didactique des langues ÉtrangÈres

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Des mots pour communiquer. Éléments de lexicométhodologieDIDACTIQUE DES LANGUES ÉTRANGÈRES Collection dirigée par R OBER T GALISSON
Professeur à l'Université de la Sorbonne Nouvelle Directeur de l'UER Etudes Françaises pour l'Etranger.
ROBERT I GALISSON
DANS LA MÊME COLLECTION
• Apprentissage linguistique et communication (méthodologie pour un enseignement fonctionnel aux immigrés). Traduit et adapté par C. Heddesheimer et J.P. Lagarde de l'ouvrage anglais «Industrial English», de T.C. Jupp et S. Hodlin.
• Lire: du texte au sens, par Gérard Vigner. • Situations d'écrit (compréhension, production en langue étrangère),
par Sophie Moirand. • Polémique en didactique (du renouveau en question), par Henri Besse
et Robert Galisson. • D'hier à aujourd'hui, la didactique générale des langues étrangères
(du structuralisme au fonctionnalisme), par Robert Galisson. • Lignes de force du renouveau actuel en didactique des langues étran-
gères (remembrement de la pensée méthodologique), par R. Galisson, E. Bautier, D. Coste, J. Hébrard, D. Lehmann, L. Porcher, E. Roulet.
• Des médias dans les cours de langues, par Charles de Margerie et Louis Porcher.
• Pour un nouvel enseignement des langues (et une nouvelle formation des enseignants), par C. Dalgalian, S. Lieutaud, F. Weiss.
• Méthodologie de l'enseignement de la prononciation (organisation de la matière phonique du français et correction phonétique), par Monique Callamand.
• Écrire (éléments pour une pédagogie de la production écrite), par Gérard Vigner.
r CLE International PARIS 1983 Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est interdite. Une copie ou reproduction par quelque procédé que ce soit, photographie, photocopie, micro-film, bande magnétique, disque ou autre, constitue une contrefaçon passible des peines prévues par la loi du 11 mars 1957 sur la protection des droits d'auteur.
INTRODUCTION
« En période d'apprentissage au moins, je suggère que le texte soit mis au service des mots,
comme les mots sont mis au service du texte ». R.G.
Dans les intitulés de l'ouvrage et des différents chapitres, le lecteur décou- vrira sans peine que mon propos est de traiter des rapports conjoncturels des vocabulaires (cf. mots, locutions figuratives, vocabulaire(s)) avec la didac- tique des langues (cf. apprentissage, acquisition, accès, approches, méthodo- logie), dans ses plus récents développements (cf. compétence communicative, approches communicatives).
Or, l'étude des rapports entre vocabulaire(s) et didactique(s) relève d'une discipline que j'appelle LEXICOMÉTHODOLOGIE, et dont le but est précisé- ment la recherche et la mise au point de procédures d'accès aux mots, compte tenu des objectifs du public visé et des moyens pédagogiques disponibles.
Par procédures d'accès, il faut entendre l'ensemble des savoirs et des savoirs- faire mobilisables pour conduire l'apprenant à la maîtrise :
1. du mode d'emploi des mots : - tant au plan linguistique (cf. leur voisinage syntaxique - cooccurrents -
et leurs parentés sémantiques - correlés -), — qu'au plan extra-linguistique (cf. leurs dimensions psychologiques, socio-
logiques, culturelles et pragmatiques — ou situationnelles —) ;
2. des significations qui découlent de ces usages multiples.
L'existence de la LEXICOMETHODOLOGIE, discipline de contact entre le QUOI (contenu lexical à acquérir) et le COMMENT (manière de l'acquérir), repose sur certains truismes qu'il n'est peut-être pas inutile de rappeler ici.
D'abord l'obligation : 0 d'observer les mouvements qui infléchissent la perception des unités lexi-
cales par les enseignants ;
. donc d'évaluer la place qu'elles tiennent : — dans les descriptions linguistiques (qui évoluent avec les théories :
passage des théories de l'énoncé aux théories de l'énonciation, par exemple) ; — et dans les présentations didactiques (qui changent avec les écoles :
passage de l'audio-visuel, privilégiant les formes — structures grammaticales et mots -, au fonctionnel, donnant la priorité aux contenus - actes de parole et notions —) ;...
... pour agir en connaissance de cause sur leur enseignement/apprentissage.
