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JL 05/06 – 2 PC F:\Documents and Settings\Julien\Mes documents\Chimie\chimie cours\cours orga 2006\O4-Bcarbonylés 2006v1.doc CHAPITRE 4 COMPOSÉS CARBONYLÉS Partie B : réactivité en position α du groupe carbonyle

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JL 05/06 – 2 PC

F:\Documents and Settings\Julien\Mes documents\Chimie\chimie cours\cours orga 2006\O4-Bcarbonylés 2006v1.doc

CHAPITRE 4

COMPOSÉS CARBONYLÉS

Partie B : réactivité en position α du groupe carbonyle

2 CLASSES DE COMPOSÉS ORGANIQUES

1. ACIDITÉ EN POSITION αααα DU GROUPE CARBONYLE

L’expérience montre que les composés carbonylés peuvent présenter un caractère acide s’ils possèdent au moins un atome d’hydrogène sur l’atome de carbone en position α du groupe carbonyle, à condition que l’espèce déprotonée puisse être plane. Dans cette section, nous étudions la mise en évidence de cette acidité, ainsi que deux transformations qui la mettent en jeu. La section suivante s’intéresse à un autre volet de cette réactivité, l’équilibre céto-énolique.

1.1. Mise en évidence de l’acidité des composés ca rbonylés � par exemple, par spectroscopie de RMN du noyau d’hydrogène, nous observons la disparition progressive du signal des noyaux des atomes d’hydrogène

Dissolvons de la propanone dans de l’eau lourde 2D O , où nous avons préalablement introduit un petit morceau de sodium, pour obtenir une solution basique contenant des ions DO− . Nous observons � que tous les atomes d’hydrogène de la propanone sont rapidement remplacés par des atomes de deutérium. Ils sont donc relativement acides puisque la propanone est susceptible d’être déprotonée par les ions DO− ou, ce qui revient au même, les ions hydroxyde :

H3C CH3

O

D2O /DO−

− DOH

D3C CD3

O L’acidité d’un aldéhyde ou d’une cétone est notable sans être extraordinaire puisque la valeur du ApK du couple composé carbonylé/base conjuguée est aux alentours de 20. Elle est néanmoins suffisante pour se manifester en solution aqueuse, même si un composé carbonylé est un acide indifférent dans l’eau.

Dans d’autres conditions, il est possible d’isoler à l’état solide un cristal contenant la base conjuguée du composé carbonylé et un contre cation. Ainsi, la déprotonation quantitative de la 2,2-diméthyl-1-phénylpropan-1-one par l’hydrure de potassium conduit à un composé [figure O4B.1] qui possède les caractéristiques suivantes :

planéité locale autour de l’enchaînement C C O− − ,

caractère nucléophile partagé entre l’atome d’oxygène et l’atome de carbone qui a perdu l’atome d’hydrogène. La charge négative étant essentiellement portée par l’atome d’oxygène, l’espèce est appelée « anion énolate ».

Un tel anion est un composé ambidente puisqu’il possède deux sites de réactivité.

CPh C

H

O

CH3H3C

KH, THF

− H2

O

CH3

CH3Ct-Bu

C C

O

CCH3

CH3

Ph , K+

Figure O4B.1 – structure géométrique de l’anion énolate

NOTE : nous verrons dans la section suivante que l’énolate est aussi la base conjuguée de l’énol.

[4] Composés carbonylés – réactivité en position α 3

1.2. Structure de l’anion énolate

Méthode de la mésomérie

Au vu des informations expérimentales, nous pouvons représenter l’anion énolate par l’ensemble des deux formules mésomères [figure O4B.1].

L’anion énolate est caractérisé par une forte délocalisation électronique, responsable de sa stabilité particulière et, par conséquent, de la relativement forte acidité de l’atome d’hydrogène correspondant. Nous comprenons donc pourquoi un composé de ce type qui ne pourrait pas être plan ne peut exister, ce qui fait que le composé carbonylé parent ne présente aucun caractère acide.

A priori, la formule mésomère à poids statistique maximal est celle où la charge négative est portée par l’atome d’oxygène plus électronégatif.

Structure électronique dans la méthode Hückel simpl e

Dans le formalisme des orbitales moléculaires, intéressons-nous au système des quatre électrons π délocalisés sur les atomes de carbone et d’oxygène de l’anion éthénolate. Ce système est formellement analogue à celui de l’énol correspondant [voir plus loin, section 2], à ceci près que l’atome d’oxygène est chargé négativement. Les théoriciens admettent qu’il suffit, pour tenir compte de cette légère modification structurale, de modifier les valeurs des paramètres standard Oα et C O−β , prenant les valeurs respectives

(O )1,75−α = α + β et

C (O )0,8−−

β = β .

NOTE : ce type de modification apportée dans ces paramètres permet aussi de simuler l’influence du cation (cation polarisant, fortement lié à l’énolate, par rapport à cation peu polarisant et énolate libre) et du solvant (solvant protogène, énolate solvaté par liaison hydrogène, ressemblant à l’énol par rapport à solvant polaire non protogène, énolate quasi « nu »).

coefficient ija de l’orbitale jφ sur l’atome j dans l’OM iψ

Énergie atome O (1) atome 2C atome 3C

OM 1Ψ 2,13α + β 0,88 0,42 0,20

OM 2Ψ 0,73α + β 0,42 − 0,54 − 0,73

OM 3Ψ 1,11α − β 0,20 − 0,73 0,65

charge nette /jq e − 0,92 0,06 − 0,15

Tableau O4B.1 – Caractéristiques électroniques de l’ion éthénolate

Les résultats du calcul sont présentés dans le tableau O4B.1. Le niveau HO de l’énolate correspond à l’orbitale 2Ψ , le niveau BV à l’orbitale 3Ψ . Dans l’orbitale 2Ψ , « responsable » des propriétés nucléophiles de l’énolate, l’atome de carbone 3C a un coefficient plus élevé que l’atome d’oxygène et nous pouvons penser que les électrophiles se fixeront sur cet atome si l’évolution du système est sous contrôle orbitalaire (donc nécessairement sous contrôle cinétique).

