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Quel est le rôle des bidonvilles dans la formation des villes de demain? Aurélie Viala. 09390. Master 2 pôle AAP Enseignants: Anne Tüscher, Chris Younès, Catherine Zaharia École nationale supérieure de Paris La Villette MÉMOIRE DE MASTER 2, PARCOURS RECHERCHE

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1Quel est le rôle des Bidonvilles dans la formation des villes de demain?

MEMOIRE 2012

Quel est le rôle des bidonvilles dans la formation des villes de demain?

Aurélie Viala. 09390. Master 2 pôle AAP Enseignants: Anne Tüscher, Chris Younès, Catherine Zaharia

École nationale supérieure de Paris La VilletteMÉMOIRE DE MASTER 2, PARCOURS RECHERCHE

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Remerciements, Sommaire 3

INTRODUCTION 4

1- LES ORIGINES DE LA NON-VILLE 611- Bidonville, Bidon-ville ou Ville-bidon 7 111- Un concept 7 112- Un habitat précaire bien réel, qui n’a rien de bidon 8 113- L’histoire des taudis « à l’anglaise » 8 114- Un tour du monde des terminologies 912- Ville ou Non-ville 11 121- Une première définition 11 122- La naissance de la ville 12 123- L’industrialisation, “Mort de la Ville, Règne de l’Urbain” 13 124- Éclatement de la ville 14

2- 1, 2, 3... “BIDONVILLES” 1621- Un Constat effrayant 18 211- Un choix difficile mais indispensable 18 212- L’ampleur des dégâts 1922- La Rocinha, un “modèle” de favela 21 221- Une conjoncture instable 21 222- Formation des favelas 27 223- Une formation progressive 3223- Le cas Chilien, ou le libéralisme despotique 56 231- De la dictature au prototype d’une ville libérale 56 232- Un exemple de VSDsD, Quinta Monroy 65 233- Une “nouvelle” toma, à Penalolen 7224- Villa El Salvador, une expérience pilote d’aménagement 78 241- Lima ou une situation peu analogue 78 242- Villa El Salvador, une expérience pilote d’aménagement 85 243- Du bidonville au district populaire urbain 89

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3Quel est le rôle des Bidonvilles dans la formation des villes de demain?

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3- ANALOGIES ET CORRELATIONS ENTRE VILLES ET BIDONVILLES 10431- L’illégalité et l’organisation du chaos 105 311- L’économie urbaine 106 312- Les politiques foncières 109

32- Interdépendance Ville/ Bidonville 113 321- Planification participative 113 322- Politique et gestion 114

33- L’architecte comme lien entre ville et bidonville? 116 331- Une première ébauche 116 332- Des enjeux métropolitains mais une responsabilité relative 118

CONCLUSION 122

ANNEXES 124Bibliographie 126

RemerciementsA tous ceux: amis, professeurs, auteurs ou “appren-tis architectes” qui m’ont permis de comprendre que l’appartenance à un lieu n’est pas seulement d’avoir

ses “papiers”, mais bien une histoire d’amour.

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INTRODUCTION La ville n’est jamais figée et évolue continuellement. C’est un ensemble flexible qui s’adapte et encaisse tous les bouleversements et les crises que nos sociétés connaissent aujourd’hui. Les bidonvilles, bien que ce soit une forme urbaine « nouvelle » et peu connue car ils sont toujours laissés en marge de nos villes, sont en plein essor dans tous les pays en voie de développement, mais pas seulement dans ces pays là. En effet, dans les années 80, près de la moitié de la population des villes de Lima et de Santiago habitait dans des taudis. Avec la forte croissance démographique de ces pays en voie de développement, principalement en Asie, en Afrique et en Amérique latine, le problème du logement ne cesse d’augmenter. Les estimations font un constat chaque jour plus accablant. Près de 30% des citadins du monde vivront dans des bidonvilles à l’aube des années 2030.

Même si la proportion de population concernée est très importante, l’éradication des bidonvilles est devenue l’objectif de tous. À l’heure actuelle, peu d’études pratiques sont faites sur l’habitat précaire, auto-construit et sur ces formes urbaines particulières. Comme l’exprime Bene-volo dans Histoire de la ville « La recherche de l’architecture, comme toute la recherche scientifique actuelle se trouve confrontée à deux alterna-tives : devenir un véritable service pour tous les “usagers” ou bien cultiver le mirage d’un environnement toujours “meilleur”, réservé à une fraction toujours plus restreinte de la population mondiale. »

En tant qu’étudiants en architecture, nous sommes bien plus souvent amenés à observer des monuments exceptionnels, plutôt que la “ville ordinaire” de cette population à l’écart. J’ai personnellement été confrontée à la « dissociation » entre ces deux villes, lors de mes différen-tes expériences. Tout d’abord, lors de mon stage de première pratique à Hanoi, au Vietnam, dans une grande agence d’architecture aux projets internationaux. Dans la ruelle, en face de mon logement, se mettait en place jour après jour un chantier: d’abord du sable, puis du ciment, des briques et une multitude d’outils s’entreposont sur cette « mini-parcelle » d’à peine plus de 2,50 mètres de large. Ce qui était normalement un lieu de passage est devenu, en moins de deux mois, une maison sur quatre niveaux, toujours en construction et qui accueillait déjà deux familles complètes. Après cela, lors de mon année de mobilité internationale à Santiago du Chili, j’ai aussi pu observer au quotidien une ville parallèle, constituée uniquement d’une « architecture de survie » se mettant en place contre l’avis de tous et luttant pour pouvoir exister.

Ces quartiers informels, bien que souvent complètement en marge et parfois sans interactions régulières avec la « ville d’asphalte » ou la « ville formelle » ont des incidences importantes sur le fonctionnement de celle-ci et de nos agglomérations d’une manière générale. C’est un problème de logement à l’échelle mondiale, que l’on doit prendre en compte et tenter de résoudre pour résorber complètement cette extrême précarité qui touche de plus en plus de personnes.

Pour cela, il faut d’abord comprendre les principes de la formation des bidonvilles, pourquoi et comment on en arrive à un désastre aussi important de l’habitat humain, que l’on pourrait presque considérer comme inhumain. Cela passe nécessairement par des analyses historiques et typologi-ques approfondies de l’architecture spontanée, avant de définir les différents critères minimum d’habitabilité auxquels chacun a droit.

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Si les bidonvilles sont un amas toujours plus important d’abris précaires constitués de bric et de broc et évoluant au cours du temps, il est néces-saire de savoir s’ils constituent une ville. Pourquoi cela ne peut-il être une ville aujourd’hui? Quel est leur degré d’autonomie? Et quelles sont les mesures à prendre quotidiennement pour l’intégration des quartiers informels dans les politiques de mutations des villes de demain?

Si l’avenir du concept de Ville est menacé aujourd’hui, comme l’on pourrait le supposer d’après les différents écrits de F. Choay, il est cons-taté que la proportion de population urbaine ne cesse d’augmenter. En effet, si en 1800, seulement un habitant sur dix vivait dans une structure urbaine, la tendance s’est vite inversée au cours du XXème siècle puisque l’on considère que cette proportion était déjà deux fois plus importante en 1900, avec un habitant sur cinq. D’après l’ONU, l’année 1998 est tristement célèbre, puisqu’un habitant de la planète sur deux vivrait en ville aujourd’hui. Les données statistiques, dans leur ensemble, sont difficiles à établir, puisqu’elles relèvent d’hypothèses et de vérifications parfois impossibles à obtenir.

Toutefois, la tendance est générale, les villes ne cessent de croître; non plus seulement à cause du « rêve urbain » que représentaient l’exode rural et l’industrialisation il y a quelques années, mais bien aussi par l’évolution démographique liée aux progrès de la médecine et à l’augmentation de l’espérance de vie. Une quantité toujours plus importante de personnes, venant d’horizons de plus en plus différents, s’accumule dans les villes avec la nécessité d’avoir un logement, un emploi et des espaces culturels et sociaux pour communiquer et interagir entre-eux. Le problème de la paupérisation des villes aujourd’hui n’est pas seulement celui de la crise du logement et d’une crise économique sans précédent, mais bien celui de la régénération d’espaces habités auxquels les politiques ne prêtent guère attention au quotidien.

Les morphologies dépendent toutefois des causes et des moyens mis en place par chaque gouvernement. On ciblera donc plus parti-culièrement l’analyse en Amérique latine, avec les exemples précis de Villa El Salvador, un « pueblo joven » de Lima, au Pérou; du quartier de La Rocinha, une favela de Rio de Janeiro au Brésil; ainsi que la destruction et le relogement dans des casas Chubis des familles de la « toma » de Peñalolen au Chili. Ces différents cas nous permettront plus simplement d’analyser dans quelle mesure les bidonvilles ont une place dans la formation d’une « entité urbaine » de demain. Puis, nous tenterons de mettre en application nos conclusions dans le cadre d’un quartier “ancien-nement bidonville”, Maksem, dans la ville de Bursa, en Turquie. L’expérience de la mise en projet permettra de déceler plus concrètement le rôle que peut avoir l’architecte entre les différents acteurs et la conceptualisation du projet lui-même.

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1- LES ORIGINES DE LA NON-VILLE 611- Bidonville, Bidon-ville ou Ville-bidon 7 111- Un concept 7 112- Un habitat précaire bien réel, qui n’a rien de bidon 8 113- L’histoire des taudis « à l’anglaise » 8 114- Un tour du monde des terminologies 912- Ville ou Non-ville 11 121- Une première définition 11 122- La naissance de la ville 12 123- L’industrialisation, “Mort de la Ville, Règne de l’Urbain” 13 124- Éclatement de la ville 14

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1- LES ORIGINES DE LA NON-VILLE11- Bidonville, Bidon-ville ou Ville-bidon

111- Un conceptAvant toute chose, nous allons revenir aux origines du concept de Bidonville. Si nous savons que le phénomène est bien plus ancien et apparaît dans toutes les « villes malades » où on repère l’émergence d’un habitat provisoire pour répondre à la misère ambiante, le terme de Bidonville est né dans un contexte et un lieu bien précis. Les limites de l’usage de ce terme sont souvent franchies, nous y reviendrons, mais c’est pourquoi dans un premier temps, nous tenterons d’en donner la définition la plus proche de son utilisation d’origine.

D’après François Aballea, ce terme serait né dans les zones portuaires de Casablanca, au temps des « splendeurs coloniales » et du Protectorat français, c’est-à-dire au cours des années 1920. Il est malheureusement difficile de confirmer l’exactitude de ces données, puisqu’il semblerait que le mot bidon-ville serait apparu antérieurement dans la ville de Tunis. Toutefois, si l’on considère le cas de Casablanca et selon les écrits de Jean-Louis Cohen et Monique Eleb (1998), « Bidonville était localisé sur le site d’un gigantesque campement dénommé Gadoue-ville ».Il existait alors de nombreuses formules pour définir ces « villes dans la ville », comme « cloaque-ville », « gadoue-ville », « bénis ramassés » et bien d’autres. Mais, c’est à priori dans les années 1930 que le terme de Bidonville pour désigner ces maisons construites de tôles et de bidons, détritus de la ville industrielle proche, se répand. Au départ, les habitants étaient des ouvriers licenciés des huileries et des manufactures en raison de la crise, avant d’être rejoints par des ouvriers agricoles et des paysans démunis par l’effondrement des cours agricoles du pays.D’après Friedrich Sieburg, un journaliste allemand:

« Bidonville désigne une cité de fer-blanc. Les immigrés à la recherche de travail habitaient auparavant dans des camps sous la tente. Là s’amoncelaient les ordures de la ville. Les autorités parèrent au danger en faisant évacuer de force ces locaux et en y portant le feu. Aux habitants fut affecté un champ dans la banlieue, où se trouvait de l’eau. De vieilles plaques de tôle ondulée, surtout de caisses et de bidons hors d’usage, furent édifiés de nouveaux abris, qui bientôt firent une vraie ville. Aujourd’hui, Bidonville s’étend comme un bourg monstrueux, où lentement commencent à se tracer des places et des rues.»

Si on s’entend actuellement sur le phénomène auquel on se réfère, le Bidonville est malheureusement un paradigme complexe, comme le décrit Depaule:

« C’est le paradigme d’un espace stigmatisé et stigmatisant: un lieu-dit, fait de tôles et de bidons. Un type d’habitat, ainsi dénommé par les objets-matériaux qui en assurent l’édification. Un espace social, précaire, temporaire ou pas, nécessaire ou non. Un espace caché et marginal, la « zone », au sens littéral et/ou figuré, aux lisières de la ville en marge de la norme sociale urbaine. Une catégorie de la ville, participe fonctionnel – bien souvent prépondérant – de l’espace urbain et de sa logique économique capitaliste. Un paradigme, enfin, consubstantiel de la sémantique des « territoires de l’urbain et pratiques de l’espace » (Depaule 1984)

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112- Un habitat précaire bien réel, qui n’a rien de bidonLe géographe Yves Lacoste (1980) écrit que « le terme (…) s’est progressivement imposé dans la langue française » et qu’il « a désigné des formes diverses d’habitat urbain qui présentent, sans être toutefois constituées par des matériaux de récupération, les mêmes problèmes écono-miques et sociaux, à savoir la pauvreté de ses habitants et la grande précarité de leurs conditions d’habitat ».

Toutefois, ce vocabulaire, auparavant utilisé comme nous l’avons vu dans un contexte très précis de baraques construites à partir de bidons et autres matériaux de récupération, a souvent été utilisé à tort. En effet, le terme de bidonville désignait à tour de rôle des campements provisoires faits de matériaux de récupération, des baraquements insalubres dans les plus grandes villes de pays développés ou du Tiers-Monde, ainsi que tout type d’habitat pour une population pauvre et marginalisée. C’est comme cela que l’on peut lire une définition bien trop générale dans l’édition de 1960 du Petit Larousse:

« Bidonville: en Afrique du Nord, et par extension dans d’autres contrées, quartiers urbains ou suburbains, parfois importants, constitués de cabanes faites de matériaux de récupération, en particulier de métaux provenant de vieux bidons. (dans ces agglomérations s’entassent les populations rurales qui, chassées des campagnes par le chômage et la faim, ne trouvent pas de travail régulier dans les villes).»

De nombreuses autres appellations ont d’ailleurs été proposées, comme celle de « formes de croissance urbaine spontanée ». Néan-moins, la spontanéité de la formation de ces espaces peut longuement être remise en question. On considère plutôt, par leurs formations, dans les périphéries des villes ou les espaces en friche de celles-ci, qu’ils sont le résultat de l’auto-construction, par les travailleurs étrangers immigrés temporairement (ou non), de baraques à l’aide de matériaux de récupération de la civilisation industrielle.

Des études donnent par ailleurs des données sur le type de population qu’abrite le bidonville, ainsi que ses catégories sociales et parfois même des indications sur sa situation géographique, comme le montre Farouk Benatia (2004). Le bidonville serait en effet repérable seulement en bordu-re de certaines villes ouvrières, de grandes villes, dans un quartier isolé et établi sur un terrain choisi pour sa discrétion et non pour ses avantages urbanistiques.

113- L’histoire de taudis « à l’anglaise »Par ailleurs, et chronologiquement bien avant dans l’histoire des marges urbaines, on assiste à différents phénomènes similaires dans d’autres parties du monde. Et notamment en Angleterre, où le terme de Slum apparaît en 1812 sous la plume de l’écrivain et hors-la-loi James Hardy Vaux, dans son Vocabulary of the Flash Language, où il est présenté comme synonyme de « racket » ou de « commerce criminel ». Toutefois, il est im-portant de voir que le mot slum peut référer à l’expression « to slum it » qui signifie actuellement « manger de la vache enragée ». C’est pourquoi pendant de longues années, et encore aujourd’hui, on utilise, à tort, le terme de slum pour désigner un habitat sale et occupé par une population misérable, criminelle et se livrant bien souvent à la prostitution. La réalité, bien que souvent stigmatisée ainsi, est parfois bien différente.

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9Quel est le rôle des Bidonvilles dans la formation des villes de demain?

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Si les termes désignent bien, que ce soit en français ou en anglais, un habitat très précaire, la véritable traduction de slum est taudis. C’est-à-dire un habitat urbain, le plus souvent dans le centre des ville, en dur, mais qui est extrêmement dégradé ou carrément devenu insalubre.De plus, depuis le début du XIXème siècle, on parle des quartiers pauvres de la partie centrale la plus ancienne de Londres (mais ce sont des appellations qui se sont répandues aussi dans d’autres villes) en terme de rookeries (colonie de corneilles), low life haunts (repaires de basse vie), wynds (venelles), purlieus (confins), hell holes (trous de l’enfer) et back slums (arrière taudis). Toutes ces terminologies sont toujours très péjoratives, car elles se rapportent à une extrême misère, et même à une perte de la dignité des habitants, qui vivent dans des conditions exécrables. La façon de les désigner se rapporte bien souvent à la dépravation et aux vices bien trop observés dans ces quartiers isolés, inaccessibles par les autorités, et bien « à l’abri des regards indiscrets ».

114- Un tour du monde des terminologiesSi la pauvreté absolue ne doit pas être considérée comme un seul et même phénomène identique et récurrent dans chaque partie du monde, il en résulte qu’elle est bien trop souvent maldéfinie. Comme nous avons pu le voir auparavant, l’usage du mot «bidonville » en France est abusif. Et pourtant, la langue française parle aussi de taudis, d’habitat précaire, d’habitat informel, irrégulier, et même, par anglicisme, de squatters, ce qui correspond, précisons-le, au caractère illégal de l’occupation d’un lieu.

Reprenons plus en détail l’anglais, qui s’est « appauvri » dans ces désignations, bien plus terre à terre actuellement, avec seulement des slums (taudis), les shantytowns (villes-déchets), les squatters settlements et substandard settlements (établissements d’occupants illégaux et établisse-ments ne répondant pas aux normes).

Si l’allemand, d’après Bernard Granotier (1984), serait plus « laconique » avec ses Armenviertel, qui n’est rien d’autre que la traduction littérale de « quartiers pauvres », l’espagnol serait beaucoup plus « imagé ». En effet, on pourrait presque croire et penser que chaque état, chaque nation, et chaque portion de territoire voire même chaque quartier précaire a sa propre appellation pour se désigner. Un rapide tour d’horizon pour le futur: calampas, colonias proletarias au Mexique, barriadas institutionnalisées en pueblos jovenes au Pérou, ranchitos au Vénézuela, ciudades miserias d’Argentine, tugurios de Colombie, suburbios d’Equateur,Il en existe bien d’autres puisque chaque langue contient sa propre appellation. Les plus tristement célèbres sont bien sûr les Favelas du Brésil et les Gecekondus de Turquie.

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10 La richesse sémantique existante pour désigner l’habitat précaire, tout en incluant les notions de formalité, de légalité et même de typolo-gies d’habitat, montre bien l’ampleur du désastre. Ce phénomène ne concerne donc pas seulement quelques quartiers invisibles dans nos villes, comme on aurait pu le croire avec le cas de Londres, mais est bien une réalité universelle de la crise du logement. De plus, il est intéressant de préciser que ces quartiers ont parfois des noms propres à chacun, comme de vrais quartiers, de vrais espaces dans la ville. Ils sont souvent la preuve d’une caractéristique de la géographie, comme « El Cerro » de Santiago du Chili ou « El Alto » de La Paz, en Bolivie, qui sont respective-ment, « la colline » ou « le haut ». Il ne semble pas nécessaire d’expliquer où ils sont situés dans ces villes respectives.

Mohamed Naciri propose une démarche conceptuelle hors du commun pour étudier les bidonvil-les. Il essaie d’appréhender les facteurs qui favo-risent ou empêchent l’intégration au mode de vie urbain. Il constate, comme nous l’avons fait dans ce chapitre, que se pose un problème fort de terminologie, mais aussi de méthode. Mais il va beaucoup plus loin, en critiquant sans demi-mesures l’utilisation de concepts tels que « bidonvi-lles », « habitats spontanés », « colonie urbaine »...

« L’utilisation du terme « bidonville » pour désigner toute cette variété d’acceptations ou d’aspects, pose un certain nombre de problèmes de terminologie, mais aussi de méthodes. Le progrès de la recherche sur les formes d’habitat urbain et sur la signification sociale, écono-mique et politique de leur diversité, a été considérablement affecté par cette double incertitude ».

Il proposera donc le concept « d’habitat urbain sous intégré ». Ce serait la meilleure approche pour l’étude de ces phénomènes urbains dans la mesure où ce concept ne se limite pas aux manifestations de la sous-intégration au niveau des précarités qui pèsent sur l’habitation, mais prend en compte dans sa globalité tous les aspects d’une réalité en grand changement. Ceci afin de bien pouvoir appréhender les manifestations com-plexes en devenir, et à tous les niveaux. Nous reviendrons dans le chapitre suivant sur les questions que cela soulève pour ces quartiers.

Pour conclure, tout au long de cette analyse, nous utiliserons les termes de bidonvilles ou de quartiers précaires tout en sachant que ces termes ne sont pas totalement justes, comme nous l’avons vu dans le cas de Bidonville. Toutefois, aucun terme actuellement ne permet de définir ces quartiers complets d’habitat précaire qui sont formels ou informels dans la propriété du sol, ou dans la construction, ou bien seulement dans la situation sociale de leurs habitants. Ils ne sont pas tou-jours une résultante de l’architecture spontanée ou auto-construite. La meilleure appellation pour notre travail, bien que faisant référence à des éléments que nous n’avons pas encore définis, serait sûrement celle de « forme ou quartier d’habitat urbain sous-intégré ». Mais, pour la facilité de lecture, nous avons décidé de mettre de côté ces questions de terminologie et d’usage afin d’employer respectivement soit bidonville, soit les termes utilisés dans les pays de nos trois exemples.

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11Quel est le rôle des Bidonvilles dans la formation des villes de demain?

MEMOIRE 2012

12- Ville ou Non-ville? L’objectif de cette première grande partie sera de pouvoir définir ce qu’est une ville. Quels sont les différents critères de la ville, que ce soit dans sa formation ou dans son évolution au cours du temps? Par les différentes analyses nous montrerons quels sont les critères d’urbanité dont les « quartiers urbains sous-intégrés » disposent, les caractéristiques dont les bidonvilles souffrent, de leur marginalité et les points positifs de ce mode de construction pour l’avenir. Plus simplement, la problématique à laquelle nous chercherons à répondre dans un premier temps est celle de savoir pourquoi les bidonvilles appartiennent-ils à la ville? Et pourquoi cela ne peut-il être considéré comme de la « Ville » aujourd’hui?Avant tout, il sera important de confronter quelques avis à ce sujet, repérables dans la très grande littérature sur ce thème. Car si pratiquement rien n’est fait pour aider ces populations démunies, théoriquement le sujet porte à discussion.

121-Unepremièredéfinition Étymologiquement, le mot ville vient de villa, en latin, qui veut dire maison de campagne, ou établissement rural autarcique qui a souvent constitué le noyau des cités médiévales. La définition officielle du Larousse est:

« Agglomération relativement importante et dont les habitants ont des activités professionnelles diversifiées. (Sur le plan statistique, une ville compte au moins 2000 habitants agglomérés.) »

Toutefois, on peut penser qu’il y a un rapport très fort entre ville et campagne qui n’est pas réellement explicite dans la définition du dictionnaire. En effet, l’étymologie rapporte bien l’appartenance de la ville (pré-industrielle) à la campagne. D’après Mumford, la ville du Moyen-Âge ne serait pas seulement « dans la campagne mais de la campagne » (The culture of cities, 1938).

Nous allons démontrer un peu plus tard que la ville ne peut se constituer sans sa relation avec la campagne. En effet, le terme de ville renvoie au latin urbs, qui est aussi de la même racine que urbain, en opposition au terme rural, mais, au moment où les villes établissent leur primauté sur les campagnes, leurs particularités, qui, au cours d’une longue histoire, les avaient distinguées du monde rural s’estompent. Après s’être définies, tout d’abord, comme des unités juridiquement distinctes des campagnes, puis des territoires administratifs précisément délimités, les villes con-temporaines ne se distinguent plus sur ces plans là. De plus, la révolution industrielle avec son exode rural et ses concentrations démographiques en ville remet en question cette association de base, nous le verrons par la suite. Mais reprenons depuis le début ces différentes évolutions.

122- La naissance de la villeIl est quasiment impossible de pouvoir dater la naissance de la ville. Toutefois, on peut être sûr qu’elle intervient peu après la naissance de l’agriculture. Cela s’alliant bien entendu avec le passage de la civilisation à la sédentarisation. Les communautés se regroupent autour des agricul-teurs dans des petits villages qui grossissent en même temps que les exploitations. On pourrait considérer que la ville apparaît quand ces villages d’agriculteurs comptent aussi des activités artisanales et commerciales, telles que la fabrication d’outils, de poteries ainsi que la mise en place d’un commerce des produits agricoles.

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12La ville s’organiserait donc autour d’un espace de production et de redistribution et revente de l’ensemble de la production.

Par la suite, et probablement assez rapidement, les villes deviennent des centres religieux, au sens large du terme, comme des sanctuai-res de dieux qui deviennent les protecteurs de la ville. En effet, comme l’explique bien l’historien Weatley, le « complexe cérémoniel » constituerait le point commun aux plus anciennes cités du monde, au même titre que les lieux de sépulture pourraient être les premiers lieux de convergence; comme les seuls ancrages de populations encore restées nomades. Cette notion de convergence est importante dans la définition de la ville car elle signifie une centralité et une attractivité. D’après Childe, la ville serait la « réplique du monde en réduction ».De plus, encore aujourd’hui, nous voyons dans les différentes formes de villes que le centre est important, tant par ses connotations et ses sym-boliques que parce qu’il permet de définir les limites de la ville, par sa taille et son influence.

En Occident, après la disparition de Rome, le Moyen-Âge est une période que l’on pourrait considérer comme « Faiblesse » de la ville, en cela que la société féodale, sur le plan économique et politique, est largement fondée sur les grands domaines ruraux. Les villes n’ont une force que par leur « exploitation » et parce qu’elles abritent le pouvoir suprême. Mais, heureusement, un renouveau s’installe très rapidement et toutes les fonctions essentielles de la ville se remettent en marche. Elles redeviennent centres d’échanges commerciaux, comme avec les foires, lieux d’activités économiques avec le développement d’un artisanat plus avancé, lieux de refuge pour la population avec les murs d’enceintes et toutes les fortifications ainsi que lieux de pouvoir avec les châteaux royaux, les églises, mais aussi toutes les cathédrales. Mais s’il y a une nouveauté, c’est que la ville devient le lieu des innovations et du progrès. La vie intellectuelle n’est donc plus reculée dans les campagnes, mais dans ces nouveaux centres qui commencent à communiquer entre eux par la mise en place de réseaux. Il n’est pas rare d’entendre que la nature est à la campagne ce que la culture est à la ville.

Sur un tout autre registre, celui de la démographie, il est difficile de définir quand et à partir de combien d’habitants fixes commence la ville. En France, en 1808, la ville est officiellement caractérisée comme « lieu dans lequel la population agglomérée sera de deux milles âmes au moins ». La ville n’est donc plus une zone d’agglomération de fonctions, mais bien aussi celle de « réservoir de population ». La ville, comme « modèle » d’établissement humain, résulte d’après Odette Louiset d’une construction progressive par accumulation. Un certain mouvement d’homogénéisation entre ville et campagne s’étend jusqu’aux pratiques sociales.

Désormais, la vie collective est plus ou moins identique en ville et à la campagne. Un nouveau type de distinction émerge cependant, ce serait celui des « facilités » d’accès aux éléments de la vie quotidienne. Ces critères sont difficiles à mettre en place, mais ils seraient ceux de l’accès à l’eau courante et potable, à l’électricité, à divers services publics, aux services de santé, de loisirs mais aussi la proximité des grands équipements de transports et de la mobilité (gare, aéroports...). Ces « critères d’appartenance » à la ville, nous les reprendrons dans un chapitre consacré à leur mise en place, si toutefois l’on considère que la ville subsiste à la révolution industrielle.

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13Quel est le rôle des Bidonvilles dans la formation des villes de demain?

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123- L’industrialisation; « Mort de la ville, Règne de l’Urbain » C’est au 19ème siècle que la révolution industrielle aurait tracé l’ultime discontinuité séparant la ville de l’urbain. La mutation urbaine n’est, dès lors, pas une simple transformation, mais est identifiée par un « changement de nature », ce qui explique les réticences de F. Choay à parler de « villes » pour désigner nos grandes métropoles contemporaines. En effet, d’après elle, ce qui est habituellement présenté comme spécifiquement urbain, comme la concentration démographique, l’accessibilité ou l’ampleur du bâti serait en fait la « négation de la ville » ou plutôt la « négation de la ville traditionnelle (européenne) ». Cette dissociation est clairement explicitée comme la résultante de la révolution industrielle, parce que « la ville subit alors un bouleversement qui semble relever du cataclysme incontrôlable ».

« L’ère des entités urbaines discrètes est terminée. L’ère de la « communication universelle » annoncée par Cerda et par Giovannoni est aussi celle de l’urbanisation universelle, diffuse et éclatée » et cela puisque « La dynamique des réseaux techniques tend à se substituer ainsi à la statique des lieux bâtis pour conditionner mentalités et comportements urbains. Un système de référence physique et mental constitué par des réseaux (…) retentit dans un circuit bouclé sur les rapports que nos sociétés entretiennent avec l’espace, le temps et les hommes. Ce système (…) développable en tous lieux, dans les villes comme dans les campagnes, dans les villages comme dans les banlieues, peut-être appelé l’Urbain. »Extrait Mike Davis, 2006

Pour simplifier, F.Choay tient l’innovation technique, qui a toujours été associée à la ville, comme nous l’avons exprimé auparavant, pour entière-ment responsable de ce « cataclysme ». La métropolisation que nous observons constitue l’aboutissement d’un processus de plus d’un siècle (situé par l’auteure de 1850 à 1990). L’industrialisation, en induisant des mouvements migratoires très importants, a accru la dimension des villes. Elle a généré des types sociaux et des comportements nouveaux. Les innovations techniques ont profondément modifié les relations de la société avec l’espace et le temps. Par exemple, l’amélioration des transports a incité et permis le développement des agglomérations et leur étalement urbain.

De nouveau, cette notion de diffusion urbaine est un argument de F. Choay car la mobilité et l’ubiquité s’opposent, selon elle, à l’idée traditionnelle de la ville fondée sur la « fixité du bâti ». « La mobilité c’est la possibilité de s’installer « hors-les-murs »; l’ubiquité, c’est la possibilité de transposer partout le mode de vie urbain ».

Cette distinction entre fixité et mobilité rejoint celle que proposait déjà A.Toynbee entre les « villes mécanisées » et « toutes les villes de type antérieur », celles que l’on considère comme les « villes traditionnelles » dans cette analyse. L’industrialisation était devenue un critère important. Mais ce n’est pas tant le fait d’industrialiser la ville que d’organiser sa mobilité qui fait le changement. Le mouvement est celui de l’étalement urbain et des « pérégrinations » des citadins. Il devient un des éléments essentiels des habitants de la ville; et nous reprendrons cette analyse plus en détail postérieurement dans le cas des bidonvilles et des accès à cette mobilité que la ville doit offrir.

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124- L’éclatement de la villeComme nous avons pu le voir, le concept de ville lui-même est menacé par nos trop grandes agglomérations, depuis l’ère de l’industrialisation. La ville est un territoire fondé sur une démarcation nette du dedans et du dehors; ce serait en débordant ses limites qu’elle s’est finalement « ab-sentée ». L’industrialisation s’accompagne d’énormes changements, et notamment du regard de chacun sur cet organisme autonome qu’est la ville. L’objectif est donc maintenant de maîtriser cet organisme dont la croissance excessive est source de grands désordres. Plusieurs théories s’opposent encore, mais nous ne retiendrons qu’une seule interprétation de la ville industrielle, comme « le développement anarchique des gran-des villes industrielles qui a pour corollaire la destruction de la ville classique et l’émergence des nuisances rendant les villes inhumaines. » Tous ceux qui ont travaillé sur les bidonvilles sont toutefois d’accord pour considérer que les piètres conditions de vie d’une population grandissante constituent un symptôme important de dysfonctionnement sanitaire, social et autres des agglomérations.

Pour illustrer les propos retenus et effectuer une première synthèse de ce que l’on en a dégagé sur l’avenir des villes, nous pouvons partir de l’hypothèse d’urbanisation complète de la société que propose Lefebvre sans toutefois la commenter, car ce ne serait que nous dévier de notre objectif de définir les critères de ville ou de non-ville des bidonvilles.Rappelons que Lefebvre appelle « société urbaine » la société qui résulte de l’urbanisation complète, aujourd’hui virtuelle et demain peut-être réelle des espaces habités:

« Si les particularités locales et régionales en provenance des temps où prédominaient l’agriculture n’ont pas disparu, si même les diffé-rences qui en proviennent s’accentuent ici ou là, il n’en reste pas moins que la production agricole se change en secteur de la production industrielle, subordonnée à ses impératifs, soumise à ses contraintes. Croissance économique, industrialisation, devenues à la fois cause et raison suprême, étendent leurs effets à l’ensemble des territoires, régions, nations, continents. Résultat: le groupement traditionnel propre à la vie paysanne, à savoir le village, se transforme; des unités plus vastes l’absorbent ou la recouvrent; il s’intègre à l’industrie et à la consommation des produits de cette industrie. La concentration de la population accompagne celle des moyens de production. Le tissu urbain prolifère, s’étend, corrode les résidus de vie agraire. Ce mot: « le tissu urbain », ne désigne pas de façon étroite le domaine bâti dans les villes, mais l’ensemble des manifestations de la prédominance de la ville sur la campagne. Dans cette acceptation, une résidence secondaire, une autoroute, un supermarché en pleine campagne, font partie du tissu urbain. Plus ou moins dense, plus ou moins épais et actif, il n’épargne que les régions stagnantes ou dépérissantes, vouées à la « nature »... Pendant que suit son cours cet aspect du processus global (industrialisation et/ou urbanisation), la grande ville a éclaté, donnant lieu à des protubérances douteuses: banlieues, ensembles résidentiels ou complexes industriels, bourgades satellites, peu différentes des bourgs urbanisés. »

Si bientôt on ne pourra plus réellement parler d’une ville mais d’une agglomération, de mégalopole ou de métapole, il est donc relativement aisé de définir les bidonvilles comme des espaces de cette « non-ville » en puissance. L’hypothèse qui se pose est donc de savoir dans quelle mesure les bidonvilles détiennent certains critères d’urbanité et comment ils s’installent. Mais, les bidonvilles sont-ils une de ces « protubérances douteuses » que met en avant Lefebvre? Toujours est-il que les bidonvilles découlent inévitablement mais dans une certaine mesure seulement de ce proces-sus d’évolution de la « société urbaine ».

