descombes comment savoir ce que je fais

19
COMMENT SAVOIR CE QUE JE FAIS ? Vincent Descombes Editions de Minuit | Philosophie 2002/4 - n° 76 pages 15 à 32 ISSN 0294-1805 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-philosophie-2002-4-page-15.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Descombes Vincent, « Comment savoir ce que je fais ? », Philosophie, 2002/4 n° 76, p. 15-32. DOI : 10.3917/philo.076.0015 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Editions de Minuit. © Editions de Minuit. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 04/09/2013 18h15. © Editions de Minuit Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 04/09/2013 18h15. © Editions de Minuit

Upload: katerina-paplomata

Post on 23-Nov-2015

40 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

Descombes Intention

TRANSCRIPT

  • COMMENT SAVOIR CE QUE JE FAIS ?

    Vincent Descombes

    Editions de Minuit | Philosophie

    2002/4 - n 76pages 15 32

    ISSN 0294-1805

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-philosophie-2002-4-page-15.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Descombes Vincent, Comment savoir ce que je fais ? , Philosophie, 2002/4 n 76, p. 15-32. DOI : 10.3917/philo.076.0015--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Distribution lectronique Cairn.info pour Editions de Minuit. Editions de Minuit. Tous droits rservs pour tous pays.

    La reproduction ou reprsentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorise que dans les limites desconditions gnrales d'utilisation du site ou, le cas chant, des conditions gnrales de la licence souscrite par votretablissement. Toute autre reproduction ou reprsentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manire quece soit, est interdite sauf accord pralable et crit de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislation en vigueur enFrance. Il est prcis que son stockage dans une base de donnes est galement interdit.

    1 / 1

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    de

    Bord

    eaux

    3 -

    - 1

    47.2

    10.1

    16.1

    77 -

    04/0

    9/20

    13 1

    8h15

    . E

    ditio

    ns d

    e M

    inui

    t D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 04/09/2013 18h15. Editions de M

    inuit

  • Vincent Descombes

    COMMENT SAVOIR CEQUE JE FAIS ?

    La question de laction intentionnelle

    Il est en gnral facile de dcrire ce que font les gens, si lon sentient une narration lmentaire de leurs faits et gestes. Nous avonsmme souvent le choix entre plusieurs descriptions : quelquun marche,il promne son chien quelquun crit, il passe lpreuve de philosophiedu baccalaurat quelquun coupe un oignon, il prpare le repas. Lesdifficults commencent lorsque nous voulons introduire la dimensiondu savoir de lagent, donc la distinction des personnes. Il peut alors yavoir une diffrence entre ce que nous voyons quelquun faire et ce quenous lentendons dire lui-mme de ce quil fait, de ce quil sait tre entrain de faire.

    Rservons le titre de conscience de soi dun agent ou consciencedagent cette connaissance que lagent a de son action en tantquil en est lagent. Toute action, prise au sens gnral de chose faitepar un agent, nest pas connue de son agent sur le mode de laconscience de soi. Par exemple, un piton qui vient de traverser unezone boueuse peut sapercevoir quil laisse derrire lui des traces depas. Dans ce cas, cest en regardant derrire lui quil sait ce quil vientde faire (laisser des traces). Sa connaissance ne tient pas au fait quilest lagent de ce marquage. Autrement dit, le piton a fait quelquechose et il sait quil la fait, et pourtant il ne le sait pas sur le modede la conscience de soi, mais sur le mode de lobservation, puisquillui a fallu regarder pour lapprendre, exactement comme laurait faitun tmoin. En revanche, notre piton na pas besoin de regarder silmarche pour savoir quil marche : il sait quil marche sur le mode dela conscience de soi.

    La conscience de soi dun agent se manifeste dans le comportementet dans lexpression verbale. Je vois quelquun qui sapprte traverserla rue et regarde sil vient des voitures : je ne doute pas un instantque ce passant sache ce quil est en train de faire et pourquoi il regardesil y a des voitures. Si je le lui demandais, il pourrait donner les raisonsde sa conduite. Sans doute pourrait-il dire galement ce quil comptefaire une fois quil sera pass de lautre ct de la rue. Les conditionssont runies pour attribuer cet agent une intention qui explique (dansle sens tlologique du verbe expliquer ) son comportement. Nousretrouvons ainsi les trois emplois principaux du concept dintention

    15

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    de

    Bord

    eaux

    3 -

    - 1

    47.2

    10.1

    16.1

    77 -

    04/0

    9/20

    13 1

    8h15

    . E

    ditio

    ns d

    e M

    inui

    t D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 04/09/2013 18h15. Editions de M

    inuit

  • que distingue Elizabeth Anscombe 1. On fait en effet appel la diff-rence entre lintentionnel et le non intentionnel dans trois cas au moins( 1, p. 33-34) :

    1o Pour faire la diffrence entre lexpression dune intention pour lefutur ( Je serai candidat ) et lexpression dune croyance concernantle futur ( Je serai lu ) ;

    2o Pour distinguer les choses faites intentionnellement ( me servirde ce stylo ) de celles qui ne sont pas faites intentionnellement ( meservir de votre stylo , au cas o je ne savais pas que ce stylo vousappartenait) ;

    3o Pour dclarer dans quelle intention (ultrieure) on excute (main-tenant) une opration ( Je fais bouillir de leau pour prparer unth ).

    Dans tous ces exemples, il apparat que la condition dune actionintentionnelle est, de la part de lagent, une conscience de lactionsous lune au moins de ses descriptions et une conscience des raisonsde faire prcisment laction ainsi dcrite. Or nous voulons claircirle statut cognitif de ce savoir. De quoi est-il le savoir et sur quoirepose-t-il ? Sagit-il dun savoir portant sur laction elle-mme ? Sioui, comment lagent peut-il avoir une relation cognitive une chosequi, peut-tre, na pas encore t faite (dans le cas dune intentionpour le futur) ou qui na pas t compltement faite (dans le casdune action en cours) ? Puisque cette action projete nexiste pasencore et nexistera peut-tre jamais (par exemple, si quelque choseempche maintenant lagent dachever laction commence ou lemp-che de lentreprendre dans le futur), elle ne peut pas fournir le secondterme dune relation cognitive. Et, pourtant, sur quoi pourrait bienporter le savoir de lagent conscient de soi si ce nest pas sur sonaction ? Beaucoup de philosophes, placs devant ces questions, choi-sissent de rpondre par une distinction. Lagent, par la conscience desoi quil possde comme agent, connat son action sous un aspectinterne ou volitif, mais non sous son aspect externe dvnement dansle monde.

    Mais il convient, pour mieux comprendre la teneur exacte du pro-blme ici pos, de prciser que notre question porte sur laction inten-tionnelle, pas seulement sur des mouvements propres de lagent. Eneffet, tant quon en reste aux mouvements corporels de lagent, il peutsembler que la relation cognitive est forcment assure, en raison mmede la proximit entre lagent et ses gesticulations. Il nen va pas forc-ment ainsi dune action intentionnelle.

