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Coeurrebelle
VictoriaDahl
LAFAMILLEYORK–1
Cœurrebelle
Traduitdel’anglais(États-Unis)parConstancedeMascureau
MiladyRomance
Titreoriginal:
ALittleBitWildCopyright©2010byVictoriaDahl
Suivid’unextraitde:
It’sAlwaysBeenYouCopyright©2011byVictoriaDahl
©Bragelonne2012,pourlaprésentetraduction
Photographiedecouverture:©ManuelKovsca/iStockphoto
ISBN:978-2-8112-0760-1
Bragelonne—Milady
60-62,rued’Hauteville-75010Paris
E-mail:[email protected]:www.milady.fr
Présentationdel’éditeur
LAFAMILLEYORK-1
CœurrebelleMarissa doit se fiancer pour éviter le déshonneur. Jude Bertrand, un hommemystérieuxàlaréputationsulfureuse,seproposedel’épouser.Iln’estpasdugoûtdelajeunefillequiletrouvelaid;etsurtout,impossibledelemenerparleboutdunez:c’estunfauverusé,uneforcedelanature.Jude,quantàlui,atrèsbiencernéMarissaetilestpeut-êtreleseulàl’aimervraimentpourcequ’elleest:uncœur rebelle, comme le sien. La jeune femme finira-t-elle par accepter cemariage?
VictoriaDahlVictoriaDahl a commencé à lire des romans d’amour à un âge si précoce quec’enétait indécent,etnes’estplusarrêtéedepuis !Parchance, sesnombreusesannées de lecture l’ont aidée à reconnaître son prince charmant quand il s’estprésenté.Désormais,ellehabiteàlamontagneavecsonmarietsesdeuxenfants.Son premier roman a remporté le prix Golden Heart, qui récompense lesmeilleuresœuvresderomancehistorique.
Dumêmeauteur,chezMilady:
LaFamilleYork:CœurrebelleCœurbrisé
Chapitrepremier
Lincolnshire,Angleterre,1847L'hommequiétaitallongésurMarissaYorkhaletaitcontresajoue,gémissant
bruyamment.Elletournalatêteetregardalemurd’unairagacé:elleavaitl’impressionque
lapièce tournaitautourd’elle.MonDieu.C’étaitundésastre.Heureusement, lafinsemblaitproche.Après un été interminable à faire semblant de chercher un mari à Londres,
Marissaavaitpensés’accorderunenuitdeplaisirsinterdits.Aprèstout,c’étaitlapremière réception que donnait sa famille depuis le début de la saison de lachasse, tout lemondes’amusait follement,etMarissaavaiteuenviedefairedemême.Maisaulieudeladistractionescomptée,elleavaitdénichéuncompagnond’une maladresse affligeante, et avait dû endurer une certaine douleur et denombreuxgrognements.Peut-êtreétait-celaraisonpourlaquelleonimposaitauxjeunes filles de rester pures jusqu’au mariage. Quelque fâcheux que soit lerapport,iln’yavaitalorsplusderetourpossible.—Monamour,soupiraPeterWhitedanssonoreille.Madouce,douceMarissa.
C’étaitmerveilleux.Parfait.—«Parfait»?—Oh,oui.Elleétiralecoupourtenterdesoulagerlapressionexercéesursondos.—Euh,s’ilvousplaît,pourriez-vous...vouslever?—Biensûr,veuillezm’excuser.Ilseredressasurlescoudes.Ellen’avaitdésormaisplusàsupporterlepoids
del’hommeaffalésursapoitrine,maismalheureusement, lapartie inférieuredeson corps se retrouva encore plus plaquée contre elle. Toute cette zone luisemblaitassez...spongieuse.—MrWhite,jevousenprie,pouvez-vousvouslever?
Illuiadressaunpetitsourireentendu.—Netrouvez-vouspasétrangedem’appelerMrWhite,àprésent?—Non.—J’espèrequevousm’appellerezparmonprénomquandnousseronsmariés,
toutaumoinsdans...—Pardon?Ilsepenchapourluidéposerunbaisersurlenez.Marissas’essuyavivement.—Jem’entretiendraiavecvotrefrèredemain,ronronna-t-il.—Vousn’enferezrien!Maintenant,poussez-vous.Vousmettezplusdetempsà
descendrequevousn’enavezmisàmechevaucher.L’imbécileobstinéparutenfinserendrecomptequesaperformancen’avaitpas
rendu Marissa débordante de gratitude. Il se redressa davantage, s’enfonçantencoreplusfermementenelleavecunbruitdesuccion.—Oh,allez-vous-en,enfin,espèced’idiot!cria-t-elle.—Marissa!souffla-t-il,uneexpressionoutréesepeignantsursestraits.Elleentenditalorsdespasàl’extérieur.Lesyeuxécarquillés,ellerepoussale
torsedeMrWhite.Laportes’ouvrit.Marissa retint son souffle. Il faisait sombredans lapièce, etpeut-êtreque la
lumièreducouloirn’étaitpasparvenue jusqu'àeux.Peut-êtreques’ils restaientsilencieux...PeterWhiteseraclalagorge.—Sivousaviezl’amabilitédebienvouloirfermerlaporte.Nousavonsbesoin
d’intimité.AvantquelechocqueMarissaavaitsubisemueencolère,lasilhouettesurle
seuilsetournaverseux.—Jevousdemandepardon?C’étaitlavoixdesonfrère.Ohnon...Paslui.Soudain,laportes’ouvritentièrementetMarissafutéblouieparlalumièredu
couloir.Ilsdevaientêtrevisibles,àprésent.Soncœurs’emballa.—Non,murmura-t-elle.—MarissaAnneYork!rugitsonfrèrejusteavantdebondirsurl’hommequila
couvraitdesoncorps.MrWhites’éloignaenfind’elle,maisellen’eutpasletempsdesavourerson
soulagement.Lesombresdesdeuxhommessefondirentenuneseule,formantune
énorme bête qui tituba vers le coin le plus sombre de la chambre. Des vasess’écrasèrentausoletunetablevintheurterlemuravecfracas.—Arrêtez!hurlaMarissa,dansl’espoirquesoncrifassecesserlalutteetfige
aussiletemps.Siseulementellepouvaitrevenirneserait-cequ’unedemi-heureenarrière,au
momentoùelleterminaitcedernierverredevinetlaissaitMrWhitel’attirerdanscettechambre...Marissa fut tentée de se lever d’un bond pour courir dans ses appartements,
mais elle opta finalement pour la solution la plus angoissante. Elle rajusta sesjupesetsemitdeboutavechésitation,pourfairefaceàsonfrère.—Edward!Arrêtez.S’ilvousplaît.—Espèced’ignoblesalopard,s’indignasonfrère.Lebruitsourdd’uncoupdepoingfittressaillirMarissa.Puis,brusquement,le
tumultes’apaisaetseulsleshalètementsdesdeuxhommesrésonnèrent.Ellerestadebout,tremblante,incapabled’esquisserlemoindregeste.—Edward?chuchota-t-elle.Elle entendit des morceaux de verre crisser sur le plancher. L’une des deux
ombres se dressa et s’avança vers elle. Apeurée, Marissa recula, uniquementparcequ’elleneparvenaitpasàdistinguerdequiils’agissait.Ellesavaitquesonfrèrenelèveraitjamaislamainsurelle,quoiqu'ellefasse.Mais,dansl’obscuritéquirégnait,onauraitcruvoirungobelins’approcher.Oupeut-êtres’agissait-ildeMrWhite,etsonfrèregisait-ilinanimésurlesol.—Edward?L’ombre releva la tête auderniermoment, etMarissa aperçut enfin le visage
furieuxdesonfrère;ilpassadevantellesansdireunmot.Elleentenditdesbruitsd’éclatsdeverre,puisuneallumettecraqua.La lumière se diffusa lentement dans la pièce.Quand elle atteignit le coin le
pluséloigné,MarissaconstataqueMrWhiten’étaitpasdutoutinconscient,maisqu’ilseredressait,lamainappuyéecontresonœil.Enlevoyant,lajeunefemmedutsemaîtriserpournepasseprécipitersurluietaggraverlesdégâtsdéjàsubis.Ilétaitplusfaciled’êtreencolèrecontreluiquecontreelle-même.Uneombreseprofiladans lecouloir.Marissa leva lesyeuxetvitsoncousin
Harry,deboutdansl’encadrementdelaporte.—Aunomduciel,quesignifietoutceraffut?demanda-t-il.Mon Dieu. La situation empirait. Combien d’autres personnes avaient-elles
entendu?
—Marissa,intervintsonfrère,etellesentitàcesimplemotl’ampleurdesoninquiétudeetdesasouffrance,mêléesdeconfusionetdefureur.Ellesefrottalesbrasenungestefrileux,etsetournalentementverslui.—Jevousdemandepardon,parvint-elleàdired’unevoixferme.Vousn’auriez
pasdûêtretémoindecettescène.—Témoin?aboya-t-il.UneservanteapparutaucôtédeHarry,lesmainscrispéessursontablier.—Harry, souffla Edward. Allezm’attendre dans le bureau, je vous prie. Et
fermezcetteporte!Lasituationdevraitêtregéréeavecunegrandeprudence.LesYorkétaientplus
réputés pour leur impétuosité que pour leur sang-froid et leur rationalité. EtMarissa ne faisait manifestement pas exception à la règle. Mais dans le casprésent,elleallaitdevoirchoisirsesmotsavecsoin.—Edward.Jesuisdésolée.J’aiclairementagicomme...Jen’étaispas...Elle fut interrompuepar unedéclarationqu'elle n’avait pas lamoindre envie
d’entendre.—Nousdevonsnousmariersansattendre,affirmaMrWhite,toujoursàterre.Sonfrèrecommençaitdéjààacquiescer,maisMarissasecoualatête.—Certainementpas.MrWhites’agita,faisanttinterlesbrisdeverre.—Sivousm’accordezquelquesinstantspourme...rajuster,monsieurlebaron,
jem’entretiendraiavecvousenprivéde...—Non,protestaMarissa.Vousnevousentretiendrezderiendu tout !Jen'ai
absolumentaucuneintentiond’épouserMrWhite.Aucune.Son frère se tourna vers elle, ses grands yeux verts emplis de douleur et de
déception.—Vous n’êtes pas en train deme dire que vous vous êtes amusée avec cet
hommesanslemoindreespoird’unmariage?—Vousm’avezbiencomprise.Etmêmesicetteidéem’avaittraversél’esprit
auparavant,jel’auraissansaucundouteabandonnéeàprésent.Distinguez-vousunquelconque signede satisfaction surmonvisage ? Je n’épouserais cet imbéciletroppressépourrienaumonde.EdwardregardasoudainMrWhiteavechargne.—A-t-ilabusédevous?— Non, non. Son seul tort est de ne pas avoir été à la hauteur de la plus
modestedemesattentes.—Vosattentes?éclatasonfrère.Quepouvez-vousbiensavoirde...—Ilsuffit!s’exclamaMrWhite.Jenetoléreraipasd’enentendredavantage.
Nousdevonsnousmarieraussirapidementquepossible.BaronYork,avez-vouslapossibilitéd’arrangeruneautorisationspéciale?—Oh,pour l’amourduciel, intervintMarissa.Jerefusede l’épouser!Jene
peuxpourtantpasêtreplusclaire.Desmurmuress’élevèrentdanslecouloir.MrWhite,quisemblaitdenouveauprésentable,s’avançaàgrandesenjambées
versMarissapourposerunemainsursonépaule.—Avectout lerespectquejevousdois,MissYork,vousn’avezpasd’autre
choix.—Jevousdemandepardon?—Jevousaiprisvotrevertu.Lesservantes jasentdéjà.Vousêtesdésormais
mienne,machère.—Moi ?Vôtre ? (Elle recula brusquement pour se dégager, et le fusilla du
regard.)Certainementpas!Edwards’éclaircitlavoixetdéclara:—Laissez-nouslesoindenousinquiéterdenosdomestiques,MrWhite.—Naturellement.Cesrumeursn’aurontplusd’importancedèsl’instantoùnous
auronséchangénosvœux.MissYorkestsubmergéeparl’émotion,cequiesttoutàfaitcompréhensible.Allonsdiscuterentrehommes,baron.Votresœurnepenseplusavectoutesaraison.Marissaseredressa,outrée.—Bien au contraire,mes pensées sont tout à fait rationnelles. Ilm’apparaît
avecuneclartélimpidequejepréféreraisentreraucouventplutôtquedepasserlerestedemesnuitsàsubirvosgrognementspendantquevousvousaffairezentremes jambes,MrWhite.Maintenant, si vous le permettez, j’aimerais avoir uneconversationprivéeavecmonfrère.Ce dernier suffoqua, scandalisé, tandis queMrWhite devenait cramoisi, en
proieàunetoutautreémotion.—Jevousaipossédée,etvousallezm’épouser,jeunefille.Troptard,ellecompritcequ’ilavaitvouludireunpeuplustôt,quandilavait
commencéàglisserunemainsoussajupe.«Enfin,vousserezàmoi»,avait-ilmurmuré.Elle avait pensé qu’il parlait d’une propriété provisoire. Elle aurait dû se
méfier.Ilavaitdéjàdemandésamainàdeuxreprises.Sonfrères’avançad’unpas.—White, jedoisparleravecmasœur.Allezm’attendredansmonbureau, je
vousprie.LacolèreassombritlefrontempourprédeMrWhite.—J'espère bienquevousn’avezpas l’intentionde lui céder.Elle a fait son
choix aumomentmême où elle s’est allongée sur ce divan,monsieur. Je ne lalaisseraipass'entirerainsi.Marissa se focalisa sur PeterWhite jusqu’à ce qu’elle ne voie plus que son
visage.Ilavaitdéjàunœilenflé.Ellesedemandaquelleforceilluifaudraitpourfairesubirlemêmesortàl'autreetrendresonvisagesymétrique.—Vousneme«laisserez»pasm'entirerainsi?Jevousaidéjàrépétéqueje
neseraispasvotreépouse!Ileutl'aplombdeluisourire.—Sivousenétiezsiconvaincue,vousauriezdûm’arrêter.Nousallonsnous
marier.Aucunautrechoixnes’offreàvous.— White, gronda son frère, Marissa a vingt-deux ans, et on ne peut la
contraindreàquoiquecesoit.MrWhitericana.—Peut-êtreporte-t-elledéjàmonenfantàl’heurequ’ilest.Etenvotrequalité
dechefdefamille,vousvousdevezdelaprotégerdesapropresottise.Quandlebruitsepropagera...Edwardfitencoreunpas,serapprochantdangereusementdeMrWhite.—Etcommentlebruitsepropagerait-il?— Une quarantaine d’invités se trouvent dans votre maison en ce moment
même,baron.L'und’entreeuxaurasûrementventdel’histoire.Votrecousinenamême été directement témoin.Vous ne voudriez pas que l’on raconte que votresœurestunetraînée,n’est-cepas?ajouta-t-ilavecunéclairdetriomphedansleregard.—Misérable,ditMarissaàvoixbasse.Vousavezorchestrétoutcela.EdwardempoignasoudainlacravatedePeterWhite.—Est-cevrai?—Jesouhaiteluidonnermonnom.Luiêtredévoué.Iln’yapasdemalàcela.
Elledevraits'entrouverhonorée.Mongrand-pèreest...MarissaavaitdéjàentenduMrWhiteglosersurlagloiredesalignée,aussifut-
ellesoulagéequandEdwardymituntermeparuncoupdepoing.MrWhitereculaen titubant, les deuxmains sur lementon, avant de s’effondrer sur son arrière-train.—Sortezdemamaison,ordonnaEdwardaveccolère.—Vousn’êtespassérieux!—Allez-vous-en!Whitesecoualatête.—Jesuisamoureuxd’elle.Marissa eut le souffle coupé par cet affront, tandis qu’Edward se contentait
d’indiquerlaporte.—Sortezdechezmoi!Etsivoussoufflezmotàquiconquedecetteaffaire,je
voustraqueraipourvoustuerdemespropresmains.Mr White observa Edward avec attention, se demandant manifestement s’il
serait capabledepasser à l’acte. Il avait l’air sceptique.Tout commeMarissa.Edwardétaitd’untempéramentvif,maisils’apaisaittoujoursrapidement.Ilavaitlaréputationd’êtreleplusraisonnabledelafamille.UnefoisqueMrWhiteseraitloin, le danger de mort qu’il encourait se révélerait sans doute très limité. Amoinsque...Edwardsourit.—Etsijeneparvienspasàvoustrouver,jepeuxvousgarantirquemonfrère
Aidanenseracapable.Cettebrutevicieuseyprendramêmeunmalinplaisir.En effet, avec Aidan, c’était une tout autre affaire. Même Marissa eut un
mouvement de recul à l’idée qu’il découvre cette histoire. Ce qui finirait pararriver.PeterWhitehaussalesépaulesetsetâtadélicatementlamâchoire.—C’estabsurde.Vousêtestousdeuxcontrariés.Jevaisprendrecongépourle
moment,jereviendraidansquelquesjours.Jevousaime,Marissa.—Oh,jepariequevousaimezsurtoutl’idéedemescinqcentslivresderente,
rétorqua-t-elle.Furieux,MrWhitequittalapiècesansriposter.Elleavaitsouhaitésondépart,maisàprésentqu’elleseretrouvaitseuleavec
sonfrère,ellefutbrusquementenvahieparunsentimentdehonteetsentitsagorgeseserrer.—Jesuisdésolée,parvint-elleàmurmurer.—Marissa,qu’est-ce...?(Sesépauless’affaissèrent.)Commentavez-vouspu
agirainsi?
—Jesuisdésolée!Jen’auraispasdû!Jem’ennuyais,j’aibutropdevin,etj’ai... je n’ai jamais été amoureuse d'un homme, ne serait-ce qu’un peu, et jesupposequej’étais...curieuse.Misàpartquelquesdétailssoigneusementomis,c’étaitàpeuprèslavérité.—Ah,Marissa, soupira son frère.Vousn’avezvraimentpasbrilléparvotre
intelligence.—J’aiété stupide, j’ensuisconsciente.Mais jevous jurequ’avantcela,Mr
Whiten’étaitpasunsihorriblepersonnage.Jediraismêmequejel’aimaisbien,jusqu’àaujourd’hui.Sonfrèrel’observaavecattention,lestraitsmarquésparlatristesse.—Qu’ya-t-il?demandaMarissa.—Jenetenteraipasdevousforceràl’épouser.C’estungoujat.Mais...(Illui
prit la main et la tint serrée entre les siennes.)... il vous faut trouver un marimaintenant.—Quoi?(Elleretiravivementsamain.)Maispourquoi?Soudain, laporte s'ouvrità toutevolée ; leurmèreapparut, lesbras levésau
ciel,emplissantlapiècedesaprésence,endépitdesapetitestature.—Ques’est-ilpassé?s’enquit-ellesuruntonplaintif.Marissasecoualatête.—Riendutout.Toutvapourlemieux.Sonfrèrefitsigneàleurmèred’entreretclaqualaportederrièreelle.—Toutnevapaspourlemieux.C’estunecatastrophe.Dansungestehautementprévisible,labaronnedouairièreportalamainàson
cœur.—Ques’est-ilpassé?Est-ceAidan?Qu'est-ilarrivéàmongarçonchéri?—Ilnes’agitpasd’Aidan,maisdeMarissa.Elleestcompromise.Labaronnesuffoquasibruyammentqu'ilyeutunéchodanslapièce.—MonDieu,pourquoiluiavez-vousdit?demandaMarissa,désespérée.Edward était occupé à conduire leur mère vers un fauteuil, sur lequel elle
défaillitavecgrâce–autregestehautementprévisible.Il se redressa et s’essuya les mains, comme s’il venait d’achever une tâche
ardue.— Elle aurait sans doute eu des soupçons en nous voyant organiser votre
mariagesiprécipitamment.—Jen’ainulleraisondememarier!
—Marissa, cessez d’agir de façon plus sotte encore que vous ne lavez déjàfait.Cequej’aivumefaitcraindrequevoussoyezenceinte.Nousdevonsvoustrouverunmariimmédiatement.—C’estabsurde!Maisavantmêmed’avoirachevésaphrase,ellesentit lapeur lagagner.Elle
n’avaitpasvraimentsongéàcela.Cequ'ellesavaitdelareproductionserésumaitàdevaguesrumeursetàdesfragmentsdeconversationglanésicietlàaufildesannées.—Jepensaisque...lapremièrefois...N’est-cepasimpossible?—Non,cen’estpasimpossible.Etj’auraissouhaitéquevousveniezmefaire
partdevosinterrogationsausujetdumariageetdelaprocréationavantquetoutcelaarrive.—Ohnon,gémit-elle.Edwardpinçaleslèvres.— Soit vous épousez cette ordure, soit vous épousez un autre homme. Un
mariagecontribueraàdissiper les rumeursetpermettradedétourner lesespritsd’uneéventuellenaissanceprématurée.Et ilsemblequevousayezbesoind’unefaçon d’occuper votre temps. Endosser le rôle d’épouse devrait pallier votreennui.—Mais... (Marissasentit samâchoiresemettreà trembler,aussi serra-t-elle
lesdentspendantquelquessecondes.)Maisjenedésirepasquittercettemaison.Jesuischezmoi,ici.Toutetracedecolèredisparutsoudainduvisaged’Edward.— Je sais. Je ne désire pas non plus vous voir partir. Nous trouverons
quelqu’unquivousconduiraicichaquefoisquevousenaurezenvie.Quelqu’undedocile.— Il faut bien, car qui d’autre accepterait d’épouser une femme à la vertu
perdueetd’éleverunbâtard,murmura-t-elle.Quelqu’undedocileetde...soumis.—Marissa...Samère émit un gémissement théâtral en battant des paupières, signe qu’elle
étaitsurlepointdesortirdesonévanouissement,lesoufflecourt.La panique s’empara soudain de Marissa. Elle ne pouvait s’opposer à son
frère. Elle n’avait pas voulu couvrir sa famille de honte, ni voir les choses enarriver là. Si Peter White ébruitait l’affaire, la situation deviendrait vraimentembarrassante.Etsielleétaitenceinte,elledevraitobéir.Maiss’ilrestaitdiscretetqu’elleneportaitpasd’enfant...
—Edward,trouverunhommequisoitàlafoisunpartiacceptableetdisposéàm’épouserdemanderadutemps,n’est-cepas?Leshommesdécentsontmieuxàfairequed’attendrequ’unefemmeàlaverturuinéeleurmettelamaindessus.—Ehbien...,commença-t-il.—Harrysauratenirsalangue.Ets’ilya...d’autresconséquencesàcequej’ai
fait, nous en aurons le cœur net d’ici à deux semaines. Deux semaines quipasseront rapidement ! Si vous tenez à organiser des fiançailles, soyons prêts,mais oublions toute cette affaire dès l’instant oùnous serons certains que je nesuispas...grosse.Lecoud’Edwards’embrasasoudain.—Je...N’ya-t-ilpersonnequevousaffectionnezparticulièrement?Quelqu’un
susceptibledefaireuneproposition?— J’étais plutôt attachée au gentleman en question avant ce soir. C’est un
excellent danseur, et il porte toujours des vestes parfaitement ajustées. Maisdésormais...non.Personne.Son frèremarmonna quelque chose dans sa barbe qui ressemblait à : «Des
vestes?»,quandleurmèreouvritsoudaindesyeuxpapillonnants.—Marissa,soupira-t-elle.Commentavez-vousosé?Pourquoiavez-vousagi
defaçonaussiabominable?«Abominable.»Effectivement,samèreavaitraisonsurcepoint.—Jenesaispas,répondit-elleentoutefranchise.Quandilsétaiententrésdanslachambreentitubant,aprèsquelquesverresde
vinetdesbaisersvolés,lasituationluiavaitsembléassezexcitante.C’estalorsquetoutavaitdérapéversquelquechosequ'elleauraiteuplusd’aisanceàdécrireavecdestermesscientifiquesquepoétiques.—Imbécile,lâcha-t-elle.—Oui,vousn’êtesqu’uneimbécile!criasamère.—JeparlaisdeMrWhite.—MrWhite, répéta la baronne d’un ton pensif. Vous avez raison, c’est un
excellent danseur, unbel homme,qui perçoit de surcroît des revenus tout à faithonorables.Oui,ilferaitunexcellentmari.Edwardfittairesamèred’ungeste.—Nousendiscuteronsplustard,mère.Maislaissez-moid’abordréfléchir.Où
setrouveAidanquandj’aibesoindelui?Ildevraitêtreici.Ilconnaîtsûrementquelquespartisconvenables.—S’ilvousplaît,neluiditesrien,suppliaMarissa.
Étrangement, elle ne fut même pas surprise de voir un valet de pied entrerquelquessecondesseulementaprèsqu’elleeutprononcécesparoles.—MrAidanYorkestderetour,monsieurlebaron,annonçaledomestiqueen
s’inclinant. Il présente ses excusespour son arrivée tardive etmeprie devousfairesavoirqu’ildescendradèsqu’ilserahabillé.—Parfait,murmuraEdward.JeneluidirairienavantqueWhiteaiteuletemps
derassemblersesaffairesetdequitterleslieux.Sansquoinousrisquonsdenousretrouveravecunmeurtresurlesbras.—Unmeurtre!s’exclamasamère,quis’effondradenouveaudanssonfauteuil,
manifestementinconsciente–maisassezéveilléepourlaissertraîneruneoreille.Marissa jeta un coup d’œil autour d’elle, à la recherche d’une chaise sur
laquelles’évanouiràsontour.Maisilyavaitseulementlecanapé,qu’elleavaitdéjà suffisamment vu. Il ne lui restait plus qu’à inspirer profondément et àassumerlesconséquencesdesesactes.Quelques instants plus tard, elle prit conscience qu’elle avait encore autre
choseàfaire.Levinqu’elleavaitingurgitéfaisaitmauvaisménageavecl’anxiétéquis’étaitemparéedesoncorps.Prisedevertige,Marissasepenchaenavant,lesyeuxrivéssur le tapisd’Orientbrodéd’orsoussespieds.Elleydéversaalorstoutlecontenudesonestomac.—Vousai-jedéjàremerciépourvotreinvitation?plaisantaJudeBertranden
descendantl’escalierincurvéderrièreAidanYork.Aidanjetauncoupd’œilpar-dessussonépauleethaussaunsourcilamuséen
guisederéponse.Son ami l’avait déjà remercié à plusieurs reprises. Jude semblait d’humeur
particulièrement joyeuse à l’idée de se trouver dans le domaine des York. Lademeure était spacieuse et claire, et les fenêtres donnaient sur des prairiessauvagesetdesparcellesdeforêt.L’endroit lecharmait,quantà lafamille...ehbien,singulièrement,lesYorkluirappelaientsatendreenfance.C’étaitétrange,eneffet, étantdonnéqu’ilavaitpassé ses jeunesannéesdansunemaison françaisequiétaitavanttoutunbordel.Lâchantunpetitrireàl’idéedecettesurprenantecomparaison,Judecaressala
ramped’unemaindistraite.Leséjourqu’ilavaitpassélàl’andernierluirevintenmémoire.Ilrepensaàcettejeunefilleauxcheveuxblondvénitienqu’ilavaitvuglisser sur cettemême rampe en bois. L’heure étaitmatinale, et ce vrai garçonmanqué avait sans doute cru que lamaisonnée était encore endormie ; Jude ne
l’avait pas détrompée. Il l’avait simplement observée dévaler la rampe, puiss’était éloigné, s’étonnant que personne n’ait mentionné le côté sauvage de lademoiselle.Ilétaitextrêmementimpatientdelarevoir.Quandilsarrivèrentaurez-de-chaussée,AidanYorksaluad’ungestequelques
invités,avantdepoursuivresoncheminverslebureaudesonfrère,Judesursestalons. La porte était close. Des éclats de voix leur parvinrent, ce qui nedéconcertapasJude.Pourunepairiesiancienne, la familleYork faisaitpreuved’unremarquablesensdudrame.Aidannesemblapasplussurprisquesonami.Ilfrappapuis,sansattendrela
réponse,pénétradanslechaos.La baronne douairière était étendue sur un canapé et sanglotait bruyamment
dansunmouchoirdedentelle.Lefrèreaînéd’Aidan,etdoncbaronentitre,faisaitlescentpasdevantlacheminée.Avoirsonvisagerougi,c’étaitluiqu’ilsavaiententenducrier.Uncousinétaitégalementprésent.Harry,peut-être?Ilaffichaitunairfranchementmorose.Judelevalamainenguisedesalut.— Aidan, aboya Edward. Dieu merci, vous voilà enfin ! (Il aperçut alors
l’autrejeunehomme.)Jude,vousnepouvezrester.Vousm’envoyezdésolé.—Oh.Trèsbien.Faisantdemi-tour,ilsedirigeaverslecouloir,maisAidanl’arrêtad’ungeste.—Ne faites pas demanières, Edward. (Sa voix sèche contrastait totalement
avec celle de son frère.) Bien sûr que Jude peut rester. Bon, et maintenantexpliquez-moiquelestleproblème.Edwardsecoualatête.—Vousnecomprenezpas.C’estuneaffairesérieuse.Ettrèsprivée.—Nemeditespasquevousêtestombéamoureuxdelaservante?Labaronneintervintenfin.—Aidan.Nemanquezpasderespectàvotrefrère.EllesetournaversJude,quis’inclinalégèrementpendantqu’ellelejaugeait.—Jesuisdésolée,MrBertrand,maisvousallezdevoir...(Elles’interrompitet
fronça les sourcils.) Non, attendez. Peut-êtreMr Bertrand pourrait-il nous êtreutile.Ilvoitleschosesavecunecertaine...perspective.À ces mots, Jude haussa les sourcils, curieux de savoir ce que la baronne
pouvaitbienavoiràl’esprit.—Oui!s’exclamalecousin.Samère!
Ah. Jude hocha la tête. Sa mère. Edward avait-il engrossé l’une de sesmaîtresses?—Sijepeuxvousaiderdequelquemanièrequecesoit,j’enseraiheureux.Et
ilvadesoiqueladiscrétionestunequalitéquim’aétéenseignéedèsleberceau.MaisEdwardnesemblaitpasl’entendredecetteoreille.—Ils’agitd’unsujettropdélicat.(Iljetaunregardfurieuxàsamère.)Comme
vouslesavezbien.Aidansecoualatêteettraversalapiècepours’emparerdelacarafedebrandy.—C’est ridicule. Jemettraismavie entre lesmains de Jude.S’il peut vous
aider,alorsdites-lemonvieux,lança-t-ilens'affalantsurunechaise.Judes’approchadubuffetetseservitunverreàsontour.Ilauraitdûprendre
congé,maissacuriositéétaittellequ’ilenoubliasesbonnesmanières.—Ils’agitdenotresœur!sifflaEdward.Son chuchotement s’était sans doute voulu discret,mais à l’inverse il emplit
toutelapièce.Judesefigeauninstant,puisseretournapourfairefaceàlafamilleYork.—Marissa?demanda-t-il.(Touslesregardsconvergèrentverslui.)Euh...Je
veuxparlerdeMissYork,biensûr.Aidanseleva,attirantalorsl’attentiongénérale.—Quesepasse-t-ilavecMarissa?Saboucheseréduisitàunmincetrait.—Ehbien,Aidan...commençasamère.—Quesepasse-t-ilavecMarissa?criaAidan.Edwardprituneprofondeinspiration,puisdéclaracalmement.—Savertuestcompromise.Lesilenceenvahitlebureau.ToutlemonderetintsonsouffleetobservaAidan,
dontlesoreillescommençaientàs’empourprer.Celaneprésageaitriendebon.Lebaronlevalesmainsensigned’apaisement.—Lemalestfait.Nousdevonsmaintenantluitrouverunmari,etrapidement.
Peut-êtreJudepourrait-ilnousaider...— De qui s’agit-il ? questionna Aidan d’une voix blanche. A-t-elle été
blessée?Levisagesoudaingrave,Judes’avança,maisEdwardsecoualatête.—Non.Elleétaitivre.Ets’estcomportéedefaçonstupide.Maisellen’apas
étéblessée.Etlesoi-disantgentlemann’estplusici.—Quiest-ce?rugitAidan.Edwardgrimaçaetdéglutitavecdifficulté.—PeterWhite.Aidan proféra à voix basse une litanie de menaces. Jude écouta l’histoire,
racontéeparbribes,etse fitune idéede lapersonnalitédeMrWhite.Un tristesirearrogant.Etunecanaille,apparemment.—Ignoblelâche,marmonnaJudependantqu’Edwardexposaitlesraisonspour
lesquellesMarissanepouvaitépouserMrWhite.— Mais, ajouta précipitamment Edward, elle doit épouser quelqu’un. Les
domestiquesjasentdéjà.Etsicetindividuaplantésagraine...Labaronneagitalesmains—C’esthorrible.Impossible.EtsiMrWhiteinsiste?Aprèstout,ils’agirait
desonenfant.Harrysecoualatête.—Jesuisdansl’incapacitéderessentirlamoindrecompassionpourlui.Ilaeu
unenfantdelafilledusellier,etnenourritaucuneaffectionenverslui.Ilnes’estmêmepasdonnélapeinedeluiassurerunrevenu.(Harrysemblaitaffligéparsespropresparoles.)Jesuisdésolé.J’auraisdûsavoirqu’ilnepouvaitrienapporterdebon,etnepasl’inviter.—Vousn’êtesenaucuncasresponsable,lerassuraEdward.Maismaintenant...
nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour trouver à ma sœur ungentlemandécent.— Oh, quel supplice, se lamenta la baronne. Notre Marissa doit épouser
quelqu’un de généreux et de respectable. Un homme de bonne famille, qui latraiterabienet...reconnaîtral’enfantcommelesien.—Maisquidoncpourraitbienacceptercela?s’écriaAidan,levantlesmains
dansungestededésespoir.Ilsseregardèrenttoustristement.Judeattenditunmoment,essayantd’yvoirplusclairparmilespenséesquise
bousculaient dans sa tête, pour s’assurer que son instinct ne le trompait pas. Iln’étaitpashommeàdouterdelui,aussineluifallut-ilquequelquesinstantspouracquérirlacertitudequesadécisionétaitlabonne.Avantquelaconfusionrègnedenouveaudanslapièce,Judes’avançaetdéclaraeninclinantlatête:—Moi.Pendantun temps,personnene réagit.Personnen’osamême le regarder.Puis
Aidanluijetauncoupd’œilperplexe.—Quevoulez-vousdire,Jude?—Quejeconsentiraisàépouservotresœur.Toussetournèrentalorsverslui.—Vous?fitlabaronned’untonsec.—Oui,moi.—Maisvousêtes...—Unbâtard?réponditJudeensouriant.—Ehbien...oui.Certes,jepensaisquevouspourriezapporterunpointdevue
intéressantouêtredebonconseil,mais...unmariné...—Ah,maisjesuislefilsnatureld’unduc.Lefilsreconnud’unduc,devrais-je
dire. Et je doute que vous trouviez un autre fils de duc prêt à accepter cettesituation.Jen’aipasdetitreàprotéger,aussin’ai-jepointbesoindem’inquiéterd’unhéritierillégitime.Etjen’aipasreçulenomdemonpère,enconséquence,jen’aipasàmepréoccuperdeletransmettre.Ilobservalabaronne,quiréfléchissait.—C’estunpointdevueintéressant,concéda-t-elle.Aidanenfonçalesmainsdanssespochesd’ungestefurieux.— Et pourquoi voudriez-vous épouser ma sœur ? La connaissez-vous, au
moins?—Bienentendu.Jesuisdéjàvenuiciàl’occasionde...quatreréceptions,sije
nem’abuse.Toutefois,jenepeuxvousassurerqu'ellemeconnaît.Aidanémitunpetitgrognement. Ilssavaient tousdeuxqueJuden’étaitpas le
genre d’homme à attirer les demoiselles bien éduquées. Il avait une silhouettemassiveetnesecaractérisaitpasparsadistinction.Sestraitsn’étaientniraffinésnirassurants.Lesjeunesfilleschoyéesavaientplutôttendanceàlefuir.Enrevanche,certainstypesdefemmes–cellesquiétaientmariéesdepuisune
dizaine d’années et n’étaient pas heureuses dans leur couple, par exemple – leconsidéraient avec une convoitise avide. Il avait l’air d’une brute, et c’étaitjustementcequ’ellesrecherchaient.— Donc, poursuivit Aidan sur un ton dubitatif, il vous est peut-être arrivé
d’êtreassisenfaced’elleàunrepas.Celanerépondtoujourspasàmaquestion.Pourquoivoudriez-vousl’épouser?—Ellemeplaît.—Marissa?
Judeneputretenirunpetitrireenpercevantledoutedanslavoixdesonami.—Oui,Marissa.—Ellenesemblepasvraimentêtrevotretype.C’estvraiqu’ilavaitunefaiblessenotoirepour lesfemmespeuconvenables.
Judehaussaunsourcil.—Apparemment,elleesttoutàfaitmontype.Choquéparcettedéclaration,Aidansemitàscruterlesol.A lavérité,Marissaavaitattiré l’attentiondeJudedès lapremière foisqu’il
l’avaitaperçue.Sesyeuxvertsbrillaientd’unelueurindéfinissable.Onn’ylisaitpas de la joie, mais... une volonté de transgression. Il s’était toujours étonnéd’êtreentourédegensquiparaissaientlaconsidérercommeledernierbastiondecalme et de bienséance de la famille York. Il est vrai qu’elle était grande,gracieuseetravissante,maisn’yavait-ilpersonned’autrequeluiquiperçoivelemouvementdesessourcilsquandelleentendaitunjeudemotsgrivois?personnequineremarquelafaçondontelleexaminaitlecorpsdeshommesquandellelesregardaitdanser?Cettefilleaimait levin, ladanseetlesjolisgarçons.Ellemontaitsoncheval
avecunefouguedébordanteet,dèsqu'ellelepouvait,ellesedébarrassaitdesessoulierspourfoulerlaterredesespiedsnus.Soncôtéindomptableétaitàpeinedissimulé,etJudeledevinaitchaquefoisqu’ils’approchaitd’unpeutropprès.MaisparcequeMarissaYorkmarchait d’un air hautain, lementonbienhaut,
elleétaitconsidéréecommeunejeunefilleconvenable.Ellenes’évanouissait,necriait ou ne riait pas aussi fort que le reste de sa famille, aussi la pensait-onguindée. Peut-être était-elle un modèle de maîtrise de soi comparé aux autresYork,maisc’étaitlapassionqu’elleessayaitdecanaliserquiintéressaitJude.Sortant de ses rêveries, il leva la tête et s’aperçut que les membres de la
familleéchangeaientdesregardslourdsdesens.—Souhaitez-vousquejevouslaissediscuterdecetteaffaire?proposa-t-il.—Merci, Jude, répondit Edward d’un air soulagé. Allez prendre un verre.
Nousavonsàparler.Etjevousconseilledereconsidérervotrepropositionavecunpeuplusdesoin.Haussant les épaules, Jude tourna les talons et quitta le bureau. Il n’avait
nullement besoin de réfléchir plus longtemps. S’il arrivait à la persuader derenoncer à son attirance pour les beaux garçons, Marissa York ferait une trèsbonne épouse, indécente à souhait. Les beaux garçons venaient cependant enmasseauxsoiréesdelasaisondelachasse.Judeauraitundéfidetailleàrelever.
Chapitre2
Bouillant d’impatience et de frustration,Marissa attendait en se tordant lesmainsque la servante terminede lacer soncorset.Le soleilmatinalquibrillaitjoyeusementau-dehorsparaissaitsemoquerd’elle.Elleregardaitavecfureurlalumière qui pénétrait dans la pièce, brûlant d’envie de bouger, demarcher, decourirjusqu’àlaportepourl’ouvrirviolemment.— Oh, dépêchez-vous, marmonna-t-elle en serrant ses mains l’une contre
l’autrepours’empêcherdelesagiterinutilement.Laveilleau soir, elleavaitpenséqu’elleneparviendrait jamaisà trouver le
sommeil.Aprèsavoirétéenvoyéedanssachambre,elles’étaitretrouvéetirailléeentrelaterreuretleregret,etlalutteentrecesdeuxsentimentsl'avaitlaisséetrèsagitée. Elle s’était tournée et retournée dans son lit, puis avait arpenté sesappartementsde longen large,cherchantunmoyendese tirerdecette situationépouvantable.Personne n’était venu lui parler, et elle était tropmortifiée pour demander à
voirquiquecesoit.L’attenteavaitétéunevéritabletorture.Elle avait enfin réussi à s’endormir, et ne s’était réveillée que tard le
lendemain.Cematin-là,leregretsemblaitavoirremportélabataillenocturne;elleenétait
malade.Qu'avait-ellefait?La note laconique d’Edward se détachait sur le bois sombre de la coiffeuse.
L’écrituredesonfrère,d’ordinairesisoignée,trahissaitunecolèremalcontenue.Marissa était priée de se rendre dans son bureau sans tarder. Son destin l’y
attendait. Si seulement elle avait été réveillée et habillée quand le valet avaitapportélanote,elleseraitdéjàauprèsd’Edward.Enfin, la servante l’aidaàenfilerune robe.Tandisqu’elleobservait la teinte
maussadede l’étoffegrisclair,Marissapoussaunsoupirdesoulagement.Peut-être son frère éprouvait-il également des remords. Peut-être avait-il changé
d’avis.Mon Dieu, elle s’était comportée de façon tellement stupide. Tellement
insensée et imprudente. Le responsable était sûrement le vin.Oui, le vin. Et lacoupeseyantedelanouvellevestedePeterWhite.Etsonpantalonquiépousaitlacourbedesescuissesquandildansait,soulignantleur...élégance.Les hommes avaient des jambes si magnifiques. Fines et fortes, et exposées
d’unemanièredontnel’étaientjamaiscellesdesfemmes.Sefiguraient-ilsquelagent fémininepuisse rester insensibleà leurvue?Si l’onencroyait leur façond’exhiber leurs cuisses, à peine couvertes par leurs pantalons ajustés, lesgentlemendésiraientêtreadmirés.Quels hypocrites ils faisaient, àmontrer ainsi leur corps en s’attendant à ce
qu'elleneregardepas.Ounetouchepas.Malgrétout,ellen’auraitpasdûcéderàlatentation,carlejeun’enavaitpas
valu la chandelle. Avant cette expérience malheureuse, les choses s’étaientpassées bien différemment. Avant cela, il n’y avait eu nimaladresse ni regret,mais...Marissa soupira encore plus profondément, certaine qu’elle ne goûterait plus
jamaisàunesensationaussidélicieuse.—Voilà,c’estterminé,MissYork,annonçalaservante.Celle-ci,nouvelleetvisiblementnerveuse,ajustaunedernièrefois lamanche
delarobe.Marissa hocha la tête. Elle aimait bien la jeune fille, mais si son ancienne
bonnenes’étaitpasenfuiedeuxsemainesauparavant,elleauraiteuquelqu’unàquiparler.Danslasituationactuelle,ellesesentaithorriblementseule.Pourtant libre de descendre dans le bureau, elle resta unmoment à regarder
fixementlaporte.Aidandevaitêtreaucourant,désormais.Iln’étaitpasvenulavoirdanssachambrelaveilleausoir,cequisignifiaitsansdoutequ’ilétaittropencolèrepourluiparler.Ellen’avaitpaspeurd’Edward,maisAidan...Ilavaitchangé, ces derniers temps, et elle craignait d’éclater en sanglots dès qu’iltourneraitversellesonregardfurieuxetdéçu.Ilfutuntempsoùilétaitcharmantetheureuxdevivre;c’étaitavantqu’il lui
arrive une histoire douloureuse : la jeune fille qu’il aimait et avait l’intentiond’épouserétaitmorte.Lacolèreetlaculpabilitéqu’avaientfaitnaîtrechezAidanlestristescirconstancesdudramel’avaientchangé.Luiquiétaitsiagréableàuneépoqueétaitdevenuunhommefroid.Marissan’avaitaucuneenviedeseretrouverfaceàlui.Maisilétaittempsdepayerleprixdesabêtise.Secouantlatêteavecgravité,
ellepartitendirectiondubureau.Elle s’attendait évidemment à y trouver Edward, et redoutait la présence
d’Aidan.Maisellesefigeasurleseuildelapièceenapercevantlesgentlemenquil’observaient.Avraidire,ilsn’étaientquequatre:sesfrères,soncousin,etunautrehomme
quiluiparaissaitvaguementfamilier.Elleeutlabrèveimpressionqu’ils’agissaitdel’undesjardiniersdelapropriété,maisellen’eutpasletempsd’enavoirlecœurnet,carEdwards’avançaitdéjàverselle,levisagesérieux.Une lueur d'affolement dans les yeux, elle aperçut alors, dans un coin de la
pièce,samèreassisedansunfauteuil.Aucunespoir,cependant,detrouverrefugeauprèsd’elle;lespaupièrescloses,elletenaitunecompressefroidesurlatête.Marissaallaitdevoirfaireface,seule,auxhommesdesafamille.—Marissa. (Edward l’embrassa sur la joueet s’emparadélicatementde ses
mains,commes’ilavaitpeurdelesbriser.)Commentvoussentez-vous?—Plutôtbien.—Enêtes-vouscertaine?Nevoussentez-vouspas...blessée?—Paslemoinsdumonde.Ellesedressasurlapointedespiedspourluimurmureràl’oreille:—Aidanest-iltrèsencolèrecontremoi?—Jecroisqu’ilestsurtoutfurieuxcontrecettecanailledeWhite.Marissa jeta un coup d’œil furtif par-dessus l’épaule d’Edward. Aidan
regardait par la fenêtre, la mâchoire si serrée qu’elle apercevait ses musclestressaillirselonunrythmemystérieux.—Ilnemeregardemêmepas.Edward, jesuissidésolée.Avez-vous...vous
avezsûrementreconsidérévotreposition,n’est-cepas?Jesuiscertainequ’iln'yapaslieudes’inquiéter.—Bienaucontraire.Jevousaisansdoutetrouvéunmari.—Pardon?Choquée,ellereculadequelquespas,franchissantleseuildelaporte.Ellese
trouvaitdésormaisdans lecouloir,commesiparcourir lesquelquescentimètresquilaséparaientdubureaurevenaitàaccepterleprojetinsensédesonfrère.—Où donc avez-vous pu trouver un homme qui consentirait à m’épouser ?
demandaMarissa,stupéfaite.—Enfindecompte,icimême.—Ici?Danslarégion?
