a few thoughts about coercive processes in the occupied territories [french]

23
Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=ETRU&ID_NUMPUBLIE=ETRU_173&ID_ARTICLE=ETRU_173_0251 Quelques réflexions à propos des processus coercitifs dans les Territoires occupés par Vincent ROMANI | Editions de l’EHESS | Études rurales 2005/1-2 - N° 173-174 ISSN 0014-2182 | ISBN 2-7132-2050-5 | pages 251 à 272 Pour citer cet article : — Romani V., Quelques réflexions à propos des processus coercitifs dans les Territoires occupés, Études rurales 2005/ 1-2, N° 173-174, p. 251-272. Distribution électronique Cairn pour les Editions de l’EHESS. © Editions de l’EHESS. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

Upload: uqam

Post on 04-Nov-2023

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Cet article est disponible en ligne à l’adresse :http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=ETRU&ID_NUMPUBLIE=ETRU_173&ID_ARTICLE=ETRU_173_0251

Quelques réflexions à propos des processus coercitifs dans les Territoires occupéspar Vincent ROMANI

| Editions de l’EHESS | Études rurales2005/1-2 - N° 173-174ISSN 0014-2182 | ISBN 2-7132-2050-5 | pages 251 à 272

Pour citer cet article : — Romani V., Quelques réflexions à propos des processus coercitifs dans les Territoires occupés, Études rurales 2005/1-2, N° 173-174, p. 251-272.

Distribution électronique Cairn pour les Editions de l’EHESS.© Editions de l’EHESS. Tous droits réservés pour tous pays.La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

ÀPARTIR d’une ethnologie d’universitai-res palestiniens des Territoires occupés,cet article1 se propose de rendre compte

de certaines dimensions, peu évoquées, de laviolence à l’œuvre dans cet espace : les moda-lités et effets interpersonnels de la coercition,entendue comme violence organisée exercéesur un groupe humain. Nous pensons qu’auxlieux et moments de violence les plus immé-diats – mais de fait rares – correspondent deslogiques médiates d’expérience de la violencepar les acteurs, c’est-à-dire des logiques quiéchappent à l’observation directe. Cette miseen relation de l’expérience quotidienne des in-dividus avec les dispositifs de contrainte per-met de saisir la portée sociale des phénomènescoercitifs en évitant les registres réducteurs dela victimisation, de l’héroïsme ou de l’institu-tionnalisme dépersonnalisé.

Pour comprendre ce que peut être une routineviolente nous nous appuierons sur nos observa-tions et sur des entretiens menés entre avril 1999et août 2002 auprès de 80 acteurs académiquespalestiniens (étudiants, enseignants, chercheurs,responsables administratifs et ministériels), dans

leur cadre professionnel et hors cadre profession-nel, dans la bande de Gaza (université islamique,université al-Azhar) et en Cisjordanie (universi-tés de Jérusalem, de Birzeit, de Naplouse…).Après avoir donné quelques orientations théo-riques et bibliographiques, nous restituerons delongs extraits d’un entretien qui nous paraît si-gnificatif pour notre propos. Nous confronteronscet entretien avec d’autres pour mettre en évi-dence la relation entre enfermement spatial et en-fermement chronologique, ainsi que leurspécificité. Puis nous montrerons que plusieurstemporalités, individuelles et collectives, passéeset présentes, se croisent et structurent les repré-sentations et pratiques des acteurs. Enfin, nousnous intéresserons aux stratégies de résistancedéveloppées par les universitaires pour faire faceà cette situation de tensions permanentes.

La violence n’a-t-elle que des causes et desauteurs?

Bien qu’au cœur de la vie quotidienne, il estdifficile d’appréhender la violence dans les Ter-ritoires palestiniens, et ce, pour deux raisons.

Vincent RomaniQUELQUES RÉFLEXIONS À PROPOS DES PROCESSUSCOERCITIFSDANS LES TERRITOIRESOCCUPÉS*

Études rurales, janvier-juin 2005, 173-174 : 251-272

* Les Territoires occupés désigneront ici, conformémentau droit international, la bande de Gaza et la Cisjordanie(y compris Jérusalem-Est), espaces envahis par l’Étatd’Israël en juin 1967, militairement occupés et colonisésdepuis.

1. L’auteur remercie Élizabeth Picard, Aude Signoles,Pénélope Larzillière, Christine Pirinoli, Hamit Bozarslan,Loïck Le Pape et Jean-Jacques Perennes pour leurs relec-tures avisées. Cette recherche a bénéficié du soutien del’IEP et de l’IREMAM d’Aix-en-Provence. Je remerciel’IDEO du Caire qui m’a accueilli pour rédiger ce texte ettout particulièrement Jean-Jacques Perennes et René-Vincent du Grand-Launay.

86344 251-272 XP4 16/11/05 10:39 Page 251

La première tient à la politisation du conflitisraélo-palestinien, largement internationalisée.La seconde, plus théorique, renvoie à la ques-tion de la place de l’acteur dans les sciences so-ciales lorsqu’il s’agit de parler de la violence.

En effet, les chercheurs peuvent craindre devoir instrumentaliser leurs travaux à des finspolitiques ou militaires ou bien peuvent se voirreprocher de prendre parti dans la descriptionnécessaire de réalités. La saturation médiatiqueet symbolique de ce conflit assure une capilla-rité immédiate entre registres scientifiques etpolitiques2 . Le découpage même des limitesde l’objet de recherche est parfois critiqué en cequ’il ne rendrait compte que d’une partie duconflit là où il faudrait absolument rendrecompte de ce que les médias nomment « leconflit israélo-palestinien ». On s’interdiraitd’aborder séparément les deux sociétés, aurisque d’ignorer une symétrie politico-média-tique décrétée à propos d’un conflit pourtantqualifié d’«asymétrique et de basse intensité »par les spécialistes des relations internationa-les. D’où l’innombrable somme de publicationsportant sur « le conflit », sélectionnant des deuxcôtés ce qui est estimé pertinent pour l’analyse,à savoir les forces politiques et militaires ainsique les jeux diplomatiques. C’est bien ici l’au-tonomie de la recherche, sa capacité à définirses propres objets, qui est en cause.

Plus largement, dans le vaste corpus de tra-vaux que les sciences sociales consacrent auxphénomènes de violence, l’acteur en situation,célébré en d’autres contextes, semble faire fi-gure de parent pauvre au profit d’une recherchesur les causes du passage à la violence3. Peut-être ce constat renvoie-t-il autant aux difficultésde mener une enquête en situation de guerre

qu’à l’interdit éthique qu’évoque Luc Boltanski[1993] lorsqu’il s’agit d’apprécier la souffranceà distance en parole objectivante et non pasagissante. Peut-être aussi l’immédiateté de laviolence force-t-elle le regard vers les lieux depouvoir et de décision plutôt que vers les lieuxplus communs de sa mise en œuvre quoti-dienne. Peut-être enfin l’hypothèse d’HamitBozarslan [2004] est-elle judicieuse quand, re-layant les critiques d’Hanna Arendt, il pointeles problèmes spécifiques que rencontrent lessciences sociales dès qu’elles cherchent à ana-lyser la violence en ce que, « filles du positi-visme » et en quête de régularités sociologiques,elles se trouvent particulièrement démuniespour élucider des processus de dérégulation.

Des pistes de réflexion stimulantes existent

Vincent Romani

. . .252

2. À propos de l’engagement du chercheur et de la re-cherche dans des contextes difficiles, voir V. Amiraux etD. Cefaï eds. [2002], C. Nordstrom et A. Robben eds.[1995].

3. Voir H. Bozarslan [2004] ; F. Héritier ed. [1996-1999] ;D. Mac Adam, S. Tarrow et C. Tilly [1998] ; M. Wie-viorka ed. [1998, 2004]. Pour la Palestine, P. Larzillière[2003a et 2003b] étudie notamment le phénomène des« kamikazes » palestiniens ; J.-F. Legrain [2003] s’inté-resse aux brigades des martyrs d’al-Aqsâ, groupe parami-litaire se revendiquant du parti gouvernemental Fatah. B. Botiveau et A. Signoles [2004] se penchent sur la ges-tion des phénomènes vindicatoires internes à la sociétépalestinienne. Un ouvrage collectif récent traite différen-tes dimensions incontournables de ce conflit sans quel’angle anthropologique du quotidien des acteurs ordinai-res ne soit investi [Dieckhoff et Leveau eds. 2003]. Enfin,d’innombrables travaux universitaires abordent la vio-lence coercitive dans les Territoires palestiniens, mais sur-tout à partir d’une problématique médiane, en tant quecontexte plus qu’en tant qu’objet central d’analyse. Parexemple : B. Botiveau et A. Signoles eds. [2003].

86344 251-272 XP4 16/11/05 10:39 Page 252

néanmoins, se référant à d’autres contextes. Àpartir du travail collectif qu’il dirigea récem-ment sur la « violence extrême », Jacques Sé-melin tente d’en cerner les effets sur l’individuet sur le groupe social4. C’est prendre pourobjet la violence physique – au sens allemandde Gewalt –, et ici spécialement la coercition,non dans leurs causes mais dans la phénomé-nologie de leurs déroulements et de leurs effetsmatériels et subjectifs sur leurs destinataires5.

À l’instar de Carolyn Nordstrom et Anto-nius Robben [1995 : 6], nous pensons que« concevoir la violence comme une dimensionde la vie [quotidienne] plutôt que comme do-maine de la mort oblige les chercheurs à étudierla violence au-delà de l’immédiateté de sa ma-nifestation »6. Plutôt que de risquer la téléolo-gie de rationalisations macroscopiques, cesauteurs plaident pour une appréhension de laviolence à travers l’expérience quotidienne desacteurs, de manière à rendre compte des contra-dictions de routines discontinues7.

