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LA RESPONSABILITÉ ADMINISTRATIVE Bibliographie : Jean WALINE, Droit administratif, Dalloz 22 ème éd., 2008 Jean WALINE, L’évolution de la responsabilité extra-contractuelle des personnes publiques, EDCE 1994 p. 459 - Conseil d’Etat, Responsabilité et socialisation du risque, Rapport public 2005. I. On vous a dit, pour caractériser ce droit spécial qu’est le droit administratif, qu’il était le droit spécial applicable à la puissance publique ou comportant des prérogatives de puissance publique. Cette affirmation est largement exacte : le droit administratif demeure « un droit martial ». La formule des prérogatives de puissance publique et des privilèges de l’administration ne donne toutefois pas une exacte représentation de la réalité car, comme l’a montré Jean Rivero, le droit administratif n’est pas seulement un droit de prérogatives – d’ailleurs assujetti à une finalité, la poursuite de l’intérêt général -, c’est aussi un droit de sujétions. On voit donc qu’en réalité, le droit administratif est en définitive, un ensemble indivisible de prérogatives et de sujétions qui sont souvent étroitement liées les unes aux autres . Pour s’en tenir aux sujétions, elles peuvent être rassemblées sous deux grandes rubriques : 1

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Cours de responsabilité administrative, L3 droit, université de Strasbourg

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Page 1: Cours - Responsabilite Administrative

LA RESPONSABILITÉ ADMINISTRATIVE

Bibliographie :

Jean WALINE, Droit administratif, Dalloz 22ème éd., 2008

Jean WALINE, L’évolution de la responsabilité extra-contractuelle des personnes publiques, EDCE 1994 p. 459

- Conseil d’Etat, Responsabilité et socialisation du risque, Rapport public 2005.

I.

On vous a dit, pour caractériser ce droit spécial qu’est le droit administratif, qu’il était le droit spécial applicable à la puissance publique ou comportant des prérogatives de puissance publique.

Cette affirmation est largement exacte : le droit administratif demeure « un droit martial ».

La formule des prérogatives de puissance publique et des privilèges de l’administration ne donne toutefois pas une exacte représentation de la réalité car, comme l’a montré Jean Rivero, le droit administratif n’est pas seulement un droit de prérogatives – d’ailleurs assujetti à une finalité, la poursuite de l’intérêt général -, c’est aussi un droit de sujétions.

On voit donc qu’en réalité, le droit administratif est en définitive, un ensemble indivisible de prérogatives et de sujétions qui sont souvent étroitement liées les unes aux autres.

Pour s’en tenir aux sujétions, elles peuvent être rassemblées sous deux grandes rubriques :

- Le principe de légalité, c’est-à-dire la soumission de l’administration à la loi ;

- Le principe de responsabilité, c’est-à-dire la règle selon laquelle lorsqu’elle cause un dommage, notamment par sa faute, l’administration est tenue de le réparer.

II.

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Les principaux caractères de la responsabilité administrative à l’époque contemporaine.

Il conviendra, tout au long des développements qui vont suivre, de fixer l’attention sur trois d’entre eux particulièrement :

- D’abord, son caractère jurisprudentiel qui appellera à faire le point sur ses sources pour relever que même si à l’instar du droit administratif dans son ensemble, le droit de la responsabilité des personnes publiques est largement jurisprudentiel, les régimes législatifs de responsabilité ont tendance à se multiplier.

On ne pourra les étudier tous.

Mais il est évident que l’inspiration générale des régimes qu’ils mettent en place n’est pas sans effet sur l’évolution du régime de la responsabilité administrative en général dans le sens de la socialisation du risque.

En effet, le législateur a multiplié les cas dans lesquels la victime peut prétendre à l’indemnisation d’un dommage sans avoir à identifier l’auteur de celui-ci ou à prouver l’existence de sa faute, n’ayant pour seule contrainte que celle d’établir se trouver dans la situation prévue par la loi (loi du 6 juillet 1990 sur les victimes d’actes de terrorisme ; loi du 23 décembre 2000 sur les victimes de l’amiante …).

- Son autonomie, ensuite

On sera amené à voir que lorsque le Tribunal des Conflits a reconnu le principe de la responsabilité des personnes publiques dans le célèbre arrêt BLANCO du 8 février 1873, il l’a fait en des termes qui devaient conférer au régime de cette responsabilité une véritable autonomie :

"Cons. que la responsabilité, qui peut incomber à l'État pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu'il emploie dans le service public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code Civil, pour les rapports de particulier à particulier ;

que cette responsabilité n'est ni générale ni absolue ; qu'elle a ses règles spéciales qui varient selon les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l'État avec les droits privés ;

que, dès lors, ... l'autorité administrative est seule compétente pour en connaître".

On sera amené par conséquent à s’interroger sur la justification de cette autonomie par rapport au droit civil et sur sa réalité.

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Sur cette question   : Denis de Bechyllon, Le Conseil d’Etat, le code civil et le droit de la responsabilité, RJEP 2005, p. 90.

Enfin, dans le prolongement du constat de l’autonomie de la responsabilité administrative, il faudra plus largement s’interroger sur son fondement ou encore son économie générale pour porter une appréciation sur son caractère satisfaisant (ou non) ou, si vous préférez le vocabulaire à la mode, sur son « libéralisme ».

On peut dire à cet égard qu’au-delà des considérations purement techniques, il y a sans doute une réelle spécificité de la responsabilité administrative quant aux équilibres qu’elle réalise entre les considérations qui lui sont propres. Peut être même, au-delà, subsiste-t-il une véritable différence avec le régime général de la responsabilité des personnes privées quant à son fondement (son esprit),

Cela n’exclue évidemment pas une certaine convergence de fond des deux systèmes. Mais il ne faudrait pas que l’arbre cache la forêt et que l’attention prêtée dans les deux cas à la victime fasse perdre de vue que la mise en jeu de la responsabilité de l’administration demeure relativement restrictive.

1ère proposition : On doit constater une convergence des règles de fond des deux systèmes Cela n’a rien d’étonnant.

- D’abord, dans des domaines d’action similaires, les juridictions judiciaires et administratives ne peuvent se permettre d’aboutir à des solutions par trop différentes (ex : responsabilité des CRTS en matière de SIDA post transfusionnel : si le CRTS est organisé sous forme d’association gérant un service public, mais sans mise en œuvre de prérogatives de puissance publique, la compétence appartient au juge judicaire ; si le CRTS a la qualité d’établissement public, le juge administratif est seul compétent. Conséquence : le juge administratif et le juge judiciaire ont fait application de règles d’engagement de la responsabilité tout à fait similaires.

- Ensuite, et surtout peut être, la convergence est induite par le fait que les deux systèmes de responsabilité s’inscrivent dans un cheminement des idées et un contexte sociologique qui leur sont communs.

Pendant longtemps, le but principal d’un régime de responsabilité a été de sanctionner l’auteur du dommage. On peut dire que la responsabilité avait une fonction punitive. L’indemnisation de la victime constituait « l’occasion » de sanctionner l’auteur d’un trouble à l’ordre social.

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Mais, par la suite, l’accent s’est progressivement mais constamment déplacé vers la victime et le souci de son indemnisation au point que la responsabilité a remplit désormais une certaine fonction «   assurantielle   ».

On peut ainsi observer que le régime de l’engagement obéit à une conception socialisée des risques dans laquelle on considère que certains dommages doivent être réparés en toutes circonstances, alors même que leurs auteurs n’ont pas nécessairement commis de faute, ne sont pas « coupables » : phénomène que l’on qualifie parfois de «   victimisation   » du régime de la responsabilité (« responsable mais pas coupable »).

Du point de vue de ces évolutions, les deux régimes de responsabilité ont cheminé de conserve : d’un droit administratif de la responsabilité destiné au départ à éviter que l’action de l’administration ne soit entravée ou paralysée et visant donc à lui laisser une large marge de manœuvre en évitant des indemnisations trop systématiques, on est, au moins partiellement, passé à un système qui tend à indemniser de mieux en mieux les victimes, ce qui rejoint les évolutions de la jurisprudence judiciaire.

On peut même se demander si le fondement « moral » de la responsabilité, en particulier de la responsabilité administrative, n’est pas en train de glisser vers le respect de l’égalité : tout dommage doit être indemnisé parce qu’il réalise une rupture dans l’égalité qui régit les rapports entre les hommes, ce qui aboutirait à une sorte de « garantie sociale généralisée ».

En tout cas, les victimes y poussent : par ex. CAA DOUAI, 18 janvier 2008, Mme H. et Autres, n° 06DA011012 : la CAA était saisie d’un litige à l’initiative de trois mères de famille ayant donné naissance à des enfants atteints du syndrome d’alcoolisation fœtale. Elle s’est prononcée en faveur d’un rejet de la responsabilité de l’Etat en vue de la réparation d’un préjudice moral. L’Etat n’est pas responsable d’un manquement d’informations concernant les risques liés au syndrome d’alcoolisation fœtale.

Dans la même affaire, le TA de Lille avait été saisi d’une action contre l’Etat par des mères qui entendait le voir déclaré responsable de syndromes d’alcoolisation fœtale dont leurs fils étaient atteints.

La faute aurait consisté pour l’Etat dans le fait de ne pas les avoir suffisamment informées du danger de la consommation d’alcool sur la grossesse et de n’avoir pas dispensé aux médecins la formation nécessaire pour leur permettre d’informer les femmes enceintes du danger d’une consommation d’alcool, ni imposé aux producteurs l’apposition d’une mention sur chaque bouteille mentionnant le danger de la consommation d’alcool pour le fœtus.

Le TA a néanmoins rejeté ces actions en se fondant sur le fait que les requérantes n’établissaient pas un lien de causalité directe entre la faute imputée à l’Etat, à la supposer établie, et le préjudice dont elles se prévalaient (TA Lille, 23 mai 2006, Mme Sandrine M…, AJDA 4 sept. 2006, p. 1569, note F. Lemaire).

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Cette évolution – à laquelle la jurisprudence administrative n’a bien évidemment pas échappée - rend d’ailleurs plus poreuse la frontière entre ce qui relève de la responsabilité qui peut être engagée devant le juge et ce qui relève de la solidarité qui est largement tributaire de l’intervention du législateur

Elle ainsi donne lieu à un « dialogue » entre le juge et le législateur

On peut l’illustrer par les interventions du législateur visant à la constitution de fonds de garantie : par ex., la loi du 9 septembre 1986 relative à l’indemnisation des actes de terrorisme dispose que les dommages aux personnes sont pris en charge par le « Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions » ; la loi du 31 décembre 1991 crée un Fonds d’indemnisation personnes victimes d’une contamination par le virus d’immunodéficience (SIDA) à la suite d’une transfusion sanguine (mais les victimes peuvent également utiliser les procédures de droit commun) ; la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale (modifié par loi n° 2003-303 du 4 mars 2002) a créé un fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante

V. aussi, la loi du 4 mars 2002 en ce qui concerne l’indemnisation de l’aléa thérapeutique, cf. infra).

2 ème proposition  : Les responsabilités civile et administrative se différencient (et continuent de se différencier) par leur «   économie   » ou leurs fondements.

Cette proposition se vérifie sur deux plans.

- S’agissant de la responsabilité pour faute, les deux régimes ont pour fondement commun le souci d’assurer d’abord la réparation du dommage subi par la victime.

Mais, en ce qui concerne la responsabilité administrative, ce souci doit se concilier avec d’autres contraintes : celle de ne pas paralyser l’action des services publics par la crainte constante de la mise en jeu de la responsabilité ; la nécessité de prendre en compte leurs difficultés particulières de fonctionnement (au moins en ce qui concerne certains services) ; le fait que l’administration, personne morale, agit par l’intermédiaire de personnes physiques que sont les agents publics et que, dans la majorité des cas, c’est la responsabilité de la personne morale qui va être appelée ; le fait que le juge administratif condamne en réalité le contribuable (pour le dévoilement de ce genre de préoccupation, voir concl. G. Gondouin  sur TA Lyon, 14 décembre 2006, Soc. STEF-TFE, AJDA 2 juillet 2007, p. 1312).

- Par ailleurs, l’administration est, dans certains cas, soumis à une responsabilité sans faute.

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Ce n’est pas là un caractère absolument original de la responsabilité administrative car le droit civil la connaît lui aussi sous la forme notamment de la responsabilité du fait des choses et la fait reposer sur le même fondement : à savoir la recherche d'un certain équilibre en avantages et charges.

Il existe néanmoins un aspect vraiment original de la responsabilité administrative, c’est la responsabilité de l'administration pour rupture de l'égalité devant les charges publiques.

Cette responsabilité repose en effet sur l'idée selon laquelle un préjudice subi par la victime dans l'intérêt général doit être supporté par la collectivité. Une telle idée est foncièrement étrangère à l'esprit du droit privé. Mais il s'agit sans doute du seul "véritable domaine irréductible de la responsabilité de l'administration" (R. Drago).

En conclusion,

Par delà la convergence bien compréhensible de la responsabilité civile et de la responsabilité administrative, cette dernière est à la recherche d’un point d’équilibre entre la fonction « assurantielle » de la responsabilité à l’époque contemporaine et la prise en compte de considérations qu’on qualifiera pour le moment globalement « d’intérêt général ».

Il ne faut donc peut être pas se laisser aller si facilement à la constatation d’une convergence des deux systèmes, peut être plus apparente que réelle.

Seul un examen technique approfondi, allant au-delà de la partie émergée de l’iceberg que constitue le fait générateur de la responsabilité, pour aller vers les mécanismes de la preuve, de l’appréciation du lien de causalité entre le fait générateur et le dommage, l’admission plus ou moins large du caractère « anormal et spécial » du préjudice en matière de responsabilité sans faute et pour finir la réalité de l’indemnisation, pourra nous permettre de porter un jugement éclairé.

Plan :

Chapitre 1er : le principe de la responsabilité de l’administrationChapitre 2 : Les fondements de la responsabilité administrativeChapitre 3 : La mise en œuvre de la responsabilité administrativeChapitre 4 : La responsabilité du fait des dommages de travaux publics

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CHAPITRE 1er LE PRINCIPE DE LA RESPONSABILITE DE L’ADMINISTRATION

La notion de responsabilité n’est évidemment pas propre au droit administratif. Elle constitue un chapitre très important du droit privé : tout fait de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui qui en est l’auteur à le réparer … (art. 1382 et 1384).

Dans les deux cas, elle peut donc être définie comme l’obligation faite à l’auteur d’un dommage de couvrir la victime de son préjudice. Dans les deux cas sont en cause les droits subjectifs des victimes.

Il n’en reste pas moins que la question de la responsabilité de l’administration pour les dommages qu’elle cause ne se pose pas dans les mêmes termes que celle des particuliers : elle a nécessairement une autre dimension.

Se pose d’abord une question de principe : est-il possible de juger par le biais de la responsabilité l’action de la puissance publique dans la mesure où elle est liée à la fonction de souveraineté ? Quelle place faut-il faire à l’adage d’Ancien régime selon lequel « le roi (et par extension le souverain) ne peut mal faire » ?

Et si l’on surmonte ce premier obstacle, subsiste une question technique : s’il importe que les victimes de l’administration soient indemnisées des dommages qu’elle peut leur causer par l’ampleur de son action, il importe tout autant que son action ne soit ni entravée, ni paralysée par un système de responsabilité trop contraignant, notamment parce qu’elle exerce son action dans des conditions qui ne sont pas toujours faciles (police …).

A cet égard, on ne peut manquer de relever que récemment la Law Commission britannique, organe qui conseille le Parlement sur les questions juridiques, s’interroge sur le point de savoir s’il ne faut pas développer un régime spécial de responsabilité des collectivités publiques restée jusque là dans l’orbite de la Common law (J.-B. Auby, La responsabilité administrative across the Channel, Droit adm. avril 2007, Repère ; Duncan Fairgrieve, Responsabilité et risques : l’approche Outre-Manche, EDCE 2005, p. 369).

Ces considérations obligent à examiner tout naturellement

- D’abord, la notion de responsabilité administrative (Sect. 1ère) ;

- Ensuite, l’évolution de la responsabilité administrative (Sect. 2).

SECTION 1LA NOTION DE RESPONSABILITE ADMINISTRATIVE

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La responsabilité administrative qui va faire l’objet de nos développements est une responsabilité patrimoniale (§1er) ceci pour la distinguer notamment du régime disciplinaire des agents et de la responsabilité pénale.

C’est ensuite une responsabilité engagée et régie par les règles du droit administratif, ceci pour relever qu’il existe aussi une responsabilité de l’administration régie par le droit privé (§2).

C’est enfin une responsabilité quasi délictuelle, ceci pour la distinguer de la responsabilité contractuelle ou quasi-contractuelle (§3).

§1er : Une responsabilité patrimoniale

La responsabilité administrative est une responsabilité patrimoniale, c'est-à-dire une responsabilité civile, qui trouve sa sanction dans l'obligation de réparer les préjudices causés. Cette réparation est généralement assurée par équivalent, c’est-à-dire par le versement d’un certain montant de dommages et intérêts.

Dire que la responsabilité administrative est une responsabilité patrimoniale, c’est dire qu’elle n’est ni une responsabilité disciplinaire (v. Fonction publique), comme peut en connaître la juridiction administrative, ni une responsabilité pénale (Annexe I).

Bibliographie : F. Gartner, « L’extension de la responsabilité pénale aux personnes publiques », RFD adm. 1994, p. 126 ; A. Lévy, « La jurisprudence sur la responsabilité pénale des personnes publiques » Droit adm. juin 2004, p. 12 et juillet 2004, p. 14 ; J-C. Bonichot, « La responsabilité pénale des personnes publiques », Gaz. Pal., 1999, p. 772 ; A. Jorda, « La responsabilité pénale des personnes morales de droit public à la lumière de la jurisprudence », Gaz. Pal., 11-23 février 2001, p. 4.

A la différence de celles là, la responsabilité administrative vise à réparer le dommage causé à la victime et non à sanctionner l’auteur du fait dommageable.

La distinction mérite d’être faite depuis que le nouveau Code pénal (loi du 22 juillet 1992) a instauré une responsabilité pénale à la charge personnes morales en général et des collectivités locales et des établissements publics en particulier.

§2 : Une responsabilité régie par le droit administratif : Responsabilité administrative et responsabilité de droit privé de l’administration

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La responsabilité administrative ne couvre pas toute la responsabilité de l'administration. Elle n'en constitue qu'une partie.

A l'instar des autres secteurs de l'action administrative, cette responsabilité est en effet régie par deux sortes de règles :

- Les unes relèvent du droit privé et sont appliquées par le juge judiciaire (à relever au titre de la convergence des systèmes de responsabilité) ;

- Les autres relèvent du droit administratif et sont mises en œuvre par le juge administratif.

Les premiers forment la responsabilité de droit privé de l'administration. Seules les secondes constituent ce qu'il est convenu d'appeler la "responsabilité administrative".

Cela étant précisé, la responsabilité de droit privé de l'administration possède un champ d'application très vaste qui résulte à la fois de solutions jurisprudentielles et de solutions législatives.

A - Les hypothèses jurisprudentielles de responsabilité de droit privé

Elles sont aussi nombreuses qu'importantes.

Elles concernent

- Les dommages causés par les activités administratives qui n'ont pas le caractère de services publics : gestion du domaine privé, notamment ;

- Les dommages causés par les activités des services publics lorsqu’ils présentent un caractère industriel et commercial (SPIC) à leurs usagers ainsi qu'aux tiers, à l'exception toutefois, en ce qui concerne ces derniers, des dommages de travaux publics (TC, 22 janvier 1921, Soc. commerciale de l’Ouest Africain).

CAA Bordeaux, 27 mars 2007, SNCF c/ Consorts Lipietz, AJDA 2 juillet 2007, p. 1309, note J-Ch. Jobart : eu égard aux conditions dans lesquels la SNCF a effectué le transport des déportés juifs pendant la seconde guerre mondiale, elle ne peut être considéré comme ayant assuré une mission de service public administratif, ni disposé de prérogatives de puissance publique. La juridiction administrative n’est donc pas compétente pour connaître d’une action en responsabilité engagée contre elle. La SNCF était, en effet, une société d’économie mixte, personne privée, exploitant un service industriel et commercial (et dans la même affaire, TA Toulouse, 6 juin 2006, Consorts Lipietz, RDP 2006, p. 1715, note J.-Ch. Jobart).

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CAA BORDEAUX, 27 mars 2007, SNCF /.LIPIETZ, RJ 2007.2157 ; PRRJ 2007.2157, note F. LEMAIRE, la responsabilité de la SNCF dans la déportation des personnes de confession juive.

V. note O. Renard-Payen, De la délicate distinction entre tiers et usagers d’un service public à caractère industriel et commercial, note sous Cass. 1ère civ., 20 juin 2006, EDF, JCP A 2006, p. 2266 et sous le même arrêt, note P. Sablière, AJDA 2006, p. 2237.

- Les dommages résultant du fonctionnement d'organismes privés assurant une mission de service public

TC, 23 juin 2003, Sté GAN Eurocourtage, Droit adm. 2004, n° 13, obs. R.S : la responsabilité de l’exploitant et du chauffeur de car exploité dans le cadre d’une délégation par le département du service de ramassage scolaire ne se rattache pas à l’exercice d’une prérogative de puissance publique par la personne morale de droit privé ; la juridiction judiciaire est seule compétente pour connaître des conclusions dirigées contre la société de transport.

V. aussi, CE, 8 juin 1988, Gradone, Rec. p. 231 : à propos de l’admission à l’institut national du football créé par la Fédération française. Cet acte ne constitue pas l’exercice d’une prérogative de puissance publique ; CE, 29 juillet 1994, Courty, Rec., p. 369 : à propos de la décision du président d’une crèche d’exclure un enfant motif pris du défaut de vaccination. Cette association participant au service public de la vaccination obligatoire, mais la décision querellée ne procédait pas de l’utilisation d’une prérogative de puissance publique.

Il en va cependant différemment si la faute a été commise à l’occasion de l’exercice de prérogatives de puissance publique,

CE, 23 mars 1983, Sté Bureau Véritas, Rec. p. 133 : en l’espèce, la société VERITAS qui avait été agréée par l’Etat pour assurer le contrôle pour la délivrance et le maintien des certificats de navigabilité des aéronefs civils voyait sa responsabilité engagée à raison d’un retard dans la délivrance d’un tel certificat. Le juge administratif est compétent pour connaître de cette action car la faute a été commise dans l’exercice de prérogatives de puissance publique.

V. aussi, TC, 2 mars 1987, Gourmot, Rec., p. 446 ;; TC, 2 mai 1988, Sté Georges Maurer, Rec., p. 488.

- enfin tous ceux occasionnés par des voies de fait ou des emprises irrégulières.

Nous bornerons notre propos aux deux remarques suivantes :

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- La première est que pour tous les dommages que nous venons d'énumérer, la responsabilité de l'administration ne peut, par définition, être mise en jeu que devant les juridictions de l'ordre judiciaire ;

- La seconde est que cette responsabilité se trouve soumise aux règles normalement appliquées par le juge judiciaire, c'est-à-dire aux articles 1382 et suivants du Code civil. Pour connaître son régime, il suffit donc de se reporter aux ouvrages de droit privé qui traitent de la question.

On notera cependant que, par exception à cette règle, le juge judiciaire a parfois recours aux principes de la responsabilité administrative. Mais ces emprunts au droit public sont rares. Ils concernent, pour l'essentiel, les dommages causés par les services de police judiciaire à des collaborateurs bénévoles de l'administration. Les règles applicables sont alors celles (plus ou moins bien interprétées) de la responsabilité administrative pour dommages causés à ses collaborateurs bénévoles et non pas celles de l'article 1384, alinéa premier du Code civil (Cass. Civ., 23 novembre 1956, Trésor Public c/ Giry, GAJA ; Bull. II. 407 ; AJDA 1956 II, p. 91, Chron. Fournier et Braibant ; D. 1957, concl. Lemoine ; JCP 1956 II 9681, note Esmein ; RD publ. 1958.298, note M. Waline).

B - Les hypothèses législatives de responsabilité de droit privé

L’établissement de régimes législatifs de responsabilité constitue l'une des tendances les plus marquantes de la responsabilité de l'administration à l'époque contemporaine.

Lorsque le législateur a établi un tel régime, l'administration est soumise aux règles spéciales édictées par le législateur. Ces règles possèdent des contenus variables. Tantôt elles s'inspirent des principes du droit public, tantôt elles paraissent davantage marquées du sceau du droit privé.

Mais il arrive, et de plus en plus souvent, qu’en organisant un régime particulier de responsabilité, le législateur donne compétence aux juridictions judiciaires pour l'appliquer.

A partir du moment où le juge judiciaire est seul compétent pour les interpréter et les appliquer, les régimes de responsabilité dont elles relèvent ne font pas partie de la responsabilité administrative. Ils ressortissent de la responsabilité de droit privé de l'administration.

Cela concerne des régimes de responsabilité aussi importants que ceux applicables :

- aux dommages causés par les véhicules administratifs (loi du 31 décembre 1957) : le législateur a voulu unifier le contentieux des accidents de circulation, que le véhicule à l’origine du dommage soit administratif ou privé

- à la responsabilité de l'État à raison des fautes commises par les membres de l'enseignement (loi du 5 avril 1937) ;

Le TC considère que les agents communaux des cantines scolaires n’étant pas membres de l’enseignement public, la responsabilité de l’Etat du fait d’accidents scolaires est écartée.

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- ou encore à l'indemnisation des dommages corporels résultant d'une infraction pénale (loi du 3 janvier 1977).

§3 : Une responsabilité extracontractuelle

La responsabilité administrative s’entend d’une responsabilité extracontractuelle.

En effet, comme en droit privé, la responsabilité de l’administration peut revêtir des formes ou des natures différentes. Elle peut être contractuelle ou quasi contractuelle. Si ce n’est pas le cas, la responsabilité est dite extracontractuelle.

La responsabilité extracontractuelle a un caractère subsidiaire par rapport aux précédentes : ainsi, il existe un principe commun au droit administratif et au droit privé, selon lequel la responsabilité contractuelle prévaut sur la responsabilité extra contractuelle. En d’autres termes, les parties à un contrat ne peuvent exercer l’une contre l’autre d’autre responsabilité que celle découlant du contrat.

Bibliographie : M. Paillet, Quelques réflexions sur les rapports entre responsabilité administrative contractuelle et extracontractuelle (Sur la « tyrannie » du principe de primauté de la responsabilité contractuelle), Mélanges M. Guibal, Presses de la Faculté de Droit de Montpellier, 2006, p. 553.

Il convient donc de dire un mot sur les deux autres formes de responsabilité.

A - La responsabilité contractuelle

La responsabilité contractuelle n’existe que dans la mesure où elle découle directement d’un contrat liant les personnes concernées.

Si, à l’inverse, seule des négociations précontractuelles étaient engagées, la responsabilité extracontractuelle peut seule être engagée (ex. : responsabilité du fait de la renonciation à une procédure de passation d’un marché public avant la conclusion de celui-ci).

Cette responsabilité contractuelle présente certaines caractéristiques :

1) C’est, tout d’abord, une responsabilité pour faute et, en général, pour faute simple. Ce n’est que lorsque le contrat stipule autrement que l’exigence d’une faute lourde s’impose.

Cette faut consiste, tout naturellement, dans la violation d’une obligation contractuelle qui est, en général, stipulée dans le contrat, mais qui peut aussi

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être implicite (par ex., en matière de marchés de travaux publics, il pèse sur le cocontractant une obligation de conseil au profit du maître de l’ouvrage).

On évoque parfois l’existence d’une responsabilité sans faute de l’administration en matière contractuelle constituée par les théories de l’imprévision, du fait du prince ou des sujétions imprévues. Mais, il n’est pas sûr qu’il s’agisse là de cas de responsabilité ; cela semble plutôt correspondre à des mécanismes spécifiques tenant compte à la fois de la nécessité de préserver l’équilibre financier du contrat et de fournir au cocontractant des contreparties aux prérogatives exorbitantes de l’administration.

2) Cette responsabilité contractuelle qui peut peser sur l’un des cocontractants, peut être atténuée par la faute de l’autre cocontractant. Le fait du cocontractant constitue donc une cause exonératoire.

En revanche, le fait d’un tiers ne revêt pas de caractère exonératoire (ex. : une entreprise qui a contracté avec l’administration ne pourra invoquer, pour échapper à sa responsabilité, le fait d’un tiers au contrat, comme par exemple l’architecte ou même son sous traitant).

3) La jurisprudence admet la validité de principe des clauses exonératoires de responsabilité dans les contrats au profit de l'une ou l'autre des parties et cela en vertu du principe de la liberté contractuelle (CE, Sect., 28 janvier 1998, Société Borg-Warner, CJEG 1998 p. 269 note F. Moderne).

Il en va ainsi sous réserve cependant des dispositions textuelles expresses. Ainsi, l’article L. 2131-10 du CGCT déclare nulles les décisions et clauses contractuelles par lesquelles les collectivités locales renoncent à agir en responsabilité contre les personnes qu’elles rémunèrent.

B - La responsabilité quasi contractuelle

Entre ce qui est contrat et ce qui ne l’est pas, il y a des situations que le Code civil a entendu appréhender dans un chapitre du Titre traitant des « engagements qui se forment sans convention » (art. 1371 à 1381).

Il en va de même du droit administratif.

L’article 1376 en donne une définition approximative : par quasi-contrat, il faut entendre « les faits purement volontaires de l’homme dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers et quelquefois un engagement réciproque des deux parties ».

Cette définition est particulièrement vague. Pour autant, les cas d’application de la notion de quasi-contrat sont bien connus : il s’agit de la gestion d’affaires (obligations qui incombent à ceux qui ont géré l’affaire d’autruit), de la répétition de l’indu et de l’enrichissement sans cause.

Dans les trois cas, il s’agit, selon l’expression de R. Chapus, de régimes d’équilibre destinés à remédier à des situations déséquilibrées que l’idée d’équité commande de ne pas laisser subsister.

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Ces trois régimes ont, comme on l’a dit, été accueillis par le droit administratif mais y ont connu des fortunes diverses.

1) L’enrichissement sans cause

C’est incontestablement l’application la plus remarquable et la plus fréquente de la théorie des quasi-contrats par le droit administratif.

C’est en 1892 que sans texte et au nom du principe d’équité qui défend de s’enrichir au détriment d’autrui que la Cour de Cassation a consacré le principe de l’enrichissement sans cause.

En droit administratif, c’est en 1961 que le Conseil d’Etat a fait application du même principe en le qualifiant de « principe général applicable même sans texte » (CE, Sect. 14 avril 1961, Soc. Sud-Aviation, Rec. p. 236 ; RD publ. 1961, p. 655, concl. C. Heumann : travaux exécutés en 1943 dans un caserne sur ordre des autorités allemandes mais qui ont été ensuite utiles à l’armée française qui a occupé la caserne).

L’invocation de l’enrichissement sans cause permet à une personne (généralement un administré) qui a exposé des dépenses utiles pour l’administration d’en obtenir l’indemnisation en dehors de toute relation contractuelle.

Les terrains d’élection de l’enrichissement sans cause se rencontrent en matière de travaux publics et à la périphérie des contrats dans des cas où l’administration a bénéficié de travaux ou fournitures en dehors ou en marge d’un contrat : il y aurait donc pour elle enrichissement « sans cause » si le prestataire n’était pas indemnisé.

Cela vise plus précisément les prestations réalisées :

- sans qu’aucun contrat n’ait été préparé (CE, Sect., 2 décembre 1966, Soc. France-Reconstruction-Plan, Rec. p. 635) ;

- sur la base d’un contrat qui n’a pas été finalement conclu (CE, 24 juin 1938, Commune d’Huos, Rec. p. 577) ;

- ou en marge d’un contrat existant (CE, Sect., 17 octobre 1975, Commune de Canari, Rec. p. 516 ; AJDA 1975, p. 562, chron. M. Boyon et M. Nauwelaers ; CE, 19 mars, Cojonde, Rec. Lebon, p. 671 : cas où un entrepreneur de travaux publics a exécuté des « travaux utiles » non prévus au contrat et irrégulièrement ordonnés, parce que résultant d’un ordre verbal, alors qu’un ordre écrit était nécessaire)

- ou qui est entaché de nullité (CE, 15 juillet 1959, Vauzelle, Rec. p. 466 ; CE, 8 décembre 1995, Ville de Saint-Tropez, AJDA 1996, p. 448, note V. Haïm) ;

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- ou qui était arrivé à son terme (CE, 8 avril 1987, Deloisy, Droit adm. 1987, n° 282 : agent public ayant poursuivi son activité après l’expiration de son contrat d’engagement) ;

L’enrichissement sans cause obéit à un certain nombre de règles :

- Il faut que les dépenses effectuées par le demandeur aient été utiles à la personne publique ;

- Le demandeur n’a droit qu’au remboursement des dépenses utiles qu’il a exposé à l’exclusion de tout bénéfice (ou espoir de gain) ;

- mais il peut réclamer la réparation de ce chef de préjudice si l’administration a commis une faute (par exemple en ayant conclu un marché illégal) ;

- En revanche, s’il a lui-même commis une faute ayant contribué à son appauvrissement, l’indemnité à laquelle il a droit sera diminuée en conséquence. Mais le fait d’avoir commis une imprudence ou une négligence ne prive pas l’appauvri de son recours.

NB : Lorsqu’un accord contractuel a réglé les rapports entre deux personnes, il n’est pas possible à l’une d’entre elles de s’appuyer sur l’enrichissement sans cause pour revendiquer le paiement de sommes omises dans cet accord : CE, 5 octobre 2005, Commune de Maurepas, Droit adm. décembre 2005, n° 178.

Bibliographie : F. Moderne, Les quasi-contrats administratifs, Sirey 1995.

2) La répétition de l’indu

C’est le droit d’une personne à obtenir le remboursement d’une somme qu’elle a payé par erreur.

Cette situation est régie par les articles 1376 et suiv. du Code civil, lesquels sont applicables en droit administratif (CE Ass., 1er décembre 1961, Société Jean Roques, Rec. p. 675 : illégalité d’un décret excluant le remboursement de l’indu en matière de cotisations sociales).

Cette théorie permet aussi bien à l’administration qu’à un particulier d’obtenir la répétition d’une somme qu’elle a indûment versée :

- Concernant les particuliers : contentieux de la répétition de l’indu d’une taxe, notamment lorsqu’elle a été jugée illégale par le droit communautaire ; paiement de frais d’hospitalisation de parents par le demandeur qui se croyait débiteur (TA Versailles, 12 février 1996, Epx Gusella, AJDA 1996, p. 406, obs. J. Krulic) ;

- Concernant l’administration : elle peut réclamer à ses agents le remboursement des sommes qu’elle leur a versé indûment (par exemple en l’absence de service fait) et cela pendant 30 ans. Mais si ces sommes ont été perçues de bonne foi, l’agent a droit à des dommages et intérêts.

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Bibliographie : P. Amselek, « La répétition de l’indu payé aux personnes publiques », Mélanges R. Chapus, 1992, p. 5.

3) La gestion d’affaires Elle est peu développée en droit administratif.

Le Code civil définit la gestion d’affaires comme résultant de l’intervention spontanée et bénévole, mais également utile, d’une personne dans les affaires d’autrui, à qui un service est ainsi rendu.

Elle entraîne l’obligation de rembourser les dépenses utiles ou nécessaires faites par celui qui est intervenu dans les affaires d’autrui et pour ce qui nous concerne de l’administration.

La jurisprudence administrative n’y est guère favorable, sans doute parce qu’elle souhaite protéger l’administration contre les immixtions intempestives des parties.

La doctrine présente deux solutions jurisprudentielles comme se rattachant à la théorie de la gestion d’affaire deux. Il s’agit :

- d’une part de la validation des actes des administrateurs qui se sont substitués aux autorités administratives défaillantes en cas de circonstances exceptionnelles (validité des actes du gérant d’affaires ; v. théorie des circonstances exceptionnelles)

- et, d’autre part, de la responsabilité de l’administration du fait des dommages subis par les collaborateurs bénévoles : cas de réparation du dommage subi par le gérant d’affaire à l’occasion de son immixtion bénévole et utile dans le fonctionnement de l’administration.

Dans ces cas, la gestion d’affaires joue comme source d’inspiration, mais le juge administratif ne recourt pas aux mécanismes stricts des quasi-contrats auxquels sa jurisprudence ne se réfère pas expressément. Il s’agit simplement pour le juge de régir les conséquences de l’intervention de tiers dans l’exécution des services publics.

SECTION 2

L’EVOLUTION DE LA RESPONSABILITE ADMINISTRATIVE

Bibliographie : Jean WALINE, L’évolution de la responsabilité extra-contractuelle des personnes publiques, EDCE 1994, n° 46 p. 459 ; Christian DEBOUY, Le droit français de la responsabilité administrative : métamorphose ou permanence ?, CJEG 1997 p. 327 ; Dominique PHILIPP, De la responsabilité à la solidarité des personnes publiques, RDP 1999 p. 593 ; Colloque « Puissance publique ou impuissance publique ? », AJDA 1999 n° spécial, p. 92 et s. (différentes contributions sur le droit de la responsabilité).

Rien ne parait plus normal aujourd'hui que la responsabilité administrative. Conforme aux principes les plus élémentaires de l'État de droit, elle constitue pour les administrés une garantie essentielle dont l'existence même ne souffre aucune discussion. Pourtant l'évolution historique montre que cette conception n'a pas toujours été admise.

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Le principe d'une responsabilité administrative a eu du mal à triompher. Il ne s'est imposé que progressivement. Trois étapes peuvent, à cet égard être distinguées.

§1er : L'irresponsabilité initiale de l'administration

Pendant les trois premiers quarts du 19ème siècle, l'irresponsabilité de l'administration fut le principe : les administrés victimes de dommages ne se voyaient reconnaître aucun droit à réparation. Leur seul recours était de s'en remettre à la bonne volonté de l'administration pour obtenir une réparation gracieuse.

Ce principe d'irresponsabilité ne tolérait qu'un très petit nombre d'exceptions découlant de textes exprès.

La plus notable concernait les dommages de travaux publics qu'en vertu d'une interprétation assez audacieuse de la loi du 28 pluviôse an VIII (article 4), le juge administratif acceptait de réparer. Mais en dehors de ce cas, les hypothèses de responsabilité étaient rares.

On peut en citer quelques unes consacrées par le législateur (exemple : responsabilité des communes en cas de dommages causés par les attroupements : loi du 10 Vendémiaire an IV) et quelques autres admises par la jurisprudence (en matière de fautes commises par le service des Postes ou par celui de la navigation).

A ces textes s’ajoute une certaine responsabilité contractuelle fondée sur les contrats passés entre l’Etat et les particuliers, même sous l’Ancien Régime.

Il faut également signaler le fait que les tribunaux judiciaires acceptaient de retenir la responsabilité pour faute des communes à une époque où celles-ci étaient assimilées à de simples personnes privées, ceci avant les arrêts C.E. 6 février 1903, Terrier : responsabilité contractuelle, et C.E. 29 février 1908, Feutry : responsabilité extracontractuelle.

Mais, au total, fort peu de chose. Rien, en tout cas, qui vînt remettre en cause le principe d'irresponsabilité de l'administration.

Les raisons de cet état de fait s’expliquent principalement par des raisons idéologiques, accessoirement par des raisons techniques.

Des raisons idéologiques :

La principale raison de l'irresponsabilité de la puissance publique résidait dans le mode de pensée de l'époque, encore profondément imprégné des idées d'Ancien Régime. Malgré la Révolution, la maxime selon laquelle "Le Roi ne peut mal faire" conservait toute sa valeur.

Certes la Nation avait succédé au Roi. Mais elle avait hérité de ses principaux attributs. Comme lui, elle était souveraine. Comme lui, elle était censée oeuvrer dans l'intérêt général. Il paraissait normal qu'elle bénéficiât de la même impunité que le monarque naguère.

Rappelons que l’adage s’est maintenu en Grande Bretagne jusqu’au lendemain de la dernière guerre : The King can do no wrong.

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Des raisons techniques :

On a pu invoquer l'absence de texte général consacrant la responsabilité de l'administration et la difficulté de transposer en matière administrative le système de l'article 1382 du Code Civil trop exclusivement lié à la faute.

Une telle conception n’était tenable qu’au regard de deux séries de considérations :

A cette époque, l’action de l’administration tenait essentiellement dans l’exercice de fonctions régaliennes, de fonctions de souveraineté, peu propices à la reconnaissance d’un principe de responsabilité.

Le nombre des dommages causés par l’action, réduite à cette époque, de l'administration était somme toute peu élevé.

L’avènement de la responsabilité administrative est directement lié à une évolution sur ces deux plans.

§2 : L'avènement de la responsabilité administrative

Plusieurs causes convergentes ont contribué à admettre le principe d’une responsabilité administrative, cependant partielle et atténuée, au début des années 1870.

La première tient au développement des idées libérales qui postulent un contrôle plus étroit de l'administration, et s'accommodent mal de l'irresponsabilité des personnes publiques. Le temps n'est plus à la proclamation de la souveraineté l'État, mais bien à la limitation de ses pouvoirs.

Un autre phénomène, d'ordre matériel celui-là, va jouer dans le même sens. La fin du 19ème siècle coïncide avec une extension remarquable des interventions publiques dans les secteurs de l'industrie, de l'énergie, des communications.

La conséquence inévitable de cette évolution est que les dommages se multiplient. La conscience publique appelle leur réparation.

Le principe d'irresponsabilité perd l'une de ses justifications principales de la période antérieure : il devient de moins en moins défendable.

Enfin - et ce fut sans doute là l'élément décisif - la loi du 24 mai 1872 réorganise le Tribunal des Conflits et accorde au Conseil d'État le statut de juridiction indépendante, facilitant ainsi l'avènement d'une responsabilité administrative digne de ce nom.

C’est l'arrêt Blanco qui a consacré cette évolution des idées

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TC, 8 février 1873, BLANCO, Rec. 1er suppl. 61, concl. R. David ; GAJA, n° 1

Les faits tiennent en peu de mots : la jeune Agnès Blanco avait été renversée et blessée par un wagonnet d’une manufacture de tabacs, exploitée en régie par l’Etat. Son père avait alors saisi les tribunaux judiciaires d’une action en dommages-intérêts contre l’Etat civilement responsable des fautes commises par les ouvriers de la manufacture. Et de fait, il faut relever que le dommage avait certes été causé par l’Etat mais à l’occasion de l’exploitation d’une manufacture de tabacs qui a une grande ressemblance avec une industrie privée et que les faits d’imprudence étaient reprochés à de simples ouvriers en dehors de la hiérarchie administrative.

Le Conflit ayant été élevé, le Tribunal des Conflits devait trancher la question que le commissaire du gouvernement David lui soumettait en ces termes : « Quelle est, des deux autorités administrative et judiciaire, celle qui a compétence générale pour connaître des actions en dommages-intérêts contre l’Etat ? ».

Le Tribunal des Conflits lie cette question de compétence à une question de fond : s’il tranche en faveur de la compétence administrative, c’est pour des raisons de fond tenant à la nécessaire autonomie du droit de la responsabilité administrative justifiée par les besoins du service public. Et il le fait en ces termes :

"Cons. que la responsabilité, qui peut incomber à l'État pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu'il emploie dans le service public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code Civil, pour les rapports de particulier à particulier ;

que cette responsabilité n'est ni générale ni absolue ; qu'elle a ses règles spéciales qui varient selon les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l'État avec les droits privés ;

que, dès lors, ... l'autorité administrative est seule compétente pour en connaître".

L’arrêt "Blanco" pose ainsi trois principes qui vont dominer pendant longtemps et marquent aujourd'hui encore, dans une large mesure, le droit de la responsabilité administrative :

- le premier est celui de l'existence même d'une responsabilité administrative ; l’arrêt constitue ainsi l'acte de naissance de la responsabilité administrative (alors même qu’en principe le Tribunal des Conflits n’est que juge de la compétence).

- le deuxième est celui de la compétence de la juridiction administrative pour connaître de cette responsabilité toutes les fois qu'elle résulte du fonctionnement d'un service public ;

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- le troisième, enfin, est celui de l'autonomie du droit de la responsabilité administrative par rapport aux règles et principes du Code civil. Mais au-delà, bien sûr, l’arrêt fonde ce qu’il est convenu d’appeler l’autonomie du droit administratif.

On a pu se demander si l’importance de l’arrêt et de sa solution avait été perçue immédiatement. Il est probable que la réponse est négative et que le caractère fondamental de son apport est apparu ultérieurement à la faveur de sa redécouverte par le Commissaire du gouvernement Teissier dans les années 1906-1908. Cela est normal car, en réalité, l’arrêt ne faisait que systématiser des solutions antérieures. Ce qui reste, c’est qu’il a marqué un tournant tant du point de vue du droit de la responsabilité administrative que du droit administratif en général.

Quant à nous, il nous faudra, bien sûr, revenir sur le sens et la portée du principe d’autonomie de la responsabilité administrative.

§3 : La généralisation de la responsabilité administrative

A partir de là, la responsabilité administrative s’est généralisée et renforcée et n’a cessé de le faire. Cette extension ne s’est évidemment réalisée que progressivement, par étapes successives. Mais elle a été constante et s'est manifestée de quatre manières.

A - La généralisation de la responsabilité administrative pour faute

A la fin du 19ème siècle subsistaient encore des zones d'irresponsabilité. Le Conseil d'État va les faire disparaître en admettant d’abord la responsabilité de l'administration envers ses agents (CE, 29 mai 1903, Le Berre, Rec. Lebon, 414, S 1904 3 121, concl. Teissier).

Mais surtout, la généralisation de la responsabilité de la puissance publique va connaître deux grandes étapes.

1905 d’abord, avec l’admission de la responsabilité de l’Etat pour les dommages causés par des mesures de police, alors même que l’on se trouve au cœur de la souveraineté : CE, 10 février 1905, Tomaso Greco, Rec. 139, concl. Romieu ; S 1905, 3, 113, note M. Hauriou ; GAJA n°15.

1978 ensuite, lorsque le juge administratif a étendu cette responsabilité aux dommages résultant de l'activité de la juridiction administrative : CE, 29 décembre 1978, Darmont, Rec. Lebon, p. 542 ; AJDA 1979, n° 11, p. 45, note M. Lombard ; D. 1979, 279, note M. Vasseur ; RD publ. 1979 1742, note J. M. Auby.

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Il est vrai que plusieurs lois ont progressivement retiré à la justice ce privilège d’irresponsabilité totale qui était le sien et ce, depuis 1895. On y reviendra en rappelant que récemment une loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence prévoit une indemnisation de la personne placée en détention provisoire lorsque la procédure se termine par un non-lieu, une relaxe ou un acquittement.

Mais depuis 1895, la loi permettait d’accorder des indemnités en cas d’erreur judiciaire. Plus récemment, la loi du 17 juillet 1970 permettait d’accorder des indemnités à titre exceptionnel dans des cas de détention provisoire abusive et la loi du 5 juillet 1972 disposait que l’Etat était tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux de la justice.

Il en résulte qu'aujourd'hui, la responsabilité administrative pour faute possède un champ d'application à peu près général.

B - L admission d’une responsabilité (même) sans faute.

Consacrée pour la première fois dans l'arrêt "Cames" (CE, 21 juin 1895, Rec. Lebon, p. 509, Concl. Romieu, S.1897.3.33, concl. et note M. Hauriou) en matière d'accidents du travail subis par des agents de l'administration, elle a par la suite été appliquée à de très nombreuses reprises, aussi bien

- pour sanctionner un risque particulièrement grave créé par l'administration

- que pour compenser une rupture de l'égalité devant les charges publiques causée par elle. Particulièrement favorable aux victimes, elle constitue l'aspect sans doute le plus original de la responsabilité administrative.

C – Le recul de l’exigence de la faute lourde

Traditionnellement certains domaines de l’action de l’administration (notamment en raison de la complexité des conditions de son intervention) ne permettaient l’engagement de la responsabilité publique qu’en cas de commission d’une faute excédant un certain degré de gravité. Une faute simple n’engageait donc pas la responsabilité de l’administration.

La jurisprudence du conseil d’Etat tend actuellement à réduire, voire pour certains à supprimer cette exigence de la faute lourde : voir responsabilité médicale, responsabilité du fait de services fiscaux et, plus récemment encore, responsabilité du fait des services de secours et des services pénitentiaires.

D – Le « perfectionnement » des rapports entre la responsabilité de l'administration et la responsabilité de ses agents.

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L’expression est de G. Vedel. Et de fait, au fil du temps, le juge n'a cessé de développer pour les victimes les possibilités de demander réparation à l'administration (toujours solvable) plutôt qu'à ses agents.

§4 : Responsabilité administrative et irresponsabilité de l'administration

L'étude de l'évolution historique a montré que la responsabilité administrative était devenue générale, qu'elle s'étendait désormais à tous les secteurs de l'activité administrative. Cette affirmation ne souffre guère de discussion. Il n'y a pas à revenir dessus.

Il persiste néanmoins quelques îlots d'irresponsabilité, soit à l’initiative du juge administratif (les actes de gouvernement), soit du fait du législateur.

A - Les hypothèses jurisprudentielles d'irresponsabilité : Les actes de gouvernement

L’immunité juridictionnelle dont bénéficient les actes de gouvernement s’étend à la responsabilité. Mais concernant cette dernière, elle connaît aussi certaines limites.

1) Le principe de l’immunité juridictionnelle des actes de gouvernement

Rappel : Les actes de gouvernement sont les actes pris par l’autorité exécutive et :

- relatifs aux rapports entre les pouvoirs publics, tels les décret de convocation des assemblées, le dépôt d'un projet de loi, la décision de recourir au référendum … (CE 3 décembre 1993, Meyet et Bidalou, DA 1994 n° 48 : décret du président de la république instituant un Comité consultatif pour la révision de la Constitution) ;

- relatifs à la négociation et à la ratification d'un accord international, refus du gouvernement de se conformer aux obligations juridiques découlant d'un traité ;

- ou, plus largement, relatifs à la conduite des affaires internationales, tel l’intervention auprès d'un État étranger pour la protection des biens des ressortissants français (CE, Ass., 29 décembre 1995, Association Greenpeace France, Rec. Lebon, p. 347, RD publ. 1996 p. 256 concl. M. Sanson : à propos de la décision de reprise des essais nucléaires français dans le pacifique).

Ces actes bénéficient d’une immunité juridictionnelle résultant de l’incompétence tant des juridictions administratives que judiciaires pour en connaître. Cela n’est pas, également, sans conséquence sur le contentieux de la responsabilité susceptible de découler de ces actes lorsqu’ils causent un préjudice.

Il en résulte, en principe, l’irresponsabilité de l’autorité publique pour les dommages causés par ces actes :

CE 16 mars 1962, Prince Sliman Bey , Rec. Lebon, p. 179 :  à propos de la méconnaissance des obligations d'un traité international. Le 1er juillet 1953, le bey du camp de Tunisie, héritier du trône de Tunisie était assassiné. Son fils, le prince Sliman Bey, engagea alors la responsabilité de l’Etat français en raison de la méconnaissance des obligations résultant du traité du Bardo selon lequel le gouvernement français prenait l’engagement de prêter un constant appui à son Altesse le Bey de Tunis contre tout danger qui menacerait la personne ou la dynastie de son Altesse ou qui compromettrait la tranquillité des ses Etats. La question soulevée mettait directement en cause les rapports de la France avec la dynastie

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régnante ; elle « n’est pas susceptible, en raison de sa nature, d’être portée devant la juridiction administrative ».

CE, 20 novembre 1968, Tallagrand, Rec. Lebon, p. 607 : absence de dépôt d’un projet de loi

2) Limites de l’immunité juridictionnelle des actes de gouvernement

Le principe connaît cependant des limites développées par le juge administratif et cela au travers de la mise en oeuvre de plusieurs techniques.

En premier lieu, il faut indiquer que depuis les années 1950, le CE juge qu’il n’y a acte de gouvernement que dans le cas où une décision a été prise et où cette décision est en relation avec des opérations ayant officiellement le caractère d’une guerre ou d’une intervention militaire.

A défaut, il accepte de connaître de la demande mais rejette au fond les recours en dommages-intérêts exercés contre l’Etat en leur opposant le principe de son irresponsabilité du fait des dommages résultant d’opérations militaires (CE, Sect., 17 juillet 1950, Et. Ranisse, Rec. p. 442 ; CE, Ass., Guyot, Rec. p. 259 : dommages liés aux opérations militaires franco-anglaises d’octobre novembre 156 …).

En deuxième lieu, le juge administratif admet la responsabilité sans faute du fait des traités internationaux :

CE, Ass. 30 mars 1966, Compagnie générale d’énergie radio-électrique, Rec. Lebon, p. 257 ; GAJA : en l’espèce étaient en cause des réquisitions opérées par des forces occupantes en temps de guerre ; le CE va admettre d’engager la responsabilité sans faute de l’Etat sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, dans le mesure où les traités régissant les indemnisations pour occupation par les forces nazies n’ont pas exclu une telle indemnisation ; Mais seul le préjudice spécial et anormal peut alors être réparé.

En troisième lieu, le juge administratif applique la théorie des actes détachables :

CE, Sect., 29 avril 1987, Consorts Yener et Consorts Erez, AJDA 1987 p. 450 : à propos de l’assassinat de l’ambassadeur de Turquie et de son chauffeur par deux membres présumés de l’armée secrète arménienne, les veuves et les enfants des deux victimes demandaient réparation de leur préjudice, en invoquant principalement la faute lourde des services de police français chargés de la protection de l’ambassadeur.

En se fondant sur la solution de l’arrêt Prince Sliman Bey, le Conseil d’Etat aurait pu se déclarer incompétent car l’obligation de protection des diplomates résulte de la convention de Vienne du 18 avril 1961 (à laquelle la Turquie n’était pas partie) mais plus généralement du droit international général. On aurait donc pu soutenir que l’appréciation de la manière dont les services de police s’étaient acquittés de leur tâche avait trait aux relations bilatérales entre la France et la Turquie.

L’arrêt ne retient pourtant pas cette solution en faisant application de la théorie de l’acte détachable :

« Cons. que M. Erez, ambassadeur de Turquie en France et M. Yener, son chauffeur, ont été victimes d’un attentat, commis à Paris le 24 octobre 1975 vers 13h30, alors qu’ils circulaient en automobile sur le pont de Bir Hakeim et se dirigeaient vers les locaux de l’ambassade distants de quelques centaines de mètres ; que dans les circonstances de l’affaire, la mise en jeu de la responsabilité de l’Etat à raison d’une éventuelle insuffisance des mesures de police pour assurer la protection due aux victimes compte

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tenu de leur appartenance à une mission diplomatique ne met pas en cause la conduite des relations internationales de la France, mais dépend seulement de l’appréciation portée sur la façon dont les services de police se sont acquittés de leur mission de sécurité qui était en l’espèce détachable desdites relations  ».

Il faut s’arrêter sur le critère de l’acte détachable : on se rappelle à cet égard que M. Genevois opposait les mesures d’exécution des traités « tournées vers l’ordre international », qui échappent de ce fait à la compétence de la juridiction française et les mesures « tournées vers l’ordre interne », qui, au contraire, relèvent de sa compétence (concl. sur CE, Sect., 22 décembre 1978, Vo Thang Nghia, Rec., p. 523 ; AJDA avril 1979, p. 36 : à propos du contentieux de la légalité du permis de construire une ambassade).

En l’espèce, l’idée qui a prévalu est que la mission de sécurité qui incombe aux services de police est avant tout tournée vers l’ordre interne, même lorsqu’elle a pour objet des diplomates étrangers. Et de fait l’on peut estimer que la mission de veiller à la sécurité des personnes sur le territoire français est une mission qui concerne avant tout l’ordre public français, même lorsqu’elle s’exerce au profit de ressortissants étrangers.

Cela dit, le Conseil d’Etat ne retient pas, dans cette affaire, la faute lourde des services de police.

V. aussi, CE 19 février 1988, Soc. Robatel, AJDA 1988 p. 354, concl. Massot : à propos de l’interdiction d'exportation de matériels destinés à une usine de retraitement des combustibles au Pakistan afin d'obtenir de ce pays des garanties de non prolifération nucléaire qui est considérée comme détachable des relations diplomatiques°

B - Les hypothèses législatives d'irresponsabilité : le principe de non indemnisation des servitudes d’urbanisme

NB : Cette question sera reprise à propos de la responsabilité du fait des lois (v. infra).

Il a longtemps été considéré – tant par le juge administratif que par le juge judiciaire (1) - que les propriétaires de terrains grevés de servitudes administratives légalement instituées ne pouvaient bénéficier d’aucune indemnité.

Sur la question, v. concl. F. Séners sur CE, Sect., 29 décembre 2004, Société d’aménagement des coteaux de Saint-Blaine, BJDU 3/2005, p. 182

Cette position a prévalu jusqu’à la première guerre mondiale qui a marqué, là comme ailleurs, une nette césure. Le Gouvernement a préparé en 1919 un projet de loi sur les servitudes d’utilité publique et leur indemnisation avant de renoncer à le soumettre au Parlement par crainte des conséquences financières, notamment en matière de planification urbaine.

Mais les sensibilités avaient évolué.

Par un arrêt du 30 novembre 1923, Couitéas (sur lequel nous reviendrons), le CE avait consacré une responsabilité sans faute pour rupture de l’égalité devant les charges publiques et affirmé un principe général selon lequel tout acte de la puissance publique ouvre droit à réparation lorsqu’il en résulte un dommage direct, matériel et spécial.

Dans le contexte particulier du droit de l’urbanisme, l’application des premières règles d’urbanisme issues des lois des 14 mars 1919 et 19 juillet 1924 donna l’occasion à la Section de l’intérieur du Conseil d’Etat d’émettre, à la demande du gouvernement, un avis de 1924 selon lequel qu’en l’absence de disposition expresse il convenait de faire application de ce principe général à la matière des servitudes d’urbanisme.

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Cette jurisprudence et cet avis ont amené le législateur à multiplier les régimes spéciaux d’indemnisation des servitudes d’utilité publique et des servitudes d’urbanisme.

Un décret du 25 juillet 1935 exclut, pour la première fois, l’indemnisation de plusieurs catégories de servitudes d’urbanisme puis la règle a reçu une portée plus générale dans la loi du 15 juin 1943 relative à l’urbanisme (art. 80 codifié à l’article 82 du CCH), codifiée en dernier lieu dans l’article L. 160-5 du Code de l’urbanisme.

Lorsqu'une loi consacre ainsi l'irresponsabilité de l'administration, le juge ne peut que s'y conformer et rejeter les demandes en réparation formées par les victimes.

Ces hypothèses d'irresponsabilité légales sont cependant fort rares.

Il n’en reste pas moins que le droit applicable à ces servitudes et à leur indemnisation est extrêmement hétérogène.

Bibliographie : F. Bouyssou, L’indemnisation des servitudes d’intérêt public, Droit et Ville 1990, n° 30, p. 112).