—Ici,dansnotremaison.—Maisdequis’agit-il?Ilfitungesteversl’intérieurdelapièce.—MrJudeBertrand.—MrBertrand?répéta-t-elleunpeufort.La panique commençait à la gagner. Edward n’avait absolument pas changé
d’avis.Ilfaisaitavancerleschosesàunrythmeétourdissant.—QuiestMrBertrand?s’enquit-elle.Marissavitalorsbougerlasilhouettequisetrouvaitaucôtéd’Aidan.L’homme
qu’elleavaitprispour le jardiniers’avançaverselle.Salargeboucheesquissaun sourire en coin. S’arrêtant à quelques mètres d’elle, il s’inclina avec unecertaineélégance.—C’estmoi.JudeBertrand,prononça-t-ilavecundélicieuxaccentfrançais.— Ne devriez-vous pas me le présenter ? demanda-t-elle sèchement à son
frère, dans le but d’offenser cet individu présomptueux, qui ressemblait à undomestiquevêtucommeungentleman.—MissYork,toutesmesexcuses,ditl’hommeenseredressantetencroisant
sonregard.Maisnousavonsdéjàétéprésentés.Àdeuxreprises.—Oh ! (Elle porta lamain à sa poitrine, un instantmortifiée par sa propre
grossièreté.)Jesuisdésolée,MrBertrand.J’aidû...Les mots s’étouffèrent dans sa gorge lorsqu’elle prit conscience de
l’insignifiancedetoutescespolitesses.EllejetaàEdwardunregardàladérobée,tentantdeluifairecomprendresoninquiétude.Cet homme n’était pas convenable. Absolument pas. Grand et fort, d’aspect
sauvage,ilavaitunecarrurequiledestinaitànettoyerlesécuriesouàtransporterdesmarchandisessurunbateau.Cen’étaitpasungentleman.Loindelà.—Je...,commença-t-elle.Puis, s’arrêtant brusquement, elle décida de cesser la finesse et adressa une
œilladeaffoléeàsonfrère.Ilsourit.—Marissa, Mr Bertrand est un ami proche d’Aidan, et il a généreusement
proposé d’être votre... chevalier servant pendant les prochaines semaines.L’autoriseriez-vousàvousaccompagnerdanslasalledupetitdéjeunercematin?Sonfrèreavait-ilperdularaisonparsafaute?Marissarefusa.—Jesouhaiteraisplutôtm’entretenirunmomentavecvousenprivé!
MrBertrands’inclinadenouveau.—Biensûr,MissYork.Jevaisprendrecongé.Sonsalutfutencoreunefoisd’uneéléganceparfaite,maisquandilseredressa,
il lui semblaplus imposant encore. Ildépassait sesdeux frèresen taille, et sesépaulesluiparurentremplir l’encadrementdelaportequandellereculapourlelaissersortir.Àbienyréfléchir,ellepensaquesacarrureétaitmoinscelled’unjardinier que celle d’un forgeron. Oui, elle l’imaginait parfaitement dans untablierencuir,ungrandmarteauàlamain.C’étaitdelafoliedouce.LeurcousinHarryseleva,labouchetordueparleremords.—Jenepeuxm’empêcherdemesentirresponsable.PeterWhiteétaitmonami,
aprèstout.Jevousdemandeàtousdebienvouloirm’excuserdel’avoirinvité.—Neditespasdebêtises, le rassuraEdward.Aidanetmoi le connaissions
aussi.Cen’estpasplusvotrefautequelanôtre.S’ilvousplaît,cessezdevoustorturer.Harryn’avaitpasl’airconvaincu.—Siseulementilsuffisaitdel’obligeràprendresesresponsabilitéscommeun
gentleman.Jeseraishonoréd’avoirl’occasiondel’enpersuader.Tentantderecouvrersoncalme,Marissafermalesyeux.Quandellelesrouvrit,
Aidanse trouvaitdevantelle.Elles’était trompéeenpensantqu’il lablesseraitd’unregardfurieux.Ill’observaitavecunmélangedepitiéetdedéception.Lagorgeserrée,ellesentitleslarmesmonter.—Jesuisdésolée,murmura-t-elle.Maisn’est-ilpaspossibledereconsidérer
ceprojet?Edwardsecoualatête.—Nousprenonsdéjàungrandrisqueenattendantunmois.Jevousaicédésur
cepoint,Marissa.C’estplusquenotrepèren’auraitfait.—Mais cet homme... il n’est absolument pas convenable. Je ne le laisserais
mêmepasmefairetraverserlarue,alorsluiconfierlerestedemavie!Aidanpritenfinlaparole.—JudeBertrandestungentlemanetunamipourquij’aiunegrandeaffection.
S’ilenallaitautrement,jeneluiauraispaspermisdefairecetteproposition.—Ondiraitqu’ilsorttoutdroitdesaforge!—Marissa ! s’écriaAidan, et elle vit alors dans ses yeux lemépris qu’elle
avaitcraintd’ytrouver.Vousparlezcommeunegaminesotteetgâtée.Unhommede bien a proposé son aide pour résoudre un problème provoqué par votre
inconséquence.Aulieud’agircommeuneenfantmalélevée,vousferiezmieuxdeletraiteravecunpeuplusdecourtoisie.Ces paroles mirent Marissa dans une colère noire, qui lui fit oublier sa
souffrance.—Jeneleconnaismêmepas!Aidansepenchaverselleetpointaundoigtsursapoitrine.—Voicicequevousdevezsavoir:c’estunhommebonetintelligent.Jenel’ai
jamaisvumaltraiterunefemme.Etsanshésiter,ils’estditprêtàvousépouseretàaccepterl’enfantd’unautrecommesonpremier-né.— II... (Remplie de frustration, elle renonça.) Et quel genre d’homme
consentiraitàcela? Ilnepeuts’agirqued’un imbécilecupidesans lamoindrefierté,quiaspireavanttoutàs’éleversocialementparunmariageavantageux!— Marissa Anne York, intervint Edward en croisant les bras. Vous vous
oubliez.Dois-jevousexpliquerleshorreursquelesgensraconterontàvotresujetsilavéritévenaitàéclateraugrandjour!Votredédainestterriblementmalvenu.La colère quitta Marissa aussi soudainement qu’elle était apparue pour lui
donnerlaforcedes’insurger,etellepritalorslapleinemesureduméprisdesonfrère.Découragée,elleportalamainàsonfront.— Je suis désolée. Je suis certaine qu’il s’agit d’un homme de bien, c’est
simplementque...—Puisquevoussemblezaccordertantd’importanceàceschoses,l’interrompit
Aidan,sachezqueJudeBertrandestlefilreconnududucdeWinthrop.Iln’anulbesoinde s’élever socialement,Marissa.Et certainementpaspar lebiaisde lasœurdéshonoréed’unbaron.Marissafermalabouchesirapidementquesesdentss’entrechoquèrent.QuantàAidan, il avait lamâchoire tellementcrispéeque l’on imaginait sans
peine ses molaires se fissurer sous la pression. Il secoua la tête avec uneexpressiondedégoûtetdelassitude.—Vousn’êtesplusuneenfant.Vousvousenêtesbienassurée.Vousépouserez
JudeouPeterWhite,maisjecrainsqueMrWhitenefassepointuntrèsbonmariaveclagorgetranchée.—Aidan,murmura-t-elle.(Elletentadeluiprendrelebras,maisilrecula.)Ce
n’est pas juste. Jamais on ne vous contraindrait à épouser une fille qui...(Horrifiéeparcequ’elleavaitétésurlepointdedire,Marissas’interrompit.)Jesuisdésolée.Pendant quelques instants, la douleur assombrit les yeux d’Aidan.Un sourire
vintalorsadoucirsonvisage.—Lavieestinjuste,petitesœur,maisJudeestunhommebon.Jen’auraispas
acceptésonoffresiteln’avaitpasétélecas.Marissaacquiesça,sachantqu’ildisaitlavérité.S’approchantenfindesasœur,
Aidanl’attiraàluietlaserradanssesbras,avantdel’embrassersurlajoueetdela relâcher.Marissa voulut s’agripper à lui,mais elle s’aperçut qu’il était déjàloin,lesyeuxtournésverslepassé.—Sivousvoulezbienm’excuser...Ilallaitsansdoutepartirpourl’unedeseslonguespromenadesàcheval,dontil
nereviendraitpasavantplusieursheures.LesamiesdeMarissatrouvaienttoutesson côté mélancolique irrésistiblement romantique, mais Marissa ne partageaitpasleuradmirationpourlechagrindesonfrère.Pendantunlongmoment,ellegardalesyeuxrivéssurlaporteclosedubureau.—Jesuisd’accordavecMarissa,déclarasamèred’unevoixchevrotante.Ce
MrBertrandauneapparenceeffrayante,etilsedéplacecommeunvoleur.Jenecomprends toujours pas pourquoi elle ne peut tout simplement pas épouserMrWhite. Il estbeauet charmant, et sa sœur estmariée àGeorgeBrashears.Voussouvenez-vousdemonsieur...— Elle ne peur l’épouser, intervint Edward d'un ton cinglant, car il a fait
preuvedemalhonnêtetéenluiprenantsavertudansunetentativedélibéréedelacontraindreaumariage.Sont-celàlesmanièresd’unhommecharmant?—Ehbien...s’ilaffirmeêtreamoureuxd’elle...Edward et Marissa jetèrent tous deux un regard noir à leur mère, qui se
renfonçadanssonfauteuilenpoussantunsoupiràfendrel’âme.—Je supposequevous êtesdans levrai, baron.Oh, toute cette situation est
tellementdifficileàaccepter!Mapauvrefamille!Unefoisdeplus,elles’évanouitcommeellesavaitsibienlefaire.MarissasetournaversEdward.—Lefilsreconnud’unduc.Ilestdoncbienné?—Oui.Elles’apprêtaitàjoindrelesmainspourimplorersonfrère,quandellerepensa
auxparolesd’Aidan.Ellelaissaretombersesbras.—Jen’aijamaiséchangélemoindremotaveclui,Edward.—Ilestvenunousrendrevisitequatrefois,maisjesupposeque,s’ilnes’est
paspavanésurlapistededanse,vousn’avezpasdûluiprêterattention.LacruautédecettevéritéfrappaMarissadepleinfouet,commeunventglacial.
Elle eut soudain la chair de poule.C’était plus fort qu’elle. Elle aimait danseravec de beaux gentlemen. Elle aimait les attentions galantes et la griserie desbaisers volés. Et, en l’absence demusique et de danse, elle préférait voir leshommesdisparaîtreentreeuxdansleurssalonsenfuméspourlalaisserseuleavecsesamies.L’inverse était également vrai pour la gent masculine, du moins c'était
l’impressionqu'elleavait.—Jesuissûrequ’ilesttrèsgentil...—Vous ledécouvrirezbienassez tôt. Judepasseradu tempsavecvouscette
semaine. Assez de temps pour que personne ne jase si des fiançailles sontannoncéesdansunequinzainedejours.Marissa sentit la révolte gronder en elle. Elle avait envie de hurler son
désaccord.De tomber à genoux et de supplier.De crier aumonde entier de lalaissertranquille.Maissesfrèresavaientraison.Ellen'étaitplusuneenfant,mêmeausenslarge
du terme.Marissa croisa lesmains et acquiesça. Il lui restait encore du tempspour trouver une autre solution, si c'était nécessaire. Elle n'avait pas dit sonderniermot.JudeBertrandn'étaitpassonmari.Pasencore.
Chapitre3
Deboutaufonddelagrandesalle,lesmainscroiséesdansledos,MrBertrandregardaitparuneétroitefenêtre.Lesoleilauraitdûinonderlapièce,maisledosmassif de l’homme faisait barrage à chacun de ses rayons. Marissa se fit laréflexionqu’ellen’aimeraitpasêtrelafilledontilécraseraitlespiedsendansant.Pourtant,misàpartsacarrureimposante,ellenevoyaitpasd’autreraisonde
croire que Jude Bertrand n’était pas un gentleman. Peut-être avait-il fallu desmètres de tissu pour couvrir ses épaules, mais la coupe de sa veste étaitimpeccable.Sescheveuxétaientcertesunpeuépais,maiscoupésavecsoinsursanuque.Lesoleilsereflétadanssescheveuxfoncésquandilbougea.Marissas’aperçut
alors qu’ils n’étaient pas vraiment bruns,mais auburn. Elle se surprit à penserqu’ilsavaientprobablementétéd’unrouxflamboyantdanssajeunesse.Ilavaitdûressembler à un vrai petit garnement, à l’époque, avec ses cheveux roux et sestraits grossiers. Et il en serait de même pour ses enfants. Avec sa proprechevelured’unblondvénitien,lerésultatseraitinévitable.Elleavaitcomptés’approcherdeluiavecdétermination,maiscettepenséelui
fitralentirlepas.Peut-êtreMr PeterWhite n’était-il pas un choix si terrible, en définitive. Il
avaitdel’espritetétaittoujoursentouréd’unefouled’amis.Elle s’arrêta, avec l’intentionde s’éclipser sans se faire remarquer,maisMr
Bertrandlevalatêteetsetournaverselle.—MissYork,dit-ild’unevoixsolennelle.Pensant à ce qu’il devait savoir sur elle, elle rougit quand leurs regards se
croisèrent.—MrBertrand,murmura-t-elle.Ilsourit,etelleestimaqu’ilavaitaumoinsunsourireagréable,endépitdela
largeurvulgairedesabouche.—Avez-vousdécidésivousacceptiezque jevousaccompagnedans lasalle
dupetitdéjeuner?Cette question rappelait l’impolitesse dont elle avait fait preuve auparavant.
«Sivousacceptiez,»Envérité,ilneparlaitabsolumentpasdupetitdéjeuner.Illuidemandaitsielleconsentiraitàl’épouser,àlafindumois.S’ilpouvaitjouerlerôledesoupirant.Parcequ’elleavaitperdusavirginitélaveille,surlecanapéducabinetdecouture.Ellesentitlefeuluimonterauxjoues.—Biensûr,MrBertrand.J’enseraishonorée.Ilhocha la tête,mais l’expressiondesabouche laissaitclairementapparaître
qu’iltrouvaitsaréponseamusante.—Jesuisdépasséeparlesévénements,expliqua-t-elle.Cen’étaitpasfaux,maisellesavaitquesagêneprovenaitsurtoutdufaitqu’elle
ne réussissait pas à s’imaginer épouser un individu tel que lui. Elle aimait leshommesbeaux,élégants,raffinés.JudeBertrandétait...Marissa n’arrivait pas à se résoudre à dire qu’il était laid, pas quand il se
montraitsicorrectavecelle.Maissonvisageétait tellement largequ’ildonnaitl’impressiond’avoirétéfaçonnédanslapierre,etsonnezportaitlatraced’uneancienne fracture, comme si le burin du sculpteur avait glissé. Ses pommettesétaienthautesetmarquées,et l’angledesessourcilsrendaitsestraitsmasculinspresquemenaçants.Sansparlerdesastatureimpressionnante...Jude s’avançavers elle, etMarissa en profita pour regarder ses cuisses à la
dérobée. Les muscles se tendaient sous son pantalon, dans une expositionvulgaire.Ilétaitplustaillépourlechampdebatailleoulechantiernavalquepourlasallededanse.Malgrétout,elleaccepta lebrasqu’il luioffrait, remarquant la toucheépicée
desonodeur.Son bras était si dur sous sa main qu’il évoquait plus le bois d’une rampe
d’escalierquelachaird'unhomme.Peut-êtreaurait-elletrouvécelaréconfortantsi elle le connaissait, et s’il avait le devoir de prendre soin d’elle et de laprotéger.Maisc’étaitunétranger,aussineressentit-ellequ'unevagueanxiétéetnes’appuya-t-ellequ’aveclégèretésursamanche.— Je vous prie de m’excuser, murmura-t-elle tandis qu'ils entraient dans la
salle du petit déjeuner. Je suis désolée de ne pas vous avoir reconnu tout àl’heure.—Vous n'avez nul besoin de vous excuser. Je ne suis pas surpris de ne pas
avoirattirévotreattention.Marissaparcourutlapièceduregard,constatantqu’unconviveétaitentrainde
partiretqu’ilnerestaitplusqu’unepersonne,savieilletanteOphélia.Marissase
rapprochadeMrBertrand.—Jenecomprendspaspourquoivousagissezainsi.—Vousn’avezpasfaim?—Jeneparlepasdecela,protesta-t-elleavecungesteimpatientdelamain.
(Elle baissa le ton.) Pourquoi vous êtes-vous porté volontaire pourme faire lacour?Ilarrêtaleurlenteprogressionverslebuffetetsetournaverselle.—Parcequejevousaimebien.—Vousvenezdeledirevous-même,vousnemeconnaissezmêmepas!—Non,MissYork. J'aiditquevousnemeconnaissiezpas.Moi, jevousai
appréciéedèsl’instantoùnousnoussommesrencontrés.Surpriseparcetterévélation,Marissareculapourmieuxobserverl’expression
sursonvisage.Ilarboraitdenouveaucesourireencoin,commes’ilconnaissaitdessecretssurelle,cequiétaitlecas.—Vousnem’avezjamaisinvitéeàdanser.—Auriez-vousaccepté?Non.Ellesavaitqu’elleauraittrouvéuneexcusepourdéclinersoninvitation,et
éprouvasoudainunsentimentdeculpabilité,cequilarenditfurieuse.—Celasignifie-t-ilquevousétieztroplâchepourmeleproposer,decrainte
quejenerefuse?—Bien au contraire. Je fus assez courageux pour ne pasmemêler de votre
affectionévidentepourlesjeunesgarçonsdistingués.—Mon...,commençaMarissaenledévisageant,bouchebée.Non, c’était impossible qu’il ait percé son secret. Il voulait simplement dire
qu’elleaimaitdanseravecd’élégantsgentlemen.Ellerefermalabouched’uncoupsecaumomentoùMrBertrandluiadressait
unclind’œil,toutendésignantlebuffet.—Allonsnousservir,voulez-vous,MissYork?Soulagée de ne plus avoir à réfléchir à cette conversation étrange, elle
acquiesça.Mais sonsoulagement s’évanouitquand il s’emparad’uneassietteetluiindiquadepasserdevantlui.Ses manières étaient parfaites, et il avait l’intention de lui servir son petit
déjeuner.Une initiative certes louable, si l'on faisait abstraction de l'habituellemesquineriedesgentlemenquandils’agissaitderemplirsonassiette.Entantquedame,elleétaitsupposéeavoirunappétitrestreint.
Cen'étaitpourtantpaslecas.Prenant une inspiration profonde, elle se força cependant à sourire, car les
damesn’étaientpascenséesarracherleurassiettedesmainsdesgentlemenpourobtenir une ration supplémentaire de bacon. Elle pourrait toujours revenirdiscrètement en reprendre, une fois qu’il serait parti à cheval avec les autreshommes.Ilattendaittoujoursdeboutprèsd’elle,tenantdesdeuxmainssonassietteàla
hauteurdesataille.Ellejetauncoupd’œilauxharengs.—Jevousenprie,dit-ilàvoixbasse,désignantleplatd’ungestedelatête.Je
nesauraismetarguerdedéjàconnaîtrevosgoûts.Laissez-moijouerlevaletdepied.Joignantlegesteàlaparole,illuitenditsonassiette.Etonnée,Marissa sentit son rythmecardiaque s’accélérer.Elle se servit avec
précautionunhareng,ainsiqu'une toutepetitecuilleréedecompotedepommes.Quandellearrivaauniveaudubacon,elleglissadeuxtranchesdanssonassiette,puisluidécochaunregardfurtif.MrBertrandhaussaunsourcil,toujourslemêmesouriremystérieuxauxlèvres.
Commes’illaconnaissait.Ou peut-être était-ce simplement ce à quoi ressemblait un sourire sur une
bouchesifâcheusementgrande.Marissasemorditlalèvreetajoutatroistranches,toutenobservantl’épaisseur
brutedupoucedeMrBertrand.Lorsqu’ellerelevalesyeuxverslui,sonsourires’étaitencoreélargi.Quelhommeétrange.Elleseservitgénéreusementdechaqueplatsuivant.Quandelleeutterminé,illasuivitverslatableetposal'assietteens’inclinant
légèrement,avantd’allerremplirlasienne.Unvalets’approchaavecduthé,maisMrBertranddemandaducaféàlaplace.—Préféreriez-vousducafé,MissYork?Préférerait-elle du café ? Elle s’apprêtait à dire « non »,mais se ravisa au
derniermoment.Lamoitiédesvisiteursmasculinsprisaientlecafé,tandisquelesfemmes buvaient toutes du thé, sans exception. Elle avait goûté une fois unegorgée de café, et avait trouvé cela dégoûtant. Amer et fort. Elle n’avait pasaimé...etpourtantellevoulaitréessayer,neserait-cequepardéfi.Marissajetauncoupd’œilàsatassedethéfumante,biensage,etrefusa.—Non,merci.Déconcertée par le sourire de Mr Bertrand, Marissa prit une bouchée pour
avoirletempsderéfléchir.Elleétaitcenséefaireconnaissanceaveccethomme,etpourtantchaquemomentpasséavecluinefaisaitqu’augmenterlaconfusionquirégnaitdanssonesprit.Elle n'avait pas envie de l’apprécier. Il tirait profit d’une horrible situation,
n’étaitmêmepasséduisant,etdesurcroît,elleletrouvaitétrange.Ellen’allaitpasl’apprécierdavantageparcequ’illuiavaitproposéunerationsupplémentairedebaconetuneboissonaudacieuse.Sa tante prit congé avant même que Marissa ait terminé la moitié de son
assiette.—Passez une excellentematinée, tanteOphélia, lança la jeune femme d’une
voixforte.Lavieilledame,àmoitiésourde,agitalamainavecirritation.Ilsseretrouvaientseuls.Marissadécidad'êtredirecte, toutsimplementparcequ’ellen’étaitpasdouée
pourtergiverser.—MrBertrand,jemetrouveàl’évidencedansunesituationdélicate.J'aides
difficultésàl’affronteretpourtantjem’yvoiscontrainte,dufaitdemespropres...erreurs.Il prit la parole aussi calmement que s’ils parlaient de la pluie et du beau
temps.—Je vous assure quevous pouvezparier en toute liberté. Je suis tout à fait
conscientdescirconstancesetlesaccepteentièrement.—Mais...jenevouscomprendspas.Commentest-cepossible?—MissYork,vousavezpeut-êtreapprisparvotrefrèrequej’étaislefilsdu
ducdeWinthrop.Sinoblesoitletitredemonpère,mamèren'estpaslafemmelaplusrespectablequisoit.—Ehbien,jepensais...—C’estunecourtisane.—Auprèsdequi?—Auprèsden’importequelgentlemanqu’elledaigneaimer.—Oh!s’écriaMarissad'unevoixaiguë.Jecroyaisque...oh,jevois.—Elleaaimémonpèrependantunbonnombred’années,maisiln’étaitpas
son seul admirateur, et elle n’était pas son épouse. Quand je vous affirme quevous pouvez parler en toute liberté avec moi, ce n’est donc pas par simplepolitesse.Vousétiezavecunhomme,lanuitdernière,unprétendantencoremoinssouhaitablequemoi.Voilàoùnousensommes.
«Vousétiezavecunhomme...»LecœurdeMarissasemità tambourinersifortqueMrBertranddevaitsûrementvoirsonpoulsbattreàsagorge,etsesjouess’empourprer.Ilétaitimpossibledesecacherderrièredeseuphémismes.Il savait qu’elle s’était allongée et avait remonté ses jupes pour permettre à
PeterWhitede...fairecettechose.—J’avaisbutropdevin.—C’estsouventlecasdanscessituations.—MrBertrand,dit-elled’untonsec.J’essaiedecomprendrevosmotivations.— Je vous ai déjà confessé mes motivations. Vous me plaisez, Miss York.
N'est-cepasuneraisonsuffisante?—Non!Celan’apasdesens.Vousnesavezriendemoi,sinoncettehorrible
chosequej’aifaite.Quepouvez-vousdonctantaimerchezmoiquivouspousseàaccepterdem’épouser?Ilterminasoncafé,l’observantpar-dessuslereborddesatasse.—Ehbien?insista-t-elle.MrBertrandreposasatasse,quisemblaitridiculementpetitedanssesgrosses
mains.Ilsetamponnapolimentlaboucheavecsaserviette,dontleblancmettaitenvaleursapeauhâlée.Pasétonnantqu’ellel’aitprispourunjardinier.Ilavaitsûrementdesliensdeparentéavecquelques-unsd’entreeux.Malgré ses origines peu glorieuses, il n’y avait pas la moindre trace de
soumissiondanssonregardlorsqu’ilsepenchaverselle.Sesyeuxbrillaientdetoutel’assuranced’unducquandilsrencontrèrentlessiens.— Je vous aimebien,MissYork, parce que vous êtes inconvenante, et il ne
peutyavoirdebénédictionplusgrandepourunhommequed’avoiruneépouseparfaitementinconvenante.N’êtes-vouspasd’accordavecmoi?Marissa fut si scandaliséepar cesparolesqu’ellemitquelques instants à les
comprendre.«Inconvenante»?Ill’avaittraitéedefemmeinconvenante?Tandisqu'elle prenait peu à peu conscience de la hauteur de l’affront, ses oreilless’empourpraient.—Commentosez-vous?Vousêtesabsolument...Ilinterrompitsatiradeenreculantsoudainsachaise.— Je suis sûr que vous avez raison. Vous n’avez nul besoin de poursuivre,
j’auraisétémieuxavisédemetaire.Maintenant,sivousvoulezbienm’excuser,jesuis très en retard pour la chasse. Miss York, s’autorisa-t-il à murmurer avecchaleurens’inclinant,sansparaîtreremarquersonimpolitesse.Abasourdie, Marissa observa sa large silhouette disparaître. Pendant un
moment, elle demeura assise, incapable de bouger. Mais rien ne pouvait lacontraindreàrestertranquillebienlongtemps.Elleserralesdentsetselevapourallerseresservirdechaqueplat.MrBertrandn’étaitabsolumentpasungentleman,elles’était trompéesurson
compte.Complètement trompée.Et s’ilpensaitqu’elle tolérerait saprésenceneserait-cequ’uninstantdeplus,JudeBertrandn’étaitpasaussimalinqu’ilenavaitl’air.
Chapitre4
Judeenfilasonplusbelhabitdesoirée,passaunemaindanssescheveuxetcroisasonregardréjouidanslemiroir.Endépitdesonvisage,qu’onnepouvaitqualifierdebeau,ilavaitréussiàproduireuncertaineffetsurMarissaYork,cematin-là. Il pariait que personne ne l’avait jamais traitée d’inconvenante, etqu’ellenieraitl’êtrejusqu’àsonderniersoupir.Maislavéritéserévélaittoujoursplus tenaceque lesmensonges.Sesparoles resteraient gravéesdans l’esprit deMarissa,justementparcequ’ellepensaitqu’ildisaitvrai...Oui,ilétaitloind’êtrebelhomme,maisilétaitsûrqueMarissaavaitsongéà
luitoutelajournée.Elleavaitprobablementrépétéundiscoursscandaliséqu’ellevoudrait luidéclamerdèsqu’elle se retrouverait seuleavec lui. Il s’arrangeraitavec plaisir pour leurménager unmoment d’intimité.Au demeurant, il trouvaitsonindignationtoutàfaitcharmante.Ces pensées furent interrompues par un coup brutal à la porte de ses
appartements.—Oui?AidanYorkapparutdansl’encadrementetl’examinarapidement.— Je n’arrive pas à croire que vous allez devenirmon frère, dit-il d’un ton
rogue.— Ne vous inquiétez pas. Je glisserai un mot à mon père en votre faveur
concernantvotreaffaired’importation,sic’estcequivousintéresse.Aidangrommela,puisregardaleplafondenfronçantlessourcils.—Puisquevousabordezlesujet...Judeluidonnaunetapesurl’épauleetlefitpivoterendirectionducouloir.—Avantquenouscommencionsàparleralliancesintimes,vousferiezmieux
de conduire votre sœur à l’autel. Je crois qu’elle estime qu’il s’agirait d’unmariagepeuconvenable.—Oui.Celapourraitêtreunproblème.
—Jen’aiaucundoutesur le faitqueMarissapréfère lescharmantsgarçons,maiselleestcequ’elleest.Monobjectifestdelaconvaincrequ’ellerecherchepeut-êtrequelquechosed’entièrementdifférentchezunhomme.— Je vois. (Aidan lui lança un regard d’avertissement.) Vous savez qu’elle
prévoitdetoutannulers’iln’yanienfantniscandale.— Je n’ai aucunement l’intention dem’imposer dans sa vie enœuvrant pour
quel’unoul’autreseproduise,sic’estcequevoussous-entendez.—Bien.Malgrél’inconséquencedontelleafaitpreuve,c’estunegentillefille
etjenesupporteraispasdelavoirsouffrir.JudetiquaenentendantAidaninsinuerquel’accepterpourépouxreprésenterait
une souffrancepour sa sœur,mais il se retint de répondre. Il s’abstint aussi dementionnerqu’ilsoupçonnaitMarissad’être toutsaufunegentillefille.Unfrèreaînéétait rarementdisposéàaccueillir favorablementcegenred’hypothèses, etapparemmentencoremoinsàremarquerquandsasœurseconduisaitmal.—Elle s’est de nouveau plainte auprès d’Edward à votre sujet, vous savez.
Elleadéclaréquevotrecomportementétaitinacceptable.—Acausedel’histoiredemamère,jesuppose.—Vousluiavezracontélavérité?—Oui.Aidan s’arrêta un moment en haut de l’escalier, et baissa les yeux d’un air
songeur.—Pensez-vousqu’elleiraitrendrevisiteàvotremèreàNoël?Judes’imaginaMarissadanslesalondesamère,prenantlethéaveclesbelles
femmesincorrectesquis’yretrouvaienttoujours.Elleseraitravie,etJudeaussi.—Jeneferairienquipuissel’offenser,répondit-ilavecprécaution.— Assurez-vous-en. Mais... si vous alliez là-bas, pourrais-je me joindre à
vous?CettefemmequevotremèreappelleChaton...Judeéclataderire.Alamoitiédel’escalier,ilaperçutunnouveauvisiteur,et
sonriresetransformasoudainenungémissementguttural.—Aunomduciel,quefaitPatienceWellingslyici?Aidanjetaunregardàlafemmeenbasdesmarches,etsonvisagesedurcit.—BonDieu!Judeleregardaavecétonnement.—Jepensaisquevouslatrouviezamusante.—C’estvrai,oui.
Juden’eutaucunedifficultéàlireentrelesmotsd’Aidan.Celui-ciétaitréputépoursapopularitéauprèsdesfemmes,maisaussipoursonaversionenverstouterelation d’une durée supérieure à une semaine. En observant Patience à ladérobée, Jude avait supposé qu’elle serait un danger pour lui-même, car celafaisait desmois qu’elle lui laissait entendre qu'elle souhaitait avoir une liaisonavec lui. Mais selon toute vraisemblance, elle représenterait un plus grandproblèmepourAidan.—Alors...,s’aventuraJude.— Je pensais qu’une amitié entamée à la fin de la Saison se révélerait fort
commodémentlimitéedansletemps.Jevoisquej’avaistort.La femme en question, âgée d’une quarantaine d’années, mais encore d’une
grandebeauté,levalatêteverseux.Elleécarquillasesimmensesyeuxbleusquilui valaient tant de compliments lorsqu’elle aperçut Jude, puisAidan.Elle leursourit à tous deux d’un air aimable, et même si son visage reflétait sonintelligenceetsachaleur,sonregardtrahissaitsaténacité.QuandPatiencevoulaitquelquechose,ellefinissaitgénéralementparl’obtenir.Judeavaitréussiànepastomberdanslepiège,cequin’étaitapparemmentpaslecasd’Aidan.—Combiendetempsva-t-ellerester?murmuraJude.Aidansecoualatête.—Jenesavaispasquemamère l’avait invitée.Jesupposequ’ellevarester
toutelasemaine.—Ehbien, je vous serais reconnaissant de la tenir occupée. Je ne veuxpas
qu’elleviennes’immiscerdansmesaffairesavecvotresœur.—Allezaudiable,réponditAidanduboutdeslèvres.Ilsatteignirentladernièremarche,etPatiences’avançaverseux.—MrYork,quelplaisirdevousrevoir.Etvous,cherMrBertrand,comment
allez-vousdepuisladernièrefois?L’irritationdeJudes’atténua.LesavancesdePatienceWellingslynel’avaient
pasdérangé,cetété.Elleétaitdrôleetintéressante.Maiselleavaitlaréputationd’être un vrai cœur d’artichaut.Même sonmari plaisantait à ce sujet, quand ilétait encore en vie. Aidan, dont la réputation était à la hauteur de celle dePatience, mais parce que, pour sa part, il n’aimait personne, avait été stupided’entreteniruneliaisonavecelle.Jude lui baisa lamain, lui adressauncompliment sincère sur sabeauté, puis
prit rapidement congé.Tandis qu’il s’éloignait, il sentit dans son dos le regardbrûlantde fureurd’Aidan,ethaussa lesépaulesensouriant. Iln’étaitnullementobligéd’aidersonimbéciled’ami.Ilavaitunejeunefemmeàcourtiser.
Malheureusement, Marissa ne l’attendait pas en bas de l’escalier, les brascroisésettapantimpatiemmentdupied.L’évitait-elle?Iln’yavaitqu’unechoseàfairepourenavoirlecœurnet.Judesedirigeaverslesalon,puisverslasalledemusique.Ens’approchantdu
seuil, il fut accueilli par une mélodie menaçante, et fut à peine surpris dedécouvrirMarissaaupiano,quitiraitdesnotesgravesdel’instrument.Quandellelevalesyeuxetl’aperçut,lesourireauxlèvres,ellesemitàmartelerlestouchesavecencoreplusdeviolence.—Marissa!crialadyYorkd’unevoixstridente.La musique s’arrêta, et les dernières notes résonnèrent dans la pièce. La
baronnes’éclaircitlavoixetbaissaleton.—Jouezavecunpeuplusdedouceur,machère.Lesautresinvitéssetournèrentverselles,certainsdissimulantdifficilementun
sourire.—Jenesuispasd’humeurdouce,cesoir,mère.Peut-êtresouhaiteriez-vousme
remplacer?—Oh,jenepeux,tressaillitlabaronne,quicommençaitdéjààselever.Jen’ai
pas... Eh bien, soit. Si vous insistez.MrBertrand, auriez-vous l’obligeance dem’accompagner?Vousavezunesijolievoixgrave.Ilrelevalatête,surpris.—Oh,jesuisdésolé,maisjevaisdevoirdéclinervotreproposition,madame.
On m’a dit que lorsque je chantais, ma voix évoquait une meute de loups àl’agonie.Maislaissez-moi,jevousprie,vousconduirejusqu’aupiano.Il lamenaprudemment à son siège, et elle luidit alorsque s’il refusait, elle
allait devoir chanter elle-même. Après quelques flatteries, elle accepta engloussantdeplaisir.Mêmeunepersonnerencontrantlabaronnepourlapremièrefoisnepouvaitmanquerde remarquerque ladyYork adorait par-dessus tout sedonner en spectacle. Elle se lança joyeusement dans une chanson romantique àproposd’unchevalieretdesabelle.Quant à labellede Jude, assisedansun fauteuil, elle le regarda s’approcher
avecunregardnoir.—Miss York, dit-il doucement. (Elle ne lui tendit pas la main.) Vous êtes
ravissante,cesoir.C’étaitvrai.Lesrefletsrouxdesescheveuxmiroitaientàlalueurdesbougies.
Ilavaitenviedesepencherversellepourluidéposerunbaisersurlesommetducrâne,maissonregardfuribondétaitlàpourluirappelerqu’ellelegifleraitsans
doute s’il osait. Et les autres invités risquaient eux aussi de trouver ce gestedéplacé.—Vousm’aveztraitéedefemmeinconvenante,siffla-t-elle.Judesourit.Oh,oui!Elleavaitbeletbienruminésesparolestoutelajournée.—Puis-je?demanda-t-ilens’asseyantàcôtéd’elleavantqu'elleaitletemps
deluiopposerunrefus.Marissaseredressapouréloignersesépaulesdelui.—Votre robe a précisément la couleur d’un lac sous un ciel nuageux. C’est
stupéfiant.—Monsieur, vous ne pouvez pas m’insulter puis vous comporter avec moi
commesinousallionsdeveniramis.—Vousai-jeinsultée?—Manifestement.— Ce n’était pas mon intention. À mon sens, l’inconvenance est une grâce
particulière.L’indécencel’estplusencore.Ilserapprochad’elle,etellefutalorsdansl’incapacitédereculersansattirer
l’attention.—N’êtes-vouspasd’accord,MissYork?Elle se leva si brusquementqu’il sentit un courant d’air dans ses cheveux. Il
l’imita,avecunpeumoinsdehâte.—Allonsnouspromenerdans le jardin,sivous levoulezbien.Lasoiréeest
exceptionnellementchaude.—Voyons,MrBertrand,ledînervabientôtêtreservi.—Alorsjevousprometsdenepasvousemmenerjusqu’àLondres.Larespirationrapide,Marissahaletaitpresquedecolère.Jude jetaunregard
admiratifàsondécolleté.Defaçonassezpudique,maisluttantpourmaîtrisersesémotions.— Je crois, déclara-t-il si doucement qu’elle dut pencher la tête pour
l’entendre,quenousavonsàdiscuterd’affairesimportantes.Enprivé.Illuioffritlebras,etMarissapassarapidementlapièceenrevueavantdes’en
emparer.—Quelquesminutes.Pasplus.Un jeune homme observa Jude conduire Marissa hors de la pièce avec une
expressiontroublée.Judeluisouritdeloin.Quandilssortirentparlaportevitréedonnantsurlaterrasse,Marissapritune
profondeinspirationetlâchasonbras.—Vousêtes impossible,grogna-t-elle.Medemander si je suis inconvenante.
Commesij’étaisunesalegamine.—Oh,MissYork, je vous assure que ce n’est pas du tout ce que je voulais
dire.—Qu’avez-vousvouludire,alors?Juderangeaprudemmentsesmainsderrièresondos,pournepasêtretentéde
découvrirjusqu’àquelpointelleétaitinconvenante.—Combiend’hommesavez-vousembrassés?Ellesuffoquad’indignation.—MrBertrand!parvint-elleenfinàarticulerd’unevoixétranglée.— Plus d’un, je parie. De même que j’ai embrassé plus d’une femme. Une
boucheestunechoseattirante,n'est-cepas?Elle fit un brusque mouvement de tête, comme si elle devait clarifier une
pensée.—Jerefused’avoircetteconversationavecvous.Jesuisunedame,monsieur.— Oui, vous l’êtes, murmura-t-il en observant sa poitrine se soulever et
s’abaisserà lafaible lueurducrépuscule.Etcontrairementàcertainsgentlemenquevousconnaissezpeut-être, ilnemeviendraitpasàl'espritdevousdirequelesdamesn’aimentpaslesbaisers.Qu'ellesn'aimentpaspenserauxhommes.Ouqu'ellesnepeuventpasêtretentéesparlavued'uncorpsbienfait.La respiration de Marissa se ralentit. Elle resta debout sans bouger, aussi
immobilequ’unestatuedanslanuitprofonde.—Je...Est-ceceladontvoussouhaitiezmeparler?C'estridicule.—Avraidire,non.Jevoulaispasserunmomenttranquilleavecvousafinque
vouspuissiezmediretoutesceschosesquibouillonnentdansvotretête.Vousêtesencolère?—Je...oui.Non.Jesuissimplement...(Elleinspiradenouveauprofondément
etredressalesépaules.)MrBertrand...—Jude,jevousprie.Quelquessecondess'écoulèrentavantqu'ellecède.—Jude.Vousdevezvousrendrecomptequenoussommesincompatibles.—Non.—Maisvousêtesplusâgéquemoiet...—J’aitrenteans.VotreamiMrWhiteenavingt-sept,sijenem’abuse.