D’autres études récentes traitent de la vio-lence autrement que « du côté du manche »,sans toutefois tomber dans la dénonciation8. Enmettant en relation psychologues et psychia-tres, d’une part, sociologues, politologues etanthropologues, d’autre part, Antonius Robbenet Marcelo Suarez-Orozco [2000] proposent desortir des impasses respectives de ces discipli-nes en postulant deux types de continuités :l’une, chronologique, entre les moments d’ir-ruption de la violence et les moments de répit ;l’autre, analytique, entre les dimensions indivi-duelles et collectives de la violence. Ils déve-loppent ainsi un axe de réflexion ébauchéquelques années auparavant, visant à contextua-liser, par l’histoire sociale, les analyses des trau-

matismes individuels [Kleber, Figley et Gersonseds. 1995], où l’immersion anthropologiqueconstitue une modalité pertinente de recherche[Bourgeois 2002].

Ces démarches convergent parfois vers cellesde politologues français s’intéressant à certainesdimensions de la violence: ainsi, Michel Dobry[1991], s’agissant des crises politiques, pose l’hypothèse de la continuité contre l’apparence

Quelques réflexions à propos des processus coercitifs dans les Territoires occupés

. . .253

4. Voir la Revue internationale des sciences sociales(RISS), n° 132 : Penser la violence. Perspectives philoso-phiques, historiques, psychologiques et sociologiques(1992) et n° 174 : La violence extrême (2002).

5. Tout en montrant l’interdépendance des ressorts maté-riels et subjectifs de la violence, P. Bourdieu [1992] mo-bilise une définition de celle-ci difficilement opératoirecar trop large, assimilable à la contrainte à la fois phy-sique et subjective, voire inconsciente.

6. Notre traduction.

7. Ces auteurs s’opposent à l’idée de « rationaliser » laviolence : en dirigeant un ouvrage entendant « donner laparole aux mystérieuses contradictions de vies perturbéespar la violence, c’est-à-dire aux contradictions de l’exis-tence simultanée du rire et de la souffrance, de la peur etde l’espoir, de l’incertitude et de l’habitude, de la créati-vité et de la discipline, de l’absurdité et de la banalité »[Nordstrom et Robben 1995 : 10 ; notre traduction], ilsn’en proposent pas moins une intellectualisation de la vio-lence. Leurs formulations reflètent cependant une ten-dance à constituer la violence et son contexte en domainesthéoriques exceptionnels, où l’exceptionnalité historiqued’un contexte – si tant est qu’un contexte historique n’estpas singulier – devrait induire l’exceptionnalité théoriquede son appréhension par les chercheurs.

8. Sur ce point, C. Grignon et J.-C. Passeron [1989] montrent bien les ressorts et dangers de la constitution-réduction d’un groupe dominé en héros ou en victime,alternative que nous éviterons.

86344 251-272 XP4 16/11/05 10:39 Page 253

de la rupture chronologique. Philippe Braud[1996] est favorable à une prise en compte desémotions et affects, y compris individuels, dansl’approche du politique9. Tous ces auteurs par-tagent la volonté d’enrichir les grilles d’ana-lyse de la violence fondées sur des dichotomiesjugées insuffisantes : temps de paix/temps deguerre, individu/société, passé/présent.

L’extrait d’entretien qui suit est particulière-ment éloquent en ce qu’il montre tant la pré-gnance de ces thèmes que la difficulté qu’il yaurait à les distinguer :

[…] Écoute, quand tu reviens ici, soit tut’adaptes, soit tu deviens fou, soit tu re-pars. […] Avant on avait l’occupation,l’intifâda, bref, l’occupation. Bien. Aprèsil y a eu Oslo, la corruption, le désordre àl’université, et puis… encore l’occupa-tion. Maintenant c’est la guerre. Mais,honnêtement, rien n’a changé finalement.C’est une Nakba10 sans fin. Incursions, as-sassinats, arrestations, couvre-feux, peur,pas de liberté, pas d’avenir pour la nation,pas d’avenir pour la société, pas d’avenirpour les gens : c’est l’occupation. Rien n’achangé. Sauf qu’avant [Oslo] on avaitaussi peur, y avait des soldats partout, çaexplosait n’importe où et n’importequand. Mais on bougeait, on pouvait alleren Israël, à Ramallah, au village, à Jérusa-lem. Maintenant c’est fini tout ça. J’avaisdes amis à Ramallah, mais comment yaller? Hein? […] Ils tirent maintenant ! Etquand ils tirent pas, ils laissent faire les co-lons. Quand tu arrives vivant, tu es humi-lié par les contrôles, épuisé par quatreheures de route. C’est fini pour moi lesvoyages. Même pour se promener à lacampagne, c’est plus possible. Mêmevivre chez toi c’est plus possible. Ils vien-nent en pleine nuit et cassent tout, nous

emmènent. On est tous prisonniers. Oslo,on y a cru peut-être deux ans, mais pasmoi. Dès le début j’ai su qu’Oslo c’était dela merde. […] Alors on essaie de tenir, onparle avec mes collègues, on se réunit ré-gulièrement, on essaie d’adapter les pro-grammes, les emplois du temps, mais àchaque fois, y a une nouvelle incursion, uncouvre-feu, une manifestation ou unegrève d’étudiants à l’université, à caused’un martyr. Il faut tout refaire. Qu’est-cequ’on peut faire? Mais on essaie de lesaider [les étudiants]. Ils sont plus malheu-reux que nous, ils n’ont pas de travail, pasd’avenir, encore moins que nous. En plusils sont la première cible, bien sûr, des sol-dats. Nous, ça va. Alors on essaie de leurapporter ce qu’on peut. Au moins, ils peu-vent s’évader un peu avec mes cours : jeleur parle d’autre chose que de la situa-tion, ou bien je leur donne des cours surl’organisation et l’aide sociales, qu’ilsvoient qu’on peut faire quelque chose. Jesuis un peu comme un père ou un grandfrère pour eux. […] Le cœur n’y est plus.C’est chacun pour soi, sa famille, on fait leminimum, on est bien content d’avoir untravail même si l’université ne paie pasbien. […] Qu’est-ce que tu veux que jeleur dise à mes collègues, à mes amisétrangers? On correspond, mais qu’est-ce

Vincent Romani

. . .254

9. Toutefois, P. Braud [1996] et M. Dobry [1991] s’inté-ressent surtout aux acteurs-auteurs de la politique insti-tuée et des crises, c’est-à-dire aux décideurs plus oumoins légitimés et aux luttes de légitimation, alors que,selon nous, l’étude d’acteurs plus « ordinaires » n’est pasmoins porteuse de significations politiques [Lacroix1985 ; Leca 1973].

10. « Catastrophe » : affrontements judéo-palestinienspuis israélo-arabes de 1948, aboutissant à la création del’État d’Israël et à la première expulsion des Palestiniens[Morris 2003 ; Pappé 2000].

86344 251-272 XP4 16/11/05 10:39 Page 254

que tu veux que je leur dise? Que tout vamal ? Que c’est la merde ? Que j’ai pasd’avenir ? Que mon pays n’a pasd’avenir ? Qu’il n’y a pas d’espoir? Biensûr que non, je vais pas me plaindre, et enplus je suis pas à plaindre, beaucoup sontbien plus malheureux que moi : qu’est-cequ’ils pourraient y faire [mes amis étran-gers]? Ils sont impuissants. Nous sommesimpuissants. Le monde entier est impuis-sant pour nous aider. Et puis, c’est vrai,nous sommes nuls, les Palestiniens, nosdirigeants sont nuls, on n’est pas civilisés,on est sous-développés, attardés, ilscroient que faire plus d’enfants les aidera,et en fait, c’est la cause de beaucoup denos problèmes, la forte fécondité. Qu’est-ce qu’on peut faire? […] (Munzer, 53 ans,sociologue, enseignant, Naplouse, 20 avril2001)11.

Sont condensées dans ces quelques lignesles idées d’enfermement spatiotemporel, de va-et-vient entre passé et présent, entre individuelet collectif, ainsi que les problématiques de ladépossession de soi et de l’engagement. Autantde dimensions de la coercition que nous allonsaborder successivement.

De l’enfermement spatial à l’enfermementchronologique

Pour Munzer, un thème s’impose : celui del’enfermement physique, qui renvoie au blocusdes flux de biens et de personnes mis en placepar l’armée israélienne dans les Territoires pa-lestiniens. Largement documenté12, ce bou-clage ne date pas du soulèvement de septembre2000 mais est constitutif de la logique initiéepar les accords d’Oslo depuis 1993 [Debié etFouet 2001]13. La carte ci-après (p. 256) mon-tre la distribution éclatée des zones administra-

tives issues d’Oslo : les zones A (grands centresurbains concentrant la majorité de la populationpalestinienne, où l’Autorité palestinienne sevoit accorder des compétences élargies) ; leszones B (regroupant l’essentiel de la surfacedes Territoires, faiblement peuplées, où l’Auto-rité palestinienne se voit accorder des compé-tences uniquement civiles) et les zones C (souscontrôle israélien).