    1. Lintention (1957), tr. M. Maurice et C. Michon, Paris, Gallimard, 2002. Les rf-rences cette traduction seront donnes dans le texte.

    16

    VINCENT DESCOMBES

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    de

    Bord

    eaux

    3 -

    - 1

    47.2

    10.1

    16.1

    77 -

    04/0

    9/20

    13 1

    8h15

    . E

    ditio

    ns d

    e M

    inui

    t D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 04/09/2013 18h15. Editions de M

    inuit

  • Le volontaire et lintentionnel

    Aujourdhui, il nous parat peut-tre tout naturel que les philosophestraitent de laction intentionnelle. En fait, cela est devenu habitueldepuis Lintention (1957) dAnscombe, et depuis le grand article deDonald Davidson sur Les actions, les raisons et les causes (1963) 2,article dans lequel il cherche au fond rintgrer la dissidence witt-gensteinienne dAnscombe dans le courant dominant de la psychologiedite causaliste . Les philosophes classiques ont plus souvent crit surla volont que sur lintention. Pour retrouver une tradition vivante dutrait philosophique de lintention, il faut peut-tre remonter jusqu lascolastique mdivale 3.

    Anscombe fait une diffrence, qui parat en effet indispensable, entreune action volontaire et une action intentionnelle. Elle crit son livre une date o il semble acquis, au moins dans les cercles des philosophesanalytiques, que la thorie empiriste de la volont ou doctrine desvolitions a t dfinitivement rfute par divers arguments (avancsen particulier par Gilbert Ryle 4). La doctrine des volitions prtendaitexpliquer la diffrence entre un mouvement involontaire et un mouve-ment volontaire par loccurrence dun vnement mental dans le vcudu sujet : le sujet juge que son mouvement est volontaire parce quil aaperu en lui, pralablement ce mouvement, un acte de volont ou un vnement volitif qui consistait dsirer que le mouvementen question se fasse.

    Je ne reviendrai pas sur les objections contre la doctrine des voli-tions 5. Retenons que ces entits volitives ne passent ni le test phno-mnologique dexistence (on ne trouve pas, lorigine de tout mouve-ment volontaire, un vcu spcifique qui signalerait lagent quil estlui-mme lauteur du mouvement), ni le test logique (si le mouvementdu corps est volontaire en raison dun mouvement de lme la voli-tion , ce mouvement de lme est-il lui-mme volontaire ?).

    Pour avoir une marque du mouvement volontaire, il faut, selon Ans-combe, carter tous les faux critres introspectifs et sen tenir au critreordinaire quon applique hors de la philosophie. Cest un fait que nouspouvons produire certains mouvements la demande 6 : nous disonsquun mouvement est volontaire si lagent peut le faire quand on le lui

    2. Donald Davidson en a fait le premier essai de son livre Actions et vnements, (1980),tr. P. Engel, PUF, 1993.

    3. Saint Thomas dAquin, De intentione (Somme thologique, 1a-2, q. 12).4. Gilbert Ryle, Le concept desprit (London, Hutchinson, 1949), tr. franaise, Payot.5. Jai rsum cette critique dans le chapitre laction des Notions de philosophie

    (dir. Denis Kambouchner, Paris, Gallimard, 1995, t. II ; voir p. 134-138).6. Voir la remarque de Wittgenstein : Est-ce que tu lis cette page volontairement ?

    Et en quoi consiste ici lacte ? Quelquun peut lire, et aussi cesser de lire, si on le luicommande. (Remarques sur la philosophie de la psychologie, I, 759.)

    17

    COMMENT SAVOIR CE QUE JE FAIS ?

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    de

    Bord

    eaux

    3 -

    - 1

    47.2

    10.1

    16.1

    77 -

    04/0

    9/20

    13 1

    8h15

    . E

    ditio

    ns d

    e M

    inui

    t D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 04/09/2013 18h15. Editions de M

    inuit

  • demande et sil aurait pu sabstenir de le faire. Lagent montre quilpeut produire ce mouvement volont. Ce qui fait quun mouvementest volontaire nest pas quil soit accompagn dimpressions volitives ouquil soit prcd dactes internes volitifs, mais quil soit contrl parlagent. Ou plutt, puisque ce contrle nest jamais assur qu uncertain degr, un mouvement est dautant plus volontaire quil est plussoumis au pouvoir de lagent.

    Anscombe note que ce critre du contrle quexerce un agent sur sespropres mouvements est aussi celui quutilise un physiologiste lorsquildemande son sujet de faire un geste ( 7, p. 49). Il appartient unephilosophie de la volont de sinterroger sur lexplication physiologiquedes mouvements volontaires, de faon mieux comprendre ce que nousdevons entendre par la capacit contrler (jusqu un certain point)ses propres mouvements. Mais une philosophie de la volont ne sauraittenir lieu de philosophie de lintention, mme si elle en est voisine.

    On voit bien pourquoi le physiologiste sintresse aux activits spon-tanes dun tre vivant tant quelles sont dcrites comme des mouve-ments volontaires, mais il nest pas certain quil soit intress par lesactions intentionnelles prises prcisment sous le rapport o elles sontintentionnelles. On peut tre assur quil sintressera aux mouvementsrequis pour manier un instrument dcriture plutt quun sabre, maispeut-tre pas laction dcrire un roman plutt quun trait de morale.

    De faon gnrale, tant quon se borne dcrire dune seule faonlaction accomplie, et plus forte raison quand on sen tient des gestessimples ou des mouvements de nos membres, le concept dintentionest largement inutile. Ce concept trouve sappliquer partir dumoment o nous nous heurtons au problme dassigner, non pas uneaction son agent, mais la responsabilit causale du tout de la chosefaite intelligemment lagent. Se demander si une action est ou nonintentionnelle, cest se demander si une action qui est connue de sonagent sous une premire description X lest aussi sous une secondedescription Y (tant entendu que les deux descriptions sont correctes).Supposons quune action soit dcrite de faon correcte par les deuxdescriptions X et Y. Nous avons alors deux possibilits. Il se peutdabord que laction soit intentionnelle sous la description X, pas sousla description Y. Le concept dintention nous sert alors, non pas biensr dcharger lagent de sa responsabilit causale dans le fait quelaction Y a t faite, mais de le dcharger, si lon peut dire, davoirjamais eu lintention de faire Y. Mais il se peut aussi que laction ait tintentionnelle sous les deux descriptions X et Y. Et, dans ce cas, leproblme est de savoir si nous sommes devant une simple conjonction,ou bien sil ny a pas ncessairement un ordre qui se dclare entre lesdescriptions sous lesquelles laction se dcouvre avoir t intentionnelle.Comme on sait, le temps fort de lanalyse dAnscombe dans Lintentionest de montrer comment cet ordre tlologique dans la description

    18

    VINCENT DESCOMBES

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    de

    Bord

    eaux

    3 -

    - 1

    47.2

    10.1

    16.1

    77 -

    04/0

    9/20

    13 1

    8h15

    . E

    ditio

    ns d

    e M

    inui

    t D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 04/09/2013 18h15. Editions de M

    inuit

  • intentionnelle (ordre caractris par ce quon appellera par la suite leffet daccordon 7 ) est aussi lordre infrentiel du raisonnementpratique dun agent plac dans une situation o une de ses fins luiapparat porte de main.

