dix-neuviÈme et vingtiÈme sÉances responsabilitÉ...
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UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS (PARIS II)
Année universitaire 2017-2018
TRAVAUX DIRIGÉS - 2ème année de Licence en Droit
DROIT CIVIL
Cours de Monsieur le Professeur Nicolas MOLFESSIS
___________________________________
Distribution : du 30 avril au 4 mai 2018.
DIX-NEUVIÈME ET VINGTIÈME SÉANCES
RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE
ET RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE
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I. - Observations générales
La présente séance implique une bonne assimilation de connaissances relevant de divers
passages du cours, et ce au sujet des relations entre responsabilité contractuelle et
responsabilité délictuelle.
Relations qui doivent être bien comprises car il existe des différences importantes entre les
deux sortes de responsabilités : dommage réparable, clauses relatives à la responsabilité, mise
en demeure, etc.
Les règles relatives aux prescriptions ont longtemps constitué une des différences entre les
deux ordres de responsabilité. Avant l’intervention de la loi du 17 juin 2008 portant réforme
de la prescription en matière civile, si les actions en responsabilité civile extracontractuelle se
prescrivaient par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation
(anc. art. 2270-1 C. civ.), en matière contractuelle, l’action du créancier était soumise au délai
trentenaire de droit commun, sauf délai spécial. Désormais, indépendamment de la nature de
la responsabilité, l’action se prescrit par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a
connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer (C. civ., art. 2224). Il en va
toutefois autrement lorsque le dommage est corporel, quelle que soit sa source, puisque
l’action se prescrit alors par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage
initial ou aggravé (C. civ., art. 2226, al. 1er).
Lors de ces deux séances, nous verrons d’ailleurs que le projet de réforme de la
responsabilité civile du 13 mars 2017 apporte d’importances précisions sur l’articulation
des responsabilités contractuelle et délictuelle.
II. - Premier thème de la séance : les domaines
La mise en œuvre de la distinction des responsabilités délictuelle et contractuelle suppose de
déterminer quels sont les domaines respectifs de chacune. C’est l’existence d’un contrat - et
plus particulièrement la violation d’une obligation contractuelle – qui permet de déterminer si
l’on se situe dans la responsabilité contractuelle ou délictuelle. Mais cette simple affirmation
est source de complications, qui montrent que les frontières sont mouvantes, sous l’influence
de la jurisprudence comme de la législation.
A/ Le critère de distinction des responsabilités délictuelle et contractuelle n’est ainsi pas
toujours évident à mettre en œuvre. Plusieurs mouvements en attestent.
1.- Il faut d’abord envisager les cas où la jurisprudence a reconnu l’existence d’un lien
contractuel. Dans certaines hypothèses, la Cour de cassation a en effet découvert un contrat,
là où l’on ne l’attendait guère. On se souvient par exemple des conventions dites
d’assistance, véritables inventions jurisprudentielles, que l’on a déjà étudiées (voir les doc. 2
et 3, fiche n° 1), et que l’on doit bien connaître. Où l’on répond à la question suivante : dans
une situation donnée, y-a-t’il contrat ou pas ? Ainsi, on le sait désormais, l’existence d’un
contrat médical, conclu entre le médecin et son patient, a été affirmée par la jurisprudence
dans le célèbre arrêt Mercier, en 1936.
Document 1 : Cass. civ. 2e, 8 mars 2018, n° 16-17.624.
2.- C’est ensuite la reconnaissance d’obligations contractuelles qui participe nettement
d’un mouvement de contractualisation (le terme désigne le fait d’étendre le contrat à des
situations qui auraient dû relever de la responsabilité extra-contractuelle). Le juge a découvert
des obligations contractuelles jusque là insoupçonnées, ce qui conduit à faire juger sur le
terrain de la responsabilité contractuelle des questions qui auraient normalement été tranchées
sur le terrain délictuel. C’est le fameux « forçage du contenu contractuel », « l’amplification
du contenu obligatoire » des contrats qu’avait mis en évidence Josserand dès 1934. Tel fut le
cas du développement de l’obligation contractuelle d’information. De même la
jurisprudence, désireuse d’améliorer la situation des victimes - surtout à une époque où toute
la construction jurisprudentielle édifiée à partir de l’article 1384, al. 1er, était loin d’être
achevée – a-t-elle admis l’existence, dans un certain nombre de contrats, d’une obligation
contractuelle de sécurité, dont la violation entraine la responsabilité du débiteur (voir déjà,
fiche n° 10). Dans ces hypothèses, on se retrouve alors sur le terrain contractuel. Mais le
mouvement de contractualisation, qui se manifeste par la découverte d’obligations
contractuelles, est parfois suivi d’un mouvement en sens inverse, flux et reflux, de
décontractualisation. On considère alors que c’est la loi qui fonde l’obligation et non plus le
contrat. La responsabilité, en ce cas, n’est plus contractuelle mais délictuelle.