Après septembre 2000, si un changementquantitatif s’opère du fait de la multiplicationdes barrages routiers fixes ou mobiles, la confi-guration militaire demeure, qualitativement,celle d’un cantonnement généralisé d’enclavespalestiniennes à l’intérieur d’un réseau colonialen expansion depuis 1967 [Debié et Fouet op.cit. : 256-283 ; Legrain 1996]14. Ce blocageinterne des flux (c’est-à-dire à l’intérieur desTerritoires, entre les différentes localités pales-tiniennes) s’ajoute à une autre restriction, elleaussi contemporaine d’Oslo : défense est faite àde nombreux Palestiniens des Territoires de se

Quelques réflexions à propos des processus coercitifs dans les Territoires occupés

. . .255

11. Les prénoms ont été changés pour préserver l’anony-mat des personnes interviewées.

12. Source : Office for the Coordination of HumanitarianAffairs (OCHA) (www.reliefweb.int/hic-opt/OCHA-Body-ASPFiles/Doc-CntrSec/[Doc-CntrSec[Doc-CntrTxt].asp). Voir également le rapport de l’Unesco, « The Im-pact of Closure and Other Mobility Restrictions on Pa-lestinian Productive Activities ». Jérusalem, UnitedNations, Special Coordinator Office, 2002.

13. Le cantonnement de la bande de Gaza et de sa popu-lation est, en réalité, effectif dès 1990 [Hass 2001 ; Roy1995 ; Zureik 2001].

14. Pour une étude générale de la deuxième intifâda, voirA. Dieckhoff et R. Leveau eds. [2003].

86344 251-272 XP4 16/11/05 10:39 Page 255

Vincent Romani

. . .256 La fragmentation territoriale issue d’Oslo (1995)

Source : F. Debié et S. Fouet [2001 : 187].Zone A : zone sous contrôle de l’Autorité palestinienneZone B: zone où l’Autorité palestinienne n’a que des compétences civilesZone C : zone sous contrôle israélien

86344 251-272 XP4 16/11/05 10:39 Page 256

rendre en Israël. Enfin, les frontières avec laJordanie et l’Égypte sont également souscontrôle israélien depuis 1967, rendant extrê-mement difficile, pour les habitants, la sortiedes Territoires. Depuis le soulèvement de sep-tembre 2000, l’accès à l’aéroport internationalde Tel-Aviv est interdit aux Palestiniens desTerritoires, qui ne peuvent sortir que par voieterrestre, vers la Jordanie pour les Cisjorda-niens, et par Rafah vers l’Égypte pour lesGazaouis, en fonction de rares autorisations ac-cordées par l’armée.

Ce dispositif d’immobilisation se traduit parun rétrécissement de l’espace praticable. Lesentiment d’être enfermé, de tourner en rondest très souvent évoqué à travers l’image de laprison. L’espace praticable lui-même semble àgéométrie variable :

Quelle différence avec une prison? On nepeut pas bouger, pas voyager. Ma belle-famille est au village, j’ai des amis à Na-plouse, à Jérusalem, à la campagne : on nese voit plus, c’est une expédition pour yaller. Rien que de penser au prochainvoyage, je ne dors pas, ma femme nonplus. On n’en parle pas, mais nous som-mes de plus en plus nerveux à chaquevoyage prévu. Alors mon beau-frère a euun fils, mais nous ne pouvons aller le sa-luer. C’est honteux, mais nous ne pou-vons plus y aller. C’est fini. Si nous yallons, le taxi va nous demander 100 she-kels, c’est impossible. Et puis nous nesommes même pas sûrs d’y arriver ; il y ales colons, l’armée, les contrôles, c’estdangereux. Et puis je suis encore jeune,ils [les soldats] vont m’humilier devantma femme et mes enfants, me frapper,peut-être m’emmener. Alors il reste letéléphone et les portables. Tu vois, on esten prison, une grande prison, mais on est

connectés ! Et puis parfois, ils font une in-cursion, et c’est le couvre-feu, et tu nesors pas de chez toi sinon ils peuvent tetuer ou t’arrêter. Ta maison est ta prison.Et puis parfois, c’est chez toi qu’ils en-trent, dans ta cellule, c’est-à-dire dans tamaison. Ils font ce qu’ils veulent, cassent,tapent, volent, humilient, restent autantqu’ils veulent, qu’est-ce qu’on peut yfaire? (Youssef, 41 ans, sociologue, en-seignant, Ramallah, 7 juin 2002)

Ainsi, la Cisjordanie et la bande de Gaza,mais aussi la ville, le quartier et la maison cons-tituent les limites possibles de l’enfermement.Autant d’espaces imbriqués les uns dans les au-tres et qui ont valeur de refuge par rapport àl’espace extérieur quand celui-ci devient im-praticable. La ville est la plupart du temps re-présentée comme un espace de libertéprovisoire lorsque, cas le plus fréquent, l’arméeisraélienne reste positionnée aux issues en encontrôlant les accès15. Mais en cas d’incursionarmée, le couvre-feu est décrété, sur toute laville ou sur un quartier, et la maison ou le quar-tier deviennent alors autant une prison qu’unrefuge. À l’espoir que l’espace préservé – mai-son, quartier, ville – le demeure correspond lacertitude que l’espace extérieur est impratica-ble car dangereux.

Quelques réflexions à propos des processus coercitifs dans les Territoires occupés

. . .257

15. Le siège des villes cisjordaniennes s’est peu à peu ren-forcé à partir de septembre 2000. Les routes principales,puis les routes secondaires, enfin les chemins furent peu àpeu fermés pour aboutir à un contrôle total des accès desgrandes localités palestiniennes, deux ans plus tard. Cespoints de contrôle, supérieurs à 850 selon l’ONU, sontplus ou moins sophistiqués, allant de la tranchée faite aubulldozer au cantonnement militaire parfois informatisé.

86344 251-272 XP4 16/11/05 10:39 Page 257

Une différence d’échelle s’observe cepen-dant entre la bande de Gaza et la Cisjordanie.Souvent dépeinte comme une immense prisonà ciel ouvert, surpeuplée, la bande de Gaza està la fois plus étendue et relativement plus sûreque les localités palestiniennes de Cisjordanieoù l’occupation militaire sévit partout, à l’ex-ception de Jéricho. L’expérience de l’enferme-ment n’y est pas la même. Au pire pour seshabitants, l’armée peut contrôler les grandsaxes de la bande de Gaza, l’enclavant au maxi-mum en sept parcelles et y mener des attaquesaux frontières. En revanche, aucune localitécisjordanienne (sauf Jéricho) n’échappe plus aucontrôle direct de l’armée israélienne depuis lesgrandes opérations militaires débutées en 2001,que ce soit en ville (les anciennes zones Acréées lors du processus d’Oslo) ou dans lesvillages. Pour les Cisjordaniens, la distance estbien plus courte avant de se heurter à un bar-rage, et les interactions avec les soldats israé-liens bien plus fréquentes16.

L’espace physique et subjectif imparti auxacteurs peut ainsi se représenter par un ensem-ble de cercles concentriques. Au centre, lecorps de l’individu, parfois malmené, empri-sonné et/ou torturé, tué. Puis, une pièce de samaison, lorsque, en cas d’effraction par dessoldats, ceux-ci le confinent dans une pièce.Au-delà, la maison ou l’appartement, qui, selonla situation, peut être menacé(e) par sa proxi-mité avec un lieu de confrontation armée etpeut donc être abandonné(e) par ses habitants.Puis, le quartier, la ville ou le village. Et enfinla Cisjordanie ou la bande de Gaza, dont lesfrontières délimitent une zone d’enfermementgénéral permanente, à l’intérieur de laquelleexistent des zones d’enfermement spécifiques

et mouvantes, et à l’extérieur de laquelle il n’ya plus ni patrie ni oppression :

Ils veulent nous mettre dehors, bien sûrc’est leur but. Je serais bien mieux de-hors. Mais mon pays, ma terre, notre his-toire sont ici. […] Quand j’étais enprison, j’étais au moins dans ma patrie !Ils m’ont torturé mais j’étais chez moi, etlibre dans ma tête. Nous étions réunisentre nous, Palestiniens. […] De tempsen temps, les murs de la prison changent,ils les font bouger. Parfois nous sommesenfermés chez nous, parfois dans notrequartier où il y a le couvre-feu, parfoisc’est toute la ville. En fait, c’est surtouten dehors de la ville qu’on ne peut plus sedéplacer, c’est très difficile. Bien sûr onpourrait presque plus facilement sortir dupays – c’est ce qu’ils veulent – que voya-ger à l’intérieur de la Palestine. Je seraisbien mieux à l’extérieur, libre, sans peurmais aussi sans patrie. Je pourrais mêmetrouver du travail avec mes diplômes.Mais pourquoi ? Pour achever la Nakba ?Maintenant nous avons peur tout letemps, nous ne nous réunissons plus lesoir avec mes amis politiques. Le soir,tout le monde reste chez soi, à cause desincursions et des arrestations (Rami,45 ans, sociologue, enseignant, Ramal-lah, 1er juin 2002).

