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  • bjg

    Commentaire des hikam par Ibn Ajiba. (Iqadh al-himam wa sharh al-hikam)

  • Biographie et avant-propos.Abu l-Abbas Ahmad b. Muhammad ibn Ajiba et-Tittawani naquit

    dans la tribu des Anjra, al-Khamis, village situ une vingtaine de kilomtres au nord-ouest de Ttouan, dans la rgion des Jbala, bordant le littoral mditerran du Maroc, en 1747-48. La famille dIbn Ajiba descendait du Prophte par les chorfa idrissides et par Hassan, fils de Ali. Ds son plus jeune ge, nous dit Ibn Ajiba dans son Autobiographie (fahrasa1), il manifesta les traits de caractre qui allaient marquer sa personnalit et son haut degr spirituel : une pit constante, une implication rigoureuse et sans concessions, et un ardent dsir de connaissance de Dieu. Ibn Ajiba ne pouvait trouver de consolation quen Dieu. Ma mre, dit-il, ma racont que tout petit, quand arrivait le temps de la prire et son moment exact, je me mettais crier et lui disais : lve-toi, va prier !, ne marrtant de prier que lorsquelle stait leve. Elle me prenait alors sur son dos et allait faire la prire.

    Lorsqu treize ans il eut appris le Coran par cur, ne pouvant se rsoudre frquenter les autres jeunes garons de son ge, Ibn Ajiba quitta al-Khamis pour apprendre la psalmodie et la rcitation du Livre Saint. Au bout de cinq de cinq annes auprs de divers matres, il put alors entreprendre, en jeune adulte, des tudes de sciences exotriques qui se poursuivirent douze annes durant Ttouan et Fs. Il tudia entre autres les clbres recueils de traditions prophtiques de Bukhari et Muslim, le Kitab ash-Shifa, receuil de hadiths ax sur la noblesse de caractre du Prophte de lIslam du Qadi Iyad, ainsi que les pomes al-Hamziyya et al-Burda de Busiri. Il dcouvrit aussi les Hikam dIbn Ata- Allah, dont il est question dans le prsent ouvrage, et auquel nous reviendrons.

    Bien qutudiant avec une ardeur peu commune, Ibn Ajiba, ne rduisant pas son dveloppement personnel cela, passa rarement une nuit sans veiller jusqu laube en prire : Jtais accoutum la solitude, nous dit-il, et habitais toujours seul afin de pouvoir madonner entirement ltude et ladoration.

    A trente ans, Ibn Ajiba tait un jeune savant, fort de ses connaissances frachement acquises, et en mme temps nourri par le Trs-Haut par une aspiration qui le plongeait dans dintenses oraisons nocturnes. Ibn Ajiba se trouva donc prt recevoir la science intrieure (al ilm al-batin). Cette science-l ntait moralement recevable qu condition davoir acquis une certaine rectitude dans laction et une conformit la loi religieuse, car comme dit Jean-Louis Michon : Laction ne peut avoir de retentissement dans le for intrieur que si les sens et les facults externes sont maintenus dans la rectitudes2. 1 Trad. J. L. Michon, Leyde, 1969.2 J. L. Michon, Le soufi Marocain Ahmad Ibn Ajiba et son Miraj, Librairie Philosophique J. Vrin, Paris. Les rfrences du mme ouvrage seront cites sous le nom Michon, suivi du numro de page. Nous sommes redevables envers M. Michon pour ses ouvrages pionniers sur Ibn Ajiba.

  • Ce passage dune connaissance exotrique vers la Ralite de son tre fut prcipit par une lecture qui nous intresse ici de prs : les Hikam dIbn Ata- Allah al-Iskandari.

    Le Kitab al-Hikam est le premier ouvrage de Ibn Ata- Allah, natif dAlexandrie (1259) et mort au Caire (1309), et deuxime successeur du grand shaykh Ash-Shadili qui fonda la confrrie Shadiliyya laquelle se rattachera Ibn Ajiba via le shaykh Darqawi. Considr comme le fruit de la ralisation spirituelle dIbn Ata- Allah, ou du moins comme lexpression de celle-ci sous forme crite, les Hikam ont souvent t commentes3, et constituent de par le monde soufi un vritable manuel de convenances et de ralits spirituelles. Il sagit dun ensemble dptres et de suppliques traitant des divers aspects du cheminement vers Dieu et de repres donns au novice afin quil vite les cueils de ce cheminement sem dembches dresses par lego.

    Aprs avoir lu et relu ce prcieux petit recueil, Ibn Ajiba dcida dabandonner sa formation pour se consacrer la pratique dvotionnelle, linvocation de Dieu et la Prire sur le Prophte. Ibn Ajiba relate ce qui lui arriva alors :

    Je ressentais parfois le dsir de pratiquer la retraite et me rendaisau mausole de sidi TalhaAu milieu de la matine, je priais environ quinze hizb du Coran, et de mme pendant la nuit ; part cela, jinvoquais Dieu sans relche, jour et nuit, ceci pendant plusieurs journes conscutives. Une fois que je me tenais ainsi prs du tombeau de sidi Talha, celui-ci mapparut en songe. Il se baissa vers moi jusqu toucher les poils de ma barbe. Je pensai : Il me faut le consulter sur ce que jai lintention de faire. Jtais rsolu ce moment-l vendre mes livres pour aller me retirer dans la montagneJe dis donc sidi Talha :

    Sidi ! Je veux abandonner la science et me retirer pour adorer Dieu sans autre proccupation.

    -Etudie !, rpliqua-t-il.-La science ? demandais-je.-Oui ! Etudie la science fond, fond !

    Je me remis donc ltude. Mais lesprit se dirigeait dj vers son Matre et le cur tout entier tait avec Dieu. Je prenais place dans le cercle des tudiants par respect pour le Shaykh qui mavait ordonn dtudier, mais je ne savais pas de quoi parlait le professeur, tant jtais occup par le souvenir de Dieu. Je mabsorbai entirement dans la prire sur lEnvoy de Dieu, jusqu pouvoir rciter les Dala-il al-khayrat4. Il me parut ensuite que la rptition de la prire sur le Prophte au moyen du rosaire facilitait la concentration et je me mis la rpter un trs grand nombre de fois. Pendant que jtais ainsi plong en elle, je voyais briller des lumires, des ornements, des palais et toutes sortes de choses extraordinaires mapparaissaient, mais je men dtournais ; plusieurs fois, en songe, je vis le Prophte.

    3Par exemple : Al-Harraq, Sharnubi, Ahmad , al-Rundi.4 Recueil de litanies sur le Prophte, rcit encore de nos jours dans des confrries surtout Marocaines, non seulement celle qui se rattache son auteur, la Jazuliyya.

  • Ensuite, je dsirai possder le Coran et me mis le lire inlassablement. Je le rcitais en priant, debout, et quand je me sentais trop faible, je continuais prier assis. De cette faon, jarrivais faire chaque mois peut-tre quatorze lectures compltes. Puis je le lus sur les planchettesnon sans avoir dabord lu le commentaire, de faon bien comprendre le sens des versets. 5

    Cet tat de choses dura trois ou quatre ans, toujours selon Ibn Ajiba. Il se maria alors et se mit enseigner, tout en poursuivant les exercices spirituels quil numre plus haut, pendant quinze ou seize ans, toujours dans la ville de Ttouan.

    Ibn Ajiba jouissait alors dune position minente dans lenseignement, respect de llite comme du vulgaire. Lorsque je me rendais au march, dit-il, non sans drision, les gens me tombaient dessus comme lorsquon fait visite un tombeau.

    Mais sa rencontre avec le shaykh Darqawi et avec un disciple de celui-ci, Muhammad al-Buzidi, qui deviendra shaykh sa succession, prcipita Ibn Ajiba dans une priode de crise o il verra scrouler tout ldifice honorifique bti par sa situation sociale. Je restai trois jours auprs [deux] et, pendant ce temps, nous nous entretnmes des sciences et des secrets de lUnit divine. Ibn Ajiba a pu alors faire en lui-mme lesquisse dun soufisme du dtachement intrieur qui allait, par son intensit, caractriser son enseignement jusqu sa mort. Sache, dit Ibn Ajiba, que la voie doit ncessairement comporter une rupture des habitudes, lacquisition de traits valeureux et la lutte contre les tendances gostes, afin que tu puisses entrer dans la Sainte PrsenceLes hommes dlite ne se distinguent du vulgaire que par le combat quils mnent contre leur me. Le s habitudes les plus tendances quil faut arracher de lme sont la gloire et la richesse, afin que la gloire se mue en humilit et la richesse en pauvret. 6

    Et voici venu le temps de lpreuve. Ibn Ajiba, homme daction et du dsir de Dieu, ne pouvait plus vivre dans lestime et la distinction sociale :

    Aussitt aprs mon initiation, je revtis une jellaba de tissu grossierLorsque le shaykh me vit ainsi vtu, il se rjouit beaucoup et acquit la certitude que je recevrais des lumires sur les secrets spirituelsLe jour suivant, je fis mon entre dans la ville [de Ttouan] vtu de cette djellaba avec le groupe des foqara7 qui chantaient la haylala8. Beaucoup de gens nous regardaient, tonns. Jentendis alors, au-dedans de moi, mon me qui appelait au secours et criait ; la sueur ruisselait sur mon corps : ctait en effet la premire fois que jprouvais une brisurePeu aprs jai mis le gros rosaire mon cou. Lorsque jarrivai chez moi avec la djellaba et le rosaire, ce fut un toll gnral parmi les gens de ma maison. Cependant, voyant que jtais bien rsolu, ils se rsignrent et se mirent me pleurer comme on pleure un mort ; ils se faisaient mutuellement des condolances tandis que des caravanes de 5 Michon, p. 436 Michon p. 46.7 Pluriel de faqir, le pauvre en Dieu, le disciple de la voie.8 Cest linvocation scande de La ilaha illa llah , Point de divinit en dehors de Dieu.

  • femmes emplissaient la maison pour venir exprimer leur sympathie ma famille. Je fus beaucoup pleur par les habitants de Ttouan.9

    Voyant que cet effort contre lui-mme ne suffisait pas loigner le regard approbateur des gens de Ttouan, Ibn Ajiba demande son shaykh de porter le froc rapic, la fois habit symbole du dpouillement et repoussoir par sa laideur. Les gens se mirent alors le fuir vritablement. Puis son shaykh lui dit de donner tous ses biens et de vivre de mendicit. Je fis comme il me disait, dit Ibn Ajiba, distribuant tout ce qui excdait le strict ncessaire ; parfois je me relevais la nuit pour sortir les provisions de la maison afin que les femmes ne me voient plus. Au bout de quelque temps, nous fmes embellis par la misre et la certitude grandit. Ensuite le shaykh mcrivit de servir les fuqara, de faire leur lessive, dacheter du savon, de laver leurs vtements avec mes pieds et de les nourrir chez moiVint alors lordre daller mendier dans les boutiques et la porte des mosques. Rien en ce monde ne ma t plus pnible que cela, et rien na t plus tranchant pour les artres de mon me.

    Lorsque je demandai au shaykh lautorisation de pratiquer la retraite et le silence, il mcrivit : Va dans le souk et assieds-toi l du matin jusquau soir !

    Le shaykh mordonna ensuite de nettoyer le souk et de porter les ordures sur la nuque jusquen dehors de la ville. Je balayai les souks trois ou quatre reprises. Durant lhiver, il arriva plus dune fois que les dtritus mouills que je portais sur mon paule me dgoulinassent sur le dos.

