dictionnaires, collocations, argumentation : regards
TRANSCRIPT
Dictionnaires, collocations, argumentation : regards croisés sur les émotions
Dictionaries, collocations, argumentation: a multidimensional approach to the study of emotions
Julien Biege1 Bettina Fetzer2
Annika Straube3
Vahram Atayan4
Abstract: This article is based on a research project currently being carried out at Heidelberg University, and inspired by Christian Plantin. We present some considerations on how a multidimensional approach can be used to analyse emotions. In the first step, we examine emotions as objects of argumentation in the EuroParl and OpenSubtitles corpora. In the second step, we conduct a study of the lexical field of terms denoting suffering in French, beginning with an analysis of the most frequent collocations, an approach which enables us to provide a detailed semantic description of this lexical field. In the last step, the results of the analysis of the collocations of haine âhateâ are compared to the results obtained by Christian Plantin in his examination of the network of references between selected terms and other entries in monolingual dictionaries. Our current studies are by no means complete, and cannot therefore be considered to provide definitive results, but they clearly illustrate the usefulness of a multidimensional perspective on emotions and thus show the importance of Christian Plantinâs research in this field.
Key words: emotions, argumentation, collocations, lexicographical approach, souffrance âsufferingâ, haine âhateâ.
1. Emotions et analyses linguistiques : quelques pistes de recherche
Cette contribution prĂ©sente essentiellement trois travaux en cours. Elle est issue dâun projet de recherche intĂ©grĂ© Ă lâenseignement,
1 Université de Heidelberg ; [email protected] Université de Heidelberg ; [email protected] Université de Heidelberg ; [email protected] Université de Heidelberg ; [email protected].
Studii de lingvisticÄ 9, nr. 1, 2019, 33 - 57
Julien Biege, Bettina Fetzer, Annika Straube et Vahram Atayan34
Ă lâUniversitĂ© de Heidelberg, projet inspirĂ© par Christian Plantin, qui continue Ă nous prodiguer ses prĂ©cieux conseils. Câest pour cela que nous avons dĂ©cidĂ© de la proposer pour ces mĂ©langes, bien quâelle ne puisse pas pour le moment fournir de rĂ©sultats dĂ©finitifs, mais ouvre plutĂŽt une discussion et propose quelques pistes de recherche sur le lexique de lâĂ©motion. Du point de vue mĂ©thodologique, il sâagit de la mise en Ćuvre de trois approches dont deux ont leur origine directe dans la recherche de Christian Plantin, tandis que la troisiĂšme permet de jeter un regard complĂ©mentaire sur certains phĂ©nomĂšnes.
Nous partons dâune dĂ©finition gĂ©nĂ©rique des Ă©motions, suivant la proposition de Schwarz-Friesel (2013 : 55), qui les considĂšre comme des « catĂ©gories-syndromes » multidimensionnelles et subjectives avec des reprĂ©sentations internes Ă©valuĂ©es comme positives ou nĂ©gatives et identifiables par introspection et/ou par la perception de signaux physiques. Elles peuvent â ce qui est important pour nous â ĂȘtre extĂ©riorisĂ©es par diffĂ©rents moyens, linguistiques, entre autres. Nous nous intĂ©ressons Ă lâancrage des Ă©motions dans le lexique des langues naturelles et Ă leur expression dans le discours.
Dans ses nombreuses contributions Ă lâanalyse des Ă©motions, Christian Plantin a Ă©tudiĂ© des aspects trĂšs diffĂ©rents de ce phĂ©nomĂšne : le cadre situationnel des Ă©motions, leur gestion interactionnelle, les « grandes » et les « petites » Ă©motions, etc. (voir les nombreux cas de figure prĂ©sentĂ©s dans Les bonnes raisons des Ă©motions, Plantin 2011). Parmi ceux-ci, nous allons nous intĂ©resser Ă deux aspects plus spĂ©cifiquement liĂ©s aux Ă©motions dans le systĂšme et dans lâemploi de la langue. Il sâagit ici de lâargumentation sur les Ă©motions (voir par ex. Plantin 1997, 1998, 2004), donc des Ă©motions en tant quâobjets de lâargumentation, et de lâanalyse de lâintĂ©gration des termes dâĂ©motion dans les dictionnaires (Plantin 2015).
LâidĂ©e de base de la premiĂšre des trois approches qui seront prĂ©sentĂ©es ici est dâidentifier ce sur quoi on peut argumenter spĂ©cifiquement lorsquâil sâagit de lâĂ©motion. Les Ă©motions, finalement, semblent ne pas ĂȘtre trĂšs diffĂ©rentes de tout autre objet de la communication : elles peuvent faire lâobjet dâune discussion concernant leur existence mĂȘme, leur catĂ©gorisation (on pense Ă©videmment au fameux « Je ne mâĂ©nerve pas, je suis en colĂšre » de SĂ©golĂšne Royal), leur justification par les faits (est-ce que tel danger est suffisamment rĂ©el pour en avoir peur ?) ou leur justification vis-Ă -vis dâune certaine norme (la colĂšre en tant que pĂ©chĂ© capital serait difficilement justifiable). La possibilitĂ© dâanalyser les argumentations qui se dĂ©veloppent autour des Ă©motions Ă travers des textes authentiques nous permet ainsi de mieux comprendre les reprĂ©sentations cognitives des scĂ©narios Ă©motionnels (le lien entre la rĂ©alitĂ© du danger et la peur), leurs Ă©valuations et connotations normatives (le fait quâun candidat aux Ă©lections prĂ©sidentielles sâĂ©nerve peut ĂȘtre perçu comme un signe
Dictionnaires, collocations, argumentations : regards croisés sur les émotions 35
de fragilité / faiblesse, tandis que la colÚre peut indiquer la solidité de ses repÚres moraux), etc.
Pour lâanalyse des Ă©motions Ă travers leur prĂ©sentation dans les dictionnaires, Christian Plantin dĂ©finit certains ensembles de mots liĂ©s Ă un terme dâĂ©motion, dont :
- les mots dĂ©finis (aussi) par le terme mĂȘme (ou sa famille), - les mots qui dĂ©finissent le terme et - les autres mots dĂ©finis par les mots qui dĂ©finissent le terme en
question. Pour comprendre ce que ces ensembles nous apprennent sur
les Ă©motions, il faut dâabord se demander quels en sont les Ă©lĂ©ments typiques. Parmi les mots dĂ©finis par un terme Ă©motionnel (Ă titre dâexemple peur) on trouvera ses hyponymes : comme terreur (= Peur violente et incontrĂŽlable, qui empĂȘche dâagir, qui paralyse5), mais aussi des Ă©lĂ©ments de son scĂ©nario Ă©motionnel comme la cause (spectre : ĂvĂ©nement futur quâon Ă©voque pour faire peur) ou lâeffet de lâĂ©motion (verdir : BlĂȘmir sous lâeffet de la peur). Parmi les mots qui dĂ©finissent le terme (peur : Ămotion pĂ©nible, assez violente, qui naĂźt de la prise de conscience dâun danger, dâune menace et qui saisit une personne dans une situation prĂ©cise), on sâattendrait surtout Ă des mots dĂ©signant des traits dĂ©finitoires « classiques » quâon serait tentĂ© de subsumer sous les notions de genus proximum (Ă©motion) et differentia specifica (pĂ©nible, violent, (liĂ© Ă un) danger, etc.). Jusquâici, rien de spectaculaire. Or, câest lorsquâon regarde de prĂšs le troisiĂšme ensemble â les mots dĂ©finis par les mots qui dĂ©finissent le terme Ă©motionnel â que lâoriginalitĂ© de lâidĂ©e de Christian Plantin devient Ă©vidente. Dans cet ensemble, on trouve logiquement les co-hyponymes de peur (joie : Ămotion agrĂ©able de bonheur, de ravissement et de satisfaction ; trouble : Ămotion causĂ©e par un dĂ©sir amoureux mĂȘlĂ© de timiditĂ©), en passant par le genus proximum « Ă©motion ». Bien sĂ»r, ces associations ne sont pas vraiment surprenantes, les hyponymes, les hyperonymes et les co-hyponymes Ă©tant des partenaires paradigmatiques naturels dâun terme. Pourtant, le procĂ©dĂ© permet aussi lâidentification des associations qui passent par dâautres notions, comme par ex. pĂ©nible (difficile : Psychologiquement pĂ©nible ; lourd : PĂ©nible Ă supporter, accablant, Ă©crasant ; galĂšre : Situation pĂ©nible, embarrassante, travail difficile ; vide : Sentiment pĂ©nible 5 Les dĂ©finitions sont extraites du logiciel Antidote 8. Ce logiciel contient plusieurs ressources numĂ©riques pour la langue française, comme, par exemple, un dictionnaire monolingue et des informations sur les cooccurrences et sur les champs lexicaux des mots. Il offre deux avantages principaux : premiĂšrement, le volume du corpus sous-jacent. Celui-ci comporte plus de trois milliards de mots tirĂ©s de sites web journalistiques, comme Le Monde, de bibliothĂšques numĂ©riques comme Gallica et Projet Gutenberg, ainsi que dâautres sites web, ce qui le rend reprĂ©sentatif de la langue française dans toute sa diversitĂ©. DeuxiĂšmement, le fait quâAntidote, contrairement aux mĂ©thodes traditionnelles qui permettent le repĂ©rage des mots se trouvant Ă proximitĂ© lâun de lâautre, identifie aussi les combinaisons distantes (p. ex. celles dont les Ă©lĂ©ments sont reliĂ©s par un pronom relatif) et permet ainsi dâaffiner la recherche (cf. Druide informatique 2015 : 22).