—Oh.MrWhite.Oui.Ehbien,vousparaissezbeaucoupplusâgéquelui.—Vousavezraison.—Etvousêtestrèsdifférent.Nevousméprenezpas,j’appréciesincèrementle
fait que vous vous soyez porté volontaire pour m’offrir votre assistance, maisj'aimeraisvousexpliquermonplan.—Votreplan?—Oui.(Hochantlatête,ellejoignitlesmainsetcommençaàarpenterlepavé
delongenlarge.)Jenecroispasquelescandaleéclatera.Etsansscandale,iln’yauraplusaucuneraisondepoursuivrecettecomédie.—Maisilesttrèspossiblequ’ilyaitunscandale.Ouunbébé,toutaumoins.Elles’arrêtabrusquementetposaunemainsursonventre.—Non.Jesuissûrequ’iln'yenapas.—Avez-voussaigné?—MonDieu,commentpouvez-vousparlerdetelleschoses?—J’aipassébeaucoupdetempsavecdesfemmesquis’ensouciaient.—Ehbien, pourmapart, je n’ai paspourhabitudedemepréoccuperde ce
genredechosesetnesouhaitepasendiscuter.Pasavecvous.—Jecomprends.Maissachezquevouspourreztoujoursparlerentouteliberté
avecmoi.Sivousavezdesquestions,quellesqu’ellessoient,n’hésitezpasàmelesposer.Vousêtesunefemmeintelligente,MissYork.Vousdevezêtredévoréeparlacuriosité.—Aproposdequoi?—Aproposdeshommesetdediverseschosesinconvenantes.—Non ! s’exclama-t-elle.Absolumentpas !Etde toute façon, jen’aipas la
moindreintentiondevousépouser,celaseraitdonctoutàfaitdéplacé.Judes’approchad’elle,brûlantd’enviedelatoucher.Ilserralespoings.—Quedites-vousd’unmarché?Jem’effaceraigracieusementsivossouhaits
s’exaucent.Malgrémon cœur brisé, je sourirai, vous baiserai la main et vousferaimesadieux.Maisenattendant,nousseronsfiancés.Pourdevrai.—Mais...vousnemeplaisezmêmepas.—Vraiment,MissYork, ne pouvez-vous pas aumoins feindre de croire que
j’aidessentimentsàvotreégard?—Je suisnavrée ! Je fais seulementpreuved’honnêteté.Et quevoulez-vous
direpar«feindre»?—Feindre. Prétendre que vousm’aimez bien, que vousme faites confiance,
que vous pouvezme livrer vos pensées les plus secrètes. C’est tout ce que jedemande.Levantlatête,ellel’observaenfronçantlessourcils.—N’avez-vousdoncaucunefierté?—Ah !Bien au contraire. J’en ai beaucoup trop. Pourquoi, vous demandez-
vous ?Regardez-moi.Qui suis-jepourprétendrevous faire la cour ?Ungrandbâtarddisgracieux,filsd’unecourtisanefrançaise?Commentpuis-jeoserespérerconquérirvotrecœur?Mêmes’ilavaitprononcécesmotsavecunsourire,Marissaétaitaucomblede
lafureur.Elleneparaissaitpasserendrecomptequ’ils’étaitapprochéd’elleetqu’ilpouvaitvoirl’expressionsursonvisage,malgrél’obscurité.—N’ayezdoncpasl’airsitristepourmoi,MissYork.—Jenevoustrouvepaslaid.—Si,vousmetrouvezlaid.Ellesecoualatête,etils’autorisaenfinàapprochersamain.Ilpassaundoigt
sur le menton de la jeune fille, attentif au moindre détail de sa peau. Douce,délicate et chaude contre la sienne. Le souffle deMarissa se fit court, et Judesentitsoncœurfairedesbondsdanssapoitrine.—Vousêtestropbellepourmoi,dit-ilàvoixbasse.Elles’apprêtaitàprotester,maissefigeasoudainquandileffleurasabouche
avecsonpouce.JudeposaleboutdesondoigtsurlalèvreinférieuredeMarissa,essayantde
graverdanssamémoirelasensationdesonsoufflesursapeau.—C’estvrai.Lesgensvontjaserquandilsnousverrontensemble,poursuivit-
il.—Jude...—Ilyauradesmurmuresetdesfroncementsdesourcils,etvousrougirezde
honte.Maisjen’enauraiquefaire,MissYork.Vouscomprenez?—Non,murmura-t-elle.Ilavaitdûavancersonpoucesansréfléchir.LalèvresupérieuredeMarissale
caressaitquandelleparlait.Sa respirations’accéléra. Judeavait lesyeux rivéssursabouche,aussicaptivéqu’unprédateuraffamé.—Jenesuispasungarçon.Celafaitlongtempsquejenelesuisplus.Etjen’ai
jamais été beau, il serait donc vain de le souhaiter. Mais il existe de grandsavantagesàaimerunhomme.Vouspourrezdéciderparvous-mêmecequevouspréférez.Garçon...(ilremontaimperceptiblementsonpouce)ouhomme?
Quand les lèvres de Marissa s’écartèrent, il se sentit envahi par unedouloureuse pointe de chaleur, de moiteur et de promesse. Il fit glisserdélicatementsonpoucelelongdelabouchedelajeunefemme,jusqu’àsajoue.LarespirationdeMarissas’accéléra.Ellesepenchaverslui.— Et maintenant, puis-je vous accompagner jusqu’à la salle à manger ?
demandaJudeensouriant.—Pardon?dit-elled’unevoixdouce.Elleclignadesyeuxavectorpeurquandiltouchalapeausensiblejustederrière
sonoreille.—Ilesttempsd’allerdîner,moncœur.—Déjà?Illaissaretombersamain,etMarissafronçalessourcilsenreculant,commesi
ellevenaitsoudaindeserappelerqu'ellenel’aimaitpas.—Venez,nousdevonsnousprépareràjouerlacomédie.Ellen’hésitaqu’uninstant,observantsoncorpscommepourundernierexamen.
Puis, elle posa unemain sur la sienne et se laissa conduire jusqu’à la salle àmanger. Cette fois, ses doigts reposaient plus naturellement sur lui. Quand ilspénétrèrentdanslapièce,Judearboraitunsourirequimitlejeunehommequilesavaitobservésauparavantdansunétatd’agitationprofonde.Il inviteraitsûrementMarissaàdanseraumoinsdeuxfois,cesoir-là,etJude
les regarderait volontiers, en retrait. Cela ne le dérangeait pas que Marissas’amuse,dumomentqu’elleterminaitlasoiréeaveclui.
Chapitre5
Lasalledemusiqueavaitétédégagéepourquel’onpuisseydanser,carcellededanseétaittropspacieusepourlepeud’invitésprésentscesoir-là.Labaronnes’installadansunfauteuilprèsdupiano,attendantavecimpatiencel’arrivéedeshommes.Lepianistejouaitunairjoyeux,maisMarissalutlemécontentementsurlevisagede samère.LadyYorkn’aimaitpasque lesmessieurs restentdans lasalleàmangeravecleurporto.Elleavaitlesentimentqueleurabsenceretardaitles festivités, alors qu’elle se donnait grand mal pour qu’il y ait toujours del’animationdanslamaisonpendantlessoirées.LadyYorks’enorgueillissaitd’organiserlesréceptionslesplusvivantesdela
région.Celles-ciseprolongeaientsurprèsd’unesemaine,aulieudestroisjourstraditionnels.LedomainedesYorkétait réputépour lessoiréesde théâtreetdedanse folkloriquequiy avaient lieupendant la saisonde la chasse.Labaronnefaisaitvenirdesmusiciens tous lessoirsetsi l’onnedansaitpas,on jouaitauxcartesetauxcharades.Maiscesoir-là,onallaitdanser.Lasalledemusiqueétaitsuffisammentgrandepourcontenirunbonnombrede
couplesetleviolonisteétaitprêt,maisilmanquaitunevingtainedegentlemen.Enfin, on entendit au loin le timbre grave des voix masculines. Quelques
instantsplustard,unpetitgrouped’hommesfitsonapparition.Juden’étaitpasparmieux.Marissatenditlecou,maisnel’aperçutpasnonplus
danslecouloir.Ellen’avaitpaslamoindreidéedelaraisonpourlaquelleellelecherchait. Il était assis en face d’elle pendant le dîner et elle avait donc pul’observerà loisir.Cependant, il leuravaitété impossibledeparler,etMarissas’étaitsurpriseàsedemandercequ’ilavaitditàladameplacéeàsadroitepourla faire rire de si bon cœur. Et pourquoi la femme sur sa gauche l’avait-elledévisagéavecdesyeuxsibrillants,etluiavait-ellesisouventtouchélebraspourattirersonattention?Celan’avaitpasdesens.Iln’étaitnibeauniélégant.Desurcroît,iln’avaitpas
detitre.Maisellereconnaissaitqu’ilétaitintéressant.Fascinant,même.Parexemple,qu’avait-ilvouludireàproposdu faitd’êtreunhomme?Peter
Whiten’étaitplusungarçon,avecsesvingt-septans.—MissYork,fitunevoixderrièreelle.Marissasursautasursonsiègeetseretourna.Ungentlemansetenaitdebout,maiscen’étaitpasceluiqu’ellecherchait.—MrDunwoody,dit-elleavecunpetitsourireforcé.Unpeuplustôtcettesemaine-là,MrDunwoodyavaitétéausommetdesaliste
d’amantspotentiels.Hélas,Whiteavaitfaitpreuvedemoinsdecorrectionetdeplusdepersévérance.—MissYork,m’autorisez-vousàm’asseoirprèsdevous?—Oui,biensûr.Comments’estdérouléelachasse,cematin?—Ellen’apasététrèsproductive,j’enaipeur.Ilselançadansunelonguedescriptiondeleurdécevantechevauchée.Marissa
hochaitlatêtepolimentens’agitantsursonsiège.Contrairementàsamère,ellepréféraitqueleshommess’attardentunpeupluslonguementavecleurporto.S’ilspassaient une heure entière à discuter entre eux de leurs sujets masculins quil’intéressaient si peu, peut-être auraient-ils épuisé leurs histoires aumoment derejoindrelesfemmes.—Mais, acheva-t-il enfin en inspirant profondément, je souhaitais savoir si
vousvousportiezbien.Lesmusclesdesoncouseraidirentsoudain.—Oui,biensûr.Pourquoi?—Vousnesemblezpas...vous-même,aujourd’hui.—MrDunwoody, dit-elle avec un sourire éclatant, j’espère que vous neme
laissezpasentendrequej’ail’airsouffrante.— Non ! Non, bien sûr, Miss York. Vous êtes aussi radieuse qu’à votre
habitude. Vous avez des yeux verts si magnifiques, quant à vos cheveux... leurteinterousseestd’unedélicatesseindescriptible.Sesjouessemirentàrosirpendantqu’ilparlait,etMarissaneputs’empêcher
de remarquer sa bouche joliment dessinée. Il avait de si belles lèvres.Un peuétroites,maisparfaitementproportionnéesparrapportàlafinessedesonvisage.Elle avait déjà essayé de l’inciter à l’embrasser, mais il était devenu agité etnerveux.LesouriredeMarissas’élargit.—J’espèrequevousm’inviterezmalgrétoutàdansercesoir.— Bien sûr ! Je n’y manquerai pas ! D’ailleurs, m’accorderiez-vous la
premièredanse?Illevalamain,etMarissasesurpritàobserverseslongsdoigts.Elleressentit
un petit fourmillement au niveau de la taille en pensant que ces mains s’yposeraientbientôt.—J’enseraisravie,monsieur.Ilréponditparunsourire,maiscelui-cis’effaçarapidement.— Hum. Je me suis enquis de votre bien-être, car j’ai entendu dire qu’une
disputeavaiteulieuhiersoirentreMrWhiteetvous.Lefourmillementdisparutsoudainetellesentitsoncorpsseglacer.Cefutpeut-
être à cemoment-là, à cemomentprécisqu’elleprit consciencequ'ellen’avaitpasd’autrechoixqueceluid’épouserJudeBertrand.Dunwoodys’éclaircitlavoix.— Je n'ai pu m’empêcher de remarquer qu’il était parti. J’espère que, quoi
qu’il se soit passé, il ne vous a pas fait de peine. Il semble être quelqu’un deplutôtsympathique,maispeut-êtreunpeutropsûrdelui.—Oh...Dunwoodyavait l’air sincère, et noncurieuxou sournois. Il croyait peut-être
réellement qu’il y avait simplement eu une querelle entre eux, aussi Marissaacquiesça-t-elle.—Eneffet,nousnoussommesdisputés.Etdansmacolère,jeluiaidemandé
dequitterleslieux.Jeleregrettemaintenant,biensûr.J’aiagidefaçonimpulsive.— Je suis certain que vous aviez vos raisons, Miss York. Vous ne m’avez
jamaisdonnél’impressiond’êtreunepersonneirréfléchie.Marissa se força à sourire. Mr Dunwoody était le genre d’homme qu'elle
aimerait épouser. Calme, doux et beau... et apparemment aveugle devant sesdéfauts.Maispeut-êtrepasassezdocilepouraccepterl’enfantd’unautre.Malgrétout, il semblait l’apprécier, même s’il n’avait jamais fait mention d'un avenircommun.Ilseraclalagorgeetsoudain,uneidéefolletraversalatêtedeMarissa.Peut-
êtreallait-illuidemandersamain?—Savez-voussiMissSamuelestattendueicicettesemaine?Jesaisquevous
êtes des amies proches, et j’ai entendu dire que sa mère s’était remise de lamaladiequilesavaittenuesloindeLondres.—Oh,jecrois...Elle se tut quand elle comprit ce que ces paroles signifiaient. Il admirait
ElizabethSamuel.Peut-êtremêmepensait-ill'aimer.Etellenepouvaitleblâmer.
Beth, sa meilleure amie, était une personne merveilleuse. Voilà qui expliquaitpourquoiMrDunwoodyn’avaitjamaistentédel’embrasser.—Oui, elle a promis qu’elle essaierait de venir. Je suis certaine qu'elle va
arriverd’unjouràl'autre.Luiavez-vousécrit?Ilrougitdenouveau.Ilrougitdenouveau.— Cela ne me semblait pas convenable. Nous nous sommes seulement
rencontrésunefois.—Ehbien,jesuissûrequ’elleseraheureusedesavoirquevousavezpenséà
elle.La musique s’arrêta un instant, puis reprit dans un tourbillon de notes. Mr
Dunwoody posa ses doigts élégants sur le bras de Marissa et lui adressa unsourireradieux.—M’accordez-vouslapremièredanse?Marissaselevapourl'accompagnersurlapiste.Illafittournoyeràtraverslapièceausond’unegigueaniméeet,rapidement,
d’autresdanseurslesrejoignirentsurlapiste.Quandladanses’acheva,Marissariait,luttantpourreprendresarespiration.MrDunwoodyposaunemainfermesurson dos,mais elle s’intima de ne pas y penser. Il avait un faible pourBeth, etMarissanepouvaitques’enréjouir.Illareconduisaitverslabanquettequandsonsouriresefigeasoudain.—Quiestcethomme?demanda-t-ilàvoixbasse.Levantlesyeux,elleconstataqueMrBertrandétaitenfinarrivé.Lebrasposé
surlatablettedelacheminée,ildiscutaitavecAidan,maissonregardétaitdirigévers elle. Elle s’attendait à y lire de la jalousie, mais s’aperçut que ses yeuxriaient.Ilreprésentaituneénigmepourelle.—C’estMrBertrand,unamidelafamille.Et peut-êtremon futurmari. Comme toujours, il dépassait en taille tous les
autres hommes présents dans la pièce. Marissa sentit que tous les regardsconvergeaient sur lui, alors même qu’elle était en train de remercier MrDunwoodypourladanse.EnvoyantJudes’avancerverselle,elleeutlachairdepoule.—MissYork,murmura-t-il.Vousêtesunemerveilleusedanseuse.—Merci.Vousdansez,MrBertrand?—J’ensuiscapable.
Elleattenditqu’illuiprennelamain,maisàsagrandedéception,ilsecontentaderesterdeboutprèsd’elle.Ellenepouvaitépouserunhommequinedansaitpas.Ladanseétaitl’unedesjoiesdel’existence.Danser,monteràchevaletliredesromans. Et dans certaines occasions spéciales, laisser des hommes faire deschosesexcitantesàsoncorps.Desgarçons.Marissaeutl’impressiond’entendrelavoixdeJudechuchoterà
sonoreille.Ellesursauta,etsesyeuxglissèrentsurlesmainsdel’homme.—Bon,dit-elle, sivousvoulezbienm’excuser, j’aipromisunedanseàmon
cousin.—Biensûr.Jemeréjouisdepouvoiradmirervotregrâcedeloin.Enervée,Marissasehâtaversl’autrecôtédelapièce,mêmesiellenesavait
pas du tout où se trouvaitHarry et s’il aurait envie de danser.En traversant lasalle,elleaperçutl’unedesservantesprèsduseuil,quisemblaitattendrequelquechose.La jeunefilleécarquilla lesyeuxenvoyantMarissa,et fitungestede latêteavantdedisparaître.Familièredecegenredesituations,Marissalasuivit.—MissYork,ditlafilledèsqu’ellesfurentseulesdanslecouloir.Unelettre
pourvous.—Dequi?—Jel’aitrouvéedevantlaportedelacuisine,mademoiselle.Trépidant d’excitation, Marissa dissimula le message dans ses jupes et se
précipitaverslaporteferméelaplusproche.Lecabinetdecouture.Ellehésitaunmoment puis, balayant ses scrupules d’un haussement d’épaules, se faufila àl’intérieur. Les bougies des appliques étaient allumées, comme si son frèreredoutaitdésormaisl’obscuritédespiècesvacantes.L’espaced’uninstant,ellesesentit envahiepar laculpabilité,maiselle s’efforçade reprendre sesesprits. Iln’yavaitnulfantômed’uncouplerépétantsesmésaventuresdelanuitprécédente.Il n’y avait aucune trace de son innocence perdue sur le canapé. C’était unesimplepièce.Lesmainstremblantes,elledécachetalepli.«Machérie,Malgré mes paroles insensées, je ne supporterais pas qu’il vous arrive
quelquechose.Jevousenprie,pardonnez-moidem’êtresimalconduitenversvous. C’est la passion que je ressens pour vous qui est responsable de monimpolitesse.Jevousaime.Je vous supplie de bien vouloir reconsidérer votre refus àma proposition.
Monsouhait lepluscher seraitdepasser le restedemesnuitsprèsdevous,commej’aipassécettebrèveheuredansvosbras.»— Plutôt bref, pour une heure, en effet, marmonna-t-elle. Le tout avait duré
trenteminutestoutauplus,quiluiavaientpourtantparuuneéternité.«Je suis honoré par ce précieux cadeau que vousm’avez offert. S’il vous
plaît,devenezmonépouse.»Pendantunmoment,ellesongeaavecaffectionauxjambesdeMrWhite.Àson
visagerasédeprèsetàsesmainsdélicates.Cesmainsetcescuissessipleinesdepromesses, et qui pourtant ne lui avaient procuréque si peudeplaisir.Tout aumoinsnel’avait-ilpaségratignéeavecunmentonpiquant.Pourrait-ellel’épouser?Son esprit se révolta à cette pensée. Peut-être la danse n’était-elle pas si
importante, après tout.Ellen’accordapasplusde réflexionà lapropositiondeMrWhite.Ellereplialalettreavecunsoupiretseretournapoursortir,quandellepritconsciencequ’ellen’étaitpasseule.Judeétaitnonchalammentappuyécontrelechambranledelaporte.—Oh!J’étaisjusteentrainde...—Ilnevousfaitpaschanter,j’espère?Elles’aperçutquesonsouriremystérieuxavaitenfindisparu,cédantlaplaceà
uneexpressionfroideetmenaçante.—Non!Non,cen’estriendetel.Ilmedéclaresimplementqu’ilm’aime.—Ah.Etêtes-vousdisposéeàluipardonner?—Biensûrquenon!UnsouriresatisfaitvintéclairerlevisagedeJude.—Bien.Ilentratranquillementdanslapièceetsedirigeaverslecanapé.—Ainsi,MissYork,voicilelieuoùvousavezperduvotreinnocence.—MrBertrand,souffla-t-elle,choquée.Avecunclind’œil,ils’assitsurlecanapéettapotalaplaceàcôtédelui.—C’estJude,voussouvenez-vous?—Jude,marmonna-t-elle.—Alors,dites-moitout,MissYork.Lejeuenvalait-illachandelle?Elle se sentit soudain en proie à une étrange sensation. Elle était à la fois
horrifiéeetcurieusementexcitée.Cetindividuassistranquillementprononçaitdes
parolesscandaleusescommesiellesétaienttoutàfaitacceptables.Commesiellenedevaitpass’enoffenser.Commesielleallaitvouloirluiparlerdecequ’elleressentait.Elleregardalecoussinprèsdelui.—Lachosepeutêtreagréable,voussavez,dit-il.—Jelesaisbien,répondit-ellesèchement,avantdeselaissertomberàcôtéde
lui.—L’était-ce?—Non,souffla-t-elle.EllesentitlecorpsdeMrBertrandseraidirprèsd’elle.—A-t-ilétébrutal?—Oh,non!Ilétaitsimplement...médiocre.Apeinecemoteut-il franchi ses lèvresqueMarissa se rendit compteàquel
pointilétaitmalvenu.Commentpouvait-elleêtreaucourantdetelleschoses?—Jeveuxdire...Maisàcôtéd’elle,Juderiait.— Médiocre, hein ? Eh bien, c’est une tragédie, mais peut-être aussi une
chance,pourunedamequiperdsoninnocence.—Pourquoidonc?Judes’adossasurlecanapéetétenditlesbras.— C’est une expérience qui peut être douloureuse, et je n’aime pas vous
imaginersouffrir.—Ehbien,cen’étaitpastrèsagréable,maisjepensequec’étaitsurtoutdûau
faitqu’ilm’écrasait.(ElleregardaJudefurtivement.)Etmaintenantquej’ypense,voussemblezfâcheusementlourd.Ilinclinalatête,commepouradmettrequ'elledisaitvrai,etellefutuninstant
embarrasséeparsapropregrossièreté.—Jepuispourtantvousassurerquejen’aiencorejamaisécraséunedame.Pas
uneseulefois.Ellesentitunevagued’intérêtlaparcourir.—Alors...vousavezbeaucoupd’expérience?—Suffisamment.—Qu’est-cequecelasignifie?Pourungentleman,jeveuxdire.Sij’encrois
cequej’aientendu,cen’estpasdutoutlamêmechose.Il croisa les jambes en équerre.Sa cuisse était désormais toute prochede la
maindeMarissa.—Celasignifieque j’aiuncertainentraînementpourprocurerduplaisiraux
femmes.Le plaisir.C’était justement ce qu’elle recherchait depuis cette fameuse nuit,
deuxansauparavant.Leplaisir.Etladouleur.Etlasurprise.Ellesentitunnœudse formerdans lecreuxdesonventreet serra lescuisses.Ellen’auraitpascruJudeBertrandcapabledefairenaîtrecegenredesensationschezelle,avecsoncorpsmassifetsipeuélégant.Pourtantsesparolessemblaienttellement...pleinesd’assurance.Cen’étaitpas
del’arrogance.Seulementdelaconfianceensoi.Ilnedoutaitpasunseulinstantdesonaptitudeàdonnerduplaisir,aussin’endoutait-ellepasnonplus.—Est-ce..., commença-t-elle d’unevoix légèrement cassée. (Elle se racla la
gorge.)Est-cedoncunsecret?Lamanièredeprocurerduplaisirauxfemmes?—Si j’en crois ce quem’ont dit certaines femmes, oui. Il semble que seuls
quelquesprivilégiéspossèdentcesavoir-faire.Amonsens,ilestplusimportantde l’acquérir que d’apprendre à sauter une haie, par exemple, et pourtant, bientrop souvent, lesmaris s’intéressent plus à leurs chevaux qu’au plaisir de leurépouse.Vousn’aimeriezpasavoiruntelépoux,n’est-cepas,MissYork?—Je...jenecomprendspascequevousvoulezdire.— Vraiment ? Je suis pourtant certain du contraire. (Il s’enfonça plus
profondément dans le canapé, si bien que sa cuisse se rapprocha de celle deMarissa et que son genou effleura ses jupes.) Il existe plus d’une façon, voussavez.—Plusd’unefaçondequoi?—Desatisfaireunefemme.Ellesentitsonpoulsbattreentresesjambes.—Ahbon?dit-elled’unevoixaiguë.—Oui.Etbiensûr, ilexistedemultiplesmanièresdesatisfaireunhomme.Il
estfaciledelireennous.Nousfonctionnonstrèssimplement.Oh,mais ce n’était pas vrai.Marissa n’en savait pas plus sur le plaisir des
hommes que sur le sien. Aimaient-ils les mêmes choses ? Eprouvaient-ils lesmêmessensations?Marissaregardadroitdevantelle, lesmainsserréessursesgenoux.Ellenedevaitpasl’encourager.Ellenedevaitpasposerlamainsursacuisse et se pencher vers lui pour qu’il l’embrasse. Il penserait alors qu'elledésirait réellement qu’il s’intéresse à elle, alors que la seule chose qu’ellerecherchaitétaitleplaisir.
Un léger froissement du tissu derrière elle lui indiqua qu’il avait déplacé samain.Ilpassaalorsundoigtsursanuque.Frissonnante,Marissafermalesyeux,essayantderéprimerunsoupirsec.— Puis-je vous appeler Marissa quand nous sommes seuls ? Nous faisons
semblant,aprèstout.Ilpromenasamainsurlecôtédesoncou,toutenluicaressantledosavecson
pouce.Lachairdepoules’emparadesoncorpsetellesentitsestétonssedurcir.Elle
savaitqu’ils’agissaitd’unendroitqueleshommestouchaientquandilsfaisaientl’amourauxfemmes.—Oui,biensûr.—C’estbien.D’êtreici,dansl’intimité,avecvous.—Mmmm.Ellen’osapasendiredavantage.—Maisvospartenairesdedansevontvouschercher,Marissa.Il avait prononcé son prénom avec un léger accent français, comme quand il
s’étaitprésentéàelle.—Mmm, chuchota-t-elle de nouveau, se concentrant sur lamain de Jude sur
soncou.Elleétait chaude,etétonnamment légère.Elle l’imaginasedéplacervers son
décolleté...—Allons-y,sivouslevoulezbien?dit-ild’unevoixcalmeetcaressante,alors
quelapaumedesamainfaisaitnaîtreunevaguedechaleursursanuque.Marissa se cambra doucement, creusant son dos de façon à mieux sentir le
poidsdelamaindeJude.Pendantunmoment,sesdoigtsfurentpluslourds,etunetension s’établit entre leurs deux corps comme une corde visible. La cuisse deJudesecontractaetsongenousepressacontreelle.Etait-ilentraindesepencherverselle?Allait-ilcaressersesépaulesdénudéesavecsabouche?Elleécartaleslèvrespourrespirerplusprofondément.—Oui,murmura-t-elle.Judeselevaalorsbrusquementetrajustasaveste.— Alors laissez-moi vous conduire vers vos soupirants qui vous attendent
impatiemment.—Versqui?Illuitenditlamain,etellelapritsansypenser.Ill’aidaàsemettredebout.
—Maisjenemesenspasd’humeuràdansermaintenant.—Discutons,alors.—Maisdequoidoncpourrais-jevousparler?Illâchaunpetitrire.—Ehbien,parlezdecedontvousauriezenviedeparleravecn’importequi.Irritéedes’êtreméprisesursesintentions,Marissaserenfrogna.Leshommes
n’étaientbonsqu’àdiscourirdechevauxetdugouvernement.—Oh, vous aimeriez que je vous parle demon jardinage, n’est-ce pas ? Je
pourrais aussi vous régaler avec l’histoire du dernier roman que j’ai lu. Ouencore,vousraconterlemotifquejecomptebrodersurmonpetitoreiller.—Absolument,dit-ilenlaconduisantlentementhorsdelapièce.— Je ne me satisfais pas de murmures polis et de regards ennuyés, Mr
Bertrand.Maissivoustenezàparlerdechevaux,jeseraisuspendueàvoslèvres,vouspouvezenêtrecertain.—MonDieu!Vousavezunebienpiètreopiniondeshommes,n’est-cepas?— Bien au contraire, j’aime les hommes. Ils sont polis, serviables, et
indispensablespourdanser.Etleshommessontbeaux,etdifférents,n’est-cepas?—Cen’est pas le cas de tous, à l’évidence,mais je nem’attarderai pas là-
dessus. Sachez quemamère aimebeaucoup le jardinage, et que je passais desheuresàl’aiderquandj’étaispetit.Elleexaminaattentivementsonvisagepoursavoirs’ilsemoquaitd’elle,mais
ilavaitl’airtoutàfaitsérieux.—Ellefaitpousserdesherbesaromatiquesdanssonpetitjardin,etdesrosiers
lelongdel’allée.—Vraiment?Jen’aijamaiscultivéd’herbes.Lescuisiniersnemelaissentpas
pénétrerdansleursparcelles.Mais lesrosiers... lesrosiersreprésententunvraicasse-tête.Ilssontsifacilementcontrariés,etpourtantsifortsetsirésistants.—Commeleshommes?Elleéclatad’un rire si soudainqu'ellemit lamaindevant sabouchepouren
atténuerl’intensité.—Oui!Commeleshommes!—Nousrionsensemble,dit-illentement.Etnousavonsunpointcommun.Nous
nous ressemblons beaucoup, Miss York. Voulez-vous m’accorder une faveur ?Laissez-moi vous emprunter le dernier roman que vous avez lu afin que nouspuissionsendiscuter.
—Vousn’allezpasaimer.C’estmélodramatiqueàl’excès.— Ainsi, je penserai à vous, je suis donc certain que ce livre me plaira
beaucoup.—Moi?s’écria-t-elleavecindignationalorsqu’ilsentraientdanslasallede
musique.Jenesuispaslemoinsdumondemélodramatique!Jesuisréputéepourmoncalmeetmamaîtrisedemoi,MrBertrand.— Je me trompe, alors, dit-il, en lui prenant la main et en s’inclinant pour
prendrecongé.Ellesentituninstantlacaresselégèredesabouchesursesdoigts,puisilpartit.
Bouillonnantdefrustration,elle tapadupied,avantdeserendrecomptequecegestepourraitêtreperçucommemélodramatique.Ouexcessif.Deuxqualificatifsquinelacaractérisaientabsolumentpas.Son calme faisait souvent l’objet de compléments parmi les gens de son
entourage,etellen’allaitpaslaisserJudeternirsaréputation.Marissaattrapaunverre de vin sur le plateau d’un domestique qui passait et le but d’une traite.Uniquementpournepassedépartirdesoncalme,bienévidemment.Ellenesongeaplusdu toutàdanseret regardafixement le largedosdeJude
Bertrand.Ilétaitinsupportable,etilneluirestaitplusqu’àprierDieuqu'elleneterminepasmariéeàlui.Illarendraitfolleaprèsàpeineunandemariage.
Chapitre6
Marissas’étaitréveilléeaveclanuqueraideetunemigraine.Toutensirotantson thé, elle songea à sa situation, et sa douleur se transforma en colère. Elleregardasonrefletdanslemiroiravecfureur,pendantquelanouvellefemmedechambre lui brossait les cheveux, la coiffait et l’habillait. Il avait suffi d’uneerreurstupidesousl’emprisedel’alcoolpourqu’elleperdetoutpouvoirsursonexistence. Déjà qu’elle en avait si peu. Jusque-là, elle s’y était pourtantraccrochéeavecunedéterminationfarouche.Biensûr,Marissaavaitsuqu’elledevraitsemarier,maistoutaumoinsaurait-
ellepudéciderdumoment.Elle avait suqu’elledevraitquitter son foyer,maisseulementquandelleseraitprête.Etelleavaitsuqu'ellepasseraitsavieavecunmari,maiselleauraitpuchoisirelle-mêmedequiils’agirait.Etelleallaittoutfairepourqu’onluirendeaumoinscedroit.Choisirquielle
allaitépouser.Unefoisquelabonneeutboutonnéetrajustésarobelapluspudique,Marissa
partitàlarecherchedubaronpourl’affronter.Lementonlevébienhaut,elleouvritlaported’ungestethéâtraletsurgitdans
lebureaud’Edward.Safamilleluiavaitaumoinsapprisàfaireuneentrée.—Ah,Marissa, dit son frère en levant le nez de ses journaux. Voulez-vous
fermerlaportederrièrevous?Nousavonsàparler.—Absolument.—Alorsvousavezvousaussientendulanouvelle?Marissapritunairétonné.—Quellenouvelle?—MrsJamesReadyademandéàmevoircematin.Elleaeuventd’unincident
entrevousetMrWhite,ets’inquiétaitàl’idéequ’ilsesoitagidequelquechosed’immoral.Elleredoutequesafillesoitexposéeauxrumeurs.Millicentestplusjeunequevousdequelquesannées.La colère deMarissa l’abandonna brusquement. Elle baisse la tête et sentit
soudainsesgenouxfaiblir.— J’ai réussi à l’apaiser en lui faisant croire que je la mettais dans la
confidence.Jeluiairacontélamêmeversionqu’auxdomestiques.QuevousvousétiezdisputéeavecPeterWhiteàproposd’unepetitehistoiredejalousie,etquecen’étaitriendutout.—Oh,murmuraMarissa.Oh,trèsbien.—Millicentnes’est-ellepascomportéedemanièreétrangeavecvous?—Paslemoinsdumonde.Edward laissa tomber sa tête sur sa poitrine d’un air accablé. À cette vue,
Marissasentit lesdernières forcesqu’elleavaitdans les jambes laquitter.Elles’assitavecprécautionsurunechaise.—Pourtant,jenepeuxfairecessertouteslesrumeurs,ditEdward.Jeferaide
monmieux,mais...Elle acquiesça, songeuse. Elle comprit soudain que ses actes n’avaient pas
seulement des conséquences sur elle-même, mais sur toute sa famille. SurEdward,quin’avait jamaiscausé lemoindre tortàquiconque.Sursamère,quicertesaimaits’évanouir,maisn’apprécieraitpaslesriresméchants.EtsurAidan,quiavaitdéjàentendusuffisammentdemurmuresetdecomméragespourtouteunevie.Ellen’avaitpas ledroitde seplaindre.Ellen’avaitpas ledroitde taperdu
piedenexigeantquesesdésirssoientsatisfaits.Sielledevaitsemarier,alorselleépouseraitJudeBertrandetluiseraitreconnaissantepoursagénérosité.Outoutaumoinsneluienvoudrait-ellepas.Edwardluiadressaunsourirelas.—Jesuiscertainquetoutirabien,Marissa.Quesouhaitiez-vousmedire,s’il
nes’agissaitpasdeMrsReady?—Rien.Cen’étaitpasimportant.—Celalesemblait,pourtant.—Non.Ilbaissalesyeuxverssonbureau.—J’espéraisquevousvouliezmeparlerdelalettrequevousavezreçuehier
soir.Ellesursauta,surprise.—Ilvousl’adit?—Qui?Jude?Non,c’est lagouvernantequim’ena informé.Ellesaitpour
votrecomportement irréfléchietdésirevouspréserverduscandale.LemessageétaitdeMrWhite,jeprésume?—Ilmedemandedel’épouser,murmura-t-elle,étonnéedesentirunevaguede
soulagementl’envahir.Juden’avaitpastrahisaconfiance.—Vousn’avezpaschangéd’avisàcesujet?—Non!Quoiqu’ilarrive,jen’épouseraipasMrWhite.—Bien.Maisvousnemanquerezpasdemedires’iltenteànouveaud’entrer
encontactavecvous?Elleréfléchitunlongmomentavantd’acquiescer.—Oh,etnotrecherfrèreaunegrandeenviedesavoiroùsetrouveMrWhite.
S’ilvousl’aindiquédanssalettre,s’ilvousplaît,n’ensoufflezmotàAidan.Unprocèspourmeurtren’arrangeraitpaslasituation.Sansrienajouter,Marissaquittalapièceetmontal’escalierpourallerfairela
paixavecsonfauxfiancé.Juderetirasavesteetlaroulaenboule,entendantrésonnerauloinl’échodes
coupsdefusil. Ils’allongeasur l’herbe,à l’ombre,calasavestesoussa têteetouvritlelivrequiavaitétéapportédanssachambrelematinmême.Dèsqu’onluiavaitremisl’ouvrage,Judeavaitfaitsavoirqu’ilneparticiperait
pasàlachassedumatinets’étaitesquivédanslejardinpourlire.C’estunebellematinée:ilfaisaitétonnammentchaud,etMarissaYorkcommençaitàs’adoucir.Mais peut-être « adoucir » n’était-il pas le terme juste. Jude cherchait une
tension,etlecorpsdeMarissaenétaitplein.Ilregardafixementlapremièrepagedulivresanslavoir.Marissaoccupaitses
pensées. Plus que jolie, elle était surtout fascinante. Sa sauvagerie maldissimulée.Lamanièredontelleparlaitdeshommes,avecuneaffectionmêléededédain.Sontempéramentimpétueuxetsesparolesfroides.Nisesactivitésnisestenuesneladistinguaientdesautresjeunesfemmesdela
bonnesociété.Pourtant,derrièresafaçadedenormalité,quelquechosebrûlaitenelle.Quelquechosedepuissantetdeviolent.Par le passé, Jude l’avait admirée de loin,mais à présent qu’il pouvait s’en
approcher...ilétaitcomplètementcaptivé.Sonobjectifétaitcependantd’éveillersonintérêt,etnondelasuivrecommeun
chiot languissantd’amour.Elleenavaitassezdecegenred’attention.Tellement
qu’elle ne la remarquait pas. Il avait repéré au moins deux jeunes gens quirivalisaientpourgagnersesfaveursdanslapropriétédesYork,maispourelle,ilsn’étaientquedespartenairesdedanse,etriendeplus.Marissas’ennuyait,elleétait impatienteetgâtée,maisellene lesavaitmême
pas.Jude s’empara de la note coincée dans les pages du livre et sourit devant
l’écriture régulière de sa signature. Si faussement délicate. Tout lemonde étaitdupe.Maispaslui.Ilvoyaitcequisecachaitderrièrecessimplesmots.«Uneadmirablehistoire,
unetempêted’émotions»,lut-il.CelaauraitpudécrireMarissaelle-même.Lelivreétaitunélémentdel’énigmequ’ellereprésentait,aussis’obligea-t-ilà
seconcentrerdessus.Ilneluifallutpaslongtempspourselaisserprendreparlavivacité des dialogues et du drame.Quand il leva les yeux, ses jambes étaientlargement exposées au soleil. Il aperçut alors une silhouette féminine dans lejardin.Marissa.Ellenel’avaitpasencoreremarqué,et iln’osapas troublersasolitude.Il préféra l’observer.Elle traversait rapidement les allées couvertesd’herbe,
brisant les têtes séchées des fleurs. Ce n’était pas nécessaire, il le savait. Lesrosiers seraient bientôt taillés en préparation de l’hiver, quelques fleurs fanéesn’étaient donc pas dérangeantes. L’activité devait toutefois la détendre, aussiinutilesoit-elle.Sonvisagesemblaitpaisible,etplusjeune.Sonavenirdevaitluifairepeur,maisellen’enlaissaitrienparaître.Ill’avait
déjàvueencolère,heureuse,désapprobatriceetgaie.Etàprésent,paisible.Maisjamaiseffrayée.Elle plairait à sa mère, et il était certain que les deux femmes feraient
connaissanceunjour.Marissan’étaitpasdugenreàlaisserpasserl’occasionderencontreruneauthentiquecourtisane.Lavisitedemeureraitsecrètedurestedelabonnesociété,maisMarissaseraitincapablederésister.Juden’étaitpascertaindepouvoirdireceladebeaucoupd’autresdamesdelanoblesse.Marissalevaalorslesyeuxetsefigeaquandellecroisasonregard.Judeplaça
le livre suffisamment haut pour qu’elle puisse le voir, et ses épaules sedétendirent.ÀlagrandesurprisedeJude,ellesedirigeaversluiensouriant.—Bonjour,Marissa.La jeune femme avait les joues rosies par le soleil et un sourire
inhabituellementdoux.Elles’assitdansl’herbeàcôtédelui,puisaplatitlesjupesdesarobejaunequiformaitcommeuneclocheautourd’elle.—Vousn’êtespasàchevalaveclesautres.
—J’avaisunlivreàlire.—Etqu’endites-vous?—C’estadmirablementchargéd’émotion.Etagréablementexcessif.—Insolent.Il posa le livre sur l’herbe aux pieds deMarissa. Elle s’empressa de faire
disparaître ses orteils sous l’étoffe jaune. Jude garda les yeux baissés pendantquelquesinstants,regrettantdenepasavoirremarquéplustôtsespiedsnus.— Je trouve que Wendell est une brute et que Chloe est un peu sotte.
HeureusementqueDanielleestlàpourrendrel’histoireintéressante.LeregarddeMarissas’éclaira.—Vraiment?—Etvous,qu’enavez-vouspensé?— Eh bien, commença-t-elle en tirant sur un brin d’herbe qu’elle se mit à
tortiller,mes doigtsme démangent de giflerChloe pour lui faire reprendre sesesprits,et j’ai trèsenviequeDanielleremetteWendellàsaplaceunefoispourtoutes.Maisl’intriguedevientpluspalpitanteavecl’arrivéed’unbeaugentlemandanslamaisonvoisine.—Bonté divine, un beau gentleman. Je nemanquerai pas de poursuivre ma
lecture,alors.Marissaarrachaunautrebrind’herbe.—Ilyadunouveau.L’unedenosinvitéesaentendudesrumeursàmonsujet,
mais jecroisqu’Edwardaréussià laconvaincrequeMrWhiteetmoin’avonsfaitquenousquereller.—Etqu’enest-ildeMrWhite?Va-t-ilraconterdeshistoiressurvotrecompte
quandilprendraconsciencequevossentimentsn’ontpaschangé?— Je l’ignore. J’espère que non. Il ne lui sera pas non plus facile de se
dépeindresousunjourfavorable.—Jesuiscertainqu’ilnevoudrapasmêlersonnomàunscandale.Marissa secoua la tête.Unemèchedecheveux s’échappade sa tresseetvint
caressersonvisage.— J’espère qu’il n’est pas aussiméchant. Et je suis sûre qu’il n’y aura pas
d’autres...conséquences.Etsij’airaison...queferez-vous?—Moi?Jesupposequejeredeviendraicélibataire,toutsimplement.—Jenevoudraispasqu’ilyaitderancuneentrenous.Elle laissa tomber le brin d’herbe qu’elle tenait, et Jude lui prit alors
négligemmentlamain.Letressaillementdesesdoigtstrahitsonétonnement,maisellenelaretirapas.— Il n’y aura aucune rancune de ma part. Je respecterai votre décision,
Marissa.—C’estsurprenant.Pourunhomme.—Peut-être.Il lui caressa la paume avec son pouce, etMarissa replia les doigts dessus,
commesiellevoulaitgarderlamaindeJudecolléecontrelasienne.— Il est vraiment étrangequevous sachiezune chose aussi embarrassante et
intimesurmoi.Jesuisenpositiondefaiblesse.—Demandez-moi tout ce que vous souhaitez, alors. Je vous répondrai avec
honnêteté.Elle lui lançaun regardperçant, cequi lui laissapenserqu’elleavait espéré
qu’ilfassecetteproposition.Ilglissasesdoigtsentrelessiensetelleréponditparunepressionferme.—Ainsi,votremèreest...courtisane.—Oui.—Celasignifieque...samaisondoitsortirdel’ordinaire.Vousyviviez?—Pendantmatendreenfance,oui.Plustard,j’ypassaisparfoismesétés.Ce
n’étaitpassicurieuxquecela.—Oh,fit-elleenregardantfixementsesmains,lesjouesadorablementrosies.—Etait-cecequevoussouhaitiezmedemander?—Jemedisais juste... (Elleparlaprécipitamment,commesiellen’osaitpas
respirer.)Jemedisaisjustequevousaviezdûlesfréquenter.Lesfemmes.— Je vois. Vous voulez donc que je vous raconte comment j’ai perdu mon
innocence?—Oui!C’estceque...Oui,ainsi,celaseraplusjuste!— Je suis d’accord. Eh bien, j’étais beaucoup plus jeune que vous. J’avais
seulementseizeans.Commevousvousendoutez,ils’agissaitd’uneamiedemamère.Marissaécarquillasesbeauxyeuxvertsetresserrasamainautourdupoucede
Jude,toutensepenchantverslui.—Unecourtisane?souffla-t-elle.— Oui. J’étais désespérément amoureux d’elle depuis deux ans. C’était la
femme laplusbelleet laplusdélicateque j’aie jamaisvue. Je luiécrivaisdes
poèmesetluifaisaislacour.J’étaisinsupportable,j’ensuissûr.Maisunjour,elleestimaenfinquej’étaissuffisammentâgé.Elleeutpitiédemoietm’emmenadanssonlit.Maparole,aprèscela,jepensaisquejamaisjenecesseraisdel’aimer.Ellesemitàrire.—Pourtantcelaaétélecas?—Lemoinsquel’onpuissedire,c’estquelesamoursd’unjeunegarçonsont
capricieuses.Trois semaines plus tard à peine, j’étais amoureuxde la nouvellefilledecuisinedelavoisine.—Ah,voustombezdoncsouventamoureux?IlportalentementlamaindeMarissaàsaboucheetyappliquaseslèvresdans
un chaste baiser. Marissa observa attentivement sa bouche, comme si elle enattendaitplus.— Depuis, j’ai appris à faire la différence entre le désir et l’amour. Les
hommesselaissentfacilementdistraireparledésir.—Mais pas les femmes ? demanda-t-elle d’un ton qu'elle voulut léger,mais
danslequelilperçutunepointed’inquiétude.—Certainesfemmesaussi.Iln’yaaucuneraisond’enavoirhonte,Marissa.—Jenesuispasassaillieparledésir!J’aimedanser,c’esttout.—Biensûr.Elleretirasamaind’uncoupsec.—C’estvrai!—Je suis sûrquec’est la raisonpour laquellevousexaminez les jambesde
vos partenaires avec une si grande attention. Pour vous assurer que leurs passerontlégers.Elleécarquillatellementlesyeuxquesesirisfurentcomplètemententourésde
blanc.—J’apprécielamode.Etlesbeauxtissus!—Allons,Marissa.Diteslavérité.Vousaimezlorgnerleshommes.Le visage deMarissa s’empourpra si violemment que Jude eut soudain peur
qu'ellenesoitprisedevertigeetnes’écroule.Ilmitlamainsoussoncoudepourlasoutenir.—Cen’estpaslapeinedementir,dit-ilavecdouceur.Pasàmoi.Lentement,elleprituneprofondeinspiration.Puis,elleredressalesépauleset
hochalatêteendéclarant:—Oui,j’aimebienlesregarder.