On voit comment se manifeste ces mouvements en matière d’obligation d’information. La
décontractualisation de l’obligation d’information en matière médicale est ainsi notable
depuis la loi du 4 mars 2002 (art. L. 1111-2 du Code de la santé publique). Reconnue par
l’arrêt Teyssier en 1942, cette obligation n’est désormais plus rattachée au contrat. Lorsque la
Cour de cassation se prononce sur le manquement du médecin à son obligation d’informer le
patient, elle le fait désormais au visa de l’article 1240 du Code civil ainsi que du droit au
respect de l’intégrité corporelle, prévu, depuis les lois bioéthique de 1994, à l’article 16-3 du
Code civil. On relira en ce sens l’arrêt du 3 juin 2010 (cf. doc. 2, fiche 18).
3.- L’identification du domaine des responsabilités invite encore à s’interroger sur la
délimitation temporelle du contrat. Ainsi, s’agissant du contrat de transport, on sait que la
Cour de cassation a décidé qu’il comportait pour le transporteur l’obligation de conduire le
voyageur sain et sauf à destination (Civ. 21 nov. 1911). Encore faut-il alors délimiter le
contrat pour s’assurer de son existence (et donc de l’application des règles de la responsabilité
contractuelle). Là encore les frontières sont mouvantes : le contrat s’est étendu à la fin des
années 1960 et dans les années 1970, pour ensuite être réduit temporellement au temps du
transport proprement dit, et donc au temps correspondant à l’obligation de sécurité de résultat
(on expliquera d’ailleurs cette phrase en séance).
Document 2 : Cass. civ. 1ère, 6 octobre 1998, JCP 1999.II.10186.
En la matière, les limites dans le temps de l’obligation de sécurité de résultat ne coïncidaient
en effet pas nécessairement avec celles du contrat de transport. La Cour de cassation a
longtemps considéré que dès lors qu’il y avait contrat de transport, il existait, à la charge du
transporteur une obligation de sécurité dont la portée était variable, tantôt obligations de
moyens, tantôt obligation de résultat :
- obligation de moyens jusqu’à ce que le voyageur commence à monter dans le
véhicule ;
- obligation de résultat depuis le moment où le voyageur commence à monter dans le
véhicule jusqu’à celui où il achève d’en descendre ;
- obligation de moyens depuis le moment où le voyageur achève de descendre du
véhicule jusqu’à celui où il quitte la gare.
Mais, compte tenu de l’évolution du droit de la responsabilité délictuelle (art. 1384, al. 1er), le
recours à l’obligation de sécurité n’était plus favorable à la victime, dès lors qu’il s’agissait
d’une obligation de moyens. Mieux valait alors le régime de responsabilité délictuelle. La
jurisprudence a donc évolué. Elle a restreint le domaine de la responsabilité contractuelle.
4.- L’identification du domaine des responsabilités invite enfin à s’interroger sur la nature du
lien dans les opérations économiques complexes. C’est le cas lorsque le lien contractuel est
étendu à des personnes qui ne sont pas directement contractantes, c’est-à-dire au-delà des
parties directement liées entre elles, singulièrement en présence de de chaînes ou de groupes
de contrats.
Document 3 : Cass. civ. 1ère, 1er mars 2017, n° 15-28.030.
B/ Une autre manière d’agir sur les relations entre la responsabilité délictuelle et la
responsabilité contractuelle est de les soumettre aux mêmes règles. Dans ce cas, la distinction
subsiste certes, mais n’a pas de portée. On parle alors d’une unification des responsabilités
contractuelle et délictuelle.
Dans certains domaines, le législateur avait déjà commencé à unifier les deux régimes de
responsabilité. Ainsi en est-il - et le domaine considéré est très vaste - du régime issu de la loi
du 5 juillet 1985 (Loi Badinter) puisque, aux termes de l’article 1er de cette loi, « les
dispositions du présent chapitre s’appliquent, même lorsqu’elles sont transportées en vertu
d’un contrat, aux victimes de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à
moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des
tramways circulant sur des voies qui leur sont propres ».