Julien Biege, Bettina Fetzer, Annika Straube et Vahram Atayan36
provoquĂ© par lâabsence de quelquâun, de quelque chose). En revanche, ces associations ne sont pas toujours Ă©videntes. Ceci est liĂ© Ă notre façon de percevoir la sĂ©mantique des mots dâune langue naturelle, et donc au fait que lâon a tendance Ă attribuer Ă certains traits sĂ©mantiques plutĂŽt le statut de genus proximum et Ă dâautres plutĂŽt celui de differentia specifica. Or, dire que la peur est un Ă©lĂ©ment de la classe des Ă©motions qui, spĂ©cifiquement, est liĂ© au trait de pĂ©nibilitĂ©, nâest quâun choix parmi plusieurs choix possibles. Il serait tout aussi possible logiquement de dire que la peur est un Ă©lĂ©ment de la classe des notions liĂ©es Ă la pĂ©nibilitĂ© et est, spĂ©cifiquement, une Ă©motion (Ă la diffĂ©rence de galĂšre, par ex., qui est un Ă©lĂ©ment de la classe des notions liĂ©es Ă la pĂ©nibilitĂ©, mais est, spĂ©cifiquement, une situation). De ce fait, peur appartiendrait au paradigme de joie, crainte, colĂšre, etc., mais aussi Ă celui de difficile, lourd, galĂšre, etc. Lâapproche proposĂ©e par Christian Plantin permet donc en mĂȘme temps de prendre en considĂ©ration certaines structures dâassociations, mais aussi les paradigmes potentiels constituĂ©s par toute la richesse sĂ©mantique dâune notion complexe telle que la peur. Evidemment, cette approche prĂ©suppose la capacitĂ© de faire des abstractions productives Ă partir des listes de notions identifiĂ©es dans les dictionnaires (comme dans Plantin 2015).
La derniĂšre approche dont il sera question ici, lâanalyse des profils combinatoires des termes dâĂ©motion (cf. surtout les travaux faits dans le groupe de Peter Blumenthal comme Blumenthal 2009, 2011 et Grutschus & Kern 2014, parmi beaucoup dâautres), nous semble ĂȘtre en mesure de complĂ©ter lâapproche basĂ©e sur lâanalyse des dictionnaires. Il sâagit ici dâanalyser les collocations6 statistiquement reprĂ©sentatives dâun terme, câest-Ă -dire dâidentifier les mots qui sont surreprĂ©sentĂ©s dans le contexte immĂ©diat (normalement, 5 mots Ă gauche et Ă droite) du terme en question. Dans cette approche, on assume que lâanalyse sĂ©mantique de cet ensemble de mots permet de prĂ©ciser la valeur sĂ©mantique et les particularitĂ©s dâusage du terme. Le point commun aux mĂ©thodes de Plantin et de Blumenthal se situe dans leur derniĂšre Ă©tape, lâidentification des dimensions sĂ©mantiques pertinentes Ă partir de listes de mots associĂ©s Ă un terme. Par contre, en ce qui concerne le statut Ă attribuer Ă ces listes dans les deux approches, la situation est plus compliquĂ©e. Dâun cĂŽtĂ©, les associations dans les dictionnaires sont souvent liĂ©es aux scĂ©narios Ă©motionnels tout comme les collocations dâun terme dâĂ©motion. Ainsi, dans le corpus dâAntidote, parmi les collocations de peur on trouve trembler, qui dĂ©signe un effet de lâĂ©motion. Or, nous avons dĂ©jĂ vu que le mot peur est utilisĂ© dans le dictionnaire dâAntidote pour dĂ©finir un autre effet de lâĂ©motion, verdir. De lâautre cĂŽtĂ©, les ensembles de mots identifiĂ©s dans les dictionnaires dĂ©crivent lâintĂ©gration paradigmatique des
6 Nous utilisons ici le terme gĂ©nĂ©rique collocation sans faire la distinction avec dâautres termes utilisĂ©s en linguistique, comme collocatif, cooccurrent et cooccurrence.
Dictionnaires, collocations, argumentations : regards croisés sur les émotions 37
mots, alors que les collocations dĂ©crivent lâintĂ©gration syntagmatique. VoilĂ pourquoi nous pensons que lâapplication des deux mĂ©thodes aux mĂȘmes objets dâĂ©tude sera utile. En plus, lâanalyse menĂ©e Ă la fois dans les dictionnaires et au niveau des collocations est particuliĂšrement intĂ©ressante pour la confrontation sĂ©mantique de plusieurs mots du mĂȘme champ sĂ©mantique dâune mĂȘme langue ou des notions approximativement Ă©quivalentes dans deux langues diffĂ©rentes.
Tout cela constitue donc une base valable pour un projet de recherche Ă long terme. Dans cette contribution, nous ne prĂ©senterons que trois Ă©tudes de cas actuelles. La premiĂšre (section 2), qui se base sur Fetzer (en prĂ©paration)7, est dĂ©diĂ©e Ă quelques considĂ©rations prĂ©liminaires sur lâanalyse des Ă©motions en tant quâobjet de lâargumentation dans les corpus EuroParl et OpenSubtitles. La deuxiĂšme (section 3), dont les rĂ©sultats proviennent de Straube (2016)8, est une analyse des collocations des termes chagrin, douleur, peine, souffrance, tristesse visant dâen identifier les diffĂ©rences sĂ©mantiques. Enfin, la troisiĂšme (section 4), qui se base sur Biege (2016 et 2017)9, prĂ©sente une application parallĂšle des deux mĂ©thodes â analyse de dictionnaires et analyse des collocations â au mĂȘme objet, la haine.
2. Les Ă©motions comme objet de lâargumentation
Cette section prĂ©sentera une mĂ©thode dâanalyse de la sĂ©mantique des termes dâĂ©motion, qui est au cĆur dâun projet de doctorat en cours. Les Ă©motions seront analysĂ©es dans des contextes oĂč elles constituent lâobjet mĂȘme dâune sĂ©quence argumentative. Cette Ă©tude rompt ainsi avec lâanalyse plus traditionnelle des Ă©motions comme instruments dans lâargumentation (pathos). Nous observerons comment les Ă©motions sont contestĂ©es, justifiĂ©es ou jugĂ©es. Dans un premier temps nous prĂ©senterons briĂšvement le cadre gĂ©nĂ©ral de lâanalyse. Nous nous demanderons surtout pourquoi les Ă©motions en elles-mĂȘmes peuvent fonctionner comme objets de lâargumentation. Nous prĂ©senterons ensuite les rĂ©sultats dâune premiĂšre analyse portant sur les frĂ©quences des termes dâĂ©motion dans les deux corpus sĂ©lectionnĂ©s, ainsi que quelques exemples de termes dâĂ©motion susceptibles de constituer lâobjet de lâargumentation.
7 Fetzer, Bettina (en prĂ©paration): Emotionen als Argumentationsgegenstand. Eine sprachvergleichende Studie zum Deutschen, Französischen und Spanischen, ThĂšse de doctorat Ă lâUniversitĂ© de Heidelberg. 8 Straube, Annika (2016), Die Quasisynonyme chagrin, douleur, peine, souffrance und tristesse â Unterschiede in Bedeutung und Verwendung, mĂ©moire de sĂ©minaire, UniversitĂ© de Heidelberg, inĂ©dit.9 Biege, Julien (2016), Emotionslexik und -semantik. Wortfeldanalyse von « haine », mĂ©moire de sĂ©minaire, UniversitĂ© de Heidelberg, inĂ©dit.Biege, Julien (2017), Emotionslexik und -semantik. Analyse der Kookkurrenzen von « haine », mĂ©moire de sĂ©minaire, UniversitĂ© de Heidelberg, inĂ©dit.
Julien Biege, Bettina Fetzer, Annika Straube et Vahram Atayan38
2.1. Ămotions et argumentation
LâidĂ©e de base de cette approche est de relier deux vastes champs de recherche â lâargumentation et les Ă©motions â en prenant comme point de dĂ©part les travaux de Plantin (1997, 1998, 2004, 2011) et de Micheli (2010)10. Dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale, cette approche, applicable aussi aux analyses contrastives, peut ĂȘtre orientĂ©e dans une perspective onomasiologique (Ă partir de champs sĂ©mantiques comme PEUR, HAINE, AMOUR, etc.) ou sĂ©masiologique (Ă partir de termes spĂ©cifiques appartenant Ă ces champs sĂ©mantiques). Lâargumentation sur les Ă©motions est le point central de lâanalyse. Nous partons de lâhypothĂšse que les Ă©motions ont une dimension intrinsĂšquement argumentable (cf. Micheli 2010 : 9 sq.). Il ne sâagit pas dâune Ă©tude de lâargumentation par des Ă©motions, mais de lâĂ©tude de lâargumentation des Ă©motions. En analysant lâargumentation autour des Ă©motions, nous pourrons identifier les caractĂ©ristiques sĂ©mantiques des termes dâĂ©motion dans une langue donnĂ©e. Les informations tirĂ©es des corpus doivent donc nous permettre de bien diffĂ©rencier les termes dâĂ©motion sur le plan sĂ©mantique, aussi bien au niveau interlingual quâintralingual.
Concentrons-nous dâabord sur la question de savoir pourquoi les Ă©motions peuvent en elles-mĂȘmes constituer lâobjet dâune argumentation. Dans La RhĂ©torique dâAristote, lâessentiel dans lâargumentation, câest de convaincre lâinterlocuteur. Aristote dĂ©finit les trois ressorts principaux de lâart de convaincre : le Logos, lâEthos et le Pathos. Le Logos correspond Ă lâeffort de persuader par un raisonnement qui se base sur la logique ; lâEthos renforce la crĂ©dibilitĂ© du locuteur par le recours Ă des arguments qui reposent sur sa personnalitĂ©, comme par exemple des arguments qui se basent sur ce quâil a vĂ©cu, son mode de vie, ses attitudes et ses qualitĂ©s ; le Pathos constitue enfin le cĂŽtĂ© Ă©motionnel des arguments. Il sâagit, dans ce cas, de persuader en faisant appel aux Ă©motions de lâauditoire pour accroĂźtre lâefficacitĂ© dâun raisonnement (cf. Eggs 1984 : 208 sq., 214, 221 sq.). Plantin rĂ©sume ces trois piliers aristotĂ©liciens de la persuasion, en soulignant leur importance dans le discours argumentatif.
