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Université Rennes 2 Haute Bretagne UFR Arts, Lettres, Communication 2009-2010 DES TRAVAUX D’ARTISTES AU SEIN DE PUBLICATIONS PERIODIQUES DANS LES ANNEES 1980 : DE L’INSERT A LA COLLABORATION EDITORIALE. Mémoire de Master 2 Recherche Histoire et Critique des arts par Sou-Maëlla BOLMEY Directeur de recherche : Pr. Jean-Marc Poinsot.

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Université Rennes 2 Haute Bretagne

UFR Arts, Lettres, Communication

2009-2010

DES TRAVAUX D’ARTISTES AU SEIN DE PUBLICATIONS PERIODIQUES DANS

LES ANNEES 1980 : DE L’INSERT A LA COLLABORATION EDITORIALE.

Mémoire de Master 2 Recherche Histoire et Critique des arts

par

Sou-Maëlla BOLMEY

Directeur de recherche : Pr. Jean-Marc Poinsot.

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Je tiens à adresser mes sincères remerciements à Jean-Marc Poinsot,

à l’équipe des Archives de la critique d’art, Vicenç Altaió i Morral, Marie Boivent,

Leszek Brogowski, Agnès Leroux de Bretagne, Clive Phillpot, au Comité de rédaction

de la revue Trou, ainsi qu’à Camille, Marie-Anne et Madeleine.

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SOMMAIRE

Introduction p.4.

Chapitre 1 : Le périodique comme un médium artistique p. 12.

• Ártics, trimestral multilingüe de les arts i de les ics : une anthologie

poétique de la création artistique de la seconde moitié des années 1980 p. 13.

• Ártics, lieu de rencontre d’expressions artistiques multiples p. 18.

• Une esthétique cosmopolite et chaotique p. 21.

• La revue comme mise en forme d’une conception globalisante

de la création p. 25.

• Une nouvelle réception de l’œuvre d’art p. 34.

Chapitre 2 : Le périodique comme outil médiatique :

espace de diffusion et de critique p. 38.

• Fred Forest, Ernest T : l’insertion critique et « sauvage » de l’espace publicitaire p. 40.

• Libération au début des années 1980, espace de diffusion et de promotion de

pratiques artistiques p. 51.

• La série des « Art Magazine Ads » de Jeff Koons : l’insertion publicitaire et

documentaire en marge d’un événement p. 59.

Chapitre 3 : Un nouveau format d’exposition :

le musée au cœur du périodique p. 66.

• Trou : un projet éditorial et curatorial p. 66.

• Museum in progress : l’espace médiatique transformé en musée et la définition

du commissariat d’exposition comme catalyseur d’énergies p. 72.

• La formulation en creux d’une critique de l’institution muséale p. 74.

• La définition de l’exposition comme dispositif médiatique p. 82.

Conclusion p. 87.

Corpus, sources et bibliographies p. 93.

Annexes p.103.

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INTRODUCTION

Depuis ses débuts, la presse est un lieu de diffusion et d’expression privilégié

pour les artistes. Aujourd’hui encore, les magazines et les revues restent les médias

principaux de la visibilité de l’art, de la diffusion de débats théoriques et critiques

ou d’informations sur les artistes et leur travail - les autres médias, exception faite

d’Internet, ne s’étant que trop peu emparés des questions artistiques. Yves

Chevrefils-Desbiolles, historien d’art et Directeur des collections de l’Institut

Mémoires de l’Edition Contemporaine, a clairement démontré l’importance des liens

et les multiples va-et-vient entre la presse et l’art, au fil de ses écrits, notamment

sur les revues d’art en Europe. De nombreux périodiques furent le lieu de publication

de textes artistiques fondateurs comme le journal Le Figaro qui a publié en 1909 le

manifeste Futuriste de Marinetti. Plus encore, en choisissant de travailler

étroitement avec les artistes, certains ont pu directement stimuler la production

artistique: La Revue Blanche (Paris, 1889-1903) commandait des gravures pour les

intégrer à ses pages ou bien pour les offrir sous forme de dossiers à ses abonnés.

Minotaure (Paris, 1933-1939) invita de nombreux artistes tels que Man Ray, Dali,

Magritte, de Chirico, Picasso et bien d’autres à créer des œuvres originales pour la

revue. Les exemples foisonnent et il existe d’ailleurs de nombreuses études

monographiques sur des revues dont l’influence sur la création artistique, en tant

que lieu de diffusion de connaissances, est désormais reconnue. Parmi tous les

auteurs s’étant intéressés à la presse artistique, nous pouvons encore citer

l’Américain Clive Phillpot qui a notamment publié avec Trevor Fawcett le catalogue

The Art press en 1976 ou encore « Art Magazine and Magazine Art » dans Artforum en

1980.

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Dans ce dernier article, Clive Phillpot remarque une franche évolution dans

l’utilisation de la presse par les artistes à la fin des années 1960 et dans les années

1970, et il aborde le sujet qui va justement nous intéresser dans cette étude: la

création d’œuvres d’art directement dans les pages des revues, magazines et autres

périodiques. Après avoir utilisé le journal comme un matériau (depuis le début du

XXe siècle, notamment avec les collages de Picasso, jusqu’à aujourd’hui encore avec

la revue de l’artiste Maurizio Cattelan Permanent Food [Italie, 1995]), après avoir

réalisé des tirés à part luxueux pour des revues d’art, les artistes commencent à

insérer leur travail dans le corps même de revues ou de journaux, en travaillant sur

la page de ces publications et en respectant les moyens de production habituels de

celles-ci. Pour qualifier ces créations, Clive Phillpot parle dans son article d’un « art

de magazine » (« art magazine »).

Cette pratique est à mettre en relation avec l’éclosion, au même moment, d’une

autre production artistique liée à l’imprimé, les livres d’artistes et les revues

d’artistes. Ils partagent en effet de nombreuses caractéristiques avec la pratique qui

nous intéresse. Une large bibliographie existe sur les livres et les revues d’artistes.

Ulises Carrión, Guy Schraenen, Maurizio Nannuci, Leszek Brogowski, parmi de

nombreux autres, ont publié plusieurs ouvrages sur ce sujet. En France, c’est Anne

Mœglin-Delcroix qui a fixé les caractéristiques de cette pratique artistique, dans sa

thèse de 1997 Esthétique du livre d’artiste (1960-1980), ouvrage de synthèse qui fait

aujourd’hui autorité. Elle y présente le livre d’artiste comme une oeuvre

entièrement réalisée sous la responsabilité de l’artiste, de la conception jusqu’à la

production voire la diffusion. L’artiste utilise le livre comme médium pour créer une

œuvre d’art à part entière, le « contenu » ne fait alors sens que dans la forme qu’il

prend, celle du livre. Le livre d’artiste n’est pas un livre illustré. Il n’est pas non plus

un livre-objet ou de « bibliophilie ». Au contraire, ne cherchant pas à créer un objet

rare et luxueux, l’artiste abandonne les techniques artisanales d’impression pour

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avoir recours aux techniques habituelles de production éditoriale qui lui permettent

de créer un objet potentiellement reproductible à l’infini. Plus récemment, la jeune

chercheur Marie Boivent s’est centrée plus précisément sur l’étude des revues

d’artistes qui se différencient des livres d’artistes principalement par leur

périodicité. Elle publie en 2008 Revues d’artistes, une sélection, ouvrage dont le

corpus et les problématiques abordées se rapprochent encore un peu plus de notre

sujet. Si nous nous attardons ainsi sur les livres et les revues d’artistes, c’est qu’il

est intéressant de s’appuyer sur les différentes études réalisées sur ces sujet car

elles contiennent plusieurs clefs utiles à notre compréhension des travaux d’artistes

dans la presse.

En effet, ces derniers comme les livres d’artistes, mais aussi un large panel de

production d’art imprimé (tracts, cartons d’invitation, et autres ephemeras1) se

développent dès les années 1960-1970, aux Etats-Unis et en Europe, en lien avec les

mouvements artistiques de l’époque (Art conceptuel, Pop art, Fluxus, Poésie

concrète, Poésie visuelle…). À ce sujet, le très complet catalogue Extra art, a survey

of artist's ephemeras, publié en 2001 sous la direction de Steven Leiber, est riche

d’informations, tout comme plusieurs articles de Clive Phillpot et d'Anne Moeglin-

Delcroix, de nouveau.

La multiplication de ces productions témoignent de la prise de conscience que

l’objet imprimé sous toutes ses formes, désormais aisément produit grâce aux

nouvelles technologies, peut être utilisé comme un médium artistique à part entière.

En ce qui concerne notre objet plus précisément, le tirage de tête n’est plus une

condition de la contribution d’artiste à la publication, même s’il subsiste encore

aujourd’hui. Cette période de remise en cause et de bouleversements dans le champ

de l’art, étroitement liés aux conditions socio-politiques du moment, voit l’érosion

1 Le terme « ephemera » est utilisé pour désigner des productions d’artistes au caractère transitoire, passager, ou bien précaire. On regroupe généralement sous ce terme les posters, flyers, stickers, cassettes, dépliants, cartes postales, fanzines ou même des revues, réalisés par des artistes.

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progressive du dogme moderniste comme voix unique. On s’éloigne de l’idée de l’art

pour l’art, détaché de tout phénomène social et des réalités socio-économiques et

politiques. C’est dans ce contexte général fait de revendications multiples et

d’utopies qu’il faut comprendre le livre d’artiste ainsi que les travaux d’artistes dans

la presse. C’est la même dynamique, le même esprit, qui donnent naissance aux

publications d’artistes, aujourd’hui acceptées par tous en leur qualité d’œuvre d’art,

et qui fait évoluer les contributions d’artistes à la presse vers la production d’œuvres

pensées spécifiquement et exclusivement pour la publication. Nous verrons que ces

derniers travaux élargissent encore un peu plus la définition de l’œuvre d’art,

redéfinissent le rôle de l’artiste dans la société, et proposent un nouveau rapport à

l’art.

Tous ces changements vont préparer le terrain pour l’art des années 1980,

décennie sur laquelle nous allons plus particulièrement nous pencher, sans pour

autant exclure les apports des travaux de la précédente « génération », ni les

productions plus récentes. En effet, c’est à partir de ce moment que le phénomène

des travaux d’artistes dans les périodiques s’amplifie, se généralise, au risque de se

voir banaliser. Après l’époque pionnière des années 1960-1970, ce ne sont plus

seulement les artistes qui vont prendre l’initiative de travailler directement dans la

presse. La tendance s’inverse et de plus en plus de périodiques – de la revue d’art, à

la presse généraliste en passant par les magazines féminins - sont à l’origine de

collaborations avec des artistes auxquels ils proposent de créer au cœur même de

leurs pages, en respectant les modes de production habituels de la publication.

Parfois, les directeurs de publication, les journalistes, critiques, etc. les sollicitent

de façon évènementielle, parfois ils intègrent ces travaux de prime abord dans leur

projet éditorial, en leur y consacrant plus ou moins d’importance, parfois même

jusqu’à l’exclusivité. Aussi, les années 1980 apparaissent aujourd’hui comme

l’incarnation même de la société de l’image, de l’apparence, où les médias de

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communication de masse sont prédominants, y compris dans le monde de l’art. Dans

ce contexte, il nous semble donc pertinent de penser les contributions d’artistes à la

presse, média de masse parmi d’autres.

C’est en prenant en compte tous les paramètres contextuels cités plus haut

que nous allons aborder les travaux d’artistes dans la presse périodique. Nous nous

intéresserons exclusivement aux productions réalisées dans le respect des modes de

productions propres aux publications périodiques, c’est-à-dire restant compatibles

avec une production sérielle et non dérogatoire à la diffusion habituelle de celles-ci,

permettant à tous les lecteurs d’avoir accès à ces productions. Ce sont en effet ces

réalisations-ci qui nous semblent les plus pertinentes, voire subversives, vis-à-vis des

catégories traditionnelles établies au sein du monde de l’art. Aussi, nous nous

attacherons à considérer cette production sans présupposé stylistique, étant données

la diversité des artistes qui réalisent de telles œuvres et la multiplicité de forme

qu’elles prennent.

Nous exclurons de notre étude les livres et revues d’artistes, qui font déjà l’objet de

nombreuses publications, contrairement aux travaux d’artistes dans la presse qui

restent à ce jour peu étudiés, ou de façon parcellaire et annexe notamment au livre

d’artiste. Si ces productions ont suscité si peu d’intérêt c’est sans doute à cause de

notre difficulté, encore aujourd’hui, à reconnaître une œuvre d’art au sein d’une

« simple» publication et à notre propension à penser ces travaux comme relevant

d’un genre mineur. À cela s’ajoute la complexité à saisir ces œuvres qui s’éparpillent

aux quatre coins du monde et qui sont amenées à disparaître dans le flot quotidien

de la presse, un numéro en remplaçant un autre et ainsi de suite. De plus, nous

verrons qu’elles ne sont pas toujours aisément identifiables au sein même des

périodiques. Notons tout de même que le catalogue susmentionné Extra art : a

survey of artist’s ephemeras recense un grand nombre de travaux d’artistes dans la

presse. De même les ouvrages Redefining the object of art : 1965-1975 publié en

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1995 et New Art in the 60s and the 70s : Redefining Reality en 20012 mentionnent

quelques unes de ces productions. Enfin Marie Boivent consacre deux articles

exclusivement à la pratique de l’insert3. Remarquons que ces études traitent

uniquement des inserts à l’initiative des artistes, et pour la plupart concernent la

période des années 1960-1970. Pour une étude axée sur les publications initiatrices

de ces productions, il faudra plutôt se référer à la Thèse de Doctorat réalisée en

1999 par Sylvie Mokhtary sur les revues arTitudes, Avalanche et Interfunktionen, ou

au travail de Maîtrise d'Histoire de l'art contemporain de Karine Poirier sur les revues

Documents, Blocnotes et Purple Prose, datant de 1996.

Il est indéniable que le livre d’artiste et les travaux dans la presse ont de nombreux

points communs, nous l’avons déjà remarqué. Néanmoins, les travaux d’artistes dans

la presse sont loin de se réduire à une simple application du livre d’artiste au sein

d’une revue ou d’un journal. Ils possèdent des caractéristiques propres. C’est pour

cette raison que nous ne nous contenterons pas d’étudier ces travaux quant à

l’utilisation qu’ils font du médium imprimé. Nous porterons aussi notre intérêt sur les

conditions de réalisation des œuvres et sur les acteurs qui acceptent, qui encadrent

et parfois initient ces projets. En effet, nous verrons que le type de publication, mais

aussi les motivations des directeurs de rédaction, des membres du comité de

rédaction, des journalistes, des critiques… jouent un rôle déterminant dans la

réalisation de ces travaux. C’est pourquoi nous chercherons à mettre en avant les

2Ann Goldstein, Anne Rorimer, Lucy Lippard, et alli. Redefining the object of art : 1965-1975, Los Angeles, The MIT Press, 1995, et Anne Rorimer. New Art in the 60s and the 70s : Redefining Reality, London, Thames & Hudson, 2001. 3 Marie Boivent. « Infiltrer la presse : de la parution à la disparition », Pratique, n°21, printemps 2010, et « La pratique de l’insert : Quand l’espace publicitaire devient lieu de publication » in Marion Hohlfeldt et Pascale Borrel. Parasite(s), une stratégie de création, Paris, L’Harmattan, 2010. p 29-45. Marie Boivent donne la définition suivante de l’insert dans ce second texte, p. 31: «Cet anglicisme désigne l’introduction d’un élément publicitaire dans un périodique, qu’elle se fasse sur le mode de l’insertion (encadré ou pleine page s’intercalant dans le contenu éditorial) ou sur celui de l’encart (feuille volante ou petit cahier que l’on insère dans la publication ». C’est seulement le premier cas de figure de l’insert introduit au sein même des pages de la publication qui retiendra ici notre attention.

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particularités de cette production en interaction avec des acteurs et un contexte

précis.

Les travaux d’artistes dans les publications périodiques soulèvent des enjeux

spécifiques et c'est justement ce que nous essayerons d’étudier et de définir dans ce

mémoire. Cette pratique pose des questions esthétiques, internes au monde de l'art

et à celui de la presse, mais aussi sociétales. L'artiste ne travaille plus seul (nous

avons dit que les directeurs de rédaction, critiques et journalistes jouent un rôle de

premier ordre) et surtout face à un public démultiplié, du fait même de l'utilisation

d'un média de masse. Nous nous centrerons dans un premier temps sur l’utilisation du

périodique comme médium, à travers l’exemple de la revue barcelonaise Ártics

(1985-1989), ce qui nous permettra d’affirmer le caractère artistique de cette

production. Nous aborderons alors les répercussions de cette utilisation artistique

particulière de la presse sur le rapport que le public, devenu lecteur, entretient

désormais avec ces œuvres d’art. Dans un second temps, nous porterons notre

attention sur l’insertion du périodique en tant qu’outil médiatique, lieu de

promotion mais aussi de critique, au moment où les moyens de communication de

masse se font de plus en plus présents. Les inserts publicitaires de Fred Forest dans

divers périodiques à la fin des années 1970, ceux d’Ernest T. dans quelques revues

d’art dans les années 1980, l'intervention d’artistes pour Libération également au

début des années 1980, et enfin les travaux de Jeff Koons dans le cadre de Banality

en 1988 seront ici plus précisément étudiés. Dans un troisième et dernier temps, la

revue suisse Trou (1979) et l’expérience de Museum in progress (créé en 1990)

notamment dans le quotidien Der Standard, nous amèneront à poser la question de

l’exposition, soulevée par de telles œuvres catapultées dans le quotidien et

échappant à tout contrôle de l’institution muséale ou des galeries. Nous nous

intéresserons à la façon dont, justement, elles ont pu se construire face à ces

dernières.

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Étant données la multiplicité des modalités de production, des formes

d'interventions, la diversité des acteurs et le grand nombre d'exemples de travaux,

nous ne chercherons pas, dans le cadre de cette recherche, à dresser un panorama

complet de tout ce qui a pu se faire en la matière, ni à construire des catégories

immuables, chaque cas étant unique. Aussi, bien que cette pratique ait une

dimension internationale, la recherche se limitera à l'espace européen, déjà très

riche, sans pour autant nous empêcher de mentionner quelques travaux d’outre-

Atlantique. Les exemples sélectionnés pour développer notre propos auront été

choisis pour leur intérêt particulier dans le cadre de notre étude et non pas comme

des modèles exemplaires de cette production. Certaines publications et certains

travaux de premier ordre n’apparaîtront pas ici. Cette étude se veut ouverte et nous

chercherons plutôt à esquisser quelques lignes de forces et les enjeux principaux de

cette pratique artistique.

L’objet de notre étude est par essence très dispersé et il n'existe que très peu de

lieu de récollection avec un traitement spécifique, probablement car aucune étude

scientifique n'a encore isolé ces productions comme telles. En France, Le Centre

National de l’Edition et de l’Art Imprimé (Cneai) à Paris et le Centre des livres

d’Artistes (Cdla) près de Limoges font partie des structures qui intègrent ces

productions, en tant qu’œuvres d’art, à leurs collections. Nous nous sommes donc

servi de ces lieux d’information, ainsi que des ressources de documentation à notre

disposition, c’est-à-dire les Archives de la Critique d'Art à Rennes et la Bibliothèque

Kandinsky enrichie de la collection Paul Destribats depuis 2006, à Paris, pour mener

cette étude.

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CHAPITRE 1: LE PERIODIQUE COMME MEDIUM ARTISTIQUE

À partir des années 1980, la pratique de la contribution artistique à des

publications périodiques devient récurrente et aura d'ailleurs tendance à

s'institutionnaliser. Beaucoup de périodiques, et notamment des revues et magazines

spécialisés en art contemporain, vont s'intéresser à cette pratique et solliciter les

artistes pour qu'ils créent des inserts au sein de leurs pages. Parkett, revue

zurichoise, est un cas exemplaire puisque, depuis ses débuts en 1984 jusqu'à

aujourd'hui encore, elle a fait le choix de collaborer avec des artistes, sous diverses

formes et notamment celle de l'insert. La revue a fondé toute sa communication sur

le partenariat avec les artistes. Elle jouit aujourd'hui d'une grande renommée et fait

figure de référence. Comme Parkett, certaines revues vont faire de la contribution

artistique un élément-phare de leur projet éditorial : BlocNotes créée par Armelle

Leturcq en 1992, Documents sur l'art par Nicolas Bourriaud de la même année, A

Prior magazine, fondée à Gand, Belgique en 1999 ou encore Gagarin née un an plus

tard. La liste est longue. Certaines se contenteront d’intégrer ces productions dans

chacun de leur numéro, faisant des fameux « projets d’artistes » une rubrique parmi

d’autres. C'est par exemple le cas d'Atlántica publiée par le Centro Atlántico de Arte

Moderno depuis 1990 en Espagne, de Mouvement fondée en 1993 par Jean-Marc

Adolphe comme de nombreuses autres encore. Il semble que cette pratique soit

devenue, à présent, un incontournable pour toute publication se voulant "à la page".

Les acquis de la fin des années 1960 et 1970 concernant l'utilisation de l'imprimé

dans l'art, et les créations d'artistes pour et dans diverses publications, ont porté

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leurs fruits, mais ceux-ci sont parfois tombés loin de l'arbre et de l'esprit des

premières productions.

Certaines publications périodiques, comme la revue Ártics que nous allons étudier

plus en détail, loin de verser dans la facilité, ont néanmoins travaillé avec des

artistes et sollicité leur participation active, en leur consacrant plus que quelques

pages bien délimitées. Cette demande de contribution s’inscrit dans le cadre plus

vaste d’une mise en question du périodique. Comme le remarque Ingrid Sischy en

1980, alors Directrice de la rédaction d’Artforum, il est désormais nécessaire pour

les éditeurs de revues et de magazines d’art d’engager, eux aussi, une réflexion sur

un élément fondamental des publications: la page4.

Ártics, trimestral multilingüe de les arts i de les ics : une anthologie

poétique de la création artistique de la seconde moitié des années 1980

La revue espagnole Ártics, née au milieu des années 1980, fait partie de ces

revues qui ont élaboré un concept éditorial où les artistes ne sont pas de simples

faire valoir. Elle a engagé une réelle réflexion sur la forme que peut prendre une

revue, après les chamboulements opérés par les artistes dans le champ de

l’imprimé.

Ártics a vu le jour en 1985, à Barcelone, à l’initiative de Vicenç Altaió i Morral,

homme de littérature aux multiples casquettes. Né en 1954 à Barcelone, Vicenç

Altaió, qui se décrit lui-même comme un « agitateur culturel », est à la fois écrivain,

poète, traducteur d’œuvres théâtrales, critique d’art et commissaire d’exposition

indépendant. Il est aujourd’hui Directeur du KRTU (Cultura, Investigación, 4 Cf. « Letter from the editor », Artforum, vol. 18, n°6, février 1980. Dans ce texte Ingrid Sischy fait référence à ce nouvel impératif. Ce numéro d’Artforum est le tout premier à sortir sous la direction d’Ingrid Sischy et il apparaît comme un manifeste et une mise en application de sa conception du périodique moderne: des textes théoriques tels que « Art Magazine et Magazine Art » de Clive Phillpot y sont publiés ainsi que de nombreux projets d’artistes.

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Tecnología, Universal) crée en 1990 à Barcelone et dirige également depuis 2009 le

centre d’art Santa Mónica (CASM), toujours à Barcelone. Un intérêt constant porté

aux avant-gardes littéraires et artistiques marque sa carrière et fait le lien entre ses

diverses activités. Il crée ainsi plusieurs projets éditoriaux multidisciplinaires, dont

Ártics fait partie. Il n’en est alors pas à son premier essai puisque la revue de poésie

Tarotdequinze (1972-75) et Eczema (1978-1984) précèdent Ártics. Cave Canis (1995-

1999) prend leur suite. Comme chacun de ces projets hybrides, Ártics s’offre comme

un espace dédié à l’expression artistique et se situe à la croisée de la littérature et

des arts visuels.

Les membres du comité de rédaction reflètent la pluridisciplinarité de la

revue, certains viennent de la littérature, de la critique et d’autres des arts

plastiques. L’équipe permanente de la revue est réduite : Vicenç Altaió est à l'origine

de la revue qu'il dirige avec l'aide de Joaquim Pibernat (directeur de la rédaction).

Les deux jeunes artistes Jordi Colomer et Francesa Llopis ainsi que le critique Manel

Guerrero se rallient ensuite au projet. Les deux premiers s’occupent plus

particulièrement des images et du graphisme de la revue dans les premiers numéros

(à partir du numéro -8 de 1987, leurs noms sont remplacés par la mention « Ártics »

pour le design et les images, dans l’ours). C’est ce petit groupe, noyau dur d'Ártics

(qui, cependant, n’est pas toujours réuni au complet), qui autoédite la revue,

comme c'est le cas pour beaucoup d'expériences éditoriales engagées. L'équipe prend

en charge Ártics de la conception jusqu’à coller les timbres sur les enveloppes pour

les envois postaux des numéros. La revue se crée dans une ambiance familiale. Les

membres d'Ártics et les collaborateurs à la revue - critiques, écrivains et artistes -

entretiennent des liens amicaux. Tous travaillent d’ailleurs bénévolement. La revue

vit des abonnements et des ventes au numéro ainsi que de financements publicitaires

(une dizaine de pages sont dédiées à la publicité, majoritairement réunies à la fin

des numéros). Elle reçoit aussi le support de la Conselleria de Cultura de la

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Generalitat de Catalunya , Ministère de la culture de la Catalogne. Ártics est vendue

en Espagne comme à l’étranger (Italie, France, Royaume-Uni, Belgique, Etats-Unis),

distribuée en kiosques et par abonnement.

En créant Àrtics, trimestral multilingüe de les arts i de les ics, (trimestriel

multilingue des arts et des x) Vicenç Altaió veut réaliser, à travers la collection

complète des numéros de la revue, une anthologie poétique de la création artistique

de la seconde moitié des années 1980. C'est pourquoi avant même la parution du

premier numéro d’Ártics, ses fondateurs conviennent d’une date de fin et d’un

nombre arrêté de publications. Un texte court publié dans le premier numéro, sorte

d'éditorial, se conclut d’ailleurs sur cette information : « Ártics est un premier pas

vers une fin annoncée »5. Seuls dix-sept numéros, à raison de quatre par an,

paraîtront. La numérotation de la revue commence de façon traditionnelle par le

numéro un, progresse jusqu’au numéro 8, avant que le décompte soit lancé, du

numéro -8 jusqu’au 0, dernier numéro à paraître en septembre 1989. Vicenç Altaió a

recours à ce concept à plusieurs reprises: c’est aussi le sort qu’il réserve à Eczema et

Cave Canis. Il évite ainsi tout risque d'essoufflement voire d'épuisement de ces

aventures éditoriales. En ce qui concerne Ártics, elle devient alors un reflet d’une

époque particulière, d’un âge d’or fantasmé, et le réceptacle clos d’une culture

constituée des arts minoritaires et innovants qui jaillissent dans les années 1980 à

Barcelone.