Ensuite la nécessité de reconnaître que la notion de mot a une grande consistance psychologique chez la plupart des apprenants. Et ce, grâce à une représentation graphique précoce du mot en langue maternelle (par le canal de l'école : apprentissage de la lecture, de l'écriture, pratique des exercices à trous,
etc.), affermie et pérennisée en langue étrangère par la fréquentation des dic- tionnaires bilingues et la manipulation — parfois dangereuse (cf. les faux- amis) — des équivalents lexicaux de langue à langue.
Enfin l'exigence de savoir que la signification se construit, qu'elle n'est jamais donnée une fois pour toutes, tant en ce qui concerne le discours lui- même que les mots qui le composent. Ce qui revient à dire que la vocation naturelle des mots est à la polysémie, ou au changement de valeur quand ils changent de contexte et de situation. La prétendue monosémie des vocables techniques relève d'un besoin utopique de confort intellectuel de la part des scientifiques. Et si les dictionnaires ne livrent que quelques acceptions des vedettes qu'ils traitent, c'est qu'ils ne procèdent pas à d'authentiques analyses des mots en contexte, que leur mission réductrice et hybride est de décrire des contenus en langue (définitions) et de les exemplifier en discours (exemples et citations). Autrement dit, les mots sont des réceptacles que le contexte et la situation remplissent d'un contenu entièrement prévisible. Leur signification est statu!virement instable.
Sur ce qui vient d'être dit des mots (il s'agit d'entités écologiques, qui vivent en symbiose sémantique avec leur milieu), on pourrait croire que j'estime inutile de leur faire un sort particulier en pédagogie des langues. Or, il n'en est rien, parce que la position du sémio-linguiste que je viens d'esquisser, diffère sensiblement de celle du didacticien. En effet, alors que le sémio-linguiste travaille sur des discours réalisés, à partir d'une compétence acquise (la sienne), qui n'entre pas dans sa problématique, le didacticien se pose la question de i savoir comment et à partir de quoi s'élabore la signification des discours et ides mots qui les constituent. Il constate alors que rien ne se crée ex nihilo, i qu'un savoir antérieur est nécessaire au surgissement d'une signification nou- velle. Ce savoir antérieur résulte de la lente sédimentation des usages passés. C'est un dépôt, une trace mémorielle, un non-dit du discours. De sorte que la signification s'élabore à la charnière du passé et du présent, du vécu et de l'instant. Il n'y a pas de contenu inédit sans expérience et sans souvenir, sans diégèse comme disent les spécialistes de l'image, sans intertextualité, pour parler comme certains exégètes des textes littéraires. Au nom de ceux qui s'intéressent spécialement aux mots, j'ajouterais... sans interréférentialité. On peut soutenir, en effet, que la signification d'un mot actualisé dans un texte, naît au contact de son référent externe — la trace mémorielle, l'expérience qu'en a l'utilisateur — et de son référent interne — ce à quoi il renvoie dans le texte en question —.
Pour que cette trace mémorielle indispensable apparaisse, je suggère qu'en période d'apprentissage au moins, le texte soit mis au service des mots, comme les mots sont mis au service du texte. Ce qui signifie, particulièrement pour les mots sémantiques, qu'ils soient étudiés pour eux-mêmes. Ils en valent la peine, à un double titre :
• d'abord parce que ce sont des éléments préfabriqués de discours, qu'il y a lieu d'engrammer (cf. la trace mémorielle) pour une réutilisation ultérieure ;
0 ensuite parce que certains d'entre eux constituent, dans le texte, des lieux de forte densification sémantique.
Ce qui m'amène à conclure que, même dans une optique communicative, le mot n'est pas un outil périmé, obsolète. En tant qu'unité d'analyse (du discours) et de présentation (des contenus d'enseignement/apprentissage), il a toujours sa place à côté et en complément d'autres unités, comme l'acte de parole, la fonction langagière, la notion, que la didactique fonctionnelle exploite actuellement. Les disciplines du mot (lexicologie, lexicographie, dictionnai- rique, terminologie) ne se sont d'ailleurs jamais aussi bien portées, et la LEXI- COMÉTHODOLOGIE fait tous ses efforts pour lutter contre le réductionnisme en didactique, et conférer à l'étude du mot la dimension énonciative qui lui fait encore défaut.
Comme une présentation figure en tête des trois chapitres, je ne ferai ici qu'ébaucher le sujet dont traite chacun d'eux.
Chapitre I. Le plus général. Il pose le problème du vocabulaire dans la pers- pective d'un objectif d'apprentissage ambitieux : la compétence de communi- cation.