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2- 1, 2, 3... “BIDONVILLES” 1621- Un Constat effrayant 18 211- Un choix difficile mais indispensable 18 212- L’ampleur des dégâts 1922- La Rocinha, un “modèle” de favela 21 221- Une conjoncture instable 21 2211- Une naissance invisible 2212- Un contexte compliqué 2213- L’hygiène publique 2214- “La” Favela: l’origine du processus et du mot 2215- La reconnaissance 2216- La Réforme urbaine 2217- L’expansion ou “favelisation” de la ville 2218- Un phénomène à décliner 222- Formation des favelas 27 2221- la “danse” des favelas 2222- L’afflux incessant de migrants 223- Une formation progressive 32 2231- L’invasion 2232- Les premiers abris 2233- Des abris aux baraques 2234- Les maisons en dur

23- Le cas Chilien, ou le libéralisme despotique 56 231- De la dictature au prototype d’une ville libérale 56 2311- Une urbanisation galopante 2312- Les différentes formes d’habitat populaire 2313- Une “crise” à prendre en compte 2314- Le mouvement des pauvres et le droit d’habiter 2315- Un acte décisif, le coup d’État 2316- Logements, Quantité ou Qualité? 2317- Une première solidarité pour tous

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MEMOIRE 2012

232- Un exemple de VSDsD, Quinta Monroy 65 2321- Une demande audacieuse 2322- Un projet urbain risqué 2323- Une première analyse des solutions connues 2324- Renverser le problème pour trouver la solution 233- Une “nouvelle” toma, à Penalolen 72 2331- Situation géographique et environnement 2332- Une invasion massive 2333- Une stratégie d’organisation médiatique 2334- La répartition des tâches 2335- Un programme d’éradication 2336- Un climat de tensions

24- Villa El Salvador, une expérience pilote d’aménagement 78 241- Lima ou une situation peu analogue 78 2411- La géographie comme base de métropolisation 2412- Rappel de la structure politique 2413- Lima, “bidonville global” 2414- Processus de migration et ségrégation spatiale 242- Villa El Salvador, un expérience pilote d’aménagement 85 2421- Une préparation longue 2422- Un “siège” et une mise sous tension 2423- Villa El Salvador, le fruit d’un rêve 243- Du bidonville au district populaire urbain 89 2431- Un projet autogestionnaire comme support de création d’une nouvelle structure urbain 2432- Une nouvelle forme de participation 2433- Des stratégies municipales ANNEXES

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2- 1, 2, 3 … ‘’BIDONVILLES’’21- Un constat effrayant Toutefois, malgré l’universalité du phénomène de paupérisation ces dernières années, les bidonvilles présentent des différences multiples tant sur les caractéristiques physiques, la taille, l’emplacement, les différentes typologies, les équipements que du point de vue social... Il est donc impossible compte tenu de cette diversité, de présenter une « catégorisation » ou une classification en typologies de bidonvilles qui soit suffisam-ment complètes et objectives, bien que de nombreux auteurs tels que Robert Descloitres, Milton Santos, Yves Lacoste, Bernard Granotier ou bien d’autres aient tenté de le faire.

211-Unchoixdifficilemaisindispensable De notre côté, nous ébaucherons donc une analyse à partir de trois cas particuliers qui sont ceux de la « favela » de La Rocinha, à Rio de Janeiro au Brésil, du « pueblo joven » de Villa El Salvador, à Lima, au Pérou et la « toma » de Penalolen, à Santiago du Chili.

Ces exemples ne peuvent être représentatifs de la situation des bidonvilles dans le monde d’aujourd’hui, parce qu’ils sont tous situés dans une zone géographique assez restreinte qui est l’Amérique latine alors que l’Asie et l’Afrique sont aussi d’énormes « réservoirs » de « quartiers pré-caires sous-intégrés »; et l’on pourrait dire que la situation y est bien pire. En effet, lorsque j’ai décidé d’ébaucher une analyse des bidonvilles, ce n’était pas seulement pour répondre aux besoins des plus démunis, comme un « mémoire de solidarité » envers eux, mais bien parce que la connaissance de la morphologie des bidonvilles apporte beaucoup, selon moi, à l’appréhension des espaces que l’architecte peut parcourir. Le choix s’est donc orienté, non sur des critères de pauvreté, qui sont pour l’instant annexes de cette analyse, mais bien sur des modes de « création » de ces quartiers, et sur leur évolution au cours du temps, du point de vue de la gestion foncière et « politique » (ou d’organisation et de gestion).

Les trois exemples sont très différents, que ce soit par leur âge, leur formation, leur évolution, leur statut et même des typologies d’habitat qu’ils abritent. C’est pourquoi ils seront analysés l’un après l’autre, sans grandes comparaisons, malgré les complications que cela peut faire naître pour la compréhension chronologique des évènements. Le choix de l’ordre de présentation est lui chronologique et selon l’importance et l’influence de ces quartiers dans le monde d’aujourd’hui. La Rocinha étant considérée comme un « modèle » de favela de Rio, nous commencerons par elle avant de parler de Villa El Salvador pour sa dé-termination et terminerons par la toma de Penalolen qui, en comparaison, est un exemple significatif mais bien plus arbitraire et inconnu.

Mais avant la description de ces exemples, nous allons parler de quelques « généralités » accablantes sur les bidonvilles.

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212- L’ampleur des dégâts Il n’est pas nécessaire d’utiliser beaucoup de stratagèmes pour minimiser l’ampleur de la crise de l’habitat car il est impossible de ne pas se rendre compte du phénomène d’urbanisation sans précédent que le monde est en train de vivre actuellement. Même si les chiffres sont peu fiables compte tenu des difficultés de recensement, il existerait plus de 200 000 bidonvilles sur la planète. Chacun comptant de quelques centaines à plus d’un million d’habitants, et pour une estimation globale environnant le milliard de personnes. D’après le rapport des Nations Unies de juin 2006, près d’un citadin sur trois habite déjà dans un bidonville aujourd’hui. On est loin des prévisions pour 2030... Mais, revenons sur l’évolution de la population urbaine. En 1800, seulement un habitant sur 10 vivait en ville, en 1900, déjà un sur cinq. Et en 1998, nous avons passé le cap fatidique de la moitié de la population vivant dans une agglomération urbaine. Il y a plus d’urbains que de ruraux, mais ceux-ci sont répartis sur à peine 4% de la planète Terre.

Ce mouvement général d’amplification des villes toutefois n’est pas uniforme. L’urbanisation, autrement dit ce « processus de densification et de concentration des populations dans des villes de plus en plus importantes » se fait dans des contextes sociaux et économiques fort diversifiés d’une période à une autre, d’une région ou d’un pays à un autre. En effet, dans le monde en développement par exemple, Dominique Tabutin dans son essai sur La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique nous montre que les taux d’urbanisation sont très irréguliers, allant de 22% en Afrique de l’Est jusqu’à 77% en Amérique du Sud.

Même à l’intérieur de cette région géographique, les disparités sont énormes: entre 36% au Brésil et 78% en Uruguay. Les signes du processus d’urbanisation sont omniprésents, à des rythmes complètements différents dépendants du contexte social et d’autres variables mais c’est toujours très rapide et pas seulement compte tenu de l’accroissement naturel, mais aussi des migrations encore importantes. Toutefois, des signes de ralentissement de la croissance urbaine sont présents depuis quelques années. Cela se manifeste néanmoins car la croissance est toujours lar-gement positive avec une moyenne mondiale de l’ordre de 3% par an (4,5% pour le Sud) et on évalue que 80% de la croissance démographique se fera en ville désormais.

« Les villes sont le gouffre de l’espèce humaine. Au bout de quelques générations, les races périssent ou dégénèrent. » Citation de J. Hecht en 1980

Beaucoup pourraient justifier cette phrase hors contexte en regardant les bidonvilles. Notre objectif n’est pas celui là, même si nous verrons pro-chainement comment se développe une certaine culture de la pauvreté (cf. Oscar Lewis). Pour nous, il s’agit bien d’expliquer la formation de ces espaces afin de voir dans quelle mesure ils peuvent avoir un rôle dans les villes de demain, et donc un devenir certain.

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22- La Rocinha, un “modèle” de favela 221- Une conjoncture instable 2211- Une naissance invisible Il est difficile de raconter l’histoire de l’origine des favelas. Probablement, parce que nous ne savons pas exactement quelles sont les causes et de quand date la naissance de ce phénomène urbain. Mais pour cela, nous allons devoir re-contextualiser l’ensemble de la situation au Brésil.

Si les favelas sont la forme d’habitat populaire la plus répandue dans la ville de Rio de Janeiro et qu’en 1991 il en existe 545 dans cette même ville (ce qui représente environ 1 100 000 habitants); nous ne pouvons connaître véritablement les principes de formation originels. En effet, avant 1930, la Ville n’avait aucune préoccupation pour les favelas, qui étaient considérées comme un réservoir d’habitat précaire et dans une situation provisoire et illégale. C’est pourquoi elles n’étaient même pas recensées et n’apparaissaient sur aucun plan de ville, comme une population et une situation, bien plus que marginale, car « inapte » à apparaître dans les statistiques urbaines. Avec le gouvernement de Getulio Vargas, il apparaît quelques modifications dans la législation du travail, et la création de plusieurs mesures sociales permettent aux habitants des favelas d’en profiter et d’exister sur la scène urbaine. Toutefois, la considération et la prise en compte des favelas ne se passe toujours pas car elles ne représentent toujours que des habitations temporaires. Mais c’est une histoire complexe que nous allons reprendre chronologiquement pour une meilleure compréhension.

Cette absence de prise en compte du gouvernement complique un peu les analyses de la naissance des favelas. Car si l’on trouve beau-coup d’écrits sur leur développement, il y en a peu sur leur origine. Nous nous appuierons donc sur l’essai de Mauricio de Almeida Abreu, (Recons-truire une histoire oubliée), qui tente, par une analyse sélective de la presse de l’époque de retracer les phénomènes sociaux de la création des favelas dans Rio de Janeiro. Pour cela, il a étudié, de 1901 à 1930, tous les articles parus à ce sujet, dans Correio da Manha, un des quotidiens de Rio, qui serait selon lui celui qui s’attachait le plus aux problèmes sociaux.

2212- Un contexte compliqué Pour l’histoire complète du Brésil, la fin du XIXème siècle représente une période de transition importante. Après l’abolition de l’esclavage qui survient en 1888, et la proclamation de la République en 1889, le pays tout en entier va subir de nombreuses transformations, que ce soit d’un point de vue politique, économique et même social. Rio de Janeiro se positionne de nouveau comme le « centre névralgique » du territoire brésilien dans son contexte international. C’est le lieu de toutes les tensions qui s’exercent sur la nouvelle République, mais aussi l’émergence de nombreuses contradictions. On assiste à Rio de Janeiro à deux problèmes majeurs de l’urbanisme présent qui ne permettent pas tout à fait de prendre en compte les modifications en cours de la société. En effet, la trame urbaine héritée de l’époque coloniale, avec ses petites avenues, ainsi que l’absence d’un port moderne ne permet pas le positionnement de Rio de Janeiro sur le marché international.

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22 De plus, la ville est victime dans les années 1890 d’un problème de perte démographique importante, principalement à cause de nom-breuses épidémies telles que la fièvre jaune. Ces épidémies surgissaient principalement dans les zones d’habitations collectives denses, et ravageaient donc une grande partie de la population, comme un fléau cyclique qui revenait inlassablement. De nombreuses solutions ont été pensées car tous constatent la nécessité d’ « intervenir sur l’environnement, aussi bien naturel que bâti ». Presque tout sera envisagé, comme le drainage des marais, l’arasement des collines, la surélévation du sol, la construction d’un port moderne de grande ampleur, l’élargissement des rues, différents programmes de construction de logements plus « hygiéniques »...etc.Si une grande partie des solutions n’est restée qu’au stade de projets, c’est que la plupart se sont heurtées au manque de fonds ainsi qu’à une certaine réticence des politiques pour la mise en place de ces investissements et travaux de grande ampleur. Toutefois, une grande campagne « anti-insalubrité » est instaurée à travers tout le pays.

2213- L’hygiène publique On assiste à une vraie politique hygiéniste de la part du gouvernement, qui cherche à combattre les « habitations collectives ». L’objectif principal était d’éliminer tous les « miasmes » qui étaient à l’origine de l’insalubrité de la ville. Pour cela, l’inspection de l’hygiène publique, qui avait un pouvoir relativement important sur le sujet, a fait bien plus que mener une lutte contre l’insalubrité. Jusqu’à la fin du XIXème siècle, la bataille se tourne contre les estalagens et les cortiços, car ils représentaient, d’après les institutions, des maux à éradiquer du décor urbain. Tous sont d’accord pour confirmer cela. Les autorités et les forces policières aussi appuieront cette idée, car ils pensent difficile de contrôler un centre ville dense en cas de conflit (à cause notamment des voiries étriquées).Si la politique et les objectifs sont clairs sur l’éradication des cortiços, dans les faits, rien ou presque n’est exécuté; car la logique rentière d’une ville pré-industrielle telle que Rio de Janeiro n’est pas à démontrer. L’essor démographique et la nécessité de trouver des solutions à la crise du logement ne font finalement qu’accroître le pouvoir de marchandage des corticeiros, qui profitent par ailleurs de l’absence d’application des lois prises sur le sujet. Toutefois, l’augmentation du nombre d’habitants dans ces habitations collectives ne faisant que croître, les problèmes aussi n’ont guère trouvé de solutions et les politiques se sont donc durcies elles-aussi. Le plus grand cortiço de Rio de Janeiro, Cabeça de Porco, qui contenait 2000 person-nes a totalement été supprimé de la carte en 1893. Cette énorme opération d’éradication a servi d’exemple, mais n’a fait qu’aggraver la situation de « crise du logement » de la ville.

Une relative stabilité économique se met en place au début du XXème siècle ce qui permet de nombreux apports de capitaux par des investisseurs étrangers, qui avaient pendant un temps fui à cause de l’instabilité de la capitale. On assiste donc à une transformation radicale de la « capitale » brésilienne, que l’on appellera la « Réforme urbaine ».

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23Quel est le rôle des Bidonvilles dans la formation des villes de demain?

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2214- « La » Favela: l’origine du processus, et du mot A Rio de Janeiro, les favelas se sont mises en place avant la réforme urbaine. Elles sont le résultat de deux foyers de tensions qui rég-naient sur la ville. D’une part, une forte aggravation de la crise de l’habitat à cause d’une relation de l’offre et de la demande très déséquilibrée et, d’autre part, différentes crises politiques engendrées par l’avénement de la République. Parmi ces crises politiques, on peut repérer celles qui ont eu un impact important, comme la révolte de l’Armée en 1893 et 1894, ainsi que la campagne militaire de Canudos entre 1896 et 1897. Comme une nouvel-le contradiction, c’est l’Etat qui a construit les premiers baraquements en bois sur les pentes du morro (colline) pour pouvoir loger dans la ville les soldats qui n’avaient pas pu trouver refuge dans les couvents et autres établissements mis à disposition.

Avant même la fin de la campagne de Canudos, la municipalité avait déjà tenté de régulariser cette situation. Toutefois, on constatait déjà, sur les flancs du Morro de San Antonio « quarante et un baraquements de bois couverts de zinc, construits illégalement sur des terrains du gouverne-ment. »De plus, il semblerait que, à peu près à la même époque, se construisaient des cabanes sur le Morro da Providencia. La situation est un peu diffé-rente, et on rapporte que ce serait après la destruction du cortiço Cabeça de Porco (qui se situait au bas de cette colline) qu’un des propriétaires a autorisé des anciens locataires du cortiço à investir d’autres terrains sur le versant et à bâtir des cases en échange d’un paiement. Ces deux opérations consécutives de constructions illégales sur le flanc des collines de Rio de Janeiro représentent les premières tentatives de favelas de la ville.

Le terme de favela s’est intégré au quotidien de la ville à partir de cette deuxième opération, sur le Morro da Providencia. Il est important de rappeler la symbolique du mot “favela”, avant sa réutilisation dans le processus que l’on connait. Il ne s’agit de rien d’autre que d’un arbuste typique de la steppe du Nord-est brésilien et très abondant dans le sertao de Canudos, où l’on trouvait par ailleurs une colline portant ce nom. Que ce soit parce que le Morro da Providencia ressemblait à cette dernière ou parce que les soldats y ont trouvé (ou construit) quelque chose qui leur rappelait Canudos. Toujours est-il que cette colline a tout de suite été rebaptisée Morro da Favela, et ce juste après leur installation.

2215- La reconnaissance Par la suite, tout va à une vitesse incroyable. En 1901, la presse dénonce déjà le surgissement d’un nouveau quartier de 150 cabanes et de 632 habitants. Sauf qu’il semblerait que chacun ne considère pas les chiffres de la même façon. Au même moment, le maire parle de 400 cases qui sont en fait de « véritables porcheries où il était impossible pour quiconque d’habiter ». De plus, un autre constat a aussi été fait. Si les cabanes avaient bien été construites pour les militaires, ils ne sont qu’une proportion très faible à habiter réellement là car, « autrefois montées par les soldats, les cambuses avaient été ensuite vendues par eux à des civils ». On repère là les premiers signes d’un marché de l’immobilier mis en place directement dans les favelas.

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24Les premiers habitants veulent retirer une rente foncière ou immobilière des terrains construits, sauf qu’ils n’ont même pas la propriété du sol, et que les constructions sont illégales. C’est donc là que se pose la question de la propriété foncière, dont on s’occupera ultérieurement plus en détail. Mais c’est aussi le début de la reconnaissance des « désastres » de la favela.

2216- La Réforme urbaine Le début du XXème siècle représente donc le commencement d’une nouvelle « ère » au Brésil. La réforme urbaine se met en place. Les autorités publiques entreprennent de gros travaux d’aménagement. Mais ils se soldent toutefois par un échec qui est l’amplification de la crise du logement. Évidemment, les travaux sont faits dans l’optique de la création d’un nouveau port d’exploitation qui permettrait de replacer Rio de Janeiro sur la place internationale d’un point de vue économique, et notamment sur la production et le marché du café. Mais tout n’est pas juste question du port, mais de toutes les voies et infrastructures pour le desservir, que ce soit les voies d’accès, ainsi que les quartiers alentours. Dans le centre ville, l’accent est mis sur l’élargissement des rues et avenues, afin d’obtenir un tracé moderne plus fonctionnel. Mais tous ces travaux, en parallèle de ceux de démolition des immeubles collectifs, bien que faits dans l’objectif de la modernisation et l’aménagement d’une ville plus saine, amplifient cruellement la situation déjà compliquée en matière de logement.

Plan schématique de Rio de JaneiroDidier Drummond, Architectes des favelas, Les pratiques de l’espace

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25Quel est le rôle des Bidonvilles dans la formation des villes de demain?

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“La situation de la classe pauvre était donc des plus précaires, même s’il y avait en ce moment à Rio beaucoup de travail bien rémunéré. Mais pour cette raison même, on voyait arriver quotidiennement, de tous les alentours des paysans qui venaient échanger le travail des champs contre celui de l’ouvrier (…). La population pauvre augmentait sans qu’augmente le nombre des maisons.”D. Drummond, 1981

DECOUPAGE DE LA VILLE:Les grands travaux de la réforme urbaine ne feront que ressortir ces constats, la ville de Rio de Janeiro est caractérisée, comme la plupart des grands centres urbains d’Amérique latine par un découpage urbain qui reflète les strates de la société. Comme nous pouvons le voir sur le plan ci-contre, la ville est partagée en trois, ou quatres zones distinctes:

° Une zone Sud qui correspond à la diversité des services et qui reflète le dynamisme économique important de la ville. C’est là que la grande majorité des aménagements proposés par la réforme urbaine ont eu lieu. Elle représente la zone résidentielle réservée aux classes riches de la société. Cette zone forme une sorte de long ruban d’édifices de luxe qui se développent sur une fine bande de terre plane entre la montagne et la mer.

° Un centre, qui est finalement rien d’autre qu’une charnière entre Nord et Sud, où s’agglutinent les sièges sociaux, les banques et les ambassa-des. C’est la ville administrative, ou le siège du pouvoir économique et politique de la ville.

° Une zone Nord, qui est en fait la « zone poubelle », celle des délaissés, comme une sorte « d’interminable banlieue » qui se développe le long des axes d’accès au centre. Avant 1980, cette zone était celle des industries. L’apport du chemin de fer a permis la consolidation de l’urbanisation de cette région. Elle est le lieu d’habitation des classes moyennes, prolétaires, et des « moins que prolétaires ».

° Une zone Ouest, qui est en fait la grande banlieue de Rio de Janeiro. Ancienne zone agricole, elle est devenu le nouveau parc industriel de la ville, notamment avec la construction du nouveau port dans la baie de Seperiba.

Néanmoins, si avec le recul, la relation entre les travaux de la réforme urbaine et l’expansion paraît inaliénable, pour les quotidiens de l’époque, elle ne semble pas si évidente. Par exemple, Backheuser (ingénieur de l’encadrement technique de la mairie) ne parlait du Morro da Favela que comme un « aspect original et inattendu » des solutions trouvées par les pauvres en matière d’habitation.

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2217- L’expansion ou « favelisation » de la ville Si le constat de la présence de ces « bidonvilles » sur les pentes de la ville est inévitable, l’image que la ville voulait donner est bien celle des gros travaux d’aménagement, le « tout moderne, tout neuf, tout sain » promulgué par les autorités. Néanmoins, à partir de 1910, on assiste à une généralisation du phénomène d’invasion sur les collines de la ville.

« Ces peuplements qui ont déjà été baptisés ici favelas constituent non seulement une grave menace pour la salubrité publique (…), mais aussi un élément anti-esthétique que rehausse davantage encore la beauté du cadre naturel de cette capitale ». Extrait d’un article paru le 13 mars 1926 dans Jornal do Comercio

Il ne s’agit plus là d’un phénomène unique sur les collines du Morro da Favela, mais bien d’un processus semblable à divers endroits de la ville. Ainsi, le morro de Andarai est presque entièrement construit de cabanes, de taudis et de bicoques (ranchos, tugurios e choupanas). Non loin de là, dans le quartier tout neuf de la ville, sur Copacabana, on trouvait déjà « toute une population qui s’abrite à Vila Rica, dans des « cases » pires que celles du Morro da Favela, où elle vit dans la crasse la plus complète ». Et cette liste des collines est malheureusement non exhaustive.

Il faut bien comprendre que ce n’est pas la présence de baraquements et « campements de misère » dans la ville de Rio de Janeiro que l’on considère comme la « favelisation » de la ville, mais bien la généralisation de ce phénomène et son développement, après 1920 multidirec-tionnel et incontrôlable. Comme s’il était impossible de gérer la gestion de ces flux de populations pauvres cherchant refuge. Il y a deux points communs à toutes les favelas de la ville. Toutes se forment petit à petit sur les collines de la ville, en montant à chaque fois; il s’agit d’une expan-sion « toujours plus haute » des bicoques, et cette invasion des pentes de la ville commence toujours par des lieux à proximité du centre, ou d’une source d’emploi probable. En effet, l’unique critère qui retient ces populations au coeur de la ville est le travail.

2218- Un phénomène à décliner L’expansion est visible, pour autant on ne sait toujours pas la désigner. Il faut donc chercher des terminologies, et chacun émet sa propre opinion sur le sujet.

« En raison de l’énorme propagation de ces noyaux de population à travers l’espace urbain au cours des années vingt, le terme favela finit par se généraliser sous sa nouvelle forme substantivée, et dotée d’un ‘’f’’ minuscule, pour désigner toutes les concentrations d’habitations précaires qui émergeaient dans la ville, généralement sur le flanc des collines et sur des terrains appartenant à des tiers, et sans autori-sations des pouvoirs publics. »

A l’époque, la favela devient un substantif, mais ses déclinaisons n’existent pas encore. Ainsi, en 1922, un article du Correo da Manha fait allusion au « milieu favelano ». Le maire pour sa part considère qu’il a aidé des milliers de « faveleiros » à se loger. D’autres, dans la presse nomme les habitants des favelense, alors qu’aujourd’hui il est clairement défini comme favelado. Toutes ces appellations ont des connotations bien différentes mais souvent très péjoratives.

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MEMOIRE 2012

L’image de la favela est souvent celle d’une « terre sans loi », cependant même si la précarité et l’insalubrité sont de mise, chacun est conscient que ce n’est pas que cela.

« Ne vivent pas là seulement des fauteurs de troubles et des scélérats (…). Y habitent aussi des ouvriers et travailleurs, que le manque ou la cherté des logements attirent en ces endroits élevés où l’on jouit d’une relative modicité des prix et d’une douce brise qui souffle continuellement, adoucissant la rudesse de l’habitat. »Extrait de discours de Backheuser

La favela réunit « le véritable travailleur (bien que souvent sous employé), celui vivant de petits services, le mendiant et le vagabond ». Ils sont tous occupants des maisons considérées comme temporaires par la loi, ils sont donc tous officiellement « Sans Domicile Fixe ». Malgré tout, c’est une réserve très importante de main d’oeuvre pour l’industrie, les activités de travaux publics et les prestations de services, y compris domestiques.Dans le même temps, les autorités continuent de « rabâcher » les mêmes discours sur les trois nécessités urgentes: à savoir, la salubrité des logements, le prix modéré ainsi que la proximité du lieu de travail. Mais, l’habitude se ressent de nouveau, les municipalités ne prêtent que peu d’attention à ces quartiers « clandestins ».On a donc pu constater: le contexte de formation des favelas est difficile et représente le résultat de nombreuses tensions. Cette histoire est faite de batailles, et donc inévitablement de victoires et de défaites pour obtenir un « droit au logement », et donc un « droit à la ville ».

222- La “Fabrique” des favelas 2221- La « danse » des favelas Le climat de tension est palpable dans ce début de XXème siècle, et les autorités s’aperçoivent de l’urgence de la situation. Il paraît évident pour chacun que la question du logement est une priorité si on ne veut pas subir une révolte sociale importante. En effet, on peut noter l’accroissement très rapide de la population carioca, qui est passée de 811 443 à 1 157873 habitants entre 1906 et 1920. Et finalement, ces habitations précaires, auto-construites par les habitants représentaient une solution bien plus qu’acceptable pour les autorités. L’affirmation de ces espaces dans le paysage de la ville a été compliquée et a subi de nombreuses étapes. Les favelas sont un peu comme le phénix, qui renaît éternellement de ses cendres, malgré les difficultés, comme si un droit au sol leur était offert.

« Le développement des constructions sur le Morro de Santo Antonio s’est accentué sous la dernière administration, durant les démoli-tions entreprises pour la percée de l’Avenida Central. Le soir, des bandes d’hommes, d’enfants et de femmes descendaient les sentiers pentus de la ville, s’insinuant parmi les décombres, par les galeries des vieilles rues qui s’écroulaient pour que naisse l’Avenue, et là, avec précautions, ils extirpaient morceaux de bois, poutres, planches, feuilles de zinc usées, tout ce sur quoi ils pouvaient mettre la main, pour ensuite s’en retourner aux heures silencieuses, organisant la triste caravane de la misère. Le jour suivant, au lever du soleil, ils étaient déjà debouts pour déblayer le terrain et installer les assises d’une nouvelle habitation ».« O Morro de Santo Antonio », Leitura para Todos, 4° année, n°40, juin 1909, p.26.

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28Et, comme une répétition sans fin dans l’histoire de la formation des favelas, on assiste à une invasion, plus ou moins compliquée, avec plus ou moins de matériaux. Par la suite, inévitablement il y a un temps de construction et d’évolution des bicoques, avant une expulsion souvent violen-te, par des incendies « accidentels » mis en place par la municipalité, des « groupes armés pacifiques » et autres méthodes. Toujours est-il que pour ces habitants pauvres, tout est à refaire. Ils se dirigent sur un autre site, sur une autre colline, et relancent une autre invasion. Ce processus cyclique n’a pas connu de fin. C’est ce qui sera souvent appelé la « Danse des Favelas ». C’est finalement une migration permanente commentée par Mattos Pimenta comme la résultante de la nécessité de construire des logements pour les prolétaires. « Détruire les baraquements ne sert à rien, sinon à déplacer le problème dans l’espace ».

Sauf que, nous l’avons vu, Rio de Janeiro est une ville en pleine croissance économique. Des milliers de migrants continuent donc d’affluer chaque jour à la recherche d’un travail. L’exode rural et l’absence de politique officielle de l’habitat amène inévitablement à la multiplication et à la densification des favelas. La littérature et la presse rapportent énormément de cas et d’histoires de ce phénomène:

« Le temps et l’intense développement de la ville démontraient que même les collines, une fois réaménagées, étaient même une très bon-ne affaire pour la vente de lots de terrains. Et, contraintes par l’obligation de déménager, des centaines et des centaines de créatures, dont le seul tort est d’être pauvres dans la plus belle ville du monde, sont périodiquement privées du toit misérable que la force de l’habitude les avait déjà amenées à considérer comme le leur (…). Les uns se dispersent, les autres vont former de nouveaux agglomérats sur les terres d’autres propriétaires – futurs cas de fureur et de scandale. »Revista Da Semana, 37ème année, n°36, 15 Août 1936, p.36.

2222-L’affluxincessantdemigrants Comme nous avons pu le voir plus longuement dans le premier chapitre, beaucoup se réfèrent encore et toujours à l’opposition ville/cam-pagne pour expliquer non pas seulement ce qu’est une ville, mais bien au-delà, et le cas échéant, dans quelle mesure les bidonvilles font partie de la ville. En tout cas, c’est bien le problème du réaménagement et de la mutation des villes qui a contribué à la création des favelas. D’une manière plus générale, l’opposition ville/campagne se prolonge et se retrouve au niveau spatial et social. On pourrait donc dire qu’il y a un « espace rural » et un « espace urbain », et donc un « mode de vie rural » et un « mode de vie urbain ». Dans cette approche, le bidonville est considéré comme un espace de transition grâce auquel les nouveaux arrivants s’adaptent au mode de vie urbain dans l’objectif d’une intégration progressive à la ville.

Dans cette idée, on peut voir non pas seulement l’idée d’une transition spatiale mais bien aussi sociale, ainsi que la notion de la temporalité. En effet, si les bidonvilles sont seulement transitoires, ils devraient aussi être une solution temporaire, ce qui n’est malheureusement pas le cas.

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D’après Bernard Granotier :« Le bidonville représente un véritable sas de transition entre les modes de vie rural et urbain. Quittant la vie villageoise, faite du poids des traditions, d’une solidarité sécurisante et d’une structure cyclique du temps quotidien et saisonnier, le migrant subit le traumatisme culturel de la grande ville où dominent le rendement, la foule solitaire et l’échange marchand du temps contre de l’argent. Grâce au bidonville, une phase d’adaptation est possible. Les bidonvillois sont les pionniers qui font l’apprentissage d’attitudes nouvelles, de qualifications nouvelles, tant professionnelles que sociales, car, désormais, motivations et comportements vont rapidement évoluer. Le bidonville est un gigantesque mécanisme social de défense, qui facilite la survie et l’adaptation des migrants. »

Henri Lefebvre : « Dans les pays dits « en voie de développement », la dissolution de la structure agraire pousse vers les villes des paysans dépossédés, ruinés, avides de changement; le bidonville les accueille et joue le rôle de médiateur (insuffisant) entre la campagne et la ville, la pro-duction agricole et l’industrie; il se consolide souvent et offre un succédané de vie urbaine, misérable et cependant intense à ceux qu’il héberge ».

Néanmoins, l’urbanisation des ville du Tiers-Monde est dépendante et provient du fait que « leur dynamisme est fonction des aléas du marché mondial et de centres de décisions économiques situés dans d’autres pays, notamment occidentaux en situation de dominance ». Par cette dépendance, B. Granotier explique les causes de l’explosion urbaine, qui consiste en l’exploitation de la campagne par la ville, l’exode rural qui n’est qu’une facette de cette exploitation, l’attraction de la ville et l’accroissement naturel, qui est en train de prendre le pas sur la migration dans cette croissance urbaine. Ce serait selon lui toutes les causes de l’extension des bidonvilles. Il va même beaucoup plus loin en considérant qu’il existe un dualisme important de la structure urbaine des pays en voie de développement, que ce soit du point de vue de la ségrégation ré-sidentielle (quartiers riches et quartiers pauvres), ou que ce soit au niveau de l’activité économique (entre secteur formel et moderne ou secteur informel qu’il considère comme « non structuré »).

« Le dualisme structurel des villes du Tiers-Monde dans lequel s’inscrit la prolifération des bidonvilles et quartiers sous-intégrés concerne donc autant l’activité économique que la ségrégation résidentielle ».

« Une partie du secteur informel est établi directement dans les quartiers pauvres et bidonvilles qui en tirent leur subsistance. Le secteur informel occupe une position charnière entre l’agriculture et le secteur moderne, comme les bidonvilles sont à la charnière entre le village et les quartiers aisés. Le secteur informel absorbe une bonne partie du surplus de main-d’oeuvre que le secteur moderne ne parvient pas à éponger. Non seulement les familles pauvres du bidonville trouvent à s’y employer, mais c’est auprès des entreprises de ce secteur qu’elles achètent biens et services. ».

Pour revenir sur ces notions, et notamment sur l’énorme croissance démographique que subissent les favelas, nous allons tenter de dégager les différentes phases de migrations que l’on a pu repérer à Rio de Janeiro.

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30LES DIFFÉRENTES VAGUES DE MIGRATION : La première vague significative vient de l’État de Guanabara, qui n’est finalement que l’actuel État de Rio. Les migrants représentent la souche primitive des favelados. Dans cette région, on repère en effet un processus irréversible de désertification de la campagne. Les taux d’urbanisation sont impressionnants, 97% vivent dans l’agglomération de Rio de Janeiro, en occupant seulement 46% du territoire de l’État. Les migrants venant de Guanabara et leur descendance constituent environ 44% des habitants des favelas.

Après 1940, les migrants viennent des états limitrophes et en 10 ans ils sont plus de 400 000 à arriver à Rio de Janeiro. Et à chaque fois qu’une vague de migration succède à la précédente, les migrants viennent toujours de beaucoup plus loin. En réalité, comme nous pouvons le voir sur les strates suivantes, ils viennent de tous les coins du pays. Et la relation qui lie ces différentes phases de croissance démographique à l’expansion des favelas n’est malheureusement plus à démontrer.