Pour mener à bien ce projet, chaque numéro de la revue est pensé comme

un lieu de rencontre et d’expérimentation artistique, ouvert aux acteurs de la

culture alternative et minoritaire de l’époque et aux diverses formes que prend

celle-ci. Ártics naît en effet au moment du plein épanouissement de la sphère

5 Ártics, n°1, septembre-octobre-novembre 1985, p.6. : « Ártics es presenta com un obertura i és alhora l’inici d’una fi anunciada ». Cf. Annexes, p. 108-109.

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underground espagnole. L’histoire de l’Espagne du XXe siècle est marquée par la

dictature franquiste qui débute dès la fin de la guerre civile en 1939. Cette période

douloureuse prend fin avec l’avènement de la démocratie, deux ans après le décès

de Francisco Franco le 20 novembre 1975. Après cette longue période de répression

et de gel, l’Espagne s’ouvre au monde et connaît un moment d’élévation créative

avec pour emblème la Movida madrileña. Ce mouvement culturel, qui naît dans la

période de transition vers la démocratie, ne se restreint en fait pas à la seule

capitale espagnole, mais touche le pays entier et particulièrement les villes de

Bilbao, Vigo et Barcelone. La jeunesse espagnole est en quête de renouveau, le pays

s’ouvre à l’Europe et à ses mouvements culturels contemporains. La période est

propice aux nouvelles rencontres, les jeunes créateurs venus de disciplines diverses

trouvent enfin à s’exprimer. Ils se retrouvent, échangent et s’ouvrent aux formes

nouvelles de création. À Barcelone, un monde de la nuit alternatif se développe. La

ville connaît un moment d’exaltation, de bouillonnement artistique, une sorte

d’ « accélération du temps »6 pour reprendre les mots de Vicenç Altaió. C’est cette

puissance créative anonyme qu’Ártics souhaite refléter, et c’est du choc de toutes

ces parties que la revue tire son esthétique, en apparence seulement, chaotique.

Cette nouvelle sphère reste minoritaire dans l’environnement culturel espagnol et

elle entre en résistance contre l’ordre politique et la culture de masse. C'est

probablement en référence à cette culture souterraine que la revue est baptisée

Ártics (Art-X) et sous-titrée "revue des arts et des X ", ou encore, qu’elle se dit être

l’écho de « la partie immergée de l’iceberg des expérimentations artistiques et des

nouveaux langages » et qu’elle « s’offre comme un regard radical attentif aux

registres d’écritures et d’arts actuels les plus innovants. »7 On trouve de nouveau la

6 Entretien du 23 mars 2010. 7 ibidem, p. 6. :« Ártics – trimestrial multilingüe de les arts i de les ics- recala a l’iceberg de l’experimentació i dels nous llenguatges. Ártics […] s’ofereix com una radical mirada ateta als registres més innovadors de les escriptures i de les arts actuals, de la mà dels mateixos instigador ».

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mention d’un art clandestin sur le bon d’abonnement qui accompagne le premier

numéro : « Ártics, un nom de revue pour la littérature et l’art sans nom : l’Inconnue,

l’Art des X. »8 Dès la lecture du numéro 1, il apparaît clairement que la revue sera un

lieu de représentation de cette création de la marge.

À l’époque d’un monde globalisé et au moment d'une plus grande ouverture de

l'Espagne sur l'extérieur, la revue souhaite être le « lieu de rencontre de langues, de

cultures, de tendances et d’individualités ».9 C'est naturellement qu'elle travaille

alors avec des artistes d’horizons variés : Espagnols mais aussi d’autres pays, ils

viennent de disciplines différentes -aussi bien de la littérature, des arts visuels, de la

performance, que de la danse, du théâtre, etc. – et enfin, de diverses générations.

Des artistes chevronnés et reconnus, à la carrière internationale, comme John Cage,

Meret Oppenheim, considérés par Vicenç Altaio comme des piliers de l’histoire de

l’art contemporain, côtoient de jeunes artistes moins connus au sein de chaque

numéro.

Ártics souhaite cristalliser tous les éléments, aussi divers soient-ils, qui fondent la

culture et l’art innovants de cette seconde moitié des années 1980. Afin de restituer

le plus fidèlement possible la pensée et les créations des artistes, Ártics ne se donne

pas pour première vocation de véhiculer une critique de l’art mais plutôt des

expressions de celui-ci.

C'est ce qui explique pourquoi Vicenç Altaió a voulu faire de cette revue un espace

de dialogue entre des artistes, des critiques, des auteurs, et de leur laisser la

possibilité d’y intervenir directement.

8 Bon de commande en supplément du numéro 1 de la revue : « Ártics, un nom de revista per la literatura i l’art sense nom : La Desconeguda, l’Art de les Ics. » 9 Op. cit., p.6.: « Ártics, lloc d’encontre de llengües, de cultures, de tendències i d’individualitats »

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Ártics, lieu de rencontre d’expressions artistiques multiples

Un travail de collaboration entre les membres d'Ártics et des intervenants

extérieurs se met alors en place pour créer chaque numéro. La revue sollicite la

contribution de critiques, d’écrivains et d’artistes, pour façonner ensemble les

numéros.

Ártics ne se contente donc pas de publier des textes sur les artistes mais elle

travaille main dans la main avec eux. Ce sont parfois les artistes ou des collectifs qui

prennent en charge les pages de la publication qui leur sont laissées par le comité de

rédaction : « Page après page, en faveur des seuls artistes et écrivains. Chaque

artiste ou collectif est le concepteur de sa partie dans la revue ».10

Concrètement, ce partenariat prend diverses formes, les collaborateurs participant

de plusieurs façons à la conception des numéros. Ces derniers sont, à chaque fois, le

résultat de la confrontation d’expressions diverses. Leur structure et leur esthétique

sont la conséquence directe d’un travail de coopération entre des acteurs divers qui

participent à leur manière à la revue.

En ce qui concerne les artistes, ils peuvent entièrement prendre en charge un certain

nombre de pages. C’est le cas Ben qui intervient sur le sommaire du numéro –8

(septembre-octobre-novembre 1987), ou encore de l’artiste Daniel Buren pour le

numéro -7 (décembre 1987–janvier-février 1988)11. Nous reviendrons plus en détail

sur l’intervention de ce dernier dans Ártics. Plusieurs artistes peuvent aussi

confronter leur pratique dans l'espace de la publication. C'est souvent le cas

d'écrivains et d'artistes plasticiens. De nombreux textes de référence d'écrivains sont

(re)publiés et traduits. Ils peuvent alors être mis en parallèle avec l’œuvre d’un

jeune plasticien, comme l’a été le texte « A la ocho en las floras » de l’écrivain

10 Op. cit. : « Pàgina a pàgina en favor de l’artista i l’escritor a soles. Cada artista o col.lectiu és el dissenyador del seu espai.» 11 Cf. Volume iconographique, p. 4 et p. 8 -10.

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cubain Severo Sarduy avec les oeuvres de Jordi Colomer dans le numéro 2 d’Ártics12.

Ou bien, ils peuvent aussi être présentés avec une mise en page créative et

artistique. C’est le cas pour le numéro 4, avec un texte de l’écrivain italien Armando

Adolgiso et le travail de la plasticienne Francesca Llopis13. Un critique peut aussi

s’intégrer au groupe comme dans le numéro 5 de la revue (septembre-octobre-

novembre 1986). Kathy Acker, performeuse et écrivaine nord-américaine, l’artiste

Zush (connu sous le nom de Evru depuis 2001), et le critique Luis Francisco Pérez

sont ici réunis autour d’une même thématique. Un texte de la première, extrait de

Blood and Guts in High School (plus two) de 1984, est mis en regard avec des

reproductions d’œuvres de la série de 1986 « Usdre Nesot (Vida Mort) » de Zush et

enfin avec un court texte de L.F. Pérez au sujet de l’artiste catalan. Ces trois formes

de discours sont réunies par la mise en page homogénéisante qui reprend des motifs

d’une oeuvre de Zush.14

Nous avons vu que le travail de réappropriation d'une oeuvre pour en créer une

nouvelle, est fréquent dans la revue. Ce procédé est également utilisé pour la

réalisation de la couverture, élément important s'il en est d'une publication. Elle est

le premier lieu du partenariat entre l’équipe de la revue et les artistes invités, ou

bien entre deux artistes qui travaillent pour la revue. Toutes obéissent à un même

schéma de création: un artiste, ou bien un des membres d’Ártics, réalise la

couverture en se réappropriant l’œuvre d’un autre artiste, souvent créée

spécialement pour la revue. John Cage (numéro 1), Meret Oppenheim (numéro2),

Antoni Tapiès (numéro 4), Robert Motherwell (numéro 5), Vedova (numéro 6), Joan

Brossa (numéro 7), Claude Viallat (numéro -8), Cy Twombly (numéro -7), Arnulf

Rainer (numéro -6), Antonio Saura (numéro -5) et Eduardo Chillida (numéro -3) font

partie des artistes qui se sont prêtés au jeu de réaliser une oeuvre pour la revue. La

12 Ártics, n° 2, décembre 1985, janvier et février 1986, p. 6-11. Cf. Volume iconographique p.5 13 Ártics, n° 4, juin-juillet-août 1986, p. 20-24. Cf. Volume iconographique p. 6. 14 Ártics, n°5, septembre-octobre-novembre 1986, p.6-13. Cf. Volume iconographique p. 7.

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reproduction de l’œuvre est donc insérée dans le graphisme de la couverture réalisée

à partir de celle-ci, souvent par un artiste ou un graphiste présenté comme l’auteur

de la couverture. Carlos Pazos réalise la couverture du numéro 5 (septembre-

octobre-novembre 1986) en utilisant l'oeuvre du peintre américain Robert Motherwell

produite pour Ártics. Jordi Colomer réinterprète l'oeuvre de Claude Viallat pour le

numéro -8 (septembre-octobre-novembre 1987). Joseph Bagà utilise le dessin de Cy

Twombly pour le numéro -7 (décembre 1987-janvier-février 1988). Encore, Frederic

Amat intègre la création d'Antonio Saura dans la couverture du numéro -6 (mars-

avril-mai 1988).15

Malgré la diversité des créateurs qui participent à la production de la première de

couverture, l’identité visuelle de la revue est toujours respectée. Les huit premières

couvertures sont scandées par trois bandes verticales plus ou moins larges de

couleurs et de motifs qui varient d’un numéro à l’autre (à l’exception du numéro 2),

alors que les neuf derniers numéros présentent une couverture homogène, avec un

motif unique. Ce changement, à partir du numéro -8, permet de différencier les

deux grandes phases de la vie de la revue. Le titre est à chaque fois bien

identifiable, en haut de la revue, aligné sur la gauche, avec la même typographie.

Enfin, les noms des collaborateurs participant au numéro apparaissent sur la

couverture.

Cette dernière est la vitrine de la publication, elle doit donner envie d'acheter Ártics

et doit se distinguer des milliers d’autres revues et magazines spécialisés en art

contemporain. Elle doit être à la fois le reflet de l’esprit de la publication et une

introduction au contenu du numéro. La couverture d’Ártics met clairement en avant

tout ses collaborateurs, sans distinction, qu’ils soient critiques, écrivains ou artistes,

et non pas un thème ou un sujet particulier abordé dans le numéro : elle liste les

collaborateurs et donne à voir à l'acheteur potentiel un exemple concret de

15 Cf. Volume iconographique p. 2-3.

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contribution artistique et de travail d'équipe. Ce qui importe ici c’est le fait de

laisser certains acteurs du monde de l’art s’exprimer avec les moyens de la

publication, c’est-à-dire en textes et en images, et non pas de véhiculer un discours

sur une question artistique ou bien un événement du moment.

Quant à la deuxième de couverture, elle présente une photographie et une dédicace

de l’artiste dont l’œuvre a été reproduite et insérée dans la composition de la

première de couverture.16 Ces artistes sont souvent de grands noms de l’art

contemporain et leur dédicace pour Ártics témoigne ici de leur complicité avec les

créateurs de la revue, de leur intérêt voir de leur estime pour ce projet. La signature

de l’artiste, reproduite et non pas apposée directement sur chaque numéro de la

main de l’artiste, confère une valeur symbolique au périodique et non pas

marchande. Il ne paraît qu’une édition courante de la revue et les créations

artistiques pour Ártics n’existent que sous cette forme. Quand l’artiste a créé une

œuvre spécialement pour un numéro, elle est présentée en pleine page, parfois face

à la deuxième de couverture, parfois au coeur de la revue. Elle trouve là sa seule

place, puisque, encore une fois, l’œuvre n’existe que pour et par ledit numéro.

Une esthétique cosmopolite et chaotique

Les contributions des collaborateurs se juxtaposent et des univers artistiques

parfois opposés s’enchaînent les uns après les autres, souvent sans transition claire.

Les textes et les univers visuels de plusieurs artistes se côtoient et se mêlent. Des

variantes de mises en page nombreuses et franches forment un même numéro, ce qui

a pour effet de dérouter quelque peu le lecteur. S'ajoute à cela le fait que plusieurs

langues coexistent au sein d’un même numéro, puisqu’il a été choisi de publier tous

16 Cf. Volume iconographique p. 4.

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les textes en version originale. On peut lire dans un même numéro du catalan, du

castillan, du français, de l’italien, de l’anglais ou encore de l’allemand. Les langues

latines ne sont la plupart du temps pas traduites, contrairement aux langues

germaniques dont une version catalane est aussi présentée (la revue sort en

Catalogne). Ce choix est loin d’être une simple solution de facilité. Il est au contraire

la conséquence de plusieurs convictions. Tout d’abord, Vicenç Altaió a voulu s’ériger

contre le monolinguisme ambiant, refusant de se soumettre à la suprématie de la

langue anglaise. Au contraire, il désire mettre en valeur et exploiter les possibilités

qu’offre la nouvelle génération cosmopolite et multilingue dont il fait partie. Dans un

second temps, le fait de publier les textes dans leur version originale permet de

rester fidèle à la pensée de l‘auteur. N’oublions pas que Vicenç Altaió est aussi

traducteur, et comme l’indique l’expression italienne connue, « traduttore,

traditore ! », il sait bien que traduire c’est aussi trahir. Ártics, qui se veut une arène

pour l’expression directe de l’artiste, réduit ainsi le risque de dénaturer le propos de

celui-ci. En supprimant la prise de distance avec le texte original, consécutive à

toute traduction, même la meilleure, un rapport plus intime se crée avec l’artiste

dont la pensée est respectée dans son intégrité. Le choix de donner la parole à

l’artiste est assumé jusqu’au bout. Enfin, la revue apporte une importance

particulière à l’alchimie créée par l’association du fond avec la forme, ici le sens du

texte et la forme visuelle des mots ainsi que leur sonorité. Cet attachement à

l'association signifiante du fond et de la forme dans l'écriture trouve probablement

son origine dans la poésie expérimentale. Expression espagnole de la poésie visuelle

et concrète, elle s'épanouit dans les livres, revues et journaux d'artistes espagnols

tels que Doc(k)s17 ou encore par l'intermédiaire du groupe Zaj et ses publications18.

17 Doc(k)s est une revue de poésie qui naît en France en 1976, à l‘initiative de Julien Blaine. Après quelques années d’interruption, la revue renaît, cette fois entre les mains du duo « Akenaton » qui dirige encore aujourd’hui la revue. Pour reprendre les mots de Philippe Castellin, cette revue est marquée par « la volonté de considérer comme matériau poétique l'ensemble des éléments sémiologiques, qu' il s'agisse, dans l' ordre visuel, de l'écriture envisagée plastiquement et conjointe à l'image et au graphisme, ou, plus généralement, des

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En plus de la coexistence d'esthétiques variées et de plusieurs langues, il faut aussi

prendre en compte que ce périodique est un produit de l’autoédition. À cette

époque, les moyens techniques de reproduction se développent et permettent à

chacun de créer des publications facilement et à moindre coût, pour preuve en est la

prolifération des publications d’artistes en tout genre depuis les années 1960. Grâce

aux avancées technologiques, la petite équipe d’Ártics, notamment Vicenç Altaió,

peut prendre en main la réalisation de la revue. Les artistes Jordi Colomer et

Francesca Llopis ont réalisé la maquette des deux premiers numéros, le reste de

l’équipe a pu ensuite prendre en charge le graphisme de la revue, la mise en page

générale et ainsi créer eux-mêmes une revue à leur image, où plutôt à l’image de

l’univers artistique barcelonais bouillonnant de l’époque. Malgré cela, il est tout de

même possible de trouver quelques points de repère qui nous rappellent les revues

d’art traditionnelles et viennent nous aiguiller dans l’appréhension de cet objet. On

retrouve certaines rubriques communes à plusieurs numéros comme l’ « ésser artics »

(« l’être artics ») ou « Ics & Ics » (revues d’expositions ou d’ouvrages).

Les partis pris éditoriaux de Vicenç Altaió sont l’expression d’une quête

d’authenticité et d'une exigence de fidélité au travail de chaque artiste, de chaque

individualité, allant parfois jusqu’à la retranscription sans médiation. Les

composantes multiples de la culture espagnole se retrouvent parachutées dans

Ártics. Mais tous ces facteurs associés donnent aussi une impression de désordre à la

revue qui désarçonne quelque peu le lecteur. Ajoutons enfin que, dans beaucoup de

cas, il est très difficile voire impossible de savoir précisément quel a été

signes et des effets liés à la voix, au corps, à la performance ». [extrait du texte de présentation en ligne sur le site : http://www.sitec.fr/users/akenatondocks/ Consulté le 16 mai 2010] 18 Les compositeurs Juan Hidalgo, Walter Marchetti et Ramon Barce fondent Zaj en 1964, influencés par John Cage. Trois ans plus tard Esther Ferrer les rejoint. Zaj est alors le seul groupe qui produit des représentations et événements de ce type à l'époque et leurs concerts apparaissent, dans l'Espagne des années 1960-70, comme des actes de protestation contre le régime. Ils publièrent quatre livres Zaj qui firent d'eux les pionniers du livre d'artiste en Espagne.

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l'engagement de l'artiste, du critique, de l'écrivain. Si ceux-ci n'ont fait que donner

leur accord pour l'utilisation d'images, de textes ou bien s'ils ont participé au choix

de ce qui serait présenté, ou plus, si leur contribution fut entière, de la conception

jusqu'à la mise en forme finale. Il semble d'ailleurs que ces précisions importent peu.

Les informations sont lacunaires, notamment le sommaire qui ne fait mention que du

nom des artistes ou des collaborateurs et des pages qui leurs correspondent, sans

plus de détails. Il faut bien comprendre que chaque numéro est le produit d'un acte

de création collectif, le résultat de l'union de diverses forces créatives « anonymes »,

si l’on se remémore la note d’intention du premier numéro de la revue. Nous verrons

plus tard que ce manque d’informations est représentatif à la conception de l’art de

Vicenç Altaió.

Malgré cette apparence déroutante, chaque numéro d'Ártics respecte une structure

bien déterminée et l’équipe de la revue a une idée très précise de l’objet qu’elle

souhaite produire. Une grande attention est portée à la présence d’un certain

équilibre dans chaque numéro, bien plus qu’à l’existence de rubriques types qui

scandent la plupart des périodiques. Dans chaque numéro, on veille à ce que diverses

disciplines soient présentées : la littérature, les arts plastiques, les arts vivants

(danse, théâtre, musique) et enfin à ce que les pratiques d'artistes internationaux,

locaux et de diverses générations soient mis en regard. C'est cette cohabitation de

pratiques artistiques diverses qui permet la circulation d’idées, qui plus est de

première main puisque les artistes participent activement à la revue. Il se crée bien

sûr des chocs, pour le lecteur nous l’avons vu, mais aussi pour les collaborateurs.

Parfois, cela suscite même incompréhension et mécontentement. Vicenç Altaió

rappelle par exemple la contrariété de Claude Viallat concernant l’utilisation de son

travail par Jordi Colomer pour la couverture du numéro -8 (septembre-octobre-

novembre 1987). En acceptant d'insérer son travail dans un périodique, le

collaborateur accepte aussi que son oeuvre soit mise en contact avec les productions

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d'artistes aux pratiques peut-être opposées à la sienne. C’est pourquoi, dans le cas

d'Ártics, le travail de groupe, parfois synonyme de réappropriation, peut aussi

réserver quelques surprises aux collaborateurs.

La revue comme mise en forme d’une conception globalisante de la

création

Mais les contrariétés et autres désenchantements ne sont rien de plus que le

lot commun de tout travail collectif. Nous mentionnions tout à l’heure l’importance

de ce dernier terme, dans l'expérience Ártics. Le travail des artistes plasticiens,

critiques, graphistes est ici considéré de la même façon, sans rapport hiérarchique.

Les jeunes artistes Jordi Colmer et Francesca Llopis, responsables du graphisme et

des images au sein de l’équipe « permanente » d’Ártics effectuent un travail de

création considéré au même titre que celui des artistes invités. Ils sont intervenus

aussi bien en tant que graphistes qu’en tant qu’artistes au sein de la revue,

témoignant de la transdisciplinarité qui caractérise les artistes à cette époque. Toute

hiérarchie entre les pratiques artistiques est évacuée, conséquence même de la

conception globalisante et égalitaire des arts du directeur de la revue mais aussi de

la pluridisciplinarité qui caractérise depuis quelques années déjà la pratique de

nombreux artistes. Vicenç Altaió insiste d'ailleurs sur l'utilisation du mot "art" au

pluriel : il n’y a pour lui pas de différence entre écrire un poème, un texte, peindre,

sculpter, danser, etc. Toutes ces activités relèvent du champ de l’art, et sont mises

sur un pied d’égalité.

Au sujet des publications artistiques, il aborde plus précisément la question de la

relation entre le contenu (les mots, le texte), la forme (la typographie, la mise page,

le graphisme) et aussi le support (le papier, la publication). Tous ces éléments sont

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pour lui indissociables et c’est tous ensemble qu’ils font sens, l’un n’étant pas plus

ou moins important que les autres. Nous retrouvons ici l’influence des

expérimentations menée dans le domaine de la poésie. Dans un de ses textes, Vicenç

Altaió commence par reprendre les mots d’Antoni Tapiès qu’il explique ensuite:

« “Je ne fais pas de distinction entre lire et regarder, toucher sentir…, tout est

communication. Le papier et la typographie, bien qu’ils n’expliquent pas le texte,

son inséparables de celui-ci. Ce dualisme contradictoire n’est pas fonctionnel, mais il

nous est nécessaire.” Voici ce que nous dit Antoni Tapiès lorsqu’on le questionne sur

son amour et sa relation aux livres, lui qui a collaboré avec tant de poètes. Dans ce

cas particulier, en effet, le peintre n’illustre pas (livres illustrés), il ne travaille pas

seul non plus (livres d’artistes ?) avec une œuvre unique (livre-objet), mais il crée

une culture qui ne fait pas de distinction entre les raisonnements et sentiments

verbalisés et ceux qui ne le sont pas, entre l’expression et la communication. Ce

dualisme contradictoire nous est nécessaire pour agir, pour être”.»19

Ce cours paragraphe montre à quel point la publication peut être pour Vicenç Altaió

un lieu privilégié pour appliquer sa conception égalitaire des arts. Ici il ne se réfère

pas directement à Ártics, mais il nous laisse imaginer l’état d’esprit dans lequel

cette revue a été créée. Cette définition s’applique en effet très bien à la

publication qui nous occupe. Ce « cas particulier » dont parle Vicenç Altaió est aussi 19 Texte en ligne sur le site cofondé par Vincenç Altaió : visualkultura.cat. [En ligne : http://inte.es/visualkultur/rcs_gene/text1.altaio-cast.pdf. Consulté le 10 mai 2010] : « “No hago distinción entre leer y mirar. Mirar, tocar, oler..., todo comunica. El papel y la tipografía, aunque no expliquen el texto, son inseparables del mismo. El dualismo contradictorio no funciona, al contrario, nos hace falta.” Eso es lo que nos dice Antoni Tàpies al preguntarle, a él que ha colaborado con tantos poetas, por el amor y la relación que tiene con los libros. En este caso, en efecto, el pintor no ilustra (libros ilustrados) ni va solo (¿libro de artista?) con obra única (libro objeto), sino que crea una cultura que no hace distinción entre juicios y sentidos verbales y no verbales, entre expresión y comunicación. El dualismo contradictorio nos resulta necesario para hacer, para ser. » Le site visualkultura s’offre comme « un parcours inédit au sein de la culture catalane qui émerge au milieu des années 1970 – en pleine dictature de Franco-, depuis les minorités artistiques les plus innovantes, presque clandestines, jusqu’à l’actualité la plus récente –à l‘époque de la globalisation et de la culture de masse - , à travers les livres les plus singuliers et inconnus, fruits de la collaboration entre artistes d’avant-garde et écrivains d’abord, et ensuite graphistes créatifs ».

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celui d’Ártics. Nous l’avons dit, le critique ne travaille pas seul sur les œuvres et le

parcours des artistes. L’artiste non plus. Poètes, écrivains, critiques et artistes

plasticiens travaillent ensemble. Leur collaboration ne donne pas naissance à une

publication illustrée comme il en existe beaucoup, où l’artiste n’intervient que dans

un second rôle. Puisqu’il n’est pas fait de distinction entre l’écrivain et le plasticien,

l’un n’a pas la primauté sur l’autre. Dans Ártics, les disciplines fusionnent au nom de

la seule création pour former chaque numéro. De la même manière, Vicenç Altaió

considère que réaliser cette revue est un acte créatif et artistique à part entière.

C’est parfois lui et l’équipe de la revue qui réalisent les agencements des textes et

images, ils se réapproprient le travail d’artistes et écrivains.

Dans Ártics, c’est l’union du fond et de la forme qui fait sens, union elle-

même indissociable du support revue. La production de Daniel Buren pour le numéro

-7 (décembre 1987-janvier-février 1988) illustre bien la fusion de l’œuvre avec la

revue et surtout l’attention portée au lieu, à l’espace qu’est la revue. Nous allons

voir qu’il prend en compte l’espace de la page, son format, il est attentif à la

structure de la revue, à la dynamique de lecture, au rythme des pages tournées.