Ce qui se joue ici c’est la labilité, la fluiditéd’une situation où le statut, la praticabilité dechaque cercle géographique peut changer d’uninstant à l’autre. Ce n’est pas tant l’impossibi-lité de pratiquer tel ou tel espace qui importe

Vincent Romani

. . .258

16. Pour Israël, les enjeux territoriaux sont différentsentre la bande de Gaza et la Cisjordanie [Dieckhoff1989].

86344 251-272 XP4 16/11/05 10:39 Page 258

que la possibilité qu’à tout moment tel ou telespace, autorisé quelques heures auparavant,devienne impraticable. Il s’agit de décrire unconflit où la ligne de front est évanescente,passant rarement au même endroit ou à lamême heure. C’est dans le rapport probléma-tique au temps des individus qu’un tel dispo-sitif d’enfermement spatial se laisse le mieuxcomprendre. Plus précisément, l’idée d’hété-rochronie, comme dépossession, perte de lamaîtrise de son devenir, paraît adéquate pourrendre compte de cette conjoncture. Elle in-dique la soumission des rythmes sociaux etindividuels à la décision israélienne et non pasà celle des acteurs palestiniens. Non que l’ad-ministration militaire intervienne systémati-quement et directement dans les différentsdomaines de la vie sociale, mais elle menaceen permanence de le faire. La seule certitudemise en avant par les acteurs est paradoxale-ment celle de l’incertitude : impossibilité, àl’échelle individuelle et quodidienne, de sa-voir de quoi demain sera fait et incertitude,plus collective, quant au temps long, qui ren-voie au rêve et/ou à la prière la « paix » àvenir, c’est-à-dire la fin de l’occupation. Lacartographie répressive prend ainsi un autrerelief quand, éclairée par le phénomène d’hé-térochronie, la dépossession spatiale s’articuleà la dépossession temporelle :

Hier j’ai voulu aller à l’université pourdonner mon cours, alors comme d’habi-tude, j’ai d’abord téléphoné et on m’a ditqu’elle était ouverte. Puis j’ai pris un taxiqui a passé sans problème le premier bar-rage, à la sortie de Ramallah. Puis il s’estarrêté dans la descente car il y avait unbouchon, et je suis descendu pour aller

voir l’état du deuxième barrage. Il y avaitl’armée, j’ai vu des jeunes arrêtés sur lecôté, les militaires qui pointaient leurs fu-sils sur la foule des étudiants et employés,donc je suis rentré à Ramallah. Plus tardj’ai à nouveau téléphoné, on m’a dit queles militaires étaient encore là, et le soirj’ai appris qu’ils étaient partis trente mi-nutes après et que des cours avaient eulieu : si j’avais attendu, j’aurais pu entrer àl’université. Tous les jours c’est commeça. Parfois ça passe, parfois non, parfoisc’est la ville que tu ne peux pas quitter,parfois le quartier, parfois ta maison. Passouvent, mais ça fait partie de la guerrepsychologique. C’est comme ça qu’ils es-saient de nous avoir, depuis des années,depuis 1967. Regarde cette mouche17. Ilsnous disent : « Nous sommes toujours là,nous vous surveillons, vous ne pouvezpas nous échapper. » (Hassan, 55 ans,psychologue, enseignant, Ramallah, 5 fé-vrier 2002)

La permanence de la menace, conjuguée àla restriction des sorties en dehors de la bandede Gaza et de la Cisjordanie, empêche les indi-vidus comme les institutions de se projeter dansun avenir lointain (voir l’interview de Munzer).Le présent de l’histoire aliène le quotidien, lafluidité de la situation imposant d’être cons-tamment sous tension, réactif, à l’écoute desrumeurs, des informations radiophoniques et

Quelques réflexions à propos des processus coercitifs dans les Territoires occupés

. . .259

17. « Mouche » est l’appellation conférée aux drones is-raéliens, petits avions sans pilote télécommandés, munisde caméras de surveillance, voire de missiles, volant qua-siment en permanence et à basse altitude dans un vrom-bissement aigu et obsédant au-dessus des localités palestiniennes lorsqu’une opération militaire est en pré-paration (assassinat ou incursion) ou bien qu’on entendsimplement mener une surveillance routinière.

86344 251-272 XP4 16/11/05 10:39 Page 259

télévisées18. Se matérialisant en des lieux et desmoments résiduels, la violence quotidiennen’en est pas moins continuelle en ce qu’ellemaintient les acteurs dans la certitude de leurenfermement et dans l’incertitude quant à ladurée de celui-ci. Ici s’arrête l’analogie avec laprison de « droit commun » et la possibilité derapprocher ce quotidien palestinien de l’expé-rience carcérale judiciaire : dans le cas qui nousoccupe, l’espace praticable est à la fois plusvaste et plus fluctuant, et sans terme connupour les personnes enfermées19.

Choc des temporalités et contexte traumatique

L’évocation du quotidien se nourrit d’incessan-tes allusions aux épreuves collectives passées,l’accent étant mis sur les conditions de vie et desurvie en situation répressive. Les souvenirs re-montent à la première intifâda (1987-1993),pour ceux qui l’ont vécue, voire à la période an-térieure pareillement décrite comme une pé-riode d’intense engagement politique. Assezgénéralement, le ton des récits est plutôt nos-talgique :

Au moins on pouvait circuler à l’époque,il n’y avait pas de barrages. Bien sûr ledanger était omniprésent : les soldatsétaient dans la ville, et maintenant ils sontplus loin, mais aussi plus violents, ilsbombardent, viennent en chars et sontbrutaux au barrage, et nous, notre prisons’est agrandie mais ses murs sont plus so-lides (Ali, 39 ans, politologue, enseignant,Gaza, 6 juillet 2002).Avant, on se passait les livres interdits, onapprenait et on s’entraînait à se les repasser àla maison pour réussir à le faire dans la ruesans se faire voir. Si nous étions pris, c’étaitla prison, les coups, les interrogatoires, les

tentatives pour nous faire avouer, pour noustransformer en indics. Maintenant, c’est pos-sible tout ça, depuis Oslo. Mais maintenant,j’ai peur de prendre une rafale, un obus ouun missile dans la rue. C’est plus violent,moins fréquent, mais la peur est toujours là.On a tous peur (Maher, 44 ans, sociologue,enseignant, Ramallah, 14 novembre 2001).

Le basculement entre le « nous », collectif,et le « je », personnel, est récurrent dans tousces entretiens.

Si les universitaires arrivés après 1993 à lafaveur des accords d’Oslo parlent moins systé-matiquement de la première intifâda, ils ont encommun avec ceux ayant vécu l’occupation de-puis 1967 de faire immanquablement référenceà la Nakba de 1948. L’angoisse du devenir in-dividuel est ici constamment diluée dans l’ob-session de la menace collective existentielle :« Ils veulent nous faire disparaître, nous fairepartir, c’est une Nakba sans fin », répète inlas-sablement Munzer, à l’instar de ses collègues.Aux moments de crise les plus critiques,

Vincent Romani

. . .260

18. Les téléphones fixes, et surtout portables, détiennentune capacité vitale d’orientation et de réorientation dansl’espace-temps.

19. La comparaison avec l’expérience carcérale judiciairetelle qu’étudiée par Gilles Chantraine en France met enévidence une différence significative qui a trait à la pré-servation des réseaux de solidarité palestiniens, qui sontsurtout familiaux (voir l’article de Majdi al-Malki dans cenuméro), et à la préservation d’un sens collectif à laviolence, là où Gilles Chantraine montre un processusd’anomie pour les prisonniers français de droit commun.De même, pour les Palestiniens incarcérés dans les pri-sons israéliennes, les réseaux politiques jouent un rôlemajeur de construction de sens à l’intérieur de ces prisons[Bornstein 2001 ; Chantraine 2004 ; Nashif 2003].

86344 251-272 XP4 16/11/05 10:39 Page 260

comme durant l’année 2002 lorsque l’armée is-raélienne entreprend de se redéployer à l’inté-rieur des zones qu’elle ne contrôlait auparavantqu’en les assiégeant, les rumeurs d’une nou-velle expulsion se font plus pressantes :

Ils veulent nous faire partir, comme en1948, mais cette fois nous ne bougeronspas. Une fois ça suffit, je ne bougerai pasde chez moi (Imad, 34 ans, sociologue,enseignant, Ramallah, 18 mars 2002).

Cette peur primaire et fondatrice du collec-tif se transmet de génération en générationet participe largement à la reconstruction del’identité palestinienne [Khalidi 1997].

La notion de traumatisme, telle que criti-quée et retravaillée par Antonius Robben etMarcelo Suarez-Orozco [op. cit.], paraît heu-ristique pour notre propos. Afin de mieux com-prendre la portée d’un traumatisme – entenducomme conséquence d’un événement particu-lièrement violent introduisant une rupture dansla vie d’un individu –, ces auteurs refusent dedétacher la dimension individuelle des dimen-sions à la fois collective et passée. Ils prennentacte du fait que les limites d’un traumatismesuivent des frontières variables en fonction dessystèmes de valeurs des groupes humains etque nombre de traumatismes peuvent se pro-duire à l’échelle macrosociale, dans les cas depurification ethnique, de génocide ou de dicta-ture, par exemple.

La Nakba de 1948, expulsant d’un territoireles deux tiers de la population palestinienne,constitue à ce titre un traumatisme collectif.Des épisodes comme l’invasion israélienne de1967 et son cortège d’expulsions, l’occupationet son cortège de révoltes et de répressions sont

autant de séquences d’une longue suite d’évé-nements traumatiques inscrits dans la mémoiredes acteurs. Ces souvenirs, transmis de généra-tion en génération20, sans cesse mobilisés parune situation de crise continue, réactivent àchaque irruption violente les craintes existen-tielles de disparition collective :

Écoute, moi j’ai de la chance, j’ai réussi,j’ai voyagé, je suis docteur. Mes parentsétaient de Jaffa et n’ont pas eu cettechance. Nous avons toujours les titres denotre propriété là-bas. Quand les Juifs [lesmilitaires israéliens] nous ont envahisl’autre jour, ma grand-mère est devenuefolle, elle a dit qu’ils allaient encore nouschasser. Nous pleurions tous, nous avonscaché les titres de propriété de notre mai-son actuelle et de notre maison passée.C’est sûr qu’ils veulent nous chasser,mais nous tiendrons, nous résisteronscette fois, nous ne voulons plus partir, re-faire la même erreur, même s’ils nous ren-dent la vie impossible, même s’ils doiventnous rendre fous. Nous resterons, c’estnotre seule liberté, de choisir de rester(Mohamed, 53 ans, sociologue, ensei-gnant, Gaza, 30 juin 2002).