Chapitre II. Également très général, puisqu'il fait le point sur les approches communicatives et examine leurs rapports avec les vocabulaires. Mais il reprend surtout un point de méthode du premier chapitre, pour l'approfondir : l'auto- dictionnaire personnalisé comme procédure d'accès à une compétence lexico- communicative.
Chapitre III. Plus pointu que les deux précédents, il s'attaque à un sujet d'une grande complexité en matière de pédagogie des vocabulaires : la maîtrise des locutions figuratives.
En bref, cette étude fait place à la fois à la méthodologie dominante actuelle (l'approche communicative) et à la dictionnairique (opposant dictionnaires construits et dictionnaires à construire), pour montrer tout le parti que la première peut tirer d'une exploitation circonstanciée de la seconde.
Trait d'union entre le passé (les dictionnaires, dont l'origine en France. remonte au XVIe siècle - cf. Robert ESTIENNE -) et le présent (l'approche communicative), l'ouvrage se réclame d'une LEXICOMBTHODOLOGIE. diagonale et conciliatrice, dont un premier échantillon a déjà vu le jour sous. le titre « Lexicologie et enseignement des langues - essais méthodologiques - » (Hachette, col. F., 1979).
Le 13 février 1983)
PRÉSENTATION
Texte d'une communication faite le 4 octobre 1979, à Neu- châtel (Suisse), aux collègues du Cours CIL A 11, enseignant l'alle- mand, l'anglais et le français langues étrangères, dans des établisse- ments du secondaire et du supérieur1.
Compte tenu de l'intitulé du Cours CIL A 11 :
« L'enseignement des langues étrangères à la lumière des techniques nouvelles : comment développer
la compétence de communication ? »
... je m'étais posé la question suivante...
« Dans le cadre d'un enseignement des langues étrangères qui vise la compétence communicative
et qui privilégie les documents authentiques, l'enseignement du vocabulaire a-t-il encore sa place ? »
Argumentant en français langue étrangère2, ce que j'avais dit pour le français était, et est encore, me semble-t-il, transposable à l'allemand, à l'anglais et aux langues étrangères en général.
La communication s'articule autour de trois questions essentielles et des éléments de réponse afférents à chacune d'elles.
SOMMAIRE
1. QUELS CONSTATS FAIRE ? 1.1. En ce qui concerne le QUOI (quel(s) vocabulaire(s)
enseigner/apprendre ?) 1.1.1. Au niveau pré-méthodologique (recension des matériaux
de base entrant dans la construction des outils pédago- giques)
1.1.2. Au niveau méthodologique (construction ou choix des outils pédagogiques)
1.2. En ce qui concerne le COMMENT (comment enseigner/ apprendre le(s) vocabulairefs) ?)
1.2.1. Au niveau des principes 1.2.2. Au niveau des faits
2. QUELLES EXPLICATIONS DONNER ? 2.1. En ce qui concerne le QUOI ? 2.1.1. Au niveau pré-méthodologique 2.1.2. Au niveau méthodologique 2.2. En ce qui concerne le COMMENT ? 2.2.1. Au niveau théorique 2.2.2. Au niveau pratique
3. QUELLES PISTES SUGGÉRER ? 3.1. Deux préalables de base : 3.1.1. L'action pédagogique prend son sens dans l'interré fentia-
lité 3.1.2. L'acte de parole n'a pas de consistance psychologique
3.2. La lexicographie comme relais de la lexicologie 3.3. L'apprentissage du vocabulaire par l'élaboration progressive
de tables de concordance 3.4. Le déploiement de la fonction métalinguistique par la fré-
quentation des énoncés définitoires 3.4.1. Apprendre à lire et à tester les définitions de diction-
naires 3.4.2. Apprendre à rédiger des définitions de dictionnaires 3.4.3. Apprendre à se familiariser avec des définitions non
standard
1. QUELS CONSTATS FAIRE ?
1.1. En ce qui concerne le QUOI (Quel(s) vocabulaire(s) ensei- gner/apprendre ?).
1.1.1. Au niveau pré-méthodologique (recension des matériaux de base entrant dans la construction des outils pédago- giques) :
L'approche dominante est onomasiologique (des idées aux mots, ou des notions aux formes linguistiques : le didacticien adopte le point de vue de l'émetteur, c'est-à-dire de celui qui produit le message). L'objet de référence est « TTn niveau-seuil » (cf. le chapitre final intitulé « Objets et notions »), qui a supplanté « Le Français fondamental » (et. la liste des 1 445 mots - dont 1 176 items lexicaux - du F.f.l), c'est-à-dire que le choix n'est plus univer- saliste — le même pour tous les publics — mais personnaliste — c'est le « à qui ? » qui conditionne le « quoi ?» : on substitue le critère de besoins langa- giers à celui d'usage 3 (la centration de la méthodologie fonctionnaliste sur l'apprenant amène le didacticien à interroger le public avant de questionner la langue).