—Voilà,cen’étaitpassidifficile,n'est-cepas?— Je ne comprends pas comment je peux être la seule ! Ils se promènent
commeça,enexhibantleursjambes.Ilsportentdespantalonssiprèsducorpsetse pavanent comme des paons, et pourtant il faudrait faire semblant de ne pasregarder,et...Elles’interrompit soudainet s’affaissacommeunemarionnettedontonaurait
coupélesfils.Judehaussaunsourcilétonné.— Je suis assez déçu que vous ne me mentionniez pas dans votre diatribe.
N’avez-vouspasencorejetéunregardàmescuisses,MissYork?Il croisa les jambes et observa les yeux deMarissa parcourir son corps. Il
portaitdesbottesetuneculotted’équitation,etsavaitqu’elleleregarderait.—Si.Vousêtestrès...robuste.Malgrésontondésapprobateur,uneboufféedesatisfactionenvahitJude.—Ellesontl’airtrèsmusclées.Ilsentitsescuissessecontracterenentendantcesparolesfranches.—Lescuissesdeshommesnesont-ellespascenséesêtremusclées?Ellehaussa lesépaulesetrisquaunregardversses jambes.LecœurdeJude
battitplusfort.—Vousregardezmaisnetouchezpas?—Sipeu,soupira-t-elleavecregret.Jude sentit l’excitation monter, mais il parvint à conserver une expression
calme.—Ah,maisvousêtesmafiancée,maintenant.Enthéorie.Fronçantlessourcils,elleosaenfinleverlesyeuxverslui,unpetitsourireaux
lèvres.—JudeBertrand,êtes-vousentraindemeproposerd’explorervotrecorps?— Voyons, un gentleman inciterait-il une jeune femme à ce genre de
comportement?(Ilétenditlesbrasverslecielpuis,fermantlesyeux,illesrepliaderrière la tête.)Mais si je faisais un petit somme, je suppose que je serais àvotremerci.—Jude,chuchota-t-elle.Jenepeuxpas.Siquelqu’unnousvoyait?—Chut.Noussommesàl’ombre,etjedors.Iln’étaitpaslemoinsdumondeendormi.Unedouloureuseexcitationavaitmis
toutsoncorpsdansunétatde tensionextrême.Allait-elleoser? Ilétait fou,ne
serait-cequedesuggérerunetellechose,etpourtantilnepouvaits’empêcherdelaprovoquer.Ilserenditcomptequ’ilretenaitsarespirationets’efforçadesedétendre.— De nous deux, murmura Marissa, je me demande bien qui est le plus
scandaleux.Ellemitalorslamainsursacuisse.C’était un contact innocent, si tant est que ce soit possible. Elle avait posé
doucementsamainjusteau-dessusdesongenou.Pourtant,ilsesentitagitéd’unfrémissement.LamaindeMarissas’attarda,hésitanteet légère,pendantun longmoment.Commeilnebronchaitpas,elleécartalesdoigtsautourdesajambe.—Vousêtestrèsdur.D’unemaindélicate,ellepoursuivitlentementsonascensionaudacieuse.S’illalaissaitcontinuerainsi,ilallaitrapidementdevenirplusdurencore.Elleappuyalégèrementsursacuisse.—Jevouspréfèredansvotreculotted’équitation,jecrois.—Mmm.Soussesdoigts,lapeaudedaimsoupleseréchauffa.Quandelleglissasamain
versl’intérieurdesacuisse,Judesentitsonsexeseraidir.Seigneur!Ils’efforçadecompterjusqu’àdix.Depenseràlachasse.Deseremémorerles
noms de tous les professeurs qu’il avait eus pendant son enfance.Mais quandMarissaémitunlégerronronnementtoutenfaisantprogresserlentementsamain,Jude remonta subitement ses genoux et se hissa sur ses coudes. Elle retiravivementsonbras.—J’aicruentendrequelquechose,murmuraJude.Marissatournalatêtedanstouteslesdirections,essayantdelocaliserl’intrus
imaginaire.Unautrejour,ailleurs,illaisseraitMarissaexplorersescuissesautantqu’elle le souhaitait.Mais pas là, dans le jardin. Pas quand le simple fait d’ypenserfaisaitbattresoncœuràtoutrompre.ProvoquerMarissapouvaitréellementserévélerunexercicetrèsdangereux.
Chapitre7
Marissa descendit l’escalier à toute allure, s’étonnant de son impatience àrevoir Jude. Après le déjeuner, il lui avait proposé une promenade à chevaljusqu’àlavieilleéglise,etMarissaavaitacceptéavecjoie.Samèreétaitoccupéeàrassemblerdesvolontairespourlaprochainepiècedethéâtre,etMarissan’étaitpasd’humeuràobserverdesacteurssanstalent.Mais sa tenue d’équitation vert feuille lui mettait du baume au cœur, et la
perspective d’une chevauchée avec Jude dans la douceur de l’automne étaitpresqueaussiagréablequecelled’allerdanser.Peut-être même plus. En effet, Marissa fut mécontente quand sa course fut
soudainfreinéeparl’entréedeMrDunwoodydanslagrandesalle.—Oh,MrDunwoody.Bonjour.CommeJude, il portait uneculotted’équitation, car leshommesavaientpour
habitudedemonterpendantlajournée.MaisMrDunwoodyavaituneallurebiendifférente.Ilétaitélégant,bienentendu.Oupeut-êtrejuste...décoratif?Marissa chassa cette pensée de son esprit, alors que Dunwoody la saluait
amicalement.—Jeparsmepromeneràcheval,expliqua-t-elleavecungesteembarrassévers
lecouloir.—Oh, très bien.Veuillezm’excuser de vous retenir un instant. Je souhaitais
simplementvousdemandersivousm’accepteriezcommecavaliercesoir.Pendant quelques secondes, son cerveau lui intima d’acquiescer, afin de
cultiverunerelationavecn’importequid’autrequeJude.Maiselleavaitprisunedécisioncejour-là,etavaitl’intentiondes’ytenir.—Jesuisflattée,MrDunwoody,maisjecrainsdem’êtredéjàengagée.—Ah.Jevois.Unnouveausoupirant,peut-être?lataquina-t-il.Àcesmots,elleressentitunepointed’excitationmêléeàdelaculpabilité.—Je...
Sonrougissement,bienqueparfaitementauthentique,arrivaàpointnommépourconfirmerlessoupçonsdeMrDunwoody.Lesouriredujeunehommes’élargit.—Jesuissoulagédevousvoirredevenuevous-même.Et,euh,à touthasard,
vousn’auriezpasencoreeudenouvellesdelafamilleSamuel?Cettequestiondissipatoutegêne,etMarissaluisouritàsontour.—Cesdamesdoiventarriveraujourd’hui.Sanscesserdesourire,Marissasortitdelamaisond’unpasaltierparlaporte
principale,devantlaquellesetrouvaitlepalefrenieravecsajument.Sonsourires’évanouitcependantlorsqu’elleaperçutJude,àcheval,quil’attendaitluiaussi.CenefutpastantlavuedeJudequilacontrariaquecelledesamonture.Lecheval–si tantestque l’onpuisseappelerainsiune tellecréature–était
énorme, et tout aussi robuste et inélégant que Jude lui-même. Le hongre grispommelé était même franchement laid. La pauvre bête ressemblait à un vieuxchevaldetraitcouvertdecrasse.Marissasemitenselleetarrangeasesjupessanssepresser,pourselaisserle
tempsdeseremettredecetableau.Maisquandelleregardadenouveauverslabête,elleneputs’empêcherdegrimacer.—Ondiraitquebientôt,ilneseraitplusbonqu’àresteraupré,serisqua-t-elle
àobserver tandisqu’ilsmarchaientaupasvers la route.Peut-êtredevriez-voustrouveruneautremonture.Iljetauncoupd’œilàsonchevaletluiflattal’encolure.—Ilaseulementdixans,etsonallureestparfaite.—Oh.JudesetournaverslamonturedeMarissa.—Sijeluitressaislacrinière,vousplairait-ildavantage?Sajeunejument,unebêteaussidoucequefougueusenomméeCléopâtre,secoua
latêtecommesiellesavaitqu’onparlaitd’elle.—Elleaseulementunenatte!—Elleestmagnifique.Agacée,Marissaserenditcomptequ’ils’efforçaitdeluifairecomprendresa
futilité,maisoubliaaussitôtsonmécontentementenapercevantHarryetAidanquis’approchaientàcheval.Ilslessaluèrent,commes’ilsapprouvaientqueMarissaetJudetententdepréserverlesapparences.Le visage d’Aidan semblait rajeuni sous la lumière chaude du soleil.C’était
souventlecaslorsqu’ilmontait.ALondres,iln’avaitjamaisl’airheureux.—Jesuisraviequevoussoyezamiavecmonfrère,murmura-t-elleàJude.—Quevoulez-vousdire?—Pendantlongtemps,ilnevoyaitqueHarry,quandilétaitici,etiln’acceptait
saprésencequ’àcontrecœur.—Ah.Jecroisquej’aientendutropd’histoiresd’amourtragiques.Jen’aipas
trouvélasienneromantique,c’estpourcelaqu’ilm’aimebien.Marissahochalatête.LaplupartdesgenssemblaientconsidérerAidancomme
unsimplepersonnagedramatique,susceptibledefairesensationàleursdîners.Unjeune et beau célibataire, dont l’histoire faisait chavirer le cœurde ces dames.L’amourdesavieluiavaitétécruellementarrachéparlamort,etdepuiscejourterrible,ilenportaitledeuil.Quipouvaitresterinsensibleàcettetragédie?Aidanlesdétestaittous.—Vousavezétéunbonamipourlui,jecrois.— Eh bien, nous avons des intérêts communs. Entre ses bateaux et les
investissementsdemonpère,nousnousretrouvonssouventlorsdenosvoyages.—Vraiment?Voustravaillezpourvotrepère?Jen’ensavaisrien.—Oui.Ilaimebieninvestirsonargentparfoisetcelameplaîtd’occupermon
tempsparletravail.«L’oisivetéestlamèredetouslesvices»,voussavez.(Ilposalesyeuxsurelle.)Peut-êtrelabroderien’est-ellepassuffisantepourvous?—Oh,commevousêtesspirituel...Elle voulut changer de sujet, mais elle se rendit compte qu’elle se tenait
penchéeverslui,commesisoncorpsétaitcurieuxd’enapprendredavantagesurcethomme.Marissaseredressaettentadeprendreunairplusdésinvolte.—Oùvoyagez-vous,alors?—Ehbien,enFranceassezsouvent,pourdesraisonsévidentes.Etdanstoute
l’Europe. En Italie, en Espagne, au Portugal. Et je me suis même rendu àConstantinople.Cefutunvoyagepassionnant.—Constantinople?Vousêtesallélà-bas?s’exclama-t-elle,sansmêmeessayer
dedissimulersacuriosité.Ellen’arrivaitpasàsereprésenterunlieuaussiexotique.—Oui,j’ysuisallé,eneffet.Ill’observaattentivement,lesyeuxbrillantsdesatisfaction.—Sinousnousmariions,vouspourriezm’accompagnerlorsdemesvoyages.
Jeseraisenchantéderetournerdansl’Empireottoman.
Ellebattitdespaupièresàplusieursreprises,surpriseetravie.—Vraiment?Jen’ai...jen’aijamaisimaginé...Pensez-vousquel’endroitme
plairait?Ilsouritd’unairmalicieux.—Vousadoreriez.Saréponselafitrougir.LetondeJudetrahissaitsonadmiration,safierté,mais
aussisaprofondecertitudedelaconnaîtrevraiment.Pourquoiétait-ellesoudainsitroubléeetpourquoiavait-ellesichaud?Marissaserralesrênesavecforceets’agitasursaselle.Cléopâtreavançad’unpasnerveux,puissedétenditetrepritunealluretranquille.Marissa avala sa salive et fit passer son cheval au trot. Elle avait envie de
galoper, mais contrairement à elle, la jument n’était pas assez échauffée. Unediscussionsurlesvoyagesnel’avaitjamaismisedansuntelétatd’agitationparlepassé.ToutcequiconcernaitJudeBertrandétaittellementdifférent.Tellementinattendu et fascinant. Comment parvenait-il à faire naître chez elle des enviesdontellen’avaitmêmepasidée?Parexemple,àprésent,elleétaitentrainderegarderl’horizonavecintensité,
attendant avec une impatience croissante de pouvoir lancer sa jument à toutevitessedansungalopeffréné.Ilsn’étaientqu’àquelqueskilomètresdelavieilleéglise, et là-bas, elle serait seule avec Jude. Quand ils arriveraient, ilsdescendraient de leurs montures pour explorer les ruines. Ils disparaîtraientderrière desmurs délabrés et des vergers envahis par la végétation.Même unvoyageurdepassagenepourraitlesapercevoir.Alors,sûrement,ill’embrasseraitenfin.Enfin.Marissaserappelaqu'elleneleconnaissaitquedepuisdeuxjours.Elletalonna
alorssonchevalquipartitaugalop.
Chapitre8
Rien.Iln’avaitriententédutout.Pasunbaiser.Pasunecaressevoléesursahanche.
Il n’avait même pas profité de la solitude dans laquelle ils se trouvaient pourl’inciteràreprendrel’explorationdesoncorps.Judes’étaitcomportécommeunparfaitgentlemanpendant lapromenade.Les
chevauxparcouraientàprésentlesderniersmètresquilesséparaientdumanoir,d’unpastranquille.Marissa, en revanche, avaient eudespensées indignesd’unedame.Elleétait
toujoursd’avisqueJuden’étaitpasunhommeséduisant,maiselleavaitchangéd’opinionsursescuisses.La veille, dans le jardin, quand elle avait touché les muscles de Jude, ils
s’étaient révélésaussidursqu’elles’yattendait.Aussidursqu’unepierre,maisunepierrechaudeet souple,à la formefascinante.Chaquecourbedesoncorpsétaitcommelereliefd’unemontagnesoussesdoigts.Etquandilétaitàcheval...alorsellepouvaitvoirsescuissessegonfleretsecontracteravecuneindécenceincroyable à travers sa culotte d’équitation. Le temps qu’ils parviennent auxruines,Marissaavaitlesoufflecourt.Pourtant, ils s’étaient seulement promenés. Jude s’était montré parfaitement
convenable.Marissaétaitsurlepointd’éclaterd’impatience.Puisqu’ilsjouaientlesfiancés,elleavaitbienméritéunbaiser!Lessabotsdeschevauxrésonnèrentsurlesoldelacouretlesgarçonsd’écurie
s’approchèrentpourprendre les rênes.Judemitpiedà terreavecunegrâcequicontrastaitavecsalargecarrure...etcelledesoncheval.IltenditlesbraspouraiderMarissaàdescendreetentouraenfinsatailledeses
mains,maissanss’attarder.Illalâcha,etMarissaneparvintqu’àgrand-peineàseretenirdetaperdupied.Ellenemanifestacependantsafrustrationqu’enrelevantlementon.—Mercipourlapromenade,MrBertrand.J’aipasséunmomenttrèsagréable.
Lesmainsdansledos,illongeal’écurieàsoncôté.—Pourquoiêtes-voussiencolère,alors?—Jenesuispasencolère.—Vraiment?J’étaispourtantsurlepointdeciterLaMégèreapprivoisée.—Etmaintenantvousmetraitezdemégère.C’estmerveilleux.—Vousditescelacommesicen’étaitqu’uneoffenseparmid’autres.—Hum.Judelapritparlebraspourlafairetournerdoucementverslui.—Qu’ya-t-il,moncœur?—Pourquoim’appelez-vousainsi?Votrecœursembleparfaitementsatisfaitde
gardersesdistances.—Ahbon?Il lui toucha la tempe, dégageant une mèche de cheveux de son visage. Il
effleuraleborddesapetitebombeavecsesdoigts,etelleeutsoudainpeurquecelle-ci ne soit plus aussi élégamment mise qu’avant la promenade. Ne latrouvait-ilpasassezjolie?N’avait-ilpasdutoutenviedel’embrasser?Illaregardaitdanslesyeux,maisceux-cinelaissaientrientransparaître.—J’étaisloindemedouterquevoussouhaitiezvoirmoncœurplusprochedu
vôtre,murmura-t-il.Ilavaitraison,évidemment.Ellenevoulaitrienavoiràfaireavecsoncœur,et
eutsoudainpeurdudéfiqu’elleluiavaitpresquelancé.—Nous allons être en retard pour le déjeuner, dit-elle à voix basse, en se
reculantpouréchapperàsonregard.Il l’examinapendantencoreunmoment,sesyeuxsombresnerévélant riende
sespensées,etMarissapoussaunsoupirdesoulagementquandilsecontentadeluidonner lebras.Unbaiserétaitunechose,maisparlerdesoncœuravaitétéstupidedesapart.Ellen’ensavaitpasassezsursonproprecœurpouravoircetteconversation.Illaramenadanslemanoirsansprononcerunseulmotet,enbasdel’escalier,
ils’inclinaenluiattrapantlamainpourprendrecongé.Marissaretintsonsouffleà l’idée de la caresse de ses lèvres sur sa peau, quand elle entendit une voixféminineimpatientel’appeler.Étonnée, elle leva les yeux et aperçut sa meilleure amie qui entrait avec
précipitation.—Beth!s’écriaMarissad’unevoixaiguë.Vousvoilàenfin!
Lâchant sa main, Jude se redressa, et Marissa s’élança vers son amie quil’attendaitlesbrasgrandsouverts.La mère de Beth avait été malade pendant près d’un an, aussi Marissa ne
l'avait-ellepasvuede toute laSaisonprécédente àLondres.Beth lui avait tantmanquéqu’ellesentitleslarmesluipicoterlesyeux.Marissa comprit soudain pourquoi elle avait agi ainsi avec PeterWhite. Ce
n’étaitpasuniquementparinconvenanceoupardésir.C’étaitaussiparcequ’ellesesentaitseule.Beth la serra si fort contre elle queMarissa songeaqu'elle aussi avait dû se
sentirseule.Ellerespiral’odeurfamilièredesescheveuxébène.C’étaitcelledusavonquesagouvernantefabriquaitelle-même,etqueMarissaassociaittoujoursàsonamie.—Quiest-ce?chuchotaBethàsonoreille.MarissalâchasacompagneetseretournaversJude.—Oh,permettez-moidevousprésenterMrBertrand.MrBertrand,voiciMiss
ElizabethSamuel.—MissSamuel,dit-il.C’estunhonneurdevousrencontrer.—MrBertrand,murmura-t-elle,pétrifiée.—Sivousvoulezbienm’excuser,jevaisvouslaisseràvosretrouvailles.Lesdeuxjeunesfemmesleregardèrents’éloigner,jusqu’àcequeBethsecoue
latête.—Bontédivine,cethommeesteffrayant!—Oui,vousavezsansdouteraison.—Vousêtesallésvouspromenerensembleàcheval?—Oui,répondit-elle,sentantBethladévisageraveccuriosité.Ilesttrèsgentil,
ajouta-t-elle,mueparunsentimentdeculpabilité.Bethl’entraînaversl’escalier.—Venez,allonsdansvotrechambre.Celafaitunesemainequevousnem’avez
pasécrit.Jeveuxsavoirtoutcequevousavezfaitdepuis.Marissa songea qu’il s’agissait d’une bien mauvaise idée, mais fit semblant
d’approuver.—Combiendedemandesenmariagevousa-t-onfaites?Marissaéclatad’unrireforcé,puisassaillitBethdequestionssurlasantédesa
mère,pours’assurerqu’ellenecessedeparler.Marissan’avaitpasenviedeluiracontercequis’étaitpassélasemaineprécédente.Maissurtout,ellen’avaitpas
envied’évoquerJude.Bethnecomprendraitpas.Marissanecomprenaitpaselle-même.Ledînerfutfortagréable.ElleputbavarderavecBeth,etéchangerdetempsen
tempsunsourire,àdéfautd’uneconversation,avecJudequiétaitplacénonloind’elle.Aprèsledîner,MarissapritBethparlebrasetlamenajoyeusementversla salle de musique, ravie de l’excellente soirée qui s’annonçait. Elle étaitpourtantàmillelieuesdesedouterdecequil’attendait.La cousine de Beth occupait un siège éloigné du sien au dîner, si bien que
Marissa avait pu fairemine de ne pas la voir, mais ce n’était plus possible àprésent.Installéesurunechaiseprèsdelaporte,Nanetteétaitentouréedesacourdesoupirants.—Marissachérie,roucoula-t-elle.Jesuissiheureusedepouvoirdenouveau
passerdu tempsavecvous. J’aivécuuneannée si ennuyeuse, enfermée loindetoutlemonde.Marissa serra les dents et lui adressa un sourire ouvertement faux. Nanette
vivaitaveclafamilledeBethdepuisquatreans,etlesdeuxfemmesauraientdûêtre aussi proches que des sœurs, d’autant qu’elles avaient le même âge. LesSamuel avaient recueilli Nanette à la mort de son père, pourtant elle seconsidéraitlargementsupérieureàeux.Ilfautdirequesamèreétaitlasœurd’uncomte,etquecelaenfaisaitdoncunehéritière.— J’ai fait promettre àma tante de ne plus tombermalade. Je ne peux tout
simplementpasmanqueruneautreSaison!Etnousétionssiinquiets,biensûr.—Évidemment.Nanettesepenchaverselleavecunairdeconspiratrice.—Vousai-jeracontéquelevicomteFaringtonm’avaitenvoyédeslysquandil
avaitapprisquejeneseraispasàLondrespourlaSaison?—Hum,marmonnaMarissa,peudésireused’endiredavantage.Elle savait que les fleurs duvicomteFarington étaient aussi biendestinées à
Nanettequ’àBeth,mais ilétait inutilede lepréciser.Nanettesecontenteraitdefaire un clin d’œil et d’ajouter que, naturellement, le vicomteFaringtonn’avaitpasvoulusemontrergrossier.Beths’assitprèsdesacousine,crispée,sansunmot.—Ehbien, fitMarissa, vous nous avez toutes deuxmanqué àLondres, cette
année.Beth,vousai-jeditqueMrDunwoodyavaitprisdevosnouvellespasplus
tardqu’hier?—Vraiment?— Vous souvenez-vous de lui ? D’après lui, vous vous êtes seulement
rencontrésunefois.— Bien sûr que je m’en souviens. Nous avons dansé ensemble. Il est si
gracieux.—Vousavezraison.C’estmonpartenairededansepréféré,cesjours-ci.Nanettelaissaéchapperunrireaigu.— Je me demande s’il m’accordera également une danse ! Je pourrai ainsi
jugers’ilestaussicharmantquevousledites.Marissafronçalessourcils,maisréussitàseretenirdeleverlesyeuxauciel.
Dejustesse.Cependant, elle savait qu’elle ne parviendrait pas àmaîtriser longtemps son
irritation, aussi éprouva-t-elle un profond soulagement en entendant dans lecouloirleshommesquis’approchaient.Nanetteseraittropoccupéeàflirterpourcontinuerdelesennuyerbienlongtemps.Marissasepenchaàl'oreilledeBethetluimurmuraprécipitamment:—J’espèrequevousêtesprêteàdanserpendantvotreséjour.MrDunwoody
semblaitvivementintéressédesavoirquandvousarriveriez.Lesjouesdesonamiese teintèrentderose.C’étaitunebonnechose,carelle
avaitlevisagetrèspâle.Àprésent,elleavaitl’allured’unejeunefemmefraîche,etnondequelqu’unquiavaitpasséuneannéeauchevetdesamère.Marissa attendait avec impatience l’apparition deMrDunwoody.Cependant,
elle l’oublia rapidement et entreprit plutôt de chercher Jude.Se comporterait-ilcommeungentlemanoucommeunecanaille?Luisourirait-ilmystérieusementdeloin,oubiens’éclipserait-ilavecellepourl’embrasser?Ellesepritàsouhaiterqu’ilfasselesdeux.Lasoiréeluiparutsoudainpleined’incertitudes.Ellesentitsoncœurfairedes
bondsirréguliersdanssapoitrine.—MissYork,ditunevoixd’homme,troptimidepourêtrecelledeJude.Malgrétout,elleespéraittombersurluiquandelleseretourna,maissoncœur
seserraalors.Peut-êtreétait-ceuneréactionmélodramatiqueauregardd’unesilégèredéception,etellesouritensongeantàcequeJudediraitdecela.—MrDunwoody!VoiciMissSamuel,commejevousl’avaispromis!Avez-
vouseul’occasiondeparleravecelleavantledîner?—Non, pas encore, répondit-il en prenant lamain deBeth et en s’inclinant
profondément devant elle. Miss Samuel, c’est un tel plaisir de vous revoir.J’espèrequevotreprésenceicisignifiequel’étatdevotremères’estamélioré.—Ellevabeaucoupmieux,monsieur.Merci.Ils se regardèrent en souriant, pendant un long moment embarrassant,
interrompuparNanettequipoussasacousineducoude.—Oh,murmuraBeth,dontlevisagepritsoudainuneexpressiondegêneteintée
depeur.JevousprésenteMrDunwoody.MrDunwoody,voicimacousine,MissNanetteSamuel.—C’estunplaisir,ronronnacelle-cieninclinantgracieusementlatête.MrDunwoodylasaluaavecunrirenerveux.Quandilseredressa,ilgardales
yeuxrivéssurNanette.— Je voulais... Oh ! (Il se retourna à demi vers Beth.) Je voulais vous
demander de me faire l’honneur d’une danse ce soir, Miss Samuel. Ainsi quevotrecharmantecousine,sielleacceptededanseravecunétranger.NanettegloussaettouchalebrasdeMrDunwoody,dontlesourires’élargit.Marissa serra les dents, tout en se disant que cela n’avait pas d’importance.
C’étaitBethquiplaisaitàMrDunwoody,etmêmesiNanettes’efforçaittoujoursdevolerl’attentionaccordéeàsacousine,ellen’yparviendraitcertainementpascettefois-ci.Quandils’éloigna,Nanettefitremarquerqu’ilétaittrèsbeau,etserenseignasursasituation.Puis,elleentrepritd’expliqueràBethqu’ungentlemansanstitreseraitunbonpartipourquelqu’uncommeelle,maisqu’elle-mêmeavaitl’intentiondedevenirladyquelquechoseensemariant.— Cependant, ajouta-t-elle en riant, cela n’empêche sûrement pas Mr
Dunwoodyd’êtreunagréablepartenairededanse.Marissal’interrompit,toutenjetantunregardappuyéàBeth.—Beth,jecroisquemamèrevoulaitvousvoirconcernantlaconceptiond’une
coiffepourlapiècedethéâtrededemain.Vousêtestellementcréative!Voulez-vousnousexcuser,Nanette?Elletirasonamieparlebrasjusqu’àl’autreboutdelapièce.—Jenesaispascommentvousfaitespourvivreaveccettefille,chuchota-t-
elleàBeth.Elleestinsupportable.—Elle n’est pas si horrible.Aumoins, quand je suis assise près d’elle, les
gentlemenaffluentautourdenous.—MrDunwoodyn’avaitpasbesoinqueNanetteviennel’aguicher.Etcomme
toujours, vous avez une bien piètre opinion de vous-même. Pourtant, MalcolmJames était à deuxdoigts de vous demander enmariage lors de votre première
Saison.— Mais il ne l’a pas fait, rétorqua-t-elle en jetant un regard malicieux à
Marissa.Cen’estpasgrave.Nanettem’adéclaréquejepourraisêtresadamedecompagniesijerestaisvieillefille.—Vousplaisantez,n’est-cepas?—Non,réponditBethenriant.Marissas’arrêtaetserrarapidementsonamiedanssesbras.Bethétaitgentille
et loyale,etmêmesielleneprésentaitpas lagrandebeautédesacousine,elleétaittrèsjolie.Beths’éclaircitlavoix.—CeMrBertrandsembletrèséprisdevous.Ilvousaobservéependanttoutle
dîner.—Vraiment?demanda-t-elleensuivantleregarddeBethdel’autrecôtédela
pièce.Elles’attendaitàytrouverJudeentraindelaregarder,maisilavaitlevisage
tournéverslafemmequiluiparlait.PatienceWellingsly.C’étaitellequil’avaitcouvédesyeuxpendanttoutledînerdelaveille.—Nevousrend-ilpasnerveuse?Ilressembleàunecanaille.MrsWellingslyéclatade rire, et enprofitapour sepresser contre lebrasde
Jude.—Avez-vousdanséaveclui?Jenepeuxm’imaginerqu’ilsedisebondanseur.MarissajetaunregardnoiràlafemmequitenaitdésormaislebicepsdeJude
d’unairpossessif.—Quesavez-vousdeMrsWellingsly?Bethparutsurprise.—D’elle?Pasgrand-chose.Elleestveuvedepuisquelquesannées,etjecrois
qu’elleadorelewhist.Etleshommesgrandsavecunairdecanaille,apparemment.Marissa l’observa attentivement, en tentant de comprendre pourquoi cette
magnifiqueveuve semblait si intéresséepar Jude.Était-ilpossiblequ’ils soientamants ? Ils étaient vraiment mal assortis. Mrs Wellingsly, avec sa beautéd’albâtreetsagrâcedélicate,paraissaitêtreunepetitecréaturefragileàcôtédelui.Maisilétaitévidentqu’elleflirtaitaveclui,etJuden’avaitpaslevélesyeux
uneseulefoispourchercherMarissaduregard.
— Hum, marmonna-t-elle, ce qui lui valut un coup d’œil intrigué de Beth.Venez,allonschercherduvin.Mamèreneva sansdoutepas tarderà lancer lamusique.Elleréussitàboiredeuxverresdevinetàdanseràtroisreprisessansrevoir
Jude. Même si elle se disait qu’elle l’évitait délibérément, son irritationressemblaitétrangementàdeladouleur.C’étaitridicule.Ilnesignifiaitrienpourelle.Pourtant,quandelleaperçutMrsWellingslydansuneconversationaniméeavec
sa tante Ophélia, Marissa eut le sentiment d’avoir un poids en moins sur lapoitrine.EllenesavaittoujourspasoùétaitJude,maisentoutcasnes’était-ilpaséclipséaveccettefemme.Elle regarda autour d’elle à la recherche d’un autre partenaire de danse, et
faillitentrerencollisionavecEdward.—Pouvez-vousvenirdansmonbureauimmédiatement,jevousprie?Intriguéeparletongravedesonfrère,Marissaluiemboîtalepas.—Qu’est-cequinevapas?chuchota-t-elleunefoisqu’ilsfurentsortisdela
salle.Jen’aipasreçud’autreslettres,sic’estcequevousredoutez.—Non,grommela-t-il,maismoioui.— Une lettre de qui ? demanda-t-elle alors qu’il refermait la porte de son
bureauderrièreelle.JudeetAidansetrouvaienttousdeuxdanslapièce.Celaneprésageaitriendebon.—Notre cousine,May,nous a écrit pournousprévenirqu’elle avait euvent
d’une rumeur concernant une dispute privée entre Peter White et vous. Il estdangereuxdelaisserlesgensjaserpluslongtemps.—Mais...—Jevaisannoncervosfiançailles.—Maisvousaviezpromisdemelaisserdutemps!Edwardcroisalesbras.—Desfiançaillespeuventêtrerompues.Silarumeursepropagedavantage,je
nepourraiplusrienfairepourvous,Marissa.L’annoncedevosfiançaillesavecJudeprovoqueraunvifémoi.Elleaurapoureffetd’étoufferl’histoire,outoutaumoinsde la rendremoinsdangereuse.Onpenseraainsique ladisputeentreMrWhiteetvousétaitliéeàvotreaffectiongrandissantepourJude.Marissatentadetrouverunargumentpourprotester,maisàvraidire,sonfrère
avait tout à fait raison.Elle se tournavers Judeet croisa son regard sérieux. Il
s’avança vers elle, mais elle secoua la tête. Elle n’avait pas besoin qu’il larassureoul’influence.Elleprendraitcettedécisionenadulte.—Quanddevons-nousl’annoncer?— Aussi vite que possible, murmura Edward. Ce soir, j’interromprai la
harpistequemèreaengagée.Celadevraitproduireuneffettrèsthéâtral.—C’estd’accord.Trèsbien.Judeseraclalagorge.—Voulez-vousm’accorderunmomentenprivé,Marissa?Les deux frères se dirigèrent vers la porte.Avant de quitter la pièce,Aidan
s’arrêtadevantMarissaetposa lamainsursonbras. Ilaffichaituneexpressiongrave,maiselleluifitunsignedetêtequifitdisparaîtresoninquiétude.Ilsortitalorsetfermadoucementlaporte.—Celanechangera rienpourvous,commençaJude. J’ai toujours l’intention
derespectervotreplan.—Merci.—Maissachezque j’honoreraiégalement lemien.Quelescandaleéclateou
pas,j’ail’intentiondevousépousersivousvoulezbiendemoi.Etuniquementsivousvoulezbiendemoi.—Toutcelanereposantquesurmanatureexcessive?—C’estàpeuprèsça.Ils’approchaalors,etMarissaeutlasensationquelapiècedevenaitpluspetite
etqu’ilyfaisaitpluschaud.Ils’arrêtadevantelleettouchasonmenton,commeill’avaitdéjàfaitauparavant.Ladernièrefois,elleavaitcruqu’il l’embrasserait,aussin’avait-elleàprésentaucuneidéedecequ’ilavaitentête.—Meferiez-vousl’honneurdem’accordervotremain,MarissaYork?— Je... (MonDieu, tout ce qu’il faisait n’était quemystère pour elle.) Vous
comprenezque...—Biensûr.—Trèsbien.Ehbien,jesupposequej’accepte,alors.Ilaffichaitcesourireencoinquiluiétaitdésormaisfamilier.—J’ail’impressionquevousn’êtespasdutoutromantique,dit-il.Il lui releva le menton et se pencha vers elle. Mon Dieu, il allait enfin
l’embrasser.Il s’avançait si lentement qu'elle pouvait sentir son propre souffle entre eux.
Ellegardalesyeuxouverts,inquiètequ’ils’éloignesielleneregardaitpas.Maisenfin,enfin,sabouchetouchalasienne,etellesoupiradesoulagement.
Seslèvrescaressèrentlessiennes,etellefrissonnadeplaisir.Ilétaitsiproched’ellequ’ellepouvaitrespirersonodeursiagréable,lamêmenoteépicéequ'elleavaitdéjàremarquéeenderaresoccasions.Ilsentaitquelquechosequ'elleavaitenviedegoûter.Alorsellegoûta,pressant saboucheplus fermementcontre la sienne. Jude la
récompensaenécartantseslèvresjusteassezpoursaisirsalèvreinférieureentreles siennes. A présent, elle sentait une touche humide. Les choses devenaientmoinscorrectesetplusdangereuses.Lefrissonnementqu’elleressentaitserépanditalorsdanstoutsoncorpsàune
vitessefolle.Marissaavaitdéjàembrasséplusieurshommesparlepassé,etsavaitcomment
s’yprendre.ElleinclinalatêteetléchalalèvreinférieurecharnuedeJude,puiselles’abandonnaavecdélicesàsonbaiser.Il l’embrassa vraiment, à pleine bouche, en lui mordillant la langue. Sans y
penser, Marissa s’agrippa aux revers de sa veste, comme pour le garder prèsd’elle. À tout moment, il pouvait relever la tête, et après, l’embrasserait-ilencore?Elleavaitattendusilongtempsdéjà...Sa langue caressait lentement la sienne.Marissagémit et se cambravers lui.
Son torseétait sidur, et sonmenton légèrement rugueux,mais sabouchen’étaitquechaleuretdésir.Lebaiserseprolongeapendantplusieurslonguesminutes,etrapidement, elle semit à imaginer cequi sepasserait s’ilspoursuivaient sur lecanapé.EllesongeaauxcuissesdeJudeetàcequ’elleressentiraitenlestouchantsoussonpantalon.Ellesavaitqueleshommesavaientlescuissespoilues.Etunepeauchaude.Etd’autreschosesintéressantespastrèsloin.Quandilrelevaenfinlatête,Marissalelaissafaire,pensantquelasuiteserait
pluspassionnanteencore.Maisriennevint.—Voilàlachoseofficialisée,dit-ild’unevoixplusgraveetplusrauquequede
coutume.Prenant conscience qu’elle était toujours sur la pointe des pieds, Marissa
retombasursestalons.—Pardon?—Nosfiançailles.Allonsannoncerl’heureusenouvelle,voulez-vous?—Jepensaisplutôtquenousallionsrestericietpoursuivrecequenousavons
commencé.—Marissa!Quelgenredegentlemanserais-jesi j’essayaisdeprofiterdela
situationenfaisantaugmenterlaprobabilitépourquevoussoyezenceinte?
LesyeuxdeMarissaglissèrentverslecanapéàl’aspectsiconfortable,situéàl’autreboutdelapièce.Ilétaitbienpluslargequeceluiducabinetdecouture.—Vousdisiezqu’ilyavaitd’autresfaçons...—Oh,Dieu!s’écriaJude,enlevantlesyeuxauciel.Cefaisant,soncousetendit,etlatachesombredesabarbenaissanteattirale
regard deMarissa.C’était l’un des éléments qui lui donnaient cet air tellementplus brutal que les autres gentlemen. Même quand il était rasé de près, elleapercevaitlamenacesombredesapilositésoussapeau.Oui, il avait vraimentune apparencedebrute.Pourtant, il embrassait comme
unesorted’angemaléfique.— Je ne serai jamais prêt pour cette annonce publique si vous me dites de
telleschoses,Marissa.—Quevoulez-vousdire?—Rien,marmonna-t-il.—Pouvons-nouscontinuerdenousembrasser?Judesecoualatêteenfermantlesyeux.—Edward va bientôt venir nous chercher. Cela ne serait pas bon pourmes
nerfs.Marissaavaitenviedebouder,maisellenevoulaitpaslemontreràJude.—Vousavezundrôled’humour,grimaça-t-elle.Ellefitalorssemblantderajustersesjupes.—Vousêtesprêt,donc?—Jepenseêtredenouveauprésentable,eneffet.—M’avez-vousdécoiffée?Il s’amusa à pencher la tête d’un côté, puis de l’autre, avant de tourner
lentementautourdeMarissa,ensoumettantsoncorpsàl’examenminutieuxdesonregard.Quandilfutderetourdevantelle,Judel’embrassafurtivement.—Vousêtesparfaite.Ce légerbaiser luiparut sinaturelqu’elleen fut stupéfaite.Etquandelle lui
prit le bras, elle éprouva le même sentiment. Trois jours auparavant, elledécouvraitsonexistence.Elleavaitfaitsaconnaissancecontresongrédeuxjoursplustôt.Etàprésent,elleavaitl’impressiond’êtreamieaveclui.CommetoutcequiconcernaitJude,celan’avaitpasdesens,maisilétaitinutile
de s’y attarder. La seule chose à faire était de se réjouir qu’il soit quelqu’und’acceptable.
Personnenesemblaleurprêterattentionquandilsentrèrentdanslasalle.MêmeBethne levapas lesyeux, toutabsorbéequ’elleétait à regarderMrDunwoodydanseravecNanette.MaisEdwardlesavaitvus.Marissaluiadressaunpetitsignedetête,etilse
dirigeaalorsverslesmusiciens,levisagegrave.Illevalesmainspourfairecesserlamusique.Lesondelaharpenes’affaiblit
queprogressivement,commesilemorceaurefusaitdes’achever.— Mesdames et messieurs, j’ai la joie de vous annoncer une excellente
nouvelle,etjesuisraviquevoussoyeztousiciprésentspourpartagernotrejoie.MrJudeBertrand,unamihonorableetcherdelafamilleYork,ademandélamaindemasœur.Jen’aiétéquetropheureuxdeleurdonnermabénédiction.Unmurmuredestupéfactionparcourutl’assistance.—Veuillezvousjoindreàmoipourféliciterl’heureuxcouple.IldésignaMarissaetJude,ettouteslespersonnesprésentessetournèrentvers
eux.—Noussommestoustrès...heureux...decetarrangement.Nul ne sembla remarquer le trouble d’Edward à la fin de son discours.
L’assistance n’avait probablement pas entendu ses derniersmots, aumilieu deshoquetsde surpriseetdeschuchotements.Une incrédulitéplusoumoinsgrandeétaitpeintesurtouslesvisages.SourianteaubrasdeJude,Marissaregardaautourd’elleetcroisalesyeuxde
MrDunwoody.Ilavaitunemouequiluitordaitlégèrementlafigure,etilsemblaittirailléentrelescepticismeetl’horreur.Ayregarderdeplusprès,Marissaconstataqueplusieurspersonnesaffichaient
uneexpressionsimilaire.Elletentadesourireplusfranchement,maisl’embarrasrendaitseslèvresraides.Elleétaitgênéepourelle-même,etsielleétaithonnête,égalementpourJude.Nuln’applaudit.Nuln’émitunsigned’approbation.Pasuneseulepersonnen’arrivaitàcroirequeMarissaYorkallaitépousercethomme.Etdans des circonstances normales, elle ne l’aurait pas épousé. Tandis qu’elleprenaitconsciencedecela,sonestomacsenoua.Pourtant, quand elle leva les yeux vers Jude, il n’avait pas du tout l’air
décontenancé.—Je suis honoré, déclara-t-il d’unevoix forte, queMissYork ait daignéne
serait-ce que jeter un regard dans ma direction, et je suis profondément émuqu’elleaitacceptémaproposition.—Bravo!criaEdward.
L’assistance n’eut alors d’autre choix que de l’imiter. Aidan commença àapplaudir,etlerestedelasalleluifitécho.Enfin,lamusiquerepritetMarissasesentitdéfaillirdesoulagement.C’étaitfait.Etilétaitcertainquelesdiscussionssur leurs fiançailles allaient éclipser tous les autres sujets de conversation encours.Judeluiadressaunclind’œilalorsquequelquesbonnesâmess’approchaient
d’eux.Marissa se sentit apaisée par l’humeur joyeuse de son compagnon.A saplace, n’importe quel autre homme de sa connaissance serait devenu rouge decolère.MaisJudeétaitaussicalmequedecoutume.Acemoment-là,sacarrurede brute lui parut peu importante. C’était un homme fort,mais d’une force quidépassaitlargementcelledesesmusclesetdesastature.Ils acceptèrentdes félicitations tenduespendantquelquesminutes,puisHarry
s’approchaetdonnaunetapedansledosdeJudeavecunrirejovial.Ilétaitdanslaconfidence,évidemment,maissaprestationd’acteuravaitété impeccablesurtoutelaligne.CecherHarryétaitlavedettedetouteslespiècesdethéâtremisesen scènepar samère, et une fois deplus, il joua son rôle avec assurance.Sonaccolade paraissait chaleureuse et authentique, de même que ses félicitationsavaientl’airàlafoissincèresetsurprises.Lemalaisequirégnaitdanslapièces’atténua.Marissasedétenditenfinetse
mitàrire,pendueaubrasdeJude.L’espace d’un instant, toute la scène lui sembla presque réelle. Elle était
heureuseetallait semarieraveccethomme,qu’elleallaitaimer.Maissoudain,MarissaremarqualevisagedeBeth,pétrifiéparlechoc,etserappelaalorsqu’ilnes’agissaitqued’uneterribleerreur.