    Ibn Ajiba se conduisait aussi de manire anti-spirituelle, voir mme outrancire avec les gens, cachant son effort aux autres afin quils ne nourrissent pas son ego par leur admiration :

    Lorsque jallais mendier, je madressais tout spcialement ceux qui [me] critiquaient et [me] blmaient, afin den extraire ce qui fait mourir lme. Je me prsentais ainsi intentionnellement chez ceux qui me portaient de lestime, et surtout chez nos parents. A tous ceux-l, je me montrais un mendiant particulirement insistant et avide des biens de ce monde, esprent par l atteindre la pure sincrit et la mort de mon ego.

    Ibn Ajiba fut aussi porteur deau, versant boire pour les passants, en change de quelque picettes dont en ralit, il navait cure. Il fit cela jusqu son dpart de Ttouan, en 1799-1800, lorsque clata une grande pidmie de peste o il vit mourir ses enfants. Un autre vnement prcipita son dpart : Ibn Ajiba, par son comportement trange, stait attir bon nombre de dtracteurs de parmi les milieux conformistes de Ttouan. De plus, la voie Darqawi reprsentait une puissance montante Ttouan, indpendante du pouvoir politique de la ville. Ces hommes de Dieu pouvaient se montrer parfois assez directs et dsapprobateurs envers lavidit et lorgueil des puissants. Dj, le shaykh Darqawi, Fs, avait ouvertement conseill ses disciples de ne prendre part aucune runion mondaine, et de naccepter aucune faveur des autorits et des 9 Michon, p.47.

  • riches. Ibn Ajiba, maintenant autoris transmettre linitiation et fonder des lieux dinvocation (zawiya), pouvait reprsenter un danger pour le nouveau sultan, Mawlay Sulayman, affaibli dun pouvoir peu consolid.

    Les religieux dits littralistes, refusant lexprience intime de Dieu le Lgislateur, ne pouvaient que condamner une attitude peu conforme, selon eux, la norme religieuse dont les savants, les ulama, sont les garants. En effet, et le malentendu est pos, lIslam est aussi un systme social cohrent, o toutes les classes sinterpntrent et se compltent, ds lors que chacun accepte et respecte la fonction qui lui choit par le Trs-Haut. Ibn Ajiba a pu tre peru comme un fasid, un irresponsable qui mine la oumma de lintrieur, par opposition au salih, le vertueux socialement engag qui uvre la consolidation et au respect de la religion au sein du tissu social. Cest malheureusement faire peu de cas des exigences non tendables la majorit de la population dune vie contemplative et de combat pour la sincrit de lme. En effet, le souci de puret de lintention vis--vis de Dieu na que faire des convenances de ce monde. L o Ibn Ajiba a pu tre vu comme un provocateur et un irresponsable, il convient de rappeler le caractre salutaire de son comportement : celui dinterroger sa socit sur les intentions profondes dissimules derrire le masque dune vie mondaine, de rappeler les hommes la primaut de la vie du cur. Lanticonformisme du provocateur spirituel, dit Faouzi Skali, quelle soit prmdite ou due un ravissement permanent en Dieu, ne peut tre un modle suivre mais tend cependant empcher que le conformisme ne devienne une finalit en soi. 10

    En 1794, Ibn Ajiba fut incarcr la suite dune plainte dpose son encontre : une femme avait t initie la Darqawiyya linsu de son mari ! Le coupable prsum tait le frre dIbn Ajiba, Hashim, et les deux furent incarcrs. Tous les fuqara de Ttouan subirent le mme sort. Ibn Ajiba, dans un malicieux pied de nez, raconte ces trois jours dincarcration :

    Par Dieu ! Je nai pas vcu de jours meilleurs que ceux-l : la prison se trouva transforme en zawiya et lon ny faisait quinvoquer dieu. Cest comme si la porte en tait reste ouverte : pour celui qui y entrait et pour celui qui en sortait ; les autres prisonnier taient heureux et tous leurs soucis cessrent pendant le laps de temps que nous passmes parmi eux ; je transmis le wird11 plusieurs dentre eux, quatre ou cinq, on nous apporta des provisions que nous partagemes avec tous les autres prisonniers et il y en eut mme en excdent.12

    Ibn Ajiba et les disciples Darqawa fuyrent donc la ville de Ttouan suite cette incarcration. Il retourna dans sa tribu des Anjra et y construisit, avec la permission de son shaykh, un centre spirituel o il vcut jusqu sa mort, quatorze annes plus tard. Toutefois, le retour au 10 F. Skali, Sanctuaires et espaces sacrs, 4e tome de thse dtat, chapitre Majdhubs et Malamatis, p. 242.11 Ensemble dinvocations et de prires sur le Prophte que le faqir effectue matin et soir. La prise du wird sapparente ici lentre dans la voie et laffiliation au shaykh.12 Michon, p. 52.

  • bled fut loin dtre une retraite spirituelle : Ibn Ajiba et ses disciples se mirent parcourir, surtout par temps dhiver, sa campagne pour faire connatre les ralits du soufisme et de la vie pieuse. Ces prgrinations en compagnie du shaykh furent pour les fuqara de vritables dplacements initiatiques. Ibn Ajiba, se sentant un instrument dans la main de Dieu, se dplaait en fonction de ses inspirations et les voyages regorgeaient de spontanit et dimprvus, doubls dabandon la merveilleuse volont divine. Voici, pour la valeur illustrative de cette qualit spontane et enjoue de ces voyages, une anecdote quIbn Ajiba relate dans son Autobiographie :

    Tandis que nous nous rendions Sal, invoquant Dieu, nous passmes prs dun troupeau de vaches et de moutons qui taient au pturage. Les animaux se mirent nous suivre. Ce que voyant, le berger nous embota le pas son tour.

    Tes vaches sont entres en extase ! Lui dis-je. -Mais qui donc ne serait pas ravi par vous ? rpliqua le ptre.Les fuqara itinrants et leur shaykh taient parfois reus avec

    mfiance, voire mme coup de pierres, comme Wad al-Zarjun. Mais le plus souvent laccueil est meilleur et au bout de trois annes Ibn Ajiba comptait environ six cents disciples.

    Lors de leurs priples, Ibn Ajiba, son frre Hashimi et quelques autres portaient toujours dans leurs sacs, de quoi crire13. Lorsque linspiration leur venait, par fulgurance ou la suite dune rflexion, ils sarrtaient pour le noter par crit, de jour comme de nuit.

    Mais Ibn Ajiba ne sest jamais content de rflchir et de mditer sur la mtaphysique ou sur les flaux du monde. Il sengageait souvent pour dnoncer les injustices sociales et afin de rtablir la moralit dun point de vue islamique, ou mme pour sopposer aux discriminations sociales14. Il crira jusqu sa mort bon nombre de lettres ses disciples, autant dexhortations une vie saine et exemplaire, et la diffusion de son message dthique musulmane. Il les intimera ainsi lutter contre la contamination de leau, contre le tabagisme ou le haschich, par exemple, se posant toujours en guide ducateur et compatissant, mais sans concessions.

    En 1800, Ibn Ajiba possde deux domiciles, lune chez les Bani Anjra, lautre chez les Bani Saad, chacune ayant une zawiya recevant des fuqara toute lanne. Ceux-ci taient nourris grce aux offrandes faites au shaykh qui affluaient anonymement.

    Lenseignement du shaykh portera aussi sur des sujets plus intimes, comme la vie conjugale, par exemple. Rappelant le disciple ses devoirs dhomme, il pose la douceur entre poux comme condition la russite du couple. Dans une adresse ses disciples, il prsente lattitude juste lors de laccueil de la jeune marie :

    Si lhomme lui-mme, qui pourtant est fort courageux, qui est en pleine possession de ses facults mentales, ne manque pas, ce moment-l, de ressentir un certain trouble, une certaine faiblesse, alors mme quil se trouve dans sa propre maison, au milieu des siens, imagine-toi 13 Michon, p.69.14 Michon, p.70.

  • dans quel tat peut se trouver la jeune fille qui, elle, a d quitter son entourage familial pour se rendre dans une maison inconnue, auprs dun compagnon qui ne lui tait pas familier et dont elle ne sait pas ce quil lui rserve ! Pense quelle frayeur peut habiter son cur !...Ainsi donc, accueille-la par un salut, puis par des douces paroles, exprimant la joie que te cause sa prsence et laffection que tu prouves pour elleAinsi elle shabituera peu peu toi, commencera se dtendre et se rassurer15.

    Lorsque Ibn Ajiba rendit visite son matre al-Buzidi Ghmara (dont lui-mme avait fait construire la maison) en 1809, il y a peu de doutes quant au fait quil reconnaissait en lui-mme les symptmes de la mme maladie qui avait tu ses enfants quinze ans plus tt. Peu aprs son arrive chez son shaykh, le quinze novembre, Ibn Ajiba succomba la peste lge de soixante-deux ans. Cest Al-Buzidi lui-mme qui lava le corps de son disciple et qui prit en charge ses funrailles. Son frre allait le rejoindre une semaine plus tard et fut enterr ses cts.

    Mais les gens de la tribu dAnjra vinrent rclamer la dpouille et organisrent un rapt nocturne afin de ramener le corps bni du saint en sa contre natale, o ses disciples lui btirent une spulture connue sous le nom de Jabal Ibn Ajiba. On raconte quune source stant forme autour du cercueil du saint (un parent dIbn Ajiba en avait t prvenu par ce dernier en rve), on dplaa le cercueil de quelques mtres. Et on continue encore de nos jours de boire leau de cette source, rpute miraculeuse.

    Le successeur dIbn Ajiba fut un certain Abu l-Hassan Ali al-Laghmish, percepteur et initiateur la voie du fils dIbn Ajiba, que ce dernier eut six mois avant sa mort. Plus tard, ce mme fils, Abd al-Qader, succda celui-ci et continua faire vivre la tariqa, transmettant la voie des milliers de personnes au long de sa vie. Ce fut ensuite le tour dAbd Allah al-Kurshufi, un soufi rest lgendaire par son comportement trange et indiffrent au blme. Celui-ci mourut en 1942.

    A nos jours subsistent des zawiyas et nombre de fuqara se rclament toujours de sa baraka. Sa prsence a constitu un vritable renouveau du soufisme dans le Maroc de la fin du dix-huitime sicle.

    Le Iqadh al-himam fi sharh al-Hikam (Lveil des aspirations, commentaire des Hikam) date du 9 novembre 1796, trois ans aprs sa rencontre avec le shaykh al-Buzidi. Bien quIbn Ajiba ait dcouvert les Hikam ds 1776, 29 ans, ce nest quen tant quiniti la voie Qardawiyya que son inspiration lamena au commentaire du recueil dIbn Ata- Allah. Ses commentaires ont donc la saveur du tmoignage vcu et dune ralit contemple.

    Il est bien connu que la traduction trahit. Dautant plus que les quotidiens respectifs de lauteur et du traducteur-lecteur sont ici trs diffrents, voire antinomiques. Et la tche sannonce dautant plus ardue que, au-del dun dcalage culturel et linguistique, la perception 15 Michon p. 77

  • spirituelle -le degr dme -de lauteur et de son interprte sont diffrents. Comment -sans tre saint rendre, comprendre la signification subtile dsigne par les mots d Ibn Ajiba ? Il faut trouver des correspondances, un partage commun, une intimit entre lauteur et le traducteur. Ibn Ajiba crivait par inspiration, par fulgurances parfois, souvent aprs mditation. Il na jamais affirm que son oeuvre est le pur fruit de son mental : en homme de Dieu rattach la notion de lUnicit de ltre, il cherchait toujours confondre son tre avec ltre suprme.

    Le traducteur, pensons-nous, devra donc tre aussi une personne de foi. La correspondance qui sera la condition dune traduction valable sera celle de linspiration ou du moins dune certaine intention de puiser la mme Source, divine. Ainsi, le texte et son auteur ne seront pas trahis dans lintention.