Armature urbaine du Brésil, en 1940 et 1960Didier Drummond, Architectes des favelas, Les pratiques de l’espace

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Celle que nous considèrerons comme la dernière vague de migration aura commencé avec la création en 1960 de la route qui relie Salvador de Bahia à Rio de Janeiro. Cette route représente la possibilité, pour les habitants du Nord-Est d’arriver jusqu’à Rio de Janeiro. On estime à environ 30% les favelados qui sont originaires du Nord-Est. La quasi-totalité de ces migrants a décidé de « prendre la route » à cause de la sécheresse subie dans leur « pays » d’origine.

De très nombreuses raisons, telles que la transformation des modes de productions agricoles, de la mécanisation des exploitations, de nouveaux modes d’élevage, de nouvelles technologies, plus modernes, de surveillance des troupeaux... font que le besoin en main-d’oeuvre rurale ne cesse de baisser; c’est la principale raison qui pousse les migrants à prendre le chemin de la ville.

Toutefois, il y a un autre facteur qui amplifie la crise de la main-d’oeuvre rurale. Il s’agit de la nouvelle loi pour les travailleurs, qui deviennent pour beaucoup des travailleurs sans terre et sans emplois. Ils sont contraints au nomadisme, afin de suivre les zone d’emplois car ils sont toujours en quête de travail. Le décollage industriel de la ville de Rio de Janeiro se présente comme un « catalyseur » de ce processus. Il faut rappeler, pour justifier de nouveau l’exode rural, que 64,2% des travailleurs gagnent à la ville plus que le salaire minimum alors que dans les campagnes, il y a moins de 15% des travailleurs qui peuvent espérer toucher plus. C’est pour toutes ces raisons que des dizaines et des centaines de personnes prennent la route chaque jour en direction du Sud du pays, comme si le « mythe du Sud merveilleux » s’était créé. Dans le prochain chapitre, nous tenterons d’aborder l’arrivée des migrants dans la favela de la Rocinha, et la construction de leur premier abri.

Plan de Rio de Janeiro et répartition des favelas dans la ville en 1942Didier Drummond, Architectes des favelas, Les pratiques de l’espace

Plan de Rio de Janeiro et répartition des favelas dans la ville en 1960Didier Drummond, Architectes des favelas, Les pratiques de l’espace

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223- Une formation progressive 2231- L’invasion Chaque nuit était synonyme de naissance d’une nouvelle favela. Pour celle qui sera l’objet de notre étude, La Rocinha, nous allons re-prendre les études spatiales plus en détails. Cette favela est née vers 1930, dans un grand cirque naturel de 600 000 m2, à Sao Conrado sur l’axe de développement des quartiers résidentiels. L’ensemble des constructions est fait sur des terrains annexés, toute la population de La Rocinha vit donc en totale illégalité. Le site d’implantation de la favela est coincé entre la montagne et une autoroute qui la sépare d’une grande zone plane d’environ 500 mètres de profondeur et de plusieurs kilomètres de longueur où a poussée une des plus grandes opérations immobilières jamais faites à Rio. Ont poussés sur le littoral plus de trente immeubles de luxe (de 20 étages en moyenne). De plus, dans cette zone, on repère aussi des hôtels de luxe et autres édifices prestigieux. L’ensemble de la favela est relié à la ville par la route du littoral, et par l’ancienne route.

Si nous avons choisi cette favela plutôt qu’une autre, c’est avant tout pour sa situation et parce qu’elle a souvent été prise en exemple dans la presse, ce qui lui confère le titre de « favela-type » de Rio de Janeiro.

Les premiers habitants arrivèrent à la Rocinha en 1927. Le site appartenait alors à la Fazenda Tres, et ce n’était qu’une forêt vierge pra-tiquement sans valeur. Le propriétaire, sous couvert d’une société, a découpé l’ensemble du terrain en lots de 270 m2. Une première opération de vente des lots à été mise en place. Toutefois, la faillite de l’entreprise en 1937 a entrainé le classement par la préfecture de l’opération comme lotissement illégal. Chacun des acheteurs n’a donc pu obtenir des titres officiels de propriété. C’est alors qu’une rumeur apparut selon laquelle le gouvernement offrait des lots non-vendus. Et comme toute rumeur, c’est un bruit qui a couru très vite, et qui n’était bien évidemment pas vrai. Une véritable invasion s’est donc produite sur les flancs de la colline. C’est à partir de là qu’on peut considérer que la Rocinha est née. Après, comme nous avons pu le voir dans le chapitre précédent, on a pu dénombrer différentes phases de migrations, et donc d’évolution de la favela.

LA CROISSANCE :La croissance de la favela est assez « fabuleuse », on le montrera dans le tableau suivant:Année Nombre d’habitants, approximativement1940 10001950 40001960 140001970 300001977 1300001981 Plus de 200000

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Plan schématique et coupe de La RocinhaDidier Drummond

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34Ce qui était auparavant un petit groupement d’habitations est devenu en quelques années une des plus grosses favelas de Rio de Janeiro, avec une population de plus de 200 000 habitants, ce qui correspond presque à une « ville ».Mais il ne faut pas tout confondre, les migrants ne pensent pas partir de leurs campagnes pour aller dans une favela. Ils sont souvent éblouis par les « marchands de rêves » et les « belles images » qui représentent la nouvelle ville de Rio de Janeiro. Très vite, ils doivent se rendre à l’évidence et « inventer leurs conditions de survie ».

« Nous sommes arrivés à la ville après de nombreuses journées entassés au fond d’un camion. Nous ne savions pas où aller et tout notre argent fut dépensé pour le transport. Le propriétaire du camion a demandé à chaque famille combien elle possédait et a recueilli le total pour payer le voyage. Ainsi, personne n’avait plus rien. Nous n’avions pas le choix, ceux d’entre nous qui avaient des parents à la ville trouvèrent les premiers un terrain inoccupé et construisirent un petit abri pour que la famille puisse dormir, c’est ainsi que nous sommes devenus des favelados. »

La plupart du temps, les migrants cherchent un travail en ville, principalement sur les nombreux chantiers de construction. Là, ils ont par-fois la possibilité de rester sur le chantier pour dormir, et s’abriter tant bien que mal. Mais dans tous les cas, à la fin du chantier, ils doivent trouver un logement fixe. Mais ils ne sont jamais accessibles aux revenus d’un ouvrier. Car la location d’un appartement de surface moyenne représente entre 7 et 10 fois le salaire mensuel d’un ouvrier. Le Morro s’offre donc souvent comme l’unique solution. C’est un espace libre à proximité d’un travail possible, ou en tout cas, d’un bassin d’emploi. Les premiers abris sont tous de fortune, et faits de boue, de planches ramassées sur les chantiers et de bidons aplatis.

C’est une structure provisoire qui se met en place rapidement, à base de pilotis, d’un sol et d’une toiture et qui subira au cours du temps de nom-breuses améliorations successives. Ce constat n’est pas seulement possible à la Rocinha, on trouve quasiment les mêmes processus d’invasion dans les autres favelas de Rio de Janeiro. On peut effectivement voir que si la croissance de Rio de Janeiro est d’environ 3%, celle des favelas est toujours au moins deux fois plus élevée. Si le pourcentage de personnes en favelas était encore faible dans les années 1950, seulement 7,1% de la population, ces chiffres ont rapidement augmenté, comme nous avons pu le voir, pour passer à 19,3% en 1977 et jusqu’à plus de 30% après les années 1980.

Cela est « générique » et largement synonyme de dégradation de la vie des pauvres. Le processus d’appauvrissement général de l’ensemble de la population laborieuse brésilienne est fort depuis le démarrage de la seconde « révolution » industrielle. On le voit notamment dans la presse, mais bien plus simplement, au quotidien, dans les chansons.

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L’ÉVOLUTION EN CHANSON Malgré toutes les difficultés que les migrants doivent affronter pour aller durcir les rangs des favelas, elles sont au départ le lieu du bon-heur, et de la réussite possible. En tout cas, même dans ces baraques vétustes, la population vit mieux que dans les campagnes. Les favelas seraient un très bon compromis à la ville car c’est comme le regroupement en petites communautés de type rural. Si l’on peut constater que l’utopie est présente dans le discours des favelados à leur arrivée, les sociologues et autres intellectuels extérieurs ont parfois des avis bien plus tranchés.

« Les bidonvilles plaisent aux indigènes qui les peuplent. Ces indigènes, qui sont rarement des citadins, mais des ruraux, trouvent dans les bidonvilles des conditions d’existence qui ne sont pas inférieures à celles de leurs tribus, et qui leur sont même supérieures parce que ces bidonvilles ont reçu quelques aménagements. Et surtout, le bidonville couvre chacun d’un commode anonymat (…). On peut s’y livrer à ses petits trafics, à ses habitudes, à ses goûts, à ses vices même; en un mot, on est chez soi et l’on ne demande qu’à y rester. »Girardière, 1939

Nous avons vu antérieurement que la presse ou les politiques sont très durs envers cette nouvelle forme d’habitat, qu’ils considèrent à tort comme marginale, alors que ce n’est qu’une exclusion choisie par la ville, et non par les habitants des favelas. Nous reviendrons plus particu-lièrement dans le dernier chapitre sur ces questions de la marginalité des favelas.

Toutefois, ce que nous voulons voir c’est l’évolution de la favela par ses habitants, et leur ressenti sur cette évolution. Les maisons se perdent dans la végétation des morros, et il y ferait « bon vivre ». C’est notamment très démontrable avec la Samba, cet art populaire, aussi considéré comme « l’opium des favelados ». Au départ, les chansons parlent de manière très positive de leur « favela », presque comme d’une utopie enfin réelle:

« La favela qui vit dans mon coeur La favela des rêves d’amour et de samba »

« Notre baraque sur le morro du Salgueiro Contenait le chant allègre d’une volière » « La porte de la baraque était sans verrou Et la lumière traversait notre toit en zinc Saupoudrant le sol d’étoiles. Et tu marchais distraitement sur nos astres Sans savoir que le bonheur de cette vie C’est la Mulâtre, la lumière et la guitare. »

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36Mais si la samba peut révéler que la population est probablement moins malheureuse qu’à la campagne, avec de nombreux messages d’espoir par rapport à l’avenir très vite, les chansons deviennent plus pessimistes et relatent la paupérisation constante ainsi que le développement dans la favela.

« La chaussure du pauvre est le sabot Le repas du pauvre c’est le café Beaucoup de fatigue au corps Le pauvre vit car il est têtu. »

« La rosée tombe et mouille mon chapeau Mon lit est une feuille de journal Et mon réveil-matin un garde-civil

qui n’a pas touché son salaire. »

C’est la sur-densification qui entraîne malgré elle l’abaissement du confort et des conditions de vie, alors que dans le même temps, les abris évo-luent pour plus de stabilité et de confort. On assiste donc à un nouveau paradoxe de l’architecture des favelas. Pour comprendre cela, nous allons détailler l’évolution des habitations, afin d’établir différentes typologies et hiérarchisation au sein de la Rocinha.

2232- Les premiers abris Si les migrants ont une capacité d’adaptation et une imagination sans limites, ils doivent toujours jouer avec des conditions de construction vraiment pas simples car elles représentent des contraintes fortes pour des « petits budgets ». La nature du sol et la très forte pente amplifient les difficultés des migrants à construire leur premier abri.Nous avons auparavant vu que les migrants ont souvent déjà travaillé en ville avant de construire leur premier abri dans la favela.

LA RECHERCHE DE MATIÈRE PREMIÈRE Au cours de leurs chantiers, les habitants récupèrent toutes sortes de « déchets » de la ville qui pourront leur servir de matière première pour la construction des abris. Ils constituent donc des stocks de bidons et de planches récupérées sur les chantiers ou dans les décharges.

LE CHOIX DU SITE Ils nécessitent aussi de trouver un site où s’installer dans la favela car bien que l’installation soit illégale, chacun respecte les règles de la favela. Celles-ci sont simples mais très hiérarchisées. Les premiers arrivants ont droit de regard sur l’installation des nouveaux. Il faut donc suivre les prédécesseurs ainsi que les règles de cheminement déjà mises en place, et de bon voisinage établit au cours des différentes invasions.

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Par la suite, la recherche du site optimal se fait grâce à des critères très simples. Il est important d’être le plus proche des accès à la ville, et donc nécessairement des différents cheminements proposés par la favela. Les difficultés pour construire sur pilotis lorsque l’on ne dispose que de matériaux de récupération sont importantes. Chacun recherche donc aussi un terrain le plus plat possible afin de pouvoir « poser » la baraque, un maximum sur le sol naturel. La présence de végétation haute est aussi primordiale car Rio de Janeiro étant situé approximativement sur le Tropique du Capricorne, il y a une réel besoin d’ombre pour la préservation d’une température correcte dans les abris. Le site parfait serait donc un espace relativement grand, comprenant un arbre ou plusieurs pour avoir le plus possible d’espaces ombragés ainsi qu’une stabilité accrue du sol (les arbres servant bien entendu de fondations naturelles pour préserver le sol des glissements de terrain) sur une pente douce, ou une surface plane, et bien sûr à proximité des cheminements.

STRUCTURE DES ABRIS Pour les nouveaux arrivants, il est très important de pouvoir mettre à l’abri tous les membres de la famille. Une première structure pro-visoire est mise en place. Elle est très sommaire et est constituée de pilotis, d’un sol et d’une toiture. Les sections les plus grandes de bois sont utilisées pour la structure porteuse. Ce sont toujours les bois les plus longs car ce sont les éléments responsables de la stabilité de l’ensemble de la baraque. Toutefois, malgré que ce soit les meilleurs éléments qui servent pour la structure, ils ne sont pas nécessairement adéquats.

Les parois jouent un rôle primordial car elles doivent obligatoirement rigidifier l’ensemble et servir au contreventement de la cabane. Elles sont constituées de « tout et n’importe-quoi », des bidons dépliés ou des morceaux de planches ramassées ici et là. Tous les éléments sont utilisés dans les dimensions originelles. Ils ne sont ni recoupées, ni modifiées. Les constructeurs travaillent par recouvrement d’élément pour pouvoir garder chaque planche dans sont état originel, et ainsi concevoir leur réutilisation pour une étape suivante de construction.

Le toit subit une évolution beaucoup plus rapide que le reste de la maison. Dans un premier temps, il est constitué d’un empilement de pièces de bois, de tôles, de bidons, de plaques ondulées en éternit ainsi que parfois, de tuiles françaises ramassées au cours des aller-retours en ville. Tout est prétexte à la construction. Le toit est toujours très lourd dans les premières étapes car il sert de stockage des matériaux. Chaque chose pouvant être utilisée ultérieurement est ramassée et stockée dans la favela.

ORGANISATION SPATIALE : L’abri constitue une pièce unique reliée à une zone extérieure à l’air libre qui est finalement la « zone à tout-faire ». De la même manière que dans les habitations rurales dont ils sont issus, les favelados se servent de la partie devant leur baraque comme d’une cuisine sur feu de bois, et comme d’un espace libre pour toutes les activités de nettoyage. Toute la vie se passe dehors, comme dans les campagnes. La zone de travail est juste une transition entre le chemin et l’intérieur. La pièce unique quant à elle n’est en fait qu’un espace pour s’abriter et pour dormir. C’est probablement l’unique fonction de ces baraques. Dormir à l’abri est l’objectif de base des favelados, et probablement de toute personne chef de famille, comme le montre bien Véronique Vassilly Jacob dans son « Droit de l’habiter ».

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38Le mobilier de cette pièce est très sommaire: un lit de fortune pour les parents et les enfants en bas-âge, et de vieux matelas sur le sol pour les grands enfants. Les seules acquisitions « urbaines » sont un bec de gaz et une bouteille de butane pour pouvoir l’alimenter et quelques ustensiles de cuisine, mais rien que l’essentiel, c’est-à-dire quelques casseroles et des bassines en fer blanc.

Il n’y a aucun autre réseau présent dans la favela lors des premières invasions. Les seules sources d’eau sont dans la partie basse de la favela, ce qui correspond à un minimum de 20 minutes de marche à pied pour aller chercher de l’eau et l’entreposer devant les abris, dans de grands bidons récupérés. La montée de l’eau est donc une grande corvée pour chacun des habitants. Par contre, les évacuations sont simples et radicales: les eaux usées sont jetées directement par la fenêtre ou, devrait-on dire, par les ouvertures. En effet, comme dans les campagnes, les fenêtres sont de simples ouvertures recouvertes de tissu. De la même façon, les portes sont à double battants, afin de laisser entrer de la lumière d’une part, mais aussi pour se protéger des animaux sauvages.

La baraque a toujours une orientation par rapport à la pente, mais aussi par rapport aux zones extérieures de travail, et donc à l’entrée de la maison. Si les habitants vivent tous dans des cabanes de « bric et de broc », avec des matériaux récupérés, ils ont tout de même tous une idée de maison idéale vers laquelle ils tendent sans cesse. C’est pourquoi les entrées des abris sont toujours signifiées, comme par exemple par une couche de chaux sur la façade principale pour la mettre en valeur et la protéger.

Il y a différentes typologies de maison en place dans la Rocinha. On peut toutefois noter de grandes similitudes dans toutes les organisations spatiales, et dans les pratiques qui sont toutes issues du milieu rural. Ainsi, nous verrons dans l’exemple suivant que malgré un mode constructif très différent, et ici beaucoup plus proche des matières premières naturelles, le mode de vie est identique.

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Premier Abri, EXEMPLE 1- Photo de l’extérieur, plan et coupeDidier Drummond, Architectes des favelas, Les pratiques de l’espace

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40 Cet exemple est peu employé dans la favela de la Rocinha, seulement 5% des habitations sont construites ainsi car il nécessite beaucoup plus d’efforts au départ, et donc un temps de construction lui aussi accentué. Il ne correspond donc pas tellement à une solution à l’urgence. Cet exemple se met en place sur un terrain plat, avec une première structure légère, faite à base d’une double nappe de branchages espacés tous les 15 centimètres et reliés par des ficelles. Le toit est fait de feuilles de cocotier ou de bananier. Le remplissage des murs quant à lui est un encas-trement de boules de terre entre les branchages. Les finitions sont parfois faites avec une couche protectrice de chaux, mais cela seulement en fonction des moyens financiers disponibles. Sinon, elle viendra avec le temps, comme le changement du toit qui sera le plus rapidement possible remplacé par une structure traditionnelle en bois, avec un recouvrement en tuiles mécaniques (achetées ou récupérées).

Afin de lutter contre l’érosion rapide des murs à cause du ruissellement de l’eau (évacuation par les fenêtres), les habitants placent une plaque de tôle à la base des murs, ainsi que beaucoup de végétation aux pourtours de la maison.

Abri, EXEMPLE 2- Détail constructif de construction, Plan et coupeDidier Drummond, Architectes des favelas, Les pratiques de l’espace

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41Quel est le rôle des Bidonvilles dans la formation des villes de demain?

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Pour les favelados qui n’ont pas eu la chance de trouver un terrain plat, ils sont obligés de gravir les pentes du morro et de s’installer sur des terrains très pentus. La solution pour eux est donc de construire à flanc, et donc de construire une première « plateforme » de pilotis, qui viendra soutenir la maison.

Premier Abri, EXEMPLE 3- Plan et coupe

Cette typologie doit lutter contre deux problèmes majeurs. Tout d’abord celui de la pente, qui bien plus que seulement des difficultés supplémen-taires à la construction entraîne souvent des glissements de terrain dus à l’érosion du terrain en cas de fortes pluies. Il n’est donc pas rare de voir des baraques qui dévalent la pente, et qui en entrainent d’autres en chemin. La gestion de la stabilité est donc prise en charge à « grande échelle » car elle peut causer des dommages pour un très grand nombre de personnes dans la favela. D’autre part, comme peu d’espaces extérieurs sont disponibles, la cuisine commence à intégrer l’intérieur des maisons. L’espace se scinde donc en une pièce humide et une pièce sèche.

L’entrée s’effectue toujours par la « cuisine », qui fait office de « réception » de la maison. Elle détient toujours les ouvertures (pour l’évacuation des eaux et des ordures notamment, comme dans les exemples précédents). Mais la grande différence organisationnelle avec les exemples précédents est la présence d’une cloison à baïonnette entre la pièce privée et l’espace cuisine (autrefois extérieure). Cette cloison peut paraître très anodine, mais elle représente une des premières représentations urbaines qui s’instaure dans la favela.

La séparation public/privé est donc mise en place. L’entrée par ailleurs est largement signifiée avec un « chemin de planches » et deux portes, avant et après l’escalier, comme pour le contrôle et la surveillance de l’accès à la maison. Cette privatisation et hiérarchisation des espaces et des accès est significative des tendances d’évolution de l’habitat.

On note donc déjà des évolutions et des perfectionnements dans les baraques de première génération: l’agrandissement ou le partage de la pièce unique, le remplacement des espaces les moins sains de la construction, la solidification de la structure ainsi que le traitement de détails qui se fait plus présent, comme dans le cas des accès, des joints et des ouvertures.

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2233- Des abris aux baraques Si l’on peut considérer, à part dans l’exception de l’exemple 2, que les abris de première génération sont entièrement réalisés en bois et matériaux de récupération; avec l’évolution, les prati-ques et les matériaux s’affirment.

On voit le remplacement quasi systématique des pièces défec-tueuses. Les planches sont toujours récupérées mais sont sé-lectionnées et coupées aux dimensions adéquates, avec parfois même des bordures aplanies pour ne pas laisser entrer trop de jour. L’organisation des matériaux est donc plus cohérente et or-donnée.Par ailleurs, on remarque aussi la présence de sections de bois très régulières. Elles ont été achetées et servent principalement au renforcement des structures, pour faire les pilotis ou soutenir les toitures.

RENFORCEMENT DES ÉLÉMENTS STRUCTURELS De plus, on voit apparaître des détails intéressants de contreventement avec des croix de Saint André, des renforce-ments de pilotis, qui ont une très bonne résistance aux efforts. Toutefois, les propriétaires nient l’existence d’un parti constructif, mais rapportent que « pour tenir, c’est comme cela que ce doit être ». « L’architecte aux pieds nus » a donc des notions structu-relles pratiques qu’il retranscrit dans sa propre situation, pour les mettre à l’épreuve de la pente.

Baraque de Première génération, EXEMPLE 1- Photo de l’extérieur, plan, coupe et détails

Didier Drummond, Architectes des favelas, Les pratiques de l’espace

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ABRI + BARAQUE = BARAQUE DE DEUXIÈME GÉNÉRATION Dans beaucoup de cas, les favelados se rendent compte que ce qui devait être un abri précaire pour une habitation temporaire de la favela va perdurer car ils n’ont pas et n’auront probablement jamais les moyens de regagner la ville et d’y louer un logement. Ils cherchent donc à agrandir leurs abris et à les consolider pour en améliorer le confort, et donc par conséquence les conditions de vie de l’ensemble de la famille.

Ils vont donc économiser au cours des mois pour se permettre de construire une nouvelle baraque à côté de la première. L’ancienne baraque est tout de même utilisée tout au long de la durée des travaux car ils n’ont pas les moyens de vivre à l’hôtel tout ce temps. Une fois terminée, la partie ancienne va servir de zone de transition, et donc de zone de travail, ou pièce humide, comme dans les configurations précédentes, alors que la nouvelle partie est toujours réservée à la pièce à vivre, et donc la partie « propre » de l’habitat. On repère dans cette nouvelle génération de baraque que l’influence des modèles urbains est forte, et que les espaces extérieurs de la maison s’intègrent petit à petit dans la maison.

Un « réseau » se met lui aussi en place progressivement, c’est celui de l’évacuation des eaux usées. Si auparavant elle était réduite à « ouvrir » la fenêtre, elle se passe maintenant par le dessous de la maison, par un tuyau qui conduit directement dans des « rigoles » situées dans les chemi-nements de la favela. Les égouts sont donc encore à l’air libre, mais tout de même en partie « canalisés », au moins pour la sortie des maisons.

DES DÉSIRS D’APPARTENANCE URBAINE Les habitudes rurales s’urbanisent, et on voit apparaître des détails plus symboliques qu’utiles. En effet, de nombreuses maisons ont une ampoule électrique qui pend sous le faîtage de la toiture. Pourtant, elles ne sont jamais allumées, et pas toujours reliées à l’électricité. Dans certains cas toutefois, les favelados achètent de l’électricité à des revendeurs. Ils possèdent donc un compteur électrique qui ne leur appar-tient pas, il doit donc être présent en façade. Entrent la sonnette électrique, des portes hermétiques, des numéros de porte qui ont eux aussi un rôle plus que symbolique car le facteur ne passe pas dans les favelas...

Par contre, tous ces détails sont un signe de richesse important pour « l’honneur » des favelados, car ils ont ainsi la sensation d’avoir une « exis-tence » comme dans la « ville d’asphalte ». Cette notion est primordiale pour répondre à nos interrogations et ainsi savoir s’ils ont un rôle dans la ville de demain.

La génération suivante est donc celle de l’éclatement de la multifonctionalité de la pièce principale. La salle d’eau est maintenant cloison-née (avec la présence d’un égout) pour la séparation entre zone sèche et zone humide, alors qu’on observe aussi une séparation jour / nuit.

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44La cuisine est reléguée au fond de la construction, sans lumière naturelle et sans aération, c’est ce que l’on pourrait considérer comme la fin de l’évolution de l’organisation spatiale, avec l’obtention de « l’urbanité » ou en tout cas sa reproduction. Il y a par ailleurs une séparation complète entre espace de bain et espace cuisine, avec dans les deux cas une évacuation des eaux usées. La fonction « méditerranéenne » de l’espace de transition n’a pas de fonction, il n’a donc plus de raisons d’exister, si ce n’est comme espace de repos et de ventilation.

Ceux qui ont la possibilité d’avoir des « titres de propriété », bien que non légaux, ont une certaine sécurité de leur habitation. Ils mettent donc tout en oeuvre pour agrandir et rendre saines leurs maisons. Ils entreprennent même souvent de gros travaux d’agrandissement pour prévoir une location d’un étage afin de s’assurer une rentrée d’argent mensuelle et non dépendante d’un emploi.

2234- Les maisons en durLE BAIRO BARCELO : Par son implantation géographique près de l’unique accès à la favela, ce quartier représente finalement l’espace de transition entre la ville et la favela. C’est aussi le plus ancien, là où les favelados se sont installés en premier, et où on repère les baraques avec l’évolution la plus complète. La dernière génération, à base de maisons en dur est effectivement repérable seulement dans cet endroit de la Rocinha.

L’organisation de l’espace y est rigoureuse. On remarque la présence d’une grande rue centrale et de rues transversales. Les lots ont été redéfinis au cours de l’évolution et sont maintenant de 10x4 mètres. Les rez-de-chaussée des maisons sont maintenant construits en briques, avec des toits-terrasses en béton armé. Il faut donc mettre en place des techniques de solidification par des poutres de chaînage et des fondations plus pro-fondes. Ces techniques sont connues des favelados seulement parce que grand nombre d’entre eux travaillent sur les chantiers de construction de la ville. Tous les matériaux sont maintenant achetés, et pour pouvoir rembourser ces investissements et amortir les frais de construction, les « propriétaires » préfèrent louer le premier étage au détriment de leur espace personnel au rez-de-chaussée. On note une énorme perte d’espace pour permettre la mise en place d’un grand couloir linéaire pour la desserte du premier étage. Malgré cela, les habitants y gagnent énormément car ils peuvent facilement rembourser leurs investissements en moins d’un an.

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Baraque de deuxième génération: Maison en durÉlévations sur rue, plans (RDC et 1er étage)

Didier Drummond, Architectes des favelas, Les pratiques de l’espace

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Baraque de deuxième génération: Mode constructifDidier Drummond, Architectes des favelas, Les pratiques de l’espace

UNE CONFRONTATION AVEC LA VILLE Didier Drummond présente dans son ouvrage une mise en relation d’un appartement récent, construit dans les nouveaux quartiers résidentiels au Sud de Rio de Janeiro, et une baraque en dur, représentante de la dernière phase d’évolution de l’habitat de la Rocinha.

Cette analyse nous montre la même organisation de l’espace, mais dans des proportions différentes: la double séparation jour / nuit ainsi que entre les pièces de service et les pièces d’habitations. On assiste à un découpage de l’espace au maximum des possi-bilités. Les pièces d’eau sont au fond de la parcelle, et les habi-tations sont en façade, pour profiter de la lumière. Par contre, les pièces sont étroites et en profondeur. La seule grande différence est que les appartements de la zone résidentielle comprennent une aire de service avec des chambres de bonne quatre fois plus petites que les chambres normales, et celles-ci ne sont accessi-bles que par la cuisine. (On reparlera de ces emplois de services très courants dans la société brésilienne.)

Si les surfaces sont environ de 10 fois plus grandes dans cet appartement qu’à la Rocinha, et qu’on y remarque la présence de matériaux nobles tels que du bois de qualité, du marbre ou des verres traités, le mode de construction et les tares spatiales sont les mêmes. On peut donc ainsi considérer que ce que l’on peut voir dans le quartier Barcelo est le dernier stade d’évolution de l’habitat des favelados de la Rocinha, mais c’est aussi « l’expression de sa mort » car toute transformation en conformité au modèle urbain apporte une régression de confort des espaces habités.

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Tableau de synthèse de l’évolution des typologies et des matériaux dans la RcinhaDidier Drummond, Architectes des favelas, Les pratiques de l’espace

« Le modèle et le désir de lui ressembler – c’est-à-dire pour les habitants de la Rocinha d’être considérés comme des cariocas comme les autres et non comme des favelados qui habitent des baraques en bois – est plus fort que le simple processus d’adaptation des espaces construits aux besoins quotidiens qui faisait la qualité des premiers édifices.

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48SYNTHÈSE DE L’ÉVOLUTION DES BARAQUES DE LA ROCINHA On a analysé les différentes étapes de l’évolution du quartier de la Rocinha, de l’abri précaire et temporaire à la maison en dur en passant par les baraques à un niveau puis deux niveaux.

ÉTAPE 1La première étape correspond à la première occupation, qui est en fait le substrat de l’évolution. C’est une organisation et une gestion collective des intérêts communs qui permet la sélection d’un empla-cement selon deux critères. Tout d’abord l’accès, ainsi que la nature du sol (pente et présence ou non de végétation): les premiers che-mins sont « amorcés » par les favelados pour monter vers les abris. L’appropriation et la délimitation de l’espace sont toujours définies en commun avec les prédécesseurs, même si les séparations des espaces extérieurs sont souvent symboliques.Les constructions se font toujours de part et d’autre des accès, c’est un peu comme le fil de relation entre les habitants et la ville. Néan-moins, les groupements de maisons, et donc de familles se font par affinités ou par provenance, comme par exemple la ville d’origine, les chantiers de constructions passés ensembles, plusieurs membres d’une grande famille qui se regroupent. C’est la première organisa-tion sociale de la Rocinha. Les accès en sont le deuxième dans la mesure où ils sont perpendicu-laires à la pente, et les abris se font dans le sens des courbes pour la facilité de construction d’un point de vue structurel d’une part, et pour les rapports de voisinage d’autre part qui s’effectuent le long d’une « même courbe ». Car c’est finalement la loi du « moindre effort » qui facilite l’entraide et donc des cheminements secondaires. Dans tous les quartiers récents, après occupation, comme par exemple celui de « ropa suja », qui veut dire « robe sale », les habitants sont très isolés les uns des autres, il y a beaucoup d’espaces inoccupés qui sont pour l’instant des zones de travail ou de dépôt.

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ÉTAPE 2 Il se forme de nouveaux abris, successivement, de plus en plus haut sur les pentes du morro, pendant que les espaces du bas subissent des transformations en baraques des premiers abris précaires. Les espaces collectifs aussi subissent de grandes transformations, car les espaces extérieurs sont progressive-ment abandonnés au profit des espaces internes à la « mai-son ». L’interpénétration entre les espaces privés et les espaces collectifs sont une des caractéristiques du rural. Mais on obser-ve la perte de ces caractéristiques dans cette nouvelle étape. Le tissu est moins perméable, la vie collective est plus urbaine et les habitants sont plus individualistes, ce qui augmente leurs besoins de délimiter matériellement l’espace de leur baraque. Avec ces nouvelles « hiérarchies » de l’espace, leur sentiment de propriété augmente.

Les nouveaux migrants s’intègrent dans les espaces libres du tissu et forme des groupements, avec certains murs mitoyens, ce qui augmente la stabilité des baraques car elles s’appuient entre elles. Mais ces nouvelles maisons se font au détriment des cheminements secondaires, qui sont souvent réduits au mi-nimum. Les « ruelles » se transforment en « escaliers » car elles ne peuvent supporter le passage d’un flux aussi important de personnes. Chacun prend donc en charge l’aménagement et la rénovation de « sa » portion d’escalier, qui devient l’accès prin-cipal, et qui est maintenant fermé par des clôtures qui marquent une frontière franche entre le privé et le public.

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50ÉTAPE 3La densification successive entraîne un changement important dans les considérations des habitants pour leur environnement. La priorité n’est maintenant plus la végétation ni même la recherche de l’ombre qui est très peu présente. Il est maintenant seulement important de prendre en compte les autres constructions pour entretenir de bonnes relations de voisinage. Et cela est indispensable car tous les espaces extérieurs sont « avalés » par les nouveaux migrants. Le végétal se revêt d’une couche de ciment dans quasiment tous les cheminements des favelas. La construction des étages en porte-à-faux sur la rue avec des escaliers rajoutés sur l’extérieur implique aussi un « resse-rrement » des circulations, qui deviennent comme de gigantesques « boyaux ».La sur-densification des quartiers « hauts » de la Rocinha provoque l’exiguïté de la circulation et la promiscuité avec les voisins. De nom-breux problèmes surgissent de cela, comme nous pouvons le supposer (hygiène publique, conditions de vie dues à la promiscuité, …). Toute-fois, il y a aussi de minces avantages, par exemple climatiques, les ruelles sont maintenant quasi toujours sombres, et donc fraîches. De plus, on peut déceler de nouveaux comportements dans les relations entre habitants qui découlent de cette organisation spatiale. Les bara-ques étant très proches, il se crée un nouveau « tissu de relation » à travers les étages. Le passage d’une baraque à l’autre ne se fait donc plus par le sol, mais à travers les étages, directement par la fenêtre. La communication se fait de maisons en maisons, sans sortir. Dans les quartiers « avancés » de la favela, on repère jusqu’à 1,4 habitant/m2, alors que dans les quartiers récemment envahis, c’est-à-dire dans la partie haute de la Rocinha, seulement 0,3 habitant/m2 sont comptabili-sés. Même si ces chiffres sont relatifs, on peut voir l’effet de la densité. Cette promiscuité et la sur-densité qui la constitue entraînent donc, malgré quelques facilités relationnelles, de nombreuses conséquen-ces sur l’hygiène corporelle et mentale des habitants.