Cette prise en compte des composantes de la publication fait glisser celle-ci du

simple support au médium. Daniel Buren intervient sur une vingtaine de pages (de la

page 30 à 51), ce qui représente près d’un quart de la totalité du numéro (chacun

compte environ quatre-vingts pages). Comme à son habitude, il publie tout d’abord

une lettre publique virulente adressée à la commissaire Carmen Gimenez, au sujet

d’une exposition à laquelle l’artiste devait participer, mais qui fût annulée sans le

concerter auparavant. Le texte est publié en français et traduit en catalan. La lettre

est suivie de l’œuvre intitulée D’un coin à l’autre. Encres sur papiers découpés.20

Comme l’indique le titre, Daniel Buren ne se contente pas de la simple utilisation

d’encre sur la surface du papier pour réaliser son œuvre. Il intervient dans la matière

20 Cf. Volume iconographique p.8-10.

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même de la revue en découpant ses pages. Nous retrouvons son « outil visuel »

distinctif, les rayures de 8,7cm, ici blanches, rouges, et noires. Il joue avec les

rythmes de couleurs créés par les bandes et les coupes géométriques dans le papier.

Son œuvre fonctionne par double page. La page de droite est divisée par trois

rayures (l’une est plus petite, mais le lecteur peut l’imaginer se prolonger

virtuellement sous la page de gauche), deux noires et une blanche ou bien deux

rouges et une blanche. Ces couleurs alternent d’une double page à l’autre. Chaque

coin supérieur droit des pages de droite est découpé, retirant de la feuille un

triangle de papier plus ou moins grand. La première coupe est la plus intrusive, les

suivantes vont en se réduisant jusqu’à laisser la dernière page intacte. Daniel Buren

fait ainsi apparaître, par un jeu de superposition des pages découpées, l’alternance

des bandes rouges et noires. Chaque bande extérieure droite - à l’exception de celle

de la dernière page de l’intervention - est incomplète puisqu’il manque du papier. Le

papier coloré retiré réapparaît cependant sous la forme d’une « trace » d’encre

équivalente sur chaque page de gauche.

La même année, l’artiste réalise un travail similaire dans une autre revue, constituée

uniquement d’interventions d’artistes, Passe. Pour le premier numéro de cette revue

lyonnaise, sorti en janvier 1988, Daniel Buren joue ici aussi à découper le papier où

sont imprimées des rayures blanches et rouges.21 Visuellement, l’œuvre est bien sûre

différente, mais son intervention fonctionne de la même façon et révèle les

caractéristiques de l’espace de la publication, dont les pages ne sont pas reliées,

mais s’organisent en fait par feuillets de très grand format, superposés les uns sur les

autres et pliés pour constituer la revue.

Ce n’est pas la première fois que Daniel Buren travaille sur des publications. Il a

notamment réalisé plusieurs livres d’artiste tels que D’une impression l’autre. et

Chapitre I. De la couverture, tous deux en 1983. Il a aussi souvent fait le choix

21 Cf. Volume iconographique p.11.

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d’intervenir dans des publications collectives par des pages de rayures, de façon

anonyme (dans différentes publications du catalogue Prospect, en 1968, 1969 et

1972, publié par la Städtische Kunsthalle de Düsseldorf) ou encore sous son nom

comme dans le catalogue D’une œuvre l’autre de Guy Schraenen en 1996 où l’on

peut voir l’oeuvre Petit à petit. Encres pour une diagonale. Plus proche encore de

l’exemple d’Ártics, Daniel Buren a aussi créé dans de nombreuses revues et

quotidiens22. Cette pratique est donc récurrente dans le parcours de Daniel Buren.

On retrouve là la volonté de l’artiste d’intervenir in situ, c’est-à-dire en fonction du

lieu de monstration et de façon interdépendante avec celui-ci. Que ce soit dans

Ártics, Passe, ou bien dans le catalogue de Guy Schraenen, le lecteur voit apparaître

page après page l’œuvre de Daniel Buren. Dans ce dernier catalogue, un court texte

écrit par Daniel Buren en 1970 dans le périodique VH101 est cité. Il y explique la

façon dont il intervient, par une proposition non « distractive », en rupture avec

l’espace de la publication, pour faire apparaître celui-ci tel qu’il est : « La mise en

accusation de toute forme en tant que telle nous conduit à questionner l’espace fini

dans lequel cette forme est vue. En effet, l’œuvre elle-même, parce

qu’impersonnelle/neutre, se présentant sans composition, le regard n’étant diverti

par aucun accident, c’est l’œuvre en entier qui devient l’accident par rapport au

lieu où elle est présentée. On constate que la proposition, dans quelque lieu qu’elle

soit présentée, ne “trouble” ledit lieu. Le lieu en question apparaît tel quel. Est vu

réellement. »23 C’est bien le cas de son intervention dans Ártics. Daniel Buren à

recours à un procédé simple et systématique, particulièrement adapté à son lieu

d’intervention. Il révèle en effet l’une des caractéristiques essentielles de la revue

et du livre constitués de feuillets assemblés les uns avec les autres et qui demandent

22 Les Lettres Française, mars 1968 ; Studio International, juillet/août 1970 et septembre/octobre 1975 ; Extra, juillet 1974 ; Interfunktionen, n°11 de 1974 et n°12 de 1975; TriQuartely, n°32, hiver 1975 ; quotidien Le Progrès du 14 novembre 1986 ; De Witte Raaf, n°49, mai 1994 ; quotidien Libération n° 705 du 5 juillet 2002… 23 « Mise en garde n°3 », in VH101, n°1, 1970. Cité dans le catalogue de Guy Schraenen, d’une œuvre l’autre, Mariemont, Musée Royal de Mariemont, 1996, p.30.

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une participation spécifique du lecteur qui tourne les pages. Ce geste machinal,

anodin, révèle en fait une façon particulière d’appréhender l’objet et de recevoir le

contenu (textuel et/ou graphique) qui ne nous est pas donné d’un seul coup. Le

lecteur ne peut embrasser l'oeuvre de l'artiste d'un seul regard. Nous reviendrons plus

en détail sur cette implication particulière du lecteur dans l’appréhension de

l’œuvre. Ici, Buren livre clairement une oeuvre à part entière, dans le corps de la

publication. Celle-ci devient un espace hybride, dont les diverses parties ne peuvent

pas être dissociées puisque elles ne font sens que dans la relation qu’elles

entretiennent les unes avec les autres.

Ici, l’œuvre et la revue ne font qu’un, elles sont à présent indissociables.

Nous sommes bien loin des reproductions d’œuvres ou bien des tirages de gravures,

estampes ou autres, glissées entre les pages d’une publication. Pour reprendre les

mots d’Anne Moeglin-Delcroix, les « artistes se proposent de dire quelque chose. Mais

ce qu’ils disent, ils ne le disent pas hors du livre et sans lui. »24 Plus loin encore :

« C’est […] cette solidarité entre sens et sensible qui transforme ce support en

médium au sens fort du terme, affecté par ce qu’il véhicule autant qu’il l’affecte en

le structurant . […] Le livre est non plus (ou plus seulement) un objet de bibliothèque

ou de librairie identifiable comme tel, mais aussi une forme artistique, quand il

réalise un lien singulier d’expression réciproque entre support et signification »25. La

publication "dépasse sa fonction de simple support pour devenir forme signifiante.26 »

L’auteur se réfère ici à son sujet d’étude privilégié : le livre d’artiste. Dans la

préface du catalogue Revues d’artistes, une sélection, Marie Boivent tient un

discours similaire à propos de la revue d’artiste cette fois. Elle explique bien que la

revue devient un « “véhicule” qui ne se contente plus d’un rôle de coursier […], il

interfère, participe pleinement au projet [et que] la revue en tant que support fait

24 Anne Moeglin Delcroix. Esthétique du livre d’artiste, 1960-1980, Paris, Jean-Michel Place et Bibliothèque nationale, 1997, p. 9. 25 Ibidem, p. 10. 26 Ibid, p. 14.

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corps avec l’œuvre, elle s’incarne en elle et par elle ».27 Ces remarques ne

définissent pas directement les interventions d’artistes dans des revues mais elles

sont néanmoins utiles pour penser ces productions et notamment celle de Daniel

Buren pour Ártics. Les interventions artistiques de ce type n’existent que par et pour

la revue. Le parallèle avec le livre et la revue d’artiste aujourd’hui considérés

comme des œuvres d’art à part entière nous permet aussi de saisir la valeur de ces

interventions souvent dévalorisées ou peu regardées. Celles-ci ne se contentent pas

de « refléter un certain état de l’art et de la culture »28, mais elles les constituent au

même titre que n’importe quelle autre œuvre. Cette concordance dans l'utilisation

de la publication témoigne aussi de l'influence que les livres et revues d'artistes ont

très probablement eue sur la pratique de l'insert. Il semble clair que les artistes, à

partir de la fin des années 1960 particulièrement, prennent conscience que l'art peut

avoir une place nouvelle et première dans les publications. Que celles-ci peuvent

proposer une alternative aux habituelles reproductions d'oeuvres ou tirés à part, et

générer à la fois un renouvellement du monde de l'imprimé (du périodique pour ce

qui nous intéresse ici) et du champ artistique. D’ailleurs, Vicenç Altaió parle lui-

même de l'influence des publications d'artistes - à la fois livres d'artistes et livres-

objet - sur la création d'Ártics.

Il existe de nombreuses ressemblances avec la revue d’artiste, ces deux

pratique participent d’une même mouvance, elles sont les produits de

préoccupations similaires dans le monde de l’art. Cela ne fait pas d'Ártics une revue

d’artiste pour autant. Les artistes n’interviennent pas seuls, ils ne sont pas à

l’origine du projet éditorial, et ne prennent pas en charge le parcours de la revue du

début jusqu’à la fin. Ils n’interviennent que ponctuellement dans celui-ci. Ártics a de

plus un caractère informatif, avec des sections de la revue dédiées par exemple à

certains centres d’art ou musées (tels que « 5 centres d’art contemporani », soit 27 Marie Boivent. Revues d’artistes. Une sélection, Rennes-Fougères, co-éditions Arcade, Editions provisoires, Lendroit galerie, 2008. p.9. 28 Op. cit., p. 11.

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Cinq centres d’art contemporain, dans le numéro 2 de décembre 1985-janvier-février

1986) ou encore à des acteurs de la scène artistique. Dans le numéro 5 (septembre-

octobre-novembre 1986) l’architecte italien Massimiliano Fuksas d’origine lituanienne

est interviewé (pages 48 à 53). C’est aussi le cas de Pontus-Hulten qui est interrogé

par Joan Abelló, à Venise, en septembre 1986, pour le numéro 6 de la revue

(décembre 1986–janvier-février 1987, pages 34 à 38). Enfin, Ártics a recours à la

publicité, ce qui serait difficilement envisageable dans une revue d’artiste. Le

projet éditorial d’Ártics fait de chaque numéro un espace d’entre-deux, hybride, « à

cheval entre la revue manifeste et la revue de kiosque »29, ni revue d’artiste ni revue

traditionnelle. C’est probablement cette ambiguïté de contenu et de forme, cette

dualité au sein d’un même objet qui pose parfois problème et nous empêche de

considérer cette pratique comme proprement artistique.

Enfin, revenons sur un autre point important, mentionné par Vicenç Altaió

dans le texte cité plus haut. Ártics ne s’apparente pas aux publications illustrées, il

n’est pas une revue d’artiste, elle n’a rien à voir non plus avec une publication-

objet. La revue, tirée en de nombreux exemplaires (7000), n’a pas vocation à être un

objet rare et précieux, ni à entrer sur le marché de l’art. Toutes les réalisations des

artistes sont faites dans le respect des moyens de production d’une revue habituelle

et s’adresse au public traditionnel de la revue. La seule exception concerne l’œuvre

de Carles Santos et Marielena Roque, dans le numéro 3 ( mars-avril-mai 1986), qui

sort des moyens de production habituels de la revue, puisqu’un disque est fourni

avec le numéro, intégré à leur contribution.30 Néanmoins, tous les acheteurs de la

revue ont accès à ce disque, et ce sans payer de surplus (45 francs à l’époque).

L’adjonction de ce disque est ici un prolongement de l’œuvre et non pas un

accessoire publicitaire, ni un multiple vendu en plus de la revue, comme moyen

d’apport financier supplémentaire à la revue. Ártics n’a pas non plus recours aux 29 Ártics, n°1, septembre, octobre, novembre 1985, p.6 : « a cavall de les revistes-manifest i de les revistes de quiosc ». 30 Cf. Volume iconographique p. 12.

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tirages de têtes de certaines réalisations d’artistes, contrairement à bon nombre de

revues qui travaillent avec les artistes et qui continuent à mettre en place ce

système, s’inscrivant dans une longue tradition. Ces revues en retirent là aussi un

financement de plus pour leur publication. Les tirages de têtes réintroduisent la

vieille définition de l’œuvre d’art, qui, faute d’être unique et réalisée par la main de

l’artiste, existent en tirage limité, chaque exemplaire étant numéroté et signé.

Susan Tallman se montre intransigeante à ce sujet lorsqu’elle écrit à peu près ces

mots en 2001, pour le catalogue d’exposition sur la revue Parkett au Museum of

Modern Art de New York : « L’adéquation sincère avec la production de masse ne

relève [plus] ni de l’idéologie, ni d’un effort particulier, alors que la fétichisation de

la main de l’artiste n’est non pas joliment naïve, mais une échappatoire,

malhonnête, et stupide. 31» Une époque est bien révolue, mais certains n’ont pas pris

ou ne souhaitent pas prendre toute la mesure des changements internes au monde de

la création artistique. Nous évoquions précédemment l’exemple de Passe où Daniel

Buren est intervenu. Le caractère périodique de la publication et la participation

d’artistes à la publication sont les seuls traits qui unissent cette revue à Ártics. En

effet, ces deux publications relèvent d’une dynamique très différente. Passe reste

ancrée dans la tradition des éditions de tête, luxueuses, numérotées et signées, donc

réservée à un public restreint, alors qu'Ártics n'a "pas peur de la socialisation de la

connaissance" et de l'art, pour citer Vicenç Altaió32. Il explique d'ailleurs que c'est

pour cette raison même que la revue revêt un aspect industriel et qu'elle joue à

imiter les magazines d'art grand public et commerciaux.

31 Parkett, Collaborations & Editions since 1984, (cat. expo.), Zurich - New York, Parkett Publisher, 2001, p. 36-37 :« the wholeherated embrace of mass-production requires neither ideology nor effort, while fetishizing the artist’s hand is not cutely naive, but escapist, dishonest and stupid. » 32 Entretien avec Vicenç Altaió, en date du 23 mars 2010.

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Une nouvelle réception de l’œuvre d’art

La création d’œuvres n’existant que pour et par la revue, dont la

reproductibilité est l’une des caractéristiques principales, participe à l’évolution et à

l’élargissement déjà bien entamés des frontières de l’œuvre d’art. Ce

« nouveau » régime de l’art implique aussi un nouveau rapport avec l’œuvre d’art.

En tant qu'objet reproductible par essence, les contributions d'artistes dans les

périodiques permettent une réception différente en instaurant un rapport particulier

du public avec l'oeuvre.

Les années 1960 ont notamment été marquées par l'utopie d'un art entièrement

changé par les possibilités de la reproduction mécanisée: un art dont la valeur ne

serait plus indexée sur sa rareté, échoué de son piédestal et accessible à tous à

moindre coût. Nous sommes aujourd'hui revenus de cette utopie de "démocratisation"

de l'art. Cependant, en partant du principe que les contributions artistiques dans les

publications sont des oeuvres d'art à part entière, celles-ci semblent au moins

pouvoir proposer une alternative au parcours traditionnel de l'objet d'art, allant de

l'atelier de l'artiste au musée ou bien à la collection privée.

Tout d'abord sa reproductibilité intrinsèque permet à l'oeuvre d'exister à plusieurs

endroits, au même moment, et qui plus est, dans nos intérieurs privés.

Contrairement aux multiples, limités, et aux publications d'artistes qui circulent

souvent en réseaux restreints de connaisseurs, le tirage important des périodiques

multiplie leur mobilité. Achetés par des milliers de personnes, ils peuvent alors se

répandre aux quatre coins du monde, dans nos maisons, appartements, bibliothèques

- voire dans nos poubelles - et les oeuvres artistiques qu'ils contiennent avec. Ces

dernières ne sont plus destinées aux lieux institutionnels de l'art ou bien à une

collection privée en particulier. En fait, chaque lecteur peut constituer sa propre

collection qu'il enrichit à chaque fois qu'il "acquiert" une publication avec une

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contribution d'artiste. Qui le veut peut créer sa propre collection. On passe alors de

la salle de musée à l'appartement. L'équipe fondatrice de Parkett, parle d'ailleurs

d'un "Musée en appartement". La limite entre le monde de l'art représenté par les

galeries, musées et autres centres d'art, et le quotidien de chacun s'efface peu à

peu, même si le modèle de l’institution muséale reste un modèle à suivre et que l’on

transpose chez soi.

On passe aussi de la foule des salles d'exposition, réunie autour d'une seule oeuvre, à

la solitude d'un seul ou de quelques-uns, dans l'intimité d'un salon, d'un bureau, d'une

bibliothèque. L'"ici et maintenant" qui caractérise la réception d'une oeuvre par un

spectateur est démultiplié, ce qui permet à plusieurs personnes de « profiter » de

l'œuvre, seules et au même moment que d'autres. Plutôt que d’une démocratisation

de l’art, on peut parler ici d'une diffusion plus démocratique de l'art. L’effectivité de

cette dernière est plus grande encore lorsque le périodique fait partie de la

collection d'une bibliothèque publique : il peut alors être emprunté par un nombre

potentiellement infini de personnes.

Ces nouveaux lieux de réception de l'art laissent la place à l'installation d'une

certaine sensation de proximité avec l'oeuvre, d'autant plus que le format de la

publication permet la plupart du temps de transporter l'oeuvre avec soi à tout

moment. Ce lien étroit est accentué par le contact physique que le lecteur a

forcément avec un ouvrage. Nous avons évoqué précédemment l'action nécessaire du

lecteur sur la publication dont il doit tourner les pages pour en prendre

connaissance. La mise en rapport avec l'oeuvre est directe, sans intermédiaire et

volontaire. Non seulement nous pouvons, mais nous devons toucher le périodique et

par la même, l'oeuvre, pour y avoir accès.

Cette proximité dans le rapport tactile fait écho à l'intimité sous-entendue entre

artistes et membres de la rédaction. En effet, la plupart des fondateurs de

périodiques qui accueillent les artistes, revendique une relation étroite avec ceux-ci.

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Reprenons les exemples d'Ártics ou de Parkett: toutes deux évoquent une ambiance

amicale, voire familiale dans la création des numéros. Les contributions qui résultent

ne peuvent alors qu'être "authentiques". La valeur marchande est remplacée par une

valeur symbolique.

Le lecteur a le privilège d'avoir un accès direct à ces productions de premier ordre et

même de les posséder. La désacralisation que nous mentionnions plus haut pourrait

donc être, paradoxalement, synonyme de fétichisme. Néanmoins, la possession est

ici vidée de toute notion d’exclusivité (je ne suis pas le seul à posséder ces

publications) et parfois aussi de sa permanence, ou tout du moins de sa durée

indéterminée, dans le cas d'un périodique emprunté dans une collection publique.

Les contributions d’artistes instaurent un rapport à l’œuvre à la fois intime,

personnel et généreux. Tous les lecteurs ont accès à la sphère de l'art contemporain

souvent élitiste, grâce à la symbiose du monde de l'art et du monde quotidien opérée

au sein de la publication périodique. À condition cependant que le lecteur ait bien

conscience d'avoir entre les mains une oeuvre d'art. Concernant la valeur, le statut

d’une œuvre, sa réception est en effet tout aussi déterminante que les redéfinitions

esthétiques menées par les artistes.

Nous avons jusqu’ici porté notre attention sur la revue utilisée comme

médium artistique et sur les enjeux esthétiques de cette pratique. Il ne faut

cependant pas perdre de vue que toute publication périodique à pour vocation

d’intégrer notre quotidien. Les revues, magazines, journaux sont avant tout des

moyens de communication. Ils sont donc en prise directe avec les réalités

économiques, sociales, politiques de nos sociétés. Toute publication, et tout

particulièrement périodique, dont la subsistance est remise en question à la sortie de

chaque nouveau numéro, doit à la fois pouvoir réaliser ses fonctions premières

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d’information, de diffusion d’une connaissance, et culturelles, et intégrer des

critères économiques indispensables pour sa survie. Elles doivent assumer cette

duplicité et se situer avec équilibre entre les deux extrêmes du tout culturel et du

tout commercial.

En tant que marchandise, la publication périodique est donc partie prenante du

système capitaliste. En tant que média, elle participe pleinement à l’évolution de la

société où les moyens de communication de masse sont toujours plus importants.

Lorsque les artistes choisissent de travailler au sein d’un magazine, d’un journal ou

de n’importe quel autre périodique, ils sont bien conscients que les enjeux de leur

production dépassent largement le domaine de l’art. Et c’est précisément pour cette

raison qu’ils y insèrent leurs productions.

Nous allons à présent nous intéresser à ces caractéristiques essentielles du

périodique, moyen de communication de masse, et allons étudier plus précisément

son utilisation comme outil médiatique par les artistes.

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CHAPITRE 2 : LE PERIODIQUE COMME OUTIL MEDIATIQUE :

ESPACE DE DIFFUSION ET DE CRITIQUE

L’histoire des sociétés occidentales contemporaines est marquée par l’essor

prodigieux des moyens de communication. L’émergence d’un nouveau réseau de

communication technique – du télégraphe à la fin du XVIIIe siècle jusqu’à Internet

aujourd’hui - repousse à chaque fois un peu plus à la fois les frontières physiques et

mentales qui fragmentent et cloisonnent le monde. Particulièrement depuis les

années 1950, on assiste à un formidable accroissement des moyens de communiquer,

grâce aux technologies électroniques et informatiques, à tel point que la société se

transforme rapidement en « société de l’information ».

La communication et ses moyens techniques deviennent dès lors des éléments

essentiels de notre vie et scandent notre quotidien. Armand Mattelart remarque

même qu’ « elle [la communication] est devenue dans les années quatre-vingt, “le”

progrès »33. Il explique que celle-ci n’est plus une activité comme une autre mais

qu’elle devient la base sur laquelle la nouvelle société repose et toutes ses

espérances. Depuis le milieu du XXe siècle (et notamment l’ouvrage de 1948

Cybernetics or Control and Communication in the Man and Machine de Norbert

Wiener), les penseurs de la communication s’accordent à dire que les médias ont un

rôle structurant. Le politologue Zbigniew Brzezinski (1928) qui s’est intéressé à ce

sujet parle même, en 1969, d’une société technétronique qui succède à la société

industrielle qui elle-même faisait suite à la société agricole. La société

33 Armand Mattelart. La communication-monde, histoire des idées et des stratégies (Paris : Editions la Découverte) 1992, p.7.

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technétronique désignant pour lui une société influencée sur les plans culturel,

psychologique et socio-économique par la technologie et l’électronique, tout

particulièrement dans le domaine des ordinateurs et de la communication.

Au pouvoir structurant des moyens de communication de masse s’ajoute leur

capacité à repousser l’espace et le temps et à réduire le monde à un espace

globalisé dont toutes les parties sont potentiellement interconnectées, sans plus

aucun « dehors ». L’accroissement du pouvoir des médias de masse à partir des

années 1950 s’accompagne logiquement de l’explosion de la culture de masse qui

touche désormais toutes les classes sociales et participe ainsi à la formation d’un

imaginaire collectif.

Face à la radio, à la télévision, à Internet, la presse n’est pas en reste et profite

aussi des évolutions techniques qui permettent par exemple des tirages à plusieurs

milliers d’exemplaires pour un coût qui a nettement baissé. C’est d’ailleurs la

presse qui dès la première moitié du XIXe siècle véhicule les premiers genres de la

culture de masse comme divertissement, et ce phénomène ne fera que s’amplifier.

Dans une société où les médias de masse sont désormais au centre de nos

vies, il n’est pas étonnant que certains artistes se les soient accaparés en ayant

recours aux supports de communication dominants que sont tout particulièrement les

espaces publicitaires : panneaux lumineux, affichages extérieurs, spots télévisuels,

encarts dans la presse. Les intentions des artistes sont diverses. Les façons d’utiliser

les médias vont d’un extrême à l’autre, de la même façon que le débat à leur sujet

s’est longtemps polarisé entre « les intellectuels apocalyptiques » et les

« intellectuels intégrés »34. Ainsi certains artistes peuvent simplement vouloir

profiter des capacités de diffusion démultipliées des médias de masse -ce qui ne veut

pas dire qu’ils n’ont aucune conscience des travers du « tout médiatique »- alors

que d’autres s’attacheront à critiquer leur omniprésence et leur pouvoir. Ces

34 Ibidem., p.299-300.

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derniers sont souvent des artistes ouvertement engagés et dont les convictions

sociopolitiques constituent le cœur même de leur pratique artistique.

Pour autant, il ne faut pas négliger les postures plus nuancées ou ambivalentes. Il

existe beaucoup de cas intermédiaires et les intentions des artistes sont souvent

plurielles. C’est par exemple le cas de ceux qui allaient se regrouper un moment

sous le label d’art sociologique au début des années 1970, ou encore plus tard des

artistes qualifiés de simulationnistes, comme nous allons à présent le voir.

Nous porterons ici notre intérêt sur les inserts de Fred Forest à la fin des

années 1970 et d’Ernest T au début des années 1980 dans la grande presse, sur les

contributions d’artistes dans Libération, également au début des années 1980, et

enfin sur les publicités que Jeff Koons réalise en 1988 dans divers magazines d’art.

Ces exemples nous permettrons d’aborder les diverses façons dont les acteurs et les

artistes ont pu envisager la contribution artistique dans la presse.

Fred Forest, Ernest T : l’insertion critique et « sauvage » de l’espace

publicitaire

Dans le contexte de la fin des années 1960, marquées par des mouvements

sociaux d’envergure et une politisation croissante, notamment des jeunes

générations, beaucoup d’artistes expriment leur conscience politique au sein même

de leur art. L’importance grandissante des médias et de leur impact sur la vie des

individus est aussi une préoccupation à l’époque. De nombreux auteurs publient à ce

sujet et leurs textes influencent nécessairement les artistes de l’époque. Cet intérêt

pour les médias de masse ne cessera de s’intensifier, et d’inspirer nombres

d’artistes, particulièrement à partir des années 1980. Cette décennie sera en effet

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l’époque de l’individualisme assumé et du culte de l’apparence, marquée par

l’ « omniprésence des médias, nouveaux monstres tutélaires et carnivores, qui

favorisent à bon compte l’émotion et le spectaculaire en un jeu cathodique où

l’ivresse de l’image supplante le contenu de l’information » pour reprendre les mots

d’Anne Bony35.