    La traduction doit aller au-del de la forme. Elle ne doit pas rendre compte uniquement du doigt, mais aussi de la lune. Notre science est toute entire allusive ; lorsquelle se fait explicite, elle socculte, dit ladage soufi. Ce qui compte dans les crits de saints de lIslam, ce nest pas le texte lui-mme, sa qualit littraire, mais ce en quoi il permettra une ducation spirituelle et une remmoration (dhikr) de Dieu. Les matres soufis linstar des enseignements paraboliques de Jsus partent de cas concrets, dexemples dans la matire, pour amener le disciple voir la Ralit de ce monde laquelle lallusion renvoie. Percevoir la signification subtile de lallusion, cest parcourir le chemin entre le monde matriel et le monde spirituel, et en mme temps rappeler que ce monde nest qucho de lautre, traces, vestiges dposes par Dieu afin quon Le remmore16.

    Les crits dIbn Ajiba ont pour vocation de remmorer Dieu. Toute proportion garde, cette version traduite si Dieu le veut se rclame de la mme vocation.

    Cela dit, le prsent texte se veut plus vivant et moins acadmique que dautres traductions rudites. Lcrit soufi est avant tout lexpression dune oralit, qui lui-mme est hal, tat spirituel, o le souffle divin croise les cordes vocales du saint, les fait vibrer. Ce genre de trait doit, tout en conservant sa prcision dans les ides, rester ouvert au souffle qui balaie les grands espaces. Et se lire comme on gote une saveur, une nourriture pour lme.

    16Nous sommes ici, face ce texte, plus que jamais dans la dichotomie profondment musulmane du rapport entre lesprit et la lettre.

  • Chapitre 1.

    Le signe que lon compte sur laction,cest la diminution de lesprance quand il y a chute17.

    Compter sur une chose, cest sappuyer sur elle et y accorder sa confiance. Lacte (amal), cest laccomplissement dune chose par le cur ou par le corps. Si une action est en accord avec la Loi rvle (Sharia), elle est obissance. Si elle est contraire la Loi, elle est dsobissance.

    Les gens de cette science distinguent trois catgories duvres : les uvres de la Loi, les uvres de la Voie (tariqa) et les uvres de la Ralit divine (Haqiqa). On peut aussi concevoir ces uvres comme actes dIslam, actes de -iman (foi) et actes dihsan (excellence)18, ou encore dactes de pit (ibada), actes de servitude (ubudiyya) et actes de servitude absolue (ubuda). Sinon, on pourra dire quil sagit dactions de ceux qui sont au commencement, dactions de ceux qui sont sur le chemin et dactions de ceux qui sont parvenus la fin. La Sharia, cest que tu Le serves, la tariqa, cest que tu aspires Lui, et la Haqiqa est que tu tmoignes de Lui. On pourra aussi dire que la Sharia est la justesse dans les formes, la tarqa est la justesse dans les consciences et la Haqiqa est la justesse dans les secrets intimes (sara-ir).

    La justesse des corps se ralise par trois principes : le repentir, la pit et la droiture. La justesse des curs se ralise par trois principes : la sincrit (ikhlas), la vracit et lapaisement. La justesse des secrets se ralise par trois principes : la vigilance, la contemplation et la connaissance. Ou encore : la justesse extrieure est celle dviter lillicite et dobir au prescriptions de la Loi ; la justesse des curs se produit alors quon sest libr des vices et quon sest enjoint la vertu ; et la justesse des secrets intimes, qui sont les mes des hommes (arwah), saccomplit ds lors quon les a briss afin quelles se disciplinent et quon les ait duqus au comportement juste, lhumilit et la noblesse de caractre.

    Sache que nous venons dvoquer les actions ncessaires la purification des corps, des curs et des mes. Nous les avons spcifies selon chaque catgorie. Pour ce qui concerne la science et la connaissance de Dieu, ce sont les fruits provenant de la purification et du perfectionnement. Ds lors que les secrets intimes sont purifis, ils semplissent de science, de connaissance et de lumires.

    On ne peut pas parvenir une station avant davoir ralis celle qui la prcde. Celui dont le dbut est lumineux, le sera aussi sa fin. Ainsi, on ne peut pas uvrer dans la Voie avant daccomplir les uvres de la Loi, 17 Nous avons opt pour la traduction des Hikam de Abd er-Rahman Buret. Nous les avons modifis de trs rares moments, pour des besoins de cohrence. 18 La notion ci-prsente des trois dimensions dislam, -iman et ihsan trouve son fondement et sa lgitimit dans un hadth authentique, dit de Gabriel, o le Prophte dit notamment au sujet de lExcellence : cest que tu adores Dieu comme si tu le vois, car si tu ne Le vois pas, certes, Lui te voit.

  • sans avoir entran ses membres les accomplir afin de remplir les conditions permettant le repentir, de dtenir les fondements de la pit et dagir en visant la droiture du comportement. Cette attitude est conforme celle de lEnvoy de Dieu sur lui la paix et le salut dans ses paroles, ses actions et ses tats intrieurs (-ahwal).

    Une fois que lextrieur (zahir) est pur et illumin par laccomplissement de la Loi, on peut avancer vers les uvres intrieures de la Voie, qui sont celles de la purification des attributs humains : ds lors que lon est libr des attributs proprement humains, on est revtu des attributs spirituels qui sont lattitude juste (adab) envers Dieu dans Ses piphanies, les lieux de Sa manifestation. Les membres du corps se reposent alors de leur labeur et le seul lment qui subsiste est cette justesse dans le comportement.

    Un homme ralis a dit : Celui qui parvient la ralit de lIslam ne flchit pas sous le poids des actions. Celui qui parvient la ralit de la Foi ne peut agir que par Dieu. Celui qui parvient la ralit de lExcellence du comportement ne fait face personne si ce nest Dieu.

    Lorsquil voyage travers ses tats, le cheminant ne devra pas sappuyer sur lui-mme ou ses propres actions, ses tats spirituels ou ses facults personnelles. Il devra compter sur la gratification (fadl) de son Seigneur, sur Son octroi de russite et sur Sa guidance et Sa direction. Dieu dit : Ton Seigneur cre ce quIl veut et choisit, il ny a pas de choix pour les hommes (Coran 28 : 68). Dieu dit : Si Dieu lavait voulu, il aurait fait quun seul peuple de tous les hommes. Mais il ne cesseront de diffrer entre eux, except ceux qui Dieu aura accord Sa misricorde. (Coran 11 : 120)19 Le Prophte sur lui la paix et le salut !- dit : Aucun dentre vous nentrera au Paradis grce ses uvres. Ils demandrent : Mme pas vous, Envoy de Dieu ? Il rpondit : Mme pas moi, sauf si Dieu menveloppe dans Sa misricorde.

    Sabandonner ses propres bassesses, cest faire preuve de dchance et de mcrance. Compter sur le fruit de ses actions, cest le signe que lon na pas ralis la cessation de lexistence individuelle (zawal). Sattacher aux charismes et aux tats spirituels est le signe quon ne frquente pas les gens de Dieu. Lorsque le vritable abandon Dieu est atteint, lesprance nest pas attnue lorsque lon tombe dans la dsobissance, ni nest elle accrue lorsque tu agis en toute excellence. La crainte rvrencielle ne grandit pas seulement lorsquon commet un acte dinadvertance (ghafla) et lesprance ne saccrot pas lorsque survient un veil (yazqa). La crainte rvrencielle et lesprance squilibrent en permanence puisque la crainte rsulte de la contemplation de la Majest assujettissante de Dieu (jall) et lesprance nat de la contemplation de la Beaut de Dieu (jaml). La Majest et la Beaut de la Ralit divine ne souffrent ni daccroissement, ni de 19 Ce passage Coranique donne non seulement une dimension spirituelle au conflit des peuples au niveau physique, mais renseigne aussi les hommes sur les origines du conflit interne, de la dualit de lme. Celui qui ralise lUnicit divine en lui ne laura fait que par la grce de son Seigneur et non pas par les ressources de son ego.

  • diminution. Ainsi, ce que reoivent ces personnes nest pas de mme nature que ce que reoivent celui qui espre en ses uvres : lorsque les bonnes actions de ce dernier sont faibles, sa confiance en Dieu diminue, et lorsque ses dsirs sont nombreux, il nourrit un grand espoir d son shirk20davec son Seigneur et sa grande ignorance. Sil devait steindre lui-mme et subsister en son Seigneur, il pourrait enfin tre dlivr de ses peines et parvenir la connaissance de son Seigneur.

    Ton matre doit tre parfait, afin quil retire ton me de ses tourments pour le placer dans le repos par la vision de ton Seigneur. Le matre parfait est celui qui te procure le repos aprs le dsarroi, et non pas celui qui te guide vers le dsarroi. Celui qui te guide vers tes uvres, tpuise. Celui qui te guide vers ce monde, te trompe. Celui qui te guide jusqu Dieu laura fait avec le cur sincre, comme la dit le shaykh Ibn Mashish que Dieu lagre : La direction vers Dieu est la direction de loccultation de soi. Lorsque tu toccultes, tu te rappelles ton Seigneur. Dieu le Trs-Haut dit : Souviens toi de Dieu si tu viens oublier ! (Coran 18 : 24). Laffliction vient du rappel soi-mme et au souci de ses occupations et de son lot. Est bien repos celui qui est tranger cela !

    Quant la parole de Dieu : Nous avons cre lhomme dans la misre (Coran 90 : 4), elle sadresse aux gens du voile, cest dire ceux qui croient encore subsister par eux-mmes. Concernant ceux qui sont morts en Dieu, le Trs-Haut dit : Celui qui sera au nombre des plus rapprochs de Dieu jouira de repos, de la grce et du jardin des dlices (Coran 56 : 88), cest dire le repos par lUnion, les parfums par la beaut et les jardins par la perfection. Le Trs-Haut dit : La fatigue ne les y atteindra pas, et ils ne seront jamais expulss de cette demeure (15 : 48). Le repos nest toutefois octroy quaprs le labeur et la victoire nest obtenue quaprs la qute. Le jardin est bord de choses dtestables.

    O toi, amoureux du sens de Notre beaut,La dot est chre pour nous pouser.Le corps amaigri et lesprit appliqu,Des paupires qui ne gotent pas le sommeil,Et un cur qui ne contient rien dautre que Nous.

    Si tu es prt payer ce prix, Alors teins-toi pour lternit.Lextinction rapproche de cette cour.Ote tes sandales lorsque tu arrives En ce domaine. En lui est notre saintet.

    Jette au loin tes deux natures, et teDentre nous ce qui entre Nous.Lorsquon tinterroge : Qui aimes-tu ? Rponds : Je suis Celui que jaime et Celui que jaime est moi !

    20 Le shirk est dune manire gnrale lassociation Dieu. Ici il sagirait plus prcisment de lillusion dexister indpendamment du Dieu Unique.

  • Nous pouvons lire dans la Rsolution des nigmes : Sache que tu ne parviendras pas aux degrs de la proximit divine avant davoir fait leffort de gravir six pentes raides.La premire pente est celle qui consiste dtourner ton corps de la dsobissance lgale. La seconde est de dtourner ton ego de toute familiarit importune.La troisime est de dtourner ton cur de lirrvrence des hommes.La quatrime est de dtourner ton ego de ses impurets inhrentes.La cinquime est de dtourner ton me (ruh) de ses suggestions sensorielles.La sixime est de dtourner ton intellect des illusions provenant de ton imagination.

    Aprs avoir gravi la premire pente tu contempleras den haut les sources de la sagesse.Aprs la seconde tu verras les secrets de la connaissance octroys par Dieu.Aprs la troisime il tapparatra les signes des conversations intimes du Malakut21. Aprs la quatrime tu verras rayonner les lumires des degrs de la proximit divine.Aprs la cinquime, les lumires de lamour se manifesteront toi.Aprs la sixime pente, tu descendras vers les prairies de la Prsence la plus Sainte. L tu te retireras, loin de ce que tu avais saisi des subtilits humaines et de la densit des choses sensibles.22

    Lorsquon Son dsir est de te slectionner par Son lection, Il te fait boire une gorge de la coupe de Son amour. Cette gorge augmentera ta soif, comme la saveur creusera ta faim, comme la proximit fera crotre ta qute et comme livresse te rend agit.