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2235- Une gestion commune de l’espace Après 1950, l’invasion s’amplifie dans la Rocinha. Les migrants construisent de plus en plus haut de nouveaux abris pendant que le bas de la favela évolue en baraquements plus construits. En 1980, il ne reste déjà plus que quelques abris, en « frange » de la favela, alors que tous les autres ont déjà évolué. Tout l’espace du bas est occupé, toutes les voies de pénétration dans la favela sont totalement saturées. Tout était relié à « l’estrada da Gavea », mais la ville a totalement rattrappé la favela. La construction du tunnel, et l’autoroute qui relie San Conrado à la ville a permis le développement de beaucoup d’immeubles.

À l’échelle de la favela, l’organisation est à la fois rayonnante, à partir du pôle principal de développement, le bairo Barcelo, ainsi que linéairement suivant l’Estrada da Gavea. Mais on remarque tout de même une séparation fictive importante entre la favela du bas, qui détient tous les accès à la ville, et qui a subi toutes les phases d’évolution, et la favela du haut qui n’a toujours pas ni l’accès à l’eau, ni à l’électricité, et qui est située au minimum à 40 minutes du bas de la favela.

Le degré de réussite et d’intégration à la ville est donc totalement estimé en fonction de l’emplacement des baraques dans la favela. La valeur des terrains suit et renforce cette stratification; c’est en fait la mise en place d’un découpage horizontal fort alors que le découpage vertical de la favela est déterminé par les axes principaux de pénétration dans le morro. Les rues sont comme des artères qui irriguent une zone limitée. Comme dans le cas du développement d’un arbre et de ses branches, il est parfois très difficile d’atteindre une maison située pourtant très proche. Les entités sont socialement et géographiquement homogènes, ce qui crée bien plus qu’une méfiance, une grande rivalité entre le haut et le bas. Et pourtant, les uns ne peuvent vivre et faire du profit sans les autres.

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Évolution de la croissance de la favela de La RocinhaDidier Drummond, Architectes des favelas, Les pratiques de l’espace

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LIEN DE DÉPENDANCE ENTRE HAUT ET BAS Tout le monde, pour pouvoir « monter chez soi », est obligé de passer par le quartier du Bouvier, c’est donc néces-sairement là que sont créés tous les commerces de la Rocinha, le long de l’estrada da Gavea. C’est un peu comme le « quartier bourgeois de la favela ». On y trouve toutes les commodités telles que les fonctions commerciales, de logement et d’hôtellerie. C’est l’endroit de la favela où le prix au m2 de façade est le plus impor-tant car il est possible d’y faire de très nombreux profits en louant, rachetant, agrandissant.

Le quartier du Bouvier entretient un rapport « d’exploitation » avec la favela. Car les pauvres ont peu de moyens d’acheter en quan-tité, ils sont donc contraints d’acheter au détail, tous les jours, à des prix bien plus important. Et comme les commerces sur le mo-rro ne conservent pas de denrées périssables, cela favorise les commerces du quartier du Bouvier qui font finalement une fron-tière avec la ville car les favelados n’ont plus besoin de s’y rendre pour faire leurs achats.

Par ailleurs, les habitants du bas, qui détiennent presque tous des titres de propriété (plus ou moins légaux) se regroupent en association pour mettre en place des procédures légales pour la reconnaissance de leur droit du sol et faire valoir la totalité de leurs droits à la ville. (cf Henri Lefebvre).

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54 Les relations politiques et culturelles avec la ville d’asphalte sont donc bien présentes, même si à cause de l’expansion des favelas et la dégradation des conditions de vie, la politique stigmatise les favelas grâce au « mythe de la marginalité ». Mais il y a inévitablement des liens de dépendances économiques importants entre la ville et la favela. Notre analyse des relations dans la favela nous montre bien les rapports de dominance et d’exploitation entre le « haut » et le « bas », de la même façon qu’entre les citoyens de la ville et les favelados.

Les « nouveaux riches » du quartier du Bouvier ont tout le monopole des commerçants, ils vendent entre 20 à 30% plus cher qu’en ville. Ils sont aussi propriétaires de compteurs électriques et se chargent de la redistribution dans les quartiers hauts de l’eau courante et de l’électricité (de la ville) mais à des prix 5 à 10 fois plus que la normale.La marginalité des favelas est donc à la fois un mythe car les favelados sont presque plus « urbains » que la ville elle-même dans la mesure où l’urbanisation de la Rocinha est une expression caricaturale de l’urbanité. En effet, le bas est tellement dense, que les plans sont « pleins », tout y est recouvert. Mais cette marginalité a un certain intérêt pour les commerçants du quartier du Bouvier, car si la favela reste incontrôlée par la ville, elle restera aussi en marge du système traditionnel, et donc la concurrence ne s’y installera pas. Le monopole sera donc toujours en place pour les habitants du bas.

L’alignement des relations économiques entre les favelados sur le modèle urbain se traduit par l’augmentation du coût et du niveau de vie avec une propagation de bas en haut par le biais de la spéculation foncière.

« En achetant les baraques des favelados trop heureux de revendre leur misère à prix fort pour reconstruire sur de meilleur bases, un peu plus haut, ou dans une autre favela plus proche de leur lieu de travail », les commerçants créent un marché immobilier auquel ne peuvent accéder que les riches.

Mais contrairement à ces relations de dépendances, la caractéristique principale des favelas n’est non pas d’être une enclave parasitaire de la ville, ni même un ghetto marginal, mais ce sont les relations de solidarité et d’entraide qui créent cette sensation fausse. D’après Mario Bulhao dans Readaptaçao social con extinçao das favelas, A Noite, 4/11/1943, les favelados sont:

« Des individus qui n’ont pas le pouvoir pour une raison quelconque de s’adapter aux nécessités et aux convenances de la civilisation contemporaine, ils ne trouvent pas leur place dans une telle civilisation. Ces individus forment « le déchet social » que les sociologues appellent les inadaptés sociaux. Le déchet humain des égarés de la communauté sociale constitue les groupes de la communauté civile qui s’incrustent dans la favela. »

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LA SOLIDARITE Si certains pensent les favelados comme un « déchet social », les exemples étudiés prouvent une grande solidarité à l’échelle du groupe-ment de maisons car tous se connaissent, se rencontrent dans les rues, se parlent de baraques à baraques et s’entraident pour mettre en place de l’aide aux familles, des gardes d’enfants, des groupe d’étudiants. Les femmes sont toujours les artisans de cette solidarité, alors que les hommes la mettent en place lors de la construction et la rénovation des baraques. Tous savent qu’il faut aider son voisin si l’on veut pouvoir compter sur lui le jour où on en aura besoin.Et ce n’est pas tout, la solidarité se fait même à l’échelle du quartier. Il y a une certaine conscience collective, qui comprend entre 1000 à 10 000 personnes et qui permet la gestion de l’évacuation des eaux usées et des déchets ainsi que les problèmes d’approvisionnement.

La gestion des espaces collectifs est prise en charge par tous, comme l’entretien et l’aménagement des rues, la création d’un réseau complet d’évacuation des eaux usées et de collecte des déchets. L’entraide est importante entre les favelados, mais les locataires ne veulent pas toujours payer pour les profits d’un propriétaire. Il y a donc un mélange entre une grande solidarité et un individualisme fort; mais qui est quand même au service de la communauté et du bien de tous.

Cette analyse de la Rocinha nous a permis de voir que si le contexte de formation de la favela est très complexe et résulte de politiques directives d’aménagement de la ville, il n’en est pas moins que les favelados ont su s’adapter à chaque phases de densification et de paupérisa-tion.Les relations d’interdépendance sont évidentes entre la ville et la favela de la Rocinha, car la favela évolue chaque fois vers un idéal symbolique de l’urbain. Toutefois, nous avons pu démontrer les risques de « l’urbanisation » à l’excès de ces espaces car d’un point de vue purement typologique sur les critères d’habitabilité et de confort des habitants, il semble dangereux de mettre en place des critères trop « urbains » de l’organisation de l’espace, au risque de perdre « l’adaptabilité » et la science de l’espace que détiennent ces « architectes aux pieds nus » que sont les favelados par rapport aux citoyens de la ville d’asphalte. Par la suite, et après avoir analysé de manière détaillée les autres exemples de notre étude, nous tenterons de regarder de plus près les politiques foncières urbaines mises en place pour voir les questions de régularisation et de légalisation de ces habitats « spontanés » que sont les favelas, et les bidonvilles en général pour pouvoir voir comment ils peuvent s’intégrer dans la ville de demain.

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23- Le cas Chilien, ou le libéralisme despotique Dans les chapitres précédents, nous avons pu présenter une première définition de la ville, et plus particulièrement de la non-ville et donc le statut des bidonvilles, ainsi que l’histoire et la formation de la favela de la Rocinha à Rio de Janeiro. Nous allons dans ce chapitre évo-quer un autre exemple, celui du Chili, avec deux « programmes » de logement très différents en réponse à la question des bidonvilles dans les villes d’Amérique latine.

231- De la dictature au prototype d’une ville libérale 2311- Une urbanisation galopante Santiago du Chili, la capitale du pays, comprend presque 36% de la population totale du territoire, ce qui correspond à presque 7 millions d’habitants aujourd’hui (sur une totalité pour le pays de 16.436.000 personnes d’après le recensement du CEPAL, en 2006). La ville a la particu-larité d’être totalement dégroupée, sans centre défini. Le Grand Santiago est divisé en 37 communes, qui représentent finalement une adminis-tration indépendante du gouvernement local, avec leurs propres centres et qui sont sans relations entre elles. Cela est très certainement dû à la géométrie de Santiago, qui découle elle-même de sa situation géographique. Au fond d’une cuvette, la ville de Santiago du Chili est entourée de montagnes, à l’est avec la cordillère des Andes, et à l’ouest avec la cordillère de la Costa (la cordillère « côtière ») qui sépare la ville de l’Océan Pacifique et de Valparaiso, ainsi que la présence de nombreuses collines environnantes. Le centre de Santiago représente le lieu de passage ou de travail des habitants; les logements, qui en avait été expulsés il y a longtemps, commencent tout juste à s’y réinstaller.

Mais reprenons brièvement l’évolution de la croissance de Santiago. Dans les années 1840, alors que le flux de nouveaux habitants venant grossir les rangs de Santiago ne cesse d’augmenter, on voit la création de différentes « villes-murs », pour arriver à stopper l’urbanisation de la ville. Les bidonvilles sont la conséquence, à Santiago, comme à Rio de Janeiro, d’un exode rural de masse à la recherche du travail.

« C’était les indiens qui se sont installés aux alentours des villes espagnoles depuis leur fondation au XVIème siècle et qui étaient destinés à fournir de la main d’oeuvre pour les travaux publics et privés qui devaient se réaliser dans ces villes. »Armando de Ramon, Santiago en EURE

De tout temps, et en tout lieu une même cause, et pourtant des contextes très différents. Les pauvres de la Région de Santiago se sont installés dans les endroits où les loyers sont les moins chers et dans les friches, c’est-à-dire soit en périphérie de la ville, soit à côté, ou sur les rives du Rio Mapocho (le fleuve qui coule à Santiago).

« A la fin du XIXème siècle, l’intendance de Vicuna Mackenna (…), définit un nouveau périmètre pour l’extension de la ville, avec com-me première intention de générer tout un système d’approvisionnement et de stockage. C’est à ce stade de la croissance de la ville que l’on peut alors parler de l’idée moderne de périphérie en tant que lieu opposé aux valeurs du centre. Ce fait est lié au phénomène de l’industrialisation où apparaît le caractère urbain du lien dû aux activités productives et à ses matérialisations spatiales. La configuration de cette ceinture n’est pas un simple tracé linéaire. Media idéal pour le transport des matières premières et des produits manufacturés, elle véhicule toute une série de programmes liés aux fonctions de production industrielle du moment.

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Ce périmètre montre l’ambiguité de sa conformation: une succession de lieux, une frange de terrains pour la localisation de programmes liés à la périphérie. » Bertrand Renaudin

Afin de rompre cette première barrière de la ville, Karl Bruher, un urbaniste autrichien propose alors tout un système de création de voies de connexions entre les communes, ainsi que d’autres réseaux. Si cela permet bien l’augmentation de la vitesse de déplacement entre les commu-nes, c’est en quelque sorte comme un échec par rapport au principe de base car cela n’a pas du tout permis la création d’une seule grande unité « Ville ».A cette époque là, les bidonvilles en tant que tels, comme nous avons pu en donner la définition auparavant, n’existaient pas vraiment. Ils pouvaient prendre différentes formes d’habitat populaire.

2312- Les différentes formes d’habitat populaire C’était le cas par exemple des habitants des Inquilinatos, entre 1830 et 1940 environ. Ce terme vient de la racine espagnol du mot « lo-cataire » (inquilino); il est utilisé pour décrire les personnes qui étaient hébergées et mangeaient chez un même patron. C’étaient en quelque sorte le service du gîte et du couvert, en échange d’un travail de main d’oeuvre. Cette forme de travail était toutefois souvent plus proche de l’esclavagisme, car l’ouvrier n’arrivait jamais à payer les locations imposées. Sinon, les familles avec un peu plus de moyens ou qui avaient un autre travail pouvaient aussi en venir à la location d’un terrain, de « chambres rondes », de chambres de « conventillos », c’est-à-dire de cités ouvrières ou même de chambres dans des bâtiments détériorés.Bien plus tard, la crise du logement dans la capitale ne faisant que s’accentuer, les populations pauvres on été contraintes à des solutions d’habitats bien plus illégales, comme l’occupation de terrain sans bail, et ce, dans des conditions parfois violentes.

À partir de 1910 se met en place un fort contrôle de l’État sur le droit à la propriété privée, il n’y a aucune permission sur l’occupation illégale des terrains. C’est pourquoi on observe parfois quelques règlements avec des excès de violence. Un tolérance existe néanmoins, mais seulement pour l’occupation illégale des terrains dont le statut n’est pas clair ou bien est propriété de l’état pour une utilisation publique du terrain, tel que les rives du fleuves ou les rivières d’écoulement des eaux.

« Durant la première moitié du XXème siècle, les propriétaires de terrains autour de Santiago ont arrêté de louer des petites places et ont commencé à diviser les grands terrains en petits lots, que la classe moyenne (en augmentation), pouvait louer, voire acheter ces lots à de meilleurs prix que les groupes pauvres de la ville. (…) Ce phénomène d’échappement de la classe moyenne a permis aux groupes pauvres d’avoir une place dans le centre de la ville, dans les « conventillos » ou dans les maisons vides qui restaient. Aussi ils se sont installés sur les rives du fleuve Mapocho (…), sur des terrains qui s’offraient à ceux qui ne pouvaient pas payer de loyer. »Traduction personnelle du texte de Armando de Ramon, Santiago en EURE

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58On assiste à ce moment là à un changement global de l’économie de la forme de Santiago, et d’une manière plus générale, des villes des pays sous développés (Pays en Voie de Développement, PVD). C’est ce qui amène, en 1952, à un premier recensement des logements dans le pays, afin de pouvoir analyser la crise, et ainsi apporter les premières propositions du gouvernement pour la lutte contre le déficit de logements.

2313- Une « crise » à prendre en compte Entre 1930 et 1952, Carlos Hurtado constate trois changements structurels dans l’économie qui ont provoqués le déplacement de masse de population à cette même époque. Tout d’abord, la fermeture au commerce extérieur et la croissance de la manufacture, ainsi que la mécanisa-tion de l’agriculture qui a été un deuxième changement significatif de la production chilienne, et donc de l’économie du pays. Cette mécanisation a fait augmenter le nombre de tracteurs de 1557 en 1936 à 14.177 en 1955, tout en ayant une main d’oeuvre à peine supérieure aux chiffres précédents de travailleurs. Par la suite, la croissance des services tels que le commerce, les transports, le stockage et les communications a été tellement subite que dans cette période de 20 ans ils ont cumulés presque 51% de la force totale de travail. Les chiffres de la croissance de la ville sont eux aussi impressionnants car si la population en 1930 n’était que de 696.371 personnes, elle explose à plus de 1.907.378 personnes en 1960. La proportion de bidonvillois dans cette population s’envole elle-aussi. On recensait environ 75.000 bi-donvillois en 1952; ce qui représentait 6,52% de la population du Grand Santiago. Quatorze ans plus tard, cette population a déjà plus que doublée puisqu’il y a 201,217 personnes (8,05%) en situation d’extrême précarité. Et ces proportions ne font qu’augmenter dans les années 1970 jusqu’à atteindre plus de 500.000 personnes, soit 18% de la population à l’aube du coup d’État.

Une étude réalisée en 1959 par l’Université du Chili sur la provenance des habitants de Santiago démontre que plus d’un tiers des ha-bitants (36%, ce qui correspond à environ 630.000 personnes) seraient nés en dehors de la ville. Mais cela s’explique d’autant plus que c’est l’époque, comme nous l’avons vu, d’une très forte industrialisation. L’immigration est donc indispensable au développement de l’agglomération. Vers la fin des années 1950, c’est le sud de la ville qui est définit par l’action de l’État pour l’implantation de logement sociaux, ainsi que de quel-ques tomas.(Toma est le terme employé pour désigner les bidonvilles au Chili. On l’emploiera donc nous aussi, afin de ne pas déroger à l’utilisation juste des termes dans les régions étudiée ainsi qu’à leur signification exacte.)En effet, la période pendant laquelle le gouvernement Alessandri est en place favorise la pérennisation des campements/ bidonvilles, ainsi que la mise en place de différentes politiques largement soutenues par les pauvres des quartiers de San Miguel, de La Cisterna et de la Granja.

En effet, depuis la deuxième moitié du XIXème siècle, l’État « s’occupe » de la question du logement car le secteur privé n’est pas capable de fournir suffisamment et pour toutes les catégories de la population. L’État gère le problème du logement, jusqu’en 1959, mais il existe tout de même quelques lois pour « se faire aider » par la participation du secteur privé: Loi Pereira n°9135 de 1948 et loi DFL n°2 de 1959.

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Mais il ne faut pas nier qu’on est en présence d’un phénomène important: « Les quartiers sociaux étaient une expérience à double tranchant: d’un côté, c’était une réussite quantitative par rapport à la construction de logements sociaux, mais de l’autre côté une espèce de reproduction amplifiée d’une nouvelle situation de pauvreté urbaine ». Luis Bravo dans le livre de Mario Garcès, Tomando su sitio, el moviemiento de pobladores de Santiago

Le gouvernement Alessandri quant à lui, avait largement été dépassé par la fréquence des occupations illégales; il avait donc dû prendre des mesures plus massives. Entre 1959 et 1963, le gouvernement de centre droite de Jorge Alessandri entreprend la destruction d’une partie des quartiers précaires. Il reloge 20.000 familles dans des logements en dur, tous situés sur les communes d’implantation des bidonvilles. Ce qui confirme les tendances à la ségrégation résidentielle constatées depuis plusieurs années.Par la suite, un nouveau schéma directeur est instauré pour « limiter l’urbanisation anarchique et incontrôlée du Grand Santiago ». Le Plan Regu-lador Intercommunal para Santiago (PRIS) fixe pour la première fois une limite de croissance et gèle certaines terres agricoles pour délimiter une ceinture verte autour de la zone urbanisée.

De plus, une solution en deux étapes est mise en place pour permettre aux institutions une gestion à plus long terme, et donc une meilleure or-ganisation. La première consiste à fournir des terrains avec seulement le bloc sanitaire mis en place. Cela correspond à environ 8m2 par famille. Elles ont ensuite la responsabilité et l’autorisation de l’auto-construction de la maison. Cette première étape sera en partie l’idée reprise par le gouvernement Frei de fournir une base saine à chacun. La deuxième étape consistant à donner un logement de 38m2, donc extrêmement petit, pour loger une famille entière, mais toutefois suffisant dans un premier temps, avant d’envisager des agrandissements, qui étaient normalement possibles et prévus par l’initiative de chacun. Cependant, l’ensemble de cette politique n’a pas eu l’impact voulu et les implantations de bidonvilles se sont poursuivies.

D’un point de vue politique, les quartiers précaires informels se situent au centre des conflits que connaît le Chili des années 1960. Le lobby de la construction mène une « stratégie d’écrémage » en maintenant des taux élevés de rentabilisation des biens construits. Ce qui exclut inévitable-ment une grande majorité des ménages chiliens. Le gouvernement démocrate-chrétien du président Eduardo Frei (1964- 1970) crée le ministère du Logement car si la précarité de la population est alors répartie dans toutes les communes de Santiago, il y a tout de même une différence importante qui subsiste entre le nord et le sud, c’est la participation de l’État dans la bidonvillisation. En effet, au nord, on voit surgir et mettre en valeur les principes d’auto-construction. Le plan du gouvernement, que l’on a appelé « Opéracion Sitio » (Opération site/ terrain) avait pour objectif de donner des terrains, des lotissements aux familles, mais elles étaient en charge de leur propre construction. L’État ne fournissait donc que le sol et une partie des réseaux et infrastructu-res nécessaires. 52.000 familles sont relogées dans des logements en lointaine périphérie. Un terrain est offert aux familles, et l’auto-construction est ensuite soutenue par l’apport de matériaux; mais ces logements ne bénéficient souvent pas d’accès à tous les réseaux et la qualité de l’habitat reste plus qu’insatisfaisante.

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2314- Le mouvement des pauvres et le droit d’habiter À la fin des années 60, le mouvement des pauvres pour l’obtention d’un toit se fait plus fort. Il ne représente pas seulement la possibilité d’avoir une « maison », mais bien à l’envie d’un vrai changement de base dans la société; c’est la demande d’une politique de réorganisation distributive de la ville, afin que les disparités soient moins manifestes. Car la crise du logement est bien une crise urbaine « endogène », la part des immigrés ruraux est en moyenne plus faible dans les quartiers précaires que dans le reste de l’aglomération, preuve que le développement des campements n’est pas le fait du seul exode rural (Castells, 1973). En 1967, avec la « crise des budgets publics », liée à l’accroissement de la dette extérieure, le gouvernement révise ses ambitions et diminue drastiquement le soutien à la construction de logements sociaux.

Mais, « les problèmes associés au logement n’étaient pas seulement un ensemble de données statistiques de ce sous-développement, mais l’expression d’un des grands problèmes sociaux du pays ». Le changement le plus radical est le mouvement entre les conventillos et les bidonvilles pour aller s’installer vers les quartiers populaires définis. Il implique de laisser derrière soi un passé d’urbanisation précaire instable, et la « menace permanente d’un humanité appauvrie jusqu’aux limites de la survie ». Chaque gouvernement compte ses « tomas significatives », comme un « tableau de chasse » déplorable et duquel on ne peut être fier, mais qui marque l’histoire de l’évolution de l’urbanisation de Santiago.Entre 1952 et 1958, le président Ibanez, avec la toma de la Victoria marque finalement la phase d’accélération des plans de l’État par rapport aux logement populaire. Son successeur Alessandri (1958-1964) fait une critique assez dure et controversée des politiques alors entreprises par l’État sur la question du logement. Un des meilleurs exemple est la toma de Santa Adriana. Par la suite, entre 1964 et 1970, lorsque le président Frei est au pouvoir, et cela n’est pas uniquement du à sa propre politique mais aussi à la situation démographique, la Toma de Herminda de la Victoria et ses milliers d’habitants illustre bien une ouverture de la période la plus significative des occupations illégales de terrain.

Dans les années 1960, l’État et la société contribuent au renforcement des dynamiques d’organisation du peuple. Avant le président Allende (1970-1973), toutes les politiques gouvernementales du logement, bien qu’à différentes échelles, et avec des objectifs et idéaux qui va-rient, mettent en valeur la participation de la population dans la construction de leur propre logement que ce soit par philosophie, ou par manque de moyen pour enrayer la crise définitivement. Toutefois, les prises de possession des terrains sont illégales et la crise du logement toujours plus importante car les solutions proposées ne sont pas suffisantes. Le Parti communiste s’allie donc aux familles pour les soutenir dans leur prise de terrains et dans la lutte contre la répression des forces de l’ordre. Il organise ensuite des comités de sans-abri pour faire pression sur le ministère du Logement.

C’est dans ce contexte de conflit, où s’accentuent les affrontements entre les forces de l’ordre et les mouvements de pobladores qui prônent ouvertement la lutte armée avec des slogans tels qu’ « une maison ou la mort » ou « de la prise de la terre à la prise de pouvoir » que se mettent en place les éléctions présidentielles de 1970.

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La campagne présidentielle se jouera entièrement sur le thème du logement et les quartiers précaires servent de base militante et électorale aux partis de gauche. Le nouveau président, Salvador Allende va à l’encontre de ces solutions trouvées et ne prend pas en compte l’auto-construction car il considère comme un droit, et même comme le premier droit de l’homme, celui d’habiter.Il met donc en place une politique beaucoup plus radicale, appelé « Plan d’urgence de 1971 » (Plan de Emergencia), et à la fin, tous ou pratique-ment tous avaient un endroit pour vivre, même si ce n’était qu’un simple terrain avec un minimum d’installations. Tout sera pris en charge par l’État car le logement doit être un droit facilité « selon ses prémices idéologiques ». Toutefois, et comme ses prédécesseurs, l’obstacle du président Allende pour la gestion de la crise a été le financement et le temps. Les solutions apportées devaient être rapides, et instantanément efficaces.

En effet, le programme de l’Unité populaire promettait la construction de 100.000 logements par an, mais toutes les nouvelles occupa-tions suscitées par les différents mouvements de gauche lors de la campagne présidentielle représentent à elles-seules une grande partie de ce « quota ». Malgré de nombreux efforts pour la gestion de conflits politiques avec la Chambre chilienne de la construction (CCC), qui ne soutenait pas une politique orientée vers la construction artisanale, le déficit en logement continue de se faire sentir. Bien plus encore, le parti de l’Unité populaire incite lui-même les occupations à se poursuivre, ce qui ne fait qu’amplifier un phénomène que le gouvernement n’arrive ni à résoudre, ni à stopper, ni même à diminuer. Salvador Allende se laisse donc totalement débordé par l’ensemble de la politique qu’il avait lui même mis en place. Le gouvernement est largement déstabilisé et ne parvient plus à gérer les conflits. Ce qui laisse la place à la prise du pouvoir violente par la junte militaire en septembre 1973.

2315- Un acte décisif, le coup d’État Avec l’arrivée du pouvoir du gouvernement militaire, les solutions adoptées sont radicales. Tous les maires, et les élus locaux de gauche sont déchus de leurs fonctions, car ils représentent un risque de contestation important des politiques qui seront mises en place. L’ensemble des nouveaux élus, maires ou conseillers municipaux sont donc choisis par le nouveau président, et nommés pour leur proximité du nouveau gouver-nement. C’est ainsi que 29 militaires obtinrent leur statut de maire.

Alors que les traditions d’organisation des habitants pauvres vont être complètement détruites, en même temps que leur habitat, le coup d’état il marque une fracture, non pas seulement politique, mais aussi de la morphologie de la ville et des conditions de vies. Les espaces publics ont cessé d’être des liens ou des connecteurs entre les différentes parties de la ville. La ville se morcèle encore plus, à une échelle plus petite. On ne vit plus que dans des fragments de ville juxtaposés les uns à côté des autres, avec des espaces vides ou en friche entre-deux, comme un « assor-timent » de terrains vides, une « large gamme » de zones sans signification. En 1975, le dictateur Pinochet est au pouvoir et les politiques libérales et économiques proposées par la Banque Mondiale et par le FMI (Front Monétaire International) vont être imposées au pays. La première politique de développement urbain de Santiago va aussi être promulguée. Elle représente une élimination des limites d’expansion de la ville, en laissant ouvertes toutes propositions et actions de développement de la ville, de ses infrastructures, et de ses sols, et cela à l’équilibre du libre marché.

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62En 1979, on assiste à la suppression de toutes les « normes » sur les limites urbaines qui avaient été votées dans les gouvernement précédents. L’action est « simple », rapide et sans grande concertation. L’impôt sur la propriété des sites vides va être supprimé, son « petit-frère » l’impôt sur les transactions de propriétés va lui aussi être supprimé. Mais ce n’est pas tout, bien au contraire. Pinochet mettra en place une grande campagne d’éradication et de destruction systématiques de toutes les occupations précaires qui avaient poussé dans des sites aux prix très élevés, pour permettre le développement d’un nouveau marché de l’immobilier dans le centre de Santiago.

« Le sol urbain n’est plus une ressource limitée: son insuffisance (…) est la conséquence d’un manque d’harmonie entre les normes tech-niques et légales avec lesquelles on prétend guider le développement urbain et les conditions d’offre et demande qui dirigent les marchés immobiliers. »

« Entre 1979 et 1986, 246 bidonvilles sont rasés et 150.000 personnes déplacées et relogées. Si l’objectif affiché par le gouvernement est de prévenir les risques d’inondation pour les campamentos situés près des cours d’eau et de rendre à leurs propriétaires les terrains occupés illégalement, le relogement de ces habitants a surtout permis de débarrasser les communes riches des bidonvilles »Larrain, 1984

Cependant, l’exclusion des pauvres dans le centre ne règle pas le problème de leur logement, la permanence des bidonvilles n’est pas résolue, elle n’est que déplacée. Le développement du nord de la ville par contre était totalement en marge, avec une proportion normale d’occupations. Toutefois, le prix des terrains étant plus abordable que dans les communes de l’ouest et de l’est, les nouvelles communes d’accueil se répartissent quasiment toutes entre le nord et le sud. Mais il n’y a aucune politique pour s’en occuper, on repère une absence totale de considération pour ces populations. Les terrains les moins chers sont la cible des promoteurs pour la construction de logements sociaux, mais il n’y a que peu de promoteurs qui acceptent de construire à des frais aussi bas. Il y a donc un déficit certain de programme de construction pour les populations défavorisées, ce qui favorise l’invasion des pauvres sur les terrains, et par conséquence, la construction de nouveaux campements. Précisons que ce que l’on appelle « campement », n’est autre que la traduction littérale de « campamentos », qui est le deuxième terme, avec toma, pour parler des bidonvilles de la capitale.

« Il est vrai que ces pratiques ont été historiquement la réponse des secteurs à la pénurie de logement et aux conditions de vie néfastes des « ajoutés » dans les années 60 et 70. La particularité de cet événement, à part son échelle, a à voir avec l’époque et le contexte politique et historique après lequel il survient. Il se produit juste quand le gouvernement et en général tous les secteurs publics coïncident sur le thème du logement, au sujet de cette demande, pour cesser d’être prioritaire par rapport à d’autres sujets du même ordre, comme la qualité de l’espace public et de l’infrastructure. »Traduction personnelle d’un écrit de Claudio Magrini et Sergio Vargas, article extrait du site personnel de l’architecte Claudio Magrini en octobre 2011

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2316- Logements: quantité ou qualité?L’inflation du marché de l’immobilier à Santiago nous pousse à faire un constat effroyable: les logements sociaux et les bidonvilles sont en quel-ques sorte en « lutte » pour l’utilisation des mêmes territoires géographiques, soit des résidus de la ville, comme des parcelles inutilisées, soit des terrains loin en périphérie.

Sous la dictature, il y n’y absolument aucune mixité sociale dans la ville, les pauvres et les constructions de logements sociaux sont repoussés en périphérie. C’est une politique qui ne permet pas le développement d’un réseau social car le gouvernement militaire annule toutes tentatives d’organisation du peuple pour se retrouver et s’exprimer. Le fort mouvement social qui a pu être observé dans les années 1960 disparaît avec la dictature, et par conséquence aussi les espaces d’expression matérialisés par des points de respiration de la ville. En supprimant les points de rencontre et les lieux d’échange, on assiste inévitablement à la réduction voire à l’extinction de la résistance. Les gens admettent donc peu à peu les règles de la dictature, sans pouvoir s’y opposer.

« La privatisation brutale de l’économie chilienne, opérée par la dictature, n’est pas le seul aspect; dans le champ urbain, elle fut la priva-tisation de l’espace, l’aliénation de la rue. »

La politique sous le régime militaire considère, à l’inverse des idéologies de Allende, que le logement est un bien qui s’obtient avec la persévérance et l’épargne personnelle, ce qui permet aux familles avec plus de ressources l’accès rapide à un logement.

Toutefois, ce phénomène amplifie encore la situation des pauvres de la ville qui se retrouvent sans logement. Le secteur privé prend tout en char-ge, que ce soit l’achat des terrains, le développement des projets, la construction et l’administration ainsi que le financement des logements. Une nouvelle loi renforce aussi l’interdiction d’occupation illégale des terrains. Les familles les plus pauvres doivent donc envisager de partager le même terrain, c’est le phénomène « El Allegamiento », qui signifierait « l’ajout ». Le principe est simple, il suffit de diviser un terrain occupé légalement en plusieurs « sous-lots » qui seront prêtés ou loués à des membres de la famille ou à des connaissances.Si la politique d’éradication est la priorité de la dictature sur la question du logement, « le régime militaire a tenté de promouvoir un nouveau discours sur son modèle de développement; à la politique de marché est ajouét l’adjectif social, afin d’établir le concept de politique sociale de marché ». L’amélioration de la qualité sanitaire des logements et de leur fourniture en services essentiels a été un argument important utilisé par le régime militaire pour justifier la destruction de certains bidonvilles.

Mais en 1989, il y a un nouveau changement du gouvernement qui fixe alors de nouveaux objectifs de construction. Il faut mettre en place des solutions rapides et efficaces pour la création d’un maximum de logements, on recherche alors la quantité plutôt que la qualité. La cas du logement social chilien est un des meilleurs exemples en Amérique latine pour la quantité de personnes, et la proportion de population qui a accès à un logement. Toutefois, la qualité est relativement basse, car il n’y a pas de bons standards. De plus, le parti pris architectural choisi n’a pas permis d’adaptation des logements au cours du temps.

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64Si de nombreuses personnes ont donc pu obtenir un logement, il est souvent trop petit et inadapté aux conditions de vie. Elles se dégradent donc assez vite, et ces quartiers entiers de logements sociaux deviennent donc rapidement le lieu de la délinquance, de nombreux trafics tels que la drogue, ainsi que le fruit d’une surpopulation inévitable.