[âŠ] le discours doit enseigner, plaire, toucher (docere, delectare, movere). Il doit dâabord enseigner par le logos, câest-Ă -dire informer (raconter, narrer) et argumenter ; cet enseignement emprunte la voie intellectuelle vers la persuasion, celle que tracent les preuves objectives. Mais information et argumentation sont, dâune part, menacĂ©es par lâennui, et dâautre part, ne suffisent pas Ă dĂ©clencher le passage Ă lâacte ; il ne suffit pas de voir le bien, il faut encore le vouloir. DâoĂč la nĂ©cessitĂ© de fournir aux auditeurs des indices pĂ©riphĂ©riques de vĂ©ritĂ© : ce sera la fonction des preuves liĂ©es Ă lâĂ©thos
10 Qui a rĂ©alisĂ© une analyse de lâĂ©motion argumentĂ©e dans les dĂ©bats parlementaires français sur lâabolition de la peine de mort.
Dictionnaires, collocations, argumentations : regards croisés sur les émotions 39
(« aie confiance⊠») et des stimuli émotionnels quasi physiques qui constituent le pathos (Plantin 2011 : 18).
Cette perspective a Ă©tĂ© reprise en grande partie par les thĂ©ories modernes de lâargumentation, qui, pourtant, considĂšrent souvent que lâargumentation devrait idĂ©alement se limiter Ă la persuasion par le raisonnement, le recours aux Ă©motions comportant le danger de la manipulation (cf. Plantin 2011 : 1sq.). A lâinstar de Micheli (2010), nous voulons complĂ©ter cette conception traditionnelle des rapports entre lâĂ©motion et lâargumentation par une approche alternative qui sâintĂ©resse aux cas oĂč les locuteurs argumentent autour dâune Ă©motion. Plantin parle de lâ« argumentabilitĂ© » des Ă©motions (Plantin 1997 : 81, citĂ© dans Micheli 2010 : 18) et Micheli (2010 : 18) entend par cette notion « la possibilitĂ©, pour un objet, dâĂȘtre argumentĂ© ». Selon ce dernier, cette argumentabilitĂ© des Ă©motions est liĂ©e au fait quâil existe un rapport entre les Ă©motions et la cognition. Il distingue entre les effets cognitifs des Ă©motions (situĂ©s « en aval ») et leurs origines cognitives ou antĂ©cĂ©dents cognitifs (situĂ©s « en amont »). Cela veut dire que, dâun cĂŽtĂ©, les Ă©motions produisent des effets sur la cognition et, de lâautre, elles rĂ©sultent de processus cognitifs (ibid. : 48). Du fait quâelles sont le fruit de tels processus, elles sont passibles dâĂ©valuation, de rĂ©futation ou de justification et relĂšvent de ce fait du champ de lâargumentation. Micheli rĂ©sume ce point en affirmant que « lâancrage cognitif des Ă©motions â dans les croyances et les jugements â implique quâelles sont accessibles Ă lâargumentation » (ibid. : 52).
Une autre approche de lâargumentabilitĂ© des Ă©motions, celle de Plantin (1997), part des interactions argumentatives mĂȘmes. Micheli (2010 : 105) donne des exemples11 dans lesquels les locuteurs contestent a) la raison dâĂȘtre dâune Ă©motion actuelle, b) la justification dâune Ă©motion durable et c) lâabsence dâĂ©motion :
a) Tu nâas aucune raison dâĂȘtre indignĂ©. Si tu examines la situation, tu te rendras compte queâŠ
b) Il a constamment honte de ses parents, ce qui nâa aucun fondement si on considĂšre queâŠ
c) Figure-toi quâelle ne ressent aucune pitiĂ© pour les animaux maltraitĂ©s ! Câest incomprĂ©hensible ! En effetâŠ
Dans lâapproche de Plantin (1997 : 81, citĂ© dans Micheli 2010 : 106), les locuteurs « argumentent des Ă©motions », ce qui veut dire que les Ă©motions font lâobjet dâune justification ou dâune rĂ©futation. Nous pouvons conclure que la diffĂ©rence entre ces deux approches consiste dans leur degrĂ© dâabstraction. Micheli traite le rapport entre lâargumentation et lâĂ©motion sur une Ă©chelle abstraite considĂ©rant
11 Les exemples sont construits.
Julien Biege, Bettina Fetzer, Annika Straube et Vahram Atayan40
les relations entre la cognition et les Ă©motions. Cette base se rĂ©vĂšle essentielle pour de futures analyses des discours argumentatifs qui prendront en considĂ©ration les Ă©motions. Plantin part dâun phĂ©nomĂšne plus concret, Ă savoir des interactions ou des textes mĂȘmes, et dĂ©duit lâargumentabilitĂ© des Ă©motions de lâobservation qualitative des textes.
2.2. Lâanalyse des frĂ©quences des termes dâĂ©motion dans les corpus EuroParl et OpenSubtitles
AprĂšs avoir posĂ© que les Ă©motions peuvent devenir lâobjet dâune argumentation, nous passons Ă la seconde partie de cette section, qui touche directement Ă lâexamen des frĂ©quences des termes dâĂ©motion qui font lâobjet de notre analyse dans deux corpus sĂ©lectionnĂ©s pour une premiĂšre exploration. Ces donnĂ©es concernant la frĂ©quence des termes dâĂ©motion nous semblent essentielles pour lâidentification des Ă©motions susceptibles de constituer lâobjet de lâargumentation12.
Nous avons utilisĂ©, dâun cĂŽtĂ©, une partie du corpus EuroParl issu des dĂ©bats parlementaires europĂ©ens13 et, de lâautre cĂŽtĂ©, une partie du corpus de sous-titres OpenSubtitles (OS)14. La partie allemande dâEuroParl que nous avons exploitĂ©e (Ă©noncĂ©s originaux en allemand avec des traductions en français et en anglais) compte environ 2,5 millions dâoccurrences, la partie française dâEuroParl (Ă©noncĂ©s originaux français avec des traductions en allemand et en anglais), presque 4 millions ; la partie allemande (Ă©noncĂ©s originaux en allemand) dâOpenSubtitles compte environ 5 millions dâoccurrences et la partie française, presque 8 millions. Pour notre analyse nous nâavons consultĂ© que les discours originaux en français et en allemand des deux corpus. Les traductions françaises, allemandes ou anglaises nâont pas Ă©tĂ© prises en compte.
Nous avons procĂ©dĂ© Ă une analyse des frĂ©quences des termes correspondant aux six Ă©motions de base (dâaprĂšs Ekman 2010) dans ces corpus : tristesse, joie, colĂšre, peur, dĂ©goĂ»t et surprise. Le nombre des Ă©motions de base Ă©tant controversĂ©, nous avons ajoutĂ© Ă©galement le mĂ©pris, la haine et lâamour. Lâanalyse fournit nos premiers rĂ©sultats concernant les frĂ©quences des termes dâĂ©motion dans deux corpus diffĂ©rents et ne prĂ©tend pas rendre compte de toutes les Ă©motions.
Partant dâune approche qui vise une Ă©tude sĂ©mantique des termes, nous avons dâabord dĂ©terminĂ© la famille et les quasi-synonymes des termes dâĂ©motion15 pris en compte Ă lâaide de dictionnaires. Pour
12 Nous soulignons que lâobjet de cette analyse est reprĂ©sentĂ© uniquement par les termes dâĂ©motion et que dâautres possibilitĂ©s dâexprimer verbalement les Ă©motions ne sont pas prises en considĂ©ration dans cette Ă©tude.13 http://www.statmt.org/europarl/ (17.06.2017).14 http://opus.lingfil.uu.se/OpenSubtitles.php (17.06.2017).15 Le nombre de termes analysĂ©s nâest pas toujours le mĂȘme. Il dĂ©pend des donnĂ©es trouvĂ©es dans les dictionnaires.
Dictionnaires, collocations, argumentations : regards croisés sur les émotions 41
lâallemand, nous avons consultĂ© le DWDS (Digitales Wörterbuch der deutschen Sprache16) et le Duden17, pour le français, le TrĂ©sor de la langue française (informatisĂ©)18 et le logiciel Antidote19. Nous avons ensuite fait un tri des donnĂ©es obtenues en Ă©liminant, par exemple, les homonymes ou la didascalie dans OpenSubtitles. Nous avons comptĂ© les frĂ©quences absolues20 Ă lâaide des expressions rĂ©guliĂšres dans lâĂ©diteur de source Notepad++21 et calculĂ© les frĂ©quences relatives22 des termes dâĂ©motion afin de pouvoir comparer les deux corpus. Lâanalyse nous a fourni les rĂ©sultats suivants :
ALLEMAND EuroParl OpenSubtitlesfrĂ©quences absolues relatives absolues relativesANGST âpeurâ 795 310,18 2725 520,01TRAUER âtristesseâ 62 24,19 875 166,97WUT âcolĂšreâ 72 28,09 1172 223,65FREUDE âjoieâ 462 180,26 2569 490,24ĂBERRASCHUNG âsurpriseâ 170 66,33 720 137,40EKEL âdĂ©goĂ»tâ 9 3,51 179 34,16VERACHTUNG âmĂ©prisâ 9 3,51 17 3,24HASS âhaineâ 26 10,14 598 114,12LIEBE âamourâ 46 13,66 4295 819,62
Tableau 1 : Les frĂ©quences absolues et relatives des termes dâĂ©motion dans les corpus allemands
FRANĂAIS EuroParl OpenSubtitlesfrĂ©quences absolues relatives absolues relativesPEUR 1351 352,84 5855 746,17TRISTESSE 151 39,44 2005 255,52COLĂRE 167 43,62 1417 180,58JOIE 1050 274,23 5925 755,09SURPRISE 302 78,87 1430 182,24DĂGOĂT 29 7,57 484 61,68MĂPRIS 124 32,39 199 25,36HAINE 196 51,19 503 64,10AMOUR 199 51,97 15865 2021,86
Tableau 2 : Les frĂ©quences absolues et relatives des termes dâĂ©motion dans les corpus français
16 https://www.dwds.de/ (17.06.2017).17 http://www.duden.de/ (17.06.2017).18 http://atilf.atilf.fr/ (17.06.2017).19 http://www.antidote.info/fr/antidote (17.06.2017).20 La frĂ©quence absolue dâun mot dans un corpus correspond au nombre de ses occurrences dans le corpus.21 https://notepad-plus-plus.org/fr/ (27.02.2018).22 La frĂ©quence relative sert Ă standardiser le nombre dâoccurrences des termes dâĂ©motion dans les corpus. Elle est calculĂ©e en divisant la frĂ©quence absolue du terme par le nombre des mots dans le corpus. Le quotient est multipliĂ© par 1 million.