    Un homme de parmi les vertueux stonna de la parole du Tout Puissant : Entrez au Paradis, pour ce que vous faisiez. (Coran 16 : 32), puisque le Prophte sur lui la paix et le salut a dit : Nul nentrera au Paradis par ses actions. La rponse ce mystre, le voici : le Livre et la Sunna alternent entre la Sharia (la Loi) et la Haqiqa (la Ralit spirituelle), ou, pourrions-nous dire, entre prescription et ralisation. A certains moments ils prescrivent et dautres ils voquent la Ralit spirituelle, alors mme quils traitent du mme sujet. Le Coran peut lgifrer un endroit alors que la Sunna peut en expliquer la ralit profonde, et vice versa. LEnvoy de Dieu sur lui la paix et le salut fut 21 al-Malakt : la Royaut, la Souverainet, le Rgne cleste et anglique.C'est lui qui tient dans Sa Main la Souverainet (Malakt) de toute chose... (Coran 36 : 83). 22 Nous retrouvons ici une variante plus complexe des tapes du cheminement spirituel o laspirant avance sans cesse vers lintriorit de son tre, mais en passant par des degrs de purification du corps, de lego et de lesprit. Ibn Agiba dit de manire plus explicite dans son Miraj : On mne le combat intrieur sur trois plans : celui des facults externes, en observant sans relche les prescriptions et les interdits ; celui des facults internes, en cartant les mauvaises penses et en restant concentr sur la Prsence divine ; et dans le trfonds du cur en recherchant la persistance et la vision contemplative et en ne se proccupant de rien dautre que de lAdor. (Miraj, pp. 203-4)

  • envoy afin dexpliciter la Rvlation de Dieu. Dieu dit : Et vers toi, Nous avons fait descendre le Coran, pour que tu exposes clairement aux gens ce quon a fait descendre pour eux (Coran 16 : 44). Sa parole : Entrez au Paradis, pour ce que vous faisiez constitue une lgislation pour les savants en religion, les gens de la Sharia, et le hadith du Prophte renvoie ici la ralisation pour les gens de la puissance, les gens de la Ralit spirituelle. La parole du Tout-Puissant : Mais vous ne pouvez vouloir, que si Dieu veut (Coran 82 : 29) est la Ralit profonde, alors que la parole du Prophte sur lui la paix et le salut : Lorsquun dentre vous fait une bonne action, une bonne action est inscrite pour lui, cest la Sharia.

    Pour rsumer : la Sunna traduit le Coran et le Coran traduit la Sunna. On doit donc faire usage de ses deux yeux : un oeil doit regarder la Ralit et lautre doit regarder la Sharia. Si on voit que le Coran lgifre en un endroit, il doit y avoir une Ralit ailleurs, et inversement. Il ny a nulle contradiction, nulle confusion, entre un verset et un hadith.

    Il y a encore une autre explication : lorsque Dieu, le Trs-Haut, a appel les gens au monothisme et lobissance, ces derniers ne pouvaient entrer sans dsir personnel : Il leur a donc promis la rcompense pour leurs actions. Ds lors quils staient affermis dans leur Islam, le Prophte sur lui la paix et le salut les a sorti de cet tat desprit afin de les lever vers la puret de leur intention et de leur soumission, et vers la ralisation spirituelle de cet tat de sincrit. Il leur dit alors : Nul nentrera au Paradis par ses actions. Dieu sait mieux. Les rponses apportes par les gens des sciences extrieures ne sont ici daucune utilit.

    Lorsquon avance des actions extrieures vers les actions de lintrieur, les effets de ses dernires doivent apparatre sur laction des membres du corps. Le Tout Puissant dit : quand les rois entrent dans une cit, ils la corrompent (Coran 27 : 34) Les fruits de ces effets sont le dgagement des mondanits et le dnuement (tajrid).

    Vouloir le dnuement,quand Dieu timpose lusage des cratures,est une recherche de toi dguise.Mais cest manquer dambition leveque de vouloir user des cratures,quand Dieu timpose le dnuement.

    Le mot tajrid (le dtachement du monde) reprsente laction denlever. On emploie ce terme pour dsigner le fait denlever un vtement ou bien, par exemple, la mue dun animal. Il y a trois catgories de soufis : ceux qui se dnuent seulement de lextrieur, ceux qui se dnuent seulement de lintrieur, et ceux qui se dnuent la fois de lextrieur et de lintrieur.

    Le dnuement extrieur, cest abandonner le monde de la causalit et de briser les habitudes du monde physique. Le dnuement intrieur, cest abandonner tout attachement psychique et illusoire. Effectuer ces

  • deux types de dnuement, cest abandonner la fois les attachements de lme, et les habitudes du monde physique. On peut dire que le tajrid extrieur, cest dabandonner tout ce qui empche les membres du corps dobir Dieu ; le tajrid intrieur, cest abandonner tout ce qui distrait le cur de la prsence de Dieu ; accomplir les deux, cest la fois isoler son cur en vue de Dieu et naviguer vers Lui. Le tajrid extrieur parfait, cest labandon de la causalit et lhabit du commun. Intrieurement, cest labandon du cur de toute attitude nfaste et lembellissement de celui-ci par les qualits nobles. Voil le tajrid parfait !

    Lorsquon se dnue de lextrieur sans effectuer le dnuement intrieur, on est un menteur, tout autant que celui qui fait passer du cuivre pour de largent. Son intrieur est laid alors que son extrieur est beau. Si on se dnue de lintrieur sans se dnuer lextrieur, alors cest comme si on faisait passer largent pour du cuivre. Ce dernier cas est rare, tant donn que lorsque lon fait un effort de dnuement extrieur, leffort est aussi intrieur. Lorsque lextrieur est occup par cet effort dans le monde physique, lintrieur participe de cet effort, et leffort employ ne peut aller dans deux directions opposes. Celui qui parvient au dnuement la fois extrieur et intrieur, voil le parfait vridique. Il est lor pur, celui qui convient au trsor des rois.

    Le shaykh Abu-l-Hassan ash-Shadili a dit : Ladab du disciple dsengag et non investi dans le monde se dcline en quatre attitudes : le respect des anciens, lindulgence envers les jeunes, la droiture pour soi-mme et le sacrifice de soi. Ladab du disciple impliqu dans le monde se dcline en quatre attitudes : la frquentation des hommes de pit, la fuite des moins pieux, la prsence la prire en commun et la gnrosit envers les pauvres et les moins fortuns. Ce disciple-l doit aussi se parer de ladab du disciple non impliqu dans le monde car cest ainsi quil pourra se parfaire. Fait partie de ladab de celui qui est impliqu dans le monde des causalits le fait de rester attel la tche que Dieu a voulu pour lui, et ce jusqu ce que Dieu le Trs-Haut lui permette de sortir de ses mondanits, par une indication claire ou allusive de son shaykh. Cest cette condition quil pourra avancer vers le dtachement du monde. Le dsir de se retirer du monde alors que Dieu ty a tabli est en ralit un apptit cach : par ce dsir, tu veux reposer son ego et tu nauras donc pas la confiance (en Dieu) ncessaire la vie difficile quest la rclusion du monde. Ds que le dnuement te tombe dessus tu tagites et te lamentes et tu te tournes vers le monde pour sa subsistance. Voil qui est pire que de rester impliqu dans le monde. Il sagit dun apptit gotique. Il est Cach car lextrieur on fait montre de dtachement et dascse qui sont, en soi, des vertus nobles et sublimes mais on garde pour soi sa part de tranquillit, de saintet, ou bien de repos (en Dieu). Mais lintention nest pas vraiment datteindre la servitude et la foi sincres. Cest aussi un manque de biensance envers Dieu que de vouloir abandonner le retrait du monde sans faire preuve de patience et sans en attendre la permission. Le signe quon ne sest jamais vraiment coup du monde, cest que malgr les rsultats du dtachement, malgr quon se soit coup de ce qui loigne de la religion, si jamais on perdait de vue ces rsultats, on se tournerait nouveau vers les hommes le

  • regard inquiet et on se soucierait des moyens de sa subsistance. Ds lors que ces conditions cessent, on peut avancer vers le vritable tajrid.

    Nous pouvons lire dans le Tanwir23 : Ce que Dieu vous demande, cest que vous restiez l o il vous a mis, jusquau moment o Dieu, lUnique, vous fasse partir, tout comme il vous a fait venir. Votre souci ne doit pas tre dabandonner le monde ; votre souci doit tre que le monde vous abandonne.

    Ainsi, lun deux24 a pu dire : Je mtais dpouill des moyens de ma subsistance et ensuite jy suis retourn. Puis je perdis les mmes moyens de ma subsistance. Je nai donc pas essay de les retrouver. Je me rendis chez le shaykh Abu l-Abbas al-Mursi avec la ferme intention de me mettre en tajrid. Je me disais alors : Il est peu probable que je jatteigne Dieu le Trs-Haut dans cet tat de mondanits et de science extrieure ! Avant mme que je lui adresse la parole, il me dit : Un homme bien rudit et bien impliqu dans ltude des sciences religieuses vint passer du temps en ma compagnie et gota un peu de la Voie. Il vint me voir et me dit :

    Sidi, je dsire abandonner mes tudes et venir vivre auprs de vous !

    Je lui rpondis : -Ce nest pas ce que Dieu te demande. Reste plutt l o Il ta

    plac, car il a dj dcrt le niveau de ralisation spirituelle que atteindras sous notre direction, et quelles que soient les circonstances tu y parviendras.

    Puis le shaykh me regarda et dit : Ainsi agissent les vridiques (siddiqun) : ils ne quittent pas un tat,

    tant que Dieu Lui-mme ne se charge de les en sortir. Jen pris donc cong et Dieu nettoya mon cur de ces dsirs et je pus trouv le repos (du cur) dans la soumission la volont de Dieu le Trs-Haut. Cela dit, ces gens-l sont, comme laffirma lEnvoy de Dieu sur lui la paix et le salut, ceux dont le compagnon nest pas afflig.

    Il dit : Le shaykh lui interdit le tajrid parce que son ego le dsirait avec avidit. Lorsque lego est avide de quelque chose, celle-ci lui est facile ; et ce qui est facile lego nest pas bien pour lui, car une part de cette chose lui revient.

    Il dit aussi : Le disciple ne doit pas forcer les choses du tajrid. Il doit attendre quil lui soit donn par Dieu. Si tu veux que ton ego profite de ton effort, si tu forces le tajrid, cest la faiblesse qui en rsultera, faiblesse qui sera suivie de prs d'ennemis qui tenteront de dstabiliser et de tenter le disciple. Tu finiras par retourner ce que tu avais voulu abandonner et tu alimenteras la mauvaise opinion envers les gens du dtachement. Tu diras : Tout est faux ! Nous sommes entrs dans un pays, et navons rien vu !

    23 Ibn Ata- Allah al-Iskandari, Al-Tanwir fi isqat al-tadbir, traduit par A. Penot sous le titre De labandon de la volont propre , Alif ditions, Lyon : 1997.24 Il sagit dIbn Ata- Allah en personne. Le rcit de cette discussion avec son matre al-Murs peut se trouver dans son dernier ouvrage Lataif al-minan, traduit et annot par Eric Geoffroy sous le titre La sagesse des matres soufis, Grasset, Paris : 1998, p.131.

  • Celui pour qui, au dbut, le tajrid est pnible, voil celui qui doit poursuivre ce dtachement. Il lui est pnible car il a ralis quune pe lui pse sur le cou et que sil bouge un tant soit peu la tte, elle lui tranchera la veine jugulaire.

