sont construits à partir de dis-cours indirects et ne permettent pasde saisir de façon évidente le posi-tionnement éditorial des journalistes.Ils attestent néanmoins du soutien dujournal à l’égard de la politique menéepar Laurent Gbagbo. Même s’il arriveque l’action présidentielle soit miseen perspective de manière critique,les propos rapportés alimentent géné-ralement l’image d’un gouvernementrésolument démocratique. Dans lespages consacrées au cinquantenairede l’indépendance, le quotidien rappellepar exemple la volonté du présidentde rompre avec les pratiques du partiunique qu’a connues l’Afrique pendantcinquante ans. Cette intention semblecorrélée à la nécessaire défense de lasouveraineté nationale face aux velléitésd’ingérence supposées de la France.Selon les propos du président ivoirien,retranscrits par Fraternité-Matin, lemode de gouvernance des partis-États

serait en effet «une pratique suscitéeet savamment entretenue par lescolons55. » Néanmoins, le ton dujournal se veut diplomatique et nonstigmatisant à l’égard de l’anciennepuissance coloniale.Ainsi, lorsque Fra-ternité-Matin s’emploie à dresser unbilan des relations qu’ont entretenuesla France et la Côte d’Ivoire, c’estfinalement l’importance de la poursuitede la coopération entre les deux paysqui est mise en avant. C’est dans cetteperspective qu’un journaliste offreune forme de synthèse du programmede gouvernement réalisé en 1994 parLaurent Gbagbo et le FPI, alors dansl’opposition. Le point de vue relayéet assumé par le quotidien est celuidu «camp présidentiel», du FPI. L’articlereprend le texte original à de nom-breuses reprises, notamment pour rap-peler qu’en 1994 déjà, l’actuel chefde l’État dénonçait le poids de l’an-cienne métropole jugé trop important,dans la relation qui l’unissait alors à laCôte d’Ivoire. Le journaliste rappelleégalement que Laurent Gbagbo «n’acessé de pointer un doigt accusateurvers la France », dans la crise quetraverse la Côte d’Ivoire depuis le 19septembre 2002. Revenant au contexteivoirien de 2010, il souligne néanmoinsl’importance des relations diploma-tiques, qu’il convient de maintenir,« sauf dans des situations extrêmes ». Ilajoute : «La coopération entre Paris

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et Abidjan a beau tanguer, elle résisteaux intempéries et tend à se renforcer,ne serait-ce que par le biais des deuxpeuples qui demeurent attachés l’unà l’autre56 ».

Les propos du ministre de la DéfenseMichel Amani N’Guessan, égalementrelatés par le quotidien d’État, vontdans le même sens. Il revient sur l’in-vitation lancée par la France à denombreux pays d’Afrique, dans lecadre du cinquantenaire, à venir défilerle 14 juillet sur les Champs-Élysées.Le gouvernement ivoirien avait d’aborddécliné la proposition. Mais LaurentGbagbo a finalement décidé de sefaire représenter par son ministre dela Défense et d’envoyer un détache-ment militaire57. Dans les colonnesde Fraternité-Matin, Michel AmaniN’Guessan affirme que la France etla Côte d’Ivoire entretiennent actuel-lement des liens d’amitié, en dépit ducontentieux qui existe entre eux, etque les relations de coopération poli-tique, économique et diplomatiquen’ont jamais été rompues. Il soulignepar ailleurs le caractère équitable dela relation qu’entretiennent les deuxÉtats et précise que, lors du défilé, « lasouveraineté de la Côte d’Ivoire a étérespectée58 ».

Fraternité-Matin rapporte égalementles vues de Pierre Kipré, président dela Commission pour les cinquanteans de la Côte d’Ivoire et ambassadeur