Les souvenirs, qu’ils soient personnels outransmis, contribuent à une mythification de lapremière intifâda comme grande période desouffrance sublimée par le sentiment de pren-dre part à une mobilisation révolutionnaire, au

Quelques réflexions à propos des processus coercitifs dans les Territoires occupés

. . .261

20. Sur la transmission intergénérationnelle des trauma-tismes, voir Y. Gampel [2000] ; sur la transmission inter-individuelle et les traumatismes secondaires, voir C.R.Figley et R.J. Kleber [1995] ; sur la notion de traumatismeséquentiel, voir R.J. Kleber, C.R. Figley et B.P. Gersonseds. [1995: 3-4].

86344 251-272 XP4 16/11/05 10:39 Page 261

détriment d’un soulèvement actuel vécu sur lemode plus amer de l’impuissance, de l’échec etde la dilution nationale21 :

J’ai eu ce rêve éveillé, hier, de me ré-veiller maintenant et de me voir fairemaintenant ici les mêmes choses, de direles mêmes choses avec mes voisins quependant l’intifâda de 1987 : « Tel barrageest-il ouvert ? Les soldats sont-ils dans lequartier ? Qui a été arrêté ou tué? Que sepassera-t-il demain? Que se passe-t-il au-jourd’hui ? » En fait j’ai l’impression deme réveiller d’un rêve ou bien d’un cau-chemar, celui d’Oslo, pour replonger dansla réalité de l’occupation. Peut-être quec’est l’inverse, que la réalité c’était Osloet le cauchemar aujourd’hui. Peut-êtreque ce ne sont que des cauchemars et queje vais bientôt me réveiller. Nous sommessi divisés cette fois, ça n’a rien à voir avec1987 : on y croyait alors, on se battait, onpouvait se battre (Hana, 55 ans, histo-rien, enseignant, Ramallah, 20 septembre2001).

Ici encore, nation et individu, passé et pré-sent sont mêlés. Ce croisement des temporali-tés, où le présent est éclairé par le passé,l’individu par sa nation, se laisse donc mieuxappréhender par la notion de contexte trauma-tique qui renvoie aux dimensions à la fois col-lectives et séquentielles des effets de laviolence sur les individus, dimensions sans les-quelles ne seraient pris en compte que l’événe-mentiel immédiat et l’individu-victime. Ainsise comprend que les acteurs dénient d’indivi-dualiser leur souffrance et refusent d’en faireun événement traumatique rompant le cours deleur vie personnelle :

Je suis docteur de l’Université, cultivé.Les soldats, tous jeunes, sont venus unenuit dans ma maison, nous ont réveillés,m’ont battu devant mes enfants et mafemme, nous ont insultés, nous ont bra-qués avec leurs fusils, nous ont traités deterroristes et d’ânes, en arabe. Ce sont euxles ânes et les terroristes. Ils ont tout casséet ils ont détruit les récoltes d’huile d’o-live de mon frère. Mais ça c’est normal,c’est notre vie en Palestine depuis des an-nées. Nous avons eu de la chance, ils au-raient pu me tuer, m’emmener, metorturer, comme ils font souvent. C’est lavie. Qu’est-ce qu’on peut y faire ? C’estpareil ou pire pour tout le monde. Nousavons réparé et racheté le mobilier, nousnous entraidons en famille. Grâce à Dieu,tout va bien (Mahmoud, 43 ans, juriste,enseignant, Naplouse, 15 mai 2001).

Un dernier aspect, présent en filigrane dansce qui précède, a trait aux phénomènes de dé-possession de soi illustrés par le recours per-manent, dans les entretiens comme dans la viecourante, à l’expression « qu’est-ce qu’on peut[y] faire ? », lorsqu’on évoque la situation.

Logiques hétéronomesÀ la fois question et constat, ce « qu’est-cequ’on peut [y] faire? » exprime l’expérience etle sentiment de perte de maîtrise de son propredevenir. Ce processus d’hétéronomie est lié auxlogiques complexes de l’estime de soi, très dépendante, dans ce contexte traumatique, del’estime collective [Braud op. cit. : 145-227].

Vincent Romani

. . .262

21. Différence structurelle entre les deux mobilisations etportrait de la deuxième intifâda développés dans P. Lar-zillière et R. Leveau [2003] et R. Hammami et S. Tamari[2000].

86344 251-272 XP4 16/11/05 10:39 Page 262

La question qui se pose est celle des modalitésde maintien d’une estime de soi minimale quipermette aux acteurs de ne pas sombrer dans uncontexte d’humiliation permanente les rame-nant sans cesse à leur impuissance en tantqu’individus et en tant que peuple22.

Le contexte traumatique est systématique-ment rappelé, sinon par les vécus individuelsdu moins par les médias. La presse quotidiennenationale (al-Quds, al-Ayyâm, al-Hayât al-Ja-dîda) montre invariablement en première pagedes scènes de violence de l’armée israélienne àl’égard des Palestiniens. Par ailleurs, lesconfrontations directes avec les soldats (à despoints de contrôle ou lors de fouilles de mai-sons) sont particulièrement traumatisantes carelles détruisent le rôle protecteur habituelle-ment dévolu aux hommes et aux pères de fa-mille : en s’attaquant aux « hommes en âge decombattre », la répression sape la dimensionsexuée de l’ordre social à l’intérieur de famillesoù les enfants ne se sentent plus protégés par unpère humilié devant leurs yeux :

Tu comprends, ils m’ont humilié devanttout le monde, dans la rue, m’ont forcé àme déshabiller. Heureusement, mes en-fants n’étaient pas là cette fois, mais uneautre fois ils sont venus dans notre maisonet ont fait exprès de m’humilier et dem’insulter, ainsi que mes grands fils, de-vant ma femme et les filles. C’est hon-teux. Sacrilège ! Ils ne sont pas humains.Ce sont des bêtes (Mahmoud, 43 ans, ju-riste, enseignant, Naplouse, 15 mai 2001).

Sans constituer de face-à-face émotionnel-lement intenses, l’attente de bombardements,l’enfermement entre les quatre murs de la mai-son dans la crainte de l’irruption des soldats si-

gnent également la déchéance de l’image pro-tectrice du père :

Depuis la dernière incursion, mon filsn’est plus pareil. Il a eu si peur, on a touseu si peur quand ils ont bombardé. Toutesles vitres ont explosé, heureusement nousétions dans une autre pièce. Mais depuis,il est insupportable, il ne m’obéit plus ni àsa mère. Il est violent, imprévisible. Il faitce qu’il veut. Il sait que je suis toujoursstressé (Abdel, 39 ans, sociologue, ensei-gnant, Ramallah, 25 mai 2002).

Le cas d’Abdel, continuellement stressé, estexemplaire de ces Palestiniens ayant habité àl’étranger avant de venir s’installer à Ramallah,après 1994. Ils sont moins habitués à la vio-lence et donc moins résistants au stress queleurs compatriotes qui ont connu la premièreintifâda.

Quarante universitaires – sur les soixanterencontrés – ont vécu en territoire palestinienavant la période d’Oslo (1994). Ils connaissentbien les couvre-feux, les contrôles, les fouilleset les arrestations. Ils parlent ou comprennentl’hébreu et ont souvent eu l’occasion d’aller enIsraël pour y travailler ou pour visiter le pays.Ils n’ont pas la phobie d’un ennemi déperson-nalisé qui contribuerait à leur angoisse. Du faitde cette socialisation précoce à la violence del’occupation, ils ont mis en œuvre des tactiques

Quelques réflexions à propos des processus coercitifs dans les Territoires occupés

. . .263

22. Outre les pertes économiques, on déplore, au cours del’intifâda, plus de 3 000 morts (pour l’essentiel des civils,dont 600 mineurs de moins de 17 ans), 20 000 blessésdont 2 500 handicapés à vie, au moins 25 000 personneslaissées sans abri après les destructions de maisons, plusde 7 000 personnes emprisonnées et 15 000 autres déte-nues dans des conditions difficiles.

86344 251-272 XP4 16/11/05 10:39 Page 263

discursives et pratiques permettant de relativi-ser leurs expériences personnelles, au doublesens de mise en relation avec les expériencesdes autres membres de la communauté et d’at-ténuation, voire de déni, de leurs propres souf-frances :

Je les connais, les Israéliens, je regardeles informations israéliennes, je sais com-ment ils réfléchissent. Ça me donne unavantage sur des collègues qui neconnaissent rien, surtout les nouveaux. Çam’aide pour comprendre l’actualité, maisaussi, au quotidien, pour passer un bar-rage, en cas de fouille. […] En fait, ilssont normaux, y en a qui sont gentils, hu-mains. […] Et puis nous avons l’expé-rience, ce n’est que l’occupation, c’esttout. C’est dur, mais nous vivons. Grâce àDieu. Et nous résistons comme cela. C’estnotre condition, à nous Palestiniens (Has-san, 55 ans, psychologue, enseignant, Ra-mallah, 5 février 2002).

