approches historiques comparées de la précarité (france/angleterre), 2014

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1 Colloque international Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers (CECOJI et IDP) & University of Cambridge Approches franco-britanniques de la précarité : principe(s) – droit(s) – pratique(s) Franco-British Perspectives on Precariousness : Principle(s) - Law(s) - Practice(s) 4 et 5 décembre 2014 Salle de conférences MSHS - Bâtiment A5 5, rue Théodore LEFEBVRE 86000 POITIERS Introduction : Approches historiques comparées de la précarité (France/Angleterre) Michel BOUDOT ERDP (EA, 1230) Equipe de recherche en droit privé Université de Poitiers Susan FINDING MIMMOC (EA 3812) Mémoires, Identités, Marginalités dans le Monde Occidental Contemporain Université de Poitiers Le but de nos interventions était de déterminer les usages linguistiques des termes “précaire”, “précarité”, “précairement” en France, “precarious”, “precariousness”, “precarity” au Royaume – Uni. Dans la première partie de cette communication, nous nous intéresserons à l’évolution historique du précaire à la précarité en droit français, quand dans une seconde partie, nous montrerons que le couple precariousness / precarity s’est chargé d’une dimension politique, de moins en moins technique, par laquelle l’usage du terme n’est pas seulement qualificatif d’une situation donnée, mais prescriptif des moyens pour y remédier au risque de confondre analyse scientifique et diatribe politique. Il est remarquable de constater que dans nos deux langues, la précarité / precariouness (et vérification faite, il en va aussi de la precarietà italienne) ont connu des trajectoires très semblables, et ce que nous pouvons dire d’une langue vaut très largement pour l’autre depuis le droit romain.

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Colloque international Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers (CECOJI et IDP)

& University of Cambridge

Approches franco-britanniques de la précarité :

principe(s) – droit(s) – pratique(s)

Franco-British Perspectives on Precariousness :

Principle(s) - Law(s) - Practice(s)

4 et 5 décembre 2014 Salle de conférences MSHS - Bâtiment A5

5, rue Théodore LEFEBVRE 86000 POITIERS

Introduction : Approches historiques comparées de la précarité (France/Angleterre)

Michel BOUDOT

ERDP (EA, 1230) Equipe de recherche en droit privé

Université de Poitiers

Susan FINDING MIMMOC (EA 3812)

Mémoires, Identités, Marginalités dans le Monde Occidental Contemporain Université de Poitiers

Le but de nos interventions était de déterminer les usages linguistiques des termes “précaire”,

“précarité”, “précairement” en France, “precarious”, “precariousness”, “precarity” au Royaume – Uni.

Dans la première partie de cette communication, nous nous intéresserons à l’évolution historique

du précaire à la précarité en droit français, quand dans une seconde partie, nous montrerons que le

couple precariousness / precarity s’est chargé d’une dimension politique, de moins en moins

technique, par laquelle l’usage du terme n’est pas seulement qualificatif d’une situation donnée, mais

prescriptif des moyens pour y remédier au risque de confondre analyse scientifique et diatribe

politique. Il est remarquable de constater que dans nos deux langues, la précarité / precariouness (et

vérification faite, il en va aussi de la precarietà italienne) ont connu des trajectoires très semblables, et

ce que nous pouvons dire d’une langue vaut très largement pour l’autre depuis le droit romain.

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1) Les usages de la « précarité » en français

Par Michel BOUDOT

L’approche historico-comparatiste que nous avons choisie, montre des glissements successifs de

sens : du precarium romain à la precaria médiévale, de la situation du détenteur précaire aux contrats

précaires, de la précarité contractuelle à la précarité de l’emploi, où la précarité devient synonyme

d’instabilité ou d’insécurité juridique, où par euphémisme, elle substitue la pauvreté ou la misère

sociale1, où la précarité convoque la charité par un pur effet d’homophonie assis sur une erreur

étymologique. Dans nos deux langues, le registre de ces glissements est à l’origine strictement

juridique : « précaire » comme substantif puis comme adverbe (-ment) et adjectif, est un terme investi

d’une forte détermination technique ; l’expansion de son domaine à la langue non technique est tardive

en français comme en anglais.

§ 1. Prĕcārĭum : le précaire

L’histoire du precarium romain est longue, faite de glissements sémantiques et de constructions

rétrodictives ; il a survécu à des époques qui en ont perdu le sens original, et fait encore l’objet de

recherches importantes, en particulier par les romanistes italiens, parce qu’il constitue aujourd’hui un

enjeu politique important relatif à l’usage des propriétés collectives2. La recherche sur les sources

romaines a montré au 20e siècle que le precarium est une institution particulièrement difficile à

déchiffrer aussi bien à l’époque classique que par la suite, et les choses ne vont pas aller en

s’arrangeant. La doctrine romaniste identifie dès l’origine plusieurs sens3, mais nous nous

contenterons de la définition la plus souvent retenue, laquelle provient de l’étymologie precor, precari

(pregare, prier) 4

et conduit à qualifier de précaire = precarium (substantif) ce que l’on a obtenu par

prière5. L’hypothèse dominante sur l’origine de l’institution est celle selon laquelle la prière serait

adressée par un cliens à un patricien pour la concession d’un fonds de terre (ou d’une chose mobilière

jusqu’au 3e siècle av. JC

6) et pourrait s’analyser en un rapport quasi-féodal de vassalité. Le precarium

constituait une concession faite au précariste, gratuite et révocable discrétionnairement par le

concédant, sans qu’entre eux n’existât aucun rapport obligatoire (obligations). En toutes hypothèses, le

concédant pouvait obtenir l’expulsion du précariste. Et de son côté, le précariste était reconnu comme

possesseur de la chose ; il bénéficiait ainsi de la protection possessoire (ou interdictale) à l’égard des

tiers7, sans pouvoir usucaper la chose à l’égard du concédant. Pour ces raisons, n’étant qu’une

situation de fait, le precarium n’était pas assimilé au commodatum, contrat de prêt à usage lequel ne

donne à l’emprunteur que la détention simple de la chose et non la possession interdictale8.