    Comptence et connaissance

    Lagent dune action intentionnelle possde une autorit sur linten-tion quil excute en faisant ce quil fait. Nous disons quil sait ce quilfait. Mais quelle sorte dautorit lui reconnaissons-nous ? Anscombedistingue deux sens du verbe savoir : savoir dans le sens (non cogni-tif) de pouvoir dire et savoir dans le sens (cognitif) de possder uneinformation correcte et vrifiable (au moins en principe) sur quelquechose. Reprenant cette distinction, je dirai quun sujet possde unecomptence si cest lui quil revient de dterminer quelque chose, maisquil possde une connaissance seulement dans le cas o le fondementde sa comptence rside dans la possession dune information qui setrouve tre correcte.

    De faon gnrale, le savoir quimplique lemploi des verbes inten-tionnels relvent de lincorrigibilit par autrui plutt que de lautoritpistmique. Soit le cas de lattente : lorsque jattends, jattends quelquechose (quon appelle objet intentionnel de mon attente) et je sais ceque jattends. Mais que je le sache ne veut pas dire que je sois en relationcognitive avec quoi que ce soit, et assurment pas avec lobjet intention-nel de mon attente. Par dfinition, cela que jattends, si cest bien ceque jattends, nexiste pas encore et nexistera peut-tre jamais. Il estdonc exclu davoir une relation cognitive lvnement attendu.

    On notera que la distinction qui vient dtre propose ne permet pasdisoler une troisime sorte dautorit qui serait laccs priv des infor-mations. En effet, le Je sais correspondant une telle source exclu-sive dinformations se dcouvre incohrent : il devrait tre un Je sais incorrigible par autrui, puisque priv, et par consquent dpourvu detout statut cognitif (comme dans Je sais ce que jattends sur le quaide la gare ), mais il devrait consister dans la possession infailliblepuisque incorrigible dune authentique information, donc de ce quijustement doit pouvoir tre qualifi de correct ou dincorrect (commedans Je sais que le train sera en retard ).

    7. Davidson reprend ce terme de Jol Feinberg (cf. Actions et vnements, op. cit.,p. 81). Anscombe, elle, se bornait dire que la dernire description dun squenceordonne du type en faisant A, il faisait B et en faisant B, il faisait C, etc. avait lepouvoir d avaler toutes les prcdentes. A la diffrence de Davidson, Anscombe nerserve pas leffet daccordon laction proprement humaine (cf. 47, p. 148 : dsquun vnement est suivi deffets descriptibles, il peut avoir une description largie ).

    19

    COMMENT SAVOIR CE QUE JE FAIS ?

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    de

    Bord

    eaux

    3 -

    - 1

    47.2

    10.1

    16.1

    77 -

    04/0

    9/20

    13 1

    8h15

    . E

    ditio

    ns d

    e M

    inui

    t D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 04/09/2013 18h15. Editions de M

    inuit

  • Lnigme de la conscience de soi dun agent

    Tous les lments du problme de la conscience dagent sont main-tenant runis.

    Dune part, dun point de vue descriptif (ou phnomnologique),cette conscience se prsente comme une connaissance. Elle revendiqueune autorit de type cognitif. En effet, sen tenir ce que dit lagentquand on linterroge, il semble bien quil prtende proprement savoiret pas seulement pouvoir dire. Notre agent dit par exemple : Jouvrela fentre . Il ne dit pas quelque chose comme : Le sens de monaction (quelle que soit sa ralit de fait) est que jouvre la fentre .

    Dautre part, laction dont nous parlons a lieu dans le monde ext-rieur. Par exemple, la fentre est ouverte par moi. Mais on ne voit pascomment lagent peut avoir, sur le mode de la conscience de soi, connais-sance de ltat de la fentre. La fentre est-elle ouverte ? Voil le genrede choses quon ne peut pas dterminer sans une inspection de ce quilen est. Cest le cas o jamais de rappeler la remarque faite tout lheure :la condition pour que la conscience de soi soit cognitive est que lerreursoit concevable. L o il y a connaissance, on peut dire ce que ce seraitque faire une erreur. Anscombe donne plusieurs exemples derreurspratiques qui seront dtectes lors dune observation du rsultat de monaction.

    Je peins le mur en jaune. Mais est-il peint en jaune ( 28) ? Jai lintention dappuyer sur le bouton A. Mais quest-ce qui exclut

    que, tout en disant jappuie sur A , je sois en train dappuyer sur lebouton B ( 32) ?

    Jcris au tableau une phrase ( I am a fool ). Mais est-ce crit autableau ( 45) ?

    Je dirige la construction dune maison. Mais est-elle cons-truite ( 45) ?

    Tous ces exemples illustrent le concept de lerreur pratique. Il arriveque le nom crit ne soit pas bien orthographi ou que le mur ne soitpas peint correctement parce que lagent ne savait pas ce quil devaitfaire : dans ce cas, Anscombe parle dune erreur thorique , car ledfaut est dans le jugement ou la conception de ce qui est faire. Enrevanche, nous considrons dans ces exemples le cas dun agent qui saitce quil doit faire et qui croit justement le faire, mais qui, par maladresse,mauvaise coordination de ses gestes ou ngligence, se trompe danslexcution. En qualifiant lerreur de pratique, on veut dire que cest laperformance quil faut corriger pour laccorder lnonc de ce qui est faire, et non lnonc pour le mettre en conformit avec les chosestelles quelles sont ( 32).

    Do la question : comment prtendre que lagent exprimant saconscience dagent nonce une connaissance ? Comment appeler connaissance ce que dit lagent puisque cet agent va dire la mme

    20

    VINCENT DESCOMBES

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    de

    Bord

    eaux

    3 -

    - 1

    47.2

    10.1

    16.1

    77 -

    04/0

    9/20

    13 1

    8h15

    . E

    ditio

    ns d

    e M

    inui

    t D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 04/09/2013 18h15. Editions de M

    inuit

  • chose, quil y ait eu ou non erreur dexcution ? Ne faudrait-il pas direque sa conscience donne lagent la capacit faire savoir quelle estson intention, mais que tout ce quil peut dire de lvnement, cest quelil doit tre pour constituer lexcution de son intention ?

    La solution dualiste

    Comment viter de donner la conscience dagent un objet qui luiest, semble-t-il, foncirement inaccessible ? Anscombe voque brive-ment la rponse dualiste cette question ( 29). Il conviendrait, pro-pose-t-on, de distinguer deux faons pour moi didentifier mon action,car il y a :

    1o mon action en tant quelle est un vnement du monde, quelle estquelque chose qui se produit effectivement (what is actually takingplace) ;

    2o mon action entre guillemets ! en tant quelle est un objetde conscience, en tant que je peux dire ce quelle est sans avoir observer le monde (what I am doing, i.e. my intention).