De même, en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, ou encore en matière
de responsabilité médicale pour les dommages qui relèvent de la solidarité nationale (art. L
1142-1 du Code de la santé publique).
Cette évolution à la faveur d’une unification des régimes de responsabilité devrait se
poursuivre. Le projet de réforme de la responsabilité civile envisage en effet, en cas de
dommage corporel, d’appliquer exclusivement les règles de la responsabilité délictuelle, le
dommage fût-il causé à l’occasion de l’exécution d’un contrat (art. 1233-1, al. 1er). Le projet
réserve néanmoins l’hypothèse – qui peut sembler chimérique – où les stipulations
contractuelles seraient plus favorables à la victime : dans cette hypothèse, et dans celle-ci
uniquement, la victime pourrait alors choisir de s’affranchir des règles de la responsabilité
délictuelle, et leur préférer les stipulations du contrat (art. 1233-1, al. 2).
Document 4 : Articles 1233 et 1233-1 du projet de réforme du 13 mars 2017.
III. - Deuxième thème de la séance : le problème dit du « cumul des responsabilités »
délictuelle et contractuelle
La problématique du cumul des responsabilités diffère nécessairement selon que l’on
envisage les parties au contrat ou les tiers.
A/ Les parties
S’agissant des parties, la question doit être posée ainsi : le créancier qui se plaint de
l’inexécution fautive du contrat par son cocontractant peut-il invoquer à son choix, soit
les règles de la responsabilité contractuelle, soit celles de la responsabilité délictuelle, si
celles-ci ou celles-là lui sont plus favorables ?
La réponse est actuellement négative.
Document 5 : Cass. civ. 11 janvier 1922, Grands arrêts, n° 177.
Les applications de la règle du non-cumul sont fort nombreuses :
Document 6 : Cass. com., 13 juillet 2010, n° 09-14.985.
Document 7 : Cass. com., 10 mars 2015, n° 13-10.003.
Indépendamment des raisons théoriques tirées de la nature différente des fautes contractuelle
et délictuelle, la solution traditionnelle s’explique par le fait que le régime de la responsabilité
contractuelle est généralement moins favorable à la victime que celui de la responsabilité
délictuelle (limitation, par exemple, de la réparation au dommage prévisible). Si le créancier
pouvait, à son gré invoquer la responsabilité délictuelle, ces limitations deviendraient lettre
morte. Enfin le principe même de la force obligatoire du contrat condamne le cumul des
responsabilités : lorsque les parties ont décidé, par exemple, qu’il n’y aurait pas de
responsabilité dans tel ou tel cas, permettre cependant au créancier d’invoquer alors la
responsabilité délictuelle, ce serait, en quelque sorte, l’autoriser à violer le contrat, en tournant
les clauses conventionnelles relatives à la responsabilité.
C’est ici qu’il faut à nouveau prendre en considération le mécanisme de la stipulation pour
autrui, car il aboutit à étendre le cercle contractuel au tiers bénéficiaire d’une stipulation pour
autrui (si ce tiers accepte la stipulation pour autrui), donc à étendre en conséquence le
domaine de la responsabilité contractuelle.
- ce qui peut être avantageux pour le tiers bénéficiaire dans certains cas ;
- ce qui ne l’est pas nécessairement, de sorte que le tiers peut avoir intérêt à ne pas accepter la
stipulation pour autrui.
On observera ici - comme on l’avait déjà constaté au cours d’une précédente séance (Le juge
et le contrat) - le pouvoir inventif de la jurisprudence.
Document 8 : Cass. civ., 6 décembre 1932, 24 mai 1933, 23 janvier 1959, Grands arrêts,
n° 182-184.
Document 9 : Cass. civ. 2ème, 17 décembre 1954, D. 1955, 269, note R. Rodière ; JCP
1955, II, 8490, note R. Savatier.
B/ Les tiers
Lorsqu’un tiers subit un préjudice du fait de l’inexécution ou de la mauvaise exécution d’un
contrat, il ne peut qu’engager la responsabilité délictuelle du contractant responsable. La règle
du non-cumul n’est donc pas en jeu ici. Mais deux questions se posent alors :
- Peut-il invoquer un manquement contractuel pour engager la responsabilité d’un
contractant ?