Est mise en avant l’idée de « résistance pas-sive » (sumûd)23 pour justifier le fait de tenirdans de telles conditions. Continuer à vivre, sansdésespérer et sans s’exiler, est présenté commeun combat victorieux aussi longtemps que l’in-dividu peut aller au travail, manger, ramener unsalaire à la maison, inviter des amis, rire :

Nous n’avons rien, nous n’avons que nosvies, elles sont dures. Mais c’est une vic-toire chaque jour de ne pas être arrêté, deréussir à aller au travail, et je veux conti-nuer parce que je ne veux pas qu’ils pen-sent qu’ils ont gagné en détruisant notreesprit et notre dignité. […] C’est notremanière à nous de résister (Maher, 44 ans,sociologue, enseignant, Ramallah, 14 no-vembre 2001).

Ce qui importe ici c’est que ces individusregagnent l’estime de soi dont ils sont dépossé-dés en se réappropriant les humiliations subieset en les transformant en autant de victoires.

Le déni (de la souffrance personnelle) faitpartie des pratiques observées pour mettre àdistance la violence et ses effets24. De fait, ilnous a été très difficile, dans notre enquête, derecueillir des témoignages circonstanciés d’événements traumatiques individuels. Enpublic, la forme du récit de la violence quo-tidienne est fortement contrôlée par l’assis-tance, et celui qui prend la parole se censurebien souvent, de peur d’être considéré commeprétentieux ou comme fragile. En privé, outrela pudeur, le déni permet de tenir à distancel’événement et ainsi de tenir bon au quotidien.Dans ce cadre, le contexte traumatique consti-tue une sommation constante à se tenir prêtface au prochain événement, en tension vers lefutur proche, et permet paradoxalement de setenir à distance du passé tout en obérant laprojection dans un futur lointain. Autrementdit, le contexte traumatique, en ce qu’il estcontinu, permet paradoxalement aux indivi-dus de résister aux effets destructeurs de la re-mémoration.

C’est aussi en ce sens que l’on peut parler d’unebanalisation de la violence, d’une accoutumance

Vincent Romani

. . .264

23. Le sumûd est une pratique et une représentation pa-lestiniennes qui tire ses origines de l’occupation de 1967[Shehadeh 1984], se développe pendant le premier sou-lèvement en s’articulant à une résistance plus active[Tamari 1989] .

24. Les Palestiniens recourent également à l’humour poursurmonter les aspects les plus inconfortables du quoti-dien.

86344 251-272 XP4 21/11/05 14:27 Page 264

des acteurs à un contexte violent qui leur fait met-tre en place des schèmes de pensée et d’actiondéterminés par des événements, singuliers dansleur déroulement mais communs dans leur ré-pétition (contrôles militaires, menaces d’incur-sion, couvre-feux, arrestations, fouilles,interrogatoires). Ces violences imposées quistructurent le quotidien des acteurs appellentdes comportements précis : il faut être patient,se munir d’un téléphone portable, faire desstocks de vivres et de bougies en cas d’incur-sion, savoir répondre à un soldat, être capablede repérer et d’évaluer la dangerosité d’un lieuou d’une situation, se maîtriser si l’on est pro-voqué par un militaire… Nos interlocuteurs fu-rent souvent étonnés lorsqu’un étranger leurfaisait part de ce qui le choquait le plus, à sa-voir les angoisses occasionnées par tout dépla-cement en général, et les humiliations auxpoints de contrôle en particulier, données aux-quelles eux-mêmes ne pensaient plus et qui leurparaissaient normales25.

C’est incroyable ! Tu vois, ce qui techoque, ça ne me choque plus. Ça me pa-raît normal, tout me paraît normal, c’estextraordinaire, c’est moi qui devrais trou-ver ça insupportable ! Il faut que ce soitun étranger qui me rappelle la situationdans laquelle nous vivons. Tu as vu cequ’ils font de nous ! (Ahmad, 57 ans, po-litologue, enseignant, Ramallah, 13 juin2002)

Mais cette accoutumance à une violencepermanente n’empêche pas les individus derendre leur quotidien vivable et d’échapper àl’image de la victime absolue en relativisantleur détresse. C’est en cela qu’on peut parler de

déplacement des seuils de tolérance à la vio-lence, relativement important chez les acteursqui réussissent à maîtriser ses effets destruc-teurs en ménageant ainsi leur estime de soi.Comme si la répétition quantitative des expé-riences violentes menait à l’atténuation de leursignification qualitative.

On observe, en deuxième lieu, un déplace-ment, de l’individuel vers le collectif. Cettecollectivisation de l’expérience violente permetune protection de l’estime de soi. Elle porte enparticulier sur deux objets : l’humiliation et laresponsabilité.

L’extrait d’entretien qui suit montre l’atta-chement de Maher à relativiser l’humiliationqu’il vient de subir :

Tout le monde, nous tous Palestiniens, vi-vons cela : pourquoi en parler ? Si chacundevait parler de ses problèmes avec les Is-raéliens, on en parlerait sans fin. Si jeparle des problèmes que j’ai eus avec lesIsraéliens, ce sont les problèmes de tout lemonde. C’est bien connu : les barrages,les insultes, les humiliations, l’absence defutur et d’espoir, et ainsi de suite. C’estvrai, j’ai été insulté, humilié ce matin pardes soldats, en allant à l’université. Maisc’est normal. Pas de problème. On vit.Grâce à Dieu (Maher, 44 ans, sociolo-gue, enseignant, Ramallah, 14 novembre2001).

Maher et bien d’autres évitent, en famille,de parler de leurs déboires, sinon pour en rire.

Quelques réflexions à propos des processus coercitifs dans les Territoires occupés

. . .265

25. Le passage quotidien de barrages et de contrôles re-présente, à cet égard, un observatoire remarquable : on ydistingue facilement les habitants des Territoires des per-sonnes non familières de ces lieux et procédés.

86344 251-272 XP4 16/11/05 10:39 Page 265

Cependant, on parlera plus facilement des pro-blèmes des autres. Et si l’on parle de soi, c’estpour immédiatement généraliser à l’ensembledes Palestiniens.

Les acteurs rencontrés procèdent égalementà la généralisation de la responsabilité d’unetelle situation. À l’instar de Munzer, qui jugesévèrement ses compatriotes, une majorité deses collègues s’en prennent autant aux Palesti-niens qu’aux Israéliens :

Nous sommes des ânes, c’est vrai. Re-garde, nous nous laissons faire, nous nesavons pas négocier, nous ne savons pasnous battre. Nous ne connaissons que laforce, nous ne faisons que des erreursparce que nous sommes incultes (Maher,44 ans, sociologue, enseignant, Ramallah,14 novembre 2001).

« Regarde ce qu’ils [les Israéliens] font denous, ils nous transforment en bêtes, nous som-mes devenus des bêtes ! », dit Rami en colèreen montrant une scène de dispute entre Palesti-niens dans une file d’attente à un barrage.

Ces propos pointent un aspect de la collecti-visation de la responsabilité, qui réside en la ré-appropriation fréquente par les Palestiniens de larhétorique politique israélienne à leur encontre.Autant qu’un phénomène d’intériorisation et deretournement contre soi de la violence subie, ceprocessus renvoie à la protection de l’estime desoi, autrement appelée reprise de soi, qui déportela responsabilité d’une expérience traumatiqueindividuelle sur le collectif et permet d’échapperà l’image de la victime d’un oppresseur extérieuren s’appropriant sa rhétorique.

Au-delà de drames personnels insurmonta-bles qui peuvent survenir dans ce contexte

traumatique, le référent collectif peut se trouverbouleversé, à la suite de violences pratiquées,sur des Palestiniens, par des compatriotes.

Farid est dans ce cas de figure, emprisonnéet torturé des mois durant dans un service desécurité gazaoui pour avoir proposé à ses étu-diants un sujet de dissertation sur la corruptionau sein de l’Autorité palestinienne :

Depuis cette expérience, je suis détruit,mon cœur est brisé, ça m’a fait beaucoupde mal. Des frères palestiniens m’ont tor-turé comme le font les Israéliens, m’ontinsulté, m’ont accusé de trahison. […] Jen’ai plus qu’une idée c’est de partir(Farid, 43 ans, politologue, enseignant,Gaza, 20 juillet 2002).

Farid, militant politique, a réussi à partir pourl’Europe, grâce à sa profession.

Abdallah, politologue à l’université deNaplouse, a, lui aussi, été agressé et empri-sonné plusieurs fois à Naplouse et Jéricho, en1999 et 2000, en raison de ses véhémentes cri-tiques à l’encontre de l’Autorité palestinienneet de son président, Yasser Arafat. S’il se réfèreencore au collectif des « Palestiniens » c’est entant que peuple, et pour mieux en exclure la di-rection actuelle qu’il accuse de trahison. Il re-jette l’entière responsabilité de la situation surl’Autorité palestinienne, procédé qui ne semblepas ici servir une tactique de préservation del’estime de soi contre l’humiliation :

Ce sont des traîtres à la cause palesti-nienne et au peuple. Ils nous ont trompés,volés, conduits à la défaite depuis 1967.Le peuple devrait se soulever contre euxavant de se soulever contre les Israéliens.C’est le seul moyen de vaincre. Bien sûr,

Vincent Romani

. . .266

86344 251-272 XP4 16/11/05 10:39 Page 266

quand je dis cela, ils m’emprisonnent. Ils nevalent pas mieux que les Israéliens (Abdal-lah, politologue, enseignant, Naplouse,5 mai 2001).