Dès les années 1970, intellectuels et artistes sont marqués par les thèses de

l’universitaire Canadien Marshall MacLuhan, qui fut l’un des premiers à étudier les

médias de masse. Il attribue à ces derniers un rôle structurant, voire déterminant,

allant jusqu’à dire que le médium détermine et prend le pas sur le contenu :

« medium is message » (le médium est le message). Cette citation aujourd’hui

galvaudée fait partie des nombreux concepts comme « le village planétaire » ou

encore « la galaxie Gutenberg » que MacLuhan développe dans son œuvre

(notamment dans Understanding Media: The Extensions of Man, publié en 1964 pour

la première fois ou encore The Medium is the Massage de 1967). La pensée de Guy

Debord, écrivain, essayiste, cinéaste français, a aussi profondément marqué les

esprits et connaît un fort retentissement après les événements de mai 68. Il publie

en 1967 La société du spectacle où il formule une critique radicale de la fétichisation

de la marchandise et de l’aliénation de l’individu dans ce qu’il nomme « la société

du spectacle », stade achevé du capitalisme. Ici encore, les médias de masse jouent

un rôle primordial puisque c’est précisément sur eux que repose cette société du

spectacle. Le spectacle prend la forme de la publicité, de l’information ou de la

propagande, qui sont véhiculés par les médias de masse. Il n’est devenu rien de

moins qu’un rapport entre les personnes, déréalisant notre relation au monde et aux

choses. « La société toute entière s’exprime dans le spectacle » explique Guy

Debord. Il est « sa principale production »36. L’individu devenu spectateur passif n’a

plus de prise sur sa vie, il n’existe que dans l’aliénation aux objets qu’il contemple.

35 Anne Bony. Les années 1980, Paris, Editions du regard, 1995, p.9. 36 Guy Debord. La société du spectacle, Paris, Gallimard, 1992.

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La planète est devenue un marché mondial.

Le monde de l’art n’échappe pas à la règle et beaucoup considèrent

désormais les œuvres comme de simples marchandises parmi d’autres. Dans ce

contexte, plusieurs artistes se sont attachés à dénoncer ce culte de l’objet et

l’absurdité de la spéculation marchande dans la société capitaliste. Fred Forest

(1933, Algérie) fait partie de ceux-là. L’artiste au parcours atypique est le co-

fondateur de deux mouvements artistiques, L'Art sociologique puis l'Esthétique de la

communication (1983). Il crée le premier mouvement en octobre 1974, avec Jean-

Paul Thénot et Hervé Fischer. Le groupe se sépare quelques années après, en 1980.

Le collectif s’attache alors à détourner les modes de communication et de diffusion

de l’information, dont la presse, en employant certaines méthodes de la sociologie

comme l’enquête ou le documentaire. Leur but est de questionner les rapports entre

art et société mais aussi de révéler le rôle des médias et d’inciter le spectateur à se

les approprier.37 C’est logiquement que les membres du groupe interviennent à

plusieurs reprises dans des journaux quotidiens, dans le cadre du collectif ou non. Ils

créent aussi bien sur le mode de la perturbation - Fred Forest publie par exemple

l’encadré « 150cm2 de papier journal » dans Le Monde du 12 janvier 1972, page 13 -

qu’après avoir été invité par la publication, comme ce fut le cas de Hervé Fischer qui

réalisa un projet participatif sous la forme d’un questionnaire dans le quotidien

québécois La Presse, du 20 février au 15 mai 1982.

Nous allons plus particulièrement nous intéresser à la série d’inserts que Fred

Forest publie de mars à octobre 1977, dans le cadre de son projet « Le mètre carré

artistique », à la place d’encarts publicitaires dans plusieurs grands quotidiens

nationaux : Le Monde (Paris), Newsweek (New York) ou encore Frankfurter

Allgemeine Zeitung (Francfort). Le 10 mars 1977, l’artiste réalise dans le journal Le

37 Le collectif publie une série de manifestes de l’art sociologique, dans le quotidien Le Monde. Le premier date du 10 octobre 1974, p. 21, et est publié dans la rubrique « Monde des arts » du quotidien. Cf. Volume iconographique p.13.

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Monde une publicité (encadré prenant un tiers de la page 13 du journal) avec pour

titre « Placez vos capitaux à deux pas de la frontière suisse »38. Rien ne distingue a

priori cette annonce d’une publicité traditionnelle proposant un investissement

financier, si ce n’est le caractère inhabituel de ce qui est mis en vente : des mètres

carrés artistiques. Fred Forest explique dans le texte de cette publicité que la

« Société civile immobilière du mètre carré artistique Fred Forest » s’est spécialisée

dans la vente de mètres carrés artistiques. Il précise alors que « le mètre carré

artistique est un mètre carré de terrain dont le statut artistique a été déterminé par

Fred Forest » et qu’il « présente pour le spéculateur avisé l’avantage d’un placement

double à haut rendement » puisqu’il est à la fois un investissement dans les domaines

de l’immobilier et de l’art. L’artiste a suivi scrupuleusement toutes les phases

nécessaires afin de pouvoir mener à terme ce projet. Tout d’abord, il a

effectivement monté une société civile immobilière selon les formes légales et

devant un notaire. Ensuite, il a acheté à la frontière suisse un terrain de 5 mètres sur

4 mètres, qu’un géomètre expert a divisé en vingt parcelles chacune baptisée

« mètre carré artistique » et inscrites au cadastre. Enfin, il programme une première

vente des « mètres carrés artistiques » aux enchères publiques du 21 mars 1977 à

l’Espace Cardin, où des tableaux de maîtres contemporains seront également

présentés sous le marteau de Maître Jean-Claude Binoche. La publicité sortie dans Le

Monde en date du 10 mars 1977, sert donc, comme n’importe quelle autre, à faire

connaître l’existence sur le marché d’un produit et à promouvoir sa vente. Mais la

lecture du texte permet rapidement de déceler le caractère ironique et critique de

ce projet. Il reprend à son compte le langage du commerce immobilier et c’est ce

mimétisme cynique, non seulement dans la forme mais aussi dans le contenu textuel

de l’insert qui rend cette opération plus explicitement artistique. Adoptant un ton

décomplexé pour vanter les mérites de cet achat, Fred Forest révèle l’absurdité et

38 Fred Forest, « Placez vos capitaux à deux pas de la frontière suisse », Le Monde, 10 mars 1977, p. 13. Cf. Volume iconographique p. 14.

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les extrémités auxquelles en arrivent certains financiers avides de gain. Il fait

ouvertement référence au tourbillon spéculatif dans lequel certains s’engouffrent :

« Nos conseils vous seront utiles pour donner libre cours en toute sécurité à vos

instincts spéculatifs les plus délirants ». Un peu plus loin, il pointe du doigt

l’asservissement du domaine de l’art aux lois du marché : « nos bureaux de vente

[…] peuvent sur votre demande se mettre à la recherche du mètre carré artistique

qui correspond le mieux à vos besoins » et « nous établissons un plan de financement

en parfaite concordance avec vos options esthétiques ». Il conclut de façon

éminemment sarcastique sur l’utilisation de l’œuvre d’art comme faire-valoir dans

une société de classe : « Le mètre carré artistique : un investissement de standing

qui consacre à la fois votre classe et le triomphe de la culture ». Dans un autre

insert publicitaire qui paraît dans Le Monde du 20 septembre 1977, Fred Forest écrit

noir sur blanc que le mètre carré artistique n’est rien d’autre qu’une « marchandise

ARTISTICO-IMMOBILIERE »39

Avec le « mètre carré artistique », Fred Forest met en parallèle de façon parodique

et directe la spéculation immobilière et la spéculation du marché de l’art, tout aussi

démesurées, irrationnelles et frénétiques l’une que l’autre. Il ne fait que dire

ouvertement, sur la place publique, ce qui a cours habituellement dans des sphères

plus privées.

Par cet insert Fred Forest dévoile en même temps l’implication des médias en tant

que vitrine de produits à vendre dans le système capitaliste. La tentation publicitaire

n’épargne pas les médias, souvent, elle est d’ailleurs une condition de leur

existence. C’est la publicité, dans un journal national, qui permet la promotion des

marchandises sur lesquelles on pourra ensuite spéculer. Il démontre de façon

concrète que les médias, grâce à leur pouvoir de diffusion, sont le premier support

du capitalisme. À la manière d’un Dan Graham, Fred Forest révèle également que la

39 Fred Forest. « Spéculation m2 artistique », Le Monde, 20 septembre 1977, p. 46. Cf. Volume iconographique p. 15.

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presse véhicule des contenus en tout genres, sans distinction : information partiale

ou non, publicité, art et autres y trouvent tour à tour leur place indifféremment, de

la même façon que l’investissement décomplexé dans l’art, mis au même niveau

qu’un investissement dans l’immobilier, ne semble plus choquer personne. Le

capitalisme uniformise la valeur des choses qui n’ont d’intérêt que si elles peuvent

être exposées, distribuées, mises en vente, achetées. Les médias jouent donc un rôle

essentiel dans ce système puisqu’ils en sont la vitrine. D’ailleurs, lorsque Fred Forest

est convoqué au service de la répression des fraudes du Ministère de l’Intérieur suite

à la publication de l’encart, ce n’est pas pour avoir incité à la spéculation (puisque

c’est monnaie courante) mais pour le caractère apparemment non artistique des

fameux « mètres carrés artistiques » et donc le trait mensonger de sa publicité.

Notons que Fred Forest profite de cette convocation pour jouer un peu plus encore le

jeu des médias en envoyant un communiqué relatant l’événement aux agences de

presse. Celles-ci s’empressent de relayer l’information par le biais de nombreux

articles, particulièrement dans des journaux économiques, assurant cette fois-ci

d’elles-mêmes la publicité des « mètres carrés artistiques ».

Un nouveau rebondissement relance l’affaire lorsque la vente des « mètres carrées

artistiques » prévue le 22 mars est interdite par la Chambre de Discipline des

Commissaires-priseurs. L’artiste choisi donc de leur substituer le « mètre carré non

artistique », un simple morceau de tissu blanc, d’un mètre sur un mètre. Acheté 59

francs à l‘époque, il est acquis par un collectionneur au prix de 6500 francs,

défrayant la chronique dans tous les médias, écrits et audiovisuels. Ici, l’artiste

réussit à exposer aux yeux de tous, grâce à un cas concret, les mécanismes de la

spéculation à l’œuvre dans le marché de l’art. L’interdiction de la vente du 22 mars

n’empêcha pas l’artiste de continuer son projet et de programmer une nouvelle

vente le 26 octobre 1977. Il multiplie les inserts, toujours emprunts de sarcasme, sur

le même modèle que le premier réalisé dans Le Monde. Il publie ainsi «Spéculation M

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artistique » dans Frankfurt Allgeime Zeitung le 19 septembre 1977, le lendemain

dans Le Monde et dans Newsweek.

L’utilisation de la presse est ici fondamentale puisque c’est la médiatisation

qui fait exister et donne leur valeur aux « mètres carrés artistiques ». Son pouvoir

est démontré clairement, à la fois en tant que pilier du système capitaliste et de la

« société du spectacle », mais aussi en tant que moyen de diffusion extrêmement

efficace. Le retentissement de cette affaire en est la preuve. L’acte artistique essaie

de se placer hors du strict domaine de l‘art pour envahir les sphères de l’économie,

de la politique et le quotidien de chacun. En faisant le choix de travailler dans un

périodique, qui plus est dans un journal quotidien, les artistes sortent d’une posture

retranchée, pratiquant leur art dans le cadre rassurant de l’atelier, pour œuvrer au

cœur de la société et renouer avec des questions sociétales, surtout depuis la fin des

1960 où, nous l’avons mentionné plus haut, l’engagement politique se fait plus fort.

Enfin c’est aussi la médiatisation du « mètre carré artistique » qui a inscrit celui-ci

dans l’histoire de l’art, plus que l’action de tel ou tel critique, théoricien, ou

historien de l’art.

Fred Forest formule ici un appel à une distanciation critique vis-à-vis des

médias et du monde de l’art. Un autre artiste, le Belge Ernest T (1943) dénonce

également les disfonctionnements du monde de l’art contemporain, avec ses

peintures nulles, ses dessins humoristiques, des slogans caustiques... et des

interventions dans des publications périodiques. Contrairement à Fred Forest, il

travaille dans le cadre de revues d’art contemporain - dans l’édition française de

Flash Art en 1983, dans Public de Philippe Cazal en 1984, dans le périodique

américain Journal en 1987 ou encore en 1990 dans la revue du Ministère de la

Culture et de l’Union des artistes de Russie (URSS à l’époque)40. Il s’attache donc

plus précisément à critiquer le fonctionnement du monde de l’art, choisissant les

40 Cf. Volume iconographique p.16-17.

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lieux qu’il occupe en fonction du propos qu’il souhaite développer. Il insère lui aussi

son travail dans les espaces publicitaires et sous la forme de textes. Cependant,

contrairement à l’intervention de Fred Forest que nous avons abordée, il n’utilise pas

cet espace au premier degré, c’est-à-dire pour promouvoir un événement

quelconque mais il y expose un point de vue, sous la forme de courts textes au ton

affirmatif. Dans les quatre travaux au sein des périodiques susmentionnés, qui

s’échelonnent sur plusieurs années, l’artiste développe une critique du

fonctionnement du monde de l’art et de la place de l’artiste au sein de ce système

dans les années 1980. Il réalise ces inserts au moment où l’économie du marché de

l’art amplifie le phénomène de starification des acteurs du monde de l’art (artistes,

critiques, collectionneurs posent régulièrement dans divers magazines, véhiculant un

nouveau modèle de vie) et lorsque l’objet d’art se fait marchandise sans aucun

complexe. Ainsi, Ernest T. fait référence au carriérisme de certains artistes en quête

de gloire, même éphémère, et qui pour cela se soumettent aux lois des institutions

culturelles dont font parties les revues d’art en tant que lieu de promotion des

artistes. Les revues d’art restent à l’époque (et encore aujourd’hui avec Internet) le

média principal dans le champ de l’art délaissé par la télévision et la radio. « Le

véritable artiste est un stratège capable, en toute occasion, d’occuper le terrain (la

page) sans ostentation mais efficacement » afin de « se maintenir dans le milieu de

l’Art en attendant d’y prospérer et, pourquoi pas d’y être reconnu. » dit-il dans

Public. C’est donc précisément ce que fait Ernest T. ici, sans omettre d’apposer sa

signature en grosses lettres. Mais en exprimant ouvertement cette intention, il prend

ses distances avec ce qu’il énonce, tout comme l’a fait Fred Forest avec la vente des

« mètres carrés artistiques ». En plus de pointer du doigt les artistes qui se

contentent de produire des œuvres en vue de voir leurs noms inscrits dans tel ou tel

magazine, il s’attaque plus particulièrement aux peintres dans Journal et Iskusstvo.

Nous l’avons mentionné, la peinture connaît un « boom » au cours des années 1980 :

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celle-ci se vend aisément et peut donc faire l’objet d’un investissement facile (de la

part de collectionneurs privés comme d’institutions publiques), après la vague

conceptuelle. Dans les pages de magazines et de revues inscrites dans ce système de

promotion Ernest T. inscrit noir sur blanc les motivations inavouées de ce retour de

la peinture : l’appât financier, la postérité pour l’artiste. Ainsi, il écrit dans Iskusstvo

que « dans une époque où on ne parle que d’argent, la peinture peut n’avoir d’autre

fonction que d’être à vendre, admettant volontiers qu’une telle motivation est très

courante en art quoique rarement formulée ». Au même moment, l’artiste

s’intéresse à la presse, cette fois-ci comme un matériau dans lequel il puise, avec

d’autres artistes complices, pour créer sa propre revue d’artiste : Cloaca Maxima

(1985-1988)41. La revue est réalisée à partir de coupures de presse de toute époque

confondues, collectées et réorganisées, à la manière d’un collage qui révèle souvent

l’absurdité ou la redondance des propos tenus dans les diverses sources. Comme le

remarque Marie Boivent, le titre de la revue fait référence, sans équivoque possible

aux égouts de la Rome antique. Ce titre laisse donc sous-entendre que la revue

condense les détritus de la presse qui ne méritent pas mieux que de se retrouver

dans les égouts, permettant par la même « d’assainir le terrain »42. À travers diverses

utilisations de la presse, l’artiste s’est attaché à plusieurs reprises à exposer les

travers de cette dernière en tant que moyen de diffusion et de promotion aveugle.

Ces exemples montrent que dans cette « société du spectacle », l’artiste

réussit tout de même à ménager « des espaces de conscientisation »43 nécessaires.

Mais c’est seulement en utilisant les us et coutumes de cette société que l’artiste

semble pouvoir intervenir sur celle-ci. Pour reprendre les mots du Hou Hanru, il

semble que ce soit « l’absence d’un “dehors” pour cette société de spectacle à

l’époque de la globalisation » qui justifie cette tactique de l’insertion, et l’utilisation 41 Cf. Volume iconographique p.18. 42 Marie Boivent, « Cloaca Maxima », in Revues d’artistes. Une sélection, Rennes - Fougères, co-éditions Arcade, Editions Provisoires, Lendroit galerie, 2008, p.153. 43 David Perreau, « avant propos », in In media res. Information, contre information, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2003, p.11.

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de ce que l’artiste critique justement : les médias de masse. Malgré cet état de fait,

« il existe toujours des espaces nécessaires pour développer des idées critiques et

traiter de façon subversive cette condition d’absence de dehors. C’est ici, à ces

points de jonction de l’engagement, que le domaine de l’art contemporain et de la

culture peut affirmer son rôle social de force critique et permettre à l’imagination

de faire des propositions pour un monde meilleur »44. Dans la « société de

spectacle » déréalisée, qui ne s’exprime que dans et par les médias de masse et sur

laquelle l’artiste à plus difficilement prise, le seul moyen pour lui d’exprimer une

opinion divergente et d’interpeller les individus, est de passer par ces mêmes médias

en s’y infiltrant et en formulant une critique de l’intérieur, souvent par le biais du

mimétisme.

Se pose alors la question des moyens et des conditions de l’infiltration. En

achetant un espace publicitaire, l’artiste s’offre en même temps un peu de liberté

au sein de la publication, réussissant à se créer son propre espace alternatif au sein

d’une publication qui ne l’est en rien. Dans un de ses textes sur la pratique de

l’insert45, Marie Boivent, cite Michel Saint-Onge : « le trait caractéristique du « signe

sauvage » […], c’est de faire intrusion, sans affiche ni enseigne, sans “mode

d’emploi” : sa seule apparition perturbe localement et temporairement l’économie

fonctionnelle des signes et des objets de l’espace urbain »46. Cette référence à l’art

urbain pourrait en partie s’appliquer à l’insert, avec lequel il partage des points

communs. L’artiste intervient sans mentionner de façon explicite qu’il s’agit là d’un

geste artistique (seuls les lecteurs avertis comprendrons tout de suite à quoi ils ont

affaire) et vient perturber le fonctionnement de la publication en investissant un

44 Hou Hanru, « Le spectacle du quotidien », in Xème biennale d’art contemporain de Lyon - Le spectacle du quotidien, (cat. expo.), Dijon, Les Presses du réel, 2009, p 17. 45 Marie Boivent. « La pratique de l’insert : Quand l’espace publicitaire devient lieu de publication » in Marion Hohlfeldt et Pascale Borrel. Parasite(s), une stratégie de création, Paris, L’Harmattan, 2010, p.30. 46 Michel Saint-onge, « Du signe Sauvage, notes sur l’intervention urbaine », in Inter art actuel, n°59, 1994, p. 32.

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espace qui ne lui est a priori pas destiné (puisqu’ il n’intervient pas dans la rubrique

culturelle ou artistique de la publication mais dans un espace publicitaire).

Certes l’artiste vient troubler l’organisation habituelle de la publication, mais il ne le

fait pas sans autorisation, contrairement à ce que son intervention parfois

sévèrement critique envers les médias pourrait laisser croire. La publication n’est

pas dupe des motivations qui précèdent l’œuvre de l’artiste. Toute rédaction

contrôle ce qui est publié au sein de ses pages, y compris dans les espaces

publicitaires ou de petites annonces que les artistes « infiltrent ». Simplement, dans

le cas de l’utilisation d’un espace publicitaire par un artiste, elle sera sans doute

plus indulgente et permissive, étant donné qu’elle héberge ces « publicités »

moyennant rémunération, et que leur contenu ne fait pas directement partie de la

ligne éditoriale – bien que les publicités révèlent aussi le réseau dans lequel les

publications sont insérées et les éventuels partis pris éditoriaux qui en résultent47.

Même si l’artiste revendique parfois une tactique d’insertion « sauvage » dans les

médias, nous nous devons de nuancer cette idée. Les médias parfois complices

acceptent leur présence, ou tout du moins la tolèrent. Au lieu de leur causer du tort,

cette dernière peut parfois même leur être bénéfique, en leur donnant l’image de

publications ouvertes, moderne et en les différenciant de leurs pairs. Si l’insert à

titre onéreux peut être « efficace » ce n’est donc pas en se donnant pour but de

faire vaciller la publication qui les accueille mais plutôt de sensibiliser ses lecteurs

au fonctionnement des médias, de les mettre face à leur conditionnement et donc de

les inciter à porter eux aussi un regard contestataire sur ces médias et à se les

réapproprier, puisque l’artiste a pu le faire. Ainsi, Fred Forest proposa à chaque

lecteur d’arTitudes, revue d’art, de « faire [sa] propre info » en leur laissant carte

blanche pour écrire dans la rubrique « spAce média ». De façon extrême, il invite le 47 À ce sujet nous pouvons penser à Ártics, dont nous avons parlé dans notre premier chapitre, forcés de constater que ce sont des publicités pour Parkett, Public, 4 Taxis, A.E.I.U.O ou encore Metrónom (périodique qui collaborent tous étroitement avec des artistes) qui ont eu le privilège d’être insérées au cœur de la revue et souvent en double page.

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lecteur du Monde à délaisser le journal en lui proposant d’y découper un trou,

fenêtre par laquelle il pourra alors scruter la vie réelle, au lieu de la regarder par le

filtre biaisant des médias.

Nous allons à présent voir que certains acteurs des publications ont

rapidement vu l’intérêt de travailler de concert avec les artistes. Des périodiques

comme Libération, Le Monde (ceux-là mêmes qui sont les cibles d’insertions

sauvages des artistes) ne se contenteront pas simplement d’être les récepteurs

passifs des travaux artistiques. Ils vont eux-mêmes solliciter les artistes pour qu’ils

créent dans le corps de la publication. Les artistes répondant à ces commandes

peuvent alors être qualifiés d’artistes « intégrés », pour reprendre le terme

d’Armand Mattelart utilisé plus haut au sujet des théoriciens des médias.

Libération au début des années 1980, espace de diffusion et de

promotion de pratiques artistiques

Depuis la reprise de sa parution en 1981 sous une nouvelle forme, Libération -

alors dirigé par Serge July et avec Jean-Marcel Bouguereau à la tête de sa rédaction -

à l’habitude d’ouvrir ses colonnes à quelques artistes, le temps d’une journée ou

plus. Le journal, qui rivalise désormais avec Le Monde et Le Figaro, se veut sérieux

mais aussi branché et parfois décalé. C’est dans cette nouvelle dynamique que la

rédaction invite certains artistes à créer au sein du quotidien. Déjà dans la première

version de Libération, le journal accueillait en 1977 le collectif Bazooka, invité par

Serge July. Composé des quatre graphistes Kiki Picasso, Loulou Picasso le daltonien,

Olivia Clavel alias Electrique Clito et Lulu Larsen, ensuite rejoints par Philippe Bailly

dit T5 Dur, le groupe intervient directement sur la maquette du journal une fois que

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celle-ci est terminée par l’équipe habituelle, juste avant que l’impression ne soit

lancée. De façon beaucoup moins subversive, loin de l’esprit des débuts d’un

Libération encore empreint de la contre-culture, mais toujours dans l’idée d’avoir un

rôle de passeur, Serge July a continué d’ouvrir les pages du journal aux artistes.

Certains comme, Daniel Buren le 5 juillet 2005, sont intervenus sur un numéro entier

du quotidien. D’autres ont réalisé des illustrations comme Enki Bilal, dessinateur de

bande dessinée. Certains artistes ont participé à la réalisation du journal de façon

plus légère, sur quelques pages, en écho à un évènement particulier. C’est par

exemple ce que Pierre Soulages fit dans le numéro du 22-23 novembre 1986, sur une

double page48, en regard avec un texte le concernant de Daniel Dobbels, à l’occasion

d’une de ses expositions et de la sortie d’un timbre dessiné par ses soins. Le cas de

figure qui va à présent nous intéresser est celui d’artistes qui interviennent sous la

forme de feuilleton, sur une période prolongée, au moment de l’été.

Le responsable de la photographie du quotidien, Christian Caujolle49, propose

ainsi à Raymond Depardon en août 1981, puis à François Hers en août 1982

d’intervenir quotidiennement dans le journal par la publication de leurs

photographies, réalisées pour le journal. Le premier, alors reporter à l’agence

Magnum, livre « Correspondance new-yorkaise » : chaque jour, jusqu’au 12 août, le

photographe envoie au journal une image de ses balades dans la ville. Chaque image

(neuf en tout) accompagnée d’une légende de l’artiste est publiée au fur et à mesure

des envois de Depardon, dans la rubrique « étranger », sur une demi page, parfois

une page entière, « pour [former] un journal photographique de l’été »50. Le procédé

est le même pour l’intervention de François Hers l’année suivante, comme l’indique

le titre donné à celle-ci : « Paris/ Une photo par jour/ François Hers ».

48 Libération, 22-23 novembre 1986, p. 28-29. Cf. Volume iconographique p. 19. 49 Cf. Annexes p. 106-107. 50 Libération, 1-2 août 1981, p. 16.

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L’intervention, plus longue, s’étend du premier numéro d’août jusqu’au dernier et

prend à chaque fois un peu plus d’une demi page du numéro.

