de l’usage du tatouage cornéen. À propos de 14 cas
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J Fr. Ophtalmol., 2008; 31, 10, 968-974
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ARTICLE ORIGINAL
De l’usage du tatouage cornéen. À propos de 14 cas
N. Rocher (1), L. Hirst (2), G. Renard (1), M. Doat (1), J.-L. Bourges (1), E. Mancel (3)
(1) Service d’ophtalmologie, Hôtel Dieu, Paris, France.(2) Service d’ophtalmologie Queensland Eye Institute, Brisbane, Australie.(3) Service d’ophtalmologie CHT Gaston Bourret, Nouméa, Nouvelle-Calédonie, France.Correspondance : N. Rocher, Service d’ophtalmologie, Hôtel Dieu, 1, place du Parvis Notre Dame, 75181 Paris Cedex 04, France. E-mail : [email protected]çu le 19 mars 2008. Accepté le 19 septembre 2008.
Corneal tattooing. A series of 14 case studies
N. Rocher, L. Hirst, G. Renard, M. Doat, J.-L. Bourges, E. Mancel
J. Fr. Ophtalmol., 2008; 31, 10: 968-974
Aims
: Evaluate the efficacy of a little-used surgical method: corneal tattooing, using a dermographto hide unsightly corneal scars on nonfunctional eyes.
Patients and methods
: Retrospective study of 14 eyes of 13 patients treated by tattooingthe corneal surface, by directly introducing the pigments into the corneal stroma using a der-mograph. The effectiveness of tattooing was evaluated by pigmentation homogeneity andpatient satisfaction. Tolerance was evaluated by the scarring at the 7th day and ocular inflam-mation. The average follow-up was 18 months.
Results:
Fourteen eyes presented an unaesthetic, neovascularized major corneal edema (79 %traumatism). In 12 eyes, the treatment was homogeneous with a very satisfactory aestheticresult for the patient. One eye presented minor complications of pigmentary migration. Oneeye presented a corneal perforation 40 days after the procedure on a very pathological cornea.
Conclusion:
Corneal tattooing using a dermograph is a little-used technique since changesin corneal transplantation indications but is also a simple and inexpensive alternative for cornealscar treatment on nonfunctional eyes
Key-words:
Tattooing, cornea, dermatograph.
De l’usage du tatouage cornéen. À propos de 14 cas
Objectif
: Évaluer l’efficacité et la tolérance du tatouage cornéen par dermatographe pourmasquer des cicatrices cornéennes inesthétiques sur des yeux non fonctionnels.
Patients et méthodes
: Nous avons mené une étude rétrospective portant sur 14 yeux de13 patients traités par tatouage de surface, en introduisant directement les pigments dans lestroma cornéen grâce à un dermographe. L’efficacité du tatouage était évaluée par l’homo-généité de la pigmentation et la satisfaction du patient. La tolérance était évaluée par la cica-trisation au 7
e
jour et l’inflammation oculaire. Le suivi moyen était de 18 mois.
Résultats
: Quatorze yeux présentaient un œdème cornéen majeur inesthétique néovascula-risé (79 % dans les suites d’un traumatisme). Dans 12 yeux, le traitement était homogène avecun résultat esthétique très satisfaisant pour le patient. Une complication mineure à type demigration pigmentaire est survenue dans 1 œil. Un œil a présenté une perforation cornéenneà 40 jours sur une cornée très pathologique.
Conclusion
: Le tatouage de cornée par utilisation du dermatographe, simple et peu coûteux,est une technique efficace avec peu de complications. Sur le plan esthétique, elle représenteainsi une alternative aux verres scléraux et à l’éviscération dans le traitement des cicatrices decornée.
Mots-clés :
Tatouage, cornée, dermatographe.