O

CC

1

23

HO de l'anion énolate

4 CLASSES DE COMPOSÉS ORGANIQUES

1.3. Déprotonation quantitative d’un composé carbo nylé

Les composés carbonylés ayant en générale un caractère acide très faible, il faut utiliser une base assez forte pour en réaliser la déprotonation quantitative, comme les hydrures alcalins ou les amidures encombrés (cyclohexylamidure ou diisopropylamidure de lithium – LDA). Rappelons que la valeur du ApK du couple amine/amidure est de l’ordre de 35.

ATTENTION ! La déprotonation quantitative des aldéhydes n’est pratiquement jamais mise en oeuvre, car ces composés donnent des réactions rapides avec l’énolate formé, en particulier l’aldolisation que nous étudierons plus loin dans ce chapitre.

1.4. Généralisation : carbanion en αααα de groupe attracteur

De nombreux composés présentent des propriétés acides comparables à celles des aldéhydes ou cétones, notamment les composés β-dicarbonylés et tous les composés du type 2R C(H) Z− où Z est un groupe attracteur comme les groupes C N≡ ou C O= .

Il est clair que si le carbanion est substitué par des groupes capables de disperser la charge négative initialement localisée, la stabilité de l’entité est augmentée. En particulier, une délocalisation électronique importante, modélisée le plus simplement possible par la mésomérie, entraîne une forte stabilité de l’anion et donc la possibilité d’une déprotonation quantitative en milieu aqueux. Il en est ainsi pour la pentane-2,4-dione (ou acétylacétone) : la valeur du ApK du couple acide-base correspondant est voisin de 8 et l’acétylacétone est quantitativement déprotoné par la soude aqueuse [ figure O4B.2]. Signalons aussi le cas du tricyanométhane 3H C(CN)− qui est un acide fort, ce qui n’est pas si courant en chimie organique !

C C

O O

H

CC

C

O O

H H

CC

OO

H

HO

− H2OC

O

H

C

O

Figure O4B.2 – Déprotonation quantitative de la pentane-2,4-dione

Les composés β-dicarbonylés vont être fréquemment utilisés pour leur caractère potentiellement nucléophile sur l’atome de carbone central, comme nous le verrons dans le chapitre 5, section 1, à propos de la « synthèse malonique ».

1.5. Régiosélectivité de la déprotonation

Si le composé possède plusieurs sites énolisables, se pose le problème de la

N Li

diisopropylamidure de lithium (LDA)

[4] Composés carbonylés – réactivité en position α 5

régiosélectivité de la déprotonation. Les résultats dépendent du type de contrôle sous lequel se trouve l’évolution du système.

Sous contrôle cinétique, l’énolate majoritaire correspond à l’atome d’hydrogène le plus facile à arracher, donc le plus dégagé stériquement et le plus acide.

Sous contrôle thermodynamique, l’énolate majoritaire est le plus stable, correspondant à la double liaison C C= la plus substituée dans la formule mésomère énolate. Dans le cas où l’un des énolates est plus conjugué que l’autre, c’est le plus conjugué qui est majoritaire.

Ces points délicats, à la marge de notre programme, ne peuvent être abordés qu’en exercice.

2. ALKYLATION DE L ’ANION ÉNOLATE

2.1. Bilan de la transformation

La transformation consiste à remplacer, dans un composé carbonylé, un atome d’hydrogène porté par l’atome de carbone en α du groupe carbonyle par un groupe alkyle, comme sur l’exemple présenté ci-après de l’alkylation de la 2-méthyl-1-phénylpropan-1-one.

C

O

H3C CH3

rendement 88 %

Br

1) NaH, benzèneC

O

CH3

H CH3 2)

2,2,5-triméthyl-1-phénylhex-4-én-1-one

2

2.2. Mécanisme schématique

La première étape est la déprotonation de la cétone énolisable sur l’atome de carbone 2. La seconde étape est une réaction de substitution nucléophile bimoléculaire sur le 1-bromo-3-méthylbut-2-ène (de type N 2S ). Nous avons ainsi augmenté la taille de la chaîne carbonée et conservé une molécule fonctionnalisée.

2.3. Difficultés présentées par l’alkylation de l’ anion énolate

Plusieurs difficultés surviennent lors de la mise en œuvre de l’alkylation des ions énolate, malgré la simplicité apparente de l’exemple précédent.

6 CLASSES DE COMPOSÉS ORGANIQUES

• Régiosélectivité de la formation de l’ion énolate sur des cétones non symétriques

Si la cétone possède deux sites énolisables, la réaction d’alkylation est possible sur les deux sites, comme dans l’exemple suivant, où n’ont été indiqués que les composés résultant d’une monoalkylation :

+

53 %

CO

CH3

CO

CH3

1) LDA, THF, 20 °CC

O

I CH32)

47 %

Dans ce cas, les spécialistes ont pu montrer que la composition du mélange des anions énolate était la même que celle des composés obtenus.

• Polyalkylation

Si la cétone possède deux atomes d’hydrogène énolisables sur le même atome de carbone, comme dans l’exemple ci-après, un composé dialkylé peut être obtenu en proportion notable. En effet, la cétone mono-alkylée peut réagir avec l’énolate de la cétone initiale – par réaction acide-base – pour donner un nouvel énolate qui, à son tour, est alkylé.