L’important ici est de retenir que, au sens romain, le précaire est antinomique du contrat lequel crée

des obligations personnelles9 : l’action en restitution de la chose contre le précariste était une action

réelle et non une action personnelle. Le precarium va ensuite muter avec les évolutions du dominium

1 Patrick CINGOLANI, La précarité, Que Sais-Je ?, 3e éd., 2011. 2 Maria Rosaria MARELLA, Oltre il pubblico e il privato. Per un diritto dei beni comuni, ombre corte, Verona, 2012 ; Fabrizio MARINELLI,

Gli usi civici, in Trattato di diritto civile e comerciale, Giuffrè, 2e éd., 2013. 3 Paola BIAVASCHI, Ricerche sul precarium, Giuffrè, 2006 ; « Profili antidogmatici del diritto romano : in fundo morari, precarium di

habitatio e gratuita habitatio », INDEX. Quaderni camerti di studi romanistici, 36(2008), pp. 247 et sq. 4 La littérature philologique sur le verbe precor, precari est abondante ; Emile BENVENISTE, Le vocabulaire des institutions indo-

européennes, 1969, tome 2, pp.153-161. 5 Désignera également le lieu de la prière, oratoire, chapelle (usage attesté post. Auguste), Freund, Grand dictionnaire de la langue latine,

tome 2, 1857. 6 Alberto BURDESE, v° Possesso (dir. rom.), Enciclopedia del diritto, XXXIV, Giuffrè, 1985. 7 v° Precario, Digesto italiano delle discipline privatistiche, UTET. 8 Reinhard ZIMMERMANN, The laws of obligations, Roman foundations of the civilian tradition, Clarendon, 1996, p.190. 9 Le droit romain connait un système de contrats typiques, le precarium n’en est pas.

3

et de la possession10

d’un côté et l’assouplissement du régime contractuel de l’autre. Pour mémoire, les

textes des auteurs latins vont être compilés au VIème

siècle sur l’ordre de l’Empereur Justinien, sous la

houlette de Tribonien. Ces compilations formeront en orient le corpus iuris qui fera l’objet des gloses

et post-gloses médiévales en occident. Mais déjà au VIIe siècle, le précaire est analysé par Isidore de

Séville comme une situation où le créancier d’une obligation de restitution, qu’elle soit contractuelle

ou non, laisse au débiteur de loisir d’utiliser la chose11

: l’idée a fait son chemin 1. que le commodant

(préteur) peut permettre au commodataire (emprunteur) de continuer d’utiliser la chose précairement

alors que le prêt est éteint ; 2. que le déposant ou le constituant d’un gage peuvent permettre au

dépositaire ou au gagiste d’utiliser la chose précairement alors que le dépôt et le gage ne les y

autorisent pas ; 3. que le l’acquéreur d’un bien peut permettre au vendeur d’utiliser la chose

précairement tant que la livraison n’en a pas été faite, ou tant qu’il ne l’a pas retirée.

§ 2. Precārius Imperium

Par ailleurs, la langue juridique latine atteste d’un usage plurivoque de l’adjectif precārius12

pour

signifier « à force de prières », puis « par complaisance » quand la chose est donnée, mais

réciproquement par effet de miroir « que l’on peut réclamer, récupérer, reprendre comme un dû ». Par

extension, le pouvoir des édiles comme l’autorité de César sont précaires, le precarius imperium est

éphémère et instable13

. Et de son côté, l’adverbe precāriō signifie « à titre précaire »,

métaphoriquement « qu’on ne doit qu’à la prière », « temporairement », « de façon passagère », mais

également « avec instance », « de manière pressante ».

§ 3. Precaria : La précaire

A partir des IIIème

et IVème

siècles ap. JC, la diffusion des idéologies chrétiennes anti-esclavagistes

conduit les propriétaires terriens, à conclure de véritables contrats agraires avec ceux qui exploitent

leurs terres : cela explique que dès la période franque, le precarium est utilisé pour signifier l’existence

d’un contrat par lequel un puissant « potens » confie à un humble « humilis » un bien moyennant le

paiement d’une faible redevance « census ». Cette tenure qui ne donne au tenancier aucun droit réel est

révocable à tout moment sur décision du potens : la mise à disposition du bien n’est toutefois plus

gratuite, même si son canon est peu important, et elle sera utilisée par l’Eglise pour mettre en valeur

ses terres14

. Son nom se féminise et devient precaria15

. En réalité, plusieurs variétés de precaria

(precaria oblata16

, precaria sub verbo Regis17

) apparaissent qui transfigurent l’institution en lui

donnant un caractère viager (sans possibilité de transmission héréditaire), mais sans toujours conserver

sa révocabilité discrétionnaire, car la révocabilité ad nutum qui était la conséquence du caractère non

10 Sur les évolutions de la propriété en droit romain, voir Letizia VACCA, « La proprietà e le proprietà nell’esperienza giuridica romana »,

Actes de journées Poitiers – Roma TRE, Les propriétés, Le proprietà, 13 et 14 juin 2014, Jovene, Napoli, 2015, pp.1-16. 11 Paola BIAVASCHI, « Il lemma precarium (etym 5.25.17) tra classicismo e volgarismo: un esempio del metodo pedagogico isidoriano? in

Ravenna Capitale. Uno sguardo ad Occidente. Actes du colloque Ravenna 2011, publié par Maggioli editore, 2012, pp.277 et sq. 12 Ne commence à être d’un usage fréquent qu’à partir de la période d’Auguste ; Freund, Grand dictionnaire de la langue latine, tome 2,

1857. 13 Paul VEYNE, « Qu’est-ce qu’un Empereur romain ? », in L’empire gréco-romain, Seuil, 2005, p.15 et sq. 14Jacques ELLUL, Histoire des institutions, tome 2, PUF, 1964, p. 65 et sq. ; Emile LESNE, Histoire des propriétés ecclésiastiques, tome 1er,