CONCLUSION

Ainsi que l'écrit J. Moreau, l'arrêt Blanco a donc été démenti pour partie : La responsabilité administrative est devenue générale. Et cela se comprend. A une époque marquée par le triomphe de l'État Providence, l'irresponsabilité de l'administration ferait figure d’anachronisme. Sa responsabilité généralisée apparaît au contraire comme une solution normale, contrepartie nécessaire des pouvoirs exorbitants de la puissance publique. L'évolution était donc inévitable.

Elle n'est pas achevée pour autant. Nous verrons qu'en dépit de son degré actuel de perfectionnement, le droit de la responsabilité administrative peut encore progresser.

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ANNEXE I

Responsabilité administrative et responsabilité pénale : Le champ d’application de la responsabilité pénale des personnes publiques

L’article 121-2 du Code pénal dispose :

« Les personnes morales, à l’exclusion de l’Etat, sont responsables pénalement selon les distinctions des articles 124-4 à 121-7 (et dans les cas prévus par la loi ou le règlement), des infractions commises pour leur compte, par leurs organes ou leurs représentants.

Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégations de services publics.

La responsabilité pénale des autres personnes morales n’exclut pas celles des personnes physiques, auteurs ou complices des mêmes faits sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 121-3 du Code pénal ».

Pour examiner la portée de cette disposition, il convient d’en préciser le champ d’application (en laissant de côté les conditions de sa mise en œuvre, notamment procédurale et les sanctions qu’elle détermine).

Elle ne pèse que sur les collectivités locales et les établissements publics, à l’exclusion de l’Etat, parce qu’il incarne la souveraineté et se trouve être le seul dépositaire du droit de punir. A cela il faut ajouter qu’il serait en même temps procureur et accusé dans le procès pénal, outre qu’il serait également juge.

S’agissant des collectivités locales, elles ne sont pénalement responsables que dans le cadre des activités susceptibles d’être déléguées par convention.

Il faut préciser cette notion avant d’examiner les infractions susceptibles d’être sanctionnées.

A - Les activités susceptibles de faire l’objet d’une gestion déléguée par convention

L’emploi de la notion « convention de délégation de service public », pour ambiguë qu’elle soit, s’explique par le fondement de ce texte qui est d’assurer une égalité entre les gestionnaires de service public au regard de la responsabilité pénale quel que soit le mode de gestion du service : régie ou dévolution contractuelle.

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Si la condition (activité susceptible …) est difficile à préciser, on peut dire sa portée n’est guère restrictive car les activités déléguables sont nombreuses. Aujourd’hui l’essentiel des services publics, aussi bien administratifs qu’industriels et commerciaux, sont susceptibles de faire l’objet d’une gestion déléguée (v. avis du CE du 7 juin 1986, et du 7 avril 1987 ; et circulaire du 7 août 1987 relative à la gestion des cantines scolaires).

La seule limite concerne donc les activités relevant de la puissance publique, c’est-à-dire de l’édiction des mesures réglementaires et de la police administrative et les fonctions confiées en propre à la collectivité publique, comme la surveillance des enfants dans les écoles.

B - Les infractions sanctionnées

A l’origine, la responsabilité pénale des personnes morales (et donc des personnes morales de droit public) obéissait à un principe de spécialité, en ce sens que cette responsabilité ne pouvait être retenue que si le texte établissant l’infraction le prévoyait expressément.

Mais la réduction du champ d’application de la responsabilité pénale susceptible d’en résulter était relative parce que ces textes sont nombreux et assez divers.

Aussi bien la modification apportée sur ce point par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (dit loi Perben II) qui a supprimé le principe de spécialité de la responsabilité pénale des personnes morales peut apparaître d’une portée pratique limitée. Cette disposition devra entrer en vigueur le 31 décembre 2005. Cela signifie que cette responsabilité générale pourra être engagée sans avoir à être prévu par le texte d’incrimination.

La liste en a été dressée par une circulaire du 14 mai 1993 commentant les dispositions législatives du Code pénal.

Certaines de ces infractions sont instaurées par le Code pénal lui-même :

221-7 : le fait d’avoir causé la mort ou l’incapacité totale ou partielle de travail d’autrui par imprudence, négligence ou manquement à l’obligation de sécurité ou de prudence.

C’est là que la question de la responsabilité pénale des personnes morales de droit public reste particulièrement sensible dans la mesure où il s’agit le plus souvent de commissions d’infractions concernant des délits non intentionnels dans les domaines tels que l’éducation, les transports, la sécurité, les loisirs …

225-4 : discrimination entre personnes physiques (ex. discrimination raciale en matière d’accès à l’aide sociale ou aux services publics) ;

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226-24 : infraction aux règles de protection de la vie privée en matière de gestion des fichiers, notamment informatiques (par ex. violation des normes fixées par la CNIL).

D’autres infractions résultent de textes non codifiés :

Atteinte au droit d’auteur, tel le délit de contrefaçon d’une œuvre de l’esprit (ex. : logiciel informatique dupliqué au sein de la collectivité) ;Atteinte à l’environnement :: par exemple, diverses infractions ont été instaurées en matière de pollution atmosphérique ou marine, d’élimination des déchets, ou encore d’installations classées (gestion d’une décharge ou d’une usine d’incinération par une collectivité …).

En conclusion,

La responsabilité pénale des personnes morales et plus spécialement celle des personnes publiques est en pratique peu recherchée et il existe peu de décisions rendues en la matière. Par exemple, en 2001, sur environ 400 décisions judiciaires, moins de 10% concernaient les personnes morales de droit public.

Il reste que la mise en jeu de la responsabilité pénale des personnes publiques est une question sensible.

Il faut rappeler l’affaire du Drac dans laquelle les faits étaient relatifs à une sortie éducative de découverte d’une classe scolaire dans le lit de la rivière Drac pour observer l’habitat des castors. A la suite de lâchers d’eau à l’initiative d’EDF, la brusque montée du cours de la rivière avait entraîné la noyade de six enfants et de leur accompagnatrice, employée de la ville de Grenoble. En plus de la responsabilité de l’institutrice, puis celle de la directrice retenue en appel, celle de la ville de Grenoble avait été reconnue sur les fondements d’homicide et de blessures par imprudence successivement par le tribunal correctionnel et la cour d’appel.

Sur le plan strictement juridique, la question était de savoir si l’accident s’était produit à l’occasion de la conduite d’une activité délégable par la ville de Grenoble.

Sur ce point la Cour de cassation a jugé :

« Att. que pour dire la commune de Grenoble susceptible de poursuites pénales à raison de l’accident, la cour d’appel énonce que les faits reprochés ont été commis à l’occasion de l’exercice, par la commune d’activités « à la périphérie du service public de l’enseignement », auxquelles les personnes privées peuvent participer, qui ne relèvent pas d’une prérogative de puissance publique et qui peuvent, dès lors, être déléguées ;

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Mais att. qu’en statuant ainsi, alors que l’exécution même du service public communal d’animation des classes de découverte suivies par les enfants des écoles publiques et privée pendant le temps scolaire, qui participe du service de l’enseignement public, n’est pas, par nature, susceptible de faire l’objet de conventions de délégation de service public, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé ».

La chambre criminelle considère ainsi que l’enseignement public n’est pas délégable tout comme toutes les activités scolaires, et notamment les sorties scolaires (Cass. crim., 12 décembre 2000, Bull. crim. 2000,n° 371 ; Petites Affiches, 5 janv. 2001, n° 4, p. 13 : B. Poujade et F. Meyer, l’affaire du Drac : la responsabilité pénale de la ville de Grenoble, Gaz. Pal., déc. 1998, p. 54 ; M-F. Steinlé, « la portée de la loi n° 2000-467 du 10 juillet 2000 : à propos de la catastrophe du Drac).

La Cour de cassation a réitéré sa position dans une affaire qui mettait en cause la responsabilité pénale de la région Franche-Comté à la suite d’un accident survenu à un élève d’un établissement professionnel d’enseignement sur une machine-outil (Cass. crim., 11 décembre 2001, Bull. crim. 2001, n° 265 ; Droit pén. 2002, n° 40 ; Gaz. Pal., 3-4 juillet 2002, note S. Petit).

Ce texte pose encore de nombreux problèmes d’interprétation et d’acclimatation au contexte des personnes de droit public.

Par exemple, la question de savoir si le juge pénal est compétent pour condamner la personne morale de droit public à des dommages intérêts dans le cadre de l’action civile alors que la faute est une faute de service est une question qui n’est pas tranchée, les juridictions ayant jugé dans des sens extrêmement différents.

Bibliographie : F. Gartner, « L’extension de la responsabilité pénale aux personnes publiques », RFD adm. 1994, p. 126 ; A. Lévy, « La jurisprudence sur la responsabilité pénale des personnes publiques » Droit adm. juin 2004, p. 12 et juillet 2004, p. 14 ; J-C. Bonichot, « La responsabilité pénale des personnes publiques », Gaz. Pal., 1999, p. 772 ; A. Jorda, « La responsabilité pénale des personnes morales de droit public à la lumière de la jurisprudence », Gaz. Pal., 11-23 février 2001, p. 4.

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CHAPITRE 2LES FONDEMENTS DE LA RESPONSABILITE ADMINISTRATIVE

La responsabilité administrative repose sur deux fondements : tantôt elle est fondée sur la faute (Section 1), tantôt il s’agit d’une responsabilité sans faute (Section 2).

Section 1ère : La responsabilité administrative pour faute

Le système de la responsabilité pour faute constitue le droit commun de la responsabilité administrative. Il couvre, du reste, un champ particulièrement étendu.

Cela étant, lorsque l’action administrative cause un dommage, plusieurs solutions sont concevables et la réparation des dommages causés par l’action administrative peut se concevoir de plusieurs manières.

La première solution consiste à faire peser tout le poids de la responsabilité sur l’agent qui a occasionné le dommage. Cette solution a le mérite de « responsabiliser » les agents publics. Mais elle présente aussi de multiples inconvénients.

D’abord, elle peut avoir un effet inhibant sur les agents publics, les dissuadant de toute initiative.

Ensuite, elle n’est pas toujours facile à mettre en oeuvre. Parfois le dommage est le fait d’un seul agent, aisément identifiable ; mais bien souvent il est le résultat d’un processus anonyme, au sein duquel il est impossible de démêler les responsabilités.

Surtout, ce système est très peu favorable aux victimes qui risquent de se heurter à l’insolvabilité de l’agent responsable.

Enfin, si son application est concevable en matière de responsabilité pour faute, elle l’est beaucoup plus difficilement en matière de responsabilité sans faute car elle aboutirait alors à des résultats tout à fait iniques.

Ce bilan très négatif incite à se tourner vers une deuxième solution , totalement inverse de la première.

Cette solution consiste à faire supporter la charge de la réparation par l’administration, c’est-à-dire aux personnes morales à l’activité de laquelle

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le dommage est imputable : ainsi, pour prendre un exemple, le préjudice causé par l’agent d’une commune sera-t-il réparé par cette commune et non par son agent personnellement.

Le système ainsi conçu présente pour les victimes un avantage immense : profitant de la solvabilité des personnes administratives, elles seront assurées de toujours obtenir réparation. Mais il possède aussi un inconvénient non négligeable : celui d’accorder aux agents de l’administration une impunité qui ne se justifie pas toujours.

Reste alors une troisième solution qui se situe à mi-chemin des deux premières et qui, les combinant tente d’en conserver les avantages et d’en éliminer les inconvénients.

Cette dernière solution consiste à retenir le plus largement possible la responsabilité des collectivités publiques, tout en leur permettant une fois l’indemnité versée de se retourner contre leurs agents fautifs.

De cette manière, les victimes sont assurées d’obtenir réparation sans que les agents de l’administration échappent pour autant à toute responsabilité.

Il résulte de ce qui précède que seule la responsabilité de l’administration peut être engagée lorsque le dommage a été causé par une faute administrative, que l’on appelle faute de service.

En revanche, seule la responsabilité de l’agent peut être engagée devant les juridictions judiciaires lorsque le dommage est imputable à une faute personnelle.

Il convient donc avant toute chose d’identifier la faute personnelle et la faute de service (§1er).

Mais dans le souci d’améliorer encore le sort de la victime, le droit administratif lui permet dans certains cas de poursuivre la responsabilité de l’administration alors même que le dommage a été causé par une faute personnelle de l’agent. Dans ces cas, la responsabilité de l’administration est substituée à celle de ses agents (§2).

§1er : La distinction de la faute de service et de la faute personnelle

Notre système de responsabilité administrative repose d’abord sur la distinction de la faute personnelle (B) et de la faute de service (A).

C’est cette distinction qui le structure puisqu’en principe l’identification d’une faute de service comme fait générateur du dommage permet à la victime d’engager la responsabilité de l’administration devant le juge administratif qui appliquera les principes et règles du droit administratif ;

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En revanche, l’imputation du dommage à une faute personnelle de l’agent ouvre à la victime une action contre l’agent devant le juge judiciaire qui appliquera les règles du droit privé.

Mais, au-delà de ses conséquences pratiques, la distinction est importante en ce qu’elle touche à la conception même de la responsabilité administrative, à sa philosophie.

A – La faute de service

Il n’existe pas de définition précise de la faute de service en droit administratif ; peut être parce que c’est une notion fonctionnelle définie en fonction de l’objectif d’indemnisation de la victime, ce qui en fait d’ailleurs une « notion résiduelle » : est une faute de service toute faute qui n’est pas « purement » personnelle.

Comme l’écrit Monsieur Moreau, il s’agit d’une notion multiforme qui tend à englober toutes les hypothèses de fonctionnement ou d’organisation défectueuse du service.

Mais la réalité du caractère multiforme de la faute ne doit ni décourager, ni dissuader de définir la notion de faute, au moins pour avoir une approche méthodologique de son identification (1).

Cela fait, il faudra s’arrêter sur une forme particulière de la faute de service, à savoir l’illégalité (2) avant d’illustrer la diversité des fautes de service (3).

1) La faute de service, manquement à une obligation

a) Avant tout, la faute est le manquement à une obligation préexistante. Comme le dit R. Chapus, « on est en faute quand on ne s’est pas conduit comme on l’aurait dû : quand l’action ou l’abstention d’agir sont de nature à justifier un reproche ».

Par conséquent, pour caractériser une faute, il faut déterminer si l’agent s’est ou non comporté comme il l’aurait dû : ce qui renvoie à la détermination d’un « standard ».

Cette considération explique que, du point de vue du juge de cassation, l’appréciation du caractère fautif d’un comportement de l’administration est considérée comme une question de qualification juridique sur laquelle il exerce son contrôle (CE, 28 juillet 1993, Sarl Bau Rouge, Rec. Lebon, p. 249 ; AJDA 1993, p. 685, chron. Ch. Maugüé et L. Touvet ; D 1994, SC, p. 365, obs. P. Bon et Ph. Terneyre ; RFD adm. 1994, p. 323, note R. Hostiou ;

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CE, 16 juin 1997, Soc. arboricole et fruitière de l’Agenais, Rec. Lebon, p. 238 ; CE, 16 novembre 1998, Melle Reynier, Rec. Lebon, p. 420).

b) Cette analyse n’est parfois pas aisée.

- La difficulté tient à ce que d’une part, les textes ne disent pas toujours comment l’administration doit agir, notamment au regard de toutes les occurrences auxquelles elle est appelée à être confrontée.

Le juge va donc être amené à dire a posteriori ce que l’administration aurait du faire, ce qu’elle aurait du savoir, comment elle aurait du agir …

- D’autre part, la détermination de ce que l’administration doit faire ou ne pas faire ne peut l’être une fois pour toutes.

Il faut tenir compte du contexte de son action ou de son abstention, c’est-à-dire de ce qu’étaient les circonstances, de temps et de lieu. Et il y a là bien évidemment une part de subjectivité ;

Exemple   :

Il est admis de manière constante qu’un retard abusif est de nature à engager la responsabilité de l’administration (CE, 21 octobre 1983, Min. de l’Environnement et du Cadre de vie c/ Epoux Guedeu, Rec. Lebon, p. 424 ; AJDA 1984, p. 47 : à propos du retard mis par l’autorité administrative à sanctionner la législation pénale de l’urbanisme).

Mais souvent aucun délai n’est déterminé par les textes. Il est donc difficile de savoir à partir de quel moment un retard devient abusif (CE, 7 octobre 1983, Vve Gugenheim, Rec. Lebon, p. 903).

Ainsi, tout est affaire de circonstances :

- Un retard de trois jours pour entreprendre la lutte contre un incendie de forêt est fautif (CE, 17 juillet 1953, Narce, Rec. Lebon, p. 384),

- mais un délai d’un an et demi entre la comparution devant une commission de réforme et l’attribution d’une carte de gratuité de transports ne l’est pas (CE, 21 mai 1953, Gauthier, Rec. Lebon, p. 240).

- La faute de l’administration peut dépendre de la connaissance qu’elle pouvait avoir d’un risque :

: CAA PARIS, 19 mars 2008, Mme LEDOUX, n°06PA0285, AJDA 30 juin 2008, p. 1186 : l’accident de Tchernobyl et la responsabilité de l’état français sur les cancers de la thyroïde.

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CAA PARIS, 24 septembre 2007, Consorts EBOLI, n°04PA03858 : la responsabilité de l’Etat ne peut être engagée du fait de la contamination par la maladie de la vache folle : carence de l’Etat a adopté des mesures de police sanitaires suffisantes et proportionnées au risque tel qu’il résultait des connaissances scientifiques de l’époque entre le mois de mai 1988 et le printemps 1996 (la date de contamination a pu être antérieure au mois de mai 1988 : ainsi la circonstance alléguée que l’Etat n’aurait pas adopté après cette date des mesures de protection suffisantes et proportionnées au risque en vue de prévenir sur le territoire français la contamination bovine et la contamination humaine ne peut être regardée comme étant directement à l’origine de la contamination.

2) Illégalité et faute

Un problème particulier se pose lorsque le dommage résulte d’un acte ou d’une décision de l’administration : Le fait que l’administration prenne un acte illégal est-il nécessairement fautif ?

* A la fin du 19 ème siècle, la doctrine, et notamment E. Laferrière, considérait que les actes de puissance publique ne peuvent pas être source de responsabilité.

Cette solution a été abandonnée par la jurisprudence pour les actes individuels, puis pour les actes réglementaires (CE, 29 mai 1903, Le Berre). L’illégalité pouvait donc être fautive.

Mais, traditionnellement, il n’en allait pas ainsi de toute illégalité. En effet, pendant longtemps, la jurisprudence a refusé de considérer comme des fautes des illégalités dues à une simple erreur d’appréciation :

CE, 7 juin 1940, Vuldy, Rec. Lebon, p. 187 : à propos du refus illégal d’un permis de construire fondé sur le fait que la construction porterait atteinte au site ; l’erreur d’appréciation ainsi commise par l’administration entraîne l’illégalité de l’acte mais ne permet pas d’engager sa responsabilité.

a) 1ère proposition : (Au terme de cette évolution) toute illégalité est considérée comme constitutive d’une faute …

La solution résulte de l’arrêt Driancourt :

CE, Sect., 26 janvier 1973, Driancourt, Rec. Lebon, p. 77 ; AJDA 1973.245

* Même si l’illégalité résulte d’une erreur d’appréciation   :

CE, 28 mars 1980, Yverneau, RD publ. 1980, p. 1744 ; CE, Sect., 9 juin 1995, Lesprit, Droit adm. 1995, n° 725 ; AJDA 1995, p. 745, concl. J. Arrighi de Casanova ; RFD adm. 1995, p. 859 : à propos de l’interdiction illégale d’exploiter des flippers dans un snack-bar-restaurant : « que cette illégalité, à supposer même qu’elle soit imputable à une simple erreur d’appréciation a constitué une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique ».

* quel que soit l’élément de la légalité qui a été méconnue.

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- L’illégalité peut ainsi résulter de la violation d’un texte exprès

- ou de la méconnaissance d’un principe général du droit : CE, 9 juillet 1997, Centre hospitalier de Draguignan, D. 1999 SC p. 48 : licenciement, par un centre hospitalier, d’une secrétaire médicale enceinte au prétendu motif qu’elle ne disposait pas des diplôme permettant de la titulariser et alors même qu’elle exerçait ses fonctions depuis plusieurs années.

- L’illégalité peut aussi résulter de la méconnaissance du droit communautaire.

A cet égard, un problème particulier s’est trouvé un temps posé dans le cas où l’illégalité trouve sa source dans la méconnaissance d’une directive communautaire   ; notamment à propos d’un texte réglementaire (édicté ou maintenu) après la date limite de transposition fixée par la directive.

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat a estimé qu’une telle situation engageait la responsabilité sans faute de l’Etat alors même que la CJCE avait reconnu le manquement de l’Etat à ses ordonnances (CE, Ass., 23 mars 1984, Société Alivar, Rec. Lebon, p. 128 ; AJDA 1984, p. 396, note Genevois et chron. AJDA 1985 p. 536).

Cette solution aboutissait soit à revenir sur la jurisprudence « Driancourt », soit à considérer que le non respect d’une obligation communautaire par un acte administratif n’était pas une illégalité !

Depuis lors, la jurisprudence du Conseil d’Etat a évolué et admet la responsabilité pour faute de l’Etat (CE, Ass. 28 février 1992, Société Arizona Tobacco Products, Rec. Lebon, p. 80, concl M. Laroque ; RFD adm. 1992 p ; 425, note L. Dubouis : à propos du préjudice résultant de l’application d’un décret fixant le prix des tabacs incompatible avec les objectifs d’une directive).

Remarque :

L’évolution que l’on vient de décrire témoigne de ce que malgré la solution retenue par l’arrêt «   Driancourt   », le constat de la méconnaissance d’une norme supérieure et la qualification donnée à cette situation demeurent deux opérations juridiquement distinctes.

En matière de responsabilité du fait des actes de l’administration, le juge administratif tient de la loi des 16-24 août 1790 et des principes dégagés par les arrêts Blanco et Pelletier la compétence pour qualifier ces actes de fautifs en vue d’engager la responsabilité des personnes publiques qui les ont pris.

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Pour autant, il n’y a pas d’automaticité entre le constat d’une non-conformité à une norme supérieure et la qualification de fautif du comportement concerné.

Ainsi, le juge administratif ne s’est pas reconnu la compétence pour déclarer fautive la méconnaissance par la loi d’une norme internationale (V. infra : CE, Ass, 8 février 2007, Gardedieu, RFDA 2007, p. 3661).

Voir CE, 18 juillet 2008, M. Stilinovic, req. n° 304962, AJDA 13 oct. 2008.1906, concl. Y. Aguila : à propos de la décision d’éviction d’un magistrat du service (affaire des « disparues de l’Yonne »).

b) 2ème proposition : Si toute illégalité est constitutive d’une faute, toute illégalité n’est pas nécessairement de nature à engager la responsabilité de l’administration

Pour qu’il en soit ainsi, il faudra que le préjudice subi par la victime découle directement de l’illégalité de l’acte. Il faut donc que l’illégalité fautive cause par elle même un préjudice au requérant.

- Ce n’est pas le cas lorsqu’une décision a été annulée parce qu’elle reposait sur un motif matériellement inexact, alors que d’autres motifs étaient de nature à justifier une décision strictement identique (CE, 15 juillet 19645, Prat-Flotte, Rec. Lebon, p. 438 : décision de fermeture d’un sanatorium).

- Cela n’est pas non plus le cas si bien qu’illégale en la forme, la décision est justifiée au fond

CE, Sect., 19 juin 1981, Carliez, Rec. Lebon, p. 274 ; AJDA 1982, p. 103, concl. B. Genevois : la participation d’une enfant de dix ans à des spectacles télévisés nécessite une autorisation préfectorale. Cette autorisation avait été refusée par le préfet à la suite de l’avis d’une commission irrégulièrement composée. Sa décision était donc entachée d’illégalité externe. Recours de la mère de l’enfant. Le Conseil d’Etat estime que la décision est justifiée au fond car aucune mesure n’avait été prise pour concilier la poursuite par l’enfant de sa scolarité avec sa participation à des spectacles. L’illégalité ne causait donc aucun préjudice à la requérante dans la mesure où saisi d’une nouvelle demande l’administration ne pourra que confirmer son précédent refus.

CE, 20 mars 1985, Epoux Ruby, Rev. adm. 1986, p. 43, note B. Pacteau : Le préjudice causé à des tiers par la délivrance d’un permis de construire entaché d’illégalité externe n’est pas de nature à ouvrir droit à réparation dès lors qu’un permis de construire aurait pu être régulièrement délivré. 

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CE, 9 décembre 1988, Epoux Finet, Droit adm. 1989, n° 67 : conséquences dommageables d’une réglementation de police prise par une autorité incompétente mais qui aurait pu être légalement édictée par l’autorité compétente.

CAA BORDEAUX, 5 février 2008, SARL LE GIBUS, n°06BX00427 : l’illégalité externe des décisions n’est pas de nature à ouvrir un droit à indemnité dès lors que la décision était justifiée au fond ; ici à propos de la fermeture administrative d’une discothèque.

- La solution est la même si une sanction, illégale parce qu’elle a été prise par un organisme incompétent, était néanmoins justifiée au fond

CAA Paris, 26 juin 2006, AJDA 23 oct. 2006, p. 1952, note P. Trouilly.

3) Le caractère protéiforme de la faute de service

Les variétés de fautes sont très nombreuses.

a) On peut rencontrer la faute de service dans l’exercice d’une activité matérielle de l’administration

- à propos de maladresses, négligences, erreurs, comme par exemple, mauvais diagnostic, erreur dans l’administration de soins, pertes d’objets par le service des postes, mauvais fonctionnement ou retard d’un service de sauvetage ;

- Défaut d’entretien d’un ouvrage public : obstacle ou mauvaise signalisation,

- Défaut de surveillance ou de contrôle : par exemple dans l’armée, dans les hôpitaux, dans les fêtes communales ;

- Renseignements inexacts : CE, Sect., 10 juillet 1964, Min. de la Construction c/ Duffaut, Rec. Lebon, p. 399 ; CE, Ass., 20 mars 1974, Sieur Spénale, AJDA 1974, p. 323 ; CE, 20 mars 1974, Sieur Bourges, AJDA 1974, p. 382 ; CE, 23 octobre 1984, Min. de l’Aménagement c/ Cadiou, Rec. Lebon, p. 509 ; CE, 3 janvier 1975, Min. de l’Aménagement c/ Epoux Paya, Rec. Lebon, p. 11.

- Carences dans l’organisation du service public (CAA Paris, 11 juillet 2007, Min. de la Santé et de la Solidarité c/ MMme Haemmerlinc, RDSS 2007.1095, concl. B. Folscheid, note H. Rihal ; D 2008.140, note E. CILESTINE ; AJDA 2007, 2151, Conclusions Bénédicte FOLSCHEID.

- Un exemple traditionnel de carence fautive de l’administration tient dans l’inexécution d’une décision de justice : CAA Nancy, 5 mai 1998,

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Société nationale immobilière, Petites Affiches, 3 mars 1999, n° 44, p. 7 : à propos de l’expulsion d’occupant sans droit ni titre d’un logement, sans que cela ne soit justifié par un motif valable d’intérêt général. L’administration a, en principe, deux mois pour répondre à la demande du bénéficiaire de la décision de justice. Après quoi son inaction engage sa responsabilité pour faute.

- Cas des promesses illégales ou non tenues, par exemple en matière de nomination ou d’affectation : (CE, 18 octobre 1957, Bouveret, Rec. Lebon, p. 542 ; CE, 1er octobre 1966, Aubert, Rec. Lebon, p. 512 ; AJDA 1966, p. 611 ; CE, 30 mai 2005, M. Tordjmann, AJDA 2005, p. 1751 : responsabilité de l’Etat du fait d’une promesse non tenue à l’égard d’un fonctionnaire ; mais l’agent lui-même a commis une faute partiellement exonératoire en ne s’enquérant pas des règles statutaires applicables dans son corps de détachement) ;

- Cas des fausses assurances en matière de contrats et de marchés (CE, 13 mai 1970, Larue, Rec. Lebon, p. 331 ; AJDA 1970, p. 493 ; D 1971, 10 ; CE, 30 janvier 1980, Ville de Paris, Rec. Lebon, p. 54) ;

- Encouragements et engagements de l’administration en matière d’économie dirigée (CE, 1er juin 1949, Miallet, Rec. Lebon, p. 257 ; CE, 27 juin 1954, Otto, Rec. Lebon, p. 380 ; CE, 11 mai 1956, Soc. Lesieur d’Afrique, Rec. Lebon, p. 194 ; AJDA 1956, II, 291).

b) Il peut s’agir aussi de faute dans l’exercice de l’activité juridique de l’administration

La faute consistera souvent dans l’édiction d’un texte ou la prise d’une décision illégale ; mais elle peut également consister:

* en une abstention : l

- Lorsque l’administration ne prend pas les mesures nécessaires à l’exécution d’une loi (CE, Sect., 24 juillet 1936, Syndicat de défense des Grands vins de la Côte-d’Or, Rec. Lebon, p. 861 ; CE, Sect., 8 juillet 1966, Union de la production et du commerce des vins et eaux-de-vie d’Alsace, Rec. Lebon, p. 455).

- ou lorsque le législateur ne prend pas celles nécessaires à transposition d’une directive communautaire (CAA Paris, 1er juillet 1992, Soc. Jacques Dangeville, AJDA 1992, p. 768 ; Dr. fiscal 1992, n° 1665, p. 1420).

- ou lorsqu’elle ne prend pas les mesures nécessaires au maintien de l’ordre public (CE, 18 juin 1926, Cie l’Abeille, Rec. Lebon, p. 617 ; CE, 10 mai 1950, Dubois, Rec. Lebon, p. 779 : l’autorité administrative

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engage sa responsabilité lorsqu’elle se montre défaillante à prendre les mesures de police nécessaires pour garantir l’ordre public ; CE, 14 mai 1986, Commune de Cilaos, Rec. Lebon, p. 708 ; AJDA 1986, p. 466, obs. L. Richer ; RD publ. 1987, p. 478 : abstention d’un maire qui, par un temps de pluies torrentielles dues à un cyclone, n’a pas pris les mesures nécessaires pour empêcher des collégiens de regagner leur domicile par leurs propres moyens).

* en une carence

- Quant l’administration ne parvient pas à faire respecter la loi (CE, 9 février 1983, SA Affichage nicois et SA Affichage Giraudy, RD publ. 1984, p. 832 : à propos de la loi interdisant toute publicité dans les sites classées)

- ou sa propre réglementation (CE, Ass., 20 octobre 1972, Ville de Paris c/ Marabout, Rec. Lebon, p. 664 ; AJDA 1972, p. 581, chron. Cabanes et Léger et p. 625, concl. G. Guillaume ; RD publ. 1973, p. 832, note M. Waline ; JCP 1973, n° 17373, note B. Odent ; CE, 14 décembre 1962, Doublet, AJDA 1962, p. 101 : carence systématique d’un maire dans l’application d’un règlement de campisme ;

- et notamment la mise en œuvre des pouvoirs de police (TA RENNES, 25 octobre 2007, Association HALTE AUX MAREES VERTES, sauvegarde du Trégor aux rivières de Bretagne et de la source à la mer. N°0400630, 0400631, 0400632, 0400637, 0400640, AJDA 10 mars 2008, concl. D. REMY : le défaut de rigueur des préfectures qui ont autorisé des élevages hors sol illégalement et sans exercer ultérieurement de véritables contrôles est directement la cause de l’eutrophisation de certaines côtes bretonnes (marée verte). Ces fautes de l’Etat sont susceptibles d’engager sa responsabilité à l’égard des associations de protection de l’environnement « Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la carence de l’Etat dans la mise en œuvre des réglementations européennes et nationales des installations classées constitue une faute de nature à engager sa responsabilité et que cette faute est en relation directe avec la pollution nitratée des eaux à l’origine du phénomène des marées vertes »).

c) Il peut enfin s’agir d’une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service public.

Les développements qui vont suivre l’illustreront abondamment.

d) Au-delà de ces exemples, les hypothèses de comportements fautifs de l’administration sont très diverses :

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CAA Paris 13 mai 1997, S.A. Laboratoire pharmaceutique Bergaderm, Droit adm. n° 331 : jugé qu’un avis émis par la Commission de sécurité des consommateurs en dehors de son champ de compétence est susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat, ladite commission n’étant pas dotée de la personnalité juridique. En l’espèce, la Commission de sécurité des consommateurs avait émis un avis demandant l’interdiction des produits cosmétiques contenant des psoralènes. Or, la loi du 21 juillet 1983, qui instaure cette commission, ne l’autorise à intervenir qu’à l’égard des produits dont la diffusion n’est pas soumise à une législation particulière, ce qui précisément est le cas des produits cosmétiques (art. L. 658-4 du code de la santé publique). L’avis émis par la Commission et publié au JO était donc illégale et l’entreprise pharmaceutique commercialisant ces produits est donc recevable à demander réparation du préjudice commercial résultant pour elle de la médiatisation de cet avis, alors même que cet avis est dépourvu de tout caractère décisoire et n’a été repris par aucune mesure de police sanitaire interdisant les produits en cause.

CAA Marseille, 13 juin 2002, Commune de Maugio c/ Fournol, Collect. Territ.-Intercommunalité 2002, n° 270, obs. J. Moreau : une menace d’expropriation constitue une pression abusive ayant pour objet de faire obstacle à la signature de l’acte de cession d’une propriété.

CE, Sect., 21 juin 2000, Min. de l’Equipement c/ Commune de Roquebrune-Cap-Martin, RD publ. 2000, p. 1257, concl. L. Touvet ; RFD adm. 2000, p. 1096 : responsabilité de l’Etat du fait du porter à connaissance à l’occasion de l’élaboration des documents d’urbanisme.

CAA Lyon, 26 avril 2005, Cordon, AJDA 2005, p. 1591 : faute des services du Trésor qui ont tenté de récupérer plusieurs amendes qui pourtant avaient été annulées par le juge judiciaire.

CE, 24 novembre 2006, Mme B., n°256313, AJDA 2007.428 : Pour la première fois, le Conseil d'Etat considère que le fait pour un employeur, en l'occurrence, l'Office national de la chasse et de la faune, d'avoir toléré des pratiques assimilables à du harcèlement moral à l'encontre de l'un de ses agents constitue une faute susceptible d'engager sa responsabilité à l'égard de cet agent.

Commentaire

I.

Par cette décision, le CE a décidé de lever ou tout du moins en partie un véritable tabou qui est celui du harcèlement moral dans l'administration, exercé par le pouvoir hiérarchique sur ses subordonnés.

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Il convient de rappeler que le phénomène de contestations de situations de harcèlement moral auprès des juridictions administratives ne cesse de croître.et que ce n'est que depuis l'entrée en vigueur de la loi en date du 17 janvier 2002 de modernisation sociale prohibant le harcèlement moral dans la fonction publique, que les juges du fond commencent a accorder, en ordre dispersé, des indemnisations du préjudice subi au titre du harcèlement moral.

II.

En l'espèce, Mme B. a été recrutée en qualité d'agent contractuel, par une décision en date du 14 février 1980, pour assurer les fonctions de secrétaire de direction auprès du directeur de l'Office national de la chasse.

Par une décision en date du 10 octobre 1983, Mme B. a ensuite été affectée au secrétariat particulier du directeur adjoint de l'Office.

Par décision en date du 4 novembre 1991, cette dernière a été affectée à « la mission de conseil juridique » de cet établissement.

A compter de son entrée dans ses nouvelles fonctions et ce pendant une période d'au moins six ans, Mme B. a fait l'objet de mesures d'isolement, vexatoires, qui l'ont conduit à son placement en 1995 en congé maladie pour état dépressif pendant plusieurs mois, et cela sans que le directeur de l'établissement, pourtant averti de cette situation, ne prenne les mesures nécessaires pour faire cesser cette situation.

Mme B. a t saisi le Conseil d'Etat dans le cadre d'un pourvoi en cassation contre l'arrêt du 28 janvier 2003 par lequel la CAA de Paris a rejeté ses demandes tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 4 novembre 1991 et à ce qu'il soit enjoint à l'Office de la réintégrer dans son emploi d'origine, d'autre part, à ce que cet établissement soit condamné à lui verser diverses sommes au titre d'indemnités dont elle affirme avoir été illégalement privé ainsi qu'en réparation du préjudice moral qu'elle estime avoir subi du fait de sa mutation et de ses conditions de travail dans son nouvel emploi.

Par une décision en date du 24 novembre 2006, le CE a :

D'une part, annulé l'arrêt de la CAA en date du 28 janvier 2003 et le jugement du TA en date du 9 février 1999 en tant qu'ils ont statué sur la demande d'indemnisation de Mme B. au titre du préjudice moral qu'elle a subi.

D'autre part, condamné l'Office national de la chasse et de la faune sauvage au paiement d'indemnités du fait du préjudice moral subi par la requérante.

III.

Outre la réparation des dommages qu'il accorde à la requérante, l'arrêt rendu le 24 novembre 2006 s'emploie à répondre au défi ainsi posé au JA, dont il a été fait mention précédemment,.

En effet, le CE a fait le choix de devancer l'application des dispositions de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, qui n'étaient pas entrée en vigueur à l'époque des faits, en s'appuyant sur une définition de harcèlement moral semblable à celle retenue par la loi dont il éclaire de cette manière par anticipation l'application.

Ainsi, se préservant tout de même de qualifier expressément les agissements critiqués de harcèlement moral, le CE a considéré qu'ils étaient constitutifs d'une faute engageant la

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responsabilité de l'établissement, en reprenant les trois composantes de la définition législative du harcèlement moral, à savoir:

-De première part, des agissements répétés. Le CE affirme en ce sens que c'est « par leur répétition » que les comportements hiérarchiques évoqués sont fautifs. Il note avec soin leur fréquence ainsi que la période pendant laquelle ont eu lieu ses agissements;

-De deuxième part, la dégradation des conditions de travail : en l'espèce, dégradation des relations entre Mme B. et sa hiérarchie, son confinement à des tâches manifestement inférieures à son niveau de qualification et des obligations non justifiées par l'intérêt du service;

-De dernière part, l'atteinte à l'intégrité physique, à savoir, l'altération de la santé physique ou mentale ou un avenir professionnel compromis. En l'espèce, cette condition du harcèlement moral est remplie en ce que Mme B. a fait l'objet de dénigrement, d'humiliation, de vexation relevés par le CE.

Enfin, il convient de noter que le CE a recherché si Mme B. avait participé également à la dégradation des relations avec ses supérieurs hiérarchiques.

Au regard des éléments portés à sa connaissance, le CE a alors considéré que la requérante était également pour partie responsable de la situation à l'origine du préjudice moral subi, et qu’il y avait de ce fait partage des responsabilités entre l'établissement et la requérante.

QUID de la portée?

Question de l'action subrogatoire de l'administration à l'égard des supérieurs hiérarchiques qui ont commis ces agissements et du directeur qui s'est abstenu de mettre un terme à ceux-ci ?

B – La faute personnelle

La définition la plus classique en a été donnée par Edouard Laferrière. Pour cet auteur :

« Il y a faute de service si l’acte dommageable administratif est impersonnel et révèle l’administrateur plus ou moins sujet à l’erreur. La faute personnelle, au contraire, est celle qui révèle l’homme avec ses faiblesses, ses passions, son imprudence ».

En pratique, il convient, en réalité, de définir la faute personnelle ; la faute de service se définit alors « en creux » comme tout ce qui n’est pas faute personnelle.

On peut faire, à ce propos, plusieurs observations.

1) La faute personnelle ne peut se réduire à d’autres catégories juridiques

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a) Faute personnelle et faute pénale : L’infraction pénale commise par un agent n’est pas nécessairement une faute personnelle.

Il en résulte que le tribunal répressif, compétent pour connaître de l’action publique, ne pourra pas nécessairement condamner l’agent à indemniser la partie civile, dès lors que l’agent n’a pas commis de faute personnelle.

TC, 14 janvier 1935, Thépaz, GAJA : Le soldat Mirabel conduisait un camion militaire dans le cadre d’un convoi. Alors qu’il dépassait un cycliste, le sieur Thépaz, il est surpris par le freinage du camion qui le précédait, donne un coup de volant et renverse le cycliste qui est blessé.

L’action publique est mise en mouvement contre le soldat Mirabel et il est condamné pénalement en même temps qu’à des dommages intérêts sur le fondement de l’action civile.

A hauteur d’appel, l’Etat qui n’avait pas été mis en cause, intervient pour substituer sa responsabilité à celle de son agent et évidemment décliner la compétence judiciaire.

Le Tribunal des Conflits confirme le déclinatoire de compétence en relevant très classiquement que le fait imputable au militaire n’est pas constitutif d’une faute se détachant des fonctions ; mais il ajoute « que la circonstance que ce fait a été poursuivi et puni devant la juridiction correctionnelle ne saurait en ce qui concerne les réparations pécuniaires, eut égard aux conditions dans lesquelles il a été commis, justifier la compétence de l’autorité judiciaire, saisie d’une poursuite civile exercée accessoirement à l’action publique ».

La solution est d’importance car avant l’arrêt Thepaz, la faute de l’agent constitutive d’un délit ou d’un crime était toujours considérée comme faute personnelle.

Désormais, toute infraction pénale n’est pas nécessairement une faute personnelle.

Il en résulte que les tribunaux répressifs ne seront compétents pour connaître de l’action civile que dans la mesure où la faute pénale de l’agent est par ailleurs constitutive d’une faute personnelle.

En revanche, leur compétence disparaît lorsque l’action civile est dirigée soit contre l’agent auteur d’une faute de service (hypothèse de l’arrêt Thépaz), soit contre l’administration prise comme civilement responsable

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de son agent (loi du 31 décembre 1957 relative aux accidents causés par les véhicules).

Cass. crim., 20 juin 2006, n° 05-87.415 : AJDA 2 oct. 2006, p 1807 :

Les juridictions judiciaires sont incompétentes pour statuer sur la responsabilité d’une administration ou d’un service public en raison d’un fait dommageable commis par l’un de leurs agents ; d’autre part, l’agent d’un service public n’est pas personnellement responsable des conséquences dommageables de l’acte délictueux qu’il a commis qui si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions.

« En se reconnaissant ainsi compétente pour statuer sur la responsabilité civile du prévenu, le maire ayant agi dans l’exercice de ses fonctions, sans rechercher si la faute imputée à celui-ci présentait le caractère d’une faute personnelle détachable du service, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et le principe rappelé ci-dessus » ;

« Peu importe que le maire n’ait pas opposé devant les juges du fond l’exception dont il pouvait se prévaloir, l’incompétence des juridictions étant en pareil cas d’ordre public ».

Cette solution n’est absolument pas remise en cause par les textes répressifs récents qui instituent des incriminations consistant dans des maladresses, imprudences, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements (Loi n° 96-393 du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits d’imprudence ou de négligence – Loi n° 2000-467 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels - art. 121-3 et art. 221-6 à 221-19 du Code pénal).

Ainsi, dans une affaire où un maire était poursuivi à la suite du décès d’un adolescent écrasé par la chute d’une cage amovible de football qui était stockée sur un terrain communal, le tribunal correctionnel avait relaxé le maire sur le plan pénal dans la mesure où il n’avait pas relevé la faute caractérisée requise par le texte fondant les poursuites (art. 121-3), mais avait néanmoins relevé un comportement constitutif d’une faute et condamné le maire au paiement de dommages intérêts sur le fondement de l’action civile.

La Cour d’appel de Poitiers a cependant infirmé cette décision en jugeant que « la nouvelle législation ne saurait être interprétée comme opérant un transfert de compétence au profit du juge judiciaire du contentieux de la responsabilité des fautes de service. En effet, il est d’ordre public que seule la juridiction administrative est compétente en cas de faute d’un agent accomplissant une mission de service public lorsque cette faute ne présente pas le caractère d’une faute personnelle » (CA Poitiers, 2 février 2001, Min. public c/ Dr., Courrier juridique des Finances et de l’industrie, n° 10, juillet-août 2001, p. 9).

La solution est d’importance à une époque où se multiplient les poursuites contre les agents du chef de ces incriminations. Ainsi, le plus souvent, ces comportements répréhensibles pénalement, ne sont pas détachables du service et ne constituent pas une faute personnelle sur le terrain civil.

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b) Faute personnelle et voie de fait : La faute personnelle se distingue également de la voie de fait.

En effet, les notions de faute personnelle et de voie de fait ont chacune des définitions distinctes. Dès lors, l’existence d’une faute personnelle ne peut être automatiquement déduite de la commission d’une voie de fait (TC, 2 décembre 1991, Mme Paolucci, Rec. Lebon, p. 482).

2) L’identification de la faute personnelle

Prise en elle même, la faute « purement » personnelle peut concerner plusieurs situations

- La faute personnelle commise en dehors du service,

- et la faute personnelle commise dans le service

a) La faute personnelle commise en dehors du service

La faute personnelle est d’abord celle qui est totalement détachée du service, qui n’a rien à voir avec la vie professionnelle de l’agent, sans rapport avec l’exercice de ses fonctions. C’est, en un mot, la faute qui concerne exclusivement la vie privée de l’agent

CE, 28 juillet 1951, Soc. Standard des pétroles, Rec. Lebon, p. 470 : cas du militaire en permission qui cause un dommage avec son véhicule personnel.

Son appréciation reste parfois plus délicate : CE, 23 juin 1954, Veuve Litzler, Rec. Lebon, p. 376 : meurtre commis par un douanier en dehors du service pour assouvir une vengeance personnelle, mais pour lequel le douanier a utilisé son arme de service et a usé de sa qualité pour arrêter le véhicule automobile de la personne à qui il comptait causer des ennuis. Un certain lien avec le service existe donc, mais le Conseil d’Etat va estimer celui-ci insuffisant et considérer la faute comme purement personnelle.

b) La faute personnelle commise dans le service

La faute est commise dans le cadre du service, mais elle s’en distingue intellectuellement par la gravité des faits en cause. Il en existe plusieurs variétés.

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* La première est constituée par les fautes qui sont commises dans le service, mais qui caractérisent un comportement très excessif de l’agent :

Cela concerne, tout d’abord, les violences physiques commises par des agents publics :

CE, 9 juillet 1953, Delaître, Rec. Lebon, p. 592 : Des coups d’une particulière brutalité assenés, lors d’une manifestation, par un agent de police à un facteur au domicile duquel un jeune étudiant (manifestant) était venu se réfugier : Il s’agit là d’un comportement ayant excédé « l’emploi légitime de la force nécessaire à l’exercice des activités de police »

CE, 28 juillet 1951, Coccoz : sévices pour assouvir une vengeance dans un commissariat de police

TC, 21 décembre 1987, M. Kessler c/ M. Thebenas, AJDA 1988, p. 364 : Altercation entre un facteur et un usager auquel il veut remettre un colis recommandé. Attitude malveillante « injustifiée au regard des pratiques administratives normales ».

TC, 14 janvier 1980, Dame Techer, Rec. Lebon, p. 504 : Un receveur des postes qui contraint une employée à le suivre dans son bureau en la saisissant par le bras. Il s’agit d’une faute personnelle, car « son geste de contrainte (est) injustifié au regard des pratiques administratives normales »

Mais l’excès du comportement peut également consister

- dans un excès de boisson : TC, 9 octobre 1974, Commune de Lusignan, Rec. Lebon, p. 477 ;

- ou bien dans des excès de langage, lesquels transforme une faute de service en faute personnelle :

TC, 2 juin 1908, Girodet, S 1908 III 81 note Hauriou : Propos calomnieux, injurieux, outrageants, orduriers et obscènes proférés par un instituteur faisant sa classe ;

TC 26 octobre 1981, Préfet des Bouches-du-Rhône, Rec. p. 657 : propos injurieux tenus par un agent sur un de ses collègues lors d’une réunion dès lors que ceux-ci son « injustifiés au regard des pratiques administratives normales et révèlent une certaine animosité entre les intéressés » ;

CAA de Nancy, 20 mars 1997, Borg, DA 1998 n° 68 : ne constitue pas une faute personnelle, mais une simple faute de service, le fait pour un enseignant lors d’une réunion de commission d’appel des décisions de

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redoublement d’agresser verbalement un parent et de le mettre ainsi dans l’impossibilité de présenter ses arguments

Enfin, l’excès peut consister dans la carence et dans l’inaction gravement fautive de l’agent public :

TC, 9 juillet 1953, Veuve Bernadas, Rec. Lebon, p. 593 : lâcheté d’un commissaire de police qui s’abstient de protéger une personne dont il sait la vie menacée ;

Cass. Crim 2 octobre 1958, JCP 1958, II, 10834 : médecin qui s’est enfuit d’une salle d’opération lorsqu’une infirmière a maladroitement provoqué un incendie et laisse ainsi le patient attaché sur la table d’opération ;

Cass. Civ. 1ère, 21 octobre 1997, Corrocher, Droit adm. 1998 n° 31 : l’« incroyable imprudence » commise par un archéologue appelé pour réaliser des fouilles de sauvetage et ayant fait creuser un trou de 3,40 mètres de profondeur au pied d’une tour médiévale qui s’est effondrée ;

CE, 28 décembre 2001, Valette, Droit adm. 2002, n° 57 : cas du praticien, chef de service, qui n’a pas révélé en temps utile l’erreur d’injection commise sur un patient dans son service, ce qui a entraîné de graves dommages.

En revanche, ne constitue pas une faute personnelle, le fait pour un agent de la DDE mis à la disposition d’une commune pour l’aider à la révision de son POS, d’accepter, à la demande du maire, de modifier le plan de zone de POS révisé, de manière à réduire l’emprise d’un espace boisé classé et cela après que le conseil municipal a délibéré et voté la révision du POS. En effet, la faute ainsi commise par l’agent « qui n’était animé d’aucun intérêt personnel, l’a été dans l’exercice de ses fonctions et avec les moyens du service ; que quelle que soit sa gravité, elle ne saurait être regardée comme une faute personnelle détachable du service » (TC, 19 octobre 1998, Préfet du Tarn c/ CA de Toulouse, D. 1999 p. 127 note O. Gohin).

** La deuxième hypothèse de faute personnelle commise dans le cadre du service résulte de la situation où l’agent a été animé, pendant le service, de préoccupations purement personnelles.

Cela peut consister en une volonté délibérée de nuire. Ici, c’est l’aspect subjectif, l’intention de nuire qui l’emportent : TC, 14 décembre 1925, Navarro, Rec. Lebon, p. 1007 : comme c’est le cas d’un maire qui fait systématiquement déposer des ordures sur le terrain d’un de ses administrés en feignant de croire que ce terrain est inclus dans les limites d’une décharge publique

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Cela peut consister également en une volonté de s’enrichir :

CE, 21 avril 1937, Dlle Quesnel, Rec. Lebon, p. 423 : Détournement de fonds par une receveuse ;

CE, 11 novembre 1953, Oumar Samba, Rec. Lebon, p. 218 : vols commis par un gardien avec l’aide des détenus qu’il était chargé de surveiller, lors de corvées extérieures.

*** La troisième hypothèse est celle où la faute personnelle résulte de la gravité exceptionnelle des faits imputés à l’agent et de leurs conséquences

CE, Ass., 12 avril 2002, Papon, Droit adm. 2002, n° 115 :

« Cons. qu’il ressort des faits constatés par le juge pénal (….) que M. Papon, alors qu’il était secrétaire général de la préfecture de la Gironde entre 1942 et 1944, a prêté son concours actif à l’arrestation et à l’internement de 76 personnes d’origine juive qui ont ensuite été déportées à Auschwitz où elles ont trouvé la mort ; que si l’intéressé soutient qu’il a obéi à des ordres reçus des ses supérieurs hiérarchiques ou agi sous la contrainte des forces d’occupation allemandes, il résulte de l’instruction que M. Papon a accepté, en premier lieu, que soit placé sous son autorité directe le service des questions juives de la préfecture de la Gironde alors que ce rattachement ne découlait pas la nature des fonctions occupées par le secrétaire général ; qu’il a veillé, en deuxième lieu, de sa propre initiative et en devançant les instructions venues de ses supérieurs, à mettre en œuvre avec le maximum d’efficacité et de rapidité les opérations nécessaires à la recherche, à l’arrestation et à l’internement des personnes en cause ; qu’il s’est enfin attaché personnellement à donne l’ampleur la plus grande possible aux quatre convois qui ont été retenus à sa charge par la Cour d’Assises de la Gironde, sur les 11 qui sont partis de ce département entre juillet 1942 et juin 1944, en faisant notamment en sorte que les enfants placés dans les familles d’accueil à la suite de la déportation de leurs parents ne puissent en être exclus ; qu’un tel comportement, qui ne peut s’expliquer par la seule pression exercée sur l’intéressé par l’occupant allemand, revêt , eu égard à la gravité exceptionnelle des faits et de leurs conséquences, un caractère inexcusable et constitue par là même une faute personnelle détachable de l’exercice des fonctions ».

Cass. ch. crim., 19 novembre 2004, Bonnet :

« Att. qu’en donnant l’ordre illégal de détruire par incendie des paillotes construites sans autorisation sur le domaine public, celles-ci seraient-elles devenues la propriété de l’Etat, B. Bonnet ne saurait

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être considéré comme ayant satisfait, en sa qualité de préfet, à une obligation attachée à l’exercice de ses fonctions et exécutée pour le compte de l’Etat ; qu’en outre, la reconnaissance, au plan civil, d’une faute de service imputable aux auteurs principaux de destructions ne fait pas obstacle à l’engagement de la responsabilité pénale de ces derniers ainsi que de celle du préfet pour complicité. »

§2er : La substitution de la responsabilité de l’administration à celle de ses agents

Il s’agit ici de rendre compte de ce que la faute personnelle de l’agent est susceptible de permettre à la victime d’engager dans certains cas la responsabilité de l’administration.

Cette solution permet de retenir le plus largement possible la responsabilité des collectivités publiques. De cette manière, les victimes sont assurées d’obtenir réparation.

Cela explique qu’elle n’ait été adoptée qu’à la suite d’une longue évolution jurisprudentielle au terme de laquelle s’est établi le champ d’application du mécanisme de substitution (A).

Mais l’administration, une fois l’indemnité versée, peut se retourner contre les agents fautifs. Ainsi, nonobstant la situation favorable faite à la victime, les agents de l’administration n’échappent pas pour autant à toute responsabilité.

Par ailleurs, la démarche qui est sans doute la meilleure en fait comme en droit, pose de délicats problèmes d’aménagement. Nous analyserons donc les rapports entre l’administration et ses agents consécutivement à la condamnation de l’une ou des autres (B).

A - Le champ d’application du mécanisme de substitution

A la lecture des développements précédents, on aura compris que le sort des victimes constitue le point essentiel du débat. L’évolution jurisprudentielle leur a été constamment favorable. On peut la retracer en distinguant six étapes.

1 ère étape : Le système originaire de la garantie des fonctionnaires

L’article 75 de la Constitution de l’an VIII, demeuré en vigueur jusqu’en 1870 (avec valeur législative), disposait :

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« Les agents du gouvernement autres que les ministres ne peuvent être poursuivis pour des faits relatifs à leurs fonctions qu’en vertu d’une décision du Conseil d’État. En ce cas, la poursuite aura lieu devant les tribunaux ordinaires »

Pour comprendre la portée de cette disposition, il faut la replacer dans son contexte. Pendant tout le temps où elle s’est appliquée, l’administration était tenue pour irresponsable.

Le seul moyen pour les victimes d’obtenir réparation était donc d’agir contre le fonctionnaire auteur du dommage, devant les tribunaux judiciaires.

Mais elles se heurtaient alors à l’article 75 de la Constitution de l’an VIII. Pour poursuivre les fonctionnaires, elles devaient obtenir préalablement une autorisation du Conseil d’État. Il s’agissait, en effet, de protéger l’administration contre l’immixtion des juges dans le fonctionnement de l’administration.

Mais en pratique, le Conseil d’Etat qui était encore très dépendant de l’exécutif n’accordait ces autorisations qu’avec parcimonie (189 sur 509 demandes entre 1852 et 1865) ! Le sort des victimes n’était donc guère enviable puisqu’à défaut d’autorisation, elles ne disposaient d’aucun recours, ni contre l’administration, ni contre ses agents.

2 ème étape  : L’abrogation de l’article 75 et la distinction de la faute personnelle et de la faute de service (la jurisprudence Pelletier).

Avec la montée des idées libérales, la garantie des fonctionnaires suscitait des critiques de plus en plus vives. Il paraissait choquant que les fonctionnaires ne fussent pas soumis au même traitement que les simples particuliers. Aussi l’abrogation de l’article 75 de la Constitution de l’an VIII était-elle réclamée. Elle fut réalisée par le décret du 19 septembre 1870 (décret du gouvernement de la Défense nationale ayant valeur législative) qui disposait en outre :

« Sont également abrogées toutes autres dispositions des lois générales ou spéciales ayant pour objet d’entraver les poursuites dirigées contre des fonctionnaires publics de tout ordre »

L’objet de ce texte était clair. Il s’agissait de permettre l’engagement de la responsabilité personnelle des fonctionnaires devant les tribunaux judiciaires pour tous les préjudices causés par eux, qu’ils résultent de leur faute personnelle ou d’une faute de service. Autrement dit, il autorisait leur poursuite même à raison des dommages occasionnés par leurs actes administratifs.

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Dans l’esprit des auteurs du décret, c’était certainement là le moyen de compenser l’irresponsabilité persistante de l’administration (avant l’arrêt Blanco de 1873).

Mais tel ne fut pas l’avis du Tribunal des Conflits appelé à se prononcer sur la portée de cette abrogation.

TC, 30 juillet 1873, Pelletier, Rec. Lebon. 1er suppl. 117, concl. David, D 1873.3.5., concl. ; GAJA n°2 : Le Commandant de l’Etat de siège dans le département de l’Oise avait saisi le premier numéro d’un journal dont le sieur Pelletier avait entrepris la publication. Celui-ci avait agi devant le tribunal civil de Senlis en vue d’obtenir l’annulation de la saisie et des dommages et intérêts. Le préfet éleva le conflit.

Le Tribunal des Conflits va estimer que l’abrogation prononcée par le décret de 1870 n’autorise pas pour autant les victimes à poursuivre les agents de l’administration de la manière la plus générale devant les juridictions judiciaires.

Appelé ainsi à préciser la portée de l’abrogation prononcée par le décret de 1870, le Tribunal des Conflits va être amené à déterminer les conditions de la mise en œuvre de la responsabilité des fonctionnaires devant les juridictions judiciaires à partir de la distinction entre la faute personnelle et la faute de service.

- Portée de l’abrogation : Le décret de 1870 se borne à abroger l’article 75 de la Constitution de l’an 8 en tant qu’il interdit de citer devant les tribunaux civils des administrateurs pour raison de leurs fonctions.

En revanche, il na pas entendu abroger les textes révolutionnaires qui établissent de la manière la plus solennelle la séparation des autorités administrative et judiciaire : aussi bien, la loi des 16 - 24 août 1790 (« Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à a peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonction »)  que le décret du 16 fructidor an III (« Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d’administration de quelque espèce qu’ils soient »).