- La faute contractuelle vaut-elle, en elle-même, faute délictuelle ?
C’est la question de l’équivalence (ou non) des fautes contractuelle et délictuelle.
L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a entendu mettre fin à la divergence qui
opposait la Chambre commerciale et la première Chambre civile par un arrêt du 6 octobre
2006.
Document 10 : Ass. Plén., 6 octobre 2006, Bull. A.P n° 9 ; RTD. civ. 2007, p.123, obs. P.
Jourdain ; D. 2006.2825, note G. Viney ; JCP 2006.II.10181, avis A. Gariazzo et note M.
Billiau.
Pourtant, dix ans après l’arrêt Myr’ho, on remarquera que des divergences se manifestent à
nouveau entre les chambres de la Cour de cassation :
Document 11 : Cass. civ. 3e, 18 mai 2017, n° 16-11.203 ; RTD civ. 2017.651, obs. H.
Barbier ; D. 2018.371, obs. M. Mekki, et 35, obs. Ph. Brun ; D. 2017.1036, obs. D. Mazeaud ;
JCP G, 2017.1174, obs. Ph. Stoffel-Munck ; RDC, 2017, n° 3, p. 425, obs. J.-S. Borghetti, et
p. 533, obs. E. Juen ; Gaz. pal., 2017, n° 32, p. 33, obs. D. Houtcieff ; EDC, 2017, n° 7, p. 1,
obs. M. Latina ; AJ contrats, 2017.377, obs. F. Chénedé.
Document 12 : Cass. civ. 1ère, 24 mai 2017, n° 16-14.371 ; RDC, 2017, n° 3, p. 425, obs. J.-S.
Borghetti ; Gaz. pal., 2017, n° 32, p. 33, obs. D. Houtcieff.
Le projet de réforme prend d’ailleurs le parti de remettre en cause la solution du 6 octobre
2006. En effet, le tiers victime d’un préjudice né de l’inexécution du contrat ne pourrait
toujours agir que sur le terrain de la responsabilité délictuelle, pourvu qu’existe désormais
l’un des faits générateurs de responsabilité civile que l’on a étudiés. Tel serait le principe...
Pour autant, le projet réserve l’hypothèse où ce tiers aurait « un intérêt légitime à la bonne
exécution du contrat », et l’on reviendrait alors à la solution de l’Assemblée plénière, à ceci
près que les stipulations contractuelles lui seraient alors opposables. Ces dispositions sont-
elles de nature à remédier aux critiques adressées à la jurisprudence Myr’ho ?
Document 13 : Article 1234 du projet de réforme du 13 mars 2017.
IV. - Exercice :
• 19ème séance :
Commentaire : Ass. Plén., 6 octobre 2006 (document 10).
• 20ème séance :
Dissertation : La relativité de la distinction des responsabilités contractuelle et délictuelle.
(Pour traiter correctement le sujet, le droit positif devra être confronté au projet de réforme de
la responsabilité civile : l’ensemble des modifications proposées devra être discuté dans la
dissertation).
Document 1 : Cass. civ. 2e, 8 mars 2018.
Vu l’article 1384, alinéa 1, devenu 1242, alinéa
1, du code civil et l’article 1147 du même
code, dans sa rédaction antérieure à celle issue
de l’ordonnance du 10 février 2016 ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. Z...,
placé sous tutelle et accueilli dans un service
psychiatrique d’un établissement de santé privé
géré par la fondation Bon sauveur d’Alby (la
fondation) a été blessé à l’oeil le 22 octobre
2000 par un autre pensionnaire, M. X...,
également placé sous tutelle ; qu’après
expertise médicale, Mme Z..., agissant tant en
son nom personnel qu’en qualité de tutrice de
son époux, M. Z..., a assigné l’UDAF du Tarn
(l’UDAF) à titre personnel et en qualité de
tuteur de M. X..., la fondation et l’assureur de
cette dernière, la société Axa France IARD (la
société Axa) en responsabilité et indemnisation
du préjudice corporel de son époux, en
présence de la caisse de mutualité sociale
agricole Midi-Pyrénées (la caisse) ;
Attendu que, pour condamner la fondation et la
société Axa, in solidum, à payer diverses
sommes à Mme Z..., ès qualités, et à la caisse,
l’arrêt retient que la fondation, dans la mesure
où elle avait pour mission d’organiser et de
contrôler à titre permanent le mode de vie de
M. X..., ne peut qu’être déclarée responsable
des conséquences dommageables de la faute
commise par celui-ci sur le fondement de la
responsabilité générale du fait d’autrui édictée
par l’article 1384, alinéa 1, du code civil,
quand bien même, d’une part, la victime
séjournait elle-même dans l’établissement
depuis juin 1999, d’autre part, l’auteur de
l’agression y aurait, à l’instar de celle-ci, été
admis sous contrat d’hospitalisation libre ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’en présence d’un
contrat d’hospitalisation libre liant la victime,
M. Z..., à la fondation, la responsabilité de
cette dernière ne pouvait être recherchée que
sur le fondement d’un manquement à ses
obligations contractuelles de sécurité et de
surveillance, la cour d’appel a violé le premier
des textes susvisés par refus d’application et le
second par fausse application ; […]
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de
statuer sur les autres griefs du
pourvoi : CASSE ET ANNULE.