Chapitre9
Marissa chevauchait à toute allure dans la fraîcheur de l’aube. De petitsnuages de vapeur s’échappaient des naseaux de sa jument en tourbillonnant, etglissaientlelongdesbottesdeMarissa,avantdedisparaîtredanslabrume.Ellen’aimaitpaslachasseni lesautd’obstacles,maiscela,elleadorait.Lavitesse.Monter un cheval qui galopait à un rythme si vertigineux que Marissa avaitpresquel’impressiondevoler.Elleauraitaimépouvoirvoler.Personne n’avait dansé après l’annonce faite parEdward.On avait répété la
pièce de théâtre, parié amicalement aux cartes et joué aux charades, mais onn’avaitpasdansé.Marissas’étaitserviedecetteexcusepourseretirer tôtdanssesappartements.Àlavérité,elleavaitvouluéchapperauxquestionssubtilesetauxregardsàladérobéed’unequarantainedepersonness’efforçantd’éclaircirlemystèredesarelationavecJude.Plusqueperplexe,Bethavaitparuvéritablementeffrayée.QuandMarissaavait
entendu frapper doucement à sa porte vers minuit, elle avait fait semblant dedormir.EllenepouvaitdirelavéritéàBeth.SiMarissaattendaitunenfant,elles’assureraitquepersonnen’apprennelavérité,misàpartsafamilleproche.EllenedéshonoreraitpasJudedecettefaçon,nilebébé.Àcettepensée,elleseredressasursaselleetlajumentsemitàralentir.Ily
avaitunbrouillardtrèsléger,cematin-là.Marissavoyaitavecuneclartéparfaiteà vingt mètres puis, au-delà, le monde commençait à s’estomper, comme s’iln’existaitplus.C’était justementcequ’il lui fallait,aussi laissa-t-elleCléopâtretrotter sur quelques foulées avant de lamettre au pas et de faire demi-tour.Cejour-là,cettesolitudeétaitbienvenue.Elleneportaitpasd’enfant.Elleenavaitl’intimeconviction,pourtantpersonne
ne la croyait.Elle se sentait exactement lamêmequ’avant ce fameux soir.Ellen’avaitmêmepasl’impressionquecetteexpériencel’avaitchangéedelamanièredontelleauraitdûlefaire.Qu’est-cequecelasignifiaitsurelle?Etait-ellefroideou insensible ?Manquait-elle de la féminité essentielle qui faisait une dame ?
Elles’étaittoujourssentiedifférente,mêmesipersonneautourd’ellenesemblaitle remarquer.Ni ses frèresni sesparents.Personne... jusqu’à Jude. Il lavoyaitvraiment,lui.Cependant,ellen’étaitpascertained’avoirenvied’êtrevue.Nepaspouvoirmaîtrisercequ’ilsavaitsurelleluidonnaitparfoislasensation
d’uneviolationdesonintimité.Ilneconnaissaitpassessecretsparcequ'ellelesluiavaitdits.Ilarrivaitàlireenellecommedansunlivreouvert.Maislà,danslebrouillard,elleétaitseuleetsesentaitensécurité.Sonavenir
était aussi flou que la rangée d’arbres à l’ouest. Même sa peau fraîche luiapparaissaitcommeunsoulagementaprèslesboufféesdechaleurquis’étaientsisouventemparéesd’ellecesdernierstemps.Malgré tout, il lui faudrait bien revenir. A l’heure qu’il était, les hommes
devaientêtrepartispour lachassedumatin.Siseulementelleparvenaitaussiàtrouverunmoyend’éviterBeth...Elleavaitparcourulamoitiédelarouteverslemanoirlorsqu’elleentenditdes
bruitsdesabotss’approcher.Étrangement,elleeutlesentimentqu’ils’agissaitdeJude,etsepréparaalorsà
affrontersesyeuxperçants.Ilallaitsûrementchevaucherjusqu’àelle,luijeteruncoup d’œil et lui demander pourquoi elle se cachait dans le brouillard ens’apitoyantsursonsort.Misérableinsolent.Ellesesentaitprêteàlevoirquandlechevalsurgitenfinsurlechemindevant
elle. Si bien qu’elle ressentit une pointe de déception en apercevant la couleursombreetl’étoileblanchesurleboutdunezdel’animal.Cen’étaitpasl’horriblebêtedeJude,etcen’étaitpasnonplusluiquilamontait.Lasilhouettelevalamain,etMarissaréprimaunsoupir.Ellereconnaissaitce
brasminceetélégant.MrDunwoody.Damnation!Quandilarrivaàsahauteur,ellelesaluad’unairmaussade.—MissYork,j’espéraisbienvousvoiràchevalcematin.Legarçond’écurie
m'aindiquéquevousétiezpartiedanscettedirection.—Jeneveuxpasvous ralentir,monsieur. Je rentredéjà, car je sensàpeine
monnez.— Ah, dit-il avec un sourire furtif. Je vous en prie, laissez-moi vous
raccompagnerjusqu’aumanoir...Ilfitfairedemi-touràsamonture,unhongreauxjambesélégantes,quisemità
piafferd’impatience.C’étaitunbelanimal,avecdescourbesaussiparfaitesque
lacoupedelavestedesoncavalier.Marissacaressalabêted’unregardpensif.Elleaimaitlesbelleschoses.—Vosfiançaillesontétéuneénormesurprise.—MrBertrandestunamidelafamilledepuisquelquesannéesdéjà.— Oui, eh bien... je suppose que je ne l’avais pas remarqué parmi vos
nombreuxadmirateurs.—Vousexagérez,iln'yenavaitpastantqueça.—Amesyeux,ils’agissaitd’unefouleintimidante.(Ils’efforçad’afficherun
sourire d’autodérision, qui ne reflétait pourtant que son inquiétude.) Etes-vousvraiment certaine que tout va bien,Miss York ? Après votre dispute avecMrWhite et maintenant ces fiançailles précipitées, je ne peux m’empêcher de mefairedusouci.—Àquelproposexactement?Comme cela lui arrivait souvent,MrDunwoody semit à rougir et secoua la
tête.—Veuillezm’excuser.Jememêledecequinemeregardepas.Elleauraitdûlecontredire,neserait-cequeparpolitesse,maiselleneputs’y
résoudre.Ildisaitvrai,cetteaffaireneleconcernaitpas.Sonexpressiontourmentéelequittapeuàpeu,etilfinitparsetournerverselle,
avecsonsourirehabituelsurleslèvres.—Misàpartcela...Elle lui rendit son sourire et se demanda si elle oserait un jour parler àMr
Dunwoodydesasituationdélicate.Ellenepouvaitsel’imaginer.Ilavaitl’airsi...jeune.Elleétaitpresquecertainequ’ilauraitétéhorrifié,dégoûtéetchoquéparson histoire. Elle ne pouvait en aucun cas se représenter Mr Dunwoody luidemandersuruntondétachésielleavaitsaigné.Grimaçant à cette pensée, elle observa les contours du manoir qui
commençaientàsedétacheràtraverslabrume.Beauoupas,JudeBertrandétaitunhommecapabledelavoir,mêmedansce
brouillard.Sesdoutesàsonsujetsedissipèrent.—Danscecas,poursuivitenfinDunwoody,puis-jevousdemandercequevous
pensezdeMissSamuel?LecœurdeMarissabondit.—Oh,Bethestquelqu’und’admirable.C’estmonamielaplusproche.Elleest
bonneet loyale,et jesuissûrequevousavezremarquéquec’estuneexcellentedanseuse.Tellementgracieuse.
—Biensûr.Elleestdouceetcharmante.Trèsgentille.—Oui.—Etqu’enest-ildeMissNanetteSamuel?Vousdevezégalementêtreproche
d’elle.Ellesentitsonestomacsenouer.—Nanette?Euh,oui,j’aiégalementpassédutempsavecelle.—Elleestbelle,ettellementvivante,vousnetrouvezpas?—Hum.Troublée,ellehésitauninstant.SielledisaitàMrDunwoodycequ’ellepensait
vraimentdeNanette, il songerait sansdoutequec’était l’amertumed’une rivalequis’exprimait.Maissielleétaittropélogieuseàsonsujet,ilnelacroiraitquetrop.Elleprituneprofondeinspiration.—Nanetteestbelle,oui,répondit-elle,faisanttairesesinquiétudes.S’ilétaitintelligent,ilcomprendraitcequesonsimplecomplimentsignifiait.Et
s’ilétaitdignedeBeth,ilseraitcapabledevoirlavéritéparlui-même.—Oui,murmura-t-il.C’estvrai.Marissa crispa les doigts sur ses rênes, espérant avoir agi comme il fallait.
Maisc’étaitunsecretdeplusqu’elledevaitcacheràBeth.Curieusement, elle ressentit soudain l’envie de se retrouver seule avec Jude
pourluiracontersesétatsd’âme.Ilétait trèssurprenantd’éprouvercegenredechosespourunhomme.D’avoirenviedeluiparler.Vraimenttrèssurprenant.
Chapitre10
Marissa n’était pas descendue pour le déjeuner, et Jude commençait às’inquiéter.Elleadoraitmanger,mêmesi,commetoutedamequiserespecte,ellene picorait que par minuscules bouchées. Personne ne semblait cependantremarquer qu’elle avait pour habitude de se resservir trois fois. Sa minceurdemeuraituneénigmepourJude.Ilarpentalecouloir,latêtebasseetlessourcilsfroncés.IlavaitenvoyéAidanauxnouvellesetcelui-ciluiavaitrapportéquesasœur
faisaitunsomme,avantde tranquillementpoursuivresonchemin.Pourtant,Judenepouvaits’empêcherdesefaireencoredusouci.Était-ellemalade?Ouregrettait-elleleursfiançailles?Peuimportaitqu’ellese
tourmenteàcesujet,carilétaitintimementpersuadéqu’ilsétaientfaitsl’unpourl’autre,sansquoiilneseseraitjamaisproposé.Comprenait-ellecela?Agacéparsonhumeurchagrine,Judedécidad’allertoutsimplementluiposer
laquestionlui-même,etmontaaupremierétageverssesappartements.Il frappa doucement. N’obtenant pas de réponse, il recommença, tout en se
demandant si la réveillerdesasiesteétaitunebonne idée. Ilavait le sentimentqueMarissaYorkn’apprécieraitpasd’êtretiréedesonsommeil.—Qu'ya-t-il?demanda-t-elled’unevoixforte,alorsqu’ils’apprêtaitàfaire
demi-tour.Surpris,ilsefigea.—C’estJude.Silence.—Jevoulaism’assurerquevousalliezbien.Ellemarmonnaquelquechose.Approchantsonoreilledelaporte,Judecrutsaisirlemot«homme»,maisce
futàpeuprèstout.—Uninstant,dit-elleenhaussantlavoix.
Judese retrouvaainsideboutdans lecouloircommeunenfantquiattendunepunition.Quelquestrèslonguesminutesplustard,Marissaouvritlaporteetletiradanssachambre.Jude la regarda bouche bée. Elle était si belle. Ses cheveux habituellement
coiffés à la perfection étaient simplement tressés, et sa natte blond vénitienépousait la courbe de son épaule. Ses joues et ses lèvres étaient toutes roses,comme si elle s’était emmitouflée dans des couvertures chaudes. Ses paupièresétaientlourdesdesommeil.S’ilssemariaient,ilauraitlebonheurdelavoirainsitouslesmatins.—Puis-jevousproposerduthé?demanda-t-elle.—Vousêtessibelle.Sceptique,ellefronçalessourcilsettouchal’extrémitédesanatteavecunpetit
grognement.—Vousêtesfououbienvousmentez.J'étaisentraindefairelasieste.—Etes-vousmalade?Ellemitlesmainssursonventre,attirantsonregardsurlelégerpeignoirblanc
qu'elleportait.—Non.Maisj’aieudesdifficultésàm’endormir,hiersoir.—Acausedel’annonce?BaissantlesyeuxversleschaussuresdeJude,ellesecoualatête,—Pas vraiment.Mais celam’ennuie de ne pas pouvoir raconter la vérité à
Beth.Jen’aipasenviedel’éviter,maisjenesaispasquoiluidire.—Expliquez-luiquejevousaiembrasséeetquevousn’avezpassumedire
«non».C’estlavérité,aprèstout,mêmesileschosesnesesontpaspasséesdanscetordre.Elleesquissaunsourire.—Vousvoulezquejelapersuadequejevousaime?—Vouscroirait-elle?— Je ne le pense pas. Je lui ai écrit il y a une semaine et, bizarrement, j’ai
oubliédevousmentionner.—Quellenégligencetragique.Incapablederésisteràlacharmanteimagequ'elleoffrait, ilcaressasesjoues
rosiesdudosdelamain.—Alorspourquoinepasluidirequej’aifaitnaîtrechezvousdessensations
quevousn’aviezjamaisconnuesparlepassé?Est-cequ'ellelecroirait?
Ilsentitsesjouess’échauffersoussesdoigts.Ilauraitpujurerqu'elleappuyaitsonvisagecontresamain.Ellelevasesyeuxvertétincelantverslessiens.—C'estpossible.Ilnepouvaitpasl’embrasser.Pasmaintenant.Pasdanssesappartements,quand
elleneportaitriend’autrequecelégerpeignoirblanc.Elleseraitsidouce,s’illatouchait.Douceet...Illaissaretombersamainetrecula.— J’ai terminé votre livre. Vous aviez raison. Le beau gentleman sauve la
situation.Elleplissalesyeuxsouslecoupdelacolère.—Hum.Quereprésentecettefemmepourvous?—Quellefemme?Ilsedemandas’ilavaitl'airaussiabasourdiqu’ill'était.—PatienceWellingsly.Est-ellevotremaîtresse?—Quoi?(Lebrutalchangementdesujetl’étourdit.)Non.Biensûrquenon.—Alorspourquoivous regarde-t-ellecommesi elleavait enviequevous la
dévoriez?Ilsecoualatête.—Peut-êtreparcequej’airefusédegoûteràsescharmes?Ellecroisalesbrasetluidécochaunregardnoir.—Jenevouscroispas.—Marissa.Jude comprit enfindequoi il s’agissait, et découvrit alorsun fait surprenant.
MarissaYorkétaitjalouse.Acausedelui.—Ilnes’estjamaisrienpasséentrePatienceWellingslyetmoi,pasmêmeun
baiser.— Eh bien, alors, vous avez été plus généreux avec moi. J’ai une bonne
longueurd’avance.Ilneluifitpasremarquerqu’elleétaitjalouse.Elleneferaitquelenier.Maisil
yavaitquelquechosequ'ellenenieraitpeut-êtrepas.—Vousplaignez-vousd’unmanquedebaisers,MissYork?—Ehbien,quelest l’intérêtd’êtrefiancéssi l’onnes’embrassemêmepas?
J’aiétéplusembrasséeparlepassé!—Vraiment?Parquidonc?
—Deshommes,répondit-elleenrelevantlementon.—Vousenêtessûre?— Pourquoi répétez-vous toujours cela ? Quelle est donc cette grande
différenceàvosyeuxentreleshommesetlesgarçons?Il s’avança vers elle, et cette fois,Marissa recula. Puis elle sembla prendre
consciencedecequ’elleavaitfait,etrestasurplace,lesépaulesenarrièreetlementonrelevé.Quandill’embrassa,elles’appuyacontreluietposalesmainssursontorse,lesdoigtsécartés.Ilnejouapasavecelle,cettefois,maisl’embrassaprofondément.Elleavaitun
goût de thé chaud et sucré, et était douce. Très douce. Il toucha ses hanches etsentit leurs courbes, nullement dissimulées par le tissu léger dont elles étaientcouvertes.Elleneportaitpasdecorset.Elleneportaitpratiquementriendutout.Elle soupira et pressa son corps entier plus fermement contre le sien. Jude
gémit, et sa raison lui intimade s’éloignermais, au lieude l’écouter, ildirigeaMarissaverssonlit.Unélanspontané.Unetrèsmauvaiseidée.Maisilnesuivaitplus que son instinct, désormais, tandis que la langue de Marissa caressait lasienneavecunefaimavide.LapassiondeMarissaluiavaitfaitperdretoutevolonté.Elleglissalesmains
soussavesteetsefrayauncheminjusqu’àsontorse.Elleagitait legenouavecimpatienceentrelessiens.Sespetitsgémissementsl’affolaienttant,qu’ilavaitdumalàrespirer.Il la conduisit doucement vers le lit, jusqu’à ce que ses jambes touchent le
matelas,puisl’étenditlentementsurledos.—Si j’étaisungarçon, jeglisseraissansdoutemamaindansvotredécolleté
maintenant.Elleouvritsoudainlesyeux.—Oh!— Je caresserais vos seins aussi longtemps que j’en aurais envie, puis je
soulèverais votre peignoir peu à peu, jusqu’à ce que vous soyez suffisammentexposée.Celavoussemble-t-ilfamilier?Elleleregardaitfixement,lesyeuxécarquillés,haletante.—Puisjecaresseraisvotresexejusqu’àcequ’ilsoitassezmouillépourqueje
puissevouspénétrer.Celas’arrêterait là,celadit,carsi j’étaisungarçon,monseulobjectifseraitdevouspénétrer.—Jevois,chuchota-t-elle.—Maisjesuisunhomme,Marissa,etvoilàcequejevaisplutôtfaire...
S’allongeantsur lecôté,Judel’embrassadenouveau,ens’assurantdenepasl’écraser. D’une nature passionnée – ou peut-être simplement impatiente -,Marissa glissa les mains derrière son cou et l’attira plus près d’elle. Il souritcontresaboucheenmurmurantsonplaisir,maisilnelatouchapas.Ilsecontentadel’embrasser,explorantsabouche,découvrantcequ'elleaimaitetn’aimaitpas,imprimantdanssamémoirelatexturedesalanguecontrelasienne.Quandellecommençaàs’agitersousluiavecardeur,Judeinterrompitenfinson
baiser et fit glisser ses lèvres jusqu’à soncou. Il effleura sapeau si douce, luimordilla l’épaule, puis embrassa le haut de son buste, sentant son propre sexedevenir plus douloureux à chaque caresse. Les geignements encourageants deMarissalerendaientfou.Ilavaitenviequ'ellegémisseainsitoutenl’accueillantenelle.Ilavaitenviequ'ellelesuppliedeluiendonnerdavantage.Judeprituneprofondeinspirationettentaderecouvrersonsang-froid.Ilnela
posséderait pas. Il attendrait qu’ils soientmariés.Mais il voulait aumoins luimontrer qu’un homme n’était pas seulement un partenaire de danse en pantalonajusté.Ilpassadoucementsesdoigtssursapeau,justeau-dessusdel'étoffefroncéede
sonpeignoir.LeventredeMarissasecreusaetsesseinssesoulevèrent.Letissudélicat laissait apparaître nettement le contour de ses tétons dressés, quipointaientàtraverslasoie.Juderéprimaungémissement.Marissa avait une silhouette fine et ses seins étaient petits,maisDieu qu’ils
étaientbeaux!Il se cramponna au dessus-de-lit. Il ne suivrait pas le scénario qu’il avait
décrit.—Jude,murmura-t-elle.Il ne tint pas compte de son appel et couvrit de baisers le contour de son
décolleté. Il sentit lesmains de la jeune femme se crisper dans ses cheveux etéprouvaunplaisirintense.Elleavaitenviequ’ilcontinue.Elleavaitenviedelui.Judeglissaunemainsoussonpeignoiretlaposasursonépaule,effleurantle
hautdesesseinsavecsonpouce.Ellefrissonnaetsecambracontrelui.Il était plus difficile de semaîtriser qu’il n’aurait cru, d’autant queMarissa
s’offraitàluiavecunabandontotal.Jude ferma lesyeuxet tentade reprendre ses esprits ; puis, sepromettant de
s’arrêterquandillefaudrait,ilpressaseslèvressurlafineétoffequicouvraitsapoitrine. Il referma sa bouche sur le téton de Marissa, qui lâcha un petit criétouffé.Oh,oui!C’étaitcequ’ilrêvaitd’entendre.Cessoupirsétranglésetpassionnés.
Ilsuçasontéton,tirantd’elledesnotesplusbellesencore,puislemordillapourenentendredavantage.Ilavaituneenviesiviolented’arrachersonvêtementpouradmirerlemiracle
desoncorpsdénudé.Ildésirait ladéshabilleretgoûterchaquecentimètredesapeau.Puis,ildésiraitseperdreenelle.Maispar-dessustout,ilvoulaitqueMarissapensequ’ellenepouvaitpasvivre
sanslui,carilcommençaitàpenserqu’ilnepouvaitpasvivresanselle.Il embrassa son autre sein puis le téta à travers l’étoffe, jusqu’à ce qu'elle
halètededésir.Alors,auprixd’uneffortsurhumain,lesmainstremblantes,Judelevalatête,et
l’embrassasurlaboucheunedernièrefois.Puisilroulasurledosengrimaçantetfermalesyeux.— Voilà la différence entre un garçon et un homme, souffla-t-il d’une voix
rauque.—Quoi?Pourquoivousarrêtez-vous?Peudisposéeàresterallongéesansbouger,Marissasehissasuruncoude.—Vousnem’avezpasdutoutsatisfaite,sic’estcequevouspensez!—Voyons,pourquimeprenez-vous!Lamoitiédelajoiequel’onéprouveà
fairel’amourdécouleduplaisirdel’anticipation.Jepariequ’aucundevosjeunesdanseursnevousajamaisenseignécetteleçon.—Mais...jen’aipasbesoindeleçons!Vousn’êtespasmonprofesseur!—Non, je suis seulement l’homme à qui vous n’aviez pas prêté lamoindre
attentionilyaàpeinetroisjoursdecela.Jenesuispasungarçon,Marissa,etjenesuispasnonplusstupide.EllegardalesilencependantunmomentquiparutsiinterminableàJudequ’il
finit par se forcer à ouvrir les yeux. Elle le regardait en fronçant les sourcils,commeunenymphe inquiète revenantd’un rendez-vousgalantdans lesbois, leslèvresrosesetenflées.—Jen’aipasbesoind’êtreséduite,Jude.Vousmeplaisezsuffisamment.Illevaunsourcil.Illevaunsourcil.—Suffisammentpourquoi?Unsouriresedessinasurseslèvres.—Suffisammentpourquejen’aiepasenviequevousarrêtiez.—Jesuisheureuxdel’apprendre.Ellel’examinapendantunlongmoment.
—Puis-jevoirvotretorse?—Jevousdemandepardon?—J’aimeraisvoirvotretorse.—Jenesuispascertainquevousl’aimiez.Ilestpoilu,voussavez.—Jesaisbien!—Quevoulez-vousdoncvoir,alors?Agacée,elleplissalesyeux.—Oh,jevois.Vousavezdéjàvulapoitrined’autresfemmesetn’êtesdoncpas
curieuxdevoirlamienne.Ilétait inutiledeprotestercontrecesabsurdités. Jude retirasacravate, sortit
lespansdesachemisedesonpantalonetdéfitquelquesboutons.Marissasemblas’ensatisfaireetcoulasamainsousletissupourtouchersapeaunue.Jude réprima un gémissement profond. Elle caressa timidement son torse,
déclenchantuneondedebien-êtredanstoutsoncorps.—Vousêtespoilu,murmura-t-elle.Jenevaispasl’attirersurmoi.—Maispasplusquederaison.C’estplutôtagréable.Etjenevaispasmeglissersurelle.Elle explora son torse jusqu’aux épaules, puis descendit vers le haut de son
ventre.—Vousêtestellementlarge,comparéàmoi.Judesentitsamainpassersursontétonetserralesdents.Puiselleeffleurala
peausensibledesonventre,etilaspirasoudainunelargeboufféed’air.—Désolée,jevouschatouille?—Oui.Oui, cela chatouillait, mais le bond qu’avait fait son cœur intensifia les
palpitations de son sexe, jusqu’à ce que son érection en devienne presquedouloureuse.—C’estagréable,chuchotaMarissa.J’aimebienvouscaresser.Quecesoitdouloureuxoupas, ilaimaitbiencelaaussi.Marissaposala tête
sursonépauleetlamainsursoncœur,ilsesentitalorsenvahiparquelquechosedebienpluspuissantqueledésir.Ilfermalesyeuxetluicaressalescheveuxpourlamaintenirprochedelui.—Hum,murmura-t-elled’unevoixendormie.Jecomprendsenfincequevous
vouliezsignifierenclamantêtreunvraihomme.
—Pardon?—Votrepantalonn’apasdutoutl’airsatisfait.ElleavaitditcelasuruntonsiconvenablequeJuden’encrutpassesoreilles.
Iléclataalorsd’unrirefrancetsonore.MarissaYorkneressemblaitàaucunedesfemmes qu’il avait connues jusqu’à présent. Pas étonnant qu’il soit en train detomberamoureuxd’elle.
Chapitre11
MarissadétestaitNanette,etcommençaitégalementàdétesterMrDunwoody.Et,songea-t-elled’unairrenfrogné,puisqu’elleétaitoccupéeàdétesterlesgens,autant ajouter PatienceWellingsly sur la liste. Cette femme n’avait aucun droitd’êtreassisedehorsausoleilencejourd’automneetderayonnerainsiauxyeuxdetous.Dans un premier temps, Marissa avait trouvé que sa mère avait eu une
excellenteidéeensuggérantd’organiserungrandpique-nique.C’étaitunejournéechaude et ensoleillée, et un pique-nique romantique rendrait plus plausiblel’histoire du coup de foudre entre Jude et elle, qu’ils racontaient à qui voulaitl’entendre.Avraidire,Judedéclaraitqu’ill’avaitaiméedèslepremierregard,tandisqu’ellesecontentaitd’acquiesceravecunpetitsouriretimide.—Encore unpeu de punch,ma chérie ? demanda-t-il d’une voix forte en se
mettantdebout.PatienceWellingsly,assisesurunecouverturenonloind'eux,observaJudese
leveretépoussetersonpantalon.Onpouvaitliredanssesyeuxqu'elleappréciaitgrandementlespectacledesescuissesmusclées,etMarissadutsemaîtriserpournepasposerunemainpossessivesurlajambedeJude.—Elleestsibelle,soupiraBeth.—Jesais.C’estécœurant.—Pensez-vousqueMrDunwoodysoitamoureuxd’elle?—Pourquoiserait...?Oh.ElletournalesyeuxverslacouverturedesSamuel,surlaquelleMrDunwoody
setenaitassisbiendroit.—Vousdevriezaller le rejoindreet luiparler. Il sera sansdoute soulagéde
pouvoir discuter d’autre chose que de Nanette. Ce n’est pas un sujet deconversationquipeutdureréternellement.— Marissa ! s’écria Beth en riant, mais son visage reprit rapidement son
expression triste.Non, je ne peux pas aller là-basmaintenant. Il verrait que je
chercheseulementàattirersonattention.—Peut-être,maisNanetteleferaitetn’éprouveraitpaslemoindreremords.—Oui,maisjenesuispasNanette.Malheureusement.L’airdécouragée,Beths’allongeasurlacouvertureetregardafixementleciel.
Marissal’imita.—Dieumerci,vousn’êtespasNanette.Sic’était lecas, jenevousaimerais
pasdutout.Vous,aumoins,vousêtesintelligenteetintéressante.— Sont-ce les qualités que vous appréciez chez Mr Bertrand ? demanda
doucementBeth.Marissasentitsoncœurseglacerpendantplusieurslonguessecondes.—Jesuisjustetellementétonnée!poursuivitsonamie.Etjevousenprie,nele
prenezpasmal,Marissa,maisilnesemblepasdutoutêtrevotretyped’homme.Etpuisvousn’enavezmêmepasparléuneseulefoisdansvoslettres!—Je...Oui,jesais.Touts’estpassétrèsvite.Etvousavezraison,biensûr,je
ne suishabituellementpas attiréepar cegenred’homme. Il aune apparencedebrute,n’est-cepas?Bethluipritlamain.— J’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Pas plus tard
qu’hier,vousmedisiezquevousn’aviezencorejamaisdanséaveclui.—Ilyaplusimportantqueladanse.—Commequoi?—II...Ilyavaittantdechosesqu’elleauraitpudireàsonsujet.Il était gentil, drôle, fort,maisMarissa savait très bienqu’elle n’était pas le
genredefilleàseprécipiterdansunmariageparcequ’elleavaittrouvéquelqu’undegentil.MieuxvalaitsuivreleconseildeJude.—Ilm’aembrassée,murmura-t-elle.—Commetantd’autres,d’aprèscequevousm’avezraconté.—Oui,maisilm’aembrasséeetj’aicru...(Ellefermalesyeuxetl’imaginase
penchantverselle.)J’aicruenmourirdeplaisir.Bethpressasamain.—Vraiment?—Oui.Et quand ilme touche, j’ai l’impression à la fois d’avoir unevaleur
inestimableetd’êtreunefillederien.BethtournalatêteversMarissa.
—Jenecomprendspascequevousvoulezdire.—C’estdifficileàexpliquer.—C’estencoreplusdifficileàcomprendre.Onnem’ajamaisembrassée.Pas
vraiment.—Peut-êtrequesivosmœursétaientunpeumoinsstrictes...Ellessemirenttoutesdeuxàrire,cequirompitlatensionentreelles.Marissa
soupira de soulagement. Beth semblait satisfaite de sa réponse, et Marissa sesentait...ehbien,ellesesentaitaussicurieusementsatisfaitedesaréponse.Ellen’aimaitpasJude,etn’avaitpasenviedel’épouser,maisaumoinsseréjouissait-elleàlaperspectivedesesbaisers.Etdesoncorps.—Saviez-vousqueleshommesavaientdespoilssurletorse?demanda-t-elle
àBeth.Mêmeducoindel’œil,elleputvoirl’expressionabasourdiedesonamie.—Vousvoulezparlerdestravailleurs?—Non,detousleshommes.Beth...MrDunwoodyvousplaît-il?—Oui.Ilesttrèsbeau.Etdoux.Jecroisquej’aibesoind’unmaridoux.Ilya
tantd’hommesintimidants,vousnetrouvezpas?—Avantledînercesoir,jeviendraivousaideràchoisirunerobe,puisnous
nous préparerons ensemble.Ma bonne vous coiffera, et vousmettra un peu derougesurlesjoues.—Mamèrene...—Elle n’en saura rien,Beth.Croyez-vous vraiment queNanette a les joues
aussirosesnaturellement?—Non,murmuraBeth.—Alorsvousviendrezdansmachambre.Vouspourrezêtreaussi timideque
vouslesouhaitez,dumomentquevousêtesplusjoliequeNanette.—C’estpeineperdue.—Elleaseulementuncaractèreplusfortquevous,etvousêtes tropgentille
pour rivaliser avec elle.Maismoi, je ne suis pas gentille, déclaraMarissa ensouriant,alorslaissez-moifaire,voulez-vous?—Sivousledites,chuchotaBethd’unairpeuconvaincu.CommesielleavaitpeurdecequeMarissaavaitentête.C’étaitridicule,bien
sûr,pourtant,quandJudesurgitdevantelleavecunverredepunch,Marissasutqu’elleétaitdémasquée.Illuijetauncoupd’œiletsourit.Décidément,Judenes’étaitpastrompéàsonpropos.Ellen’étaitvraimentpas
convenable.—Voilà,murmuraMarissaentirantsurlecorsagedelarobedeBeth.—Marissa!s’offusquasonamieententantdes’échapper.— Elizabeth Samuel, les hommes aiment les seins, et les vôtres sont une
merveille,siseulementvouslesmontriezdavantage...Ellerenditledécolletépluspigeonnant,puisrecula.—Savez-vousceque jedonneraispouravoirunepoitrinecomme lavôtre?
Quellequesoitlaforceaveclaquellejeserremeslacets,lamienneresteridicule.—Ehbien,sic’estsiimportant,pourquoivousa-t-ondoncdemandéecinqfois
enmariage,etpourquoipersonnen’ajamaissollicitémamain?—Nousavonschacunedesatoutsdifférents.J’aiuncoudecygneetvousavez
desseinsmagnifiques.Maismoij’exposemesatouts,contrairementàvous.—Marissa!Beth entreprit de tirer son corsage vers le haut,maisMarissa l’arrêta d’une
tapesurlamain.—Ne vous avisezmême pas d’essayer. Et siMrDunwoody est aveugle, je
pense à aumoins trois autresgentlemenquipourraientvous convenir. Je seraissurprisequ’ilsnevousinvitentpastousàdanser.J’aidéjàparléavecmèreetellea promis que nous en aurions l’occasion après la pièce de théâtre.Maintenant,tenez-voustranquille.Marissaexaminasonœuvred’unœilcritique.Bethnepossédaitpasderobes
decouleurdepierresvives,maiselleenavaitapportéunebleucieldelaSaisonprécédente.Ellene l’avaitportéequ’uneseule foiscarellenes’ysentaitpasàl’aise, mais Marissa avait estimé qu’elle était très belle dans cette tenue. Etc’étaitvrai.LaservantedeMarissaavaitpasséprèsd’uneheureàtransformerlescheveux
frisésdeBethenboucleslégères,àl'aided’unfer.Sesyeuxbrunordinaireétaientrehaussésd’undiscrettraitdekhôl,quileurajoutaitunetouchedemystère.L’heureavançait,etlaservanten’eutplusletempsquedereleverlescheveux
deMarissa enun simple chignon.Cela lui était cependant égal.Elle avait déjàsuffisammentaffaireavecleshommesainsi.—Vousêtesprête?demandaMarissa.—Non,murmuraBeth,lorsquequelqu’unfrappalégèrementàlaporte.Une servante entra, un papier à lamain.Marissa sentit son cœur s’emballer
quandelles’enempara.—C’estJude?
Marissamentitenl’ouvrant.EllesavaitquelemessagenevenaitpasdeJude,maisellenepouvaitl’avoueràBeth.Elles’installasurunechaisedansuncoindelapièceetlutlalettre.MrWhiten’abandonnaittoujourspas.Ilvoulaitlavoirunedernièrefois,pour
tenter de la convaincre de l’honnêteté de ses intentions. Il lui proposait de leretrouverderrièrelesécuriescesoir-làà22heures.Illaprenaitpouruneidiote.Ilallaitsûrementlakidnapperouprovoqueruneautrescène.Maisqueferait-il
sielleneseprésentaitpasdutout?Maudit soit cet homme. Elle se sentait impuissante, incapable de prendre la
bonne décision, et vulnérable face aux caprices de cette crapule indigne deconfiance.Elleplialafeuilleetlaglissadansl’undestiroirsdesacoiffeuse.Elleallait
devoirréfléchirsoigneusement.Maispourl’instant,ellevoulaitqueBethsortedesonannéed’exilets’amuse.—Venez, dit-elle en se forçant à sourire.Allons vous trouver un gentleman.
Maissouvenez-vousdecequej’aiditàproposdesbaisers.Unbaiseragréable,c’est bien,mais continuez jusqu’à ce que vous fassiez l’expérience d’un baiserexceptionnel!—Vousêtesscandaleuse,Marissa!murmuraBeth,quiavaitencorelesourire
auxlèvresenarrivantdanslesalon,quelquesminutesplustard.Unjeunehommeauvisageconstellédetachesderousseur,répondantaunomde
Kenworth,regardadansleurdirection.Sanserreurpossible,sesyeuxseposèrentsurBeth,mais celle-ci ne parut pas le remarquer. Elle était concentrée surMrDunwoody,quidiscutaitavecNanette,etnelevamêmepaslatêteverselle.NanetteattiraégalementleregarddeMarissa.—Oh,qu’elleailleaudiable!s’exclama-t-elleenvoyantsarobe.Nanette était présente quand elles avaient choisi la tenue de Beth, et avait
clairement cherché à l’éclipser. Elle était vêtue d’une robe bleu vif, avec uncorsagequifrisaitl’impudeur.—Cen’estpasgrave,ditdoucementBeth.Cen’étaitpasunebonneidée.Jene
peuxrivaliseravecNanette.Mieuxvautque j’attendequ’ellesemarieavantdejetermondévolusurunhomme.Marissan’étaitpasd’accord.Elleavaitenviedecrierquecen’étaitpasvraiet
que Beth pouvait épouser qui bon lui semblait. Qu’elles pouvaient toutes deuxépouserquibonleursemblait.Maisilétaitinutiledeprotester,aussisecontenta-t-elledeprendrelebrasde
Bethetdelaconduireversunfauteuilunpeuplusloin.—LaSaisonprochaineseragrandiose.Vousverrez.Sauf qu’il y avait fort à parier que la Saison prochaine serait tout sauf
grandiose,dumoinspourMarissa.LapiècedethéâtreétaitsiépouvantablequeJudes’amusaénormément.C’était
unextraitd'Othello,avecnombredecris,depleursetdegrincementsdedents.Lascènedelamorttranscendal’horreuretendevintsublime.Harryhurlaitavecunedouleur parfaite, et la dame qui jouait sa femme mourut après force soupirstorturés.Lamèrede Judeaurait adorécesacteurs, et il songeaqu’il serait sansdoute
possibledeconvaincreladyYorkdel’inviteràvenirleurrendrevisite.Unevisitesecrète,bienévidemment,maisamicalemalgrétout.—Bravo,criaJudeaumilieud’untonnerred’applaudissements.Ilétaitsurlepointdeseleverquandilsentitunemaindefemmeseposersursa
nuque.S’attendantàtrouverMrsWellingslyderrièrelui,Judeeutunmouvementderecultoutenseretournant.Maisquandilconstataquec’étaitMarissaquiluicaressaitlecou,ilfutbrusquementparcouruparunevaguedechaleur.Ellesepenchapourluiparleràl’oreille,maisilneparvintpasàseconcentrer
sur sesparoles,car ilavait lesyeux rivéssur sondécolletéetn’arrivaitplusàs’endétacher.Unpeuplus tôt,ses lèvress’étaientpresséescontrecettepeau.Ill’avaitcaresséeetmordilléejusqu’àcequelajeunefemmegémissedeplaisir.Lamaîtrisedontilavaitfaitpreuveauparavantluisemblaitdésormaiseffroyable.Siseulementilavaitécoutésoninstinct,ilsauraitàquoiressemblaientsesseins,nusetenflammésdedésir.Marissacommençaitàselever,ilsecouaalorslatête.—Jesuisdésolé,jen’aipasentenduuntraîtremotdecequevousdisiez.—Jevousdemandaissivoussouhaitiezallerfaireuntourdanslejardinavant
quel’oncommenceàdanser.—MonDieu,oui.LesourirepolideMarissas’élargit,etuneexpressiondesatisfactionapparut
sursonvisage.—Étiez-vousentraind’observermapoitrine,MrBertrand?—Certainementpas.—Vouspouvezlaregarderautantquecelavouschante,sisavuevousmetdans
untelétatd’émerveillementetd’agitation.—Jenevisquepourvoussatisfaire,répondit-il.
Sesouvenantenfinqu’ildevaitseleverenprésenced’unedame,ils’exécuta,remerciant Dieu de ne pas avoir regardé Marissa plus longtemps. Même sesmouvementslesplusanodinssemblaientattisersondésir.—Vousêtesbelleàmourir,luimurmura-t-ilenluioffrantsonbras.—Pourquoidites-voustoujourscela?—Parcequechaquefoisquejevousvois,jesuissubjuguéparvotrebeauté.— Avez-vous appris à charmer les femmes pendant vos années passées en
France?—Oui,maisjenesuispasentraindevouscharmer.— Je suis trop maigre et seulement passablement séduisante, alors c’est
assurémentcequevousêtesentraindefaire.—Ma parole, vous êtes d’humeur étrange, ce soir. Je n’ai pas voulu vous
déranger avec Miss Samuel, mais la situation est-elle toujours gênante entrevous?—Non,soupiraMarissaalorsqu’ilouvraitlaportedonnantsurlaterrasseet
laconduisaitau-dehors.Non,jeluiaifaitcroirequevosbaisersm’avaienttournélatêteetm’avaientbouleversée.—Ah,jecomprendsmaintenantpourquoivousêtesdecettehumeur.—Cen’estpaspourcela.Jesuistracassée,carMrDunwoodyparaissaitépris
deBeth,jusqu’àcequ’ilfasselaconnaissancedesacousine.IlsembledésormaisaveugléparlabeautédeNanette.Beth,quiestpourtantplusgentille,plusdouceetplusintelligente,n’existemêmeplusàsesyeux.Jepourraisl’étrangler!Judeladévisageapendantquelquesinstantsensedemandantsielleplaisantait.
