collection « approfondissement de la connaissance

26

Upload: others

Post on 22-Jun-2022

4 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Collection « Approfondissement de la connaissance
Page 2: Collection « Approfondissement de la connaissance

Collection « Approfondissement de la connaissance économique » dirigée par Bernard Lassudrie-Duchêne

J e a n - P a u l C r e s t a

Professeur à l'Université des Sciences sociales de Toulouse

ECONOMICA 49, rue Héricart, 75015 Paris

1984

Page 3: Collection « Approfondissement de la connaissance

© Ed. ECONOMICA, 1984

Tous droits de reproduction, de traduction, d'adaptation et d'exécution réservés pour tous pays.

Page 4: Collection « Approfondissement de la connaissance

La théorie économique des assurances est longtemps restée limitée aux cercles des actuaires qui utilisaient de façon très sophis- tiquée le calcul des probabilités mais se limitaient aux problèmes pratiques posés au niveau d'une compagnie, avec le souci primordial de définir des réserves et des primes permettant d'éviter la banque- route ou «ruine».

Au début des années soixante, certains actuaires tels Karl Borch ont commencé à percevoir l'intérêt pour l'étude de l'assurance de l'économie de l'incertain développée dans les années cinquante par les théoriciens de l'équilibre général. Simultanément, certains de ces théoriciens, tels Arrow, ont commencé à apprécier certains aspects fascinants du marché des assurances, comme le risque moral c'est-à-dire la possibilité pour les agents de modifier leurs probabi- lités d'accident par un comportement d'auto-protection, qui inter- pelaient l'économie théorique de l'incertain en définissant de nom- breux problèmes ouverts.

L'ouvrage de Jean-Paul Cresta apporte un ensemble de contribu- tions importantes sur la théorie pure des assurances. Le prix que lui a décerné l'Association Internationale pour l'Etude de l'Economie de l'Assurance financée par les Compagnies d'assurance montre que le dialogue entre théoriciens de l'économie de l'incertain et assu- reurs est toujours d'actualité.

En associant un bien économique à chaque état de la nature, c'est-à-dire à chaque événement futur envisageable, le modèle Arrow-Debreu permet de fournir un cadre conceptuel normatif dans lequel des intuitions et résultats de la théorie de l'équilibre général en univers certain peuvent être transposés. Lorsqu'on étudie les risques individuels, il apparaît immédiatement intuitif que la structure de marchés à la Arrow-Debreu est tout à fait irréa- liste. Ainsi s'il y avait une seule possibilité d'accident dans l'avenir pour chaque agent, il faudrait déjà envisager 2N marchés où N se compte en milliards. Il revint à Malinvaud de montrer de façon rigoureuse comment une structure de marchés beaucoup plus économe en nombre de marchés, qui correspond à l'assurance individuelle, pouvait réaliser des allocations équivalentes aux allocations de l'équilibre Arrow-Debreu lorsque les risques sont individuels et indépendants.

Page 5: Collection « Approfondissement de la connaissance

Le premier chapitre de l'ouvrage étend la théorie de Malinvaud au cas de plusieurs types d'agents avec probabilités d'accident dif- férentes et au cas où les risques individuels sont partiellement dé- pendants. L'analyse est ici en information parfaite de sorte que comme dans le modèle de Malinvaud les prix d'équilibre dérivent immédiatement de la connaissance des probabilités d'accident.

J.P. Cresta met en évidence que la condition de profit nul des compagnies d'assurance est analogue à une sorte de loi de Walras ex-post pour la demande excédentaire moyenne. Or, la loi de Walras est bien vérifiée ex-ante dans une économie où on aurait considéré deux biens pour chaque agent, l'indemnité nette dans l'état 1 et la prime dans l'état 2 et où on aurait formalisé le comportement de la compagnie d'assurance vendant des indemnités nettes et achetant des primes. Cependant ex-post il n'y a aucune raison que les fonctions de demande obtenues ex-ante satisfassent une loi de Walras pour la demande excédentaire moyenne.

Le deuxième chapitre étend l'analyse d'équilibre général au cas de l'information imparfaite, plus précisément au cas où l'informa- tion est asymétrique, les consommateurs connaissant leurs proba- bilités d'accident alors que les compagnies ne connaissent que le support de ces probabilités. J.P. Cresta montre alors que les diffi- cultés d'inexistence d'équilibre avec profit nul des assurances qui avaient été mises en évidence dans le problème du risque moral se retrouvent dans le contexte d'asymétrie d'information décrit ci-dessus, que l'on appelle problème de sélection adverse. Techni- quement, la condition de profits nuls des assurances n'a pas les bonnes propriétés d'une loi de Walras bien qu 'elle ressemble à une loi de Walras ex-post d'où les difficultés d'existence. Il montre néanmoins qu'il existe des équilibres avec rationnements. Suivant l'interprétation entamée ci-dessus, cela veut dire qu'il n'existe pas dans ce contexte d'équilibre concurrentiel dans lequel les compa- gnies ont un profit nul. Imposer dans la définition de l'équilibre la nullité de ces profits ne peut être rendu compatible avec le com- portement d'optimisation des consommateurs que si on leur impose des rationnements.

Le troisième chapitre expose la théorie de l'équilibre concur- rentiel en information asymétrique lorsque les biens échangés entre les assurances et les consommateurs sont des contrats prix- quantités, c'est-à-dire des contrats non linéaires particuliers, et l'éclaire d'un jour nouveau en montrant que les contrats réalisables par une compagnie d'assurance sont identiques à des mécanismes incitatifs qui conduisent les consommateurs à révéler leur proba- bilité d'accident. Ainsi, en offrant deux types de contrats, l'un avec couverture totale mais prix unitaire élevé, l'autre avec couverture partielle mais prix unitaire faible on peut conduire le consommateur

Page 6: Collection « Approfondissement de la connaissance

à haut risque à accepter le premier contrat car il craint beaucoup l'accident à juste raison ; celui qui a un faible risque accepte d'envi- sager seulement une couverture partielle car sa probabilité d'acci- dent est faible.