Ces deux contributions se plaçaient dans le champ du photoreportage. Loin d’être

une coïncidence, c’est au contraire un choix délibéré de la part de François Caujolle,

fervent défenseur de la photographie de reportage comme pratique artistique

propre. Il propose donc « un espace autonome réservé à l’image »51 pour ces artistes

photographes qui peinent à être reconnus comme tels parce qu’ils sont reporters. Le

texte qui accompagne la dernière photographie publiée par François Hers le 31 août

1982 est de ce point de vue très intéressant et montre la nécessité pour l’artiste

d’affirmer le caractère artistique de sa production à l’époque: « Le reportage me

semble toujours l’attitude la plus réaliste et je tiens à la conserver malgré les

quiproquos dont elle peut faire l’objet et le danger de me faire manger »52. Afin de

donner la possibilité à certains artistes du photoreportage d’être reconnus en tant

que tels, Christian Caujolle ménage au sein du journal un espace où ces

photographies peuvent être appréciées pour elles-mêmes et non pas seulement

comme simple appui pour un article. Le journal, plus que tout autre espace, est le

lieu rêvé pour défendre cette pratique. En opérant un simple déplacement, de

quelques pages, Christian Caujolle met en pratique son idée sur le photoreportage et

expose ainsi son point de vue aux yeux de milliers de lecteurs (le tirage du journal ne

cesse d’augmenter pendant les années 1980, ce dernier se vend à l’époque à environ

60 000 exemplaires). Ces contributions d’artistes sont le moyen de « faire apparaître

dans un quotidien des types d’images et des statuts que l’information ignore »53.

C’est pour éviter la répétition et « avancer dans la multiplication des formes

d’images que doit véhiculer un quotidien » que Christian Caujolle fait ensuite appel à

Sophie Calle, qui se fera largement connaître dans la seconde moitié des années

51 Christian Caujolle, « Le carnet de Sophie Calle », Libération, 1er août 1983, p. 7. Cf. Annexes p. 107. 52 Libération, 31 août 1982, p. 21. Cf. Volume iconographique p.21. 53 Christian Caujolle, Op. cit., p. 7. Cf. Annexes p.111.

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1980. Son utilisation de la photographie pour enregistrer des actions ou situations,

sorte de reportage d’un nouveau genre, intéresse particulièrement Christian

Caujolle. À côté de ses travaux précédents comme Les Dormeurs de 1979, ou encore

La filature de 1981, il mentionne aussi la publication de l’ouvrage Suite vénitienne

en 1983, oeuvre qui a attiré son attention et a fini de faire connaître l’artiste. Cette

dernière publication est la mise sur papier du travail de Sophie Calle qui « a inventé

un type particulier de récit, utilisant souvent la photographie comme une forme de

preuve »54. « L’homme au carnet » existera lui aussi sous la forme d’un reportage

d’un nouveau genre, non plus sur les pages d’un livre mais sur celle du journal cette

fois-ci55.

Au sujet de ce travail, l’artiste dit avoir trouvé un carnet d’adresses qu’elle a

pris soin de photocopier avant de l’expédier anonymement à son propriétaire, à la

fin du mois de juin 1983. La même année Libération lui demande de réaliser un

feuilleton pour l’été. Elle décide alors d’utiliser le carnet photocopié pour son

intervention dans le quotidien et d’essayer de dresser le portait du propriétaire du

carnet en menant une enquête auprès des contacts répertoriés dans celui-ci. Sophie

Calle contacte alors les personnes du carnet en les informant de son projet mais sans

leur révéler le nom du propriétaire dudit carnet. Elle ne dévoile l’identité de celui-ci

qu’au début des rendez-vous avec les personnes qui auront bien voulu lui parler. Son

enquête dura 28 jours et entraîna 28 parutions consécutives, chacune introduite par

ces quelques phrases de l’artiste : « Paris. Fin juin, rue des Martyrs. Je trouve un

carnet d’adresses. Je le ramasse, le photocopie et le renvoie, anonymement à son

propriétaire. Il s’appelle Pierre B. Je demanderai à ceux qui figurent dans le carnet

de me parler de lui. Je l’approcherai, chaque jour, par leur intermédiaire ». Jour

après jour, ces rencontres sont consignées dans le journal, introduites par le prénom

54 Christian Caujolle, Op. cit., p. 7. 55 Sophie Calle, « L’homme au carnet », Libération, 2 août – 3 septembre 1983. Cf. Volume iconographique p. 22.

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et l’initiale du nom de son « indicateur » du jour, l’heure de début et l’heure de fin

de leur rendez-vous. Ceux-ci sont retranscrits par des textes racontant leur

déroulement et ce que l’artiste a pu apprendre sur le mystérieux propriétaire, dans

un langage posé et distancié. Les textes mêlent narrations de l’artiste (sur le

déroulement de la rencontre ainsi que ses impressions et doutes parfois) et longues

citations des connaissances du propriétaire du carnet. Sophie Calle y adjoint à

chaque fois une photographie. Elles viennent appuyer les textes qu’elles

accompagnent. Elles en sont parfois des illustrations : Sophie Calle prend par

exemple ses interlocuteurs en photo, comme Thierry L. dans le numéro 5 août 1983.

Elles peuvent aussi fonctionner comme des indices dans son enquête, telle que la

photographie de l’arbre du village où Pierre B. vient parfois passer ses vacances,

dans le numéro du premier septembre 1983. Elles témoignent alors de la véritable

enquête que Sophie Calle a menée, jusqu’à se rendre sur les divers lieux de vie de

Pierre B., même si l’artiste a très certainement mis en scène beaucoup de ces

clichés. Souvent énigmatiques, les photographies participent surtout à créer une

ambiance, un univers autour du propriétaire et à stimuler l’imagination du lecteur.

Elle photographie par exemple un muret en forme de pyramide pour illustrer le texte

de l’insert du 26 août 1983, où il est fait mention du désir de Pierre B., enfant, de

devenir archéologue. Sophie Calle habituée à travailler avec la forme de

l’espionnage le redéfinit ici puisqu’elle n’a plus besoin de la présence physique de la

personne pour l’épier avec son appareil photographique. L’homme est peu à peu

révélé à travers les informations glanées auprès de ses connaissances. Ces dernières

deviennent des informateurs pour le détective qu’est Sophie Calle. La première

publication de ce feuilleton date du 2 août 1983, si l’on omet la parution de la

présentation de l’intervention de Sophie Calle par Christian Caujolle dans le numéro

du 1er août 1983. L’artiste clôt ce feuilleton dans le numéro des 3 et 4 septembre

1983. Une demi page est à chaque fois laissée à l’artiste, dans diverses rubriques -

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Faits-divers, Médias, Modes de vie, Sciences, Economie, Justice, Sports – ce qui ne

manque pas de créer des échos fortuits et inattendus entre, par exemple, le titre

d’un article et une photographie de Sophie Calle. C’est aussi cette dynamique de

lecture, ces enchaînements de contenus variés, les chocs et résonances créés, qui

font la force des publications périodiques et parfois augmentent l’intérêt de

l’insertion des productions d’artistes.

« L’homme au carnet », avec son format feuilleton, est une œuvre qui

s’adapte très bien à la publication périodique. Au fil des parutions, le lecteur fidèle

en apprend à chaque fois un peu plus sur le propriétaire du carnet, comme ce fut le

cas pour Sophie Calle rendez-vous après rendez-vous. Un certain suspens se crée

autour de la découverte de l’identité, ou tout du moins de la personnalité de Pierre

B. L’insertion de cette œuvre dans un journal quotidien renforce l’oeuvre de Sophie

Calle. Inversement, la contribution de l’artiste représente aussi un certain avantage

pour le journal qui trouve ici un moyen supplémentaire pour fidéliser son lectorat, au

moment creux des vacances. Non seulement Libération propose à ce dernier un

contenu plus léger, plus en « adéquation » avec la période estivale, mais en plus, il

le tient en haleine en résolvant pas à pas l’enquête de L’homme au carnet. Cette

tactique de fidélisation du lectorat n’est pas nouvelle. Le genre du feuilleton,

introduit dès 1836 dans des journaux français populaires comme Le Petit Journal ou

Le Petit Parisien qui se font concurrence à l’époque, atteindra son apogée au milieu

des années 1880. De l’autre côté de l’Atlantique, ce sont les premiers comics qui

naissent dix ans plus tard dans des suppléments dominicaux de journaux tel que le

New York World. En France, notamment dans L’Humanité (créé en 1904), on

préférera publier des traductions de romans russes ou bien des romans naturalistes

ou réalistes du XIXe siècle, sous la forme de feuilletons encore une fois. À ce sujet,

Armand Mattelart évoque à la fois un recours aux « recettes éprouvées du roman

commercial pour le peuple » et une « tentative de faire accéder les masses à une

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culture classique »56. Ce sont ces deux mêmes motivations, commerciales et

culturelles, qui semblent également animer les collaborations entre Libération et des

artistes. Une caractéristique essentielle des journaux et autres revues qui se veulent

un tant soit peu culturelles apparaît ici clairement, à savoir que les périodiques, plus

que tout autre publication, sont pris entre des obligations commerciales et leur

fonction culturelle (au sens large), leur devoir de diffusion d’un savoir et de

connaissances. En faisant place à l’art au sein de son journal, Christian Caujolle a

non seulement l’occasion de largement diffuser un autre type de contenu, inhabituel

pour un quotidien généraliste et de mettre en application ses convictions artistiques

et culturelles, mais il multiplie aussi les atouts de vente de la publication. Plus

encore que les suppléments culturels qui commencent à accompagner le journal à

l’époque, les contributions d’artistes contribuent à véhiculer une image avant-

gardiste de Libération, journal ouvert à la création artistique et aux diverses formes

que celle-ci prend, et leur laisse une place importante en les intégrant dans les

numéros courants. Les contributions d’artistes dans Libération sont réalisées à

l’initiative de la rédaction, preuve de plus, s’il en faut, de l’intérêt de ces

interventions pour un journal. C’est un membre de la rédaction qui propose à

l’artiste un partenariat. Nous avons parlé ici de Christian Caujolle, mais d’autres

journalistes ont aussi pris en charge certaines interventions d’artistes, comme

Elisabeth Lebovici (un temps directrice de la rédaction de Beaux-arts magazine) qui

a travaillé avec Philippe Thomas ou encore Annette Messager.

Le pouvoir de diffusion du journal est ici primordial. Sa capacité à atteindre

les foules est telle qu’elle a eu une conséquence directe pour Sophie Calle et le

journal. Le mystérieux Pierre B, de retour d’un voyage en Norvège durant l’été,

découvre son portrait dans les pages de Libération. Furieux, il menace de poursuivre

l’artiste en justice pour violation de sa vie privée. Il finit par demander un droit de

56 Op. cit., p. 54.

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réponse que la rédaction lui accorde le 28 septembre 1983, sur une demi page57.

Tout comme l’artiste, il joint au texte une photographie. Cette dernière, qu’il dit

avoir trouvé lui aussi dans la rue des Martyrs, présente l’artiste nue, assise dans un

fauteuil. Ce geste semble pour lui être une façon de dénoncer la pratique

« douteuse » et intrusive de Sophie Calle. Le lecteur est familier avec la cruauté de

certains médias et leur non-respect de la frontière qui sépare sphères privée et

publique. Il s’identifie donc aisément à la « victime » de Sophie Calle et peut

comprendre la colère de Pierre Baudry. Néanmoins, en achetant jour après jour le

journal et en lisant l’intervention de Sophie Calle, le lecteur s’est aussi rendu

complice de l’artiste et a participé à cette enquête, d’une façon similaire au

spectateur qui se transforme en voyeuriste devant une émission de télé réalité. Cet

épisode montre clairement l’implication de l’artiste lorsque celui-ci choisit de

réaliser et d’exposer son travail dans un périodique à grand tirage, et encore plus un

quotidien qui touche un public bien plus grand et diversifié que celui de l’art.

Certes, ce travail de collaboration peut comporter certains risques pour le

journal, responsable de ce qui est publié dans ses pages. Nous l’avons vu ici, avec la

réaction de Pierre Baudry face au travail de Sophie Calle. Mais, avec ce type

d’interventions commandées, c’est aussi logiquement que les artistes n’adressent

pas de critiques directes vis-à-vis du média de masse qui les accueille et du système

capitaliste qu’il représente, contrairement aux artistes que nous avons vus

précédemment. Ici, les acteurs des insertions profitent de cet outil de diffusion

massive pour divulguer un positionnement intellectuel, une pratique artistique, de la

même façon qu’un journaliste ou qu’un auteur expose son point de vue ou des faits

dans un article. La différence bien sûr est que l’artiste est le seul auteur de sa

production et propose une œuvre en soi. Comme dans tout travail collectif, il doit

57 Pierre Baudry, « Calle, calepin calembredaines », Libération, 28 septembre 1983, p. 10. Cf. Annexes p. 112.

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simplement prendre en compte quelques contraintes, qu’il aura préalablement

acceptées.

Nous avons vu ici que l’intérêt principal de ces travaux réside dans leur

grande diffusion, leur mobilité et visibilité. Beaucoup d’artistes vont eux aussi être

intéressés par cette caractéristique essentielle du périodique, sans pour autant avoir

été invité par la rédaction d’une publication. Nous retrouvons donc là le premier cas

de figure abordé dans ce chapitre, c’est-à-dire l’insert « sauvage ».

Ce cas de figure est justement celui de la série d’inserts réalisée par Jeff Koons dans

plusieurs grandes publications périodiques spécialisées en art contemporain, au cours

de l’année 1988, et qui va à présent nous intéresser. Nous verrons qu’ici, l’artiste

n’a pas nécessairement pour but premier de formuler une critique mais plutôt de

documenter ou de promouvoir un événement ou un travail artistique particulier, qui

existent en dehors de la publication, en gardant le contrôle du contenu véhiculé sur

ces dits évènements.

La série des « Art Magazine Ads » de Jeff Koons : l’insertion publicitaire

et documentaire en marge d’un événement

À la fin de l’année 1988, l’artiste américain Jeff Koons réalise une série

d’inserts sur les pages publicitaires de quatre revues d’art internationales : Flash Art

International, Art in America, Arts Magazine et Artforum58. Chaque publicité occupe

une page entière du magazine. L’artiste nous est présenté dans diverses situations.

Dans Arts magazine (novembre 1988, p. 23) l’artiste en peignoir trône au centre de

l’image, assis sur un siège doré devant une structure en tissu qui n’est pas sans

58 Cf. Volume iconographique p.23.

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rappeler un dais, dans un environnement luxuriant. La publicité publiée dans

Artforum (novembre 1988, p. 23) montre l’artiste dans une classe d’école, entouré

d’enfants joyeux. Ici aussi au centre de l’image, il prend la posture de l’enseignant

décontracté, détenteur du savoir qu’il partage généreusement. Dans l’insert d’Art in

America (novembre 1988, p. 51) Jeff Koons apparaît en pied, avec deux jeunes

femmes dénudées, à la plastique parfaite autour de lui. Enfin, dans Flash Art

(novembre/décembre 1988, p. 86) l’artiste pose à côté d’un porc, avec un porcelet

dans les bras. Jeff Koons apparaît tour à tour séducteur, amis des bêtes, apprécié

des enfants, toujours élégant, le sourire au coin des lèvres, brushing parfait. L’image

est lisse et colorée, le décor luxueux mais toujours clairement artificiel.

Les artistes ont désormais bien en tête les mécanismes de promotion et de réussite

dans le monde de l’art. Jeff Koons en est une bonne illustration. Ici l’artiste joue le

jeu de la publicité et il reprend les codes de l’esthétique publicitaire : les couleurs

sont vives, une certaine idée du luxe est véhiculée, la femme-objet est présente…

Entièrement conscient des déviances des médias et des images véhiculées par la

publicité, il pousse ses codes à l’extrême et le caractère illusionniste de cette

dernière éclate à l’image (la pelouse artificielle, le faux ciel bleu en fond par

exemple). Le spectacle sur lequel repose la publicité est évident (les otaries

semblent tout droit sorties d’un parc d’attractions) et devient presque grotesque

(présence des cochons dans un des inserts notamment), voire violent (le cheval la

gueule ouverte). Aussi, l’inscription « Exploit the masses » (exploitons les masses) sur

le tableau noir en arrière-plan de son travail dans Artforum semble témoigner de

l’incrédulité de l’artiste face à la publicité.

Jeff Koons utilise ici la publicité pour promouvoir son travail, et plus

particulièrement Banality qu’il présente cette même année à la Sonnabend Gallery à

New York, à la Galerie Max Hetzler, à Cologne et enfin à la Donald Young Gallery,à

Chicago. La mention de ces trois lieux de monstration apparaît sur chacun des inserts

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de l’artiste, comme dans n’importe quelle autre publicité pour un événement

artistique. Lorsque Jeff Koons crée ces quatre inserts, il n’adopte pas une posture

directement critique face à l’environnement médiatique, il n’a pas pour premier but

de dénoncer ou de troubler le média, contrairement aux artistes que nous avons

évoqués dans le premier temps de ce chapitre. Ici Jeff Koons profite de l’espace

publicitaire de la revue avant tout pour diffuser largement sa production : il

bénéficie à la fois des capacités de diffusion des quatre magazines d’art qui

accueillent ses publicités (Jeff Koons a choisi des revues d’envergure internationale à

grand tirage) et de l’attrait de la publicité pour le publique. « Je veux avoir un

impact sur la vie des gens. Je veux communiquer avec le plus de gens possible. Et en

ce moment, la manière de communiquer avec le public est de le faire à travers la

télévision et la publicité. Le monde de l’art n’est pas efficace en ce moment.59 »

explique-t-il. L’insert publicitaire permet à l’artiste de faire connaître son travail.

C’est parfois même le garant de la réussite du projet. Comme Jeff Koons, quand Skip

Arnold publie Iwantagirlfriend dans le magazine High Performance (numéro de

l’hiver 1985, p. 3)60, c’est aussi pour lui le moyen d’attirer l’attention sur son travail.

Plus particulièrement cela lui permet d’atteindre un grand nombre de petites amies

potentielles auxquelles il pourra ensuite proposer des rendez-vous, actions qui

constitueront sa performance. La réalisation de son projet dépend ici de la publicité

qu’il fera. Plus, certaines œuvres n’existent parfois pour le grand public que grâce à

l’intervention de l’artiste dans la revue qui documentera une œuvre de land art, de

performance, ou une activité artistique ponctuelle.

Pour en revenir aux inserts de Jeff Koons, il souhaite ici cultiver son image publique

grâce à l’image qu’il véhicule via ces publicités. Son but est de créer une aura autour

de son personnage en rivalisant avec le système de l’art : « J’essayais d’entrer en

59 Angelika Muthesius. Jeff Koons, Köln [Paris], Taschen, 1992, p77. 60 Cf. Volume iconographique p. 24.

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compétition, en tant qu’identité culturelle, avec le système hollywoodien »61. Jeff

Koons joue le jeu de la forte médiatisation des artistes, voire de leur starification. Il

prend les devants en mettant en scène lui-même son personnage, et en attirant

l’attention par l’ostentation voire la provocation. Cette aura lui permet

logiquement, par la suite, de stimuler l’intérêt du marché pour ses oeuvres. Anne

Goldstein mentionne cette complicité de Jeff Koons avec le système capitaliste et

particulièrement le marché de l’art, complicité qui est clairement d’un ordre

pratique62. Il a l’habitude d’exploiter ce système afin de d’élever son statut au sein

de la communauté artistique et de devenir une célébrité aux yeux du public. Il

pousse à l’extrême l’utilisation des médias de masse et joue avec le fonctionnement

de la société de consommation dans une période de boom économique. Les publicités

qu’il réalise font partie de cette démarche artistique générale, de sa recherche de

popularité et de célébration de sa personne. Ici, il tire partie, ouvertement, des

possibilités de la publicité dans les périodiques d’art pour servir ses intérêts. Il met

en application ce qu’Ernest T. révélait quelques années auparavant. Il maintient tout

de même une distance en posant certaines questions sociales, en ce qui concerne,

notamment, notre rapport au désir matériel ou de reconnaissance dans la société

actuelle. Aussi, le sexisme manifeste dans l’insert d’Art in America, où les femmes

apparaissent comme une marchandise, comme un attribut du succès de l’homme

parmi d’autres, ne fait que reproduire (et par la même pointe du doigt) le

fonctionnement de la société contemporaine et du monde de l’art comme le

remarque très justement Kevin Concanon cité dans le catalogue d’exposition Ex

Guide. We interrupt this Program : « Enfin, les images sexistes sont simplement

une stratégie parmi les nombreuses autres grâce auxquelles il aborde la

61 Ex Guide, We Interrupt this program. Print Ads and TV Spots by Artists (cat. expo.), Toronto, Mercer Union, 2009, p.A-08 : «I was trying to compete as a cultural identity with the Hollywood system». 62 Anne Goldstein, A forest of signs. Art in the crisis of representation, (cat. expo.), Cambridge (Masachussets), Londres, The MIT Press & Los Angeles, The Museum of Modern Art, 1989, p. 39.

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marchandisation et la séduction – et leur relation avec l’institution artistique »63.

Près de quatorze ans auparavant, Linda Benglis abordait elle aussi ce sujet, se

moquant de la figure de la pin-up et du macho, de façon extrêmement frontale, dans

un insert publicitaire aujourd’hui renommé du numéro d’Artforum de novembre

1974, avec le soutien de la Paula Cooper Gallery de New York. Jeff Koons ne formule

donc pas une simple critique du capitalisme, il interroge plutôt l’origine de celui-ci

en se rapportant à l’humain. Comme le remarque Kay Larson, il échappe ainsi à la

contradiction de vouloir critiquer le système capitaliste tout en y cherchant le

succès64.

Finalement, le travail de Jeff Koons épouse la fonction de la publicité et des

revues d’art qui toutes deux servent à promouvoir l’objet d’art tout en témoignant

de la complexité des rapports entre art et société de consommation. Non seulement

l’art devient un objet de consommation, mais il sert même, en devenant publicité, à

s’auto promouvoir et à se vendre. L’artiste joue en même temps avec les stratégies

du monde de l’art et avec celles du commerce. Ce qui a pour conséquence de faire

de son travail à la fois une œuvre critique et complaisante avec le système marchand

de l’époque comme l’explique Mary Jane Jacob dans son texte « Art in the age of

Reagan : 1980-1988 » 65. Cependant, faire de la publicité un projet artistique permet

à l’artiste de se la réapproprier. « Surfer » sur la vague du système marchand du

monde de l’art est sans doute une manière pour lui d’avoir prise sur celui-ci et d’y

exister sans s’y faire broyer, tout comme s’insérer au cœur des médias semble être

la seule façon de les critiquer. La différence est que Jeff Koons joue pleinement le

jeu de la publicité et va très loin dans le mimétisme. Cette dernière stratégie est

peut-être plus intéressante que les inserts qui s’affichent clairement comme critique

63 Op. cit. :« Ultimately the sexist images are simply one of several strategies by wich he adresses commodification and seduction – and their relationship to the institution of art. » 64 Ibidem., p.20. Anne Goldstein y reprend la citation de l’artiste : « How valid is any critique of capitalism that aims at total success within the succes ?» (« Master of Hype », New York, 10 novembre 1986, p.102.) 65 Mary Jane Jacob. « Art in the age of Reagan : 1980-1988 », Ibid., p.20.

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de la société ou du monde de l’art. Gonzales –Torres, dans une interview publiée

dans Art press66, abonde dans ce sens, en expliquant d’abord qu’il n’y a pas d’art non

politique. : « Si vous dites, je suis politique, je suis idéologique, cela ne marchera

pas, parce que les gens savent d’où vous venez. Mais si vous dites, « Salut, je

m’appelle Bob et voilà tout, » ils se disent que ce n’est pas politique. C’est invisible

et c’est vraiment efficace. »

Le travail de Jeff Koons a ceci d’intéressant qu’il peut se lire à différents niveaux.

Son art s’adresse à tous et il peut effectivement toucher tout type de personne,

instruite en art ou pas, par son utilisation distanciée des codes de la société de

masse et de l’industrie culturelle.

Ce type de production est donc double : l’insert publicitaire informe sur l’art

(telle exposition de tel artiste dans telles galeries) et il est lui-même œuvre d’art

(créée par l’artiste spécifiquement pour la page du magazine). En effet, ces quatre

interventions font partie, au même titre que les œuvres exposées en galerie, de la

série « Banality ». Notons qu’il existe aussi des lithographies de ces quatre

photographies, tirées à cinquante exemplaires. Ici, au lieu qu’une œuvre de l’artiste

soit reproduite pour la publicité, c’est la publicité qui est reproduite en lithographie,

comme l’attestent les noms des galeries qui demeurent sur les exemplaires. Non

seulement cette utilisation de la publicité élargie encore un peu plus les frontières

de l’art, mais elle inverse aussi le rapport habituel entre revue et galerie ou autre

institution d’art. Ce type d’insert fonctionne donc de la même façon que les cartons

d’invitations et autres travaux éphémères, ainsi que les catalogues réalisés par

certains artistes en marge de leur exposition. L’artiste - au fait de l’importance de

chaque maillon de la chaîne qui permet à son œuvre d’exister publiquement, de la

conception jusqu’à la promotion et la documentation - s’intéresse à chacune des

étapes, allant jusqu’à les prendre en main lui-même. Ces éléments secondaires le

66« Felix Gonzales Torres. Etre un espion », Interview par Robert Storr, Art press, numéro 198, janvier 1995, p.28.

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sont donc de moins en moins puisque l’artiste les intègre dans sa production

artistique. Selon Anne Moeglin-Delcroix, cette mainmise de l’artiste sur toutes les

étapes du projet artistique relève d’un désir d’autonomie et de contrôle de la

réception de son travail. C’est le cas ici de Jeff Koons, mais aussi de nombreux

autres artistes. Bien plus tôt, c’est par exemple un élément qui poussa Daniel Buren

à réaliser ses « posters publicitaires » pour ses cinq expositions à la galerie Wide

White Space à Anvers, en Belgique, de 1969 à 1974. Au début des années 1990, Jeff

Koons réitérera l’expérience des inserts publicitaires pour Made in Heaven dans

diverses revues telles que Galeries Magazine, Art in America, Flash Art.

Le travail de Jeff Koons condense nombres des caractéristiques qui motivent

l’intervention d’artistes dans les publications périodiques : forte capacité de

diffusion et de promotion, lieu efficace d’une critique des médias. Les inserts de Jeff

Koons ont aussi pour caractéristique d’exister en marge d’expositions qui ont lieu

dans les espaces traditionnels de monstration de l’art et de participer pleinement au

dispositif de promotion et de vente au sein du marché de l’art. Néanmoins beaucoup

d’artistes ont vu dans le périodique une échappatoire au passage obligé par

l’institution artistique et une façon de contourner les usages en règle dans le monde

artistique. La revue, le magazine, le journal permettent aux artistes d’exposer leur

art en sortant des sentiers battus des institutions artistiques. C’est cet autre enjeu

de l’intervention artistique dans la presse que nous allons étudier à présent.