2317- Une première solidarité pour tous Les années 1990 sont la preuve d’un renouveau, et de la prise de conscience de la situation des pauvres dans la ville de Santiago, com-me dans de nombreuses autres villes chiliennes (même si le phénomène se produit à une toute autre échelle). Le gouvernement met l’accent sur l’accès au logement pour tous, et donc principalement pour les 20% les plus pauvres de la population du pays, car ce sont ceux qui de tout temps ont été exclus des aides proposées. De nombreux programmes voient le jour comme celui que l’on appellera le PVP, le Programme pour un Logement Progressif, qui permettra au gouvernement de fournir dans un premier temps le terrain, les infrastructures et un premier logement, mais qui sera rapidement transformable et extensible au gré de chacun. C’est un peu comme la concrétisation formelle de ce qu’avaient tenté les gouvernements précédant la dictature.

Mais la réelle nouveauté est la création de deux programmes, le VSDsD et le FSV, qui sont respectivement le « Logement Social Dynamique sans Dette » et le « Fond Solidaire pour le logement ». Ils permettent chacun à leur manière plus d’organisation et de libertés de construction pour les plus pauvres. À cela s’ajoutent des micro-crédits et plusieurs aides gouvernementales.

Santiago du Chili reste en 2010 une ville marquée politiquement et formellement par la dictature, qui a imposé de stricts préceptes libéraux d’aménagement de l’espace à partir de 1979. Bien que le pouvoir ait été entre les mains d’une coalition de centre gauche de 1990 à 2010, les principes de développement passés ont du mal à se résorber et la ville de Santiago du Chili est une « ville-laboratoire » où ont été expérimentées les réformes de privatisation et de libéralisation urbaines les plus importantes. Cette ville représente aujourd’hui le prototype de la ville libérale: l’expansion urbaine y est faiblement limitée, mais les coûts de cette expansion sont chèrement payés par les promoteurs et les nouveaux habitants. « Le lobby de la construction exerce une pression régulière sur le ministère du logement depuis les années 1960 pour repousser les limites de l’urbanisation et s’assurer une desserte en infrastructures de qualités ». L’État est loin d’être absent de l’aménagement de l’espace métropolitain, dans la mesure où il assume fermement une fonction de réglementation et de contrôle. Néanmoins, il ne parvient pas à pallier les déséquilibres sociaux, infra-structurels et environnementaux que provoque une expansion urbaine simplement freinée par les mécanismes du marché.

Afin de pouvoir nous rendre compte de l’impact de la mise en place de ces programmes pour les familles pauvres, nous allons étudier un projet de création de logement sociaux à Iquique.

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65Quel est le rôle des Bidonvilles dans la formation des villes de demain?

MEMOIRE 2012

Photo du bidonville de Quinta Monroy, avant intervention

Page de garde de la présentation

Présentation Power Point de l’agence Elemental, transmise par Alejandro Alavena, publié

en 2007

232- Un exemple de VSDsD, Quinta Monroy 2321- Une demande audacieuse C’est en 2002 que les architectes de l’agence ELE-MENTAL sont contactés par le programme « Chile-Barrio » du Gouvernement chilien pour travailler sur le bidonville de Quinta Monroy a Iquique, une ville au Nord du Chili, dans le désert. La difficile équation qui leur était proposée de résoudre était de reloger a une centaine de familles qui ont occupé illégalement un terrain d’un demi hectare dans le centre de la ville durant les 30 années précédentes. La première chose qu’il fallait com-prendre était que le système pour lequel la société chilienne a abordé l’apport en logement pour les gens de très faibles res-sources est basé sur une subvention étatique à la demande et qui suit nécessairement le marché foncier. Cette subvention doit comprendre les coûts, qui sont répartis en trois grandes parties: le sol, les infrastructures (rues, réseaux d’égouts, d’eau et d’électricité) ainsi que le logement lui-même.Malgré le coût du terrain (environ 3 fois plus que ce qui peut habituellement être payé pour l’achat de terrains dans le cas de la création de logement sociaux), ce qui voulait être évité était le relogement de ces familles à la périphérie de la ville (Alto Hospicio).

Le projet pour Quinta Monroy devait travailler très spé-cialement dans le cadre du programme VSDsD, Logement So-cial Dynamique sans Dettes, qui est destiné aux personnes les plus pauvres de la société, ceux qui n’ont pas même le pouvoir de s’endetter. Le programme consiste en une subvention de 300 UF (environ 7.500 US$) par famille, livrée une seule fois et sans dette associée, ce qui, dans le meilleur des cas et compte tenu d’un marché et d’une construction efficiente, permet un lo-gement d’environ 30m2.

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66La famille est donc sans dettes avec l’État mais doit dans tous les cas envisager elle-même les transformations d’agrandissement de cette solution habitable, pour créer un véritable logement. Cela est dû au faible montant disponible, et c’est ce qui a donné son nom de « Dynamique » à ce programme.

2322- Un projet urbain risqué Toutefois, il y a de nombreux risques à favoriser l’auto-construction, même si ce n’est que pour des agrandissements. D’abord, il faut prendre soin de la croissance, tant pour faciliter les opérations d’expansion, d’un point de vue structurel, et donc de sécurité et ainsi prévenir les mauvaises qualités de construction et les risques qu’elles entraîne, mais aussi la dégradation de l’espace urbain qu’elle peut engendrée. D’autre part, il faut considérer la critique historique du logement social avec son incapacité de répondre à la diversité des formes, des goûts et des sensibi-lités de chaque famille. En effet, la recherche de l’économie et la tendance à la répétition et la sérialisation a souvent généré des quartiers pauvres bien monotones. Mais dans un scénario dans lequel plus de la moitié des maisons seraient auto-construites, la répétition, la monotonie, et finalement le « noyau sec » peut être la seule façon de trier et d’ordonner un environnement qui aurait sinon une forte chance d’être chaotique.Alejandro Alavena (ar-chitecte du projet) considère même que, « sans le savoir, la difficulté due à la faible subvention de l’État était finalement la solution à l’un des plus grands problèmes dans l’histoire du logement social ».

Photographies du contexte existant de Cristobal Palma, ElementalPrésentation Power Point de l’agence Elemental, transmise par Alejandro Alavena, publié en 2007

SOLUTION 1:Si l’on regarde la solution se-lon laquelle 1 maison = 1 lot (que l’on connaît sur le mar-ché comme le type A), l’usage du sol n’est pas du tout effi-cace, car seules 35 familles peuvent être relogées sur le terrain, et il ne faut pas oublier que le terrain est maintenant très cher compte tenu de son emplacement en plein centre de la ville.

1 maison = 1 lot

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67Quel est le rôle des Bidonvilles dans la formation des villes de demain?

MEMOIRE 2012

a = b

SOLUTION 2:Le « train » de maisons de 2 étages, que l’on appelle aussi le type B, est un peu meilleur car il per-mettrait de loger 66 familles sur le terrain. Mais en réduisant la taille des terrains, jusqu’à les rendre égaux à la surface de la maison provoque seulement un entassement, puisque dans ce schéma, chaque fois que l’on ajoute une pièce à la maison, les précédentes se retrouvent sans lumière ni ventilation naturelle.

SOLUTION 3:La dernière solution serait donc celle du type C, ou « bloc », qui est en fait constitué des « tours » de logements, qui permettrait aisément de loger 100 familles. Mais c’est une solution qui ne rentre pas dans le cadre du programme de VSDsD car elle ne permet aucune alternative car c’est une typologie qui ne permet pas de grandir et d’évoluer dans le temps. De plus, la concertation avec les familles a aussi donné un résultat implacable; « les familles nous ont fait savoir que si on osait solutionner le problème en construisant des tours, ils iraient jusqu’à mourir dans une grève de la faim. »

h > 2

- Photographies du contexte existant de Cristobal Palma, Elemental- Présentation de la solution 3, en plan et schémaPrésentation Power Point de l’agence Elemental, transmis par Alejandro Alavena, publié en 2007

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68 Le résultat de cet exercice de mise en place fictive de chacune des typologies était relativement préoccupant, non seulement pour les conséquences dramatiques que cela pourrait entraîner socialement pour les familles, mais aussi car cela signifiait qu’une partie des gens de-vaient être relogées à la périphérie lointaine, à Alto Hospicio, ce qui venait remettre en cause tout ce qu’ils avaient créés, pendant 30 ans pour être proches de tous les réseaux urbains nécessaires à la « survie » en milieu urbain. Le relogement était donc clairement l’augmentation de leur marginalité.

Mais l’agence Elemental a été confrontée à un problème de coût. S’il était possible, dans une certaine mesure, et en oubliant les problème sociaux pour les autres familles, d’en loger 66 sur le terrain, rien que le prix pour l’achat du terrain nécessaire revenait à un pourcentage beaucoup trop important de la subvention; et il ne restait plus aucun budget pour l’urbanisation et la construction.

Schéma d’explication des coûts et du concept

Plans Google Earth de l’existant et du projet

Présentation Power Point de l’agence Elemental, transmise

par Alejandro Alavena

La solution proposée par Elemental a donc été de travailler sur des « immeubles » qui n’auraient que le pre-mier et le dernier étage. Ils ont été appelés les « bâtiments parallèles » par rapport à leur structure foncière: une maison et un appartement en parallèle. La maison du premier étage pourrait donc s’étendre sur le sol, au rez-de-chaussée, alors que l’appartement pourrait croître verticalement.

Toutefois, certains doutes planaient sur la « valida-tion » par les familles du projet. L’équipe, compte tenu du refus massif de vivre en « tours », ne savait pas si elles seraient prêtes à vivre dans des maisons avec des appar-tements au dessus. Mais les familles ont accepté le projet immédiatement. Il faut rappeler qu’ici aussi, comme à La Rocinha au Brésil, de nombreuses familles avaient construit un deuxième étage à leur baraque pour pouvoir le louer et ainsi rentabiliser un peu les coûts d’investissement. Cha-cun était donc conscient des avantages de la maison (vivre sur le sol naturel, avec un patio ou un jardin), et les autres connaissaient déjà les avantages des appartements qui ont plus de lumière, de ventilation et de sécurité.

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Les premiers allaient donc avoir des maisons de 36 m2 qui seront agrandies jusqu’à 70 m2, alors que les appartements qui font seulement 25 m2 au départ peuvent eux-aussi s’étendre à 72 m2.Le système constructif proposé, tout en béton armé avec des blocs de béton préfabriqués et des charpentes et armatures métalliques a donc per-mis la construction de 3.620 m2 de surface construite, à un prix de 7 UF/m2, c’est-à-dire 196 US$/ m2 afin de loger 93 familles dans des maisons évolutives rassemblées autour d’espaces publics de qualité. En effet, à l’échelle urbaine, une solution d’intégration d’un espace collectif semi-privatisé, avec un accès réduit entre le public et le privé, a été mis en place afin de permettre à la vingtaine de familles vivant autour de chacun de ces espaces d’y voir un lieu d’expression et de partage, comme la mise en place d’un réseau social dans ce nouveau quartier.

Avec ce projet, le gouvernement et Elemental « espèrent que cette proximité des opportunités contribue à rendre plus court le chemin de ces familles pour dépasser la pauvreté. »Mais malgré quelques programmes comme celui-ci qui ont réussi à surmonter tous les obstacles, beaucoup de familles restent toujours sans logement et dans des situations plus que précaires. C’est ce que nous allons voir avec la « toma » de Penalolen.

Photographies de la concertation entre Elemental les habitants (Cristobal Palma, Elemental)Présentation Power Point de l’agence Elemental, transmise par Alejandro Alavena

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à gauche: Plans du 2ème étage, du premier étage et du rez-de-chausséeà droite: Façade avant, coupe longitu-dinale, coupe transversaleModélisation 3D avec opération de base et scénarios d’aggrandissement

Présentation Power Point de l’agence Elemental, transmise par Alejandro Alavena

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Photographies diversesPrésentation Power Point de l’agence Elemental, transmise par Alejandro Alavena

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233- Une « nouvelle » toma, à Penalolen 2331- Situation géographique et environnement La commune de Penaolen est située au pied des contreforts des Andes. Elle représente une des limites de la banlieue de la ville de Santiago et l’on peut considérer que l’évolution de cette commune est en quelque sorte la « synthèse » de l’évolution des bidonvilles au Chili, que ce soit dans ses processus de formation ou dans son éradication pendant la dictature. À partir des années 1940, dans cette commune, commen-cèrent à se former les premiers campements irréguliers sur des sites encore non urbanisés. Pendant ce temps, sont nés entre les années 1969 et 1971 les premiers véritables « bouis-bouis » de la population de La Faena et Lo Hermida, par le biais des programmes que nous avons vu auparavant: « Opération Sitio » et invasions illégales de terrains.

Durant le gouvernement militaire, et plus particulièrement entre les années 1980 et 1985 se sont réalisées 3 grandes invasions de terrains dans cette commune sur un total de 24 sur la totalité de la ville. Mais Penalolen est un des secteurs qui a reçu le plus de populations provenant des autres communes, populations expulsées de leurs propres bidonvilles. De plus, la croissance horizontale que subit la ville après le nouveau changement de régime génère une demande très importante de terrains de la précordillière pour pouvoir y construire des lotissements destinés à une classe moyenne, voire haute de la société santiaguinienne. Pour les pauvres, ce sont des difficultés supplémentaires pour s’installer sur un terrain et avoir la possibilité de s’y maintenir.

C’est dans ce contexte particulier que s’organise la « gestation » de l’invasion de celle que l’on appellera LA Toma de Penalolen, à partir de 1998. L’idée principale est d’aller de l’avant et de mettre en place des actions impulsives et fortes pour « faire quelque chose » devant le drame de l’ajout de maisons sur les terrains urbanisés pour accueillir toujours plus de nouvelles familles dans le besoin de logement. C’est le phénomène de « partage de terrains » que l’on avait expliqué auparavant. Pour faire face à cela, un groupe de « pauvres révolutionnaires » mettent en place un système de porte-à-porte pour inciter les familles à rallier leur cause pour « relever » la toma. Les différentes familles se formèrent en comités qui correspondent aux quartiers d’origine afin de faciliter les interactions et de maintenir un certain sentiment de communauté.

2332- Une invasion massive Le 4 juillet 1999 à partir de minuit le terrain choisi est envahi par environ 1800 familles, après presque 10 mois d’organisation clandestine. Ce groupement de personnes va au bout d’une des plus grandes manifestations de « ville instantanée » jamais exécutée au Chili. Le fonction-nement de cette « révolution sociale » est impressionnant car chaque famille charge comme il peut le peu de choses qu’elle possède et réclame un bout de terre où construire instantanément une ville faite de bidons de plastique, de carton et de bois. Très rapidement de nombreux feux s’organisent dans les « places » du nouveau village, pour réchauffer l’atmosphère qui n’est qu’à environ 0°C par cette nuit d’hiver. Mais il faut aussi creuser le plus rapidement possible des tranchées pour pouvoir protéger le campement en ne laissant entrer aucune voiture de police.

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Photographie Toma de Penalolen, de Christian Demarco(pas de droits de reproduction)

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2333- Une stratégie d’organisation médiatique Le débarquement sur le site avait été bien organisé antérieurement, c’est pourquoi on a pu noter une grande vitesse d’agissement dans l’envahissement des espaces et la mise en place rapide et structurée des premières phases de la construction. Mais c’est principalement la stra-tégie d’organisation d’un point de vue médiatique qui fait le génie de cette invasion illégale. Car les populations ont eu, dès les premiers jours, un usage effectif des moyens de communication. En maintenant le contact entre les comités, les médias et les politiques, par le biais d’internet ou du téléphone ainsi que par des conférences de presse constantes et différents passages dans des programmes Tv, les habitants gagnent la sympathie du public, font connaître leur action, mais ont aussi une portée bien plus grande. Cet usage des médias permet d’une certaine manière de paralyser et de neutraliser tous les efforts institutionnels ou privés pour démanteler ce campement illégal.

Dans les années 1960, il y a eu de nombreuses autres pratiques populaires de planification urbaine, informelles et révolutionnaires. Mais le cas de la toma de Penalolen montre que les pauvres ont appris à « monter dans le cheval de Troyes » des médias, de la publicité et de la politique populiste. Et ceci afin de formaliser et consolider les nouvelles pratiques urbaines, exacerbant le paradoxe de la légitimation illégale, en la transfor-mant en quelque chose de politiquement correct, laissant les autorités et les experts complètement confus et piégés dans leur propres politiques emmêlées.

Mais, compte tenu de la bonne structure mise en place, et des interactions incessantes avec les médias, le gouvernement n’a que peu de prises pour déloger cette nouvelle occupation, surtout que c’est encore le début de l’hiver. Toutefois il déclare un « conflit entre les individus », car il considère que c’est une occupation « accordée » et prévue entre les habitants et l’homme d’affaires Miguel Nasur qui est propriétaire du terrain. Le terrain est relativement grand, et en majorité peu constructible en raison de sa nature (cf: Plan régulateur de la commune) et de sa proximité avec l’aéroport. L’État soupçonne le propriétaire d’avoir à un certain moment négocié et accepté l’invasion afin que l’État rachète le terrain avec une plus-value, ce qui aurait été une très bonne opération financière pour Miguel Nasur. Mais il n’y a a priori pas de dialogues entre les parties concernées.

Si la surexposition médiatique et l’échelle de l’évènement ont servi les habitants, elles les ont obligés à s’installer rapidement et à construire plus solidement afin que les difficultés d’expulsion et d’éradication de la toma augmentent.

2334- La répartition des tâches Afin d’établir un véritable quartier d’habitation avec toutes les nécessités, il faut répartir les actions et chacun a donc été doté d’une fonction particulière. Que ce soit pour la santé, la construction, les finances, la sécurité, la presse et la communication, la culture, la gestion des enfants, la propreté ou même l’embellissement. C’est un véritable quartier, avec des règles propres, qui s’arme progressivement pour survivre.

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La consolidation sociale fondée sur des valeurs positives passe nécessairement par des règles pour le bien de tous. Il y a donc la mise en place, en concertation avec tous les habitants, d’un « Droit interne ». Le non respect de ce « code de vie en communauté » et de toutes les règles qu’il comprend entraîne la mise en place de sanctions, qui vont jusqu’à l’expulsion de l’individu ou de la famille.

C’est ainsi qu’en travaillant tous ensemble, seulement quelques jours après l’invasion, chaque foyer avait accès à l’électricité et qu’en seulement 1 mois tous avaient accès à l’eau courante. Par contre, l’évacuation des eaux usées a été beaucoup plus compliquée et est entrée progressivement en service en même temps que des toilettes portatives (1 ou 2 pour 30 maisons). Si ce n’est pas suffisant pour vivre dans de bonnes conditions, c’est toutefois le résultat d’un travail commun. Chaque commission s’organise collectivement, sur la base du travail volontaire pour le dévelo-ppement des infrastructures la nuit et le week-end principalement; cela parce que chacun travaille en dehors de ces périodes pour ramener un salaire.

Quatre ans plus tard, l’entité sociale et urbaine est consolidée et la morphologie spatiale est bien définie pour les espaces de circulation et d’hébergement. On est en présence d’un nouveau type d’urbanisation actif et stimulant. Les maisons sont encore construites à base de maté-riaux bon marché avec du bois et des feuilles de zinc mais chaque maison a maintenant acquis son propre caractère: de la vigne en façade, un deuxième étage, des balcons, des galeries, des patios, des jardins, des entrées pour le logement des animaux, des façades polychromes, des ateliers d’affaires, ainsi que la mise en place d’une économie locale. C’est un véritable quartier urbain, avec « tous » les critères de l’urbanité qui s’est maintenant consolidé pour former La Toma de Penalolen.

2335- Un programme d’éradication Afin de mettre fin à cette toma à Penalolen, le ministère du logement a mis en place un programme complet d’éradication. L’objectif étant de déplacer 1600 familles et les transférer dans des casas chubis (petites maisons de 30m2) ou des petits appartements qui seront construits et répartis entre les communes de Penalolen, la Florida et Puente Alto. Pour faire face à cela et montrer leur désarroi, trois habitants entament en juin 2006 une grande grève de la faim pour obtenir une solution à la « maltraitance » de leur « situation habitationnelle ».

C’est ce moment que choisit Christian Demarco, photographe chilien, pour commencer ses visites sur le site et nous offrir un reportage photos de ce qu’il constate (cf: annexes).Le terrain est encerclé par les forces de l’ordre, les maisons sont réparties au hasard sur le terrain et l’ensemble ressemblait à priori plus à un camps de réfugiés qui surgit pendant la guerre qu’à un quartier d’habitation. Les passages entre les maisons sont petits et étroits, au milieu d’un paysage désolé et encombré de maisons détruites, mais dont les matériaux restent à même le sol.

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76Et pourtant, de nombreux engins de chantier et des machines de toute sortes travaillent à la destruction complète des maisons, et des matériaux, afin de supprimer toute trace des maisons inoccupées et se prémunir d’une ré-invasion.L’abandon et la misère est partout. L’absence d’éboueurs et de tout service de collecte de poubelles a transformé le terrain de football et tous les espaces libres en décharges à ciel ouvert. L’eau elle aussi est coupée, pour inciter les derniers grévistes à abandonner. C’est un grand moyen de pression, car sans eau, la vie n’est pas du tout possible. Et pourtant, ni l’absence d’eau, ni les infections qui en découlent, ni même les nombreux animaux errants comme les chiens affamés ou les rongeurs ne délogeront les grévistes. C’est l’hiver qui s’en chargera tout naturellement, c’est le moment où la lutte s’arrêtera.

Mais si la lutte et les grèves de la faim s’arrêtent, le replacement n’est pas immédiat. En août, malgré des inondations des maisons et des conditions difficiles, beaucoup de familles restent en attendant leur tour pour le relogement. Les familles se regroupent en comités, avec à chaque fois un président de comité qui est chargé de négocier les places de chacun dans les programmes de relogement et surtout, dans quelle commu-ne, et sur quel terrain. Malheureusement, si le principe des comités est d’abord de venir en aide aux familles de la toma, certains sont « viciés ». Ils ont vendus des « places », et donc des logements, à des familles externes à la toma de Penalolen. Beaucoup de familles se retrouvent donc sans relogement, et sans aucune possibilité d’intervenir auprès du ministère du logement qui a fourni un nombre suffisant de solutions d’habitation.De plus, certains comités ont aussi entrepris des actions de résistance car ils refusaient de laisser la toma pour aller vivre dans des « maisons étroites et faibles qui ne supporteraient probablement pas les premières pluies ».

Dans le même temps, la municipalité, avec son maire Claudio Orrego veut accélérer le processus d’éradication car elle veut commencer les tra-vaux d’aménagement du nouveau grand parc de Penalolen. Une ré-invasion de la toma était prévue, en une nuit, avec normalement 1000 familles, mais la peur du préjudice et des conséquences tragiques si la municipalité décide d’annuler la construction des programmes de relogement a vite renfloué le phénomène.

2336- Un climat de tensions La vie dans la toma pour les derniers habitants est donc de plus en plus difficile. Au manque d’infrastructures s’ajoute les tensions mé-diatiques et une présence policière de masse (avec des hélicoptères, des patrouilles quotidiennes...). Mais il ne faut pas oublier que les derniers habitants devaient surtout se préoccuper des « luttes quotidiennes » comme ramasser un peu de fer pour le vendre, et ainsi avoir les moyens de s’offrir un petit-déjeuner, chercher du travail et donc d’avoir un emploi à la journée, ou avec plus de chance pour quelques jours ou semaines, ainsi que de faire garder les enfants pour avoir la possibilité de temps libre pour travailler. Une re-toma se met finalement en place au milieu du mois de septembre, mais ce sont seulement 300 personnes très mal organisées qui débarquent sur le site. Ils sont donc très rapidement contrôlés par les autorités et évacués. Ils seront logés pour un mois dans des tentes, avec une cuisine commune, sur la « place de l’Esperanza andino ».

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Mais de nouveau, la municipalité est totalement ignorante de cette situation, et « renvoie tout le monde chez soi »... mais personne n’a de chez soi. Tel est bien le problème de la toma de Penalolen, chacun est évacué ou déplacé, avec de nouvelles promesses pour le futur, et il s’appelle le printemps.

Après une toma de plus de 7 ans, beaucoup ne voulaient pas des nouvelles maisons, qui étaient trop petites, trop proches, mal isolées et qui sont souvent des solutions d’habitat bien moins abouties que leurs maisons personnelles, auto-construites. Mais au final, il leur faudra retrouver des habitudes et reconstruire tout un environnement social qui a été piétiné, et cela dans l’indifférence la plus totale de la part des autorités.

Comme nous avons pu le voir dans les deux exemples précédents, si les « invasions » de terrain sont possibles, elles ne sont que peu contrôlées compte tenu de l’ampleur du phénomène au Brésil. Par contre, au Chili, les autorités cherchent, malgré une grande indifférence des conditions de vie des habitants, à limiter l’extension de ces zones d’auto-construction, car c’est le lieu d’une organisation sociale forte, et qui a un certain pouvoir de « rébellion ». La dictature militaire et ses préceptes autoritaires est donc encore visible dans les relations conflictuelles que les autorités entretiennent avec leurs habitants. Dans les deux exemples chiliens que nous avons pu voir, les situations évoluent vite. Le cas de Quinta Monroy nous montre un quartier qui s’organise autour d’une première base construite en concertation avec les habitants, et qui prend donc en compte leur mode de vie. Chacun a donc la sécurité de pouvoir rester dans sa maison et donc conséquent, un certain désir de mettre des moyens pour améliorer son propre habi-tat. Dans la toma de Penalolen, c’est l’inverse. La base est illégale, le dénouement final implicite est l’exclusion. Toutefois, les habitants se sont très vite organisés en petits groupes pour faire valoir leurs droits. La solution pour chacun est donc peut-être non pas de grands programmes d’aménagement, de construction ou de relogement, mais peut-être seulement la seule sécurité de l’habitat.

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24- Villa El Salvador, un bidonville devenu municipalité de Lima 241- Lima ou une situation peu analogue 2411- La géographie comme base de la métropolisation La République du Pérou est située sur la côte ouest du continent latino-américain, face à L’océan Pacifique, entre la ligne de l’Équateur et celle du Tropique du Capricorne. C’est un état andin, qui a pour limites l’Équateur et la Colombie au nord, le Chili au sud, la Bolivie au sud-est et le Brésil à l’est. Les villes latino-américaines sont parmi les plus peuplées au monde. La capitale péruvienne, Lima est par sa quantité de population la 5ème ville d’Amérique du Sud après Mexico, Sao Paulo, Rio de Janeiro et Buenos Aires.

Au cours des 70 dernières années environ, le processus d’urbanisation du Pérou s’est largement accéléré, comme dans les autres pays d’Amérique Latine. Le pays est passé de 35,4% d’urbains en 1940 à 72,6% en 2005, ce qui représente presque 30% de la population totale péruvienne, et plus de 50% du PIB national. Selon le décret suprême N° 011-72-PM émis par le gouvernement militaire le 25 avril 1972, « par la proximité et l’interdépendance économique, culturelle et populationnelle, la ville de Lima, la province de Callao et le reste de la province de Lima sont consi-dérés comme étant une unité d’analyse qui s’appelle: Area Metropolitana de Lima ». (INEI, 2001, p.89)

Même en additionnant la population des six plus grandes villes péruviennes après Lima, elles ne font à peine plus du tiers de la population limé-nienne. Cette agglomération est gigantesque par rapport à la population du Pérou. C’est une ville polycentrique et très fragmentée. Parmi toutes les analyses différentes qui ont été faites sur la ville de Lima, nous retiendront la « subdivision en 6 secteurs d’Apoyo », parce qu’elle est basée sur la totalité de la ville, c’est-à-dire en incluant les secteurs émergents de la périphérie (le nord, le sud et l’est) et les espaces centraux (le secteur traditionnel ou ancien, le moderne et le portuaire).

La ville de Lima, ou plutôt sa zone métropolitaine répond à tous les critères d’une ville globale ou d’une métropole mondiale.

Rappelons brièvement que le concept de métropolisation réfère à la fois à un phénomène économique et à un processus spatial. C’est un pro-cessus directement lié à la mondialisation car il touche l’ensemble des territoires et désigne un changement quantitatif et qualitatif du processus d’urbanisation (qui a marqué les 5 ou 6 dernières décennies). Ce processus se traduit en particulier par: - l’accroissement de la concentration de population et des richesses autour des agglomérations existantes, et sur des territoires de plus en plus larges- l’étalement urbain et une dispersion des centralités - un accroissement des mobilités et des échanges et surtout des distances parcourues- un accroissement simultané de la fragmentation et de la ségrégation sociale et spatiale.

On repère tous ces critères dans l’agglomération liménienne, on peut donc la considérer comme une métropole globale.

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La plupart de ces villes ont été touchées jusqu’aux années 1950 par une révolution industrielle de masse et ont continué à croître excessivement avec le phénomène de la mondialisation. Les années 1970 ont vu une migration massive de la campagne vers les villes ainsi que, progressive-ment, la disparition de la dichotomie « ville-campagne » qui a rapidement laissé sa place à celle de « centre-périphérie ».

« Il y aurait un centre où sont concentrés tous les services qu’offre la modernité, et une périphérie marginalisée où la survie est la règle et la modernité n’existe pas ». Geraiges (1996, p.74)

Beaucoup disent souvent que les pays latinos-américains sont « de gigantesques têtes urbaines avec de petits corps ruraux » (Blanksten, 1966) à cause des dimensions comparatives de leur métropoles. En effet, Lima comprend environ 29,1% de la population du pays.

2412- Rappel de la structure politique Afin de mieux comprendre les différents acteurs qui interviendront dans notre exemple de Villa El Salvador, il est nécessaire de connaître la structure politique et administrative du Pérou. La République du Pérou est constituée d’un gouvernement présidentiel, unitaire et décentralisé, qui est divisé en trois pouvoirs distincts: l’exécutif (exercé par le Président de la République), le législatif (exercé par le congrès, lui même composé d’une Chambre Unique de 120 congressistes), et le judiciaire.

Le Pérou est divisé en 24 régions et une province constitutionnelle, Callao (où se trouvent le port maritime et l’aéroport), mais qui comportent toutes les caractéristiques d’une région. Chaque région est constituée de provinces, qui sont elles-mêmes subdivisées en districts. On dénombre ainsi 180 provinces et 1747 districts.

La capitale de la République, Lima, qui est incluse dans la province et la région du même nom est composée de 43 districts. La province de Callao de 6 districts, et l’ensemble forme la zone métropolitaine de Lima.

Chaque région comporte un gouverneur élu, chaque province son maire de province élu, et chaque district, son maire de district. Chaque autorité élue possède une certaine autonomie sur son territoire et il n’existe que peu de relations de subordination formelle entre eux. Même à Lima il n’y a pas d’autorité unique, si bien que chaque maire contrôle sa juridiction.

Selon la loi 27972 (Loi des Municipalités) et la loi 27867 (Loi de base des gouvernements régionaux), les compétences sont distrubées et attri-buées soit à la région, soit à la province, soit au district, et dans chaque cas, le gouvernement central doit distribuer les ressources financières correspondantes.

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80Pour faire un résumé des compétences:- les régions s’occupent de l’aménagement du territoire régional, la gestion des ressources naturelles et la promotion d’activités économiques productives, d’investissements privés et d’exportations ainsi que certaines compétences en commun avec le gouvernement central du point de vue de la gestion de l’éducation et de la santé publique.- la municipalité possède les compétences en ce qui concerne la planification du développement local, la réglementation sur l’utilisation du sol, la gestion de services d’entretien de l’infrastructure et l’équipement des écoles et des centres médicaux publics, la gestion de programmes d’aide sociale et la réglementation d’activités économiques locales.

Avant d’illustrer tous ces propos explicatifs, reprenons une page d’histoire des bidonvilles dans la métropole liménienne.

2413- Lima, Bidonville global? Par sa situation géographique et donc son climat, la ville de Lima est propice à l’établissement de bidonvilles. En effet, la côte péruvienne offre une très grande stabilité climatique. Les pluies sont rares, les ouragans n’existent pas et les variations de température sont faibles tout le long du jour et de l’année. A l’inverse du cas que nous avons étudié à Santiago, la douceur du climat sur la côte désertique, notamment dans Lima, facilite l’établissement des groupes humains sur des terrains sans services de base, et de construction précaire, même en pleine saison hivernale. « La température minimum descend à 12°C pendant l’hiver et au maximum à 28°C pendant l’été, avec une moyenne annuelle de 18°C et de l’humidité atmosphérique très élevée toute l’année » (INEI, 2001)

L’histoire des bidonvilles au Pérou est très particulière. Ainsi, le Pérou, en conséquence du gouvernement réformiste dans les années 1970, devient le premier État latino-américain à donner une reconnaissance officielle des droits de résidence à la population des bidonvilles même s’ils étaient sans droit légal. L’exemple le plus connu est celui de Villa EL Salvador, que nous étudierons beaucoup plus en détail ultérieurement. La chute du gouvernement réformiste a eu lieu en même temps que les différents déséquilibres des finances publiques et l’échec de la « Réforme agraire ». Les 10 ans qui suivirent furent ceux de l’approfondissement des déséquilibres financiers, et le manque de décisions politiques concrètes face à la crise ont profondément précarisé toutes les institutions du pays.

« Il faut se souvenir que la décennie 1980-1990 a été celle de nombreuses incohérences économiques qui ont mis le Pérou à genoux. Il y eut tout d’abord une politique néolibérale, mais toujours basée sur la substitution d’importations, sous Fernando Belaunde Terry (1980-1985). Ce fut une période de relative stagnation par rapport aux années 1970.

Puis Alan Garcia (1985-1990) institua une politique hétérodoxe, qui a entraîné, elle, une hyperinflation vertigineuse, un appauvrissement des classes moyennes, la fuite des capitaux, le refus de collaborer des milieux bancaires et industriels, une désastreuse allocation des ressources publiques (..) le PIB par tête passe de l’indice 112 en 1985 à 78 en 1992 (base 100 en 1998). Auroi, 2002

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Dans un même temps, la population avait « soulevé le défi de sa propre situation », notamment tous les exclus de la modernité, qui provenaient majoritairement des vagues migratoires vers la capitale dès le début du 20ème siècle, et plus spécialement à partir de 1940. Les pauvres et une partie des classes moyennes appauvries avaient découvert dans l’économie « populaire » et les différentes activités « informelles » le moyen de survivre et de combattre l’exclusion du système.

Durant tout le 20ème siècle, la croissance urbaine de la capitale péruvienne a bouleversé l’utilisation du sol sur le territoire occupé par la ville actuellement. Si 1,96% du territoire était considéré comme urbain en 1901, on dépasse rapidement la moitié de la population, et jusqu’à 82,83% en 1999. On assiste donc à une inversion des proportions entre urbains et ruraux en moins d’un siècle.