Le quatrième chapitre qui conclut le livre étudie la structure de marché opposée à la concurrence, c'est-à-dire la situation de mono- pole de la compagnie. J.P. Cresta généralise de façon substantielle les résultats de Stiglitz en étudiant le cas de pertes d'accident de taille variable, toujours avec asymétrie d'information. Dans un marché monopolistique comme dans un marché concurrentiel, certains agents à haut risque peuvent ne pas pouvoir s'assurer et les contrats d'équilibre peuvent contenir des clauses de coassurance dès lors qu'il y a information asymétrique sans qu'il y ait risque moral. Dans la structure monopolistique il y a toujours discrimina- tion entre les agents différents alors que la structure concurrentielle peut, pour certaines notions d'équilibre au moins, conduire à des équilibres mélangeants où haut risque et bas risque sont traités de façon identique.

Pour dominer tous les phénomènes que j'ai évoqués et qui sont au cœur de la problématique de l'assurance, le livre de J.P. Cresta est une étape importante. J'ai essayé dans cette préface de con- vaincre le lecteur de suivre l'auteur dans sa démarche que certains trouveront austère mais qui tout bien considéré fournit certaine- ment le meilleur raccourci possible vers la connaissance profonde du sujet.

Jean-Jacques LAFFONT Professeur à l'Université des Sciences Sociales de Toulouse

Page 7: Collection « Approfondissement de la connaissance
Page 8: Collection « Approfondissement de la connaissance

Durant les trois décennies qui ont suivi la fin de la deuxième guerre mon- diale, le secteur des assurances a connu un développement exceptionnellement rapide dans l'ensemble des pays occidentaux : en France, par exemple, le total des encaissements des Compagnies d'Assurances a été multiplié par 26 entre les années 1950 et 1975, tandis qu'au cours de la même période, le niveau du produit national brut ne s'accroissait que de 140 % *.

Aussi, tant par le volume de son chiffre d'affaires que par son impact sur le marché financier, le secteur des assurances est l'un des secteurs les plus importants des pays développés.

Dès le début du XIX siècle, la gestion des grandes compagnies d'assurance a été notablement influencée par la théorie actuarielle, fondée sur la prise en compte des risques, qui a suivi le développement du calcul des probabilités.

Ainsi, après les travaux de Pascal («La géométrie du hasard») et du Hollan- dais Christian Huyghens, Jean de Witt établit, à la fin du XVII siècle, le calcul des rentes viagères. Les recherches, complétées à la fin du XVIII siècle par l'astronome anglais Halley, le théologien allemand Neumann et le Français Deparcieux, conduisirent au premier traité d'actuariat, œuvre de l'Anglais Richard Price.

Au contraire de la théorie actuarielle, la théorie économique n'a joué que très récemment un rôle dans le fonctionnement des compagnies et la régu- lation des marchés des assurances ; en effet, il n'existait pas, jusqu'au milieu des années soixante, d'interprétation économique globale et cohérente des phénomènes d'assurance et l'économiste américain Arrow ([7] page 134) pouvait écrire, en 1970 : «... il faut cependant reconnaître que les théoriciens de l'économie n'ont eu que très peu de choses à dire en ce qui concerne la théorie des assurances qui s'est développée pratiquement sans aucune référence aux concepts fondamentaux d'utilité et de productivité**».

Cette situation, paradoxale en regard de l'importance du secteur des assu- rances, s'explique par ce que la théorie des assurances, en tant que problème

* Cf. Louberge H., Economie et finance de l'assurance et de la réassurance», Dalloz, 1981. ** «... yet, it is fair to say that economic theorists have had little to say about it, and insu- rance theory has developed with virtually no reference to the basic concepts of utility and productivity».

Page 9: Collection « Approfondissement de la connaissance

d'allocation des risques, se trouve fondamentalement enracinée dans la théorie économique de l'incertain dont l'essor ne date vraiment que d'une vingtaine d'années.

Aussi, ce n'est qu'à partir du milieu des années 1970, que la théorie écono- mique a permis d'abord de proposer des interprétations homogènes et logiques des structures des marchés d'assurance, puis de développer des aspects norma- tifs : quel type de tarification doit-on préconiser suivant le critère social retenu, est-il «souhaitable» d'organiser des marchés plus réglementés ou plus «concur- rentiels» ?

Cette avancée de la théorie est étroitement liée à la prise en compte de deux types d'asymétrie d'information qui affectent les marchés d'assurance : la «sé- lection adverse» et le «risque moral» sur lesquels est centrée cette étude et que nous allons maintenant définir en précisant la place de la théorie des assu- rances dans l'ensemble de la théorie économique de l'incertain.

. —

L'incertitude exogène est à l'origine même des activités d'assurance puisque les agents économiques sont soumis à des aléas individuels (bonne santé ou maladie, accident automobile ou non) qui modifient leurs ressources disponi- bles et éventuellement leurs préférences.

Mais il est un point qu'il convient de souligner : un contrat d'assurance spé- cifie des indemnités qui sont contingentes aux états individuels des assurés et non aux états de la nature au sens de Debreu [27]. Une question capitale pour la compréhension de la théorie des assurances est donc de savoir comment l'on peut passer d'une organisation des échanges (de type Arrow-Debreu) où les biens sont contingents aux états de la nature à une organisation des marchés où les biens ne sont contingents qu'aux états individuels (un marché d'assu- rance) .

Ce premier aspect fondamental de la théorie des assurances sera examiné dans le premier chapitre ; généralisant certains résultats de Malinvaud [71], nous montrerons qu'un marché d'assurance conduit à des allocations (presque sûrement) identiques aux allocations d'équilibre d'une organisation des marchés de type Arrow-Debreu, tandis que sa structure est beaucoup plus simple et ses coûts d'organisation moins importants ; mais, pour pouvoir obtenir ce résultat, il est nécessaire de supposer que les compagnies d'assu- rances ont une information parfaite sur les probabilités des risques de chacun de leurs assurés.