    Toute solution qui comporte ce ddoublement de lobjet connatrepar lagent peut recevoir le qualificatif de dualiste, dans le sens habituelen philosophie o lon parle du dualisme cartsien . On se souvienten effet que la doctrine cartsienne nest pas dualiste en ce quelle poseen ltre humain une substance immatrielle (me) rellement distinctede la substance matrielle (corps), mais en ce quelle pose un agentmental (moi ou mon esprit) rellement distinct de lagent identifiableen troisime personne (mon corps). Que lagent mental soit spirituel oumatriel est ici secondaire 8.

    Lorsque Anscombe critiquait les solutions dualistes dans Lintention,elle avait en tte les ides de William James et du jeune Wittgenstein.On peut se demander si ce type de doctrine est toujours profess parminous. Il me semble que le signalement quelle donne le philosophecroit devoir ddoubler laction pour rendre compte des traits originauxde la conscience dagent sapplique trs bien la thorie de JohnSearle. Cette dernire thorie se retrouve, avec divers amendements etvariantes, dans nombre de thories dites cognitives de lintentionpratique qui ont t proposes plus rcemment. Il nest donc pas inutilede lexaminer de plus prs.

    Tout se passe comme si Searle stait propos de rendre compte de

    8. Comme lcrit Descartes : Derechef nos volonts sont de deux sortes ; car les unessont des actions de lme qui se terminent en lme mme, comme lorsque nous voulonsaimer Dieu ou gnralement appliquer notre pense quelque objet qui nest pointmatriel ; les autres sont des actions qui se terminent en notre corps, comme lorsque decela seul que nous avons la volont de nous promener, il suit que nos jambes remuent etque nous marchons. (Les Passions de lme, art. 18)

    21

    COMMENT SAVOIR CE QUE JE FAIS ?

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    de

    Bord

    eaux

    3 -

    - 1

    47.2

    10.1

    16.1

    77 -

    04/0

    9/20

    13 1

    8h15

    . E

    ditio

    ns d

    e M

    inui

    t D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 04/09/2013 18h15. Editions de M

    inuit

  • laction humaine par une relation entre lintention et laction qui soit la fois causale et intentionnelle 9. Searle commence par admettre que lathorie causaliste classique est dfectueuse. Il estime que les thoriescausales classiques se heurtent des difficults bien connues en philo-sophie de laction parce quelles simposent de concevoir une intentiondagir comme un tat de lagent donn antrieurement son action. Ilen est ainsi, en effet, dans les doctrines classiques de la volition, et cestnotamment sur ce point quont port les critiques dcisives de Witt-genstein et de Ryle. Searle croit pouvoir rsoudre ces difficults enidentifiant un maillon intermdiaire dans la chane causale qui doit aller,dans une thorie causaliste, de ltat mental dun agent dot duneintention des mouvements excutant cette intention. Ce maillon quiavait jusque l chapp la perspicacit des philosophes sappelle chezlui intention dans laction 10 . Il faudrait donc distinguer deux typesdintention pratique :

    1o Lintention pralable de faire une action plus tard, intention quisexprime au futur ( Demain, jirai au cinma ) ;

    2o Lintention dans laction que lagent est en train de faire, intentionqui sexprime au prsent ( Maintenant, je vais au cinma ).

    Sa notion dintention in action ne doit pas tre confondue avec ceque Anscombe appelle lintention in acting. vrai dire, autant il estfacile dexpliquer ce que recouvre lintention in acting dAnscombe,autant la notion que Searle introduit va se rvler difficile saisir.

    Dans le lexique dAnscombe, donner lintention qui est celle delagent dans son action, cest donner une description largie de ce quilfait. Anscombe appelle intention dans laction ce que lagent se proposede faire en faisant prcisment ce quil fait. Par exemple, il monte dansle train du quai no 2 de la gare de Lyon ( Paris) dans lintention daller Marseille. Mais quest-ce que cest, pour Searle, quune intention danslaction ? Searle, pour identifier cet tat mental, a recours au clbreproblme de Wittgenstein .

    Le problme de Wittgenstein

    Ce problme snonce ainsi : Que reste-t-il si je soustrais le fait quemon bras se lve du fait que je lve le bras 11 ?

    9. Intentionality, An Essay in the Philosophy of Mind, Cambridge University Press,1983. Je cite loriginal de ce livre dont il existe une traduction franaise (Lintentionalit,essai sur la philosophie des tats mentaux, Minuit, 1985).

    10. Searle introduit le concept en expliquant ainsi de quoi il sagit : lorsque jai faitquelque chose avec lintention de le faire, mais sans pour autant avoir pralablementplanifi cette action, on dira que lintention tait dans laction (the intention was in theaction), mais quil ny avait pas dintention pralable (op. cit., p. 84).

    11. Recherches philosophiques, 621.

    22

    VINCENT DESCOMBES

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    de

    Bord

    eaux

    3 -

    - 1

    47.2

    10.1

    16.1

    77 -

    04/0

    9/20

    13 1

    8h15

    . E

    ditio

    ns d

    e M

    inui

    t D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 04/09/2013 18h15. Editions de M

    inuit

  • On sait que Wittgenstein, par cette question dconcertante, vise desphilosophes qui, comme William James, jugent que la diffrence entrele mouvement involontaire ( Mon bras se lve ) et le mouvementvolontaire ( Je lve le bras ) tient la prsence simultane de sensa-tions ou dimpressions qui me donnent le sentiment dagir. Ce vcudagent ne peut-il pas se produire sans que le mouvement du bras aitlieu ? De fait, il semble quil le puisse. Et James citait alors le cas dupatient quon soumettait lexprimentation suivante : on plaait sonbras en tat danesthsie, on lui demandait de fermer les yeux, onimmobilisait son bras (sans donc quil puisse sen apercevoir) et enfinon lui demandait de lever le bras. Le patient disait alors Je lve lebras alors que son bras restait immobile 12.

    Searle 13 reprend la question de Wittgenstein pour en tirer lide quelaction humaine est une entit composite 14 . Il faut, pour quil y ait proprement parler laction, que deux composantes soient runies :celle qui correspond lintention de lever le bras ou limpression dtreen train de le faire, celle qui correspond au mouvement du bras. Lesdeux composantes sont rellement distinctes, car chacune peut se pro-duire sans lautre. Le patient de James illustre la soustraction dont parleWittgenstein. Par ailleurs, on trouve, daprs Searle, le rsultat duneopration de soustraction inverse dans les exprimentations menes parPenfield : le mouvement se produit (par activation de la zone corticalespcialise dans le contrle des mouvements du bras), mais lagent napas produit de lui-mme ce mouvement et, trs lgitimement, il refusede dire Jai lev le bras .

    Searle tire de l une solution gnrale au problme dinstaurer entrelintention et lexcution de cette intention un rapport qui soit la foiscausal et intentionnel.