Sans doute, l’article 75 dérivait-il du principe de la séparation des pouvoirs dont il avait pour but d’assurer l’application ; il reste néanmoins distinct des textes révolutionnaires qui la fondent. Car ces textes ont des objets différents et ne produisent pas les mêmes conséquences.

La prohibition faite aux tribunaux judiciaires de connaître des actes d’administration constitue « une règle de compétence absolue et d’ordre public » destinée à protéger l’acte administratif.

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Tandis que la prohibition de poursuivre les agents du Gouvernement sans autorisation préalable est destinée surtout à protéger les fonctionnaires publics ; elle établit une fin de non recevoir résultant du défaut d’autorisation s’opposant à toutes poursuites dirigées contre ces agents, autrement dit une règle de procédure (et non une règle de compétence).

Le décret de 1870 a supprimé la fin de non recevoir et a donné aux tribunaux judiciaires toute liberté d’action, mais dans la limite de leur compétence.

Or la limite de cette compétence, c’est précisément la règle de fond que constitue la séparation des pouvoirs ; car le décret de 1870 n’est pas revenu sur le principe de séparation et il n’a pas abrogé la garantie établie en faveur de l’administration interdisant l’immixtion des tribunaux de droit commun dans l’action administrative

Dans ces conditions, il faut combiner le décret de 1870 et l’abrogation qu’il comporte avec le principe de la séparation toujours en vigueur.

- Modalités de la mise en œuvre de la responsabilité du fonctionnaire : la distinction entre la faute personnelle et la faute de service :

La combinaison de l’abrogation résultant du décret avec le principe de la séparation des pouvoirs aboutit à la distinction de la faute personnelle et de la faute de service :

« Cons. que la demande de Pelletier se fonde exclusivement sur cet acte de haute police administrative ; qu’en dehors de cet acte, il n’impute aux défendeurs aucun fait personnel de nature à engager leur responsabilité particulière, et qu’en réalité la poursuite est dirigée contre cet acte lui-même, dans la personne des fonctionnaires qui l’ont ordonné ou qui y ont coopéré ».

Le Tribunal des Conflits considère donc que le décret de 1870 autorise la poursuite des fonctionnaires devant les tribunaux judiciaires uniquement en cas de faute personnelle détachable du service. En revanche, dans l’hypothèse d’une faute de service, seule la responsabilité de l’administration peut être recherchée et elle ne peut l’être que devant les juridictions administratives. Si elle l’est devant les juridictions judiciaires, le préfet peut à bon droit élever le conflit.

Cette solution évitait engagement systématique de la responsabilité des agents publics. Elle imposait, au contraire, d’agir contre l’administration dès lors que, dans le même temps le principe de l’irresponsabilité était abandonné.

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Outre qu’il consacre la distinction faute personnelle et faute de service, le Tribunal des Conflits est amené à dégager certains principes essentiels du droit de la responsabilité administrative. Ces principes feront l’objet, par la suite, d’aménagements divers. Mais ils ne seront plus remis en cause. Ils sont au nombre de trois :

Premier principe : les fonctionnaires ne peuvent être poursuivis que devant les tribunaux judiciaires ;

Deuxième principe : ils ne peuvent l’être qu’à raison de leurs fautes personnelles, jamais à raison de leurs fautes de service.

Troisième principe : en cas de faute de service, seule la responsabilité de l’administration peut être recherchée, et elle ne peut l’être que devant la juridiction administrative.

Ces trois principes constituent aujourd’hui encore les bases fondamentales de la matière.

Mais ce schéma simple allait progressivement être confronté à la complexité de la réalité s’agissant notamment des liens que peuvent entretenir faute personnelle et faute de service, lesquelles ne sont pas toujours absolument distinctes.

3 ème étape  : Le cumul de fautes (la jurisprudence Anguet)

Pendant toute la fin du 19ème et les premières années du 20ème siècle, la jurisprudence adopta une conception très rigide de la distinction entre faute personnelle et faute de service. Elle estimait que ces fautes étaient exclusives l’une de l’autre. Cela ne prêtait pas à conséquence lorsque le dommage résultait d’une faute de service. La victime disposant alors d’une action contre l’administration, elle était assurée d’obtenir réparation. Mais cela faisait incontestablement problème lorsque le dommage était dû à une faute personnelle de l’agent. Dans ce cas, en effet, la victime ne pouvait se retourner contre l’administration. Elle était obligée d’agir contre le fonctionnaire personnellement et se heurtait bien souvent à son insolvabilité.

Par conséquent, plus la faute était grave, plus la victime avait de chance de ne pas être, en réalité, indemnisée.

C’est à cette situation que l’arrêt Anguet va remédier pour partie

CE, 3 février 1911,ANGUET, GAJA ; Rec. Lebon, 146, S. 1911.3.137, note M. Hauriou

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Monsieur Anguet était entré à 8 heures et demi du soir dans le bureau de poste de la rue des Filles-du-Calvaire pour encaisser un mandat. Lorsqu’il voulut en ressortir, il trouva la porte réservée au passage du public déjà close bien que l’heure de fermeture réglementaire n’ait pas été atteinte. Sur les indications d’un employé, il traversa les locaux réservés au personnel à la recherche d’une autre issue. C’est alors que se produisit le drame. le prenant peut être pour un malfaiteur, des employés du bureau de poste l’expulsèrent si brutalement dans la rue qu’il se brisa la jambe. Voilà l’affaire dont le Conseil d’État eût à connaître.

L’application de la jurisprudence conduisait, comme du reste le ministre y concluait, à ce que la juridiction administrative se déclarât incompétente et renvoie le requérant devant les tribunaux judiciaires.

En effet, le préjudice subi par le Sieur Anguet résultait du comportement brutal des employés du bureau de poste, c’est-à-dire de leur faute personnelle. La responsabilité de l’administration ne se trouvait donc pas engagée. Conformément à la distinction rigide entre faute personnelle et faute de service, seule la responsabilité personnelle des agents aurait dû normalement pouvoir être recherchée. Il faut rappeler que l’on considère à l’époque que « la responsabilité de l’administration et celle de l’agent ne se cumulent pas ; non seulement, ils ne sont pas responsables solidairement, mais ils ne le sont pas en même temps et à raison du même fait » (Hauriou, La jurisprudence administrative de 1892 à 1928, T. 1, p. 630).

Le Conseil d’État en décida pourtant autrement :

« Cons. qu’il résulte de l’instruction que la porte affectée au passage du public dans le bureau de poste établi au numéro 1 de la rue des Filles-du-Calvaire a été fermée, le 11 janvier 1908, avant l’heure réglementaire et avant que le sieur Anguet qui se trouvait à l’intérieur de ce bureau eût terminé ses opérations aux guichets ; que ce n’est que sur l’invitation d’un employé et à défaut d’autre issue que le sieur Anguet a effectué sa sortie par la partie du bureau réservée aux agents du service ; que, dans ces conditions, l’accident dont le requérant a été victime, par suite de sa brutale expulsion de cette partie du bureau, doit être attribué, quelle que soit la responsabilité personnelle encourue par les agents, auteurs de l’expulsion, au mauvais fonctionnement du service public ; que dès lors le sieur Anguet est fondé à demander à l’Etat réparation du préjudice qui lui a été a causé par ledit accident ».

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Le Conseil d’Etat estime donc que si le dommage était bien dû à une faute personnelle, qui a été la cause directe et matérielle de l’accident, celle-ci n’avait été rendue possible que par la mauvaise organisation du service (fermeture prématurée du bureau de poste), c’est-à-dire par une faute de service. En conséquence, il autorisa la victime à mettre en jeu la responsabilité de l’État devant la juridiction administrative :

Ce système que l’on qualifie de « cumul de fautes » allait très vite être utilisé dans un sens extrêmement favorable aux victimes.

Il reste que dans l’arrêt Anguet, la faute de service qui justifie la substitution de la responsabilité de l’État à celle de ses agents est bien distincte de la faute personnelle commise par ces derniers ; elle a une rélle consistance et indépendance par rapport à la faute de ces derniers.

Dans la jurisprudence ultérieure, elle perd au contraire de sa consistance. Elle est d’abord réduite à un simple défaut de surveillance (dès 1914). Puis elle est simplement déduite de la faute personnelle, l’existence de celle-ci faisant présumer un fonctionnement défectueux du service.

En bref, elle devient progressivement un pur habillage permettant à la victime d’agir contre l’administration plutôt que contre ses agents.

Ainsi, l’importance de la faute de service distincte ne cesse de diminuer ; souvent la faute personnelle se cumule avec un simple défaut de surveillance qui suffit à constituer la faute de service.

Voir par exemple, CE, 13 décembre 1963, Min. des Armées c/ Consorts Occelli, Rec. Lebon, p. 629, concl. G. Braibant ; AJDA 1964 p. 29, chron. J. Fourré et M. Puybasset : à propos du meurtre d’un chauffeur de taxi par des militaires sortis irrégulièrement de leur cantonnement, le Conseil d’État admet la responsabilité de l’administration parce qu’il présume que ces fautes personnelles n’ont pu être commises que du fait d’une mauvaise organisation du service et dune discipline insuffisante.

Cet exemple montre d’ailleurs que le Conseil d’Etat ne tient pas compte de la gravité de la faute personnelle et n’est pas très rigoureux dans l’exigence d’un lien de cause à effet entre la faute de service et le dommage.

On a ainsi progressivement abouti, à partir de 1918, à un système encore plus favorable aux victimes en ce que cette fois un seul et même fait dû à

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la fois à l’agent et au service va permettre un cumul de responsabilité : c’est le système du cumul des responsabilités.

Avant de l’étudier, il faut rappeler qu’il continue à coexister ave le système du cumul de fautes, le Conseil d’Etat préférant, chaque fois que cela est possible, à se fonder sur la coexistence de deux faits distincts plutôt que sur l’existence d’un fait unique dû à la fois à l’agent et au service.

4 ème étape  : Le cumul de responsabilités (la jurisprudence Époux Lemonnier)

L’application système du cumul des fautes suppose qu’à côté de la faute personnelle de l’agent, on puisse au moins présumer la faute du service. C’est là sa limite.

Or, il arrive que cette présomption soit impossible, qu’il n’y ait pas l’ombre d’une faute de service distincte de la faute de l’agent, que le dommage résulte exclusivement de cette dernière. Comment, dans ces conditions, autoriser la mise en jeu de la responsabilité de l’administration ?

C’est à ce problème que répond l’arrêt Lemonnier.

CE, 26 juillet 1918, LEMONNIER, Rec. Lebon, p. 761, concl. L. Blum, D. 1918.3.9, concl., RD publ. 1919.41, concl., note G. Jèze S.1918.3.41, concl., note M. Hauriou ; GAJA.

Les circonstances de l’affaire étaient les suivantes. En 1910, lors de sa fête annuelle, la commune de Roquecourbe avait organisé un tir sur des cibles flottantes sur la rivière de l’Agout. L’attraction était traditionnelle. Mais depuis l’année précédente, la rive opposée était aménagée en promenade. Le tir constituait donc un danger pour les passants. Le maire de la commune en fut averti. Il fit modifier les conditions du tir. Mais sans doute pas suffisamment car, peu de temps après, Mme Lemonnier était atteinte d’une balle et gravement blessée.

Le Conseil d’État fut saisi d’une action dirigée contre la commune alors même que la juridiction judiciaire avait reconnu la responsabilité personnelle du maire pour laquelle il avait été condamné à des dommages intérêts.

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Dans ces conditions, l’action contre la commune était-elle recevable ? Etait-elle ensuite fondée ?

Sur la recevabilité  : Sur ce point, L. Blum faisait valoir que la reconnaissance d’une faute personnelle par la juridiction judiciaire ne faisait pas obstacle à ce que la juridiction administrative recherchât la faute et la responsabilité du service. Cette solution résulte que du fait de la jurisprudence du Tribunal des Conflits, la recherche par la juridiction judiciaire de l’imputabilité d’une faute à un fonctionnaire ne doit pas entraîner d’examen critique des conditions de fonctionnement du service. Donc, en ce qui concerne la faute de service, il ne saurait y avoir eu de décision judiciaire et la question reste ouverte.

Sur le fond  : L’obstacle de la recevabilité étant dépassé, la responsabilité de la commune était-elle fondée ? Sur ce point, les solutions appliquées jusqu’alors ne permettaient pas d’admettre la responsabilité de la commune. Le dommage était dû, en effet, à la seule faute du maire et cette faute revêtait le caractère d’une faute personnelle. Par conséquent, seule la responsabilité personnelle du maire aurait dû normalement pouvoir être recherchée, à l’exclusion de celle de la commune.

Pourtant, là encore, L. Blum fit valoir qu’il peut y avoir « coexistence … d’une faute que l’autorité judiciaire pourra considérer comme personnelle à l’agent et engageant sa responsabilité propre, avec une faute administrative que l’autorité administrative devra considérer comme faute du service engageant la responsabilité de l’administration ».

Mais il va plus loin encore en argumentant comme suit : si la faute personnelle « a été commise dans le service, ou à l’occasion du service, si les moyens et les instruments de la faute ont été mis à disposition du coupable par le service, si la victime n’a été mise en présence du coupable que par l’effet du jeu du service, si, en un mot, le service a conditionné l’accomplissement de la faute ou la production de ses conséquences dommageables vis-à-vis d’un individu déterminé, le juge administratif, alors, pourra et devra dire : si la faute se détache peut-être du service – c’est aux tribunaux judiciaires d’en décider - mais le service ne se détache pas de la faute. Alors même que le citoyen lésé possèderait une action contre l’agent coupable, alors même qu’il aurait exercé cette action, il possède et peut faire valoir une action contre le service, et aucune fin de non-recevoir ne peut être tirée contre la seconde action de la possibilité ou de l’existence de la première ».

Le Conseil d’État a suivi :

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« Cons. que la circonstance que l’accident éprouvé serait la conséquence d’une faute d’un agent administratif préposé à l’exécution d’un service public, laquelle aurait le caractère d’un fait personnel de nature à entraîner la condamnation de cet agent par les tribunaux de l’ordre judiciaire à des dommages-intérêts, et que même cette condamnation aurait été effectivement prononcée, ne saurait avoir pour conséquence de priver la victime de l’accident du droit de poursuivre directement, contre la personne publique qui a la gestion du service incriminé, la réparation du préjudice souffert (…) ».

Il en résulte au cas d’espèce que

« l’autorité municipale chargée de veiller à la sécurité des voies publiques avait commis une faute grave en autorisant l’établissement de ce tir sans s’être assurée que les conditions de l’installation et l’emplacement offraient des garanties suffisantes pour cette sécurité ; qu’à raison de cette faute, la commune doit être déclarée responsable de l’accident ».

Après le cumul de fautes entraînant cumul de responsabilités, il y a cumul de responsabilités pour une seule faute.

Les conséquences sont les suivantes : lorsque le dommage résulte d’une faute personnelle commise dans le service, la victime a le choix entre deux solutions : elle peut soit poursuivre le fonctionnaire coupable devant les tribunaux judiciaires, soit demander réparation à l’administration devant la juridiction administrative. Naturellement, c’est la seconde option qui est la plus avantageuse pour elle et c’est celle qu’elle choisira le plus souvent.

A ce stade, cette solution ne vaut que lorsque la faute personnelle est commise dans le cadre du service.

Il restait à franchir le pas et à considérer que la faute personnelle commise hors du service permet également d’engager la responsabilité du service.

5ème étape : L’extension du cumul de responsabilités : La notion de faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service (la jurisprudence Mimeur).

Jusqu’en 1949, le cumul des responsabilités ne s’appliquait que dans l’hypothèse où la faute personnelle de l’agent avait été commise dans le service. Il ne jouait pas si celle-ci s’était produite hors du service.

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Mais cette solution va être remise en cause.

CE, 18 novembre 1949, Dlle Mimeur, Defaux et Besthelsemer, Rec. Lebon p. 592 ; D. 1950.667, note J. G. ; EDCE 1953.80, chron.. M. Long ; JCP 1950.II.5286, concl. F. Gazier ; Rev. adm. 1950.38, note G. Liet-Veaux ; RDP 1950.183, note M. Waline ; GAJA.

Dans les trois cas, les victimes demandaient à l’Etat réparation d’accidents causés par des conducteurs de véhicules administratifs ayant commis une faute personnelle - fausse manœuvre, vitesse excessive et refus de priorité – par surcroît en dehors du service puisque les agents s’étaient détournés de leur itinéraire normal pour faire qui une course personnelle, qui une promenade d’agrément, qui pour visiter sa famille.

La responsabilité de l’administration ne pouvait donc être engagée par application de la jurisprudence qui excluait une telle responsabilité lorsque la faute personnelle était commise hors du service.

Pourtant, le Conseil d’État en a jugé autrement :

« Cons. qu’il ressort des pièces du dossier que si, en s’écartant de son itinéraire normal pour des raisons indépendantes de l’intérêt du service, le sieur D… a utilité le véhicule de l’Etat pour des fins différentes de celles que comportait son affectation, l’accident litigieux, survenu du fait d’un véhicule qui avait été confié à son conducteur pour l’exécution d’un service public, ne saurait, dans les circonstances de l’affaire, être regardé comme dépourvu de tout lien avec le service ; qu’il suit de là qu’alors même que la faute commise par le sieur D… revêtirait le caractère d’une faute personnelle, le ministre n’a pu valablement se prévaloir de cette circonstance pour dénier à la Delle Mimeur tout droit à réparation ».

Le Conseil d’Etat estime donc que, bien que personnelles, les fautes dommageables n’étaient pas dépourvues de tout lien avec le service. Et il en déduit que les victimes devaient bénéficier de l’option ouverte par l’arrêt Lemonnier. Les arrêts Mimeur, Defaux et Besthelsemer marquent donc un progrès très sensible du cumul des responsabilités.

Par la suite, ce système sera encore étendu, le Conseil d’État adoptant une conception toujours plus large de la faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service : désormais, les fautes sont commises hors du service, mais dont celui-ci a fourni l’occasion de leur réalisation.

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Sixième étape : L’extension de la notion de faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service.

CE, Ass. 26 octobre 1973, Sadoudi, RD publ. 74.554, note M. Waline ; concl. A. Bernard

Cas d’un agent de police qui avait tué son compagnon de chambrée en nettoyant son arme de service.

Cette solution se fonde probablement sur le fait que l’agent en cause avait l’obligation de conserver son arme en dehors du service, que l’accident est survenu dans un foyer de l’administration et, surtout, sans que l’auteur du dommage n’ait commis une imprudence grave. A cela s’ajoute également des considérations d’équité dès lors que la victime subvenait seule aux besoins de sa famille et notamment à ses nombreux frères et sœurs comme le relève le juge.

Cette solution a été confirmée dans une hypothèse proche concernant un garçon tué par un gardien de la paix manipulant son arme en dehors du service (CE, 23 décembre 1987 Époux Bachelier, AJDA 1998 p. 364 obs. X. Prétot).

Enfin, le juge administratif l’a étendu au cas d’un gendarme qui a commis de nombreux crimes en dehors de ses fonctions et avec son arme personnelle, mais surtout dont la participation à l’enquête a permis d’échapper très longtemps à son arrestation (CE, 18 novembre 1988, Epoux Raszewski, Rec. Lebon, p. 416 ; JCP 1989 II 21211, note B. Pacteau).

En conclusion, la circonstance que l’agent ait commis une faute personnelle n’exclut pas la mise en œuvre de la responsabilité du service,

- même si elle est d’une gravité particulière ou révèle un comportement inexcusable au regard des impératifs de la déontologie de la fonction publique ;

- même si le préjudice est entièrement imputable à cette faute personnelle, aucune faute ne pouvant être imputée au service.

Le mécanisme de substitution peut être mis en jeu dès lors que la faute n’est pas dépourvue de tout lien avec le service. C’est le seul critère.

CE, 2 mars 2007, Banque française commerciale de l’Océan indien, BJCL n°4/07, concl. F. SENERS ; RGCT 2007, n°42, p. 295, note U. NGAMPIO OBELE-BELE : cas d’un maire qui avait, à des fins d’enrichissement

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personnel, délivré à une entreprise de faux certificats administratifs attestant la réalisation de travaux, ce qui avait permis à l’entreprise de céder ses créances fictives sur la commune, causant ainsi un préjudice à la banque.

Le CE juge que

«  la victime non fautive d’un préjudice causé par l’agent d’une administration peut, dès lors que le comportement de cet agent n’est pas dépourvu de tout lien avec le service, demander au juge administratif de condamner cette administration à réparer intégralement ce préjudice, quand bien même aucune faute ne pourrait-elle être imputée au service et le préjudice serait-il entièrement imputable à la faute personnelle commise par l’agent laquelle, par sa gravité, devrait être regardée comme détachable du service ».

Ainsi, par l’effet de l’évolution ainsi retracée, la plupart des fautes personnelles des fonctionnaires peuvent engager la responsabilité de l’administration. Il n’en va différemment que si elles sont dépourvues de tout lien avec le service.

Néanmoins le mécanisme de substitution n’est pas sans limite :

Voir CAA Douai, 25 juin 2008, M. F., n° 07DA01635, AJDA 10 nov. 2008.2127, concl. P. Le Garzic : La seule circonstance que la faute personnelle commise par un agent public ait un lien avec le service n’est pas de nature à ouvrir à la victime, elle-même agent public, un droit à réparation, le dommage ne pouvant être regardé comme imputable à une faute de l’Etat. A propos d’une bataille de pelochons entre deux sous-officiers dans une chambrée ayant entraîné un dommage pour l’un d’entre eux.

Par ailleurs, la circonstance que la faute personnelle soit détachable du service va permettre à l’administration qui a été condamnée à assumer les conséquences de cette faute personnelle d’engager une action récursoire à l’encontre de son agent.

B - Les rapports entre l’administration et ses agents

La situation très favorable faite aux victimes laisse intacte la question des relations entre l’administration et ses agents.

1) Le principe de l’admission des actions récursoires

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Jusqu’en 1951, lorsque l’administration était condamnée, elle ne pouvait se retourner contre ses agents, même en cas de faute personnelle de ces derniers (CE, 28 mars 1924, Poursines, D. 1924.3.49, note J. Appleton ; RDP 1924.601, note G. Jèze ; S.1926.3.17, note M. Hauriou). Elle était donc obligée de supporter la charge définitive de la réparation.

La situation était choquante. Elle l’était d’autant plus que, profitant de l’option qui leur était offerte, les victimes recherchaient systématiquement la responsabilité de l’administration de préférence à celle de ses agents. Ceux-ci bénéficiaient de la sorte d’une irresponsabilité quasi totale.

C’est en 1951 que la jurisprudence a mis fin à cet état du droit

CE, Ass., 28 juillet 1951, Laruelle et Delville, Rec. Lebon, p. 464 ; D.1951.620, note NGuyen Do ; JCP 1952.II.6734, note Ch. Eisenmann ; RD publ. 1951.1087, note M. Waline; S.19523.25, note A. Mathiot ; GAJA.

Les faits étaient les suivants :

Dans la première affaire, M. Laruelle, sous officier, avait causé un accident, en utilisant, en dehors du service, à des fins personnelles, la voiture dont il était le conducteur. La victime avait obtenu la condamnation de l’administration pour la faute de service qu’elle avait commise et celle-ci demandait à l’agent de lui rembourser les sommes qu’elle avait dû verser à la victime.

Dans la seconde affaire, M. Delville, chauffeur de ministère, avait été condamné par les tribunaux judiciaires à réparer l’intégralité des conséquences dommageables d’un accident qu’il avait causé alors qu’il était en état d’ébriété. Il demandait à l’administration de le rembourser des sommes versées à la victime parce que l’accident était, au moins pour partie, imputable, à la défaillance des freins du véhicule.

L’arrêt Delville confirme que

« si au cas où un dommage a été causé à un tiers par les effets conjugués de la faute d’un service public et de la faute personnelle d’un agent de ce service, la victime peut demander à être indemnisée de la totalité du préjudice subi soit à l’administration, devant les juridictions administratives, soit à l’agent responsable, devant les tribunaux judiciaires ».

Mais l’arrêt distingue la question de l’obligation à la dette de celle de la contribution à la dette et juge que « la contribution finale de

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l’administration et de l’agent doit être réglée par le juge administratif compte tenu de l’existence et de la gravité des fautes respectives constatées dans chaque espèce ».

L’arrêt Laruelle admet que l’administration qui a indemnisé la victime de l’intégralité du préjudice doit pouvoir se retourner contre son agent, opérant ainsi un revirement de jurisprudence au regard de l’arrêt Poursines :

« si les fonctionnaires et agents des collectivités publiques ne sont pas pécuniairement responsables envers lesdites collectivités des conséquences dommageables de leurs fautes de service, il ne saurait en être ainsi quand le préjudice qu’ils ont causé à ces collectivités est imputable à des fautes personnelles, détachables de l’exercice de leurs fonctions ».

Ces solutions ont ouvert un nouveau chapitre du droit de la responsabilité administrative : au contentieux de la responsabilité de l’administration et de ses agents envers les tiers s’ajoute désormais celui de la responsabilité des agents publics envers leurs administrations : c’est toute la question du régime des actions récursoires.

Après 1951, la jurisprudence a naturellement continué d’évoluer. Mais les principes sur lesquels elle repose sont fixés dès cette date. Ils ne varieront plus.

Deux situations sont alors à envisager :

2) L’action de l’administration contre l’agent

Supposons que l’administration ait été condamnée à réparer le dommage résultant d’une faute commise par l’un de ses agents, plusieurs questions se posent :

Etant admis que sur le principe, elle peut se retourner contre lui pour lui demander réparation :

- Devant quelles juridictions ? - Sur quel fondement ? - Et sur le fond, comment le juge va-t-il déterminer la contribution à la

dette ?

a) Sur la compétence

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L’action récursoire de l’administration contre son agent étant dirigé contre une personne privée pour sa faute personnelle, on aurait pu penser qu’il n’appartenait pas à la juridiction administrative de statuer sur la responsabilité d’une personne privée à l’égard d’une personne publique.

Telle n’est pourtant pas la solution retenue :

TC, 26 mai 1954, Moritz, Rec. Lebon, p. 708 ; S 1954.II.8334, concl. Letourneur ; CE, Sect., 22 mars 1957, Jeannier, Rec., p. 196, concl. Kahn ; CE, Sect., 19 juin 1959, Moritz, Rec. Lebon, p. 377 :

Dans ces affaires, le soldat Jeannier avait profité de sa fonction de chauffeur du colonel pour sortir un véhicule de caserne en compagnie d’un caporal dont la présence pouvait faire croire qu’ils agissaient dans le cadre d’une mission officielle. Une fois sortis de la caserne, ils firent monter quatre de leurs camarades, et le chauffeur passa le volant à l’un d’eux. Celui-ci blessa mortellement un cycliste en effectuant un dépassement irrégulier. Saisi d’une demande d’indemnité par les ayants-droit de la victime, l’Etat leur donna satisfaction. Puis il se retourna contre les six militaires en leur adressant des états exécutoires les constituants solidairement débiteurs de la somme concernée envers le Trésor.

Deux d’entre eux formèrent des pourvois contre ces décisions, l’un devant les tribunaux judiciaires, l’autre devant le Conseil d’Etat. Le conflit fut alors élevé devant les tribunaux judiciaires et le Tribunal des Conflits eut à trancher la question de compétence, le Conseil d’Etat tranchant ultérieurement les problèmes de fond.

Le Tribunal des Conflits considère que

« s’agissant des rapports entre l’Etat et un de ses agents, le litige qui s’est élevé au sujet de tels rapports ne peut trouver sa solution que dans les principes du droit public et la juridiction administrative a seule qualité pour en connaître ».

Cette solution tient toute entière dans la considération du droit applicable à l’action récursoire. C’est l’application du droit administratif qui détermine la compétence administrative. On a là une illustration du principe de la liaison de la compétence et du fond exprimé dans l’arrêt Blanco.

La solution est d’ailleurs tout à fait générale puisqu’elle concerne aussi le cas où l’administration recherche directement la responsabilité de son agent, sans avoir été elle-même condamnée auparavant à indemniser le tiers.

Ainsi tout le contentieux de la responsabilité des agents publics envers les personnes publiques est attribué à la juridiction administrative.

La solution de l’arrêt Moritz présente deux avantages majeurs, essentiellement pratiques :

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- d’une part, elle réalise une unité de la compétence contentieuse, que l’action récursoire soit le fait de l’agent contre l’administration ou de l’administration contre l’agent ;

- d’autre part, c’est un seul et même juge qui va connaître des diverses responsabilités encourues dans une même affaire, puisque c’est le juge administratif qui va condamner l’administration envers la victime, puis répartir le charge de l’indemnité entre l’administration et les agents et, enfin, s’il y a lieu, effectuer la répartition définitive entre les agents co-auteurs (Jeannier).

Deux nuances toutefois à cette affirmation :

- Elle est remise en cause lorsqu’une personne publique se porte partie civile contre l’un de ses agents devant la juridiction pénale. Dans ce cas, cette dernière est compétente aussi bien pour statuer sur les dommages-intérêts réclamés à l’agent que pour le condamner pénalement (Cass. crim., 4 décembre 1996, Potot, Bull. crim., n° 447, p. 1307).

- Par ailleurs reste le cas où la victime a agi contre l’agent devant la juridiction judiciaire et la situation résultant de ce que la loi du 31   décembre 1957 sur les accidents de véhicules attribue compétence aux juridictions judiciaires pour connaître des actions en indemnité formées contre l’administration par les victimes d’accidents causés par ses véhicules, car là, la juridiction administrative n’en reste pas moins compétente pour connaître de l’action récursoire de l’administration contre son agent (TC, 22 novembre 1965, Collin, Rec. Lebon, p. 820). Ainsi, dans la matière qui donne le plus souvent lieu à l’application de la jurisprudence Laruelle, le contentieux se trouve dissocié entre la juridiction judiciaire, qui statue sur l’action de la victime contre l’administration et la juridiction administrative, qui statue sur l’action récursoire de l’administration.

b) Sur le fondement

Il faut préciser ici que l’administration exerce une action en responsabilité contre son agent à raison du dommage qu’il lui a causé. Elle exerce un droit d’action directe, indépendant de toute subrogation. Elle n’agit pas contre l’agent aux lieu et place de la victime ; elle ne demande pas à l’agent l’indemnité que celui-ci aurait dû verser à la victime si elle l’avait poursuivi pour sa faute personnelle. Elle demande réparation du préjudice qu’elle a subi directement du fait qu’elle a été tenue d’indemniser la victime.

Il en résulte une autonomie des fautes que peuvent se reprocher mutuellement l’administration et ses agents par rapport à celles qu’on pu leur reprocher les administrés dans leurs actions dirigés contre eux.

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Quand on raisonne sur les relations entre l’administration et ses agents, il faut donc se garder d’établir un parallèle avec la relation que la victime aurait eu avec l’un ou l’autre.

- Ainsi en ce qui concerne la faute personnelle, l’agent peut être reconnu responsable envers l’administration d’un agissement qui n’aurait pas été considéré comme tel par le juge judiciaire saisi d’une action de la victime : par exemple, dans l’affaire Jeannier, tous les militaires qui avaient pris place dans le véhicule ont été jugés responsables de leurs fautes personnelles vis-à-vis de l’administration, car ils ont commis une infraction aux règlements militaires, alors que, vis-à-vis de la victime, seul celui qui tenait le volant à commis une faute personnelle.

- Pour les mêmes raisons, tous les coauteurs d’une faute personnelle ne sont pas responsables solidairement envers l’Etat, comme des codébiteurs en droit civil.

- De même, la faute de service dont peut se prévaloir la victime contre l’administration n’est pas non plus nécessairement celle que peut invoquer l’agent dans ses relations avec l’administration : ainsi dans l’arrêt Laruelle, le Conseil d’Etat a condamné le chauffeur militaire à rembourser à l’Etat l’intégralité de la somme que celui-ci avait dû verser à la victime, ne permettant pas ainsi à l’agent de se prévaloir de la faute de service (que pouvait invoquer la victime) pour s’exonérer d’une partie de sa responsabilité, dans la mesure où c’est lui qui, par ses manœuvres, à provoqué la faute de service.

Au total, il y a dédoublement des fautes personnelles et de service, selon que l’on se situe dans les relations entre l’administration, l’agent et la victime ou dans les relations entre l’administration et l’agent.

c) Sur la contribution à la dette,

Trois hypothèses sont à distinguer.

- Si l’administration a été condamnée à la suite d’une faute de service, elle n’a aucun droit sur les agents. Ceux-ci sont totalement irresponsables au plan de la responsabilité civile. Mais une action disciplinaire est éventuellement possible à leur encontre.

- Si l’administration a été condamnée à la suite d’une faute personnelle et que le dommage résulte exclusivement de cette

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faute personnelle, l’administration a droit au remboursement intégral de la réparation.

* CAA Paris, 26 juin 2006, Min. de la Défense c/. M. Thierry M.., AJDA 2 oct. 2006, p. 1794, concl. L. Helmlinger.

- Si le dommage résulte de la conjonction d’une faute personnelle et d’une faute de service, l’administration doit supporter la part du dommage imputable à la faute de service. Mais, elle est en droit de réclamer le remboursement de la réparation afférent au dommage causé par la faute personnelle.

Les choses peuvent néanmoins se compliquer :

- Quand plusieurs fautes personnelles ont été commises, les agents contre qui l’action récursoire est exercée ne peuvent être condamnés in solidum, c’est-à-dire tenus pour le tout. Chacun n’est tenu que dans la mesure où sa faute a contribué au dommage (CE, Sect., 22 mars 1957, Jeannier, Rec. p. 196, concl. Kahn). Cela signifie que le risque d’insolvabilité de l’un des agents pèse sur l’administration contre qui la victime aura, par hypothèse, agi.

- Quand deux actions ont été intentées parallèlement par la victime l’une contre l’agent et l’autre contre l’administration et que l’administration est condamnée, elle se trouve subrogée dans les droits de la victime devant les tribunaux judiciaires.

Ajouter : CE, 6 août 2008 : le Conseil d’Etat accepte que l’Etat règle par la voie de la transaction un litige portant sur l’indemnisation d’une victime d’une faute commise par l’un de ses agents à titre personnel et à en demander ensuite le remboursement à l’auteur de ladite faute. Demander à ce que l’on cherche l’arrêt.

Conclusion :

Il reste à porter une appréciation sur ce système et les conditions de sa mise en œuvre.

1ère observation : Il faut d’abord relever que ce n’est que très peu fréquemment que l’administration se retourne contre ses agents.

V. récemment, CE, 17 décembre 1999, Moine, Rec. Lebon, p. 425 ; D 2000, IR, p. 24 ; JCP 2001, II, n° 10508 ;

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CAA Nancy, 9 mai 2005, Min. de la Défense c/ M. Michaël, req. n° 02NC00775 et 13 octobre 2005, Min. de la Défense c/ M. Francis G., AJDA 2006, p. 216 ;

CAA Paris, 26 juin 2006, Min. de la Défense c/. M. Thierry M.., AJDA 2 oct. 2006, p. 1794, concl. L. Helmlinger.

2ème observation : Il faut ensuite insister sur l’autonomie des actions récursoires dans la mesure où le Conseil d’Etat ne tranche pas le litige entre l’administration et son agent sur la base des règles classiques de la responsabilité quasi-délictuelle, mais donne à ce contentieux une coloration disciplinaire.

Il ne faut pas oublier, en effet, que c’est pour « moraliser » la fonction publique que le Conseil d’Etat a fait peser sur l’agent la menace d’une sanction pécuniaire (d’où le revirement de 1951 prolongé par l’arrêt Jeannier).

Mais en même temps, une responsabilité pécuniaire trop étendue peut aboutir à de sérieux inconvénients.

On risque d’abord la paralysie de l’administration par un excès de prudence des agents.

Mais ce système peut également aboutir à de très grandes disparités de la situation des agents.

Comme le disait M. Kahn dans ses conclusions sur l’arrêt Jeannier,

« Le danger qui, par contre, est bien réel, c’est l’injustice. C’est l’institution de ce qui ne pourrait manquer d’être compris comme une jurisprudence de classe. D’abord, l’initiative des poursuites n’est confiée à aucun censeur, ni à aucun procureur et, sans qu’il soit besoin ici de suspecter l’impartialité des chefs de service, ce sont eux qui détiennent la pouvoir de constituer un agent débiteur … Il est à craindre que la responsabilité pécuniaire des agents ne soit d’autant plus aisément recherchée que l’agent est plus éloigné du sommet de la hiérarchie, pour ne rien dire de l’éventualité dans laquelle l’état exécutoire deviendrait, tantôt une sanction déguisée, prononcée sans aucune garantie, tantôt un moyen de pression particulièrement odieux.

Bien plus : la définition même de la faute détachable en fait, par sa nature, une faute de subalterne. Il faut se défier des formules générales qui, sous toutes les apparences de l’universalité, consacrent des inégalités réelles. L’agent et la fonction sont dans un rapport déterminé, mais cette détermination est d’autant plus précise que l’agent est placé plus bas dans la hiérarchie. A la base, la fonction est intégralement définie, et l’agent s’en détache au

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moindre écart ; mais, à mesure qu’on s’élève dans la hiérarchie, la distinction s’efface objectivement entre la faute personnelle et la faute de service, et s’il est aisé de déceler la faute personnelle d’un soldat ou d’un gradé dans l’utilisation qu’ils font, pour leur agrément d’un véhicule de service, la même distinction devient plus difficile s’il s’agit d’un officier subalterne, et il n’en reste presque rien à l’échelon supérieur. Au sommet de la hiérarchie, il n’y a plus de distinction possible entre l’agent et sa fonction. On peut donc redouter de voir affluer à votre prétoire un grand nombre de caporaux et de trompettes dont la faute, en somme, aura été de faire un jour malheureux ce que d’autres, qui sont placés à la tête du service, font chaque jour avec un bonheur qui ne se dément ».

Cela a conduit le Conseil d’Etat à rechercher un équilibre :

CE, Ass., 6 mai 1966, Chedru, Rec. Lebon, p. 310 ; D 1967, p. 48, concl. N. Questiaux :

« S’ils sont pécuniairement responsables envers les collectivités du préjudice qu’ils ont causé par leurs fautes personnelles, il doit être, dans la détermination de ce préjudice, tenu compte de la nature des liens existant entre les fonctionnaires et agents incriminés et la collectivité dont ils dépendent ».

3) L’action de l’agent contre l’administration

* Une telle action est, tout, d’abord, envisageable dans le cas où un agent a été condamné par erreur par le juge judiciaire pour une faute qualifiée de personnelle alors qu’il s’agit, en réalité d’une faute de service.

La loi du 13 juillet 1983 portant statut de la Fonction publique et la jurisprudence (CE, Sect., 26 avril 1963, CHR de Besançon, Rec. Lebon, p. 242, concl. Chardeau : Principe général du droit) lui reconnaissent alors le droit d’intenter une action récursoire.

Si la faute de service a été la cause exclusive du dommage : il aura droit au remboursement de l’intégralité de la réparation qu’il a dû verser.

** La seconde situation concerne le cas du cumul de fautes : lorsque la victime a agi contre l’agent public devant le juge judiciaire, celui-ci peut agir contre l’administration pour la part de faute de service qui doit rester à la charge de cette dernière. Et il aura droit au remboursement de la partie de la réparation correspondant à la faute de service (V. CE, Delville : conduite en état d’ivresse. Condamné personnellement plus mauvais état des freins. Moitié-moitié).

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CE, Ass., 12 avril 2002, Papon, précit.

« Sur l’existence d’une faute de service :

Cons. que si la déportation entre 1942 et 1944 des personnes d’origine juive arrêtées puis internées en Gironde dans les conditions rappelées ci-dessus a été organisée à la demande et sous l’autorité des forces d’occupation allemandes, la mise en place du camp d’internement de Mérignac et le pouvoir donné au préfet, dès octobre 1940, d’y interner les ressortissants étrangers « de race juive », l’existence même d’un service des questions juives au sein de la préfecture, chargé notamment d’établir et de tenir à jour un fichier recensant les personnes « de race juive » ou de confession israélite, l’ordre donné aux forces de police de prêter leur concours aux opérations d’arrestation et d’internement des personnes figurant dans ce fichier et aux responsables administratifs d’apporter leur assistance à l’organisation des convois vers Drancy – tous actes ou agissements de l’administration française qui ne résultaient pas directement d’une contrainte de l’occupant – ont permis et facilité, indépendamment de l’action de M. Papon, les opérations qui ont été le prélude à la déportation ;

Cons. que si l’article 3 de l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental constate expressément la nullité de tous les actes de l’autorité de fait se disant « Gouvernement de l’Etat français » qui « établissent ou appliquent une discrimination quelconque fondée sur la qualité de juif », ces dispositions ne sauraient avoir pour effet de créer un régime d’irresponsabilité de la puissance publique à raison des faits ou agissements commis par l’administration française dans l’application de ces actes, entre le 6 juin 1940 et le rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental ; que tout au contraire, les dispositions précitées de l’ordonnance ont, en sanctionnant par la nullité l’illégalité manifeste des actes établissant ou appliquant cette discrimination, nécessairement admis que les agissements auxquels ces actes ont donné lieu pouvaient revêtir un caractère fautif ».

Au total, le Conseil d’Etat a partagé la charge indemnitaire pour moitié entre M. Papon et l’Etat français (soit 719 559 euros à partager pour moitié).

En revanche, en cas de simple cumul de responsabilités, l’agent public condamné pour le tout ne peut agir contre l’administration dès lors que celle-ci n’a commis aucune faute distincte de la faute personnelle incombant à l’agent qui est donc seul responsable du préjudice causé.

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SECTION 2LA RESPONSABILITE ADMINISTRATIVE SANS FAUTE

La responsabilité sans faute est un système dans lequel la responsabilité de l’administration est engagée même en l’absence de faute. C’est, comme l’écrit M. Chapus, c’est une responsabilité à raison du préjudice causé. Il « suffit » que la victime établisse le préjudice que l’action administrative lui a causé.

- La responsabilité sans faute est d’ordre public, c’est-à-dire qu’elle peut être invoquée d’office par le juge même si les requérants n’avaient fait que tenter de démontrer la faute de l’administration.

Elle revêt à l’heure actuelle une grande importance en droit administratif et constitue l’un des traits les plus remarquables de la responsabilité de la puissance publique.

- La responsabilité sans faute n’est pas homogène. Il existe deux responsabilités sans faute qui se distinguent tant par leurs fondements que par leur régime :

- la responsabilité pour risque - et la responsabilité pour rupture de l’égalité devant les

charges publiques.

§1er : La responsabilité pour risque

Bibliographie : Ch. Guettier, Du droit de la responsabilité administrative dans ses rapports avec la notion de risque, AJDA 2005, p. 1499.

La responsabilité pour risque est une responsabilité qui oblige l’administration à réparer les dommages résultant des risques particulièrement graves qu’elle crée. C’est une responsabilité pour dommages accidentels.

C’est une responsabilité dans laquelle l’administration est tenue de réparer tous les préjudices qu’elle cause, quelle que soit leur importance. A l’inverse de l’autre branche de la responsabilité sans faute où est seul réparable le préjudice anormal et spécial.

La jurisprudence a consacré la responsabilité pour risque dans deux séries d’hypothèses (Conc. H. Legal sur CE, Ass., 9 avril 1993, M. D., Rec. Lebon, p. 119).

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- La première est celle d’un déséquilibre inacceptable dans la répartition du fardeau des intérêts publics

CAA Lyon, 21 décembre 1990, Consorts Gomez, Rec. Lebon, p. 498 : en l’espèce la délivrance des produits sanguins se fait dans l’intérêt des hémophiles et le retard à agir de l’administration n’a pas davantage eu pour objet la satisfaction d’un intérêt général.

- Mais le risque sert aussi, en dernier recours, à ne pas laisser sans réparation la victime d’un préjudice exceptionnel et manifestement choquant mais insusceptible de réparation sur un autre terrain dont le législateur n’a pas, ou pas encore, décidé d’assurer la prise en charge collective au titre de la solidarité ou de l’assurance

Voir en ce sens concl. S. Daël sur CE, Ass., 9 avril 1993, Bianchi, Rec. Lebon, p. 127 : « Il vous reste alors à examiner la question renvoyée devant votre Assemblée, que d’une certaine manière votre jurisprudence quelque peu déroutante sur les présomptions avait cherché à contourner, et donc à rechercher si les techniques de la responsabilité sans faute permettent de répondre à des situations extrêmes dont le sentiment commun admet de plus en plus difficilement qu’elles échappent à toute responsabilité ».

A - La responsabilité du fait des choses, des méthodes ou des situations dangereuses

Comme le titre l’indique cette série d’hypothèses concerne trois situations : les choses dangereuses, les méthodes dangereuses, les situations dangereuses.

1) Les choses dangereuses

Le Conseil d’Etat applique d’abord le système de responsabilité sans faute aux dommages résultant de l’usage des choses dangereuses, telles que les explosifs, les armes ou engins dangereux.

Cela résulte de l’arrêt : CE, 28 mars 1919, Regnault-Desroziers, GAJA ; Rec. Lebon, p. 329 ; RD publ. 1919, p. 239, concl. Corneille, S. 1919.3.25, note M. Hauriou :

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Explosion en 1918 au fort de la Double-Couronne à Saint-Denis d’un stock de munitions de guerre entreposées (40 morts environ, 81 blessés, immeubles ravagés).

Le Conseil d’Etat juge « que ces opérations, effectuées dans des conditions d’organisations sommaires, sous l’empire des nécessités militaires, comportaient des risques excédant les limites de ceux qui résultent normalement du voisinage ».

Il engage la responsabilité de l’Etat sans qu’il soit nécessaire d’établir une faute, ce qui, en l’espèce, était techniquement impossible.

NB : Comme le dit le Président ODENT, cette application de la théorie du risque « n’était guère à l’origine qu’une transposition des théories civilistes sur la responsabilité du fait des choses et des risques de voisinage », mais elle a été « étendue à de nombreuses hypothèses où un dommage avait été causé par des installations, des procédés ou des engins dont la présence ou l’emploi entraînait des risques particuliers ».

Par hypothèse, cette jurisprudence regroupe des situations disparates.

Cette solution a été reprise par trois arrêts d’Assemblée du 24 juin 1949, Consorts Lecomte, Franquette et Daramy, GAJA ; Rec. p. 307 : à propos de l’utilisation d’armes à feu (mitraillettes) par les forces de l’ordre :

- Lecomte : opération contre un véhicule. Un patron de café est tué alors qu’il était assis devant sont établissement.

- Daramy : idem pour une passante tuée par agent qui cherchait à arrêter l’auteur d’une agression.

C’est du reste dans le domaine de la police que cette jurisprudence connaît les applications les plus nombreuses et les plus importantes.

Mais cette responsabilité sans faute du fait des choses dangereuses ne bénéficie donc qu’aux tiers à l’opération de police, c’est-à-dire aux victimes non visées par l’opération. Si, au contraire, les personnes y sont impliquées, la responsabilité est fondée sur la faute, mais la faute simple, pour tenir compte néanmoins du danger que présentent les armes à feu.

Autre précision : cette jurisprudence ne joue que si l’engin utilisé est vraiment dangereux (à titre d’exemple, une grenade lacrymogène est

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censée ne pas l’être : CE, 16 mars 1956, Domenech, Rec. p. 124, concl. J. Mosset).

2) Les méthodes dangereuses

La responsabilité pour risque s’applique ensuite aux dommages résultant de méthodes dangereuses utilisées par l’administration.

a) La jurisprudence Thouzellier

* La solution a été consacrée à l’origine dans un arrêt CE, Sect., 3 février 1956, Thouzellier (Rec. Lebon, p. 49 ; RD publ. 1956 p. 854, note M. Waline).

Elle a fait l’objet de plusieurs extensions. Elle n’est cependant pas sans limites.

Elle est fondée sur la considération du risque spécial de dommages que créent pour les tiers les méthodes libérales de rééducation, en milieu semi-ouvert, mises en œuvre par l’Etat dans les institutions d’éducation surveillée (en application de l’ordonnance du 2 février 1945, relative à l’enfance délinquante). En effet, il en résulte de larges possibilités d’évasion pour les jeunes gens hébergés par ces institutions et auxquels il arrivera de se livrer à des comportements dommageables (vols de voitures, cambriolages, agressions).

- Cette solution a été confirmée par un arrêt CE, Sect., 5 décembre 1997, Min. de la Justice c/ Pelle, RFD adm. 1998 p. 569, concl. Bonichot dans lequel le juge rappel, dans un considérant de principe que par l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante :

« Le législateur a entendu généraliser dans ce domaine des méthodes de rééducation fondées sur un régime de liberté surveillée… Leur emploi crée un risque spécial et est susceptible, en cas de dommage causés aux tiers par les enfants confiés soit à des établissements spécialisés, soit à un personne digne de confiance d’engager, même sans faute, la responsabilité de la puissance publique à leur égard »

La jurisprudence Thouzellier a également été étendue à divers cas analogues de mise en œuvre de méthodes créant un risque spécial de dommages :

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- Traitement des malades mentaux (hébergés dans les hôpitaux psychiatriques) comportant notamment des « sorties d’essai » destinées à les réadapter progressivement à la vie normale,

- « Permissions de sortie » et autres mesures libérales, accordées aux détenus dans les prisons en vue de favoriser le maintien des liens familiaux et préparer leur réinsertion sociale.

b) La responsabilité du fait des méthodes dangereuses connaît encore d’autres cas remarquables d’application.

* L’aléa thérapeutique : Ce régime de responsabilité a trouvé un champ d’application nouveau, et particulièrement digne d’intérêt, en matière de responsabilité hospitalière, s’agissant de l’indemnisation de l’aléa thérapeutique.

Il s’agit de l’extension du bénéfice de la responsabilité sans faute aux personnes hospitalisées qui ont été exposées à un risque spécial de dommages, du fait de la mise en œuvre, en ce qui les concerne, de certaines méthodes thérapeutiques.

On peut définir l’aléa thérapeutique comme « la part de risque que comporte inévitablement un traitement médical ou pharmaceutique légitime et correctement mené et dont la réalisation entraîne la non guérison ou des effets indésirables » (Rapport EVIN, les droits de la personne malade, Conseil économique et social, Séance des 11 et 12 juin 1996, p. 147).

L’application à cette hypothèse d’un régime de responsabilité sans faute est d’autant plus notable que, dans ce cas, ce régime de responsabilité va profiter aux usagers du service alors que traditionnellement la responsabilité sans faute fondée sur le risque ne profitait qu’aux tiers.

Mais, en l’état actuel du droit, le bénéfice de la responsabilité sans faute n’est étendu aux victimes de l’ « aléa thérapeutique » que dans des conditions qui restent restrictives.

C’est la CAA Lyon (Form. plèn.), 21 décembre 1990, Consorts Gomez, Rec. Lebon, p. 498 ; RFD adm. 1991 p. 466 qui a ouvert la voie en la matière par un arrêt remarqué, en jugeant que la mise en œuvre d’une méthode chirurgicale nouvelle justifie la responsabilité sans faute de l’hôpital.

L’arrêt exigeait trois conditions cumulatives, à savoir que :

- Les conséquences de cette nouvelle méthode chirurgicale ne sont pas totalement connues ;

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- Son utilisation ne s’impose pas pour des raisons vitales, sinon le service hospitalier n’aurait fait courir aucun risque au patient ;

- Il doit en résulter des complications exceptionnelles et anormalement graves.

Le Conseil d’Etat a repris une démarche similaire dans un autre domaine de la responsabilité hospitalière : C’est l’hypothèse de l’acte médical ne présentant pas de difficulté particulière mais pour lequel une part de risque de complications graves est connue. Lorsque ce risque se réalise le service hospitalier est responsable sans faute.

CE, Ass., 9 avril 1993, Bianchi, Rec. Lebon, p. 127, concl. S. Daël ; RFD adm. 1993, p. 573, concl. ; AJDA 1993 p. 349, chron. ; F. Thiriez, « La jurisprudence Bianchi, symbole ou réalité ? Droit adm. 2001, n° 1, p. 9 :

La victime avait subi une artériographie vertébrale, opération relativement classique et alors qu’il n’y avait aucune contre indication ; elle était néanmoins restée atteinte d’un grave paralysie.

Le Conseil d’Etat a jugé qu’il y a là matière à responsabilité sans faute de l’hôpital du fait d’un acte médical « nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade » - mais sans exiger qu’il s’agisse d’une méthode thérapeutique nouvelle - lorsque trois conditions sont satisfaites :

- Il faut que l’acte présente un risque connu, mais dont la réalisation est exceptionnelle,

- Il n’y avait aucune raison de croire que le malade y était spécialement exposé,

- Cet acte doit être à l’origine direct de dommages d’une extrême gravité.

Dans cet arrêt, les conditions étaient satisfaites, relativement aux conséquences, gravement invalidantes, d’une artériographie cérébrale.

Pour aller plus loin :

Il reste que l’indemnisation de ce genre de préjudice ne peut pas être réglée de manière satisfaisante dans le cadre de la responsabilité sans faute. Comme le dit Jean Waline, « elle suppose, en réalité, que l’on mette en œuvre la solidarité nationale, ce qui ne peut être le fait que de la représentation nationale ».

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Successivement le rapport EVIN (précit.) et le Conseil d’Etat (Réflexions du Conseil d’Etat sur le droit de la Santé, Rapport public, EDCE 1998, n° 49, sp. p. 262) se sont penchés sur le problème.

Ces travaux ont abouti à la loi n° 2002-203 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé qui dispose qu’en l’absence de toute faute reprochable, « un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci et présentant un caractère de gravité fixé par décret » (art. 98 de la loi modifiant l’art. L. 1142-1-II du CSP ; décret n° 2003-314 du 4 avril 2003).

Sur la loi du 4 mars 2002 : Claudine Bergoignan-Esper, Accident thérapeutique, et solidarité nationale, RDSS 2007, p. 792.

Définitions :

Iatrogène : se dit d’un trouble, d’une maladie provoquée par un acte médical ou par les médicaments, même en l’absence d’erreur du médecin.

L’article L. 1142-22 du CSP crée un établissement public administratif de l’Etat dénommé Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, chargé de l’indemnisation au titre de la solidarité nationale. Il n’intervient que si l’affaire n’a pas été réglée à l’amiable par les Commissions régionales de conciliation et d’indemnisation (art. L. 1142-5 du CSP ; décret n° 2003-140 du 19 février 2003). Environ un millier de dossiers sont en cours d’examen auprès des commissions régionales et 140 millions d’euros ont été provisionnés pour l’indemnisation.

Bibliographie : Ch. Larroumet, « L’indemnisation de l’aléa thérapeutique », D 1999, chron. 33 ; D. Mazeaud, « ‘L’indemnisation de l’aléa thérapeutique », D 2001, 1550.

** Les accidents d’anesthésie   : La solution a été étendue, plus récemment, au cas de préjudices résultant d’accidents d’anesthésie :

CE, Sect. 3 novembre 1997, Hôpital Joseph-Imbert d’Arles, RFD adm. 1998 p. 40 concl. V. Pécresse : Décès d’un jeune enfant suite à une anesthésie générale pratiquée en vue d’une opération de circoncision, c’est-à-dire alors même que « l’acte médical a été pratiqué lors d’une intervention dépourvue de fin thérapeutique » puisqu’il s’agissait d’une circoncision rituelle.

CE, 27 octobre 2000, Centre hospitalier de Seclin, D 2001, p. 1196, concl. D. Chauvaux ; RFD adm. 2000, p. 1376 : accident d’anesthésie.

CE, 5 juin 2002, Mme Rodrigues, AJDA 2002, p. 936 : refus de retenir la responsabilité.

*** Produits et appareils de santé. La responsabilité sans faute du fait des méthodes dangereuses trouve également à s’appliquer au cas des

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dommages causés par le service public hospitalier à ses usagers par les produits et appareils de santé qu’il utilise.

Cela s’inscrit dans le cadre d’un droit émergent à la sécurité sanitaire.

- Fourniture de produits défectueux :

CE, Ass. 26 mai 1995, Consorts N’Guyen, Rec. Lebon, p. 221 ; RFD adm. 1995, p. 748, concl. S. Daël ; AJDA 1995 p. 577 et chr. p. 508 : cas de Sida post-transfusionnel.

Dans cette affaire était en cause une personne atteinte du SIDA contracté à la suite d’une opération chirurgicale effectuée à l’hôpital public. La contamination résultait de l’utilisation, durant l’opération, de sang contaminé, fait non discuté par les défendeurs.

Or, en l’espèce, le CRTS n’avait commis aucune faute dans le conditionnement du sang, la contamination s’expliquait par le fait qu’un donneur n’avait pas informé le CRTS de son appartenance à un groupe à risque.

La victime agissait contre les hôpitaux. Le TA de Paris, en première instance, avait accueilli le recours sur le fondement de la faute présumée (jurisprudence « Cohen »),

En appel, la CAA de Paris annule ce jugement en se fondant, de manière classique, sur la responsabilité pour faute et en constatant l’absence de faute en l’espèce.

Le Conseil d’Etat va casser cet arrêt et instaurer un nouveau cas de responsabilité sans faute.

Il juge, en effet, que « eu égard tant à la mission qui leur est ainsi confiée par la loi qu’aux risques que présente la fourniture de produits sanguins, les CRTS sont responsables, même en l’absence de faute, des conséquences dommageables de la mauvaise qualité des produits fournis ».

V. aussi, CE, Ass., 26 mai 1995, Pavan, req. n° 151798, Rec. Lebon, p. 222 : ici, la CAA de Marseille s’était fondée sur la responsabilité pour risque (aléa thérapeutique) pour rejeter le recours. Le CE annule sur le même fondement, mais le recours avait été dirigé contre l’AP de Marseille dont le CRTS ne relevait pas. Le dommage ne lui était donc pas imputable.

- Mise en œuvre d’appareils défectueux :

CE, 9 juillet 2003, AP Hôpitaux de Paris c/ Mme Marzouk, AJDA 2003, p. 1946, note Deguergue : En l’espèce, le décès de la victime était

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imputable aux conséquences du fonctionnement défectueux d’un respirateur artificiel.

NB : La CAA est censuré pour erreur de droit en retenant la responsabilité de l’AP de Paris au motif que la défaillance du matériel utilisé faisait présumer une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service hospitalier.

CAA LYON, 30 décembre 2007, Mme Denise POUSSARDIN, n°03LY01329 : Un Etablissement public hospitalier est responsable même en l’absence de faute et conséquence dommageable de l’utilisation à des fins thérapeutiques d’un produit issu du corps humain. Un organe transplanté eu égard à des fins thérapeutiques peut être regardé comme un produit de santé. Application de la jurisprudence MARZOUK aux produits de santé issus du corps humain.

- CAA Bordeaux, 18 mars 2008, M. Gérard et CPAM du Gers, req. n° 06BX01825, AJDA 6 oct. 2008.1839, concl. J.-M. Vié : cas d’un praticien exerçant au sein du service public au titre de son activité libérale avec un appareil du service. La victime n’est pas admise à faire valoir qu’il existait sur le marché des appareils plus modernes pour en déduire que celui utilisé était défectueux.