1.1.2. Au niveau méthodologique (construction ou choix des outils pédagogiques).
Les concepts de sélection et surtout de progression4 du corpus d'ensei- gnement/apprentissage se sont considérablement assouplis. A la limite, on se soucie moins de faire entrer les notions (générales et spécifiques) choisies pour tel public [ cf. « Un Niveau-seuil » ] dans tel support pédagogique, que de trouver des MATÉRIAUX SOCIAUX (traduisez documents authentiques) répondant aux besoins langagiers exprimés par ledit public, ou induits par le didacticien. Ce qui revient à dire que les documents authentiques d'une cer- taine méthodologie fonctionnaliste sont en train d'éliminer les dialogues fabriqués et les textes en français facile de la méthodologie structuraliste (donc que les centres d'intérêt camouflés en situations de communication - et les listes de mots thématisés qui vont avec - ne constituent plus aujour- d'hui des passages obligés de la didactique des langues étrangères).
Ainsi, la pédagogie des documents authentiques court-circuite à la fois les choix atomistes : — de la méthodologie structuraliste (liste de mots), — et de la méthodologie fonctionnaliste-notionnaliste (liste de notions, qui
renvoient à des listes de mots), puisque la mise au jour des besoins des apprenants conduit les appreneurs à rechercher des documents sociaux capables de répondre directement à la demande.
Notons au passage l'opposition entre fonctionnalisme type Niveau-seuil, qui avalise les documents fabriqués (puisqu'il fournit les ingrédients nécessaires à leur fabrication), et fonctionnalisme type documents authentiques, qui fait l'économie des descriptions pré-méthodologiques de type Niveau-seuil et refuse du même coup les documents fabriqués.
1.2. En ce qui concerne le COMMENT (Comment enseigner/ apprendre le(les) vocabulaire(s) ?).
1.2.1. Au niveau des principes. Les auteurs d'un Niveau-seuil refusent de s'engager sur ce terrain et de sug-
gérer une théorie de l'apprentissage. Ils laissent les praticiens libres d'opter pour l'approche qui leur paraît la plus convenable au public visé.
Les didacticiens qui prônent le cognitivisme contre le behaviorisme argu- mentent au plan des généralités, mais ne précisent pas ce qui différencie l'approche cognitiviste de l'approche behavioriste, pour ce qui touche à l'acqui- sition des vocabulaires.
Dans l'ensemble, fonctionnalistes de tous types et instrumentalistes5 s'ingé- nient à minimiser l'importance du lexique et à le refouler aux marges de la didactique des langues et ce, même dans les langues de spécialité, où son poids relatif paraît évident : cf. les propos de G. VIGNER et A. MARTIN qui, dans Le Français technique, Paris, BELC/Hachette, 1976, dichotomisent les tâches entre professeur de langue et professeur de spécialité et donnent à ce dernier l'exclusivité pour l'enseignement du lexique :
1.2.2. Au niveau des faits. La volonté est manifeste de prendre en compte des ensembles signifiants,
de globaliser l'accès aux textes, d'éviter leur atomisation (voir les efforts déployés pour empêcher l'apprenant de subvocaliser et de linéariser en déco- dant). Ce qui va dans le sens d'un gommage des préoccupations proprement lexicales, puisqu'on essaie de situer l'opération de lecture au plan du tout, alors que le travail d'exploration du vocabulaire se situe au plan de la partie (mot-noyau et mini-contexte).
Le repérage et l'identification des constituants du niveau lexical se pratique sur les éléments de structuration des textes (les articulateurs logiques et rhéto- riques), au détriment des signes à haut degré d'information (les items lexicaux), souvent inconnus, donc considérés, provisoirement au moins, comme des
obstacles à contourner.