INTRODUCTION
Les atteintes esthétiques du visage,et notamment des yeux, peuvent en-traîner chez les patients de sérieuxhandicaps sociaux et causer destroubles psychologiques. Historique-ment, le tatouage de cornée étaitutilisé à visée esthétique pour mas-quer les cornées « blanches ». Lepremier tatouage cornéen décrit aété réalisé au
II
e
siècle par Galen àpartir d’une préparation de sulfatede cuivre afin de masquer une sclé-rocornée [1]. Cette technique s’estaussi développée dans un but théra-peutique pour le traitement des gênesvisuelles [2].
Sur le plan esthétique, le tatouagecornéen représente une alternativeaux verres scléraux, souvent maltolérés du fait de l’inflammationconjonctivale et des frottements en-tre le verre scléral et les dépôts cal-caires des cicatrices cornéennes. Deplus, la phtyse oculaire diminue lamobilité du verre scléral et donc lasynergie des deux yeux. Le tatouagede cornée devient alors une optionsimple et efficace [3] lorsqu’unegreffe de cornée ne peut être effectuée(œil non fonctionnel, néovascularisa-tion majeure) et que l’énucléation estpsychologiquement difficilement ac-ceptée [4].
Sur le plan fonctionnel, le tatouagede cornée permet de diminuer leséblouissements secondaires aux atro-phies iriennes [5], aux colobomesiriens et aux larges iridectomies péri-phériques [6, 7].
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Les rares complications décrites dans la littératuresont dominées par les migrations pigmentaires et l’in-homogénéité du tatouage, avec de rares cas de perfo-rations cornéennes, d’infections et d’inflammations dusegment antérieur [8-10].
Les objectifs de cette étude sont d’évaluer l’efficacitéet la tolérance du tatouage cornéen grâce une techniqueparticulière utilisant un dermatographe pour masquer descicatrices cornéennes inesthétiques sur des yeux fonc-tionnellement perdus.
PATIENTS ET MÉTHODE
Les patients ont été sélectionnés dans les services d’oph-talmologie du Centre Hospitalier Territorial Gaston Bour-ret de Nouméa (Nouvelle Calédonie, France) et de laQueensland Eye Institute de Brisbane (Australie).
Les critères d’inclusion étaient une acuité visuelle in-férieure ou égale à « voit bouger la main », un examenbiomicroscopique objectivant une sclérocornée ou unœdème stromal et une néovascularisation diffuse ren-dant une greffe cornéenne transfixiante impossible, unesensibilité cornéenne normale, un épithélium cornéenne présentant pas d’ulcération, un échec de toléranceau verre scléral, un refus d’éviscération, et le désir es-thétique du patient.
La sensibilité cornéenne a été testée par contact mé-canique direct d’un écouvillon stérile avec l’épithéliumcornéen.
Les informations de chaque patient ont été collectéesrétrospectivement à partir des dossiers médicaux.
Les antécédents étudiés étaient la présence d’un trau-matisme oculaire, d’une malformation congénitale oud’une pathologie acquise entraînant une perte fonction-nelle de l’œil.
Un examen clinique a été réalisé à l’inclusion et lors dechaque consultation jusqu’à la fin du suivi. Il comprenaitune mesure de l’acuité visuelle, un test de la sensibilitécornéenne, un examen biomicroscopique avec descriptionde l’état local de la cornée et un recueil des complica-tions postopératoires.
Ce bilan préopératoire a été complété pour les pa-tients du CHT de Nouvelle Calédonie par un électro-rétinogramme blanc photopique et par l’étude despotentiels évoqués visuels flash afin de confirmer l’ex-tinction de la fonction visuelle.
Tous les patients ont donné un consentement éclairéécrit.
L’intervention se déroulait sous anesthésie générale,en décubitus dorsal, après désinfection à la Bétadine
®
(temps de contact 5 minutes) et mise en place d’unchamp opératoire stérile fenêtré.