de la Côte d’Ivoire en France. Cedernier affirme que son pays est « trèsà cheval sur son indépendance» etqu’il ne s’agit pas de fêter le cinquan-tenaire de la colonisation, mais biende l’État indépendant. Ce préalableposé, il utilise à son tour le terme«amis » pour qualifier les deux Étatset précise que la Côte d’Ivoire n’a paspris son indépendance «contre » l’an-cienne puissance coloniale, mais bien«par rapport » à elle. Son propos n’enreste pas moins acerbe lorsqu’il revientsur cette période et déclare que lescolonisés ont été utilisés comme des« instruments de l’hégémonie» de puis-sances occidentales, ou lorsqu’il abordela crise qui a récemment secoué sonpays et affirme que les détachementsde l’armée française ont été «parmiles principaux acteurs de [la] tuerie »qui a eu lieu en Côte d’Ivoire59. Unmois plus tard, un article nuancecependant cette vision des choses.Fraternité-Matin offre en effet un espaced’expression à Georges Taï Benson,membre de la commission du cin-quantenaire, selon qui «Kipré a dittrop vite qu’il n’a pas besoin dequelqu’un, la France notamment, pourcélébrer notre anniversaire60 ».

Le regard que porte le quotidiengouvernemental sur la relation France-Afrique semble donc critique, parfoissévère, mais surtout diplomatique. Infine, le quotidien rapporte le discours

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officiel qui entend affirmer la souve-raineté nationale tout en prônant lemaintien de liens forts avec Paris, mal-gré la crise qui a éclaté en 2002. Fra-ternité-Matin ose même évoquer lacolonisation de manière presque favo-rable.Ainsi, dans le seul éditorial relatifau cinquantenaire publié dans le journalgouvernemental durant les mois dejuin, juillet et août 2010, un chroni-queur prend la plume pour avancerque si la plupart des Ivoiriens «éprou-vent de la joie et de la fierté de sevoir libres vis-à-vis du colon français,beaucoup ont parfois le sentimentque le départ des Blancs n’aura pastant amélioré leurs conditions devie61 ».

Notre Voie : un discours militantet agressif

Notre Voie, de son côté, ne laisseplaner aucun doute quant à sa ligneéditoriale, indubitablement favorableau président. Les nuances ou obser-vations critiques concernant la politiquegouvernementale ivoirienne parfoisprésentes dans les pages du quotidiennational cèdent la place, dans le journaldu FPI, à un langage résolumentengagé en faveur du parti et, singuliè-rement, en faveur de Laurent Gbagbo.Lorsqu’il évoque la colonisation etl’ancienne métropole, le quotidienbleu ne s’encombre pas de précautions.À lire les articles proposés par Notre

Voie, une réalité manichéenne s’impose.La France aurait autant contribué audéclin de la Côte d’Ivoire que LaurentGbagbo aurait permis son dévelop-pement. C’est dans cette perspectiveque Notre Voie développe le discourstenu par le chef de l’État lors d’uncolloque organisé dans le cadre ducinquantenaire. Le quotidien rapportela vision du président selon laquellela Côte d’Ivoire continue de fairevivre l’économie de l’ancienne métro-pole, au détriment de la sienne. Lepropos, tel qu’il est présenté par lejournaliste, suggère que la relationentre la France et la Côte d’Ivoire estfortement déséquilibrée. Un tel dés-équilibre aurait toujours existé. Maisnié par la France dans un premiertemps, il aurait éclaté au grand jouren 2002. Laurent Gbagbo aurait prisconscience de ce jeu de dupes, «quandil y a eu la guerre dans son pays etqu’il a demandé à la France de fairejouer l’accord mutuel de défense etde coopération militaire ». Notre Voiepoursuit en expliquant que le présidentveut désormais maîtriser le dévelop-pement économique de son pays etconstituer une défense capable derepousser toute agression ennemie62.

Des discours rapportés alimententégalement cette rhétorique de déni-grement à l’égard de Paris. Un entretienavec Albert Bourgi, professeur à l’Uni-versité de Reims, met ainsi en exergue

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le fait que le processus d’accession àl’indépendance des anciennes coloniesfrançaises, loin de s’être apparenté à«un long fleuve tranquille », a été lerésultat de la volonté «unilatérale,délibérée de la puissance coloniale ».Il assimile l’ancien système colonial à«un système totalitaire de domination»et analyse la signature des accords decoopération, au début des années1960, comme un moyen, pour l’an-cienne métropole, de «codifier […]l’hégémonie française en Afrique. »Le professeur estime en outre que lacrise qu’a récemment traversée le pays«est le prix à payer pour une souve-raineté plus affirmée de la Côted’Ivoire ». Il concède néanmoins que« le rôle hégémonique de la France aquelque peu disparu»et qu’aujourd’huila Côte d’Ivoire «n’est plus ce petitpays enfant gâté par la France63 ».