Julien Biege, Bettina Fetzer, Annika Straube et Vahram Atayan42
Pour comparer les deux corpus, une prĂ©sentation des frĂ©quences relatives Ă lâaide de graphiques sera plus claire.
Graphique 1 : Les frĂ©quences relatives des termes dâĂ©motion dans les corpus allemands
Graphique 2 : Les frĂ©quences relatives des termes dâĂ©motion dans les corpus français
Les graphiques suivants permettent de comparer les frĂ©quences relatives des termes dâĂ©motion dans les deux langues pour un mĂȘme corpus :
Dictionnaires, collocations, argumentations : regards croisés sur les émotions 43
Graphique 3 : Les frĂ©quences relatives des termes dâĂ©motion en allemand (DE) et en français (FR) dans EuroParl
Graphique 4 : Les frĂ©quences relatives des termes dâĂ©motion en allemand (DE) et en français (FR) dans OpenSubtitles
On voit bien quâen gĂ©nĂ©ral, dans les deux langues, les termes dâĂ©motion sont plus frĂ©quents dans le corpus de sous-titres (Graphiques 1 et 2). Parmi les Ă©motions analysĂ©es, les Ă©motions les
Julien Biege, Bettina Fetzer, Annika Straube et Vahram Atayan44
plus frĂ©quentes sont la PEUR, la JOIE et la SURPRISE dans EuroParl, tant en allemand quâen français, et la PEUR, la TRISTESSE, la JOIE et lâAMOUR dans OpenSubtitles. COLĂRE et WUT sont Ă©galement assez frĂ©quents dans le corpus de sous-titres.
Les graphiques 3 et 4 mettent en Ă©vidence des diffĂ©rences de frĂ©quence des termes dâĂ©motion en allemand par rapport au français : dans les deux corpus, câest en français que les termes dâĂ©motion sont plus frĂ©quents, Ă lâexception de COLĂRE et de HAINE dans OpenSubtitles (cf. Ă©galement les tableaux 1 et 2). Les diffĂ©rences peuvent sâexpliquer soit par le choix de quasi-synonymes et de mots de la famille du terme dâĂ©motion pris en compte, soit par des tendances gĂ©nĂ©rales dans lâemploi des termes dâĂ©motion dans les deux langues. Afin de vĂ©rifier ces hypothĂšses, il nous faut une analyse plus approfondie des donnĂ©es.
Prenons lâexemple de PEUR et ANGST pour une analyse plus dĂ©taillĂ©e. Nous avons considĂ©rĂ© le terme peur et ses quasi-synonymes crainte, angoisse, effroi et inquiĂ©tude, pour le français, et le terme Angst et les quasi-synonymes Furcht, Sorge et BefĂŒrchtung pour lâallemand. Ces termes allemands sont souvent traduits par peur (Angst et Furcht), par inquiĂ©tude (Sorge) et par craintes (BefĂŒrchtung)23. Les familles respectives et le pluriel de ces termes sont Ă©galement pris en compte, par exemple Ăngste âpeursâ et Ă€ngstlich âpeureuxâ pour Angst.
ANGST est une Ă©motion plutĂŽt frĂ©quente dans les corpus originaux allemands. Ainsi, la frĂ©quence du terme Angst24 dans OpenSubtitles est de 439,48 par million dâoccurrences, tandis que dans EuroParl nous avons des frĂ©quences de 66,72 par million dâoccurrences pour Angst, 121,35 pour Sorge25, 44,09 pour befĂŒrchten26 âsâinquiĂ©terâ et 28,09 pour BefĂŒrchtung. Dans OpenSubtitles, le verbe fĂŒrchten âcraindreâ est Ă©galement assez frĂ©quent (66,21). En ce qui concerne les corpus originaux français, peur est Ă©galement le terme Ă©motionnel qui revient le plus souvent dans OpenSubtitles (562,78 par million dâoccurrences). SâinquiĂ©ter (71,49) et lâadjectif inquiet (28,93) ont aussi une frĂ©quence plutĂŽt Ă©levĂ©e dans ce corpus, tout comme le quasi-synonyme angoisse (20,14). Dans EuroParl, ce sont les mots peur (37,61), crainte (36,30), inquiĂ©tude (165,58) ; sâinquiĂ©ter (44,14) et inquiet (55,63) qui dominent. La frĂ©quence Ă©levĂ©e dans EuroParl des mots comme Sorge, befĂŒrchten ou BefĂŒrchtung, en allemand, et inquiĂ©tude, sâinquiĂ©ter, en français, peut sâexpliquer par lâappartenance gĂ©nĂ©rique de ce corpus, qui relĂšve du discours politique. Cela explique aussi les autres choix lexicaux, ainsi que la prĂ©fĂ©rence pour les termes du langage soutenu. Mais il faut prendre en compte aussi les contraintes communicatives et les 23 Les traductions indiquĂ©es entre parenthĂšses servent comme orientation. La traduction de ces termes dâĂ©motion dĂ©pend fortement du contexte et il nâexiste souvent pas dâĂ©quivalent standard.24 Le pluriel est toujours pris en compte.25 Les formules Sorge tragen, etc. ont Ă©tĂ© Ă©liminĂ©es de notre analyse.26 ConjuguĂ© au prĂ©sent.
Dictionnaires, collocations, argumentations : regards croisés sur les émotions 45
objectifs argumentatifs des locuteurs, et notamment la frĂ©quence des apprĂ©ciations positives ou nĂ©gatives de certains Ă©tats de choses et des conjectures souvent nĂ©gatives, surtout dans les argumentations pragmatiques qui sâarticulent autour des consĂ©quences positives ou nĂ©gative dâune action en discussion. Les exemples (1)-(3) illustrent lâusage typique des termes mentionnĂ©s ci-dessus dans le corpus EuroParl :
(1) Einmal steht hier im Bericht: âZur BekĂ€mpfung der Korruption und der WirtschaftskriminalitĂ€t, die nach wie vor Anlass zu ernster Sorge geben, sind verstĂ€rkte Anstrengungen erforderlichâ. (EuroParl DE)âOn peut lire, dans le rapport, que pour lutter contre la corruption et la criminalitĂ© Ă©conomique, qui restent la cause de graves inquiĂ©tudes, il est nĂ©cessaire dâaccentuer encore les efforts.â
(2) So weit meine realistische EinschĂ€tzung der Situation, meine begrĂŒndete BefĂŒrchtung. (EuroParl DE)âTelle est mon Ă©valuation rĂ©aliste de la situation et telle est ma crainte justifiĂ©e.â
(3) Monsieur le Commissaire, nous sommes particuliĂšrement inquiets parce que nous nâavons pas le sentiment que la dĂ©cision prise rĂ©ponde Ă lâinquiĂ©tude des consommateurs. (EuroParl FR)
Lâappartenance gĂ©nĂ©rique des corpus, ainsi que lâemploi des expressions plus ou moins figĂ©es utilisĂ©es comme formules discursives dans les deux langues, expliquent aussi la haute frĂ©quence de quelques autres termes dâĂ©motion. En ce qui concerne lâĂ©motion JOIE / FREUDE, pour lâallemand, câest surtout le verbe sich freuen27 âse rĂ©jouirâ qui apparaĂźt ; il a perdu sa connotation Ă©motionnelle et est utilisĂ© souvent comme formule de politesse. Câest le terme le plus frĂ©quent dans les deux corpus, suivi du substantif Freude âjoieâ et de lâadjectif fröhlich âjoyeuxâ. Pour le français, le verbe rĂ©jouir/se rĂ©jouir est le mot le plus frĂ©quent dans EuroParl (Je me rĂ©jouis donc moi aussi de cette directive [âŠ]), suivi de heureux, plaisir et enthousiasme. Dans OpenSubtitles, câest lâadjectif heureux qui est le plus frĂ©quent, suivi par ordre dĂ©croissant de plaisir, bonheur et joie. A la diffĂ©rence de lâallemand, en français, la distribution des termes de lâĂ©motion JOIE diffĂšre selon le genre.
La SURPRISE est en général moins fréquente que la PEUR et la JOIE. Si nous nous reportons à nos données, nous voyons que les adjectifs surpris, étonné et étonnant sont assez fréquents dans les deux corpus français, le substantif surprise28 étant toutefois plus
27 MĂȘme si nous avons supprimĂ© lâexpression sich freuen, dass dans EuroParl.28 Nous avons pris en compte seulement lâĂ©motion surprise et pas la surprise au sens de âcadeauâ.
Julien Biege, Bettina Fetzer, Annika Straube et Vahram Atayan46
frĂ©quent dans OpenSubtitles. Dans les corpus allemands, les termes Ă considĂ©rer sont les adjectifs ĂŒberrascht âsurprisâ et erstaunt âĂ©tonnĂ©â dans EuroParl ainsi que Ăberraschung, ĂŒberraschen âsurprendreâ et ĂŒberrascht dans OpenSubtitles.