Maissessourcilsfroncéstrahissaientlasincéritédesonindignation.—Marissa,vousplaignez-vousparcequeMrDunwoodyaimeflirteravecles
joliesfilles?—Bethestjolie,marmonna-t-elle.—Jesuisd’accord.Maisêtes-vousréellemententraindejugerunhommesur
sonattirancepour...lamodeetlesbeauxtissus?Ellesetournaversluid’unairfurieux.—Ils’intéressaitàBethjusqu’àcequesacousineentreenscène!Cen’estpas
lamêmechose!—Sivousledites.Ilposaunemaindélicatesursatête.—J’aimebienvoscheveuxcoiffésainsi,moncœur. J’ai l’impressionque je
pourraisleslibérerd’ungeste.Elleportatimidementlamainàsanuque,ettoutetracedecolères’évanouitde
sonvisage.Judesepenchapourjoindreseslèvresauxsiennes,cettefoisdansunbaiser lent et prudent. Marissa aussi semblait paisible. Ils s’embrassèrentdoucementpendantunelongueminute,maisquandillevalatête,lajeunefemmeappuyasonfrontcontresavesteaveclassitude.—Cen’estpastoutcequim’inquiète,Jude.Ilsentitsonestomacsenoueretpritsonmentondanssamain.—Quesepasse-t-il?—J’aireçuuneautrelettredePeterWhite.—Qu’a-t-ilfait?—Rien.Ilveutmevoircesoir,à22heures.Prèsdesécuries.—Quelignoblebâtard.Marissaposaunemainapaisantesursonbras.Judeserenditcomptequ’ilavait
lespoingsserrés,impatientdecognerlevisagedePeterWhite.—Jude,j’aienviedeluiparler.Maisjeveuxquevousveniezavecmoi.Il inspira profondément, essayant d’apaiser le surprenant élan de colère qui
s’étaitemparédelui.— A quoi bon lui parler ? Si vous le souhaitez, je peux y aller seul et le
convaincredevouslaissertranquille.—Enusantdevotrecharme?—Exactement.—Vousnemeparaissezpastrèscharmantencemoment.Ilhaussalesépaulesets’efforçadeseradoucir.—Non, repritMarissa, j’ai envie de lui parler. Il est trop tôt pour en être
certaine... Jenevoulais riendirepour lemomentmais j’ai...Monventreestunpeu...douloureux.—Nauséesmatinales?s'enquit-il,prisdevertige.—Non.Cen’estpascela.—Oh,fitJude.Jevois.—J’enaurai lecœurnetd’iciun jouroudeux,mais jepensaisquesi je lui
disais,ilabandonneraitpeut-êtreenfin.—Ah,oui.C’estunebonneidée.Ilvouslaisseratranquilles’ilsaitqu’iln’ya
plusd’espoir.Jude se demanda s’il parlait de lui-même ou de Peter White. Mais c’était
ridicule. Jude n’avait pas encore perdu espoir. Enceinte ou pas,Marissa avaitcommencéàs’ouvriràlui.—Jeviensavecvous.Ilestpresque22heures.—Merci.Aulieudeprendresonbras,Marissaattrapasamainetilsmarchèrentainsien
silencedansl’obscurité,tousdeuxperdusdansleurspensées.Àmi-chemindesécuries,ellerompitenfinlesilence.—Commentétait-ce,quandvousviviezchezvotremère?—Ehbien,audépart, jen’avaispasd’élémentsdecomparaison.C’étaitune
maison comme les autres, rempliededomestiques, devisiteurs et d’invités.Unendroit heureux, même s’il n’était pas toujours idéal pour un enfant. Ma mèrem’envoyait parfois à la campagne avec ma nourrice, et je me sentais alorsterriblement seul sans elle. C’est une femme chaleureuse, pleine d’esprit etd’humour.—Étrangement,voussemblezavoireuuneenfanceidéale.—Oh, ilm’arrivaitbiendetempsàautredemebattreavecungarnementdu
voisinage qui avait insultémamère,mais... (Il haussa les épaules comme pourchassercesouvenirpénible.)Maisj’étaisunenfantheureuxetchéri.Il vit les yeuxdeMarissabriller quand elle se tournavers lui.Elle serra sa
mainunpeuplusfort.—Quandvousa-t-onenvoyévivreavecvotrepère?Vousavezétéélevéchez
lui,n’est-cepas?—Oui.Le déchirement de la séparation lui semblait bien loin à présent, pourtant il
ressentaittoujoursunepointededouleurenypensant.—Jude...— Cette histoire n’est ni tragique ni très dramatique. Il s’est marié quand
j’avaistroisans,etlorsquej’enaieuhuit,safamilleétaitbienétablieetilm’afaitvenir.Mamèren’étaitpasvraimentenmesurederefuser.Ilm’avaitreconnucommesonfilstoutdesuite,etellenemanquaitpasdemerappelerchaquejourquejedevaisluienêtrereconnaissant.Ets’ilvoulaitm’offrirlavied’unfilsdeduc...—Maisladuchesse?— Oh, elle était aussi compréhensive qu’il est possible de l’être dans ces
circonstances. Elle ne se montrait ni affectueuse ni cruelle. Je pense que lasituationn’apasététropdureàaccepter,puisqu’elleneconnaissaitpasencorele
duc quand je suis né.Mes demi-frèresme considéraient comme un cousin plusâgé.Nousétionsassezproches.Sijen’avaiseulemaldupays,j’auraisétéravidecetarrangement.Marissas’arrêta.Setournantverslui,elleposalamainsursajoue.— Je suis désolée. Je ne peux pasm’imaginer qu’onm’envoie loin de chez
moi.—Laplupartdesgarçonssontenvoyésenpensionàcetâge,voussavez.Plus
tôt,même.— Et je suis certaine qu’ils en souffrent tous. Et votre pauvre mère... Mes
frères me manquaient terriblement quand ils étaient à l’école. Elle a dû êtredévastée.—Noussommestoujoursaussiproches.L’histoireseterminebien.—J’ensuisheureuse,murmura-t-elle.Jude ne put s’empêcher de l’embrasser. Leurs bouches se rencontrèrent avec
avidité.Leurbaiserfutd’uneardeursansprécédent.Unemenacepesaitau-dessusdeleurstêtes.Cettecomédieallaitpeut-êtrebientôttoucheràsafin,etalorsilsn’auraientplusd’excusepoursetoucher.Plusd’excusepours’embrasser.Pourtant,quelerideautombeoupas,JudeétaitdéterminéàconvaincreMarissa
del’aimer,etmêmesielleportaitunenfant,c’étaitencorepossible.Aprèstout,elleaussisemblaitsentirlamenacedelafindeleurrelation.Elleavaitlesmainscrispéescontre lui,et l’embrassaitcommesiellevoulait ledévoreravantqu’ilsoittroptard.Si l’arrivée de PeterWhite n’avait pas été aussi imminente, Jude lui aurait
détaché les cheveux. Il aurait passé ses doigts dans ses lourdes boucles d’unblondvénitienetl’auraitvuetellequenulhommenel’avaitencorecontemplée.Ill’aurait portée jusqu’à l’intérieur des écuries et allongée sur la paille pour luimontrerqu'ellenepouvaitpasl’éconduire.Illasubmergeraitdeplaisir.Ilsavaitqu’ilenétaitcapable.Unefemmecomme
Marissas’épanouiraitrapidementaucontactd’unprofesseurtelquelui.Maisledésir était une base fragile pour construire un avenir. Il ne suffirait pas poursupporteruneannéedeviecommune,encoremoinstouteunevie.Acemoment-là,ilsutqu’ilavaitenviedetoutavecMarissa,etpasseulement
qu’elleledésire.Alorsaulieudelasouleverdanssesbras,Judelarepoussadoucement.— Mieux vaut en finir rapidement et revenir avant qu’on remarque notre
absence.
— Oui, approuva-t-elle d’une voix si douce que l’on aurait presque pu laconfondreaveclebruissementdesarbresquilesentouraient.Elleseretournasansprendresamainetmarchad’unpaslourdendirectiondes
écuries.—Marissa!sifflaunevoixquandellearrivaàleurniveau.Est-cevous?—C’estMissYork,répliqua-t-ellesèchement.—Oui,biensûr.Jenevoulaispasvousmanquerderespect.—Dequoisouhaitiez-vousmeparler,MrWhite?— J’ai le sentiment que nous avons laissé les choses dans une situation
fâcheuse,ladernièrefoisquenousnoussommesvus.Jesouhaitedésespérémentremédieràcela,MissYork.Jecroissavoirquevousabritezdessentimentspourmoi, sans cela vous n’auriez pas... Au nom du ciel, qui est-ce ? s’écria PeterWhiteaffolé,enreculantdequelquespas.Judesourit.—C’estMrBertrand,réponditMarissasurun tonqueJude jugea légèrement
méprisant.—Ehbien,quefait-ilici?—Ilestlàpours’assurerquevousnemeferezpasdemal,MrWhite.— Jamais je ne chercherais à vous faire du mal, Marissa. Vous devez me
croire!s’exclama-t-ilenlevantlesmainsdansungestethéâtral.Judeseraidit.Ilétaitrestéenarrièrepourleurlaisserunsemblantd’intimité,
maissiPeterWhiteapprochaitneserait-cequ’undoigtendirectiondeMarissa,ill’assommeraitsansautreformedeprocès.—Quoiqu’il ensoit,poursuivit froidementMarissa, jen’aiacceptédevous
retrouvericiquepourvousdemanderdecesserdem’écrire.—Jenepeuxpasabandonner...—Vousledevez.Vousavezessayédemetendreunpiègepourmecontraindre
à vous épouser, après que j’eus refusé deux fois votre proposition. Vous avezvoulum’imposervotrevolonté,etjamaisjenevouspardonneraipourcela.—Maisvousêtesdéshonorée!Siétonnantquecelapuisseparaître,MrWhitesemblaitsincèrementsoucieux
desonavenir.—Sivoustentezd’insinuerqu’aucunhommenevoudrademoidésormais, je
mevoisforcéedevousinformerquevousvoustrompez.MrBertrandademandémamain,etj’aiaccepté.
—Ce... ce n’est pas possible ! s’écriaWhite, qui se tourna vers Jude.Quelgenred’hommepourraitsesatisfairedesrestesd’unautre?Judeétaitappuyécontrelemurdel’écurie,maisseredressabrusquementàces
mots.— Je vous demande pardon ? rétorqua-t-il lentement, sentant la colère le
gagner.—Euh...(Whitereculadenouveauettrébuchasurunetouffed’herbe.)Jevous
enprie,comprenez-moi.Elleportepeut-êtremonenfant!Judeperçut lamaindeMarissasur lui. Ilbaissa lesyeuxet s’aperçutqu'elle
étaitposéesursonpoing.— Je suis d’avis, grogna-t-il, que seul le plus vil desmisérables profiterait
d’une femme pour lui reprocher ensuite d’avoir été consentante. Est-ce ce quevousêtes,monsieur?Unchienquidevraitêtreabattu?—Je...—Et si vouspensezque je nevais pasvousbattre commeplâtre, vous êtes
stupideenplusd’êtreimmoral.Marissaluiserralebras,etJudepritalorsconsciencequ'ils’étaitavancévers
White. Il était presque à la bonne distance pour le frapper. Ses mains ledémangeaientfurieusement.—MrWhite,ditMarissacalmement.Jeneportepasvotreenfant,lesujetest
doncclos.LesyeuxdeWhiteoscillèrentavecnervositéentreJudeetMarissa.—Vousenêtescertaine?—Oui.Alorsjevousenprie,oubliez-moi.Jenedésirepasvousrevoir.—Et, ajouta Jude, jevousprometsque sivousprononcezne serait-cequ’un
motdésagréableàsonpropos,jelesauraietvoustuerai.Est-ceclair?White parut se rendre compte que le danger immédiat avait disparu, car il
haussalesépaulesetrajustasesmanchesd’unairguindé.—Oui.Aurevoir,MissYork.Jeregretteseulementquemesintentionsaientété
mal comprises. Je vous souhaite tout le bonheur possible dans votre mariageaccidentel.Mêmes’ilbrûlaitd’enviedebondirsurlui,JudelaissaWhitetournerlestalons
ets’évanouirdanslanuit.Marissaexhalaunlongsoupir.—Maparole,Jude.Vousêtesterrifiantquandvousêtesencolère.
—Jenesupportepasleshommesdanssongenre.(Marissaleregardad’unairentendu.)Etpasseulementàcausedemamère,marmonna-t-il.—Leshommesétaient-ilscruelsavecelle?—Non,carmamèreestdouéepourcernerlapersonnalitédesgens.Beaucoup
desesamiesonttoutefoisétémaltraitées.C’estsouventainsiquecesjeunesfillesse retrouvent à pratiquer cette profession. Séduites par un gentleman, qui lesabandonneensuitecommeunevieillechaussette.IlselaissaguiderparMarissaendirectiondumanoir.Aprèsquelquespas,elledemandatoutdoucement:—Est-ceainsiquemonfrèresecomporteaveclesfemmes?—Qui?Aidan?Evitantdecroisersonregard,elleacquiesça.—Non,sic’était lecas,ceneseraitpasmonami.Aidanestpeut-être froid,
maisilestd’unehonnêtetésansfaille.Ilnelesaimepas,etnetentepasdeleurfairecroirelecontraire.—Maiselles,ellesl’aiment?—Seulementcellesquisontvraimentstupides,Marissa.— Il est tellement froid, en ce moment. Et les histoires que j’entends... Je
m’inquiète.Ayant enfin recouvré son calme, Jude sentit la main de Marissa frissonner
contresonbrasets’arrêtabrusquement.—Voustremblez.Voussentez-vousbien?—Oui,jesuisjusteunpeu...épuisée.Jenem’attendaispasàcroireunmotde
cequePeterWhitedirait.—Etpourtantvousl'avezcru?—Oui !Etc’estcequim’effraie leplus. Ilm’aimait sincèrementquand il a
tentédemecontraindreàaccepterunavenirdontjenevoulaispas.Judeacquiesçaenlaprenantdanssesbras,maissapoitrineseserradedouleur.
Était-ceaussicequ’ellepensaitdelui?—Jude,soupira-t-elle,vousavezétésibonavecmoi.Fermantlesyeux,Juderespiraleparfumfleuridesescheveuxetl’attiraàlui,
son corps entier raidi d’excitation. Mais il ne fit que la tenir, espérant qu’ilparviendraitàlacalmermalgrél’agitationàlaquelleilétaitenproie.S’ildevaitlalaisserpartir,illeferaitavecgrâce.Oudumoinsferait-ilsemblant.—Vous êtes chaud,murmura-t-elle endéboutonnant savestepourglisser les
mainscontresachemise.Pendant un moment, il crut qu’elle recherchait juste innocemment un peu de
chaleur,mais elle continuaà le caresserdegrandsgestes lents,puispressa seslèvrescontresoncœur.—Marissa...Il s’apprêtait à lui rappeler qu’on allait sûrement bientôt remarquer leur
absence,maissonavertissements’étrangladanssagorgequandellesusurra:—Embrassez-moi.S’ilvousplaît...Ilobéit,mais lorsque leurssoufflessemêlèrent, ileut l’impressionque leurs
corpsfusionnaient.Marissaavaitenviedeplusqued’unsimplebaisercettefois,et il sentit son émotion faire battre son cœur précipitamment. Elle l’embrassaavec fougue et glissa ses mains autour de sa taille, tirant sur le tissu de sachemise...Soudain, il ressentit commeunedéchargeélectriqueaucontactde sapeaunue.Arrête-la, luiordonnasoncerveau,maissoncorpsétaitencoreprêtabondir,
suiteàsonface-à-faceavecWhite.Sa bouche refusait de s’éloigner. Sa gorge refusait de former un son
d’avertissement.Àlaplace, il l’encouragead'ungrognementquandellesoulevasachemiseetappliquasesmainssursontorse.Oui, c’était cela qu’il voulait d'elle. Ses bras qui le tenaient, ses ongles qui
s'enfonçaientdanssapeaupour l’attirercontreelle. Il lavoulaitplusproche. Ilvoulaitentrerenelle.Ilssetrouvaienttoutprèsdupavillon,unpetitboudoirprivéoùilsneseraient
pas dérangés. C’était l’endroit parfait pour séduire, même s’il n’aurait su direaveccertitudequi,deluioud’elle,étaitséduitparl’autre.Peut-êtrelesdeux.Commeill’avaitdésiréauparavant,Judelasoulevadanssesbras,etlaporta
dans le pavillon, en sentant sa bouche brûlante dévorer son cou de baisers. LacravatedeJude lagênaitpourdescendreplusbas. Ileutenviede l’arracher,etd’ôterd’ungestesavesteetsachemisepourpermettreàMarissad’explorersoncorps comme bon lui semblait. Elle avait raison, après tout ; il n’était pas sonprofesseur. Il était sonégal, et àcemoment-là, il regretta la façondont il avaitrefréné son propre désir. Pour qui se prenait-il, à vouloir la protéger d’elle-même?Alors il fit ce qu’il rêvait de faire. Il déposa Marissa sur une banquette
couvertedecoussinsetsedébarrassadesaveste.Iltirasurlenœuddesacravateetfitpassersachemisepar-dessussatête.Le clair de lune éclairait l’endroit à travers le treillis de bois, projetant des
rubans de lumière sur le visage de Marissa. Juste assez pour qu’il puissedistinguersesyeuxardentslorsqu’ils’assitetl’installasursesgenoux.—Jude,murmura-t-elle,couvrantsesépaulesdebaisers.Avecavidité,ellefitcourirsesmainssursesbras,sondos,puisdenouveausur
sontorse.MonDieu...Illatintparlatailleetluilaissafairetoutcedontelleavaitenvie.Absolument
tout.Elleluiléchalecou,embrassasestétonsetfrottasesjouescontresontorsevelu.Elles’extasiasursalargecarrure,surlachaleurdesapeau,etsurlaforcedesondésir.Soninnocenceétaitinsatiable,etàcemoment-là,ils’étonnaqu'ellen'ait perdu son hymen que si récemment. La passion semblait même avoirremplacélesangquicoulaitdanssesveines.— Je veux vous voir entièrement, susurra-t-elle d’une voix dans laquelle se
mêlaientétrangementledésiretl'embarras.Ilauraitrefusésiellel’avaitexigé,maiselleluiavaitdemandésitimidement
qu’iln’eutpaslecœurdedire«non».Se maudissant, Jude commença à défaire les boutons de son pantalon, et
Marissasereculapourluilaisserdelaplace.A cet instant, la lune éclaira le visage entier deMarissa, et Jude se figea. Il
avaitenviedeplusquecedésir,deplusquecettenuit.—Bonsang,grogna-t-il,jenepeuxpas.—Jude,jevousenprie.Nouspouvons...—Jenepeuxpas.LestraitsdeMarissasedécomposèrent.Voyantcela,Judetenditlesbrasvers
elle.—Venezici.Ill’assitàcalifourchonsursesgenoux,réprimantungémissementaucontactde
ses jambes agrippées contre ses hanches. Ses fesses étaient si proches de sonsexe.—Jenepeuxpas,luimurmura-t-ilaucreuxdel'oreille.Jesuisdésolé.Ill'embrassadanslecou,maisellesemitàsangloterdedésir,etJudeneputse
résoudreàlalaisserdanscetétat,malgrésesintentions.Ilremontasesjupesetglissalesmainssoussachemise.—Jude,gémit-elleensentantsesmainssursesfessesbrûlantes.Dieutout-puissant,elleétaitsidouce,sitendreetsichaude.Il pourrait retirer son pantalon et la guider sur son sexe. Et elle le
chevaucherait, innocente ou non. Elle le chevaucherait, avec lesmains de Judeagrippéessursesfessesrondes.Ceseraitlemomentleplusincroyabledesavie.Desgouttesde sueurperlèrent sur ses tempes tandisqueMarissa remuait les
hanchesentresesbras,sesgenouxappuyéssurlescoussinsdelabanquette.Judel’incita à se redresser et passa alors délicatement lamain le long de sa fente,touchant sa chaleur humide du bout des doigts. Marissa tressaillit violemmentcontrelui,faisantbattresoncœuràtoutrompre.Il pressa sa paume contre elle, et elle tressaillit de nouveau, enfonçant ses
ongles dans ses épaules. Jude sentit sa bouche saliver au contact de cette peausoyeuse.Ilneputrésisteràl'envied’insérerundoigtenelle,justepoursavoircequ’ilressentirait.Depénétrerdanslachaleurdesonintimitéétroite.—Jude,gémit-elle.Oh,Jude.Elle frissonna, ou peut-être était-ce lui. Elle se tenait si étroitement serrée
contre son torse qu'il n’aurait su le dire. Il n’était plus conscient que de lasensation de ses doigts en elle et de ses cuisses frémissantes pendant qu’il lacaressait, en veillant à concentrer le mouvement de ses doigts sur son étroitboutondenerfs.Elle répétait sonnomcommeuneprière désespérée, les hanches se levant et
s’abaissant dans un rythme qui lui faisait serrer la mâchoire avec une telleviolence que ses dents le faisaient souffrir. Jude sentait sonmembre vibrer audiapasonaveclesmouvementsdeMarissa.Elleavaitenviedelui.Enviedeluifairel’amour.Maintenant, pensa-t-il avec l’intentiond’ouvrir sonpantalon et deplonger en
elle,maissoudainlecorpsdeMarissasetendit,sarespirations’accéléra,etellejouitcontrelui,ensanglotantetens’agitantdanssesbras,sescuissestremblantetsonsexepalpitantautourdesesdoigts.—Oh, Jude !Oh,monDieu ! cria-t-elle, la bouche pressée contre son cou,
l’échodesesmotssepropageantdanssachair.Peuàpeu,elles’apaisaetsedétendit,etJudesecruttrèsprèsdedevenirfou.
Ilsentaitsonsoufflefrissonnantcontresamâchoire.—Jude?—Moncœur,souffla-t-ild’unevoixrauque.Voussentez-vousenfinmieux?Sonéclatderirel’aidaàcalmersondésirvorace.—C’était... J’ai attendu cela pendant si longtemps.Merci. (Elle l’embrassa
chastementàplusieursreprisessur la joueet lementon.)Merci.Vousfaitesdesmiracles.
—Jediraisquec’estvouslemiracle.—Vousaurieztort.J’aiessayéd’yparvenirmoi-mêmeet...euh...Ilnepouvaits’attardersurcettepenséepourlemoment.Ilnepouvaitsongerà
lasignificationdecesparolesetàcequeMissMarissaYorkfaisaitlesoirdanssonlit.Pasmaintenant.Plustard,cependant.Il n’osapasdécoiffer ses cheveux, aussi lui caressa-t-il ledos à laplace, et
quandsoncorpsfutpassédelafolieàunedouleursupportable,illafitbasculerdélicatementversl’arrière.—Celafaitunmomentquenoussommesparti.Nousferionsmieuxde...—Marissa!appelaunevoixquivenaitdel’autrecotédelapelouse.Enferetdamnation!—Oh,non!s’écriaMarissa,lesyeuxagrandisparlapanique.—Levez-vous,etlaissez-moifaire.Ilremitsesjupesenplaceetlafitreculerd’unpas.—Vousêtesparfaite.Et c’était le cas,mis à part le léger tremblement de son corps tandis qu’elle
luttaitpourrecouvrersesforces.—Maisquantàmoi...Ilattrapasachemiseetl’enfila,larentrantdanssonpantalonaussirapidement
quepossible.Alorsqu’ils’habillait,Marissatrouvasavesteetlaluiapporta.—BonDieu,marmonna-t-ilensedébattanttellementavecsamauditecravate
qu’il eut l’impressiondemettre un temps interminable à la nouer.Comment estmonnœud?—Jenevoisrien.Laissez-moi...— Nous n’avons pas le temps. Je ne suis pas à moitié nu, c’est déjà une
victoire.Venez.Ilregardaavecsoindetouslescôtéssansvoirpersonne,maisalorsqu’ilsse
dirigeaientverslapelousesurlapointedespieds,lavoixleurparvintdenouveauauxoreilles,plusfortecettefois.—Marissa ! Où êtes-vous ! Si vous ne répondez pas, je reviens avec des
torchesetdesfusils!—Ohnon,murmura-t-elle.—Nousneparviendronspasàl’éviter.Il lui jeta un dernier coup d’œil et estima qu’elle avait l’air parfaitement
normale.Ildevraits’enoffusquer,plustard.Pourlemoment, ilavaitàaffronter
unfrèredanstoussesétats.—Edward,appela-t-ilentirantMarissa.Noussommeslà!—Bonsang!juraEdward.Jemefaisaisunsangd’encre!S’apprêtantàprendresurluitoutelaresponsabilité,Judeinspiraprofondément,
quandilremarquaqu’Edwardagitaitunelettredanssamain.—Jen’arrivaispasàvoustrouver,etjesuisdoncmontédansvotrechambre,
dit-ilens’avançantversMarissa.Etvoilàcequej’aitrouvé!—Commentavez-vousoséfouillerdansmesaffaires!—J’aipenséqu’ilvousavaitkidnappée,bonsang!Vousn’avezpasétéassez
stupidepourpartirleretrouver,n’est-cepas?—Ellem’ademandédel’accompagner, intervintJude.J’aiainsipuveillerà
cequ'ellenecoureaucundanger.Edwardl’attaqua.—Comment avez-vous pu agir ainsi sansm’en parler ? Vous n’aviez aucun
droit!— Nous manquions de temps. Nous l’avons retrouvé, et il n’y a eu aucun
problème.Jepeuxvousassurerqu’ilyréfléchiraàdeuxfoisavantdes’approcherdenouveaudeMarissa.—Vousn’auriezpasdû le laisser partir. Je lui avais interdit de remettre les
piedsici.—Jecroisquesesintentionsétaientsincères,nonpasquecelachangequoique
cesoit.—Hum,grommela-t-ilenregardantJudedehautenbas.Ilyaeuunebagarre,
j’ail’impression?Juderéprimasonenviedevérifierquesesboutonsétaientbienfermés,—Euh...oui,maisriendegrave.—Ehbien,jeunedame,poursuivitEdward,sanss’attarderpluslongtempssur
les vêtements froissés de Jude. Je vous suggère de vous retirer dans vosappartementsetdeméditersurcequevousavezfait.LesjouesdeMarissas’assombrirent,etJudeputs’imaginerleurcouleur.—Jesuisuneadulte.Vousnepouvezmedonnerdesordres.L’indignationdéformalevisaged’Edward,maisavantqu’ilaiteuletempsde
crier,Marissafitungestedelamain.—Oh, vousm’ennuyez. Jem’en vais. Jeme sens déjà suffisamment fatiguée
pouraujourd’hui.
L’insolente friponne ! Edward et Jude la regardèrent marcher tranquillementverslamaison.—Cettefilleauramapeau,marmonnaEdward,maisJudeétaitpresquecertain
quec’étaitluiquidemanderaitgrâceavantlafindumois.
Chapitre12
ElleavaitréussiàéviterJudependanttoutelajournée,sansmêmesel’avoueràelle-même.Ellenesecachaitpas.Ellesesentaitjuste...embarrassée.Cen’étaitpasvraimentdel’anxiété,pourtantsoncœursemettaitàtambouriner
lorsqu’ellenefaisaitrien,ettoutelascèneluirevenaitbrusquementenmémoire.Cequ'elleavaitfait.Cequ'illuiavaitfait.Assiseauborddesonlit,Marissaportalesdoigtsàseslèvres,commesielle
pouvaitainsiretenirlesémotionsquisebousculaientdanssagorge.L’excitation,la peur, la joie et les regrets... un mélange de sentiments intenses. Elle avaitpresquel'impressiond’êtrepoursuivie.Etd’avoirenviedesefaireprendre.Mais cela n’avait aucun sens, et elle n’avait donc aucune idée de ce qu'elle
pourrait dire à Jude ou de la façon dont elle pourrait le regarder. Il était plussimpledes’occuperl’espritenrestantavecBethousamère,outouteautrefemmevaquantàdesactivitésbienfémininespendantlajournée.Cependant, de temps à autre, ce désir ardent, étrange et inquiétant refaisait
surface. Le sentiment insidieux qu’un certain savoir rôdait près d’elle et luiéchappait.Alorslascèneserejouaitdanssonesprit.Jude.Elle savait déjà que les hommes pouvaient procurer un plaisir intense aux
femmes. Elle l’avait découvert presque fortuitement, deux années auparavant,mêmesielleavaitdéjàconnudessensationsagréablesavantcela.Maisellen’enrevenaittoujourspasqu’ilpuisses’agirdeJude.Cethommequ’ilyavaitencorequelquesjoursdeça,ellen’auraitmêmepasgratifiéd’unregard.Sicelas’étaitproduitavecunautre,elleauraitsansdoutesimplementminaudé
enlerevoyant.Elleluiauraitadresséunsourirerougissantenbattantdescils,eten lui lançant quelques regards de braise.Mais avec Jude, elle n’avait jamaisflirté. De même qu’elle se sentirait ridicule de lui jeter des œillades enpapillonnantdescilsetengloussantcommeuneoieblanche.Non, elle ne savait absolument pas comment se comporter avec lui en ce
moment,etpourtant,illuifaudraitbienfinirparl’affronter.Unedemi-heureauparavant,elleavaitenfinobtenusapreuve.Iln’yauraitpas
d’enfant, et elle devait le lui dire. Ce n’était pas juste de laisser traîner cettehistoire plus longtemps. En supposant queMrWhite n’ait pas ébruité l’affaire,ellen’étaitplusforcéedesemarierdanslaprécipitation.Plusforcéedesemarierdu tout. Après quelques semaines, la famille de Marissa commenceraittranquillementàfairecirculerlarumeurselonlaquellelesfiançaillesavaientétérompues.Personneneseraitsurpris.LaréputationdesYorkresteraitintacte,bienque plus associée au mélodrame que jamais, et les choses reviendraient à lanormale.Peut-êtreavait-elleperdusapureté,maismieuxvalaitêtreuneépouseavecundéfautsecretqu’unefiancéeportantl’enfantd’unautrehomme.Alorspourquoiétait-elleassisesursonlit,lesmainscrispéesparl’angoisse?
Pourquoineseprécipitait-ellepaspourannoncerlabonnenouvelleàJude?Laportede sa chambre s’ouvrit soudain.Marissa inspiraprofondément, puis
expiradansunsoupirétrangementmélancolique.Samèren’enremarquatoutefoisrien.—Voussouhaitiezmevoir,machérie?— Oui, mère. Je suis désormais certaine de ne pas attendre d’enfant, vous
n’avez donc plus besoin de vous inquiéter à ce sujet. Je comprends que maréputationapeut-êtresouffertdetoutecettehistoire,maispuisquejenesuispasenceinte...iln’yaplusaucuneraisondepoursuivrecesfiançailles.—Oh,Marissa, s’exclama sa mère d’une voix aiguë. Oh, ma douce enfant,
c’estunemerveilleusenouvelle!Toutsimplementmerveilleuse!Jen’osaismêmepas me représenter votre mariage avec cet homme. Sa présence est tellementécrasante,n’est-cepas?Etbienqu’ilsoitlefilsd’unduc,cen’estpasvraimentquelqu’underespectable.—Hum.— Eh bien, c’est fantastique. Naturellement, nous allons attendre le temps
nécessaireavantdetoutannuler.Ilnousfaudrainventerunehistoiresuffisammentplausible, même si nous devrons sans doute veiller à ne pas présenter MrBertrand sous unmauvais jour, en considération de la gentillesse dont il a faitpreuve.Oui,nousdevronsagiravecprudence,mêmes’ilest siennuyeuxd’êtreraisonnable!(Elles’arrêtaquelquesinstantspourreprendresarespiration,puisseruasurMarissapourl’enlacer.)Oh,machérie,jesuissiheureusepourvous.Vous devez éprouver un si grand soulagement ! Je vais de ce pas prévenir lebaron.Elle parlait toujours d’Edward comme du « baron », sauf dans les
circonstancesoùl’appeler«monfils!»étaitplusdramatique.—JepréféreraisledireàJudeenpremierlieu,mère.C’estpluscorrect.Cela
vousennuie-t-ild’attendreunpeu?—Oui,oui,vousdevez luiannoncerenpremier. J’enparleraiaubaron juste
avantd’allerdîner.Qu’endites-vous?Elleacquiesçaetréponditausourireradieuxdesamère,mêmesisoncœurlui
semblaitaussilourdqueduplomb.Sonsourirenefitqu’aggravercettesensation.Samèresortitdelachambreenfredonnantgaiement,Marissaseforçaalorsà
se lever etmit sonmalaise sur le comptede sonétat.C’était normalqu'elle sesentegrincheuseetdemauvaisehumeurpendantcesjours-là.Onnepouvaitques’yattendre.Lajeunefemmedescenditlentementl’escalier,encomptantmachinalementles
battementsde soncœur.Quatrepulsationsàchaquemarche.Elle ralentit lepaspourêtredanslerythme.Oui, peut-être tentait-elle de retarder le moment fatidique.Mais quelles que
soient ses techniques, lemarbre du hall s’approchait inéluctablement. Une foisqu’ellel’eutatteint,elleréfléchitàladirectionqu’elleallaitprendre.Lebureaude son frère semblait assez probable, mais Marissa le trouva vide. Labibliothèqueetlessalonsétaientégalementdéserts.Toutlemondedevaitêtreentraindesepréparerpourledîner.Marissa jeta un coup d’œil vers le haut de l’escalier qu’elle venait de
descendre.IlneseraitpasconvenabledeserendredanslachambredeJude,maisà bien y penser, elle songea que rien de ce qui concernait leur relation n’étaitconvenable. Il était déjà venu dans ses appartements une fois. Et faire l’amouravec lui dans lepavillon, laveille au soir, n’était certainementpas convenablenonplus.Ouquelquesoitlenomdecequ’ilsavaientfait.Yavait-ilunautremotpourdésignerleurétreintetorrideetintense?«s’embrasser»et«setoucher»semblaientbienendeçàdelaréalité.Pendantquelquesinstants,elleseperditdanscesouvenirquis’emparad’elle
avecforceetlaramenadanslesbrasdeJude.Soncorpsparaissaitavoirchangé.Certainesparties,auxquelleselleneprêtaitpasattentiond’ordinaire,sefaisaientsoudain remarquer avec insistance. Tandis que d’autres, qui fonctionnaienthabituellement sans difficulté, comme ses genoux, ses poumons, son cœur...semblaientdésormaiscomplètementperturbées.Ellenedevaitpasseglisserdanssachambre.Celaneseraitpasraisonnable.
Maismêmeaprèsavoirprisuneprofondeinspirationetcalmélesbattementsdesoncœur,elleenavaittoujoursprofondémentenvie.
Sielleattendait,ellesesentiraitdenouveauenproieàl’anxiétéetàlalâcheté.Marissa sedécidadoncàposer lepied sur lapremièremarcheet commençaàgravirl’escalier.Seulementdeuxbattementsdecœurparmarche,cettefois,alorsqu’elle se précipitait vers quelque chose qu’elle n’aurait pas dû faire. Celadevenaitunehabitudepourelle,maisellen’avaitpas le tempsdes’attarder là-dessuspourlemoment.Elle se dirigea vers l’aile sud du manoir et aperçut alors une servante qui
sortaitdiscrètementd’unechambre.—MrBertrandestattenduimmédiatementdanslebureau.Dansquellechambre
setrouve-t-il?—Lachambreverte,MissYork.Marissapoursuivitsoncheminenhâte.Descendrejusqu’àlagrandesalle.Puis
tourner.Voilà,elleétaitarrivée.Sielles’étaitécoutée,elleseraitrestéedeboutdevantlaporteàhésiteretàse
tourmenter,maisquesepasserait-ilsiquelqu’unlavoyait?Marissafrappaplusieurscoupsnerveux.Judedevaitsetrouvertoutprèsdela
porte, car elle l’entendit répondre «Oui ? » et vit la poignée tourner enmêmetemps.Quelqu’unpouvait l’apercevoir à toutmoment, aussiMarissa se faufila-t-elle
danslesappartementsdeJudeavantmêmequ’ilaitcomplètementouvert.—Jude,murmura-t-elleenfermantderrièreelle.Ilétaitsiprochequ'elledutleverlatêtepourvoirsonvisage.Ellerespiraalors
l’agréableodeurdesapeauets’adossaàlaporte.Mais ce n’était pas elle qui avait initié le mouvement. C’était Jude qui, les
mainssursesépaules,lapoussaitdoucementcontrelebattantenbois,sepenchantversellepourl’embrasser.Son baiser était encore bien plus brûlant que dans le souvenir de Marissa.
Alorsqu’elleentrouvraitleslèvres,ellesentitsonsangaffluerviolemmentdanssesveines.Judeavaitungoûtdivin,etlasensationdesalanguerappelaàMarissalesdélicesqu’il luiavaitprocurées laveilledans lepavillon, luicoupant touteforcedanslesjambes.Celaavaitétési... indécent.Ellenes’était jamaissentieaussisauvage.Aussi
inconvenante.Commecequ’ilavaitditd’elle.Ellemouraitd’enviederecommencer,deleversesbrasau-dessusdesatêteet
de le laisser la toucher partout. De le laisser retirer sa robe et contempler sanudité.Maissonétatnes’yprêtaitpas,sesouvint-elle.Etc’étaitlaraisondesa
venue.Tremblantsouslecoupdel’effort,MarissaposasesmainssurletorsedeJude
etdétourna la tête. Iln’abandonnapasetcontinuaà ladistraireen l’embrassantsurlagorge,déclenchantdesétincellesjusqu’auboutdesesdoigts.—Attendez,parvint-elleàhaleter.Jude.Quand il leva la tête, elle vit ses yeux sombres noyés de désir. Pendant un
moment,elleplongeadansleursprofondeurs,selaissantengloutir...—Vousvousêtescachée,aujourd’hui,murmuraJude.Était-cedemoi?Acesmots,ellerecouvrasesesprits.Soudain,soncorpsluiparutdenouveau
réeletellesesentitaccabléeparlepoidsdelavérité.—Non.C’estseulementque...jenesavaispasquoidire...—Rien,chuchota-t-il.Riendutout.Ill’embrassaencoreet,douxJésus,elleavaittantenviedes’abandonneràses
baisers.Delaisserallersoncorpsàcettedélicieusefaiblesse.Maisellerecula.—Jude.Nousdevonsparler.Il se redressa avec une lenteur délibérée, ses yeux perdant peu à peu leur
sombreéclatsauvage.—Ah,jevois.Biensûr.Elleeutfroid,soudain,appuyéecontreleboisdelaporte,plusieurscentimètres
desolitudelesséparant.Brusquement,ilsétaientdeuxpersonnesdistinctes.Etilsleseraientpourtoujours,désormais.Ellen’avaitpasprisconsciencesurlecoupque...cebaiseravaitétéledernier.Ellen’auraitpasdûsedétournerdelui.— Je suis désolée, dit-elle. (Jude fronça les sourcils et recula encore
imperceptiblement.)Jen’attendspasd’enfant.—Avez-voussaigné?Ellesesentirrougirviolemment.—Oui.—Lamêmequantitéquedecoutume?—Maisenfin,pourquoitenez-voustantàm’humilier?—Quand j’étais enfant, j’espionnais sans arrêtmamère et ses amies. Cette
conversationn’ariend’inhabituelpourmoi.—Pourmoi,si!Jen’aijamaisdiscutédecelaavecpersonne.Ilhaussalesépaules.—Ehbien?Etait-cenormal?
—Oui!—Félicitations,alors.Vousavezévitéundésastre.—Vousaussi.Ilinclinalatête,sonvisagenedévoilantriendesessentiments.—J’apprécieinfinimentcequevousavezfaitpourmoi,repritMarissa.Jene
connaisaucunhommequiauraitagiainsi.—Quevoulez-vous,jesuisexceptionnel.Marissa crut percevoir une certaine brusquerie dans ses paroles. Elle pressa
sesdoigtscontrelebois,souhaitantavoirquelquechoseàquoiseraccrocher.—C’estvrai,vousêtesexceptionnel.Unamiexceptionnel.—Biensûr.—Et jesuiscertainequevousêtessoulagédeneplusavoiràvoussacrifier
pourmoi.—Oh,ouieneffet.Elleauraitpupenserqu’ilétaitencolère,siellenel’avaitvudansuneréelle
fureur la veille au soir. Son visage n’était pas déformé par la rage, il étaitseulementunpeuplus raidequed’ordinaire.Mais il n’affichait pas lemoindresourire,pasmêmeencoin.Peut-êtreétait-iltoutsimplement...sérieux?Préoccupé?Marissalevalesyeux
pourl’observer,plusdésorientéequejamais.—Vousvoudrezsansdoutepartirbientôt?Ilfronçalessourcils.—Pourquoivoudrais-jepartir?—Commelaplupartdes invitéss’envontdemain, jepensaisquevousaviez
seulementprévuderesterparceque...parcequenousaurionssansdoutebesoindevous.Il la regarda pendant un longmoment, puis il baissa les yeux sur son corps,
maissifurtivementqu’ellecrutavoirrêvé.—Non,finit-ilpardire.Jen’avaispasprévudepartirdesitôt.Ellen’aimapaslafaçondontsonpoulss’accéléraàcesmots.—Maispourquoi?—Aidanm’ainvitéàdemeureraussilongtempsquejeledésirais.Jemesens
bien, ici. D’ailleurs, j’envisage même de louer une petite maison dans lesenvirons.—Unemaison!
—Oui,maseuledemeureestàLondres,etj’aimebiencetterégion.Gagnéeparlapanique,ellesentitsonpoulspalpiter.—Ici?Jevois.Biensûr.Elleserralespoingssifortquesesonglesmarquèrentsapeau.—Ehbien,jevousremercievraiment.Dufondducœur.J’aiappréciéletemps
quenousavonspasséensemble.Illaregardad’unairmoqueur.—C’est...Je...Ehbien,jevousverraiaudîner,MrBertrand.Un frémissementparcourut lamâchoirede Jude.Marissaposa lamain sur la
poignéede laporte.Pourquoiavait-elle l’impressionde fairequelquechosedemal?Pourquoiéprouvait-ellesoudainunsentimentdehonte?—Marissa.(Ellesefigeaenpercevantlalégèrefermetédanssavoix.)Nous
sommestoujoursfiancés.—Je...jesupposequeoui.Jusqu’àcequetoutrentredansl’ordre,dumoins.—C’estentendu.Elle était si troublée qu’elle en oublia toute discrétion, et s’esquiva tout
simplementdelachambre.Cen’estqu’unefoisdanslecouloirqu'elleserenditcompte du risque qu’elle venait de prendre. Par chance, elle ne croisa aucuninvité,maisellenes’arrêtapaspourseréjouirdesabonnefortune.Ellecourutàtoutesjambesetnes’autorisaàralentirqu’unefoislaportedesappartementsdeJudehorsdeportéedevue.Son cauchemar touchait presque a sa fin.Marissamarchad’unpas tranquille
vers sa chambre, le menton haut, et s'efforça de se convaincre que c'était lesoulagementquiluinouaitainsil'estomac.Dequoid’autreaurait-ilpus’agir?
Chapitre13
—Mais je ne comprends pas ce qu'il fait encore ici, sifflaMarissa tandisqu'ilsgravissaientlesmarchesduperrondelamaisondesFramersham.L’airmalicieux,Aidanluijetauncoupd’œil.—C'estmon invité, et je supposequ'il reste parceque je suis encore là.La
question,machèresœur,estdesavoirpourquoisaprésencevousdérangeautant.Sil’onvousécoute,Judenesignifierienpourvous.Celafaisaitunesemaine.Unesemainedeculpabilitéetd’incertitude.Tournant la tête, elle aperçut Jude, quelques mètres derrière elle, qui aidait
galamment tante Ophélia à monter l’escalier. Venait ensuite son cousin Harry,accompagnédeBethetNanette.QuantàEdward,ilétaitdéjààl’intérieuraveclabaronne,àl’abridufroid.—Ilmerappellequelquechosequejen’auraisjamaisdûfaire.C’esttout.—Ehbien,jesuisravidevoirquevousêtescapabled’éprouverdesremords,
Marissa,rétorqualentementAidan.Jen’étaispassûrquecefûtlecas.Etjevousassurequesij’étaisvotrefrèreaîné,jevousauraismisunesacréerosséepourcequevousavezfait.Hypocrite,pensa-t-elleenserrantlesdents.Elleeutlaprésenced’espritdene
pasledireàvoixhaute.Aidanpouvaitexploseràtoutmoment,etellen'avaitpasenviedesubirl’undesesaccèsderageenpublic.Lefrèrequ’ilavaitétéjadisluimanquaitcruellement,commesouvent.—Bien sûr que j’éprouvedes remords. Je n’ai jamais vouluvous causer du
tort.J’aiseulementenviedetireruntraitsurcettehistoire,etJudeestlàpourmerappelerquecen’estpaspossible.—Bien,parceque,effectivement,cen’estpaspossible.Nousnepouvonspas
encoreaffirmerquelesrumeurssesontdissipées,etnousn’avonstoujoursaucuneidéedecequePeterWhiteracontera.Sivousnevoussentezpasencoresoulagée,jediraisquec’estunsigned’intelligencedevotrepart.—Vousmepardonnerezsivotrecomplimentnemefaitpasrougirdeplaisir.