38 %27 %

+1,2-diméthoxy-éthane (DME)

NaH I CH3C

O

H

H

CO

H

CH3

CO

CH3

CH3

• Réaction d’élimination

Sur un composé halogéné encombré peut se produire, au lieu de la réaction de substitution, une réaction bimoléculaire d’élimination de type E2. En effet, il ne faut pas oublier que l’énolate est une base forte. Ainsi la réaction d’alkylation est réservée aux halogénométhanes, aux composés halogénés primaires et, à la limite, secondaires.

• Compétition entre C- et O-alkylation

L’énolate présente, nous l’avons montré, deux sites nucléophiles. Il y a dès lors compétition entre C-alkylation (la réaction que nous voulons mettre en œuvre) et la O-alkylation, avec formation d’un éther d’énol. Heureusement, la O-alkylation n’est majoritairement observée, pour des cétones énolisables, que dans des cas très particuliers. Ainsi, le traitement de l’énolate de la 1,1,1-triphénylpropanone par le bromoéthane, en solution dans le 1,5-diméthoxy-3-oxapentane (diglyme) conduit à la formation presque exclusive de l’éther d’énol :

[4] Composés carbonylés – réactivité en position α 7

Ph3CC

O

CH

H

EtBr

Ph3CC

OEt

CH

H

OO

2

Ph3CC

O

CH

H − Br

Le pourcentage de O-alkylation peut aussi devenir assez important sur des composés β-dicarbonylés.

Les résultats sont complexes et dépendent de très nombreux paramètres, comme la nature du contre-ion de l’énolate, le choix du solvant et du groupe partant sur le dérivé alkylant. Les résultats sont rassemblés [tableau O4B.2] dans un tableau de tendances.

NOTE : l’expérience montre que la réaction d’alkylation est pratiquement inutilisable sur les aldéhydes, par suite de la compétition avec la réaction d’aldolisation (voir sous-section suivante). Il faut préalablement transformer l’aldéhyde en énamine, homologue azoté d’un énol.

solvant cation composé alkylant

C-alkylation polaire protogène Li ⊕ composé iodé

O-alkylation polaire non protogène K⊕ tosylate ou sulfate

Tableau O4B.2 – Compétition entre C- et O-alkylation

En pratique, l’alkylation des énolates est souvent utilisée sur des composés β-dicarbonylés de type β-diesters où les problèmes de régiosélectivité se posent nettement moins, comme nous le verrons dans le chapitre 5. En ce qui concerne les cétones, il est souvent nécessaire d’employer des voies détournées mettant en jeu la protection ou l’activation d’un site réactionnel. Ce dernier point est abordé exclusivement en exercice.

2.4. Interprétation sommaire de la régiosélectivit é de l’alkylation

Les explications sont délicates, compte tenu du nombre de facteurs intervenant dans la réactivité de l’énolate. En général, les évolutions sont sous contrôle cinétique.

Nous avons constaté que l’atome de carbone de l’ion énolate possédait dans sa HO ( O 2 30,42 0,54 0,73p p p− − ) un gros coefficient, supérieur à celui de l’atome d’oxygène. Il est clair que sous contrôle orbitalaire, la réaction favorisée sera la C-alkylation.

En revanche, si l’évolution du système est sous contrôle de charge, l’électrophile se fixe sur l’atome d’oxygène, qui porte une charge négative plus importante que l’atome de carbone, pour conduire à une O-alkylation.

NOTE : pour essayer de rationaliser les résultats expérimentaux, plaçons-nous dans le modèle simplificateur HSAB. Le site dur de l’énolate est l’atome d’oxygène (plus électronégatif, plus chargé, moins polarisable), le site mou l’atome de carbone. Si l’énolate est libre – donc mal solvaté – dans un solvant polaire non protogène par exemple, en présence d’un cation mou comme l’ion potassium, nous pouvons penser que la réaction sera plutôt sous contrôle de charge. Le site réactionnel est alors l’atome d’oxygène et ce, d’autant plus que le réactif alkylant est dur, c’est-à-dire si la liaison C X− est peu polarisable. En revanche, si l’énolate est bien solvaté – dans un

8 CLASSES DE COMPOSÉS ORGANIQUES

solvant polaire protogène – ou si le cation est dur comme l’est l’ion lithium et se trouve donc très proche de l’atome d’oxygène, le site réactionnel est l’atome de carbone, surtout si l’électrophile est plutôt mou comme pour un dérivé alkylant polarisable tel qu’un composé iodé.

3. ALDOLISATION , CÉTOLISATION , CROTONISATION

3.1. Présentation

L’aldolisation (respectivement la cétolisation) correspond à la dimérisation d’un aldéhyde (respectivement d’une cétone) énolisable, comme dans l’exemple suivant de dimérisation du 2-méthylpropanal (l’un des fragments est en caractères grisés) :

HC

CCH3

O

H CH3

H2O , HO

∆, 3 heures

3-hydroxy-2,2,4-triméthylpentanal,2-méthylpropanal

HC

CCH3

O

H CH3

+

rendement 85 %

αβ

HC CH3

O

H3C CH3

OH

CH3

Selon la nature du composé carbonylé de départ, le composé obtenu est un β-hydroxyaldéhyde (aldol), ou une β-hydroxycétone (cétol). � REMARQUE : en général, les chimistes organiciens qualifient la transformation

d’aldolisation, que le substrat soit un aldéhyde ou une cétone.