Voir directive n° 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux.

c) Autres applications de la responsabilité sans faute du fait des méthodes dangereuses

TA Grenoble, 4 novembre 1991, Dame Colombier, D 1993, p. 161, note J.F. Couzinet : L’Etat est jugé responsable sans faute du risque auquel les tiers sont exposés par les méthodes de la protection policière rapprochée assurée à diverses personnalités. En l’espèce, responsabilité à l’égard d’une skieuse violemment heurtée par un inspecteur de police dévalant une piste, tenu qu’il était de « suivre de très près » les membres d’une « famille royale » (Danemark) dont la protection lui était confiée.

3) Les situations dangereuses

Le juge administratif applique la responsabilité sans faute du fait des risques résultant des situations dangereuses dans lesquelles les victimes se sont trouvées placées du fait de l’administration.

Ces situations peuvent être très diverses.

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- Cas d’une institutrice « en état de grossesse » qui est amenée à faire la classe durant une épidémie de rubéole et dont le fœtus atteint de cette maladie s’en trouva gravement mal formé. Le fœtus a été considéré comme placé dans une situation dangereuse (CE, Ass., 6 novembre 1968, Dame Saulze, RD publ. 1969 p. 505 concl Bertrand et note M. Waline).

- Cas des fonctionnaires auxquels le gouvernement donne l’ordre de rester à leur poste dans un pays étranger en période de troubles. Les dommages qu’ils subissent éventuellement sont réparés sur la base du risque (CE, Ass., 16 octobre 1970, Epoux Martin, JCP 1971 II 16577 concl. Braibant et note D. Ruzié).

- Voir aussi :

TA Paris 20 décembre 1990, Epoux B…, RFD adm. 1992 p. 545 : cas du mari d’une infirmière auquel elle a transmis le virus du SIDA par lequel elle a été contaminée dans l’exercice de ses fonctions.

TA Versailles, Epoux Cohen, Petites Affiches, 5 septembre 1997, n° 107, p. 8 : appliqué au cas d’un chirurgien contaminé par le virus du SIDA alors même qu’il avait exercé son activité selon les règles de sécurité définies par l’Etat (probablement lié à une opération réalisée sur deux malade polytransfusés en 1983). Dans cette affaire, le TA soulève d’office et retient la responsabilité sans faute de l’Etat fondée sur le risque. Il condamne l’Etat à verser une indemnité de 4,2 millions de francs au titre du préjudice professionnel et de 1,36 millions de francs au titre du préjudice personnel, alors même que le requérant avait déjà obtenu une indemnisation du fonds d’indemnisation des victimes du SIDA post transfusionnel et une indemnité au titre des pensions pour accident de travail !

Mais, par un arrêt du 5 mai 1998, Ministre de l’emploi et de la solidarité c/ Consorts Cohen, (Petites Affiches, 2 octobre 1998, n° 118 p. 11 concl. M. Heers) la CAA de Paris a annulé ce jugement.

La Cour a considéré que le risque pour un médecin d’être effectivement victime dans l’exercice de son art d’une contamination par un virus est commun à l’ensemble de la communauté médicale. Il ne s’agit donc pas d’une situation de risque exceptionnel. Dès lors, la réparation du préjudice subi devait être assurée conformément aux règles du droit de la sécurité sociale et des accidents du travail.

4) Limites et prolongement de la jurisprudence Thouzellier

* Limites.

- La jurisprudence Thouzellier ne pouvait être appliquée au cas du bénéficiaire d’une libération anticipée

CE, 15 février 2006, Ministre de la Justice c/Consorts A, RFDA mai-juin 2006 p. 615, concl. M. Guyomar :

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« Sur la compétence de la juridiction administrative

Considérant que s’il n’appartient qu’à la juridiction judiciaire de connaître d’actions mettant en cause la responsabilité pour faute de l’Etat du fait du fonctionnement du service public de la justice judiciaire, il appartient à la juridiction administrative, sur les dispositions législatives contraires, de connaître des actions fondées sur la responsabilité sans faute de l’Etat ; Qu’est recherchée, en l’espèce, la responsabilité sans faute de l’Etat en raison du préjudice résultant d’un crime commis par un ancien détenu qui a bénéficié d’une mesure de libération avant le terme prévu par sa condamnation ; Que dès lors la CAA juge à bon droit que la juridiction administrative était compétente.

Sur la responsabilité de l’Etat

Considérant que ni le décret de grâce collective pris par le Président de la République ni les mesures de réduction de peine accordée par le juge de l’application des peines en application des dispositions de l’article 721 du Code de procédure pénale dans sa rédaction applicable en l’espèce ne crée pour les tiers un risque spécial susceptible d’engager, en l’absence de faute, la responsabilité de l’Etat ; Que par suite, la CAA, en jugeant que la responsabilité sans faute de l’Etat était susceptible d’être engagée en raison du préjudice causé à des tiers par un ancien détenu ayant bénéficié, en application des mesures de grâce collective ou de réduction de peine, d’une libération avant le terme de sa condamnation, a entaché son arrêt d’erreur de droit ;

Que les conclusions présentées à titre subsidiaire tendant à ce que soit engagée la responsabilité pour faute de l’Etat au motif que même en tenant compte des réductions de peine dont il avait bénéficié, le meurtrier aurait été libéré prématurément à la suite d’une erreur dans la computation des différentes peines dont il avait fait l’objet ; Que toutefois il n’appartient pas à la juridiction administrative de connaître des litiges relatifs à la nature et aux limites d’une peine infligée par une juridiction judiciaire et donc l’exécution est poursuivie à la diligence du Ministère public ».

- La jurisprudence Thouzellier ne pouvait pas non plus trouver à s’appliquer au cas des mineurs relevant de l’assistance publique.

En effet, leur prise en charge par les services sociaux ne traduit aucune méthode dangereuse dès lors qu’il ne s’agit pas de jeunes délinquants.

Traditionnellement, les dommages qu’ils causaient engageaient donc la responsabilité administrative pour faute (CE, 14 juin 1978, Garde des Sceaux c/ SOCOFA, Rec. Lebon p. 259).

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Cette solution a cependant été amenée à évoluer sous l’influence du juge judiciaire. En effet, sur le fondement de l’article 1384 du Code civil, le juge judiciaire a instauré une responsabilité de plein droit (c’est-à-dire sans faute) des institution privées prenant en charge ces enfants et, plus largement, des parents pour les dommages causés par leurs enfants.

Dès lors, le juge administratif n’a pu qu’adopter une position similaire s’agissant de dommages causés

- par des mineurs pupille de l’Assistance publique et confiés à une famille nourricière (CE, Sect. 19 octobre 1990, Ingremau, AJDA 1990 p. 869)

- ou par des mineurs relevant de l’assistance éducative et placés par le Département dans une famille d’accueil (CAA Bordeaux, 2 février 1997, Consorts F…, AJDA 1998 p. 232).

Dans tous ces cas, la responsabilité sans faute de la personne publique est engagée du fait de ses agents (la famille d’accueil) sauf à établir la force majeure, le fait d’un tiers ou le fait de la victime.

Mais, cette responsabilité sans faute n’est pas fondée sur le risque. Elle ne relève pas plus d’ailleurs de la seconde hypothèse de responsabilité sans faute. Elle est un pur décalque des règles de droit privé…

* Prolongement de la jurisprudence Thouzellier : la garde, comme fondement de la responsabilité

- La question s’est à nouveau posée dans le cas des dommages causés par des mineurs confiés à un gardien dans le cadre d’une assistance éducative.

CE, 11 février 2005, GIE AXA Courtage (Droit adm. 2005, n° 56 ; RFD adm. 2005, p. 595, concl. C. Devys et note P. Bon ;

«  (…) Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'un incendie a été provoqué le 3 juillet 1994 dans les locaux de l'institut départemental Enfance et Famille , par un mineur dont la garde avait été confiée, en vertu d'une mesure d'assistance éducative prise par le juge des enfants d'Evry sur le fondement de l'article 375 du code civil, à l'institution spéciale d'éducation surveillée de Savigny-sur-Orge, service relevant de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse du ministère de la justice ; qu'à la suite de cet incendie, le groupement d'intérêt économique (GIE) Uni Europe, assureur subrogé dans les droits du département de l'Essonne, propriétaire des locaux incendiés, a recherché la responsabilité de l'Etat ; que, par l'arrêt du 30 septembre 2002 dont le GROUPEMENT D'INTERET ECONOMIQUE AXA COURTAGE, venant aux droits du groupement d'intérêt économique Uni

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Europe, demande l'annulation, la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du 26 juin 2001 par lequel le tribunal administratif de Versailles avait condamné l'Etat à verser à l'assureur une somme de 2 437 086 F (371 531,37 euros) en réparation des dommages subis par l'institut départemental Enfance et Famille ;

Considérant que la décision par laquelle le juge des enfants confie la garde d'un mineur, dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative prise en vertu des articles 375 et suivants du code civil, à l'une des personnes mentionnées à l'article 375-3 du même code, transfère à la personne qui en est chargée la responsabilité d'organiser, diriger et contrôler la vie du mineur ; qu'en raison des pouvoirs dont l'Etat se trouve ainsi investi lorsque le mineur a été confié à un service ou établissement qui relève de son autorité, sa responsabilité est engagée, même sans faute, pour les dommages causés aux tiers par ce mineur ; que cette responsabilité n'est susceptible d'être atténuée ou supprimée que dans le cas où elle est imputable à un cas de force majeure ou à une faute de la victime ; que, dès lors, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit en jugeant qu'en l'absence de faute de l'institution spéciale d'éducation surveillée de Savigny-sur-Orge, la demande d'indemnité présentée par l'assureur du département à l'encontre de l'Etat ne pouvait être accueillie ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, le GROUPEMENT D'INTERET ECONOMIQUE AXA COURTAGE est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué (…) »

V. aussi : CE, 26 mai 2008, Département Côtes d’Armor, n° 290495, Dr. adm. 2008, n° 101 :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par deux arrêtés des 28 avril et 30 novembre 2000, le président du conseil général des Côtes d'Armor a, à la demande des parents du jeune Ludovic , alors âgé de 16 ans, temporairement admis celui-ci dans le service de l'aide sociale à l'enfance du département pour deux périodes successives, dont la dernière devait prendre fin le 25 juin 2001 ; que, dans la nuit du 18 au 19 septembre 2000, le jeune homme a volé un véhicule appartenant à la société Corre avec lequel il a ensuite provoqué divers dommages dont la réparation a été assurée par cette société, qui a été partiellement indemnisée par son assureur, la société Zurich France, aux droits de laquelle est ultérieurement venue la société Generali Dommages ;

Considérant que le DEPARTEMENT DES COTES D'ARMOR se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 14 octobre 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 2 juin 2004 par lequel le tribunal administratif l'a condamné à payer les sommes de 1 298,92 euros et 10 373,70 euros, respectivement aux sociétés Corre et Generali Dommages, à raison des préjudices qu'elles ont subis du fait du comportement du jeune Ludovic ;

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Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 46 du code de la famille et de l'aide sociale alors en vigueur, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles : Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil général : 1° Les mineurs qui ne peuvent provisoirement être maintenus dans leur milieu de vie habituel (…) » ; que la décision par laquelle le président du conseil général admet la prise en charge d'un mineur par le service de l'aide sociale à l'enfance du département a pour effet de transférer à ce dernier la responsabilité d'organiser, diriger et contrôler la vie du mineur pendant la durée de sa prise en charge ; qu'en raison des pouvoirs dont le département se trouve ainsi investi lorsque le mineur est placé dans un service ou établissement qui relève de son autorité, sa responsabilité est engagée, même sans faute, pour les dommages causés aux tiers par ce mineur ; que cette responsabilité n'est susceptible d'être atténuée ou supprimée que dans le cas où elle est imputable à un cas de force majeure ou à une faute de la victime ; qu'ainsi, après avoir constaté qu'il n'était fait état, en l'espèce, d'aucune de ces dernières circonstances, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en reconnaissant la responsabilité sans faute du DEPARTEMENT DES COTES D'ARMOR (…).

- Quid lorsque la garde du mineur délinquant a été confiée à un gardien par une décision de l’autorité judiciaire ?

CE, Sect., 1er février 2006, Ministre de la Justice c/ Mutuelle Assurances des Instituteurs de France (MAIF), Droit adm. mai 2006, n° 88, obs. ; RFD adm. mai-juin 2006, p. 602, concl. M. Guyomar ; note P. Bon

La MAIF assureur de l’Association Igloo poursuivait contre l’Etat le remboursement des sommes payées par elle au titre du préjudice subi par un tiers à raison de l’incendie de sa maison d’habitation par un mineur dont la garde avait été confiée à ladite association en vertu d’une mesure prise par le juge des enfants sur le fondement de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante :

« Considérant en premier lieu que la décision par laquelle une juridiction des mineurs confie la garde d’un mineur, dans le cadre d’une mesure prise en vertu de l’ordonnance du 2 février 1945, à l’une des personnes mentionnées par cette ordonnance transfère la personne qui en est chargée de la responsabilité d’organiser, diriger et contrôler la vie du mineur ; Qu’en raison des pouvoirs dont elle se trouve ainsi investie lorsque le mineur lui a été confié, sa responsabilité peut être engagée, même sans faute, pour les dommages causés aux tiers par ce mineur ; Que l’action ainsi ouverte ne fait pas obstacle à ce que soit également recherchée, devant la juridiction administrative, la responsabilité de l’Etat en raison du risque spécial créé pour les tiers du fait de la mise en

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œuvre d’une des mesures de liberté surveillée prévues par l’ordonnance du 2 février 1945 ; Que par suite, en retenant que la généralisation de l’emploi des méthodes prévues par cette ordonnance crée un risque spécial pour les tiers et est susceptible en cas de dommages causés aux tiers par les enfants confiés soit à des établissements spécialisés soit à une personne digne de confiance, d’engager, même sans faute, la responsabilité de la puissance publique à leur égard, la Cour administrative d’appel de Nantes n’a commis aucune erreur de droit   ».

Le Conseil d’Etat étend au dommage causé par un mineur délinquant le même régime de responsabilité sans faute du gardien que celui qu’il avait déjà appliqué aux dommages causés par les mineurs sous assistance éducative dans son arrêt du 11 février 2005, GIE AXA Courtage. Dès lors, lorsque le gardien du mineur délinquant à l’origine du dommage est une personne publique, il est possible à la victime du dommage de mettre en jeu la responsabilité sans faute de cette dernière devant le juge administratif tout comme elle peut le faire devant le juge judiciaire, lorsque le gardien du mineur est une personne de droit privé (Cass.Ass. plén. 29 mai 1991, Association des Centres Educatifs du Limousin et Autres c/Bilek, RFD adm. 1991, p. 991, note P. Bon ; Cass. 2ème civ. 9 décembre 1999, Association Montjoie et MAIF c/GAN, Bull. civ., II, n°189).

En revanche, le Commissaire du Gouvernement proposait que cette responsabilité de plein droit du gardien se substitue à la responsabilité sans faute de l’Etat pour risque exceptionnel telle qu’elle avait été admise dans l’arrêt Thouzellier , y compris lorsque le mineur délinquant a été confié à une institution privée.

Selon lui, l’Etat ne devait voir sa responsabilité engagée que dans l’hypothèse où le gardien du mineur délinquant s’avérerait insolvable.

La proposition n’a pas été suivie par le Conseil d’Etat qui au système de substitution de responsabilité a préféré un système de cumul de responsabilité : la victime du dommage peut mettre en jeu la responsabilité sans faute du gardien devant le juge judiciaire ou le juge administratif en fonction de la nature privée ou publique du gardien mais elle peut également mettre en jeu la responsabilité sans faute de l’Etat pour risques exceptionnels devant le seul juge administratif.

On assiste ainsi à l’irruption de la garde dans le droit de la responsabilité administrative. La doctrine se pose donc la question de savoir si la garde n’est pas passée du statut de simple fondement subsidiaire à celui d’authentique remplaçante du risque, avec la crainte d’une « privatisation de la responsabilité administrative » en ce que la responsabilité passerait

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de l’Etat au gardien. Elle se pose ainsi la question de l’utilité de cette jurisprudence …

Sur la question : D. Meillon, Un nouveau fondement pour la responsabilité sans faute des personnes publiques : la garde d’autrui, RDP 2006, p. 1221) ; G. Lebreton, Mise en garde contre l’irruption du droit de garde dans le droit de la responsabilité administrative, D 2007.2817

A. DESRAMEAUX, La responsabilité sans faute de l’Etat du fait de la décision du juge judiciaire de confier la garde d’un enfant mineur à ses grands parents, note sous CE, 26 juillet 2007, Garde des Sceaux c/JAFFUER, LPA 2008, n°91, p. 6 ; D. CHRISTOL, Ancrage et extension de la responsabilité pour risque de l’Etat du fait de mineurs délinquants, note sous la même décision RDSS 2008.360 ;

S. TRIGON : la responsabilité du gardien, troisième voie de la responsabilité administrative sans faute ? JCP A, 2007, 2330 : depuis la décision JE AXA COURTAGE, le juge admettrait la responsabilité sans faute de la puissance publique à raison de sa qualité de gardien. Une nouvelle responsabilité objective serait apparue à la fois propre au gardien et déclenchée de plein droit. Elle reposerait sur un fondement spécifique et à part entière qui n’est ni le risque ni la rupture d’égalité dans les charges publiques. Toutefois c’est bien la faute qui serait au fondement de cette responsabilité mais une faute présumée irréfragable car seule cette faute du gardien peut expliquer la survenance du dommage. Il s’agirait donc d’un régime autonome de responsabilité qui emprunterait tantôt la responsabilité sans faute tantôt la responsabilité pour faute. En tout cas, tout ceci rapprocherait les juridictions judiciaires et administratives.

D. CHALUT, La responsabilité de l’Etat du fait des mineurs délinquants, AJDA 2008.

B - La responsabilité du fait des collaborateurs occasionnels du service public

C’est la seconde forme de la responsabilité pour risque.

Elle trouve son origine dans l’arrêt du CE 21 juin 1895, Cames (GAJA ; Rec. Lebon p. 509 concl. Romieu, S. 1897 III 33, note Hauriou) relatif au dommage subi par un ouvrier de l’Etat blessé au cours de son activité et dont le préjudice résultait d’un cas fortuit. La responsabilité sans faute de l’Etat a été engagée en raison du risque qu’il faisait subir à cet agent.

En tant que telle cette jurisprudence ne trouve plus guère à s’appliquer aux agents des personnes publiques dès lors que ceux-ci sont couverts par la législation des pensions de la fonction publique ou par le droit des accidents du travail. Sont, de même, protéges par un régime de responsabilité textuel les élus locaux.

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Cette jurisprudence n’était donc plus applicable qu’aux dommages subis par les appelés du contingents, puisque, depuis la loi du 8 juillet 1983, le forfait de pension ne leur est plus opposable : CE, Sect. 27 juillet 1990, consorts Bridet et autres, AJDA 1990 p. 897 note G. Darcy.

Désormais cette jurisprudence trouve à s’appliquer au profit des personnes qui ont occasionnellement et généralement bénévolement apporté leur concours au fonctionnement du service public. Dans ce cas, la responsabilité de la collectivité publique est engagée au profit du collaborateur occasionnel, ou de ses ayants droits, « sur le fondement du risque encouru par lui du fait de sa collaboration ».

a) Le juge a une conception assez large de notion de collaborateur bénévole

Cette collaboration occasionnelle peut intervenir

- sur réquisition de l’administration (CE, 5 mars 1943, Chavat, Rec. Lebon, p. 62 ; CE, 15 février 1946, Ville de Senlis, Rec. Lebon, p. 50)

- mais également spontanément. Tel est le cas lorsque la personne agit spontanément pour pallier la carence du service public ou compléter son action.

La qualité de collaborateur occasionnel du service public s’entend ainsi de la personne qui :

s

Le collaborateur occasionnel agit, en principe bénévolement, mais ce régime de responsabilité a été étendu au cas d’auxiliaires de justice qui ne peuvent obtenir le paiement de leurs honoraires en raison de la totale insolvabilité de la partie qui les leur doit (Expert en justice, liquidateurs judiciaires,…).

b) Mais le juge soumet le bénéfice de ce régime de responsabilité à des conditions assez souplement appliquées :

- Il convient, tout d’abord, que le concours apporté à la collectivité publique soit justifié par une « urgente nécessité ».

Mais cette condition est appréciée avec souplesse.

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Par exemple, est justifiée par une telle « urgente nécessité » l’intervention d’un agriculteur venue secourir sa voisine tombée dans une cavité et qui est tombé lui-même, alors même que la voisine ne s’était occasionnée aucune blessure dans sa chute (CE, Sect. 9 octobre 1970, Gaillard, Rec. Lebon, p. 565).

En revanche, l’intervention n’était aucunement justifiée dans le cas d’une personne venue aider six infirmiers psychiatriques à maîtriser un malade et à le faire monter dans un véhicule (CE, 4 décembre 1981, Guinard, RD publ. 1982 p. 1447).

- Il est ensuite nécessaire que la collaboration soit apportée à un service public.

Mais, à l’évidence, cette condition n’est pas très restrictive : d’abord parce que la notion de service public est des plus large ; ensuite par ce qu’il suffit que le service public « aidé » existe virtuellement ; juridiquement, il n’est pas requis qu’il soit effectivement mis en œuvre par la collectivité publique (ex. : Assistance portée à un baigneur en difficulté, même lorsque la commune n’a pris aucune mesure de surveillance de la plage, dès lors que le secours aux personnes en danger entre dans les attributions de police du maire).

La seule difficulté peut consister ici en l’identification du service aidé afin de déterminer la collectivité publique responsable (CE, 14 octobre 1988, Le Goff, Rec. Lebon, p. 341 : le passant portant secours à un malade mental échappé de l’asile et en train de se noyer dans un étang est un collaborateur non du service public hospitalier, mais du service de la police municipale.

- Enfin, la personne à indemniser doit effectivement avoir eu la qualité de collaborateur du service.

Tel n’est pas le cas de celui qui n’a fait qu’assister à l’arrestation d’un suspect, sans prêter mains forte à la police.

De même un usager ou un agent du service public ne sont, en principe pas collaborateur occasionnel de celui-ci. Il ne le devienne que si le concours qui leur est demandé excède la contribution qui peut normalement être attendue d’un usager en contre partie des avantages que lui apporte le service public. Tel n’est pas le cas d’un élève à qui un prof de gym demande de ramasser les balles lancées par ses camarades dès lors que

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cela n’excède pas la contribution normale au service (CE, 27 octobre 1961, Kormann, Rec. Lebon, p. 601).

De même n’ont pas la qualité de collaborateur à un service public, les personnes participant à des compétitions sportives ou à des animations du type « Intervilles »….

Enfin, la question s’est posée de savoir si la personne qui secourt un de ses proches parents peut être considérée, à ce titre, comme un collaborateur du service public ?

Le Conseil d’Etat a considéré qu’il ne fallait pas tenir compte de l’existence de lien de parenté entre le sauveteur et la personne sauvée (CE, 22 juin 1984, Mme Nicolaï, Droit adm. 1984 n° 399). La solution est très certainement fondée en droit, mais elle traduit une conception pour le moins extensive de la collaboration occasionnelle au service public et des obligations qui en découlent pour la collectivité publique…

§2 : La responsabilité sans faute pour rupture de l’égalité devant les charges publiques

- Le principe de l’égalité devant les charges publiques est :

- Pour le juge administratif, un principe général du droit (CE, Ass. 7 février 1958, Syndicat des propriétaires de forêts de chênes-lièges d’Algérie, Rec. Lebon, p. 74) ;

- Et, pour le Conseil constitutionnel, un principe constitutionnel découlant du principe d’égalité formulé par la Déclaration des Droits de l’Homme (Décision 79-107 DC du 12 juillet 1979, Ponts à péage et décision 92-316 du 20 janvier 1993, Prévention de la corruption).

La violation de ce principe est source d’illégalité. Elle peut également être source de responsabilité et singulièrement d’une responsabilité sans faute.

Ce régime repose sur la constatation que dans certains cas l’action de l’administration, entreprise dans l’intérêt général, va causer un dommage à une personne ou à un petit nombre de personnes. Ainsi, dans l’intérêt général, certaines personnes ont subi un préjudice que le reste de la population n’a pas subi. Il y a donc, à leur détriment, rupture de l’égalité devant les charges publiques. Et la seule manière de rétablir l’équilibre est de leur accorder la réparation de ce préjudice.

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- Cette fonction de la responsabilité sans faute explique les traits caractéristiques de son régime :

- Elle se trouve engagée que pour des dommages non-accidentels, c’est-à-dire que pour des dommages découlant inévitablement de tel ou tel fait générateur, de manière prévisible et certaine.

- Elle n’impose que la réparation de certains types de préjudices : ceux qui ont un caractère spécial (c’est-à-dire strictement limité à un groupe déterminé de personnes) et un caractère anormal (ce qui signifie que le préjudice doit excéder un certain seuil de gravité)

- Comme toute responsabilité sans faute, elle revêt un caractère subsidiaire. Elle ne sera donc recherchée que s’il n’y a pas de faute de la part de l’administration. Pour autant, comme la responsabilité pour risque, elle présente un caractère d’ordre public pour le juge.

Il faut présenter d’abord l’origine de ce régime de responsabilité (A) ; en décliner les applications et prolongements (B) avant de revenir sur l’état actuel de la responsabilité du fait des lois (C).

A – Origine et justification de la responsabilité sans faute du fait de la rupture de l’égalité devant les charges publiques

Il s’agit de rendre compte des trois grands arrêts qui ont servi de « matrice » au régime de la responsabilité pour rupture de l’égalité devant les charges publiques.

On ne va étudier dans ce prolongement que les cas de responsabilité sans faute d’origine jurisprudentielle. Il faut néanmoins se souvenir que nombre de régimes législatifs d’indemnisation reposent sur ce fondement (v. J. Waline, Droit administratif, 22ème éd., n° 492 et s., p. 479).

1) La jurisprudence COUITEAS (1923)

L’engagement d’une responsabilité sans faute a, tout d’abord, été retenu dans la célèbre jurisprudence « Couitéas » dont l’application a ensuite été étendue.

CE, 30 novembre 1923, GAJA ; RD publ. 1924 p. 75 concl. Rivet : Le Sieur Couiteas avait obtenu du tribunal de Sousse « le maintien en possession des parcelles de terres du domaine de Tabia-el-Houbira dont la possession lui avait été reconnue par l’Etat ». Le même jugement lui conférait « le droit d’en faire expulser tous les occupants ». Il lui restait à

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obtenir l’exécution de ce jugement contre les tribus autochtones, soit 8000 personnes armées qui occupaient 38 000 hectares lui appartenant, ce qui nécessitait une véritable expédition militaire.

Cette affaire a donné l’occasion de fixer la jurisprudence dans la matière du concours de la force publique à l’exécution des décisions de justice.

Les termes du raisonnement sont les suivants :

- En premier lieu, le justiciable nanti d’une sentence judiciaire est en droit de compter sur la force publique pour l’exécution du titre qui lui a ainsi été délivré.

Et le refus de l’administration non justifié constitue une faute qui engage sa responsabilité (CE, Sect., 3 novembre 1967, Min. de l’Intérieur c/ Dame Fiat, AJDA 1968, p. 257, concl. Y. Galmot ; v. aussi, CAA Paris, 6 juin 2006, Sté Epson France SA, Droit adm. 2006, n° 141 : La carence de l’Etat à faire exécuter une décision de justice face à un établissement public (UGAP) engage sa responsabilité en cas de faute lourde).

(Voir DALLOZ Actualités, 2 juillet 2008 : Le Conseil d’Etat apporte plusieurs précisions sur le régime du concours de la force publique et les conditions de mise en jeu de la responsabilité de l’Etat en ce domaine).

- Néanmoins, et en second lieu, le gouvernement est toujours en droit d’apprécier les conditions de cette exécution et de refuser le concours de la force armée quand il estime qu’il y a danger pour l’ordre et la sécurité.

Ainsi, lorsque le concours de la force publique risque d’entraîner des troubles plus graves que celui que fait naître l’inexécution de la décision de justice, l’administration est en droit de le refuser. Mais dans ce cas, passé un délai raisonnable (environ 2 mois), le préjudice qui résulte de ce refus ne saurait être une charge incombant normalement à l’intéressé.

2) La responsabilité du fait des lois (1938)

Le principe a longtemps été en la matière celui de l’irresponsabilité absolue de l’Etat législateur.

Cette solution était fondée sur des considérations politiques et techniques.

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D’abord, l’idée de souveraineté du Parlement et celle selon laquelle la loi est l’expression de la volonté générale s’opposaient à l’admission d’une responsabilité.

Sur le plan technique ensuite, on faisait valoir que les actes législatifs ont une portée générale et que par conséquent ils ne peuvent causer que des dommages communs à tous les individus qu’ils concernent. Ces dommages constituent ainsi des charges publiques. Il leur manque, pour être réparables, la condition de spécialité.

Mais on s’est avisé que dans certains cas, la loi cause un préjudice spécial. Et on pensé qu’alors non seulement les vieilles idées de souveraineté de la loi et du Parlement ne s’opposaient pas au principe d’une indemnisation mais encore que le principe d’égalité devant les charges publiques obligeait à compenser le préjudice né du texte législatif.

La responsabilité du fait des lois est donc une responsabilité sans faute fondée sur la rupture d’égalité devant les charges publiques que peut éventuellement causer l’adoption d’une disposition législative.

La consécration d’une telle responsabilité est, à l’origine, le fait de la jurisprudence du Conseil d’Etat.

CE, Ass. 14 janvier 1938, Société des Produits laitiers La Fleurette, GAJA ; RD publ. 1938 concl. Roujou et note G.L Jèze : Dans cet arrêt était en cause une loi du 9 juillet 1934 relative à la protection de la production laitière menacée d’effondrement et qui avait notamment interdit la production et la distribution de produits susceptibles de remplacer la crème naturelle et ne provenant pas exclusivement du lait. L’effet, quasi exclusif, de cette disposition avait été d’interdire la « gradine » produit que fabriquait la seule société requérante. Le préjudice qu’elle subissait était donc spécial. Il était également anormal en ce que la « gradine » était la principale production de ladite société.

Le juge va donc admettre l’engagement de la responsabilité de l’Etat, même dans le silence de la loi. L’arrêt énonce que :

« Rien, ni dans le texte de la loi ou de ses travaux préparatoires, ni dans l’ensemble des circonstances de l’affaire, ne permet de penser que le législateur a entendu faire supporter à l’intéressée une charge qui ne lui incombait normalement pas ; cette charge, créée dans un intérêt général, doit être supportée par la collectivité »

V. aussi, CE, 21 janvier 1944, Caucheteux et Desmonts, S 1945.3.13, note A.B : Le CE accepte d’indemniser une entreprise victime d’une loi qui, pour protéger le marché du houblon, avait imposé un accroissement de son utilisation dans la fabrication de la bière, au détriment d’autres ingrédients.

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3) La responsabilité du fait d’une convention internationale

CE, Ass., 30 mars 1966, Cie Radio Electrique, Rec. Lebon, p. 257 ; GAJA, n° 85

Comme le dit Jean Waline, « on a toujours assimilé à la responsabilité du fait des lois la responsabilité du fait des conventions internationales. Celle-ci a donc suivi la même évolution » (p. 497).

Le principe d’irresponsabilité a ainsi été abandonné par l’arrêt précité.

Depuis néanmoins deux décisions seulement retiennent la responsabilité (CE, 29 octobre 1976, Burgat, RD publ. 1977.213, concl. J. Massot ; CE, 29 décembre 2004, Almayrac, RFD adm. 2005.586, concl. J-H. Stahl ; AJDA 2005.427, chron. C. Landais et F. Lenica).

Les conditions de la mise en jeu de la responsabilité sont les suivantes :

- la convention doit être entrée en vigueur dans l’ordre juridique interne ;

- que la convention (ou la loi autorisant sa ratification) n’ait pas entendu exclure l’indemnisation ;

- que le préjudice revête un caractère grave et spécial.

B – Les déclinaisons de la responsabilité sans faute du fait de la rupture de l’égalité devant les charges publiques

1) La responsabilité du fait du défaut de concours de la force publique pour assurer l’exécution d’une décision de justice

La solution de l’arrêt COUITEAS a été appliquée en cas

- de refus d’expulser des grévistes occupant une usine (CE, Ass. 2 juin 1938, Société Cartonnerie Saint-Charles, Rec. Lebon, p. 521, concl. Dayras ; RD publ. 1938 p. 375, note Jèze) ;

- ou de disperser des piquets de grèves (CE, 6 mai 1991, Société Automobiles Citroën, Rec. Lebon, p. 172) ;

- Elle est également très employée s’agissant du refus d’expulser des personnes occupant sans titre un logement (CE, Ass., 22 janvier 1943, Braut, Rec. Lebon, p. 19 ; CE, 19 juin 1992, Compagnie immobilière de la région parisienne, RD publ. 1993 p. 257).

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Sur ce dernier point, l’acquis de la jurisprudence « Couitéas » a été repris par le Conseil constitutionnel dans sa décision 98-403 DC du 29 juillet 1998 relative à la loi sur la lutte contre l’exclusion qui admet que l’autorité administrative peut, sans méconnaître le principe de la séparation des pouvoirs, refuser de prêter main forte à l’exécution d’un jugement, mais cela uniquement pour des considérations d’ordre public.

Pour le calcul de l’indemnité, le juge tient compte d’un délai raisonnable (en général deux mois) dont dispose librement l’administration pour prendre sa décision sur l’exécution du jugement. Cette période est donc systématiquement déduite de la période indemnisable. De même est déduite, s’il y a lieu, la période pendant laquelle les expulsions locatives sont suspendues (trêve hivernale du 1 er novembre au 15 ma rs) (CE, 4 mars 1988, Gaillard, Droit adm. 1988 n° 257).

Si le principe d’indemnisation qui découle de cette jurisprudence ne pose pas de difficulté, il n’en va pas de même du choix du juge de considérer qu’un tel comportement n’est pas, en principe, fautif. Hauriou qualifiait cette solution « d’inquiétante » et B. Pacteau déplore « le sacrifice imposé au droit ».

Voir aussi :

- CAA Versailles, Consorts P., 21 septembre 2006, AJDA 23 oct. 2006, p. 1950, chron. G. Pellissier : à propos de l’engagement de la responsabilité de l’Etat du fait du concours de la force publique pour l’exécution d’une décision de justice : « En accordant le concours de la force publique pour procéder à l’expulsion de la famille P, l’Etat n’a commis aucune faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ».

- Note J. Moreau sous CE, 27 septembre 2006, H. Causse, JCP A 2006, 1303 : Dans quel cas refuser ou octroyer le concours de la force publique pour exécuter les décisions de justice ? et du même auteur, note sous CAA Paris, 20 septembre 2006, Soc. Le Nickel, JCP A 2006, 1304.

Bibliographie : - P. Cassia, La contrainte au paiement d’une somme d’argent en cas d’inexécution d’une décision juridictionnelle par une collectivité territoriale, AJDA 25 juin 2007, p. 1218.

Rapprocher :

CE, Sect. 18 novembre 2005, Société Fermière de Campoloro, RFD adm. mars-avril 2006, p. 341, note P. Bon.

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Le TA de Bastia avait condamné une commune de Haute Corse à verser à la Société Fermière de Campoloro une somme en réparation de préjudice subi à la suite de la décision de la commune de résilier une convention lui accordant la concession du port de plaisance situé sur son territoire.

La commune n’avait pas exécuté ces jugements.

Les décisions d’augmentation du taux des impositions locales prise par le Préfet de la Haute Corse en application de la loi du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l’exécution des jugements par les personnes morales de droit public qui se sont révélées insuffisantes pour assurer la Société Fermière du paiement des intérêts dus.

La Société a alors demandé au Préfet de prendre d’autres mesures pour assurer l’exécution complète du jugement notamment en procédant à la vente des biens de la commune.

Le Préfet a rejeté sa demande et la CAA de Marseille a rejeté l’appel formé par la Société contre le jugement du TA de Bastia rejetant ses conclusions à fins d’annulation de la décision préfectorale.

« Considérant qu’aux termes du II de l’article 1er de la loi du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l’exécution du jugement par les personnes morales de droit public : « Lorsqu’une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné une collectivité locale ou un établissement public au paiement d’une somme d’argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être mandatée ou ordonnancée dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la décision de justice. A défaut de mandatement ou d’ordonnancement dans ce délai, le représentant de l’Etat dans le département ou l’autorité de tutelle procède au mandatement d’office. En cas d’insuffisance de crédit, le représentant de l’Etat dans le département ou l’autorité de tutelle adresse à la collectivité ou à l’établissement une mise en demeure de créer les ressources nécessaires ; Si l’organe délibérant de la collectivité ou de l’établissement n’a pas dégagé ou créé ses ressources, le représentant de l’Etat dans le département ou l’autorité de tutelle y pourvoit et procède, s’il y a lieu, au mandatement d’office ;

Considérant que par cette disposition, le législateur a entendu donner au représentant de l’Etat, en cas de carence d’une collectivité territoriale à assurer l’exécution d’une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée, et après mise en demeure à cet effet, le pouvoir de se substituer aux organes de cette collectivité afin de dégager ou de créer des ressources permettant la pleine exécution de cette décision de justice ; Qu’à cette fin, il lui appartient, sous le contrôle du juge, de prendre, compte tenu de la situation de la collectivité et des impératifs

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d’intérêt général, les mesures nécessaires ; Qu’au nombre de ces mesures figure la possibilité de procéder à la vente de biens appartenant à la collectivité dès lors que ceux-ci ne sont pas indispensables au fonctionnement du service public dont elle a la charge ; Que si le Préfet s’abstient ou néglige de faire usage des prérogatives qui lui sont ainsi conférées par la loi, le créancier de la collectivité territoriale est en droit de se retourner contre l’Etat en cas de faute lourde commise dans l’exercice du pouvoir de tutelle ; Qu’en outre, dans l’hypothèse où, eu égard à la situation de la collectivité, notamment à l’insuffisance de ses ressources ou en raison d’impératifs d’intérêt général, le Préfet a pu légalement refuser de prendre certaines mesures en vue d’assurer la pleine exécution de la décision de justice, le préjudice qui en résulte pour le créancier de la collectivité territoriale est susceptible d’engager la responsabilité de la puissance publique s’il revêt un caractère anormal et spécial   ».

Dans la même affaire,

CEDH, 26 septembre 2006, Société de gestion du port de Campoloro, et Sociéte Fermière de Campoloro c/ France, n° 57516/00 :

La Cour EDH a condamné la France en considérant « qu’une autorité de l’Etat ne saurait prétexter du manque de ressources pour ne pas honorer une dette fondée sur une décision de justice … les arguments tirés par le gouvernement de l’autonomie des collectivités locales sont inopérants par rapport à la responsabilité internationale de l’Etat au regard de la convention … Dans ces conditions, c’est bien l’Etat défendeur qui, n’exécutant pas les jugements précités … est responsable de la violation alléguée. Or, eu égard au long délai (plus de quatorze ans) qui s’est écoulé depuis lesdits jugements sans que ceux-ci aient été exécutés, la Cour ne peut que conclure à la violation de l’article 6§1er de la convention, cette inexécution ayant privé cette disposition de tout effet utile ».

2) L’extension de la jurisprudence COUITEAS à l’abstention des autorités de police en cas de perturbation de l’ordre public

* Sur le principe de la responsabilité sans faute. Quand les autorités administratives s’abstiennent de prendre les mesures répressives afin de rétablir la liberté de circulation, les victimes ont la faculté de rechercher la responsabilité de l’Etat dont l’inertie peut être regardée comme une cause secondaire du dommage.

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L’action indemnitaire contre l’Etat peut alors recevoir trois fondements distincts.

Le premier est la responsabilité pour faute. Mais cette responsabilité n’est engagée, s’agissant d’opérations matérielles de police, qu’en cas de faute lourde. Or il est difficile de soutenir que le choix de ne pas recourir à la force face à un mouvement social d’une certaine ampleur revêt un tel caractère.

Les deux autres relèvent de la responsabilité sans faute :

- Il s’agit d’une part du régime prévu par la loi du 7 janvier 1983 (art. 92° devenu art. L. 2216-3 du CGCT) qui rend l’Etat civilement responsable des dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou des rassemblements. Mais les victimes doivent établir que leur préjudice résulte directement de crimes et délits commis par des rassemblements précisément identifiés.

- Il s’agit, d’autre part, du régime jurisprudentiel relative à la réparation des dommages qui révèlent une rupture de l’égalité devant les charges publiques qui seul nous intéresse ici.

On peut, en effet, considérer que dans certains cas – par exemple, des mouvements de grève mettant en œuvre des procédés entravant la libre circulation - l’intervention des forces de police comporte un risque de contribuer à aggraver la tension sociale et donc le désordre. Mais, même justifiée, leur abstention peut priver les particuliers d’une protection à laquelle ils ont droit.

** Sur les caractères du dommage. La rupture de l’égalité n’est cependant caractérisée que si le dommage revêt un caractère anormal, compte tenu à la fois de sa gravité et du fait qu’il pèse sur un nombre limité de personnes (v. infra, sur le préjudice).(spécial)

*** La confrontation de jurisprudence Couitéas aux exigences du droit communautaire

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La portée de la jurisprudence Couitéas n’est pas anéantie mais cependant sans doute considérablement limitée par le droit communautaire et plus particulièrement le principe de libre circulation des marchandises :

CJCE, 9 décembre 1997, Commission c/ République française, aff C-265/95, RFD adm. 1998 p. 120 note L. Dubouis, relatif à « la guerre de la fraise » où était en cause l’inaction du gouvernement français face aux actions des agriculteurs à l’encontre de camion transportant des produits en provenance d’autres Etat européens.

La Cour considère que

« Il incombe à l’Etat membre concerné, sauf à établir qu’une action de sa part aurait sur l’ordre public des conséquences auxquelles il ne pourrait faire face grâce aux moyens dont il dispose, de prendre toutes mesures propres à garantir la portée et l’efficacité du droit communautaire afin d’assurer la mise en œuvre de ce droit dans l’intérêt de tous les opérateurs économiques ».

(V. aussi, CJCE, 12 juin 2003, Scmidberger, aff. C-112/00, Rec. p. I-5659 : à propos du blocage de l’autoroute du Brenner par des manifestations écologistes).

Cette formulation est indéniablement plus stricte que celle résultant de la jurisprudence « Couitéas ».

Cela étant, si les Etats ont l’obligation de prendre des mesures pour mettre fin à des comportements constitutifs d’entraves aux échanges, ils peuvent mettre en avant des motifs d’ordre public qui justifieraient l’abstention en vertu de l’article 30 du Traité CE.

C’est ce qui permet par exemple à la CAA de Nancy de rejeter la demande de réparation de la Compagnie française de navigation rhénane dont plusieurs pousseurs et barges avaient été immobilisé à la suite des grèves du personnel des écluses survenues sur la section internationale de la Moselle au motif « qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’attitude de l’administration, qui trouve sa justification dans les nécessités d’assurer l’ordre public, présente un caractère fautif au regard des exigences formulées par l’article 30 du Traité de Rome en ce qui concerne la libre circulation des marchandises » (CAA Nancy, 18 mars 2004, Compagnie française de navigation rhénane, req. n° 98NC01020, RTDE juill.-sept. 2005, p. 688, chron. D. Ritleng).

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3) L’application de la responsabilité sans faute au cas des décisions administratives non suivies d’effet

* Normalement le défaut d’application d’une réglementation constitue une faute et engage la responsabilité de l’administration (CE, Sect., 14 décembre 1962, Doublet, Rec. Lebon p. 680 ; D 1963, p. 117, concl. Combarnous ; AJDA 1963, p. 85, note Gentot et Fourré).

* Mais même en l’absence de carence systématique – et donc constitutive d’une faute - le défaut d’application d’une réglementation a pu causer un préjudice certain et particulier qui ne saurait être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés, du moins dans la mesure où il présente un degré de gravité suffisante (CE, Ass., 7 mai 1971, Min. de l’Economie c/ Sastre, Rec. Lebon, p. 334, concl. Gentot ; RD publ.. 1972, p. 443, note M. Waline ; JCP 1971, I, 2446, chron. D. Loschak : impossibilité d’exécuter une décision de l’administration par suite d’une contrariété de jurisprudence entre les deux ordres de juridiction ; CE, 4 février 1976, Soc. Etablissements Omer Decugis, Rec. Lebon, p. 79 ; RD publ. 1976, p. 1509, note M. Waline ; AJDA 1976, p. 373, note C. Daval).

Rapp. CE, Ass., 20 mars 1974, Min. de l’Aménagement du territoire, Rec. Lebon, p. 200, concl. M. Rougevin-Baville ; RD publ. 1974, p. 924, note J. De Soto ; AJDA 1974, p. 303, chron. M. Franc et J. Boyon ; D 1974, p. 480, note Gilli : le refus de l’administration de faire cesser l’infraction aux règles d’urbanisme ne constitue pas une faute ; néanmoins ce défaut d’application d’une législation et d’une réglementation a causé au propriétaire voisin un préjudice qui, en raison de son caractère spécial et anormal, ne saurait être regardé comme une charge incombant à l’intéressé et qui, par suite, est de nature à lui ouvrir droit à réparation.

* On peut rapprocher de ces solutions, les cas de responsabilité sans faute résultant de l’abandon d’un projet :

CE, Sect., 23 décembre 1970, EDF c/ Farsat, Rec. Lebon, p. 790 ; AJDA 1971, p. 96, concl. Kahn ; JCP 1971, II, 16820, note Beaugrève : abandon d’un projet d’expropriation.

CE, 17 mars 1989, Ville de Paris c/ Soc. Sodevam, Rec. Lebon, p. 96 ; AJDA 1989, p. 472, concl. Stirn ; D 1990, SC, 295, obs. P. Bon et Ph. Terneyre : abandon de la réalisation d’une voie publique du fait de difficultés financières et techniques alors que ce projet avait déterminé une société à effectuer d’importants investissements désormais inutiles.

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CE, 15 novembre 2000, Commune de Morschwiller-le-Bas, AJDA 2001, p. 207 : réparation du préjudice causé pour les collectivités territoriales par l’abandon de la liaison fluviale Rhin-Rhône.

4) L’application de la responsabilité sans faute à l’adoption de mesures administratives légales

Les principes de la jurisprudence Couitéas ont été étendus au-delà du seul cas du refus légal d’exécuter une décision de justice pour s’appliquer aux décisions individuelles et aux actes administratifs réglementaires légaux.

Avant d’en rendre compte, il faut insister sur le fait que l’admission de la responsabilité sans faute en ces domaines, s’agissant particulièrement des actes réglementaires légaux, pose d’autant moins de difficulté que la jurisprudence retient également une responsabilité sans faute du fait des lois. Au demeurant, le régime du premier est largement calqué sur le second.

* Les actes administratifs réglementaires

La jurisprudence a admis également que lorsqu’un règlement régulier est source pour les administrés d’un préjudice tel que sa survenance rompt gravement l’égalité devant les charges publiques, alors que ce règlement a été pris pour un motif d’intérêt général, les personnes qui en subissent un préjudice spécial et anormal peuvent en obtenir réparation.

Ce principe résulte de l’arrêt CE Sect., 22 février 1963, Commune de Gavarnie (Rec. Lebon, p. 113 ; AJDA 1963, p. 208, chron. Fourré et Gentot ; RD publ. 1963 p. 1019 note M. Waline), même si en l’espèce on peut se demander si la solution ne s’explique pas par un détournement de pouvoir qui n’a pu être établi par le juge.

Il convient cependant d’observer qu’un règlement légal n’engagera jamais la responsabilité de l’autorité publique lorsqu’il est « de la nature même du régime qu’il instaure de provoquer une rupture de l’égalité devant les charges publiques » (ex. : texte instaurant un régime d’aide, un régime d’autorisation en matière économique,…).

A l’inverse, le droit à réparation est également refusé lorsque l’acte a été pris dans un but d’intérêt tout à fait général.

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En réalité, il n’y a de droit à réparation que dans le cas d’un acte protégeant un intérêt général catégoriel (protection des agriculteurs, par exemple).

Rapp. : CE, Sect. 31 mars 1995, Lavaud, AJDA 1995, p. 422 : réparation du préjudice subi par un pharmacien du fait de la fermeture de 10 tours d’habitation.

** Les décisions individuelles

Les concernant, la jurisprudence Couitéas a été appliquée :

- Au refus légal d’autorisation du licenciement de personnels excédentaires lorsqu’il en serait résulté « une perturbation grave dans la vie économique locale » (CE, Sect. 28 octobre 1949, Société des Ateliers du Cap Janet, Rec. Lebon, p. 450)

- Ou encore lorsque l’autorité administrative a interdit le débarquement d’une cargaison de vin italien pour des motif d’ordre public tentant aux manifestations prévues de viticulteurs (CE, Sect., 7 décembre 1979, Société Les fils de H. Ramel, Rec. Lebon, p. 456).

C – L’état actuel de la responsabilité du fait des lois

La consécration d’une responsabilité fait des lois est le fait de la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE, Ass. 14 janvier 1938, Société des Produits laitiers La Fleurette, préc.).

C’est historiquement une responsabilité sans faute (1)

Plus récemment, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de constituer un régime de responsabilité objective, sui generis, dans le cas d’une loi « inconventionnelle » (2).

Il en résulte deux régimes distincts de responsabilité du fait des lois qui se surajoutent l’un à l’autre.

1) Une responsabilité sans faute fondée sur la rupture de l’égalité devant les charges publiques

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La portée théorique de la solution de l’arrêt La Fleurette est considérable dès lors qu’elle aboutit à admettre l’engagement de la responsabilité à propos d’activités qui sont au cœur de la souveraineté de l’Etat. Il s’agit, à ce titre, d’une solution particulièrement audacieuse.

Mais la portée pratique de cette jurisprudence peut se révéler très réduite en considération des conditions mises par le juge à l’engagement de la responsabilité de l’Etat. En réalité, ces conditions sont très strictes.

Ces conditions ont longtemps été au nombre de deux, l’une tenant à la loi (a) et, l’autre, plus classiquement, au préjudice subi (b).

Désormais, la seule condition mise à l’indemnisation tient au préjudice.

a) Les conditions relatives à la loi

La responsabilité du fait des lois présente une particularité qui tient à ce que la volonté du législateur s’imposant au juge, le législateur peut en principe toujours décider d’exclure ou d’encadrer l’engagement de la responsabilité pour les conséquences dommageables découlant d’un texte législatif (ex. : Loi du 13 avril 1946 prescrivant la fermeture des maisons de tolérance (exclusion expresse).

* Par le passé, le juge a toujours retenu l’exclusion de toute responsabilité chaque fois que la loi en cause avait pour objet la satisfaction d’un intérêt général prééminent.

Car dans ce cas, il considérait qu’il ressortait de l’objet même de la loi que le législateur avait entendu exclure que la responsabilité de l’Etat puisse être engagée en raison de dommage anormal que l’application de ses dispositions pourrait causer.

En quelque sorte, il était des hypothèses où la loi portait en elle-même l’exclusion de principe de toute indemnisation qui est inhérente à son objet (Voir commentaire sous CE, La Fleurette, GAJA).

- Tel était le cas, par exemple, de la loi du 12 juillet 1983 interdisant certains appareils à jeux.

Le juge administratif déduit de ce texte que le législateur a entendu exclure toute indemnisation des sociétés dont l’activité se rattache à la fabrication ou au commerce de ces appareils (CE, 11 juillet 1990, Société Stambouli, Rec. Lebon p. 214).

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- Un raisonnement similaire a été repris par le juge administratif à propos de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature.

Il a été jugé à son propos qu’à l’égard de l’objet en vue duquel ces dispositions législatives ont été édictées dans l’intérêt général, le législateur a entendu exclure la responsabilité de l’Etat à raison des conséquences que lesdites dispositions ont pu comporter pour l’activité professionnelle de taxidermiste (CE, 14 décembre 1984, Rouillon, Rec. Lebon, p. 423).

Ce texte permet par ailleurs d’interdire toute mesure de nature à empêcher la prolifération de certaines espèces animales protégées. L’application de ce texte à propos des flamants roses et des dégâts qu’ils causent aux cultures (riziculteurs de Camargue) et aux exploitations piscicoles a entraîné une jurisprudence abondante.

Les Tribunaux administratifs et Cours administratives d’appel ont retenu dans certains cas la responsabilité de l’Etat législateur (TA Nantes, 18 février 1997, Association Marais des Olonnes, Droit adm. 1997 n° 330).

Mais le Conseil d’Etat a, quant à lui, été amené à se prononcer dans un arrêt CE, 21 janvier 1998, Ministre de l’environnement c/ Sieur Plan, Rec. Lebon, p. 19, RFD adm. 1998 p. 565 note P. Bon, dans lequel il va rejeter l’engagement de la responsabilité sans faute de l’Etat au motif que :

« Eu égard à l’objet en vue duquel les dispositions législatives… ont été édictées, dans l’intérêt général, le législateur a entendu exclure la responsabilité de l’Etat à raison des conséquences que ces textes peuvent comporter, notamment, pour les cultures exposées aux dégâts occasionnés par les flamants roses »

Cette position a ensuite été infléchie s’agissant des préjudices causés aux tiers, en l’espèce des pisciculteurs victimes des mesures de protection des grands cormorans (CE, Sect., 20 juillet 2003, Assoc. pour le développement de l’aquaculture en région Centre, Rec. Lebon, p. 367 ; AJDA 2003, p. 1815, chron. F. Donnat et D. Casas ; RFD adm. 2004, p. 144, concl. Lamy, note P. Bon. ; v. aussi sur la même question, CAA Bordeaux, 26 février 2004, Min. de l’Aménagement du Territoire c/ M. Pommereau, SCEP du Grand Cerneant, M. Delagrange, AJDA 2004, p. 1941 : à propos des dégâts causés aux piscicultures par les grands cormorans.

Mais cette solution ne remettait pas en cause le fait que le législateur ait présumé avoir exclu l’indemnisation des préjudices résultant de l’atteinte des activités que la loi a pour objet de gêner, de restreindre ou de limiter, ce en vue de poursuivre la réalisation de ses objectifs.

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Voir aussi

- A propos des lois prises dans un intérêt général économique et social d’ordre général (CE, 15 juillet 1949, Ville d’Elboeuf, Rec. Lebon, p. 359 ; CE, Sect. 14 mars 1975, SCI de la Vallée de la Chevreuse, Rec. Lebon, p. 197 ; CE, 8 avril 1994, SA Ets Charbonneaux-Brabant, Rec. Lebon, p. 187) ;

- ou des lois cherchant à réprimer des activités frauduleuses ou répréhensives (CE, Ass. 14 janvier 1938, Cie générale de corps de pêche, Rec. Lebon, p. 23) ;

- ou des lois visant à mettre fin à une activité dangereuse ou nuisible à la santé publique (CE, 6 janvier 1956, Manufacture française d’armes et de cycles, Rec. Lebon, p. 3 ; CE, Ass. 8 janvier 1965, Société des Ets Aupinel, Rec. Lebon, p. 15).

En d’autres termes, l’indemnisation ne pouvait être admise que si le texte en cause avait été pris dans le but de protéger un intérêt catégoriel.

Ainsi, dans la jurisprudence La Fleurette, la loi visait à protéger les intérêts des producteurs de lait (V. aussi : CE, 21 janvier 1944, Caucheteux et Desmonts, S.1945, III.13 : à propos d’une loi visant à protéger le marché du houblon par l’interdiction du glucose de brasserie).

** Le revirement opéré en 2005

CE, 2 novembre 2005, coopérative agricole AX’ION, RFDA mars-avril 2006, p. 349, concl. M. Guyomar ; note C. Guettier ; RDP 2006, concl. p. 1441 et note C. Broyelle, p. 1427 ; AJDA 2006, p. 142, chron. Cl. Landais et F. Lenica.

L’article L. 514-7 du code de l’environnement issu de l’article 15 de la loi du 19 juillet 1976 modifiée relative aux installations classées pour la protection de l’environnement dispose :

« Un décret en Conseil d’Etat pris, après avis du Conseil supérieur des installations classées, peut ordonner la fermeture ou la suppression de toute installation, figurant ou non à la nomenclature, qui présente pour les intérêts mentionnés à l’article L.511-1, des dangers ou inconvénients tels que les mesures prévues par le présent titre ne puissent les faire disparaître ».

Sur ce fondement, un décret du 16 avril 1999 ordonne la suppression des silos de stockage et des installations de combustion exploités par la Coopération agricole du Soissonnais.

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Le motif en était « les risques d’explosion susceptibles de compromettre gravement la sécurité publique et notamment, la sécurité des habitations situées au voisinage de ces installations, implantées en milieu urbain » que présentaient les silos de stockage de céréales dégageant des poussières inflammables et des installations de combustion exploitées par la coopérative.

La coopérative avait alors adressé au Premier Ministre une demande d’indemnisation du préjudice qu’elle estimait avoir subi du fait de la suppression de ses installations et chiffré à 18.695.000 F. Celui-ci ayant opposé un refus à cette demande, la coopérative saisit successivement le TA d’Amiens qui rejeta sa demande puis la CAA de DOUAI qui rejeta son appel.

La coopérative AX’ION ayant invoqué la rupture de l’égalité devant les charges publiques, les juges d’appel ont rejeté ses prétentions en considérant

« qu’en l’absence de dispositions législatives le prévoyant expressément, une telle mesure ne peut avoir pour effet d’ouvrir droit à réparation au bénéfice de l’exploitant de l’activité visée par le législateur ».

Et de fait, sur le fondement de l’arrêt « La Fleurette », le rejet de la demande s’imposait.

L’arrêt ne retient pourtant pas cette solution.

Selon le Commissaire du Gouvernement, il n’était plus tenable d’admettre que l’application d’une loi puisse s’accommoder de l’exclusion de principe, à raison de son objet, de toute indemnisation des préjudices qu’elle serait susceptible d’entraîner.

A l’appui du revirement qu’il proposait, le Commissaire du Gouvernement invoquait :

- D’abord la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative aux principes constitutionnels d’égalité devant les charges publiques (n°85-198 DC du 13 décembre 1985 ; n°89-254 DC du 4 juillet 1989 ; n°2000-541 du 27 novembre 2001).

On peut relever que tel est également le cas sur le fondement du principe constitutionnel issu de l’article 1382 du Code civil (n°99-419 DC du 9 novembre 1999, Rec. p. 116).

- Ensuite, l’article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH relatif au droit et au respect des biens.

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La convention admet que s’ils agissent dans le cadre de l’intérêt général, les Etats peuvent réglementer l’usage des biens sans avoir nécessairement à indemniser les conséquences dommageables de la réglementation.

Mais l’indemnisation de mesures légales devient nécessaires lorsque le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et le respect des biens est rompu, c’est-à-dire lorsque pèse sur la personne privée « une charge disproportionnée ».