Notre Voie propose aussi des articlesdans lesquels les journalistes exprimentleur propre avis, sans recourir aux dis-cours indirects. Les messages véhiculésdemeurent hostiles à l’égard de laFrance, dont le masque serait enfintombé. Un journaliste détaille parexemple le comportement de l’an-cienne métropole depuis le début dela crise. Il revient sur le refus exprimépar Paris de mettre en œuvre lesaccords de coopération en 2002 etsur la destruction de la flotte aérienneivoirienne. Il poursuit en affirmant

que la France a « tué et fait des milliersde blessés au cours des événementsde novembre 2004 à l’Hôtel Ivoire[…] après avoir tenté d’enlever notrePrésident ». Pour l’auteur, « c’est aucours de ces événements tragiquesque le monde entier a fini par décou-vrir, grandeur nature, le visage hideuxdu “sauveur” de la Côte d’Ivoire », laFrance, qui refuse de voir la Côted’Ivoire libre64.

Un professeur de collège prendégalement la plume pour relater savision très personnelle de l’histoire. Ànouveau, il est question de la volontésupposée de la France de maintenir laCôte d’Ivoire sous sa coupe, des évé-nements de 2002 et du tort qu’acausé Paris à son ancienne colonie.En 1960, raconte-t-il, la Côte d’Ivoireavait les atours d’une magnifique jeunefille. Mais, après l’indépendance, lajalousie des hommes aurait entraînésa déchéance progressive. «Au premierrang des jaloux, venait un colon quise croyait au temps colonial ». Celui-ci, éconduit par la belle, se serait faitune promesse : « réduire à néant cettejeune fille à la renommée mondiale ».La volonté de pouvoir et l’arrogancedu «blanc violeur » seraient donc àl’origine des maux dont souffreaujourd’hui le pays. «Pour avoir refuséde convoler en justes noces avec lecolon», la Côte d’Ivoire serait devenue« l’objet de diatribes enflammées »,

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depuis le 19 septembre 2002. «Lerouleau compresseur du colon s’estmis en marche pour [l]’aplatir à jamais.»L’auteur conclut en annonçant quemême si « la Côte d’Ivoire a connul’humiliation et la souffrance par lafaute de la France», « sous l’ère Gbagbo,l’indépendance vraie s’annonce65. »Alors que peu avant l’indépendance,dans les pages de Fraternité, Hou-phouët-Boigny convoquait l’imaged’une mariée qui attend vainementson futur époux pour exprimer sonsentiment d’abandon à l’égard de laFrance, cinquante années plus tard,dans un tout autre contexte politiqueet médiatique, Notre Voie file une autremétaphore, pour, cette fois, dénigrerla « jalousie » de l’ancienne métropole.

Les médias et l’indépendance : un récit relatif

En 1960 et en 2010, les discoursvéhiculés par la presse autour de ladate du 7 août sont radicalement dif-férents. Ils reflètent l’évolution desrelations diplomatiques entre les deuxÉtats mais aussi l’instrumentalisationde ces liens par les journaux. En 1960,le contenu de Fraternité et d’Abidjan-Matin est le fruit de postures politiquesempreintes d’une forme de respectmutuel, assumées par les deux partieset adoptées pour des raisons pragma-tiques. En 2010, Fraternité-Matin et

Notre Voie offrent une tout autre visiondes liens qu’entretiennent les deuxÉtats depuis des décennies. La Côted’Ivoire porte les stigmates encorefrais de la guerre civile, et les électionsprévues pour la fin de l’année necontribuent pas à apaiser les tensions.

La nature des liens politiques quiunissent la France et la Côte d’Ivoireconditionne également les récits média-tiques. En prônant l’assimilationnismedurant la colonisation, le système fran-çais a fait apparaître une élite autoch-tone très restreinte à laquelle appar-tiennent les membres du PDCI etrédacteurs de Fraternité. La plupartd’entre eux cultivent des relationsdirectes avec la métropole au sein delaquelle sont traités les enjeux liés à lacolonie. Dans ce contexte, nul combatpolitique n’émerge en dehors del’arène française. Les contenus concor-dants de Fraternité et d’Abidjan-Matinattestent de ce lien qui unit les intel-lectuels ivoiriens à la France et queles deux parties se montrent soucieusesde maintenir. En 2010, la confiancemutuelle qu’affichaient la France et laCôte d’Ivoire a été fortement ébranlée.Les journaux ivoiriens rappellent quela France n’a pas répondu à la demandede soutien de Laurent Gbagbo en2002, en dépit des accords de coopé-ration scellés une cinquantaine d’annéesplus tôt. Ils avancent différents argu-ments pour expliquer l’attitude de