La réaction possède les caractéristiques thermodynamiques suivantes :

l’aldolisation est favorable,

au contraire la cétolisation est défavorable : pour la propanone, le rendement en cétol est de 6 % à l’équilibre, à la température d’ébullition du réactif.

3.2. Mécanisme

Du point de vue cinétique, la dimérisation est catalysée par les acides ou les bases, mais seule l’étude de la catalyse basique est à notre programme. Nous pouvons proposer le mécanisme suivant (le fragment énolate est en caractères grisés) :

CH C

CH3

O

H CH3

HO CH C

CH3

CH3

O

A N

HC

O

CH C

O

CH3

H O

H3C HCH3 CH3

− H2O

[4] Composés carbonylés – réactivité en position α 9

CH C

O

CH3

H O

H3C HCH3 CH3− HO

H2OC

H C

O

CCH3

H OH

H3C HCH3 CH3

La première étape est une réaction acide-base, la seconde une addition nucléophile de l’énolate sur le composé carbonylé électrophile. La réaction acide-base entre l’alcoolate et l’eau conduit à l’aldol et régénère l’ion hydroxyde. Ce dernier peut donc être considéré comme un catalyseur, puisqu’il augmente la vitesse de la transfor-mation et n’apparaît pas dans l’équation de réaction.

L’étape déterminante est en général la formation de l’énolate. Le marquage isotopique permet de montrer que, dans le cas d’un aldéhyde, l’addition nucléophile est plus facile que la reprotonation de l’énolate. En revanche, c’est le contraire pour les cétones, car l’atome de carbone fonctionnel est moins électrophile que celui de l’aldéhyde.

NOTE : l’expérience montre que l’addition nucléophile de l’énolate sur le groupe carbonyle se fait exclusivement par le site carboné. Si l’évolution du système est sous contrôle thermodynamique, ce qui est usuellement le cas, on peut démontrer ce résultat que nous admettons.

Pour réaliser expérimentalement la cétolisation, il est nécessaire de déplacer l’équilibre, c’est le principe de l’appareillage de Soxhlet. Le principe de son fonctionnement est de ne pas laisser en contact le cétol et le catalyseur.

NOTE : en catalyse acide, on observe souvent une déshydratation in situ de l’aldol et la polymérisation de l’α-énone correspondante. Le mécanisme de l’aldolisation en présence d’acide – de Lewis ou de Brønsted – fait intervenir l’énol comme composé nucléophile, agissant sur le composé carbonylé protoné (ou complexé par l’acide de Lewis).

3.3. Crotonisation

Il s’agit de la déshydratation de l’aldol. L’appellation de cette transformation vient du nom trivial du produit de déshydratation de l’aldol de l’éthanal appelé « aldéhyde crotonique ».

Principe

Elle peut être réalisée de plusieurs manières, en milieux aqueux acide ou basique (ce qui, dans ce dernier cas, semble a priori surprenant) :

soit après isolement du dimère, comme le montre le bilan suivant.

C

OOH

H3CH3C

EtOH , HO , ∆C

O− H2O

4-hydroxy-4-méthylpentan-2-one 4-méthylpent-3-én-2-one,rendement 80 %

L’eau est distillée au fur et à mesure de sa formation, pour déplacer la transformation dans le sens de la formation des produits.

NOTE : dans certains cas, la dimérisation est réalisée en milieu basique et la déshydratation est ensuite effectuée en milieu acide. En effet, les conditions de déshydratation en milieu basique sont souvent plus dures : il faut chauffer et, souvent, distiller l’eau qui se forme pour déplacer l’équilibre

10 CLASSES DE COMPOSÉS ORGANIQUES

thermodynamique vers le produit. Mais nous avons signalé qu’en milieu acide, les conditions de la déshydratation sont souvent favorables à une polymérisation de l’α-énone.

soit directement à partir du composé carbonylé initial. Cette méthode est employée notamment à partir des aldéhydes, la déshydratation de l’aldol se faisant in situ à la suite de sa formation, comme dans l’exemple suivant :

hexanal 2-butyloct-2-énal, rendement 80 %

CHO

H2O, ∆

K2CO3C

H

O

2

� REMARQUE : comme le montre le bilan ci-après, la déshydratation est souvent spontanée lors d’aldolisations intramoléculaires.

cyclopentènecarbaldéhyde,rendement 62 %

C

O

H

hexanedial

H2O, ∆

KOHCC

H

O

O

H

Mécanismes

En milieu acide, il s’agit d’une déshydratation classique d’alcool, mettant en jeu le départ d’eau après protonation du groupe hydroxyle. Le mécanisme est en général de type 1E puisque les aldols sont souvent des alcools secondaires ou tertiaires. La réaction est un peu plus facile que sur les alcools ordinaires, en raison de la formation d’une double liaison C C= conjuguée avec la double liaison C O= , ce qui confère une plus grande stabilité à l’alcène obtenu et donc augmente la vitesse du processus. En outre, l’atome d’hydrogène est plus acide, du fait de la présence du groupe carbonyle.

La déshydratation en milieu basique est, au premier abord, surprenante. En effet, nous avons appris que les alcools ordinaires ne se déshydrataient pas en milieu basique, par suite de la mauvaise aptitude nucléofuge du groupe hydroxyle. Il existe donc un phénomène particulier dans le cas des β-hydroxycarbonylés. La déprotonation de l’espèce précède le départ du groupe partant et le mécanisme est ici du type 1 ,E CB éq(4).En effet, l’atome d’hydrogène en β du groupe hydroxy peut ici être arraché par une base, car il se forme la base conjuguée d’un composé carbonylé, stabilisée par délocalisation électronique :

− H2O

HOC

CC

OOH

H H

CC

C

OOH

H

− HOC

O

(4) Il s’agit d’un mécanisme d’élimination faisant intervenir la formation de la base conjuguée du substrat (conjugate base) qui subit l’élimination, avec une première étape renversable (d’où « éq » comme équilibre) et une seconde étape mono- moléculaire (d’où l’indice 1), difficile et renversable.