1910, chapitre XXVI, Les précaires ecclésiastiques, p.314 et sq. 15 LEVY et CASTALDO, Histoire du droit civil, 1re éd., Dalloz, 2002, n.286, p.376. 16 Par laquelle le propriétaire offre la propriété pour ne plus avoir que l’usufruit de la chose. Selon BOUTARIC, Des origines et de

l’établissement du régime féodal, 1875, p. 10 « On vit au VIIIe siècle une foule de propriétaires succombant sous le poids des charges

publiques, et notamment du service militaire, abandonner leur propriété et la recevoir en usufruit sous forme de précaire ». 17 Une précision doit être faite sur la precaria sub verbo Regis. Au VIIIème, pour lutter contre les Arabes, Charles Martel leva une cavalerie

qu’il récompensa en lui donnant des terres confisquées à l’Eglise. Face à cette spoliation, qui s’inscrit par ailleurs dans un mouvement

général de sécularisation des modes d’exploitation de la propriété ecclésiastique, le synode de Lestinnes de 743 imposa la qualification de

precaria à la détention des biens accordés à des soldats redevables au Roi d’un service militaire, mais reconnaissant ainsi la propriété

théorique de l’Eglise sur des biens dont elle avait perdu la jouissance.

4

contractuel de l’institution s’accordera mal avec les besoins de pratiquer des tenures de longues durées

de la société médiévale. La precaria finira par se confondre avec d’autres concessions féodales comme

l’usufruit et l’emphytéose. Elle disparaitra ensuite mais avec elle, le précaire est devenu contractuel,

confère des droits (même si ce ne sont pas des droits réels) au précariste et a perdu son caractère

essentiellement gratuit. Pour ainsi dire precarium et precaria n’ont plus rien à voir l’un avec l’autre, et

ce qui va passer dans la littérature juridique rinascimentale sera pour moins flou, toutefois le précaire

reste un substantif technique et sa dimension technique juridique n’a pas d’équivalent métaphorique

dans la langue courante18

.

§ 4. Retour au masculin en français : le précaire

Dans la littérature juridique du 17e siècle, et depuis le moyen-âge, le précaire est un contrat, qui ne

transfert pas la propriété de la chose, ni aucun autre droit réel, qui est en principe révocable par le

concédant, qui s’éteint à défaut de révocation à la mort du précariste, et par lequel le précariste

possède pour le compte du concédant : c’est donc un contrat de la famille du prêt à usage quand il est

gratuit ; ou du bail quand il est stipulé à titre onéreux. D’une certaine manière, le précaire identifie une

situation contractuelle typique ou anomale qui rejoint des figures connues par ailleurs : pour Domat,

les utilités techniques du substantif se sont estompées, mais l’usage métaphorique demeure, l’adverbe

précairement qualifie une possession imparfaite, ou pour le compte d’autrui19

. « Le précaire est la

même espèce de convention que le prêt à usage, avec cette différence, qu’on y met dans le droit

Romain, qu’au lieu que le prêt à usage est pour un temps proportionné au besoin de celuy qui

emprunte, ou même pour un certain temps réglé par la convention ; le précaire est indéfini, & ne dure

qu’autant qu’il plaît à celuy qui prête […] Cette distinction entre le prêt à usage & le précaire est peu

de nôtre usage : & nous ne nous servons presque point de ce mot de précaire, que pour les immeubles,

comme dans une vente ou autre aliénation , lorsque celuy qui aliène un fonds, reconnoît que s’il

demeure encore en possession, ce ne sera que précairement. Ce qu’on exprime ainsi, pour marquer

qu’il ne possédera plus ce fonds, que par la tolérance de l’acquéreur , & comme possède celuy qui a

emprunté »20

. Autre usage du terme technique, le constitut de précaire est « ce qui arrive lorsque, par

ex. un Donateur abandonne la propriété de ses biens à un autre, & déclare qu'il ne veut jouir de

l’usufruit qu'il s'est réservé, que par un constitut de précaire ; c'est-à-dire, par souffrance & comme par

emprunt21

».

Comme son prédécesseur auvergnat un siècle plus tôt, Pothier en 1765 traite du précaire comme un

appendice du contrat de prêt à usage22

: C’est « une convention par laquelle, à votre prière, je vous

donne une chose pour vous en servir tant que je voudrai bien le permettre, et à la charge de me la

rendre à ma réquisition (…) Cette convention n’en est pas moins un vrai contrat de prêt à usage, qu’on

appelle commodatum ». Dans la littérature juridique de la fin du 18e siècle, le précaire assimilé à une

espèce révocable de commodat, a perdu sa spécificité. Conséquence, l’affaiblissement généralisé de

l’usage juridique du précaire a autorisé dès le 17e siècle l’exportation du terme dans d’autres domaines

du savoir. Une opinion scientifique ou philosophique est précaire lorsque sa démonstration s’appuie

18 Néanmoins, hypothèse à creuser, le précaire semble passer dans la langue politique et celle que l’on pourrait qualifier de constitutionnelle

dans les Six livres de la république de Jean Bodin en 1579, pour qui certaines formes de l’exercice du pouvoir politique sont « en forme de

précaire », Livre III, p.378 (à prendre avec des pincettes). 19 Antoine FURETIERE, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes & les termes des

sciences et des arts,.... Tome 1, 2e éd., 1701, v° Jouissance (par précaire, i.e. au nom d’autrui). 20 Jean DOMAT, Les loix civiles dans leur ordre naturel, Liv. I, Tit. V, sect I, 2. 21 Antoine FURETIERE, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes & les termes des

sciences et des arts,.... Tome 1, 2e éd., 1701, v° Constitut ; v° Jouissance. 22 R.J. POTHIER, Œuvres, tome 5, Traité du prêt à usage (et du précaire), 1765, éd. Bugnet, 1861, chapitre IV « Du précaire, et de quelques

autres prêts différents du prêt à usage ».