La frĂ©quence de lâĂ©motion TRISTESSE dans OpenSubtitles est due, en français, surtout aux occurrences de lâadjectif triste, et des noms peine29 et chagrin. En allemand, les mots ayant une haute frĂ©quence sont lâadjectif traurig âtristeâ et les substantifs Schmerz âpeineâ et Kummer âchagrinâ.
La haute frĂ©quence des termes dâĂ©motion correspondant Ă AMOUR dans OpenSubtitles sâexplique par le nombre dâexpressions construites avec le verbe aimer. Les verbes, aimer en français et lieben en allemand, reprĂ©sentent des cas particuliers par rapport Ă la diversitĂ© sĂ©mantique de leurs emplois, parce quâils nâexpriment pas toujours lâamour proprement dit, mais une simple prĂ©fĂ©rence qui donne pourtant lieu Ă lâexpression dâune attitude mentale30. Ils sont donc utilisĂ©s dans le sens de âĂ©prouver de lâamour pour qqn/qqchâ, ainsi que dans le sens de âavoir un intĂ©rĂȘt trĂšs vif pour qqchâ. Les deux sens ont Ă©tĂ© pris en compte pour lâanalyse. Le substantif amour et lâadjectif amoureux, ainsi que le verbe adorer, sont Ă©galement frĂ©quents dans le corpus original français dâOpenSubtitles. Dans la partie allemande, on a le verbe lieben et le substantif Liebe.
La frĂ©quence des termes dâĂ©motion correspondant Ă COLĂRE dans les corpus de sous-titres est due Ă la prĂ©sence des termes colĂšre et Ă©nerver/sâĂ©nerver (Je mâĂ©nerve parce que jâen ai assez !) dans la partie française et aux termes Ărger âcolĂšreâ, wĂŒtend âfurieuxâ et sich Ă€rgern âsâĂ©nerverâ dans la partie allemande.
AprĂšs avoir passĂ© en revue les donnĂ©es des deux corpus qui nous ont permis dâĂ©tablir les frĂ©quences des termes dâĂ©motion, nous voudrions ajouter quelques exemples oĂč le caractĂšre justifiĂ© ou injustifiĂ© de lâĂ©motion constitue la conclusion visĂ©e par une sĂ©quence argumentative (ex. 4-7) :
(4) Zu Recht besteht in vielen Mitgliedstaaten die BefĂŒrchtung, dass im Anschluss an eine Marktöffnung fĂŒr den nationalen Personenverkehr bekannte Unternehmen den Markt einfach ĂŒbernehmen. (EuroParl DE)âDans de nombreux Ătats membres, lâon constate une crainte lĂ©gitime que lâouverture du marchĂ© du transport national de passagers pousse certaines entreprises Ă sâemparer tout simplement du marchĂ©.â
29 Nous avons Ă©liminĂ© les occurrences de peine au sens de âsanctionâ.30 Il faut tout de mĂȘme souligner quâil y a une diffĂ©rence entre lâemploi dâaimer et de lieben, parce quâen allemand on a Ă©galement le verbe mögen âaimerâ, qui est utilisĂ© encore trĂšs frĂ©quemment, pour exprimer cette attitude mentale.
Dictionnaires, collocations, argumentations : regards croisés sur les émotions 47
(5) Der Hass gegen die USA schafft vielleicht einen kurzfristigen Schulterschluss zwischen politisch extrem unterschiedlichen Gruppierungen, aber er wird keine Basis fĂŒr eine gemeinsame europĂ€ische AuĂenpolitik sein können. (EuroParl DE)âLa haine Ă lâencontre des Ătats-Unis crĂ©e peut-ĂȘtre Ă court terme une solidaritĂ© entre des groupes politiques aux positions extrĂȘmement divergentes, mais cela ne peut en aucun cas constituer une base pour une politique Ă©trangĂšre commune au niveau europĂ©en.â
(6) Naturellement en tant que commissaire, je nâai pas le droit dâĂȘtre triste, seulement de prendre bonne note, mais ces remarques ne prennent pas assez en considĂ©ration les efforts de tous ceux qui ont travaillĂ©, en HaĂŻti mĂȘme et Ă Bruxelles, dĂšs la premiĂšre heure, nuit et jour, pendant le week-end, sans rechigner ni demander de compensation. (EuroParl FR)
(7) Comme... vous ĂȘtes... des sauvages lĂ !Câest quoi ces mĂ©thodes de tortionnaires ?Paul !Quoi Paul ?Monsieur Tellier, je comprends votre colĂšre, elle est justifiĂ©e.Ăa suffit maintenant !Laissez-nous la voir !Je ne peux pas... (OpenSubtitles FR)
Les exemples (4) et (6) reprĂ©sentent une lĂ©gitimation de lâĂ©motion (Zu Recht ; je nâai pas le droit dâĂȘtre triste... maisâŠ). Dans lâexemple (5), lâĂ©motion « haine » est rĂ©futĂ©e, tandis que dans lâexemple (7), lâĂ©motion Ă©prouvĂ©e par un individu (M. Tellier) est justifiĂ©e par un autre locuteur (je comprends votre colĂšre, elle est justifiĂ©e). Dans tous les exemples lâobjet mĂȘme de lâargumentation et de savoir si une Ă©motion a une raison dâĂȘtre, une justification. LâĂ©motion ne sert pas Ă convaincre, câest lâargumentation qui sert ici Ă justifier ou contester lâĂ©motion.
2.3. Résultats préliminaires
Cette section a fourni quelques prĂ©alables pour lâanalyse des Ă©motions en tant quâobjet de lâargumentation et surtout en tant que conclusion possible dâune argumentation ou dâune contre-argumentation, qui visent Ă en justifier lâexistence ou Ă critiquer une Ă©motion. Elle renseigne sur les frĂ©quences des termes dâĂ©motion dans deux corpus diffĂ©rents en allemand et en français et fournit, Ă titre illustratif, quelques exemples dâĂ©motions pouvant faire lâobjet de lâargumentation. Cette analyse nous aidera Ă dĂ©cider quelle Ă©motion retenir pour de futures Ă©tudes des Ă©motions en tant que cibles de lâargumentation dans nos deux corpus.
Julien Biege, Bettina Fetzer, Annika Straube et Vahram Atayan48
3. Lexique de la souffrance : quelques observations Ă partir de lâexamen des profils combinatoires des lexĂšmes
La troisiĂšme section de cette contribution vise Ă prĂ©ciser les propriĂ©tĂ©s caractĂ©ristiques de certains lexĂšmes dĂ©notant des Ă©motions, en mettant lâaccent sur le lexique de la souffrance en français, et plus prĂ©cisĂ©ment sur les termes chagrin, douleur, peine, souffrance et tristesse. Lâobjectif de lâanalyse est de dĂ©terminer les diffĂ©rences sĂ©mantiques entre ces termes moyennant la prise en considĂ©ration de leurs profils combinatoires et donc de leur usage.
3.1. Résultats des études antérieures concernant le champ lexical de la souffrance
En 2009, une Ă©tude similaire, portant sur le champ lexical de la tristesse, a Ă©tĂ© conduite par Anna KrzyĆŒanowska, qui avait choisi les mots tristesse, peine et chagrin. Selon ses rĂ©sultats, tous ces termes renvoient Ă une cause dĂ©finie : les Ă©motions quâils dĂ©signent sont dĂ©clenchĂ©es par un Ă©vĂ©nement prĂ©cis qui, dans le cas de tristesse, nâest pas toujours identifiable. Le terme tristesse dĂ©signe une Ă©motion ou un Ă©tat psychologique dâune durĂ©e dĂ©terminĂ©e ou permanente, mais peut Ă©galement faire rĂ©fĂ©rence Ă un Ă©tat ponctuel. Quant Ă chagrin, le terme peut, dans certains cas, se rapporter Ă un Ă©vĂ©nement ponctuel et, dans dâautres, dĂ©noter un Ă©tat psychologique duratif mais pas permanent ; cette Ă©motion est plutĂŽt orientĂ©e vers soi-mĂȘme, tandis que peine est un terme dĂ©signant une Ă©motion orientĂ©e sur autrui et souvent moins profonde que celle dĂ©signĂ©e par chagrin.
3.2. La méthode et le corpus
La mĂ©thode utilisĂ©e dans notre travail se base sur le postulat de Wittgenstein, devenu un lieu commun en linguistique moderne, qui soutient que les collocations dâun mot permettent de mieux dĂ©crire sa signification et son usage, car la signification de chaque mot dĂ©pend de son contexte dâemploi (cf. entre autres Blumenthal 2009 : 27). Nous avons donc analysĂ© le profil combinatoire de chacun des termes choisis pour cette Ă©tude en examinant leurs collocations, les « accompagnateurs prĂ©fĂ©rentiels », pour reprendre les termes de Blumenthal (2011 : 63). Pour cette analyse nous avons travaillĂ© sur les collocations fournies par le logiciel Antidote.