[4] Composés carbonylés – réactivité en position α 11

Le départ de l’ion hydroxyde est facilité par la formation de la double liaison conjuguée et il est certainement assisté par l’intermédiaire du réseau des liaisons hydrogène.

L’ion hydroxyde peut être considéré comme un catalyseur, comme lors de la formation de l’aldol. Néanmoins les conditions de réaction sont souvent dures, comme nous l’avons indiqué (il faut chauffer), compte tenu de la faible aptitude nucléofuge de l’ion hydroxyde.

3.4. Complément : aldolisation croisée

Il s’agit de la réaction d’aldolisation (ou de cétolisation) qui est observée lorsque sont mis en présence deux composés carbonylés différents dont l’un au moins est énolisable. A priori, si les deux composés sont énolisables, plusieurs réactions sont envisageables : ainsi, le mélange d’éthanal et de propanal en milieu basique aqueux conduit à la formation de quatre produits en proportions statistiques, résultant de l’action de l’un des énolates sur l’un ou l’autre des composés carbonylés, comme le montre la figure O4B.9.

C

O

H

C

O

H

C

O

H

OH

C

O

H

OH

C

O

H

OH

C

O

H

OH

EtOH , HO , ∆ 3-hydroxypentanal 3-hydroxybutanal

3-hydroxy-2-méthylbutanal 3-hydroxy-2-méthylpentanal

Figure O4B.3 – Exemple d’aldolisation croisée

Les deux premiers produits sont issus de l’énolate de l’éthanal (partie grisée de la molécule) et d’un des deux aldéhydes, les deux derniers de l’énolate du propanal (partie grisée de la molécule) et d’un des deux aldéhydes. Cette réaction est manifestement inexploitable en synthèse.

Néanmoins, elle peut devenir intéressante si l’un des composés carbonylés n’est pas énolisable. Nous pouvons envisager les situations suivantes :

addition lente d’un aldéhyde énolisable (représenté en caractères grisés) à un aldéhyde non énolisable (dessiné en caractères noirs) utilisé en excès, afin de minimiser la dimérisation de l’aldéhyde énolisable. Dans l’exemple présenté, la déshydratation se réalise in situ :

12 CLASSES DE COMPOSÉS ORGANIQUES

CC

O

HH3C

H3C CH3

HC

O

NaOH , H2OC

CH3C

H3C CH3

C

CH3

O

H

HO H

CC

CH3C

H3C CH3

C

CH3

O

H

H

aldol non isolé 2,4,4-triméthylpent-2-énal,rendement 65 % par rapport à A

2,2-diméthylpropanal, A

réaction d’un aldéhyde non énolisable avec une cétone énolisable : la dimérisation de la cétone étant cinétiquement difficile et thermodynamiquement défavorable, pratiquement un seul composé est obtenu, résultant de l’addition de l’énolate de la cétone sur le groupe carbonyle de l’aldéhyde.

Dans cet exemple, deux équivalents molaires d’aldéhyde non énolisable peuvent réagir avec la propanone (représentée en caractères grisés), qui possède deux sites énolisables. La réaction est facilitée par la formation d’un système π où la délocalisation est particulièrement étendue.

PhC

O

H H3CC

O

CH3 PhC

O

H+ +

NaOH, H2O, EtOH

θ = 25 °C , 30 min

CC

O

CC

PhC

Ph

H H

H H1,5-diphénylpenta-1,4-dién-3-one,

rendement 80 % � REMARQUE : la réaction est souvent efficace quand elle est intramoléculaire et elle conduit alors au produit le plus stable. Cette situation se rencontre lorsque l’on obtient un composé cyclique à cinq ou six chaînons, pouvant se déshydrater dans les conditions opératoires (en général un milieu basique), indépendamment du caractère aldéhyde ou cétone des composés mis en œuvre.

NOTE : signalons que l’aldolisation, la cétolisation et la crotonisation sont des réactions renversables et qu’elles permettent d’effectuer, sur des composés bien choisis, des réactions que nous qualifierons, de façon générale, de rétroaldolisation.

4. TAUTOMÉRIE CÉTO-ÉNOLIQUE

[4] Composés carbonylés – réactivité en position α 13

� Le mot tautomérie a été introduit par Conrad Peter LAAR (1853 - 1929), chimiste allemand, sur la base des travaux préparatoires de BUTLEROW en 1885.

4.1. Définition �

Une tautomérie est un cas particulier de transformation entre deux espèces, se traduisant par le changement de position d’un atome d’hydrogène, d’un site à un autre, dans une molécule. La tautomérie céto-énolique est par conséquent l’équilibre établi entre un composé carbonylé possédant au moins un atome d’hydrogène sur l’atome de carbone en α du groupe carbonyle et un énol � Dans ce cas

précis, on parlerait plutôt de transposi-tion, souvent sigmatropique.

Mais rien ne permet de dire si l’atome d’hydrogène change réellement de site par migration intramoléculaire �. En général, il y a échange d’un atome d’hydrogène entre molécules ou avec le solvant.

C C

H

H O

CH3

H

=C C

O

CH3H

HH

propanone propén-2-ol � Le déplacement chimique du noyau d’hydrogène énolique est très élevé et peut dépasser 15 ppm !