5

sur des règles incertaines23

ou lorsqu’elle est sans fondement24

, la vie d’un montagnard est précaire, le

commerce dans des contrées éloignées peut être un négoce précaire25

, mais ce qui apparaît dominant

dans la littérature des 17e et 18

e siècles hors du champ strictement technique, c’est l’utilisation de

l’adjectif précaire, reprenant l’usage latin du precarius imperium, pour qualifier la situation d’exercice

du pouvoir du Roi ou de l’Empereur26

, lesquels tiennent précairement leur pouvoir du Pape27

, puis

comme conséquence du déplacement de la conception du pouvoir du chef qui incarne, au chef qui

représente. Cette séquence concomitante de l’invention de la personnalité morale conduit à admettre

que si le chef représente, il peut être révoqué ou se révoquer lui-même28

.

§ 5. Savigny et la possession précaire29

Au début du 19e siècle, la construction d’une doctrine juridique savante en Europe est passée par un

mouvement philologique30

qui s’est attaché à rechercher les sources romaines véritables ensevelies

sous les compilations justiniennes et des siècles de gloses, de commentaires et d’interpolations. Sous

les palimpsestes, la doctrine pandectiste portée en Allemagne par Savigny et ses disciplines, va

promouvoir en Europe la méthode historique et la réécriture du droit romain à partir des découvertes

de l’archéologie bibliographique. Le precarium sera l’un des premiers objets sur lequel Savigny lui-

même va travailler dès 1803 dans son Traité de la possession, dans lequel il va distinguer la

possession de la détention précaire où « précaire » est adjectivé. Savigny restitue au precarium romain

son caractère non obligatoire et non contractuel ; il utilise une figure tripartite pour l’expliquer : le

précariste est celui qui détient concrètement la chose ; le possesseur est celui qui possède la chose et

l’a remise par libéralité dans les mains du détenteur précaire ; si le possesseur n’est pas le propriétaire,

seul ce dernier peut exercer l’action en revendication. Pour Savigny, la détention est qualifiée de

précaire parce que cette détention ne peut permettre au précariste d’usucaper (acquérir par possession

prolongée) la chose, sa possession n’est pas utile, i.e. elle est viciée par le vice de précarité. Cela

signifie que la détention précaire est une détention pour le compte d’autrui31

.

Mais si la mise au point savignycienne a été entendue et comprise par les romanistes pour l’explication

de l’institution stricto sensu32

, elle n’a pas empêché que se poursuive le glissement sémantique des

siècles précédents en droit positif, glissement qui autorise l’association des contrats à l’adjectif

précaire. Outre que le précaire (substantif) est désormais une forme du prêt à usage – commodat

depuis Domat et Pothier33

, la littérature juridique française forge au 19e siècle l’idée d’un bail précaire,

23 Jean DESCHAMPS, Cours abrégé de philosophie Wolffienne, 1743, p.83. 24 Recueil de diverses pièces sur la philosophie, la religion naturelle, l'histoire, les mathématiques, etc., Tome 1 /, par Messieurs Leibniz,

Clarke, Newton et autres auteurs célèbres, n.120. 25 Jacques SAVARY DES BRUSLONS, Dictionnaire universel de commerce, contenant tout ce qui concerne le commerce qui se fait dans les

quatre parties du monde, 1732, v° Commerce. 26 Nombreuses occurrences sur gallica.bnf.fr pour le XVIIIème siècle : BERTHELOT DU FERRIER, Traité de la connoissance des droits et des

domaines du Roy, et de ceux des seigneurs particuliers qui relèvent médiatement ou immédiatement de Sa Majesté, 1719, p.5. 27 William BARCLAY, Traité de la puissance du pape. Sçavoir s'il a quelque droict, empire ou domination sur les rois & princes séculiers,

trad. fr. 1611. 28 KANTOROWICZ, Les deux corps du Roi (1957), Gallimard, 1989. 29 Michel BOUDOT, « Les civilistes français face à l'œuvre de Savigny », Annuaire Michel Villey, 2009/1, Dalloz 2010, p.39 et sq. 30 Commencé dès le 16e siècle avec François HOTMAN, Antitribonian, ou, Discours d'un grand et renommé iurisconsulte de nostre temps

sur l'estude des loix, 1603. 31 Voir l’actuel l’art. 2266 issu de la loi du 17 juin 2008. « Ceux qui possèdent pour autrui ne prescrivent jamais par quelque laps de temps

que ce soit. Ainsi, le locataire, le dépositaire, l'usufruitier et tous autres qui détiennent précairement le bien ou le droit du propriétaire ne

peuvent le prescrire ». 32 SAVIGNY, Traité de la possession en droit romain, 1803 [Das recht des Besitzes], 7e éd. 1865, par Rudorff, trad. fr. 1866 ; Louis SELOSSE,

Essai sur la possession précaire, 1874 ; E.-J. MENAUT, Du précaire en droit romain, 1879 ; Maurice DESLANDRES, Le précaire, ses origines,

sa théorie, ses principales applications en droit romain classique, 1891 ; Paul Frédéric GIRARD, Manuel élémentaire de droit romain, 8e éd.,

1929, réimpr. Dalloz, 2003, pp.190-191, p.303. 33 POTHIER, Œuvres, Traité du prêt à usage, précité.

6

des conventions d’occupation précaire sur le domaine public34

, du louage d’ouvrage précaire, du dépôt

précaire, et grâce à la métaphore par laquelle précaire signifie que la situation juridique ne confère

aucune perspective d’acquérir un droit réel sur la chose, le locataire, le dépositaire, le créancier gagiste

sont qualifiés de détenteur précaire alors pour autant que leur détention n’est pas révocable puisqu’ils

détiennent à raison d’un contrat.

Résumons : au moment de l’invention du terme précarité attesté en 182335

, l’adjectif précaire

signifie dans un sens juridique technique : 1. Révocable discrétionnairement, 2. Qui ne confère pas de

droit réel, 3. Non pérenne, 4. Pour le compte d’autrui ; hors du champ de la technique juridique, 1.

Révocable (par extension, à quoi il peut être mis fin plus ou moins facilement), 2. Incertain, non sûr, 3.

Sans fondement, 4. Instable. Rien qui de près ou de loin puisse associer la précarité et la pauvreté.