Un autre aspect de cette question est de savoir si un marché, où les biens ne sont contingents qu'aux états individuels, a les mêmes propriétés qu'une organisation de type Arrow-Debreu.

Page 10: Collection « Approfondissement de la connaissance

Nous montrerons que ce n'est pas le cas, en particulier que la loi de Walras qui est toujours satisfaite dans une organisation de type Arrow-Debreu, n'est pas satisfaite dans une organisation économique où les biens sont contingents aux états individuels.

Cependant, puisqu'il est possible de remplacer une organisation des mar- chés de type Arrow-Debreu par un marché d'assurance avec information par- faite sans modifier la nature des allocations d'équilibre, l'étude de la demande d'assurance, contingente aux états individuels, se trouvait justifiée.

De nombreux auteurs, Arrow [4], Borch [15, 16], Gould [38], Mossin [81], Pashigian, Schakde et Menefee [84] ont ainsi développé la théorie de la de- mande d'assurance et posé le problème d'un système d'assurance optimal. Arrow [6 ] a généralisé un grand nombre de ces solutions au cas de fonctions d'utilité dépendant des états individuels ; les résultats de ces études, fondés sur la notion d'aversion pour le risque, sont maintenant bien connus et constituent une première étape décisive dans l'élaboration de la théorie mo- derne de l'assurance.

Mais ces résultats ne permettaient, encore, aucune interprétation satisfai- sante ni de la diversité des polices d'assurance que l'on peut observer sur un même marché, ni de la structure particulière de ces marchés.

Un problème majeur posé aux entreprises d'assurance est l'asymétrie d'in- formation entre assureur et assuré ou entre assureur et courtier : l'assuré ou le courtier, dans certains cas, connaît beaucoup mieux la nature du risque auquel il fait face que l'assureur.

Ainsi, parmi les différents types d'incertitude endogène qui peuvent affec- ter les marchés d'assurance, les théoriciens ont-ils, pour l'immence majorité, mis l'accent sur deux phénomènes : le «risque moral» et la «sélection adverse» auxquels nous limiterons notre étude.

Aussi bien en ce qui concerne la sélection adverse que le risque moral, deux phases peuvent être schématiquement distinguées dans cette nouvelle étape de la théorie de l'assurance, qui correspondent à un degré croissant de compréhension et de modélisation du comportement de la firme dans un environnement incertain et qui aboutissent à une analyse très profonde de l'offre et de la structure des marchés d'assurance.

II. 1 - La sélection adverse

Le problème de la sélection adverse a pris une grande place dans la théorie économique à la suite de l'article d'Akerlof [2]. Cet auteur a montré que lorsque les consommateurs sont moins bien informés sur la qualité des biens

Page 11: Collection « Approfondissement de la connaissance

(par exemple sur la qualité des voitures d'occasion) que les vendeurs, alors cette asymétrie d'information peut conduire à un effondrement des échanges d'équilibre.

En théorie des assurances, l'expression «sélection adverse» désigne le phé- nomène suivant : lorsque plusieurs catégories distinctes d'assurés coexistent et que les assureurs ne connaissent pas les probabilités d'accident de leurs assurés, alors la solution d'équilibre sur le marché des assurances peut être telle que seuls les assurés à risques élevés d'accident achètent de l'assurance.

L'hypothèse cruciale pour l'obtention de ce résultat est qu'il existe, entre les assureurs et les assurés, une asymétrie d'information : alors que les assu- reurs, qui ne connaissent pas les probabilités d'accident, sont incapables d'éva- luer le risque initial moyen que représente chaque assuré, les assurés savent quelles sont leurs probabilités d'accident et l'espérance mathématique de leurs pertes.

Néanmoins, Rothschild et Stiglitz [102], Wilson [114, 115], Spence [109], Riley [95,, 96, 97] ont montré que les conséquences de ce problème infor- mationnel sont beaucoup plus importantes et diverses en ce qui concerne le marché des assurances que ne le laissait initialement prévoir la contribution d'Akerlof.

Aussi avons-nous préféré désigner par «sélection adverse» ce type même d'asymétrie d'information plutôt que certaines de ses conséquences écono- miques .

Face à ce problème de sélection adverse, les assureurs peuvent entreprendre deux types d'actions, terminales (non informatives) ou informatives.

a) Plusieurs auteurs ont étudié, dans un premier temps, le cas où les assureurs n'utilisent que des actions terminales : citons principalement les modèles de Pauly [86] et de Johnson [56].

Pauly [86] présente un modèle d'intervention de l'état sur les marchés d'assurance.

Dans cette étude, le groupe des assurés à risque faible est plus nombreux que celui des assurés à risque élevé, et le choix du système d'assurance se fait par vote majoritaire ; cette solution peut améliorer le bien-être des deux groupes d'individus par rapport à la solution «concurrentielle». (Remarquons que le concept de concurrence sur le marché des assurances proposé par Pauly est très fort puisque chaque assuré peut acheter la quantité d'assurance qu'il désire auprès de chaque compagnie d'assurance concurrentielle). Il est alors possible d'ajouter à ce régime public, un régime privé dans lequel les assurés à risques élevés pourraient compléter leurs besoins d'assurance.

Notons que Pauly [86] comme Johnson [56] se sont principalement atta- chés aux problèmes posés par les «mauvaises» allocations d'équilibre concur- rentiel. Mais, l'existence même d'un équilibre concurrentiel n'est pas démon- trée dans leurs modèles.

Page 12: Collection « Approfondissement de la connaissance

Dans le chapitre 2, nous étudions l'existence d'équilibres dans des modèles analogues et montrons qu'il n'existe pas, en général, d'équilibre walrasien dans ces économies.