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l’ancienne métropole. Ce faisant, ilsconvoquent le passé et attribuent unevolonté de domination à la France,camouflée en 1960, mais que la guerrecivile aurait finalement mise au jour.Fraternité-Matin publie cependant plu-sieurs articles qui mentionnent l’«ami-tié » qui lie encore, malgré tout, lesdeux États.

Le contexte médiatique, largementinfluencé par l’évolution politique dupays, ainsi que les logiques internesdes journaux sont deux autres facteursexplicatifs des différentes mises enrécit relatives à l’indépendance. En1960, une seule publication « ivoi-rienne» s’est imposée: Fraternité. L’heb-domadaire est animé par des membresdu PDCI. Ces rédacteurs s’adressentà un lectorat composé de fonctionnaireset d’hommes politiques ivoiriens, éga-lement proches du parti d’Houphouët-Boigny. Ils se montrent dès lors sou-cieux de défendre les intérêts duPDCI et de ses adhérents, qui consistentà maintenir des liens solides avec laFrance. C’est dans cette perspectiveque Fraternité relaye la volonté tardivedes leaders du PDCI d’accéder à l’in-dépendance, leur souhait de maintenirdes liens forts avec Paris ainsi queleurs frustrations qui trouvent leursource, notamment, dans la Commu-nauté rénovée. De son côté, en tantque quotidien détenu par un Françaiset animé par des ressortissants de la

métropole, Abidjan-Matin reflète lepoint de vue de Paris qui affirmecomprendre le désir d’indépendancede la Côte d’Ivoire tout en insistantsur l’indispensable maintien des rela-tions entre les deux États. Les deuxpublications véhiculent dès lors undiscours similaire. Cinquante annéesplus tard et après le bouleversementmédiatique qu’a constitué le printempsde la presse de 1990, Fraternité-Matinprésente les positions proches de cellesdu chef de l’État ivoirien mais nerelaye pas de discours aussi militantsque ceux véhiculés par la presse privée.Ce faisant, il tend à concrétiser lamission initiale qui lui a été attribuée :représenter les intérêts du gouverne-ment et non celle d’un parti. Le tonplus modéré de Fraternité-Matin semanifeste notamment par le recoursaux discours indirects, la multiplicationdes éclairages et la présence d’ununique éditorial présentant les aspectspositifs et négatifs de la colonisation.La France est désignée comme res-ponsable de l’instabilité politiqueactuelle de la Côte d’Ivoire, mais éga-lement comme un partenaire diplo-matique respectable. Le journal étatiqueoffre donc une vision de l’événementplus nuancée que Notre Voie, qui s’ap-parente à un outil de campagne, clai-rement partisan. Le journal «bleu»,créé par des proches du chef de l’État,animé par des partisans du FPI et

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financièrement dépendants d’action-naires politiques, est soucieux de plaireà ses électeurs et multiplie les articlesde commentaires peu favorables àl’ancienne métropole. Le contexteélectoral accentue sa tendance partisane.Dans la perspective des élections àvenir, le quotidien du FPI semble eneffet considérer le discours « antifran-çais » comme porteur.

L’indépendance de la Côte d’Ivoirefonde le récit médiatique des journauxétudiés, en tant que fait d’actualité ouen tant que fait historique. Tant en1960 qu’en 2010, les journaux reflètentune perception subjective de l’évé-nement. Celle-ci est le fruit de l’idéo-logie portée par les publications, elle-même ancrée dans un contexte poli-tique spécifique et fonction de laplace qu’elles occupent dans le paysagemédiatique. En se référant à l’indé-

pendance, les titres analysés dévoilentun des enjeux fondamentaux du jour-nalisme qui consiste à raconter l’histoiredu monde ou, pour le dire autrement,à le mettre en récit66. L’article a démon-tré qu’il est possible, dans une certainemesure, de révéler les strates super-posées d’influences qui aboutissent àl’élaboration des récits médiatiquesrelatifs à l’émancipation politique dela Côte d’Ivoire, tel l’état des relationsdiplomatiques entre la France et laCôte d’Ivoire, la nature des liens poli-tiques qui unissent les deux parties, lastructure du paysage médiatique ivoi-rien et l’objectif éditorial que s’assignentles publications. L’évolution de cesparamètres affecte la transformationdes récits médiatiques et permet d’ex-pliquer l’émergence de types de dis-cours distincts selon les époques et lespublications.