    Lexpression caractristique dune intention pralable, crit-il,consiste dans lemploi dun verbe daction la premire personne delindicatif futur : Je me promnerai . Cette intention sera excutedemain si lagent pourra demain dire vrai en assertant Je me pro-mne . Mais, arriv ce point de son analyse, Searle demande : supposer que lagent fasse demain une promenade, est-ce bien son inten-tion de la veille quil excutera par cette action ? Pour un partisan delanalyse de laction en termes purement intentionnels, la connexionentre lintention et laction est suffisamment assure ds lors que lesraisons que lagent a de se promener quand il se promne sont justement

    12. Searle cite (op. cit., p. 89) ce passage de W. James (Principles of Psychology (1890),Harvard University Press, 1983, p. 1101-1102.). Wittgenstein y fait allusion au 624 desRecherches philosophiques. James renvoyait ici une observation du psychologue allemandStrmpell.

    13. Intentionality, op. cit., p. 16, p. 87.14. Une action est une entit composite, dont une des composantes est lintention

    dans laction (op. cit., p. 107).

    23

    COMMENT SAVOIR CE QUE JE FAIS ?

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    de

    Bord

    eaux

    3 -

    - 1

    47.2

    10.1

    16.1

    77 -

    04/0

    9/20

    13 1

    8h15

    . E

    ditio

    ns d

    e M

    inui

    t D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 04/09/2013 18h15. Editions de M

    inuit

  • celles quil avait la veille de former lintention de faire une promenadele lendemain. Mais, pour le causaliste, cela ne saurait suffire. Il faut quily ait entre les deux une chane causale continue, ce qui impose dinsrerce maillon de l intention dans laction . Lintention pralable doitproduire une intention dans laction , laquelle doit son tour pro-voquer le mouvement corporel.

    Quelle est maintenant lexpression caractristique de lintention danslaction ? Searle indique que cest Je me promne . Or lnonc Jeme promne est aussi la rponse que lagent devrait donner la ques-tion Que fais-tu maintenant ? . Comment cela se fait-il ? Commentexpliquer que nous obtenions la mme rponse nos deux questions,lune sur lintention prsente de lagent, lautre sur son action prsente ?

    Pour Searle, lintention dans laction ne constitue que la moiti dutout de laction. Pourtant, interrog sur cette moiti mentale de sonaction, lagent rpond en dcrivant le tout. Que devons-nous faire desa rponse ? Faut-il accepter que quelquun qui dit Je me promne ait exprim par l son intention dans laction, auquel cas il devra ajouterquelque chose sil veut dcrire le tout de son action ? (On pense Descartes : Je veux me promener et mes jambes se remuent .) Oubien devrons-nous juger quil sest exprim avec une confiance nave,auquel cas il devra retirer quelque chose sa rponse, puisquil auravoulu dire en ralit : Jai conscience de faire ce quil faut pour mepromener et je crois ce que cest effectivement ce qui est en traindarriver ?

    Mais que faut-il faire pour quun mouvement de mon bras se produisemaintenant ? Impossible de rpondre, comme nous le ferions navementsi cela ne nous tait pas interdit par les distinctions de Searle : il fautque je fasse ce mouvement ! Car Je dois faire le mouvement demand correspond lintention pralable, pas lintention dans laction. Il restedonc rpondre : ce que je dois faire est davoir lintention que monbras se lve sous leffet de ladite intention dans laction. Or cest juste-ment ce rsultat qui apparat incomprhensible. Que veut dire la dcla-ration Jai lintention quun mouvement ait lieu maintenant ? Siquelquun disait cela sans avoir soutenir une thse philosophique, onsupposerait sans doute quil na pas compltement appris notre langueet quil confond avoir lintention et souhaiter fortement. Il devient deplus en plus clair que les intentions dans laction de Searle ne sontrien dautre que des volitions, car cest justement cette confusion quefaisaient les thories volitionistes des mouvements volontaires. Commelcrit Anscombe :

    Certains disent que, par un acte de volont, on peut obtenir le mouvementde son bras, mais pas celui dune bote dallumettes ; mais sils entendentpar l Veuillez simplement que la bote bouge, et elle ne bougera pas ,alors je leur rpondrai Si je veux de la mme manire que mon bras

    24

    VINCENT DESCOMBES

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    de

    Bord

    eaux

    3 -

    - 1

    47.2

    10.1

    16.1

    77 -

    04/0

    9/20

    13 1

    8h15

    . E

    ditio

    ns d

    e M

    inui

    t D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 04/09/2013 18h15. Editions de M

    inuit

  • bouge, il ne le fera pas . Et sils veulent dire quils peuvent remuer lebras, mais pas la bote, je rponds que je peux bouger la bote. Rien deplus facile. ( 29, p. 101)

    Que reste-t-il de mon action si je ne la fais pas ?

    Il est curieux que Searle ait prsent sa thorie comme une solutiondu clbre problme de Wittgenstein . En effet, tout indique que ce problme est en ralit chez son inventeur comme un Cheval deTroie destin introduire un peu de conscience logique dans le campdes volitionistes.

    Par sa devinette, Wittgenstein nous invitait distinguer ce que noussommes tents de confondre.

    1o Que reste-t-il du fait nonc par Je lve le bras si lon soustraitle fait que le bras se lve ? La rponse est quil ne reste rien, car il estncessaire que mon bras ait chang de position pour quil soit vrai quejaie t lagent dun changement de sa position. Faute de quoi je medclare lagent dun changement dont je reconnais quil na pas eu lieu,ce qui veut dire que je me rfute moi-mme. Sans doute, il ne suffit pasquun changement ait lieu dans la position de mon bras pour que jensois lauteur. Mais cest une condition de laction transitive quil y aitun changement dans les choses. Comparer : Que reste-t-il de Jairepeint le mur si je soustrais Le mur a t repeint ? Il ne reste riende laction annonce.

    Dira-t-on quil reste dans ce cas une autre action, savoir celle parlaquelle jai essay de faire et nai pas russi faire laction en question ?Oui, mais parler dune autre action, cest admettre quil sest passceci : jai fait autre chose (A) et jai cru tort que ctait lactiondemande (B). Mais si cest en faisant A que jai essay de faire B,nous pitinons sur place dans notre explication, car il faut maintenantdire ce qui reste de laction A si le mouvement en quoi elle consistene sest pas produit.

    2o Essayons une autre lecture de la devinette la faveur dune objec-tion tire dune phnomnologie de la conscience fausse. La psycholo-gie, dira-t-on, connat des cas de patients qui, dans certaines conditionsspciales (anesthsie, etc.), illustrent prcisment une telle opration desoustraction. Ils disent Jai lev le bras , mais nous disons Le brasne sest pas lev . Que reste-t-il de la conscience du patient cit parWilliam James qui a dit Je lve le bras et qui dcouvre que son brasna pas boug ? Il reste tout, car ici la soustraction demande a dj tfaite dans la faon mme de poser le problme. Nous avons dj rem-plac le fait que je lve le bras par la dclaration du sujet Je lve lebras : et notre sujet croyait en effet pouvoir dire Je lve le bras .Do sa surprise. Le fait quil nait pas, en fin de compte, lev le bras

    25

    COMMENT SAVOIR CE QUE JE FAIS ?