Pour ce qui touche aux facteurs de progrès par élimination des scories, il faut relever, au stade initiatoire, l'abandon de l'image référentielle, mauvais ,sémantiseur (cf. son ambiguïté transculturelle et son incapacité à servir de véhicule au sens finguistique 6), ), et son remplacement par l'image situationnelle (propre à justifier le discours plus qu'à l'élucider), voire par l'image incitatrice (dont la vocation est de susciter du discours par sa seule existence/présence).
En définitive, si la méthodologie fonctionnaliste a fait beaucoup en ce qui concerne le à qui ? (centration du projet éducatif sur l'apprenant, meilleure connaissance de son vécu, de sa demande), le pour quoi faire ? et le quoi ? (spécification des objectifs et des contenus en fonction des besoins), elle reste très en deça des espérances qu'elle a fait naître pour ce qui est du comment ?, surtout en ce qui concerne le lexique, pour lequel elle n'a guère manifesté d'intérêt (je rappelle que la partie « Objets et notions » d'un Niveau-seuil relève du quoi enseigner/apprendre ? et s'inscrit dans le cadre d'une linguis- tique beaucoup plus traditionnelle, donc beaucoup moins novatrice que celle qui traite des « Actes de parole »).
Or, ainsi que nous allons le voir maintenant, c'est davantage au plan du comment que du quoi que la didactique des langues étrangères se devrait aujourd'hui d'innover en matière de lexique. En effet, qu'on le veuille ou non, la demande reste forte aussi bien du côté des apprenants que des appreneurs en ce qui concerne les vocabulaires et, jusqu'à preuve du contraire, les mots restent bien utiles pour communiquer...
2. QUELLES EXPLICATIONS DONNER ?
2.1. En ce qui concerne le QUOI ? 2.1.1. Au niveau pré-méthodologique. Alors que l'approche sémasiologique (des mots aux idées, ou des formes
linguistiques aux notions) peut difficilement rendre compte de ce qui relève de l'extra-linguistique, puisqu'elle propose comme point de départ des des- criptions - sélectives et réductives - de la langue (cf. les listes de mots du F.f.), l'approche onomasiologique (des idées aux mots, ou des notions aux formes linguistiques) est mieux à même d'ouvrir la voie à une compétence communicative, dans la mesure où l'inventaire des idées ou des notions utiles à tel type de locuteur peut très bien déborder le cadre du linguistique et intégrer ce qui relève de l'extra-linguistique, c'est-à-dire des aspects psycho- logiques, sociologiques, culturels de la communication.
En l'occurrence, on peut donc dire que le passage du sémasiologique à l'onomasiologique ne procède pas d'un mouvement pendulaire de l'histoire de la didactique, ni d'une mode passagère, mais qu'il est cohérent avec la doctrine.
On comprend mieux de la sorte pourquoi cette volonté de dépasser le linguistique, d'intégrer l'extra-linguistique, de situationaliser au maximum le discours, pour déboucher sur la communication, a relégué le vocabulaire au rang d'accessoire. En effet, lexicologues et lexicographes n'ont pas consenti assez d'efforts jusqu'à maintenant pour sortir l'étude des mots du ghetto dans lequel la microlinguistique l'a enfermée. Ce n'est pas en élagant conscien- cieusement les vocables de ce qui les rattache au discours situationalisé, en les réduisant aux dimensions d'objets répertoriables en langue, qu'on aide le mieux à rendre compte :
— de la genèse du sens, au contact du monde et des mots ; — et du fonctionnement de la communication en vraie grandeur.
Compte tenu du fait que le fonctionnalisme ne centre plus le projet éducatif sur la méthode, mais sur l'apprenant, on saisit facilement pourquoi le Français fondamental — corpus universaliste, destiné à tous les types de publics — ne peut plus tenir lieu d'objet de référence. Même les fonctionnalistes-formalistes7, c'est-à-dire ceux qui se préoccupent aussi de répondre à l'attente des appre- nants, mais qui adoptent pour cela la démarche sémasiologique, ceux-là même doivent logiquement dépasser le Français fondamental et procéder à des inventaires formels (structures morpho-syntaxiques, items lexicaux) adaptés aux types de publics visés. En effet, construire un projet éducatif autour de l'apprenant, c'est avant tout tenir compte de ses différences, donc répondre à ses besoins spécifiques. C'est ce que s'efforcent de faire les notionnalistes
de « Un niveau-seuil » 8, qui circonstancient le corpus d'enseignement/ apprentissage au public particulier qu'ils « ajustent », donc qui personnalisent ledit corpus.