Néanmoins, dans les multiples référencesqu’Abdallah fait au « peuple palestinien » onpeut déceler un autre type de déplacement quirenvoie, cette fois, aux dimensions de l’enga-gement.

Nombreux sont les universitaires rencontrésqui revendiquent un engagement pour la causepalestinienne selon des modalités et des repré-sentations différentes. Ils redéfinissent leurs in-vestissements sociaux à mesure qu’évolue ets’aggrave la conjoncture. Certains réussissent àréorienter leur pratique professionnelle :

Avant, pendant Oslo, j’ai cru aux promes-ses de paix, de liberté et d’État. Nous don-nions des cours de développement social,de développement politique ; il était pos-sible d’introduire des cours sur les pro-blématiques du gender. Mais maintenantce n’est plus possible. C’est fini. On a dé-veloppé d’urgence un programme d’aidesociale et communautaire. J’y ai passébeaucoup de temps. C’est plus utile pourle peuple que de la théorie, et nous on sesent utiles à la lutte nationale (Neila, 45ans, sociologue, enseignante, Naplouse,14 mars 2001).

Grâce à son insertion dans des réseauxscientifiques internationaux, Samir, commecertains de ses collègues, s’investit dans desprojets de recherche portant sur la probléma-tique centrale de la question palestinienne(c’est-à-dire sur les guerres de 1948 et la ques-tion des réfugiés) :

Tu vois, c’est une question de survie. Ilfaut à tout prix montrer scientifiquementla vérité. Les réfugiés de 1948 commen-cent à mourir, bientôt il n’y aura plus detémoins (Samir, 43 ans, sociologue, cher-cheur, Ramallah, 12 février 2002).

D’autres préfèrent s’adonner au bénévolat :

Maintenant je fais le minimum à la fa-culté. De temps en temps je propose unarticle à la presse. Mais c’est tout. Maisj’aide ailleurs, dans une associationd’aide aux victimes (Munzer, 53 ans, so-ciologue, enseignant, Naplouse, 20 avril2001).

D’autres encore, démobilisés professionnel-lement, se cantonnent à la sphère familiale enjustifiant de leur devoir de chef de famille :

C’est fini. Qu’est-ce qu’on peut faire ? Jereste juste auprès de ma famille, c’estmon devoir, pour les protéger et les nour-rir. Nous survivons. C’est un grand projetde vivre dans ce contexte (Mahmoud, 43ans, juriste, enseignant, Naplouse, 15 mai2001).

Dans tous les cas, le souci de préservationde l’estime de soi est présent, dit en termes d’u-tilité sociale et se déclinant diversement selonles acteurs. Joue ici l’inégale distribution desressources mobilisables pour s’adapter à uncontexte qui ne valorise plus les mêmes com-pétences. Il est plus facile pour un sociologueou un politologue de reconvertir ses pratiquesprofessionnelles vers ce qu’il juge utile, soitvers des programmes et projets d’aide d’ur-gence, soit vers des problématiques perçues com-me nationales (les financements internationaux

Quelques réflexions à propos des processus coercitifs dans les Territoires occupés

. . .267

86344 251-272 XP4 16/11/05 10:39 Page 267

ne manquent pas dans ce cas). En revanche,pour les universitaires les plus démunis (maî-trise de l’anglais, insertion dans des réseauxscientifiques internationaux, discipline sociale-ment considérée comme immédiatement utile),les choix sont plus restreints et ils souffrentalors d’une double marginalisation : à l’inté-rieur du domaine académique et dans la sociétéplus largement.

Une spécificité ayant trait aux trajectoires desuniversitaires palestiniens dans ce contexte trau-matique nous a paru intéressante. Près de 70 %d’entre eux ont séjourné à l’étranger pour, auminimum, y accomplir leur thèse de doctorat(certains sont nés dans un autre pays, d’autresn’y ont validé qu’un diplôme de second cycle)[Romani 2003]. La moitié des soixante inter-viewés ont soutenu leur thèse dans une universitéoccidentale, européenne ou nord-américaine.Ayant connu une autre organisation sociale etacadémique que celle qu’ils retrouvent dans lesTerritoires occupés, certains sont en proie à destensions douloureuses. Les mieux insérés dansles circuits scientifiques internationaux parvien-nent à se réinvestir professionnellement etconservent cette possibilité de migrer. Les moinsbien insérés dans de tels circuits, lorsqu’ils sontà proximité de leur famille, peuvent redistribuerleurs investissements sociaux vers leurs proches.Reste cette catégorie intermédiaire – quinze per-sonnes, soit un quart du groupe étudié –, moyen-nement insérée dans les circuits académiquesinternationaux: insuffisamment pour y espérerun investissement professionnel mais suffisam-ment pour avoir intériorisé un certain nombre denormes. Ainsi le regret de ne pouvoir mener unevie privée en dehors des injonctions familialesconstantes est-il souvent exprimé:

Ici je n’ai pas de vie privée, je ne peux pasm’isoler, ni pour travailler, ni pour réflé-chir, ni pour prendre du temps pour moi.Il faut toujours aller rendre visite à ma fa-mille ou bien à celle de ma femme. Im-possible de travailler. C’est insupportable.C’était bien mieux en Angleterre : j’or-ganisais mon emploi du temps comme je voulais, c’était la liberté (Munzer,53 ans, sociologue, enseignant, Naplouse,20 avril 2001).

Là où les uns peuvent mobiliser des cerclesde reconnaissance professionnelle internatio-naux, les autres leurs cercles familiaux, la fiertéde tous est mise à mal quand ils se résolvent àadopter un fonctionnement relationnel qu’ilsvivent comme imposé (certains souffrent de so-litude en cas de refus ou d’impossibilité de re-courir à la solidarité familiale). Par ailleurs,ayant connu, pour la plupart d’entre eux, ce quepeut être un contexte pacifié dans des paysétrangers, ils sont plus sensibles à la violenceque leurs compatriotes qui n’ont vécu que dansce contexte traumatique. Aussi, la catégoriedite intermédiaire des universitaires est la plusvulnérable et la plus impuissante :

Qu’est-ce qu’on peut faire ? Il n’y a plusde Palestine, plus de partis, plus d’unité.Nous avons tous peur, chacun reste chezsoi. On ne peut pas gagner avec les armes,il n’y a rien à faire, mais on perd de toutefaçon si on n’en fait rien. Moi je ne saisplus quoi faire, quoi penser, quoi souhai-ter. Des étudiants sont allés faire des opé-rations-martyr [attentats ou attaques-suicides] : mais qu’est-ce qu’on peut faired’autre? Moi, heureusement que j’ai untravail et une famille, ça m’empêche d’ypenser et puis je lutte à ma façon, parl’éducation, même si, en fait, je ne sais

Vincent Romani

. . .268

86344 251-272 XP4 16/11/05 10:39 Page 268

Quelques réflexions à propos des processus coercitifs dans les Territoires occupés

. . .269vraiment pas ce que nous pouvons faire.

[…] Je ne peux pas travailler dans cetteambiance, avec ma famille à supporter,mais je ne peux pas partir (Ali, 39 ans, po-litologue, enseignant, Gaza, 6 juillet2002).

Par sa focale d’observation réduite, notredémarche anthropologique permet d’accéder àl’échelle microsociale de déploiement et de ré-ception de la coercition, et de l’envisagercomme contexte traumatique reliant l’individuà son passé comme à son environnement[Revel 1996]. Ni victimes écrasées, ni héros, niindifférents à leur contexte, les Palestiniensrencontrés apparaissent ainsi dans leur extraor-dinaire ordinarité face à la violence organisée,où diverses tactiques de reprise de soi répon-dent à la dépossession de soi et de son temps.C’est en rattachant ce quotidien d’individus or-dinaires à des processus sociaux plus larges eten procédant à une mise en perspective dia-chronique que cette approche se révèle plus fé-conde que des grilles de lecture classiquessupposant une causalité linéaire de la violence[Feldman 1995]. Elle permet de localiser laviolence dans les anfractuosités du militaire, dela politique et des structures.

La notion de frontière peut ici être mobili-sée, sous un double point de vue. D’une part,les frontières disciplinaires dans les sciences del’homme et de la société. Rarement admises,les capillarités conceptuelles sont pourtant fré-quentes entre, par exemple, psychologie et so-ciologie [Lahire 1998]. Une fois identifiées la

portée et les limites des disciplines concernantune problématique, il est alors possible et fruc-tueux de mettre en tension ces différents ac-quis. Dans le contexte coercitif palestinien, nepas le faire serait se contenter d’une descriptioncausale et macroscopique. La marge de ma-nœuvre est étroite entre dénonciation, victimi-sation ou irénisme, dans le projet de montrerles logiques sociales de la violence au quoti-dien. Les instruments existent cependant, quiévitent de constituer la violence en no man’sland théorique et humain.

D’autre part, la notion de frontière, sou-vent mobilisée comme dispositif politique decontrainte à propos de la situation des Palesti-niens dans les Territoires occupés [Bornstein2002], peut devenir insuffisante à l’analyse dela coercition lorsque cette dernière se mue ensituation de crise. En évoquant une fluidifica-tion des rythmes et secteurs sociaux en tempsde crise, Michel Dobry [op. cit.] soulignebien l’évanescence des structures sociales. Cequi est en jeu ici c’est moins l’existence defrontières statiques que l’ubiquité incertainede frontières à la fois spatiales et temporelles,devenues mouvantes, et dont le tracé échappeaux destinataires de la violence. Au mieuxsubsistent en territoire palestinien de multi-ples niches humaines dont le contrôle dutemps social dépend de l’armée israélienne, etau sein desquelles les individus développentdes moyens de gestion appropriés de l’incerti-tude, entendue comme insécurité existen-tielle.