Année % Espace agricole % Espace urbain1910 98,04 1,961925 95,92 4,081940 93,14 6,861961 86,93 13,071970 68,14 31,861981 38,73 61,271999 17,17 82,83

Cette croissance urbaine est très fortement liée à l’apparition et à la multiplication des bidonvilles dans la périphérie urbaine à chaque moment de l’évolution et de l’histoire de la ville.

En se référant aux tableaux suivants, et en comparant les données, cela nous permet d’associer les périodes de croissance de Lima avec l’occupation de terrains agricoles et la formation continue de bidonvilles à la grande périphérie de la ville.

Années Population Lima métropolitaine

Population en bidon-villes

%

1956 1397000 119886 8,61961 1845910 316829 17,21970 2972787 761755 25,61981 4608010 1171800 25,41993 6434323 2188445 34,02004 8060361 3500000 43,4

Espace agricole vs urbain dans le 20ème siècle selon l’actuel territoire de Lima métropolitaine:Source: Joseph (2004, p.89)

Évolution de la population en bidonvilles liméniensSource: INEI (1996), cité par CONAM (2004, p.11)

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82Périodes de croissance de Lima métropolitaine 1940-2004Source: Barreda et Ramirez Corzo (2004), cités par CONAM (2004, p.12-13)

Période Phénomène le plus remarquable

Processus urbains Occupation

1940- 1954 Formation de la ville populaire

- Formation des bidonvilles

- Terrains marginaux proches au fleuve

Rimac1954- 1980 “Boom” de l’explosion

urbaine populaire- Détérioration des bidonvilles de la première période

- Consolidation des bidonvilles- Forma-tion de nouveaux

bidonvilles

- Terrains éloignés du fleuve Rimac

- Apparition des cônes nord, sud et est

1980- 2004 Expansion de la périphérie

- Détérioration des bidonvilles de la 1ère

et 2ème période- Consolidation - Formation de

nouveaux bidonvilles

- Terrains marginaux dans les cônes

Les bidonvilles ont commencé par le nord en 1957, lorsque le phénomène était encore aux prémices de ce qu’il allait devenir (9,5% de la popu-lation totale à ce moment là). Au début des années 1980, le nord avait commencé sa consolidation et l’apparition de groupements de bidonvilles dans l’est et dans le sud atteignait 31,9% de la population. En 2004, les trois secteurs ou « cônes » couvrent les bidonvilles et les nouvelles villes émergentes où se retrouve 59% de la population. Même si on dénote une forte croissance du secteur central de la ville, la force démographique appartient aux cônes.

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MEMOIRE 2012

Lieu de naissance du chef de ménageSource: Apoyo (2004, p.60)

L’occupartion de la périphérie par les barriadas: 1957- 2004Source: Matos Mar (2004, p.149-153)

2414- Le processus de migration et la ségrégation spatialeLe processus de migration est un des facteurs les plus impor-tants dans la transition démographique et la croissance de la ville de Lima. En effet, la plupart de ces habitants viennent d’ailleurs, et notamment les habitants des cônes, qui sont souvent issus de la Sierra (la région montagneuse andine). Le graphique sur le lieu de naissance du chef du ménage nous montre que 64% sont immigrants, et la plupart viennent de la campagne ou d’autres villes plus petites.

Au total, il y a presque 45% de la population liménien-ne qui loge en bidonvilles en 2004; mais on peut être sûr qu’aujourd’hui on a dépassé la majorité, et cela compte tenu des différentes politiques d’amélioration et d’éradication qui ne sont pas suffisantes.

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84La population de Lima en BidonvilleSource: INEI (1996), cité par CONAM (2004, p.11)

Une grande proportion de la population vit dans les bidonvil-les, et nous pouvons voir sur la carte des classes économiques de Lima que les différences sont extrêmes dans la ville, et que cela se traduit par une ségrégation importante. Pour comprendre la carte suivante qui nous sert à analyser cette ségrégation, il est important de savoir que les sociétés d’analyse statistique péruviennes emploient la méthode de la stratification de la société selon le revenu. (Nieto, 2002). La population est divisée en cinq strates, chacune désignée par une lettre selon l’importance décroissante de leur pouvoir d’achat (strates A, B, C, D et E). Les secteurs dotés du pouvoir d’achat le plus élevé appartiennent à la strate A alors que la strate E correspond aux revenus les plus faibles, que l’on peut considérer comme l’extrême pauvreté.

On peut voir que presque la totalité de la classe socio-économique A se retrouve concentrée dans le secteur central, qui est la « ville mo-derne ». Cette ségrégation est sans doute la force la plus importante qui exclut les pauvres vers la périphérie de la ville, l’emplacement « naturel » des bidonvilles. Afin de poursuivre notre étude sur les bidonvilles de Lima, nous pré-ciserons l’exemple de Villa El Salvador, qui fut le premier campe-ment a recevoir ses « papiers », ce qui fait de cet espace un modèle d’espérance et d’organisation de la « force populaire » pour la mé-tropole liménienne.

Les classes socioéconomiques dans la ville de LimaSource: Apoyo (2004), cité par CONAM (2004, p.11)

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242- Villa El Salvador, une expérience pilote d’aménagement Ce n’était pas la première fois que les terres de Pampelona étaient envahies car un an plus tôt, le 17 février 1970, les 80 premières fami-lles avaient organisé un fait similaire, avec l’aide du Père Roger de la paroisse de l’enfant Jésus de la ville de Dieu. Son intervention avait ouvert les discussions avec les représentants du ministère du Logement et les populations pour pouvoir se mettre d’accord. Le ministère était intéressé par urbaniser toute la zone, l’accord passé avec les habitants était donc de leur fournir un terrain, comprenant de nombreux lots avec les services de bases comme l’eau courante et l’électricité, et cela dans un délai de 90 jours. En contre-partie, les envahisseurs s’engageaient à ne pas conti-nuer de squatter sur des terrains illégalement, et à enlever toutes leurs possessions pour les entreposer dans une « consigne » organisée par la paroisse.

Sauf que, comme souvent, les promesses ne sont pas tenues, aucune prise en charge du ministère n’a été constatée. Les travaux d’urbanisation à Pampelona n’ont pas commencé. Quand enfin le délai est passé, les familles étaient terriblement angoissées. Mais c’est à travers l’échec qu’elles ont acquis de l’expérience, c’est comme ça que les premiers occupants de Villa El Salvador ont compris que pour réaliser leurs rêves ils devaient juste espérer et s’organiser.

2421- Une préparation longue La première réunion de coordination a eu lieu en mars 1971, en majorité organisée par les jeunes et les assistants. La décision a été unanime, c’était d’envahir de nouveau les terres de Pampelona, mais cette fois-ci de manière totalement organisée. C’est pourquoi a été créée l’association « Padres Delfin Delgado Pro-Vivienda propia » (Association de lutte pour la propriété individuelle). Les jours et même semaines qui suivirent ont été dévolues à la mise en place de la préparation minutieuse et secrète d’une organisation d’invasion savamment calculée. Afin de ne pas être détectés et suspectés par les forces de l’ordre, car le climat politique au Pérou est aussi celui de la dictature, seuls les dirigeants des différentes commissions d’organisation connaissaient la date exacte.

Le 27 avril 1971, à partir de 20 heures la population a commencé à être prévenue que l’invasion se ferait 4 heures plus tard, à partir de minuit.À 10 du matin le lendemain, un premier contact avec la police s’est mis en place. Une équipe d’une centaine de policiers est intervenue, sous le commandement de Manuel Sanchez Casasa mais sans ordre de délogement. Ils n’étaient sur le terrain que pour l’observation, et de manière dissuasive. Mais la réaction des habitants a été pacifiste et ils sont allés à la rencontre des forces de l’ordre pour faire « remonter » leurs reven-dications et que chacun puisse bien constater la situation d’extrême précarité dans laquelle ils vivaient car ils n’avaient rien obtenu de la part des autorités. La première nuit passée sur le terrain a été décisive et la première réunion a pu se faire à l’air libre, en public. L’espace allait s’organiser autour d’une première place centrale imaginaire, dessinée sur le sol. Mais dans le même temps, la « faiblesse numérique » du nombre d’habitants était visible et ne permettait pas de réactions en cas de mise en place d’un processus de délogement par les autorités.

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Photographie de l’invasionSource: Présentation Power Point de Michel Azcueta, Workshop Villa El Salvador , 2010

La commission de « presse et propagande » a donc eu en charge de trouver d’autres familles sans logement afin de les inviter à rejoindre leur futur campement.

2422- Un « siège » et une mise sous tension C’est ainsi que s’est mise en place une invasion de gran-de ampleur. Jusqu’au 3 mai arrivèrent plus de 9000 familles pour s’installer dans ce nouveau campement, sur un terrain isolé et abandonné de l’État. L’invasion s’étendait jusqu’aux terres agri-coles de San Juan Chico et San Juan Grande, et jusqu’aux quar-tiers de las Gardenias et Loyola. C’est dans ces circonstances que débarquèrent les forces de l’ordre à l’aube du 3 et du 4 mai, dans l’objectif de déloger la population. Mais ces opérations se sont rapidement soldées en échec et les contrôles d’entrée et de sortie de la zone ont été effectués afin qu’aucune autre famille ne puisse rejoindre le site. De la même façon, en interdisant les sorties, les familles déjà présentes n’allaient bientôt plus avoir de quoi s’alimenter et d’eau pour survivre. C’est dans ce conflit d’extrême tension que les dirigeants de la commission des habi-tants a été reçue par le commandant Alejandro De las Casas du Ministère du Logement. Il s’est engagé formellement et person-nellement à résoudre le problème de ces familles en proposant à chacune des familles un terrain comprenant tous les services de base. Après les différentes promesses, la méfiance des habitants était largement palpable mais une réunion sur le terrain à ciel ouvert avec tous les habitants s’est soldée sur un accord.

Sauf que, le lendemain, le 5 Mai 1971, le Général Armando Arto-la, Ministre de l’intérieur a ordonné un nouveau délogement par la force. Celui-ci a été une bataille violente entre les différents participants, mais qui a de nouveau été un échec pour la police

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qui s’est retirée en portant un bilan tragique de 1 mort, Javier Edilberto Ramos et de 70 blessés, 13 civils et 57 policiers.

Le soutien moral de la Paroisse a consisté en une lettre envoyée directement au Président Velasco pour lui signaler les abus policiers commis qui ont causé un mort. De plus, elle servait d’annonce à une messe en honneur de Javier Edilberto Ramos, qui n’a pas pu être exécutée dans de bonnes conditions car Monseigneur Bambaren a été arrêté par les autorités. En effet, manifestant sa solidarité avec la population, il a été arrêté après la célébration de la messe sur les lieux de l’assassinat. Il ne semble pas nécessaire d’expliquer tous les détails de cette très complexe situation. Toujours est-il qu’avec l’aide des différents acteurs, et afin d’éviter le scandale en cours, les représentants du ministère du Logement et les habitants sont venus à un autre accord: être relogés sur des terrains « urbanisés », c’est-à-dire comprenant les infrastructures minimum. Le 11 Mai 1971, vers 17 heures, le Commandant Alejandro de las Casas a ordonné le déplacement des premières familles, en mettant à leur disposition une cinquantaine de camions militaires jusqu’à la basse Hoyada de Tablada de Lurin.

C’est la naissance d’un lieu, qui sera baptisé ultérieurement “Villa El Salvador”.

Photographies de l’invasion et de l’arrivée en camions militairesSource: Présentation Power Point de Michel Azcueta, Workshop Villa El Salvador , 2010

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2423- Villa El Salvador, le fruit d’un rêve Si les années 1970 sont celles de la révolution et de la prise de pouvoir par l’armée après le coup d’État, c’est inévitablement aussi comme nous l’avons vu, du rejet des squatteurs des terrains qu’ils avaient envahis. Et pourtant, comme dans les cas que nous avons déjà étudiés, et dans la majorité des situations, même dans d’autres endroits du globe, cela est dû en partie à un exode rural de masse correspondant à la recherche de travail en périphérie ou en plein centre des villes. Les envahisseurs, qui sont de plus en plus nombreux, qui sont en fait « ceux qui plantent leurs cabanes en paille où ils trouvent de la place » ont finalement trouvés LEUR place, Villa El Salvador.

C’est un endroit où la ville n’existait pas, à 30 kilomètres de Lima, dans un décor de sable à plus d’une heure de route d’un point d’eau. Un « vaste morceau de désert » accueillera la population ouvrière pauvre de la périphérie de la ville, auquel s’ajouteront rapidement les victimes paysannes d’un tremblement de terre andin dévastateur.Villa El Salvador, un « bout de rien » dans le désert où il fallait tout construire, deviendra rapidement un énorme défi urbanistique car en 7 jours seulement, plus de 100.000 personnes ont débarqué pour mettre en place, elles-aussi, leur part du « rêve liménien ».

Villa El Salvador est finalement la réalisation d’une expérience remarquable de cité idéale, égalitaire, libre et fraternelle, sans spéculation et qui est totalement construite à partir du rêve commun de milliers de familles, celui d’avoir un logement.

Schémas de la situation péruvienne en Amérique du Sud, et de Lima au PérouSource: Diseno urbano modular de VES veint anos después, Auteur inconnu

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Schéma de la situation de Villa El Salvador à LimaSource: Diseno urbano modular de VES veint anos después, Auteur inconnu

243- Du bidonville au district populaire urbain Le droit d’habiter est normalement inaliénable, mais pour qu’il intervienne dans de bonnes conditions et que les prises de terrain ne soient pas qu’une simple occupation des lieux, Villa El Salvador se dote d’une forme particulière d’organisation sociale et spatiale.

2431- Un projet autogestionnaire crée la structu-re urbaine FORMATION ET ORGANISATION DE L’ESPACE Le développement de groupes résidentiels commence avec l’arrivée des paysans sur le territoire où n’existait aucun service: ni eau, ni électricité, ni voies de circulation. Avec l’aide des militants chrétiens, des militants de gauche et de professionnels de plusieurs Organisations Non Gouvernementales liméniennes pour la mise en place d’une forme particulière d’organisation sociale, les occupants se sont rassemblés pour obtenir de Lima qu’elle leur fournisse les services. Villa El Salvador s’organise autour de groupes résidentiels (qui contiennent 384 familles) organisés par « pâtés de maisons », ce qui correspond à environ 2000- 2500 personnes. Comme nous pouvons le voir dans le schéma, le module urbain de référence est unique et est constitué de 16 îlots égaux de 24 parcelles. Chacune d’entre elle mesure 7x 20 mètres, ce qui correspond à une surface de 140m2 au sol. Toutes les familles ont donc droit à un terrain similaire. Mais ce n’est pas réellement la mise en place d’un modèle urbain qui représente l’innovation de la structure urbaine de Villa El Salvador. L’atout majeur de cette organisation spatiale est qu’elle est différente de celle de la ville coloniale classique qui s’organise autour d’une place centrale et majeure dans la ville.

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Schéma d’un module urbainSource: Diseno urbano modular de VES veint anos después, Auteur inconnu

Villa El Salvador brise ce modèle en conceptualisant la place publique comme un espace plutôt décentralisé, et qui serait le centre d’un milieu de vie. La place et les parcs ne sont plus le prolongement du pouvoir de l’État mais ce sont des espaces démocratiques, nés de la société civile. Le lieu public n’est donc plus dominé par l’État mais il correspond à l’organisation communautaire que la population s’est donnée. Chaque module urbain est donc constitué par une place ainsi que de 16 ilots de 24 parcelles, sur une surface de 288x 288m et avec une population estimée en moyenne à 2112 habitants. Il se tourne toujours vers un espace commun central qui contient les équipements correspondant à cette échelle de groupe résidentiel. On peut donc retrouver des centres d’éducation de base (primaire), des clubs de mères, qui sont des espaces où les femmes se retrouvent pour organiser et mettre en place les gardes d’enfants et autres activités de gestion, les aires de récréations, etc.

Schéma d’un groupe résidentielSource: Présentation Power Point de Michel Azcueta, Workshop Villa El Salvador , 2010

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Schémas: Flexibilité d’un module urbain; Hiérarchie dans la structure urbaine; Processus de croissance et de densification.

Source: Présentation Power Point de Michel Azcueta, Workshop Villa El Salvador , 2010

La zone résidentielle est ainsi constituée d’un modèle urbain, qu’on peut considérer comme une structure homogène, comme des cellules de base assemblées les unes aux autres. Il y a 120 modules qui occupent une aire territoriale de l’ordre de 1200 hectares. Les modules s’organisent à partir de la hiérarchi-sation des équipements, qui commence à l’échelle du groupe ré-sidentiel et suit avec le quartier, le secteur et le district en fonction de l’équipement construit. Mais toute la vie de la communauté s’organise autour des places avec les services de base communs comme les maternelles, les centres de santé, les locaux commu-naux ainsi que les terrains de jeux ou de sport. Les nécessités et besoins de chacun sont ainsi hiérarchisés dans l’espace. Tous les 8 groupes résidentiels on construit un marché, tous les 20 groupes un centre de santé et tous les 25 groupes une aire de sport com-plète. Ce qui marque la différence à Villa El Salvador est donc son organisation spatiale. Car la construction des maisons en elle-mê-me est de l’ordre du processus familial, et suit des étapes bien dé-finies, mais qui sont similaires à d’autres bidonvilles. Tout d’abord, il faut acheter les matériaux et les organiser pour la construction d’une grande pièce commune, qui sera ultérieurement le salon, ou la pièce à vivre, mais à usages multiples. La deuxième pièce, qui fera office de chambre, ne sera construite que dans la mesure où les moyens le permettent. Comme dans les cas de La Rocinha, ou de Penalolen, la cuisine et la salle de bain ne seront consolidées qu’ultérieurement car au départ, les habitations ne sont pas re-liées aux réseaux d’eau courante et d’évacuation. Les cuisines et les salles de bain sont donc à l’extérieur. La consolidation du toit et l’amélioration toujours possible de la maison se fait avec le temps et les différents revenus des familles. Mais malgré tous les efforts fournis par les habitants pour construire leur cité idéale du désert, Villa El Salvador reste jusqu’à la fin des années 1980 une « ville dortoir » qui ne peut compter sur une économie personnelle.

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2 croquis d’une maison avant et après rénovations. Auteur inconnuSource: Présentation Power Point de Michel Azcueta,

Workshop Villa El Salvador , 2010

Évolution des abris de Villa El Salvador. Auteur inconnuSource: Présentation Power Point de Michel Azcueta, Workshop Villa El Salvador , 2010

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DES ENTREPRISES COMMUNALES POUR UN PARC INDUSTRIEL Le projet complet de Villa El Salvador prévoit d’intégrer et de représenter les intérêts de tous les groupes et constituants de la ville. Mais l’emploi est la préoccupation maximale des dirigeants. En effet, comme beaucoup d’autres pays d’Amérique latine, le Pérou s’urbanise sans s’industrialiser. L’urbanisation n’est pas concomitante de l’industrialisation. Les migrants ont rarement trouvé d’emploi dans le secteur moderne de l’économie. Ils représentent une population flottante, car sans emploi, ou vivant d’un travail précaire autonome pour plus de 70% d’entre eux. Cette population ignore presque complètement la réalité des rapports ouvriers-patron; elle est totalement sans patron.Les entreprises publiques péruviennes génèrent un tiers du PIB du pays et emploient 15% de la population active dans une économie où le chômage et les petits boulots représentent 70% de la population active. A la différence du Chili, le prolétariat moderne a un poids relativement faible dans les milieux populaires péruviens. Dans Lima, l’économie informelle est la forme dominante d’activité économique. Les travailleurs sont indépendants, ils s’adonnent à la micro-production de façon sporadique et peuvent changer de travail en seulement quelques jours car ils n’ont ni sécurité de l’emploi ni même de revenus fixes.

Une des idées fortes était donc dès le début de faire de Villa El Salvador une ville productive. Le projet initial réserve pour cela deux zones impor-tantes, l’une dédiée à la production agricole et l’autre à l’installation d’un parc industriel.

Le Parc industriel est le fruit d’un travail d’organisation progressif des petits entrepreneurs disséminés aux quatre coins du bidonville. Mais mal-heureusement, il n’y a que peu de réseaux, ce qui leur crée quelques difficultés. « Le parc industriel se constitue formellement en 1988, avec l’aval du gouvernement péruvien et des Nations unies, ainsi que l’appui de la coopération internationale. La direction du projet est alors assumée par un organisme appelé « Direction autonome du parc industriel » comprenant le maire du district, le secrétaire générale de la CUAVES, et les représentants de l’Association des petits et moyens entrepreneurs (APEMIVES), du gouvernement central, du ministère de l’Industrie et de la corporation financière du développement de l’État. » Denis Sulmont, 1er Juillet 2004, Article mis en ligne par Dial, Gestion participative d’un district populaire urbain: L’expérience de Villa El Salvador.

Le projet va devoir affronter de nombreuses difficultés, notamment parce que le démarrage de la gestion du parc industriel s’est mis en place entre 1990 et 1992, date à laquelle le projet se heurte à de fortes crises en raison des différentes violences politiques au Pérou, notamment avec le Sentier lumineux. Il faut donc affronter de nombreuses difficultés, mais celles-ci renforceront les relations entre la ville de Villa El Salvador, ses concitoyens et les entrepreneurs. Cependant, un réseau de petites entreprises s’est constitué au fur et à mesure autour de sept secteurs productifs principalement: les meubles, le « métal-mécanique », l’habillement, les chaussures, l’artisanat, la fonderie et l’alimentaire.

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Distribution de l’emploiCapital initial travailSource: lesamisdevilla.it; mise en graphique personnelle

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Schéma axonométrique de Villa El SalvadorSource: Diseno urbano modular de VES veint anos después, auteur inconnu

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Plan de Villa El Salvador en 1971Source: Diseno urbano modular de VES veint anos después, auteur inconnu

La proposition de développement intégral de Villa El Salvador est basée sur la commercialisation, l’assistance technique, la production, le finance-ment et la formation entrepreneuriale. Mais c’est seulement à la fin des années 1990 que l’on voit l’émergence de services de soutien technique par le biais du centre de promotion des entreprises, qui est finalement un service de soutien aux entrepreneurs mis en place par la municipalité. Par exemple, le centre de soutien ACONSUR, qui est une institution à but non-lucratif créée à l’initiative de la coopération italienne et du minis-tère de l’industrie du Pérou offre ses services aux micro-entreprises dans le domaine du textile, et plus particulièrement aux groupes de femmes tricoteuses.

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Par la suite on voit s’installer un regroupement de petites unités de production locales entre elles parce que Villa El Salvador incite les artisans de la production locale à s’organiser par champ professionnel. En effet, pour les entreprises débordant le cadre familial est proposée une gestion collective par la mise en commun des achats, des machineries et de la communication.

Après dix ans, sur environ 100 000 habitants actifs à Villa El Salvador, on peut dénombrer 1200 petites et micro-entreprises où travaillent entre 6 et 10 personnes. Près de 50% d’entre elles utilisent l’espace productif comme habitat familial. Ainsi, 37000 postes de travail ont été créés, avec 12000 permanents et environ 25000 emplois saisonniers (Azcueta, 2001 dans une interview à la municipalité).

La recherche de base des dirigeants était donc la construction d’un micro-circuit économique qui ajoute du potentiel au développement de Villa El Salvador. Les entreprises communales sont le moyen pour la construction de ce micro-circuit. D’une part parce qu’elles procurent des sources de travail non négligeables, spécialement auprès des jeunes et des lignes de production stratégiques pour sa fonction de régularisation et ses capacités à dynamiser l’articulation des différentes formes d’entreprises que créent les habitants. Dans la pratique, elles exercent aussi la gestion économique de type communal en permettant l’accumulation d’un bagage d’expérience très important en dépit du contexte économique défavorable de l’économie de marché. D’autre part, ces entreprises permettent, dans la mesure du possible, de proportionner les ressources nécessaires pour le fonctionnement de l’appareil dirigeant communal.

UN DEVELOPPEMENT EN PERTE DE VITESSE, ...MAIS AVEC DE NOMBREUSES RESSOURCES Le Pérou étant entré, à partir de 1973 dans une récession économique importante, le projet de microcircuit économique industriel de Villa El Salvador subit, comme nous avons pu le voir, de nombreuses difficultés. Toutefois, l’organisation de la municipalité dans la création d’une autorité autonome de gestion a permis la mise en place d’une direction conjo-inte du parc industriel de Villa El Salvador. Ainsi, différents membres interviennent. Trois représentants font partie de la communauté, ce sont la municipalité de Villa EL Salvador, et donc par conséquence les différents représentants de la communautés, la CUAVES (Communauté urbaine autogestionnaire de Villa El Salvador) et le centre des associations des petites et micro-industries (APEMIVES). L’État quant à lui intervient par le biais du ministère de l’industrie, du commerce, de l’intérieur, du tourisme et de l’intégration (MICIMI), par la corporation financière du développe-ment (COFIDE) et l’institut national de planification (INP).

Si la crise économique a engendré des complexités, les caractéristiques générales du parc industriel telles que l’absorption de main d’oeuvre, l’utilisation de technologies personnelles, l’utilisation de facteurs de productions nationaux ainsi qu’une grande créativité dans le processus cons-tructif lui ont permis d’exister et de continuer de se développer jusqu’à devenir un des premiers lieux de construction de meubles du Pérou, et un des sites privilégiés du travail du cuir dans l’habillement. Ces réussites sont prometteuses pour une utopie qui devient peu à peu réalité.

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98UNE ZONE D’ELEVAGE ET D’AGRICULTURE DANS LE DESERT Le plan de développement, dans son rêve de base, prévoyait aussi une zone d’élevage et d’agriculture. Nous passerons sur les diffi-cultés encore une fois rencontrées pour cultiver dans le désert, notamment à cause de la sécheresse, mais par de nombreux autres problèmes d’infrastructures. Toutefois, malgré tout cela, Villa El Salvador est l’unique district dans la métropole de Lima qui ne rejette pas ses égouts à la mer. Au contraire, les égouts sont traités grâce à un processus simple, basé sur la sédimentation. Les eaux usées arrosent un bois de 40 hectares et irriguent une zone d’agriculture et d’élevage qui s’étend actuellement sur 60 acres.

La création du district de Villa El Salvador, en 1984 a permit l’annexion de terrains pour la zone agricole. Elle s’est donc accrue de 150 à 650 hec-tares avec l’incorporation de 3 zones distinctes très fortes: le site archéologique de Pachacamac (100 hectares), 193 hectares de plages, et 380 hectares qui n’ont encore pas d’usage, mais qui correspondent au Cerro lomo de Corvina, grande surface protégée actuellement.

Sur ces zones de culture arrosées par l’eau recyclée récupérée du système de drainage, on peut pratiquer l’élevage et la culture, même si elles sont principalement fourragères. Cette zone a plusieurs fonctions: elle génère de l’emploi, protège l’environement et appuie le système alimentaire de Villa El Slavador.

“ Habituellement la ville chasse la campagne; à Villa El Salvador, la campagne est intégrée à la ville.” Louis Favreau, 1992, Une expérience réussie d’organisation communautaire: Villa El Salvador, Pérou. Page 11 du document en ligne.

2432- Une nouvelle forme de participationSTRUCTURE DE L’ORGANISATION COMMUNALE A Villa El Salvador, la loi de voisinage est concrétisée par les groupes résidentiels, c’est ce qui forme la base de l’organisation sociale et spatiale, comme nous l’avons vu auparavant. La contribution de la culture locale est de type communautaire, on dénombre environ 3000 associa-tions (groupes résidentiels et associations sectorielles) qui forment un réseau de voisinage très structuré, avec les attributs de la modernité telles que la collectivité publique, et la création, moins de 15 après les premiers développement, de la municipalité de Villa El Salvador.

« Le système de participation sociale mis en place à Villa El Salvador repose tout d’abord sur l’organisation communale, appelée fami-lièrement vecinal, c’est-à-dire des vecinos (voisins), terme qui exprime un lien de proximité et un sentiment de solidarité. La conception urbanistique vise à favoriser cette urbanisation. »Sulmont Denis, 2004

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99Quel est le rôle des Bidonvilles dans la formation des villes de demain?

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La base de l’organisation communale est le « Comité de pâté de maisons ». Il se compose de 5 dirigeants ou délégués élus annuellement par les voisins et chacun est chargé d’une responsabilité spécifique: santé, éducation, production et services, commerce ou sécurité. Chaque habitant majeur à le droit, et même le devoir de participer à l’élection des dirigeants du groupe résidentiel dont il fait partie.

« (…) au niveau du groupe résidentiel comprend une Junte de direction centrale et des secrétariats dont les fonctions coïncident avec celle des comités de pâtés de maisons. Finalement l’ensemble s’articule autour d’une instance constituée en 1974 sous le nom de « Com-munauté urbaine autogestionnaire de Villa El Salvador » (CUAVES). Cette instance dépend d’une Assemblée générale, et comprend un Conseil exécutif communal et un ensemble de secrétariats et conseils spécialisés. »(Sulmont, 2004)

À l’organisation communale territoriale s’ajoute l’organisation « fonctionnelle » ou « sectorielle ». Celle-ci comprend un large éventail d’associations constitué sur la base de l’appartenance à un secteur d’activité ou un groupe d’intérêt particulier. Parmi elles se trouvent les comités de verre de lait et des cantines populaires, les associations de petits producteurs, les associations de commerçants, les comités de promoteurs de santé.

De plus, cette organisation offre également des « espaces de concertation » où participent les jeunes, les adultes, et d’autres groupes qui sont convoqués autour de thèmes spécifiques pour débattre des possibilités et des projets. Dans un même temps, les leaders du Projet de Villa El Salvador formulèrent un ambitieux plan de développement. Mais une fois encore, les réalités économiques et le climat politique péruvien fixent de nouveaux obstacles et limitent donc l’avancée de ce plan de développement. La multiplication des demandes sociales et la croissante complexité urbaine exigent une plus grande capacité de gestion des autorités communales. Au sein même de la CUAVES, de nombreuses contradictions sont révélées, et l’organisation est quasiment sur le point d’être désintégrée car la conception autogestionnaire initiale se révèle insuffisante et a du mal à faire face à la croissance. On observe donc deux courants de pensée. Tout d’abord, ceux qui considèrent qu’il faut faire persister le modèle originel afin de garder la même organisation, et d’autres, comme notamment Michel Azcueta, qui deviendra 3 fois maire de Villa El Salvador, qui sont « partisans de la constitution d’un gouvernement municipal articulé avec l’organisation communale permettant un mode de gestion participa-tive ». (Sulmont, 2004)

UNE MUNICIPALITE POUR VILLA EL SALVADOR En effet, en 1983-1984, Villa El Salvador se détache de la municipalité de Lima et peut enfin élire son propre maire. La ville est reconnue comme un district et aura donc son propre gouvernement municipal. Cela correspond à la mise en place d’une nouvelle structure politique qui repose sur les lois de la République. L’organisation de la ville va donc être modifiée. La CUAVES et la municipalité décident de se « partager » le pouvoir en coordonnant leurs actions pour la création d’un Plan de développement réactualisé, et s’accordent pour que la loi communale soit la loi municipale (Azcueta, extrait d’un discours en 1984). Même si le fonctionnement est un peu différent, comme avant, dans chaque pâté de maison, les familles doivent élire leur délégué qui participera à l’assemblée du groupe résidentiel. Et l’ensemble formera la CUAVES qui, avec la participa-tion des élus de la municipalité et des fonctionnaires, se partagera les tâches pour que le pouvoir fasse partie de cette « commission mixte ».

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100Mais il faut aussi compte, à Villa El Salvador sur la participation de professionnels capables de diriger les fonctionnaires municipaux et de fournir un appui aux dirigeants dans leurs négociations avec le gouvernement. C’est là qu’interviennent tous les acteurs que nous avons évoqués aupa-ravant, pour faire de Villa El Salvador une ville dynamique toujours en évolution.

« Villa El Salvador représente une forme de modernisation urbaine qui s’est effectuée sans destruction préalable de l’organisation socié-tale d’origine paysanne.» (Favreau, 2008), « Villa El Salvador: économie solidaire, développement local et coproduction de services dans un bidonville »

En effet, on pourrait considérer que la mentalité indienne est un facteur de base de la réussite de ce modèle de développement et de démocratie car la tradition communautaire indienne qui consiste à exécuter des travaux décidés par les responsables politiques en échange d’outils ou de nourriture est perpétuée à Villa El Salvador dans la mise en place des corvées publiques. La propriété d’un lot est jointe au travail en commun.

Toujours est-il que l’exemple de Villa El Salvador confirme qu’à « meilleure organisation peut se mettre en place une meilleure organisation démo-cratique et donc une meilleure participation des concitoyens ». (Azcueta, extrait de la présentation du Workshop 2010 organisé par l’Université Diego Portales de Santiago à Villa El Salvador, traduction personnelle)

Schéma axonométrique de Villa El SalvadorSource: Diseno urbano modular de VES veint anos después, Auteur inconnu

Photographies: centre de santé de quartier et construction de la municipalitéAuteur inconnu, Source: Présentation Power Point de Michel Azcueta, Workshop Villa El Salvador , 2010

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101Quel est le rôle des Bidonvilles dans la formation des villes de demain?

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2433- Des stratégies municipalesNOUVELLE PLANIFICATION DE DEVELOPPEMENT LOCAL La participation de la population dans les processus de planification et de mise en place des projets de développement est primordiale à Villa El Salvador. Si le deuxième Plan Intégral de développement (entre 1983 et 1989) est principalement tourné vers le développement du parc industriel et de la zone de production agricole, le troisième plan intégral de développement (2001-2010) est plus complexe. Il est élaboré à partir de 1999, par la municipalité qui crée ses propres instances de formulation d’un plan à travers un processus systématique de consultation, de débat social et de prises de décisions avec la participation conjointe des différents acteurs, que ce soit la population, les dirigeants, les organisations sociales et même les institutions gouvernementales et non-gouvernementales qui apportent leur aide.

BASES D’UNE CONCERTATION POUR LE DEVELOPPEMENT Cette stratégie est appliquée en deux étapes. La première correspond à la formulation et l’approbation du plan, alors que la deuxième n’est autre que sa mise en oeuvre au quotidien, à travers les différents modes de gestion participative.

ÉTAPE 1Cette première étape est réalisée sur une période d’environ 8 mois, avant novembre 1999 et comprend la réalisation de nombreuses activités. Tout d’abord, un forum « Participation, concertation et développement humain » est mis en place, avec la participation de plus de mille délégués, pour susciter un dialogue et des prises de position autour des thèmes fondamentaux. On y accorde la formation d’un comité technique chargé de mobiliser la population à travers les différents débats proposés. Ces discussions seront organisées dans un deuxième temps par thèmes et par territoires, avec une dynamique de travail soutenue par la municipalité par le biais d’équipes professionnelles. La phase de consultation publique est probablement celle où chacun peut facilement s’exprimer. Elle s’organise par le biais de 2500 jeunes qui vont à domicile pour rencontrer les habitants et interroger toute la population de plus de 16 ans pour permettre l’identification des problèmes ressentis par la population.