Iléclatad’unriresecetsonore,maisaumoinsriait-il.IlposasamainsurcelledeMarissaetlaserrafort,ellevitalorsquesesyeuxs’étaientadoucis.— En naissant dans cette famille, vous ne pouviez échapper à un ou deux
scandales.Espéronsseulementquelepireestderrièrevous.Elleeutsoudainenviedesetournerversluietdel’étreindre.Maisilsentraient
danslamaison,aussiMarissasecontenta-t-elledesourire.—Danserez-vousavecmoicesoir,Aidan?—Puisquejesuislà,soupira-t-il,autantdanser.—Quellegalanterie.—Vousmeconnaissez,acquiesça-t-il,luidéposantunbaisersurlajoueavant
des’éloigner.Elle savait qu’il allait à présent se donner du courage pour la soirée avec
quelquesverresdebrandy.QuantàMarissa,elleallaitsedonnerducourageendansant.Unquartd’heureplustard,elleavaitdéjàsaluélamaîtressedemaisonetdansé
avecdeuxgentlemenqu’ellevoyaitpourlapremièrefois.LebaldesFramershamétaitl’undesespréférés,carilyavaittoujoursdenombreuxinvités,etpresqueautantdevaletstenantdesverresdechampagneetdepunch.Aumilieu de la frénésie de l’événement, il était facile d’oublier Jude et les
deux semaines d’émotion intense qu’elle venait de passer. Ici, elle pouvaitredevenir elle-même. Un beau jeune homme vint l’inviter à danser, etMarissan’eutpasbesoindeseforceràaccepterenbattantdescils.Elle l’avaitdéjàvudeux fois àLondres, et sesyeuxbleuazuret ses joues lissesavaient faitnaîtrechezelledesfantasmesdebaisers,etd’autreschosesencore.Cefutdoncavecunenthousiasme non feint qu’elle laissa Mr Erickson la conduire au milieu desdanseurs. Lorsque sa main gantée se posa dans son dos, elle ressentit desfourmillementsets’imaginadanssesbras.MonDieu!Quandladanselessépara,elleenprofitapourexaminersesjambesminceset
gracieuses. Mais quelque chose n’allait pas. La coupe de son pantalon étaitsplendideetrévélaitparfaitementlacourbedesescuisses,pourtantcelles-ciluisemblèrentunpeu...décevantes.Savesteétaitmagnifiquementtaillée,cependantendépit du savant rembourrage auniveaudes épaules... ehbien, ellen’arrivaitcertainement pas à se représenterMrErickson la soulever et la porter dans unboudoirsecretpourluifairel’amour.Il lui adressa un clin d’œil séducteur et elle s’obligea à sourire plus
franchement. Après tout, qu’il puisse la porter ou non n’avait pas grandeimportance.L’important, c’étaient lesbaisers et les caresses, quine seraient en
aucun cas affectés par la couleur anémique de sa peau. Celle-ci montraitsimplementqu’ilveillaittoujoursàporterunchapeauquandilmontaitàcheval.Etpuis,seslèvressirosesetcharnuessemblaientfaitespourembrasser.Oui,
elleétaitcertainequelesbaisersdeMrEricksonseraientmerveilleux,àlafoisdouxethabiles.Maiscurieusement,quandMarissapritlamaindudanseursuivant,sespensées
dérivèrent.Elle ne songeait plus à des baisers chauds et adroits.Elle se prit àsouhaiterêtredévoréeparuneboucheexigeante,quiluiferaitouvrirlasienneetcéder.Elleimaginaitdesbraslasoulevantjusqu’àunlit,puislatenantfermementtandisqu’onluiferaitdeschosesaussiindécentesquedélicieuses.Quandelleseretrouvadenouveaufaceàsonpartenaire,ellefutdéçuedesa
stature menue. Pourtant, il était beau. Et ses yeux étaient d’un bleu si intensequ’elleauraitpus’ynoyerdesheuresdurant.Pendantlesdernierspasdeladanse,elleseconcentrasursonvisage.Surses
yeuxetlafaçondontilsluisouriaient,ravisdetantd’attention.Et lorsqu’ilsquittèrent lapistededanse, il luisemblait redevenuparfait.Pas
incompétentnidécevant.Jusqu’àcequ’elleseretourneetseretrouvenezànezavecJudeBertrand.Ellelevalesyeuxjusqu’àcequ’ellecroisesonregardténébreux.—MissYork,dit-ild’unevoixgrave.—MrBertrand.—Vousvousamusez?—Beaucoup.Etvous,monsieur?—Ehbien,MissYork, je passerais une soirée plus agréable encore si vous
vouliezmefairel’honneurd’unedanse.—Je...jevousdemandepardon?Elleavaitdûmalcomprendre,toutoccupéequ’elleétaitàseconcentrersurses
épaulessiincroyablementlarges.—Unedanse?— Oui, une danse. Avec votre bien-aimé. Ce n’est sûrement pas trop vous
demander.—Biensûrquenon.Non.—M’accordez-vouslapremièrevalse,alors?Savait-il danser ? Elle n’était pas très rassurée pour ses orteils, mais
s’inquiétaitsurtoutpoursonpauvrecœurquibattaitlachamadeàlaperspective
desmainsdeJudeposéessurelle.La première valse. Quand allait-elle arriver ? Dans quelquesminutes ? Une
heure ? Marissa leva la tête et le dévisagea, attirée par son regard. Jude luiadressacesourireencoindésormaissifamilier,etellepritalorsconsciencequ’illuiavaitmanqué,cesourirequiluidonnaitlesentimentdepartageravecluiuneplaisanteriequ’ilsétaientlesseulsàcomprendre.Marissasursautasoudainenentendantunraclementdegorgederrièreeux.Elle
seretournaetvitungentlemanquis’inclinaitdevantelled’unairembarrassé.— Excusez-moi de vous interrompre,mais je crois que c’est au tour dema
danse?—Oh,MrJessup,biensûr.Ellepritsonbrasets’éloignaenjetantseulementuncoupd’œilversJude.Elle
s’efforçadenepaspenseràladélicateossaturesoussamain.Jude Bertrand était peut-être son ami, mais il n’était pas le type d’homme
qu’elleavaitl’intentiond’épouser.Uneossaturesoliden’étaitpasuncritèrepourchoisirunmari.—Vousl’observez,ditunevoixfémininederrièrelui.Tournant la tête, Jude se retrouva face à PatienceWellingsly qui lui souriait
avec douceur. Elle était partie une semaine auparavant, pour se rendre dans lapropriétéd’uncousinàquelqueslieuesdelàseulement.Ilnefutdoncpassurprisdelavoir.—Pardon?demanda-t-il.—Votre fiancée. Vous l’observez. Comme si vous étiez seuls aumonde. (Il
inclinalatête.)J’aimeraisquel’onmeregardedecettefaçon,soupira-t-elle.—Voyons,MrsWellingsly.Vousêtesbelleetcharmante.Nemeditespasque
leshommesnevousontjamaisregardéedecettefaçon.—Paslesbons.Elleeutl’airsoudainsiseule,siperdue,queJudesoupira,luioffritsonbraset
l’entraînaversdeuxchaisesprèsdumur.—M’autorisez-vousàvousparleravecfranchise?demandaJude.Ellesemblasurprise.—Biensûr.—Sivousvoulezunhommequivouschérisse,vousperdezvotretempsavec
AidanYork.Vousêtessuffisammentintelligentepoursavoircela.Illavitrisquerunregardendirectiond’Aidan.Celui-ciétaitappuyécontreun
largepilier,etuneexpressiond’ennuietdelégerdégoûtselisaitsursonvisage.—Jesais,murmura-t-elle.Maisjemesenssiseule,etdepuissilongtemps.Quandelletournalesyeuxverslui,sonvisageluiparutsoudaintristeetfragile.—Pouvez-vouscomprendrecela,MrBertrand?Ellevoulutluiprendrelamain,maisileutunmouvementderecul.—Jesuisdésolée,chuchota-t-elle,lesyeuxsoudainpleinsdelarmes.Jude remarquaalors sescerneset lapâleurde sapeau, etneput ressentir la
moindrecolère.—Sivousvoulezquel’onvousregardedecettefaçon,alorsvousrecherchez
l’amour,Patience,etnonleréconfortéphémèred’unhommedansvotrelit.—Vousavezraison,répondit-elleenbaissantlatête.—Dites-moiquevousn’êtespasamoureused’Aidan.—Non.Pasdelui.Judeeutbrusquementlachairdepoule.—Vousnevoulezpasdireque...—L’aimez-vous?l’interrompit-elle.MissYork.Ellesembletrèsjeune.—C’estquelqu’und’extraordinaire,etellevadevenirmafemme.Etc’esttout
cequejevousdiraiàsonsujet.—Jecomprends.Jevouspriedem’excuser.Sincèrement.Vousêtesunhomme
debien.Elleselevaetill’imita,puiselles’éloignatranquillement,malgréleslarmes
quil’aveuglaient.NomdeDieu!Secroyait-elleamoureusedelui?Judeavaitdumalà lecroire.Elleavaiteubeau lepoursuivredesesassiduitésàLondres, iln’avaitjamaispasséunmomentseulavecelle.Encore troublé par la triste solitude qu’il avait lue dans les yeux de Mrs
Wellingsly, Jude l’observasedirigervers laporte.De loin,elleparaissaitplusdigneetmaîtressed’elle-mêmequejamais.Pourtant,ilneluiavaitjamaisvul’airsimalheureux.Ilsavaitquelaplupartdesmembresdelahautesociétérefuseraientdecroire
qu’unedameaussibellequePatienceWellingslypuissesesentirseule.MaisJuden’étaitpasdupe.Laplupartdesfemmesquiexerçaient laprofessiondesamèreétaient des beautés admirables, et cependant elles n’avaient jamais étévéritablementaimées.
Avraidire,àuneépoquedifférente,avecunefamilledifférente,Marissaauraittrès bien pu être l’une de ces femmes, trahie par son côté sauvage pourtant sicharmant.Lamusiquequirésonnaitdanslapiècetouchaitàsafin.Judejetauncoupd’œil
verslesdanseursetvitqueMarissaquittaitlapisteaubrasd’unautreadorablejouvenceau.Elleluisouriait,entourantsonbrasdesesmains.Maisquandelleregardadans
la direction de Jude, son sourire disparut et une expression de fureurmêlée dehargnesepeignitsursestraits.Marissa était en colère, et il y avait une seule raison à cela. Elle l’avait vu
parleravecPatience.Très bien. S’il devait la regarder danser et flirter avec unmillier de jeunes
gentlemen,elledevraitaccepterqu’ilpuisseaussisusciterlaconvoitise.Ces dernières semaines, il n’avait pas ressenti de jalousie. Ni quand elle
dansait, ni même quand elle contemplait les jambes des hommes comme s’ils’agissaitdejarretsdeporcdontelleallaitserégaler.Iln’avaitpasressentidejalousie car il savait que, quand il le souhaitait, il était capable de faire naîtrechezelledessensationsqu’ellen’avaitjamaisconnuesauparavant.Ilavaitvouluexciterprogressivementsondésir,jusqu’àcequ’elleendeviennepresquefolleetnepenseplusàpersonned’autrequelui.Ilavaitvoululuimontrerqueregarderles jolis garçons était peut-être agréable,mais que pour faire l’amour, il valaitmieuxlaisseragirleshommes.Mais à présent, le temps lui manquait. Il l’avait séduite trop rapidement.
Marissa ne voulait déjà plus de lui. Et il ne savait plus du tout comment secomporteravecelle.Enferetdamnation!Ilétaitcondamnéàdanser...Il observa Marissa déambuler d’un air guindé parmi la foule des invités
élégamment vêtus, et sut qu’il n’avait pas d’autre choix.Dorénavant, ce n’étaitplus lui, maisMarissa, qui menait la danse. Et s’il lui restait une toute petitechancedetransformercesfaussesfiançaillesenunvraimariage,ilrefusaitdelalaisserpasser.Marissa s’approchade son frère et s’emparaduverredebrandyqu’il tenait.
EllelançaunregardperçantàJudeavantdedétournerlesyeux.Oh,oui.Elleétaitencolère.Celaleréconfortainfiniment,maispasaupointde
lui faireoublier samission.Quand il aperçut lameilleureamiedeMarissaquipassait prèsde lui d’un air pressé, il semit sur son chemin et s’inclinadevantelle.
—MissSamuel.—Oh!MrBertrand!Elle battit des cils avec nervosité puis rougit, comme chaque fois qu’il lui
adressait la parole. Miss Samuel était douce et timide, et il commençait àcomprendrepourquoiMarissas’inquiétaitdenepaslavoirtrouverdemari.Elleétait plutôt jolie,mais entre sa cousineeffrontéeet lavivanteMissYork,on laremarquaitàpeine.—Aurez-vouslabontédem’accorderunedansetoutàl’heure?Ellebafouillauneréponsequiressemblaitàun«oui».Judes’écartaalorspour
luidonnerunechancedes’échapperets’approchadeMarissa.—Jecroisquelaprochainedanseestlavalse,luidit-ilàvoixbasse.Elleseraiditetrestasilencieuse.Aidanluiadressaunsourirerailleur.—Unequerelled’amoureux?—Jenesauraisvousdire.Vousai-jeoffensée,moncœur?—Bien sûr que non, répondit-elle sèchement.Mais j’ai soif.Auriez-vous la
galanteriedem’apporterunverredelimonade?—Jesupposequepar«limonade»,vousentendez«vin»?Elles’étouffad’indignationetilseretiraalorspourluitrouverunverredevin.
Justepourlecasoùelleneplaisantaitpas,illuirapportaégalementunverredelimonade.Maisàsonretour,ellepritlevinsansprononcerunmotetluilaissalalimonade tiède et diluée.Aidan les observait tous deux comme s’il attendait lecommencementd’unepiècedethéâtre.Judelançaunregardfurieuxàsonamipourluisignifierdenepassemêlerde
leursaffaires.Maisaprèstout,ilétaitlefrèredeMarissa,iln’allaitdoncpasselaisserdictersaconduite.—Alors,ladatedumariagea-t-elleétéfixée?demanda-t-ilensouriantàses
deuxinterlocuteursquilefoudroyaientduregard.Cettealliancesuscitebiendesréactions.Nousdevrionspeut-êtreexigerundroitd’entréepourlegrandjour.Lesgenssontcurieux.Marissa se retourna d’un air désinvolte pour regarder derrière elle, et vit la
mêmechosequeJude.S’ilsencroyaienttouteslespairesd’yeuxquilesépiaient,lesgensétaient effectivementcurieux.Marissaaffichaalorsun sourire éclatant,quinepouvaitenrienlaisserdevinersesparolesacerbes:—Pensez-vousquecelaleurplairait,sijevousgiflais?Aidanajustal’unedesbouclesquidégringolaientencascadesurlesépaulesde
Marissa,etluimurmuraqu’elleétaitdevenueunevraiedame.
Marissa finit son vin sans se départir de son sourire.Un sacré exploit. Judeétaitencoreentraindeméditerlà-dessusquandellemitsoudainsonverredanslamaind’AidanetsetournaversJude.—Allonsdansercettevalse,voulez-vous?Il était si concentré sur ellequ’il n’avait pas entendu l’orchestre annoncer la
valse.—Certainement,dit-ilens’inclinantlégèrement.IltenditsalimonadeàAidanetoffritlebrasàMarissa.Marissamarchad’unpaslentverslapistededanse.Ilavaitremarquéqu’elleavaittendanceàdevenirconvenablequandelleétait
tendue.—Qu’est-cequivousacontrariéeainsi?demanda-t-ildoucement.—Jenesuispascontrariée.Pasdutout.—J’aipourtanteulanetteimpressionquevousmeregardiezd’unairfurieux,
toutàl’heure.—Vousditesn’importequoi.—Marissa...— Si vous voulez cette femme, chuchota-t-elle vivement, je ne peux vous
blâmer. Elle est belle. Mais je vous prierai d’attendre au moins que nosfiançaillesaientétérompues!—JesupposequevousvoulezparlerdeMrsWellingslyï—Voussavezexactementdequijeparle.Ilss’approchaientdesautrescouplessepréparantàdanser,etMarissaralentit
encorelerythme.—Vousétiezblottisl’uncontrel’autredansuncoindelasallecommesivous
étiez...—Nousn’étionspasdutoutblottisl’uncontrel’autre.Etdureste,jenevois
pasenquoicelapeutvousdéranger.—Lesgensvontjaser!— Ah, vous voudriez donc que je sois discret, alors que vous flirtez
ouvertementavectouslesadolescentsquidansentdansvotrechampdevision?—Jen’aijamaisrienfaitdetel!SavoixrésonnadanslesoreillesdeJude.Ellecilla,outrée,avantd'oserjeter
un coup d’œil autour d'eux. Dans un rayon de cinq mètres à la ronde, tout lemonde les dévisageait. Même le chef d’orchestre se racla la gorge avant
d’indiquerprécipitammentàl’orchestredejouerlespremièresnotesdelavalse.Marissaet Judeétaientaubordde lapistededanse, faceà face.Elleavait lesyeuxécarquillés.Judesecontentaalorsdeluiprendrelamainetdelaplacersursonépaule.Le
scandaleseraitd’autantplusgrandsiellelaissaitéclatersafureur.Ellesemblaitaussienêtreconsciente,etpritlamainqu’illuitendait.Ilsportaienttousdeuxdesgants, et ledosdeMarissa étaitprotégéparuncorset.Deplus, ils étaient tousdeux en colère. Mais curieusement, ces obstacles ne firent qu’intensifier lessensationsqu’iléprouvaitàlatenirprèsdelui.La fureur avait accéléré la respiration deMarissa et ses seins se pressaient
contre son corsage. Ses joues et ses lèvres paraissaient maquillées tant ellesétaient rouges, et ses yeux étincelaient de passion. Marissa York avait l'airexcitée,etJudeavaitenviedegrognersondésirdanslecreuxdesajolieoreille.Il n’avait pu voir clairement la jeune femme dans le pavillon, mais c’est tellequ'elle était à présent qu’il se la représentait, déchaînée, exigeante, les jouesempourprées.—PatienceWellingslyn'estpasmamaîtresse,etneleserajamais.—Ellevousregardecommesielleallaitvousdévorer.(Elleobservasontorse
pendantunbrefinstant.)Cequiestabsolumentridicule,vuvotretaille.Jude envisagea de faire un trait d'esprit en suggérant qu'elle ne ferait qu’une
bouchéedelui,maisilserappelaquemalgrésoninconvenance,Marissan’étaitpasuneamiedesamère.—Jenevousdéshonoreraipasdecettemanière,Marissa.Noussommescensés
êtredevéritablesfiancés,etencequimeconcerne,j’ail’intentiondecontinueràmecomportercommetel.Son visage perdit un peu de sa raideur quand il la fit tourner, en évitant de
justesse un autre couple. C’était une valse lente, heureusement, car il étaitincapabledeseconcentrersurcequil’entourait.—Qu’est-cequevousinsinuez?demanda-t-elle.— J’ai l’impression d’avoir endossé le rôle d’un étranger pour vous, cette
dernièresemaine.Elleobservaunpointau-dessusdesonépaule.—Jesuisnavrée.—Jemesuisportévolontairepourservirvosintérêts,etjesavaiscequecela
impliquait.Mais j’ai été assez stupide pour penser que nous pourrions deveniramis.
Elleleregardaalorsdanslesyeux.— Je... Nous le sommes devenus.Vous êtes très gentil. Et drôle.Mais vous
éveillezchezmoiunsentimentde...Unevaguedechaleurs’emparadeluiàlapenséedecequ’elleallaitpeut-être
dire.—Quoi?—Unsentimentde...Toutsonêtresemblaêtreattiréverselle.—...dehonte.L’espoir insensé qu'elle avait fait naître chez lui s’écroula subitement, et il
sentitcommeunpoidssursapoitrine.—Dehonte.—Oui,maisseulementparcequej’ignorecommentmecomporteravecvous.
Jen’arrivepasàsavoircequevousreprésentezpourmoi.Sommes-nousamis?Ilneréponditpas.Ilnelepouvaitpas.—Jesuisdésolée,murmura-t-elle.—Jevois.Ehbien,si jevous inspirede lahonte, jesupposeque jedevrais
agircommeungentlemanetmettrefinàmonséjourdansvotrefamille.— Jude, non. C’est ma faute. Je suis simplement excessive, comme vous le
disiez. Nous sommes amis. Ou du moins j’espère que nous l’étions. Et... nosconversationsmemanquent.Ilnesavaitpascommentréagitàcesparoles.—Depuisunmois,jefaisn’importequoi,déclaraMarissa.—C’estvrai.Ses épaules s’affaissèrent. Dépitée, elle avança la lèvre inférieure dans une
moue séduisante. Elle inspira profondément en le regardant de ses yeux vertbrillant écarquillés. Jude savait que, s’ils se mariaient vraiment, il allait au-devantdegrosennuis.Ilétaitincapabledeluirésisterquandelleétaitainsi.—Pourrez-vousmepardonner,Jude?Ladouceuraveclaquelleelleprononçasonnomlefittressaillir.Ilseconcentra
sur lavalsependantunmoment, comme s’il réfléchissait vraiment à la réponsequ’ilallaitluidonner.Ilfinitparluisourire.— Je suppose que oui.Mais j’en serais plus certain si vous veniezme voir
dansmesappartementscesoiretmereposiezlamêmequestion.—Oh, taisez-vous ! le gronda-t-elle, samoue se transformant en un sourire
hésitant.—Surmonhonneur,jen’endiraimotàpersonne.Nousneferonsqueparler.Pendantunmoment,elleinclinalatête,commesielleétudiaitlaquestion,puis
elleéclataderire.—Vousavezuneinfluenceexécrablesurmoi,MrBertrand.—Jefaiscequejepeux.—Sivousvoulezvraimentquenousparlions,peut-êtrepourrions-nousmanger
unmorceauensembleplustard?MrsFramershamfaittoujoursservirdedélicieuxmets.—J’enseraishonoré,MissYork.Sincèrement.Quandilsquittèrentlapistededanse,quelquesinstantsplustard,Marissariait
etletaquinait,luidéclarantqu’ilétaitfinalementundanseurcorrect.EtJudeétaitdenouveaudéterminé.Plusquejamais.Il allait épouserMarissa York, mais elle n’en savait rien du tout, la pauvre
chérie.
Chapitre14
—C'est un merveilleux danseur, répéta Beth pour la troisième fois de lamatinée.Jen'enrevenaispas.MêmesiMarissan’avaitpasvraimentprêtéattentionàsafaçondedanser,elle
hochalatête.Ellesesouvenaitsurtoutdelalargeurdesontorseetdelaforcedesesbras.Ilsavaientdansé,ellelesavait.Etd’autrescouplesavaientdûvalseràleurcôté,maisellen’enavaitrienvuàcausedesesépaules.—Vraiment,poursuivitBeth,ilétaittrèscharmant.Alafindeladanse,j’avais
mêmeoubliéqu'ilétaitsiintimidant.—Oui.Ilestvraimenttrèscivilisé.Bethsefigea.—Oh,jesuisdésolée.Cen'estpascequej’aivouludire.Jereconnaisavoir
étéchoquéequandvotrefrèreaannoncé...—Non, ce n'est pas grave. Je vous avoue que j’ai éprouvé la même chose
quandjel’airencontré.—Maisdésormais,jecomprendsvotreaffectionpourlui,etjesuissisoulagée
dem’enêtrerenducompte.Ilesttrèsintelligent,etadesyeuxmagnifiques.Sesyeux.Oui,ilsétaientassezbeaux,malgréleurcouleursombreetmenaçante.
Ellejetauncoupd’œilpar lafenêtreaupetitgrouped’hommesquiattendaitenselle.Judesedémarquait,commetoujours. Ilparaissait taillédans le roc,alorsquelesautressemblaientfaçonnésdansdel'argile.Il tourna la têtevers lamaison,commes’ilavaitperçu leregarddeMarissa.
Elletressaillitàcettepenséeets’agitasursachaise.Illuiavaitdemandédevenirdans sa chambre, la veille au soir. Il avait dit ça pour plaisanter,maismalgrétout...elleauraitpuaccepter.Sielleavaitosé.Ilnel’auraitpaséconduite.Marissaterminasonomelette,etsesyeuxdérivèrentdenouveauverslafenêtre.
Edwardarrivaitenfin,maisiln’étaitpassursamonture.Iltraversaitlapelouseàpiedetsemblaitdanstoussesétats.— Miss York, dit doucement le valet qui se tenait près d’elle. Le baron
demandeàvousvoirdanssonbureau,leplusrapidementpossible.MarissacroisaleregardeffrayédeBethetsagorgesenoua.—Biensûr,répondit-elleàvoixbasse.Elleposadoucementsaserviettesurlatable,etsonregardfutalorsattirépar
desmouvements au-dehors.Aidan et Jude avaientmis pied à terre et suivaientEdward endirectionde lamaison.Gagnéepar la panique, elle sentit son cœurs’emballer.Elleseleva,sesjambessedérobantpresquesouselle.D’effroyablespensées lui traversèrent l’esprit.Elle rejeta l’idéequesamère
soittombéemalade.Onnelisaitniinquiétudenichagrinsurlevisaged’Edward,maisdelafureur.Alors de quoi s’agissait-il ?Une fois encore, elle devait être à l’origine du
problème,avecsonhorriblecomportement.PeterWhitenelesavait-ilpasprisausérieux?Avait-ilrépandudeshistoiressursoncompte?—Marissa?murmuraBeth.Marissaseforçaàsourire.—Jesuissûrequecen’estrien.—Jevaisdemanderàmamèrederetenirlacalèchependantquelques...—Non,n’enfaitesrien.Votremèresembleunpeufatiguée.Ilesttempsqu’elle
rentrechezelle.S’ilvousplaît,neretardezpasvotredépartpourmoi.Quoiqu’ilen soit, nous nous verrons dans quelques jours à l’occasion de la prochainesoirée.Bethlaserralonguementdanssesbras.Marissatraversaaveclenteurl’entrée,
puis emprunta le couloir qui menait au bureau d’Edward. Elle entendit unbrouhahadevoixmasculinesquis’intensifia,puiss’achevabrusquementaveclebruitd’uneporteclaquée.Elle tournaà l’angleetparcourut lesderniersmètreseffrayantsquilaséparaientdel’inconnu.Pendantunmoment,ellefutincapabledebouger,lesjambestroplourdespouravancer,etlespiedscommecollésautapis.Quelquechosedeterribles’étaitproduit,parsafaute.Cette fois-ci, elle ne rechignerait pas à obéir, quelle que soit la solution qui
serait adoptée. Qu’on lui ordonne de se marier, de partir pour un voyage enEurope,ouencored’entreraucouvent.Marissaseforçaàmettreunpieddevantl’autre,etparvintmêmeàtournerlapoignéeavantquetoutcouragel’abandonnede nouveau. Sa mère, ses frères, son cousin et Jude. ’Cinq paires d’yeux quiattendaientqu’ellefermelaportederrièreelle.Unefoisdeplus.—C’estcequenousredoutions,ditEdward.Ellesefaufilaàl’intérieuretrefermaaussidoucementquepossible.
—Ilestpasséàl’acte.—Qui?souffla-t-elle.—PeterWhite.Edwardbranditunmorceaudepapier.—Ilaenvoyésamenace.—Lemariage?Ilveuttoujoursm’épouser?Edwardcrispasesmainssurlalettre.—Non.Ilveutcinqmillelivres.Marissaetsamèrepoussèrentuncriétranglé.Demanderde l’argentsemblait
encoreplusmesquinqued’essayerdelacontraindreaumariage.Lajeunefemmetraversa la pièce, se laissa tomber sur le canapé près de samère et lui prit lamain.—C’estscandaleux!éclataHarry.Judeserrasesmainsderrièresondos.—Cinqmillelivresoubienquoi?Ils se tournèrent tous vers Edward, qui laissa lentement retomber samain le
longdesoncorps.Ilpinçaleslèvressansrépondre.—Queva-t-ilfaire?insistaMarissa.Edwardseraclalagorge.—Oh,maislisezlemessage,Edward!s’écria-t-elle, incapabledesupporter
l’attentepluslongtemps.—Oui,faites,renchéritleurmère.À l’évidence, ils ne pourraient pas juger de ce qu’il convenait de faire sans
connaîtretouslesdétails.Il se racla de nouveau la gorge, puis leva brusquement le papier devant ses
yeux.«J’aiapprisque l’honorableMissMarissaYorkavaitétérécemmentprise
sur le faitdansuneétreinte scandaleuse.Si vousvous souciezdeprotéger laprécieuseréputationdeMissYork,vousremettrezlasommedecinqmillelivresaulieuetàladatespécifiésci-dessous.»—Jesuppose,ditlentementJude,quelalettren’estpassignée?—Effectivement.
—Alorscommentpouvez-vousêtresûrqu’ils’agitdeWhite?Levisaged’Edwards’empourpra.Ilserralesdents,lamâchoiretressaillante.Aidans’appuyacontrelemuretcroisalesbras.—Celapourraitêtrelefaitden’importequi.—Ildonneunepreuve,lâchaenfinEdward.—Oh,baron!s’écrialeurmère.Continuez,enfin!Marissavitlesoreillesdesonfrères’enflammerquandilregardalepapier,et
mêmesiellen’avaitaucuneidéedecequiyétaitinscrit,ellecommençaàleverlamainpourl’arrêter.Elleintervenaittroptard.— « Si, reprit Edward avec réticence, l’argent n’est pas livré selon les
conditions décrites, je révélerai à la bonne société que Miss York a étécompromise. En guise de preuve, je pourrai décrire sa tache de naissance enformedecœursituéesurlehautdesacuisse.»À ces mots, Marissa eut l’impression qu’un vacarme assourdissant prenait
subitement possession de la pièce. Oh, il s’agissait principalement desexclamations des personnes autour d’elle. Sa mère, en particulier, gémissaitbruyamment sans discontinuer. Mais à cela s’ajoutait le bruit de l’océan quipénétraitparvaguesdanssesoreilles.—Croit-ilvraimentquenousn’allonspasletuer?entendit-elleAidanrugir.—J’aipourtantététrèsclair,rétorquaJudeavecsoncalmehabituel.Harryposaunequestionpertinente.—Quelqu’unsait-iloùilsetrouve?Marissaentendaittoujoursdesvaguesbourdonnerdanssesoreilles,jusqu’àce
qu’elleprenneenfinconsciencequec’était lebruitdesonsangquibattaitàsestempes.— Il n’est sûrement pas loin, répondit Edward d’une voix dure. Je suppose
qu’il séjourne chez les Brashears. La belle-famille de sa sœur. Ils habitent àseulementuneheured’ici,environ.—Ehbien,alors,ditAidanlentement,allonsluirendreunepetitevisite,qu’en
pensez-vous ? Il semble avoir besoin qu’on lui rappelle que sa vie est plusprécieusequecinqmillemisérableslivres.Marissa entendit lesmurmures des hommes qui s’étaient rassemblés dans un
coinde lapièce,etpritalorsconsciencequ’elleavait fermé lesyeux.Mêmesielle avait envie de disparaître, elle se força à les rouvrir. Si seulement ellepouvaitfuir,pournepasavoiràaffrontercequil’attendait.Coinçant ses mains sous ses genoux pour les empêcher de trembler, elle
déclara:—Cen’estpeut-êtrepaslui.Ces mots n’eurent aucun effet sur les hommes, tout occupés qu’ils étaient à
discuterdeleursprojetspourallersemerlaterreuretladestruction.A côté d’elle, samèremarmonnait des paroles incompréhensibles. Lesmots
«chantage»,«scandale»et«vaurien»revenaientrégulièrement.Elleparaissaitàlafoisscandaliséeetfascinée,maisMarissacrutaussidécelerdansleregarddesamèreunelueurdejoie.—Cen’estpeut-êtrepaslui,répéta-t-elleenhaussantlavoix.Unparun,leshommescessèrentdeparleretsetournèrentverselle.—Pardon?ditEdward.—PeterWhite.Cen’estpeut-êtrepasluiquiaenvoyélalettre.Aidan leva lesyeuxauciel,commesiellen’étaitqu’uneoieblanchedont le
cerveaufonctionnaitaurythmed’unescargot.—Marissa, il s’agit forcément de lui. Ou de l’un de ses complices, tout au
moins.Laconfusionétaitpeintesurtouslesvisages.Tous,saufceluideJude.Ilhaussa
unsourcil,etsesyeuxpétillèrentd’unecuriositéamusée.— Il y a une petite possibilité..., commença-t-elle. (Elle toussa enmettant le
poingdevantsabouche,sagorgesèchelagênantpourarticuler.)Ilyaunepetitepossibilitépourquequelqu’und’autreaitécritcettelettre.Uneexpressionhorrifiéegagnalestraitsd’Aidan,puisceuxd’Edward.Quantà
Jude,illacouvaitd’unœilrieur.—Marissa,menaçaEdward.—JenevoudraispasvoirMrWhiteinjustementassassiné.AidanarrachalafeuilleàEdwardetlatenditàMarissa.—Ilditqu’ilavuvoscuisses,Marissa.Alorscommentpourrait-il s’agirde
quelqu’und’autre?—Oui,ehbien...Aunomduciel,quepouvait-ellerépondreàça?MarissatressaillitenentendantAidanfroisserlalettreavecrage.—Ladescriptionest-elleexacte?—Je...—Est-elleexacte?hurla-t-il.Étrangement,lacolèred’AidandonnaducourageàMarissa.Elleredressales
épaules,levalementonetaffrontalesyeuxvertsfuribondsd’Aidan.— Oui, elle est exacte. Alors avant de pendre Mr White à l’arbre le plus
proche,vousvoudrezpeut-êtreaussiparleràFitzwilliamHess.— Fitz... william..., balbutia Aidan, dont la figure devenait dangereusement
cramoisie.Edwardposaunemainsurlebrasdesonfrère.—Marissa, vous ne voulez pas dire que... vous nous avez affirmé que vous
étiezvierge.—Jel’étais, répondit-elle,sansoserregarderJudedans lesyeux.Iln’yaeu
quedesbaisersentreFitzwilliametmoi.Etcequivaavec.—Cequivaavec!criaAidan.—Oui,Marissa eut l’impressiond’être brûlée par les yeux étincelants de ses frères.
Ellesentitdesgouttesdetranspirationperlersursonvisage.Maisc’étaitpresqueterminé.Presque.Lespoingsserréssurleshanches,Edwardlaissaretombersatête.—Mais Hess est-il dans le pays ? Aux dernières nouvelles, il était sur le
continent.D’autres voix se joignirent à celle d’Edward, chacune donnant son avis sur
l’endroit où se trouvait Mr Hess. Marissa jeta un coup d’œil par-dessus sonépaule et constata que sa mère s’était évanouie, et que sa tête pendaitdangereusementsur lecôtéducanapé.Ellesemblaitvéritablement inconsciente,cettefois.C’était maintenant ou jamais. Marissa porta son attention sur une rose
décoloréedutapisdubureau.—Et, commença-t-elled’unevoix juste assez fortepourmettreun termeaux
conversations, il y a une petite probabilité qu’il s’agisse d’un troisièmegentleman.Au début, elle crut que le bruit étouffé qu’elle avait entendu était celui d’un
sanglotmasculin.Ellefuttellementsurprisequ’elledétachasesyeuxdelarose.EllevitJude,debout,levisagerougevifetlamaindevantlabouche.Etait-ilen
train de... pleurer ? Le même bruit se fit de nouveau entendre et, malgré lastupéfactionquelesparolesdeMarissaavaientfaitnaître,toutlemondesetournaverslui.Marissa se sentitprisedevertigeà l’idéed’avoirpeut-êtrebrisé le cœurde
Jude,etesquissaungestedanssadirection.
—Veuillezm’excuser,marmonna-t-ilalors,secouvranttoujourslabouche.Ilseprécipitaverslaportedubureau.Sesyeuxétaientbrillantsdelarmes.Son
couétaitrougeécarlate.Bouchebée,Marissaleregardaavechorreurdisparaîtredanslecouloirenclaquantlaporte
derrièrelui.—Pourl’amourduciel,qu’est-ce...,commençaEdward,quifutinterrompupar
unrugissementderireàfairetremblerlesmurs.Même du bureau, on pouvait clairement en percevoir l’écho dans le couloir.
JudeBertrandriaitàgorgedéployée.Ilsemoquaitd’elle.—Pourl’amourduciel!soufflasamère,miraculeusementrevenueàelle.Stupéfaite,Marissagardaitlesyeuxrivéssurlaporte.Lerirebruyantetétouffé
deJudecontinuaitàs’infiltrerdanslapièce.Edward fut le premier à recouvrer ses esprits. Il regarda sa sœur d’un air
furieux,sanslamoindretraced’amusementdanslesyeux.— Dieu tout-puissant, Marissa, j’espère pour vous qu’il s’agit d’une
plaisanterie.Elle aurait aimé que cela en soit une. Si seulement les autres personnes
présentesavaientputrouverl’histoireaussiamusantequeJude.—C’étaitilyadesannées,Edward.Edwardouvritlabouchepours’exprimer,maisaucunsonnesortitdesagorge.
Ellesemitsoudainàsouhaiterqu’ilcrie.Aidans’enchargeapourlui.—Eh bien, c’est une sacrée chance que vous ayez un fiancé,MarissaYork,
parcequ’ilnefaitplusaucundoutequevousallezdevoirvousmarier!Avectousceshommesquiontmislesmainssousvosjupes,c’estunmiraclequelavéritén’aitpaséclatéplustôt!Marissasentitsagorgeseserrerenentendantledégoûtdanslesparolesdeson
frère.—Charlesetmoiétionsamoureux.Vousdevriezêtrecapabledecomprendre
cela,Aidan.Lesyeuxdesonfrèreserétrécirentetsesnarinessedilatèrent,maispourune
fois,ilparvintànepaslaisserexplosersacolère.—Charles.CharlesLeMont?Baissantlatête,elleacquiesçadoucement.—Nes’est-ilpasmariéilyatroisans?
—C’étaituneunionarrangéeparsafamille.Ilnevoulaitpasdecemariage.—Donc,rugitAidan,vousavezpenséquecen’étaitpasunproblèmed’avoir
uneliaisonavecunhommemarié?—AidanYork ! glapit-elle, se levant d’un bond. Pour quime prenez-vous !
Charles etmoi étions amoureuxavant ses fiançailles, et nous... nous... peut-êtrenoussommes-nous légèrement laissésalleraumomentdesadieux.Etd’ailleurs,quiêtes-vouspourmejugerainsi?—Marissa...ditEdwardenguised’avertissement.Ellen'entintpascompte.—Oh,cessonsenfinde le traitercommes’ilétaitunepetitechose fragile. Il
détestecela,detoutefaçon,oudumoinsc’estcequ'ilprétend.Samèrelâchaunpetitgémissementpuisretombasurlecanapé,inconsciente.—Oh,mère,soupiraMarissa.Elle commença cependant à penser qu'elle allait peut-être agir demême, car
elle se trouvait au milieu d'un groupe de gens embarrassés, qui la regardaientcommesielleétaitunmonstre.Marissas’effondra.—Je...MaisAidaninterrompitsesexcuses.—Oh,pourl’amourduciel,ellearaison!Quelqu’und’autreauraittoutintérêt
àintervenir,carjesuismalplacépourfairelamorale.Harryémitunetouxgênée,ettoutlemondesetournaverslui.— Quoi qu'il en soit, finit par dire Marissa, je sur sûre que ce n’est pas
Charles.Ilatoujoursétéd’uneextrêmegentillesseenversmoi.—Gentillesse,marmonnaEdward,maisAidanl'arrêta.—EtFitzwilliamHess?—Jenesaispas.Vusaréputation,j'aidumalàl’imaginer.—C’estvrai,renchéritHarry.C’estunvéritabledonJuan.Marissa savait qu’elle aurait sans doute dû se sentir insultée,mais tout ce à
quoi elle pouvait penser, c’était qu’avec son grand savoir-faire, il n’était pasétonnantqu'ilsoitaussipopulaireauprèsdesdamesdelabonnesociété.Pourtant,Judeétaitencoreplusdoué.Comme attiré par ses pensées indécentes, Jude rentra dans la pièce d’un air
penaud.—Veuillezm’excuser,murmura-t-il.J’avaisquelquechosedanslagorge.
Iljetauncoupd’œilderrièreMarissa.—Votremèrevabien?—Oui,répondit-ellesansregarder.Labaronnepoussaungémissementpitoyable.—Alors,demanda-t-ild’unairréjoui,qua-t-ilétédécidé?Edwardselaissatombersursachaise.—Vosfiançaillesnesontplusunecomédie.—Ah.Parfait.—Parailleurs,soupiraEdward,leschosessesontlégèrementcompliquées.Lesilencequis’abattitdanslapiècedevintoppressant,etMarissasoupirade
soulagementquandEdwardagitalamainpourlescongédier.—J’aibesoinderéfléchir.Reveneztousdansuneheure.Marissa se précipita vers la porte, sans se préoccuper d’aider samère à se
lever. Celle-ci pouvait se débrouiller seule. Marissa, quant à elle, se sentaitpiégée et déconcertée, et avait l’intention de profiter de l’occasion qui seprésentaitpours’échapper.Elle fut assez rapide pour se faufiler devant Harry et quitter la pièce en
premier,maisJude luiouvrit laporte,ens’inclinant légèrement.MonDieu,s’ilesquissait lemoindre sourire, elle serait capable de le gifler.Mais Jude avaitrecouvrésonsang-froid,etsonvisageétaitredevenusérieux.—Avez-vousquelquesinstantsàm’accorder,MissYork?—Oh,pourl’amourduciel!Oui,trèsbien.Ellelesuivitjusqu’àlabibliothèque,ets’enpritviolemmentàluidèsqu’ileut
refermélaporte.—Commentavez-vouspumefaireça?—Fairequoi?—Vous... vousavez ri !Commesi l’horriblehumiliationque j’ai subieétait
unefarce.—Marissa, commença-t-il d’un ton implorant qui contrastait avec le sourire
quisedessinaitsursonvisageets’élargissaitaufuretàmesurequ’ellepestait.Commentaurais-jepum’enempêcher?—Cen’étaitpasdrôle.—Oh,moncœur.C’étaitlachoselaplusdrôlequej’aiejamaisentendue!—Jude,cria-t-elle,tapantdupiedsansmêmes’enrendrecompte.—Jevousembrasseraistoutdesuite,sijen’avaispeurquevousmemordiez.
Elleleferait.Elleferaitdisparaîtrecesourireodieuxd’uncoupdedents.—Maintenantjesaispourquoivousêtessidouée.Pourembrasser.Vousavez
unesacréeexpérience.Elleallaitsemettreàhurler.Àpiquerunecrise,etpuispeut-êtreaussiluijeter
quelqueslivresàlatête,tantqu’elleyétait.—Faites,ditJude.—Faitesquoi?—Cequifaitétincelervosyeuxainsi.Vouslancezdeséclairs,chérie.—Vousnedevriezpasmeprovoquer,lemenaça-t-elle.Maisunefoisdeplus,lesparolesdeJudel’avaientsoulagée.Sonénervement
retomba,commesielleavaitvraimenttapédupiedethurlé.Elles’assitlentementdanslefauteuilderrièreelle.Juderemplitunverredexérèsetlemitdanslesmainsdelajeunefemme.—Merci.Jeneparvienspasàcroirecequiarrive.Ànouveau.Il se laissa tombersurunsiègevoisinetcroisa les jambes,aussicalmequ’à
sonhabitude.—Voulez-vousm’expliquercequis’estréellementpassé?—Avecleshommes?—Oui,répondit-ildansunsourire.Avecleshommes.Ellesecoualatête,maiselleavaittantenvied’endiscuter.Ellen’enavaitjamaisparléàpersonne,etgardertoutcelapourelleavaitété
unetorture.—N’allez-vouspasêtre...jaloux?—Est-cequej’ail’airdugenrejaloux?—Non,etd’ailleursc’estundestraitsquejenecomprendspaschezvous.—Jem’efforcederestermystérieux.Alors...leshommes.Les hommes. Cela semblait tellement sordide. Ou inconvenant. Ou tout au
moinsdéplacé.CommentJudeétait-ilparvenuàdevinerautantdechosesgênantessurelle ?Ellepoussaun soupirdecapitulation.Elleavait envied'enparler, etc’étaitdonccequ’elleallaitfaire.—Charlessavaitqu'ildevaitépouserquelqu’und’autre.—Charles?Elleluilançaunregardirrité.—Oui,CharlesLeMont.Vousavezmanquécettepartiependantquevousvous
remettiezdevosémotions.—Ah.Continuez.— Sa famille... Elle tenait à tout prix à ce qu'il conserve des relations
politiques. Mais nous nous croyions amoureux, et toute l'histoire fut parconséquenttrèstragiqueettrèsromantique.—Vousavezdoncconsolévotrecœurmeurtridanslesbrasl’undel’autre?—Oui,c’estàpeuprèsça.Maisc’étaitassezinnocent,sitantestquecelasoit
possible. Nous étions jeunes, et ne désirions que quelquesmoments d’intimité.C’était...merveilleux.—Lesbaisers,etcequivaavec?Ellerougit.—Oui.Etensuiteils’estmarié,etleschosessesontarrêtéeslà.Iln’amême
pasneserait-cequeflirtéavecmoidepuissonmariage.C’estpourquoijenepeuxcroirequ’ilsoitl’auteurdelalettre.—Etensuite, ilyeutFitzwilliamHess.Jen’aipasbesoindevousdemander
lescirconstancesdanslesquellesvousvousêtesretrouvéeseuleaveclui.—Ilesttrèscharmant.—C’estceque j’aientendudire.Ceque tout lemondeaentendudire. Ilest
tristementcélèbre.—Etcen’estpaspourrien,lança-t-ellesansréfléchir.—Ah,peut-êtrequejesuis jaloux.Maissavez-vousqu’unejeunedemoiselle
convenableestcenséeéviterleshommesdotésdecegenrederéputation?Elle repensa à la façon dont Fitzwilliam l'avait touchée et sentit son visage
s’empourprer,cequinel’empêchapasderétorquer:— Il aurait pume prendrema vertu,mais il ne l’a pas fait. Il a juste... il a
provoqué chez moi un sentiment de bien-être. Et d’inconvenance. Et j’auraisrecommencésij’enavaiseul'occasion.Elleretintsarespiration,attendantuneréponse.Elleavaitaimécequ’elleavait
faitavecFitzwilliam.Pourlapremièrefoisdesavie,elleavaitperçuledangerqu’il pouvait y avoir à flirter avec un homme. C’était risqué. Quand il avaitréponduàsesavances, ilyavaiteuplusquede l’admirationdanssesyeux : ilavaitsembléintrigué,commesielleétaituncodequ’ilavaitenviededéchiffrer.Elleavaitfaitsemblantdenepasleremarquer,demêmequ’elleavaitprétendu
nepasserendrecomptequ’ill’avaitemmenéebientroploindanslesjardinslorsdubaldeWindsor.Endépitdesagrandecapacitéàjouerl’aveuglement,ellesavaitpertinemment
qu’enpénétrantdanslaserreavecunlibertinnotoire,ellenepouvaitespérerqueles choses se terminent correctement. Et pourtant, cela avait été le cas.Relativement, du moins. L’instinct de préservation de Fitzwilliam l’avaitprotégée.Iln’avaitpasdutoutenviedeseretrouvercontraintàl’épouser.Illeluiavaitexpliqué,toutencouvrantsoncoudebaisersfébriles.—Nevousinquiétezpas,avait-ilmurmuré.Jenevouscompromettraipas.Etpourtant,ill’avaitcompromise.Ceschosesqu’illuiavaitfaitesdanslenoir.