Ce résultat nouveau est lié, en particulier, à la non-validité de la loi de Walras pour les marchés d'assurance, propriété démontrée dans le chapitre 1.

Le concept d'équilibre approprié dans ces économies n'est donc pas celui d'équilibre walrasien mais celui d'équilibre avec rationnement ; nous montre- rons alors qu'il existe bien des équilibres avec rationnement (chapitre 2).

Mais, nous établirons également, dans ce même chapitre, que les problèmes d'allocations des ressources à l'équilibre sont étroitement liés à la forme du schéma de rationnement utilisé, ce qui permet de relativiser la force des conclusions de Pauly [86] et de Johnson [56].

b) Le cas où les assureurs utilisent des actions informatives a été l'objet d'un très grand nombre d'études économiques parmi lesquelles il faut citer celles de Rothschild et Stiglitz [102], Wilson [114, 115], Spence [109], Dasgupta et Maskin [25], Riley [95, 96, 97].

Ces articles utilisent les mêmes hypothèses informationnelles : tout assureur ignore à quelle catégorie d'individu appartient chaque assuré de la population, mais connaît les probabilités des risques de chacune de ces différentes caté- gories.

Les compagnies d'assurance proposent alors, comme actions informatives, des contrats d'assurance avec couverture partielle des risques : en effet, le niveau de co-assurance choisi par chaque type d'assuré fonctionne comme un signal de ses probabilités d'accident. Rothschild et Stiglitz [102] et Wilson [114] ont démontré qu'il n'existe pas, dans ce cas, d'équilibre de Cournot-Nash entre les compagnies sur un marché concurrentiel d'assurance, sauf si les diffé- rences entre les probabilités des risques des différents groupes sont très élevées et si la proportion des individus à risque élevé est importante.

Pour pallier ce problème d'inexistence, Wilson [114] a supposé que les assu- reurs tiennent compte du comportement des autres compagnies dans leurs offres et a obtenu une solution d'équilibre stable.

Miyazaki [80] et Spence [109] ont généralisé le résultat de Wilson [114], lorsque chaque compagnie d'assurance envisage de subventionner une police d'assurance avec les profits d'une autre police.

Enfin Riley [96] propose un autre concept d'équilibre stable de même na- ture que celui de Wilson [114], dans lequel le comportement concurrentiel de chaque compagnie est plus sophistiqué et plus «agressif» vis-à-vis des com- pagnies rivales, tandis que Myerson [82] définit un concept de «quasi- équilibre» où les compagnies d'assurance ont un comportement plus prudent.

Nous donnerons un aperçu plus détaillé de ces travaux dans la troisième section du chapitre 3. Leurs résultats sont importants car ils fournissent une première explication théorique de l'absence quasi générale de compétitivité

Page 13: Collection « Approfondissement de la connaissance

des marchés d'assurance et permettent une interprétation économique de la législation réglementant ces marchés.

Cependant, dans ces modèles, la connaissance, par les assureurs, des pro- babilités d'accident des différents groupes d'assurés est une hypothèse infor- mationnelle forte.

Deux questions n'ont pas été abordées dans la théorie des assurances : d'abord, une compagnie d'assurance peut-elle utiliser des actions informa- tives lorsqu'elle ne connaît ni les probabilités d'accident des divers types d'individus ni à quel type appartient chaque assuré ?

Nous traiterons ce problème dans la deuxième section du chapitre et caractériserons la classe de ces actions sous diverses hypothèses.

Ensuite, l'hypothèse informationnelle concernant la connaissance des probabilités d'accident des diverses catégories d'assurés est-elle nécessaire à l'obtention des résultats de Rothschild-Stiglitz [102], Wilson [114], Spence [109 ] Dasgupta et Maskin [25] ?

Nous montrerons, dans ce même chapitre, que c'est, en effet, le cas : l'in- formation additionnelle que possède chaque compagnie d'assurance, lui permet de proposer des actions informatives nouvelles. Enfin, nous examinerons brièvement le cas où chaque compagnie d'assurance peut observer des signaux informatifs concernant les probabilités d'accident des diverses catégories d'in- dividus, un problème traité par Hoy [55].

c) Mais le problème de la sélection adverse n'a pas pour seule conséquence la structure particulière des marchés d'assurance ; il permet aussi d'expliquer la forme des contrats d'assurance, l'existence de systèmes de bonus-malus et de co-assurance. Cette question sera traitée dans le chapitre 4, où nous dé- terminerons, en particulier, la forme des contrats monopolistiques et optimaux d'assurance lorsque la compagnie d'assurance utilise des actions informatives ; l'outil d'analyse fait référence à la théorie du contrôle optimal (voir, par exemple, Bellman [10]) et les résultats obtenus sont nouveaux dans la théorie des assurances.

II .2 - Le risque moral Il est fréquent que les assurés puissent modifier les probabilités de leurs

risques ou l'importance des pertes associées à leurs risques en consommant certaines quantités de bien préventif.

Nous dirons qu'il y a «risque moral» lorsque les compagnies d'assurance ne peuvent observer les quantités de bien préventif utilisées par leurs assurés et ne peuvent donc pas savoir «a priori» le coût moyen des remboursements.

Il s'agit, ici encore, d'un autre problème d'asymétrie d'information car cha- que assuré connaît les quantités de bien d'auto-protection qu'il a utilisées ou consommées. Comme dans le cas de la sélection adverse, le terme risque moral

Page 14: Collection « Approfondissement de la connaissance

désigne dans la littérature économique les conséquences de ce problème d'asy- métrie d'information ; mais ces conséquences sont si variées que nous avons choisi de désigner par «risque moral» le problème dans son ensemble. Le problème du risque moral a été introduit dans la théorie économique par Arrow [4], et a suscité une vive controverse (cf. Pauly [85]) sur sa signifi- cation.