    Pour ce qui est de celui qui est dj dans le dtachement du monde, sil veut retourner dans les affaires du monde sans autorisation claire, alors il sagira dune chute de laspiration leve vers une aspiration moins forte, ou encore de la grande saintet vers la petite saintet. Le shaykh de notre shaykh25, Sidi Ali, a rapport que son shaykh Sidi al-Arabi lui a dit : Si javais vu quelque chose de plus levant, de plus rapprochant et de plus bnfique que le tajrid, je laurais choisi. Mais par les gens de la Voie il est considr comme un lixir : une quirat de cet lixir suffirait remplir dor le vide entre lOrient et lOccident. Voil la place du tajrid dans la Voie.

    Jai entendu le shaykh de notre shaykh dire : La science spirituelle de celui qui vit dans le dtachement est meilleure. Sa pense est plus claire, puisque la clart procde de la clart, et la turbidit procde de la turbidit. Ds lors que lon sinvestit dans le monde sensoriel, on rduit sa comprhension des secrets spirituels du monde.

    Dans le mme sens, on a rapport aussi : Lorsquun dtach du monde prend quelque chose de ce monde, Dieu baisse son degr spirituel. Lorsque celui pour qui est autoris user des moyens de ce monde prend quelque chose du monde, le moyen quil utilise est en ralit une acte dadoration et une preuve de sa soumission Dieu. Le tajrid sans autorisation est donc en ralit un attachement, et linvestissement dans le monde avec autorisation est en ralit du tajrid. La russite est auprs de Dieu.

    Tout ceci ne concerne que ceux qui cheminent encore sur la Voie. Pour ce qui est de ceux qui sont arrivs et qui sont fermement enracins que Dieu les agre, on ne peut rien en dire puisquils ont t ravis eux-mmes, saisis et dfendus par Dieu. Dieu se charge de leurs affaires, protge leur secret spirituel et leurs curs par des armes de lumires. La poussireuse obscurit na aucun effet sur eux. Ctait le degr spirituel des Compagnons du Prophtesur lui la paix et le salut - et cest ainsi quils vivaient dans le monde. Que Dieu les agre et nous fasse bnficier de leur tat de grce ! Amen.

    Sache que, de celui qui est impliqu dans le monde et de celui qui est en retrait, tous deux oeuvrent pour Dieu. Tous deux reoivent lorientation vraie vers Dieu par leurs actions. Comme lun deux a dit : Ces deux personnes, celui qui est en retrait et celui qui est impliqu, sont comme deux esclaves dun roi. Le roi dit lun : Travaille ! et dit lautre : Reste en ma prsence, je me charge de ta subsistance. Toutefois, comme nous lavons dit, cest lorientation de celui qui est dtach du monde qui est plus forte, puisquil se dtourne des affaires du monde et se dfait de ses attachements.

    25 Bien que Ibn Ajiba ait pour shaykh principal Muhummad al-Buzidi, linitiateur spirituel dIbn Ajiba est le shaykh ad-Darqawi, qui fonda la branche soufie du mme nom.

  • Laspiration en Dieu (himma) de celui qui est dtach et pauvre en Dieu (faqir) est celle de ceux dont le Prophte sur lui la paix et le salut a dit : Dieu a des hommes qui, sils devaient jurer par Dieu, seraient exaucs par Lui. Notre shaykh a dit : Il y a des hommes qui, lorsquils dsirent quelque chose, cest par la permission de Dieu. Le Prophte sur lui la paix et le salut a aussi dit : Prenez garde la vision intrieure du (vrai) croyant : il voit par la lumire de Dieu.

    Le shaykh a eu peur que lon puisse simaginer que cette forte aspiration puisse aller au del des remparts de la destine, et quelle puisse accomplir ce qui nest pas accompli par dcret divin. Cest pourquoi il a ajout :

    Au travers des remparts des dcisions divines,ne passe aucune aspiration physique practive.

    Laspiration (himma), cest la force que le cur projette lorsquelle recherche quelque chose avec dvouement. Si la chose recherche est de nature leve, comme la connaissance de Dieu ou la recherche de son agrment, alors cest une himma leve. Si la chose recherche est vile, comme la poursuite du monde et de la fortune, alors cest une himma vile. Le fait quau travers des remparts des dcisions divines, aucune aspiration physique ne passe, signifie que lorsque le connaissant en Dieu ou le disciple veut quelque chose et que sa himma est forte, Dieu le Trs-Haut la fera advenir linstant par Sa volont, de manire ce que la volont du disciple soit celle de Dieu. Le shaykh de notre shaykh, Moulay al-Arabi, a dit : Lorsque le disciple vridique est annihil dans le Nom de Dieu, ds lors quil aspire une chose, cette chose advient. Lorsquil est annihil dans lEssence divine, la chose dont il a besoin advient avant mme quil nen formule le dsir. Cela est vrai. Dieu le Trs-Haut dit : Je suis Dieu, lorsque je dis une chose Sois !, elle est. Alors obissez-moi et je vous ferai dire aux choses Sois ! et elles seront. Il est aussi dit dans un hadith authentique : Lorsque Je laime, Je suis loue par laquelle il entend, loeil par lequel il voit, la main par laquelle il prend, et Dieu ajoute : Sil me demande une chose, assurment je lexaucerai26.

    Nanmoins, ne peut advenir seulement ce qui correspond au dcret divin et la destine de chacun. Alors la himma du connaissant en Dieu slve vers la chose dsire, et lorsquelle rencontre le dcret, elle accompagne son mouvement vers lavant. Et cela, par la permission de Dieu. Si la himma trouve rigs sur son chemin les remparts du dcret divin, elle ne tente pas de passer au travers, mais fait preuve de biensance (adab) dobissance et dadoration vis vis de Dieu. Elle nen prouve aucune tristesse, aucun regret. Elle se rjouit de devoir revenir la place qui lui choit, de retrouver son attribut de servitude.

    26 Il sagit de la fin dun hadith o Dieu sexprime par la bouche du Prophte. Il commence en affirmant la mme intimit dont les saints jouissent auprs de Dieu : Celui qui fait montre dhostilit envers un de mes saints, Je lui dclare la guerre

  • Le shaykh de notre shaykh, Sidi Ali, a dit : Lorsque nous dsirons une chose et quelle arrive, nous prouvons de la joie. Lorsquelle narrive pas, cette joie est multiplie par dix. Cette affirmation rvle sa grande connaissance en Dieu. On demanda, aussi, lun deux : Par quoi la prsence de Dieu se rvle-t-elle vous ? Il rpondit : Par le fait que la volont propre est contrarie.

    Cet effet est le fruit dune forte himma. Si celui qui la possde est mal intentionn, comme par exemple celui qui souhaite le mauvais oeil ou le jeteur de sorts, ou sil possde par Dieu des facults telles que ceux-l, sa himma ne peut traverser les remparts du dcret divin. Tout cela nest possible que par la volont de lUnique, le Vainqueur. Dieu le Trs-Haut dit : Or ils ne sont capables de nuire personne quavec la permission de Dieu (Coran 2 : 102), et : Nous avons cre toute chose avec mesure (Coran 54 : 49), et : Mais vous ne pouvez vouloir, que si Dieu veut, [Lui], le Seigneur de lUnivers (Coran 81 : 29). Le Prophte sur lui la paix et le salut de Dieu a dit que tout est selon le dcret et la destine, que ce soit linaptitude ou la dextrit. Laspiration faible qui slance en avant narrive rien. Que lintention soit bonne ou mauvaise, cest la mme chose.

    Cette mtaphore de la traverse des remparts du dcret sous-entend quil y ait deux forces, la force personnelle et celle du destin. Mais ce sont invitablement les remparts qui gagnent, car la force employe par lhumain nest daucune utilit. Puisque la himma ne brise jamais les remparts du dcret divin, ce nest pas la peine dy songer ou de se donner un semblant de choix. Cest pourquoi il (Ibn Ata- Allah) a dit :

    Dleste-toi du gouvernement de toi-mme :ce dont un Autre se charge pour toi,ne le fais pas pour toi-mme.

    Le gouvernement (tadbir) signifie ici soccuper daffaires et des aboutissants. Shaykh Zarruq dit que cest dterminer et prvoir les choses, espres ou redoutes, qui pourraient arriver, en prenant des dcisions ou en confiant des responsabilits. Lorsque ce dsir de gouvernement est accompli en vue de lau-del, alors lintention est bonne. Sil est accompli pour assouvir un besoin terrestre, alors cest un apptit. Sil est accompli pour lici-bas, alors cest un dsir.

    Le tadbir est de trois sortes : blmable, dsirable et acceptable. Le tadbir blmable est celui qui saccompagne de tnacit et de rsolution (exagres), quil soit mu par dsir damliorer sa religion ou par dsir de ce monde, car il contient un manque de biensance envers Dieu et engendre la fatigue. Cest Dieu le Vivant, le Subsistant-par-Soi, qui fait les choses. Tu ne fais rien par toi-mme !

    La plupart du temps, ce que tu entreprends par toi-mme nest pas favoris par les vents du dcret divin, et provoque le trouble. Cest pourquoi Ahmad ibn Masruq a dit : Celui qui se dleste du tadbir peut se reposer. Sahl ibn Abdullah a dit : Dleste-toi du tadbir et du choix. Ils sment le trouble auprs des gens et les font se soucier de leurs moyens

  • de subsistance. LEnvoy de Dieu sur lui la paix et le salut a dit : Dieu a mis la facilit et laisance dans le contentement et la confiance (en Dieu) .

    Le shaykh ash-Shadili a dit : Ne fais aucun choix en ce qui te concerne. Choisis plutt de ne point choisir, puis renonce ce choix, puis renonce ce renoncement mme. Remets toute chose entre les mains de Dieu. Ton Seigneur cre ce quil veut et Il choisit (Coran 28 : 68) Il a aussi dit : Si tu dois choisir, alors choisis de ne pas choisir. On dit que celui qui ne choisit pas, on choisit pour lui sa place.

    Le shaykh de notre shaykh, Sidi Ali, a dit : Lun des attributs du saint accompli, cest quil dsire ce qui lui arrive de son Seigneur. Cela signifie que ses dsirs procdent tous du dcret divin.

    Le bon tadbir, celui qui est dsirable, cest celui qui rend lhomme responsable de ses actions et de sa religion. Il pourra ensuite sen remettre la volont divine. Cette attitude est bonne. Le Prophte sur lui la paix et le salut a dit : Lintention du croyant vaut plus que son action. Il a aussi dit, Dieu sexprimant : Lorsque Mon serviteur veut faire une bonne action et ne la fait pas, Je lui inscris lquivalent dune bonne action.

    Cest ainsi que lon doit comprendre la parole du shaykh : ce dont un Autre se charge, ne le fais pas pour toi-mme. Cela ne concerne pas les pratiques religieuses et les actions vertueuses pour lesquelles il ny a pas de mal se charger soi-mme. A ce sujet, Ibrahim al-Khawwas a dit : Toute la connaissance se rsume en deux affirmations : Ne te charge pas comme dun fardeau de ce dont tu as assez, ne dilapide pas ce dont tu as besoin pour vivre. Le mauvais tadbir, cest : ne te charge pas comme un fardeau de ce dont tu as assez, le bon tadbir, cest : ne gche pas ce dont tu as besoin pour vivre.

    Le shaykh ash-Shadili a dit : Tu dois rester dans les limites et les mesures de la Sharia. Elles sont donnes par Dieu et tu dois simplement les couter et obir. Lici-bas est le lieu de la perception de Dieu. Cest la terre o Dieu fait descendre la connaissance divine, pour celui qui est apte voir cela. Celui-l est mr desprit, accompli dans sa connaissance de Dieu, et sa Ralit spirituelle et sa Sharia sont parfaitement quilibres. Mais il ne doit pas se complaire dans le monde, au point den oublier Dieu.