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Notes1 R. Galissot, «Les nouveaux États : Essaide typologie », in C. Coquery-Vidrovitchet A. Forest (dir.), Décolonisation et nouvellesdépendances : Modèles et contre-modèles idéo-logiques et culturels dans le Tiers-Monde, Paris,Presses universitaires de Lille, 1986, p.53. 2Voir M. Lits, «Le récit médiatique: Un oxy-more programmatique?», Recherches en com-munication, 7, 1997, p.37-59. M. Lits, Du récitau récit médiatique, Bruxelles, De Boeck, 2008.

3 A.-J. Tudesq, Journaux et radios en Afriqueaux XIX e et XX e siècles, Paris, Gret, 1998,p. 84.

4 J.-R. de Benoist, «Situation de la pressedans l’Afrique occidentale de langue fran-çaise », Afrique documents (51), mai 1960,p.175.

5 G. Roux, «La presse ivoirienne : miroird’une société», Thèse de doctorat, UniversitéRené Descartes, 1975, p.503.

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6 J.-R. de Benoist, op. cit., p.175.7 En 1960, le tirage d’Abidjan-Matin oscilleentre 8000 et 10 000 exemplaires ; celui deFraternité se situe aux alentours des 6000exemplaires. Les deux autres journaux quicirculent alors à Abidjan sont le mensuelFoyer Nouveau d’Afrique Noire et le mensuelLe journal des Fonctionnaires, Employés et tousles Amis du progrès en Afrique noire. 8 La presse ne s’adresse cependant qu’à uneminorité d’Ivoiriens alphabétisés. NoëlKouassi Ayewa évoque un taux de scolari-sation d’environ 10 % en 1960 (« La scola-risation en Côte d’Ivoire », in Agence uni-versitaire de la francophonie et Universitéde Ouagadougou, Penser la francophonie :Concepts, actions et outils linguistiques, Paris,Archives contemporaines, 2004, p.261.) Parailleurs, aucune publication ne tente detoucher un public en langue vernaculaire,étant donné que la scolarisation se fait uni-quement en français.9 Tant pour la période de 1960 que pourcelle de 2010, l’étude porte sur les articlesrédigés durant les mois de juin, juillet etaoût.10 A. Villard Sanogo, secrétaire général de larédaction de Notre Voie, entretien personnel,Abidjan, 24 novembre 2010.11 A.-J. Tudesq, op. cit., p.104. 12 Cet article se fonde sur une recherchemenée dans le cadre d’une thèse de doctorat :M. Fierens, Le journalisme en Républiquedémocratique du Congo et en Côte d’Ivoire :Émergence et évolution d’une profession, de lacolonisation à nos jours, Université libre deBruxelles, 2014.13 C. Coquery-Vidrovitch, «Les changementssociaux», in C. Coquery-Vidrovitch (dir.),O. Goerg (avec la collaboration de), L’Afrique