Ehrlich et Becker [36] ont clarifié le problème en distinguant d'une part les activités d'auto-protection, lorsque les assurés ne peuvent modifier que les probabilités de leurs pertes, d'autre part les activités d'auto-assurance, lorsque les assurés ne peuvent modifier que les valeurs de leurs pertes. Les études, concernant la demande individuelle d'assurance lorsqu'il n'existe pas d'asy- métrie d'information, faites par Arrow [4], Borch [15, 16], Gould [38], Mos- sin [81], Pashigian et Schkade et Menefee [84] ont aussi été généralisées au cas du risque moral par Ehrlich et Becker [36].

Comme dans le cas de la sélection adverse, les compagnies d'assurance peuvent utiliser soit des actions informatives, soit des actions terminales.

a) Le cas des actions terminales lorsqu'il y a risque moral a été principale- ment étudié par Pauly [86], Helpman et Laffont [48], Laffont [64, 65] et Johnson [56].

Pauly [86] et Johnson [56] supposent qu'il existe un équilibre et étudient les propriétés des allocations résultantes ; ils proposent diverses solutions pour améliorer l'efficacité de ces allocations.

Mais Helpman et Laffont [48] et Laffont [64] ont soulevé un problème très important, dans le cadre du risque moral, lorsque les compagnies d'assu- rance n'utilisent que des actions non informatives : il peut très bien ne pas exister d'équilibre, sous des hypothèses classiques, dans ces économies. Ce résultat constitue une exception dans la littérature économique (voir Marschal [75]) et n'a pas trouvé d'interprétation satisfaisante ; nous montrerons que ce résultat est aussi lié à la non-validité de la loi de Walras sur les marchés d'assurance (cf. chapitre II).

La notion d'équilibre appropriée est alors, comme dans le cas de la sélec- tion adverse, celle d'équilibre avec rationnement ; l'existence de tels équili- bres sera démontrée dans le chapitre II, lorsque coexistent à la fois les pro- blèmes de risque moral et de sélection adverse.

b) Le cas où les compagnies d'assurance utilisent des actions informatives est abordé dans le chapitre 4. En particulier la forme des contrats monopolis- tiques et optimaux est déterminée (sections 8 et 9). L'aspect méthodologique fait référence à la théorie économique du Principal et de l'Agent (voir, par exemple, Ross [100] et Wilson [116]).

Nous montrons, en particulier, que ces contrats vont stipuler des clauses de «bonus-malus» et de co-assurance.

Page 15: Collection « Approfondissement de la connaissance

Enfin, dans la dernière section du chapitre 4, nous examinerons la forme des contrats monopolistiques et optimaux d'assurance lorsque la compagnie peut observer des signaux exogènes à l'activité économique et liés aux probabilités des risques (comme peuvent l'être l'âge, ou le nombre d'années de jouissance du permis de conduire dans le cas de l'assurance automobile).

Le résultat principal, analogue à celui de Holmstrom [53] permet de mieux comprendre pourquoi ces signaux sont très largement utilisés sur les divers marchés d'assurance.

— :

Dans un premier chapitre, nous montrons comment l'on peut passer d'une organisation des marchés d'Arrow-Debreu à un modèle de marché des assu- rances avec information parfaite ; le cas de l'incertitude exogène est seul pris en compte.

Dans le chapitre 2, nous introduisons sur les marchés, en plus de l'incerti- tude exogène, deux types d'incertitude endogène : la sélection adverse et le risque moral, mais nous supposons que les compagnies d'assurance n'utilisent que des actions non informatives.

Ainsi les chapitres I et II traitent les cas de l'incertitude exogène puis, exo- gène et endogène, lorsque les compagnies d'assurance n'entreprennent pas d'ac- tions informatives pour connaître les risques des assurés.

Puis nous étudions les principaux problèmes liés à la possibilité pour les compagnies d'assurance d'employer des actions informatives lorsqu'il y a à la fois des incertitudes exogène et endogène. Tout d'abord, dans le chapitre III, nous caractérisons l'ensemble des actions informatives des compagnies d'assu- rance sous diverses hypothèses, et considérons l'épineux problème de l'exis- tence d'un équilibre concurrentiel.

Puis, dans le dernier chapitre nous caractérisons la forme des contrats d'assurance informatifs d'une part lorsqu'il y a sélection adverse, d'autre part lorsqu'il y a risque moral.

En conclusion, il convient de préciser les limites de cette étude :nous avons, en effet, centré notre attention sur les questions d'équilibre général des mar- chés d'assurance, plutôt que sur certains problèmes de gestion des compagnies d'assurance, bien que les deux aspects soient liés, comme cela apparaîtra dans les chapitres III et IV.

Les coûts de fonctionnement et de remboursement des assurés ne seront pas explicitement pris en considération dans l'ensemble de cet ouvrage, à l'excep- tion du § 3 de la deuxième section du chapitre 4 ; cependant les analyses des

Page 16: Collection « Approfondissement de la connaissance

chapitres III et IV ne sont pas profondément modifiées par l'introduction de coûts fixes de fonctionnement.

Seront aussi écartées les difficultés se rapportant aux «réserves de garantie», relatives à la taille finie des populations d'assurés ou à la dépendance des ris- ques ainsi que la question de la coassurance et de la réassurance qui en découle (cf. par exemple Borch [16]) ; de même, ne seront pas étudiés certains marchés relatifs à des risques exceptionnels ou à des catastrophes rares (voir, à ce sujet, les analyses de Kilhstrom et Roth [62]).

Enfin, nous avons laissé hors du sujet de notre étude l'aspect des activités des compagnies d'assurances ayant trait aux placements financiers réalisés avec la masse des cotisations et les problèmes de gestion du portefeuille qui en résultent.