§ 6. Emergence et développements tous azimuts de la précarité

Avant tout, le substantif précarité émerge au 19e siècle pour signifier le caractère précaire de la

détention qui empêche la possession utile par le vice de précarité : dans cette veine, se développeront

les conventions d’occupation précaire du domaine public dont l’imprescriptibilité s’affirme par la

précarité de la possession. Mais dans le même temps et à partir de cette époque, la précarité se charge

d’une connotation négative qui n’existait pas jusque-là puisque l’analyse du précaire en faisait un

contrat ou acte de bienfaisance.

En effet la précarité des droits est jugée inopportune et dénoncée pour permettre aux

locataires, fermiers, et exploitants d’activités quelconques (mines, usine ou autres) de bénéficier de

meilleures perspectives d’avenir : la révolution industrielle crée des nécessités de prévoir, des

nécessités de compter sur des règles claires pour faire des investissements rentables. Au cours du 20e

siècle, seront adoptées des législations qui pérennisent les droits des exploitants ou des propriétaires-

indivisaires36

.

Parallèlement, la précarité et le provisoire se rejoignent : les deux adjectifs précaire et

provisoire sont d’usage techniquement proche. Provisoire signifie « par provision », laquelle

provision a un caractère « restituable », mais dans la langue courante, ils se sont amalgamés dans un

faux-sens de « temporaire », ce qui n’est coïncident ni avec le sens technique de l’un « révocable », ni

avec celui de l’autre « par provision ».

De là, la précarité n’est plus seulement caractérisée par la libre révocabilité des droits, mais

par l’absence de pérennité, ce qui est très différent. Cela conduit à admettre que celui qui n’a pas droit

au renouvellement de son contrat ou de sa situation juridique, est dans une situation précaire37

: ainsi le

locataire qui arrive en fin de bail, le salarié d’un contrat à durée déterminée38

, et partant tous les

contractants qui sont soumis à la volonté de leur partenaire économique de ne pas continuer la relation.

Mais il faut pointer du doigt le paradoxe qui vaut pour tous les contrats à terme : la situation

juridique du travailleur en CDD n’est pas précaire d’un point de vue technique, elle l’est en tout cas

beaucoup moins que celle du travailleur en CDI, et surtout beaucoup moins que celle du dirigeant de

société nommé par les associés. En cas de rupture anticipée du contrat de travail, le premier aura droit

à l’intégralité des salaires qu’il aurait dû percevoir, quand le second peut toujours être licencié et

34 A. FAURE, Du Précaire en droit romain. Des Concessions administratives sur les dépendances du domaine public en droit français, Thèse

1876. 35 Robert historique, v° précaire. 36 Gaël CHANTEPIE, « La précarité des relations commerciales », Revue Contrats, concurrence, consommation 11/2012, p.7. 37 Denis MAZEAUD, « Durées et ruptures », Revue des contrats 2004 p. 146 ; dans la fonction publique « contractuel ne rime effectivement

pas toujours avec précarité », voy. Hélène PAULIAT, « Contrat vs Précarité : une nouvelle approche dans la fonction publique ? », JCP A

(Juris-Classeur Périodique, édition Administration et collectivités territoriales), 2014, act. 740 : 38 Article L1243-8 du Code du travail : Lorsque, à l'issue d'un contrat de travail à durée déterminée, les relations contractuelles de travail ne

se poursuivent pas par un contrat à durée indéterminée, le salarié a droit, à titre de complément de salaire, à une indemnité de fin de contrat

destinée à compenser la précarité de sa situation.

7

parfois sans indemnité ; le troisième n’a droit à rien (en principe). A rebours, la situation économique

générale du même travailleur en CDD est regardée comme une situation de faiblesse face à la

puissance de son employeur, qui peut décider de ne pas le remployer à l’issue du contrat ; le salarié en

CDI est vu comme privilégié en cas de difficultés économiques de l’entreprise ; quant au dirigeant, il

n’a pas à se plaindre puisqu’il est en mesure de négocier des appointements conséquents pour faire

face à la disette.

Le paradoxe est donc que la précarité de l’emploi39

se réalise au moyen de contrats de travail

CDD qui ne sont pas techniquement précaires, au contraire, ce sont sans doute dans notre ordre

juridique ceux qui le sont le moins. Il en ressort aujourd’hui que la situation d’imprévisibilité,

d’incertitude et de faiblesse économique caractérise la précarité, et par extension, toutes les situations

de pauvreté, de faiblesse et d’incertitude. Est dans la précarité celui qui est à la merci de l’autre ou à la

merci des aléas de la vie s’il est de santé précaire, si son logement est précaire, si sa situation familiale

est précaire, si son patrimoine est précaire.

Ce paradoxe s’explique par le fait que la précarité est devenue une contenant rhétorique

d’usage amphibologique ; comme la sécurité est un slogan, la précarité sert un discours prescriptif

parce qu’ « il faut lutter contre la précarité ».

§ 7. La lutte contre la précarité.

Qui est pour la pauvreté ? Qui est pour l’instabilité et l’insécurité ? Personne. Qui est pour la

précarité ? Personne. La précarité énergétique40

, la précarité d’une autorisation administrative, la

précarité sociale, la précarité du logement, la précarité familiale, la précarité des institutions, la

précarité des moyens, la précarité des personnes vulnérables… sont des contenants pour une

rhétorique de crise dont le contenu est mal identifié, au risque même d’être contradictoire.

Par exemple, un même auteur peut constater la précarité de l’institution du PACS (pour son

caractère révocable unilatéralement) et affirmer que la désunion fait tomber le partenaire délaissé dans

une situation précaire d’incertitude et de pauvreté41

. Le même auteur opposera aussi la précarité du

couple à « la permanence de la parenté ». Mais comment peut-on tomber dans la précarité si lorsqu’on

y est déjà ? Comment admettre que des mères célibataires soient en situation précaire, alors que leurs

enfants ne le seraient pas ?