3.3. Le choix des termes Ă analyser
Dans la premiĂšre Ă©tape de notre recherche, nous avons identifiĂ© les termes soumis Ă lâanalyse. Pour ce faire, nous avons recherchĂ© les
Dictionnaires, collocations, argumentations : regards croisés sur les émotions 49
synonymes de chagrin dans le Petit Robert et le TLFi. AprĂšs lâexclusion des termes utilisĂ©s seulement dans des contextes prĂ©cis comme deuil, des termes littĂ©raires comme affliction, des termes vieillis comme ennui et des termes familiers comme cafard, il restait cinq mots Ă examiner : chagrin, douleur, peine, souffrance et tristesse. Ensuite, nous avons reconsidĂ©rĂ© les dĂ©finitions de ces termes dans les deux dictionnaires, pour avoir une premiĂšre idĂ©e des traits sĂ©mantiques qui les distinguent. On peut rĂ©sumer les rĂ©sultats de cette premiĂšre recherche dans le tableau suivant (nây sont retenus que les traits mentionnĂ©s dans les dĂ©finitions en question) :
Ătat durable Ămotion dĂ©clenchĂ©e par un Ă©vĂ©nement
précis
Ămotion dĂ©clenchĂ©e par dâautres
Ă©motions
Aspect religieux
Impact somatique Ă©ventuel
Chagrin +Douleur + +Peine + +
Souffrance + + +Tristesse +
Tableau 3 : Description sĂ©mantique des termes dâĂ©motion Ă©tudiĂ©s
3.4. Classification des collocations
AprĂšs lâidentification des termes Ă Ă©tudier et lâexamen de leurs dĂ©finitions, nous avons isolĂ© leurs collocations Ă lâaide du logiciel Antidote. Nous les avons ensuite classĂ©es en nous inspirant des catĂ©gories proposĂ©es par Grutschus et Kern (2014), qui reposent sur des critĂšres sĂ©mantiques. LâidĂ©e de cette approche est donc dâidentifier la valeur sĂ©mantique des lexĂšmes avec lesquels les termes dâĂ©motions Ă©tablissent des liens prĂ©fĂ©rentiels, câest-Ă -dire les contextes sĂ©mantiques typiques de leur emploi. Nous avons donc distinguĂ© les catĂ©gories suivantes :
1. Le simple fait dâĂ©prouver une Ă©motion : ressentir du chagrin ;2. Qualification de lâĂ©motion : souffrance expiatoire ;3. CaractĂ©risation scalaire dâune Ă©motion :
a. renforcement de lâĂ©motion : amer chagrin, aggraver le chagrin ;
b. attĂ©nuation de lâĂ©motion : tristesse douce ; consoler/ calmer la douleur ;
4. Causer lâĂ©motion : donner du chagrin, ĂȘtre source de chagrin ;5. DĂ©clenchement de lâĂ©motion : la douleur envahit ;6. Effet de lâĂ©motion : se consumer de / ĂȘtre malade de chagrin ;7. Manifestation verbale de lâĂ©motion : confier / exprimer sa douleur ;
Julien Biege, Bettina Fetzer, Annika Straube et Vahram Atayan50
8. Co-occurrence avec dâautres Ă©motions : chagrin + colĂšre31, chagrin + joie32 ;
9. ExpĂ©rienceur de lâĂ©motion : chagrin dâenfant.
Parmi les collocations étudiées une partie importante dérive de constructions figées (noyer son chagrin).
3.5. RĂ©sultats
La consultation des dictionnaires fournit dĂ©jĂ quelques indications importantes sur les diffĂ©rences entre les termes analysĂ©s. Ainsi, chagrin dĂ©signe une Ă©motion nĂ©gative relativement faible (par rapport Ă douleur ou souffrance) dĂ©clenchĂ©e par un Ă©vĂ©nement prĂ©cis ; douleur indique une Ă©motion dĂ©sagrĂ©able relativement forte qui peut ĂȘtre causĂ©e par une autre Ă©motion, comme le chagrin, la peine ou le deuil ; peine renvoie Ă un Ă©tat affectif moins fort mais duratif, souffrance Ă un Ă©tat fort et duratif, qui peut avoir une connotation religieuse et, enfin, tristesse dĂ©signe une Ă©motion faible et durative.
Lâanalyse du corpus a permis dâaffiner ces rĂ©sultats, qui sont similaires Ă ceux de KrzyĆŒanowska (2009), et a montrĂ© que ces termes sont interchangeables dans beaucoup de contextes et ont de nombreux points en commun : toutes ces Ă©motions renvoient, par exemple, Ă une cause prĂ©cise : chagrin dâamour / de lâabsence... ; douleur de la sĂ©paration / de la perte⊠Dans beaucoup de cas, plusieurs de ces termes sont utilisĂ©s dans la mĂȘme phrase : « Je comprends ta peine et ton chagrin », ce qui confirme quâil ne sâagit pas de synonymes parfaits. En effet, dans certaines locutions, comme chagrin dâamour, ces termes ne sont pas interchangeables.
Lâanalyse a Ă©galement confirmĂ© que le chagrin est dĂ©clenchĂ© par une cause prĂ©cise, le constituant qui en exprime la cause Ă©tant reliĂ© au terme dâĂ©motion par la prĂ©position de (chagrin dâamour / de lâabsence...). Le terme chagrin peut sâaccompagner dâadjectifs attĂ©nuatifs, ce qui montre quâune forte intensitĂ© nâest pas un trait sĂ©mantique dĂ©finitoire de ce terme. Il en va de mĂȘme pour douleur, qui peut Ă©galement ĂȘtre accompagnĂ© par des adjectifs attĂ©nuatifs ; la cause en est souvent indiquĂ©e par un mot liĂ© au terme dâĂ©motion par de (douleur de la sĂ©paration / de la perte...). Contrairement au chagrin, qui est une Ă©motion vĂ©cue par un individu, lâexpĂ©rienceur de la douleur peut ĂȘtre collectif comme, par exemple, le peuple33, ce qui est valable aussi, selon KrzyĆŒanowska (2009), pour la tristesse.31 « Il a passĂ© une nuit en compagnie dâune tentatrice, ce qui a provoquĂ© la colĂšre et le chagrin de son amie... » (Le Soir, citĂ© dans le corpus dâAntidote).32 « Et la gauche est tellement en dehors du coup que câen est Ă pleurer... de joie ou de chagrin selon vos goĂ»ts. » (LibĂ©ration, citĂ© dans le corpus dâAntidote).33 « Les chrĂ©tiens Ă©prouvaient une vive douleur de ne pouvoir cacher en terre les restes des corps saints » (Ernest Renan, Marc AurĂšle et la Fin du monde antique, Gallica, BnF).
Dictionnaires, collocations, argumentations : regards croisés sur les émotions 51
Le corpus utilisĂ© montre que peine semble ne pas ĂȘtre qualifiable par des adjectifs attĂ©nuatifs, contrairement aux rĂ©sultats de KrzyĆŒanowska, qui parle, entre autres, de lĂ©gĂšres peines34. Par rapport aux autres termes, nous avons trouvĂ© moins dâexemples pour peine dans le corpus, ce qui pourrait indiquer, en gĂ©nĂ©ral, sa faible frĂ©quence.
Pour ce qui est de la souffrance, lâanalyse du corpus a confirmĂ© la forte intensitĂ© (nous ne trouvons pas dâadjectifs attĂ©nuatifs dans les collocations) et la connotation parfois religieuse du terme : en effet, de nombreux exemples proviennent du domaine religieux (la souffrance du Christ, la souffrance purifie, la souffrance rĂ©demptrice...). LâexpĂ©rienceur peut ĂȘtre collectif (souffrance du peuple / de la populationâŠ).
Pour finir, le terme tristesse semble avoir une sĂ©mantique lĂ©gĂšrement diffĂ©rente par rapport aux autres termes, souvent qualifiĂ©s par des adjectifs (trĂšs) nĂ©gatifs, tandis que tristesse peut ĂȘtre qualifiĂ© aussi par des adjectifs qui opĂšrent une Ă©valuation plutĂŽt positive, parfois poĂ©tique, tels que majestueuse, douce et sereine.
Notre analyse sâest focalisĂ©e sur des termes dâĂ©motion en français. Mais les diffĂ©rents termes dâĂ©motion ne dĂ©signent pas forcĂ©ment les mĂȘmes concepts dans dâautres langues : il est possible, par exemple, que le terme souffrance ne renvoie pas Ă la mĂȘme Ă©motion que sofferenza en italien ou Leiden en allemand. Pour mettre en lumiĂšre ces diffĂ©rences, il serait intĂ©ressant de faire une analyse contrastive de termes correspondants dans dâautres langues comme Kummer, Leiden, Schmerz en allemand ou sofferenza, dolore et tristezza en italien, ce qui fera lâobjet dâune recherche future.
4. La haine dans le dictionnaire et dans lâusage
Cette derniĂšre section, basĂ©e sur trois mĂ©thodes appliquĂ©es dans le cadre de nos recherches antĂ©rieures (voir la note 9), est consacrĂ©e Ă la haine : une Ă©motion stigmatisĂ©e, destructrice, que lâon reproche souvent Ă ses ennemis, mais qui nâest que rarement attribuĂ©e Ă soi-mĂȘme. Bref : une Ă©motion passionnante. Pourtant, la communautĂ© scientifique, quâil sâagisse de philologues, psychologues ou anthropologues, se divise sur la question de savoir si la haine est ou non une vĂ©ritable Ă©motion. Cette situation est compliquĂ©e par le fait que le mot haine semble ĂȘtre polysĂ©mique, puisque la plupart des dictionnaires en donnent au moins deux acceptions diffĂ©rentes : dâune part, une haine viscĂ©rale, potentiellement meurtriĂšre, normalement dirigĂ©e contre autrui ; et, dâautre part, une forte dĂ©testation Ă©prouvĂ©e Ă lâĂ©gard de situations, dâactivitĂ©s ou de choses, qui nâengendre gĂ©nĂ©ralement pas la violence. Toutefois, nous partons du principe
34 En ce qui concerne le corpus dâAntidote, cette collocation nâest signalĂ©e quâavec lâacception de âsanction juridiqueâ.