Quoi qu'il en soit, même si le renoncement au F.f. est parfaitement justifié dans la perspective fonctionnelle, il faut bien reconnaître que tous les didac- ticiens d'aujourd'hui ne sont pas fonctionnalistes et qu'en tant que lexicologue (même fonctionnaliste !), il est permis de verser un pleur sur cet ancestral outil (commencé en 1951, par Georges GOUGENHEIM), assez exemplaire pour son époque, et auquel nous devons beaucoup, puisqu'il a présidé à la naissance de la didactique moderne du français, langue étrangère. Les auteurs du F.f. avaient compris la nécessité de mettre un frein à la logorrhée des manuels à « centres d'intérêt-cimetières de mots » et le barrage ainsi édifié contre la méthodologie lexicalisante traditionnelle est un ouvrage qui a remar- quablement rempli son office. L'enquête socio-linguistique menée alors et l'appareil statistique mis en place (je veux parler de- l'utilisation conjointe des critères de Fréquence et de Répartition pour faire émerger l'Usage, et de la création, par MICHEA, du critère complémentaire de Disponibilité), ont donné naissance à un inventaire sans doute discutable, mais plus objectif que celui d'un Niveau-seuil (même si les auteurs de ce dernier avaient leurs raisons de procéder ainsi, on ne peut s'empêcher, par comparaison, de regretter l'ap- proche subjective qu'ils ont choisie).
2.1.2. Au niveau méthodologique. S'il , fut un temps où, dans la foulée sans doute un peu trop « scientiste »
du F.f., les didacticiens/lexicologues s'efforcèrent de dépasser le stade de la simple sélection pour faire entrer le vocabulaire — comme la grammaire — dans le cadre rigoureux d'une progression9, il faut bien reconnaître que ce temps est révolu. Il y a belle lurette que la situation et la thématique sont seules à déterminer l'apparition des mots nouveaux dans le discours pédago- gique ; là au moins, les lexicologues ont précédé les grammairiens sur la voie du rejet de la progression10 .
Personnellement, je me demande si les didacticiens qui font confiance aux documents authentiques (ce que j'appelle les matériaux sociaux), pour con- duire les apprenants à tel type de compétence communicative, vont bien! jusqu'au bout de leur idée. En effet, si les besoins des apprenants peuvent être: inventoriésll , si la satisfaction de ces besoins passe par la maîtrise de certains matériaux sociaux, que ces matériaux sont disponibles et peuvent s'inscrire: dans un projet éducatif raisonnable, à quoi bon décrire par avance, et de mai. nière très atomiste12, le contenu des matériaux sociaux en question ? Pour enr faire des inventaires de référence, destinés à la fabrication d'outils pédago-i giques qui ne se justifient plus ? Le corpus d'enseignement/apprentissage le
La collection «Didactique des Langues Étrangères» s'adresse aux étudiants et aux enseignants de langue, aux méthodologues et aux linguistes. Elle vise à décloisonner la théorie de la pratique : e en rendant compte de la recherche, de manière acces- sible, e en proposant des applications pédagogiques aux hypothèses méthodologiques nouvelles. Elle présente aussi bien des ouvrages théoriques, maniables, d'une écriture transparente (condensés de recherches collectives ou individuelles, traductions, extraits commentés, recueils de textes d'auteurs diffé- rents regroupés autour d'un thème, etc.) que des outils pédagogiques souples.
Le mot n'est pas un outil périmé. Il a une importance psychologique et fonctionnelle et son étude doit trouver une place dans les approches communicatives. Aucune méthode ne dispensera jamais de l'acquisition des mots : la maîtrise d'une langue maternelle ou étran- gère passe nécessairement par là maîtrise des mots. Ainsi, d'obstacles à la compréhension et à l'échange, les mots peuvent devenir d'inégalables sésames. La forte demande des apprenants en matière de voca- bulaires prouve suffisamment que les mots restent bien utiles pour communiquer. Cet ouvrage offre : • une réflexion sur la nécessité de rendre sa place à l'étude des vocabulaires; • des propositions concrètes pour l'acquisition et la maî- ! trise des vocabulaires • des stratégies çl'acoès aux locutions figuratives.
ISBN 2- 19 _033261_3
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Couverture
2. des significations qui découlent de ces usages multiples.
CHAPITRE I - PLACE DU VOCABULAIRE DANS L'APPRENTISSAGE D'UNE COMPÉTENCE DE COMMUNICATION
PRÉSENTATION