ÉTAPE 2Elle correspond à la gestion du plan intégral de développement et commence par la définition des instruments et des procédures pour mettre en oeuvre le Plan Intégral de développement. Dans ce but, le gouvernement municipal convoque un deuxième « conclave de district » chargé de préciser les modalités de gestion participative du PID et en particulier la mise en place du « budget participatif ».

En 2000, le gouvernement municipal de Villa El Salvador décide d’utiliser le budget participatif comme un instrument de décision et de gestion démocratique pour l’usage des ressources assignées du budget municipal en fonction du PID du district. Cette décision s’inspire des expériences développées depuis 1989 à Porto Alegre et d’autres villes en Amérique latine. Elle coïncide avec la préoccupation de renforcer la légitimité démo-cratique et l’efficience de la gestion urbaine, en combinant l’exercice de la démocratie représentative et la démocratie participative. (Utzig, 2000)

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- Nombre de votants: 50 000- Approbation de la vision de développement: 84%“Villa El Salvador est un district de producteurs, leader, organisé et générateur de richesse. C’est une ville moderne et salutaire, d’hommes et de femmes de toutes les générations, qui possèdent des valeurs humaines et ont les mêmes droits d’accès à la formation et la réalisa-tion, et qui participent démocratiquement à la gestion de leur développemement.”Objectifs stratégiques selon l’ordre de priorité défini par la population:- Ville salutaire, propre et verte (63%)- Communauté éducative (41%)- District producteur et générateur de richesses (35%)- Communauté leader et solidaire (25%)- Communauté démocratique (21%)(Chaque électeur choisit 2 objectifs parmi les 5 proposés sur le bulletin de vote)

Le budget participatif de Villa El Salvador n’est que très faible par rapport à la quantité de population qui habite le district. Les projets réalisés ne sont donc que de petites pierres successives que l’on peut porter à l’édifice d’une cité idéale du désert. Toutefois, de nombreux projets sont réali-sés ou en cours de réalisations, comme nous pouvons le voir dans les annexes ci-après. (Présentation du Workshop sur Villa El Salvador*)

Tableau: Consultation citoyenne réalisée à Villa El Salvador (14 novembre 1999)Source: Gestion participative d’un district populaire urbain : L’experience de Villa El SalvadorDenis Sulmont publié le jeudi 1er juillet 2004, mis en ligne par Dial

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3- ANALOGIES ET CORRELATIONS ENTRE VILLES ET BIDONVILLES 10431- L’illégalité et l’organisation du chaos 105 311- L’économie urbaine 106 312- Les politiques foncières 109

32- Interdépendance Ville/ Bidonville 113 321- Planification participative 113 322- Politique et gestion 114

33- L’architecte comme lien entre ville et bidonville? 116 331- Une première ébauche 116 332- Des enjeux métropolitains mais une responsabilité relative 118

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3- ANALOGIES ET CORRÉLATIONS ENTRE VILLES ET BIDONVILLES31- L’illégalité et l’organisation du chaos Dans chacun des cas que nous avons étudiés pour l’instant, les habitants font preuve d’une grande force et d’un courage à toute épreuve pour pouvoir bâtir tant bien que mal leur habitat, et, par la même occasion, s’aménager un territoire dans lequel ils peuvent survivre, et pourquoi pas vivre. Mais on s’aperçoit rapidement qu’il existe de nombreuses typologies de logements, et diverses manières d’habiter dans les bidonvilles ainsi qu’une multitude de modes de vie possibles, bien que tous soient précaires, à différents degrés.Toutefois, nous pouvons constater que dans chacune des situations observées en Amérique du Sud, le bidonville est d’abord considéré comme une « gangrène » par les habitants et les élus de la ville. Il se propage rapidement et n’est toléré que dans la mesure où il n’entre pas directement en relation avec la ville. Un manque de moyens et d’interconnexions avec la « ville d’asphalte » est très présent.

Le cas de la Turquie, et plus particulièrement celui d’un ancien Gecekondu de Bursa installé à la rupture de pente, sur la montagne Uludag nous permettra de montrer que, bien plus que son informalité, c’est sa situation géographique qui limite l’intégration du bidonville à la ville. Pour cela, nous reprendrons les différents cas pour tenter de montrer comment une intégration complète ou partielle des bidonvilles serait possible dans la ville d’asphalte, et quels sont les moyens projetés pour l’avenir de ces villes, en prenant néanmoins en compte les différentes mutations. Ceci sera mis en place tout en développant en parallèle une analyse sur la question des acteurs à faire intervenir dans un processus de projet. Cela afin de comprendre comment on peut mettre en place concrètement une continuité et une nécessité commune d’une ville avec ses espaces en marge, autrement dit avec les bidonvilles, dans un sens élargi du terme. Plus simplement, nous tenterons de montrer comment il est possible d’inverser le regard commun sur les bidonvilles, c’est-à-dire un regard d’exclusion, en expliquant, par l’expérience de la mise en projet, la place de l’architecte dans cette évolution.

D’après Patrick Mc Auslan, dans son ouvrage Les mal logés du Tiers-monde (1986, Éditions l’Harmattan, Earthscan p. 142), « La stratégie des besoins humains fondamentaux est une démarche aussi bien qu’un ensemble de mesures. Mais cette stratégie appelle des change-ments dans cinq domaines clés: participation à la planification, emploi, gestion, finances et réformes législatives. ».

Par l’analyse de l’économie informelle, des différentes politiques foncières, ainsi que des politiques de planification et de gestion admi-nistrative de la ville, nous allons tenter de montrer la dépendance inévitable entre la ville et les bidonvilles ainsi que le rôle à jouer de chacun des acteurs dans ces « inter-relations ».

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311- L’économie urbaineNous avons pour l’instant principalement détaillé les analyses selon la formation et les différentes typologies d’habitat. Afin de bien pouvoir définir dans quelles mesures les bidonvilles ont un rôle à jouer dans les villes de demain, ainsi que savoir comment il est possible de « régénérer » ces milieux pour une meilleure intégration dans l’espace urbain, nous allons premièrement évoquer « l’illégalité », d’une manière générale. Si l’on se permet d’utiliser ici le terme d’illégalité, c’est d’une manière globale, tout en sachant bien que ce terme implique de nombreux critères et soulève donc plusieurs problèmes. Dans le cas des « quartiers informels », ou, autrement dit, ce que l’on avait déjà considéré comme « bidonvilles », si l’on avait définit l’illégalité de l’habitat comme, ce qui n’avait pas reçu de titre de propriété, que ce soit du sol ou de l’habitat, et qui avait finalement été créé en marge de la ville, alors il en est de même pour l’économie informelle, qui s’installe et s’exerce en parallèle de l’économie traditionnelle.

« Il existe dans l’économie urbaine deux circuits étroitement liés. Le premier comprend les secteurs modernes de l’industrie et du commer-ce: banques, commerce d’exportation, hommes de loi, agents comptables. Le second comprend des formes de production non détermi-nées par le facteur capital, ainsi que les services non modernes qui comprennent « l’économie informelle », caractéristique de nombreuses villes du Tiers-Monde: colporteurs, commerçants indépendants et toutes sortes d’opérations plus ou moins licites. »Patrick Mc Auslan, 1986*, p.137

“Il y a un clivage énorme qui se crée entre les différents modes de vie et les perspectives de chacun dans la ville. Les pauvres n’ont aucun droit, et pour pouvoir survivre, ils doivent mettre en place de nombreuses techniques. Car, « dans tous les pays, qu’ils aient une économie à planification centralisée ou une économie de marché, qu’ils soient riches ou pauvres, développés ou en développement, les habitants pauvres subissent d’une façon démesurée les effets de la crise mondiale. » (Patrick Mc Auslan, 1986*, p.140)

3111- La survie, au prix d’un monde parallèle:Pour pallier à cette crise, et le phénomène s’étend souvent à une population bien plus large que les habitants des bidonvilles, les nouveaux pau-vres urbains ont mis en place de nombreuses stratégies de survie. L’anthropologue Keith Hart évoque pour la première fois en 1973 le concept de « secteur informel » de l’économie. C’est ce que nous considérons aujourd’hui comme l’économie parallèle. Malgré son illégalité, c’est celle qui a la croissance la plus importante ces dernières années dans les pays en voie de développement. On considère que plus d’un milliard de per-sonnes feraient maintenant partie de cette « classe ouvrière informelle » dans le monde. C’est maintenant le mode de subsistance majoritaire de l’ensemble des pays en voie de développement; on commence à sentir sa réapparition dans les pays développés, à cause de la crise économique mondiale que nous subissons chaque jour plus fortement.

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Mike Davis, dans son ouvrage “Le pire des mondes possibles, De l’explosion urbaine au bidonville global” (Éditions La Découverte, Paris, 2007, pages 182 à 191), nous donne de nombreux exemples de pays en phase d’industrialisation très rapide, comme la Chine actuellement, qui ne sont pas non plus capables de fournir du travail à tous les urbains. Il y a eu en Chine, comme ailleurs et notamment dans les autres pays du Tiers monde, une prolifération des activités informelles rudimentaires qui permettent aux urbains pauvres de se faire une place dans la ville.Une partie de ce prolétariat informel sert à l’évidence de main-d’oeuvre fantôme pour l’économie formelle, et de nombreuses études ont montré la profondeur à laquelle les réseaux de sous- traitants de différentes méga-compagnies étendent leurs ramifications dans les bidonvilles.

« Les tréfonds du secteur informel sont sans doute davantage reliés au monde de plus en plus dérégulé du secteur formel dans un conti-nuum que séparés par une faille abrupte. »Mike Davis, 2006*, p183.

Mais quoi qu’il en soit, au bout du compte, le résultat est toujours identique car on revient à la même exclusion. De fait, en majorité les travailleurs pauvres habitant dans les bidonvilles sont véritablement et radicalement « sans domicile » dans l’économie mondiale contemporaine. Si beaucoup avaient émigré vers la ville dans l’objectif de trouver un travail et ainsi se servir de « l’ascenseur social ascendant que doit représenter l’emploi, on ne trouve en réalité qu’une quasi totalité de cas nous prouvant l’existence d’un escalator interminable, et qui ne fait que descendre ». La crise est telle que la mise en relation des deux économies se fait plutôt parce que les travailleurs licenciés du secteur formel, ainsi que tous les employés « remerciés » de la fonction publique, tentent de trouver des solutions dans l’économie parallèle, informelle.

3112- Explosion du chômage et emploi déguisé Très simplement, nous pourrions donc considérer que la croissance de l’informalité est en réalité une explosion du chômage actif et que les travailleurs obtiennent donc un « emploi déguisé » ou un « sous-emploi ». Toutefois un grand nombre de chercheurs se contredisent à ce sujet, dans des « débats d’idées » véhiculant de très fortes oppositions. Ci-après, un extrait de Mike Davis* (p.183), qui ne ménage pas ses propos quand il critique la thèse de De Soto que l’on pourrait finalement considérer comme son « bouc-émissaire »:

« Hernando De Soto est bien sûr mondialement célèbre pour sa thèse selon laquelle cette énorme population de travailleurs marginalisés et d’anciens paysans serait une ruche hyperactive de protocapitalistes avides de droits de propriété formels et d’un espace de compétition dérégulée: « Marx serait probablement choqué de constater combien, dans les pays en voie de développement, une grande partie de cette masse bourdonnante n’est pas faite de prolétaires légaux opprimés mais de petits entrepreneurs extralégaux opprimés. » Le modèle de développement par génération spontanée à la De Soto est particulièrement populaire, (…), du fait de la simplicité de sa recette: éliminez l’État (et les syndicats du secteur formel) du tableau, ajoutez une dose de microcrédits pour les microentrepreneurs et de titres de propriété légaux pour les squatteurs, puis laissez les marchés suivre leurs cours et accomplir leur oeuvre de transsubstantiation de la pauvreté en capital. »

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108Si Mike Davis est aussi virulent dans ses propos c’est parce qu’il considère que la théorie d’Hernando De Soto, comme ses concitoyens qui mettent en avant seulement les qualités des bidonvilles et qui en dégagent un optimisme aveugle selon lequel tout pourrait être résolu avec les bonnes politiques, est finalement une manière de se leurrer. Redéfinir les bidonvilles comme des « systèmes stratégiques de management urbain pour faibles revenus » est une vue de l’esprit qui ne prend pas en compte les réalités de la situation. (Michael Mutter, du Département britannique pour le développement international, cité dans Environment and Urbanization, avril 2003, p.12)

3113- Une exploitation détournée De nombreux anthropologues mettent l’accent sur la grande nécessité de faire la distinction entre la « micro-accumulation » et la « sous-subsistance » que l’on peut repérer dans les milieux informels. Comme nous l’avons détaillé dans le cas du Bario Barcelo, dans la favela de La Rocinha, le secteur informel peut généralement se diviser en au moins deux catégories. D’un côté, le secteur intermédiaire qui est finale-ment constitué, comme à Villa El Salvador, de nombreux entrepreneurs dynamiques. De l’autre, il s’agit d’un énorme réservoir de main-d’oeuvre résiduelle qui est la plupart du temps sous employée. Rappelons tout de même que les micro-entrepreneurs sont souvent des employés du secteur public qui ont été congédiés, ou même des travailleurs qualifiés, voire très qualifiés, qui ont été licenciés pour cause de crise économique. Beaucoup tentent donc une dernière chance dans le secteur informel. Mais il faut aussi prendre en compte que si l’absence de lois et de réglementation permet à chacun de « s’essayer » à un emploi dans l’économie parallèle, les employés, rémunérés ou non, ne sont que très peu autonomes. La majorité travaille directement ou indirectement pour le compte d’un tiers. « En général, le petit commerce informel est le dernier recours des citadins les plus vulnérables sur le plan économique » (William Kombe, cité dans Mike Davis). C’est pourquoi l’exploitation est finalement le fondement du secteur informel, qui ne fait qu’accentuer la marginalisation de ces travailleurs.

« Le secteur informel se caractérise non seulement par une exploitation flagrante de la main-d’oeuvre, mais aussi par une technologie rudimentaire, de faibles investissements en capital et le recours excessif à la production manuelle. Par ailleurs, ce domaine se distingue par des profits élevés et une énorme accumulation de capital, ce qui s’explique en partie parce que les activités informelles ne sont (…) pas comptabilisées et encore moins imposées. Une illustration éloquente de ce système: le propriétaire nanti d’une petite entreprise de recyclage de chiffons, bien vêtu, trône sur sa moto rutilante au milieu de monceaux d’ordures que de pauvres chiffonniers trient pénible-ment pour son plus grand profit. Voilà, certes, comment l’on passe du caniveau à la fortune! »Jan Breman et Arvind Das, Down and Out: Labouring Under Global Capitalism, New Delhi, 2000, P.56

La question de l’emploi des travailleurs pauvres, et dans notre cas, des travailleurs des bidonvilles, est fondamentale dans la gestion de la croissance de ces milieux habités. Pour s’en sortir, ou du moins pour trouver un moyen de subsistance, chacun doit, comme nous l’avons vu auparavant, se rapprocher de son lieu de travail. Ceci, parce que les transports sont souvent rares et relativement inaccessibles d’un point de vue financier pour les populations des bidonvilles. Si La Rocinha est donc idéalement située à côté des chantiers de construction de la zone sud de Rio de Janeiro, ce n’est pas le cas de Villa El Salvador, qui a dû mettre en place elle-même sa source de revenus.

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De la même façon que les programmes de logements sociaux ne sont souvent pas une bonne réponse aux besoins des catégories les plus défa-vorisées, les grandes industries elles non plus ne favorisent finalement pas le travail des populations les plus pauvres.Dans le cas de Bursa, comme dans tous les autres cas explicités précédemment, on assiste à une migration massive, des campagnes vers la ville, d’une population appauvrie, pour y trouver un emploi et donc un moyen de subsistance plus important afin d’améliorer les conditions de vie de la famille toute entière. Ce sont donc des personnes bien vulnérables qui s’installent en périphérie de la ville, sur des terrains inoccupés.

312- Les politiques foncières Les analyses précédentes nous ont montré que les pauvres n’ont souvent aucun autre moyen de survivre que de « squatter » un terrain, ou un espace pour y construire un abri. Dans un même temps, ils partent tous à la recherche d’un travail, dans des situations souvent précaires et de sur-exploitation. Chacun peut donc à tout moment passer « en marge du système » et faire partie de cette nouvelle ville, accolée à la ville pour vivre une vie d’illégalité et finalement quasi non-officielle.

3121- Une appropriation coûteuse Toutefois, dans notre souci d’intégration et de relation entre ville et bidonville, la question de la terre urbaine est à soulever, non pas seule-ment de son point de vue légal ou illégal, mais bien comme la mise en place d’un « marché » de la pauvreté et de l’extension de l’urbanisation dite « pirate ». C’est face à une incapacité des états à répondre à la crise du logement que les habitants eux-mêmes s’organisent des logements. Car il ne faut pas oublier que dans les pays du Tiers-monde, le marché du logement standard ne permet que rarement de satisfaire plus de 20% de la nouvelle demande, de sorte que les gens sont obligés de se loger dans des baraques de fortune, des locations non-officielles, des sous loca-tions pirates, ou se retrouvent à la rue. Les marchés fonciers illégaux ou informels ont fourni la plupart des apports en logements et en nouvelles constructions dont les villes ont eu besoin ces dernières années. Par exemple, le déficit annuel estimé en logements légaux de Bombay (45000) génère un accroissement correspondant du nombre de logements informels dans les bidonvilles.

Mais il est tout de même important de rappeler que vivre dans la rue n’est que rarement gratuit, comme nous avons pu le voir dans l’exemple de La Rocinha. Même les pauvres qui vivent sur les trottoirs doivent parfois payer des « taxes » aux policiers ou aux syndicats pour avoir la possibilité de rester. C’est la même chose dans de nombreux cas de squat. Si cette solution a souvent été présentée comme le « secret magique de l’urbanisme du tiers monde », car le fait de prendre possession d’un terrain ou d’un abri sans achat ni titre a souvent été considéré comme une « immense subvention non planifiée accordée aux pauvres », le fait de squatter est rarement dénué de coûts directs.

« Les squatters se voient souvent forcés de payer des backchichs considérables aux hommes politiques, aux gangsters ou à la police pour avoir accès aux sites, et doivent parfois continuer à payer ce genre de « loyers » informels en argent et/ou en voix pendant des années. »Mike Davis, 1996

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110Les populations les plus pauvres sont les plus vulnérables, et s’installent soit illégalement sur des terrains, comme un squat, soit en achetant à prix fort des terrains, même désertiques, mais qui ont une valeure importante dans le cadre d’un marché foncier invisible.

« (…) ces subdivisions d’implantations pirates n’étaient pas le résultat d’invasions territoriales: les terres ont en fait changé de propriétaires à l’issue de transactions légales. C’est en général la subdivision elle-même qui est illégale. Mais ces implantations doivent être vues com-me para-légales plutôt que comme illégales. Exclues du marché du logement formel, des familles aux revenus faibles à moyens achètent des parcelles à des entrepreneurs qui acquièrent des étendues de terres non viabilisées et les subdivisent sans se conformer ni aux lois de zonage, ni aux règlements de subdivision, ni aux normes de fourniture de services. Les parcelles vendues n’offrent en général que le strict minimum en matière de services, et rarement plus que quelques rues et quelques points d’eau. Dans le processus classique, cette infrastructure rudimentaire est ensuite améliorée par apports successifs après que la première implantation a eu lieu. »Mike Davis, 2006

De plus, il est important de rappeler que les taudis surpeuplés et mal entretenus, ou les abris de fortune dans les bidonvilles ou favelas, sont souvent plus rentables au mètre carré que les autres types d’investissements immobiliers. Au Brésil, où une grande partie de la classe moyenne loue des logements aux pauvres, le simple fait de posséder quelques taudis permet à de nombreux employés et cadres moyens de se hisser dans une catégorie supérieure de la population, celle qui peut se payer la grande vie. Des chercheurs d’ONU-Habitat ont été surpris de découvrir que « les loyers dans les cortiços sont environ 90% plus chers que sur le marché légal ».

Un autre exemple est très frappant, à Quito, de riches propriétaires terriens vendent des parcelles de terrain sur des versants de collines ou dans des ravins. En général, ces terrains sont à une altitude supérieure à la cote des 2850 mètres. C’est ce niveau qui marque la frontière de la ville et la limite au-dessus de laquelle les services municipaux ne peuvent plus pomper, et donc fournir d’eau courante. La vente de ces terrains se fait en général par le biais d’intermédiaires, ceux que l’on a appelé les urbanistes pirates, à des immigrants dans le besoin. Ceux-ci forment les populations qui devront par la suite lutter auprès des municipalités pour obtenir des services, et donc un droit au logement. Umberto Molina, un économiste spécialiste des problèmes fonciers, décrit dans une analyse du « marché du logement sauvage » que les « spé-culateurs développent la périphérie urbaine à des prix monopolistiques et pour des profits énormes ». Loger les pauvres est donc un des meilleurs moyens de faire de l’argent et d’avoir un retour rapide sur investissement, même s’il s’agit de l’exploitation de la misère et des conditions de survie de dizaines de milliers d’habitants.

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111Quel est le rôle des Bidonvilles dans la formation des villes de demain?

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3122- Un droit du sol à pérenniser La question de la propriété foncière pour les pauvres est un thème important car, bien plus que des titres de propriété, il s’agit de la sécu-rité de la jouissance de leurs logements pour les habitants clandestins. Nous avons pu voir, dans tous les exemples présentés, que les habitants sont finalement des « architectes aux pieds nus » qui possèdent la science de l’aménagement de l’espace. Ils savent construire des milieux et reproduire les techniques de construction qu’ils ont apprises dans leurs campagnes, ainsi que dans les différents chantiers sur lesquels ils tra-vaillent. Nous avons pu voir dans le cas de La Rocinha que les premiers abris sont souvent construits « de bric et de broc », avec les moyens du bord et des matériaux de récupération, mais toujours avec une maîtrise des techniques de construction assez remarquable. C’est ce que je me permettrais d’appeler ultérieurement, dans notre dernier exemple « l’art ou culture du bricolage ». Bien qu’avec de très faibles moyens, ils mettent donc en place petit à petit des logements, et le temps permet à chaque fois d’investir un peu plus pour faire évoluer l’habitat et le consolider, voire le pérenniser.

Toutefois, l’insécurité constante des expulsions et des différentes politiques d’éradication des bidonvilles mises en place par le gouvernement ne permettent pas aux habitants de tout mettre en oeuvre pour vivre dans des conditions plus décentes. En effet, les différente analyses nous montrent que certains habitants préfèrent largement acheter de nouveaux meubles, ou une nouvelle télévision avec l’accès à toutes les chaînes du câble, que de faire équiper leur logement, comme par exemple avec l’installation de l’eau courante. Mais cela n’est pas dû à l’impossibilité d’installer les réseaux, tels que pour faire évacuer les eaux usées, mais bien à l’insécurité du sol. Si l’on retourne le problème du point de vue des pauvres, pourquoi risquer de perdre son toit, que l’on a mis tant de temps à construire, alors qu’il est tout simplement plus simple d’embarquer les meubles et les choses de valeur lorsqu’on a un avis d’expulsion?

Comme John Turner ou Hernando De Soto le soulignent, les villes du tiers monde ne souffrent pas tant de la pauvreté, que d’un manque de moyens qui ne permet pas à tous les habitants de mettre en place et d’auto-construire leur habitat.

Hernando de Soto prétend qu’en agitant la baguette magique de l’octroi de titres de propriété officiels sur les terrains occupés, son Institut Liberté et Démocratie pourrait faire émerger de vastes réserves de capitaux des bidonvilles eux-mêmes. Les pauvres sont en fait riches, mais ils n’ont pas la capacité d’accéder à leur richesse (en terrains et biens immobiliers dans le secteur informel) ou de la transformer en liquidités parce qu’ils ne sont détenteurs d’aucun droit ou acte de propriété légal. Selon lui, le seul fait d’officialiser ces droits créerait instantanément une énorme masse de capital foncier, pour un coût très faible, voire nul, pour les gouvernements.

L’étude de nos différents cas nous a montré que si les habitants des bidonvilles ont effectivement de grandes qualités d’organisation et de planification participative qui leur permettent de mettre en place une solidarité forte, le problème n’est pas juste celui de la propriété foncière. C’est aussi ce que nous avons pu constater dans le dernier cas, Bursa, et plus particulièrement le quartier de Maksem.

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112D’après Geoffrey Paune, expert en propriété foncière, la régularisation des titres de propriété est une « arme à double tranchant ». Car, « pour les propriétaires, elle représente l’admission officielle dans le giron de la cité légale, et offre la possibilité de réaliser des avoirs spectaculairement valorisés ». Ceux qui sont trop pauvres pour payer les taxes supplémentaires que la régularisation implique d’ordinaire, ou plus simplement les locataires, risquent de se voir irrémédiablement exclus de la course au logement. D’une certaine manière, la régularisation et l’apport de titres de propriété aux plus démunis accélèreraient le processus de différenciation sociale au sein du bidonville et ne feraient rien pour aider les locataires. Ils représentent dans les faits la majorité de la population pauvre de la plupart des villes, et sont finalement les plus démunis. La régularisation à outrance serait donc accompagnée d’un risque de « création d’une vaste sous-clas-se privée d’accès à toute forme de logement abordable ou acceptable. » (Geoffrey Payne, rapport inédit de 1989, cité dans Mike Davis, 2006*)

Bien plus que le titre de propriété, il s’agit en fait de la sécurité de pouvoir rester sur le territoire choisi et de ne pas s’en faire expulser qui est primordiale. Comme le souligne très poétiquement Alphonse Karr (citation lue sur le forum aroots.org, février 2012):

« Quelle étrange chose que la propriété, dont les hommes sont si envieux! Quand je n’avais rien à moi, j’avais les forêts et les prairies, la mer et le ciel; depuis que j’ai acheté cette maison et ce jardin, je n’ai plus que cette maison et ce jardin. »

Certes il est bien plus facile de pouvoir envisager des « négociations » et des stratégies pour convaincre les municipalités et les différents élus quand on est propriétaire terrien, toutefois, ce n’est réellement pas la seule approche possible pour l’intégration des bidonvillois à la ville.Comme nous avons pu le voir auparavant, le logement des pauvres bénéficie très largement à l’élite des propriétaires terriens, qui utilisent la misère humaine à des fins personnelles d’investissement. L’humain et sa survie sont donc capitalisés. Dans le cadre de l’intégration des bidon-villes et de la régularisation, il faut donc faire attention à bien ménager les plus faibles avec un minimum d’intervention, car même le squattage, l’invasion, et la formation des bidonvilles peuvent parfois être considérés comme une stratégie clandestine dans la manipulation du marché foncier. Les bidonvillois seraient d’une certaine manière comme des pionniers urbains.

« Les propriétaires terriens et les entrepreneurs privés ont très souvent instrumentalisé les squatteurs pour faire entrer de force certains terrains dans le marché de l’immobilier, en obtenant des autorités qu’elles y fassent installer quelques infrastructures de base pour les squatteurs, ce qui fait monter la valeur et ouvre la voie à de profitables opérations de construction. Dans un second temps, on expulse les squatteurs des terrains qu’ils occupaient, les forçant ainsi à tout recommencer ailleurs, à la périphérie d’une ville qui s’est étendue grâce à leurs efforts. »Manuel Castells, The City and the Grassroots: A Cross-Cultural Theory of Urban Social Mouvments, New York, 1983, p191.

L’ensemble de ces exemples nous montre qu’il y a une relation d’un tout autre ordre entre ville et bidonville, comme une interdépendance qui s’est créée par la planification et le système de gestion des municipalités.

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113Quel est le rôle des Bidonvilles dans la formation des villes de demain?

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32- Interdépendances Ville/ Bidonville 321-Planificationparticipative Avant de pouvoir parler de ville, et donc de politique de planification participative, on a pu voir que les nouveaux arrivants des bidonvilles s’installent toujours dans le respect de certaines règles établies en commun au départ. Que ce soit à La Rocinha, où les anciens ont établi les règles et répartissent en concertation les nouveaux terrains. Que ce soit à Penalolen où tous ont un « cahier des charges » et des actions à suivre et respecter sous peine d’être exclus de la toma. Ou que ce soit à Villa El Salvador, où la planification est mise en place de manière très poussée, dans tous les cas, les bidonvillois mettent en place un réseau de solidarité. Mais il ne s’agit tout de même pas de planification participative telle qu’on l’entend dans le langage courant : c’est-à-dire, si l’on peut donner une « définition partielle », comme se fait la discussion des plans et des propositions d’aménagement, lorsque ceux-ci sont encore au stade d’ébauches, dans l’espoir d’influencer les décisions et les actions officielles. Les bidonvillois n’ont au départ aucun « droit » à discuter l’organisation et l’aménagement; ils mettent en place une planification illégale, et non-officielle, et on n’en est pas encore, dans la majorité des cas, à impliquer les hommes politiques locaux et les conseillers municipaux dans la planification.

La conférence des Nations Unies (en 1996) sur la participation populaire à la planification au niveau local (dans le cas du logement dans les pays du Tiers-monde) nous montre la nécessité de sa mise en place commune:

« Premièrement, la participation doit avoir lieu à tous les stades du processus décisionnel. Deuxièmement, cette participation a pour ob-jectif d’améliorer les conditions économiques et sociales des participants. Troisièmement, étant donné que dans la plupart des pays, sinon dans tous, quelques-unes prennent une part trop grande dans le processus décisionnel, il faudrait que ceux qui en ont été jusqu’ici exclus, participent davantage. Quatrièmement, pour accroître et faciliter cette participation, les exclus n’ont rarement d’autres moyens que de s’organiser par eux-mêmes. La mobilisation, dans le sens d’un engagement politique spontané, est un facteur important de la participation. La participation exige que les planificateurs soient convaincus de la nécessité de changer la répartition des pouvoirs et des ressources et qu’ils s’y engagent fermement. » Par l’analyse de l’économie informelle, des différentes politiques foncières, ainsi que des politiques de planification et de gestion administrative de la ville, nous allons tenter de montrer la dépendance inévitable entre la ville et les bidonvilles ainsi que le rôle à jouer de chacun des acteurs dans ces « inter-relations ».

Cette définition envisage la participation sous son aspect politique, c’est-à-dire faisant partie d’un processus par lequel les défavorisés acquièrent davantage de pouvoir. C’est pourquoi les autorités se méfient de la participation, et, mettent bien souvent des « obstacles » à celle-ci afin de pouvoir continuer à « contrôler » les marginaux. La participation par l’action, comme nous l’avons étudiée à Villa El Salvador, est beaucoup plus importante. Il s’agit de mobiliser l’énergie créatrice de la majorité des citadins afin qu’ils aménagent eux-mêmes leurs maisons, et si possible, à l’endroit qu’ils auront choisi ensemble. Mais afin de mettre en avant ces « qualités », il faudrait mettre l’accent sur:

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114° Une administration communautaire opérant du bas vers le haut, et non l’inverse, comme nous l’avons vu dans le cas de l’économie informelle.° Des enquêtes plus poussées, comme celles mises en place à Villa El Salvador, pour connaître les nécessités des habitants et notamment sur le type d’équipements que la population souhaite, et le lieu où les implanter.° L’affectation de fonds pour les dépenses engagées par la communauté. En effet, les différents exemples de programmes participatifs au sein même des bidonvilles a souvent montré un souci de gestion des moyens et un gaspillage bien moindre s’il est géré par la communauté. Par contre, les moyens sont souvent plus irrégulièrement répartis s’ils sont mis en place par des politiques extérieures qui ne sont que peu préoccupées par la vie des habitants° L’aide à la création d’institutions communautaires qui permettent à la communauté de s’autogérer.

La planification participative est exercée à une très petite échelle, et doit continuellement être basée sur les besoins des habitants. Cela induit donc une implication maximale par le biais d’associations, ou d’une vie de quartier importante. Sans cela, l’aménagement devient le fait de la ville, de la municipalité et de l’État, et donc d’une politique lourde, mais sans prise en compte de l’individu. La majorité des individus saisit mieux les plans à petite échelle, celle de leur habitat et de leur voisinage. Les règlements, qui doivent être conçus par les autorités politiques de la ville pour ne pas garder un aspect informel et illégal, doivent donc se soucier de la salubrité et de la sécurité d’une part, c’est pourquoi ils doivent être démontrés et explicités par des experts. D’autre part ils doivent se pencher sur une échelle pour l’instant rarement prise en compte.

322- Politique et gestion La question du « politique » est primordiale. Comme nous l’avons vu à Villa El Salvador, une meilleure gestion urbaine est une des conditions de survie d’une planification autogérée. Non parce que les habitants ne sont pas capables de mettre en place ensemble les bases de leur futur logement, mais parce que chaque groupe humain doit comporter une hiérarchie et des règles pour exister. C’est d’ailleurs ce que nous avons repéré dans chacun des exemples. Si les autorités publiques n’interviennent que peu dans ces situations, à l’échelle de la communauté, s’est mis en place un autre « gouvernement », avec un système de démocratie pour élire ses représentants. On pourrait donc aisément considérer que les bidonvilles sont eux aussi constitués selon l’organisation traditionnelle de la ville, mais avec des moyens beaucoup plus faibles et un autre système de mesure.

Le cas de Lima, avec les différents documents fournis par Michel Azcueta, trois fois maire de Villa El Salvador, nous a montré en quoi la situation a pu se pérenniser avec son « officialisation » d’un point de vue politique. Devenir une municipalité n’a pas seulement permis sa reconnaissance auprès de la ville, mais a aussi mis en place un système de planification plus prospectif et à plus grande échelle. Auparavant, les habitants géraient les problèmes au jour le jour, pour la construction d’un parc ou d’un espace de commerce. Aujourd’hui, la municipalité, et son adaptation aux règlements déjà établis des documents d’urbanisme, a permis la création d’objectifs d’abord à l’horizon 2010, puis 2025 actuellement. Le bidonville est donc maintenant une ville à part entière.

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On a pu s’apercevoir que c’est maintenant un district de Lima qui bien que très pauvre, a mis en place différents systèmes assurant sa croissance économique et l’amélioration successive de ses équipements et ses conditions de vie pour ses habitants.