Document 2 : Cass. civ.1ère, 6 octobre 1998.
Attendu que le 20 mars 1991, M. X... est
monté sur le marchepied d’un train quittant la
gare de Meaux et a été précipité, peu après, sur
la voie ferrée lors de l’ouverture d’une portière
actionnée de l’intérieur par un voyageur ;
qu’ayant été grièvement blessé, il a assigné la
SNCF en réparation de son préjudice sur le
fondement de l’article 1147 du Code civil et,
subsidiairement, sur celui des articles 1382 et
1384, alinéa 1er, du même Code ; que l’arrêt
confirmatif attaqué (Paris, 30 mai 1995) l’a
débouté de son action ;
Sur le moyen unique, pris en sa première
branche :
Attendu que M. X... fait grief à cet arrêt de ne
pas avoir retenu l’obligation contractuelle de
sécurité pesant sur la SNCF à l’égard des
voyageurs au motif qu’il ne démontrait pas être
en possession d’un titre de transport, sans
rechercher s’il n’avait pas, néanmoins,
contracté avec la SNCF dont les agents étaient
en grève le jour de l’accident ;
Mais attendu que le contrat de transport se
formant par la délivrance du billet et M. X...
n’ayant ni rapporté la preuve lui incombant
qu’il était en possession d’un titre de transport
lors de l’accident, ni allégué qu’il n’aurait pu
en obtenir un en raison de la fermeture des
guichets, c’est à juste titre que la cour d’appel
a écarté le fondement contractuel de son
action ;
Sur la deuxième branche : (sans intérêt) ;
Et sur les trois dernières branches :
Attendu que M. X... fait enfin grief à l’arrêt
attaqué de ne pas avoir retenu la présomption
8
de responsabilité de la SNCF sur le fondement
de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil,
alors que, selon le moyen, l’accident a eu pour
cause non sa prétendue faute, mais l’ouverture
d’une portière que la SNCF avait l’obligation
de condamner en cours de transport et qui ne
pouvait constituer un événement imprévisible
et irrésistible susceptible de l’exonérer ;
Mais attendu qu’après avoir relevé que M. X...
était monté, en infraction avec la
réglementation ferroviaire, sur le marchepied
d’un train commençant à s’élancer après le
signal du départ, puis s’était vu contraint de
lâcher prise lorsque celui-ci avait pris de la
vitesse, la cour d’appel a pu déduire de ces
constatations que la faute ainsi commise par la
victime constituait la cause exclusive de son
dommage; qu’elle a, par ce seul motif,
légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.
Document 3 : Cass. civ. 1ère, 1er mars 2017.