occidentale au temps des Français : Colonisateurset colonisés, c. 1860-1960, Paris, La Découverte,1992, p.25.14 A. R. Zolberg, One-Party Government inthe Ivory Coast, Princeton, Princeton Uni-versity Press, 1969, p.104.15 N. Bancel, «La voie étroite : La sélectiondes dirigeants africains lors de la transitionvers la décolonisation », Mouvements(21)-(22), août 2002, p.29 ; R. Ainslie, ThePress in Africa : Communications Past andPresent, London, Victor Gollancz, 1966,p.130. 16Voir F. Cooper, Citizenship between Empireand Nation : Remaking France and FrenchAfrica, 1945-1960, Princeton, PrincetonUniversity Press, 2014.17 Joseph-Roger de Benoist, op. cit., pp. 174-175.18 G.-F. Euvrard, La presse en Afrique occidentalefrançaise : Des origines aux indépendances etconservée à la Bibliothèque nationale, Mémoirede fin d’études, Villeurbanne, École supérieuredes bibliothèques (Enssib), 1982, p.XXVI ;ANJCI (dossier préparé par), «La presse enCôte d’Ivoire », La Gazette de la presse enlangue française, octobre 1973, p.8.19 La rédaction, «Edito : Procès à propos del’indépendance», Fraternité (62), 24/06/1960.20 F. Cooper, Décolonisation et travail enAfrique : L’Afrique britannique et française,Paris, Amsterdam, Karthala, Sephis, 2004,p. 404-409.21 F. Cooper, L’Afrique depuis 1940, Paris,Payot, 2008, p.63-78.22 N. Bancel, op. cit., p.33.23 La Communauté rénovée, instaurée parune loi du 4 juin 1960 qui modifie laConstitution, offre ce que la Communauté

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refusait : le droit de devenir indépendant ausein de la Communauté. Certains Étatsfidèles à l’idée fédérale ont alors le sentimentd’avoir été dupés. F. Borella, «L’évolutionde la Communauté en 1960 : De la Com-munauté constitutionnelle à la Communautéconventionnelle », Annuaire français de droitinternational, 6, 1960, p.926 et 938.24 «Les 4 États de l’Entente demandentl’indépendance sans accord préalable », Fra-ternité (60), 10/06/1960.25 «Nous refusons de négocier avec laFrance avant notre accession à l’indépen-dance, déclare aux sénateurs le présidentHouphouët-Boigny », Fraternité (60),10/06/1960.26 La rédaction, «Édito : Procès à propos del’indépendance», Fraternité (62), 24/06/1960.27 A. Bocoum, «Éditorial : Une grande Espé-rance», Fraternité (59), 3/06/1960.28 « ‘Nous poursuivons notre politique d’éco-nomie libérale’déclare M. Raphaël Saller àla Chambre de Commerce», Fraternité (61),17/06/1960.29 Propos d’Houphouët-Boigny.AFP, «Décla-ration du premier ministre », Abidjan-Matin(2701), 15/07/1960.30 AFP, «Devant la presse parisienne, le Pré-sident HOUPHOUET-BOIGNY a expli-qué la demande des États de l’Entente augénéral de Gaulle et indique le processus(irrévocable) qu’ils désirent suivre : 1-Indé-pendance - 2 - Entrée à l’O.N.U. - 3 -Négociations d’accords avec la France. »,Abidjan-Matin (2669), 7/06/1960.31 AFP, «MM. Debré et Houphouët-Boignyont signé hier les accords consacrant l’in-dépendance de la Côte d’Ivoire », Abidjan-Matin (2699), 12/07/1960.32 Une association d’États africains initiée

en 1959 qui regroupe la Côte d’Ivoire etles «États-frères» : Niger, Dahomey et Haute-Volta.33 «L’opinion des “milieux autorisés” métro-politains», Abidjan-Matin (2699), 7/06/1960.34 AFP, «MM. Debré et Houphouët-Boignyont signé hier les accords consacrant l’in-dépendance de la Côte d’Ivoire », Abidjan-Matin (2699), 12/07/1960.35 M. Le Pape et C. Vidal (dir.), Côte d’Ivoire :l’année terrible, 1999-2000, Paris, Karthala,2002.36 À l’issue du second tour du 28 novembre2010, Alassane Ouattara est proclamé pré-sident de la République. Mais LaurentGbagbo conteste cette victoire. Après plu-sieurs mois de guerre civile, ce dernier estfinalement arrêté le 11 avril 2011. L’inves-titure d’Alassane Ouattara a lieu le 21 mai2011.37 En 1964, le gouvernement ivoirien aracheté Abidjan-Matin à de Breteuil et en afait son organe officiel. Il le renomme Fra-ternité-Matin. Rosalynde Ainslie, The Pressin Africa, op. cit., p.136.38 D. Bailly, La réinstauration du multipartismeen Côte d’Ivoire ou la double mort d’Hou-phouët-Boigny, Paris, 1995, p.179-180. 39 A.-J. Tudesq, Feuilles d’Afrique : Étude dela presse de l’Afrique subsaharienne, Talence,MSHA, 1995, p.147.40 S. Smith et A. Glaser, Comment la France aperdu l’Afrique, Paris, Hachette, 2006, p.13.41 À la mi-février, elle atteint son effectifmaximum d’environ 3000 soldats. 42 C. Gramizzi, «La crise ivoirienne : De latentative du coup d’État à la nominationdu gouvernement de réconciliation natio-nale », Rapport du Grip, février 2003, p.23.