C’est au regard de cette jurisprudence que le Conseil d’Etat a interprété l’article L. 160-5 du Code de l’Urbanisme en n’excluant pas l’indemnisation du propriétaire qui supporte en raison d’une servitude d’urbanisme, « une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi » (CE, Sect. 3 juillet 1998, Bitouzet, Rec. Lebon, p. 288 ; Voir aussi CE, 29 décembre 2004, Société d’Aménagement des Côteaux de Saint Blaine, Rec. Lebon, p. 478 ; RD imm. 2005, p. 141, note P. Soler-Couteaux ; CE, 11 février 2004, Schioccet, Rec. Lebon, p. 65 ; AJDA 2005, p. 423, chron. Cl. Landais et F. Lenica ; RD imm. 2004, p. 209, note P. Soler-Couteaux).

Il en découlait que l’exigence d’une interprétation de la loi dans le respect des normes constitutionnelles et conventionnelles excluait de présumer, dans le silence de la loi, une volonté du législateur de refuser par principe l’indemnisation d’un préjudice anormal.

Le Commissaire du Gouvernement disait :

« Nous refusons en effet d’interpréter la loi comme s’accommodant de l’existence de ruptures caractérisées de l’égalité devant les charges publiques qui ne seraient pas indemnisables. Mais notre conviction s’enracine au-delà de la nécessité de respecter la hiérarchie des normes. Il ne nous semble plus possible d’admettre que la loi ait entendu implicitement exclure par principe l’indemnisation de l’atteinte anormale qu’elle serait susceptible de porter à l’égalité devant les charges publiques. En d’autres termes, il n’existe pas d’irresponsabilité générale et absolue de la puissance publique   ».

Le Conseil d’Etat le suit en jugeant :

« Considérant qu’il résulte des principes qui gouvernent l’engagement de la responsabilité sans faute de l’Etat que le silence d’une loi sur les conséquences que peut comporter sa mise en œuvre, ne saurait être interprété comme excluant, par principe, tout droit à réparation des préjudices que son application est susceptible de provoquer ; Qu’ainsi, en l’absence même de dispositions le prévoyant expressément, l’exploitant d’une installation dont la

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fermeture ou la suppression a été ordonnée sur le fondement de la loi du 19 juillet 1976 en raison des dangers ou inconvénients qu’elle représentait, est fondé à demander l’indemnisation du dommage qu’il a subi de ce fait lorsque excédant les aléas que comporte nécessairement une telle exploitation, il revêt un caractère grave et spécial et ne saurait, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement à l’intéressé ».

L’arrêt abandonne donc le critère tiré de la volonté du législateur inférée par l’objet de la loi.

Sur un plan pratique, il faut bien relever que le principe de précaution entraîne particulièrement dans le domaine de l’environnement et de la santé un nombre croissant d’interventions législatives qui visent non plus seulement à faire disparaître un risque existant mais aussi en prévenir l’éventuelle réalisation. Et qu’il s’ensuit des contraintes de plus en plus rigoureuses pour les acteurs économiques et sociaux, la recherche du risque zéro étant de nature à bousculer les situations acquises.

Comme le disait le Commissaire du Gouvernement, c’est au nom d’une certaine socialisation du risque aux contribuables d’indemniser la charge qui pèse dans l’intérêt de la collectivité nationale dans le chef du patrimoine de particuliers.

Le Conseil d’Etat abandonne le critère tiré de l’objet de la loi pour se limiter à l’examen du caractère anormal de l’atteinte à l’égalité devant les charges publiques.

Dans le même sens :

CE, Sect. 25 juillet 2007, M. Leberger, M. et Mme Cortie, req. n°278190, AJDA 3 sept. 2007, p. 1559 : Responsabilité sans faute de la commune admise en matière de police des inondations.

Dans cet arrêt, le CE considère que l’exploitant d’un camping dont la fermeture est ordonnée par le maire ou, pour le cas échéant, par le préfet au titre d’une mesure de prévention contre les risques d’inondations, peut demander à être indemnisé s’il subit un préjudice grave et spécial excluant les aléas liés à l’exploitation de son activité.

La CAA avait refusé l’indemnisation du fait de cette fermeture.

Le CE relève tout d’abord que la décision de fermeture définitive du camping était justifiée en raison du risque élevé d’inondations. Il juge cependant

«qu’il résulte des principes qui gouvernent l’engagement de la responsabilité sans faute de l’Etat que le silence d’une loi sur les conséquences que peut comporter sa mise en œuvre ne saurait être interprété comme excluant, par principe, tout droit à réparation des préjudices que son application est susceptible de provoquer ; qu’ainsi, en l’absence même de dispositions le prévoyant expressément, l’exploitant d’une installation dont la fermeture a été ordonnée sur le fondement

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des pouvoirs de police dévolus au maire par le 5° de l’article L.2212-2 du CGCT pour prévenir les conséquences d’éventuelles inondations, est fondé à demander l’indemnisation du dommage qu’il a subi de ce fait lorsque, excédant les aléas que comporte nécessairement une telle exploitation, il revêt un caractère grave et spécial et ne saurait dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement à l’intéressé ; qu’il suit de là, qu’en jugeant que la seule circonstance que l’arrêté préfectoral ordonnant la fermeture du camping a poursuivi un but de sécurité publique suffisait à exclure l’engagement de la responsabilité sans faute de l’autorité de police, la Cour administrative a commis une erreur de droit ».

Pour aller plus loin sur cette question   :

Il a longtemps été considéré – tant par le juge administratif que par le juge judiciaire que les propriétaires de terrains grevés de servitudes administratives légalement instituées ne pouvaient bénéficier d’aucune indemnité.

Cette position a prévalu jusqu’à la première guerre mondiale qui a marqué, là comme ailleurs, une nette césure. Le Gouvernement a préparé en 1919 un projet de loi sur les servitudes d’utilité publique et leur indemnisation avant de renoncer à le soumettre au Parlement par crainte des conséquences financières, notamment en matière de planification urbaine.

Mais les sensibilités avaient évolué.

Par l’arrêt du 30 novembre 1923, Couitéas ,le CE avait consacré une responsabilité sans faute pour rupture de l’égalité devant les charges publiques et affirmé un principe général selon lequel tout acte de la puissance publique ouvre droit à réparation lorsqu’il en résulte un dommage direct, matériel et spécial.

Dans le contexte particulier du droit de l’urbanisme, l’application des premières règles d’urbanisme issues des lois des 14 mars 1919 et 19 juillet 1924 donna l’occasion à la Section de l’intérieur du Conseil d’Etat d’émettre, à la demande du gouvernement, un avis de 1924 selon lequel qu’en l’absence de disposition expresse il convenait de faire application de ce principe général à la matière des servitudes d’urbanisme.

Cette jurisprudence et cet avis ont amené le législateur à multiplier les régimes spéciaux d’indemnisation des servitudes d’utilité publique et des servitudes d’urbanisme.

Un décret du 25 juillet 1935 exclut, pour la première fois, l’indemnisation de plusieurs catégories de servitudes d’urbanisme puis la règle a reçu une portée plus générale dans la loi du 15 juin 1943 relative à l’urbanisme (art. 80 codifié à l’article 82 du CCH), codifiée en dernier lieu dans l’article L. 160-5 du Code de l’urbanisme. Cet article pose le principe de la non indemnisation des servitudes d »urbanisme assortie d’exceptions auxquelles l’arrêt Bitouzet est venue ajouter pour assurer la compatibilité du principe avec la CEDH.

b) Les conditions relatives au préjudice

* Il convient, tout d’abord, que le préjudice soit certain.

Le juge semble apprécier cette condition avec sévérité.

Ainsi, il a jugé à propos de la loi validant la procédure d’attribution de la concession de travaux de réalisation du Stade de France (loi du 11 décembre 1996 de validation de la procédure d’attribution de la

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concession du Grand Stade) que M. Sarfati n’avait droit à aucune indemnité dès lors :

« qu’il ne résulte pas de l’instruction que Monsieur Sarfati… ait eu… une chance suffisamment sérieuse d’obtenir la concession ; qu’ainsi l’intervention de la loi du 11 décembre 1996 ne peut être regardée comme ayant causé à Monsieur sarfati un préjudice certain » (CAA Paris, 4 décembre 1997, Sarfati, AJDA 1998 p. 254 concl. C. Lambert).

** Ensuite, le préjudice doit être spécial et anormal.

La condition d’anormalité (préjudice d’une gravité suffisante) est appréciée avec rigueur.

Celle de spécialité (préjudice spécial au requérant ou à un petit nombre d’individus) est appréhendée avec plus de souplesse par la jurisprudence en ce que le nombre important de victimes n’exclut pas la mise en jeu de la responsabilité, dès lors que les victimes appartiennent à une catégorie précise et aisément identifiable

CE, 25 janvier 1963, Bovero, JCP 1963, II, 13326, note Vedel ; AJDA 1963, p. 124, chron. Gentot et Fourré : droit à indemnité des propriétaires de locaux occupés par des militaires ou des membres de la famille de militaires servant en Algérie, du fait des dommages résultant pour eux d’une ordonnance interdisant toute expulsion de ces occupants. Le propriétaire qui avait obtenu un jugement d’expulsion contre un locataire dont le fils servait en Algérie n’avait pu en obtenir l’exécution. Charge spéciale, grave et exceptionnelle).

Les conditions mises à l’engagement de la responsabilité de l’Etat du fait des lois rendaient inadapté le fondement de la rupture de l’égalité devant les charges publiques dans le cas où le fait dommageable trouve sa source dans la méconnaissance par la loi d’une convention internationale.

2) Une responsabilité objective dans le cas de la méconnaissance par la loi d’une convention internationale

CE, Ass., 8 février 2007, Gardedieu, RFDA 2007, p. 361, concl. L. Derepas

Jusqu’à cette décision, le juge administratif avait pu éluder la réponse à la question de savoir si la méconnaissance par la loi d’une convention internationale était de nature à engager la responsabilité de l’Etat.

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- Depuis près de quinze ans, la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat du fait des lois contraires au droit international s’est progressivement imposée.

Cette solution est imposée par le développement de cette forme de traités internationaux que sont les « traités-lois » dont la particularité est de créer en droit interne des normes d’effet direct qui constituent des droits dans le chef des particuliers.

Elle résulte également de l’article 55 de la Constitution qui affirme la supériorité des traités sur la loi.

Elle est mise en œuvre par les deux grandes institutions chargées du respect des « traités-lois ».

La CJCE a ainsi jugé que la méconnaissance d’une norme communautaire par un Etat membre devait entraîner réparation par cet Etat des préjudices en résultant (CJCE, 19 novembre 1991, Francovich, C 6/90 et C 9/90, Rec. I-5337, RFDA 1992, p. 1, note L. Dubouis), y compris lorsque la méconnaissance est le fait de la loi (CJCE, 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur et Factortame (2 esp.), C 46/93 et C 48/93, RFDA 1996, p. 582, note L. Dubouis).

La CEDH a retenu une solution analogue en jugeant que toute constatation par elle d’une méconnaissance de la Convention créait « l’obligation d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci » (Cour EDH, 31 octobre 1995, Papamichalopoulos c/ Grèce, série A, n° 330-B) et cette solution est également applicable lorsque la méconnaissance de la convention à l’origine du préjudice trouve son origine dans une loi (Cour EDH, 3 juillet 1995, Heintrich / France, A-230-A ; Beyeler c/ Italie, req. n° 33202/96).

Le juge administratif n’avait pas eu, pourtant, jusqu’à l’arrêt commenté à se prononcer sur cette question.

Cela s’explique par la circonstance que, le plus souvent, lorsque la loi à l’origine du dommage intervient dans un contexte de droit public, la situation dommageable peut être rattachée à un acte administratif d’application de la loi.

Dans une telle situation, le CE considère que la contrariété avec le droit international qui est à l’origine du préjudice doit être recherchée dans l’acte administratif d’application, sans qu’il soit nécessaire de remonter à la loi qui en est le fondement (CE, Ass., 28 février 1992, Soc. Arizona Tobacco Products, Rec. Lebon, p. 78, concl. M. Laroque ; AJDA 1993, p. 141, obs. P. Bon et Ph. Terneyre ; RDP 1992, p. 1480, note F. Fines).

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Cette démarche était par ailleurs rendue possible par la jurisprudence Nicolo qui permet au juge d’écarter la loi-écran et de confronter l’acte administratif directement au droit international.

Il reste que lorsque la loi intervient dans un contexte de droit privé et que par l’effet de la loi, une personne trouve empêchée de poursuivre le recouvrement d’une créance contre une autre personne privée devant les juridictions civiles, la question de l’engagement de la responsabilité de l’Etat se pose.

C’était précisément la situation de M. Gardedieu.

Chirurgien-dentiste de profession, il avait adhéré à la Caisse autonome de retraite de cette profession. Un décret avait modifié le régime de cette cotisation en l’augmentant. Mais M. Gardedieu n’avait pas acquitté cette augmentation en estimant le décret illégal.

Il fut donc assigné devant le Tribunal des affaires de sécurité sociale devant lequel il excipa de l’illégalité du décret, ce que le CE confirma à l’occasion d’une question préjudicielle.

Mais entretemps, une loi avait rétroactivement validé les appels de cotisations effectués en application du décret.

Ayant perdu toute chance de gagner son procès devant le TASS, M. Gardedieu engagea la responsabilité de l’Etat sur le double fondement de la responsabilité sans faute pour rupture de l’égalité devant les charges publiques (La Fleurette) et de la faute fondée sur la violation par la loi de validation de l’article 6 de la CEDH (droit au procès équitable), stipulation qui a conduit la Cour à juger qu’une loi de validation qui a pour effet d’intervenir dans les instances juridictionnelles en cours n’est conforme à l’article 6 que si cette ingérence est justifiée par « un motif impérieux d’intérêt général ».

C’est dans ce contexte que le CE est amené à poser le principe de la responsabilité de l’Etat lorsque la loi adoptée en méconnaissance d’une convention internationale cause un préjudice pour les raisons que l’on a indiquées précédemment.

- Il restait à en déterminer le fondement.

Le premier fondement envisageable était celui de la rupture de l’égalité devant les charges publiques en coulant le cas de la responsabilité du fait de la loi inconventionnelle dans le cadre juridique de l’arrêt La Fleurette.

Mais cette solution est écartée car le droit international oblige l’Etat à réparer l’intégralité du préjudice causé par la méconnaissance de la convention si bien qu’il aurait fallu expurger la solution La Fleurette de

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toutes les conditions qu’elle pose à l’indemnisation du préjudice et notamment celle tenant à son caractère anormal et spécial.

Un tel abandon aurait par ailleurs remis en cause l’économie même de ce régime de responsabilité : c’est un régime fondé sur la rupture de l’égalité devant les charges publiques. Il postule donc la spécialité du préjudice comme condition de la mise en jeu de la responsabilité.

Le deuxième fondement était celui de la faute. Après tout, toute illégalité de l’acte administratif est fautive (CE, Sect., Driancourt, Rec. Lebon, p. 77), pourquoi la méconnaissance par la loi d’une convention internationale ne relèverait-elle par de la même qualification ? (voir en ce sens, R. Chapus, DAG, Tome 1, n° 1519 ; G. Alberton, v. biblio ; CAA Paris, 1er juillet 1992, Soc. Jacques Dangeville, AJDA 1992.768, ob. X. Prétot ; TA Paris, 11 octobre 2002, Soc. Fipp ; AJDA 2003.955, note C. Deffigier).

Précisément parce qu’il s’agit d’une qualification : constater la méconnaissance d’une norme supérieure est une chose, la qualifier en est une autre.

S’agissant de l’acte administratif (en cause dans l’arrêt Driancourt), le juge y est habilité par la loi des 16-24 août 1790 et donc rien dans le principe de la séparation des pouvoirs ne s’y oppose.

Il en va tout différemment s’agissant de la loi : le principe de la séparation des pouvoirs s’oppose à ce que le juge s’autorise à qualifier de fautive une méconnaissance d’une convention internationale. Et ce serait pousser trop loin la portée de l’article 55 que d’y voir une habilitation implicite donnée au juge administratif de conférer une qualification fautive à la loi inconventionnelle.

D’où un troisième régime de responsabilité : une responsabilité objective qui permet de réparer le préjudice sans contraindre le juge à une quelconque qualification.

Ce régime a été retenu par le CE parce que le droit international impose la réparation du préjudice résultant de sa méconnaissance par la loi, mais ne requiert pas que cela soit fait sur le fondement de la faute et laisse à chaque Etat le soin d’y procéder dans le cadre du droit national.

POUR ALLLER PLUS LOIN

Bibliographie :

- G. Alberton, « Le législateur français transgressant le droit international pourra-t-il demeurer encore longtemps irresponsable ? AJDA 20 nov. 2006,

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p. 2155 ; B. Pacteau, La responsabilité juridique du fait des lois. La sortie du tunnel, Mélanges J. Morand-Deviller, Montchrestien 2007, p. 487 ; C. Broyelle, La responsabilité du fait des lois, LGDJ 2003 ; P. Senkovic, L’évolution de la responsabilité de l’Etat législateur sous l’influence du droit communautaire, Bruylant 2000.

- F. Ch. Bousquet, La responsabilité de l’Etat du fait des dispositions constitutionnelles, RDP 4/2007, p. 937.

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CHAPITRE 3

LA MISE EN ŒUVRE DE LA RESPONSABILITE ADMINISTRATIVE

Il convient de donner d’abord quelques indications générales sur l’action contentieuse en indemnité (Section 1).

Ensuite, pour que l’administration soit condamnée à payer des dommages et intérêts, il faut apporter, dans le système de la responsabilité pour faute, la preuve de la faute (Section 2).

Mais il ne suffit pas qu’elle ait commis une faute ou accompli un acte de nature à engager sa responsabilité sans faute, il faut, en outre, que certaines conditions relatives au préjudice (Section 3) et au lien de causalité (Section 4) soient remplies.

Si tel est le cas, il pèsera sur la personne publique une obligation de réparation dont il conviendra de préciser le régime juridique.

SECTION 1ere

L’ACTION EN INDEMNITE

L’action en réparation peut être intentée

- par la victime directe ;

- par l’assureur.

Et il peut s’agir soit, classiquement, de l’assureur de la victime dès lors qu’il a indemnisé celle-ci, soit de l’assureur de la personne reconnue responsable du préjudice dans le cadre d’une action récursoire.

Sur l’action subrogatoire des Caisses de sécurité sociale : CE, 5 mars 2008, CPAM de Seine-Saint-Denis, n° 272447, Dr. adm. 2008, n° 87 et CE 5 mars 2008, Mme BENCHEIKH, n°290962 ; AJDA, 5 mai 2008, p. 941, concl. J.P. THIELLAY : le Conseil d’Etat pour déterminer les droits de caisse de sécurité sociale fait une première application des règles posées dans l’avis de Section, LAGIER du 4 juin 2007, notamment dans le cas d’un accident du travail. Il distingue ainsi les préjudices de nature patrimoniale déterminés poste par poste et les préjudices personnels sur lesquels l’organisme de sécurité sociale ne peut exercer son recours subrogatoire. Il juge, comme la Cour de cassation, que la rente versée pour compenser la perte de revenus de la victime s’élève plutôt en principe sur l’apport patrimonial du préjudice et non sur la part des préjudices personnels.

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* La présentation du recours indemnitaire obéit aux mêmes règles que celles qui régissent la présentation du recours pour excès de pouvoir sous réserve des règles contentieuses particulières.

Il faut en connaître les principales.

§1er : La règle de la décision préalable

A - La règle

« Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée » (art. R. 421-1 du CJA).

Cela signifie que pour être recevable, l’action en responsabilité doit être dirigée contre une décision de l’administration rejetant la demande en réparation présentée à l’autorité administrative par la victime.

Le juge ne peut donc pas être saisi directement de l’action en responsabilité.

La décision administrative (de rejet) peut être explicite ou implicite (silence gardé pendant deux mois par l’administration).

En cas de décision explicite, le requérant doit saisir le juge dans un délai de deux mois à compter de la notification du rejet. A défaut, il est forclos et s’il formule une nouvelle demande pour provoquer une nouvelle décision, il risque de se voir opposer le principe de l’irrecevabilité des recours contre les décisions purement confirmatives

En cas de décision implicite de rejet, l’action de la victime n’est enfermée dans aucun délai en dehors des règles comptables (v. infra).

CAA Nantes (form. plén.), 22 juillet 2004, M et Mme C, AJDA 2004, p. 2040, note J-F. Millet :

Cette règle de la décision préalable est très générale en ce sens qu’elle concerne non seulement les recours contre des personnes publiques, mais également les recours introduits contre des personnes privées investies de mission de service public et par des personnes publiques contre d’autres personnes publiques dès lors que ces actions relèvent du juge administratif.

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CE, 31 mai 2007, HERBETH, n°278905, AJDA 28 juillet 2008, p. 158, concl. Deschauvaux : Le Conseil d’Etat indique dans quelle mesure une personne qui sollicite l’indemnisation d’un préjudice peut modifier cette demande en appel et invoquer les chefs de préjudice dont elle n’avait pas fait état devant les premiers juges.

B - Les exceptions

Pour générale qu’elle soit, cette règle connaît néanmoins certaines exceptions dont la principale concerne les recours en matière de travaux publics.

La conséquence en est que si le demandeur a saisi l’administration d’une demande de décision préalable, celle-ci sera censée ne pas avoir existé, et donc en cas de réponse explicite, le délai ne courra pas.

CAA Versailles, 29 septembre 2006, Mme Maillard, req. n° 05 VE 00970, AJDA 18 déc. 2006, p. 2414 : L’introduction des requêtes relevant de la matière des travaux publics n’est soumise à aucune condition de délai ; ainsi leur régularisation peut donc être effectuée à tout moment. En l’espèce, précision du fondement de l’action tendant à engager la responsabilité d’un OPHLM.

CAA Bordeaux, 1er avril 2008, n°05BX01994, Dr. adm. 2008, n° 88, note N. Exposta : Le site mis en place pour permettre l’observation d’une éruption n’est pas, compte tenu du caractère limité des aménagements qu’il comporte, un ouvrage public. La mise en cause de l’administration pour l’insuffisance des mesures de sécurité prises ne peut donc se situer que dans le cadre de la responsabilité pour les activités de police.

« Considérant que, le 27 août 2003, vers 20 heures 30, Alexandre X, âgé de 21 ans, qui s'était rendu sur la « plate-forme d'observation » de l'éruption alors en cours du Piton Kapor, dans le massif du Piton de la Fournaise, a chuté dans un trou, d'une profondeur d'environ quatre mètres, résultant de la fracture des flancs d'un hornito situé au delà du périmètre de la zone ainsi délimitée et qu'il avait entrepris de gravir afin de jouir d'une meilleure vue sur l'éruption ; qu'en dépit des efforts des personnes présentes sur les lieux pour tenter de le sauver, il a péri quelques minutes plus tard, succombant à la chaleur, supérieure à 200 degrés, qui régnait dans cette cavité ; que les consorts X, Y et Z relèvent appel du jugement n° 0401046, en date du 22 juillet 2005, par lequel le Tribunal administratif de Saint-Denis a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation solidaire de l'Etat et de l'Office national des forêts, ainsi que, le cas échéant, au titre de l'exercice des pouvoirs de police, des communes de Saint-Philippe, du Tampon et de Sainte-Rose, à leur verser des indemnités en réparation du préjudice moral résultant pour eux du décès de leur parent ; Sur la recevabilité des demandes de première instance, en tant qu'elle étaient fondées sur la faute dans l'exercice des pouvoirs de police administrative : Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : « Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision (...) » ; qu'il est constant que les demandes présentées au Tribunal administratif de Saint-Denis par les consorts X, Y et Z n'ont fait l'objet d'aucune réclamation préalable auprès du préfet de la Réunion et des communes de Saint-

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Philippe, du Tampon et de Sainte-Rose ; que, le préfet de la Réunion et l'Office national des forêts ayant opposé aux intéressés, à titre principal, une fin de non-recevoir et les trois communes susmentionnées s'étant pour leur part abstenues de produire un mémoire en défense, c'est à bon droit que le Tribunal administratif de Saint-Denis a jugé que lesdites demandes, assujetties aux dispositions précitées du code de justice administrative en tant qu'elles visaient des carences dans l'exercice des pouvoirs de police administrative, étaient irrecevables pour défaut de liaison du contentieux ;

Sur la responsabilité de l'Etat et de l'Office national des forêts au titre du défaut d'entretien normal d'un ouvrage public :

Considérant que, par arrêté du 25 août 2003, prenant effet le 26 août à 6 heures du matin, le préfet de la Réunion, qui avait quelques jours plus tôt interdit l'accès du public dans l'enclos du Piton de la Fournaise, en raison de l'activité éruptive du Piton Kapor, qui venait de se déclencher, a levé cette interdiction, l'éruption paraissant stabilisée ; qu'il a dans le même temps chargé l'Office national des forêts de définir, en concertation avec les spécialistes de l'observatoire volcanologique du Piton de la Fournaise, dépendant de l'Institut de physique du globe de Paris, l'emplacement d'une « plate-forme d'observation » pouvant accueillir les spectateurs dans de bonnes conditions de sécurité ; que la délimitation de cette aire d'observation et de son itinéraire d'accès depuis le Pas de Bellecombe, situés sur le domaine privé « placé sous la main de l'administration des eaux et forêts » en vertu de l'arrêté interministériel du 30 juin 1948 pris pour l'application du décret n° 47-2222 du 6 novembre 1947 relatif à l'attribution de l'ancien domaine colonial, s'est ainsi inscrite dans une opération de police administrative, justifiant en tout état de cause la compétence de la juridiction administrative, sans que les aménagements réalisés, consistant seulement en la mise en place d'un balisage rudimentaire au moyen de peinture et de rubans de chantier, ainsi que de panneaux rappelant aux visiteurs les consignes de sécurité, qui n'ont pas modifié l'état naturel du site, aient pu lui conférer, dans les circonstances de l'espèce, le caractère d'un ouvrage public ; Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les consorts X, Y et Z ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Saint-Denis a rejeté leurs demandes (…) »

C- La mise en œuvre de la règle

L’exigence d’une décision préalable est toutefois appliquée de manière souple notamment le juge reconnaît des possibilités de régularisation.

TA Nice, 6 avril 2007, société AXA France IARD c/ Préfet des Alpes Maritimes, req. n° 0403694, AJDA 30 juillet 2007, p. 1535, concl. F. Dieu : La délivrance par le maire d’un certificat de vie à une personne dont il n’a pas au préalable vérifié l’identité et qui a profité de cette carence pour usurper l’identité d’un parent engage la responsabilité de l’Etat.

La demande avait été adressée au maire de la commune et non au préfet. Mais application de l’article 20 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : « lorsqu’une demande est adressée à une autorité administrative incompétente, cette dernière la transmet à l’autorité administrative compétente et en avise l’intéressé. Le délai au terme duquel est susceptible d’intervenir une décision implicite de rejet court à compter de la date de réception de la demande par l’autorité initialement saisie… » : il résulte de ces dispositions que la demande adressée à une autorité administrative incompétente est susceptible de faire naître une décision implicite de rejet de la part de l’autorité compétente à laquelle la demande est réputée avoir été transmise.

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§2 : Le ministère d’avocat

Le principe est que les recours en réparation doivent, en principe, être présentés par avocat, à l’inverse des recours pour excès de pouvoir (art. R. 431-2 du CJA).

Il n’en va cependant ainsi que sauf exception, et elles sont nombreuses (art. R. 431-3 du CJA).

La principale concerne là encore : les litiges de travaux publics, mais aussi les litiges individuels concernant les agents publics ou encore les litiges dans lesquels le défendeur est une collectivité territoriale ou un établissement public en relevant.

§3 : La prescription quadriennale

La prescription quadriennale a été conçue historiquement pour éponger l’arriéré des dettes qu’avaient laissé la Révolution et l’Empire.

Pour éviter qu’un tel arriéré ne se reconstitue, une loi de 1831 a institué une durée courte de réclamation : elle est de quatre années franches, d’où le nom de déchéance quadriennale. Son point de départ est le 1er janvier de l’année suivant celle où la créance est née. Si depuis cette date, quatre ans se sont écoulés sans que le délai soit interrompu soit par un fait de l’administration, soit une demande de la victime, la dette est éteinte.

Cette institution est propre au droit administratif au sein duquel elle n’est pas spécifique à la responsabilité, même si elle est amenée à jouer souvent dans ce domaine.

Le régime de la prescription quadriennale résulte aujourd’hui de la loi du 31 décembre 1968 qui a posé des principes plus libéraux que ceux qui avaient été antérieurement dégagés. Notamment, transformée en prescription, la déchéance quadriennale a perdu son caractère d’ordre public.

Il appartient donc à l’administration de la soulever, et de la soulever avant que les premiers juges ne se soient prononcés sur le fond.

NB : Elle ne peut être soulevée par l’avocat ; elle doit être opposée par l’administration dans un acte public, ensuite invoqué par l’avocat de la collectivité publique, à peine d’irrecevabilité.

CE, Sect., 27 oct. 2006, Département du Morbihan, AJDA 18 déc. 2006, p. 2389, chron. C. Landais et F. Lenica : une plainte contre X interrompt la prescription quadriennale.

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SECTION 2L’ETABLISSEMENT DE LA FAUTE

Dans le système de la responsabilité pour faute, la victime doit apporter la preuve de la faute (§1er) et dans certains domaines de l’activité administrative d’une faute qualifiée (§2).

§1er : La preuve de la faute

En principe, la preuve de la faute incombe à la victime. C’est à elle de démontrer que les agissements de l’administration ont eu un caractère fautif et, s’il y a lieu d’établir le degré de gravité requis de cette faute.

Cette tâche de la victime est cependant facilitée de deux manières :

- Elle se trouve d’abord facilitée par le fait que le juge administratif dispose de pouvoirs inquisitoriaux dont il se sert pour rechercher si l’administration a ou non commis une faute.

-Ensuite, et surtout, elle se trouve facilitée par l’institution de présomptions de faute.

La présomption de faute consiste à déduire de certains dommages l’existence d’une faute, à charge pour l’administration de démontrer qu’elle n’a pas commis de faute. C’est une sorte de renversement de la charge de la preuve.

Le juge utilise deux sortes de présomptions de faute.

A - Des présomptions quasi-légales

Elles sont appliquées systématiquement à un domaine de responsabilité.

1) La responsabilité du fait des dommages de travaux et ouvrages publics

Lorsqu’un usager d’un ouvrage public est victime d’un dommage, le juge présume qu’il y a eu « défaut d’entretien normal », c’est-à-dire faute dans l’entretien de l’ouvrage et l’administration ne parviendra à s’exonérer que si elle prouve qu’elle a correctement entretenu l’ouvrage.

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Ce régime de présomption est d’autant plus important que le juge administratif a une conception large

- de la notion d’usager de l’ouvrage public (englobant l’usager anormal : CE, Sect., 30 octobre 1964, Piquet, Rec. Lebon, p. 506 : automobiliste circulant sur un chemin de halage d’un canal sans l’autorisation nécessaire)

- et de la notion de défaut d’entretien normal qui inclut le défaut d’aménagement normal et le vice de conception (CE, 21 octobre 1983, Epx Cavalier, Rec. Lebon, p. 898 : absence de dispositif propre à prévenir les chutes de pierre sur une voie publique longeant le pied d’une falaise ; CE, 8 mars 1991 ; SA Usinor, Rec. Lebon, p. 88 ; JCP 1991, n° 21706, note J. Guglielmi : Vice de conception d’une écluse).

2) Cas où un acte de soins courants, de caractère bénin provoque un dommage anormal et inattendu (paralysie, décès)

Le juge présume, dans ce cas, l’existence d’une faute. Il dit que ces conséquences dommageables ne peuvent s’expliquer que par « une faute commise dans l’organisation ou le fonctionnement du service » ou encore que de telles conséquences « révèlent » qu’une faute a été commise.

- Cette jurisprudence a été inaugurée en matière de vaccination obligatoire : CE, Ass. 7 mars 1958, Dejous, Rec. Lebon, p. 153 ; RD publ. 1958, 1027, concl. contraires B. Jouvin ; AJDA 1958, p. 220, chron. J. Fournier et M. Combarnous. Dans cette affaire, le commissaire du gouvernement préconisait l’adoption d’un régime de responsabilité sans faute.

NB : Les dommages résultant de la vaccination obligatoire donnent désormais lieu à une responsabilité sans faute de l’Etat en vertu d’une loi du 1er juillet 1964.

Puis cela a été étendu aux actes de soins en matière médicale et même aux actes autres que de soins courants qui ont entraîné des conséquences anormales. :

- Autre application : CE, 22 décembre 1976, Dame Derridj, Rec. Lebon, p. 576 ; JCP 1978, II, 18792, note J. M. Auby : intramusculaire ayant entraîné la paralysie des membres inférieurs.

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- Ce régime concerne particulièrement le cas des «   infections nosocomiales », c’est-à-dire de maladies provoquées par des micro-organismes contractés dans des établissements de soins.

La jurisprudence fait bénéficier les victimes d’un régime de présomption de faute pour inciter les établissements à prendre toutes les précautions nécessaires afin d’éviter la survenance des complications litigieuses.

CE, 9 décembre 1988, Cohen, Rec. p. 431 ; AJDA 1989 p. 405, note J. Moreau : un défaut d’asepsie présumé quand un malade est contaminé par l’introduction accidentelle d’un germe microbien lors d’une intervention chirurgicale

CE, 31 mars 1999, Assistance publique de Marseille, Rec. Lebon, p. 114 ; D 2000, SC, p. 241, obs. P. Bon et D. de Béchillon ; RFD adm. 1999, p. 699 : imputation d’une hépatite B aux traitements par injections effectués à l’hôpital.

Autres illustrations : CE, 1er mars 1989, Bailly, Rec. Lebon, tables,, p. 908 ; CAA Paris, 21 octobre 1997, Cambronne, Rec. Lebon, p. 1065 ; CE, 14 juin 1991, Maalem, Rec. Lebon, tables, p. 1184 ; CE, 19 novembre 2003, Mme G…, Rec. Lebon, tables, p. 987.

A l’inverse, les infections d’origine endogène, imputables à des germes dont le patient est déjà porteur avant son hospitalisation échappent à l’application de ce régime de responsabilité (CE, 27 septembre 2002, Mme N…, Rec. Lebon, p. 315).

Pour aller plus loin :

Entre les deux situations nettement distinctes que l’on vient de décrire, il y a place pour une hypothèse intermédiaire : celle où l’infection provient d’un germe présent dans le corps du malade antérieurement à l’opération qu’il a subie, tandis que, d’une part, cette présence n’a rien de pathologique et que, d’autre part, la complication infectieuse se trouve déclenchée par les conditions d’exécution de l’opération :

CAA Paris, 29 octobre 2002, A …, n° 01PA04313 : cas du staphylocoque blanc qui vit naturellement sur la peau humaine et appartient à la flore normale de l’homme, jusqu’à ce que l’intervention chirurgicale provoque sa pénétration à l’intérieur de l’organisme.

CAA Nantes, 12 novembre 2004, Centre hospitalier universitaire de Brest, RFD adm. 2005, p. 215, chron. : Cas d’un malade contaminé par son propre germe, celui-ci étant situé, non pas à la surface de la peau, mais dans la

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partie profonde de celle-ci, et le processus infectieux, ayant été déclenché par le rasage du torse de l’intéressé. Ici encore, le recours à la responsabilité hospitalière pour faute présumée se justifie sans doute par la circonstance que toutes les précautions utiles auraient permis d’éviter la complication en cause.

NB : Désormais, la loi n° 2002-203 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé dispose qu’en l’absence de toute faute reprochable,

« Un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci et présentant un caractère de gravité fixé par décret » (art. 98 de la loi modifiant l’art. L. 1142-1-II du CSP ; décret n° 2003-314 du 4 avril 2003).

Sur l’entrée en vigueur de la loi : CE, 13 juillet 2007, Office national d’indemnisation des victimes d’accidents médicaux et centre hospitalier d’EAUBONNE – MONTMORENCY (deux espèces (ONIAM), RFDA 4/2008. 337, concl. T. Olson ; RDSS 2007, p. 847, note Danièle Cristol : infections nosocomiales : entre responsabilité hospitalière et solidarité nationale.

B – Les présomptions dites du fait du juge

* A côté de ces présomptions quasi-légales, il existe aussi des présomptions du fait du juge, encore appelées présomptions occasionnelles.

Ce sont des présomptions n’ayant rien de général, ni d’automatique, qui sont consacrées par le juge au gré des circonstances lorsque les difficultés de preuve lui paraissent excessives et l’existence d’une faute très vraisemblable.

Il s’agit là de la transposition de mécanismes de droit privé et, plus particulièrement, des principes de la responsabilité du fait d’autrui posée par l’article 1384 du Code civil.

- Conc. H. Legal sur CE, Ass., 9 avril 1993, M. D., Rec. Lebon, p. 119 : il n’y a lieu de faire application d’un mécanisme de présomption que s’il y a impossibilité matérielle à rapporter la preuve d’une faute dont on est pourtant certain, ou presque certain, qu’elle existe. Mais dès que les faits susceptibles de

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constituer une faute sont connus et débattus au grand jour, ce mode de raisonnement subsidiaire ne peut que s’effacer ;

Autres illustrations :

- Dans le domaine hospitalier :

- CE, 19 mars 1969, Administration générale de l’AP à Paris c/ Delle Bey, Rec. Lebon, p. 165.

- CE, 15 avril 1983, Epoux Rousseau, Rec. Lebon p. 156 : le fait qu’un enfant de quatre ans, souffrant de troubles cérébraux ait été couché dans un lit ordinaire et en soit tombé révèle un défaut dans l’organisation du service ;

- CE, 12 octobre 1983, Rolland, Rec. Lebon, p. 856 ; D 1985, IR, p. 205, obs. F. Moderne et P. Bon : le fait qu’un malade placé dans un hôpital psychiatrique a pu s’emparer d’un couteau dans la cuisine de l’établissement et tuer l’occupant d’une maison voisine

- En dehors du service public hospitalier :

- CE, 7 décembre 1984, Epoux Addichane, RD publ. 1985 p. 1396 : le fait qu’un enfant ait pu se noyer dans une piscine municipale ;

- CE, Sect., 19 octobre 1990, Ingremeau, Rec. Lebon, p. 284 ; AJDA 1990, p. 869, RD publ. 1990, p. 1866, concl. C. de La Verpillère ; chron. E. Honorat et R. Schwartz ; D 1991, SC, p. 289, chron. P. Bon et Ph. Terneyre : le fait qu’un pupille de l’Etat en placement familial a pu causer une blessure à un camarade de jeu

Mais, là encore, il n’y a recours à la présomption que si, selon l’expression de l’arrêt « Addichane », « les circonstances précises de la survenance du dommage n’ont pu être élucidées ».

* La fonction même de ce mécanisme implique que si l’absence de faute est établie, la victime n’a pas droit à réparation.

CE, Ass. 25 janvier 1974, Centre hospitalier Sainte Marthe d’Avignon, Rec. Lebon, p. 64 ; AJDA 1974, p. 202, chron. M. Franc et M. Boyon : absence de faute dans les conditions d’hospitalisation de deux malades qui devaient être isolés.

CE, 14 décembre 1984, Centre hospitalier de Meudon, Rec. Lebon, p. 734 ; Droit adm. 1985, n° 108 ; RDSS 1985, p. 346, concl. B. Stirn : absence de

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faute dans les conditions dans lesquelles un nourrisson a été placé dans un incubateur.

* Limite : Le Conseil d’Etat n’a pas retenu le régime de la présomption de faute à propos de la réparation par les hôpitaux publics des préjudices ayant résulté pour leurs patients de la contamination par le virus du SIDA ou d’une hépatite, lors de transfusions sanguines.

On peut cependant considérer qu’il est anormal de sortir de l’hôpital avec une infection de cette nature

Cette solution a cependant été envisagée par son commissaire du gouvernement mais écartée : « si nous n’y sommes pas favorables, c’est que, avec un terrain juridique qui est celui de la faute, on débouche en réalité sur les effets de la responsabilité sans faute assortis d’une censure morale. Or, dans la mesure même où il est certain qu’en la matière le produit peut être vicié alors même qu’aucune faute n’a été commise, il peut paraître injuste de présumer une faute » (p. 756).

C’est dans ces conditions que le CE a été amené à retenir la responsabilité sans faute (CE, Ass., 26 mai 1995, N’Guyen, Jouan et Pavan, Rec. Lebon, p. 221 ; RFD adm. 1995, p. 748, concl. S. Daël).

§3 : La qualification de la faute

En principe, une faute simple suffit à engager la responsabilité de l’administration. Mais il arrive que la jurisprudence subordonne sa mise à l’existence d’une faute d’une certaine gravité, plus précisément d’une faute lourde.

Jusque dans les années soixante, la jurisprudence exigeait même s’agissant de certains services publics « une faute manifeste et d’une particulière gravité » (services d’hospitalisation des malades mentaux ; service pénitentiaire) ou « une faute d’une exceptionnelle gravité » (service de l’administration fiscale).

* L’exigence de la faute lourde était traditionnellement justifiée par la considération que la faute lourde est destinée à prendre en compte les difficultés de l’action administrative.

L’exigence de faute lourde traduirait également une certaine autolimitation du juge. Le commissaire du gouvernement H. Legal exprime ainsi cette idée : « L’idée d’autolimitation des pouvoirs du juge pour ne pas enfreindre excessivement, par la voie du plein contentieux, l’indépendance ou l’autonomie d’appréciation d’une autorité semble apparente ».

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En cela, l’exigence de la faute lourde correspondrait à la notion d’erreur manifeste d’appréciation dans le contrôle des motifs de fait dans le contentieux de la légalité.

En définitive, l’exigence de la faute lourde constituerait une illustration de la formule de l’arrêt BLANCO selon laquelle les règles régissant la responsabilité de la puissance publique sont susceptibles de varier « suivant la nécessité de concilier les droits de l’Etat avec les droits privés ».

* Mais ces considérations s’effacent de plus en plus devant la volonté de favoriser l’indemnisation de la victime.

La recherche d’une meilleure indemnisation des victimes a prévalu sur les raisons tirées de l’extrême difficulté des opérations administratives et du souci de ne pas limiter leur efficacité par une responsabilité qui serait trop facilement engagée.

Ce sont donc toujours les principes issus de l’arrêt BLANCO qui régissent la responsabilité administrative, « ni générale, ni absolue » … Mais les termes de cette conciliation ont changé : la responsabilité administrative intègre de plus en plus une fonction de solidarité qui conduit à renforcer les droits des victimes au détriment des considérations relatives aux nécessités du service.

Pour cette raison, l’exigence d’une faute qualifiée est aujourd’hui en recul, à tel point que l’on peut s’interroger sur le point de savoir si le conseil d’Etat n’est pas en train d’abandonner purement et simplement cette exigence (J. Waline, L’évolution de la responsabilité extra contractuelle des personnes publiques, EDCE 1994 p. 459).

Dans son état actuel, la jurisprudence peut être présentée comme suit : à l’exception du service public de la justice, qui répond à des principes spécifiques, la jurisprudence limite la responsabilité des services publics à la commission d’une faute lourde pour trois séries de considérations :

- D’une part, la difficulté de l’activité du service.

C’est la catégorie la plus fournie. Mais l’abandon progressif de la faute lourde la concerne principalement.

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- D’autre part, l’objectif de ne pas transférer indûment sur l’Etat une responsabilité qui doit peser au premier chef sur une autre personne ou une collectivité : c’est le problème de la responsabilité du fait de la carence dans la fonction de contrôle.

- Enfin - mais cette hypothèse est la plus marginale – lorsqu’il s’agit d’atténuer la portée d’une irresponsabilité législative (CE, 6 juin 1975, Soc. Alliman, Rec. Lebon, p. 254, à propos des dispositions du code des P et T relatives à la perte d’objets ; CE, 31 octobre 1980, Epx Diraud, Rec. Lebon, p. 876 : à propos des dispositions du code des P et T relatives au fonctionnement des chèques postaux).

A - L’abandon de la faute lourde

Comme on l’a dit, l’abandon de la faute lourde concerne principalement les domaines dans lesquelles elle était traditionnellement exigée en raison d’une « présomption de difficulté générale et absolue » de l’activité du service concerné.

Tel est le cas

- depuis plusieurs années déjà, en matière de responsabilité médicale (1),

- plus récemment, en matière d’action des services de secours (2)

- et encore plus récemment, dans le domaine des activités des services pénitentiaires (3).

1) Les activités médicales

Bibliographie : La responsabilité hospitalière et la loi du 4 mars 2002, PUAM 2005 :

- Denis Berthiau, La faute dans l’exercice médical depuis la loi du 4 mars 2002, RDSS 2007, p. 772

- J-M. Pontier, Linéaments de l’évolution de la responsabilité médicale à l’hôpital ; - S. Pontier, L’évolution de la faute dans la responsabilité hospitalière ;

- G. Glaise, La prescription décennale en matière d’actions en responsabilité médicale ;

- N. Font, L’obligation des agents publics ne relevant pas d’une profession médicale de respecter le secret médical ;

- J-M. Budet, Les devoirs des patients ; - B. Richard, L’information du patient ;- P. Mozol, Les modes extrajuridictionnels de réparation des

dommages médicaux ;

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- P. Chiché, Gérer les réclamation des patients : l’exemple du CHU de Nice ;

- S. Deliancourt, La contamination post-transfusionnelle par le virus de l’hépatite C : avancée jurisprudentielle et confirmation législative ;- J. Léger, rapport de synthèse.

* Depuis 1935, la jurisprudence opérait une distinction entre les actes médicaux et les actes de soin.

Lorsque le dommage résultait d’un acte de soin, une faute simple suffisait :

CE, 8 novembre 1935, Veuve Loiseau et Dame Philipponeau, Rec. Lebon p. 1019, solution confirmée et précisée par CE, Sect, 26 juin 1959, Rouzet, Rec. Lebon, p. 405 ; AJDA 1959 p. 160, chron. Combarnous et Galabert et p. 273, concl. J. Fournier ; D 1960, p. 112, note J. Robert.

De même lorsque le dommage résultait d’un mauvais fonctionnement ou d’une mauvaise organisation du service :

CE, 27 juin 2005, X, Droit adm. 2005, n° 131 : L’absence d’un médecin obstétricien de garde lors d’un accouchement présentant des complications constitue une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service.

CAA Bordeaux, 8 juillet 2008, Mme B., n° 07BX00222 : L’agression sexuelle d’une patiente dans un centre hospitalier constitue un défaut d’organisation et de surveillance.

Par cet arrêt, Le CE revient sur une jurisprudence ancienne (CE, 3 novembre 1982, Hôpital Hospice des Sainte-Foix-lès-Lyon, Rec. Lebon, tables, p. 741 ; D 1984, IR, p. 149, note F. Moderne) et met un terme à une jurisprudence disparate sur la question.

En revanche, lorsque le dommage résultait d’actes médicaux (diagnostic, traitement) ou chirurgicaux, la responsabilité administrative ne pouvait être engagée que pour faute lourde.

Cette exigence de la faute lourde en matière médicale se justifiait eu égard à la difficulté particulière de ces activités et aux aléas qui inévitablement l’accompagnent.

La question était alors de savoir ce qu’il fallait entendre exactement par cette notion d’acte médical qui déterminait le champ de l’exigence de la faute lourde :

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- Le Conseil d’Etat ne s’estimait pas lié par la nomenclature officielle des actes médicaux (établie par arrêté ministériel) ;

- Il procédait, par ailleurs, à une appréciation « in concreto » considérant qu’il s’agissait, soit d’un acte qui ne peut être exécuté que par un médecin ou un chirurgien (diagnostic, traitements, opérations chirurgicales), soit d’un acte qui peut être exécuté par un auxiliaire médical, mais sous la responsabilité et la surveillance directe d’un médecin lui permettant d’intervenir à tout moment.

Pour autant, le Conseil d’état n’hésitait pas à faire intervenir des considérations d’équité dans le choix de la qualification d’acte médical ou d’acte de soin en considération du souci d’indemniser les victimes.

CE, Sect., 26 juin 1959, Rouzet, Rec. Lebon, p. 405 : l’injection intraveineuse pratiquée sur un nouveau né souffrant de déshydratation sévère a été considéré comme un acte médical, afin de permettre l’indemnisation du préjudice.

L’établissement de la distinction entre acte médical et acte de soin en devenait des plus délicat.

* L’exigence de la faute lourde sera lors abandonnée en 1992

CE, Ass., 10 avril 1992, époux V., Rec. Lebon, p. 171 ; AJDA 1992 p. 355 concl. H. Legal ; RFD adm. 1992, p. 571, concl.  : à propos d’un série d’erreurs dommageables commises au cours d’une césarienne pratiquée sous anesthésie péridurale ; le tribunal administratif avait rejeté le recours pour absence de faute lourde. Le Conseil d’Etat l’accueille, au contraire, en jugeant que « les erreurs ainsi commises, qui ont été selon les rapports d’expertise la cause de l’accident survenu à Mme V., constituent une faute médicale de nature à engager la responsabilité de l’hôpital   ».

Ce revirement de jurisprudence est largement fondé sur des considérations de politique jurisprudentielle : la position du juge administratif, surtout comparée à celle du juge judiciaire qui se satisfait de toute faute au regard d’une obligation de moyen, était socialement de plus en plus mal perçue. Le commissaire du gouvernement parle à ce sujet « d’incompréhension collective ». Or, ajoute celui-ci « le juge ne peut être indifférent à l’évolution de la sensibilité de ses concitoyens ». Cette sensibilité exige une protection plus étroite contre les erreurs médicales ou, tout au moins, une protection plus lisible…

Pour autant, il n’est pas sûr que ce passage de la faute lourde à la faute simple soit générateur d’un véritable bouleversement.

Il en est ainsi pour deux raisons :

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D’une part, on assistait déjà auparavant à une certaine banalisation de la faute lourde : le juge admettait ainsi la faute lourde à propos de la mise en œuvre d’une méthode d’investigation dangereuse (CE, 26 juin 1985, Epoux Lahier, Rec. Lebon, p. 257) ou d’erreurs de diagnostic (CE, 2 décembre 1977, Dame Rosier, Rec. Lebon, p. 485)

D’autre part, la faute, même simple, ne sera admise que si elle est nettement établie, donc caractérisée car, comme l’indiquait le Commissaire du gouvernement : « dans tout régime de responsabilité pour faute, le seuil de la faute se place (…) à un niveau déterminé par la nature et la difficulté de l’action entreprise ».

Plus précisément, la faute médicale reste « une faute spécifique régie par les lois particulières de la discipline en cause », ce qui veut dire que l’appréciation de la faute continuera d’être portée en considération des difficultés de l’art médical.

* Illustrations de la faute simple

- La faute médicale prend des formes classiques :

- d’une maladresse commise lors d’une opération et ayant entraîné un coma végétatif : CE, 23 avril 1997, Consorts Alix, RFD adm. 1997 p. 674 ;

- ou d’une faute d’inattention du chirurgien : CE, 27 juin 1997, Mme Guyot, Rec. Lebon, p. 266 ; RFD adm. 1997 p. 894 ; D 1999, SC, p. 49, obs. P. Bon et D. de Béchillon : la déchirure de la paroi vésicale survenue au cours d’une hystérectomie constitue une maladresse dans l’exécution d’une intervention couramment pratiquée et engage la responsabilité de l’hôpital quel que soit l’état général du patient.

- La faute médicale peut également prendre des formes plus contemporaines :

Par exemple, le droit de toute personne au respect de son intégrité physique implique l’obligation de recueillir le consentement du patient préalablement à l’accomplissement de tout acte médical. Cette dernière obligation a pour corollaire l’obligation de lui fournir les informations utiles pour éclairer sa décision.

Ces obligations ont d’abord été dégagées par la jurisprudence, puis ont été codifiées dans le code de déontologie des médecins (issu du décret du 6 sept. 1995, art. 35) : « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose ».

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Elles ont enfin été reprises par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 codifiée à l’article L. 1111-2 du CSP.

L’obligation d’obtenir du patient un consentement éclairé implique donc une obligation de l’informer.

Sur l’obligation d’informer le patient :

Traditionnellement, la jurisprudence ne faisait peser sur l’hôpital une obligation d’information limitée aux « risques normalement prévisibles » et excluant le risque exceptionnel ; autrement dit, si les risques connus d’un type d’intervention se réalisaient exceptionnellement, le praticien était dispensé d’en informer le patient.

Mais comme le relève D. Chauvaux dans ses conclusions sur l’arrêt cité infra, « la quantification du risque est une opération très délicate … La notion de risque exceptionnel demeure dont énigmatique ».

Ces considérations ont amené la Cour de Cassation à renoncer à l’exclusion du risque exceptionnel de l’obligation d’information (Cass. 1ère

civ., 7 octobre 1998, Mme C. c/ Clinique du Parc JCP 1998, II, n° 10179, concl. J. Sainte-Rose, note P. Sargos).

Il apparaissait donc d’abord inopportun de laisser subsister entre les deux ordres de juridiction une divergence de jurisprudence portant sur la définition des obligations déontologiques des médecins.

Mais surtout la solution de la Cour de cassation permettait au fond d’aboutir à une solution plus claire au point de vue de la pratique médicale.

CE, Sect., 5 janvier 2000, Cons. Telle et AP-HP c/ Guilbot, Rec. Lebon, p. 5, conc. D. Chauvaux ; Droit adm. 2000, n° 46, obs. C. Esper ; RFD adm. 2000, p. 641, concl., note P. Bon ; AJDA 2000, p. 137, chron. M. Guyomar et p. Collin ; RTDSS 2000, p. 357, note L. Dubouis ; JCP 2000, I, n° 10271, obs. J. Moreau, n° 243, obs. G. Viney, n° 251, obs. G. Boiteau ; RD publ. 2001, p. 412, obs. C. Guettier ; Petites Affiches, fév. 2000, n° 40, note C. Clément.

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat a précisé : l’étendue de l’obligation d’information ; la question de la charge et les modalités de la réparation.

Etendue de l’obligation d’information

« Cons. que lorsque l’acte médical envisagé même accompli conformément aux règles de l’art, comporte des risques connus de décès ou d’invalidité, le patient doit en être informé dans des

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conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que, si cette information n’est pas requise en cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu’exceptionnellement ne dispense pas les médecins de leur obligation ».

Il en résulte l’obligation de fournir une « information loyale, claire et appropriée » des risques graves encourus, même s’ils sont exceptionnels, ce en quoi, la jurisprudence administrative rejoint la jurisprudence judiciaire.

(v. aussi, CAA Bordeaux, 17 novembre 1998, Sandrine Durand, LPA 29 juillet 1999, n° 150, p. 30 : à propos du traitement au laser d’un angiome ayant provoqué, sur la zone traitée, des cicatrices chéloïdes).

L’article L. 1111-2 du CSP dispose désormais :

« Toute personne a droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus.

Lorsque, postérieurement à l’exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identiques, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d’impossibilité de la retrouver.

Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l’urgence ou l’impossibilité d’informer peuvent l’en dispenser.

Cette information est délivrée au cours d’un entretien individuel.

La volonté d’une personne d’être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic peut être respectée, sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission (…) ».

Le manquement à l’obligation et la preuve de l’information du patient :

Sur cette question, la Cour de cassation avait jugé qu’il appartient au médecin de prouver qu’il s’est acquitté de son obligation d’information en se fondant sur l’article 1315 du Code civil selon lequel celui qui se prétend libéré d’une obligation doit justifier le fait qui en produit l’extinction.

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Devant le juge administratif, c’est normalement au demandeur qu’il appartient d’établir la faute de l’administration, au même titre que l’existence de son dommage et celle d’un lien direct entre la faute et le dommage.

Mais il aménage cette règle notamment lorsque le fait allégué est un fait négatif dont la preuve est impossible en pratique.

Dans le cas présent, quand le demandeur affirme n’avoir pas été informé, le juge se retourne vers l’administration et examine les éléments qu’elle invoque en défense. Si ces éléments sont insuffisants, il tient pour établie l’absence d’information.

V. par ex., CAA Paris, 17 février 2005, Centre hospitalier de Montmorency, AJDA 2005, p. 1741, concl. B. Folscheid : L’accouchement par voie naturelle, même conduit dans les règles de l’art, présente des risques connus tant pour la mère que pour l’enfant tenant à la présence d’un utérus cicatriciel, conséquence d’une précédente césarienne.

Sur la faute : Ni la décision de déclencher l’accouchement, ni les conditions dans lesquelles il a été provoqué, ni la surveillance obstétricale dont a bénéficié la patiente, non plus que la surveillance néo natale dont l’enfant a fait l’objet, ne sont critiquables ; que l’expert conclut que la rupture utérine qui s’est produite au cours de l’accouchement n’est liée à aucune faute, aucune erreur, aucune négligence de l’équipe obstétricale, les bonnes pratiques concernant l’accouchement sur utérus cicatriciel ayant été respectées ; qu’ainsi le moyen tiré de ce que la responsabilité du service hospitalier serait engagée à raison d’une faute médicale commise lors de l’accouchement ne peut être accueilli.

« Cons. toutefois, que lorsque l’acte médical envisagé même accompli conformément aux règles de l’art, comporte des risques connus de décès ou d’invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que, si cette information n’est pas requise en cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu’exceptionnellement ne dispense pas les médecins de leur obligation ; que la preuve de cette information peut être apportée par tout moyen (…) ».

En l’espèce, les faits non contestés (suivi de la grossesse dans un contexte particulier) sont de nature à établir que Mme V a été suffisamment informée des risques liés, dans son cas personnel, à un accouchement par voie naturelle du fait de la présence d’un utérus cicatriciel.

L’article L. 1111-2 du CSP dispose désormais :

« En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l’établissement de santé d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen ».

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Sur le droit à réparation ouvert par un manquement à l’obligation d’informer

V. infra : L’’indemnisation de la perte de chance.

Sur l’obligation d’obtenir le consentement du patient au traitement

Le médecin hospitalier a, en principe, l’obligation de recueillir le consentement du patient à l’acte médical envisagé (CE, Sect., 5 janvier 2000, Cons. Telle et autres, précit).

Mais il convient de réserver le cas de l’impossibilité de recueillir le consentement et celui de l’urgence, lorsque le pronostic vital est en jeu :

CAA Paris, 9 juin 1998, Mme Donyol et Mme Sananayake, Droit adm. 1998, n° 359, obs. C. Esper ; RFD adm. 1998. 1231 concl. M. Heers ; JCP 1999, I, n° 128, chron. J. Petit ; RD publ. 1999, p. 235, note J.-M. Auby ; D 1999, p. 277, note G. Pellissier : La question s’est posée de savoir si la pratique d’une transfusion sanguine contre la volonté d’un patient (Témoin de Jéhovah) en situation d’urgence vitale et en l’absence d’alternative thérapeutique constitue ou non une faute médicale.

Dans le sens d’une réponse positive militait le fait que le Code de déontologie médicale (décret 28 juin 1979 et du 6 septembre 1995) fait obligation au médecin de toujours respecter la volonté du malade en état de l’exprimer.