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X... a, le
20 juillet 2000, fait l’acquisition d’un véhicule
camping-car d’occasion Autostar dont le
moteur avait fait l’objet d’un échange standard
le 12 décembre 1997 ; qu’ayant dû faire
procéder, en 2005, par la société Garage N &
G Coursières (le garagiste), au remplacement
du moteur, avant que celui-ci ne connaisse une
nouvelle panne en 2007, M. X... a, le 19
novembre 2010, au vu d’un rapport d’expertise
judiciaire ordonnée par un juge des référés le
19 mars 2008, assigné en réparation de son
préjudice le garagiste et la société Autostar qui
avait fabriqué la cellule du camping-car et
l’avait installée sur un châssis fourni par la
société Automobiles Peugeot ;
Sur le premier moyen, pris en sa première
branche :
Vu les articles 1134, 1147 et 1165 du code
civil, dans leur rédaction antérieure à celle
issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10
février 2016, ensemble l’article L. 110-4 du
code de commerce, dans sa rédaction
antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561
du 17 juin 2008, et l’article 12 du code de
procédure civile ;
Attendu que, pour déclarer recevable l’action
en réparation de son préjudice qu’il avait
engagée contre la société Autostar, l’arrêt
retient que M. X..., dépourvu de lien
contractuel avec celle-ci, agit sur le fondement
de la responsabilité délictuelle et que, selon
l’article 2270-1 ancien du code civil applicable
à l’espèce, les actions en responsabilité civile
extra-contractuelle se prescrivent par dix ans à
compter de la manifestation du dommage ou
de son aggravation ;
Qu’en statuant ainsi, alors que l’action intentée
directement par le sous-acquéreur d’un
véhicule à l’encontre de son fabricant en raison
d’un défaut affectant ledit véhicule a
nécessairement un fondement contractuel, la
cour d’appel a violé les textes susvisés ;
Et attendu qu’il y a lieu de mettre hors de
cause, sur leur demande, les sociétés
Automobiles Peugeot et Garage N & G
Coursières, dont la présence n’est pas
nécessaire devant la juridiction de renvoi ;
PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de
statuer sur les autres griefs du pourvoi : Met
hors de cause les sociétés Automobile Peugeot
et Garage N & G Coursières ; CASSE ET
ANNULE.
9
Document 4 : Articles 1233 et 1233-1 du projet de réforme du 13 mars 2017.
Article 1233
En cas d’inexécution d’une obligation contractuelle, ni le débiteur ni le créancier ne peuvent se
soustraire à l’application des dispositions propres à la responsabilité contractuelle pour opter en faveur
des règles spécifiques à la responsabilité extracontractuelle.
Article 1233-1
Les préjudices résultant d’un dommage corporel sont réparés sur le fondement des règles de la
responsabilité extracontractuelle, alors même qu’ils seraient causés à l’occasion de l’exécution du
contrat. Toutefois, la victime peut invoquer les stipulations expresses du contrat qui lui sont plus
favorables que l’application des règles de la responsabilité extracontractuelle.
Document 5 : Cass. civ. 11 janvier 1922.
10
Document 6 : Cass. com., 13 juillet 2010.
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que les sociétés
ITP et Coflexip, qui exercent leur activité
notamment dans le domaine de la conception
et de la fabrication de conduites sous-marines
pour le transport d’hydrocarbures, ont
collaboré à plusieurs reprises entre 1993 et
1998, et ont conclu à cette occasion divers
engagements de confidentialité et accords de
non exploitation ; que la société ITP expose
avoir mis au point en 1996 un système de
pipeline à double enveloppe calorifugé
utilisant un isolant microporeux fourni par la
société Micropore ; qu’elle a notamment
conclu en 1997 des accords de secret
réciproque avec la société Coflexip, afin de
permettre de sélectionner le système approprié
d’isolation à double paroi de pipeline pour le
projet Shell Etap, puis, de le chiffrer ; qu’un
accord de secret et de non exploitation a été
signé en 1998 pour le projet Girasol ; qu’en
1999, la société Coflexip a remporté le marché
relatif au projet BP Nile, dans le golfe du
Mexique, en faisant fabriquer un pipeline
double enveloppe calorifugé au moyen d’un
isolant microporeux acheté à un tiers ; que la
société ITP a assigné les sociétés Coflexip, aux
droits desquelles se trouvent les sociétés
Technip France et Technip UK limited, en
réparation du préjudice résultant de la violation
de leurs obligations contractuelles ; […]
Et sur le quatrième moyen, pris en sa première
branche :
Vu les articles 1147 et 1382 du code civil ;
Attendu que pour déclarer irrecevable la
demande subsidiaire formée par la société ITP
au titre de la concurrence déloyale, l’arrêt
retient que les sociétés Technip invoquent, à
bon droit, le principe de non cumul des
responsabilités contractuelle et délictuelle qui
exclut, entre les mêmes parties, les demandes
subsidiaires fondées sur un autre ordre de
responsabilité que celui invoqué au soutien de
la demande principale ;
Attendu qu’en statuant ainsi, alors que ce
principe interdit seulement au créancier d’une
obligation contractuelle de se prévaloir, contre
le débiteur de cette obligation, des règles de la
responsabilité délictuelle, la cour d’appel a
violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE
[…].