L’objectif de Villa El Salvador de devenir: « UN DISTRICT PRODUCTIF, UNE COMMUNAUTE SOLIDAIRE ET UNE VILLE SAINE » est donc en partie possible par la mise en place de sa municipalité et de son système toujours efficient de concertation auprès de la population.

La présence du politique est irrémédiable dans la ville, car tout groupement de population, pour devenir une communauté, nécessite la mise en place de règles et d’une hiérarchie. Les bidonvilles la génèrent, par le biais de la culture et de la solidarité dans chacun de leurs espaces de vie. Ce qui peut donc paraître aux yeux des médias comme des gouffres d’insalubrité ou des ruches de violence ne sont finalement ni le résultat d’une trop grande précarité, ni d’une délinquance irrémédiable liée à une « culture de la pauvreté » si chère à Lewis (dans son Anthropologie de la pauvreté), mais bien le résultat d’une grande promiscuité et d’une sur-densification de l’habitat.

En effet, nous pouvons voir exactement les mêmes phénomènes dans des logements sociaux légaux, fournis par le gouvernement. Les problèmes sociaux dans les bidonvilles ne sont donc pas solvables avec seulement la régularisation des titres de propriétés, mais bien par la mise en place d’un système très complexe de planification urbaine à l’échelle du quartier, et de la concertation communautaire entre les habitants. Pour cela, il sera nécessaire à chaque municipalité de prendre en compte ces habitants, non plus comme des immigrés rejetables, mais bien en les considé-rant humainement comme son prochain et une force de travail et d’ingéniosité dont la ville a eu besoin, et pourrait avoir besoin encore pour se reconstruire et évoluer.

Toutefois, il est très important de rappeler que la mise en place d’un ordre nouveau dans l’informel peut être destructeur car la planification peut aussi désordonner ce qui est illégalement établi. Il faut donc gérer les situations au cas par cas pour pouvoir mettre en place des réponses appro-priées. Car, malheureusement, si l’on n’est pas vigilant, on en obtient à l’inverse de l’objectif fixé.

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33- L’architecte comme lien entre ville et bidonville?

C’est en effet là que l’on peut penser que les architectes, ou en tout cas « ceux qui font la ville », ont un rôle à jouer. Nous tenterons maintenant de montrer lequel, et dans quelles mesures les décisions ont un impact important pour chacun. Pour cela, nous allons expliquer la situation à Bursa, la 4ème plus grande ville de Turquie. Si le cas de la « fabrique » illégale d’habitat dans les villes turques est très différent de celle analysée dans les grandes métropoles d’Amérique latine, il est quand même possible de déceler de nom-breux points communs. En effet, bien plus que la quantité, la provenance ou la raison du mouvement des migrants, c’est dans leur regroupe-ment en marge de la ville que les ressemblances se trouvent.Sans aborder la situation de Bursa d’un point de vue théorique comme nous avons pu le faire sur les territoires précédents, il est tout de même important de revenir sur quelques points historiques. Par exemple, il faut établir une définition, bien que partielle, du terme Gecekondu. Ce terme est souvent considéré comme la « traduction » turque de bidonville. 331- Une première ébauche 3311-UnepremièredéfinitiondesGecekondus Tout d’abord, et pour tenter de simplifier, sans toutefois banaliser le phénomène, on peut dire que si le Gecekondu constitue le type le plus commun et emblématique de construction illégale en Turquie, «son illégalité a d’abord trait au statut du sol investi ».

« A cet égard, l’ancienne définition de Gençay (Gençay 1962 : 5) nous est utile, car elle privilégie justement le critère de l’illégalité de l’occupation : « Hébergement construit rapidement sur un lieu n’appartenant pas à celui qui construit, en violation des règlements sur la construction, sans aucun souci des normes hygiéniques et techniques ». De la même façon, la définition proposée en 1953 par Fehmi Yavuz constitue un utile point de départ : « Les gecekondus sont des bâtiments édifiés précipitamment, la plupart du temps dépourvus des conditions de confort les plus élémentaires, et qui contreviennent aux lois sur la construction, sans tenir compte des droits du propriétaire du terrain où ils s’installent ». Dans cette perspective, l’illégalité est même double : elle porte à la fois sur le sol (approprié) et sur le mode de construction. Cette première définition fait abstraction de la forme de la construction. »

Dans cette optique, le gecekondu est une forme d’auto-construction illégale (sans autorisation), sur des terrains au départ non possédés par les constructeurs. En conséquence, ce qui définirait le gecekondu, c’est une configuration initiale, invariable : une opération d’auto-construction illégale, sur des terrains non possédés par les constructeurs. Le terme de gecekondu serait apparu dans la presse stambouliote le 5 juin 1947, avant d’être repris rapidement par les députés lors du vote du budget pour l’année 1948. « La loi de juin 1948 (loi n° 5218) constitue un des textes fondateurs de la posture des pouvoirs publics vis-à-vis du phénomène des gecekondus.L’intitulé complet de cette loi est: « Loi conférant à la municipalité d’Ankara l’autorisation d’allouer ou de céder – dans des conditions détermi-nées et sans être tenu par les termes de la loi 2490 – une partie définie du terrain et du sol, à ceux qui (y) auront construit leur logement »Soit, en turc : « Ankara belediyesine, arsa ve arazisinden belli bir kısmını mesken yapacaklara 2490 sayılı kanun hükmüne bağlı olmaksızın ve muayyen şartlar tahsis ve temlik yetkisi verilmesi hakkında kanunu »; cf T.B.M.M. Tutanakları, 11/06/1948, pp. 162-184.

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Très longuement discutée, cette loi exprime pour la première fois le souci de « légaliser » un habitat spontané dont on admet qu’il ne peut raison-nablement, c’est-à-dire sans graves conséquences sociales et politiques, être détruit. La loi est donc adoptée, pour la situation d’Ankara, comme un « remède miracle » à l’extension de la « gangrène » qu’est l’habitat illégal défini sous le terme de gecekondu.

« Son objectif premier est de permettre aux « revenus limités » (dar ve mahdut gelirli) de sortir de la précarité et de l’illégalité dans les-quelles ils se trouvent, en les faisant accéder à la propriété, avec, pour contrepartie, l’obligation d’améliorer leur habitat. Autrement dit, pour bénéficier de cette tolérance et de ces facilitées, les habitants doivent s’engager à se conformer à quelques normes minimales quant à la qualité des constructions. Conjointement, pour bénéficier des mesures de clémence, plusieurs conditions sont posées : être implanté depuis au moins un an, sur un terrain propice à la construction, avoir des enfants non majeurs, être marié et ne pas être propriétaire. Ce qui implique que, sauf dans les zones « réservées à cet effet », tout habitat illégal apparu après l’adoption de la loi devra être immédiatement détruit. Par ailleurs, il est stipulé que si les bénéficiaires de la loi n’ont pas apporté les modifications exigées dans un délai de trois ans, leur maison devra être détruite. Telles sont les « conditions déterminées » auxquelles fait référence l’énoncé de la loi. Pour bien faire, la municipalité compte acquérir les terrains où se sont développés la plupart des gecekondus, afin de les céder à prix très avantageux (avec crédit sans intérêts sur cinq à dix ans) à leurs occupants. »

3312-MaksemetsaplacedanslavilleLa situation de Maksem, un quartier qui représente une « frange », comme « la » limite entre la ville et la montagne Uludag, où se sont installées différentes populations qui correspondent à de multiples vagues de migrations venant comme toujours tenter leurs chances dans une ville attrac-tive, berceau de l’industrie en Turquie. C’est donc la situation de cette ville foisonnant d’emplois qui est à détailler. Si à l’origine, il s’agissait d’un Gecekondu préalablement établi à Maksem, il est bien difficile aujourd’hui de définir quels sont les différents « degrés de légalité » que l’on peut déceler dans le quartier. En effet, la « phase de stabilisation » du Gecekondu s’est produite il y a environ quinze ans selon les témoignages des habitants (récoltés en avril 2012 lors d’une enquête de terrain réalisée auprès d’Ahmet). On peut donc percevoir une consolidation importante. Il semblerait bien plus opportun de parler d’habitat précaire abritant une population marginalisée sur des territoires auparavant considérés comme « non-constructibles ».

Toutefois, les sondages effectués sur le terrain, que ce soit en novembre 2011 ou en avril 2012 (lors du Workshop commun organisé par l’Ensaplv et la Metu) révèlent tous que les premiers habitants se sont installés à Maksem pour sa proximité du centre ville, et par ailleurs parce que c’étaient des terrains inexploités et difficilement constructibles compte tenu de la topographie. Les schémas ci-joints nous montrent que l’invasion des terrains s’est d’abord faite sous forme d’un petit abri (construit en une nuit), avant de subir, comme dans l’ensemble des autres cas étudiés, des agrandissements et consolidations successives.

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118 Dans le cas de Maksem, chacun des logements a maintenant accès à l’ensemble des réseaux (électricité, évacuation des eaux usées, gaz ou eau courante) qui ont été mis en place par la municipalité dans les quinze dernières années. Ces infrastructures correspondent à un droit légitime de chacun et ont permis la consolidation de Maksem, et même probablement son passage du stade de gecekondu à celui de ville constituée. La précarité révélée est donc moindre en comparaison des métropoles d’Amérique latine; on n’en distingue pas moins les mêmes caractéristiques du point de vue de l’intégration à la ville.

La ville de Bursa étant en grande mutation ces dernières années, puisque sa démographie a presque décuplé en moins d’un siècle, la question de l’habitat y est significative. Par sa situation à proximité du centre ville, Maksem est donc devenu, depuis quelques années, une cible pour de nombreux investisseurs. Dans le même temps, les premiers migrants ne sont souvent plus en mesure de consolider et d’entretenir leurs logements, ou tout simplement d’y vivre compte tenu des difficultés d’accès. À l’inverse des situations auparavant étudiées, il n’y aurait que peu de « trafics » de propriétés et titres de propriété. On peut donc penser que c’est la raison pour laquelle on peut déceler à Maksem un très grand nombre de maisons inhabitées, (décès, déplacement des habitants dans des maisons plus grandes et consolidées) qui servent notamment de poulaillers ou de hangars pour stocker toutes sortes de matériels ou mettre en place différents élevages et petites cultures en pots.

Ces maisons sont peu entretenues et sont donc pour les nouveaux investisseurs un très faible obstacle. L’extension de la ville et l’évolution du marché foncier poussent un grand nombre d’entreprises de construction à venir installer de nouveaux projets sur les pentes de Maksem, comme si la ville remontait les pentes de la montagne. Mais pour cela, il est bien plus facile de venir terrasser les espaces et sans se soucier des cons-tructions déjà présentes. C’est comme cela qu’on voit apparaître, suivant les « grands axes » de desserte du quartier, de nombreux immeubles de logements, souvent en copropriété. C’est une nouvelle classe de la population qui vient progressivement remplacer celle des premiers migrants. C’est là que l’intégration du bidonville à la ville soulève un nouveau problème. La fragilité de l’équilibre des espaces est telle que chaque interven-tion doit être longuement « jugée » et « soupesée » afin de bien ménager l’ordre établi. On est alors en présence d’un énorme paradoxe, celui d’un ordre qui peut désordonner et même être très destructeur. Il faut, à chaque fois que l’on met en place des transformations, bien contrôler les changements et veiller à ce qu’il n’y ait pas de désappropriation des nouvelles modifications par le milieu.

332- Des enjeux métropolitains mais une responsabilité relativeDeux grands enjeux sont donc décelables. La transformation de l’habitat peut entraîner, si personne n’y met un frein, une densification importante des espaces, et donc à l’exclusion de la population précaire toujours plus haut, ou toujours plus loin des mobilités et des sources d’emplois. C’est le scénario qui correspond le plus à ce que l’on avait pu voir dans les différents cas latino-américains. Et c’est contre cela qu’il est important de lutter afin de pouvoir préserver ce patrimoine culturel et bâti non révélé et non reconnu que représentent les gecekondus.L’autre possibilité est celle que l’on a décidé d’analyser et tenter de mettre à l’épreuve par l’expérience de la mise en projet de ces espaces, pour voir le rôle que peut avoir un architecte dans la préservation et le développement des quartiers précaires « auto-métamorphiques ».

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Si l’architecte et l’urbaniste peuvent avoir un rôle primordial dans le cadre de la planification, ils doivent surtout permettre de relativiser ce qui est en train de se former dans les différents quartiers de la ville. Cela peut passer par la mise en place d’un plan d’urbanisme avec des règles précises, et donc certaines limites. Mais bien entendu, cela n’est possible qu’en veillant à limiter l’impact de l’action de l’architecte afin de ne pas « faire fuir » les populations, ne déplacer aucun élément et ne détruire aucune des ressources si fondamentales de ces milieux.

Toutefois, dans les différents cas qui nous intéressent plus particulièrement, il n’existe quasiment jamais de plan d’urbanisme défini puisque ce sont des quartiers qui ont toujours été formés illégalement et qui suivent une évolution selon les moyens des habitants, et non selon les autorisa-tions des municipalités. Le seul frein à la consolidation et l’extension des habitats, est toujours financier, et non pas une autorité référente.

La municipalité est donc mêlée à un double jeu. A la fois parce qu’elle doit être le « contrôleur » des projets et le législateur qui met certaines limites en régulant les projets constructibles, mais aussi parce qu’elle a pour rôle d’organiser la croissance nécessaire au développement de la ville tout en préservant les meilleures conditions de vie à ses habitants. Et cela doit s’appliquer à l’ensemble des habitants et prioritairement aux plus faibles par un minimum d’interventions lourdes car ils habitent des espaces fragiles dans un processus continu de régénération et de consolidation.

Il est donc souvent difficile de choisir entre pérenniser une population précaire mais qui nécessite d’être toujours au plus près de l’emploi, et per-mettre l’établissement de grands ensembles de logements, qui n’ont parfois aucune recherche architecturale et peu d’avantages dans le territoire mais qui seront rentables pour les investisseurs et pour la municipalité qui répond ainsi à une demande de logements toujours plus forte. On pourrait donc affirmer que le rôle de l’architecte est celui de « révélateur » des atouts déjà présents sur le territoire et des fragilités n’autorisant pas d’intervention pouvant désordonner et désapproprier. Cela ne passe donc pas, comme nous avons déjà pu l’étudier sur la thèse de De Soto, en considérant que tout ce qui est « bidonville » est positif car il a été bâti dans des conditions difficiles. Par contre, c’est bien en tentant de mettre en lumière les qualités spatiales qui découlent d’une adaptation du logement aux modes de vie de chaque habitant. Par exemple, les croquis ci-contre, présentant les différents usages de l’espace public dans chaque forme d’habitat, permettent de montrer que dans Maksem, comme dans de nombreux autres exemples, l’habitat originel est d’abord adapté à la topographie, mais surtout il s’étend vers l’extérieur. La relation public/ privé est donc très resserrée car la rue ou la ruelle n’est plus seulement un accès au logement, cocon confortable et sécurisant, mais elle devient la prolongation du logement sur l’extérieur, comme une cour ou un patio. C’est ce lieu « entre-deux » qui fait office de « tampon » intermédiaire. C’est finalement un espace de rencontre à préserver et redécouvrir.

Avec le développement, la manière d’utiliser et de s’approprier l’espace public se modifie et c’est peut-être le moment pour l’architecte d’intervenir et de proposer une transformation, toujours subtile. Non pas seulement une construction au sens concret du terme, mais bien la construction d’un avenir commun à chacun des habitants ou futurs habitants du « bidonville ».

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120Nous savons que dans des situations telles que celles des bidonvilles, les relations entre les habitants, les associations de quartier (souvent inexis-tantes), les élus locaux, et les investisseurs privés sont souvent réduites au minimum (c’est-à-dire aux élections). La place de l’architecte serait donc peut-être, très simplement, de servir d’intermédiaire entre les différents acteurs de l’évolution des espaces. Cela serait possible en travaillant avec les associations et en les considérant comme des relais entre les élus et les habitants. S’immiscer d’une manière ou d’une autre dans les processus décisionnels de sa commune, permettrait donc à chacun de se sentir écouté et actif au sein de sa propre communauté, comme ce que nous avions pu expliquer dans le cas de Villa El Salvador.

La responsabilité de l’architecte ou de l’urbaniste serait donc de définir, au plus près, la place de chacun dans l’espace décisionnel et l’espace vécu. Ceci pour permettre une cohabitation moins conflictuelle et la mise en place d’une mixité sociale et d’habitat. Toutefois, cela sous-entend, comme nous avons pu l’expliquer auparavant, de ménager les habitants présents et de leur laisser la place d’exister. Cela tout en décelant les usages et les qualités, même minimes, de chacun des espaces vécus afin de bien définir les besoins dans des tissus urbains aussi fragmentés qu’un quartier « ex-gecekondu » comme Maksem. La préservation d’un patrimoine local dans l’objectif de l’aménager et de le mettre en valeur est peut-être la finalité recherchée. Tout d’abord en permettant la consolidation des espaces et la vie des personnes présentes sur le territoire, mais ensuite en instaurant véritablement une régle-mentation stricte permettant le développement de nouveaux usages et modes d’habitat qui répondraient davantage aux critères de densification des métropoles en grande mutation. Les enjeux métropolitains que représentent les bidonvilles en font, quoiqu’ils soient en extension dans les métropoles, des « espaces menacés » au coeur des villes. Ce sont des territoires aux multiples qualités. Il est ainsi nécessaire pour l’architecte de les percevoir et les valoriser pour ce qu’ils sont, tout en mettant un frein aux différentes modifications de l’espace. Ceci simplement pour maintenir l’équilibre qui s’est « auto-formé » au cours des années.

L’architecte serait donc le créateur de stratégies de contrôle pour convaincre la municipalité d’établir une certaine balance entre le bien être des habitants et une croissance qui se traduit par une densification illimitée. L’objectif final de tout ceci étant bien entendu de développer, au cours du temps et de manière subtile, un autre regard sur l’habitat informel, afin qu’il ne soit plus considérer comme une gangrène, mais pour ce qu’il est, c’est-à-dire l’unique moyen trouvé par les pauvres pour participer à la croissance de la ville. L’architecte doit être l’observateur du détail qui permettra d’être un bon « négociateur » pour lier les acteurs entre eux avant de permettre la communication, la rencontre et l’échange entre la ville et « ses marges », c’est-à-dire ses bidonvilles.

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CONCLUSION Les différentes analyses que nous avons effectuées nous ont permis de voir que le concept de ville, et la ville en général, est en grande évolution. Parce que cette dernière s’étend ou se pratique de manières complètement différentes avec les nouvelles technologies et moyens de transports, ainsi que les nouveaux modes de vie, elle est probablement à un tournant dans son histoire.

« Taudis, demi-taudis et super taudis, telle est la cité dans la perspective du progrès » Patrick Geddes, cité dans Lewis Mumford, La Cité à travers l’histoire, Seuil, Paris, 1964, p.545.

Le constat est impitoyable sur la crise de la précarité dans le monde; il est toutefois toujours possible de mettre en place de petites choses, au jour le jour, pour mettre fin à celle-ci, ou au minimum faire prendre conscience à tous, mais en particulier aux professionnels et aux politiques, de l’ampleur de la situation qui concerne tout le monde, et non pas seulement ce « monde parallèle ».

Si la ville est inévitablement gérée par des autorités, il est peut être seulement nécessaire, pour arriver à enrayer la croissance des bidonvilles et donc la précarité toujours grandissante de nos villes, d’instituer une nouvelle échelle dans les politiques urbaines, comme une vraie politique de concertation entre les acteurs de la construction et les habitants. Ainsi, on pourrait peut-être aboutir à construire des espaces vivables pour les uns et gérables pour les autres sans appréhensions mutuelles. Mais, cela passe nécessairement par la connaissance des phénomènes et donc inévitablement par un processus d’analyse des bidonvilles, de leur formation, de leur croissance, et surtout de leurs modes de vie. Il ne s’agit pas seulement du problème de logement d’une minorité pauvre, mais bien de l’avenir de notre planète et de nos toits pour l’ensemble de la population et notament lors de la crise économique que nous vivons actuellement.

Comme le précise François Ascher dans l’introduction de son ouvrage Les nouveaux compromis urbains, « Fabriquer la ville, c’est prendre en compte une diversité de situations, d’espaces, de modes de vie. » La ville de demain ne devrait- elle donc pas aussi oser affronter ses caractéris-tiques et l’ensemble de ses membres pour tenter de régulariser une situation qui ne fait que s’aggraver?Car si « l’urbanisme ne peut (…) être uniforme », il doit être le fruit de la volonté politique sans laquelle de nombreuses pratiques resteront tou- jours en marge, et dans « l’illégalité ». Même si, 40% de la croissance de la ville est due à l’action des personnes, et notamment des femmes, construisant héroïquement leurs propres logements sur des terrains périphériques non viabilisés et privés de services, elle ne peut continuer de s’effectuer en marge de tout système car sinon, « les villes vont disparaître et nous n’aurons plus que des bidonvilles. » (Gautam Chatterjee, expert en planification cité dans Mike Davis, p.22)

Par nos différentes analyses, nous avons pu faire le constat de l’urgence et de la complexité de la situation car chaque contexte est différent et il n’y a donc pas de solution miracle, mais bien une prise en compte, au quotidien, de ces populations par l’installation progressive de politiques de planification et d’aménagement de la ville au niveau local. Il nous semble qu’en morcelant les étapes, les critères de « marginalité » et de manque d’urbanité que nous avons pu déceler seraient ponctuellement effaçables, allant même jusqu’à une intégration complète et totale des bidonvilles

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dans la ville. Toutefois, chaque intervention est à mettre en place avec la plus grande mesure afin de ne pas seulement déplacer le phénomène toujours plus loin des centres d’activités de la ville.

Les exemples présentés nous montrent de nombreux programmes, liés à des situations d’extrême précarité, qui ont été gérés, et sem-blent comme de « petites pierres » ajoutées à l’édifice de la résorption de la pauvreté en ville. Si les habitants vivent toujours en situation de précarité, ils ont maintenant un logement, et des endroits pour se retrouver, partager et communiquer. Comme le souligne très justement David Depraz, bénévole dans une association d’aide au logement, en France, (Midi en France, présentée sur France 3, émission du 11/01/2012), « sans toit, tu ne peux pas être toi ». Avoir un logement est un des droits inaliénables de l’homme et, pourtant, nous tendons vers une globalisation de la pauvreté et de la « bidonvilisation ».

Si nous avons vu la dépendance du bidonville pour les infrastructures mises en place par la ville, la ville a aussi, dans une certaine mesure, eu besoin des bidonvilles et continue de s’approvisionner et de profiter du système et de la paupérisation de la population. Projetter les transformations montre qu’il peut y avoir des évolutions positives des bidonvillles. Toutefois, rien n’est totalement durable. Il faut donc permettre la pérénisation des efforts fournis. Mais, dans cette situation d’exploitation et d’extrême précarité, quels sont les moyens que nous avons aujourd’hui, en tant que « futurs architectes », ou simplement en tant qu’usagers de ces « villes sans limites » pour limiter la déchéance et la suppression du droit d’habiter de chacun?

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ANNEXE CHILI: Sources: Métropoles XXL en pays émergents, sous la direction de Dominique Lorrain, Sciences Po Les presses, Édition 2011Reproduction personnelle

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MEMOIRE 2012

Résultats concrets du Plan de développement général 90 % Réseau d’eau potable et évacuation des eaux usées100% d’Electricité95% d’Actes de propriétés750.000 Arbres plantés100 km de Voies asphaltées98% d’Alphabétisation250 Centres d’éducation de base (Primaire)80 Collèges90.000 Élèves de primaire et de secondaire.4 Insituts supérieurs15.000 Étudiants universitaires9 Centres de santé3 “Maisons de la jeunesse”800 Organisations sociales8 Organisations centrales500 Clubs sportifs3 Parcs centraux150 Parcs communaux248 Unités de production agricoles2500 Petites et moyennes entreprises5000 Établissements commerciaux900 Entreprises de services7 Entités financières

Programme d’Asphaltage:- 100 km de routes internes asphaltées- Temps moyen entre Villa El Salvador et le centre de Lima, ou les zones de travail: 45 minutes (ou 30 minutes quand il n’y a que peu de traffic).- 1 ligne de transport- Revalorisation des terrains adjacents à ces voies- Impact pour les zones de production du district = élan.

Projets de développement urbain 2021:- Lac d’oxydation- Hôpital de district- Stade et complexe sportif de secteur- Terminal de bus régional

Résultats concrets du Plan de développement général - Création d’une nouvelle zone industrielle sur la Panaméricaine Sud => 300 entreprises industrielles installées- Installation de grandes entreprises dans le district, entre Avenida del Sol et la Panaméricaine Sud- Mise en place de nouvelles conventions de coopération

ANNEXE PÉROU:

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126Cas du corpus:- Jean Michel Rodrigo et Marina Pangram, Les bâtisseurs du désert. Vidéo documentaire sur la construction et le fonctionnement de Villa El Sal-vador.- www.untechoparachile.cl

BibliographieAnthropologie de la pauvreté/ Droit D’habiter- http://www.joseph-wresinski.org/Les-droits-des-pauvres-une-pierre.html- Agier Michel, Pour une anthropologie critique de la pauvreté – Note sur trois paradigmes culturalistes; contribution pour le séminaire préparatoire au Sommet Mondial pour le Développement Social de Copenhague (1995)- Baby-Collin Virginie, Inégalités et in-formalités dans les Amériques, 2007, (université de Provence, UMR Telemme)- Mc Auslan Patrick , Les mal-logés du Tiers Monde, traduit de l’anglais par Martine et Monique Lainé, Paris, Éditions l’Harmattan, 1986- Article: Le droit d’habiter, Le Flore, 24 avril 2001 – Café géographique- Le Lannou Maurice, La géographie humaine, Paris, Flammarion, 1949, 252p.- Poblacion y vivienda en asentamientos precarios – Diagnostico Nacional Urbano/rural, Santiago, septiembre 1998, Cepal-Celade, 66p (plus annexes)- Savignon Michel, “ L’habitant et le poète “, Revue des Sciences morales et politiques, 1988, n° 2, pp. 223-234. - Savignon Michel, “ Du verbe habiter et de son amère actualité “, Revue de géographie de Lyon, n°4 1993 pp. 215 -217- Wacquant Loïc, Parias urbains, Ghetto, banlieues, état, Paris, La découverte, 2007, 331p.

La ville et le territoire- Ascher François, Les nouveaux compromis urbains, 2008, Éditions de l’Aube- Castells Manuel, “Théorie et idéologie en sociologie urbaine” Sociologie et sociétés, Volume 1, numéro 2, novembre 1969, p. 171-192- Dansereau Francine, Navez-Bouchanine Françoise, Gestion du développement urbain et stratégies résidentielles des habitants, L’harmattan, 2002, 358p.- Lefebvre Henri, Le droit à la ville, Edition Economica/ Anthropo 2009, 135p.- Lorrain Dominique (direction) Métropôles XXL en pays émergents, Paris, Sciences Po Les presses, 2001, 408p. - Louiset Odette, La ville pour nature: Chapitre 1: Le modèle européen de ville, disponible en ligne, www.georouen.org - Michelon Benjamin, Cinquante ans après les indépendances, les quartiers précaires ont-ils acquis le « Droit de cité », 2010, Ecole polytechnique Fédérale de Lausanne.- Raymond Marie-Geneviève, Idéologies du logement et opposition ville-campagne – Revue française de sociologie, 1968, 9-2. P.191-210- Roncayolo Marcel, La ville et ses territoires, Saint-Amand, Folio essais, Édition 1997, 259p.

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127Quel est le rôle des Bidonvilles dans la formation des villes de demain?

MEMOIRE 2012

- Tabutin Dominique, La ville et l’urbanisation dans les théories du changement démographique, Document de travail n°6, Fev 2000, Université catholique de Louvain- site de l’IRD: www.ird.fr- « La quête de la cité idéale: Utopia », article

Bidonville, Favelas...- http://owni.fr/2011/05/14/mythes-bidonvilles/-http://www.lavieeco.com/news/economie/- http://www.globenet.org/va/va10dos1.html- http://www.espacestemps.net/document8422.html- http://www.hicsalta-communisation.com/textes/les-bidonvilles-forment-ils-une-planete-a-part- http://www.nodo50.org/tortuga/article.php3?id_article=5228- http://www.citiesalliance.org/- Aballea François, « Peu de bidonvilles en Algérie mais les villes se bidonvillisent », Habitat et vie sociale, N°17, Janv,Fev, Mars 1977, P.34- Alves Filho Francisco et Lobato Eliane, « Rio paralysé par la guerre des favelas », Courrier international n° 703 du 22-04-2004- Auroi Claude, Réflexions sur le fujimorisme. Où va le Pérou? Bilan du fujimorisme et questions pour l’avenir, 2002, sous la direction de Claude Auroi et Sandra Bossio. Institut universitaire d’études du développement, Genève. Itinéraires. Notes et Travaux no 63, p. 7-11. - Azcueta, Michel. 2006. L’actualité municipale. Entrevue à Michel Azcueta, ancien Maire de Villa El Salvador. La Ventana Indiscreta. Lima: Fre-cuencia Latina TV. 14 novembre, vidéo. En ligne. <http://www.frecuencialatina.com.pe>. Consulté le 02 décembre 2007. - Blanksten, George. 1966. Gobierno local en sociedades de tecnologia emergente: Problemas y perspectivas para América Latina. Universidad Nacional Autônoma de México. Revista Mexicana de Sociologia, vol. 28, no 2, Avril-June, p. 321-336. - Breman Jan et Das Arvind, Down and Out: Labouring Under Global Capitalism, New Delhi, Amsterdam University Press, 2000, 156p.- Brener Muriel, Quiero Vivir, 2007, Documentaire sur les enfants des rues boliviens.- Cannat Noël, Sous les bidons, la ville... de Manille à Mexico à travers les bidonvilles de l’espoir.- Castells Manuel, The City and the Grassroots: A Cross-Cultural Theory of Urban Social Movments, New York, 1983, 191p.- Charras Marie-Ange et Hervo Monique, Bidonvilles, l’enlisement, Paris, F. Maspero, 1971, 410p.- Clerc-Huybrechts Valérie, Beyrouth: l’influence du foncier et des plans d’urbanisme sur la formation des quartiers irréguliers de la banlieue sud, Umr 7136, CNRS, Université Paris VIII- Davis Mike, Le pire des mondes possibles – De l’explosion urbaine au bidonville global; La Découverte, 2006, 249p.- Descloitres Robert, L’Algérie des bidonvilles, Paris, Mouton, 1961- De Soto Hernando, Le mystère du capital, Pourquoi le capitalisme triomphe en occident et échoue partout ailleurs?, Traduit de l’anglais par Michel Le Seac’h, Paris, 2005, Flammarion

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128- Drummond Didier, Architectes des Favelas, Paris, 1981, Éditions Dunod, Éditions Bordas- Favreau Louis, Fréchette Luci, Lachapelle René, Zapata Antonio, “Une exéprience réussie d’organisation communautaire: Villa El Salvador, Pérou” Nouvelles pratiques sociales, Volume 5, numéro 2, automne 1992, p.185-198, http://id.erudit.org/- Mumford Lewis, La Cité à travers l’histoire, Paris, Seuil, 1964, p.545.- Geraiges de Lemos, Amalia. 1996. “Urbanizacion y metropolizacion en Iberoamérica: una realidad a enfrentar en el siglo XXI.” Annales de Geo-grafîa de la Universidad Complutense, no 16, p. 65-79.- Granotier Bernard, La planète des bidonvilles. Perspectives de l’explosion urbaine dans le tiers monde, 1984, Paris, Seuil- Historia de campamentos, Programa Un techo para Chile, 2004- Instituto Nacional de Estadistica e Informatica del Peru (INEI). 1996. Lima Metropolitana- Lacoste Yves, « Editorial, le colloque de Vincennes », Herodote, N°19, 4ème trimestre 1980, P.7- Municipalité de la Province de Lima. 2007. Portail institutionnel. En ligne. <http://www.munlima.gob.pe> . Consulté en novembre et décembre 2011- Municipalité du district de Villa El Salvador (MUNIVEN). 2007. Portail institutionnel. En ligne. <http://www.munives.gob.pe>. Consulté novembre et décembre 2011- Nieto, Carlos. 2002. La politique économique du fujimorisme. In Où va le Pérou? Bilan du fujimorisme et questions pour l’avenir, sous la direction de Claude Auroi et Sandra Bossio. Institut universitaire d’études du développement, Genève. Itinéraires. Notes et Travaux no 63, p. 13-30- Paola Berenstein Jacques, “Notes historiques sur les favelas de Rio”, avril-mai 2003, Passant n°44- Rayes Chantal , « Les «favelas tours» font fureur à Rio » dans Libération du 26/08/2006 - Uhel Mathieu, La dimension spatiale de la participation populaire – Les tables de l’eau a Maracaibo (Venezuela) – Creso Umr Eso 6590- Villes en développement, L’intégration des quartiers irréguliers. Un état du débat en Asie et Amérique latine- Groupement de recherche interurba, France, 1995, 127p.

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129Quel est le rôle des Bidonvilles dans la formation des villes de demain?

MEMOIRE 2012

Corpus de travail« Urbanisation ou ville parallèle » extrait de thèse de Benidir Fatiha: Urbanisme et Planification urbaine: Le cas de Constantine, en Algérie Thèse très complète sur la formation des quartier de Constantine, on se focalisera principalement sur le chapitre 5 sur « urbanisation spontanée ou ville parallèle » qui détaille, avec des données précises et chiffrées le mode de formation et d’évolution de ces quartiers.

Villa El Salvador, Lima, Pérou Programme de « relogement » ou plutôt, offre de terrain de la part du gouvernement péruvien pour permettre aux personnes en difficultés de s’installer. Formation récente d’une ville entière, informelle, sans plan régulateur, et sans aucune réglementation.

Ciudad Evolutiva – Expérience d’intégration socio spatiale des développements informels: concours Chawin-Silvahttp://ciudadevolutiva.com/fr/Analyse d’un projet d’étude sur la ville de Caracas.

Bursa, TurquieAnalyse d’un projet de la destruction d’un quartier de Gecekondus, ainsi que les propositions de relogement des habitants et les différentes politi-ques de la ville mises en place ainsi que l’analyse du Gecekondu de Maksem, quartier à flanc de colline au sud de la ville de Bursa.

Santiago de ChileAnalyse de différents « campamentos » connus à Santiago: (Jean Paul II à La Bornechea, ...) et d’un barrio de tomas plus particulièrement: le projet de Penalolen, réalisé par Eduardo Gimenez.Relogement des habitants dans un quartier de « Casa Chuvi »Analyse du rôle de Un techo para Chile, Un techo para mi pais et de l’association Yo quiero mi barrio.