Le juge administratif ne s’est cependant pas arrêté à cela considérant que « cette obligation trouve sa limite dans l’obligation qu’a également le médecin, conformément à la finalité même de son activité, de protéger la santé, c’est-à-dire en dernier ressort, la vie de l’individu ».

La pratique d’une telle transfusion ne saurait donc être fautive dès lors qu’elle était absolument nécessaire au traitement du patient

Désormais, l’article L. 1111-4 du CSP dispose :

« Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé (…) ».

NB : La question du manquement à l’obligation d’information se pose dans un contexte particulier à propos de l’information sur les erreurs inhérentes à un diagnostic prénatal lorsque l’enfant est né handicapé.

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En effet, l’article 1er de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé qui subordonne l’engagement de la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à l’établissement d’une faute caractérisée.

CAA Paris, 24 janvier 2005, M et M. H…, AJDA 2005, p ; 1691, note Mme S. Boussard ; CAA Bordeaux 8 février 2005, C et autres, ibid. :

- Le premier arrêt considère que le défaut d’information concernant la nature et les finalités de l’amniocentèse n’a pas été à l’origine du préjudice (amniocentèse pratiquée pour rechercher une éventuelle infection, mais non pour établir un caryotype).

- Le second juge qu’en ne procédant pas à une amniocentèse, ni à aucun autre examen de dépistage de la trisomie, et en n’informant pas la victime de la possibilité de recourir à de tels examens, l’établissement n’a pas commis de faute caractérisée de nature à engager sa responsabilité (v. infra, l’exigence de la faute caractérisée).

La faute simple peut également résulter de situations plus particulières.

CAA Paris, Plén., 9 juin 1998, Mme Berkoun, RFDA 1999 p. 237 : Constitue une faute médicale l’ajournement de l’admission d’une ressortissante étrangère, le temps pour elle de fournir une attestation de prise en charge de ses frais d’hospitalisation par la sécurité sociale de son pays d’origine, alors même que l’examen subi par la patiente préalablement à l’ajournement de son admission avait révélé qu’elle était atteinte d’un méningiome qui rendait l’opération d’exérèse de la tumeur urgente en raison du risque imminent de cécité qui s’est finalement réalisé.

- CAA Bordeaux, 17 mai 2005, M. Serge Plot, AJDA 2005, p. 1703 : en ne prenant pas les mesures propres à assurer les soins d’urgence nécessaires dans les conditions fixées par la loi du 6 janvier 1986 relative à l’aide médicale urgente et aux transports sanitaires à Saint Barthélémy, l’Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

- Dans le cas particuliers des hôpitaux psychiatriques, la jurisprudence se satisfait également d’une faute simple pour engager la responsabilité d’un hôpital psychiatrique :

CAA Paris, 11 juillet 1997, Bourguignon, Droit adm. 1998 n° 33 : malade atteint de schizophrénie paranoïde, interdit de tout sortie, et qui a néanmoins pu quitter l’établissement hospitalier, s’introduire dans un appartement et se défenestrer.

2) Les activités des services de secours

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* Traditionnellement, la responsabilité administrative du fait des services de secours et de lutte contre l’incendie ne pouvait être engagée que pour faute lourde.

Cette exigence était justifiée par l’urgence – et donc la difficulté – de l’intervention du service, laquelle justifiait que toute faute ne puisse engager la responsabilité de la collectivité publique ; seule une faute suffisamment grave ouvrait droit à réparation.

Il en allait ainsi que le préjudice découle d’un mauvais fonctionnement du service ou d’une organisation défectueuse de celui-ci.

Ainsi, la faute lourde a été établie dans les espèces suivantes :

- CE, 7 octobre 1966, Société agricole d’Oyré, Rec. Lebon, p. 533 : Retrait prématuré du dispositif de surveillance mis en place après l’extinction apparente d’un foyer d’incendie ;

- CE, 22 juin 1983, Commune de Raches, Droit adm. 1983 n° 342 : Insuffisance de la pression et du débit d’eau aux bouches d’incendie ;

- CE, 23 mai 1980, Compagnie d’assurance La Zurich, Rec. Lebon, p. 243 : Négligences et imprudences ayant provoqué un incendie à l’occasion des secours portés à un automobiliste bloqué dans la carcasse de sa voiture accidentée.

* Mais, la jurisprudence la plus récente a renoncé à cette exigence de la faute lourde en la matière   :

CE, Sect., 20 juin 1997, Theux, Rec. Lebon, p. 253, concl. J-H Stahl ; Droit adm. 1997, n° 358, obs. C. Esper ; RFD adm. 1998 p. 82 concl. ; D 1999, SC, p. 465, obs. P. Bon et D. de Béchillon : Monsieur Theux avait été victime d’un grave traumatisme au cours d’une séance d’entraînement de rugby ; les pompiers ont fait appel au SAMU du Centre hospitalier de Toulouse pour assurer le transport par hélicoptère du blessé ; mais en raison des conditions climatiques il a été décidé de renoncé à ce transport par hélicoptère au profit d’un transport routier du blessé qui n’a donc pu être opéré que 5 heures plus tard.

Le Conseil d’Etat va rejeter au fond le recours en considérant qu’au regard des circonstances, cette décision n’était entachée d’aucune faute. Or, pour ce faire, il va indiquer que « la responsabilité d’un établissement hospitalier peut être engagée par toute faute commise dans l’organisation ou le fonctionnement du service médical d’urgence » et il annule l’arrêt de

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la Cour administrative d’appel qui s’était fondé sur l’absence de faute lourde pour erreur de droit.

La portée de cet arrêt restait délicate dès lors que, même s’il concernait une activité de secours d’urgence (le SAMU), était en cause la responsabilité du service hospitalier.

CAA Nancy, 4 août 2005, Mme F, AJDA 2005, p. 1862 : A propos d’un individu qui était monté sur son toit de nuit alors qu’il était ivre, sa femme ayant alerté le SDIS qui avait refusé d’intervenir à plusieurs reprises : « Si le comportement imprudent de M. F a inévitablement concouru à la réalisation du dommage (chute du toit), il résulte cependant de la chronologie des faits que l’attitude des opérateurs du centre de transmission de l’alerte du SDIS a eu pour effet de retarder le sauvetage de l’intéressé, alors même que cette intervention ne revêtait pas de difficultés insurmontables pour des sauveteurs professionnels ».

Mais, cette jurisprudence a été confirmée dans le domaine des activités du service de secours et de sauvetage en mer :

CE, Sect., 13 mars 1998, Améon et autres, Rec. Lebon p. 82, AJDA 1998 p. 461 et chron. F. Raynaud et P. Fombeur, p. 418 ; CJEG 1998, p. 197, conc. L. Touvet ; D 1998, n° 535, note G. Lebreton ; D 2000, SC., p. 246, obs. P. Bon et D. de Béchillon ; JCP 1998, I, n° 181, chron. J. Petit ; RFD adm. 1998, p. 657 : dans cette affaire était en cause la responsabilité de l’Etat du fait du service de secours en haute mer suite au naufrage d’un navire, lequel avait entraîné le décès de 23 personnes.

Le Conseil d’Etat va rejeter le recours en relevant, d’une part, que le naufrage avait eu lieu à proximité des côtes espagnoles et à 800 km des côtes françaises les plus proches et que, d’autre part, les services de secours français, une fois prévenus, avaient fait le nécessaire (envoi d’un avion de secours) avec diligence.

Mais pour rejeter ce recours, le Conseil d‘Etat relève que les autorités françaises n’ont «   en tout état de cause, (commis) aucune faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat   ».

En ne reprenant pas l’indication traditionnelle de la faute lourde, le juge manifeste clairement son intention d’exonérer de cette condition l’engagement de la responsabilité des services de secours, quelle que soit la difficulté technique de l’activité de secours en haute mer.

De fait, cette solution a été clairement confirmée par le Conseil d’Etat à propos de l’activité des services de lutte contre l’incendie   :

CE, 29 avril 1998, Commune de Hannapes, Rec. Lebon, p. 185, RFD adm. 1998 p. 658 ; D 1998, p. 535, note G. Lebreton ; D 2000, SC, p. 247, obs. P. Bon et D. de Béchillon ; JCP 1999, n° 10109, note M.

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Genovèse ; RD publ. 1998, p. 1001, note X. Prétot ; Petites Affiches, mars 1998, n° 49, note M. Pieraccini : à propos d’une défaillance du matériel de secours ayant entraîné des retards dans l’arrivée sur les lieux du sinistre.

La cause est donc entendue en matière d’activité des services de secours et de lutte contre l’incendie.

3) Les activités des services pénitentiaires

* Initialement, les dommages causés à des détenus ou par des détenus à des tiers n’engageaient la responsabilité de l’Etat que pour «   faute manifeste et d’une particulière gravité   » et depuis 1958, sur l’exigence d’une faute lourde.

CE, Sect. 3 octobre 1958, Rakotoarinovy, Rec. Lebon, p. 470.

CE, 26 mai 1978, Wachter, Rec. Lebon, p. 222 : faute lourde constituée par de graves négligences dans la surveillance d’un prisonnier dangereux qui, en allumant un incendie, a provoqué le décès d’un codétenu.

Il existe également une jurisprudence abondante à propos du suicide de détenus et la faute lourde constituée par l’insuffisance de leur surveillance.

Cela montre que les conditions de la qualification de la faute lourde étaient assez fréquemment réunies.

Pour autant, les chroniqueurs de l’AJDA ont, à l’occasion, émis l’opinion que ce régime de responsabilité « pourrait suivre la même évolution que celle qui a prévalu pour les activités médicales des hôpitaux » (AJDA 1998 p. 423).

C’est désormais chose faite.

b) L’abandon de la faute lourde

CE, 23 mai 2003, Mme Chabba, Rec. Lebon, p. 240 ; Droit adm. 2003, n° 207, obs. M. Lombard ; AJDA 2003, p. 157, note N. Albert : M. Chabba avait été placé en détention provisoire pour une durée de quatre mois. A l’issue de ce délai, il se manifeste auprès de l’administration pénitentiaire en protestant contre le caractère arbitraire de son maintien en détention. Il ignore, en effet, que celle-ci a été prolongée par une ordonnance du juge d’instruction qui ne lui avait pas été notifiée. En réponse à ses protestations, les agents du service lui demandent de se calmer et d’attendre le lendemain matin. Quelques minutes plus tard, M. Chabba se pendait.

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Le Conseil d’Etat retient la responsabilité de l’Etat en considérant que le suicide de M. Chabba est la conséquence directe d’une succession de faute imputables au service : omission de lui notifier l’ordonnance du juge d’instruction alors que l’article 183 du CPP exige qu’elle le soit « dans les délais les plus bref » ; abstention de vérification des affirmations de M. Chabba qui, à défaut de cette notification, pouvait légitimement se croire détenu sans titre ; comportement consistant à informer le détenu que la vérification serait faite plus tard sans prendre les mesures de surveillance qu’appelaient ses véhémentes protestations.

L’arrêt ne fait aucune référence à l’exigence d’une faute lourde : il s’agit donc d’un nouvel abandon dans l’un des premiers secteurs où elle était précisément apparue et alors que la doctrine s’accordait à reconnaître la difficulté des fonctions exercées par les services pénitentiaires.

Il ne reste donc plus grand-chose de l’explication traditionnelle selon laquelle l’exigence de la faute lourde serait justifiée par la difficulté particulière de certaines activités.

C’est donc plutôt la nature même de certaines missions, plus que leurs conditions d’exercice, qui est encore susceptible de la justifier.

CE, 9 juillet 2007, M. D., AJDA 5 nov. 2007, p. 2094, note H. Arbousset : Faute du service pénitentiaire dans le fait d’un défaut de vigilance – manque d’accompagnement psychologique ; absence d’exécution d’une ronde de surveillance normalement prévue – de nature à engager la responsabilité de l’Etat consécutivement au suicide du détenu.

Rapprocher : CAA Marseille, 10 décembre 2007, Mme SLIMANNI, n°06MA00572, AJDA 14 janvier 2008, p. 37 : l’Etat est entièrement responsable des conséquences dommageables du décès d’un étranger en centre de rétention si celui-ci, qui n’est pas doté d’une infrastructure médicale adaptée s’abstient de requérir l’avis souhaitable d’un médecin. Les ayant-droits de la victime sont indemnisés de leur préjudice moral.

B - Le cantonnement de la faute lourde : Le partage entre la faute lourde et la faute simple

L’exigence de la faute lourde est conservée à propos de l’engagement de la responsabilité de certaines activités publiques qui bénéficient traditionnellement d’une présomption de difficulté.

Les concernant, le juge adopte désormais une position très pragmatique opérant un partage entre la faute simple et la faute lourde. Il n’exige la faute lourde que pour certaines des activités des services concernés.

On est ainsi passé d’un régime de présomption générale et absolue de difficulté à un régime de présomption souple.

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Tel est le cas

- des activités de police administrative (1),

- des activités des services fiscaux (2)

1) Les activités de police

* Le caractère particulier de l’activité de police explique que le juge administratif n’ait accepté d’engager la responsabilité de l’Etat en ce domaine que pour faute lourde, ceci vingt ans après la fin de l’irresponsabilité de l’administration en la matière (CE, 10 février 1905, Tomaso Greco).

L’explication en est donnée par les conclusions du Commissaire du Gouvernement Rivet : l’action de la police ne doit pas être « énervée par des menaces permanentes de complications contentieuses » (CE, 13 mars 1925, Clef, RD publ. 1925 p. 274 concl. Rivet).

* Mais, cette jurisprudence a évolué.

Le juge a, tout d’abord, posé une distinction entre « les activités juridiques » et les « activités matérielles » de police (opérations sur le terrain).

Seules les secondes, en raison des difficultés particulières qu’elles présentent, continuent à relever, en principe, mais en principe seulement (présomption simple de difficulté) du régime de la faute lourde :

a) La distinction de principe des activités juridiques et des activités matérielles

Rappel : Il y a parfois lieu de déterminer à l’amont si l’activité à l’origine du dommage est une activité de police :

CAA Bordeaux, 1er avril 2008, n°05BX01994, Dr. adm. 2008, n° 88, note N. Exposta : Le site mis en place pour permettre l’observation d’une éruption n’est pas, compte tenu du caractère limité des aménagements qu’il comporte, un ouvrage public. La mise en cause de l’administration pour l’insuffisance des mesures de sécurité prises ne peut donc se situer que dans le cadre de la responsabilité pour les activités de police.

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Le régime de responsabilité applicable aux activités juridiques   : la faute simple

CE, Sect. 25 mars 1966, Société Les films Marceau, Rec. Lebon, p. 240 ; AJDA 1966, p. 245, concl. J. Rigaud : responsabilité pour faute simple en cas d’interdiction municipale de projection d’un film.

CAA Marseille, 26 mai 2008, M. Faas, n° 06MA00329, AJDA, 1er déc. 2008.2246 : responsabilité solidaire de l’Etat et de la Chambre de commerce en sa qualité de concessionnaire du port de Bastia, le premier n’ayant pris aucune disposition pour prévenir le danger encourus par les usagers dans la zone d’amarrage des bateaux. Mort de Mme Faas par rupture d’une amarre.

Application à la police des installations classées :

CE, 5 juillet 2004, M. Lescure, Rec. Lebon, p. 838 ; AJDA 2005, p. 610, note F-G. Trébulle : responsabilité de l’Etat au titre de la police des installations classées.

TA Lyon, 14 décembre 2006, Soc. STEF-TFE, AJDA 2 juillet 2007, p. 1312, concl. G. Gondouin : La responsabilité de l’Etat est retenue sur le fondement de la faute qu’a commise le préfet en imposant à une ICPE bénéficiant du régime de l’antériorité des modifications importantes du gros-œuvre et un changement considérable dans le mode d’exploitation, alors que le décret qui aggravait les prescriptions l’interdisait.

TA Rennes, 25 octobre 2007, Association HALTE AUX MAREES VERTES, sauvegarde du Trégor aux rivières de Bretagne et de la source à la mer. N°0400630, 0400631, 0400632, 0400637, 0400640, AJDA 10 mars 2008, concl. D. REMY : le défaut de rigueur des préfectures qui ont autorisé des élevages hors sol illégalement et sans exercer ultérieurement de véritables contrôles est directement la cause de l’eutrophisation de certaines côtes bretonnes (marée verte). Ces fautes de l’Etat sont susceptibles d’engager sa responsabilité à l’égard des associations de protection de l’environnement « Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la carence de l’Etat dans la mise en œuvre des réglementations européennes et nationales et de la réglementation des installations classées) constitue une faute de nature à engager sa responsabilité et que cette faute est en relation directe avec la pollution nitratée des eaux à l’origine du phénomène des marées vertes ».

Application à la police spéciale du bruit   :

CE, 28 novembre 2003, Commune de Moissy-Cramayel, Rec. Lebon, p. 464 ; Droit adm. 2004, n° 36 ; AJDA 2004, p. 988, note C. Deffigier ; BJCL 1/2004, concl. G. Le Chatellier : à propos de la responsabilité d’une commune ;

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Dans le même sens, CAA Bordeaux, 29 mars 2005, Min. de l’Intérieur c/ M et Mme Asnar et Ville de Pau c/ M et Mme Asnar, AJDA 2005, p. 1862 : L’installation dans une commune de plus de vingt débits de boissons entre 1993 et 1996 a été à l’origine de rassemblements nocturnes de plus en plus fréquents, jusqu’à des heures tardives. Ces rassemblements provoquant des bruits excessifs ont, du fait en outre de divers actes de dégradation, troublé la tranquillité publique.

Informé de ces atteintes dès l’année 1993, le préfet n’avait pris aucun disposition réglementaire de nature à imposer, dans une telle situation, la fermeture des débits à une heure permettant d’assurer le repos des habitants ; en n’ayant ainsi pas fait usage de ses pouvoirs de police, le préfet a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat.

De plus la carence du préfet dans l’exercice de ses pouvoirs répressifs a constitué une faute de nature à engager également la responsabilité de l’Etat.

Enfin, la tardiveté avec laquelle le maire a pris les mesures de police de la circulation utiles pour préserver la tranquillité publique et l’illégalité de l’arrêté … constituaient des fautes de nature à engager la responsabilité de la ville de Pau.

Application à la police des mines   :

CAA Nancy, 1er juin 2006, Commune de Joeuf, req. n° 04NC00587, AJDA 2 oct. 2206, p. 1807 : l’Etat n’est pas responsable des dégâts miniers. Sa responsabilité au titre de la police des mines ne pourrait être engagée serait de nature à engager sa responsabilité.

Application à la police spéciale des édifices menaçant ruine :

CE, 27 septembre 2006, Commune de Baalon, req. n° 284 022, JCP A 2006, 1305, note G. Pellissier : application d’un régime de responsabilité pour faute simple en matière de police des édifices menaçant ruine, « en s’abstenant de prendre pendant plus de quatre ans, à la suite du rapport de l’expert, les mesures utiles pour éviter l’effondrement dudit immeuble et notamment en ne réitérant pas ses mises en demeure, voire en n’engageant pas la procédure aux fins de pouvoir procéder aux frais des propriétaires défaillants aux travaux nécessaires à la cessation du péril, le maire a commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune à raison des dommages causés à la propriété de M. Thierry T. ».

NB : La carence du préfet à exercer son pouvoir de se substituer au maire dans l’exercice de son pouvoir de police générale engage la responsabilité de l’Etat pour faute lourde (v. infra, à propos de la responsabilité de l’Etat dans le cadre des activités de contrôle).

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- Le régime de responsabilité applicable aux activités matérielles   : la faute lourde

CE, 3 avril 1981, Ville de Bayonne, Rec. Lebon, tables, p. 905 : à propos de l’organisation par les agents de police de la circulation sur les voies publiques ;

CE, 10 décembre 1986, Robert, Rec. Lebon, p. 701 ; Droit adm. 1987, n° 131 ; D 1987, SC, p. 340, obs. F. Moderne et P. Bon : identification d’une faute lourde dans le comportement d’agents de police qui ont expulsé brutalement du commissariat un jeune homme qui y avait été amené à raison de son ébriété, alors que son état aurait appelé au contraire certaines précautions ;

CE, 8 avril 1987, Mme Virmaux, Rec. Lebon, p. 140 ; D 1988, SC, p. 61, obs. F. Moderne et P. Bon ; Petites Affiches, 14 octobre 1987, p. 4, concl. M. Fornacciari : pas de faute lourde dans le fait pour le service de police de n’être pas parvenu à éradiquer l’activité de prostitution dans une rue de Paris, malgré la surveillance et les interpellations ;

CE, Sect., 29 avril 1987, Cons. Yener et cons. Erez, Rec. Lebon, p. 151, précit. : pas de faute lourde dans le fait de n’avoir pu empêcher un attentat contre un diplomate étranger.

- Le régime de responsabilité applicable aux deux types d’activités dans la même affaire :

CE, 4 décembre 1995, Delavallade, Rec. Lebon, p. 1028 ; Droit adm. 1996 n° 49 ; D 1996, IR, p. 31 ; Petites Affiches, 15 mai 1996, p. 21, note M. Paillet :

- Absence de faute simple dans l’édiction des mesures de police destinées à réduire le nombre de pigeons en ville ;

- et absence de faute lourde dans l’exécution de ces mesures, c’est-à-dire dans l’utilisation de produits contraceptifs.

b) La distinction ne fonde qu’une présomption simple

La distinction entre activités juridiques relevant d’un régime de faute simple et activité matérielle relevant de la faute lourde n’exprime qu’une présomption simple.

La jurisprudence va ainsi rapidement mettre en œuvre cette distinction avec réalisme : en effet, le juge va admettre de tenir compte des conditions concrètes de l’exécution de l’activité - réglementaire ou matérielle - de police.

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* Lorsque les opérations matérielles sur le terrain ne se sont heurtées à aucune difficulté particulière, la responsabilité administrative pourra être engagée pour faute simple.

Mais ces cas sont très rares.

CE, Sect. 28 avril 1967, Lafont, Rec. Lebon, p. 182 ; AJDA 1967, p. 272, chron. J-P. Lecat et J. Massot ; D. 1967 p. 434 concl. J-M Galabert ; JCP 1967, n° 15296, note W. Rabinovitch :

Le contrôle de l’état des pistes skiables effectué trop tôt le matin ne permettait pas d’apprécier si elles pouvaient être ouvertes au public sans risque. Un tel comportement engage la responsabilité administrative pour faute simple.

Voir aussi, un arrêt qui pourrait ouvrir la voie à un abandon de la faute lourde dans l’hypothèse de responsabilité de l’Etat dans l’exercice de son concours à l’exécution de la chose jugée

CAA Versailles, Consorts P., 21 septembre 2006, AJDA 23 oct. 2006, p. 1950, chron. G. Pellissier : à propos de l’engagement de la responsabilité de l’Etat du fait du concours de la force publique pour l’exécution d’une décision de justice : « En accordant le concours de la force publique pour procéder à l’expulsion de la famille P, l’Etat n’a commis aucune faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ».

* Et lorsqu’une activité purement juridique de police pose néanmoins des difficultés particulières en raison de la complexité de la situation ou de la rapidité avec laquelle les mesures doivent être prises, le juge n’engagera la responsabilité administrative que pour faute lourde.

Les hypothèses sont ici plus nombreuses.

CE, Ass., 20 décembre 1972, Marabout, Rec. Lebon, p. 664 ; AJDA 1972 p. 625 concl. G. Guillaume et p. 581, chron. P. Cabanes et D. Léger ; RD publ. 1973, p. 832, note M. Waline ; JCP 1973, n° 17373, note B. Odent ; Gaz. Pal. 1973, I, p. 265, note J-P. Rongeaux : La réglementation de la circulation et du stationnement à Paris pose des difficultés telles qu’elle n’engage la responsabilité administrative que pour faute lourde (v ; aussi, CE, 13 juillet 1968, Hugonneau, Rec. Lebon, p. 447 : réglementation de la circulation et du stationnement).

Mais là encore, le juge ne retient la faute lourde que si l’activité de police est confrontée à de réelles difficultés.

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- Ainsi, l’engagement de la responsabilité de la commune à raison de l’abstention du maire à placer d’office en hôpital psychiatrique une personne frappée d’aliénation mentale ne suppose plus la démonstration que d’une faute simple :

CE, 14 avril 1999, société AGF, Droit adm. 1999 n° 180 : absence d’une telle faute dans le cas d’une personne ayant mis le feu à sa maison, mais qui avait été examiné la veille par son médecin traitant, lequel n’avait pas estimé nécessaire de proposer son hospitalisation d’office (v. ant., CE, 7 novembre 1984, Me Horel, Droit adm. 1984 n° 541 : à propos du placement d’office d’un malade mental).

NB : Depuis 1997, seul le juge judiciaire est compétent pour condamner l’Etat à raison des préjudices causés dans le cadre d’un internement d’office : TC, 17 février 1997, Préfet de Paris c/ Menvielle, Rec. Lebon, p. 524 ; Droit adm. 1997, n° 138, obs. M. Paillet ; JCP 1997, n° 22885, concl. J. Sainte-Rose : cas de l’irrégularité de l’arrêté d’internement).

Pour aller plus loin :

CEDH, 16 novembre 2004, Moreno Gomez c/ Espagne, Etudes foncières, n° 113, janv.-fév. 2005, p. 43 :

L’article 8 de la CEDH protège le droit de l’individu au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Le domicile est normalement le lieu, l’espace physiquement déterminé où se développe la vie privée et familiale. L’individu a droit au respect de son domicile, conçu non seulement comme le droit à un simple espace physique mais aussi comme celui à la jouissance en toute tranquillité dudit espace. Des atteintes au droit au respect du domicile ne visent pas seulement les atteintes matérielles ou corporelles, telles que l’entrée dans le domicile d’une personne non autorisée, mais aussi les atteintes immatérielles et incorporelles, telles que les bruits, les émissions, les odeurs et autres ingérences. Si les atteintes sont graves, elles peuvent priver une personne de son droit au respect du domicile parce qu’elles l’empêchent de jouir de son domicile (….) Compte tenu de l’intensité des nuisances sonores, hors des niveaux autorisés et pendant les heures nocturnes, et du fait que ces nuisances se sont répétées durant plusieurs années, la Cour conclut à l’atteinte aux droits protégés par l’article 8

Conclusion :

La question est de savoir si cette jurisprudence est destinée à évoluer.

Sans pouvoir apporter de réponse certaine à cette question, il nous semble cependant que l’abandon de la faute lourde pour les activités de secours devrait pouvoir, par contagion, s’étendre aux activités matérielles de police, lesquelles sont d’une nature très proche.

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2) La détermination et le recouvrement des créances fiscales

Le régime de la responsabilité des services fiscaux est inspiré de celui régissant les activités des services de police.

L’activité des services fiscaux en ce qu’elle concerne la détermination et le recouvrement de l’impôt peut engendrer des dommages au détriment des contribuables, mais également au préjudice des collectivités locales qui se seraient vues privées de recettes fiscales. Les développements qui suivent ne valent que pour ce qui concerne cet aspect de l’activité de ces services. Car lorsque le comportement dommageable n’est pas rattachable à la mise en œuvre des procédures d’assiette et de recouvrement de l’impôt, la faute simple suffit (CE, 16 janvier 1935, Jacque, Rec. Lebon, p. 61 : informations erronées ; CE, Sect., 7 février 1986, Commune de Tallard, Rec. Lebon, p. 36 ; D 1986, IR, p. 465, obs. F. Moderne et P. Bon ; Dr. fisc. 1986, p. 901, concl. O. Fouquet).

* Jusqu’en 1913, le principe était ce lui de l’irresponsabilité de l’état pour ses activités fiscales en raison de leur caractère de puissance publique.

A partir de cette date, le juge admit l’engagement de la responsabilité sur le fondement de la « faute d’une gravité exceptionnelle » (CE, 1er juillet 1927, Demoreuil, S 1927 III 105 note Hauriou) puis d’une « faute manifeste et d’une particulière gravité » (CE, 30 octobre 1954, Murat, Rec. Lebon, p. 566) et, enfin, pour faute lourde (CE, Sect. 21 décembre 1962, Dame Husson-Chiffre, Rec. Lebon, p. 701 AJDA 1963 p. 90, chron. M. Gentot et J. Fourré ; D 1963, p. 558, note J. Lemasurier).

Pour autant, depuis 1962, cette faute lourde n’a presque jamais été retenue ; elle ne l’était que lorsqu’elle atteignait un seuil exceptionnel de gravité…

* C’est pourquoi, la jurisprudence a, une nouvelle fois, évolué en la matière : le juge est passé de l’exigence systématique de la faute lourde à une démarche proche de celle observée en matière d’activité de police, n’exigeant la faute lourde que lorsque l’activité des services fiscaux s’est effectivement heurtée à de réelles difficultés :

CE, Sect. 27 juillet 1990, Bourgeois, Rec. Lebon, p. 242 ; RFD adm. 1990. p. 899, concl. Chaïd-Nouraï, D. 1991 SC, p. 287, obs. P. Bon et P. Terneyre ; AJDA 1991, p. 53, note L. Richer et p. 346, note Ch. Debbasch:

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L’arrêt relève des fautes « qui, si elles se rattachent aux procédures d’établissement et de recouvrement de l’impôt, ne comportent pas de difficultés particulières tenant à l’appréciation de la situation des contribuables et sont constitutives d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat »

Tout dépend donc des difficultés concrètes de l’opération en cause.

CE, 31 octobre 1990, Champagne, Rec. Lebon, p. 309 ; D 1991, SC, p. 287, obs. P. Bon et Ph. Terneyre : faute lourde s’agissant de la détermination de l’assiette de l’impôt en raison des difficultés de cette opération en l’espèce (appréciation de la situation du contribuable), mais faute simple s’agissant de l’opération de recouvrement de l’impôt.

CE, 13 mai 1991, Commune de Garges-Les-Gonesse, Rec. Lebon, p. 178 ; AJDA 1991, p. 750, obs. F. Julien-Laferrière : absence de faute lourde requise en l’espèce car l’opération d’assiette présentait des difficultés particulières tenant « au cas précis » à l’appréciation de la situation des contribuables.

CE, Sect. 29 décembre 1997, Commune d’Arcueil, Rec. Lebon, p. 512 ; AJDA 1998, p. 112, chron. T-X Girardot et F. Raynaud ; RFD adm. 1998 p. 97 concl. G. Goulard ; CJEG 1998, p. 159, concl. ; D 1999, SCI p. 53, obs. P. Bon et D. de Béchillon ; JCP 1998, I ; n° 165, chron. J. Petit :

« considérant que les erreurs commises par l’administration fiscale lors de l’exécution d’opérations qui se rattachent aux procédures d’établissement ou de recouvrement de l’impôt ne sont, en principe, susceptibles, en raison de la difficulté que présente généralement la mise en œuvre de ces procédures d’engager la responsabilité de l’Etat que si elles constituent une faute lourde ; que toutefois, il en va différemment lorsque l’appréciation de la situation du contribuable ne comporte pas de difficultés particulières »

Solution confirmée par CE 16 juin 1999, Tripot, RFD adm. 1999 p. 891.

La matière semble donc devoir continuer à relever partiellement de la faute lourde.

En ce sens, la CAA de Versailles, n’a pas expressément subordonné la mise en jeu de la responsabilité de l’Etat du fait de son activité de recouvrement de créances non fiscales (sommes correspondant à des arriérés de loyers dus par une société occupant un atelier-relais

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communal) à l’établissement d’une faute lourde (CAA Versailles, 17 mars 2005, Commune de Taverny, AJDA 2005, p. 1636, concl. G. Pellissier : Le commissaire du gouvernement proposait expressément l’abandon de la faute lourde concernant le recouvrement des créances non fiscales ; la Cour relève qu’ « aucune absence de diligence » du Trésor public ne peut être retenue et qu’ « aucune carence » ne peut lui être reprochée.

C- La persistance de la faute lourde : Les activités de contrôle

Bibliographie : Y. Gaudemet, « La responsabilité de l’administration du fait de ses activités de contrôle », Liber Amicorum Jean Waline, Dalloz 2002, p. 561 ; F. Moderne, « Responsabilité de la puissance publique et contrôle prudentiel des entreprises du secteur financier », Mélanges P. Amselek, Bruylant 2005, p. 593.

Plus que d’autres ces activités méritent l’attention du point de vue du régime de la responsabilité de l’Etat contrôleur. Et ce pour deux séries de raisons :

- D’abord, à mesure qu’elle agit moins, qu’elle se désengage de l’action directe, l’administration entend contrôler plus.

Comme le dit Y. Gaudemet : « La dilection pour l’initiative privée, la volonté d’en libérer le mouvement s’accompagnent d’un nécessaire et parfois pesant contrôle de la puissance publique ; pas de liberté des prix sans un contrôle des ententes et des abus de position dominante ; pas de liberté financière sans un contrôle des opérations de bourse ; pas de liberté des télécommunications sans une régulation de ce marché ; pas de libertés individuelles sans un contrôle des fichiers informatisés ; et, pourrait-on dire, pas de libertés des collectivités locales sans un contrôle de légalité de leurs actes. Le contrôle administratif s’étend à mesure que l’administration recule ».

- Ensuite, le contrôle est en train de changer de visage. Il est désormais largement le fait d’autorités nouvelles, d’autorités administratives indépendantes, parfois à mi-chemin de la juridiction, investies d’une mission de régulation mais dont l’activité peut mettre en jeu la responsabilité de l’Etat.

La présentation de la matière peut être faite à partir de plusieurs observations.

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1) Les activités administratives de tutelle et de contrôle ne peuvent, traditionnellement, engager la responsabilité de l’administration que pour faute lourde.

- Cette exigence traditionnelle a été posée par un arrêt de principe :

CE, Ass. 29 mars 1946, Caisse départementale d’assurances sociales de Meurthe-et-Moselle c/ État, GAJA :

Arrêt intervenant dans le cadre des conséquences de la fameuse affaire Stavisky. En l’espèce, la Caisse de crédit municipal de Bayonne (établissement public) s’était procuré frauduleusement d’importants fonds de roulement par l’émission de bons placés dans le public. Cela n’avait été rendu possible que du fait de l’insuffisance de contrôle de la Ville de Bayonne et, surtout, de l’Etat sur cet établissement.

Les créanciers grugés agirent contre l’Etat, les auteurs de la fraude étant insolvables. Le Conseil d’Etat admis l’engagement de la responsabilité en jugeant que « les agissements criminels du sieur Stavisky et de ses complices n’ont été rendus possibles que par la faute lourde commise par le préfet… ».

Cette solution est fondée à la fois sur la difficulté technique d’exécution de cette activité (notamment difficulté à avoir des informations exactes et suffisamment précises) mais surtout sur la volonté de ne pas voir trop largement substitué la responsabilité du contrôleur à celle du contrôlé en cas de préjudice causé par l’activité de ce dernier.

- Cette exigence était alors traditionnellement reprise à propos de l’exercice du pouvoir de tutelle sur les collectivités locales et les établissements publics :

CE, 2 juillet 1979, Mme Triolle, Rec. Lebon, p. 873 : retard à approuver une délibération d’un établissement public.

CE, 29 avril 1987, Ecole Notre-Dame de Kernitron, Rec. Lebon, p. 161 ; RFD adm. 1987, p. 989, concl. M. Roux et CE, 26 juin 1987, Ecole Catholique la Providence, AJDA 1988.47, note B. Toulemonde : à propos du refus d’inscription de dépenses obligatoires. Dans la deuxième affaire, le Conseil d’Etat annule une décision du tribunal administratif de Rennes qui estimait que depuis la loi du 2 mars 1982, les conditions de l’exercice de la tutelle financière ne justifiaient plus l’exigence d’une faute lourde.

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Et a propos du pouvoir de substitution : CE, 25 juillet 2007, Société France Télécom, Soc. Axa Corporate Solutions assurances, req. n° 283000 et Min. d’Etat, Min. de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire, req. n° 293882, AJDA 3 sept. 2007, p. 1557 : l’Etat peut être déclaré responsable des dommages causés aux tiers du fait de la décision du Préfet de ne pas se substituer au maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police en application de l’article L.2215 du CGCT, mais cette responsabilité n’est engagée qu’en cas de faute lourde.

NB : Dans l’un et l’autre cas, le Préfet n’avait pas mis le maire en demeure d’exercer ses pouvoirs de police : s’il l’avait fait, c’est la responsabilité de la commune qui aurait été engagée (CE, 16 février 1979, Mallisson, Rec. Lebon, tables p. 820).

* 1ère espèce

Le pourvoi était formé contre un arrêt de la CAA Versailles du 19 mai 2005 qui avait posé le principe mais n’avait pas retenu la faute lourde, s’agissant de dégradations subies par un central de France Telecom depuis l’installation de gens du voyage sur un terrain voisin.

Mais le Préfet n’était pas pour autant resté inactif, dans la première affaire. Il s’était déplacé sur les lieux et avait organisé une réunion et décidé des rondes quotidiennes de gendarmerie. Le Conseil d’Etat considère que la CAA :

« a pu déduire de ces faits, qu’elle a souverainement constaté sans leur donner une qualification juridique erronée et sans entacher son arrêt d’une contradiction de motif, que l’absence de mise en œuvre par le Préfet des pouvoirs de substitution qu’il tient de l’article 22-15 du CGCT ne révélait pas, dans les circonstances de l’espèce, l’existence d’une faute lourde de l’Etat ».

Dans cette affaire, voir CAA Versailles, 19 mai 2005, Min. de l’Intérieur c/ France Télécom, Droit adm. juillet 2005, n° 107 ; AJDA 2005, p. 1565, note G. Pellissier :

La police municipale est, en principe, de la compétence du maire ; mais par exception, le préfet peut être compétent à l’égard d’une commune, notamment pour prendre « toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques », lorsqu’il n’y a pas été pourvu par les autorités municipales et après mise en demeure au maire restée sans réponse (art. L 2215-1-1° du CGCT).

L’exercice du pouvoir de police par substitution engage, en principe, la responsabilité de la commune et non de l’Etat parce que la commune doit rester responsable des dommages causés par des mesures qu’elles auraient du prendre, qu’elles n’a pas prises et qui l’ont été en son nom. Il en va de même de l’inaction fautive de l’Etat à prendre les mesures appropriées, après qu’il a décidé de se substituer à la commune, car c’est elle qui aurait dû agir.

Mais en l’espèce, se posait la question de savoir s’il pouvait y avoir une responsabilité de l’Etat du fait de la décision du préfet de ne pas se substituer au maire.

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On aurait pu imaginer que la décision du préfet de se substituer ou de ne pas se substituer au maire, qui n’est d’ailleurs pas susceptible de recours (CE, 30 janvier 1987, Département de la Moselle, Rec. Lebon, p. 23), ne soit pas non plus susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat, mais seulement celle de la commune.

Mais une telle solution aurait présenté l’inconvénient de soustraire à toute responsabilité l’exercice d’une compétence correspondant à une mission de l’Etat, qui plus est, dans le domaine de l’ordre public.

C’est pourquoi la Cour a distingué :

- le sort de la décision du préfet d’agir ou de ne pas agir par substitution

- de celui de l’action dans le cadre de la compétence acquise par substitution.

La première relève de la responsabilité de l’Etat tandis que la commune est responsable des actions ou inactions postérieures à la mise en demeure restée infructueuse.

Ainsi, en l’absence de mise en demeure, la commune reste responsable de l’inaction de son maire, mais l’Etat est responsable de l’inertie du préfet. Chaque compétence donne ainsi lieu à un régime de responsabilité qui lui est propre.

Cela étant, la Cour juge que la responsabilité de l Etat n’est engagée qu’en cas de faute lourde.

On retrouve ici une considération qui fonde le régime de la responsabilité des organismes de contrôle, à savoir la nécessité de ne pas transférer à l’Etat (au contrôleur) la charge d’une obligation qui pèse en premier lieu sur la commune. Autrement dit, en exigeant la faute lourde, la jurisprudence cherche à éviter un glissement inopportun et injustifié de la responsabilité de la commune vers une autorité qui n’agit que par défaut, lorsque l’ordre public apparaît réellement et très clairement menacé par l’inaction de la commune.

Mais, en l’espèce, la Cour ne retient aucune faute lourde à la charge de l’Etat. Celle-ci était recherchée du fait de dégradations d’un central téléphonique appartenant à France Télécom. Le préfet avait été destinataire de plaintes de cette dernière relatives aux déprédations dont son bien étaient affectées. Il s’était déplacé sur les lieux ; avait provoqué une réunion afin d’examiner les modalités de protection de l’ouvrage ; avait organisé une surveillance accrue. Dans ces conditions, si les atteintes qui s’étaient renouvelées constituaient un trouble à l’ordre public, elles ne présentaient pas de caractère d’urgence ou de nécessité telle que le préfet aurait commis une faute lourde en ne se substituant pas au maire normalement compétent.

* Dans la deuxième espèce, le Ministre de l’Intérieur se pourvoyait en cassation contre CAA Marseille, 13 avril 2006, qui elle, avait vu une faute lourde dans l’absence de mise en œuvre par le Préfet de Haute Corse de ses pouvoirs de substitution pour empêcher la divagation de bétail sur le territoire d’une commune.

Mais le Préfet n’était pas pour autant resté inactif.

Le CE relève que les Services de l’Etat « ont mené diverses actions destinées à aider les maires concernés à faire cesser ces troubles ». Il juge par conséquent « que dans ces conditions, et eu égard par ailleurs à la nature des dommages occasionnés par la divagation des animaux, la Cour a inexactement qualifié les faits en jugeant que l’absence de mise en œuvre par le Préfet des pouvoirs de substitution qu’il tient de l’article L.2215-1 du CGCT révélait une faute lourde de l’Etat ».

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- Rapprocher l’arrêt cité supra : CE, Sect. 18 novembre 2005, Société Fermière de Campoloro, RFD adm. mars-avril 2006, p. 341, note P. Bon.

Le TA de Bastia avait condamné une commune de Haute Corse à verser à la Société Fermière de Campoloro une somme en réparation de préjudice subi à la suite de la décision de la commune de résilier une convention lui accordant la concession du port de plaisance situé sur son territoire.

La commune n’avait pas exécuté ces jugements de décision d’augmentation du taux des impositions locales prise par le Préfet de la Haute Corse en application de la loi du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l’exécution des jugements par les personnes morales de droit public qui se sont révélées insuffisantes pour assurer la Société Fermière du paiement des intérêts dus.

La Société a alors demandé au Préfet de prendre d’autres mesures pour assurer l’exécution complète du jugement notamment en procédant à la vente des biens de la commune.

Le Préfet a rejeté sa demande et la CAA de Marseille a rejeté l’appel formé par la Société contre le jugement du TA de Bastia rejetant ses conclusions à fins d’annulation de la décision préfectorale.

« Considérant qu’aux termes du II de l’article 1er de la loi du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l’exécution du jugement par les personnes morales de droit public : « Lorsqu’une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné une collectivité locale ou un établissement public au paiement d’une somme d’argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être mandatée ou ordonnancée dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la décision de justice. A défaut de mandatement ou d’ordonnancement dans ce délai, le représentant de l’Etat dans le département ou l’autorité de tutelle procède au mandatement d’office. En cas d’insuffisance de crédit, le représentant de l’Etat dans le département ou l’autorité de tutelle adresse à la collectivité ou à l’établissement une mise en demeure de créer les ressources nécessaires ; Si l’organe délibérant de la collectivité ou de l’établissement n’a pas dégagé ou créé ses ressources, le représentant de l’Etat dans le département ou l’autorité de tutelle y pourvoit et procède, s’il y a lieu, au mandatement d’office ;

Considérant que par cette disposition, le législateur a entendu donner au représentant de l’Etat, en cas de carence d’une collectivité territoriale à assurer l’exécution d’une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée, et après mise en demeure à cet effet, le pouvoir de se substituer aux organes de cette collectivité afin de dégager ou de créer des ressources permettant la pleine exécution de cette décision de justice ; Qu’à cette fin, il lui appartient, sous le contrôle du juge, de prendre, compte tenu de la situation de la collectivité et des impératifs d’intérêt général, les mesures nécessaires ; Qu’au nombre de ces mesures figure la possibilité de procéder à la vente de biens appartenant à la collectivité dès lors que ceux-ci ne sont pas indispensables au fonctionnement du service public dont elle a la charge ; Que si le Préfet s’abstient ou néglige de faire usage des prérogatives qui lui sont ainsi conférées par la loi, le créancier de la collectivité territoriale est en droit de se retourner contre l’Etat en cas de faute lourde commise dans l’exercice du pouvoir de tutelle   ; Qu’en outre, dans l’hypothèse où, eu égard à la situation de la collectivité, notamment à l’insuffisance de ses ressources ou en raison d’impératifs d’intérêt général, le Préfet a pu légalement refuser de prendre certaines mesures en vue d’assurer la pleine exécution de la décision de justice, le préjudice qui en résulte pour le créancier de la collectivité territoriale est susceptible d’engager la responsabilité de la puissance publique s’il revêt un caractère anormal et spécial ».

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Rappel : CAA Paris, 6 juin 2006, Sté Epson France SA, Droit adm. 2006, n° 141 : La carence de l’Etat à faire exécuter une décision de justice face à un établissement public (UGAP) engage sa responsabilité en cas de faute lourde.

2) Ce principe s’accompagne d’exceptions, où la faute simple suffit, mais sans que ces solutions ne soient jamais présentées comme remettant en cause le principe lui-même.

* Les pouvoirs spécifiques de l’autorité de contrôle sont ici généralement invoqués pour justifier le recours à la faute simple.

- Tel est le cas en matière d’autorisation (ou refus d’autorisation) de licenciement de salariés protégés, en raison de la protection exceptionnelle que leur garantit le contrat de travail : CE, 21 mars 1984, Société Gallice, Rec. Lebon, p.125 ; D 1986, IR, p. 29, obs. F. Moderne et P. Bon.

- Responsabilité de l’ONF à l’occasion des dommages causé l’activité de surveillance et de conservation d’une forêt municipale par l’ONF : CE, 25 mars 1994, Commune de Kintzheim, Rec. Lebon, p. 162 ;

- Responsabilité de l’Ordre des Architectes pour manquement à l’obligation de vérifier les polices d’assurances de ses membres : CE, Sect., 6 décembre 1995, Boisson, Rec. Lebon, p. 430 ; CJEG 1996, p. 107, concl. A-F. Roul ;

- Responsabilité de l’Etat du fait du contrôle sur les activités que des sociétés étrangères sont autorisées à exercer sur le territoire national du fait de conventions internationales : CE, 13 novembre 2002, Min. de l’Equipement c/ Sté Hélitransport, AJDA 2003, p. 1122, note C. Deffigier.

- On peut ajouter à cela la solution retenue dans l’arrêt CE, Sect., 13 mars 1998, Améon et autres (Rec. Lebon, p. 82), par lequel le Conseil d’Etat a abandonné, l’exigence de la faute lourde dans le domaine du contrôle technique de sécurité des navires.

En effet, dans cet arrêt, les requérants invoquaient également les fautes commises dans le contrôle technique du navire. Le Conseil d’Etat va rejeter ce moyen en indiquant « qu’il ne résulte pas de l’instruction (que)… la commission centrale de sécurité ait commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ».

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* Il faut ici examiner de manière distincte, la portée, au regard du sujet qui nous occupe, de l’arrêt par lequel le Conseil d’Etat a jugé que la responsabilité de l’Etat du fait du contrôle des activités de transfusion sanguine pouvait être engagée sur le seul fondement de la faute simple :

CE, Ass., 9 avril 1993, D..., G…, B…, Rec. Lebon, p. 110, concl. H. Legal; AJDA 1993 p. 344, chron Ch. Maugüé et L. Touvet ; RFD adm. 1993, p. 583, concl. ; D 1993, p. 312, concl. ; JCP 1993, I, n° 3700, chron. E. Picard et n° 22110, note Ch. Debouy :

A propos de l’engagement de la responsabilité de l’Etat par les hémophiles contaminés par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) ou virus du SIDA.

Sur le régime de responsabilité

Après avoir détaillé le rôle et les pouvoirs de l’Etat en la matière tels qu’ils résultaient des articles L. 666 du CSP et du décret du 16 janvier 1954 modifié pris pour leur application, le CE juge :

« Cons. qu’eu égard tant à ‘étendue des pouvoirs que ces dispositions confèrent aux services de l’Etat en ce qui concerne l’organisation générale du service public de la transfusion sanguine, le contrôle des établissements qui sont chargés de son exécution et l’édiction des règles propres à assurer la qualité du sang humain, de son plasma et de ses dérivés, qu’aux buts en vue desquels ces pouvoirs leur ont été attribués, la responsabilité de l’Etat peut être engagée par toute faute commise dans l’exercice des dites attributions (…) »

On a parfois présenté cette solution et l’abandon de la faute lourde qu’elle consacre, comme fondée, d’une part, sur « l’étendue des pouvoirs » de contrôle détenus par l’Etat à l’égard des CRTS qui déborderaient sur la gestion même du service et, d’autre part, sur les « buts en vue desquels ces pouvoirs (lui) ont été attribués », c’est-à-dire en raison de la prééminence des intérêts affectés (importance attachée au contrôle de la qualité des produits sanguins).

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Sans être erronée, une telle affirmation doit être nuancée. Car il y a précisément une différence essentielle entre la solution retenue par la CAA de Paris (CAA Paris, 16 juin 1992, M…, Y… et autres, Droit adm. 1992, n° 392 ; AJDA 1992, p. 678, note L. Richer ; Petites Affiches, 24 juillet 1992, p. 8, concl. G. Dacre-Wright) que l’arrêt infirme et celle retenue par le Conseil d’Etat.

A l’occasion de l’examen de cette différence, je vous invite à un exercice de méthode illustrant ce que nous avons dit de la faute comme manquement à une obligation, mais relatif également aux conditions de la détermination du couple activité/régime de la faute.

La CAA s’était attachée à définir in abstracto les pouvoirs qui appartiennent à l’Etat, en vertu de la loi, dans le domaine de la transfusion sanguine afin de déterminer en principe le régime de responsabilité auquel est soumis l’exercice de ces pouvoirs.

Mais cette démarche l’avait conduit à ne reconnaître que deux pouvoirs détenus par l’Etat en la matière : celui de réglementer l’utilisation thérapeutique des produits sanguins et celui de contrôler les établissements de transfusion. Et sur ces deux terrains, elle a posé l’exigence de la faute lourde.

Mais elle a abouti à ce résultat en regardant les missions de l’Etat comme se ramenant pour l’essentiel à la réglementation et au contrôle et en écartant du coup la recherche de la faute dans l’organisation et le fonctionnement « d’un » service public, car pour elle il n’y pas un service public de la transfusion sanguine, peut être parce que l’Etat n’assure pas lui-même ledit service. Et c’est cette analyse qui la conduit à exclure la possibilité d’admettre le critère de la faute simple.

Or, précisément aux termes d’une démonstration minutieuse, le Commissaire du gouvernement démontre qu’il y a bel et bien un tel service public, nonobstant l’absence de prérogatives de puissance publique reconnues aux personnes privées participant à l’activité concernée (Rec. Lebon, p. 116 et s.

Sur cette question : voir CE, Sect., 28 juin 1963, Narcy, Rec. p. 401 ; et surtout, CE, Sect., 22 février 2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés, AJDA 2007, p. 793, chron. F. Lenica et J. Boucher ; JCP A 2007, n° 2066, concl. C. Vérot et obs. M.-Ch. Rouault ; CE, 5 octobre 2007, Soc. UGC-Cine-Cité, AJDA 2007, p. 1903 ; Contrats Marchés publ. comm. 308, note G. Eckert : « Indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l’inverse, exclure l’existence d’un service public, une personne privée qui assure une mission d’intérêt général sous le

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contrôle de l’administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l’exécution d’un service public ; que, même en l’absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l’administration a entendu lui confier une telle mission ».

Et le Conseil d’Etat le suit sur ce terrain.

A partir de là, la question était de savoir si la responsabilité de l’Etat du fait d’une carence dans l’organisation et le fonctionnement du service public devait être engagée sur la base de la seule faute lourde ou pouvait l’être sur celui de la faute simple.

C’est ici qu’on retrouve ici la question du régime de responsabilité des activités de contrôle : V. H. Legal : « Toutefois cette analyse n’a pas pour conséquence obligatoire que la responsabilité de l’Etat, qui n’est pas lui-même directement acteur du système, doive être engagée à raison d’une faute simple. Ses moyens de contrôle sont très étendus, mais la difficulté de les mettre en œuvre n’est pas vraiment moindre que s’il exerçait une simple tutelle sur des organismes extérieurs au service public ».

Le Commissaire du gouvernement penchait en faveur de la reconnaissance de la faute simple et faisait valoir en ce sens :

- D’abord la raréfaction des hypothèses de faute qualifiée dans l’histoire de la responsabilité administrative : « la confirmation du choix de la faute lourde opérée par la Cour risquerait dans cette perspective d’être interprété comme un coup d’arrêt à la simplification que vous êtes en train de mener à bien … » ;

- Ensuite, le fait que le comportement de l’Etat susceptible d’avoir occasionné le dommage est tout à fait voisin d’hypothèses dans lesquelles la critère de la faute simple a été adopté de longue date : ce qu’il s’agit de considérer, c’est l’usage d’un pouvoir d’édicter une réglementation, dans le domaine des pouvoirs de police sanitaire de délivrance des produits, dans des conditions certes très délicates en ce qui concerne le recueil et l’analyse des données de fait, mais dont la mise en œuvre ne comporte pas difficultés particulières.

- En troisième lieu, une raison qui aurait justifié de s’en tenir à l’exigence d’une faute lourde, c’est le caractère indirect et médiatisé de l’intervention de l’Etat dans la transfusion, autrement dit son rapport de tutelle avec les centres. Mais si la tutelle est sans doute une des activités administratives dans lesquelles la décision est la plus entourée d’incertitudes et d’aléas, le régime de la faute lourde ne lui est pas

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appliqué systématiquement (CE, Ass., 7 mai 1971, Min. de l’Economie c/ Sastre, Rec. Lebon, p. 335, concl. Gentot ; CE, Sect., 26 juin 1970, Bartoli, Rec. Lebon, p. 442, concl. Vught). Et l’incertitude devrait être d’autant moindre que les textes prévoient un contrôle étroit.

- Enfin, le Commissaire du gouvernement faisait valoir que la difficulté n’est pas le seul critère et que la jurisprudence permet de prendre en considération la gravité des conséquences que peut avoir une action pour déterminer le régime de la faute qui s’y applique. C’est en tout cas ainsi que doivent se comprendre les évolutions de la responsabilité hospitalière.

Sur la faute

Concernant l’identification de la faute, il se posait la question préalable de savoir si l’Etat avait manqué à ses obligations et lesquelles.

A cet égard, c’est bien sur le terrain des activités de contrôle et de tutelle que l’arrêt se situe.

En revanche, la responsabilité n’est pas retenue à raison du manque flagrant d’information ou à raison de l’information déformée qu’ont reçu les hémophiles sur les risques du SIDA à partir de 1983 car, comme le dit le Commissaire du gouvernement

« l’Etat, auquel les textes attribuent en la matière un rôle centré sur le contrôle et le réglementation, n’est pas en principe directement partie prenante au dialogue entre les hémophiles, les médecins prescripteurs et les responsables des centres de transfusion. Il n’est pas légalement en position de négociateur vis-à-vis des personnes concernées ; il lui appartient de s’acquitter de tâches de police visant à assurer la qualité des produits et qui ne peuvent être remplies par des initiatives de concertation ou par de simples mesures d’information ».

C’est en fonction de ces éléments que l’arrêt procède à l’identification de la faute dans la situation particulière de la contamination par le virus :

« Cons. qu’il résulte de l’instruction que le risque de contamination par le virus V.I.H. par la voie de la transfusion sanguine était tenu pour établi par la communauté scientifique dès novembre 1983 et que l’efficacité du procédé du chauffage pour inactiver le virus était reconnue au sein de cette même communauté dès octobre 1984, tandis qu’il était admis, à cette époque qu’au moins 10% des personnes séropositives contractent le syndrome d’immunodéficience acquise dans les cinq ans et que l’issue de cette maladie est fatale dans au moins 70% des cas ; que ces faits ont été

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consignés le 22 novembre 1984 par le Docteur BRUNET, épidémiologiste à la Direction Générale de la Santé, dans un rapport soumis à la Commission consultative de la transfusion sanguine ; qu’eu égard au caractère contradictoire et incertain des informations antérieurement disponibles tant sur l’évolution de la maladie que sur les techniques susceptibles d’être utilisées pour en éviter la transmission, il ne peut être reproché à l’administration de n’avoir pas pris avant cette date de mesure propre à limiter les risques de contamination par transfusion sanguine, notamment en interdisant la délivrance des produits sanguins non chauffés, en informant les hémophiles et leurs médecins des risques encourus, ou en mettant en place des tests de dépistage du virus sur les dons de sang et une sélection des dons.

Qu’en revanche, il appartenait à l’autorité administrative, informée à ladite date du 22 novembre 1984, de façon non équivoque, de l’exigence d’un risque sérieux de contamination des transfusés et de la possibilité d’y parer par l’utilisation des produits chauffés qui étaient alors disponibles sur le marché international, d’interdire sans attendre d’avoir la certitude que tous les lots de produits dérivés du sang étaient contaminés, la délivrance des produits dangereux, comme elle pouvait le faire par arrêté ministériel pris sur le fondement de l’article L.669 du Code de la Santé Publique ;

Qu’une telle mesure n’a été prise que par une circulaire dont il n’est pas établi qu’elle ait été diffusée avant le 20 octobre 1985 ;

Que cette carence fautive de l’administration est de nature à engager la responsabilité de l’Etat à raison des contaminations provoquées par des transfusions de produits sanguins pratiquées entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 ».

Sur ce point, une observation du Commissaire du gouvernement mérite d’être relevée :

« Nous n’avons bien entendu pas ici à entrer dans l’analyse des raisons pour lesquelles l’administration n’a pas ou très tardivement, usé des pouvoirs dont elle disposait. Elles tiennent certainement à une pluralité de facteurs, parmi lesquels entre sans doute le manque de moyens allié à une conception non directive de l’action administrative reposant en théorie sur une principe de partenariat (« L’Etat propose, l’individu dispose ») comme l’analyse M. Lucas dans son rapport, et aboutissant en fait, en l’espèce, au contraire des objectifs de démocratie et de transparence affichés à la mainmise de groupes restreints de spécialistes sur la décision

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publique. Le ministre n’écrit-il pas que la seule action qui lui revenait était, au début 1985, de mettre en place un mécanisme de consultations ? De ce jeu dans lequel certains souhaitaient ne pas laisser prendre par les autorités de tutelle des décisions prétendument d’ordre éthique et revenant aux médecins alors que lesdites autorités, pesant de peu de poids, ne semblaient même pas avoir un conscience très nette de la nature des compétences qu’il leur revenait d’exercer, la santé publique et les usagers du service ne sont pas sortis gagnants. Le peu d’effet des deux circulaires adressées par la direction générale de la santé aux centres, en juin 1983 et janvier 1985, et son peu de réactions à leur inapplication, en portent témoignage ».