    Le tadbir acceptable, cest de gouverner les affaires du monde et ses besoins naturels, tout en abandonnant les aboutissants la volont et aux dcrets de Dieu. Cest le sens de la parole du Prophte sur lui la paix et le salut : Lagir-par-soi est la moiti de la subsistance en ce monde, condition de ne pas en abuser. La quantit acceptable, cest quil soit comme une brise qui traverse le cur, entrant par un ct et ressortant par lautre. Voil le signe que cest Dieu qui gouverne ses affaires, celles des parfaits connaissants en Dieu. Le signe que lon est auprs de Dieu, cest que lorsque loppos de ce que lon avait voulu se ralise, on nest pas triste ou du.

    Accueille Salma et suis-l o quelle aille.Suis les vents du destin et tourne o ils tournent.

  • Nous pouvons lire dans Al-Tanwir27: Sache que les choses sont soit rprouves, soit agres par ce quoi elles te mnent. Le gouvernement blmable est ce qui te dtourne de Dieu, ce qui tempche de tlever vers la servitude de Dieu et entache ta bonne conduite vis--vis de Dieu. Le gouvernement louable est celui qui te rapproche de Dieu et qui tunit son agrment. Il a beaucoup parl du gouvernement-par-soi et a crit un livre sur le sujet appel De labandon de la volont propre. Cest un excellent livre.

    Sidi Yaqut al-Arishi, le saint, le parfait, a dit : Tout mon enseignement tient en ces deux vers :

    Il ny a que Sa volont.Abandonne ces proccupations

    qui te dsorientent, et tu seras en paix.

    Sinvestir totalement dans ses affaires et ses dcisions, cest lindication que lil de ton cur sest assombri ; se laisser agir par Dieu, cest lindication de lillumination de lil de ton cur.

    Lauteur [Ibn Ata- Allah] a mentionn ensuite une autre raison de lassombrissement de lil du cur :

    Ton effort poursuivre ce qui tes garantiet ta ngligence poursuivre ce qui tes demand :preuves que lil de ton cur sest assombri.

    Faire leffort de poursuivre quelque chose, cest concentrer ses efforts et son nergie son obtention. La ngligence, cest la distraction et le gchis. Lil du cur, cest le moyen de perception du for intrieur, aussi bien que la vue est le moyen de perception des sens. Lil du cur ne voit que les significations et lil physique ne voit que les choses sensorielles. Lil du cur ne voit que le subtil et lil physique ne voit que lapparent. Lil du cur ne voit que lintemporel et lil physique ne voit que le temporel. Lil du cur ne voit que lEtre, alors que la vue ne peroit que les tres.

    Lorsque Dieu veut touvrir lil du cur, Il te rend Son serviteur dans tes actes et dvou ton amour pour Lui dans ton tre. Lorsque lamour et le service grandissent, la lumire de ton il du cur devient plus forte jusqu dpasser celle de la vue, et la lumire de la vue disparat dans la lumire de lil du cur pour ne voir que les significations subtiles et les lumires intemporelles perues par lil du cur. Voil le sens de ces vers du shaykh al-Majdhub :

    Ma vue sest vanouie dans la Visionet je fus annihil lphmre.

    Je lai ralis, et je ne pouvais voir dautre que Luiet je suis rest jamais ravi en cet tat.

    27 Voir note no5.

  • Lorsque Allah veut rabaisser Son serviteur, Il loccupe extrieurement au service des choses de ce monde, tandis que son intrieur est attach lamour de ces mmes choses. Il continue ainsi dans cette attitude, jusqu ce que la lumire de son oeil du cur steigne et que la lumire extrieure recouvre la lumire de lil du cur, de sorte quil ne voit plus que les choses sensibles et nagit plus que pour ces choses sensibles. Alors, il dploie des efforts pour obtenir les biens de ce monde qui lui sont garantis et devient ngligent pour sacquitter de ce qui lui est demand. Sil remplace la ngligence par une totale absorption dans le monde sensible et la paresse par un abandon total au monde, lobscurcissement devient un aveuglement complet. Cest cela, la mcrance. Que Dieu nous en prserve !

    Ce monde est comme la rivire de Goliath : aucune personne qui venait sy dsaltrer ntait sauve, sauf ceux qui nen prenaient quune petite gorge, et non pas ceux qui y tanchaient toute leur soif. Alors comprends bien cela ! Ce sont l les paroles du Shaykh Zarruq.

    Le shaykh ash-Shadili a dit : Lil du cur est comme lil sensible : la moindre poussire qui tombe dedans lempche de bien voir, mme si elle ne le rend pas aveugle. Il y a un pril dans ce qui brouille la vue et ce qui trouble la pense. Se complaire dans ce trouble efface la grce reue et agir en fonction de lui retire la personne une partie de son Islam et lui donne loppos la place. Quand cela atteint un point o la communaut est atteinte, o on tombe dans linjustice par orgueil et par amour de son rang social, quand lamour de ce monde lemporte sur lamour de lAutre Monde, lIslam quitte compltement la personne. Ne sois pas leurr par ce que tu vois autour de toi : il ny a de vritable esprit que dans un Islam consistant aimer Dieu et Ses serviteurs.

    Dployer des efforts pour ce qui est garanti est compltement blmable, que ce soit en action ou en paroles, lorsque lon dsire, par exemple, hter lobtention dune chose par des supplications ou par tout autre moyen. Cest l ce qui est indiqu dans la hikma suivante :

    Garde-toi du dsespoir si,en dpit de tes intenses supplications,Il tarde texaucer.

    Il a certes promis de texaucer,mais en ce quIl a choisi pour toi,non en ce que tu choisis pour toi-mme,

    Au temps voulu par Lui,et non au temps que tu aurais voulu.

    Une intense supplication, cest une supplication rpte afin dobtenir quelque chose par ce biais. Supplier, cest demander quelque chose avec toute la biensance spirituelle du serviteur sur son tapis de prire, en Prsence de son Seigneur.

  • La nature de celui qui demande est intrinsquement lie la nature de la chose demande. Sache quun des Noms de Dieu est al-Qayyum, lImmuable. Toute la cration, du Trne cleste jusqu la terre, est luvre de Dieu. Toute manifestation dans ce monde a une chance et un temps limit. Toute forme est provisoire. Quand leur terme vient, ils ne peuvent le retarder dune heure et ils ne peuvent le hter non plus. (Coran 7 : 34) Lorsque ton cur sattache un dsir, que ce soit pour ce monde ou pour lAutre, rappelle-toi cette parole de Dieu, hte-toi vers la connaissance de Dieu et carte-toi de la cupidit. La cupidit ne mne qu la lassitude et lavilissement. Le shaykh de notre shaykh, Moulay al-Arabi, a dit : Les gens dfinissent leurs besoins en fonction de leur cupidit et de leur attachement aux choses. Nous dfinissons nos besoins en fonction de notre capacit les avoir en tout dtachement intrieur, sans quils nous distraient de Dieu, selon limportance quon leur donne.

    Si tu dois supplier Dieu pour quelque chose, que ce soit pour la servitude absolue, et non pas pour une part de ce monde. Dleste-toi dune part dans ce monde, et ta part te sera rendue. Si ta supplication te submerge dintensit, et que Dieu tarde texaucer, ne mcroit pas en la promesse de Dieu lorsquIl dit : Appelez-moi, Je vous rpondrai. (Coran 40 : 60) Garde-toi du dsespoir quand lobtention de ce que tu as demand. Dieu ta donne la garantie quIl te donnerait ce quIl dsire des bienfaits de ce monde et de lAutre. Cest par bienveillance quil ne taccorde pas ce qui serait nfaste pour toi. Le shaykh ash-Shadili a dit : O Dieu, nous sommes incapables dviter le mal en sachant ce que nous savons, alors comment viter le mal en ne sachant pas ce que nous ne savons pas !

    Un exgte du Coran a dit que le verset suivant : Ton Seigneur cre ce quil veut et Il choisit ; il ne leur a jamais appartenu de choisir28 (Coran 28 : 68) signifie que cest Dieu qui donne le choix et que cest Lui qui te rpond au moment opportun et au moment o cest le plus bnfique pour toi ; et Il te le donne au moment o Il le veut et pas au moment o tu le veux. Il se peut quil attende que tu atteignes le Demeure Gnreux pour cela, le Demeure cleste, meilleur et plus durable. (Coran 87 : 17)

    Dans un hadith, lEnvoy de Dieu sur lui la paix et le salut a dit : Celui qui fait une supplication sera lun des trois suivants : soit il sera exauc diligemment, soit il sera exauc aprs un dlai imparti, soit il sera cart dun mal aussi fort. Le shaykh Abu Muhammad Abd al-Aziz al-Mahdawi a dit : Celui qui ninterrompt pas sa supplication avec plaisir en voyant que Dieu a choisi autre chose pour lui, est comparable celui dont on dit : Donne-lui ce quil veut : je ne veux plus entendre sa voix. Ce nest pas par sa volont quil est exauc ou quil nest pas exauc mais par la volont de Dieu. Les actions nont de valeur que par leur intention.

    A prsent, tout est clair concernant la promesse tenue par Dieu et le fait dagir selon la promesse venir, mais sous la forme quIl veut et au 28 Autre comprhension de cette partie du verset : Ton Seigneur cre ce quil veut et choisit [pour les hommes] ce qui leur convient le mieux.

  • temps voulu par Lui. Ainsi Il tenjoint la sincrit et laffirmation de son existence et Il tinterdit le doute et l'incertitude ; et cela, afin de parfaire louverture de ton il du cur et les lumires dlicieuses de ta conscience enfouie. Puis il (Ibn Ata- Allah) dit :

    De Sa promesse ne doute point,si ce qui est promis narrive pas,alors que lchance en tait dtermine :

    Cela porterait atteinte lil de ton curet ternirait lclat de ta conscience.

    Douter de quelque chose, cest osciller entre loccurrence et la non-occurrence. Porter atteinte lil du cur, cest le recouvrir dun voile. Lil du cur, cest cette facult de percevoir la signification subtile ; la conscience enfouie, cest la facult daffermir la connaissance de Dieu. Sache que lego, lintellect, lesprit et les apptits terrestres sont une seule et mme chose, mais ils diffrent par ce quils peroivent. Ce qui peroit les apptits, cest lego. Ce qui peroit la lgislation religieuse, cest lintellect. Ce qui peroit les effluves seigneuriaux (tajalliyat) et les touches mystiques (waridat), cest lesprit. Ce qui peroit la ralisation et les tats de permanence, cest la conscience enfouie. Toutefois, le lieu est le mme.

    Ternir lclat de quelque chose, cest locculter aprs quelle soit apparue. Quand Dieu fait une promesse, sexprimant par le biais dune Rvlation, dune inspiration Prophtique, par un saint ou par une trs forte effluve (tajalli), ne doute pas de cette personne, disciple, si tu es un vrai croyant. Si le moment o la promesse sera tenue nest pas spcifi, cest que la chose promise peut survenir au plus tt comme au plus tard. Mais ne doute pas sur le fait quelle surviendra, mme si cela prend le temps voulu. La supplication de Mose et de Harun lencontre de Pharaon mit quarante annes se raliser, aprs quil (Mose) dit : Seigneur, anantis leurs biens (Coran 10 : 88)

    Si le moment est spcifi, et que la chose ne survient pas, ne doute pas non plus de la vracit de la promesse. Cela peut tre li des raisons et des contingences que Dieu a occultes au prophte ou au saint afin de rvler (par la suite) Sa puissance et Son jugement. Pense Yunus (Jonas) fuyant son peuple aprs lavoir averti de la punition qui lattendait. Cest leur manque de soumission Dieu (Islm) qui tait en cause. Lorsquils furent soumis, la punition fut enleve. Le mme chose vaut pour No (Nuh) lorsquil dit : mon Seigneur, certes mon fils est de ma famille, et Ta promesse est vrit. Tu es le plus juste des juges. (Coran 11 : 45) Sa supplication correspondait au sens gnral (du terme fils). Puis Dieu rpondit : No, il nest pas de ta famille car il a commis un acte infme (Coran 11 : 46) : Nous tavons fait la promesse que ta famille vridique serait sauve des eaux, mais tu las compris au sens littral. Notre savoir est vaste.