Julien Biege, Bettina Fetzer, Annika Straube et Vahram Atayan52
quâil ne sâagit pas de deux concepts distincts et irrĂ©conciliables, mais de deux extrĂȘmes dans le vaste continuum sĂ©mantique que parcourt le mot haine dans toutes ses nuances. Ce type de continuum est frĂ©quent dans le lexique des Ă©motions, comme lâillustre lâexemple des -phobies qui parcourent sans heurt un espace entre la peur et la haine, selon leur objet. Nous analysons ce continuum en nous intĂ©ressant surtout aux reprĂ©sentations mĂ©taphoriques de la haine, tout en tenant compte de lâanalyse de la colĂšre (anger) effectuĂ©e par Kövecses (1995), qui proposait de rĂ©sumer les reprĂ©sentations mĂ©taphoriques universelles de cette Ă©motion par la description suivante : « hot fluid in a container » âfluide chaud dans un rĂ©ceptacleâ. Nous examinons donc ces mĂ©taphores pour dĂ©terminer si la haine est bien une Ă©motion diffĂ©rente de la colĂšre ou sâil sâagit du mĂȘme concept.
4.1. Les corpus
Pour cette analyse, nous avons fait appel Ă deux corpus diffĂ©rents : il sâagit, dâune part, du corpus du logiciel Antidote 8 et, dâautre part, du TrĂ©sor de la Langue Française (informatisĂ©) (TLFi). Nous avons prĂ©fĂ©rĂ© le TLFi Ă dâautres dictionnaires en ligne pour des raisons purement pratiques et techniques. Il faut bien sĂ»r garder Ă lâesprit que le dernier volume du TrĂ©sor est paru en 1994 et que, par consĂ©quent, certaines Ă©volutions et innovations sĂ©mantiques du français moderne pourraient ĂȘtre absentes du TLFi. NĂ©anmoins, vu que la haine fait partie du vocabulaire de base, nous estimons que lâĂ©tat de la langue française reprĂ©sentĂ© dans ce dictionnaire est encore suffisamment proche du français actuel pour produire des rĂ©sultats pertinents.
4.2. La méthode
Trois procĂ©dĂ©s diffĂ©rents sont mis Ă lâĂ©preuve dans cette section, dont les deux premiers sont Ă©troitement liĂ©s. La premiĂšre mĂ©thode a Ă©tĂ© inspirĂ©e par lâarticle « Paura, emozione, passione, sentimento : Ă©tude de la contagion Ă©motionnelle dâaprĂšs le Dizionario Combinatorio Italned » (Plantin 2015), dans lequel Christian Plantin prĂ©sente une nouvelle mĂ©thode pour dĂ©terminer la « dissĂ©mination » de certains mots liĂ©s aux Ă©motions. Cette mĂ©thode consiste Ă chercher ces mots dans les dĂ©finitions dâautres lexĂšmes pour ensuite analyser lâensemble des mots D[m]35 Ă©tabli de cette façon. Christian Plantin Ă©voque aussi la possibilitĂ© de chercher dans le sens inverse, en analysant les termes dĂ©finissant (ou impactant) le mot en question, voire, dans une Ă©tape ultĂ©rieure, lâensemble D[m]36 de tous les mots impactĂ©s par ces termes. Cela correspond au deuxiĂšme procĂ©dĂ© que nous avons employĂ© dans notre
35 « Domaine lexical du mot m » : les termes impactĂ©s (dĂ©finis) par le mot m.36 « Domaine lexical de m », oĂč m est la « famille impactante » du mot m.
Dictionnaires, collocations, argumentations : regards croisés sur les émotions 53
analyse. Enfin, la troisiĂšme mĂ©thode consiste Ă comparer les rĂ©sultats obtenus grĂące Ă lâapplication de ces deux mĂ©thodes Ă lâĂ©tude du mot haine aux rĂ©sultats de lâanalyse de toutes les collocations trouvĂ©es dans le corpus du logiciel Antidote 8, ce qui doit permettre un double regard â syntagmatique et paradigmatique â sur la sĂ©mantique de haine.
4.3. Le domaine lexical du mot haine
La recherche du mot haine dans toutes les dĂ©finitions du TLFi donne 58 rĂ©sultats dont 45 peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme pertinents aprĂšs un examen approfondi37. En analysant ces rĂ©sultats, nous avons constatĂ© quâils peuvent ĂȘtre classĂ©s en fonction de trois paramĂštres : 1) le rĂŽle sĂ©mantique des mots impactĂ©s par haine, câest-Ă -dire, ici, les Ă©lĂ©ments essentiels du scĂ©nario Ă©motionnel de la haine actualisĂ©s dans les dĂ©finitions prises en compte (dĂ©clencheur/raison : odieux ; porteur : hĂ©rĂ©ditaire, action : maudire ; cible / victime : gallophobie) ; 2) les sentiments et les attitudes liĂ©s Ă la haine mentionnĂ©s dans ces dĂ©finitions (rage) ; 3) les reprĂ©sentations mĂ©taphoriques des actions et des personnes impliquĂ©es, ainsi que de la haine mĂȘme (basilic). Ici, nous allons nous concentrer sur ce dernier aspect.
Sur le plan métaphorique, nous avons ainsi pu identifier, en examinant les termes impactés par le mot haine dans le TLFi, deux champs lexicaux qui correspondent à deux représentations conceptuelles bien différentes de la haine :
1) la chaleur et lâĂ©chauffement : chaud, Ă©chauffer ;2) les fluides corporels toxiques : bave, venin, et, corrĂ©lativement, les serpents : vipĂšre, basilic.Ce second champ lexical est dâautant plus intĂ©ressant quâil
diffĂšre de la reprĂ©sentation mĂ©taphorique de la colĂšre proposĂ©e par Kövecses (1995), ce qui suggĂšre quâil sâagit bien dâune Ă©motion distincte.
4.4. Le domaine lexical de la famille impactante du mot haine
Pour cette analyse, nous sommes partis des deux dĂ©finitions du mot haine : « Sentiment de profonde antipathie Ă lâĂ©gard de quelquâun, conduisant parfois Ă souhaiter lâabaissement ou la mort de celui-ci » et « Sentiment de profonde aversion pour quelque chose » (TLFi), pour en extraire les mots susceptibles dâavoir un lien sĂ©mantique avec les Ă©motions. La liste finale comporte neuf mots suffisamment spĂ©cifiques du point de vue sĂ©mantique (sentiment, profond, antipathie, Ă©gard, conduisant, souhaiter, abaissement, mort, aversion), leurs domaines
37 Sont exclus de lâanalyse les mots pour la dĂ©finition desquels la contribution sĂ©mantique du mot haine est nĂ©gligeable ou indirecte (par exemple, indiffĂ©rent, « qui ne suscite ni amour, ni haine », ou miel, dĂ©fini par le biais du proverbe Bouche de miel, cĆur de fiel : « Les paroles trop douces, doucereuses, dissimulent lâĂącretĂ© du cĆur, lâenvie, la haine »).
Julien Biege, Bettina Fetzer, Annika Straube et Vahram Atayan54
lexicaux comprenant au total 1357 entrĂ©es. Nous avons ensuite Ă©liminĂ© tous les mots qui nâappartiennent pas Ă une famille morphosĂ©mantique reprĂ©sentĂ©e au moins dans trois de ces neuf domaines lexicaux. Comme dans le cas de la premiĂšre mĂ©thode, nous nous concentrons sur les champs mĂ©taphoriques liĂ©s aux termes impactants de haine, qui prĂ©sentent ici quelques particularitĂ©s intĂ©ressantes. Nous avons pu identifier ainsi les catĂ©gories mĂ©taphoriques suivantes :
1) la tempĂ©rature :a) la chaleur et lâĂ©chauffement : chaleur, Ă©chauder ;b) le froid et le refroidissement : froid, froidir ;
2) les fluides corporels : le sang (sang, sanglant) ;3) les institutions morales :
a) la justice : juge, (in)justice ;b) la religion : religieusement, vénérer.
Bien que deux de ces catĂ©gories rappellent les rĂ©sultats de la premiĂšre analyse, les diffĂ©rences sont significatives : ainsi, le champ mĂ©taphorique de la tempĂ©rature ne se limite plus Ă la chaleur, mais comprend aussi le froid. Dans le domaine des fluides corporels, il nâest plus question de substances toxiques, ni de serpents dâailleurs, et le sang, traditionnellement associĂ© aux caractĂšres impulsifs, y est prĂ©sent. Le troisiĂšme domaine, celui des institutions morales, constitue un rĂ©sultat plus surprenant qui fera lâobjet de recherches approfondies. Pour lâinterprĂ©tation de ces rĂ©sultats il est important de prĂ©ciser quâils reflĂštent la famille paradigmatique de haine, donc potentiellement une large gamme dâautres termes dâĂ©motion liĂ©s aux champs mĂ©taphoriques en question.
4.5. Les collocations du mot haine
Moyennant le troisiĂšme procĂ©dĂ©, appliquĂ© au corpus du logiciel Antidote 8, nous cherchons Ă trouver des rĂ©sultats comparables Ă ceux Ă©tablis Ă lâaide des deux premiĂšres mĂ©thodes en tenant compte de la dimension syntagmatique du mot. Nous avons utilisĂ© deux systĂšmes diffĂ©rents de classification des collocations pour reprĂ©senter les rĂ©sultats de lâanalyse : dâabord la classification Ă©tablie par Grutschus et Kern (2014) et adaptĂ©e par Straube (voir la note 8), qui se concentre principalement sur les diffĂ©rents rĂŽles sĂ©mantiques actualisĂ©s dans les collocations des termes dâĂ©motion, puis une classification plus spontanĂ©e, inspirĂ©e par celles dĂ©crites ci-dessus (voir 4.3. et 4.4.). Puisque notre analyse se concentre sur les reprĂ©sentations mĂ©taphoriques de la haine et des notions associĂ©es Ă celle-ci, nous nous contentons de constater que la classification utilisĂ©e par Straube est trĂšs utile pour la comparaison intralinguale du comportement des diffĂ©rents termes dâĂ©motion, tandis quâune classification sans catĂ©gories prĂ©alables, comme celle proposĂ©e ici, qui procĂšde dâune
Dictionnaires, collocations, argumentations : regards croisés sur les émotions 55
observation directe des donnĂ©s, permet dâanalyser les reprĂ©sentations mĂ©taphoriques de façon plus fine.