Ces développements et cette solution est à rapprocher de la mission de l’Etat en matière de prévention des risques sanitaires : le même raisonnement a été appliqué à propos des préjudices imputables aux carences de l’Etat dans la prévention des risques liés à l’amiante :

CE, Ass., 3 mars 2004, Min. de l’Emploi et de la Solidarité c/ Cts Bourdignon ; Min. de l’Emploi et de la Solidarité c/ Cts Thomas ; Min. de l’Emploi et de la Solidarité c/ Cts Xueref (4 esp.), RFD adm. 2004, p. 612, concl. E. Prada-Bordenave ; AJDA 2004, p. 974, chron. F. Donnat et D. Casas.

Dans ces affaires, le Conseil d’Etat était saisi, en tant que juge de cassation d’actions en responsabilité concernant des victimes ayant été exposées, sur leur lieu de travail, à des poussières d’amiante et ayant de ce fait, contracté des maladies d’une extrême gravité.

Le raisonnement procède en deux temps : après avoir rappelé à l’Etat ses obligations, le Conseil d’Etat juge que l’Etat a, en l’espèce, failli à sa mission de prévention et de protection.

Dans le premier temps, il rappelle leurs obligations aux autorités publiques :

« Cons. que si, en application de la législation du travail désormais codifiée à l’article L. 230-2 du code du travail, l’employeur a l’obligation générale d’assurer la sécurité et la protection des travailleurs placé sous son autorité, il incombe aux autorités publiques chargées de la prévention des risques professionnels de se tenir informées des dangers que peuvent courir les travailleurs dans le cadre de leur activité professionnelle, compte tenu notamment des produits et substances qu’ils manipulent ou avec lesquels ils sont en contact, et d’arrêter, en l’état des connaissances scientifiques, au besoin à l’aide d’études ou d’enquêtes

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complémentaires les mesures les plus appropriées pour limiter et si possible éliminer ces dangers ».

Autrement dit et dans le droit fil de l’arrêt précédent, en matière de sécurité sanitaire et d’hygiène, l’Etat a d’abord l’obligation de s’informer.

Mais l’obligation de connaissance de l’Etat se double d’une obligation d’action à laquelle l’Etat a, en l’espèce, failli.

3) On a pu penser qu’après tel ou tel arrêt, la faute lourde était en passe d’être abandonnée dans le domaine des activités de contrôle.

* Certains jugements et arrêts sont, en effet, allés en ce sens :

- TA Paris 8 juillet 1997, Groupement des ASSEDIC de Paris, Droit adm. 1998 n° 220 : Le Tribunal administratif de Paris semble avoir franchi le pas. Il admet effectivement que l’Etat « a commis, compte tenu des moyens de contrôle dont il disposait, une faute dans l’exercice de son pouvoir de tutelle de nature à engager la responsabilité de l’administration » dans une affaire où l’Etat avait laissé mettre en faillite un établissement public (en raison de l’incertitude quant à la nature juridique de cet organisme), alors même que la loi du 25 janvier 1985 sur les procédures collective n’est pas applicable aux personnes publiques.

- Voir aussi les arrêts des CAA cités infra

* Mais c’est méconnaître que si le Conseil d’Etat a abandonné, dans l’espèce Améon, l’exigence de la faute lourde, la doctrine est restée dubitative sur la portée de principe de cette solution. Ainsi, pour les chroniqueurs de l’AJDA, cette espèce « ne (nous) semble pas signifier que le Conseil d’Etat a renoncé, par cet arrêt, à exiger la faute lourde pour toutes les activités de contrôle et de tutelle ».

Et de fait il reste une place importante pour la faute lourde, parce que comme le dit R. Chapus, il faut laisser à l’administration une marge d’action libre, « en franchise de responsabilité ».

C’est ce que confirme le Conseil d’Etat dans deux domaines essentiels.

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a) La question de la responsabilité de l’Etat du fait du contrôle de légalité exercé par les préfets sur les actes des collectivités décentralisées

Cette question mérite que l’on s’y arrête dans la mesure où le Conseil d’Etat a été amené à censurer la solution retenue par la CAA de Marseille abandonnant l’exigence de la faute lourde en la matière.

CAA Marseille (form. plén.) 21 janvier 1999, Ministre de l’Intérieur c/ Commune de Saint-Florent et autres, AJDA 1999 p. 279, concl. J-Ch. Duchon-Doris :

Dans cette affaire, plusieurs communes membres d’un syndicat intercommunal recherchait la responsabilité de l’Etat à raison des sommes mises à leur charge à la suite de la dissolution dudit syndicat dont le fonctionnement avait été pour le moins contestable. Elle reprochait au préfet de n’y avoir pas mis bon ordre en déférant notamment les décisions illégales des organes du syndicat à la censure du juge administratif.

La Cour juge :

« si le préfet n’est pas tenu de déférer au juge administratif toutes les décisions illégales des collectivités territoriales et de leurs établissements publics et si, par conséquent, son abstention ne saurait par elle-même engager la responsabilité de l’Etat, l’abstention prolongée du préfet de la Haute-Corse de ne pas déférer au tribunal administratif les délibérations importantes et aux illégalités facilement décelables de SIVOM du Nebbio constitue, en l’espèce, une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat envers les communes de Saint-Florent et autres »

Mais le Conseil d’Etat casse l’arrêt sur ce point :

CE, 6 octobre 2000, Min. de l’Intérieur c/ Commune de Saint-Florent, Droit adm. n° 243 ; AJDA 2001, p. 101, note M. Cliquenois :

« Cons. que les carences de l’Etat dans l’exercice du contrôle de légalité des actes des collectivités locales prévu par les dispositions de la loi du 2 mars 1982 ne sont susceptibles d’engager la responsabilité de l’Etat que si elles constituent une faute lourde ; que dès lors, en jugeant que l’abstention prolongée du préfet de la Haute-Corse de ne pas déférer au tribunal administratif plusieurs délibérations du bureau du SIVOM du Nebbio constituait une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat, sans rechercher si cette faute devrait être regardée comme une faute lourde, la Cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit ».

Au fond, le Conseil d’Etat voit néanmoins une faute lourde dans l’abstention du préfet de déférer pendant trois années consécutives neuf

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délibérations relatives au financement pour 10 MF d’un projet de foire-exposition et de parc touristique sur le territoire d’une commune de 247 habitants prises par le bureau du syndicat qui n’avait pourtant pas délégation sur une telle question.

Mais il faut relever aussi que l’arrêt limite la condamnation de l’Etat au 1/5ème du préjudice subi par les communes en raison de leurs propres fautes de contrôle et de surveillance.

Cet arrêt reprend une solution consacrée antérieurement par CE, Sect., 21 juin 2000, Min. de l’Equipement c/ Commune de Roquebrune-Cap-Martin, Rec. Lebon, p. 236 ; Droit adm. 2000, n° 195 et 242, note L. Touvet ; Construction-Urbanisme 2000, n° 257, obs. D. Larralde ; RD publ. 4-2000, p. 1257, concl. ; RD imm. 2000, p. 553, obs. J. M.-D. ; RFD adm. 2000, p. 1096, note P. Bon ; BJDU 2000, p. 191, concl. ; JCP N, juin 2002, n° 1204, p. 469 ; Etudes foncières, n° 89, janv.-févr. 2001, p. 3 ; Revue du Trésor, n° 6, juin 2001, p. 392.

b) La responsabilité de l’Etat du fait des contrôles exercés par la commission bancaire et par la commission de contrôle des assurances.

Dans deux arrêts, la Cour administrative d’appel de Paris a jugé que

- à propos de la commission bancaire : « dans l’accomplissement de sa mission administrative de surveillance et de contrôle des établissements de crédit, la responsabilité de l’Etat est susceptible d’être engagée pour faute simple » (CAA Paris, 30 mars 1999, El Shikh, Rec. Lebon, tables, p. 505 ; AJDA 1999, p. 951 et ibid., p. 883, obs. M. H. ; JCP 2000, n° 10276, concl. M. Heers ; Dalloz Affaires, 1999, n° 171, p. 1211, note X.D).

Plusieurs arguments avaient été avancés au soutien d’une inflexion de la jurisprudence : les difficultés rencontrées par les épargnants pour établir la faute lourde de l’organisme de contrôle ; l’opacité des techniques de contrôle ; l’accroissement constant des moyens et pouvoirs de la Commission bancaire ou encore la revendication croissante des victimes en vue d’une meilleure protection de leurs intérêts.

Mais le Conseil d’Etat maintient l’exigence de la faute lourde : CE, 30 novembre 2001, Min. de l’Economie et des Finances,

Droit adm. 2002, n° 18 :«  Cons. que la responsabilité de l’Etat pour les fautes commises par la commission bancaire dans l’exercice de sa mission de surveillance et de contrôle des établissements de crédit ne se substitue pas à celle de ces établissements vis-à-vis notamment de leurs dépositaires ; que dès lors et eu égard à la nature des pouvoirs qui sont dévolus à la Commission bancaire, la responsabilité que peut

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encourir l’Etat pour les dommages causés par les insuffisances ou carences de celle-ci dans l’exercice de sa mission ne peut être engagée qu’en cas de faute lourde … »

- et à propos de l’ancienne commission de contrôle des assurances : CAA Paris, 13 juillet 1999, Groupe Norbert Dentressangle, AJDA 1999, p. 953, ibid. p. 883, chron. M. Heers.

Mais, là encore, le Conseil d’Etat n’a pas suivi la CAA de Paris et a maintenu ici l’exigence de la faute lourde : CE, 18 février 2002, Groupe Dentressangle, RFD adm. 2002, p. 754, note F. Moderne ; Resp. civ. Et ass. 2003, p. 23, chron. Guettier ; Rev. gén. Dr. assur. 2002, p. 690, note Vincent.

Conclusion

Après cette description de l’état du droit, il faut tenter d’expliquer diversité des solutions jurisprudentielles.

A cet égard, plusieurs propositions :

- En premier lieu, l’explication par les difficultés particulières que présenteraient les activités de contrôle ne saurait convaincre, pour deux séries de raisons.

D’abord, M. A. Seban, dans ses conclusions sur l’arrêt Kechichian reconnaissait lui-même que le critère de la difficulté de l’activité de la commission bancaire n’est pas décisif. Elle dispose, en effet, de moyens financiers et en personnel qui devraient lui permettre de remplir efficacement sa mission.

Surtout, à partir du moment où l’exigence de la faute lourde a été abandonnée en matière d’actes médicaux, de placement d’office des malades mentaux, ou bien encore pour le fonctionnement des services de lutte contre l’incendie ou des services d’assistance en mer, on voit mal ce qui justifie qu’elle soit maintenue pour les activités de contrôle.

- En deuxième lieu, parmi les raisons de nature à justifier le maintien de la faute lourde, figure au premier rang le refus de faire de l’Etat un responsable par substitution de la mauvaise gestion des entreprises privées de crédit ou d’investissement (v. concl. Seban RFD adm. 2002, p. 748).

Ainsi dans l’optique du Conseil d’Etat, le maintien de la faute lourde avait pour objectif d’éviter que l’Etat ne serve en fait de garant – par absorption de la responsabilité – aux entreprises bancaires en difficulté.

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Mais si la crainte d’une responsabilité par substitution était vraiment à l’origine du maintien de la faute lourde, le raisonnement devrait être étendu à tous les types de contrôle, ce qui n’est pas le cas.

Surtout, la question est ainsi mal posée car il n’est pas question que l’Etat se substitue à l’établissement de crédit dans son obligation, qui est une obligation de restitution (v. F. Moderne, « Responsabilité de la puissance publique et contrôle prudentiel des entreprises du secteur financier », Mélanges P. Amselek, Bruylant 2005, p. 593).

Ainsi, il est tout aussi peu convaincant d’avancer que la responsabilité de l’Etat à l’égard des clients d’un établissement de crédit serait amenée à se substituer à celle du dépositaire des fonds remboursables

Au surplus, à supposer même qu’il y ait risque de « substitution  de responsabilité », encore faudrait-il démontrer que la faute commise par l’organisme de contrôle est réellement à l’origine du préjudice causé aux requérants – ce qui pose le problème du lien de causalité entre la faute et le préjudice.

- Il résulte donc des considérations qui précèdent que le maintien de l’exigence de la faute lourde se justifie par le souci de laisser à l’auteur de l’acte (au contrôlé) une liberté suffisante et de borner l’intervention du contrôleur à la périphérie de cette action.

C’est ce qu’exprime H. Savoie dans ses conclusions sur l’affaire Roquebrune-Cap-Martin : « Le préfet est l’arbitre des intérêts généraux et peut estimer, dans certaines circonstances, que l’intérêt général sera mieux préservé en fermant les yeux sur une illégalité minime ou sans conséquence plutôt que de provoquer des tensions, des coûts ou des retards en recherchant une application stricte de la légalité ».

Il faut donc ménager une « franchise de responsabilité » à l’Etat en la matière.

On comprend donc qu’il faut des circonstances particulières constitutives d’une faute lourde pour que la responsabilité de l’Etat soit engagée.

- Mais, lorsque, de par la volonté de la loi, l’intervention administrative va au-delà du contrôle, qu’elle prend une tournure quasi hiérarchique, que le contrôleur est directement comptable de la pertinence et de la régularité de l’action administrative en cause, le juge en tire la conséquence, sur le terrain de la responsabilité, qu’une faute simple suffit.

Ainsi en matière de transfusions sanguines ou de contrôle du licenciement des salariés protégés. Dans ces hypothèses, il ne s’agit plus simplement

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d’un contrôle ; l’objectif recherché est d’encadrer étroitement l’action administrative ; le contrôleur se confond avec le gestionnaire et pour l’un, comme pour l’autre, la faute simple suffit.

A cet égard, il faut observer l’évolution des textes régissant les organismes de contrôle parce qu’ils déterminent largement le déplacement de la frontière entre la faute lourde et la faute simple (v. F. Moderne, « Responsabilité de la puissance publique et contrôle prudentiel des entreprises du secteur financier », préci. : à propos de la commission bancaire).

- On reprendra, pour terminer sur la qualification de la faute de service (son degré de gravité), ce que dit Y. Gaudemet à propos de la matière des activités de contrôle :

« Ces solutions …seraient d’autant mieux assurées si, dans la formulation, on se décidait à abandonner la référence mal venue à la faute lourde ou à la faute simple.

Le fait par exemple que, dans le contentieux Commune de Saint-Florent, une même carence … ait été considérée comme faute simple par la CAA puis comme faute lourde par le CE montre bien qu’il s’agit d’une appréciation in concreto pour répondre à la question de savoir si le comportement administratif est, dans les circonstances de l’espèce, « de nature à » engager la responsabilité de l’administration ; point n’est besoin de passer par la qualification faussement objectif de faute lourde ou de faute simple.

Surtout, la responsabilité pour faute lourde laisse toujours le sentiment désagréable que des fautes peuvent rester sans conséquence financière pour leurs auteurs, alors même qu’ils ont mal agi et dès lors que la faute en question n’est pas caractérisée comme lourde.

Il serait plus satisfaisant de considérer qu’en deçà d’un certain seuil, il n’y a en réalité pas de comportement fautif   ; et que, tout simplement, la faute se détermine et se caractérise différemment selon les activités de l’administration   ».

Conclusion générale sur la faute lourde

1) La notion de faute lourde est la reconnaissance d’un droit à l’erreur de l’administration.

Elle remplit une fonction « signalétique » de l’écart existant entre l’erreur et la faute (conl. H. Legal sur Epx V …)

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Elle confère, en effet, au service un droit à l’erreur puisque seule l’erreur grave, voire très grave, est susceptible d’engager la responsabilité de l’administration. La faute lourde est traditionnellement conçue comme la faute quasi-intentionnelle révélant « une insoutenable légèreté », mettant en évidence « l’ignorance absolument inadmissible d’un devoir spécial » (concl. N. Chadid-Nouraï sur CE, Bourgeois, RFD adm. 1990, p. 899).

S’agissant encore de la responsabilité des services de recouvrement envers les collectivités, « seule une inertie volontaire et systématique » pourrait engager leur responsabilité (concl. Bissara sur CE, Sect., 21 janvier 1983, Ville de Bastia, Rec. Lebon, p. 22).

La reconnaissance de ce droit à l’erreur est certainement une trace du passé : une trace de l’irresponsabilité de l’administration. Il est, à cet égard, intéressant de relever que son exigence persiste dans les domaines d’activités les plus régaliens (police, impôt).

Mais elle reflète également le souci du juge de laisser à l’administration une plus grande marge de manœuvre.

Il en résulte une auto limitation de son contrôle par le juge car le degré du contrôle juridictionnel est proportionnel au degré de l’obligation qui pèse sur l’administration : V. concl. H. Legal sur CE, Ass., 9 avril 1993, M. D., Rec. Lebon, p. 120 : « par le rappel de l’exigence d’une faute lourde, vous manifestez la distance qu’il convient de conserver vis-à-vis d’une décision intervenue dans des conditions difficiles ».

2) La question se pose donc de la légitimité du maintien de la faute lourde

Sur le principe, la reconnaissance d’un droit à l’erreur de l’administration est de moins en moins bien comprise par les citoyens.

Et ce d’autant plus que, sur le plan pratique, les justifications – tirées des difficultés de fonctionnement de certaines activités - apparaissent de plus en plus discutables.

R. Chapus relève en ce sens : « Comment peut-on raisonnablement continuer à justifier l’exigence d’une faute lourde par la difficulté des activités en cause, puisque, s’agissant d’autres activités, cette difficulté (qui n’est pas plus niable que niée) est désormais jugée comme ne la justifiant plus ? (DAG 1, n° 1470).

La question se pose est donc celle de savoir si la volonté légitime de tenir compte des difficultés particulières de fonctionnement propres à telle ou telle activité de l’administration nécessite le recours à la faute lourde.

La réponse est négative   :

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- D’une part, le passage de la faute lourde à la faute de nature à engager la responsabilité de l’administration (sans autre qualification) permet une appréciation concrète de l’existence de la faute prenant en compte la difficulté de l’opération et les moyens du service.

En effet, rien n’interdit au juge de prendre en compte l’ensemble des faits de l’espèce avant de les qualifier juridiquement de faute ou de leur refuser une telle qualification. Mais cela implique évidemment pour le juge d’entrer un peu plus profondément qu’il ne le fait sous le régime de la faute lourde dans l’appréciation du comportement de l’administration.

V. concl. H. Legal sur CE, Ass., 9 avril 1993, M. D., Rec. Lebon, p. 118 : La confirmation du choix de la faute lourde opérée par la CAA risquerait dans cette perspective de raréfaction des hypothèses de faute qualifiée d’être interprétée comme un coup d’arrêt à la simplification que vous êtes en train de mener à bien et « qui tend, en règle générale et sauf erreur de notre part, à faire dépendre l’engagement de la responsabilité publique de l’existence d’une faute, non qualifiée mais appréciée au regard des caractères spécifiques de l’activité sur laquelle elle se greffe, faute qui peut être constatée ou révélée, en réservant les autres hypothèses (de faute lourde ou de risque) aux cas où un obstacle déterminant vous empêche ou vous interdit de retenir ce mode normal de détermination du seuil au-delà duquel l’indemnisation est due aux victimes de préjudices ».

- D’autre part, on peut imaginer que le juge affine l’appréciation du lien de causalité.

Ces solutions sont préférables à l’affirmation persistante que certaines fautes de l’administration ne sont pas de nature à engager sa responsabilité et que, par conséquent, certains dommages résultant pourtant d’une faute, ne sont pas réparés.

V. la problématique dégagée par concl. G. Pellissier sur CAA Versailles, 17 mars 2005, Commune de Taverny, AJDA 2005, p. 1636.

SECTION 3LE PREJUDICE

Pour qu’il y ait responsabilité, il faut qu’il y ait préjudice (§1er). Il faut en outre que ce préjudice remplisse certaines conditions (§2). Mais sous cette réserve, tous les préjudices sont également réparables (§3) et réparables intégralement (§4).

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§1er : L’existence d’un préjudice

Le préjudice doit exister réellement : par exemple, il n’y pas de préjudice lorsqu’un titulaire d’occupation du domaine public se voit contraint de déplacer ses installations à raison de travaux réalisés à l’intérieur de la dépendance occupée.

1. La question de la « vie préjudiciable »

Il convient surtout ici de relever que la jurisprudence refuse d’attribuer le caractère de préjudice à certains dommages : c’est la question de la « vie préjudiciable » (« wrongfull life »).

La question se pose en ces termes :

- Peut-il être demandé et obtenu réparation du dommage constitué par la naissance d’un enfant à la suite de l’échec d’une interruption volontaire de grossesse ou d’une stérilisation contraceptive ?

- Peut-il être demandé et obtenu réparation du dommage constitué par la naissance d’un enfant handicapé du fait que le handicap n’a pas été décelé à l’occasion d’une amniocentèse ?

- Et, dans ce dernier cas notamment, doit-il être distingué selon que la demande émane des parents ou de l’enfant lui-même ?

C’est une question sur laquelle le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation (arrêt Perruche) ont adopté des solutions radicalement opposées amenant ainsi le législateur à intervenir par une loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

Les solutions en cause illustrent parfaitement le fait que le droit de la responsabilité est souvent lié à certains principes ou choix qui relèvent de l’éthique sociale.

a) La position du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat a adopté une position de principe assortie de réserves.

CE, Ass, 2 juillet 1982, Delle R..., Rec. Lebon, p. 266, concl. M. Pinault ; D 1984.II.425, note J-B. D’onorio ; AJDA 1983 p. 206, note critique J.C ; RD sanit. et soc. 1983.95, concl. M. Pinault et 623, obs. J.M. Lemoyne de Forges ; D 1984,.IR, p. 21, note F. Moderne et P. Bon ;

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V. aussi, TA Strasbourg, 17 juillet 1990, Epoux Sokal, AJDA 1990.217, note G. Darcy ; RD sanit. Soc. 1991.72, concl. M. Heers.

S’agissant de la position de principe, le Conseil d’Etat refuse de voir dans le fait de la naissance un préjudice indemnisable et par conséquent, de réparer le dommage résultant de la naissance d’un enfant handicapé dans le contexte de l’échec d’une interruption volontaire de grossesse.

L’Assemblée du Contentieux juge que

« La naissance d’un enfant, même si elle survient après une intervention pratiquée sans succès, en vue de l’interruption d’une grossesse demandée dans les conditions (prévues par le Code de la Santé publique) par une femme enceinte, n’est pas génératrice d’un préjudice de nature à ouvrir à la mère un droit à réparation par l’établissement hospitalier où cette intervention a eu lieu, à moins qu’existent, en cas d’échec de celle-ci, des circonstances ou une situation particulières susceptibles d’être invoquées par l’intéressée »

Ainsi plutôt que de se situer sur le terrain de la faute en privilégiant le fait que l’obligation du médecin est une obligation de moyen et non de résultat, le Conseil d’Etat, en Assemblée, a préféré se situer sur celui du préjudice pour considérer que la naissance d’un enfant par suite de l’échec d’une IVG demandée par la mère ne peut jamais constituer un préjudice, ce qui exclut l’engagement de la responsabilité administrative.

Dans le prolongement de cette solution, le Tribunal administratif de Strasbourg a eu l’occasion de juger que ne saurait engager la responsabilité du service public hospitalier l’échec d’une stérilisation contraceptive qui n’a pas empêché la naissance d’un cinquième enfant. Il n’y voit de préjudice ni pour la mère, ni pour l’enfant (TA Strasbourg, 21 avril 1994, Mme M.... c/ Hospices civils de Colmar, RFD adm. 1995, p. 1222, concl. Martinez).

Dans cette affaire, il y avait bien une double faute du service hospitalier en ce que le médecin s’était abstenu de vérifier a posteriori la réussite de l’intervention et qu’il avait manqué à son devoir de conseil en ne prévenant pas la patiente d’un risque d’échec de la stérilisation et de la persistance d’un risque de grossesse.

Néanmoins le tribunal refuse d’admettre l’existence du préjudice allégué au motif que :

« La naissance d’un enfant, même lorsqu’elle intervient après l’échec d’une intervention destinée à interrompre la fécondité de la mère, n’est pas, par elle-même, génératrice d’un préjudice de nature à ouvrir un droit à réparation par l’établissement hospitalier où cette intervention a eu lieu ; qu’il n’en va autrement que si cette naissance a entraîné, eu égard aux circonstances dans lesquelles elle s’est produite, un préjudice particulier distinct des frais d’entretien et d’éducation de l’enfant qui son normalement à la charge des parents ».

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Pour en revenir à l’arrêt Delle R…, la note JC précitée est critique à l’égard de la solution en considérant qu’elle ne tire pas la conséquence que l’IVG est un droit de la femme, légalement protégé, joint au fait qu’il est pris en charge financièrement par l’Etat. Elle reflèterait une conception de l’avortement qui ne serait pas celle que le législateur a choisie.

Nous ne partageons pas cette critique car même si le législateur a érigé l’IVG en droit pour la femme, celui-ci doit, à tout le moins, se concilier avec l’obligation de moyen qui est celle du médecin, ce qui conduit à considérer que la naissance d’un enfant, même non désiré, ne peut être constitutive d’un préjudice particulier. A cet égard, on ne voit pas en quoi le droit de la femme pourrait opérer une transformation de l’obligation du médecin.

Cela dit, on relèvera qu’entre la solution radicale fondée sur l’exclusion de la notion de bébé-préjudice et niant, par conséquent, toute possibilité d’indemnisation et la position qui consiste à mettre en avant l’existence d’un droit consacré par la loi Veil dont la lésion devrait nécessairement être constitutive d’un préjudice, le Conseil d’Etat a choisi une voie médiane traduisant son souci d’assurer à la fois l’effectivité des droits reconnus aux femmes et la préservation de conceptions morales caractérisant un certain état de la société française : il le fait en assortissant sa position de principe de réserves.

La solution de l’arrêt Delle R… comporte ainsi des réserves

« La naissance d’une enfant … n’est pas génératrice d’un préjudice de nature à ouvrir à la mère un droit à réparation par l’établissement hospitalier où cette intervention a eu lieu, à moins qu’existent, en cas d’échec de celle-ci, des circonstances ou une situation particulières susceptibles d’être invoquées par l’intéressée »

Concernant la portée de ces réserves, M. Pinault invoquait deux cas :

- Le premier où l’enfant est handicapé à sa naissance.

Le Conseil d’Etat a eu ultérieurement à prendre position sur la portée de la réserve et à préciser sa position :

CE, 27 septembre 1989, Dame Karl, AJDA 1989 p. 807 et chron., p. 776 ; D 1990, SC, p. 298 :

Dans cette affaire, la victime, âgée de 19 ans et célibataire, avait été admise dans un centre hospitalier pour y subir une IVG. Mais trois semaines plus tard, il fut constaté que la grossesse se poursuivait. L’intéressée demande alors à subir une nouvelle intervention qui lui fut refusée car le délai de dix semaines prévu par le Code de la Santé publique était expiré. Elle accoucha

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d’un enfant gravement handicapé (absence totale de membre inférieur droit et excroissance charnue de l’autre membre qui fut excisée par la suite).

Le Conseil d’Etat admet le principe de l’indemnisation dès lors que l’enfant est atteint d’une grave infirmité due au traumatisme causé au fœtus dans le cadre de la tentative ratée d’IVG. En l’espèce, selon l’expertise, le lien de causalité ne faisait pas de doute. En revanche, il sera plus délicat à établir en cas de troubles mentaux ou de lésions internes, surtout lorsqu’elles apparaîtront après la naissance.

- Le second recouvrait celui ceux où la naissance de l’enfant est à l’origine d’un «   incontestable préjudice   »   : cas de viol ou d’inceste ou encore lorsque la naissance de l’enfant survient dans un cadre particulièrement défavorisé et constitue alors une cause supplémentaire de déséquilibre.

NB : dans l’affaire Delle R, le commissaire du gouvernement estimait que telle était le cas de la demanderesse, mère célibataire, assumant seule la charge de son enfant et ne disposant que de très faibles ressources procurées un emploi de femme de ménage qu’elle avait trouvé après une période de chômage consécutive à sa grossesse. Et pourtant le Conseil d’Etat n’avait pas suivi son commissaire du gouvernement sur ce point.

Par la suite, le Conseil d’Etat a été amenée à préciser encore sa jurisprudence dans le contexte d’une amniocentèse qui n’avait pas révélé une anomalie du fœtus, l’enfant étant né trisomique 21.

CE, 14 février 1997, Centre hospitalier régional de Nice c/ Epoux Quarez, Rec. Lebon, p. 44, concl. V. Pécresse ; RFD adm. 1997 p. 374 concl. ; note B. Matthieu ; RD publ. 4/1997, p. 1147, note J. Waline.

En l’espèce, Madame Quarez présentait une grossesse à risque en raison de son âge (42 ans). Il lui a donc été pratiqué une amniocentèse afin de dépister tout risque de trisomie 21 (examen fiable : risque 1/1000). Mais vu les conditions du prélèvement – faible nombre de cellules à développer - l’analyse de ce prélèvement était rendue délicate. Malgré tout le CHR avait indiqué à la patiente que « l’examen n’avait révélé aucune anomalie détectable par les moyens actuels ». L’enfant était cependant né handicapé.

Les époux Quarez ont alors agi en responsabilité : le tribunal administratif rejeta leur action, mais la Cour administrative d’appel de Marseille l’accueillit et indemnisa tant le préjudice subi par la mère que celui subi par l’enfant.

Le Conseil d’Etat casse néanmoins l’arrêt pour une raison technique tenant au lien de causalité : car le handicap de l’enfant ne résulte pas de la faute commise à l’occasion de l’amniocentèse, mais est inhérent à son patrimoine génétique. Dès lors son préjudice ne pouvait pas être indemnisé.

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Le Conseil d’Etat refuse ainsi d’indemniser le préjudice prétendument subi par l’enfant Quarez car celui-ci souffrait d’une anomalie congénitale préexistante à l’amniocentèse, laquelle n’a pas causé son préjudice. Dès lors, sa propre naissance (même malade) ne peut constituer, pour lui, un préjudice. Comme le disait le Commissaire du gouvernement, « nous ne pensons pas qu’un enfant puisse se plaindre d’être né tel qu’il a été conçu par ses parents … Affirmer l’inverse serait juger qu’il existe des vies qui ne valent pas d’être vécues ».

NB : Dans l’affaire Karl, la demande d’indemnité formée par la mère au nom de son enfant est admise. Car si le préjudice était certain de même que le lien de causalité avec la faute, il faut bien relever que l’absence de faute aurait dû se traduire normalement par une interruption de grossesse, soit la disparition de l’enfant et avec lui, du préjudice. Il était, en effet, possible de se demander si l’enfant pouvait se présenter comme une « victime » et se plaindre d’être né, handicapé, certes, mais vivant, alors que si aucune faute n’avait été commise, il n’aurait pas dû vivre. Le raisonnement du Conseil d’Etat est évidemment plus réaliste : c’est bien la faute du médecin qui est directement à l’origine du préjudice.

Puis réexaminant l’affaire, le Conseil d’Etat va n’indemniser que le préjudice subi par les parents.

En effet, il y a bien eu une faute médicale tenant à ce que le service n’avait pas informé les époux Quarez du fait que les résultats de l’examen pratiqué pouvaient être affectés d’une marge d’erreur inhabituelle, compte tenu des conditions dans lesquelles il avait été conduit. Et la faute est d’autant plus constituée que Mme Quarez avait clairement manifesté sa volonté d’éviter le risque d’un accident génétique chez l’enfant conçu, accident dont la probabilité était, compte tenu de son âge, relativement élevée : elle avait donc cherché auprès d’un service spécialisé un diagnostic déterminant quant à l’absence de risque. Dès lors en livrant un diagnostic sans attirer l’attention de la victime sur la marge d’erreur qu’il comportait, le service l’a faussement conduite à la certitude que l’enfant conçu n’était pas porteur d’une trisomie et que la grossesse pouvait être normalement menée à son terme ; alors que si son attention avait été attirée sur la marge d’erreur, Mme Quarez aurait pu procéder à une nouvelle amniocentèse dans la perspective d’une IVG pour motif thérapeutique. La carence dans l’information a donc été la cause directe du préjudice.

Le CE indemnise donc le préjudice subi par les parents. Certes, la naissance d’un enfant n’est pas, en principe, un préjudice indemnisable, mais il convient de réserver « le cas où des circonstances particulières seraient susceptibles d’être invoquées », tel est le cas lorsque les résultats erronés d’un examen médical ont empêché la mère de recourir éventuellement à une IVG thérapeutique.

b) La position de la Cour de Cassation : l’arrêt « Perruche »

Cass. Ass. Plén., 17 novembre 2000, Perruche, Bull. Ass. Plén., n° 9 ; D 2001, p. 316, concl. Sainte Rose et p. 332, note D. Mazeaud ;

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A. Sériaux, « Perruche et autres, la Cour de cassation entre mystère et mystification, D 2002, p. 1997 ; B. Edelmann, « L’arrêt Perruche : une liberté pour la mort ?, D 2002, p. 2349.

NB : L’arrêt Perruche a été suivi de trois arrêts également en Assemblée plénière du 13 juillet 2001 (D 2001, p. 2325, note P. Jourdain)

La solution retenue par la Cour de Cassation dans cette affaire a abouti à une divergence fondamentale entre les juridictions judiciaire et administrative.

La Cour de Cassation a, en effet, jugé que « L’enfant né handicapé peut demander la réparation du préjudice résultant de son handicap si ce dernier est en relation directe avec les fautes commises par le médecin dans l’exécution du contrat formé avec la mère et qui ont empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre la grossesse ».

En affirmant de manière générale l’existence d’un lien de causalité entre la faute médicale et le handicap, la Cour de Cassation se démarquait de la jurisprudence du Conseil d’Etat.

Celui-ci n’indemnisait que les parents pour le préjudice causé à eux par la naissance, estimant qu’en revanche, il n’existe pas de lien de causalité entre la faute médicale et le handicap de l’enfant résultant d’une cause génétique ou acquise in utero antérieurement à l’intervention du médecin.

Cela dit, il faut relever que la solution adoptée par la Cour de Cassation n’avait pas abouti à ce que la responsabilité des médecins soit retenue. En effet, relevant que les fautes médicales avaient été commises au-delà du délai légal de dix semaines de l’IVG pour cause de détresse, elle avait relevé que l’IVG n’aurait pu intervenir que s’il était établi que les conditions médicales d’une telle intervention étaient réunies, ce qui n’était pas le cas.

c) La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé

C’est dans ce contexte émotionnel que le législateur a été amené à intervenir pour disposer :

« I. Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance.

La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer.

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Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale.

Les dispositions du présent I sont applicables aux instances en cours, à l’exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l’indemnisation.

II. Toute personne handicapée a droit, quelle que soit la cause de sa déficience, à la solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale ».

Par ailleurs, la loi affirme que la réparation relève de la solidarité nationale. C’est le fait de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Jean Waline relève à propos de ce dispositif que la loi est en retrait sur la jurisprudence Quarez sur le fondement de laquelle les parents pouvaient demander réparation du préjudice correspondant aux charges découlant, tout au long de la vie de l’enfant, du handicap de ce dernier.

Ce jugement est étayé par l’affaire Maurice : dans cette affaire, la mère avait accouché d’un premier enfant atteint d’amyotrophie spinale infantile, maladie qui provoque l’atrophie des muscles, avait interrompu une deuxième grossesse, le diagnostic prénatal révélant un risque que l’enfant à naître soit affecté de la même maladie et avait demandé, lors d’une troisième grossesse, un même diagnostic qui n’avait rien révélé mais qui s’est avéré erroné en raison d’une interversion des résultats d’analyse avec ceux d’une autre famille, ce qui était révélateur d’une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service.

Sur le fondement de cette faute établi par un rapport d’expert, le TA de Paris avait accordé aux parents une indemnité provisionnelle de 152 449 euros. La CAA l’a ramené, après promulgation de la loi, à 15245 euros car

« l’amyotrophie … dont est atteinte la petit C… n’est pas la conséquence directe de la faute (…) ; que par suite en application des dispositions de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002, l’AP de Paris ne pourrait être tenue que de la réparation du préjudice des requérants, à l’exclusion « des charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant » du handicap de celle-ci, la compensation du handicap relevant, selon les mêmes dispositions, de la solidarité nationale » (CAA Paris, 13 juin 2002, Assistance publique Hôpitaux de Paris, Droit adm. 2002, n° 207).

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Sur la loi, v. note critique de Mme Dreifuss-Netter, L’amendement « Perruche », ou la solidarité envers les personnes handicapées, Petites Affiches, 19 juin 2002, n° 122, p. 122 ; A. Ravelet, « La jurisprudence Quarez sous le coup de la loi Perruche », RD publ. 2002, p. 1389.

Sur la jurisprudence administrative après la promulgation de la loi : A. Ravelet, « Le juge administratif et la loi anti-Perruche », Droit adm. 2004, n° 20.

d) La question de l’applicabilité immédiate de la loi au regard de la convention européenne des droits de l’Homme

L’article L.114-5 du code de l’action sociale et des familles qui prohibe l’action de l’enfant né handicapé et exclue du préjudice des parents en les charges particulières qui en découlent tout au long de sa vie, ne respecte pas l’article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne des Droits de l’Homme.

Dans un avis Draon, du 6 décembre 2002 (Droit adm., 2003, n° 26 ; AJDA 2003, p. 282), le Conseil d’Etat a considéré :

- que les dispositions de la loi sont d’application immédiate dans la mesure où le régime de responsabilité qu’elle institue est défini avec une précision suffisante pour être appliqué par les juridictions compétentes ;

- que ce régime est compatible avec les stipulations de la CEDH et du pacte sur les droits civils et politiques relatives notamment au droit au recours et à l’égalité devant la loi.

L’application immédiate de la loi nouvelle aux instances en cours a toutefois été contestée au regard des stipulations de la CEDH à la requête de parents qui n’avaient pu, du fait de cette application immédiate, obtenir réparation pour les charges particulières découlant, tout au long de la vie de leur enfant, de son handicap, non détecté pendant la grossesse à la suite d’une inversion des résultats des analyses

Par un arrêt du 6 décembre 2004 Maurice c/ France, la CEDH a admis la recevabilité de (RTD civ., 2004, p. 797, chron. J-P. Marguénaud et J. Raynard).

Plus précisément, la recevabilité est admise au regard des articles 6§1, 8, 13, 1er

du Protocole n° 1 combiné avec l’article 14 de la Convention.

S’agissant de l’application au litige de l’article 6§1, la recevabilité était prévisible. L’article 1er de la loi est, en effet, l’exemple type d’intervention législative destinée à influencer l’issue d’un litige dans lequel l’Etat, par le truchement d’une personne morale de droit public, avait un intérêt financier manifeste (v. CEDH, 28 octobre 1999, Zielinski, RTD civ. 2000, p. 439).

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Lorsque la Cour statuera sur le fond, il lui sera sans doute très difficile de ne pas constater une violation de cette stipulation.

Sur le fond, la CEDH s’est prononcée en Grande Chambre le 6 octobre 2005 (CEDH, 6 octobre 2005, aff. Maurice c/ France, req. n° 11810/03 et Draon c/ Farnce, req. n° 1513/03, Droit adm. décembre 2005, n° 177).

Elle a retenu à l’unanimité une violation de l’article 1er du Protocole n° 1 à la Convention qui garantit le droit au respect des biens, mais non de l’article 8.

Par ailleurs, elle n’a pas estimé nécessaire d’examiner séparément le grief tiré de l’article 14, ni celui tiré de la violation de l’article 6§1.

L’article 1er du Protocole n° 1 stipule :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».

Sur l’existence d’un bien : sur ce point, la Cour rappelle la notion de « biens » peut recouvrir tant des biens actuels que des valeurs patrimoniales, y compris, dans certaines circonstances bien définies, des créances lorsque celles-ci ont une base suffisante en droit interne.

Et c’est le cas lorsque la créance est confirmée par une jurisprudence bien établie des tribunaux.

Tel était bien le cas : pour juger en l’espèce de l’existence d’un « bien », la Cour relève qu’en droit interne la créance devait être constatée dans le cadre d’un régime de responsabilité pour faute exigeant l’existence d’un préjudice, une faute et un lien de causalité. Au regard de ces éléments, la Cour constate que personne ne conteste que l’inversion des résultats des analyses soit constitutive d’une faute. Les conditions d’engagement de la responsabilité sur le fondement de la jurisprudence Quarez étaient donc bien réunies, si bien que les requérants disposaient d’une créance s’analysant en une « valeur patrimoniale ».

Sur la légitimité de l’ingérence dans le droit au respect des biens : Sur ce point, la Cour relève d’abord que la loi réalise bien une ingérence qui s’analyse en une privation de propriété.

Elle admet ensuite que cette ingérence poursuivait bien un but d’utilité publique relevant de trois domaines : l’éthique et notamment la nécessité de se prononcer

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sur un choix fondamental de société ; l’équité et la bonne organisation du système de santé.

Mais elle rappelle enfin qu’une ingérence, même légitime, doit ménager un équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu ; en particulier, sans le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue normalement une atteinte excessive.

Or en l’espèce, la loi a purement et simplement supprimé, avec par surcroît un caractère rétroactif, une partie essentielle des créances en réparation, de montants très élevés, qu’une jurisprudence stable et constamment appliquée attribuaient aux parents.

En regard de cela, le caractère très limité de la compensation actuelle au titre de la solidarité nationale et l’incertitude régnant sur celle qui pourra résulter de l’application de la loi de 2005 ne peuvent faire regarder cet important chef de préjudice comme indemnisé de façon raisonnablement proportionnée depuis l’intervention de la loi du 4 mars 2002.

NB : Les requérants avaient tenté d’engager la responsabilité de l’Etat français sur le fondement de la responsabilité du fait des lois en raison de l’application immédiate de la loi aux instances en cours. Mais par un jugement du 25 novembre 2003 dont l’appel était toujours pendant à la date où la CEDH s’est prononcée, le TA de Paris avait rejeté leur requête.

§2 : Les caractères du préjudice

Il faut examiner les caractères du préjudice communs à tous les systèmes de responsabilité puis rappeler les caractères propres à la responsabilité sans faute.

A - Le préjudice doit être certain

Cela recouvre le dommage né et actuel, à l’exclusion du dommage éventuel

CE, 30 juin 1999, Sarfati, Rec. Lebon, p. 222 : cas d’un candidat évincé irrégulièrement du concours pour la construction du Stade de France, mais qui n’avait aucune chance de l’obtenir.

Sont considérés comme certains et donc réparables des préjudices futurs mais dont la survenance est certaine.

Sur le principe, le juge administratif, tout comme le juge judiciaire, admet également de réparer la perte d’une chance sérieuse : tel est le cas lorsqu’un acte administratif ou un fait de l’administration a empêché une

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personne de réussir un examen ou un concours de la fonction publique (CE, 22 janvier 1986, Dlle Grellier, AJDA 1986 p. 694).

En revanche, les préjudices purement éventuels que le juge refuse de réparer. C’est le cas en général du manque à gagner.

N.B. Le caractère certain du préjudice est souverainement apprécié par les juges du fond, sans contrôle du juge de cassation.

B – L’atteinte à une situation juridiquement protégée

Le préjudice doit consister dans l’atteinte à une situation juridiquement protégée.

Cette condition est interprétée de manière assez libérale.

Elle vise uniquement à exclure du droit à réparation les personnes qui ont subi un dommage alors ou du fait qu’ils se trouvaient placés dans une situation illicite :

CE, Sect, 7 mars 1980, SàRL Cinq Sept, Rec. Lebon, p. 129, concl. Massot : Non respect des règles de sécurité qui s’imposent aux établissements recevant du public. Impossibilité de réclamer réparation aux autorités de police pour les négligences qu’elles auraient commises dans leur activité de contrôle. Encore faut-il pour que l’illégalité de la situation soit prise en compte qu’elle soit en relation avec la cause du préjudice.

CE, 30 juillet 1997, SA Geffroy, Droit adm. 1997 n° 304 : A propos des dommages causés à une exploitation piscicole par une station d’épuration ayant, en amont, rejeté des produits toxiques. Le juge rejette l’action en réparation en se fondant sur le fait que « ladite société exploitait une pisciculture sans y être autorisée au titre de la police des eaux » dès lors que « les dommages subis se rattachent directement »  à cette irrégularité.

Par le passé, cette condition avait conduit à écarter la réparation des préjudices causés au concubin ou à la concubine de la victime directe du dommage. Mais cette jurisprudence a été abandonnée par l’arrêt CE, Ass., 3 mars 1978, Dame Muësser (AJDA 1978 p. 210, chron.).

C – Le caractère anormal et spécial du préjudice

RAPPEL : Ces caractères du préjudice sont exigés lorsque la responsabilité de l’administration est engagée sans faute.

Dans ce régime, en effet, ces caractères du préjudice sont une condition de la responsabilité.

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Concernant l’anormalité du préjudice, la part de préjudice imputable aux obligations ordinaires de la vie sociale n’est pas indemnisée.

CE, 22 février 2002, Michel, Droit adm. 2002, n° 97 et 131 : Un chasseur se plaignait de l’impossibilité de commercialiser le gibier qu’il avait abattu à la suite d’une interdiction préfectorale destinée à lutter contre une épizootie, en l’espèce de peste porcine, maladie contagieuse véhiculée par les sangliers. Le TA de Strasbourg l’avait indemnisé sur le fondement de la jurisprudence Commune de Gavarnie. Mais la CAA de Nancy avait infirmé le jugement en considérant que les décisions préfectorales en cause n’étaient pas susceptibles d’engager la responsabilité sans faute de l’Etat.Le CE casse l’arrêt ; juge implicitement au moins que les mesures sanitaires entrent dans le champ d’application de la responsabilité sans faute mais dénie néanmoins au chasseur tout droit à indemnité en raison du défaut d’anormalité de son préjudice : en effet, les mesures administratives que peuvent nécessiter les maladies infectieuses des animaux constituent un aléa que les titulaires du droit de chasse doivent supporter en principe.

Concernant la spécialité du préjudice, d’une façon générale, dès lors qu’un grand nombre de personnes est susceptible d’être victime du dommage invoqué par le requérant, le caractère spécial du dommage n’est pas admis.

Il en va différemment, si, parmi les nombreuses personnes affectées, certaines sont plus particulièrement touchées en raison de spécificités tenant à leur situation (CE, Sect., 25 janvier 1963, Min. de l’Intérieur c/ Bovero, Rec. Lebon, p. 53 ; JCP 1963, II, n° 13326, note G. Vedel).

CE, 27 juin 2005, SA Vergers d’Europe, (à mentionner aux tables) ; AJDA 2005, p. 2078, concl. D. Chauvaux : Dans cette affaire, à propos du mouvement national des chauffeurs routiers en 1996 et de la décision des autorités de ne pas recourir à la force publique pour lever les barrages routiers érigés pendant dix jours et s’agissant du préjudice subi par une entreprise qui avait été dans l’impossibilité de livrer neuf tonnes de champignons, le CE censure l’arrêt d’appel qui avait considéré :

« Il est constant que les barrages mis en place le 18 novembre 1996 ont été partiellement levés dès le 23 novembre et totalement levés le 28 novembre ; en l’espèce, eu égard à la brièveté de la période pendant laquelle elles ont laissé subsister ces barrages routiers, les autorités compétentes n’ont pas imposé aux usagers des voies publiques un préjudicie anormal et spécial … ».

La censure repose sur la considération qu’un tel raisonnement omet

« de tenir compte de la nature de l’activité de la société et notamment du caractère périssable des produits qu’elle commercialise, pour apprécier la durée au-delà de laquelle l’obstacle mis à la libre circulation de ces marchandises avait imposé à cette

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entreprise un préjudice anormal et spécial de nature à engager la responsabilité sans faute de l’Etat ».

Selon l’expression du Commissaire du Gouvernement, « c’est donc l’intensité du préjudice, liée à une vulnérabilité particulière à la perturbation en cause, qui permet de distinguer des catégories dont il faut ensuite se demander si elles sont assez restreintes pour que la condition de spécialité soit regardée comme remplie. En pratique, lorsqu’un requérant établit avoir subi un préjudice significatif, nous croyons qu’il faut vérifier si ce préjudice a constitué le lot commun d’une catégorie importante d’usagers des voies ou s’il n’a pesé que sur un petit nombre de personnes ».

Mais en l’espèce, la SA Vergers d’Europe alléguait avoir perdu la somme de 81 000 euros mais elle n’établissait pas, eu égard au montant de cette perte, à son chiffre d’affaires ainsi qu’au caractère général du blocage du réseau routier … qui a nécessairement affecté un grand nombre d’entreprises ayant pour activité la production de denrées périssables et dont le fonctionnement dépend directement ou indirectement du réseau routier, avoir subi un préjudice anormal et spécial …

Voir aussi :

- CE, 22 juin 1984, SE auprès du ministre des transports c/ Soc. Sealink UK Limited et c/ Soc. Jokelson et Handstaen (2 arrêts) et du même jour, Soc. Townsend car ferries, Rec. Lebon, p. 246, concl. B. Genevois ; JCP 1985, II, 20444, note B. Pacteau ; AJDA 1984, p. 708, note J. Moreau : Les armateurs de ferries assurant le transport des voyageurs entre la France et l’Angleterre, dont l’activité était particulièrement intense pendant la période des congés annuels ont subi un préjudice anormal dès l’expiration d’une période de blocage de 24 heures.

- CE, 6 novembre 1985, Min. d’Etat, min. des Transports c/ Cie Touraine Air Transport et Soc. Condor Flugdienst (2 arrêts), Rec. Lebon, p. 312 et 313 ; AJDA 1986, p. 84, chron. S. Hubac et M. Azibert ; D 1986, p. 584, note Rainaud : A la suite d’une grève perlée des contrôleurs de la navigation aérienne, le CE reconnaît un droit à réparation aux compagnies aériennes spécialisées dans la desserte du territoire français mais la dénie aux autres compagnies et à la généralité des usagers des transports aériens.

§3 : Le principe de la réparation intégrale du préjudice

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Le principe en matière de responsabilité administrative, comme en matière de responsabilité civile, est celui de la réparation intégrale du préjudice. Cela implique que toutes les formes de préjudice sont également réparables (A).

De manière particulière, la question se pose, au regard du principe de la réparation intégrale, de savoir comment doit être fixée l’indemnisation d’un préjudice qui a consisté en la perte d’une chance (B).

A - Le principe d’égale réparabilité de tous les préjudices

1. Principe

Tous les préjudices causés par l’autorité administrative sont réparables. Tel est le sens de la règle d’égale réparabilité de tous les préjudices.

Ainsi, la jurisprudence admet aussi bien la réparation aussi bien

- Des préjudices matériels (dommages corporels, dommages aux biens, pertes de revenus)

- que des préjudices moraux, même s’ils sont plus difficilement évaluables en argent : souffrances physiques, ce que le droit nomme le pretium doloris ; préjudice esthétique ; troubles de toute nature dans les conditions d’existence, et enfin douleur morale.

La douleur morale résultant notamment du décès d’un proche parent est réparée depuis un arrêt CE, Ass, 24 novembre 1961, Letisserand (RD publ. 1962 p. 330 note M. Waline, GAJA).

Les troubles de toute nature dans les conditions d’existence consistent essentiellement dans l’altération des conditions de vie (le fait de devoir s’abstenir de certaines activités, d’interrompre des études, de changer d’habitudes de vie).

Sur le préjudice moral et les troubles de toute nature dans les conditions d’existence : Voir CE, 18 juillet 2008, M. Stilinovic, req. n° 304962, AJDA 13 oct. 2008.1906, concl. Y. Aguila : à propos de la décision d’éviction d’un magistrat du service, décision manifestement excessive au regard de la gravité des fautes reprochées (affaire des « disparues de l’Yonne »).

La jurisprudence a par ailleurs une conception élargie du cercle des victimes. Elle accepte de réparer aussi bien les dommages causés aux victimes immédiates du dommage que ceux causés par « ricochets » à

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d’autres personnes liées à la victime : Exemple : la perte d’un enfant cause une douleur morale ; dans cette hypothèse, la jurisprudence n’exige même pas qu’il y ait un lien de droit (parenté, alliance) entre la victime directe et la victime par ricochet ; il suffit que le préjudice subi par cette dernière soit certain.

2. Exception : l’application de la théorie du risque accepté 

Bibliographie : Mariani-Benigni, « L’exception de risque accepté dans le contentieux administratif de la responsabilité », RD publ. 1997. 841.

Cette théorie jurisprudentielle est susceptible d’être appliquée dans différents cas de figures.

- On la rencontre d’abord dans le contentieux des dommages de travaux publics.

Elle y est appliquée aux dommages liés aux modifications apportées à la circulation générale - changements d’assiette des voies existantes ou création de voies nouvelles - et qui consistent en une perte de clientèle ou une dépréciation des immeubles.

Il s’agit là pour le juge d’un aléa économique normal, d’un risque accepté qui ne peut donc être indemnisé (CE, 28 mai 1965, Epoux Tebaldini, 304, concl. G. Braibant ; CE, 16 juin 2008, Soc. Le Gourmandin, Soc. La Taverne de la Marine, req. n° 297476, RD imm oct. 2008, p. 445, obs. O. Févrot). 

Cette solution s’explique également par la volonté d’éviter une socialisation des risques et une privatisation des profits.

A l’inverse, la suppression totale de l’accès est indemnisée par la juridiction administrative.

- Dans les autres domaines, l’appréciation du risque accepté est très variable selon les hypothèses :

- Ne constitue pas un risque normal pour un pharmacien installé dans la cité des Minguettes la destruction de certains immeubles, ordonnée par l’autorité publique dans le cadre de la politique de la Ville, et réduisant d’autant sa clientèle (CE, Sect 31 mars 1995, Lavaud, AJDA 1995 p. 422 et p. 384 chron. L. Touvet et J.-H. Stahl) ;

- Constitue, au contraire, un aléa normal pour les pépiniéristes concernés l’abandon par l’Etat du programme « Eucalyptus » par lui lancé pour développer, en France, la filière bois et qui s’est

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heurté à des aléas climatiques (Deux gels centenaires à – 15 °) et, également, à des problèmes de débouchés économiques (CE, 6 juin 1997, Société arboricole et fruitière de l’agenais, RFD adm. 1997 p. 892) ;

- Constitue de même un risque accepté, le fait pour un professionnel de l’immobilier de réaliser à la demande et en concertation avec la commune concernée des études en vue d’un projet immobilier, alors que ce projet ne pouvait être mené à bien qu’après une révision du document d’urbanisme à laquelle la commune à finalement renoncé suite à l’avis défavorable émis par le Commissaire enquêteur après l’enquête publique

CE, 16 novembre 1998, M. Sille, RFD adm. 1999 p. 267 : « Monsieur Sille, en sa qualité de professionnel de l’immobilier, ne pouvait ignorer les aléas qui pèsent nécessairement sur la réalisation d’un programme immobilier tel que celui qui était projeté en l’espèce et pour la réalisation duquel il fallait notamment modifier les dispositions du POS et obtenir l’accord du Conseil municipal »

- Accepte les aléas que pouvait rencontrer la livraison de matériels servant au traitement de matières nucléaires irradiées, la société qui a conclu un contrat avec la commission pakistanaise de l’industrie atomique (CE, 19 février 1988, Sté Robatel, AJDA 1988, p. 354, concl. J. Massot).

Le Consei d’Etat fait donc une application parfois sévère de la théorie du risque accepté, surtout en matière d’intervention économique des personnes publiques.

B – L’indemnisation de la perte de chance

Bibliographie : R. ARSAC, l’indemnisation de perte de chance en droit administratif, RJ 2007.759

Sur le principe, le juge administratif, tout comme le juge judiciaire, admet de réparer la perte d’une chance sérieuse et donc de considérer ce préjudice comme certain (v. supra : CE, 22 janvier 1986, Dlle Grellier, AJDA 1986 p. 694 : cas lorsqu’un acte administratif ou un fait de l’administration a empêché une personne de réussir un examen ou un concours de la fonction publique).

Toutefois, le principe de la réparation intégrale pose le problème de l’indemnisation du préjudice résultant d’une perte de chance.

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La question se pose de la manière suivante : lorsque par le fait d’une faute de l’administration, la victime a perdu une chance de se soustraire à un dommage, qui aurait pu néanmoins survenir si la faute n’avait pas été commise, le juge doit-il indemniser

- Le dommage tel qu’il survient,- ou seulement sa partie correspondant au pourcentage de

chance que la victime aurait eu d’y échapper si la faute n’avait pas été commise ?

Il y a eu sur ce point traditionnellement une divergence entre les juridictions judiciaires qui n’indemnisent que la part du dommage correspondant à la perte de chance et administratives qui indemnisent le dommage tel qu’il est survenu.

Puis progressivement, le Conseil d’Etat s’est aligné sur la position de la Cour de Cassation.

On peut observer deux temps dans cette évolution.

1. Manquement au devoir d’information et perte de chance

CE, Section, 5 janvier 2000, Consorts Telle, AJDA 2000.180 :

La Section du contentieux du Conseil d’Etat admet que le manquement commis par les praticiens d’un hôpital à leur devoir d’information du patient n’entraînait pour ce dernier que la perte d’une chance de se soustraire au risque qui s’est réalisé.

Dès lors la réparation du dommage résultant de cet acte devait être fixée à une fraction des différents chefs de préjudice, en fonction notamment du rapprochement entre, d’une part, les risques inhérents à l’acte médical et, d’autre part, les risques encourus en cas de renoncement à cet acte.

En d’autres termes, il appartient au juge, pour fixer le montant de l’indemnité, d’évaluer la probabilité qu’aurait eu le patient de refuser l’acte médical s’il avait été suffisamment informé des risques que ce dernier comportait.

La question de l’extension de cette solution à tous les cas de responsabilité hospitalière a ensuite été posée une première fois dans une affaire ayant donné lieu à une décision en date du 19 mars 2003, Centre hospitalier régional et universitaire de Caen (Rec. Lebon 138).

Le CE a néanmoins réaffirmé son attachement au raisonnement traditionnel conduisant à indemniser le préjudice lié au dommage corporel alors même que seule une perte de chance d'éviter celui-ci pouvait être démontré.

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2. L’étendue de la réparation de la perte de chance

CE, Sect., 21 décembre 2007, Centre hospitalier de Vienne, n°289328, RFDA 3/2008.348, concl. T. Olson ; AJDA 2008, p. 135

Les faits : M. Joncart avait été opéré dans un établissement de santé privé des conséquences d’un glaucome post-traumatique.

Ressentant des douleurs violentes à son œil opéré, il s’était rendu à deux reprises au service des urgences du centre hospitalier de VIENNE, sans qu’un traitement efficace lui soit prescrit ou administré.

C’est seulement lors de sa troisième visite qu’a été diagnostiquée une endophtalmie brutale et qu’il lui a été administré le traitement antidiurétique par voie veineuse approprié en pareille hypothèse, mais trop tard pour empêcher que l’intéressé perde totalement la vision de son œil droit.