  • Cela est un secret cach. Les prophtes et les hommes de Dieu voient au-del de la promesse littrale. Ils en sont donc dautant plus remus et ne peuvent trouver de rconfort ailleurs quen Dieu. Ils voient au contraire limmense tendue de Sa science et les effets de Sa puissance. On peut saisir cela en partie dans les paroles du prophte Abraham, lami de Dieu29 : Je nai pas peur des associs que vous lui donnez. Je ne crains que ce que veut mon Seigneur. Mon Seigneur embrasse tout dans Sa science. Ne vous rappelez-vous donc pas ? (Coran 6 : 80) ainsi que les paroles de Shuayb30 : Il ne vous appartient pas dy retourner ( la religion de la mcrance) moins que Dieu notre Seigneur ne le veuille. Notre Seigneur embrasse toute chose de Sa science (Coran 7 : 89). Il y a aussi le rcit de notre Prophte salut et paix de Dieu sur lui le jour de la bataille de Badr lorsquil pria jusqu ce que sa cape lui tombe des paules, disant : Dieu ! Ton engagement et ta promesse ! Dieu, si ce groupe est dtruit, il ny aura plus personne pour te glorifier aprs ce jour.Le Siddiq31lui dit : Cela suffit, Envoy de Dieu. Dieu tiendra la promesse quIl ta faite. On voit ici que lElu cherchait au-del de la promesse littrale et extrieure alors que le Siddiq nen voyait que la surface. Les deux avaient raison. Le Prophte voyait tellement plus loin et sa connaissance tait la meilleure.

    Concernant la trve de al-Hudaybiyya, le moment de la ralisation de la promesse ntait pas clairement formule, car Dieu dit : Il savait ce que vous ne saviez pas (Coran 48 : 27).32 Lorsque Umar lui dit : Ne nous avais-tu pas dit que nous entrerions la Mecque ? Il rpondit :

    -Tai-je dit que ce serait pour cette anne ? -Non, rpondit-il (Umar). Il rcita alors :- ayant ras vos ttes ou coup vos cheveux33.

    mon frre, prends ma main dans laffirmation de ce que Dieu ta promis, garde une bonne opinion de Lui et des ses Amis (ses saints), notre shaykh en particulier. Garde-toi de dissimuler en toi le refus ou le doute, car cela porterait atteint lil de ton du cur : cest bien une raison pour son obscurcissement et pour le ternissement de lclat de ta conscience intime. Il se pourrait que tu refasses tout le chemin que tu as parcouru et que tu dmolisses ce que tu as bti. Cherche la meilleure comprhension et accroche-toi la conclusion que tu en tireras. Nous avons dj cit les paroles du shaykh de notre shaykh, Sidi Ali : Lorsque nous dsirons une chose et quelle arrive, nous prouvons de la joie. Lorsquelle narrive pas, cette joie est multiplie par dix. Cette parole tait le fruit de limmense tendue de sa comprhension et du ferme enracinement dans sa connaissance spirituelle de son Seigneur.

    Dieu peut faire descendre aprs de Ses saints le dcret sans faire descendre auprs deux lannonce de Sa clmence. Lorsque le dcret descend accompagn de Sa clmence, il est lger et facile accepter, et

    29 Abraham est surnomm en Islam al-Khalil, lami de Dieu.30 Prophte arabe envoy aux hommes de Madyan, non loin de Damas.31 Abu Bakr as-Siddiq (le vridique) : compagnon du Prophte et premier calife de lIslam.32 La Mecque fut conquise deux annes aprs cette trve.33 Mme verset (48 : 27).

  • il descend parfois sur eux sans mme quils sen rendent compte ! Nous tmoignons de la ralit de cela, en nous-mmes et en nos shaykhs. Cela na pas diminu notre sincrit ni teint la lumire de notre conscience intime. Dieu en soit lou !

    Note : Sidi at-Tawudi ibn Sawda a dit : Cette connaissance est subtile. Quelquun demand : Doit-on croire que le temps que mettent les promesses de Dieu se raliser peuvent tre connues ? Dans les promesses de la Rvlation Coranique, les dcrets sont arrts une bonne fois pour toutes, mais si cest par inspiration, des doutes au sujet du dcret nobscurcissent en rien lil du cur puisque ce nest pas une obligation religieuse que dy croire.

    Nous rpondons : Ces paroles sadressent aux disciples vridiques ou ceux qui sont parvenus au terme de la Voie. Ils doivent couter et croire en leurs shaykhs pour tous ce quils disent, car ce sont les hritiers des prophtes et ils suivent leurs pas. Les prophtes reoivent la Rvlation et le Jugement de Dieu, et les saints reoivent linspiration, car leurs curs sont purifis de toute entache et de toute altrit et ils sont emplis de lumire et de secrets : seule la Vrit sy manifeste. Lorsquil promettent ou mettent en garde contre quelque chose, le disciple doit y croire. Sil prouve des doutes ou de lhsitation propos de ce que Dieu a promis par le biais de son prophte ou de son shaykh, la lumire de lil de son cur sen trouve diminue et sa conscience intime se dessche. Si lheure de la ralisation de la promesse nest pas spcifie, attends patiemment quelle survienne, mme si cela prend du temps. Si lheure est spcifie et quen fin de compte elle ne survient pas, comme les Envoys de Dieu, dis-toi que cela est du un raisonnement subtil et des raisons non rvles. Cest toute la diffrence entre siddiq et le sadiq : le siddiq nhsite pas et ne stonne jamais, alors que le sadiq hsite avant dagir. Sil assiste alors un phnomne miraculeux, il sen tonne et nen revient pas. Dieu sait mieux.

    Lorsque le disciple est revtu des attributs de la perfection, il ne peut que reconnatre la puissance de la Majest extrieure et de la Beaut intrieure. Toutefois, le disciple cheminant peut prouver des doutes quant aux promesses de Dieu de la rcompense sainte et des ouvertures spirituelles qui en dcoulent. Cest pourquoi le shaykh (Ibn Ata- Allah) dit :

    Sil trouve une voie vers la connaissance,quimporte si tes oeuvres sont minimes ?

    Cette voie, il te la ouverte, que parce quil veut se faire connatre toi.

    Ne sais-tu pas que la connaissance est Son don,tandis que les uvres sont ton offrande ?

    Quelle commune mesure entre ce quIl te donneet les offrandes que tu Lui prsentes ?

  • Touvrir la voie vers la connaissance signifie te la prparer et te la rendre facile. On emploie ce terme gnralement au sens positif. Ici il est associ la connaissance des choses de la beaut et de leur provenance.

    Ce qui est ouvert, cest la porte, lentre. Se faire connatre toi, signifie ici que Dieu veut enclencher la reconnaissance du disciple. On dit : untel sest fait connatre moi lorsque la personne a voulu se faire connatre toi. La connaissance spirituelle enracine la ralit de ce qui est connu dans le cur, de manire ce que ce qui est connu ne peut plus le quitter.

    Lorsque Dieu se manifeste toi par Son Nom le Majestueux ou Son Nom le Conqurant et quainsi il touvre une porte et un chemin vers la reconnaissance de Lui, alors sache que Dieu tas pris en charge et quIl ta choisi pour toctroyer Sa proximit et pour te donner Sa prsence. Alors accroche-toi la biensance spirituelle envers Lui : sois satisfait et soumis Lui, en tout tat. Reois tout cela avec joie et gratitude. Ne te proccupe pas des uvres que tu nas pas accomplies pour Lui, que tu aurais pu accomplir. Cette manifestation de Dieu est un moyen daccs aux uvres de ton cur. Il ne ta ouvert cette porte quafin de lever le voile entre toi et Lui, et afin que tu ailles vers Lui. IL ne te guide vers les uvres quafin que tu parviennes l o tu dois aller. Il y a une trs grande diffrence entre les actions dsordonnes et les tats intrieurs de ton me malade vers lesquels tu es guid, et ce que Dieu te donne en termes de connaissance divine !

    Alors, disciple, sois reconnaissant de ce qui ta t donn de ces contemplations de la Majest rigoureuse, ces vents puissants et des choses telles que les maladies, la douleur, la crainte, ainsi que tout ce qui est lourd et douloureux lego, comme la pauvret, lavilissement social, le mpris des cratures, toutes ces choses que lego naime pas. Ce sont, en ralit, de grandes bndictions et des dons gnreux qui te montrent le degr de ta sincrit envers Dieu. En effet, le degr de la reconnaissance de Dieu est donn en fonction du degr de ta sincrit. Les hommes les plus affligs furent les prophtes, puis les meilleurs des hommes aprs eux, et puis les meilleurs aprs les meilleurs. Lorsque Dieu veut raccourcir la distance qui le spare de Son serviteur, Il lafflige afin de le purifier et de le nettoyer. Il sera donc prt entrer en Sa prsence, tout comme largent et lor sont purifis par le feu pour rejoindre le trsor du roi.

    Les shaykhs et les connaissants de Dieu se rjouissent de ces vents et les considrent comme des dons. Le shaykh al-Imrani les nommait la Nuit de la Majest, car il dit que la contrition est la Nuit de la Majest, qui est meilleure que mille mois34 , car le disciple rcolte les uvres de son cur par cet tat. Un atome de ces uvres vaut mieux quune montagne duvres des organes externes. Jai crit deux vers ce sujet :

    Lorsque le temps de la ncessit frappe ma porte,34 La Nuit de la Majest, ou la Nuit du Destin : jour du ramadan correspondant la nuit de la descente du Coran dans le cur du Prophte, qui est, dans le Coran, meilleure que mille mois (97 : 3)

  • Je lui ouvre celle de la joie et de la reconnaissance.

    Je lui dis : Sois la bienvenue, sois la bienvenue mille fois !Ton temps pass mes cts vaut plus que la Nuit de la

    Majest !

    Sache que ces vents de Majest et de rigueur sont des preuves venant de Dieu, et un indicateur ; ils sont ce par quoi on distingue largent et lor du cuivre. Nombreux sont les prtendants qui exhibent leur savoir et leur confiance avec la langue. Alors les vents temptueux des dcrets divins les frappent et les retranchent dans le dsert du dsespoir et du refus. Si quelquun dit possder une chose quil na pas, il sera mis lpreuve et disgraci.

    Le shaykh Moulay al-Arabi avait lhabitude de dire : Il mest toujours trs tonnant de voir quelquun qui demande avec enthousiasme la connaissance de Dieu, puis, quand Dieu lui donne lopportunit de Le voir, il senfuit et refuse de sy confronter. Le shaykh al-Buzidi a dit : Il y a trois catgories de manifestations de la Majest divine : celle de la punition et de lexpulsion, celle de la discipline et de ladmonition, et celle du cheminement et de lascension.

    Pour ce qui est de la catgorie de la punition et de lexpulsion, elle est applique ai disciple qui fait preuve dimpolitesse vis--vis de Dieu, et il en est puni. Comme il nest pas conscient quil est puni pour cela, il se fche, dsespre et renie Dieu. Ainsi son tat augmente sa distance de Dieu et son expulsion. Pour ce qui est de la catgorie de la discipline, elle est aussi applique celui qui se montre impoli vis--vis de Dieu. Dieu le remet sa place, Il lenseigne par ce geste et il lui fait voir son impolitesse spirituelle. Il cesse alors de ngliger Dieu. Cest donc une bndiction que dtre trait par Dieu par voie dadmonition. Pour ce qui est de la catgorie du cheminement et de lascension, elle est celle de ceux qui reoivent ces manifestations de la Rigueur sans quil nait mal agi pour les recevoir. Il reoit la connaissance de Dieu et se discipline lui-mme grce ces manifestations. Il slve ainsi jusqu la station de lenracinement et de la ferme conviction. Voil pourquoi on a pu dire : Lenracinement varie en fonction de la mise lpreuve.