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    de

    Bord

    eaux

    3 -

    - 1

    47.2

    10.1

    16.1

    77 -

    04/0

    9/20

    13 1

    8h15

    . E

    ditio

    ns d

    e M

    inui

    t D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 04/09/2013 18h15. Editions de M

    inuit

  • nempche nullement quau moment o il fallait lever le bras, il a cruquil le levait. Le problme pos nest plus celui de tout lheure. Lasoustraction oprer porte maintenant sur la conscience exprientielledagir. Que reste-t-il si je soustrais Mon bras se lve de Jai limpres-sion de lever le bras ? Par dfinition, il reste tout, car nous avonsdfini la conscience ou lexprience dagir de faon autoriser lapossibilit que cette conscience soit hallucinatoire 15.

    Mais il est une rponse qui se rvle absurde, car elle dit : il reste lamoiti du tout de laction, savoir ma volont ou mon intention de lafaire. Il ne peut pas rester la moiti de laction puisque nous avons oprla soustraction de laction elle-mme (dcrite dans son rsultat).

    Il nest donc pas vrai que la soustraction de Wittgenstein puisse treopre de faon nous livrer une entit interne lagent qui serait lintention dans laction . En fait, cette notion reste incomprhen-sible.

    La conscience dagent est une connaissance pratique

    La conscience de soi dun agent nest pas une connaissance drivede la chose connatre. En effet, la chose connatre est ici une actionintentionnelle, dont le mode dexistence est celui dun changement pro-duit par lagent dans le monde en vue dobtenir un rsultat. Or cechangement a lieu dans lobjet de laction (la fentre souvre, le motscrit, le mur change de couleur, la maison se construit). La seuledrivation concevable serait donc par le moyen dune observation dece rsultat, et ce nest pas ainsi que lagent est conscient de soi en tantquagent.

    Mais alors, comment lagent peut-il bien savoir ce quil fait ? Renoncer donner un statut cognitif cette conscience dagent, ce serait renoncer lexistence des actions intentionnelles elles-mmes. Nous avons eneffet reconnu quune action ne peut tre qualifie dintentionnelle queparce quil y a une description, connue de lagent, qui sapplique cetteaction et sous laquelle lagent veut justement faire ce quil fait. Laconnaissance qua lagent de lvnement par lequel il excute son inten-tion, telle est la condition du caractre intentionnel de ce quil fait.

    Comme toujours, la solution de lnigme est chercher dans lnoncnigmatique lui-mme. Tout le monde Searle comme Anscombe admet ceci : la conscience dagent sexprime par une description delaction effectue et non par une description de son propre tat. Lagent,interrog sur ce quil fait, dclare : Jouvre la fentre , Jcris au

    15. Cf. par exemple Nicolas Georgieff, La reprsentation de laction dans la schizo-phrnie , dans : Raisons pratiques, no 7, La folie dans la place, ditions de lEHESS, 1996,p. 145.

    26

    VINCENT DESCOMBES

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    de

    Bord

    eaux

    3 -

    - 1

    47.2

    10.1

    16.1

    77 -

    04/0

    9/20

    13 1

    8h15

    . E

    ditio

    ns d

    e M

    inui

    t D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 04/09/2013 18h15. Editions de M

    inuit

  • tableau , etc. Lagent ne parle pas dun acte interne consistant, si lonpeut dire, intentionner que des mouvements se produisent dansses membres.

    On a vu que la thorie dualiste de laction se heurtait une difficult :lagent donne la mme rponse deux questions, lune portant sur letout de lentit composite quest son action, lautre sur une des deuxcomposantes de cette action. Mais si nous suivons Anscombe, il ny al aucun mystre. Il suffit de remarquer que les deux questions, enralit, portent sur la mme chose. On se souvient que l intention danslaction est le nom technique donn par le philosophe la consciencedagir de lagent. Pour exprimer sa conscience dagir, lagent na riendautre faire qu dire ce quil fait pour autant quil sait tre en trainde le faire et quil le sait parce quil le fait intentionnellement, pas parcequil sobserve le faisant !

    Si la rponse est la mme, cest tout simplement parce que laconscience de lintention en train dtre excute nest pas autre choseque la connaissance de lvnement en tant quexcution de cette inten-tion.

    Demandons quelquun que nous voyons assis en train dcrire :(a) Quelle est laction que tu fais maintenant ? (b) Quelle est ton intention quant ce que tu es en train de

    faire maintenant ? Si lagent rpond la question (a) portant sur son action prsente :

    Elle est dcrire une lettre maintenant , il rpondra forcment lamme chose la question (b). En effet, la question (b) porte, toutautant que la question (a), sur son action. Elle porte sur laction elle-mme, pas sur une condition antrieure ou simultane de cette action(par exemple, un tat interne de lagent). Si lagent est en train dcrire Cher Jean , il sait ce qui est crit sur la feuille de papier sans avoir y jeter les yeux. Comment le sait-il ? Nous avons affaire dans notreexemple un agent qui sait crire, qui possde donc une capacit ouaptitude pratique, dont lexercice, pourrait-on dire, a un caractrerationnel. Je ne veux pas dire par l que ce que les gens crivent soitforcment rationnel, ni que la profession de scribe ait une dignitrationnelle particulire, mais, plus simplement, que chaque lettre ins-crite sur le papier peut tre justifie par lintention de lauteur.Quelquun qui crit Jean peut dire pourquoi il a crit Jean etnon pas Paul , pourquoi il a trac dabord un J plutt quuneautre lettre, etc. Il sait dun seul et mme savoir ce quil fait et pourquoiil le fait ainsi. Savoir crire est une capacit dont lexercice est lafois pratique et rationnel. Il est pratique puisquil sagit de tracer deslettres. Il est rationnel, car il faut tracer chaque fois la bonne lettrede la bonne faon. Ce caractre rationnel de lactivit rend compte dustatut cognitif de la conscience dagent. Il suffit lagent de savoir cequil doit crire maintenant, conformment son intention, pour avoir

    27

    COMMENT SAVOIR CE QUE JE FAIS ?

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    de

    Bord

    eaux

    3 -

    - 1

    47.2

    10.1

    16.1

    77 -

    04/0

    9/20

    13 1

    8h15

    . E

    ditio

    ns d

    e M

    inui

    t D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 04/09/2013 18h15. Editions de M

    inuit

  • connaissance de ce qui scrit sous sa plume, et cela en dehors de touteobservation 16.

    Tout ceci, dira-t-on, prouve sans doute que la conscience dagent estpratique. Mais a-t-on montr que ctait une connaissance ? Deux objec-tions se prsentent, lune tire du fait de lerreur, lautre tire du faitque la conscience dune intention pour le futur nest pas encore laconscience dune action excutant cette intention.