De l’expertise diligentée par le tribunal administratif de GRENOBLE, il ressortait que le diagnostic définitif d’endophtalmie aurait dû être posé lors de la deuxième consultation de M. Joncart au centre hospitalier et que, si le traitement antibiotique par voie générale veineuse avait été administré à ce moment, l’intéressé aurait eu une probabilité évaluée par l’expert à 3 chances sur 10 de conserver l’adhésion de son œil droit.

Sur la base de ces constatations, le TA avait reconnu l’existence d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’hôpital ; toutefois, cette faute ayant seulement privé l’intéressé d’une chance d’éviter la cécité de son œil droit, il n’avait alloué à la victime qu’une indemnité correspondant aux 3/10 èmes de son préjudice corporel total.

Saisie par les deux parties au litige, la CAA de LYON avait censuré ce raisonnement en mettant à la charge du centre hospitalier de VIENNE, conformément à la jurisprudence, la réparation de l’entier préjudice subi par M. Joncart du fait de la perte de la vue de son œil droit.

C’est notamment cette conséquence que contestait le centre hospitalier dans son pourvoi formé contre l’arrêt de la CAA devant le Conseil d’Etat, qui était donc, une nouvelle fois invité à réexaminer la pertinence de sa jurisprudence traditionnelle en la matière.

La Section du Contentieux a accepté de revenir sur cette jurisprudence, en jugeant que :

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« Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d’un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d’obtenir une amélioration de son état de santé ou d’échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l’établissement et qui doit être intégralement réparé n’est pas le dommage corporel constaté mais la perte de chance d’éviter que ce dommage soit advenu », de sorte que « la réparation qui incombe à l’hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminé en fonction de l’ampleur de la chance perdue (…)

La décision censure donc le raisonnement de la CAA de LYON et, réglant l’affaire au fond, approuve le TA de GRENOBLE d’avoir limité l’indemnité allouée à M. Joncart à 3/10èmes du préjudice total lié au dommage corporel subi par lui.

Cette décision appelle les observations suivantes.

- Sur le plan théorique, il est plus satisfaisant, du point de vue du principe du droit de la responsabilité, d’admettre qu’est seul réparable le préjudice direct et certain constitué par la perte d’une chance, et non le préjudice résultant de dommages corporels effectivement subis, au prix d’un accommodement trop voyant avec l’exigence de causalité directe.

Il convient d’ajouter, qu’il n’y a pas dans les modalités d’indemnisation adoptées par cette décision, aucune entorse au principe de réparation intégrale, car c’est bien l’intégralité de la valeur de la chance perdue qu’il s’agit, par le biais d’un calcul de probabilité, d’évaluer.

- Sur un plan pratique, le raisonnement retenu par la Section permet, s’agissant des intérêts légitimes en présence, d’atteindre un point d’équilibre plus satisfaisant que celui qui prévalait jusqu’à présent, en mettant un terme à la logique du « tout ou rien » qui le caractérisait.

La technique consistant à indemniser les seules chances perdues est bien adaptée à un domaine – la médecine – où, compte tenu de l’irréductible incertitude qui affecte les actes accomplis, prédomine l’obligation de moyens.

Or, du point de vue de la responsabilité civile, obliger à une réparation intégrale lorsque la faute commise a seulement fait perdre une chance de guérison ou de survie, c’est, d’une certaine manière, mettre à la charge du médecin l’obligation de résultat.

A l’inverse, il n’est pas non plus souhaitable que des fautes incontestables ne donnent lieu à aucune responsabilité.

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En effet, l’indemnisation de la privation d’une chance se présente effectivement comme le seul moyen qui s’offre au juge de sanctionner une illégalité.

Cela étant dit, il convient également de retenir de cet arrêt les modalités et le raisonnement sur lesquels se base le Conseil d’Etat pour évaluer le préjudice subi.

Le Conseil d’Etat considère en effet que la perte d’une chance d’éviter ce dommage doit être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l’ampleur de la chance perdue.

* Il faut aussi s’interroger sur la portée de cette décision notamment sur les conséquences pratiques de l’extension prévisible du raisonnement probabiliste dans le domaine de la responsabilité médicale.

A cet égard, il convient de relever que le raisonnement adopté par le Conseil d’Etat ne devra pas être suivi dans au moins deux hypothèses qui sont loin d’être théoriques :

- celle d’une part où les chances perdues étaient tellement élevées qu’il est possible de regarder la perte de l’avantage que la réalisation aurait procuré comme certaine ; dans cette hypothèse, le juge accepte d’indemniser la perte de chance en considérant qu’il s’agit d’un gain manqué ;

- celle, d’autre part, où les chances étaient trop faibles pour être raisonnablement quantifiables, auquel cas ces chances devront être regardées comme non sérieuses et le préjudice résultant de leur part seulement éventuel.

Sur l’extension du raisonnement probabiliste à d’autres branches de la responsabilité administrative : voir LA JURISPRUDENCE RELATIVE AUX PERTES DE CHANCE D’AVANCEMENT DES AGENTS PUBLICS

SECTION 4LA CAUSALITE

Pour que la responsabilité de l’administration soit engagée, il faut également qu’existe un lien de causalité direct entre le fait dommageable et le préjudice invoqué (§1er), ce qui pose le problème de l’établissement (de la preuve par la victime) de ce lien (§2) et qu’aucune cause d’exonération ne vienne s’interposer entre les deux (§3).

§1er : Le caractère direct du lien de causalitéLe juge exige que la victime établisse le lien de causalité directe entre le fait générateur du dommage et le préjudice

CE, 3 octobre 2008, Cie AXA, req. n° 309677, AJDA 13 oct. 2008.1856 : exigence du lien direct de causalité entre préjudice et durée excessive d’une procédure.

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Dans la plupart des cas, l’existence d’un lien de causalité directe ne pose aucun problème. Elle est évidente.

Parfois cependant les circonstances sont plus complexes, plusieurs faits s’étant conjugués pour produire le dommage.

La question est alors de savoir comment on établit le lien de causalité et son caractère direct.

Tout dépend de la conception de la causalité que l’on adopte. On va donc exposer la conception de la causalité que retient le juge administratif avant d’examiner certaines modalités particulières de sa mise en œuvre.

A - La conception de la causalité retenue par le juge administratif

Au plan théorique, il existe trois conceptions de la causalité.

La théorie de la cause la plus proche consiste à retenir comme cause du dommage le fait qui a précédé immédiatement la survenance de celui-ci.

La théorie de l’équivalence des conditions consiste à retenir comme cause du dommage tous les faits qui ont concouru à sa réalisation.

Entre ces deux solutions extrêmes, le juge administratif opte pour une troisième théorie plus nuancée qui est celle de la causalité adéquate, qui consiste à retenir comme cause du dommage le fait qui avait normalement vocation à le produire.

Le juge prend donc en compte uniquement la ou les causes déterminantes du dommage, celles qui avaient vocation à générer ce type de conséquences.

Tel est le cas, par exemple, de :

CE, Sect, 7 mars 1969, Établissements Lassailly et Bichebois, AJDA 1969 p. 288 chron. : Salle de cinéma situé à proximité d’une place en cours de goudronnage ; les moquettes de ces salles ont été maculées de taches de goudron ; le préjudice découle directement de l’opération de travaux publics dans la mesure où le passage par cette place constituait « l’itinéraire normal emprunté par de nombreux piétons ». Cela illustre bien la recherche par le juge administratif de la causalité adéquate

- CE, 20 novembre 1985, Ibanez, Rec. Lebon, p. 330 ; AJDA 1986 p. 79, chron. Hubac et Azibert et 114, concl. F. Delon : Absence de causalité adéquate dans un cas de non-exécution d’un arrêté

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d’expulsion et un délit d’extorsion de fonds opéré un an plus tard par la personne non expulsée.

- CE, Sect., 14 octobre 1966, Marais, Rec. Lebon, p. 548 ; D 1966, p. 636, concl. Y. Galmot.

B- La mise en œuvre de la conception de la causalité adéquate

- La recherche de la cause adéquate se manifeste notamment au travers de la prise en compte du temps écoulé entre un fait et le dommage auquel il a contribué.

Si un délai relativement long s’est écoulé, le juge refuse de considérer le lien de causalité comme établi.

CE, Sect, 21 mars 1969, Dame Montreer, Rec. Lebon, p. 186 ; AJDA 1969 p. 288, chron. Dewost et Denoix de Saint Marc : la causalité adéquate n’est pas établie entre la délivrance d’une autorisation de détention d’armes et un meurtre commis trois ans plus tard au moyen de cette arme.

CE, 20 novembre 1985, Dame Ramade, Rec. Lebon, p. 147 ; AJDA 1985 p. 568, obs. L.R. ; JCP G 1986, n° 20603, note Crozafon : lors d’un transfert de détenu, pas de lien de causalité entre la faute qui permet une évasion et les meurtres commis 48 jours plus tard par l’évadé.

Mais la longueur du délai écoulé entre la faute de l’administration et la réalisation du préjudice ne remet pas toujours en cause la chaîne de la causalité adéquate s’il existe une chaîne ininterrompue

CE, Sect, 29 avril 1987, Banque populaire de la région économique de Strasbourg, Rec. Lebon, p. 158 ; AJDA 1987 p. 454, chron. Azibert et de Boisdeffre ; JCP G 1988, n° 20920, note B. Pacteau : Permissions de sortie. Vols à main armée deux mois plus tard. Mais le vol incriminé n’est que la suite d’une chaîne ininterrompue de vols perpétrés depuis la sortie de prison. La causalité est donc bien établie avec le fait de l’administration engageant sa responsabilité sans faute.

- Le lien de causalité est également interrompu lorsqu’un élément s’interpose dans la chaîne de causalité .

Par exemple, lorsque le maire a opposé un refus de permis de construire qui se révèle illégal et, en tant que tel annulé, et que le propriétaire redemande un permis et qu’il se le voit refuser parce que la règle d’urbanisme a changé entre temps : entre le refus illégal et le préjudice consistant dans la perte de valeur du terrain, s’est interposée la modification de la règle d’urbanisme légalement intervenue.

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TA Lyon, 14 décembre 2006, Soc. STEF-TFE, AJDA 2 juillet 2007, p. 1312, concl. G. Gondouin : La responsabilité de l’Etat était engagée sur le fondement de la faute, le préfet ayant imposé à une ICPE bénéficiant du régime de l’antériorité des prescriptions affectant le gros-œuvre et impliquant un changement considérable dans le mode d’exploitation, ce que le décret interdisait. Le préfet faisait valoir cependant que la fermeture de l’établissement aurait pu être prononcée par décret compte tenu de sa dangerosité. Le TA juge que « le fait qu’une autre autorité administrative aurait pu légalement, au terme d’une procédure distincte, prendre une décision de portée différente, ne permet ni de neutraliser l’illégalité commise par le préfet, ni de rompre le lien de causalité entre la faute et la préjudice subi, ni de faire perdre à ce dernier son caractère certain   ; qu’ainsi, une telle alternative, qui n’aurait pas été de nature à priver la société de tout droit à réparation, ne peut exonérer l’Etat de sa responsabilité ».

§2 : L’établissement de la causalité

En principe, c’est à la victime qu’il appartient de démontrer le lien de causalité entre le fait générateur du dommage et le dommage (CE, Sect., 26 novembre 1976, Delle Dussol, Rec. Lebon, p. 519 ; CE, 22 juin 1992, Lemettre, req. n° 73243, RD publ. 1993.266), et ce même dans le système de la responsabilité sans faute (CE, 29 novembre 1967, Blanchard, RD publ. 1968.680 ; CE, 20 mars 1981, Denier, req. n° 19121).

A priori, la présomption - qui joue pour l’identification de la faute - n’a pas vocation à jouer en matière de causalité.

Néanmoins, dans le contexte général dans lequel s’inscrit l’évolution du droit de la responsabilité, les présomptions aident parfois le juge à l’établissement de la causalité et donc à l’imputabilité du dommage.

Il faut, par ailleurs, revenir sur la perte de chance, au regard cette fois du lien de causalité.

A –La présomption de causalité

Il en a été ainsi à propos de l’imputabilité de la sclérose en plaques au vaccin contre l’hépatite B.

CE, 9 mars 2007, Nadine Schwartz, D 2007.2205 : note Laurent Neyret ; B. Defoort, Incertitude scientifique et causalité : la preuve par présomption. Le traitement juridictionnel du doute et l’exigence de précautions dans son application, RFDA 4/2008.549 : Dans cette affaire, une infirmière avait fait l’objet d’une vaccination obligatoire contre le virus de l’hépatite B dans l’établissement hospitalier de Sarreguemines dans lequel elle était employée.

Peu après chacune des injections (une première injection en mai 1991 puis un rappel en mars 1996), elle a manifesté des symptômes de la sclérose

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en plaques, ce qui ne lui était jamais arrivé auparavant. Sa demande d’indemnisation ayant été rejetée par l’hôpital, elle saisit le juge administratif.

En première instance, le tribunal avait considéré que le lien de causalité entre la maladie et la vaccination contre l’hépatite B n’était pas établi.

La problématique n’est, en effet, pas tranchée par les scientifiques.

La Cour de Cassation semble en tirer la conséquence « qu’en l’état des connaissances scientifiques actuelles, le risque lié à la vaccination contre l’hépatite B n’est pas avéré » et, d’autre part, que « l’existence d’un lien causal entre la vaccination et la survenue de la maladie et d’un éventuel défaut de sécurité du produit ne pouvait se déduire du seul fait que l’hypothèse d’un risque vaccinal non démontré ne pouvait être exclu » (Civ. 1ère, 27 février 2007, n° 06-10.063).

Plus généralement, les juridictions ont jugé un peu dans tous les sens sur cette question (v. B. Defoort, art. préc.).

Mais le CE juge que quand bien même aucun lien de causalité ne peut être scientifiquement prouvé, celui-ci doit être considéré comme juridiquement établi, en l’absence de preuve contraire, dès lors qu’il existe des indices concordants dans les circonstances de l’espèce.

« Considérant qu'en vertu de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, l'agent hospitalier bénéficiant d'un congé de maladie conserve l'intégralité de son traitement, lorsque la maladie est imputable au service et a droit au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par cette maladie ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport d'expertise du professeur Warter, que Mme A, qui n'avait manifesté aucun symptôme de sclérose en plaques antérieurement aux injections vaccinales contre l'hépatite B réalisées dans le cadre de son activité professionnelle, a fait l'objet de deux injections de rappel de vaccination en mars 1991 et en mars 1996, et qu'elle a été victime en mai 1991 d'une névrite optique et en mai 1996 d'une paralysie régressive du membre supérieur droit, relevant toutes deux de la symptomatologie de la sclérose en plaques ; que, par lettre du 29 octobre 2001, le directeur général de la santé a proposé à Mme A une indemnisation au titre de la responsabilité de l'Etat du fait des vaccinations obligatoires, sur le fondement des dispositions de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique, après avoir relevé que la commission nationale de règlement amiable des accidents vaccinaux avait « (…) considéré au vu des éléments du dossier que la vaccination contre l'hépatite B pouvait être regardée comme un facteur déclenchant de (son) état de santé » et qu'elle avait «(…) ainsi retenu une imputabilité directe de (ses) troubles à (sa) vaccination » ; qu'ainsi, dès lors que les rapports d'expertise, s'ils ne l'ont pas affirmé, n'ont pas exclu l'existence d'un tel lien de causalité, l'imputabilité au service de la sclérose en plaques dont souffre Mme A doit, dans les circonstances particulières de

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l'espèce, être regardée comme établie, eu égard, d'une part, au bref délai ayant séparé l'injection de mars 1991 de l'apparition du premier symptôme cliniquement constaté de la sclérose en plaques ultérieurement diagnostiquée et, d'autre part, à la bonne santé de l'intéressée et à l'absence, chez elle, de tous antécédents à cette pathologie, antérieurement à sa vaccination ; que, par suite, c'est à tort que le directeur du centre hospitalier général de Sarreguemines a rejeté la demande de l'intéressée tendant à ce que soit reconnue l'imputabilité au service de sa maladie ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, Mme A est fondée à demander l'annulation de la décision du 27 juin 2002 du directeur du centre hospitalier général de Sarreguemines (…) ».

Mais la causalité n’est pas établie si un délai long s’est écoulé entre l’administration du vaccin et l’apparition des premiers symptômes de la maladie.

B - Causalité et perte de chance

On rappellera ici que l’indemnisation de la perte de chance revient, d’une certaine manière, à présumer le lien de causalité.

CAA BORDEAUX, 15 janvier 2008, Centre hospitalier d’AGEN, n° 05BX01753, AJDA, 7 avril 2008, p. 703, note J.M. VIE

Les parents d’un enfant ayant subi des lésions irréversibles lors d’un accouchement dystocique sont fondés à demander l’indemnisation du préjudice en résultant lorsqu’en l’absence de circonstances d’extrême urgence, la sage femme qui est intervenue s’est abstenue de faire appel à un médecin pour procéder à l’accouchement contrairement à l’obligation qu’impose l’article L.4151-3 du CSP.

Le lien de causalité est systématiquement retenu entre le handicap de l’enfant et la faute qui a provoqué la perte de toute chance de bénéficier de l’intervention d’un médecin apte à pratiquer les actes nécessités par l’état de l’enfant dystocique.

Voir aussi CAA BORDEAUX, 25 avril 2006, GUECHCH ATI, n°05BX01593.

§3 : Les causes d’exonération

Bibliographie : I. Doumbia, « Les causes exonératoires de la responsabilité de l’administration dans la jurisprudence du Conseil d’Etat », RRJ 2003, p. 343.

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Malgré l’existence d’un lien direct de causalité, il n’y aura pas de responsabilité de l’administration si celle-ci peut se prévaloir d’une cause d’exonération. Les causes d’exonération sont la force majeure, le cas fortuit, le fait de la victime et le fait d’un tiers.

A - La force majeure

Bibliographie : F. Lemaire, « La force majeure, un évènement irrésistible », RD publ. 1999, p. 1723. 

1) Eléments constitutifs de la force majeure

La force majeure, c’est-à-dire le fait étranger à l’administration, imprévisible et irrésistible produit en droit administratif les mêmes effets qu’en droit privé : il est exonératoire de la responsabilité tant dans le régime de la responsabilité pour faute que dans celui de la responsabilité sans faute.

Le juge administratif se montre très rigoureux dans l’appréciation de ces conditions (CE, 4 avril 1962, Min. des Transports, AJDA 1962, p. 592, concl. G. Braibant).

Il n’admet qu’elles se trouvent réalisées que dans des cas exceptionnels, généralement à propos d’événements naturels qui ne se sont pas produits depuis de très nombreuses années.

CE, 14 mars 1986, Commune de Val d’Isère, AJDA 1986 p. 300, chron. : Des avalanches ne présentent pas les caractères de la force majeure alors qu’elles se sont produites trois fois au moins depuis 1917 sur les mêmes lieux ;

CAA Lyon, 13 mai 1997, Balusson et Mutuelle du Mans, Droit adm. 1997 chr. n° 14 L. Erstein : Un orage d’une rare violence qui s’est produit le 14 juillet 1987 et a causé des inondations catastrophiques sur le territoire de la Commune de Grand-Bornand où deux cours d’eau sont sortis de leur lit et ont causé le décès de 23 personnes ne constitue pas un cas de force majeure en raison du fait que de telles inondations se sont déjà produites au cours du siècle et notamment en 1936 ; arrêt annulant le jugement du TA de Grenoble.

CE, 28 juillet 2006, MAIF, M. Gouletquer, AJDA 20 nov. 2006, p. 2198 : une tempête n’est pas un cas de force majeure.

Pour un exemple d’admission de la force majeure : CE, 23 janvier 1981, Ville de Vierzon, RD publ. 1982. 227).

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2) Effets de la force majeure

L’exonération est totale si elle constitue la cause exclusive du dommage.

Elle est partielle si elle a contribué avec le fait du défendeur à la réalisation du dommage. C’est le cas par exemple lorsque la faute de l’administration aggrave les conséquences dommageables de la survenance de la force majeure).

B - Le cas fortuit

Bibliographie : F-P. Benoit, « Le cas fortuit dans la jurisprudence administrative », JCP 1956, n° 1328 ; Ph. Segur, « Cas de force majeure et cas fortuit », RD publ. 1993, p. 1385.

Le cas fortuit se rapproche de la force majeure en ce qu’il est, comme elle, imprévisible et irrésistible.

Il s’en distingue néanmoins en ce qu’il n’est pas extérieur à l’administration. Ce n’est pas réellement une cause étrangère, c’est simplement la démonstration que le préjudice est causé par un fait de l’administration qui reste inconnu et donc qui ne saurait constituer une faute de sa part.

Le type même en est l’accident mécanique dont la cause demeure inconnue : CE, 10 mai 1912, Ambrosini, S 1912.III.161, note Hauriou: explosion d’un navire de guerre dans la rade de Toulon.

Cela explique que le cas fortuit soit exonératoire dans les systèmes de responsabilité pour faute prouvée, car la cause étant inconnue, la faute de l’administration ne peut, par définition, être établie.

En revanche, il n’est exonératoire

- ni dans la responsabilité sans faute : CE, Ass., 9 juillet 1948, Capot et Denis, RD publ. 1948, p. 576, note M. Waline ;

- ni dans la responsabilité pour faute présumée : CE, Ass, 22 octobre 1971, Ville de Fréjus, relatif à la rupture du Barrage de Malpasset. Cause inconnue : rupture due à l’expulsion de la roche à l’aval immédiat du barrage sous la pression de l’eau. Mais ni vice de conception, ni défaut d’entretien.

C - Le fait de la victime

Bibliographie : J. Moreau, L’influence du comportement de la victime sur la responsabilité administrative, Thèse Rennes 1956.

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Le fait de la victime est une cause d’exonération dans tous les systèmes de responsabilité.

1) Une admission large.

Au contraire de la précédente, il s’agit d’une cause d’exonération admise assez aisément. Cela s’explique par la démarche du juge administratif pour qui l’intérêt général et un souci bien compris d’économie des deniers publics aboutissent à identifier, avec une facilité parfois déconcertante, une faute de la victime.

Le fait de la victime est totalement ou partiellement exonératoire selon l’importance causale de celui-ci face aux agissements de l’administration dont la responsabilité est recherchée.

Le fait de la victime va consister en une faute constituée par une négligence ou une maladresse.

2) Faute de la victime et risque accepté.

Certains auteurs rattachent le risque accepté à la faute de la victime : fait que la victime a pris sciemment un risque dont le dommage constitue la réalisation (v. supra, théorie du risque accepté ; CE, Sect. 11 avril 1975, Département de Haute Savoie, AJDA 1975 p. 528 concl. D. Labetoulle : le fait d’emprunter un chemin de montagne exposé aux avalanches ; ou encore achat d’une propriété près d’une rivière par une personne qui sait que le cours de cette rivière va être détourné).

3) Refus d’identifier une faute de la victime.

- CE 17 juin 1998, Epoux Pham, Rec. p. 237 (v. aussi, CE, 30 mars 1979, Moisan, AJDA 1979, n° 12, p. 30) : Le Conseil d’Etat a retenu la seule faute de la commune, à l’exclusion de toute faute de la victime qui était un enfant dans le cas d’un accident survenu dans un parc public. L’enfant avait heurté une margelle de granit, construite à proximité d’un toboggan et sans aucune utilité pour le fonctionnement de celui-ci. Le juge rejette toute faute de la victime dans les termes suivants :

« Considérant, en revanche, qu’en regardant comme fautif et de nature, en conséquence, à atténuer la responsabilitéd e la commune le fait pour la victime, alors âgée de huit ans, d’avoir remonté le toboggan à contre sens avant d’opérer une manœuvre de retournement au sommet, la Cour a procédé à une qualification erronée du comportement du jeune Pham ; qu’en caractérisant le défaut de surveillance de l’enfant par la circonstance que celui-ci était confié à la garde de son frère et de sa sœur, âgés respectivement de 15 et 14 ans, la Cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis »

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- CAA Lyon, 15 mai 2007, M. D, AJDA 23 juillet 2007, p. 1470, note E. Kolbert :

« Si l’obligation qui s’impose à titre général pour le médecin de respecter la volonté du malade l’empêche, sauf exception de soumettre ce dernier à un traitement ou des examens contre la volonté éclairée librement exprimée de celui-ci, il n’appartient en revanche qu’au médecin lui-même de déterminer les mesures qu’appelle l’état du malade, sans qu’en aucune façon il ne puisse accepter de se voir imposer la mise en œuvre d’une thérapeutique par la personne malade, quelle que soit la qualité de celle-ci ; que, par suite, la responsabilité du service hospitalier ne saurait être atténuée au motif qu’un acte médical dommageable à été sollicité par le malade lui-même ».

La solution résulte de ce que l’architecture de la loi du 4 mars 2002 (art. L. 1111-4 du CSP) distribue les rôles respectifs du médecin et du patient de manière à donner au patient dûment informé le pouvoir de s’opposer au traitement qui lui est proposé, mais en laissant au médecin la décision médicale de la mette ou non en œuvre, une fois le consentement obtenu.

Voir aussi :

CAA NANCY, 27 septembre 2007, Commune de BLAINVILLE SUR L’EAU, RGCT 2007, n°42, p. 305, note M.F. DELHOSTE : la faute de la victime exonératoire de la responsabilité de la commune.

D- Le fait d’un tiers

Il s’agit de tout fait fautif ou non, imputable à un tierce personne et qui a contribué à la réalisation du dommage.

1) La notion de tiers 

Ne peuvent être considérés comme tiers les membres d’une famille d’accueil qui ont infligé mauvais traitement et sévices à un enfant mineur placé dans le cadre du service public de l’aide sociale à l’enfance : CE, Sect., 13 octobre 2003, Melle Vinot (Droit adm. 2003, n° 250): ils ne sont pas tiers dans la relation entre le département et le mineur placé.

2) Effets de l’existence d’un fait du tiers

- Le fait d’un tiers est exonératoire en matière de responsabilité pour faute prouvée.

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Il produit selon les cas une exonération totale ou partielle de l’administration.

Mais chaque responsable du dommage - le tiers et l’administration - n’est tenu que pour sa part ; il n’y a pas de responsabilité in solidum avec l’administration (sauf, on l’a vu, lorsque la responsabilité de celle-ci est recherchée pour le fait de son agent).

Dans cette hypothèse, la victime est donc obligée d’agir à la fois contre l’administration devant la juridiction administrative et contre le tiers devant les tribunaux judiciaires. La solution est critiquable car elle comporte le risque d’une divergence d’appréciation entre les deux juridictions saisies (elle est opposée à celle proposée en droit privé).

- En revanche, le fait d’un tiers est sans influence en matière de responsabilité sans faute. Il n’y joue aucun rôle exonératoire.

- Il en va de même en matière de responsabilité pour faute présumée.

SECTION 4LE DROIT A REPARATION

Le droit à réparation de la victime peut être spontanément reconnu par l’administration. Mais, il arrive également que celui-ci ne soit reconnu qu’au terme d’une action en responsabilité. Il convient donc de préciser l’étendue du droit à réparation (§1er), les modalités de la réparation (§2) et de rechercher enfin sur qui pèse la réparation (§3).

§1er : L’étendue de la réparation

Ainsi qu’on l’a dit, la règle en droit administratif est celle de la réparation intégrale du préjudice. Elle est la même qu’en droit civil.

Cependant en elle-même, cette règle ne signifie pas grand chose. Pour l’apprécier à sa juste valeur, il faut connaître ses conditions de mise en œuvre ; à savoir : - La date d’évaluation du préjudice ;- Le régime des déductions.

A- La date d’évaluation du préjudice

Le problème est ici de savoir à quelle date le juge doit se placer pour évaluer le préjudice : celle de sa survenance ou celle du jugement (qui peut intervenir plusieurs années après).

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C’est une question qui présente donc un intérêt pratique important, surtout dans les périodes d’inflation monétaire.

Traditionnellement, le juge administratif n’admettait de ne prendre en compte que la valeur du préjudice à la date de sa survenance. Il faisait ainsi peser les risques de dépréciation monétaire et d’augmentation des coûts sur la victime et non sur la puissance publique.

Cette position contraste avec la solution adoptée par la Cour de Cassation selon laquelle le juge judiciaire doit évaluer le dommage au jour du jugement.

La jurisprudence apporte cependant des correctifs à cette solution, par ailleurs maintenue dans son principe.

Ils résultent de trois arrêts de principe CE, 21 mars 1947, Veuves Aubry, Lefèvre et Pascal (GAJA ; RD publ. 1947. 198 note G. Jèze) qui distinguent entre les dommages aux biens et les dommages aux personnes.

1) Les dommages aux biens mobiliers ou immobiliers

Il résulte de l’arrêt Veuve Pascal que le principe ancien de l’évaluation à la date de survenance du préjudice subsiste.

Mais ce principe est assorti d’un correctif selon lequel si, pour une cause indépendante de sa volonté, la victime n’a pas été en mesure de faire procéder immédiatement à la réparation du préjudice, l’évaluation de celui-ci est reportée à la date où l’exécution de ces travaux est devenue possible.

N.B. : Cela permet de mettre en évidence le fondement de cette jurisprudence administrative : faire en sorte que les victimes de dommages causés aux biens réparent immédiatement ceux-ci, sans attendre le versement d’une indemnité par l’administration. S’ils ne le font pas, ils assumeront les conséquences de la dépréciation monétaire. Par contre, il était équitable qu’ils n’en assument pas les risques lorsque les propriétaires des biens endommagés étaient dans l’impossibilité de procéder à la réparation de ceux-ci.

Cette impossibilité de procéder à la réparation peut être d’ordre technique (dommage non stabilisé), juridique (obstacle d’ordre réglementaire) mais aussi, ce qui est plus important, d’ordre financier : Pour bénéficier de cette jurisprudence, la victime doit établir qu’elle a fait toute diligence pour emprunter les fonds nécessaires ou démontrer que sa situation financière était telle qu’elle ne pouvait de toute façon pas emprunter (CE, 21 mars 1947, Cie générale des eaux ; CE, 6 mars 1987, Mme Haurillon).

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Cette jurisprudence est très critiquée par la doctrine et notamment par le Professeur Chapus qui lui reproche d’avoir pour conséquence de faire naître de la survenance du dommage une obligation, pour la victime, celle de réparer matériellement son préjudice. Or, il est anormal qu’un dommage soit, pour celui qui le subi, source d’obligation.

Au surplus, cette jurisprudence s’accompagne d’une seconde limite selon laquelle l’indemnité due ne peut jamais excéder un plafond qui est la valeur vénale du bien à la date du sinistre.

Pour le juge judiciaire, à l’inverse, le plafond d’indemnisation est constitué par la valeur de remplacement du bien au moment où il statue.

2) Les dommages aux personnes

La solution posée par les arrêts Veuves Aubry et Lefevre consiste dans un revirement de jurisprudence et dans la reconnaissance de la nécessité d’évaluer le préjudice à la date de la décision du juge car celui-ci doit tenir compte de « l’ensemble des éléments connus à la date du règlement ».

Cela signifie que doivent être retenues comme base d’évaluation non pas les ressources dont disposait la victime à la date de l’accident, mais celles dont elle aurait disposé à la date du jugement (en tenant compte par exemple de l’augmentation des salaires et des traitements intervenue entre-temps).

Cette solution appelle un certain nombre de précisions :

1ère précision : La date de la décision à prendre en compte est celle de la décision de l’administration ou du juge de première instance, tout au moins si cette décision a correctement évalué le préjudice et reconnu le droit à indemnité.

Si aucune évaluation satisfaisante du préjudice n’a encore été réalisée, la date d’évaluation à prendre en compte pourra alors être celle où la CAA statue.

2ème précision : Si la victime tarde sans raison à présenter sa demande, la date d’évaluation sera celle où le juge aurait du statuer si la victime avait fait tout diligence ; le manque de célérité de la victime ne saurait lui profiter.

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3ème précision : Cette évaluation du préjudice pourra, s’il y a lieu, être minorée par la prise en compte des déclarations fiscales de la victime contribuable (notamment pour déterminée son revenu normal…).

B - Les déductions

Une fois le préjudice évalué, le juge peut être amené à déduire de son montant certaines sommes.

Il déduit ainsi les sommes versées par les caisses de sécurité sociale, employeurs, ou les compagnies d’assurance.

S’il s’agit de dommages aux biens : il ampute le montant de l’indemnité de la plus-value qui peut par ailleurs être apportée aux biens : cas des travaux publics.

CE, 21 janvier 2008, AUBERTIN et ENGELMANN, n°280488, AJDA 31 mars 2008, p. 663 : Prise en compte des avantages tirés par les riverains de la construction d’un ouvrage public, en l’espèce, le métro toulousain.

S’agissant de dommages aux personnes : le juge diminuera l’indemnité due à la victime si celle-ci présentait une prédisposition physiologique (une maladie ou une invalidité préexistante) que le dommage n’a fait qu’aggraver.

§2 : Les modalités de la réparation

A- L’indemnité principale

1) La réparation est effectuée par équivalent, c’est-à-dire qu’elle prend la forme d’une indemnité en argent.

Le juge ne se reconnaît pas le droit de prononcer des condamnations à des réparations en nature, car cela reviendrait à adresser une injonction de faire à l’administration, ce à quoi il se refuse. Le juge peut tout au plus (et il le fait parfois) laisser le choix à l’administration entre réparation en nature et réparation par équivalent.

2) La réparation par équivalent peut se traduire de deux manières

- soit par l’octroi d’un capital versé en une seule fois ;

- soit par l’octroi d’une rente payable mensuellement ou annuellement. Ce dernier système est surtout pratique en cas de dommages corporels.

La pratique des rentes est devenue plus acceptable depuis que le Conseil d’État a admis le principe d’indexation des rentes dans un arrêt (CE,

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Sect. 12 juin 1981, C.H de Lisieux, Rec. Lebon, p. 262 ; concl. Mme Moreau ; AJDA 1981 p. 470, chron.).

B - Les indemnités accessoires

En plus de l’indemnité principale, la victime a droit à des indemnités dites accessoires.

Il s’agit en premier lieu des intérêts moratoires, calculés au taux légal et destinés à réparer le préjudice résultant du retard (éventuel mais très fréquent en fait) avec lequel l’indemnité principale est versée.

Ces intérêts moratoires obéissent à l’article 1153 du Code civil, directement applicable en matière administrative. Ils sont dus, qu’ils soient demandés ou non, et ils peuvent l’être à tout moment, y compris pour la première fois en appel.

S’ils sont demandés, ils courent à compter du jour où la victime a présenté pour la première fois sa demande d’indemnité soit au juge, soit à l’administration.

S’ils ne sont pas demandés, leur taux correspond au taux légal majoré de 5 points à compter de l’expiration d’un délai de deux mois à partir de la date à laquelle le jugement de condamnation a été notifié aux parties.

Il peut également être demandé au juge de procéder à la capitalisation des intérêts (c’est-à-dire à leur intégration dans le capital pour qu’ils portent également intérêt) : il faut qu’elle soit demandée et qu’à la date de la demande, il soit dû au moins une année d’intérêts.

Le juge peut également, et en deuxième lieu, condamner la partie perdante au paiement de frais irrépétibles sur le fondement de l’article L. 761-1 du Code de la Justice administrative. Le juge procède de la sorte, en toute équité, lorsqu’il parait inéquitable de laisser à la charge de la partie qui a gagné des sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens. Les juges de l’ordre administratif peuvent alors condamner l’autre partie à lui payer le montant d’une somme qu’elles déterminent.

Enfin, le juge peut prononcer le remboursement de certains frais engagés par la victime tels les frais d’expertise.

§3 : La charge de la réparation

Bibliographie : P. Amselek, « La détermination des personnes publiques responsables », Etudes de droit public 1964, p. 289.

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Le dommage n’est réparable que pour autant qu’on peut l’imputer au fait d’une personne publique déterminée.

La mise en œuvre de ce principe appelle cependant plusieurs précisions dans des cas où la question de l’imputation peut soulever une difficulté.

A - L’administration ne peut être responsable que de son fait

Le juge fait application du principe général selon lequel l’administration n’est responsable que des actes qui lui sont directement reprochés ou encore des dommages qui sont de son fait.

- Exemples,

Il appartient à la commission de contrôle des assurances, des mutuelles et des institutions de prévoyance (CCAMIP) à laquelle le législateur a, par l’article 30 de la loi du 1er août 2003 de sécurité financière, conféré la personnalité morale, d’assumer les conséquences des actions en responsabilité qui pourraient être engagées contre elle à l’occasion des fautes commises dans l’exercice de ses missions (CE, Ass. gén., avis du 8 septembre 2005, Droit adm. mai 2006, n° 89).

La commune ne peut être déclarée responsable lorsque le permis modificatif qu’elle a délivré n’est annulé que par voie de conséquence de l’annulation du permis initial délivré par l’Etat (CAA Nantes, 30 décembre 1999, Sté Pierre Noury).

- Pour les mêmes raisons, l’Etat français ne peut se voir imputer la responsabilité d’un préjudice causé par la mise en œuvre d’un acte communautaire.

Les autorités nationales sont chargées de mettre en œuvre le droit communautaire. Le problème de la répartition de la responsabilité entre les Communautés et les Etats membres pour les dommages causés à l’occasion ou dans le cadre de cette mise en œuvre se pose donc.

Il est tranché de la manière suivante par la CJCE et le Conseil d’Etat.

1 ère hypothèse  : L’Etat membre n’a pas correctement exécuté la norme communautaire valide : la responsabilité de l’Etat est seule susceptible d’être mise en cause ;

2 ème hypothèse  : L’exécution nationale a été régulière, mais c’est la norme communautaire qui était irrégulière. La Communauté est seule responsable.

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CE, Sect., 12 mai 2004, Soc. Gillot, Droit adm. 2004, n° 133 et n° 153, note Ch. Guillard : Les autorités nationales avaient scrupuleusement respecté une décision de la Commission interdisant la sortie de certains produits laitiers des départements de l’Orne et de la Mayenne à la suite de la découverte de cas fièvre aphteuse. Le Conseil d’Etat considère donc que seule la responsabilité de la Communauté peut être engagée.

NB : le requérant invoquait également la responsabilité sans faute de l’Etat pour rupture de l’égalité devant les charges publiques : pour les mêmes motifs, son recours est rejeté.

Voir aussi : CAA Lyon, 28 juillet 2005, M. Meyer, req. n° 99LY02601, AJDA 2005, p. 2143 : Rejet de la demande du liquidateur d’une société qui exerçait l’activité de commissionnaire en douane supprimée par une loi du 17 juillet 1992 s’agissant des échanges intracommunautaires car la loi s’est bornée, sans faire usage d’aucun pouvoir d’appréciation, à mettre en œuvre la directive n° 91-680 du Conseil.

3 ème hypothèse  : Un concours de fautes conduit au dommage : dans ce cas, la responsabilité de l’Etat et celle de la Communauté peut être engagée par un mécanisme complexe (v. D. Simon, Le système juridique communautaire, PUF 2001, n° 475).

Voir aussi infra, CE, 2 octobre 1981, GIE Vipal, Lebon, p. 347 

B - La charge de la réparation incombe à la personne publique dont dépend le service (la personne ou la chose) qui a causé le dommage.

Cette personne est en général facile à identifier.

Il arrive que la loi le détermine : par exemple, en application de la loi du 1er

juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire créant l’établissement français du sang (art. 18), cet établissement a repris l’ensemble des obligations des hôpitaux résultant de contaminations transfusionnelles, notamment dans toutes les instances à la date de sa création ou introduites ultérieurement (CE, 30 novembre 2007, Centre Hospitalier de Clermont-Ferrand, AJDA 2008.311, et dans la même affaire, CE, 8 août 2008,req. n° 282986, AJDA 6 oct. 2008. 1841, concl. J-Ph. Thiellay).

Quelques difficultés peuvent cependant se produire :

1) Cas du mandat

CE, 25 février 1987, Soc. Louis Dreyfus, Lebon, p. 71 ; CAA douai, 8 novembre 2001, ONIC, n° 98DA011848 : Les fautes commises par les

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organismes d’intervention agricole ne peuvent engager que la responsabilité de l’Etat dès lors qu’ils agissent au nom et pour le compte de celui-ci.

2) Cas du « dédoublement fonctionnel » 

C’est le cas lorsqu’une même personne est susceptible d’agir pour le compte de plusieurs collectivités publiques.

- Cette situation concerne souvent le maire qui agit tantôt comme agent de la commune, tantôt comme agent de l’Etat).

Dans cette hypothèse, on considérera qu’est engagée la responsabilité de la personne pour le compte de qui l’agent a agi.

TA Nice, 6 avril 2007, société AXA France IARD c/ Préfet des Alpes Maritimes, req. n° 0403694, AJDA 30 juillet 2007, p. 1535, concl. F. Dieu : La délivrance par le maire d’un certificat de vie à une personne dont il n’a pas au préalable vérifié l’identité et qui a profité de cette carence pour usurper l’identité d’un parent engage la responsabilité de l’Etat.

L’exercice du service de l’état civil assuré par le maire sur le fondement des dispositions de l’article 2122-32 du CGCT est placé sous le contrôle du seul juge judiciaire : TC, 17 juin 1991, Mme Maadjel, Rec. Lebon, p. 465.Mais le juge administratif est compétent pour statuer sur une demande tendant à engager la responsabilité de l’administration à raison de la délivrance de certificats de vie.Imputabilité : Lorsqu’il délivre un certificat de vie, le maire agit-il en tant qu’autorité de l’Etat ou en tant qu’exécutif de la commune ?C’est en tant qu’autorité de l’Etat que le maire délivre des actes de l’état civil. Il peut donc, le cas échéant, engager la responsabilité de l’Etat (CA Dijon, 4 février 2003, Trong-Hong C/ Pras) et dans ce domaine le juge judiciaire est seul compétent pour juger de l’action du maire en tant qu’officier d’état civil.

En l’espèce, s’agissant d’un certificat de vie, il ne peut être regardé comme une décision prise en matière d’état civil, le juge administratif est par conséquent compétent pour connaître des fautes commises par le maire à raison de la délivrance ou de l’absence ou de l’absence de délivrance de ce document. Mais dans la mesure où le certificat de vie s’apparente à un document d’état civil, le maire agit bien en le délivrant en tant qu’autorité de l’Etat et ne peut donc engager que la responsabilité de l’Etat.

Problème annexe : La demande avait été adressée au maire de la commune et non au préfet. Mais application de l’article 20 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : « lorsqu’une demande est adressée à une autorité administrative incompétente, cette dernière la transmet à l’autorité administrative compétente et en avise l’intéressé. Le délai au terme duquel est susceptible d’intervenir une décision implicite de rejet court à compter de la date de réception de la demande par l’autorité initialement saisie… » : il résulte de ces dispositions que la demande adressée à une autorité administrative incompétente est

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susceptible de faire naître une décision implicite de rejet de la part de l’autorité compétente à laquelle la demande est réputée avoir été transmise.

- Mais il existe évidemment de multiples cas de « dédoublement fonctionnel ».

CE, 11 juin 2003, Université Louis Pasteur, Droit adm. 2003, n° 225 : la faute commise par un professeur d’université, praticien hospitalier qui s’était opposé à la venue en stage dans son service d’un interne en formation, a été commise dans le cadre de l’exercice des fonctions hospitalières. Dès lors seule la responsabilité de l’hôpital, à l’exclusion de celle de l’université est engagée.

3) Cas de la collaboration entre services 

Lorsqu’une collectivité est responsable d’un service, elle doit répondre de la faute résultant de l’absence de fonctionnement ou du mauvais fonctionnement de ce service, alors même qu’elle aurait bénéficié de la collaboration d’une autre collectivité.

Ainsi lorsque la lutte contre l’incendie était affaire de la commune avant la loi du 3 mai 1996, c’était la commune lieu du sinistre qui était responsable des dommages causés par les services de lutte contre l’incendie, même si ces services étaient ceux d’une commune voisine ou d’un service départemental venus lui prêter main forte (CE, 12 juin 1953, Rec. Lebon, p. 283 ; CE, 13 mars 1963, Service départemental de recours et d’incendie de l’Aisne, Rec. Lebon, p. 159).

NB : Depuis sur le fondement de l’article 34 du décret du 6 mai 1988 relatif à l’organisation générale des services d’incendie et de secours, c’est le service départemental qui est responsable lorsqu’il est amené à intervenir : CAA Lyon, 17 décembre 2001, Service départemental d’incendie et de secours de l’Yonne (Droit adm. 2002, n° 133) : en cas d’intervention du SDIS, la carence à prévenir une reprise de feu lui est pleinement imputable.

4) Cas des services mis à disposition 

Consécutivement à la décentralisation, le maire dispose gratuitement des services extérieurs de l’Etat pour effectuer certaines missions (par exemple, l’instruction des permis de construire ou l’élaboration des documents d’urbanisme).

Se pose donc la question de savoir quelle est la personne publique qui doit supporter la charge définitive de l’indemnisation lorsque la décision de l’administration – par exemple, la délivrance ou le refus de délivrance d’un permis de construire - a causé un dommage.

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Principe. Seule la responsabilité de la commune peut être recherchée dès lors que les services extérieurs mis à disposition agissent sous l’autorité du maire.

Cette solution vaut alors même que la mise à disposition donne lieu à l’établissement d’une convention qui ne peut être assimilée à un contrat de louage d’ouvrage (v. infra)

CE, 27 octobre 2008 n° 297 432

Considérant que, par un jugement du 7 décembre 2004, le tribunal administratif d'Orléans a condamné la COMMUNE DE POILLY-LEZ-GIEN à verser à M. Gilles A la somme de 22 180,83 euros en réparation des conséquences dommageables de l'illégalité d'un certificat d'urbanisme délivré le 8 novembre 2000 par le maire de cette commune ; que la cour administrative d'appel de Nantes, saisie par le ministre de l'équipement, a annulé par un arrêt du 16 mai 2006 ce jugement en tant qu'il condamne l'Etat à garantir la commune à hauteur de 50 p. cent des condamnations prononcées ; que la COMMUNE DE POILLY-LEZ-GIEN se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 421-2-6 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : « Le maire ou le président de l'établissement public compétent peut disposer gratuitement, et en tant que de besoin, des services déconcentrés de l'Etat pour effectuer l'étude technique de celles des demandes de permis de construire sur lesquelles il a compétence pour l'instruction et la décision et qui lui paraissent justifier l'assistance technique de ces services. Pendant la durée de cette mise à disposition, les services et les personnels agissent en concertation permanente avec le maire ou le président de l'établissement public qui leur adresse toutes instructions nécessaires pour l'exécution des tâches qu'il leur confie » ; qu'aux termes de l'article R. 490-2 du même code, alors en vigueur : « Le conseil municipal (...) peut décider de confier par voie de convention l'instruction des autorisations et actes relatifs à l'occupation du sol à une collectivité territoriale, à un groupement de collectivités territoriales ou au service de l'Etat dans le département, chargé de l'urbanisme (...) » ;

Considérant que les conventions conclues à titre onéreux et en dehors de toute obligation entre l'Etat et les collectivités territoriales pour confier aux services déconcentrés de l'Etat des travaux d'études, de direction et de surveillance de projets de ces collectivités sont des

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contrats de louage d'ouvrage dont l'inexécution ou la mauvaise exécution est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat dans les conditions de droit commun ; que n'ont en revanche pas ce caractère les conventions de mise à disposition des services de l'Etat prévues par les dispositions spécifiques des articles précités L. 421-2-6 et R. 490-2 du code de l'urbanisme, qui sont conclues à titre gratuit et sont de droit lorsque les communes le demandent ; que les services de l'Etat mis à disposition agissant dans le cadre de ces conventions en concertation permanente avec le maire, qui leur adresse toutes instructions nécessaires pour l'exécution des tâches qui leur sont confiées, en vue de l'exercice de compétences d'instruction et de décision qu'il conserve, la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée à ce titre qu'en cas de refus ou de négligence d'exécuter un ordre ou une instruction du maire ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que la convention du 30 mars 1984 mettant gratuitement à disposition de la COMMUNE DE POILLY-LEZ-GIEN les services déconcentrés de la direction départementale de l'équipement du Loiret pour l'étude technique des demandes de certificat d'urbanisme, conclue en application des dispositions des articles L. 421-2-6 et R. 490-2 du code de l'urbanisme, ne constituait pas un contrat de louage d'ouvrage et que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée envers la commune que dans le cas où un agent de l'Etat aurait commis une faute en refusant ou négligeant d'exécuter un ordre ou de se conformer à une instruction du maire, la cour administrative d'appel de Nantes, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas commis d'erreur de droit (…) ».

Exception. La jurisprudence retient néanmoins la responsabilité de l’Etat sur la base de la faute simple lorsque l’un de ses agents mis à disposition a refusé ou négligé d’exécuter un ordre ou une instruction du maire (CAA Bordeaux (form. plén.), 8 avril 1993, Mme Desfougères et 8 avril 1993, Ronchi, Dr. adm. 1993, n° 364 ; ADJA 1993, p. 750, chron. J.-C. B., p. 709).

Pour des cas où la responsabilité de l’Etat vis-à-vis de la commune a été retenue pour les fautes commises par ses services mis à disposition :

CE, 29 octobre 1997, Commune de Toulouges, RFD adm. 1997, p. 1342.

A propos des documents d’urbanisme :

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CE, Sect., 21 juin 2000, Ministre de l’Equipement et des Transports c/ Commune de Roquebrune-Cap-Martin, Rec. Lebon , Rec. Lebon, p. 236 ; Droit adm. 2000, n° 195 et 242, note L. Touvet ; Construction-Urbanisme 2000, n° 257, obs. D. Larralde ; RD publ. 4-2000, p. 1257, concl. ; RD imm. 2000, p. 553, obs. J. M.-D. ; RFD adm. 2000, p. 1096, note P. Bon ; BJDU 2000, p. 191, concl. ; JCP N, juin 2002, n° 1204, p. 469 ; Etudes foncières, n° 89, janv.-févr. 2001, p. 3 ; Revue du Trésor, n° 6, juin 2001, p. 392 ;

TA Nice, 8 octobre 1992, Goletto, DS 1994, Somm., p. 99, obs. H. Charles.

5) Cas du concours facultatif des services de l’Etat pour le compte d’une collectivité locale dans le cadre d’un contrat de louage d’ouvrage 

On est ici confronté à la question de ce que l’on appelle « l’ingénierie publique », c’est-à-dire l’intervention des services techniques de l’Etat pour la mise en œuvre de projets communaux, les communes ne disposant pas de services techniques et ne désirant pas recourir à des entreprises privées dans le cadre d’une mise en concurrence.

L’article 1er du décret du 13 avril 1961 fixant les conditions d’exercice du concours technique du service des Ponts et Chaussées en matière de voirie des collectivités locales dispose : « Lorsque sur décision de l’assemblée délibérante, le service des Ponts et Chaussées est chargé du service de la voirie communale, sa mission comprend sous l’autorité du maire … la direction des travaux de grosses réparations et d’entretien en régie ou à l’entreprise … et de manière générale, toutes diligences nécessaires à une bonne et complète gestion ».

Cette convention par laquelle une collectivité locale et l’Etat conviennent de confier au service des Ponts et Chaussées des travaux d’études, de direction et de surveillance des projets, est un contrat de louage d’ouvrage dont l’inexécution ou la mauvaise exécution engage, sauf stipulations expresses contraires, la responsabilité de l’Etat (CE, 2 octobre 1968, Commune de La-Chapelle-Vieille-Forêt, Rec. Lebon, p. 471) .

Lorsqu’un dommage survient du fait d’un ouvrage public réalisé dans ces conditions, la question se pose de savoir dans quelles conditions la collectivité locale, maître d’ouvrage dont la responsabilité est engagée par la victime peut appeler le service de l’Etat en garantie.

Sur ce point, la jurisprudence a évolué.

1 er temps  :

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CE, Sect., 28 mai 1971, Ville de Saint-Jean-de-Maurienne, Rec. Lebon, p. 404 ; AJDA 1971, p. 533, chron. D. Labetoulle et P. Cabanes ; JCP 1971, II, 16874 : Le CE avait décidé que la responsabilité contractuelle de l’Etat ne pouvait être engagée par la collectivité qu’en cas de faute d’un agent de la DDE refusant ou négligeant d’exécuter un ordre de l’autorité municipale.

Il est vrai qu’au plan strictement juridique, le décret du 13 avril 1961 disposait que la mission était réalisée sous l’autorité du maire. Il n’en reste pas moins qu’en pratique, ce sont bien les ingénieurs de la DDE qui exercent la réalité des prérogatives du maître d’ouvrage.

Autrement dit, la solution consistait à aménager un régime de responsabilité favorable à l’Etat alors même que son pouvoir de direction est déterminant en la matière.

2 ème temps  :

Cette solution est remise en cause par CE, Sect., 12 mai 2004, Commune de la Ferté-Milon, RFD adm. 2004, p. 1183, concl. E. Glaser ; AJDA 2004, p. 1378, note J-D. Dreyfus : Le CE casse pour erreur de droit l’arrêt de la CAA de Nancy qui avait fait application de la jurisprudence précitée et juge que l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat de louage d’ouvrage engage la responsabilité de l’Etat dans les conditions du droit commun.

6) Action de l’Etat français pour le compte de la Communauté européenne

CE, 2 octobre 1981, GIE Vipal, Lebon, p. 347 : A propos d’un litige portant sur des restitutions à l’importation. Le CE juge que les autorités chargées par le gouvernement français de participer à l’exécution des engagements internationaux de la France, notamment en s’acquittant, sur le territoire national, des missions confiées aux Etats membre par le Traité CEE ou par les réglements émanant des organes de cette Communauté, agissent en qualité d’autorités nationales et relèvent, sous réserve des questions préjudicielles posées par l’interprétation ou la validité de ces règlements, de la juridiction des tribunaux français.

Cette solution s’explique par le fait que les Etats membres sont responsables de la mise en œuvre, sur leur territoire de la politique agricole commune et qu’ils disposent pour ce faire d’une marge d’appréciation dans laquelle les instances communautaires ne sauraient nullement s’immiscer.

TA Paris, 18 avril 2008, Soc. Korn-Og Foderstof Kompagniet, AJDA, 24 nov. 2008.2185, concl. C. Villalba : Lorsqu’ils s’acquittent des missions d’approvisionnement gratuit en produits agricoles à destination

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de pays tiers décidées par les instances communautaires, les organismes nationaux d’intervention agissent au nom et pour le compte de la Commission. Les fautes éventuellement commises par ces organismes n’engagent pas la responsabilité des Etats membres, mais celle de la Communauté européenne selon les règles de procédure et de fond qui lui sont propres (voir dans la même affaire, TPI, 9 octobre 2002, Hans Fuchs Versandschlachterei KG, aff. T-134/01 et 10 février 2004, Calberson GE, aff. T-215/01, T-220/01 et R-221-01).

C- Lorsque le dommage a été causé à l’administré par un acte de tutelle, la responsabilité incombe-t-elle à la collectivité sous tutelle ou à l’Etat qui exerce cette tutelle ?

F. DIEU : le pouvoir de substitution d’action du préfet en matière de police administrative n’engage que rarement la responsabilité de l’Etat : droit administratif 2008, n°1 p. 23.

La réponse dépend du procédé de tutelle mis en œuvre.

- Cas où l’autorité de tutelle s’est substituée à l’autorité sous tutelle, elle est censée avoir agi pour le compte de celle-ci. C’est par conséquent cette dernière qui est responsable du dommage (CE, 24 juin 1949, Commune de Saint-Servan, Rec. Lebon, p. 310).

- Cas où l’exercice de la tutelle ne s’analyse pas en une substitution d’action, la responsabilité incombe à l’Etat (CE, 14 décembre 1962, Doublet, Rec. Lebon, p. 580 ; AJDA 1963, p. 1001, chron. ; D 1963, p. 117, concl. Combarnous).

- Il faut rappeler par ailleurs, que l’Etat peut être responsable de la carence du préfet à exercer son pouvoir de substitution au maire dans l’exercice de son pouvoir de police générale : CE, 25 juillet 2007, Société France Télécom, Soc. Axa Corporate Solutions assurances, req. n° 283000 et Min. d’Etat, Min. de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire, req. n° 293882, AJDA 3 sept. 2007, p. 1557 confirmant CAA Versailles, 19 mai 2005, Min. de l’Intérieur c/ France Télécom, Droit adm. juillet 2005, n° 107 ; AJDA 2005, p. 1565, note G. Péllissier.

D - L’administration ne peut supporter la charge de la réparation lorsque les dommages sont le fait de particuliers extérieurs à elle.

Ce principe souffre toutefois quelques exceptions dans des contextes particuliers.

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1 èr cas  : La jurisprudence traditionnelle écarte en principe la responsabilité de l’administration pour les dommages causés par ses concessionnaires de service public ou de travaux publics.

Mais d’une part, la responsabilité du concessionnaire et celle de la personne publique peuvent se cumuler : CAA Marseille, 26 mai 2008, M. Faas, n° 06MA00329, AJDA, 1er déc. 2008.2246 : responsabilité solidaire de l’Etat et de la Chambre de commerce en sa qualité de concessionnaire du port de Bastia, le premier n’ayant pris aucune disposition pour prévenir le danger encourus par les usagers dans la zone d’amarrage des bateaux. Mort de Mme Faas par rupture d’une amarre.

D’autre part, la responsabilité de la personne publique peut venir se substituer à celle du concessionnaire, à titre subsidiaire,

- En cas d’insolvabilité du concessionnaire (CE, 18 mai 1979, Association Urbanisme judaïque Saint Seurin, Rec. Lebon, p. 218 ; RD publ. 1979, p. 1481, concl. M.A. Latournerie ; CE, 7 juin 1985, Epoux Dupré, RD publ. 1986, p. 933)

- et, plus généralement, de tout particulier gérant un service public (CE, 13 novembre 1970, Ville de Royan, Rec. Lebon, p. 683 ; RD publ. 1971, p. 740, concl. G. Braibant ; CE, 21 avril 1982, Dame Daunes, Rec. Lebon, tables, p. 745 ; D 1983, IR, p. 316, obs. F. Moderne et P. Bon).

2 ème cas  : Le juge administratif accepte de substituer la responsabilité de l’administration à celle de personnes privées auteurs de dommages lorsque celles-ci ont des liens particulièrement étroits avec la collectivité publique

- A propos d’associations gestionnaires de colonies de vacances : CE, 17 avril 1964, Commune d’Arcueil, Rec. Lebon, p. 230 ; D 1965, 45, concl. Combarnous ; AJDA 1964, p. 290, chron. ; CE, 26 février 1982, Epoux Birem, Rec. Lebon, tables, p. 745 ;

- A propos des ASSU : CE, 2 février 1979, Min. de l’agriculture c/ Gauthier, Rec. Lebon, p. 38 ; AJDA 1979, n° 11, p. 48, concl. J. Dondoux ;

- V. aussi, CE, 23 mars 1983, SA Bureau Veritas, D 1984, IR, p. 345, obs. F. Moderne et P. Bon ; CE, 21 mars 1980, Vanderiele, Rec. p. 161, concl. D. Labetoulle ; AJDA 1980, p. 413, chron. ; RTDSS 1980, p. 263, note F. Moderne.

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