Le slogan précaritaire fonctionne comme le slogan sécuritaire42

: il dénonce la précarisation

mais ne s’embarrasse pas des précautions qui devraient nous amener à faire les distinctions

conceptuelles élémentaires. L’amalgame joue à plein et le discours précaritaire perd sa consistance

explicative pour n'être que prescriptif43

. Le même mouvement est observé en langue anglaise.

2) Precariousness and precarity in English “a word for our time44

”?

By Susan FINDING

§ 1 Etymology

39 Le Monde, « Les précaires en première ligne », Le Monde.fr | 27.11.2014 : http://www.lemonde.fr/emploi/article/2014/11/27/les-

precaires-restent-aux-premieres-loges-du-chomage_4529871_1698637.html 40 Pierre SABLIERE, Droit de l’énergie, Dalloz Action, 2014/2015 ; Chapitre 116, Lutte contre la précarité énergétique, p. 124 ; S. BERTRAND,

« La précarité énergétique, un obstacle à la rénovation thermique des immeubles en copropriété ? », Revue Loyers et copropriété, 2011.

Alerte 29. 41 Gaelle RUFFIEUX, Les sanctions des obligations familiales, Nouv. Bibl. Thèses Dalloz, 2014, p.45. 42 Michel BOUDOT, « Le slogan sécuritaire », Rapport final pour le Xe congrès de l’Association Internationale de Méthodologie Juridique, La

sécurité juridique, sous la direction de Mathieu Devinat, La Revue du Notariat, vol. 110, Septembre 2008, Montréal, pp.715-727. 43 Patrick CINGOLANI, La précarité, Que Sais-Je ?, 3e éd., 2011, en particulier la conclusion. 44 “Struggling with Precarity, For More and Better Jobs to Less and Lesser Work”, blog The Disorder of Things, For the Relentless Criticism

of All Things since 2010, http://thedisorderofthings.com/2013/10/12/struggling-with-precarity-from-more-and-better-jobs-to-less-and-lesser-

work/ accessed 22 June 2015.

8

The etymology of the English substantive ‘precariousness’, formed from the adjective ‘precarious’,

has its roots in the Latin legal notion, also imported into English legal documents from the French

précaire, which Michel Boudot has spoken of here. The accepted contemporary definition of

‘precarious’ in English includes the synonyms ‘vulnerable’, ‘unsafe’, ‘insecure’ and ‘uncertain’

according to the Oxford English Dictionary:

“precarious, adj. Pronunciation: Brit. /prᵻˈkɛːrɪəs/, U.S. /prəˈkɛriəs/. Etymology: < classical Latin precārius given as a favour, depending

on the favour of another, (of property) held by tenancy at will, uncertain, doubtful, suppliant (< prec- , prex prayer, entreaty

(realize PRECES n.) + -ārius -ARY suffix1) + -OUS suffix. Compare French précaire (of a right, tenancy, etc.) held or enjoyed by the favour of

and at the pleasure of another person (1336 in an isolated attestation in Middle French as precoire, subsequently from 1585), exposed to risk,

insecure, unstable (1618). 1. Esp. of a right, tenancy, etc.: held or enjoyed by the favour of and at the pleasure of another person; vulnerable

to the will or decision of others. Also fig. Now rare or merged in other senses, exc. in technical use with reference to tenancies. 2. a. Of a line

of argument, inference, opinion, etc.: insecurely founded or reasoned, doubtful, dubious. b. Dependent on chance or circumstance; uncertain;

liable to fail; exposed to risk, hazardous; insecure, unstable. c. Subject to or fraught with physical danger or insecurity; at risk of falling,

collapse, or similar accident; unsound, unsafe, rickety. †3. Suppliant, supplicating; importunate. Obs. †4. Of or relating to a precarium

(PRECARIUM n. 2). Obs. rare.”

Unlike French usage of ‘précaire’ as both adjective and noun ‘un précaire’, in English the adjective

has not become such a well-established substantive naming those in a precarious situation, unlike

other generic examples such as ‘the unemployed’, ‘the down-and-out’45

. Authoritative dictionaries

have no separate entry for the noun ‘precariousness’, which is listed as a derivative of the adjective.

The term ‘precarity’ has not yet entered the Oxford English Dictionary or Word spellcheck, despite the

earlier modern use of the term found, describing a consequence of poverty, dating back to the 1950s.

In the context of the post-war economic expansion and consumerism, poverty was still a widespread

fear. The first attested usage of the term ‘precarity’ to mean poverty is linked with American volunteer

social work, in 1952, harking back to an older fear, dating from the ‘Great Depression’ of the 1930s,

and links economic, social and mental well-being : “Everybody talks about security and everybody

shudders at the idea of poverty. And in fear and anguish people succumb, mentally and physically,

until our hospitals, especially our mental hospitals, are crowded all over the country46

.”

§2 Contemporary English usage

Recent occurrences of term ‘precarious’ and ‘precariousness’ in the British press - none were found

for ‘precarity’ in the mainstream press - reveal its current usage in mainstream contemporary political

& economic discourse. In the The Daily Telegraph, two entries only were to be found concerning the

standard of living, among a dozen referring to sport (a ‘precarious lead’) and geography (cliffs). One

other reported the situation of couples the Pope was due to wed couples living ‘precariously’ outside

the institution of marriage, an interesting reminder of the historical spiritual-secular context of the

term’s use47

. If it might be considered normal that a right-wing daily ignore poverty, on the other side

of the political spectrum, The Guardian, also barely uses the term. It is performing artists, personal

relations and Arab regimes that are described as being in a precarious situation, with only one

occurrence concerning “present economic precariousness” in Northern Ireland, referring however to

the general economic situation and not cases of poverty48

. In terms of employment, the adjective is

used to describe both contracts and more generally, precarious work, precarious employment

associated with other constraints : “badly paid”, “demanding and precarious jobs”49

, including in the

45 See for example Gill FRANCIS, ‘Are adjectives the new nouns?’ Macmillan Dictionary blog, posted on February 11, 2013. Retrieved 13

November 2014. 46 Dorothy DAY. "Poverty and Precarity". The Catholic Worker, May 1952, 2, 6. The Catholic Worker Movement. 47 Pope Francis to marry couples 'living in sin' in first for his papacy », Daily Telegraph, 11 September 2014. 48 “In praise of … the Belfast smile, Despite past history and present economic precariousness, Northern Ireland has emerged as UK's

happiest corner” Editorial, The Guardian, 5 March 2012. 49 The Independent, 2 November 2014, 12 November 2014.