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« IL ÉTAIT UNE FOIS L’INDÉPENDANCE DE LA CÔTE D’IVOIRE…!» RÉCITS MÉDIATIQUES D’HIER ET D’AUJOURD’HUI

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43 L. D’Ersu, «La crise ivoirienne, uneintrigue franco-française », Politique africaine(105), mars 2007, p.90.44 C. Gramizzi, op. cit., p.23.45 R. Marshall, «La France en Côte d’Ivoire :L’interventionnisme à l’épreuve des faits »,Politique africaine (98), juin 2005, p.34.46 International Crisis Group, Africa Report,n°72, «Côte d’Ivoire : “The War is not yetover” », Freetown/Brussels, 28/11/2003.47 R. Marshall, op. cit., p.26.48 S. Smith et A. Glaser, op. cit., p.14.49 International Grisis Group, Rapport Afrique,n°90, «Côte d’Ivoire : Le pire est peut-êtreà venir », 24/03/2005.50 J.-M. Châtaignier, «Principes et réalitésde la politique africaine de la France »,Afrique contemporaine 220 (4), février 2007,p. 254. L. D’Ersu, op. cit., p.99.51 Reporters sans frontières, Chronique d’unhold-up sur les médias d’État, www.rsf.org,consulté le 30 novembre 2015.52 Reporters sans frontières, Intoxication, libreantenne, incitation à l’émeute : la dérive pro-pagandiste des médias d’État à Abidjan,www.rsf.org, consulté le 30/11/2015.53 Human Rights Watch, Côte d’Ivoire : Unpays au bord du gouffre. La précarité des droitshumains et de la protection civile en Côted’Ivoire, vol. 17, n° 6, mai 2005, p.37.54T. Perret, Le temps des journalistes : L’inventionde la presse en Afrique francophone, Paris, Kar-thala, 2005, p.165.55 C. N’Dri, «“Je ne veux plus que l’Afriquesoit le ventre mou du monde” », Fraternité-Matin (13724), 6-7-8/08/2010.56 A. Doualy, «Gbagbo: des projets ambitieux

pour les diplomates contrariés par la crise »,Fraternité-Matin (13728), 12/08/2010.57 F. Yéo, «Cinquantenaire de l’indépendance:La Côte d’Ivoire au défilé du 14 juillet surles champs Élysée», Fraternité-Matin (13702),12/07/2010.58 C. Yao (propos recueillis par), «La souve-raineté de la Côte d’Ivoire a été respectée»,Fraternité-Matin (13705), 15/07/2010.59 A. Kraidy (interview réalisée par), «Nousne pouvons pas accepter que ce soit l’an-cienne puissance coloniale qui organisenotre fête », Fraternité-Matin (13700),9/07/2010.60 R. Coulibaly, «Cinquantenaire : GeorgesT. Benson tire les leçons de la célébration»,Fraternité-Matin (13733), 17/08/2010.61 A. Doualy, « Indépendance ou In-dépen-dance ? », Fraternité-Matin (13724), 6-7-8/08/2010.62 R. Krassault, «Laurent Gbagbo au colloquede Yamoussoukro : “Si je suis élu présidentde la République, je vais développer notrearmée” », Notre Voie (3650), 6-7-8/08/2010.63 J. Dekassan (propos recueillis par), «“lerôle hégémonique de la France a quelquepeu disparu” », Notre Voie (3653), 11/08/2010.64 M. Abougnan, «Parce qu’il est une fêtebiblique : Notre cinquantenaire est le tempsde la nouvelle Côte d’Ivoire », Notre Voie(3647), 3/08/2010.65 G. Kouamé, « Cinquantenaire : Côted’Ivoire la belle », Notre Voie (3668), 28-29/08/2010.66 M. Lits, «Le récit journalistique en sonmiroir », in B. Fleury-Vilatte (dir.), Récitmédiatique et histoire, Paris, L’Harmattan,2003, p.73.

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