86344 251-272 XP4 16/11/05 10:39 Page 269

Vincent Romani

. . .270

Amiraux, V. et D. Cefaï eds. — 2002, Les risques dumétier. Engagements problématiques en sciences so-ciales (Cultures et conflits 47). Boltanski, L. — 1993, La souffrance à distance. Mo-rale humanitaire, médias et politique. Paris, Métailié. Bornstein, A. — 2001, « Ethnography and the Politicsof Prisonners in Israel-Palestine », Journal of Contem-porary Ethnography 30 (5) : 546-574. — 2002, « Bor-ders and the Utility of Violence », Critique ofAnthropology 22 (2) : 201-220. Botiveau, B. et A. Signoles — 2004, « Phénomènesvindicatoires dans la société palestinienne », Autre-ment 228 : 104-114.Botiveau, B. et A. Signoles eds. — 2003, D’une inti-fâda l’autre. La Palestine au quotidien (Égypte-Mondearabe 6).Bourdieu, P. et L. Wacquant eds. — 1992, Réponses.Pour une anthropologie réflexive. Paris, Le Seuil. Bourgeois, P. — 2002, « La violence en temps deguerre et en temps de paix. Leçons de l’après-guerrefroide. L’exemple du Salvador », in V. Amiraux et D.Cefaï eds. op. cit. : 45-81. Bozarslan, H. — 2004, Violence in the Middle-East.From Political Struggle to Self-Sacrifice. Princeton,Markus Wiener Publishers.Braud, P. — 1996, L’émotion en politique. Paris, Pres-ses de la FNSP.Chantraine, G. — 2004, Par-delà les murs. Expérien-ces et trajectoires en maison d’arrêt. Paris, LeMonde/PUF. Debié, F. et S. Fouet — 2001, La paix en miettes. Israëlet Palestine (1993-2000). Paris, PUF.Dieckhoff, A. — 1989, Les espaces d’Israël. Paris,Presses de la FNSP. Dieckhoff, A. et R. Leveau eds. — 2003, Israéliens etPalestiniens. La guerre en partage. Paris, Balland. Dobry, M. — 1991, Sociologie des crises politiques.Paris, Presses de la FNSP. Feldman, A. — 1995, « Ethnographic States of Emer-gency », in C. Nordstrom et A. Robben eds., Fieldworkunder Fire. Contemporary Studies of Violence and Sur-vival. Berkeley, University of California Press : 224-252.

Figley, C.R. et R.J. Kleber — 1995, « Beyond the “vic-tim”. Secondary Traumatic Stress », in R.J. Kleber, C.R.Figley et B.P. Gersons eds., Beyond Trauma. Culturaland Societal Dynamics. New York, Plenum Press : 75-98. Gampel, Y. — 2000, « Reflections on the Prevalenceof the Uncanny in Social Violence », in A. Robben etM. Suarez-Orozco eds., Cultures under Siege. Collec-tive Violence and Trauma. Cambridge, CambridgeUniversity Press : 48-69. Grignon, C. et J.-C. Passeron — 1989, Le savant et lepopulaire. Misérabilisme et populisme en littérature eten sociologie. Paris, Gallimard/Le Seuil. Hammami, R. et S. Tamari — 2000, « Anatomy ofAnother Rebellion », MERIP (Middle East ResearchInformation Project) 217 : 2-15. Hass, A. — 2001, Boire la mer à Gaza. Paris, La Fa-brique. Héritier, F. ed. — 1996-1999, De la violence. Paris,Odile Jacob. 2 vol.Khalidi, R. — 1997, Palestinian Identity. The Cons-truction of a Modern National Consciousness. NewYork, Columbia University Press.Kleber, R.J., C.R. Figley et B.P. Gersons eds. — 1995,Beyond Trauma. Cultural and Societal Dynamics.New York, Plenum Press. Lacroix, B. — 1985, « Ordre politique et ordresocial », in J. Leca et M. Grawitz eds., Traité descience politique. T. 1. Paris, PUF : 469-566. Lahire, B. — 1998, L’homme pluriel. Les ressorts del’action. Paris, Nathan. Larzillière, P. — 2003a, « Le “martyr” palestinien,nouvelle figure d’un nationalisme en échec », in A.Dieckhoff et R. Leveau eds. op. cit. : 89-116. —2003b, « Construction nationale et construction desoi. L’évolution de l’engagement politique des jeunesde la première à la deuxième intifâda », in B. Botiveauet A. Signoles eds. op. cit. : 19-36.Larzillière, P. et R. Leveau — 2003, « La nouvelleconfrontation israélo-palestinienne », in A. Dieckhoffet R. Leveau eds. op. cit. : 23-54.

Bibliographie

86344 251-272 XP4 16/11/05 10:39 Page 270

Quelques réflexions à propos des processus coercitifs dans les Territoires occupés

. . .271

RésuméVincent Romani, Quelques réflexions à propos des pro-cessus coercitifs dans les Territoires occupésÀ partir d’une ethnologie d’universitaires palestiniens desTerritoires occupés, cet article se propose de rendrecompte de certaines dimensions, peu évoquées, de la vio-lence à l’œuvre dans cet espace. Nous pensons qu’auxlieux et moments de violence les plus immédiats cor-respondent des logiques médiates d’expérience de la vio-lence par les acteurs. Cette mise en relation del’expérience quotidienne des individus avec les dispositifsde contrainte permet de saisir la portée sociale des phéno-mènes coercitifs en évitant les registres réducteurs de la

AbstractVincent Romani, A Few Thoughts about Coercive Pro-cesses in the Occupied TerritoriesThis ethnological study of Palestinian academics from theOccupied Territories seeks to explain certain seldom men-tioned dimensions of violence there. “Mediate logics ofthe experience of violence by actors” correspond to theimmediate places and times of acts of violence. This cor-relation of individuals’ everyday experiences with coer-cive measures highlights the social scope of coercivephenomena while avoiding the reductionistic categoriesof victimization, heroism or even depersonalized institu-tions. The analysis of spatial confinement turns out to be

Leca, J. — 1973, « Le repérage du politique », Projet71 : 11-24. Legrain, J.-F. — 1996, « Judaïsation et démembrement.Politiques israéliennes du territoire en Cisjordanie-Gaza(1967-1995) », Maghreb-Machrek 152 : 42-78. —2003, « Les phalanges des martyrs d’al-Aqsâ en mal deleadership national », Maghreb-Machrek 176: 11-34. Mac Adam, D., S. Tarrow et C. Tilly — 1998, « Pourune cartographie de la politique contestataire », Poli-tix 41 : 6-32. Morris, B. — 2003, The Birth of the Palestinian Refu-gee. Problem Revisited. Cambridge, Cambridge Uni-versity Press. Nashif, E. — 2003, « The Hidden Intellectual ». Com-munication à la 41e conférence des études sociopoli-tiques sur la Méditerranée (Florence, 18-23 mars2003). Nordstrom, C. et A. Robben — 1995, « The Anthro-pology and Ethnography of Violence and Sociopoliti-cal Conflict », in Id. eds., Fieldwork under Fire.Contemporary Studies of Violence and Survival. Ber-keley, University of California Press : 1-23.Nordstrom, C. et A. Robben eds. — 1995, Fieldworkunder Fire. Contemporary Studies of Violence and Sur-vival. Berkeley, University of California Press.

Pappé, I. — 2000, La guerre de 1948 en Palestine. Auxorigines du conflit israélo-arabe. Paris, La Fabrique. Revel, J. — 1996, « Microanalyse et construction dusocial », in Id. ed., Jeux d’échelles. La microanalyse àl’expérience. Paris, Gallimard/Le Seuil : 15-36. Robben, A. et M. Suarez-Orozco eds. — 2000, Cul-tures under Siege. Collective Violence and Trauma.Cambridge, Cambridge University Press. Romani, V. — 2003, « Universités et universitaires pa-lestiniens, d’une intifâda à l’autre. Une académie enroutine de crise », in B. Botiveau et A. Signoles eds.op. cit. : 55-80. Roy, S. — 1995, The Gaza Strip. The Political Eco-nomy of Development. Washington, Institute for Pa-lestine Studies. Shehadeh, R. — 1984, Tenir bon. Paris, Le Seuil. Tamari, S. — 1989, « Dynamiques sociales et idéolo-gies de résistance en Cisjordanie », in C. Mansoured., Les Palestiniens de l’intérieur. Paris, Les livres dela revue d’études palestiniennes : 175-190.Wieviorka, M. ed. — 1998, Un nouveau paradigmede la violence (Cultures et Conflits 29-30). — 2004, Laviolence. Voix et regards. Paris, Balland.Zureik, E. — 2001, « Constructing Palestine throughSurveillance Practices », British Journal of Middle Eas-tern Studies 28 (2) : 205-227.

86344 251-272 XP4 16/11/05 10:39 Page 271

Vincent Romani

. . .272 victimisation, de l’héroïsme ou bien de l’institutionna-

lisme dépersonnalisé. L’analyse de l’enfermement spatialrenvoie ainsi à une logique d’enfermement chronolo-gique, où différentes temporalités – individuelles et col-lectives, passées et présentes – s’entrechoquent.

related to a “logic of chronological confinement”, as va-rious temporalities (individual and collective, past andpresent) clash.

86344 251-272 XP4 16/11/05 10:39 Page 272