Page 17: Collection « Approfondissement de la connaissance
Page 18: Collection « Approfondissement de la connaissance

CHAPITRE I

ECONOMIES D'ECHANGE AVEC RISQUES INDIVIDUELS

ET MODÈLES DU MARCHE DES ASSURANCES

La plupart des activités d'assurance (assurance automobile, sécurité sociale, assurances contre le vol, l'incendie, le chômage, etc...) concernent des écono- mies où les agents sont soumis à des aléas individuels : ainsi un conducteur peut avoir des accidents plus ou moins importants, un individu des maladies plus ou moins graves, etc...

D'un point de vue économique, ces modèles ont une structure analogue, à savoir que le revenu «disponible» d'un individu est une variable aléatoire qui dépend de la réalisation de certains événements ou états individuels.

En pratique, un contrat d'assurance est conclu (ou non) directement entre chaque individu et une compagnie d'assurance ; il spécifie le prix (la prime) à payer en contrepartie de remboursements (indemnités) conditionnels à la valeur de la perte subie par l'assuré.

Ceci met en évidence deux caractéristiques des marchés d'assurance : 1. Les individus ne procèdent pas directement à des échanges entre eux, même

au système de prix d'équilibre. 2. Les remboursements sont conditionnels à des états individuels et non à

des états de la nature. Ces deux particularités sont spécifiques aux modèles d'assurance, du moins

lorsque nous les examinons dans le cadre général de la théorie économique de l'incertain telle qu'elle a été formalisée par Debreu ([27] chapitre 7) et géné- ralisée par Radner [90] ou Marschak et Radner [74].

En effet, dans les modèles économiques de la théorie de l'incertain, d'abord les agents économiques procèdent directement à des échanges entre eux, même si, comme l'ont montré Clower [23] et Benassy [11] ces échanges doivent se faire en plusieurs étapes ; ensuite ces échanges concernent des biens contingents non aux états individuels, mais aux états de la nature.

Peut-on justifier ces particularités ou doit-on considérer la structure du mar- ché des assurances comme hors du champ explicatif de la théorie économique classique de l'incertain ?

Page 19: Collection « Approfondissement de la connaissance

Paradoxalement, cette question n'a été directement étudiée que par un nombre très restreint d'économistes, en particulier par Caspi [20, 21], Kihl- strom etPauly [61], Berninghaus [14] et Malinvaud [70, 71].

Par la suite, nous utiliserons essentiellement l'étude de ce dernier auteur qui a l'avantage d'exposer très clairement les différentes étapes qui permettent de passer d'une organisation des marchés de type Arrow-Debreu à une organisa- tion de l'économie proche de la structure du marché des assurances.

Afin de permettre une meilleure compréhension de nouveaux concepts, Malinvaud [71] considère une économie d'échange où des consommateurs, tous identiques, sont soumis à des aléas individuels ; l'hypothèse simplificatrice de l'identité des consommateurs, qui permet une grande clarté d'exposition, a, en revanche, l'inconvénient de rendre les résultats de ce modèle difficile- ment comparables à ceux obtenus dans les modèles économiques où des agents différents, soumis à des aléas individuels, possèdent une information privée sur leurs propres caractéristiques, comme c'est le cas dans les modèles rela- tifs aux problèmes de sélection adverse ou de risque moral que nous étudie- rons dans les chapitres ultérieurs.

Il est donc nécessaire, tout d'abord (section I), de généraliser certains résul- tats obtenus par Malinvaud [71] au cas où existent plusieurs groupes distincts d'agents économiques, pour pouvoir en donner une interprétation en terme d'information.

Ceci nous conduira à donner un fondement théorique aux modèles de mar- ché des assurances qui seront décrits dans la section II.

Enfin, dans la section III, nous montrerons une propriété particulière des marchés d'assurance et ferons quelques commentaires sur la structure d'importants types de modèles de marché des assurances que nous serons amenés à considérer par la suite.

SECTION I

DIFFÉRENTS TYPES D'ORGANISATION DES MARCHÉS DANS DES ÉCONOMIES D'ÉCHANGE OÙ LES CONSOMMATEURS

SONT SOUMIS A DES RISQUES INDIVIDUELS

Nous considérons un modèle économique permettant de justifier les princi- pales caractéristiques des modèles d'assurance habituellement étudiés ; ce mo- dèle sera décrit dans le paragraphe 1.

Nous précisons ensuite les concepts d'état individuel, d'état de la nature et d'état de la nature agrégé, ainsi que leurs probabilité d'occurence (§2 et §3).

Page 20: Collection « Approfondissement de la connaissance

Puis l'économie est munie d'une organisation des marchés de type Arrow- Debreu, notée A-organisation qui se révèle très complexe dès lors que le nom- bre des consommateurs est élevé (§4).

Nous examinons alors une autre forme d'organisation des marchés (la B-organisation) qui conduit à des allocations «aussi souhaitables» que la A-organisation, mais qui a une structure plus simple (§ 5, § 6).

Enfin, dans le paragraphe 7, nous étudions les propriétés des allocations atteintes par la B-organisation lorsque le nombre des consommateurs dans l'économie «devient grand», et montrons que ces allocations limites peu- vent, à leur tour, être obtenues en considérant une troisième organisation des marchés, la C-organisation, de structure très simple et très proche de celle d'un modèle d'assurance avec information parfaite.

§ 1 -

Considérons une économie à une seule période, comprenant un seul bien (le numéraire) et un nombre N de consommateurs.

Au début de la période, chaque consommateur n = 1, ..., N sait que ses res- sources ou son revenu courant de la période est une variable aléatoire Wn qui peut prendre les valeurs ω1, ....,ωS.

Supposons, par exemple, que S = 2, et 0 <ω1 <ω2 ; un consommateur n recevant un revenu Wn = ω1 subit une perte d'une valeur égale à ω2 - ω1 ; au contraire, si Wn = ω2 , ce consommateur ne subit aucune perte.