En ce qui concerne les rĂ©sultats de lâinterprĂ©tation mĂ©taphorique des collocations du mot haine, il nâest peut-ĂȘtre pas trĂšs surprenant que ceux-ci soient nettement plus dĂ©taillĂ©s que les rĂ©sultats obtenus en appliquant les deux premiers procĂ©dĂ©s, nous permettant de discerner au moins cinq catĂ©gories et dix sous-catĂ©gories conceptuelles :
1) le feu : haine inextinguible, haine ardente ;2) une substance :
a) un solide : haine palpable, construire sur la haine,b) un gaz : respirer la haine, Ă©ructer sa haine,c) un fluide :
c1) corporel : baver de haine, suer la haine,c2) toxique : haine envenimée, la haine envenime ;
3) un ĂȘtre vivant :a) un ĂȘtre humain : haine opiniĂątre, haine sourde,b) un animal : haine fĂ©roce, la haine couve,c) une plante : haine enracinĂ©e, semer la haine ;
4) une maladie :a) mentale : délire haineux, haine pathologique ;b) physique : vomir sa haine, haine nauséabonde ;
5) une institution morale :a) la justice : condamnĂ© Ă la haine, mĂ©riter sa haine ;b) la religion : prĂȘcher la haine, haine religieuse.
Tout en confirmant les tendances mises en Ă©vidence moyennant les deux premiĂšres analyses, lâapproche syntagmatique nous permet de faire des analyses plus fines. Dâabord, les catĂ©gories dĂ©jĂ identifiĂ©es sont en partie confirmĂ©es (institution morale) et en partie intĂ©grĂ©es dans un ensemble plus vaste (fluide Ă substance), ou rĂ©alisĂ©es aussi par un Ă©lĂ©ment central du champ en question (tempĂ©rature Ă feu). En plus, nous trouvons ici deux grandes catĂ©gories supplĂ©mentaires, la personnification de la haine et sa conception mĂ©taphorique comme une maladie.
4.6. RĂ©sultats
Dans cette derniĂšre section, nous avons prĂ©sentĂ© trois procĂ©dĂ©s dont le but commun est de proposer une caractĂ©risation sĂ©mantique plus complĂšte et plus dĂ©taillĂ©es du lexĂšme haine que celle Ă laquelle on aurait accĂšs en Ă©tudiant naĂŻvement lâentrĂ©e « haine » dans les dictionnaires, grĂące Ă la numĂ©risation, qui nous permet dâaccĂ©der instantanĂ©ment Ă des milliers de lexĂšmes. LâinterprĂ©tation des rĂ©sultats de ces recherches reste, cependant, un travail intellectuel et manuel et il est trĂšs important de mettre en corrĂ©lation la complexitĂ©
Julien Biege, Bettina Fetzer, Annika Straube et Vahram Atayan56
de lâanalyse avec la qualitĂ© et la richesse de ses rĂ©sultats. Ainsi, la premiĂšre mĂ©thode, relativement simple, a fourni des rĂ©sultats relativement peu complexes, mais nĂ©anmoins utiles, puisquâelle est la seule Ă repĂ©rer le serpent comme mĂ©taphore possible pour une personne qui hait. Le deuxiĂšme procĂ©dĂ© est, de loin, le plus complexe Ă manier, mais il a permis dâidentifier deux aspects indĂ©niablement liĂ©s Ă la haine qui ne se retrouvent pas dans les deux autres analyses : le froid et le sang. La troisiĂšme mĂ©thode, quant Ă elle, nĂ©cessite un effort intermĂ©diaire et fournit les rĂ©sultats les plus dĂ©taillĂ©s, mais pas tout Ă fait complets. Nous concluons donc quâil est possible de se faire une idĂ©e prĂ©cise des reprĂ©sentations mĂ©taphoriques dâune Ă©motion en ayant recours uniquement Ă une analyse des collocations des termes dâĂ©motion, mais que les procĂ©dĂ©s proposĂ©s par Christian Plantin constituent une alternative utile et apte Ă complĂ©ter les rĂ©sultats de lâanalyse de ces collocations. Notre travail futur portera sur le lexique de la haine en allemand, et mettra en Ă©vidence les points communs et les diffĂ©rences par rapport au français, ce qui permettra de voir aussi quelles consĂ©quences cela peut avoir pour la traduction.
5. Conclusions
Notre contribution, qui sâinscrit dans le cadre de lâanalyse linguistique des Ă©motions, visait Ă prĂ©senter quelques travaux en cours qui se positionnent clairement dans la tradition de lâĆuvre de Christian Plantin. Il ne sâagit Ă©videmment pas de fournir des rĂ©sultats dĂ©finitifs sur notre projet actuel mais plutĂŽt dâillustrer lâutilitĂ© et le potentiel de notre approche, qui permet de porter un regard croisĂ© sur les Ă©motions dans la langue. AprĂšs avoir Ă©bauchĂ© le cadre thĂ©orique, nous avons prĂ©sentĂ© le phĂ©nomĂšne des Ă©motions comme objets de lâargumentation (section 2), dont lâanalyse permettra de mieux comprendre la façon dont les locuteurs envisagent lâĂ©motion en tant que phĂ©nomĂšne cognitif et communicatif intĂ©grĂ© dans la langue. Ensuite, lâĂ©tude du lexique de la souffrance (section 3) et de la haine (section 4) nous a permis de dĂ©montrer lâutilitĂ© de lâapproche basĂ©e sur lâanalyse lexicographique, dâune part, et sur lâanalyse des collocations, dâautre part, pour mieux comprendre la valeur sĂ©mantique des termes dâĂ©motions, Ainsi, la prĂ©sente contribution a pu dĂ©montrer comment la combinaison des approches proposĂ©es peut ĂȘtre utile pour lâĂ©tude du vaste domaine des Ă©motions dans la langue.
Références bibliographiques
Blumenthal, P. (2009), « Combinatoires des mots : analyses contrastives (français / allemand) », in Blumenthal, P. et al. (éds), Les séquences figées: entre langue et discours, Steiner, Stuttgart, p. 27-42.
Dictionnaires, collocations, argumentations : regards croisés sur les émotions 57
Blumenthal, P. (2011), « Essai de lexicologie contrastive: comment mesurer lâusage des mots? », in Lavric, E. et al. (Ă©ds), Comparatio delectat: Akten der VI. Internationalen Arbeitstagung zum romanisch-deutschen und innerromanischen Sprachvergleich, Teil I, Peter Lang, Bern, p. 61-83.
Eggs, E. (1984), Die Rhetorik des Aristoteles. Ein Beitrag zur Theorie der Alltagsargumentation und zur Syntax von komplexen SÀtzen (im Französischen), Peter Lang, Frankfurt am Main.
Ekman, P. (2010), GefĂŒhle lesen. Wie Sie Emotionen erkennen und richtig interpretieren, Spectrum, Heidelberg.
Grutschus, A. et al. (Ă©ds) (2014), « DecepciĂłn, surprise, colĂšre et furia. Exploration dâune mĂ©thode statistique en lexicologie », Zeitschrift fĂŒr romanische Philologie, 130/3, p. 605-631.
Kövecses, Z. (1995), âAnger: Its language, conceptualization and physiology in the light of cross-cultural evidenceâ, in Taylor, J. et al. (Ă©ds), Language and the Cognitive Construal of the World, Mouton de Gruyter, Berlin, p. 181-196.
KrzyĆŒanowska, A. (2009), « Sur la sĂ©mantique de quelques noms de tristesse », in Novakova, I., Tutin, A. (Ă©ds), Le lexique des Ă©motions, ELLUG, Univ. Stendhal, Grenoble, p. 173-191.
Micheli, R. (2010), LâĂ©motion argumentĂ©e. Lâabolition de la peine de mort dans le dĂ©bat parlementaire français, Ăditions du Cerf, Paris.
Plantin, Chr. (1997), « Lâargumentation dans lâĂ©motion », Pratiques, 96, p. 81-100.
Plantin, Chr. (1998), « Les raisons des Ă©motions », in Bondi, M. (Ă©d.), Forms of argumentative discourse. Per unâanalisi linguistica dellâargomentare. Atti del Convegno (Bologna 12-13 dicembre 1996), CLUEB, Bologna, p. 3-50.
Plantin, Chr. (2004), âOn the inseparability of Emotion and Reason in Argumentationâ, in Weigand, E. (ed.), Emotion in Dialogic Interaction: Advances in the Complex, John Benjamins, Amsterdam, p. 265-276.
Plantin, Chr. (2011), Les bonnes raisons des émotions, Peter Lang, Berne.Plantin, C. (2015), « Paura, emozione, passione, sentimento: étude de la
contagion Ă©motionnelle dâaprĂšs le Dizionario Combinatorio Italned », Le Langage et lâHomme, 50/2, p.43-58.
Schwarz-Friesel, M. (2013), Sprache und Emotion, Francke, TĂŒbingen.
Corpus, dictionnaires et autres ressources Ă©lectroniques
Digitales Wörterbuch der Deutschen Sprache, https://www.dwds.de/. (DWDS)Druide informatique (2015), Antidote 9. Correcteur, dictionnaires, guides. Posologie,
http://www.druide.com/telecharger/doc/Guide_utilisation_A9.pdf.Duden, http://www.duden.de/.EuroParl, http://www.statmt.org/europarl/.Logiciel Antidote 8 et 9.OpenSubtitles, http://opus.lingfil.uu.se/OpenSubtitles.php.Le Petit Robert de la langue française. Dictionnaire alphabétique et analogique
de la langue française, Dictionnaires Le Robert, Paris, 2012.Trésor de la Langue Française informatisé, http://www.atilf.atilf.fr/. (TLFi)