Document 7 : Cass. com., 10 mars 2015.
Sur le moyen unique, pris en sa première
branche :
Vu les articles 1147 et 1382 du code civil ;
Attendu que le créancier d’une obligation
contractuelle ne peut se prévaloir contre le
débiteur de cette obligation, quand bien même
il y aurait intérêt, des règles de la
responsabilité délictuelle ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, par acte du
30 mai 2005, la société Bernadette Texier a
cédé à la société Ambulances Nicolas sa
branche d’activité ambulances agréées, avec
une clause de non-concurrence ; qu’estimant
que la société Bernadette Texier était l’auteur
d’actes de concurrence déloyale, la société
Ambulances Nicolas l’a assignée en
dommages-intérêts sur le fondement de
l’article 1382 du code civil ;
Attendu que pour faire droit à cette demande,
l’arrêt retient que la société Bernadette Texier
a refusé de transmettre la totalité du fichier de
clientèle informatisé prévu à l’acte de cession,
qu’elle a gagné de nouveaux clients tout en en
conservant d’autres dont elle a déloyalement
continué d’assurer le transport médical, en
contravention avec ses engagements
contractuels ;
Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a
violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de
statuer sur les autres griefs : CASSE ET
ANNULE […].
11
Document 8 :
- Cass. civ., 6 décembre 1932.
- Cass. civ., 24 mai 1933.
12
- Cass. civ., 23 janvier 1959.
13
Document 9 : Cass. civ. 2ème, 17 décembre 1954.
Document 10 : Ass. Plén., 6 octobre 2006.
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 19 janvier
2005), que les consorts X... ont donné à bail un
immeuble commercial à la société Myr’Ho qui
a confié la gérance de son fonds de commerce
à la société Boot shop ; qu’imputant aux
bailleurs un défaut d’entretien des locaux, cette
dernière les a assignés en référé pour obtenir la
remise en état des lieux et le paiement d’une
indemnité provisionnelle en réparation d’un
préjudice d’exploitation ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les consorts X... font grief à l’arrêt
d’avoir accueilli la demande de la société Boot
shop, locataire-gérante, alors, selon le moyen,
« que si l’effet relatif des contrats n’interdit pas
aux tiers d’invoquer la situation de fait créée
par les conventions auxquelles ils n’ont pas été
parties, dès lors que cette situation de fait leur
cause un préjudice de nature à fonder une
action en responsabilité délictuelle, encore
faut-il, dans ce cas, que le tiers établisse
l’existence d’une faute délictuelle envisagée en
elle-même indépendamment de tout point de
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vue contractuel ; qu’en l’espèce, il est constant
que la société Myr’Ho, preneur, a donné les
locaux commerciaux en gérance à la société
Boot shop sans en informer le bailleur ; qu’en
affirmant que la demande extra-contractuelle
de Boot shop à l’encontre du bailleur était
recevable, sans autrement caractériser la faute
délictuelle invoquée par ce dernier, la cour
d’appel a entaché sa décision d’un manque de
base légale au regard de l’article 1382 du code
civil » ;
Mais attendu que le tiers à un contrat peut
invoquer, sur le fondement de la responsabilité
délictuelle, un manquement contractuel dès
lors que ce manquement lui a causé un
dommage ; qu’ayant relevé, par motifs propres
et adoptés, que les accès à l’immeuble loué
n’étaient pas entretenus, que le portail d’entrée
était condamné, que le monte-charge ne
fonctionnait pas et qu’il en résultait une
impossibilité d’utiliser normalement les locaux
loués, la cour d’appel, qui a ainsi caractérisé le
dommage causé par les manquements des
bailleurs au locataire-gérant du fonds de
commerce exploité dans les locaux loués, a
légalement justifié sa décision ;
Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les
2ème et 3ème moyens, dont aucun ne serait de
nature à permettre l’admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.
Document 11 : Cass. civ. 3e, 18 mai 2017.