La réalité de cet équilibre a été démontrée par des études spectroscopiques, tant en IR qu’en RMN 1H �. Il est observé dans le composé pur et en solution.

Considérons par exemple le spectre (simulé à l’aide des valeurs expérimentales) de la pentane-2,4-dione, enregistré à 200 MHz dans 3CDCl [figure O4B.4].

La mesure des intégrations respectives des noyaux d’hydrogène de l’énol (1 H, 15,4 ppmδ = , intégration 2,6) et du groupe méthylène du composé carbonylé (2 H, 3,53 ppmδ = , intégration 1,85) permet de retrouver les proportions des deux

espèces, soit environ 75 % d’énol.

De façon générale, cet équilibre s’établit rapidement en présence d’acide ou de base (il s’agit d’une catalyse acido-basique généralisée). La position de l’équilibre dépend essentiellement du composé étudié et du solvant choisi. La réaction de formation de l’énol à partir du composé carbonylé s’appelle l’énolisation.

δ (ppm) 15,4 5,44 3,53 2,18 1,96

2,6

3,9

1,85

5,6627,7

C C

O O

CC

C

OH O

H

Figure O4B.4 – Spectre RMN stylisé de la pentane-2,4-dione, enregistré à 200 MHz

14 CLASSES DE COMPOSÉS ORGANIQUES

4.2. Caractéristiques thermodynamiques de l’énolis ation

Aldéhydes et cétones

Intéressons-nous, dans ce paragraphe, aux composés dans lesquels le groupe carbonyle est isolé d’autres groupes insaturés par au moins deux liaisons simples. Nous constatons que l’équilibre est extrêmement favorable au composé carbonylé. La proportion d’énol à l’équilibre est très faible, comme pour la propanone où elle est inférieure à 610− .

Un calcul thermodynamique fondé sur les valeurs des enthalpies libres standard de formation montre que l’énol est beaucoup moins stable que le composé carbonylé dont il dérive. Ainsi, pour l’équation d’énolisation de la propanone, on trouve à une température de 298 K : 1

r 46 kJ molG −∆ ° = ⋅ � REMARQUE : comme l’équilibre s’établit rapidement, si l’énol est plus réactif que le composé carbonylé qui lui donne naissance, nous pourrons l’envisager comme intermédiaire réactionnel. En effet, la consommation de l’énol, plus rapide que celle de son précurseur, déplace l’équilibre dans le sens de la formation de l’énol et, ainsi, le composé carbonylé réagit totalement sous forme énolique, bien que la proportion d’énol dans le système soit infime.

Composés ββββ-dicarbonylés et apparentés

Pour ces composés et leurs analogues, le pourcentage d’énol à l’équilibre devient notable et celui-ci peut même devenir le composé majoritaire, comme le montre le tableau 4.3. Dans l’énol, il y a conjugaison entre liaisons π et, en outre, formation d’une liaison hydrogène intramoléculaire, donnant un cycle à 6 chaînons dans lequel 6 électrons sont délocalisés, ce qui le stabilise considérablement.

carbonylé énol(s) % à l’équilibre

H3CC

CC

CH3

O O

H H H3C

CC

CCH3

O O

H

H

25 : 75

H3CC

CC

OC2H5

O O

H H

H3CC

CC

OC2H5

O O

H

H

92 : 8

C

C

C O

O

H

H

C

C

C O

H

O

H

C

C

C O

H

O

H

0 : 24 : 76

[4] Composés carbonylés – réactivité en position α 15

Tableau O4B.3 — Pourcentages d’énolisation à l’équilibre pour divers composés β-dicarbonylés

L’énol peut ainsi posséder deux isomères (dans certains cas, il est difficile de dire s’il s’agit de deux véritables isomères en équilibre rapide ou de simples formules mésomères d’un même composé).

4.3. Structures électronique et géométrique de l’é nol

La structure de l’énol est localement plane, comme le confirment les caractéristiques géométriques de l’éthénol [figure O4B.11]. La méthode VSEPR permet de rendre compte des valeurs des angles de liaison, voisines de 120 degrés. La longueur de la liaison carbone-carbone est conforme à ce que nous attendons pour une double liaison C C= .

124 °

126 °121 °

120 °

109 pm

108 pm

133 pm

108 pm

96 pm

C

H

H

H

HO

C

Figure O4B.5 – Paramètres géométriques de l’éthénol

L’expérience montre que l’énol est beaucoup plus réactif vis-à-vis des réactions d’addition électrophile que l’éthène. De plus, le ApK du couple énol/énolate avoisine 13 alors que celui du couple alcool/alcoolate est supérieur à 16. L’énol est en effet un système conjugué, ce dont peuvent rendre compte aisément le modèle de la mésomérie et le modèle des orbitales moléculaires.

Observons que l’énolate, base conjuguée du composé carbonylé, est aussi la base conjuguée de l’énol.

4.4. Mécanismes de l’énolisation

Même si les aldéhydes et les cétones sont trop faiblement acides pour être quantitativement déprotonés en milieu aqueux, l’existence-même de l’équilibre céto-énolique est une mise en évidence de la possibilité de déprotonation partielle. � La réaction est

catalysée tant par l’ion hydrogène et l’ion hydroxyde que par tout acide et/ou toute base du milieu (catalyse acide-base générale).

Les mécanismes d’énolisation en milieux basique et acide sont comparables et mettent en jeu la formation, soit de la base, soit de l’acide conjugué commun au composé carbonylé et à l’énol, par des réactions acide-base �.

Énolisation en milieu acide aqueux

Nous savons qu’en milieu acide, le composé carbonylé peut se protoner sur l’atome d’oxygène.