    Objection tire du fait de lerreur

    La premire objection est quen vertu mme de son caractre prati-que, sa conscience dagent ne dit pas au sujet ce quil y a, mais seulementce quil doit y avoir. Or il arrive que les deux divergent. Impossibledattribuer une connaissance de son action lagent qui nous dit Jailev le bras alors que son bras ne sest pas lev, ou Jai peint le muren jaune alors que le mur nest pas peint en jaune.

    Il est en effet impossible de dire que lagent connat son action aumoment o il se trompe. Mais que peut-on conclure de l ? Que lerreursoit possible, nous avons vu que cela fait partie du statut cognitif duneassertion. Pourtant, il reste apprcier la porte de cette possibilit. Ceserait une erreur de raisonner comme suit : le fait quun agent puissese tromper sur ce quil a fait prouve que lobjet rel de sa consciencenest pas laction elle-mme, mais autre chose ( savoir une donnementale intermdiaire entre lagent et le monde extrieur). Erreur ana-logue celle dune thorie reprsentative de la perception qui soutien-drait ceci : le fait quun observateur puisse se tromper sur ce quil asous les yeux prouve que lobjet rel de son observation nest pas lachose observe, mais autre chose ( savoir des donnes sensibles intermdiaires entre le sujet et la chose).

    En fait, il importe de conjoindre ici deux affirmations : dune part,lerreur est concevable (et cest ce qui permet de qualifier la consciencepratique de connaissance, pas seulement de comptence), dautre part,lerreur est ncessairement lexception. Pourquoi ncessairement ? Onappliquera ici la remarque de Wittgenstein 17 :

    Ce qui arrive quelquefois pourrait arriver toutes les fois. quel genrede proposition aurait-on l ? Une proposition analogue celle-ci : si F(a) a un sens, alors (x)F(x) a un sens.

    Bien des raisonnements philosophiques supposent que la transitionest valide. On reconnat en particulier le schma quutilise le clbre

    16. Jai construit sur savoir crire un exemple parallle celui quAnscombe tire desavoir lalphabet par cur ( 48, p. 150-151).

    17. Recherches philosophiques, 345.

    28

    VINCENT DESCOMBES

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    de

    Bord

    eaux

    3 -

    - 1

    47.2

    10.1

    16.1

    77 -

    04/0

    9/20

    13 1

    8h15

    . E

    ditio

    ns d

    e M

    inui

    t D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 04/09/2013 18h15. Editions de M

    inuit

  • argument sceptique . Il nous arrive de faire une erreur de calcul,donc tous nos calculs pourraient tre faux. Cest comme si on disait :il y a un sens dire que ce billet de banque est un faux billet autrementdit, il est possible de concevoir que ce billet soit faux , donc il y a unsens dire que tous les billets en circulation sont faux. En ralit, sitous les billets taient faux (ou pouvaient tous ltre), linstitution de lamonnaie serait dtruite. Et, de mme, si tous les calculs taient faux, leconcept de calcul serait dtruit par la ruine de ce qui est prsuppospar son application : quen gnral, les calculs produits par des calcu-lateurs comptents sont justes. Il suffit dappliquer cette remarque notre cas.

    Il arrive quun agent commette une erreur pratique et nait donc pasfait cela quil croyait tre en train de faire. Quand cela arrive, lagent sefigurera tort quun rsultat a t produit (tel mot a t crit, tel mura t peint de telle couleur) alors quil nen est rien. Pourtant, il nestpas possible que lagent fasse chaque fois ce genre derreur. Si ctaitle cas, le concept daction intentionnelle serait ruin.

    La prdiction par lagent de son action future

    Il reste une dernire objection. Elle est tire du fait que le sujetcapable dagir dans un but vis comme tel est galement souvent capabledannoncer lavance ce quil fera plus tard. Dans ce cas, semble-t-il,la solution dAnscombe ne sapplique pas. Anscombe aurait pouss troploin lhostilit au mentalisme et aux tats privs. Quand lagent dclaremaintenant son intention de faire quelque chose plus tard, on ne peutpas chercher lintention de lagent dans son action, puisque laction reste faire et que son existence venir relve des futurs contingents.

    Plusieurs lecteurs du livre dAnscombe ont t frapps par la faondont elle subordonnait lanalyse de lintention pour le futur celle duneintention en train de sexcuter. Ainsi, Paul Ricur a soulign combiencette approche sopposait au traitement classique du phnomnologue.Pour lui, le cas paradigmatique de lintention est justement celui dunevise du futur, cest--dire, commente-t-il, dune tension du sujet verslavenir 18. Ricur juge donc quAnscombe na pas rendu compte dupremier des emplois quelle avait nots, celui dans lequel un agent aune intention (et se lattribue) alors quil na encore rien fait pourlexcuter. Ds quon rtablit le primat de cette intention rellement

    18. Lintention nest-elle pas, phnomnologiquement parlant, la vise duneconscience en direction de quelque chose faire par moi ? Curieusement, lanalyse concep-tuelle [dE. Anscombe] tourne dlibrment le dos la phnomnologie : lintention,pour elle, nest pas lintentionalit au sens de Husserl. Elle ne tmoigne pas de la trans-cendance soi-mme dune conscience. (Paul Ricur, Soi-mme comme un autre, Paris,Seuil, 1990, p. 86.)

    29

    COMMENT SAVOIR CE QUE JE FAIS ?

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    de

    Bord

    eaux

    3 -

    - 1

    47.2

    10.1

    16.1

    77 -

    04/0

    9/20

    13 1

    8h15

    . E

    ditio

    ns d

    e M

    inui

    t D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 04/09/2013 18h15. Editions de M

    inuit

  • distincte de laction, dit-il, on retrouve lide dun lan spcifique versfutur o la chose faire est faire par moi 19 .

    En fait, Anscombe diffre jusquau terme de son livre lanalyse delintention pour le futur parce quelle veut carter dabord la conceptioncommune de lintention comme tat mental perceptible de lintrieur.Une fois ce mentalisme renvers, elle lanalyse exactement comme ellea analys lintention pour le prsent.

    Lanalyse de laction intentionnelle en train de se faire donnait lersultat suivant : dclarer quelle est son intention excuter maintenant,cest dire ce quon est en train de faire maintenant. Il suffit de transposerau cas du futur. Dclarer son intention pour demain, cest dire ce quonfera demain. Autrement dit, lexpression la plus simple dune intentionconcernant une promenade faire demain consiste dire Je ferai unepromenade demain . Du point de vue linguistique, cette expression delintention future se prsente comme une prdiction. Anscombe soutientici la thse philosophique que lnonc de lintention future ne se pr-sente pas seulement sous lapparence dune prdiction, mais que cetnonc est une prdiction. Je parle dlibrment dune thse, car il sagitici bel et bien dcarter une autre thse qui dirait : mon intention relative ce que je ferai demain est lexpression dune intention que je possdemaintenant, elle est donc lexpression de mon tat mental prsent, et,par consquent, lnonc nest pas vraiment une prdiction, cest enralit une description de quelque chose qui existe maintenant (montat mental).