La technique opératoire comprenait deux étapes.Dans un premier temps, un mélange à 50 % de pig-ment d’encre de Chine « New Black » (250 g « UniqueBrand », Tat-2-Supply, P.O.Box 3068, Clontarf) et à
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(carmellose collyre, laboratoire Al-lergan) était déposé sur l’épithélium cornéen à l’aided’un écouvillon stérile. Puis, grâce au dermatographeRevolution
®
(Spalding + Rogers MFG. World Finest Tat-tooing Equipment, Voorheesville NY 12186) et à ungroupe de trois aiguilles de 27-gauge, le mélange étaitintroduit directement dans le stroma antérieur. L’appa-reil était réglé à 10 % de sa puissance et sa fréquenceà 100 Hz. La profondeur maximum du grouped’aiguilles était de 0,3 mm (à noter que la profondeuratteinte pouvait varier avec la pression exercée).
Une fois la zone traitée, l’œil était rincé avec duBSS
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Compose (laboratoire Alcon) et toutes les zonesnon pigmentées de nouveau traitées.
Après un rinçage final, de la Rifamycine Chibret
®
(la-boratoire Théa) en pommade était appliquée sur lacornée et un pansement de protection mis en place.
Des examens de contrôle biomicroscopique ont étéréalisés à J1, à J7, à 1 mois, à 3 mois, à 6 mois, puis tousles ans. En cas de complications, les examens étaientplus rapprochés dans le temps.
Le traitement postopératoire d’une durée d’un moisassociait une corticothérapie locale et une antibiothéra-pie locale en administration topique 3 fois par jour (néo-mycine + dexaméthasone, Chibro-Cadron
®
, laboratoireThéa), un collyre mouillant 8 fois par jour (carmellosecollyre, Celluvisc
®
, laboratoire Allergan), et des antalgi-ques 2 gélules 3 fois par jour en cas de douleurs (Di-Antalvic
®
, paracétamol + dextropropoxyphène, gélules,laboratoire Aventis).
La satisfaction globale a été quantifiée en fonction deplusieurs critères : la gêne postopératoire, l’homogé-néité de la couleur du tatouage cornéen et la satisfactionpsychologique personnelle et familiale. La tolérance a étéétudiée sur l’état de l’épithélium cornéen avec adjonctionde fluorescéine Faure
®
0,5 % (collyre, Novartis Pharma)et sur l’inflammation oculaire (hyperhémie conjoncti-vale et sécrétions oculaires).
RÉSULTATS
Treize patients (14 yeux), d’âge moyen 40 ans (écarttype : 24,5 ans), ont été inclus dans l’étude. Les caracté-ristiques démographiques et pathologiques des patientssont résumées dans le
tableau I
. Le recul moyen étaitde 17,9 mois (écart type : 19,3 mois).
La cause de l’atteinte cornéenne était une plaie cor-néenne perforante ou non dans 11 yeux (79 %), unebrûlure chimique dans 1 œil (7 %), un rejet de greffedans 1 œil (7 %), et une anomalie de Peters dans 1 œil(7 %)
(fig. 1)
. Un patient présentant une atteinte trau-matique bilatérale a désiré, malgré la persistance d’uneperception lumineuse à un œil, un traitement bilatéral.
À l’examen initial, l’acuité visuelle était nulle (PL–)dans 4 yeux, à PL+ dans 9 yeux, et à « voit bouger lamain » à 50 cm dans 1 œil. L’examen à la lampe à fente
N. Rocher et coll. J. Fr. Ophtalmol.
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montrait dans tous les yeux la présence d’un œdèmecornéen majeur.