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CHAPITRE 3: UN NOUVEAU FORMAT D’EXPOSITION : LE MUSÉE AU CŒUR DU

PÉRIODIQUE

Nous avons vu précédemment que les travaux d’artistes dans les publications

périodiques ont contribué à redessiner les contours de l’oeuvre d’art et qu’ils sont le

fruit d’une réflexion souvent intransigeante sur les médias de masse et leur fonction

au sein du marché de l’art. Nous allons maintenant nous intéresser au rapport que

cette pratique entretient avec l’institution muséale, symbole du monde de l’art. En

effet, en tant que lieux de diffusion importants, les médias de masses, et notamment

les revues et journaux, se sont transformés à plusieurs reprises en lieux d’exposition

pour les artistes, participant à la multiplicité grandissante des expositions

aujourd’hui. À travers les exemples de la revue suisse Trou et celui de Museum in

progress principalement, nous nous interrogerons sur les raisons qui ont pu motiver

des artistes comme des commissaires d’exposition à se tourner vers le périodique

comme espace d’exposition – et donc à délaisser l’institution muséale, au moins

momentanément. Nous nous intéresserons aussi aux nouvelles définitions du musée

et de la figure du commissaire d’exposition proposées par les acteurs de telles

expériences.

Trou : un projet éditorial et curatorial

Trou est une revue d’art fondée au début de 1979, à Moutier, par un groupe

d’amis venus d’horizons professionnels variés : le peintre Georges Barth, le

journaliste Jean-Pierre Girod, le sculpteur Umberto Maggioni, le graphiste Roger

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Voser et leur ami imprimeur vont former la première équipe de la revue. Ce comité

de rédaction sera rejoint pour un temps, à partir du deuxième numéro, par le

musicien et compositeur Roger Meier, puis plus récemment, par Josette von Arx,

architecte d'intérieur, et Konrad von Arx, commerçant, ainsi que par le graphiste Eric

Voser. Comme la plupart des nouvelles publications, Trou est née du constat d’un

manque dans l’environnement éditorial suisse, et plus particulièrement à Moutier,

commune francophone du canton de Berne. Les créateurs de Trou trouvent à

l’époque qu’il manque une publication permettant aux artistes de s’exprimer

librement. Ils décident alors de créer une revue multidisciplinaire qui viendrait

combler ce vide en se faisant « tribune d’artiste »67. Comme beaucoup des revues qui

décident de ménager des espaces de création vierges pour les artistes, Trou souhaite

s’écarter des « revues d’art traditionnelles qui cernent l’œuvre et l’artiste à travers

la critique et l’information traitées sous leurs formes les plus diverses »68. La quasi-

totalité de la revue est donc laissée entre les mains des artistes qui y présentent des

œuvres créées spécifiquement pour la revue ou tout du moins inédites. Ainsi, le

quatrième numéro sorti en 1984 présente des documents inédits qui ont servi à la

réalisation de la fontaine dessinée par Meret Oppenheim pour la Waisenhausplatz de

Berne, une suite de miniatures spécialement créées par Rolf Iseli pour le numéro de

Trou ou encore une œuvre du cinéaste Daniel Schmid qui n’existe que dans la revue

puisqu’il s’agit d’une suite de scènes de ses films préférés qu’il a rephotographié

puis reproduit par Photomaton, trouvant un moyen original de faire entrer le cinéma

dans la publication69. Pour chaque nouvelle sortie, les membres du comité de

rédaction soumettent des noms d’artistes parmi lesquels seront ensuite choisis, à

l’unanimité, les quatre ou cinq qui participeront au numéro en préparation. Les

artistes sont ensuite contactés et informés du fonctionnement et des conditions

d’une éventuelle collaboration avec Trou. La revue invite des artistes venant de 67 Editorial de Trou, numéro 1, 1979, p.3. 68 Ibidem. 69 Cf Volume iconographique p.25-29.

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disciplines diverses (arts plastiques, littérature, musique, architecture…) souvent liés

d’une façon ou d’une autre à la région de naissance de Trou. Elle se fait lieu de

rencontres, de contrastes parfois, mais surtout, son exigence d’œuvres inédites ou

pensées pour la revue la transforme en espace de création.

Le rôle du comité de rédaction est analogue à celui d’un commanditaire. Mais

cette « commande » ne va pas sans un espace de création aménagé par l’équipe de

la publication pour les artistes. La revue met en place les conditions nécessaires pour

que les artistes puissent réaliser leurs œuvres, seuls ou bien dans la rencontre avec

d’autres artistes (plusieurs ont réalisé des œuvres pour la revue en binôme). D’une

certaine façon, Trou fonctionne à la manière d’une résidence d’artistes, mais qui

serait dématérialisée, sans lieu fixe. En effet, le comité de rédaction se fait équipe

curatoriale et elle laisse un espace ainsi qu’un certain laps de temps (en fonction du

rythme des publications successives) à l’artiste pour qu’il puisse créer, non pas sur

un thème précis (mis à part le premier numéro qui traitait justement du « trou »,

avec par exemple l’oeuvre d’André Ramseyer sur le vide en sculpture) mais selon les

contraintes de production de la publication tels que les délais, le format de la revue

qui est resté inchangé depuis les débuts, sa maquette… Trou se fait à la fois espace

de création, œuvre d’art et lieu de monstration.

Le fonctionnement général de la publication est similaire à celui d’un centre

d’art, mais la différence majeure avec un lieu d’exposition traditionnel tient à la

souplesse de la revue et à ses faibles contraintes, face à la lourdeur

organisationnelle et la rigidité du premier, sans oublier bien sûr le moindre coût de

réalisation. Une autre revue suisse, Parkett, est fondée cinq ans plus tard sur une

ambition similaire, avec cependant une formulation différente. L’équipe de la revue

crée chaque numéro de la revue en étroite collaboration avec les artistes. Elle leur y

laisse un espace d’expression et va jusqu’à demander aux artistes de réaliser une

oeuvre pour la revue, insérée ou non dans la publication. Bice Curiger et Jacqueline

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Burckhardt, à la direction de la revue, expliquent que si elles ont fait le choix de la

revue pour défendre leurs idées et promouvoir le travail d’artistes, c’est justement

pour sa flexibilité, sa réactivité, sa mobilité aussi, atouts qui font défaut à une

galerie par exemple.

Avec Trou, le lecteur est donc face à un projet curatorial qui prend la forme d’une

publication périodique. Chaque numéro est en quelque sorte une nouvelle

exposition. Cette revue n’est pas le premier exemple de publication de ce type, mais

elle a la particularité de s’inscrire dans la durée, venant de sortir son dix-neuvième

numéro et de fêter ses trente ans d’existence. À plusieurs reprises, la publication,

qu’elle soit périodique ou non, a été vue comme une solution de substitution à

l’exposition telle que nous la connaissons habituellement, c’est-à-dire dans un

espace en trois dimensions où les œuvres d’art sont disposées et proposées à la vue

du spectateur. Dans son essai Du catalogue comme œuvre d’art et inversement70,

Anne Moeglin-Delcroix mentionne de nombreuses publications qui prolongèrent

l’exposition au sein de leurs pages dès la fin des années 1960 ou qui se substituèrent

entièrement à l’exposition. En 1989, le catalogue de l’exposition A Forest of signs.

Art in the crisis of representation (au Museum of Contemporary Art, Los-Angeles)

présente des travaux des artistes exposés, tout comme celui de l’exposition D’une

œuvre l’autre (Musée Royal de Mariemont, Belgique) publié par Guy Schraenen en

1996. Nous pouvons aussi penser à l’exemple plus précoce de la publication January

5-31, 1969, particulièrement probant. Le marchand d’art et ancien galeriste Seth

Siegelaub organise en janvier 1969 une exposition collective avec les artistes de la

mouvance conceptuelle et de l’art minimaliste Joseph Kosuth, Robert Barry, Douglas

Huebler et Lawrence Weiner sous la forme d’une publication intitulée January 5-31,

1969, où chaque artiste dispose de quatre pages, à sa guise. Ils présentent aussi deux

travaux chacun dans les murs d’un local prêté pour l’occasion. Cependant ces

70 Anne Moeglin Delcroix, « Du catalogue comme œuvre d’art et inversement », Les Cahiers du Musée national d’art moderne, n° 56-57, été-automne, 1996, p.95-117.

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derniers ne sont là qu’en plus de l‘exposition qui existe entièrement dans le

catalogue. Seth Siegelaub explique bien que « dans [son] esprit, l’exposition existait

tout à fait complètement dans le catalogue »71. Le rapport de causalité entre

l’exposition et la publication-catalogue, qui ne vient habituellement que de façon

secondaire pour éclairer et documenter la première, est donc inversé. Le local où

sont présentées quelques œuvres des artistes sert plutôt à délivrer certaines clefs

pour que l’on puisse plus aisément déchiffrer l’exposition dans le livre, et à en faire

la promotion. Cet exemple est un cas bien particulier car il s’inscrit directement

dans le sillage des questionnements développés par les artistes conceptuels. Il n’en

reste pas moins particulièrement intéressant quant à l’utilisation de la publication

comme espace d’exposition à part entière, et en ce qui concerne le rôle du

commissaire d’exposition qui se fait ici éditeur. Seth Siegelaub réitère ce mode

d’exposition à plusieurs reprises, notamment dans une revue d’art. Il propose à six

critiques (David Antin, Charles Harrison, Lucy Lippard, Michel Claura, Germano

Celant, Hans Strelow) de chacun éditer une section de huit pages dans la revue

Studio International (Londres) de juillet - août 1970. Comme Seth Siegelaub, chacun

d’entre eux se fait commissaire d’exposition, demandant à des artistes d’intervenir

dans la revue, dans un cadre précis, pour former une exposition dans la publication

qui se suffit alors à elle-même. Des critiques ou curators affirment aujourd’hui

encore la volonté de réaliser un projet de commissariat sous la forme d’une revue.

C’est par exemple le cas de Béatrice Méline et de la revue Hypertexte, exposé vs

exposition (Toulouse) qu’elle dirige. Ce projet est exprimé clairement dans le titre

de la publication et il est encore explicité dans le texte de présentation du premier

numéro publié en 2008. Hypertexte y est définie comme une revue qui « observe,

produit, diffuse des formes entre exposé et exposition – par là soutient ou participe à

des expériences critiques et curatoriales. Le projet éditorial de la revue Hypertexte

71 Ibidem, p. 108. Citation tirée d’un article de Jack Burnham, « Alice’s Head. Reflections on Conceptuel Art », Artforum, février 1970, p.39.

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est d’abord construit comme un commissariat : activer différents modes de pensée,

dans un jeu de création, de recherche sur le langage et le regard sur l’art. »72

Remarquons que Trou, contrairement à cette jeune revue, met totalement de côté

la dimension critique et réflexive sur l’œuvre dans la revue. Plus précisément, elle

laisse la possibilité à l’artiste de s’en charger si celui-ci le souhaite. Chaque artiste,

qu’il soit peintre, sculpteur, écrivain, poète, ou même architecte, intervient dans la

revue comme il le souhaite, tant qu’il répond aux quelques exigences de la

publication. « Nous disons que la revue appartient aux artistes ; le comité de

rédaction ne fait que susciter et exécuter» explique Konrad von Arx73, membre du

comité de rédaction de Trou. Il se dessine là une conception particulière du

commissariat d’exposition sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir.

C’est en fait l’envie de donner la parole aux artistes et de diffuser celle-ci qui amène

l’équipe de Trou à proposer une alternative aux expositions traditionnelles. Le

support qu’est la revue leur permet non seulement de créer plus aisément un espace

d’expression libre pour l’artiste mais aussi de réaliser une vitrine d’une certaine

production artistique contemporaine accessible au plus grand nombre une fois

exposée sur papier. Ils transposent en quelque sorte le fonctionnement d’un lieu

artistique dans le cadre de la revue, prenant en charge le commissariat, la

production, la diffusion des œuvres. Clairement, la motivation première de Trou

n’est pas de proposer une nouvelle solution à l’exposition en institution muséale,

mais plutôt d’utiliser les moyens à leur disposition pour défendre la création

artistique suisse, même si l’utilisation qu’ils font de la pubication comme lieu de

création directe pour les artistes, comme lieu de monstration et de diffusion, est en

elle-même une alternative à l’exposition traditionnelle.

Au contraire, le projet qui va à présent nous intéresser, Museum in progress,

cherche précisément à formuler une nouvelle définition du musée et de l‘exposition -

72 Béatrice Méline, « Hypertexte », Hypertexte, exposé vs exposition,n°1, 2007, p. 5. 73 Entretien avec Konrad von Arx, pour le comité de rédaction, en date du 8 avril 2010.

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notamment au sein de publications périodiques - plus en adéquation avec la société

actuelle.

Museum in progress : l’espace médiatique transformé en musée et la

définition du commissariat d’exposition comme catalyseur d’énergies

Museum in progress a été crée plus de dix ans après la revue Trou, en 1990 à

Vienne. Ce projet autrichien est initié par Kathrin Messner - qui a aussi créé une

librairie d’art à Bäckerstraße à Vienne - et par l’artiste Josef Ortner. Tous deux en

assurent aujourd’hui encore la direction. Museum in progress est un projet en cours,

« in progress », né d’une réflexion sur la manière dont l’art, au début des années

1990, peut être amené au public. Alors que les musées se multiplient dans les années

1980, les fondateurs de Museum in progress et leurs collaborateurs sont persuadés

que l’institution muséale n’est pas la seule réponse possible. Ils se sont alors

attachés à développer des façons innovantes de présenter l’art et ont mis en place

des expositions (terme qu’ils emploient eux-mêmes) dans divers médias. Ce choix

leur permet de diffuser l’art contemporain directement dans le tissu urbain et dans

la vie quotidienne des Autrichiens, via les médias de communication de masse.

Depuis la création de Museum in progress, de nombreux projets artistiques ont été

réalisés aussi bien dans des journaux quotidiens, dans des magazines, que sur des

panneaux d’affichages, des écrans électroniques de grand format, des façades de

bâtiments, ou encore à la télévision ou sur Internet (Museum in progress compte plus

d’une quarantaine d’expositions à son actif). Fonctionnant sur le mode d’une

association artistique privée, Museum in progress a mis en place des partenariats

avec divers médias pour produire avec eux des travaux d’artistes qui prendront place

au cœur même de ces médias. Les projets d’exposition de Museum in progress ne se

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réduisent donc pas un support unique, contrairement à Trou et à de nombreuses

autres publications de ce genre. Chaque projet d’exposition est pensé en fonction du

média utilisé. Nous nous intéresserons ici plus particulièrement à la longue

collaboration de l’association avec le quotidien viennois Der Standard74.

Museum in progress s’occupe de l’aspect financier et de l’organisation des

expositions alors que le travail curatorial à proprement parler (la sélection des

artistes, la définition du contenu des interventions etc…) est pris en charge par

plusieurs commissaires d’exposition invités. Parmi eux, Hans-Ulrich Obrist75 qui a

largement réfléchi et écrit sur l’exposition et le rôle du curator, Robert Fleck

(commissaire attaché à l’«Austrian Ministery of Art and Education), ou encore Stella

Rolling (commissaire attachée à l’Austrian Ministery of Commerce, Research and

Art). Museum in progress a en effet reçu le soutien financier de l’Etat autrichien pour

les premiers projets et petit à petit, a pu développer de nouveaux partenariats avec

des compagnies privées.

Nous mentionnions précédemment le comité de rédaction de la revue Trou

qui endosse le rôle de commissaire d’exposition. Ici, ce sont des commissaires

d’exposition de profession qui investissent la presse et d’autres médias. Mais tous, le

comité de Trou et l’équipe de commissaires de Museum in progress, semblent avoir

une conception de cette fonction similaire. En effet, dans ces deux cas, le curator

est présent pour susciter la création, il intervient comme activateur et comme

soutien à la création artistique, loin de la figure du « commissaire-créateur » qui se

développe dans les années 1980. Hans-Ulrich Obrist, à l’origine de nombreux projets

pour le Museum in progress dès le début des années 1990 - Museum in progress on

board (1993-94), Vital Use (1994-95), Do-it. Tv Version (1995-96), Secession Co-

operation. Cities on the move (1997-98), Large Scale Picture (2002-03) parmi

d’autres - parle d’ailleurs du commissaire d’exposition comme d’un catalyseur. Pour

74 Cf. Annexes p. 104. 75 Cf. Annexes, p. 107.

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lui la fonction principale du commissaire est d’aider les artistes et d’être un

« intermédiaire public ». Il ajoute que « par ailleurs, le commissaire devrait

également être un producteur ne se contentant pas d’exposer des œuvres mais de

trouver les moyens de produire et de conduire des recherches sur l’artiste»76. Sa

conception du commissariat d’expositions correspond tout à fait au travail mené par

Museum in progress mais aussi par des revues comme Trou qui vont chercher les

artistes et leur proposent à la fois un lieu de production, de diffusion et d’exposition.

Dans le cadre de Museum in progress, Hans-Ulrich Obrist a pris en charge plusieurs

expositions au sein de publications, notamment le quotidien Der Standard. Il ne se

restreint pas au cadre de Museum in progress pour réaliser ce type d’activités

puisqu’il participe aussi activement à un autre projet éditorial en tant que

commissaire d’exposition pour la revue parisienne Point d’ironie éditée par Agnès b.

depuis 1997. Chaque numéro de la revue (six par an environ, tirés à 100 000

exemplaires) est entièrement réalisé par un artiste et diffusé gratuitement par

envois postaux et dans les boutiques, galeries et librairies de la marque.

Nous allons à présent nous intéresser aux divers facteurs – notamment

l’expression d’une certaine insatisfaction face à l’institution muséale et aux

expositions qu’elle propose - qui semblent expliquer cet engouement pour la

publication périodique, désormais comprise comme un espace adéquat pour mener

des expériences de commissariat.

La formulation en creux d’une critique de l’institution muséale

Les nouveaux modes d’exposition à l’œuvre dans des revues comme Trou, ou

bien proposés par Museum in progress, construisent en creux une critique du musée

76 Hans-Ulrich Obristp. Dontstopdontstopdontstop, Dijon, Les presses du réel, 2007, p.49.

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traditionnel. Cette critique est également formulée par de nombreux acteurs du

monde de l’art (parmi lesquels des artistes qui ont voulu « infiltrer » les périodiques,

ou qui ont collaboré avec l’équipe de ces derniers) dès les années 1960. Les

créateurs et les collaborateurs de Museum in progress, en particulier, ont exprimé à

plusieurs reprises la forme que devrait prendre selon eux le musée du XXIe siècle.

L’historien d’art Alexander Dorner (1893-1957) est pour eux une référence

importante. Directeur de plusieurs musées en Europe puis aux Etats-Unis durant la

première moitié du XXe siècle, Alexander Dorner a développé une conception

progressiste du musée, en pensant celui-ci non pas comme une institution figée mais

bien plus comme une « centrale électrique, un producteur d’une nouvelle

énergie »77. Dans un texte au sujet de Museum in progress78, Ralph Ubl, remarque

très justement que le Museum in progress est une sorte d’interprétation actualisée

du type de musée défendu par Alexander Dorner. Museum in progress n’a du musée

traditionnel que le nom : ce n’est pas une institution fixe sorte de palais pour

œuvres d’art, mais c’est plutôt un musée métaphorique, un initiateur permettant de

stimuler la création artistique. Museum in progress propose un modèle du musée du

XXIe siècle qui « existe en tant que structure flexible et établit une forme qui

apparaît directement dans l’espace médiatique »79. Cette formulation directe du

musée et de l’exposition dans les médias est une revendication fondamentale des

créateurs du Museum in progress. Bien que cette dernière ne soit pas nécessairement

formulée expressément, elle semble toute aussi pertinente pour penser les travaux

d’artistes utilisant les médias de communication de masse, dont la presse.

Nous avons vu dans le chapitre précédent que l’insertion d’œuvres dans un

média de communication de masse, qu’elle soit à l’initiative de l’artiste seul, d’un

77 Cette citation est reprise dans le site www.mip.at. [En ligne : http/www.mip.at/en/index.html. Consulté le 22 mai 2010] : « the new type of art institute cannot merely be an art museum as it has been until now, but no museum at al. The new type will be more like a power station, a producer of a nex energy » 78 Ralph Ubl. Ibidem., 1992. 79 Ibid. : « The museum of the 21st century exists as a flexible structure and establishes the form in which it appears directly in media space. »

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comité de rédaction ou bien d’une association artistique comme Museum in progress,

permet une visibilité accrue, une large diffusion et d’exprimer un point de vue

artistique directement dans la société. C’est donc la possibilité de renouer avec les

« réalités » quotidiennes, de tisser un lien direct entre l’œuvre d’art et un grand

nombre de personnes, ce sans passer par le filtre de l’institution muséale. Hans-

Ulrich Obrist remarque en effet que beaucoup d’artistes, au moment où se

développent les contributions à la presse, formulent une « critique permanente du

fonctionnement traditionnel des galeries d’art et des institutions, par leur refus de

tout prédéterminisme qui imposerait au spectateur une certaine façon de

regarder »80. Seth Siegelaub exprime lui aussi une défiance vis-à-vis de l’institution

muséale. Lorsque Hans-Ulrich Obrist le questionne sur sa relation avec les musées,

Seth Siegelaub explique avoir essayé de les éviter le plus possible, les considérant

comme des structures trop peu flexibles et qui ne laissent pas assez de liberté ni au

conservateur, ni à l’artiste, ni au public81. Il continue en évoquant la routine et

l’inertie dans laquelle il a pu se sentir prisonnier en allant visiter une exposition dans

les lieux habituels de l’art: « aller voir de l’art à New York - et j’imagine que cela

aurait été la même chose dans d’autres lieux – voulait dire se rendre dans des lieux

d’« art » consacrés ou sacrés, galeries comme musées, où l’on effectuerait alors des

visites de façon plus ou moins automatique »82. Seth Siegelaub décrit ici des

expositions sans surprise pour le visiteur passif. L’art dans les publications est selon

lui une solution pour casser cette routine, surprendre le spectateur quand il ne s’y

attend pas. Museum in progress cherche également à éviter cet écueil et à susciter

l’attention du public en le surprenant. C’est pourquoi il propose des œuvres

80 Hans-Ulrich Obrist, Dontstopdontstopdontstop, Dijon, Les presses du réel, 2007, p.38. 81 Hans-Ulrich Obrist, Op.cit., p.119 :« The way I have been involved with structures is by tring to avoid them, cutting across them, or at least by tring to avoid static structures, or trying to create flexible structures that correspind to real needs. In a certain way, in my specific case, this is related, on the one hand, to the type of art I was interested in , and on the other, to my personal economic situation, and my take, my analysis of the art world » 82 Ibidem, p.119 : « as I have mentionned on a number of occasions, going to look at art in NewYork -and I would imagine this was the case in other places- meant going to consecrated or sacred gallery or museum ‘art’ spaces, where you would visit more or less automatically.»

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éphémères, qui lorsqu’elles apparaissent dans notre quotidien attire notre regard,

contrairement à ce que nous avons tous les jours sous les yeux, œuvre d’art ou pas.

Les artistes aussi vont parfois se détourner du musée. Par exemple, certains mettent

en place et dirigent des lieux alternatifs et expérimentaux, d’autres utilisent les

médias comme lieu d’exposition. Ces nouveaux espaces leur permettent de contrôler

leur production, du début à la fin avec la présentation au public. C’est donc pour eux

une façon de reprendre en main le parcours de leur œuvre. Cette recherche

d’indépendance va également dans le sens du rôle du commissaire d’exposition

comme catalyseur, défendu par Museum in progress ou mis en place par Trou, et non

plus du commissaire comme créateur montant « son » exposition à partir d’œuvres

d’art.

Une certaine défiance vis-à-vis de l’institution muséale qui empêcherait toute

« vie sociale » de l’œuvre a aussi été exprimée par divers acteurs du monde de l’art.

Le recours aux médias de masse apparaît comme une solution alternative de

diffusion et d’exposition. À ce sujet, le discours de Robert Smithson, figure de proue

du Land art dans les années 1970, artiste qui s’est donc lui aussi éloigné du musée,

est intéressant. En effet, dans un de ses textes83, l’artiste qualifie le musée de

« prison culturelle » pour les œuvres d’art déconnectées du monde. Il développe une

longue comparaison du musée avec l’univers carcéral, en s’attachant à dénoncer

l’interventionnisme des professionnels du musée (conservateur, commissaire

d’exposition), mais surtout la neutralisation de l’œuvre d’art une fois que celle-ci est

placée dans les salles blanches et compartimentées des musées. L’artiste explique

qu’ « il y a un emprisonnement culturel quand un conservateur, au lieu de laisser

l’artiste établir lui-même les limites de son œuvre, impose les siennes. On attend

des artistes qu’ils s’adaptent à des catégories frauduleuses. Certains d’entre eux ont

83 « L’emprisonnement culturel » publié dans le catalogue de la Documenta 5 de Cassel en 1972 et republié dans l’anthologie de textes réalisée par Hal Foster, Rosalind Krauss, Yves-Alain Bois et Benjamin H.D. Buchloh. Art since 1900, Modernism, Antimodernism, Postmodernism, Londres, Thames & Hudson, 2004 p. 1032-1034.

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l’impression de dominer le système mais ce sont eux qui sont dominés. Ils finissent

donc par soutenir une prison culturelle qui les assujettit. Eux-mêmes ne sont pas

enfermés évidemment, mais leur production l’est. Il y a dans les musées, comme

dans les asiles et les prisons, des cellules et des quartiers, en d’autres termes, des

salles neutres nommées “galeries”. Une fois placées dans un tel lieu, l’oeuvre perd

sa fonction pour n’être plus qu’un simple objet transportable ou une surface

déconnecté du monde extérieur. Une pièce éclairée vide et blanche est en elle-

même un espace soumis à la neutralité. 84» Robert Smithson ajoute plus loin que « la

fonction du gardien-conservateur est de séparer l’art du reste de la société ». Dans

le musée, l’œuvre d’art est « complètement neutralisée, rendue inefficace,

abstraite, inoffensive, elle est prête à être consommée par la société ». Les propos

de l’artiste ne nient pas ici le rôle de médiateur de l’institution muséale entre

l’oeuvre le public. Il pointe simplement du doigt le fait que celui-ci, en tant

qu’espace neutre, sacralisé et séparé de la vie quotidienne, désactive en quelque

sorte l’oeuvre en la déconnectant des réalités sociales, économiques et politiques. À

ce propos, Leszek Brogowski nous remémore le premier rôle du musée dans un texte

écrit à l’occasion d’un colloque sur « L’imprimé et ses pouvoirs dans les langues

romanes »85. Il rappelle qu’une des fonctions premières du musée est de conserver et

de protéger les œuvres d’art faisant désormais partie du patrimoine (notion qui

émerge à l’époque des premiers musées) en les déplaçant « dans le domaine de la

mémoire collective par une décontextualisation forcée», ceci afin de pouvoir les

transmettre aux générations futures. Il fait alors la distinction entre les œuvres d’art

qui existent tout d’abord en tant que « symboles “vivants”, […] fonctionn[ant] dans

les circuits sociaux » et les « “objets culturels”, décontextualisés et sacrés en tant

84 Ibidem.p.1032-33. 85 Leszek Brogowski, « Le livre d’artiste et son pouvoir théorique », In Ricardo Saez, (sous la dir. de). L’imprimé et ses pouvoirs dans les langues romanes, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006. Texte publié à l’occasion du colloque international « L’imprimé et ses pouvoirs dans les langues romanes», Rennes, 5-7 octobre 2006.