Sur le premier moyen :
Vu l’article 1382, devenu 1240, du code civil ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-
Provence, 12 novembre 2015), que la
copropriété clinique Axium est composée
notamment du lot n° 7 situé dans le bâtiment
A, propriété de la SCI Hydraxium et donné à
bail à la société Axium Kinésithérapie, du lot
n° 1 situé dans le bâtiment B et d’autres lots n°
2 à n° 6, situés au sous-sol du bâtiment A,
propriété de la société Holding d’Aix-en-
Provence et donnés à bail à la société Sorevie
Gam ; qu’en 2004, la société Sorevie Gam et le
syndicat des copropriétaires ont fait réaliser,
dans le bâtiment A, des travaux de chauffage,
climatisation et traitement de l’eau, par le
groupement constitué par la société Dalkia
France et la société Faure ingénierie, des
études étant confiées à la société G2E ; qu’une
première instance a opposé la société Sorevie
Gam aux sociétés Dalkia France, Faure
ingénierie et G2E ; qu’en 2007, invoquant une
importante condensation dans les locaux du lot
n° 7, la SCI Hydraxium et sa locataire, la
société Axium Kinésithérapie, ont, après
expertise, assigné en indemnisation le syndicat
des copropriétaires et la société Holding d’Aix-
en-Provence qui a appelé en garantie les
sociétés Dalkia France et G2E ;
Attendu que, pour déclarer la société Dalkia
France responsable de la condensation
anormale dans le lot n° 7, rejeter ses appels en
garantie et la condamner à paiement, l’arrêt
retient qu’il résulte de la convention du 5 avril
2004 que la société Faure ingénierie et la
société Dalkia France se sont engagées
solidairement à l’égard de la société Sorevie
Gam à livrer un ouvrage conforme aux
prévisions contractuelles et exempt de vices,
qu’en manquant à cette obligation, la société
Dalkia France a commis une faute à l’origine
de la condensation anormale et que cette faute
engage sa responsabilité délictuelle à l’égard
de la SCI Hydraxium et de la société Axium
Kinésithérapie ;
Qu’en statuant ainsi, par des motifs qui, tirés
du seul manquement à une obligation
contractuelle de résultat de livrer un ouvrage
conforme et exempt de vices, sont impropres à
caractériser une faute délictuelle, la cour
d’appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de
statuer sur le second moyen : CASSE ET
ANNULE […].
Document 12 : Cass. civ. 1ère, 24 mai 2017.
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, par acte du
20 février 2008, la société civile immobilière
La Roche Aulnays (la SCI) représentée par ses
deux cogérants associés, M. et Mme X..., a
emprunté la somme de 160 000 euros auprès
de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel
de l’Anjou et du Maine (la banque), avec la
garantie partielle de la société Oséo, et celle de
M. X... en qualité de caution solidaire à
concurrence de 104 000 euros ; que, la SCI
ayant été défaillante dans le remboursement
des échéances du prêt, la banque a assigné ce
dernier en exécution de son engagement ; […].
Mais sur le troisième moyen :
Vu l’article 1382, devenu 1240 du code civil ;
Attendu que, pour rejeter la demande de M.
X... en inopposabilité de son engagement de
caution fondée sur le non-respect des
conditions de la garantie de la société Oséo, et
le condamner à payer à la banque la somme de
104 000 euros, outre intérêts, l’arrêt retient que
cette garantie ne bénéficie qu’à l’emprunteur et
ne peut en aucun cas être invoquée par les
tiers, notamment le bénéficiaire et ses garants,
pour contester tout ou partie de leur dette, et
que la seule sanction attachée au non-respect
par la banque des conditions de la mise en
oeuvre de ladite garantie ne consiste pour elle
qu’en une perte du bénéfice de celle-ci ;
Qu’en statuant ainsi, alors que le tiers à un
contrat peut invoquer, sur le fondement de la
responsabilité délictuelle, un manquement
contractuel, dès lors que ce manquement lui a
causé un dommage, la cour d’appel a violé le
texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE.
Document 13 : Article 1234 du projet de réforme du 13 mars 2017.
Lorsque l’inexécution du contrat cause un dommage à un tiers, celui-ci ne peut demander réparation
de ses conséquences au débiteur que sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, à charge
pour lui de rapporter la preuve de l’un des faits générateurs visés à la section II du chapitre II.
Toutefois, le tiers ayant un intérêt légitime à la bonne exécution d’un contrat peut également invoquer,
sur le fondement de la responsabilité contractuelle, un manquement contractuel dès lors que celui-ci
lui a causé un dommage. Les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les
relations entre les contractants lui sont opposables. Toute clause qui limite la responsabilité
contractuelle d’un contractant à l’égard des tiers est réputée non écrite.