Dans 12 yeux, le tatouage de surface cornéen étaitparfaitement homogène, c’est-à-dire sans zone non
pigmentée visible au biomicroscope. Ces résultats sontrestés stables dans le temps lors des examens ultérieuret les patients (86 %, 12 yeux/14) étaient tous satisfaitsdu résultat esthétique obtenu
(fig. 2 à 5)
.Dans tous les yeux, une kératite ponctuée superficielle
était notée à J1 et la cicatrisation était complète à J7.Une réaction inflammatoire transitoire postopératoireétait notée dans 1 seul œil (cas 11,
tableau I
).Au cours du suivi postopératoire, 2 yeux ont présenté
des complications. Dans 1 œil, une migration secon-daire des pigments a rendu le résultat inhomogène (cas6,
tableau I
,
fig. 6
). Une ulcération centrale perforantesuite à une fonte stromale, avec endophtalmie a étédiagnostiquée dans 1 œil, 40 jours après la réalisationdu tatouage cornéen ; elle a nécessité une éviscérationen urgence devant l’aggravation des signes cliniquessous lentille thérapeutique et sous traitement antibio-tique par voie intraveineuse — imipénème (Tienam
®
,laboratoire MSD Chibret) et ofloxacine (Oflocet
®
, labo-ratoire Sanofi Aventis) — et par voie locale — rifamy-cine en collyre (Rifamycine Chibret
®
, laboratoire Théa)(cas 10,
tableau I
).
Figure 1 : Étiologies retrouvées lors de l’inclusion des patients.
Plaiescornéennes
Brûlureschimiques
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Anomaliede Peters
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(7 %) (7 %) (7 %)
Figure 2 : Cas 5. (a) Cliché de face et (b) photographie préopératoires : échec de greffe de cornée avec œdème du greffon total. (c) Cliché de facepostopératoire donnant une impression satisfaisante. (d) Photographie postopératoire immédiatement après le tatouage de cornée.
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N. Rocher et coll. J. Fr. Ophtalmol.
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DISCUSSION
De nombreuses techniques ont été utilisées et dévelop-pées depuis la fin du
XIX
e
siècle et le début du
XX
e
siècleafin de créer un précipité de pigments dans le stromacornéen. Deux principales techniques ont été décrites.
La première technique, mise au point dès 1872 par VonWecker
et al.
[11], consiste à introduire directement despigments insolubles et indélébiles dans le stroma cornéen,comme l’encre de Chine ou d’Inde, ou d’autres colorantsorganiques (l’oxyde de fer, le dioxyde de titane). L’utilisa-tion d’aiguilles creuses ou pleines, de groupes d’aiguillesou d’un véritable instrument de tatouage dermique,comme le décrivit Ohm en 1910 [12], offre comme prin-cipal avantage la persistance dans le temps du tatouage(en comparaison des autres techniques) par absorptiondes pigments par les keratocytes [3]. Un volet épithélialpeut être également réalisé manuellement [13, 14] ou aulaser Excimer [15] afin de déposer directement les pig-
ments, sur la surface voulue. Enfin, il est à noter qu’il existedes possibilités d’obtention de colorations différentes.Ainsi le dioxyde de titane aura une couleur bleue, l’oxydede fer organique, une couleur noire et l’oxyde de fer inor-ganique, une couleur marron [16].
La deuxième technique, mise au point par Knappet
al
. en 1925 [17] et dérivée de celle de Galen [1],consiste à induire un tatouage cornéen par réductionchimique de sels métalliques dans le stroma, entredu chlorure d’or et de l’acide tannique. Un autre typede sel, le chlorure de platine, peut être utilisé commele décrivit en 1928 Krautbauer et
al
. [18]. Les avan-tages de cette technique sont sa simplicité, sa rapi-dité et l’homogénéité du tatouage obtenu. Toutefois,elle entraîne fréquemment des réactions inflamma-toires du segment antérieur [19] et la coloration cor-néenne est moins durable que celle de la premièretechnique décrite.
La technique utilisée dans notre étude, dérivée decelle de Von Wecker [10] et de Ohm [1], est simple tant
Figure 3 : Cas 1. (a) Photographie préopératoire : brûlure par base avec œdème de cornée néovascularisé. (b) Photographie postopératoire immé-diatement après le tatouage de cornée.Figure 4 : Cas 2. (a) Photographie préopératoire : traumatisme, kératopathie en bandelette. (b) Photographie postopératoire immédiatement aprèsle tatouage de cornée.