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que trésors du patrimoine, donc intouchables, dont la place est désormais dans les

collections publiques » que les œuvres deviennent ensuite. Leszek Brogowski insiste

bien sur cette temporalité, sur l’idée d’une première vie de l’oeuvre dans le tissu

social, et ensuite seulement sur sa sacralisation, une fois que celle-ci a rempli sa

première « fonction ». Or, cette chronologie n’est pas toujours respectée et l’est de

moins en moins à l’époque où l’œuvre est perçue comme un objet de consommation,

allant directement de l’atelier de l’artiste au musée ou dans une collection privée.

C’est bien cette idée d’une œuvre-marchandise déconnectée de la réalité que

semble critiquer et chercher à éviter Robert Smithson, comme les artistes qui créent

des livres et revues comme œuvres d’art à part entière, ou encore qui réalisent des

travaux dans les médias. Le livre d’artiste et la revue d’artiste, par leur diffusion

dans la société, cherchent à échapper à cette neutralisation et à retrouver leur

effectivité sociale. L’auteur qualifie les livres d’artistes en particulier, de « lieu[x]

hors pouvoir », qui viseraient « à échapper au “monde de l’art” afin de retrouver la

vie et flirter avec elle ».86 L’insertion artistique dans la presse partage de nombreux

points communs avec le livre d’artiste et relève elle aussi de cette dynamique.

L’insertion d’œuvres d’art dans les périodiques, non spécialisés en art plus

particulièrement, permet une mise en rapport des plus directes de l’art avec les

différents domaines de la vie quotidienne. L’art côtoie au sein même du périodique

des contenus divers et variés : économiques, politiques, sociaux… Les journaux,

magazines et revues, loin des espaces vides blancs et neutres du white cube sont des

espaces composites. Ils sont le lieu même de la juxtaposition d’univers différents,

voire opposés.

« Vital Use », un de projets menés par Hans-Ulrich Obrist avec Museum in

progress est significatif de la recherche d’un espace de création « vital » pour

l’artiste, au cœur des médias de masses, et donc au cœur de la société. Entre le

86 Ibidem , p. 305.

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mois d’octobre 1994 et le mois de septembre 1995 le co-commissaire d’exposition,

avec Stella Rollig, invitent plusieurs artistes à exposer leurs œuvres au sein du

principal journal quotidien autrichien Der Standard. Hans-Ulrich Obrist explique que

« le point de départ de Vital Use tient au fait que de plus en plus d’artistes créent

leurs propres structures de production et de distribution, suite à leur insatisfaction

face aux structures existantes »87. « Vital Use » leur donne la possibilité de présenter

leur travail sous la forme d’une exposition au sein d’un journal, c’est-à-dire dans un

autre lieu que le musée ou la galerie que ces artistes cherchent à contourner pour

diverses raisons notamment évoquées ci-dessus. Stewart Brand ajoute que l’un des

intérêts de l’exposition repose aussi sur le fait que ces artistes partagent

« l’intention d’associer différentes sphères au sein de leur travail et d’étendre leur

propre pratique à diverses sphères »88. Nous retrouvons d’ailleurs des artistes

habitués à travailler dans des publications. Par exemple, Hans Peter Feldmann a

réalisé de nombreux livres d’artiste et a créé plusieurs publications périodiques dont

Image en 1979. De façon plus anecdotique, à l’occasion d’un entretien avec Hans-

Ulrich Obrist, il fit le choix de répondre aux questions de ce dernier en images,

créant une œuvre à partir des questions du commissaire, dans AnOther Magazine

(numéro 16, été-automne 2009). Yoko Ono, qui a réalisé bien plus tôt des inserts

dans des journaux comme Art and Artist (Royaume-Unis) en 196689, participe elle

aussi à « Vital Use ». Hans Peter Feldmann intervient sur trois des pages du journal

87 Hans-Ulrich Obrist, sélection de textes sur Vital Use, sur le site www.mip.at/http [ En ligne: http://www.mip.at/en/projekte/13.html. Consulté le 3 juin 2010 ] :« The starting point of Vital use is the fact that more and more artists are creating their own production and distribution structures out of their dissatisfaction with the existing structures. » 88 Stewart Brand, Ibidem. : One focus lies in the intention of all participating artists to involve different spheres and to expand their own activity into different spheres. » 89« Interview » , AnOther Magazine, printemps-été 2009, p. 363-373. Version digitale : www.anothermagonline.com [En ligne : http://www.anothermagonline.com/anothermag/2009springsummer. Consulté le 6 mai 2010] Yoko Ono, « Foutain Piece », Art and Artists, vol. 1, n°7, octobre 1966, p. 44 et « Moutpiece », Arts ans Artists, vol. 1, n°8, novembre 1966, p. 39.

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du 7 et 8 décembre 1994, sous la forme d’encadrés90. Il y insère des photographies en

noir et blanc, sans légende, dans la lignée de sa pratique. L’artiste collecte des

images provenant de diverses sources, qu’il réordonne à sa guise pour ensuite les

présenter, mettant le doigt sur la nature problématique de l’image dans une société

qui en est inondée. Ici, dans Der Standard, seule la légende indiquant qu’il s’agit

d’un projet Museum in progress apparaît. Quant à Yoko Ono, elle intervient sur la

page 19 du journal du 13 septembre 199591. Elle reprend le slogan manifeste « War is

over if you want it » imprimé sur des affiches ou encore sur des panneaux

publicitaires dans le cadre de la lutte contre la guerre que menait l’artiste avec son

conjoint John Lennon à l’époque (dont le nom apparaît d’ailleurs aux côtés de celui

de Yoko Ono dans l’insert de 1995). Elle y en ajoute les dates 1969 (date à laquelle

ce slogan fut créé) et 1995, l’année de ce second manifeste. Alors que le premier

travail fait référence à la guerre du Viêt-Nam, son message pacifique se trouve

tristement réactualisé, au moment où les conflits se succèdent en ex-Yougoslavie.

Les interventions de « Vital Use » mettent en exergue la porosité de la frontière qui

sépare l’art et la vie, tout en montrant que de nombreuses expériences artistiques

ont leur place dans cet espace hybride, cet entre-deux que le journal propose.

Face à l’institution muséale qui historicise, sacralise et neutralise l’oeuvre

d’art, Museum in progress propose le modèle d’un musée sans mur, partout et nulle

part à la fois, qui profite de l’espace médiatique pour se répandre dans le quotidien.

La collection constituée d’œuvres réalisées dans des journaux, revues et magazines,

se diffuse dans la société où les flux d’images et d’informations sont incessants. Les

oeuvres s’éparpillent aux quatre coins du monde. La préservation de ces œuvres

d’art – laborieuse, mais qui reste tout de même possible dans le cas des travaux dans

les publications périodiques - est alors laissée à l’appréciation du public.

90 Hans-Peter Feldmann, « Vital Use », Der Standard, 7-8 décembre 1994, p.4,8, et 33. Cf. volume iconographique, p.30. 91 John Lennon & Yoko Ono, « Vital Use », Der Standard, 13 septembre 1995, p.19. Cf. volume iconographique, p.30.

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La définition de l’exposition comme dispositif médiatique

Jusqu’ici nous avons vu que de nombreuses publications ont été le lieu

d’application de projets de commissariat d’exposition, que ce soit dans le cadre

d’expériences conceptuelles à la fin des années 1960, ou bien dans le but de

redonner la parole aux artistes, ou encore comme partie prenante d’une réflexion

sur la place de l’art dans la société et sur le rôle des médias. Le mot « exposition »

ou bien des termes proches (Trou parle de ses numéros comme autant de « vitrines »

fragmentaires de l’art contemporain), sont chaque fois utilisés voire revendiqués par

les acteurs de ces aventures éditoriales. Son utilisation peut néanmoins nous sembler

incongrue, tout comme l’idée d’un musée dans un journal. D’ailleurs, au sujet des

travaux réalisés dans Der Standard par Museum in progress, Vitus H Weh s’étonne

faussement :« un musée dans un journal, alors. Si ce n’est pas insensé »92. Mais la

question nous vient en effet à l’esprit : peut-on vraiment parler d’une exposition au

sein d’une publication, et comment entendre alors ce terme ?

Il faut en fait comprendre l’exposition selon la définition que Jean Davallon

en donne dans son ouvrage L’exposition à l’œuvre qu’il publie en 1999. L’auteur y

analyse l’exposition en tant que média, c’est-à-dire un « lieu d’interaction entre le

récepteur et les objets, images, etc »93, ce qui permet donc d’envisager l’exposition

sous de multiples formes, y compris celle de la publication. Jean Davallon poursuit

en expliquant que l’exposition n’est autre qu’un dispositif social et un « agencement

de choses dans un espace avec l’intention de rendre celles-ci accessibles à des

sujets »94. Ici, le terme « choses » peut tout à fait inclure des visuels, des images,

comme le mot « espace » peut aussi faire référence à une publication. L’utilisation

du terme « exposition » pour parler de la monstration de travaux d’artistes dans un 92 Vitus H Weh, Op.cit Vienne, 1998 : « A museum in the newspaper then. If that is not nonsensical. » 93 Jean Davallon. L’exposition à l’œuvre : stratégies de communication et médiation symbolique, Paris, l’Harmattan, 1999, p. 233. 94 Ibidem., p.14.

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périodique est donc légitime, d’autant plus que ce dernier est lui-même un dispositif

social, visant à rendre accessible un contenu, d’une extrême efficacité - grâce

justement à la mobilité, la large diffusion, la souplesse, etc., caractéristiques des

périodiques que nous avons déjà mentionnées. Nous devons en fait nous détacher de

notre conception traditionnelle de l’exposition (un certain agencement d’œuvres

d’art proposée à la vue du public dans un espace tridimensionnel, permettant de se

déplacer, de suivre un certain parcours dans l’espace), conception à laquelle

l’institution muséale nous a habitué, mais qui n’est qu’une application parmi

d’autres du concept d’exposition. Les « formats de l’exposition »95 sont pluriels, les

propositions des curators (professionnels, artistes, critiques…) infinies.

Les expositions dans la presse, les revues, les magazines peuvent elles-mêmes

prendre des formes variées. Nous avons mentionné plus haut l’intervention de Yoko

Ono qui réalise un insert individuel et autonome, bien qu’il ait été créé dans le cadre

plus général de « Vital Use ». Les artistes peuvent aussi intervenir sur plusieurs pages

et ainsi construire un parcours adapté à la publication pour le lecteur-public. Les

productions sont parfois présentées de façon très linéaire, les diverses entités de la

contribution mises sur un pied d’égalité. Parfois, l’accent est mis sur tel ou tel

composant, les artistes profitant des jeux d’échelles permis par la publication pour

mettre en avant ou montrer le détail d’une œuvre. Par exemple, dans le numéro 11

de la revue Trou (2000), le photographe italien Ferdinando Scianna présente sur

plusieurs pages de la revue une série de clichés qu’il a réalisée sur le thème du

miroir au fil des années. La présentation est sobre, les photographies légendées sont

présentées parfois sur une page, parfois en plus grand format sur une double page,

de manière à former une sorte d’exposition thématique et rétrospective sur plusieurs

95 Cf. le dossier « Les formats de l’exposition », Mouvement, janvier-mars 2010, numéro 54, p.86-119. Le dossier comprend d’ailleurs deux travaux d’artistes : « une exposition rêvée pour l’artiste Barbara Breitenfellner, ou pour Ulla von Bradenburg la continuité d’une exposition dans l’espace d’un journal », pour reprendre les mots de Valérie Da Costa (p. 89).

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pages de la revue96. Le même dispositif est mis en place dans le numéro 14 qui

propose cette fois-ci des portraits photographiques d’artistes et écrivains réalisés par

Martine Franck (qui a fait partie d’agences photographiques de renom comme Vu,

Viva et aujourd’hui Magnum)97. Nous avons ici évoqué des travaux photographiques,

dont les changements d’échelles sont identiques à ceux que permettrait un tirage

photographique. Dans le numéro 18 de Trou (2008) les deux architectes Jacques

Herzog et Pierre de Meuron présentent leur projet pour l’auditorium du Jura, en

multipliant les types de « documents » comme on a coutume de le voir dans des

expositions d’architecture, et proposent des zooms sur certains visuels.98

L’agencement des œuvres présentées, c’est-à-dire le dispositif mis en place par

l’artiste (ou bien délégué au graphiste de la revue), leur confère un rôle particulier,

les uns par rapports aux autres. Dans la présentation de l’œuvre, certains vont

jusqu’à jouer avec la périodicité de la publication. Nous l’avons vu avec l’exemple

des feuilletons de Libération au début des années 1980 dans notre second chapitre.

C’est aussi le cas de Stephen Kaltenbach et de sa série Art works dans les pages

d’Artforum de novembre 1968 à décembre 1969, ou de l’artiste sud-africain Walter

Battiss qui réalise une série inserts dans des espaces publicitaires de Studio

International sur plusieurs années (de janvier 1972 à juillet - août 1974). Les

périodiques permettent une exposition en plusieurs étapes, proposant une autre

temporalité, une présence de l’art plus diffuse, à la fois dans le temps et dans

l’espace.

Remarquons enfin que lorsque l’artiste crée spécialement pour la publication,

son intervention est à la fois oeuvre et présentation de l’œuvre puisque le support et

la création sont indissociables. L’artiste produit en même temps un travail et un

discours sur celui-ci. Même si un commissaire d’exposition intervient parfois comme

initiateur du projet, l’intervention dans la publication permet à l’artiste d’être 96 Cf Volume iconographique p. 31. 97 Cf Volume iconographique p. 32. 98 Cf Volume iconographie p.33-34.

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maître de sa production, du début jusqu’à la fin. L’exposition réalisée par Pierre

Leguillon à partir du travail de Diane Arbus dans les publications périodiques « Pierre

Leguillon présente Diane Arbus : Rétrospective imprimée (1960-71) » à la Kadist Art

Foundation, à Paris, en 2009, met le doigt sur la dualité de cette pratique. Le regard

que porte l’artiste sur le travail de Diane Arbus pour les magazines, et ses choix

d’accrochage à la Kadist Art Foundation sont éloquents. Pierre Leguillon expose les

pages des revues et magazines où l’artiste a présenté ses travaux, chacune mise sous

verre et disposée sur les murs de la fondation. En fait, l’artiste réalise une exposition

non pas seulement à partir d’œuvres d’art mais à partir d’une exposition (mais qui

est rarement vue et comprise comme telle). L’accrochage de ces pages de magazines

agit comme un révélateur, permet d’attirer l’attention sur ce travail. Une première

exposition a déjà lieu, en dehors de la Kadist Foundation, dans chaque revue que

l’artiste a investie. Le titre même de l’exposition va dans ce sens : la rétrospective

est déjà imprimée, elle est déjà contenue dans les magazines. Pierre Leguillon se

contente de les rassembler et d’inviter à porter un nouveau regard sur cette

production de Diane Arbus. Cette exposition de Pierre Leguillon est particulièrement

riche parce qu’il ne « travaille non [pas] avec l’image de l’oeuvre mais avec son

contexte d’apparition : l’exposition » explique Vincent Romagny.99 Dans le sillage des

artistes appropriationnistes, il reprend, non plus une oeuvre, mais une exposition

pour créer la sienne.

La définition de l’exposition comme média nous permet de comprendre

chaque intervention d’artiste dans les périodiques comme une exposition, qu’elle

soit à l’initiative de l’artiste ou bien le fruit d’un travail de collaboration entre un

journal, un magazine ou une revue et l’artiste. Ces expositions sont d’envergure plus

ou moins grande et varient dans leur forme, au sein même des publications selon 99 Vincent Romagny, «A partir de Pierre Leguillon présente Diane Arbus, Rétrospective imprimé 1960-1971 », May, n°1, juin 2009, p. 122.

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l’espace investi par l’artiste et sa manière de l’envisager. Aussi, c’est l’idée

métaphorique d’un musée comme matrice, et la conception du commissaire comme

catalyseur d’énergie artistique, qui nous permet de penser les projets de

commissariat sous la forme éditoriale. Les travaux d’artistes dans la presse, qui ont

pu se construire contre l’institution muséale, ne se séparent pour autant pas de la

notion de musée ni d’exposition. Ils en retiennent l’essence, la notion de lieu de

médiation, d’interface entre l’art et le public, en même temps qu’ils en proposent

une nouvelle formulation, plus en adéquation avec la société de masse et de

communication contemporaine.

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CONCLUSION

Les travaux d’artistes dans la presse sont ancrés dans la période de remise en

question et de bouleversement du fonctionnement du monde de l’art et des

frontières de l’oeuvre d’art. Non seulement ils participent à la redéfinition de l’objet

d’art, de ses conditions de production et de réception, mais ils sont aussi le fruit de

la prise en compte et de l’adaptation de l’artiste aux modes de vie et de

communication de la société contemporaine.

Les quelques exemples abordés témoignent de la diversité de ces travaux.

Certains, comme ceux de Fred Forest, Ernest T. ou Jeff Koons, prennent la forme

d’inserts autonomes, c’est-à-dire réalisés à la seule initiative de l’artiste et

simplement tolérés par la publication, à titre onéreux. D’autres résultent d’une

réelle collaboration entre le périodique et l’artiste, que ce soit grâce à un

intermédiaire tel que Museum in progress, ou bien, qu’ils soient intégrés au projet

éditorial même de ladite publication, comme c’est le cas d’Ártics, de Trou ou de

Libération. La diversité des oeuvres n’est que le reflet de la multiplicité des

possibilités que permet le travail au sein d’une publication périodique. Ce sont les

acteurs de ces projets (artistes, directeurs de publications, journalistes, critiques,

commissaires d’exposition), leurs préoccupations et leurs centres d’intérêts, comme

les moyens de production des publications (noir et blanc ou bien couleur, nombre de

pages…), et enfin le type de publication (presse quotidienne, magazine, revue

spécialisée…) qui déterminent la nature des travaux. C’est du croisement de ces

facteurs que découlent des œuvres diverses et variées, à chaque fois singulière.

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Il faut ajouter à cela que des artistes de « familles » variées se sont intéressés

à ce type de pratique. Qu’ils viennent de l’Art conceptuel, de la Poésie visuelle, de

l’Art sociologique, ou bien qu’ils portent une attention particulière aux moyens de

communication ou à l’utilisation et à la nature des images dans la société

contemporaine, travailler au sein d’une publication périodique leur est apparu

approprié et pertinent à un moment de leur carrière. Ces travaux ne sont pas

l’affaire de spécialistes. Au contraire, ils existent de façon parallèle à une pratique

artistique autre ou bien dans le prolongement de celle-ci.

Si nous nous plaçons à présent du côté de la publication, nous avons pu

constater que de plus en plus de périodiques sont à l’origine de ces travaux,

prouvant leur volonté de travailler étroitement avec l’artiste - qui lui-même ne se

contente aujourd’hui plus de créer seul dans son atelier ou sur le motif - et de lui

proposer un espace, plus ou moins important, où il pourra mettre en œuvre ses

propres moyens d’expression. Grâce à cette prise de conscience de la part des

directeurs de publication et grâce à la mise en place d’association comme Museum in

progress faisant le lien entre les publications et les artistes, ceux-ci n’ont plus

nécessairement besoin d’aller à la conquête des médias seuls ou bien avec l’appui de

leur galerie.

Non seulement les travaux d’artistes dans la presse donnent naissance à un nouveau

type de pratique artistique, mais aussi à un nouveau genre éditorial, proche du

commissariat: les artistes créent pour et dans la publication qui se fait espace

d’exposition. Certains directeurs de publication - tels que Béatrice Méline et la revue

Hypertexte (Toulouse, 2008) déjà citée, Catherine Chevalier et Eva Svennung avec

May (Paris, 2009) ou encore Carla Demierre, Fabienne Radi et Izet Sheshivari avec

Tissu (Genève, 2004) - vont plus loin encore, en acceptant totalement la valeur

discursive de l’image et la capacité de l’artiste à formuler une critique. Ils intègrent

alors les travaux d’artistes à leur publication comme autant d’exposés, accouchant

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cette fois-ci d’un nouveau genre rédactionnel. Il s’agit juste là d’un autre registre de

travail dans la presse, d’une autre façon de considérer la place de l’artiste au sein

de la publication.

La récupération de cette pratique - originellement initiée par les artistes seuls - par

les publications périodiques, n’est donc pas nécessairement synonyme d’une perte

d’intérêt et de pertinence de ces travaux. Certes certaines publications se

contentent de « surfer sur la vague » et de présenter des projets d’artistes sans

grand intérêt. L’artiste ne fait alors qu’ « occuper la page » pour reprendre les mots

d’Ernest T. dans l’insert qu’il réalise dans Public en 1984. Paradoxalement, l’insert

peut alors servir le système contre lequel il a pu s’ériger à ses débuts. Mais ces

publications peuvent aussi être comprises comme autant de signes de bonne santé

d’une pratique artistique qui suscite l’intérêt. De nombreux exemples, parmi

lesquels certaines des publications citées dans cette étude, viennent contredire la

prédiction d’Adorno qui, comme nous le rappelle Armand Mattelart, voyait dans la

sérialisation et la standardisation « la faillite de la culture, sa chute dans la

marchandise »100.

Il est clair que tous les travaux abordés dans cette étude sont multiples,

parfois opposés les uns aux autres, et relèvent d’enjeux particuliers. Mais ils ont pour

point commun de toujours faire le pont entre deux sphères souvent séparées : celle

de l’art et celle du quotidien de tout un chacun. Après l’étude de ces quelques

exemples, il semble que la notion d’intermédiaire soit essentielle dans cette

pratique. Tout d’abord, ces travaux n’existent que dans un espace d’entre-deux qui

n’est ni entièrement celui de l’art, ni celui d’un simple périodique, ce qui ne facilite

probablement pas l’acceptation de ces travaux comme des œuvres d’art à part

100 Armand Mattelart, La communication-monde, histoire des idées et des stratégies, Paris, Editions la Découverte, 1992, p.230-231.

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entière. Ensuite, le terme « média » nous apparaît central dans cette pratique. Il

scande d’ailleurs le développement de notre étude. Cette notion émerge

premièrement dans un sens empirique, à travers l’idée de la revue faîte médium,

lieu de fusion d’un contenu et d’un matériau, d’une forme. Plus communément, elle

se manifeste ensuite via la caractéristique communicative de ces travaux, qui

prennent vie dans un moyen de communication, de transmission d’un message. Un

lien direct est tissé avec le public, sans aucun intermédiaire. C’est justement à

travers cette dernière notion de médiation que le terme « média » se manifeste. Ces

travaux contiennent en eux-mêmes une valeur de médiation, qui est mise en œuvre

selon l’espace de la publication. La publication périodique condense toutes les

nuances du mot « média » et concentre aussi les diverses étapes de la construction

et du parcours d’une œuvre d’art : la conception, la production, la diffusion,

l’exposition.

La transmission, l’échange, mais aussi l’hétérogénéité, la collision de sphères

habituellement étrangères semblent caractériser tous ces travaux, aussi différents

soient-ils. Ces attributs sont en fait le prolongement de la nouvelle posture que

prend l’artiste lorsqu’il réalise ces œuvres, non seulement de façon collective (il a

au moins besoin de l’accord du membre de la publication qui supervise les espaces

publicitaires ou bien de petites annonces) mais aussi face à un large public. Helmut

Draxler évoque la figure de l’artiste dans le texte de 1991 « The Message as

Medium » qu’il écrit au sujet de l’exposition du même nom, réalisée dans le cadre de

Museum in progress. « L’artiste est aussi confronté à un public qui ne s’attend pas à

trouver de l’art dans un tel cadre. Cette façon dont l’artiste se présente renouvelle

la définition de sa propre figure, l’artiste contemporain ne se définissant désormais

plus selon ses propres termes mais constamment dans la relation aux autres. Son

travail ne peut plus être pensé selon des catégories comme la peinture ou la

sculpture. Il agit en tant que scientifique, journaliste, philosophe, politicien,

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prédicateur, designer. Seuls la façon et les moyens qu’il met en place pour servir les

« autres » le désignent comme artiste. Aujourd’hui plus personne n’est réellement

intéressé par l’idée d’un génie intérieur […].»101 L’historien d’art Boris Groys

développe lui aussi cette idée dans le texte « Vers un nouveau romantisme », publié

dans le catalogue de la dixième édition de la Biennale de Lyon102. Il y synthétise les

diverses postures de l’artiste dans la société depuis l’époque romantique jusqu’à

aujourd’hui, Aussi, lorsqu’il réalise une œuvre dans un média comme la presse,

l’artiste a pour dessein de mettre celle-ci directement en contact avec un public et

n’hésite pas pour cela à « envahir » son salon, ses bureaux, ses bibliothèques, sans se

contenter de lui proposer une production esthétique à contempler. Sur ce dernier

point, Anne Moeglin-Delcroix remarque, au sujet des ephemera works (qui englobent

notamment les inserts) que «ce faisant, peut-être préservent-ils, plus que d’autres

productions, ce que l’art contemporain a introduit de plus radical dans l’histoire des

arts visuels : un rapport aux œuvres qui n’est pas de contemplation mais de

lecture »103. L’artiste va chercher le public jusque dans les sphères quotidiennes,

voire intimes, et il lui propose un autre type d’implication, plus active, face à

l’œuvre d’art et lui demande une plus grande attention.