Ainsi, l’atome d’hydrogène porté par l’atome de carbone en α est rendu un peu plus acide et l’eau, seule base présente, peut arracher cet atome et fournir l’énol. Toutes les étapes sont bien entendu renversables :

16 CLASSES DE COMPOSÉS ORGANIQUES

CH C

H

O

H3C CH3

H

A B

CH C

H

O

H3C CH3

H

C

O

CCH3

CH3

H

H

− H

OH2

La première étape est rapide et facile, la seconde est l’étape cinétiquement difficile. Par ailleurs, la protonation de l’énol (étape 2, sens 2) est un peu plus difficile que sa réaction de formation (étape 2, sens 1).

Énolisation en milieu basique aqueux

Comme précédemment, l’énolisation fait intervenir deux réactions acide-base au sens de BRØNSTED. En milieu basique, la base la plus forte est l’ion hydroxyde, qui peut partiellement déprotoner le composé carbonylé. La reprotonation facile de la base conjuguée commune à l’énol et au composé carbonylé fournit l’énol.

La protonation sur O est plus facile que sur C car il n’y a qu’une simple modification du réseau des liaisons O H− covalentes et des liaisons hydrogène. En outre, la réaction de protonation est plutôt sous contrôle de charge.

CH C

H

O

H3C CH3

O H H2O

− OH− H2O

C

O

CCH3

CH3

H

H

C

O

CCH3

CH3

H

L’étape cinétiquement la plus difficile est la formation de l’énolate.

5. STRUCTURE ET RÉACTIVITÉ DES αααα-ÉNONES

5.1. Structure électronique et géométrique

Les α-énones (et les α-énals) sont des composés carbonylés possédant au moins une double liaison C C= conjuguée avec le groupe carbonyle.

Le propénal est l’α-énal le plus simple que nous puissions envisager. La structure est plane, sauf empêchement stérique. Deux conformations sont possibles, de type s-cis et s-trans. La conformation s-trans est en général plus stable que la conformation s-cis. La conjugaison est mise en évidence par une barrière de rotation autour de la liaison C(2)C(1)− , légèrement plus élevée que pour une liaison simple carbone-carbone ordinaire [figure O4B.6].

[4] Composés carbonylés – réactivité en position α 17

s-cis

HC

CC

H

O

H

H

s-trans

HC

CC

O

H

H

H

12

3

Figure O4B.6 – Conformations du propénal

(HO du systèmeπ)

E

Ε4 = α − 1,53β

Ε3 = α − 0,35β

Ε2 = α + β

Ε1 = α + 1,88β

0,67

0,58

0,430,23

− 0,58

Ψ1

Ψ2

0,58

0,58

− 0,58

− 0,23

0,67

0,43

BV du propénal

HO du propénalpaire libre de l'atomed'oxygène

C C C O

C C C O

C C C O

C C C O

0,23− 0,580,67

0,43

− 0,43

Figure O4B.7 – Diagramme d’énergie des orbitales frontières du propénal

Le système d’orbitales antisymétriques π, orthogonales au plan de la molécule, est comparable à celui du butadiène (à ceci près qu’il n’y a plus la symétrie observée dans le diène) et il y a de même quatre électrons engagés dans la délocalisation. À l’aide d’un logiciel approprié, nous obtenons [figure O4B.7] les niveaux d’énergie et les expressions des orbitales moléculaires.

Comme dans le cas du méthanal, il est impossible de déconnecter le système symétrique du système antisymétrique. En particulier, la HO du propénal n’est pas l’orbitale 2Ψ , HO du système π. Il faut ici encore tenir compte du système d’OM symétriques dans la réflexion sur le plan. La spectroscopie photoélectronique et le calcul montrent qu’il existe, comme pour le méthanal, une OM pratiquement non liante, localisée essentiellement sur l’atome d’oxygène (il s’agit pratiquement d’une de ses paires non liantes) dont le niveau énergétique est doublement peuplé.

5.2. Réactivité particulière des αααα-énones

18 CLASSES DE COMPOSÉS ORGANIQUES

Additions 1-2 et 1-4

L’expérience montre que certains nucléophiles se fixent sur l’atome de carbone adjacent à l’atome d’oxygène (position 2) et d’autres sur l’atome de carbone en position 4 par rapport à l’atome d’oxygène. � Mollesse et

dureté font référence à la classification HSAB (hard and soft acids and bases) développée par Pearson.

Si nous raisonnons uniquement en termes orbitalaires, nous constatons que le coefficient de la BV du propénal est le plus élevé sur l’atome 4 [figure O4B.7]. Si l’évolution du système est sous contrôle orbitalaire, nous prévoyons une réaction sur ce site. Cette régiosélectivité est observée quand nous utilisons un nucléophile mou �, c’est-à-dire polarisable, faiblement chargé ou neutre, avec une HO relativement haute en énergie.

En revanche, quand le nucléophile est qualifié de dur (peu polarisable, forte charge localisée, avec une HO relativement basse en énergie), l’expérience montre que l’attaque se fait sur l’atome de carbone en position 2. � REMARQUE : la méthode de la mésomérie rend compte assez simplement de la

double possibilité d’attaque nucléophile sur l’α-énone, en faisant apparaître deux sites électrophiles en positions 2 et 4 :

H

C C

C O

H

H

H H

C C

C O

H

H

H H

C C

C O

H

H

H

4 3

2

1

Ainsi, les amines ou les ions cyanure se fixent en position 4 sur les composés de ce type, comme le montre l’exemple de la figure O4B8. Dans cette transformation complexe, les ions cyanure se forment par réaction du 2-hydroxy-2-méthylpropane-nitrile avec les ions hydroxyde, puis s’additionnent sur la double liaison [figure O4B.9]. L’ion énolate ainsi obtenu évolue, en présence d’eau, par protonation sur le site 3 (avec formation de la cétone) ou sur le site 1, avec formation de l’énol (addition 1-4 de H CN− qui se transforme totalement et rapidement en cétone.