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Figure 5 : Cas 3. (a) Photographie préopératoire : traumatisme avec œdème de cornée et kératopathie en bandelette. (b) Photographie postopératoireimmédiatement après le tatouage de cornée.Figure 6 : Cas 6. (a) Cliché de face et (b) photographie préopératoires : syndrome de Peters avec microcornée er cicatrice cornéenne centrale (K)portrait du patient JD. (c) Cliché de face postopératoire donnant une impression satisfaisante. (d) Photographie postopératoire immédiatement aprèsle tatouage de cornée.
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dans sa réalisation que grâce aux instruments utilisés.Le taux de satisfaction sur le plan esthétique de 86 %est proche de celui rapporté dans l’étude de Van DerVelden
et al.
[4]. Cette satisfaction est corrélée à unepigmentation stromale homogène avec absence de mi-gration pigmentaire dans le suivi.
La méthode chirurgicale par kératectomie lamellairedonne également d’excellents résultats, notamment entermes d’homogénéité du tatouage et de simplicité dessuites opératoires [20]. Cependant, elle dépend de lamorphologie de la cicatrice et est notamment impossi-ble à réaliser en cas de cicatrices trop épaisses, irrégu-lières ou trop calcifiées, alors que notre méthode peuts’appliquer sur tout type de cicatrice.
L’utilisation de pigments commerciaux stérilisés est bientolérée et n’entraîne pas d’inflammation oculaire ni histo-logique [3, 20, 21]. Cette très bonne tolérance a été ob-jectivée dans notre étude par une cicatrisation complète à7 jours ainsi que par l’absence d’inflammation au cours dusuivi (1 cas d’inflammation postopératoire transitoire).
Le risque de perforation cornéenne, par notre techni-que, est fortement diminué par rapport au marquagemanuel à l’aiguille. L’endophtalmie avec ulcère cornéenperforé est survenue sur une cornée présentant des al-térations épithéliales à type d’épithéliopathie bulleuseet donc sur une cornée présentant un risque importantde mauvaise cicatrisation. La perforation a été diagnos-tiquée 40 jours après l’intervention et n’est pas due àla technique du dermographe.
Selon la littérature, il existe deux complications majeuresde cette technique : (i) les multiples incisions peuvententraîner une activation de la phagocytose et diminuerla durée de vie du tatouage [21] ; (ii) les multiples lacé-rations de la couche de Bowman peuvent entraîner desérosions cornéennes récidivantes [22]. Nous n’avonspas constaté ce type de complications dans notre étudeau cours du suivi.
Les limites de cette étude rétrospective sont le nombrepeu important de patients, la durée de suivi relative-ment courte (1 mois à 11 ans), l’évolution des tech-niques chirurgicales depuis l’inclusion des premierspatients, le suivi non-régulier de certains patients, etl’utilisation d’un critère subjectif (satisfaction person-nelle) pour l’estimation de la réussite de l’intervention,critère non reproductible d’un patient à l’autre.
CONCLUSION
Le tatouage cornéen, peu utilisé depuis l’élargissementdes indications des greffes de cornée, apparaît commeune alternative simple et efficace pour un certain nombrede patients présentant des cicatrices de cornée inesthé-tiques, ne supportant pas les verres scléraux, refusantune énucléation et pour lesquels aucun résultat fonc-tionnel ne peut être attendu sans risque de phtyse duglobe oculaire.
La technique opératoire décrite, utilisant le dermatogra-phe, est simple, ne nécessite pas un matériel sophistiqué
et présente un coût relativement peu élevé par rapport auverre scléral ou à l’énucléation. La satisfaction personnelledes patients de notre étude est corrélée à l’homogénéitépigmentaire du tatouage et à sa tolérance.
Les suites opératoires sont simples, hormis quelquesrares complications essentiellement dues à la fragilitédu tissu cornéen de ces yeux très pathologiques. Un re-cul sur un plus long terme et avec un effectif de patientsplus important, sera nécessaire pour confirmer l’intérêtde cette technique.
Devant les évolutions continues des lasers ophtalmo-logiques, l’utilisation du laser Femtoseconde et du laserExcimer [15] pourrait améliorer encore les résultats.
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