9

world of higher education for academic tenure50

referring to both unpaid overtime and unfounded or

unexpected redundancies, alongside football managers and players (short-term contracts liable to be

rapidly terminated), Formula 1 teams’ financial straits (uncertainty), and the depletion of Tanzania’s

elephant population (imminent disappearance) – all on the edge.

Main current usage is split between two acceptations referring to the fields of politics or employment.

Leaders, MPs or parties in are described as being in a ‘precarious position’ regarding their support

within their party or the electorate. Politics is by nature a limited contract profession in which short

notice revocation of a mandate may occur conforming to the term’s original legal and political usage.

Interestingly, and conveniently providing the link between political precarity and employment, the

earliest occurrence that was found used in the mainstream British political sphere, was the use of the

word by Margaret Thatcher in a speech to the Scottish Conservative Party Conference in Perth on 14th

May 1982. However she was not referring either to her position – at the time the Falklands War had

given her popularity a fillip- or to the hard times being experienced by the growing numbers of

unemployed and those whose jobs were on the line in the demise of British heavy industry she was

presiding over. She was referring to the economic situation which she adduced to explain why

employment would be affected: “The world trading environment remains precarious and competition

won't be any easier in the months ahead.”

Previously, in the 1970s, precariousness did not have such negative connotations concerning working

conditions and had been seen as a liberating factor as Fraco Berardi Bifo recollects51

:

“I remember that one of the strong ideas of the movement of autonomous proletarians during the 70s

was the idea that “precariousness is good”. Job precariousness is a form of autonomy from steady

regular work, lasting an entire life. In the 70s many people used to work for a few months, then to go

away for a journey, then back to work for a while. This was possible in times of almost full

employment and in times of egalitarian culture.”

However, as the freedom to work at will, according to individual preferences and timetabling was

curtailed under increasing constraints imposed by companies seeking increased productivity,

precariousness was taken to mean “a special kind of poverty, a temporal poverty in which workers are

deprived of control of their time”52

. In this sense, that of taking away a right, the term retains a link

with its Latin root. More generally, and prolonging the idea of deprivation as lack of resources, the

notion has been extended to describe living conditions in general: “Preparing Students for Precarious

Lives”53

. By inference, the emotional strains placed on people living and working in such conditions

are brought to the forefront once again54

, as they were in the earlier occurrence of ‘precarity’ found in

English dated 1952. The current use of the terms precariousness and precarity to describe the fate of

workers whose ‘autonomy’ was restricted, were thus coined in a growing climate of uncertainty

brought about from the 1980s by neoliberal economic policies and is directly ascribed to the

introduction of globalization and the ‘flexisecurity’ employment paradigm55

.

The terms gained currency not only to describe political uncertainty (the temporal nature of power) but

intense economic and social instability, brought about by the series of economic and political

50 The Independent, 6 November 2014. 51 Franco BERARDI BIFO, ‘What is the Meaning of Autonomy Today?’ September 2003. 52 Antonio NEGRI, Michael HARDT, Empire, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 2000, p.146. 53 Alan SEARS, James CAIRNS, “Austerity U: Preparing Students for Precarious Lives”, New Socialist Webzine, 24 January 2014. 54 ‘Precarious Tenure: Precarity and Disability Performance’, Tony McCaffrey, undated paper,

https://www.academia.edu/1468269/Precarity_and_Disability_Performance, accessed 30 November 2014. 55 Brett NEILSON and Ned ROSSITER, ‘From Precarity to Precariousness and Back Again: Labour, Life and Unstable Networks’, The

FibreCulture Journal, 2005, Issue 5, Precarious labour.

10

contingencies stemming from fewer controls and greater market instability. These were compounded

in the mid-2000s by the world financial crisis and have been intensified by austerity measures which

have entailed cuts in public funding for social services and welfare under the Conservative-LibDem

government in power in the UK since 2010. A management dictionary thus defines precarity as “a

term used by sociologists to refer to the spread of contingent work and insecure employment within

the labour market. The term is also used to refer to the subjective condition of those who experience

insecure work”56

. By 2004, at the time of the Euro May Day demonstrations, Alex Foti, described

precarity as more encompassing: “the condition of being unable to predict one's fate or having some

degree of predictability on which to build social relations and feelings of affection.”57

Similarly, in

2005, Neilson and Rossiter found that: “The term refers to all possible shapes of unsure, not

guaranteed, flexible exploitation…But its reference also extends beyond the world of work to

encompass other aspects of intersubjective life, including housing, debt, and the ability to build

affective social relations”58

. The lack of contractual certainty the term conveyed originally was now

extended to social exclusion.

§3 From descriptive to prescriptive usage

In the past two decades, precariousness and precarity interestingly entered the vocabulary of

sociologists and anthropologists critical of the mechanisms which exclude populations from full

participation in society. Judith Butler has defined precarity as a “politically induced condition in which

certain populations suffer from failing social and economic networks of support” which characterizes

“maximized vulnerability and exposure for populations exposed to arbitrary state violence”59

. British

activists offer a similarly all-encompassing definition of precarity: “short-term contracts, no-contract

work, bad pay, deprivation of rights and status, vulnerability to mobbing, competition and pressure,

high rent, lack of accessible public services, etc.”60

, a synonym of insecurity leading to the dissolution

of social cohesion. “At its most basic, a term for the economic uncertainty and existential angst

associated with the dissolution of fixed employment, precarity also suggests the disintegration of

stable societal bonds, occupational identities, social protections and a sense of entitlement and

belonging characteristic of the old proletariat.”61

The term ‘precariat’62

entered the language to

describe the people living and working thus, by analogy with the long-suffering proletariat63

.