Dans ce cas, l'état s = 1 peut être considéré comme l'état «accident» ou «maladie» et l'état s = 2 comme «non accident» ou «bonne santé».

Puisque ces états se réfèrent à chaque consommateur en particulier, le consommateur n pouvant être malade et le consommateur n' en bonne santé au même moment, ce sont des «états individuels» qui se traduisent par des «risques individuels».

Les ressources, mais aussi en général les préférences de chaque consomma- teur dépendent de l'état individuel dans lequel il se trouve.

Dans l'économie que nous décrivons, les N consommateurs ne sont pas tous identiques et se différencient essentiellement par leurs probabilités d'acci- dent et leurs fonctions d'utilité ; ils peuvent être classés dans K groupes diffé- rents ; nous notons la probabilité qu'un individu du groupe k soit dans l'état individuel s et αk la proportion des individus du groupe k dans la popu- lation totale, pour k = 1, ..., k et s = 1, ..., S.

Posons S = {1, ..., S } ; si un consommateur n appartient au groupe k, pour k = 1, ..., K, la variable aléatoire Wn est donc définie sur (S, P (S) Π où P(S ) est l'ensemble des parties de S (qui est une algèbre de Boole) et pour tout s ∈ S .

Page 21: Collection « Approfondissement de la connaissance

§ 2 -

Un état de la nature, au sens de Savage ou d'Arrow-Debreu, est, pour l'éco- nomie d'échange considérée, une spécification complète de la liste des états individuels de chaque consommateur.

Pour illustrer ce point, considérons le cas où N = 3, S = 2, K = 2 ; l'écono- mie se compose donc de trois consommateurs A, B, C pouvant être, chacun, dans l'état individuel «maladie» ou «bonne santé» au cours de la période ; A et B sont identiques et appartiennent au même groupe k = 1 ; C constitue le groupe k = 2.

Un état de la nature e est alors un événement de la forme : «A est malade, B en bonne santé et C est malade» ou bien encore «A est en bonne santé, B aussi et C aussi», etc...

Il y a donc, dans une économie d'échange avec S états individuels et N con- sommateurs, états de la nature possibles.

Cependant, si nous restreignons notre attention à des systèmes économiques qui traitent de façon semblable des consommateurs identiques, certains états de la nature deviennent équivalents : par exemple les états : «A est malade, B en bonne santé et C en bonne santé» et «A est en bonne santé, B est malade et C en bonne santé» n'ont aucune raison d'être distingués puisque les res- sources de chaque groupe de consommateurs sont les mêmes et que A et B sont des consommateurs identiques. Deux états de la nature caractérisés par la même distribution de consommateurs identiques parmi les états individuels peuvent être considérés comme équivalents du point de vue social.

Formalisons cette remarque qui va nous conduire au concept d'«état de la nature agrégé» : soit E l'ensemble des états de la nature et la proportion des consommateurs de type k dans l'état individuel s, lorsque l'état de la nature est e e E.

Nous avons donc :

(1)

Soit r le vecteur et r(e) le vecteur [ r ..., r Le vecteur r(e) représente la distribution des consommateurs des différents

types parmi les S états individuels. Soit l'ensemble des vecteurs r(e) lorsque e parcourt l'ensemble E des

2 états de la nature ; suivant la terminologie de Malinvaud [71], un élément r ∈ RN sera appelé «état de la nature agrégé» : c'est la classe d'équivalence des états de la nature caractérisés par la même distribution des consommateurs identiques.

Il est clair que l'intérêt du concept d'état de la nature agrégé vient de ce qu'une économie où les marchés sont contingents aux états de la nature est

Page 22: Collection « Approfondissement de la connaissance

beaucoup plus complexe qu'une économie où les marchés seraient contingents aux états de la nature agrégés ; s'il y a, ainsi, deux états individuels et N con- sommateurs, il existe 2 états de la nature contre (α1 N+1).(α2N+ 1) états de la nature agrégés. (Le nombre de façons de ranger α1N objets dans deux cases et α2N objets dans deux cases).

Si par exemple N = 10, , S = 2, il y a 2 = 1024 états de la

nature et (5+1).(5+1) = 36 états de la nature agrégés.

§ 3 -

Soit = {1, ..., S } et la probabilité d'un consommateur de type k d'être dans l'état individuel s, pour s = 1, ..., S et k = 1, ..., K.

Notons π k la distribution de probabilité dont les valeurs sont , ..., , ..., .

Considérons l'espace probabilisé (S, (S ), Ⓧ . . . Ⓧ (S , P(S)? π où P(S ) désigne la σ-algèbre engendrée par la partition discrète de l'ensem- ble des états individuels.

L'ensemble probabilisé des états de la nature est alors d'après le § 2 :

Mais, chaque état de la nature e ∈ E conduisant au même état agrégé r ∈ RN se caractérise par la même distribution des consommateurs de type k parmi les S états individuels, Vk = 1, ..., K ; puisque les consommateurs d'un même groupe sont identiques, nous avons, en notant π(e) la probabilité objective de l'état de la nature e ∈ E : (2)

Un état de la nature agrégé r contient :

D'où en notant (sans risque de confusion), II (r) la probabilité de l'état agrégé r : (3) où l'état de la nature e est caractérisé par une distribution r des consomma- teurs.

Partant des probabilités objectives π(e) des états de la nature nous avons défini l'espace probabilisé : (RN,P(RN), II) des états de la nature agrégés par la

Page 23: Collection « Approfondissement de la connaissance

relation (3), où P(RN) désigne la tribu engendrée par la partition discrète de RN.

Remarquons enfin que la probabilité que l'état agrégé soit r ∈ RN et qu'un consommateur de type k soit dans l'état individuel s vaut alors :

Après l'occurrence de l'événement qui place chaque agent dans un état indi- viduel particulier, c'est-à-dire lorsque l'état de la nature e ∈ E est connu, les con- sommateurs n'ont aucun intérêt à procéder à des échanges : chacun «consom- mera» la quantité du numéraire qui lui est allouée ; il n'y aura donc pas de marchés «futurs» dans l'économie d'échange considérée.