Le bilan est donc une addition de type 3-4, en réalité !

HO

NCKOH racémiqueO−

O

H

H

1

2 3

4

O

CN

1

2

4

H

H3

Figure O4B.8 – Addition 1-4 des ions cyanure sur une α-énone

[4] Composés carbonylés – réactivité en position α 19

HO

NCHO−

C N

O

H

H

1

2 3

4

O

CN

1

4

O

CN4

H

H2O, − HO−

O

CN

1

2

4

H

H3H2O, − HO−

CN

1

4

OH

O

CN

1

2

4

H

H3

Figure O4B.9 – Mécanisme de la transformation précédente

5.3. Additions des organométalliques sur les αααα-énones

Signalons dès à présent que les additions des organométalliques sur les α-énones, seules réactions de ce type à notre programme, ont un caractère fortement radicalaire et ne peuvent pas être interprétées à l’aide du modèle des orbitales frontières.

Résultats expérimentaux

Nous nous intéressons à l’action d’un organométallique sur une α-énone. Ce composé peut être un organomagnésien, noté schématiquement R MgX− , un organolithien, noté schématiquement R Li− ou un organocuprate lithié, noté très schématiquement 2R Cu Li− .

Ces réactifs ont un comportement nucléophile et peuvent donc réagir par addition – a priori nucléophile – sur les α-énones. Selon la nature de l’organométallique, nous observons une addition soit sur l’atome de carbone 2 (par rapport à l’atome d’oxygène), soit sur l’atome de carbone 4 du substrat (nous savons que ces composés présentent deux sites électrophiles).

Un organomagnésien se fixe majoritairement, en général, sur l’atome de carbone 2 (addition 1-2).

C

O

1) H3C MgBr

2) H2O , HC

O

C

HO CH3

+

pent-3-én-2-one 2-méthylpent-3-én-2-ol4-méthylpentan-2-one

addition 1-4 (30 %) addition 1-2 (70 %)

2

4

1

4 2

Un organolithien conduit presque exclusivement, par fixation sur l’atome de carbone 2, à une réaction d’addition 1-2 pour donner un alcool insaturé.

20 CLASSES DE COMPOSÉS ORGANIQUES

99 % d'addition 1-2

2,4-diméthylpent-3-én-2-ol, 4-méthylpent-3-én-2-one

C

H3C OH

1) CH3Li, Et 2OC

O2) H2O , H

rendement 81 %

Un organocuprate lithié se fixe presque exclusivement sur l’atome de carbone 4 et conduit à des réactions d’addition 1-4 en conservant le groupe carbonyle.

99 % d'addition 1-4

Bu LiPh3P−CuI

THF(Bu)2CuLi

C O1)

2) H2O , H

C

O

3-butylcyclohexanone,

rendement 82 % par rapport à la cyclohexanone

préparation de l’organocuprate

NOTE : les organolithiens sont préparés, en général, par action du lithium métallique sur un halogénoalcane. Les organocuprates lithiés sont préparés par action de l’iodure de cuivre(I) sur un organolithien.

Interprétations schématiques

Le mécanisme de l’addition 1-2 est connu, du moins si la réaction est bien une addition nucléophile, ce qui n’est pas toujours le cas.

Si nous admettons que l’addition 1-4 suit un mécanisme purement ionique et se trouve sous contrôle frontalier, le modèle des orbitales frontières permet de justifier la régiosélectivité. Nous avons ainsi établi que la BV de l’α-énone comportait un coefficient légèrement plus gros sur l’atome de carbone 4 (0,66 contre 0,58).

En fait, cette interprétation ne peut qu’être mnémotechnique, car le mécanisme fait apparaître la formation d’espèces contenant du cuivre au degré d’oxydation III. � REMARQUE : le mécanisme et la régiosélectivité de la transformation ne sont pas

au programme…

Indépendamment du mécanisme de la transformation, il se forme, une fois l’addition de l’organocuprate sur l’α-énone achevée, un ion énolate qu’il est possible de piéger par un réactif électrophile (comme un autre composé carbonylé ou un halogéno-alcane).

O

+ C O2

CuLi12

34

L’expression « addition 1-4 » se justifie puisqu’il est admis que, dans l’énolate intermé-diaire, l’ion métallique est coordiné sur l’atome d’oxygène (position 1) alors que le groupe carboné est fixé sur l’atome 4.

[4] Composés carbonylés – réactivité en position α 21

Lors de l’hydrolyse, l’énolate est protoné et conduit, selon le site de protonation, à l’énol et/ou au composé carbonylé. De toutes façons, l’énol formé se tautomérise rapidement et totalement en ce dernier, ce qui fait que seule la cétone est obtenue.

Addition des organocuprates lithiés sur les αααα-énones

Dans une telle réaction, tout se passe comme si l’o n avait ajouté −R H sur la double liaison =C C , R se fixant en position 4 par rapport à l’atome d’oxygène.

Nous prenons ces résultats tels quels et les utilisons en synthèse organique sans nous poser davantage de questions.

De très nombreuses transformations mettant en jeu des additions 1-4 de nucléophiles sur les α-énones ont été mises au point. Elles permettent de préparer, souvent de manière énantiosélective (à l’aide de catalyseurs chiraux, énantiomériquement purs), des composés hautement fonctionnalisés. Certains exemples sont abordés en exercice.