    Conseil : Si tu as besoin dtre soulag du poids de la Rigueur divine, alors accueille-la par son oppos : la Beaut divine. Elle se transformera immdiatement en Beaut. La mthode suivre, cest que lorsquil se manifeste toi extrieurement par Son Nom le Contraignant, tu dois Le rencontrer avec la dilatation intrieure. La contraction deviendra une dilatation. Lorsquil se manifeste toi par Son Nom Le Fort, accueille le avec ta faiblesse. Lorsquil te fait connatre Son Nom Le Puissant, accueille-le avec ton humilit. Cest comme cela que lon unit les contraires.

    Le shaykh Moulay al-Arabi a dit : Il sagit l de la seule et mme Ralit. Si tu le bois comme du miel, tu trouveras que cest du miel. Si tu le bois comme du lait, ce sera du lait. Si tu le bois comme de la coloquinte, tu le trouveras amer comme la coloquinte. Donc, mon frre, bois ce qui est beau et laisse ce qui est laid.

  • Puis il voque les uvres et leurs fruits, qui sont la biensance vis--vis de Dieu, la pacification devant le passage des dcrets sans tenter de les changer, dinfluencer les choix de Dieu, dacclrer ce qui est compromis ou de compromettre ce qui arrive. Ces attitudes sont un indicateur quant ce qui merge du pouvoir qui tes octroy en mme temps que la connaissance de Dieu. Il voque les diffrentes formes duvres et la discipline de celui qui les accomplit :

    Multiples sont les uvres parce quemultiforme lavnement des tats spirituels.

    Les uvres signifient ici les actions et mouvements physiques, et les tats spirituels (waridat) sont les mouvements du cur. Les tats traversants et les tats dtre mystiques ont le mme locus : le cur. Aussi longtemps que le cur est divis entre la lumire et lobscurit, ce qui sy manifeste sont des tats traversants (khatir). Ds lors que lobscurit en est chasse, ce qui sy manifeste sont des tats dtre spirituels. Tous deux sont changeants, impermanents. Ds lors que ltat reste et perdure, il est appel station (maqam).

    Les actions extrieures varient en fonction des tats intrieurs : les actions du corps suivent les actions du cur. Lorsque le cur se contracte, le corps ralentit et simmobilise. Lorsque le cur se dilate, le corps se meut et sallge. Lorsquun tat asctique et scrupuleux sempare du cur, leur effet se fait sentir sur le corps par le dtachement du monde et labstention de suivre ses passions. Si le dsir et lavidit semparent du cur, le corps finit par tre surmen et fatigu. Si lamour et le dsir ardent de Dieu surviennent dans le cur, leffet sur le corps et lextase et la danse mystique. La mme chose peut sappliquer aux autres tats et aux actions qui en rsultent.

    Les tats du cur sont multiformes et de ce fait les actions le sort aussi. Un cur peut aussi tre domin par un tat, et une seule sorte daction en rsultera. La contraction, par exemple, peut dominer une personne, et il agira de manire svre dans toutes ses actions. Elle peut aussi connatre la dilatation, ou tout autre tat. Dieu sait mieux.

    Un hadith dit : Il y a un morceau de chair dans le corps, lorsquil est sain, tout le corps est sain, mais lorsquil est corrompu, tout le corps est corrompu. Il sagit du cur. Cest la raison pour laquelle il y a toute sorte de soufis. Il y a des adorateurs religieux, les asctes, des hommes consciencieux, des disciples et des connaissants en Dieu. Le shaykh Zarruq dit dans son Qawaid35 : La pit (nask), cest adopter toute forme de vertu sans se proccuper dautre chose que cela. Si quelquun dsire connatre la ralisation de sa pit, alors cest un adorateur dans la religion. Sil sincline pour tre lcoute de ses tats intrieurs, alors cest un homme consciencieux. Sil prfre dtacher sa qute de ce 35 Shaykh Ahmad Zarruq, Qawaid al-tassawuf. Shaykh soufi et thologien (1442-1493), il fut lun des matres les plus influents de la Shadiliyya.

  • monde pour tre plus en scurit, alors cest un ascte. Sil sabandonne la volont de Dieu, alors cest un connaissant en Dieu. Sil sattelle au bon comportement et lenracinement dans la Voie, alors cest un disciple.

    Il dit aussi dans une autre rgle du soufisme : Il y a de multiples chemins, mais il ny a quun objectif. Malgr toutes les diffrentes mthodes, ladoration, le dtachement, la contemplation, le disciple unificateur poursuit son chemin, la Voie Royale qui le mnera Dieu. Tous les chemins sinterpntrent. Le contemplatif doit aussi faire preuve dadoration religieuse car il doit glorifier Celui quil reconnat. Il doit faire preuve de dtachement intrieur de ce monde, car il ne connat pas la Vrit de Dieu sans se dtacher des illusions. Ladorateur religieux doit avoir les deux, car il ny a pas dadoration sans contemplation, et pas de dvotion dans ladoration sans dtachement des choses de ce monde. Sans cela, les grces reues de Dieu ne portent pas de fruits. Celui qui est domin par son action religieuse est un adorateur, celui qui est domin par le dtachement du cur est un ascte, celui qui est domin par la contemplation de la manire dont Dieu dispose des choses est un connaissant en Dieu. Tout cela, cest le soufisme. Mais Dieu sait mieux.

    Comme la sincrit est la condition pralable ncessaire toute uvre et action, il [Ibn Ata- Allah] ajoute :

    Les uvres sont des formes figes :Le souffle de vie y pntre par le secret de lintention.

    Les uvres sont ici les actions dans le monde physique et les celles du cur. Les formes sont le cadre fix par lesprit. Le souffle de vie (ruh) et le secret sont nichs dans les cratures vivantes. Ici il sagit de ce par quoi la perfection des actions est atteinte. Lorsque le cur est sincre, il se dvoue tout entier ladoration du Seigneur dans son secret intime et dans son corce. Les actions du disciple sincre proviennent dun cur dlest de son illusion de puissance et de suffisance. La sincrit remplace alors lostentation et le polythisme cach. La conscience intime remplace lorgueil. La vanit et lostentation sont contraires toute action sincre, et empche laccomplissement du parfait agir.

    Toute uvre est forme et corporalit. Le souffle de vie y pntre par le secret de lintention. Tout comme les formes ne tiennent leur existence que de lesprit qui est prsent en eux sans lequel ils meurent ou se figent ainsi les uvres du corps et du cur nont de substance que par la sincrit insuffle en elles. Autrement, ce ne sont que des formes riges et vides qui ne sont daucun intrt. Dieu le Trs-Haut dit : il ne leur a t command de nadorer que Dieu, en Lui vouant un culte sincre, en bon croyants originels (Coran 98 : 5) et : Adore donc Dieu en Lui vouant un culte sincre. (Coran 39 : 2) LEnvoy de Dieu sur lui la paix et le salut a rapport que Dieu dit : Je suis le plus loign de ce qui Mest associ. LEnvoy de Dieu sur lui la paix et le salut a dit :

  • Ce que je crains le plus pour ma communaut, cest le polythisme cach : lostentation. Dans une autre version, il dit :

    Crains le polythisme cach, il est rampant comme une fourmi.-Quest ce cest que le polythisme cach ? Demandrent-ils.-Cest lostentation, rpondit-il.

    Dans un hadith, on demanda au Prophte sur lui la paix et le salut de parler de la sincrit. Pas avant que ne men enquires auprs de lAnge Gabriel, rpondit-il. LAnge Gabriel lui dit : Pas avant que je ne men enquires auprs du Seigneur de la Puissance. Lorsquil Linterrogea, Il lui dit : Cest un de mes secrets, que jai enfoui dans les curs de mes serviteurs qui Maiment. Nul ange ne le voit pour le noter et nul diable ne le voit pour le corrompre. Lun des sincres a dit : Cest la station de lexcellence (ihsan) : que tu adores Dieu comme si tu Le voyais36.

    Il y a trois degrs de sincrit : celui des gens du commun, celui de llite et celui de llite de llite. La sincrit des gens du commun, cest sappliquer sparer les affaires du monde et le rapport Dieu afin dtre rcompens dans ce monde et dans lAutre, comme par exemple la prservation de son corps, de largent, une bonne subsistance, des chteaux et des houris (dans lAu-del). La sincrit de llite, cest de rechercher la rcompense dans lAu-del plutt quen ce bas monde. La sincrit de llite de llite, cest ne pas rechercher sa part : par leur adoration ils ne visent que la servitude Dieu et lapplication des choses prescrites par Lui, lamour ou le dsir ardent de Sa Face, comme le dit Ibn al-Farid :

    Je ne dsire pas les dlices du Jardin.Mon seul dsir est celui de Te voir Toi.

    Une autre37 a dit :

    Tous tadorent par crainte de lenfer,voyant dans le salut une rcompense gnreuse,

    Ou bien ils dsirent sjourner dans le Jardin,se prlasser dans les prairies, buvant leau de Salsabil.

    Pour ma part, je nai davis ni sur lun, ni sur lautre.Je nchangerais rien contre mon amour.

    Le shaykh Abu Talib a dit : Pour les sincres, la sincrit, cest enlever toute crature de son lien Dieu, la Ralit Ultime. La premire crature enlever, cest soi-mme. Pour les amoureux de Dieu, la sincrit, cest ne rien faire pour soi. Sinon son acte est corrompu par la 36 Rfrence un hadith authentique notoire, dit de Gabriel: la question Quest-ce que lexcellence (ihsan) ?, le Prophte rpondit : Cest adorer Dieu comme si tu le voyais, car, si tu ne Le vois pas, certes Lui te voit.37 Il sagit de Rabia al-Adawiyya, la sainte de Basra (717801).

  • recherche dune rcompense et de son propre intrt. Pour les unificateurs, cest ne plus voir dans les actions les cratures agissantes, mais Dieu. Ils ne dpendent donc pas des cratures et ne se complaisent pas dans leurs tats.

    Un shaykh a dit : Tu dois parfaire tes actions par la sincrit et parfaire ta sincrit par la libert de toute illusion de puissance par soi. Un connaissant en Dieu a dit : La sincrit ne peut satteindre que lorsque tes actes sont transparents pour les gens et que tu ne voies plus leurs regards. Cest pourquoi un autre a pu dire : L o tu tombes dans lestime des gens, tu montes dans lestime de Dieu. Cela vaut, bien sr, lorsque lon accorde une importance au regard dautrui.

    Jai entendu notre shaykh dire : Tant que le serviteur de Dieu sobstine avoir le regard anxieusement tourn vers les autres, il ne connatra pas la sincrit. Il dit aussi : Tu ne peux pas guetter la cration et guetter Dieu en mme temps, car il est impossible de voir Dieu et ce qui nest pas Dieu en mme temps. Ce constat rappelle quil est impossible de quitter les tendances de lego et dtre purifi de lostentation subtile sans la guidance dun shaykh. Dieu sait mieux.

    La vie obscure fait partie de la sincrit. En effet, lattitude o lon dissimule son degr spirituel la socit est la meilleure, car lego ny rcolte rien. Cest pourquoi il [Ibn Ata- Allah] dit ensuite :

    Dans une vie obscure ensevelis-toi :ce qui pousse avant dtre mis en terrene parvient pas maturit.

    Ensevelir, cest recouvrir et cacher. Une vie obscur