Cependant, avant la réalisation d'un état particulier e ∈ E, les consommateurs ont, en général, intérêt à échanger certaines quantités de biens contingents aux états de la nature : par exemple, le consommateur A peut promettre au con- sommateur B le versement d'une quantité positive de biens s'il est en «bonne santé» et que B est malade en contrepartie d'un engagement symétrique si A est malade et B en bonne santé ; il y aura donc, en général, création de marchés à terme contingents aux états de la nature dès lors que les divers états indivi- duels ne sont pas également favorables. Différentes organisations de l'économie permettent de réaliser de tels échanges. Nous allons maintenant examiner leurs structures et leurs propriétés.

§ 4 -

Partant de la théorie de l'incertain telle qu'elle est formalisée, par exemple, par Debreu [27, chapitre 7], il faut distinguer autant de biens et de prix contin- gents qu'il y a d'états de la nature e ∈ E.

Formalisons le comportement des agents économiques et la notion d'équi- libre dans une telle organisation des marchés.

4.1. Consommateurs Nous supposerons que chaque individu a une consommation qui ne peut

être négative quel que soit l'état de la nature et des ressources qui sont stric- tement positives dans chaque état individuel :

H1 : 0 < ωs < + ∞, ∀s = 1, ..., S Soit e ∈ E ; nous noterons s(n,e) la n projection de e ; s(n,e) indique

donc l'état individuel du consommateur n lorsque l'état de la nature est e ∈ E.

Ainsi et x(n, e) désignent respectivement les ressources et la consom- mation de l'agent n lorsque e ∈ E est l'état de la nature ; soit xn = [...,x(n, e), ...] le vecteur des consommations et ωn = [... ωs(n e),...] le vecteur des ressources de l'individu n lorsque e parcourt E, pour n = 1, ..., N.

Page 24: Collection « Approfondissement de la connaissance

Nous supposons que le préordre de chaque consommateur n de type k est représentable par une fonction d'utilité de type Von-Neumann-Morgenstern généralisée (cf. ARROW [6]) deux fois différentiable et strictement concave :

L'hypothèse H2 signifie que l'utilité d'un consommateur n ne dépend de l'état de la nature que par l'intermédiaire de la fonction s(n,e) : ainsi, chaque consommateur n'est concerné que par sa seule consommation dans son état individuel s(n,e) et non par la consommation des autres agents dans l'état de la nature e ∈ E : il n'y a donc pas d'effet externe de consomma- tion.

Remarquons toutefois que deux consommateurs distincts n et n' apparte- nant au même groupe k, ayant les mêmes préférences n'ont pas, en général, la même fonction d'utilité de type Von-Neuman-Morgenstern généralisé comme le souligne E. Malinvaud ; ceci est lié au fait qu'un même état de la nature ne représente pas le même risque pour deux individus identiques A et B : en effet, les deux plans de consommation xA et xB indiquent les demandes de A et de B pour chaque état de la nature e ∈ E ; mais il est clair, a contrario, que, si A a une demande positive lorsqu'il a un accident et que B n'en a pas, alors B doit avoir une demande positive lorsqu'il a un accident et que A n'en a pas, à moins que B n'ait pas les mêmes préférences que A.

4.2. Le rôle de commissaire-priseur Dans une organisation des marchés de type Arrow-Debreu, le commissaire-

priseur n'a qu'un rôle limité : il spécifie la liste des états de la nature e ∈ E ainsi que leurs probabilités π (e) et annonce le système de prix d'équilibre p(e) e ∈ E, s'il existe ; en particulier le commissaire-priseur ne procède à

aucune transaction avec les consommateurs : ceux-ci échangent entre eux des quantités de biens contingents aux états de la nature comme dans une écono- mie d'échange habituelle où existerait |E | = S bien distincts.

4.3. A-équilibre Un équilibre dans l'organisation de l'économie de type Arrow-Debreu,

noté A-équilibre est défini par :

Défini tion

Un A-équilibre est un ensemble de N+ 1 vecteurs com- prenant chacun composantes tels que :

Page 25: Collection « Approfondissement de la connaissance

Composé par Economica, 49, rue Héricart, 75015 PARIS Imprimé en France. — JOUVE, 18, rue Saint-Denis, 75001 PARIS

N° 12049. Dépôt légal : Juin 1984

Page 26: Collection « Approfondissement de la connaissance

Deux types d'asymétrie d'information entre assureurs et assurés affectent souvent les marchés d'assurance et ont pris une importan- ce croissante dans la théorie économique : le «risque moral» et la «sélection adverse».

Nous présentons dans cet ouvrage, une étude théorique des conséquences de ces deux problèmes informationnels sur la ques- tion de l'existence d'un équilibre général sur les marchés d'assuran- ce, ainsi que sur la forme des contrats d'assurance.

Outre une synthèse de la littérature économique qui a abordé récemment ces questions, plusieurs résultats nouveaux sont présen- tés, en particulier :

– une caractérisation des contrats d'assurance qui sont des mécanismes de révélation des probabilités des risques indivi- duels de chaque assuré ;

- la forme des contrats monopolistiques et des contrats opti- maux de second rang lorsqu'existe un continuum de pertes possibles, avec sélection adverse.

Jean-Paul CRESTA est professeur à l'Université Bordeaux I et membre du G.R.E.M.A.Q. (ERA. 937 CNRS) de Toulouse.

Ancien élève de l'Ecole Nationale de Statistiques et d'Adminis- tration Economique, il a obtenu le prix Ernst Meyer 1983 de l'Association Internationale pour l'Etude de l'Economie de l'Assu- rance pour son Doctorat d'Etat dont est issu cet ouvrage.