A collective movement against precarious working conditions began with the group action of French

intermittent workers in the culture industry in 2003, as a result of specific unemployment legislation

concerning their benefits64

. At the same time, social militancy, activism, anti-capitalist demonstrations

and anti-precarity movements in Europe (EuroMayDay in 2004 -Milan and Barcelona- and in

seventeen European cities in 2005, Precarity Ping Pong (London, October 2004), the International

56 “a term used by sociologists to refer to the spread of contingent work and insecure employment within the labour market. The term is also

used to refer to the subjective condition of those who experience insecure work”. A Dictionary of Human Resource Management (2 rev ed.),

Oxford University Press.

57 M. OUDENAMPSEN, G. SULLIVAN, “Precarity and N/European Identity: (An Interview with Alex Foti (Chainworkers))”, Mute, Vol.2, No.

0, 2005, Precarious Reader. 58 Neilson & Rossiter, op.cit., 2005. 59 Judith BUTLER, ‘Performativity, Precarity and Sexual Politics’, AIBR, Revista de Antropología Iberoamericana, Vol. 4, No 3. Sept-Dec.

2009, pp. i-xiii. 60 PRECARIOUS WORKERS BRIGADE, ‘Tools for Collective Action—Precarity: The People’s Tribunal’, n. d. 61 ‘Struggling with Precarity…’, op.cit., 2013. 62 The usefulness or appropriateness of the concept is debated. Richard SEYMOUR. ‘We Are All Precarious - On The Concept Of The

‘Precariat’ And Its Misuses’, New Left Project,

http://www.newleftproject.org/index.php/site/article_comments/we_are_all_precarious_on_the_concept_of_the_precariat_and_its_misuse,

First published: 10 February, 2012, retrieved 14 November 2014. 63 Guy STANDING, ‘The lumpen precariat’, 27 January 2012, OpenDemocracy/net ; Neilson & Rossiter, op. cit., 2005. 64 Christopher BODNAR, ‘Resistance and the Creation of a Precariat Movement’, Canadian Journal of Communication, Vol. 31, 2006,

pp.675-694.

11

Meeting of the Precariat (Berlin, January 2005), and Precair Forum (Amsterdam, February 2005)

increased in number and frequency.

It is in this specific context of militant grassroots campaigns against global capitalism, compounded by

the financial crisis of 2008 and austerity measures imposed in the UK by the incoming Conservative

government from 2010 that the use of the terms ‘precarity’ and ‘precariat’ must be placed. The term

precarity, more incisive in English than the cumbersome ‘precariousness’, became a call for action.

However, although the concept of ‘precariat’ had been coined as a clarion call, it did not produce the

anticipated arising of the class of people it described against the neoliberal dogma and practices.

“Precarity is a word for our time. It describes the slow disintegration of the historic bond between

capitalism, democracy and the welfare state. But it also entails a rallying cry to reverse this

situation. The concept was supposed to serve as a unifying language for the multitude, to translate

between the disparate subjectivities of care workers and brainworkers, migrants and expats, the core of

technically skilled workers and the mass of contingent low-wage laborers. But the precariat never

lived up to its revolutionary hopes, its composition too dissimilar to ever become a class-in-itself with

a clearly defined historical position or coherent material interests and its identificatory grounds too

vague to suggest anything but an all-too-human vulnerability to the vicissitudes of the free market65

.”

Cuts to public services initiated since 2010 by the Conservative government in Britain have galvanized

some precarious workers in specific fields, notably, as in France, in culture and education, to form

themselves into an action group, the Precarious Workers Brigade. They militate for equal pay, free

education, renewed democracy and common ownership, not of the means of production, but of “space,

ideas and resources”, with the ultimate aim of social justice as the means to end precarity66

. Their

campaigns emerged from the rejection by the ingeniously named Carrot Workers67

, of the exploitation

of internships as a form of free labour in culture and the arts. Four aspects of precarity were reviewed

by A ‘People’s Tribunal’ held in March 2011 at the Institute of Contemporary Arts, London : unpaid

& underpaid labour, the way in which institutions in the cultural and educational fields reproduced

precarity, the precariousness induced by ‘constantly changing immigration policy’ in the UK, and the

physical and mental toll precarity entails.

Thus the focus of the term returns full circle to its first use fifty years previously: that of mental strain

caused by insecurity, uncertainty and exclusion, while at the same time taking on an ever-widening

agenda for political and social action. Lately, environmental issues appear to have been subsumed in

the notion of precarity. The Society for the Anthropology of Work describes precarity as “a specific

set of factors, including increased economic uncertainty; the loss of state and corporate provisioning;

threats of violence, marginalization and injustice; and environmental destruction, which have eroded

not just labor and the state but the possibility of life itself”68

. Sustainability becomes a new antonym

for the precarity, whose meaning has been extended to include a world relying on non-renewable and

finite resources.

Over the past half-century or more, the substantive ‘precariousness’ coined from the adjective

describing a temporary favour, was increasingly linked to the negative connotations uncertainty

involved. From charitable efforts to deal with the vulnerability of people exposed to the consequences

65 ‘Struggling with Precarity…’, op.cit., 2013 66 The Precarious Workers Brigade, ‘Tools…’ 67 https://carrotworkers.wordpress.com/. 68 Society for the Anthropology of Work, Anthropology of Work Review, Virtual Issue: Precarity, n. d.

http://www.aaanet.org/sections/saw/?page_id=150, accessed 15 November 2014.

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of instability at work, the first of which was poverty, the term came to be used in the context of the

fight to redress the circumstances by which such consequences arose. The unwieldy, descriptive

substantive ‘precariousness’ was replaced by the more pugnacious, prescriptive terms ‘precarity’ and

‘precariat’, a banner under which a variety of workers united in protest against these conditions. In

both English and French, the term ‘precarity’, linked by common Latin roots in Roman law, has

accompanied the socio-economic transformations of late 20th century capitalism and become a

political platform, critical of the social and economic conditions it was used to describe.