    Pourquoi un philosophe en viendra-t-il soutenir que lnonc duneintention pour le futur nest pas et ne peut pas tre une prdiction ?On peut imaginer de sa part le raisonnement suivant. Comparons deuxdclarations dune personne qui, par hypothse, sexprime sincrementdans les deux cas :

    (a) Demain, je serai candidat. (b) Demain, je serai lu. Lnonc (b) est lexemple mme dune prdiction. En effet, cette

    dclaration est fausse dans le seul cas o le locuteur manque tre ludemain. Sans doute, celui qui fait ce pronostic a des raisons de croireque son lection est dj certaine, raisons qui tiennent diverses obser-vations quil a pu faire. Cest donc bien maintenant que le locuteur croitquil sera lu demain. Il nen reste pas moins quil ne nous parle pas dece prsent, mais du futur.

    Or la mme analyse, applique lnonc dintention (a), rvle unediffrence. Il saute aux yeux que (b) est forcment un pronostic, unehypothse sur ce qui produira demain. Je peux dsirer tre lu, maisnon avoir lintention dtre lu, si du moins llection se fait dans desconditions rgulires. En revanche, lnonc (a), puisquil est la pre-

    19. Ricur, ibid., p. 92.

    30

    VINCENT DESCOMBES

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    de

    Bord

    eaux

    3 -

    - 1

    47.2

    10.1

    16.1

    77 -

    04/0

    9/20

    13 1

    8h15

    . E

    ditio

    ns d

    e M

    inui

    t D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 04/09/2013 18h15. Editions de M

    inuit

  • mire personne, na pas normalement le caractre dune conjecture, justifier par des raisons de croire que cest ce qui arrivera. Cest lexem-ple mme dune dclaration dintention.

    Supposons maintenant que, contrairement sa dclaration, le locu-teur ne prsente pas demain sa candidature. Ce fait (encore venir)suffirait-il rfuter ce quil a dit ? Faudrait-il dire que le sujet navaitpas rellement lintention dtre candidat puisquil ne la pas t ? Cer-tainement pas. Nous dirions simplement quil avait cette intention, maisque, pour une raison ou pour une autre, il ne la pas excute. Il semblealors que, dans lnonc (a), la valeur du futur ne soit pas de dterminerce que sera le futur, mais de dterminer en ralit ce quil en est main-tenant du sujet, de ses dispositions et attitudes lgard du futur. Cestmaintenant, dira-t-on, que le sujet a cette intention. Il est donc ncessairede distinguer deux futurs :

    1o le futur dintention, qui me permet dexprimer mon tat linstantprsent, pas de me prononcer sur ce qui arrivera ;

    2o le futur de pronostication, ou encore de conjecture, qui porte surlvnement venir.

    Que penser de ce raisonnement ? En effet, la valeur du futur nestpas la mme, tant du point de vue cognitif que du point de vue causal.Mais que conclure de l ? Faut-il juger que seul le futur conjectural est proprement parler un futur, tandis que le futur intentionnel serait enralit un prsent ? Ou bien ny a-t-il pas l deux formes du futur,cest--dire deux formes de prdiction ?

    Wittgenstein, lui, ne doute pas que lexpression dune intention pourle futur contienne une prdiction.

    Dire Lui seul peut savoir ce quil a lintention de faire est un non-sens ;mais dire Lui seul peut savoir ce quil fera est faux. En effet, laprdiction qui est contenue dans lexpression de mon intention (parexemple, quand la pendule sonnera 5 heures, je rentrerai la maison )peut ne pas tre juste, et quelquun dautre peut savoir ce qui arriverarellement 20.

    Parler dune connaissance prive de ma propre intention est un non-sens. En disant quelle mon intention, je nexprime pas un savoir concer-nant mon tat, je ne porte pas un jugement sur mon tat, car les raisonsque je donne pour expliquer pourquoi je rentrerai cinq heures ne sontpas des raisons de croire que jai lintention de rentrer la maison, cesont des raisons dagir. Ou, si lon prfre, les raisons que je donne demon intention sont des raisons davoir lintention de rentrer, des raisonsdtre dtermin rentrer chez moi plutt qu rester parmi vous. Cene sont pas des raisons de croire que je suis dans un tat plutt quedans un autre. Parmi mes raisons dagir ainsi, il peut y avoir des croyan-

    20. Recherches philosophiques, II, XI (Oxford, Blackwell, 1953, p. 223).

    31

    COMMENT SAVOIR CE QUE JE FAIS ?

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    de

    Bord

    eaux

    3 -

    - 1

    47.2

    10.1

    16.1

    77 -

    04/0

    9/20

    13 1

    8h15

    . E

    ditio

    ns d

    e M

    inui

    t D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 04/09/2013 18h15. Editions de M

    inuit

  • ces, mais ces croyances figurent dans ma conscience comme des raisonsdagir.

    Maintenant, pourquoi est-ce une erreur que de soutenir la thse duneconnaissance prive des actions intentionnelles, en disant : seul lagentpeut savoir ce quil fera ? Pour faire apparatre lerreur, Wittgensteinattire notre attention sur un fait banal. Imaginons la situation suivante :jannonce que je rentrerai chez moi cinq heures, mais il se trouve quevous savez que je ne le ferai pas (car vous savez sur mon futur quelquechose que je ne sais pas, par exemple que je serai retenu ici par quelquecirconstance). Vous savez donc que je ne ferai pas ce que jai dit que jeferai. Entre nos dclarations, il y a manifestement un conflit de contra-diction. Or votre dclaration est une prdiction qui exprime votrecroyance relativement ce que je ferai. Par consquent, il faut bien quema dclaration soit une prdiction, mme si cette prdiction nexprimepas ma croyance relativement ce que je ferai, mais plutt mon intentionde faire ce que jannonce.

    Ce point de logique nous apprend quil ny a pas lieu de choisir entredeux philosophies de lintention qui sopposeront ainsi :

    1o Lexpression dune intention pour le futur est une prdiction, doncses conditions de vrit sont chercher dans ce qui est prdit pour lefutur ;

    2o Lexpression dune intention pour le futur nest pas une hypothsesur ce qui arrivera, cest--dire une prdiction conjecturale, qui seraitfonde sur divers indices.

    En effet, il y a une troisime possibilit :3o lexpression dune intention pour le futur est une prdiction inten-

    tionnelle, cest donc une prdiction sans tre une conjecture, cest--direque cest un jugement sur ce qui arrivera, mais non un jugement tho-rique fond sur diverses preuves et donnes prsentes qui permet-traient lagent de prvoir ce que seront ses mouvements futurs. Cestun jugement pratique sur ce qui arrivera parce que cela doit se produire,par linitiative de lagent, pour que ce dernier puisse croit-il parvenir lune des fins quil dsire atteindre.

    32

    VINCENT DESCOMBES

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    Unive

    rsit

    de

    Bord

    eaux

    3 -

    - 1

    47.2

    10.1

    16.1

    77 -

    04/0

    9/20

    13 1

    8h15

    . E

    ditio

    ns d

    e M

    inui

    t D

    ocument tlcharg depuis www.cairn.info - Universit de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 04/09/2013 18h15. Editions de M

    inuit