À travers cette étude, nous avons essayé de saisir certains des enjeux des

travaux d’artistes dans la presse. Il serait intéressant de poursuivre cette recherche,

dans un cadre bien plus large en réalisant une étude systématique sur ces œuvres qui

101101 Helmut Draxler, « The Message is Medium », sur le site www.mip.at. [En ligne : http://www.mip.at/en/projekte/16.html. Consulté le 25 mai 2010] : « The artist is also confronted with a public which does not expect art in this setting. This way of presenting himself also leads to a new definition of himself since the contemporary artist no longer defines himself on his own terms but constantly in relation to others. His work can no longer be thought of in categories such as painting or sculpture. He acts as scientist, journalist, philosopher, politician, preacher or designer. Only the ways and means by which he serves the "others" designates him as an artist. No one is any longer really interested in the inner state of the genius as is anyway sufficiently propagated by cheap profiteers. » 102 Xème biennale d’art contemporain de Lyon - Le spectacle du quotidien, (cat. expo.), Dijon, Les Presses du réel, 2009. 103 Anne Moeglin-Delcroix, « Art de circonstance », In Steven Leiber. Extra Art, a survey of artists’ ephemera, San Francisco, ccac/smart art press, 2001.p. 19.

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échappent à l’histoire. Il resterait désormais à effectuer un recensement de celles-ci

afin de leur donner la place qu’elles méritent dans l’histoire de l’art contemporain.

La tâche est ardue, mais c’est aussi la difficulté à repérer et à collecter ces œuvres

qui fonde leur intérêt. C’est sur ce dernier point que nous conclurons cette étude,

avec quelques mots tenus par Johanne Lamoureux au sujet d’œuvres in-situ, mais qui

peuvent s’appliquer également à l’objet de notre étude : « Entre intrusion et

disparition, elles [les œuvres] posent ainsi non seulement la question des limites de

l’institution artistique mais, avec souvent plus d’acuité encore, celles des limites de

l’art (de ce que l’on peut en attendre), et celle des limites de l’œuvre, de son

repérage dans l’expérience affective, phénoménologiques ou cognitive que l’on peut

en faire en dehors du réseau banalisé de l’institution artistique»104. Les travaux

d’artistes dans la presse sont en effet une mise en question du musée, de l’art, de

l’œuvre. C’est justement ce qui fait le caractère subversif, aujourd’hui encore, de

ces productions qui s’éloignent des chemins balisés de l’art.

104 Johanne Lamoureux, L’art insituable. De l’insitu et autres lieux, Montréal, Centre de diffusion 3D, 2001, p.9.

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CORPUS

Publications périodiques :

- Ártics, trimestral multilingüe de les arts i de les ics (Barcelone, 1985-89)

- Trou, revue d’art (Moutier, 1979)

Travaux d’artistes :

- Sophie Calle, «L’homme au carnet», Libération (Paris) 1er août - 3 septembre 1983.

- Raymond Depardon, «Correspondance new-yorkaise», Libération (Paris), 1-12 août

1981.

- Ernest T. :

[sans titre], Flash Art (Paris), n°2, hiver 1983-1984.

[sans titre], Public (Paris), n°1,1984.

[sans titre], Journal (Los-Angeles), été-automne 1987.

[sans titre], Iskusstvo (Moscou), 1990.

-Fred Forest :

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- François Hers, «Paris/ Une photo par jour/ François Hers », Libération (Paris),1er-

31 août 1982 .

-Jeff Koons :

«Art magazine Ads», Art in America, n°11, novembre 1988, p. 51.

«Art magazine Ads», Arts Magazine, vol. 63, n° 3, novembre 1988, p. 23.

«Art magazine Ads», Artforum, vol. 27, n°3, novembre 1988, p. 23.

«Art magazine Ads», Flash Art International, n°143, novembre/décembre

1988, p.86.

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BIBLIOGRAPHIE

Sources

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-Site officiel de Trou : www.trou.ch

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-Fonds Pierre Restany [FR ACA PREST], Archives de la Critique d’art, Châteaugiron.

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-GRAHAM, Dan. « My works for magazines pages », In Ma position. Ecrits sur mes œuvres,

Villeurbanne, Le Nouveau Musée/Institut, Dijon, Les Presses du Réel, 1992, p.62-63.

-LAMOUREUX, Johanne. L' art insituable : de l'in situ et autres sites, Montréal, Centre de

diffusion 3D, 2001.

- MATTELART, Armand. La communication-monde, histoire des idées et des stratégies, Paris,

Editions la Découverte, 1992.

- MOEGLIN-DELCROIX, Anne. Esthétique du livre d'artiste (1960-1980), Paris, Jean-Michel

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-MOEGLIN-DELCROIX, Anne. Sur le livre d’artiste, Paris, Le mot et le Reste, 2006.

- POINSOT, Jean-Marc. Quand l’œuvre a lieu, Genève, Les Presses du Réel, coll. « Mamco »,

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-PHILLPOT Clive, “Artists as Magazinists”, In In Numbers: Serial Publications by Artists Since

1955 , New York, PPP Editions, 2010, p.177-184.

-RORIMER, Anne. New Art in the 60s and the 70s : Redefining Reality, London, Thames &

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- PACQUEMENT Alfred, DAVID, Catherine et BLISTÈNE, Bernard, L’époque, la mode, la morale,

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- GOLDSTEIN, Ann, JACOB, Mary Jane, RORIMER Anne et SINGERMAN Howard. A Forest of

Signs, Art in the Crisis of Representation, Los Angeles Cambridge, Museum of Contemporary

Art, The MIT Press, 1989.

-Art & Pub : art et publicité, 1890-1990, (cat. expo.) Paris, Editions du Centre Pompidou,

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-PERNECZKY, Géza. A Hàlò. Alternativ müvésezeti àramlatok a folyòiratkiadvànyaik tükrében

1968-1977, Budapest, Héttorony Kiadò, 1991. [Traduction anglaise par Tibor Szendrei : The

Magazine Network. The trends of Alternative Art in the Light of Their Periodicals, Cologne,

Soft Geometry, 1993.]

- GOLDSTEIN, Ann, RORIMER, Anne, Lippard, Lucy, et alli. Redefining the object of art : 1965-

1975, Los-Angeles, The MIT Press, 1995.

-SCHRAENEN, Guy. D’une œuvre l’autre : le livre d’artiste dans l’art contemporain.

Morlanwelz-Mariemont, Musée royal de Mariemont, 1996.

- MOKHTARI, Sylvie, «Dan Graham et Vito Acconci ‘au corps’ des revues », In Diserens,

Corinne et alii, L’art au corps, le corps exposé de Man Ray à nos jours, Marseille, Réunion des

musées nationaux, 1996.

- Printed in Spain. Künstlerpublikationen der 60er bis 80er Jahre. Impreso en España.

Publicaciones de los años 60 a 80, (cat. expo.), Brême, Weserbug Museum e Instituto

Cervantes, 2001.

-Parkett. Collaborations & Editions since 1984. (cat. expo.), New-York, Museum of Modern

Art, New-York - Zurich, Parkett Publishers, 2001.

-LEIBER, Steven (sous la dir.). Extra Art, a survey of artists’ ephemera, San Francisco,

ccac/smart art press, 2001.

-In media res. Information, contre information, (cat. expo), Rennes, Presses Universitaires de

Rennes, coll. « Métiers de l’exposition », 2003.

-Parkett. 20 Years of Artists’Collaborations, (cat.expo), New-York - Zurich, Parkett

Publishers, 2004.

- MOEGLIN-DELCROIX ,Anne, DEMATTEIS, Liliana, MAFFEI, Giorgio et RIMMAUDO, Annalisa.

Gardare, raccontare, pensare, conservare, quattro percosi del libre d’artista dagli anni 60 ad

oggi, Mantoue, Edizioni Corraini, 2004.

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- BOIVENT, Marie. Revues d’artistes : une sélection, Rennes - Fougères, co-éditions Arcade,

Editions Provisoires, Lendroit galerie, 2008.

- Espèces d'espace, Les années 80 - Premier volet, (cat. expo.), Grenoble, Le magasin et Les

Presses du Réel, 2008.

- Images & (re)présentations, Les années 80 - second volet, (cat. expo.), Grenoble, Le

magasin et Les Presses du Réel, 2009.

-200 Art Works- 25 Years. Artists’ Editions for Parkett. (cat. expo.), New-York - Zurich,

Parkett Publishers, 2009.

- EX Guide. We Interrupt this Programm : prints and Ads and TV Spots by Artists, (cat.

expo.), Toronto, Mercer Union, 2009.

- Xème biennale d’art contemporain de Lyon - Le spectacle du quotidien, (cat. expo.), Dijon,

Les Presses du réel, 2009.

Périodiques

- « Art Magazines », Studio international, vol. 193, n°983, septembre-octobre 1976.

- « De l’objet à l’œuvre, les espaces utopiques de l’art », Art Press, numéro spécial 15, 1994.

- « Oublier l’exposition », Art Press, numéro spécial 21, 2000.

- « The 1980s / Now they’re History », Artforum, vol. XLI, n°7 et n°8, mars-avri 2003.

- « Numéro Zéro », Sans Niveau ni Mètre. Journal du Cabinet du livre d’artiste, n° 0,

novembre 2007.

- « Livres d’artistes. L’esprit de réseau », Nouvelle Revue d’esthétique, n°2, 2008.

- « Inserts » Sans Niveau ni Mètre. Journal du Cabinet du livre d’artiste, n° 12, 21-janvier -

16 mars 2010.

Articles de presse :

-BROGOWSKI, Leszek. « L’art, le livre, même combat », Nouvelles de l’Estampe, n°187,

mars-avril 2003, pp. 35-37.

- BOIVENT, Marie. « Infiltrer la presse : de la parution la disparition », Pratique, n°21, 2010.

- BOURRIAUD, Nicolas. « L’art à livre ouvert », Beaux-arts magazine, mars 1999, n°178,

p.64-72.

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- BOURRIAUD, Nicolas. « l’art sous l’emprise des sens », Beaux-art magazine, juillet 1998,

n°170, p.74-83.

- BOURRIAUD, Nicolas. « La Fluidité de l'art. Entretien avec Catherine Millet » Art Press,

janvier 1995, n°198, p.38-45.

- CHEVREFILS DESBIOLLES, Annie. « Chronique : Revues d’artistes une sélection », La revue

des revues, n°42, 2008, p.75-84.

- CHEVREFILS DESBIOLLES, Yves. « Les revues d'art I- Histoire et variantes des origines à 1970

», La Revue des revues, n° 5, printemps 1988, pp. 82-93.

- CHEVREFILS DESBIOLLES, Yves. « Les revues d'art II- Trajectoires et évolutions, de 1970 à

nos jours», La Revue des revues, n° 6, automne 1988, pp. 60-77.

- CHEVREFILS DESBIOLLES, Yves. « Les Revues s'exposent au musée. Entretien avec Didier

Schulmann et Agnès de Bretagne », La Revue des revues, n°41, 2007-2008, p.70-77.

- DA COSTA, Valérie. « Dossier : Les formats de l’exposition », Mouvement, n°54, janvier -

mars 2010, p.86-119.

- DUPEYRAT, Jérôme. « Revues d’artistes. Pratiques d’expositions alternatives / pratiques

alternatives à l’exposition», Revue 2.0.1, dossier spécial « Revues d’artistes », février 2010.

[http://www.jrmdprt.net. En ligne : http://www.revue-2-0-1.net/index.php?/revuesdartistes/jerome-

dupeyrat/ consulté le 5 juin 2010]

- GENICOT, Thierry. « Les revues d’art – Engagement existentiel ou support promotionnel ? ce

qu’en pense Pierre RESTANY », ± 0, n° 42, octobre 1986, p 39.

- JUBERT, Roxane. « Entre voir et lire, la conception visuelle des catalogues d’expositions »,

Cahiers du Musée national d’art moderne, n°56-57, été automne 1996, pp. 37-57.

-MOEGLIN-DELCROIX, Anne. « Du catalogue comme œuvre d’art et inversement », Cahiers du

Musée national d’art moderne, n°56-57, été automne 1996, pp. 95–117.

-MOKHTARI, Sylvie. « Une revue "sans rédacteurs" : Avalanche, New York, 1970-76 », La Revue

des revues, n°29, 2000, p. 3-10.

- PASSINI, Michela. « Chronique : T.I.G.R.E et travaux : L’Europe des revues (1880-1920) », La

revue des revues n°42, 2008, p.97-101.

- PHILLPOT, Clive. « Art Magazine and Magazine Art », Artforum, vol. XVIII, n°6, février 1980,

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- SISCHY, Ingrid. « Letter from the editor », Artforum, vol. XVIII, n°6, février 1980, p.26.

- THOMMEREL, Yoann. « Chronique : Dans la presse mais dans ses marges : ‘Ni revue ni

journal’ », La revue des revues, n°40, 2007, p.98-100.

- WAT, Pierre. « Livres d’artistes », Beaux-arts magazine , n°170, juillet 1998, p.107-108.

-WOLINSKI, Natacha. « Enquête : vu à la télé » Beaux-arts magazine , n°170, juillet 1998,

p.96- 105.

- ROMAGNY, Vincent. «A partir de Pierre Leguillon présente Diane Arbus, Rétrospective

imprimé 1960-1971 », May, n°1, juin 2009 p. 118-123.

- « Dossier : L’édition comme forme de création », L’Humidité, n°23, automne 1976, p.18-23.

- « Dossier : Matériau : Magazine », Ciel Variable, n°83, automne 2009 - hiver 2010, p. 3-62.

Travaux de recherches :

-HEGRON, Nathalie. L'Edition d'art et l'édition d'art contemporain en France, Maîtrise

d'Histoire de l'art contemporain, (sous la direction de Jean-Marc Poinsot), Rennes, Université

Rennes 2 - Haute-Bretagne, 1996.

- MOKTHARI, Sylvie. Les Revues d'art contemporain en France de 1967 à 1979, Maîtrise

d'Histoire de l'art contemporain, (sous la direction de Jean-Marc Poinsot), Rennes, Université

Rennes 2 - Haute-Bretagne, 1990.

- MOKHTARI, Sylvie. Des revues d’avant-garde en Europe et en Amérique du Nord du milieu

des années 1960 à la fin des années 1970, Diplôme d’Etudes Approfondies en Art

contemporain, (sous la direction de Jean-Marc Poinsot), Rennes, Université Rennes 2 - Haute-

Bretagne, 1992.

- MOKTHARI, Sylvie. arTitudes, Avalanche, Interfunktionen, Thèse de Doctorat d’Histoire de

l’art (sous la direction de Jean-Marc Poinsot), Université Rennes 2 - Haute-Bretagne, 1999.

- POIRIER, Karine. Etude des revues Documents, Blocnotes et Purple Prose & des

interventions des artistes dans ces trois revues, Maîtrise d'histoire de l'art contemporain,

(sous la direction de Jean-Marc Poinsot), Rennes, Université Rennes 2 - Haute-Bretagne, 1996.

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Actes de colloque :

- BROGOWSKI, Leszek, « Le livre d’artiste et son pouvoir théorique », In SAEZ, Ricardo (sous

la dir.). L’imprimé et ses pouvoirs dans les langues romanes, Rennes, Presses Universitaires

de Rennes, 2006. [Publié à l’occasion du colloque international « L’imprimé et ses

pouvoirs dans les langues romanes», Rennes, 5-7 octobre 2006]

Bibliographie spécifique aux revues et travaux étudiés

Ouvrages généraux et catalogues d’exposition:

-CALLE, Sophie. Le carnet d’adresse (livre VI), Arles, Actes Sud, 1998.

-KOONS, Jeff et ROSENBLUM, Robert. The Jeff Koons Handbook, Londres, Thames & Hudson

et Anthony d’Offay Gallery, 1992.

-MILOUX, Yannick (sous la dir.). Ernest T. Opéra, Limoges, FRAC Limousin/ Dijon, FRAC

Bourgogne/ Bourges, La Box, École Nationale des Beaux-Arts/ Delme , la Synagogue de

Delme, Centre d’Art Contemporain, 2001.

-MIRÓ, Neus. « Pars Pro proto. Entrevista a Hans Ulrich Obrist », In MIRÓ, Neus et PICAZO,

Glòria, Impasse 8 : L’exposició com a dispositiu. Teories i pràctiques entoran de l’exposició,

Lerida (Espagne), Ajuntament de Lleida i Centre d’Art La Panera, 2008.

-MUTHESIUS, Angelika. Jeff Koons, Köln [Paris], Taschen, 1992.

-OBRIST, Hans-Ulrich. Dontstopdontstopdontstop, Dijon, Les presses du réel, 2007

-OBRIST, Hans-Ulrich. A briel history of curating, Dijon, Les presses du réel, 2009.

-PICAZO, Glòria. Impasse : art, poder i societat a l'Estat espanyol, Lerida (Espagne),

Ajuntament de Lleida, 1998.

Articles de presse :

- AZOURY, Philippe. « Le cas Bazooka », Libération, 4 mars 2005. [Site de Libération.fr, En

ligne : http://www.liberation.fr/culture/0101521014-le-cas-bazooka. Consulté le 26 mai 2010]

- BOURRIAUD, Nicolas. »Jeff Koons: ingénieur du désir », Beaux-Arts Magazine, septembre

1997, n°160, p.42-49.

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- BOURRIAUD, Nicolas. « Buren, 30 ans de réflexion et un livre », Beaux-Arts Magazine,

octobre 1998, n°173, p.44-47.

- VOGEL, Sabine. "Düsseldorf : Museum in progress", Artforum, vol. 31, n° 2, 1992, p 119-120.

- REGNIER, Philippe. « Télévisions et journaux pris d’assaut. L’art se glisse au cœur des

foyers », Le Journal des Arts, n° 53, janvier 1998, p.20

-RUDOLPH, Karen "Un musée sans murs", Beaux-Arts n° 118, 1993, p.14.

- MOREL, Gaëlle. « Esthétique de l’auteur. Signes subjectifs ou retrait documentaire»,

Etudes photographiques, n°20, juin 2007, p. 134-147.

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ANNEXES

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Fiches techniques des principaux périodiques étudiés collaborant avec les

artistes (par ordre alphabétique)

ÁRTICS, Trimestrial multilingue de los arts i de los ics

Pays : Espagne

Langue(s) : Catalan, Espagnol, Italien, Français, Anglais, Allemand.

Genre : revue d’art

Périodicité : trimestriel

Dates de la publication: septembre 1985 - septembre 1989 (17 numéros parus)

Lieu de publication : Barcelone

Directeur de la publication : Vicenç Altaió

Directeur de la rédaction : Joaquim Pibernat

Tirage : 7 000 exemplaires

Prix : 45 francs (soit environ 6,90!)

Editeur : Edita Ártics SA

Distribution : Enlace

•Interventions d’artistes permanentes incluses dans le projet éditorial de la revue.

Der Standard

Pays : Autriche

Langue(s) : Allemand

Genre : journal généraliste

Périodicité : quotidien

Date de création : 1988

Lieu de publication : Vienne

Directeur de publication : Oscar Bronner

Directeur de rédacteur: Oscar Bronner

Tirage : 70 000 exemplaires

Prix :1,50!

Editeur : Standard Verlagsgesellschaft

Distribution: /

•Interventions d’artistes ponctuelles.

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Libération

Pays : France

Langue(s) : française

Genre : journal généraliste

Périodicité : quotidien

Date de création : 18 mai 1973

Lieu de publication : Paris

Directeur de publication : Serge July (de 1974 à 2006)

Directeur de rédaction: Jean-Marcel Bouguereau (de 1981 à 1987)

Tirage : ± 117 000 exemplaires

Prix : 1,30!, (0,80 centimes de francs à ses débuts)

Editeur : SARL Libération

Distribution : /

•Interventions d’artistes ponctuelles

TROU, revue d’art

Pays : Suisse

Langue(s) : Français (Allemand, Anglais, Italien)

Genre : revue d’art

Périodicité : irrégulier

Date de création : 1979 (19 numéros parus, numéro 20 à paraître en novembre 2010)

Lieu de publication : Moutier

Comité de rédaction : Georges Barth, Jean-Pierre Girod, Umberto Maggioni et Roger

Voser puis Roger Meier, Josette von Arx, Konrad von Arx et Eric Voser.

Tirage : 850 exemplaires : (Edition courante : 750 exemplaire ; Edition de tête : 100

exemplaires)

Prix : Edition courante : 30 euros ; Edition de tête : 300 euros

Editeur : Editions de la Prévôtés jusqu’en 2000, puis Association Trou revue d’art

Distribution : Association Trou revue d’art

•Interventions d’artistes incluses dans le projet éditorial, de façon permanente et

exclusive

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Biographies sélectives des principaux acteurs mentionnés : directeurs de

publications, journalistes, commissaires d’exposition

(par ordre alphabétique)

Altaió i Morral, Vicenç

Né à Santa Perpètua, Barcelone, Espagne, en 1954.

Vicenç Altaió, qui vit et travaille à Barcelone, est à la fois poète, essayiste,

critique d’art, éditeur, traducteur d’œuvres théâtrales. Il a travaillé pour de

nombreux centres et institutions d’art comme le Fonds Régional d’Art Contemporain

(FRAC) Languedoc-Roussillon, le FRAC Midi-Pyrénees en France, le « Departament de

Cultura de la Generalitat de Catalunya » (Département de la Culture du

Gouvernement Autonome de la Catalogne), l’Àrea de Cultura del Ayuntamiento de

Barcelona (Section Culture de la Mairie de Barcelone), ou encore la Fondation “la

Caixa”. Il fut à l’origine en 1990 de la création du centre KRTU (culture, recherche,

technologie, universels) qu’il dirige toujours. Il est également à la tête du Centre

d’Art Santa Mònica à Barcelone depuis janvier 2009.

Membre des comités de rédaction de nombreuses revues, et créateur de plusieurs

d’entre elles, Vicenç Altaió est aussi commissaire d’expositions, aussi bien d’art

contemporain (et notamment sur les publications d’artistes) que scientifiques. Il a

aussi pris en charge le commissariat d’événements culturels organisés à l’occasion de

l’année Miró en 1993 puis de l’année Pla en 1997 pour ensuite prendre la charge de

coordinateur institutionnel pour l’année Gaudi (2002) puis l’année Dalí (2004).

Caujolle, Christian

Né le 26 février 1953.

Pendant ses études littéraires à l’Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud,

Christian Caujolle à l’occasion de travailler avec Michel Foucault, Roland Barthes et

Pierre Bourdieu qui l’influenceront dans sa réflexion sur l’image. Chercheur au CNRS

en 1978, il se lance la même année dans le journalisme. Il est alors critique pour la

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rubrique photographie de Libération, jusqu’en 1981. Il devient responsable de la

photographie au sein du quotidien, à partir de 1981 jusqu’à 1986.

Christian Caujolle est aussi connu pour être l’un des fondateurs et le Directeur

artistique de l’Agence VU. Agence de Photographes fondée en 1986, elle a pour

ambition de représenter des photographes contemporains, sans exclusion de styles ou

de domaine d’activité, notamment le photoreportage dont Christian Caujolle est l’un

des fervents défenseurs. Il est également nommé Directeur artistique de la Galerie

VU, créée en 1998 par le groupe Abvent qui reprend l’agence.

Christian Caujolle participe à de nombreuses publications sur la photographie et il a

par ailleurs été le commissaire de plusieurs expositions sur ce sujet.

Obrist, Hans-Ulrich

Né à Zürich, Suisse, en 1968.

Hans-Ulrich Obrist vit et travaille à Londres. Il est historien d’art, critique

d’art et commissaire d’expositions. Il attire très tôt l’attention du monde de l’art

lorsqu’il organise en 1991 (alors âgé de 23 ans et encore étudiant en Politiques et

Economie) « The Kitchen Exhibition », qui comme son nom l’indique a lieu dans sa

cuisine. Il affirme déjà ici son désir de faire évoluer les lieux et les frontières de

l’art. Il fonde deux ans plus tard le musée Robert Walser (écrivain et poète Suisse)

puis dirige le programme « Migrateur » au Musée d’Art moderne de la ville de Paris,

où il travaille comme commissaire pour l’art contemporain jusqu’en 2005. Il organise

nombre d’expositions individuelles (Rirkrit Tiravanja, Pierre Huygue, Philippe

Parreno, Gerharg Richter…) et collectives (Do-it, Cities on the move…). Il co-dirige

également plusieurs événements artistiques internationaux comme la 1ere Biennale

de Berlin en 1998, ou plus récemment la Biennale d’art contemporain de Lyon en

2007. Il est actuellement co-directeur des expositions et Directeurs des projets

internationaux de la Serpentine Gallery à Londres. Hans-Ulrich Obrist est encore

l’auteur d’une abondante production éditoriale, simple écho de la multitude

d’expositions qu’il a organisées depuis « The Kitchen Exhibition ».

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Texte de présentation d’Ártics, numéro 1, septembre–octobre–novembre

1985, p.6.

« Publié à Barcelone, à cheval entre les revues manifestes et les revues de

kiosks, Ártics – trimestriel multilingue des arts et des x – est aussi la partie

immergée de l’iceberg des expérimentations artistiques et des nouveaux langages.

Ártics – lieu de rencontre de langues, de cultures, de tendances et d’individualités-

s’offre comme un regard radical attentif aux registres d’écritures et d’arts actuels

les plus innovants. Ártics est une ouverture mais c’est aussi le commencement d’une

fin annoncée : 17 numéros formeront la collection complète avant la fin la seconde

moitié des années 1980. »

« Feta des de Barcelona, a cavall de les revistes-manifest i de les revistes de quiosc, Ártics –

trimestrial miltilingüe de les arts i de les ics- recala a l’iceberg de l’experimentació i dels nous

llenguatges.

Ártics –lloc d’encontre de llengües, de cultures, de tendències i d’individualitats- s’ofereix com una

radical mirada ateta als registres més innovadors de les escriptures i de les arts actuals, de la mà dels

mateixos instigadors. Ártics es presenta com un obertura i és alhora l’inici d’una fi anunciada : 17

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números formaran la col-lecció completa que s’insereix a la segona meitat de la dècada dels

vuitanta. »

Nota bene : ce texte est repris page 29, en anglais, accompagné du dessin de

John Cage pour le premier numéro de la revue :

« Neither a cause mag nor the usual thing from the newsagents, published in Barcelona, Artics -a

multillingual quartely publication dealing with the arts and the ecs as well as with the hiden part of

the iceberg of new language innovation. Artics –touchstone for language, culture, modes and mazes– is

a radical look at recent trends and new writing in current art. Artics is a new step towards a definite

end : 17 numbers will be published as a complete collection by the end of the eighties. »

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Éditorial du premier numéro de Trou, 1979, p.3.

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Texte de présentation de « L’homme au carnet » de Sophie Calle dans

Libération, août - septembre 1983, par Christian Caujolle.

Christian Caujolle, « Le carnet de Sophie Calle », Libération, 1 août 1983, p. 7.

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Droit de réponse à Sophie Calle accordé par Libération à Pierre Baudry :

Pierre Baudry, « Calle, calepin, calembredaines », Libération, 28 septembre 1983, p. 10.