Les endroits secrets où il avait posé sa bouche. Les caresses qu’il lui avaitdemandéesenretour...Malgré ses promesses,Marissa avait été compromise, parce qu’elle en avait
vouludavantage.Davantagedeplaisir.Davantage d'expérience. Mais elle avait été raisonnable. Par la suite, elle
n'avait pas répété l’expérience avec d’autres gentlemen, malgré sa curiositésauvage. Et quand elle revoyait Fitzwilliam Hess, elle se contentait de danseraveclui.Non,elleavaitenfermésesdésirssecretsdansuncoindesoncœur... jusqu’à
cettesoiréefatidiqueavecPeterWhite.Mon Dieu, quel gâchis cela avait été. Ni agréable comme avec Charles. Ni
incroyable comme avecFitzwilliam.Et surtout, à des lieues du plaisir sauvagequeJudeBertrandluiavaitfaitconnaître.Ellejetauncoupd’œilversJudeetserenditcomptequ’ilregardaitfixementsa
bouche. Elle y avait inconsciemment porté sa main en se remémorant sessouvenirs,ettenaitleboutdesesdoigtspressécontreseslèvres.—Jesuisàpeuprèssûrd’êtrejaloux,àprésent,murmura-t-il.Elle laissabrusquementretombersamainsursesgenouxet faillitavouerque
c’étaitàluiqu'ellepensaitalors,etnonàFitzwilliam.Maisenquoicelaserait-ilpréférable?—Jenevousconnaissaispas,àl’époque,dit-ellesèchement.—Ah,mais si le choix vous revenait, vous neme connaîtriez pas non plus
aujourd’hui.Que pouvait-elle répondre ?Ne l’avait-elle pas congédié, à peine le danger
passé?Ilsepenchaverselle.—Ne vous inquiétez pas.Au fil des années, j’aimoi aussi fait l'expérience
d’uncertainnombredebaisers.Etdecequivaavec.Marissahochalatêteetselevapoursortir,maiscurieusement,lesparolesde
Jude ne l’apaisèrent pas. Bien au contraire, elles ne firent qu’accroître sonagitation.
Chapitre15
Jude Bertrand était d’une humeur massacrante. Cela l’ennuyait déjà assezd’avoirdenouveauaffaireàPeterWhite.Maisdesurcroît,ildevaitfairefaceàunevéritédérangeante.Deux semaines auparavant, il était encore parfaitement confiant quant à sa
capacité à séduire Marissa York. Elle possédait en effet un côté sauvage etinconvenant,mais il avait été assez stupide pour penser qu'il pourrait lui fairetournerlatêtedeplaisir.Ilavait l’intentiondeluimontrerexactementceàquoil’inconvenancepouvaitmener.Quelimbécilearrogantilavaitété.Apparemment,elleneconnaissaitdéjàque
tropbien leplaisirquepouvaitoffrir l’inconvenance.Soudain, Judene trouvaitplus amusante l’attirance deMarissa pour les garçons inexpérimentés. Il avaitcroisé FitzwilliamHess une ou deux fois. En plus d’être un amant confirmé, ilétaitexactementlegenred'hommesquiattiraitMarissa.Mince,beauetraffiné.EtceCharles...Mêmes’iln’avaitaucuneraisondelerencontrer,sicen’estpoursetorturerl’esprit,Judeétaitcurieuxdesavoiràquoiilressemblait.QuandPeterWhitepénétraenfindanslesalondesBrashears,Judemontrales
dentsd'unairprédateur.Sonsourires’élargitlorsqu’ilvitlemalotrusetordrelesmains de nervosité, et qu'il constata que son œil au beurre noir était toujoursvisible.Judes’apprêtaitàluidonneruncoupsurlenez,quandAidanledevançaenempoignantWhiteparsacravatepourlesouleverdusol.—Qu’est-ce...croassa-t-iltoutenessayantd’attraperlepoignetd’Aidan.—Avez-vous des difficultés à tenir votre langue ? demandaAidan d’un ton
hostile.—Non!Je...jevousenprie...Quandlevisagedumalheureuxdevintviolet,Aidanlereposaenfinàterreetle
poussapoursedonnerbonnemesure.Whitechancelaenarrièreetserattrapaaumur.—Vous feriez mieux de commencer à vous expliquer, dit Aidan d’une voix
fortepourcouvrir la touxdeWhite.Si jesuissatisfaitdevotrehonnêteté,peut-êtrevouslaisserai-jelaviesauve.—Je...jesuisvenulavoir,jel'admets.Nousnoussommesentretenus,maisil
nes’estrienpassé!(SesyeuxenflésseposèrentsurJude.)Ilétaitlà,lui!—Lalettre,ditAidan,inflexible.— Qu... quelle lettre ? Je lui ai fait parvenir des lettres, c’est vrai, mais
j’essayais seulement de la convaincre de m’épouser. C’était en tout bien touthonneur,jevouslejuresurmavie.Judepritenfinlaparole.—Qu’enest-ildeladernière?—Quevoulez-voussavoir?Elleestvenuemeretrouver,etjeluiaiditceque
j’avaisàluidire.J’enaifiniavecelle.C’estuneperfidepetite...Ilregardaautourdelui,puisfermalabouched’uncoupsec.Lesautreshommesseregardèrent.Edwards’avançatoutprèsdeWhited'unair
menaçant.—Aquid’autrel’avez-vousraconté?— Personne ! Bon sang, mais vous me prenez pour un fou ? Même si je
racontais l’histoire sansparler demoi, tout lemonde saurait que j’y ai tenuunrôle.Jeseraisrayédelamoitiédeslistesd’invitésdelabonnesociété.—Maisvousl'avezmenacée,ditEdwardens’approchant.Cettenuit-là.Vous
l'avezmenacéed’ébruiterl’affaire,etvoilàque...— Ce n’est pas moi ! Je vous en supplie, croyez-moi. Je reconnais l’avoir
séduite,mais jen’avaispas l’intentionde ladéshonorer.Je l’aimais,et j’aicruqu'elleétaitjusteunpeuintrépide.Jen’aijamaisvouluquelasituationenarrivelà!Ilfitungestebrusquedelamainpourmontrerlapièceetleshommesquis’y
trouvaient.—Jevousaipourtantprévenuquesij’entendaisunseulmotsurcettehistoire,
jevousentiendraipourresponsable,repritEdward.—Siquelqu’unparle,jevousprometsquecen’estpasmoi.—Qu’enest-ildevoshôtes?—Jeneleurairienracontédutout.Edwardjetauncoupd’œilpar-dessussonépaule,etaperçutJudequiindiquait
d’unsignedetêtelecoinlepluséloignédelapièce.Edwardvintl'yrejoindre.—Jecroisqu’ilditlavérité,fitJudeàvoixbasse.
—C’estpourtantunsuspecttoutdésigné.—Ilsemblaitsincère,l'autresoir,enévoquantsessentimentspourMarissa,il
estsuffisammentterrifiémaintenantpourdirelavérité.Ilsregardèrentendirectiond’Aidan,quis’approchaitdangereusementdePeter
White.Celui-ciétaitaccroupi,lesmainssurlatête.—Ilest troppeureuxpoursemettredansunesituationqui le feraitentreren
conflitaveccettefamilleetaveclaloi.Whitelâchaunsanglot,etEdwardhaussalesyeuxaucielavantdetraverserla
pièceavecfureur.—Envérité,MrWhite,quevousayezparléounon,masœurnesetrouverait
pasdanscettesituationsivousnevousétiezpasaussimalcomporté.Celui-cilevafurtivementlesyeux.—Jesais.Jesuisnavré.Cen’étaitpascequej’avaisàl’esprit.Jepensaisque
nousserionsdéjàfiancésetheureuxdel’être,àl’heurequ’ilest.—Quittezcetterégionsur-le-champ,etnevousavisezsurtoutpasderevenir.LevisagedePeterWhites’empourpra,maisilacquiesça.Edwardseretourna
etsortitdusalon.Dèsqu’ilsfurenthorsdelamaison,Aidanattrapasonfrèreparlebras.—Commentpouvez-vousêtrecertainqu’ilnes’agissaitpasdelui?Edwardsedégagea.—Judeestsûrquecen’estpaslui.—Pourquoi?—Whiten’auraitpaslestripesdefomenteruncouppareil.—Surlestroishommesquenoussoupçonnons,c’estluiquil’acompromise.Je
devrais retourner de ce pas à l’intérieur pour aller l’étrangler. Il n’a aucunemorale. Bon sang, Marissa n’est même pas la première femme qu’il adévergondée!—C’estunlâche,approuvaJude,maischaquehommeasesfaiblesses,n’êtes-
vouspasd’accord?Illadésiraitcommeunenfantdésireunjouet.Iln’étaitpasavide d’argent.Et à l’heure qu’il est, sa réputation ne tient plus qu’à un fil. Sil’histoires’ébruite,sonnomseracité,àn’enpasdouter.Edwardhochalatête.—Judea raison.Whiten’a rienàgagneretabeaucoupàperdre.Etpuisque
nousavonstouteunesériedecoupablespotentiels...Aidanjuraetmarchad’unpasfurieuxversleschevaux,laissantJudeetEdward
derrière.—Ehbien,grommelaJude.Ilprendçaplutôtbien.—Marissa n’a pas tort. Nous l’avons dorloté depuis que sa bien-aimée est
morte.Quoi qu’il en soit... (Il jeta un regard sombrevers Jude.) ... nous allonsnous rendre dans la propriété des LeMont. J’aimerais que vous retourniez aumanoir.Judeseraidit.IlsouhaitaitvoirLeMontdesespropresyeux.—Necroyez-vouspasquejepourraisvousêtreutileJesuisassezdouépour
cernerlecaractèredesgens.—JepréfèrequeMarissanerestepasseule,aucasoùlapersonnequinousfait
chantervoudrait luifairedumal.Detoutefaçon,celanepeutvousfairequedubien à tous les deux de passer un peu de temps ensemble. Il paraît désormaispresquecertainquevousallezvousmarier.Jude regarda au loin.A l’ouest, vers lemanoir desYork.Dans une heure, il
seraitderetourauprèsdeMarissa.Ilavaitbienplusenvied’êtreprèsd’ellequede voir à quoi ressemblait Charles LeMont. Et puis, qu’espérait-il exactementdécouvrirchezcethomme?Uneressemblanceaveclui-mêmequiluidonneraitdel’espoir?C’étaitridicule.Etpitoyable.Il donnadonc son assentiment et partit pour sa chevauchée en solitaire. Il ne
semblaitplustrèsloind’obtenircequ’ilvoulait–MarissaYorkpourépouse–,pourtant, il n’était plus aussi sûr qu’auparavant que l’histoire aurait une finheureuse.Lefroidavait finipars’installer.Danslesalon,onentendait juste lebruitdu
feusifflantetcrépitant.MarissaétaitseuleavecJude,aprèsunlongdînertenduavecsamère,satanteOphéliaetsoncousinHarry.La baronne les avait rejoints dans le salon,mais elle venait de partir, après
avoirlourdementinsistésursonétatdefatigue.—Non,non!Restezlàtouslesdeux!avait-elleprotesté,mêmesiniMarissa
niJudenes’étaientopposésàsondépart.Elleavaitalorsbâilléàsedécrocherlamâchoire,puiss’étaitenfinéclipséede
lapièce,fermantlaportederrièreelle.Marissasavaitpertinemmentcequesamèreavaitentête.Elleluiavaitannoncé
plustôtdanslajournéequ’unmariageseraitinévitable,etqueMarissaavaittoutintérêtàs’assurerqueJudenechangepasd’avis.«Tusaiscequ’ilteresteàfaire,avait-ellemurmuréenpointantledoigtsur
lacuissedeMarissa.Manifestement.»SamèrevoulaitqueMarissaséduiseJude.Mais pas de chance, Jude ne paraissait pas d’humeur à être séduit.Marissa
l’observaàladérobéeetvitqu’ilétaittoujoursdanslamêmepositionquecinqminutes auparavant.Une cheville posée sur le genou opposé. Le pouce sous lementonetlesdoigtssouslalèvreinférieure.Perdudanssespensées,ilregardaitfixement lefeu,commes’ilnevoyaitplusriendecequi l’entourait. Il tenaitunverre de brandy, et là au moins, les choses avaient évolué. Cinq minutesauparavant,ilétaitencoreplein,etàprésent,ilétaitvide.En dépit des attentes de sa mère,Marissa pensait n’avoir aucun pouvoir de
séduction. Elle avait toujours été séduite. Toute son expérience consistait àacquiescer.Ellerestadoncassise,lesyeuxrivéssurlefeu,àessayerdesereprésenterson
avenir.Maiscelui-cisemblaitimpossibleàprévoir,alorsmêmequeleprésentlamettaitdansuntelétatdeconfusion.Aprèslasemainequivenaitdes’écouler,ellenesavaitabsolumentpassiJude
souhaitait toujours l’épouser, pas plus qu'elle ne savait si elle le voulait pourmari.Ledésirait-elle?Àcettepensée,Marissaeutl’impressionquetouslesmusclesdesoncorpsse
contractaientprogressivement.Elleselevad’unbondpourfairedisparaîtrecettesensation.—Encoreunpeudebrandy?demanda-t-elleensedirigeantàgrandspasvers
latablepourattraperlacarafe.—Volontiers,merci.Quandellesepenchapourleservir,unsourireencoinapparutsurlevisagede
Jude,puiss’évanouitaussitôt.Il reprit cette expression sinistre qu’elle ne lui connaissait pas, et qui lui
donnaitl’impressiondenepasexister.MarissaobservaleslargesdoigtsdeJudeautour du verre, et son cœur se serra. Jude ne la regardait même pas, alorscommentdiableallait-ellel’inciteràlatoucher?— Avez-vous visité des propriétés qui vous plaisaient, cette semaine ?
s’enquit-elleen revenantprécipitammentvers la tablepour se servirunverreàsontour.Jeveuxdire,sivousêtestoujoursàlarecherched’unemaisonàlouer,biensûr.—Peut-être.Oui,ilestpossiblequej’enaietrouvéuneàunpeumoinsd’une
heured’ici.PlusprèsdeGrantham,jecrois.
—C’estuntrèsjoliendroit.Trèsverdoyant.—Eneffet.Etdenouveau, un silencegêné retomba, chacun sirotant sonbrandy, lesyeux
tournésverslefeu.Ilregrettaitdes’êtreproposédel’épouser,elleenétaitcertaine.Marissa sepromenadans lapièce, enbuvantàpetitesgorgéeset en touchant
différents objets, essayant de paraître à son aise. Mais son cœur palpitaitd’incertitude.Savieétaitensuspens,quelquepartentresonpasséetsonavenir,etelleéprouvaitunesensationd’irréalité.Soncorps luiparaissait trop léger,etsonesprit,silointain.—Quesepasse-t-il,moncœur?Marissaterminasonverreetlereposadélicatementavantdebaisserlesyeux
verslui.Pourunefois,elleétaittropfatiguéepourêtrespirituelle.—Jecroisquejesuiscenséevousséduire,maisvousnesemblezpasvraiment
d’humeur.Elleavaitattirésonattention.Judelevalatêteetposalepiedparterre.Peut-
êtreaimait-ilvraimentquandelletenaitdesproposscandaleux.—Jesuispourtant toujoursd’humeuràêtreséduit,dit-il.Quivousasuggéré
cela?Jelèveraimonverreàsasanté.—Mamère.—Ah.Peut-êtrequejem’abstiendraid’enparler,alors.Maisjedevraisfaire
tout mon possible pour contenter ma future belle-mère. Comment vous a-t-elleconseillédeprocéder?—Oh,taisez-vous.N'avez-vouspasremarquéseseffortspeusubtilspournous
laisser seuls ?Elle craint que vous ne regrettiez votre proposition, ditMarissad'unevoixqu'ellevoulutlégère.—Vraiment?Etellepensequevousdevriezmeséduireenmeflattant?—Plutôt...envoussatisfaisant,jecrois.LesyeuxdeJudes'assombrirentetillagratifiad'ungrandsourire.Lecœurde
Marissatambourinadanssapoitrine.Ellesesentitsoudainplussûred’elle.Peut-êtresaurait-ellejouerlesséductrices.—Enmesatisfaisant?demanda-t-ild’unaircaressant.—Peut-être.Sonsourires’élargit.—Venez,luiordonna-t-ilensetapotantlesgenoux.
Marissa sentit une pointe d’appréhension la traverser, mais elle prit soncourageàdeuxmainsets’approchadelui.Elles’arrêtaderrièresonépaule.—Ilestimpossibledemeséduired’ici,Marissa.Ellen’étaitpascertainequ'ildisevrai.Jude,lui,paraissaitcapabledelafaire
succomberdepuisl'autreboutdelapièce.Maissongenouluifaisaitsigne,etsacuisse semblait si accueillante. Il lui serait sans aucun doute plus facile de leséduiredelà.Sansselaisserletempsdechangerd'avis,ellecontournalefauteuilets’assit
sur songenou.Ellenesavaitpascequ'iléprouvait,maisà l’idéedecequ'ellevenaitdefaire,ellesentitunevaguedefrissonsluiparcourirl'échine.Elleétaitassisesurlegenoud’unhomme.Danslebutdel’émoustiller.Tapotant doucement ses pieds l'un contre l’autre, elle ferma les poings et les
posa sur ses jambes. De nouveau, elle ne savait plus que faire.Mais Jude fitdisparaître ses inquiétudes enmettant unemain sur sa hanche et l'autre sur songenoupourl’attirerplusprès.Ellesetintàluipourtrouverl’équilibre,etJudel’entouradesesbraspourla
faire basculer contre son torse. Curieusement, elle n’avait pas du toutl’impression d’être séduisante, dans cette position. Sa joue était pressée contresonépauleetillatenaittropserréepourqu’ellepuissebougeretl'embrasser.—Doucement,murmura-t-il,vousn’avezpasbesoindemeséduire.Marissa se raidit contre lui et regarda sa gorge en fronçant les sourcils.
Pourquoi disait-il qu’elle n’avait pas besoin de le séduire ? Parce qu'elle luiplaisaitdéjàouparcequ’ilnetenaitplusàelle?—Jude...commença-t-elle.Ellesentitsaforceenposantlamainsursontorse,etsoudainsoncœurluifit
mal.Ellevoulait...quelquechosedelui.Maisellenesavaitplusdutoutdequoiils’agissait.—Toutvabien,moncœur,dit-ilenluicaressantledos.Elle sedétenditalorsunpeuetperçut lesbattementsducœurdeJudecontre
sonoreille.—Avez-vouscommencéàlireunnouveauroman?demanda-t-il.Ellehochalatête,confuse.—Racontez-moil’histoire.—Maisquelestlerapportavecnotreconversation?—Iln'yenaaucun.J’aijusteenviedel'entendre.Aprèsquelquessecondesd’hésitation,Marissahaussalesépaulesetselança.
Tandisqu'elleparlait,Judeluicaressaitledosetlebras.Puis,posantlamainsursanuque,illamassadélicatement,endécrivantdepetitscercles.Ilritquandellelui raconta les parties qu'elle trouvait amusantes, et gloussa en entendant lespéripétiesetintriguesquiarrivaientauxcouplesduroman.Sansjamaiscesserdelatoucher.Marissan’avaitpasenviequ’il s’arrête, aussicontinuait-elleàparler.Quand
elleatteignitl'endroitdulivreoùelles’étaitarrêtée,elleinventalasuite.Ellesesentaitensécuritédanssesbras.Chérie.Etcomprise.Celasemblaitsiétrangedeconsidérerunhommecommeunami,etpourtantc’étaitcequ’ilreprésentaitpourelle,etqu'ellerefusaitdeperdre.Quandellesetutenfin,Judepoursuivitseslégèrescaresses.Àcemoment-là,
elledésiraqu’ilssoientmariés,justepourqu’ilspuissentgrimperdansleurlitetrestertranquillementallongéssouslescouvertures,sanstissusempesésoucorsetentreeux.Elleavaitenvied'appuyersamainsursontorsenuetdesentirsapeaucontresajoue.—J’airéfléchi...,commença-t-il.LecœurdeMarissacriadedouleur.Voilà.C’étaitterminé.Ilallaittoutannuler.
Elleretintsarespirationetattenditqu’ilprononcelesmotsfatidiques.— Pensez-vous qu’il serait possible que votre cousin soit derrière cette
histoiredechantage?Ellesortitbrusquementdesarêverie,déconcertée.—Quoi?Quelcousin?—Harry.—Harry!s'exclama-t-elleens’appuyantsursontorsepourseredresser.C’est
absurde.Judehaussaunsourcil.—Vraiment?Ilestaucourantdetoutesvosescapades.—C’estuniquementparcequ’ilesttoujourslà.Ilestcommeunfrèrepourmoi,
jedirais.—Etpourtantiln’estpasvotrefrère.—Ilpassetouslesétésavecnous.Noussommessafamille.Jude l’attira doucement contre lui. Elle se laissa faire, réconfortée par sa
chaleurmalgrésesparolessidéroutantes.Ilposalamainsursoncouetluicaressalanuqueavecsonpouce.—Ilestdoncpresqueunfrèrepourvous,maispastoutàfait.Ilesttoujoursle
bienvenudanslamaisonfamiliale,quipourtantneserajamaissa...
—Ehbien,oùvoulez-vousenvenir?l'interrompitMarissa.—N'avez-vous jamaispenséquecette situationpuisseêtredouloureusepour
lui?J’aiunecertaineexpériencedanscedomaine,voussavez,affirmaJude.Marissa comprit soudain à quoi il faisait allusion. Oui, bien sûr qu’il
connaissaitcettesituation.—Vousvoulezdirequevouséprouviezduressentimentàl’égarddesmembres
devotrefamille?—Non,maïsj’auraispu.EtlamêmechoseestvalablepourHarry.—C’est impossible.Cen’estpas songenre. Il aune immenseaffectionpour
nous.—Trèsbien.C’était justeuneidéequimatraversél'esprit.Jen’aipaspassé
beaucoupdetempsàfairesaconnaissance.Troublée,Marissaobserva lefeu.C’était justeune idée.Que l’onpuisseêtre
membred’unefamillesansvraimentluiappartenir.Pourtant,ilneluiseraitjamaisvenu à l’esprit de ressentir de la compassion pour Harry. Leur en voulait-il ?Sûrementpas.—Cenepeutpasêtrelui!s’écria-t-ellesoudain.Vousavezoubliélatachede
naissance,n'est-cepas?—Ah,oui,c’estvrai.L’affairesembledoncclose.—Oui.Trèsbien.Cenepeutpasêtrelui.— Je ne voulais pas vous contrarier. Harry paraît être quelqu’un de très
agréable.—Oui,ill’estvraiment.—J’essayaisjustederéfléchiràunpotentielcoupable.Ilsseturenttousdeux.Marissarecouvrarapidementsoncalme,apaiséeparles
caresses délicates de Jude. Il avait toujours cet effet-là sur elle. Ses penséesdérivèrentalorsinévitablementverslemariageetcesfiançaillessicompliquées.Il l’embrassa sur le sommet de la tête, et elle éprouva alors une curieuse
sensation.—Pourquoinemelaissez-vouspasvousséduire?chuchota-t-elle.—Jen’aipasbesoind’êtreséduit.—Alorsquemoi,oui?—Jenesaispas,maisvousavezbesoindequelquechose,mabelle.Mon Dieu, c’était vrai. Interdite, Marissa ne put que rire, le visage appuyé
contreson torse.Sielleversaquelques larmespar lamêmeoccasion,personne
n’ensutjamaisrien.PasmêmeJude.
Chapitre16
Le lendemain, les doutes de Jude s’étaient envolés. Oh, il n’était pas pluscertainqu’avantdessentimentsdeMarissaàsonégard.Elles’étaitmontréetrèscâlinesursesgenoux,maisaudépart,c’étaituniquementpours’assurerqu’ilétaittoujoursdisposéàl’épouser.SaseuleconsolationétaitqueMarissasemblaitavoirtoutautantdedifficultésà
décryptercequ’iléprouvaitpourelle,puisqu’ellecroyaitqu’ilétaitnécessairedelui rappeler à quel point elle comptait pour lui. Pour séduire, il fallait aussimontrerunecertainerésistance,après tout.Pourtant, iln’avaitpasdedésirplusprofondquedel’emmenerdanssonlitetdel’ygarder.Il n’était donc pas plus confiant cematin-là,mais il était fatigué de ruminer.
Ellel’aimeraitouellenel’aimeraitpas.Etseslamentationsn’ychangeraientrien.Quantàlajalousie...Juden’avaitjamaiscomprislajalousie.Ilavaittoujours
étéd’avisque leshommes jalouxétaient avideset stupides.Maisdésormais, ilavait une meilleure compréhension de ce sentiment, non pas qu’il l’approuvedavantage.Iln’étaitpasvraimentjalouxducorpsdeMarissa.Ilavaitjusteenviedegardertoutsonplaisiràelle,pourlui-même,mêmeceluiqu'elleavaitressentiparlepassé.—Imbécile,lâcha-t-ilenenfilantsavesteetensortantdelapièce,furieux.N’avait-ilpaspasséunnombreincalculabled’heuresàressentirduplaisirdans
lesbrasd’autresfemmes?EnquoisessentimentspourMarissas’entrouvaient-ilsaffectés?Mêmes’ilavaitdécidédecesserdebroyerdunoir,Juden’étaitpasvraiment
d’humeur plaisante, tandis qu’il se dirigeait à grands pas vers la bibliothèque.EdwardetAidanauraientdûrentrerlaveilleausoir,maisilétait9heuresetiln’avait encore eu aucune nouvelle. Avaient-ils découvert le coupable ? Luiavaient-ilsinfligélapunitionqu’ilméritait?Dieusaitqu’ilauraitaimélesaccompagner.Saufqu’iln’auraitpaspassécette
heuresiagréableavecMarissablottietoutcontrelui.
Judeseréjouitdetrouverlabibliothèquedéserte.Ildemandaàundomestiquedeluiapportersonpetitdéjeuner,seplaçadevantl’unedesfenêtressituéesdansunrecoinetobservalesécuries.Lasalledupetitdéjeunerdonnaituniquementsurune partie de la cour de l’écurie. De la bibliothèque, Jude pourrait surveillerchaquealléeetvenue.Cependant, lapremièrepersonnequ’ilaperçutnes’approchaitpasdumanoir,
maisenpartait.Harrysortitàpaspresséspar l’arrièrede lamaison,unpaquetcoincésouslebras,etdisparutdanslesécuries.Quelquesminutesplustard,ilenressortit, les mains vides, en regardant autour de lui avec une nervosité nondissimulée.Intrigué, Jude vit un jeune garçon sortir des écuries avec un vieux hongre. Il
attachalepaquetderrièrelaselleetsemitenroute.C’étaitétrange.C’étaitétrange.Oh, un homme avait, bien entendu, le droit d’envoyer un courrier. Jude avait
lui-mêmeenvoyéunelettre,seulementdeuxjoursauparavant.MaisHarryavaitunairfranchement...furtif.Dequoi,Harry,toujourssijoyeux,pouvait-ildoncavoirpeur?Un quart d’heure plus tard, Jude était encore en train de réfléchir avec
inquiétudeàlascènequivenaitdeseproduire,quandilvitenfinlesfrèresYorkarriveràcheval.Judesedirigeadroitverslebureauetl’arpentadelongenlarge,enattendantlesdeuxhommes.—Quellessontlesnouvelles?demanda-t-ild’untonhargneux,àpeineEdward
eut-ilfranchilaporte.Celui-cisecoualatête,etJudejura.—CharlesLeMontsembleavoirétéabsentcestroisdernièressemaines.Ilsera
deretourdemain.—Enêtes-vouscertain?Edwardpassaunemaindanssescheveuxébouriffésets’affalasur lefauteuil
derrièresonbureau.—Nousavonsparléàsafemme.LasœurdeCharlesesttombéemaladeàBath
etilestpartiluirendrevisite.Judefronçalessourcils.—Etsonépousenel’apasaccompagné?Voilàquiestsuspect.Aidanentraàsontourdanslebureauetlançasavestesurunechaise.—Elleattendunenfant.Elleenestàquatreoucinqmois,jecrois.C’estune
bellefemme,quisemblaitdésireusedenousaider.
Edwardhochalatête.—Ellem’aparusincère.Jenecroispasquesonmarisoitlecoupable.—Queluiavez-vousraconté?demandaJude,quiavaitrecommencéàarpenter
lapièce.—Je lui aiditque l’undenoschevauxétait en traindemourir,de lamême
maladiequiavaitfrappél’unedesjumentsdesLeMont,ilyadixans,etquenousn’arrivions pas à nous souvenir du traitement administré par l'ancien maîtred’écurie.Aidanleurservitàtouslestroisunverredebrandy,avantdes'avachirsurle
canapé.Judeneparvenaitpasàrestertranquille.—Pourl'amourduciel,pourquoiavez-vousmistantdetemps?demanda-t-il
ens’approchantdelafenêtreetenregardantdehorsd'unairfurieux.—Nousavonsdûtrouveruneaubergesurlecheminduretour,carils’estmisà
pleuvoir, grommela Edward. Rappelez-moi de ne plus jamais partager unechambreavecAidan.Ilronflecommeunelocomotive.—C’étaitvous,monvieux,rétorquaAidan,quividasonverred’untraitavant
de se tourner vers Jude. Qu’est-ce qui vous a mis dans une humeur aussiexécrable?Fairelacournevousréussitpas?Sansrépondre,Judes’adressaàEdward.—LecoupableseraitdoncFitzwilliamHess?—Touslesgensquenousavonsinterrogésnousont indiquéqu’ilétaitsur le
continentdepuisledébutdelaSaison.—Peut-êtrea-t-ilbesoind’argent?Edwardhaussalesépaules.—Ilauraitsûrementprispourcibleunefamilleplusaiséequelanôtre.— Serait-ce possible qu’il renfloue ses caisses de cette façon ? De l'avis
général,c’estunbonàrien.—Unrichebonàrien,intervintAidan.J’aieuaffaireàcertainesdessociétés
quigèrentsesinvestissements.Iln’anulbesoindefairechanterquiquecesoit,ilalargementdequoifinancersonmodedevie.Jevousdisquec’estWhite!—Toutn'estpas toutnoirou toutblanc, répondit Jude. J’aipassémavie au
contact d’hommes qui s’employaient à la transgression d’unemanière ou d’uneautre.Jepensequelescapricesdecemondemesontplusfamiliersqu’àvous.Edwardlevalesyeuxverslui.—Maispeut-êtreAidanetmoiavons-nousunemeilleurecompréhensiondece
qu’estl’honneurchezlesgentlemen.
Ilprononçacesparolesd’unefaçondésinvolte,commes'ilnes’agissaitpaslemoinsdumonded’uneinsulte.Judenesedonnapaslapeinederelever.Illuiétaitimpossibledenierqu’ilétaitunbâtard.Le silence se prolongea. Jude envisagea un instant de leur faire part de ses
soupçonsconcernantHarry,maisilseravisa.Iln'avaitpasl'ombred’unepreuve,etMarissaavait raison.Harrysemblaitêtreunhommebonaucaractèresimple.Judetiendraitsalangue,maisgarderaitl'œilouvert.—MisàpartWhite,quinousreste-t-il?demandaJude,l’airpensif.L’undes
hommesqueMarissaaconnusaurait-ilparlé?Àunami,peut-être?Aidans’éclaircitlavoixcommes’ilétaitsoulagédechangerdesujet.—Ouàuneautreconquête,plusrécente?—Drôledeconfidencesurl'oreiller,fitremarquerJude.—J'aientenduplusétrangeencore.Iln'avaitpastort.Leshommesparlaientavecleursmaîtresses.—C’estvrai,murmura-t-il.Pasuneépouse,maisuneconquête.Ilsemitàréfléchir.PeterWhiteavaitparusincèrementcontrit,pournepasdire
terrifié.Parailleurs, Juden’avaitpasentendude rumeurs liantcedernieràuneautre femme que Marissa, ces derniers temps. Peut-être Harry en saurait-ildavantage.QuantàCharlesLeMont,iln'auraitsudires’ilavaitounonunemaîtresse.Mais
FitzwilliamHess...Unecraintelefitsoudainsursauter.—BonDieu.Etqu’enest-ildeMrsWellingsly?—Ehbien,quevoulez-vousdire?s'enquitprudemmentAidan.—N'a-t-ellepaseuuneliaisonavecHess,l'annéedernière?—Pasquejesache,maiscelasembleassezplausible.Jenevoiscependantpas
pourquoivouslasoupçonneriez.Elleahéritédeprèsdelamoitiédelafortunedeson mari. Elle n’a nullement besoin d’argent, et je ne peux pas croire qu’elleagiraitainsijustepourmepunir.Judesetournadenouveauverslafenêtre.—Non,maispeut-êtrevoudrait-ellemepunir,moi.Malgré sa faible intensité, la voix de Marissa se fit entendre dans toute la
pièce.—Pourquoivoudrait-ellevouspunir?Judeseretourna,saisidefrayeur.Marissasetenaitsurleseuil,sonvisagefigé
coïncidantparfaitementavecsontonmonocorde.—Vousm’avezditnejamaisavoirpasséneserait-cequ'unmomentseulavec
elle.—Je...,commença-t-ilenlevantunemain.—Vousm’avezmenti!—Jenevousaipasmenti,Marissa,jevouslejure.Elle...Iljetauncoupd’œilimplorantàAidan,maiscelui-cisourit,sansfaireungeste
pourluivenirenaide.Damnation!JudenepouvaittoutdemêmepasréprimanderAidandevantsasœur.Marissaavaitàprésentlesyeuxbrillantsdelarmes.—Ecoutez,ditJudesuppliantalorsqu'elles’apprêtaitàpartir.(Elles’arrêta,
sanstoutefoisleregarder.)L’autresoir,PatienceWellingslyaavouéavoirdes...sentimentsàmonégard.—L’autresoir?demandasèchementMarissa.Jude leva les yeux au plafond,mais cela ne l’aida pas plus que de regarder
AidanYork.— Elle a laissé entendre qu'elle était amoureuse de quelqu’un. Peut-être de
moi.—Jevois.A-t-elleétéenvoûtéeparvosbaisers?Marissacriaitpresque,ets’iln’avaitétéaussipaniqué,Judeauraitappréciéle
spectacle. Sa jalousie était pourtant bon signe, se rassura-t-il, tant queMarissan'enperdaitpaslaraison.—Jevousaidéjàditquejenel’avaisjamaisembrassée.—Maiscelan'apasdesens.(Ellepointaundoigtdanssadirection.)Comment
pourrait-ellevousaimer,alors?Ils’étaitavancéd'unpasverselle,maisils’arrêtanetàcesmots.—Comment?—Sivousnel’avezmêmepastouchée,pourquoitomberait-elleamoureusede
vous?C’était bien plus qu’une question. C’était une insulte qu'elle lui lançait en
pleinefigure.— Vous ne pouvez envisager qu’une femme puisse m'aimer pour une autre
raison?—Commentpourrais-jelesavoir?Lesilencesefitsoudain.—Marissa,intervintenfinEdwardd’untoncalme.
Ellehaussalessourcilsdansunbrefinstantdeconfusion,avantquesacolèrereprenneledessus.—Vousm’avezditqu’iln’yavaitabsolumentrienentrevousetcettefemme,et
voilàquejedécouvrequ'elleestpeut-êtreamoureusedevous.Judeavaitbeauavoirdécidéqu’ilnebroieraitpasdunoircejour-là,illuiétait
difficile de s’y tenir alors qu’il avait l’impression d’avoir reçu un coup depoignard dans le cœur. Il se détourna de la femme qui l’avait blessé sicruellementetdéclaraàEdwardYork:—Jevaisallerluirendrevisite.Ilyapeudeprobabilitésqu’ils’agissed’elle,
maismieuxvautenavoirlecœurnet.IlentenditMarissaprononcerdoucementsonnomquandilpassadevantelle,et
sentitqu'elleluieffleuraitlamain,maisilnes’arrêtapas.Qu'elles’inquiètedoncde ce qu’il pensait d’elle ; il avait passé suffisamment de temps à en faire demêmeàsonsujet.Ellene l’estimaitpasdigned’affection,etses frères leconsidéraient tropvil
pour comprendre l’honneur. Il avait toujours aimé la maison des York, mais àprésent,iln’avaitqu’uneseuleenvie:s’enéchapperpourquelquesheures.
Chapitre17
ToujoursfurieuxcontreMarissa,JudemarchaitdelongenlargedanslesalondesWellingsly.Elleluiavaitfaitl'affrontdeconsidérerqu’iln’étaitbonquepourleplaisirphysique.Maisdequeldroitsemettait-ilencolère?Toutsonplanconsistaitàlaséduire
pour qu’elle finisse par l’aimer.Oui, il avait aussi espéré qu’ils deviendraientamis, mais la séduction... c’était l’essence même de son plan. Alors pourquois’offusquait-iltantqu’elleaitmisledoigtdessus?Ilneparvenaitpasàapaisersacolère.Desurcroît,ilétaitdésormaispresque
convaincu que PatienceWellingsly était derrière cette histoire de chantage. Luiavait-il envoyé des signes sans s’en rendre compte, alors qu’il pensait qu’ilsflirtaient simplement ensemble ? Mais elle avait la réputation de tomberrapidementamoureuse,etpeut-êtreaurait-ildûsemontrerplusprudent.—Bonsang,murmura-t-ilensepassantunemaindanslescheveux.Ils’étaitmisàpleuvoirpendantsachevauchéeverslapropriétédesWellingsly,
cequin’avaitrienfaitpourégayersonhumeur.— Mr Bertrand, dit Patience Wellingsly en entrant dans la pièce, un grand
sourireauxlèvres.Quelplaisirdevousvoir.—MrsWellingsly.Ils’inclinapoliment,maislabrutalitéquiperçaitdanssavoixétaitclairement
perceptible.Elles’apprêtaità tendre lesmainsvers lui,commepours’emparerdessiennesoupour l’enlacer,maisquandellecroisasonregard,elle les laissaretomber.Sonsourires’effaça.—Quesepasse-t-il?—Jesuisvenum’entreteniravecvousd’uneaffairedélicate.Pendantune fractionde seconde, sesyeuxbrillèrent et sonvisage s’éclaircit,
pleind’espoir,maiselleseressaisitetsecoualégèrementlatête.—Jevois.Uneaffairedélicateetdéplaisante?
—Voussavezdoncpourquoijesuisici?—Jen’enaipaslamoindreidée,répondit-elleavantdeselaisserchoiravec
grâcesurunfauteuil.Toutcequ’elle faisait était toujoursempreintdecetteéléganceparfaite. Jude
s’assitenfaced’elleetseraclalagorge.—L’autresoir,j’aieulesentimentquevousétiezsurlepointdemeconfesser
quelquechose.Metrompais-je?Elledéglutitets’efforçadesourireaimablement.—Jenevoispasquelrapportcelapourraitavoiraveccedontvousvoulezme
parler.Comment parviendrait-il à savoir ce qu'elle lui cachait ? Il la connaissait à
peine.Estimantqu’iln’avaitpasgrand-choseàperdre,Judeluidonnauneversionlégèrementédulcoréedelavérité.—J’aireçuunelettretrèsdérangeante.Unelettreanonyme.Jemedemandaissi
ellevenaitdevous.—Moi?s’exclama-t-elle.Dequelgenredemessages’agit-il?—C’était...CettelettreaétéécritedanslebutdenuireàmarelationavecMiss
York.—Etvouspensezquejepourraissouhaiterunetellechose?— Au bal, vous avez laissé entendre que vous éprouviez une certaine...
affectionpourmoi,sijenem’abuse.Ellel’observa,levisagepétrifié,lesyeuxbrillants.Judetressaillitenvoyantladouleurdanssonregard,maisilnefléchitpas.—Avez-vousenvoyécettelettre?—Non,répondit-elleenleregardantdroitdanslesyeux,sanstrembler.Ilinclinalatête,maisn’ajoutarien.Commeils’yattendait,lesilencefutvite
insupportableàsoninterlocutrice.—C’étaitbiendevous...aubal,c’étaitbiendevousquejeparlais.Maisce
n’était pas... (Elle déglutit avec difficulté, puis posa ses mains agitées sur sesgenoux.)Jecroyaisquej’étaisentraindetomberamoureusedevous.Mêmes’ilétaitvenuchezellepourobteniruneréponseàcettequestion,Jude
ressentitunchocenentendantcesparolesquil’ébranlèrentauplusprofonddelui-même.—Patience...—Neditesrien,l’interrompit-elle.Aprèsnotrediscussionpendantlebal,j’ai
prisconsciencequej’avaisjetémondévolusurvousdefaçoninjustifiée.Jemesensseule,MrBertrand.Etvousêtesunhommeséduisant. Ilyaquelquechosechezvous...Judesentituneboufféedechaleur intempestiveluimonterauvisage.Ilsavait
qu’ilrougissait,etnepouvaitrienfairepourl’empêcher.—Ilyaquelquechosechezvousquimefascine.Jevousvoulaistellementque
j’aimêmepoursuiviAidandemesardeurs,dansl’espoirdevousrendrejaloux.Juderestabouchebée,maiselledétenditalorsl’atmosphèreparunpetitrire.—Nonpasqu’ilmanquedecharme.—Jene...Jesuisdésolé.Jenesaispasquoidire.— Vous n’avez pas besoin de dire quoi que ce soit. Je suis une veuve de
quaranteans.J’aibeauêtreparfoisaussistupidequ'unejeunefille,aumoinssuis-jeassezclairvoyantepourm'enrendrecompte.Etvousaviezraison.Si jeveuxvraiment trouver l'amour, je dois cesser dem'enticher ainsi à tout-va. Il existesûrementquelqu’unpourmoi.Peut-êtreunhommequiadéjàeudesenfantsetquecelanedérangerapasd’avoiruneépousestérile.—Patience,fit-il.Vouscomptezparmilesplusbellesfemmesquejeconnaisse.
Ilestfaciledevousaimer.Etpensez-vousvraimentquej’aimeraismoinsMarissasiellenepouvaitpasavoird’enfants?—Neserait-cepaslecas?JudenesouhaitaitpasenrévélertropsursessentimentspourMarissa,maisil
connaissaitdéjàlaréponseàcettequestion.—Absolumentpas.Etsivousavezunepiètreopiniondevousàcausedecela,
vousvousdénigrezinjustement,madame.—Ce n'est rien, dit-elle en acceptant lemouchoir que Jude lui tendait pour
sécher ses larmes. Je suis sincèrement désolée de vous avoir mis dans unepositiondélicate,MrBertrand. Jevousprometsque je nevous souhaite que lemeilleur,àvousetàMissYork.Illacroyait.Oh,peut-êtreétait-cestupide,maisJuden’avaitaucuneraisonde
nepaslacroire.SielledésiraitvraimentsemettreentreluietMarissa,elleluiauraitaumoinsavouéqu'ellel'aimait.Sitelavaitétélecas,qu'auraitditJude?EntendrePatiencereconnaîtrequ'elle
était attirée par lui l’avait rempli d’un étrange mélange de gratitude et de...malaise ?Non, il s’agissait dequelquechosedeplus fort.Après avoir fait sesadieuxàPatience,Judequittalemanoird’unpaslourd.Ellen’étaitpaslapremièreàreconnaîtreéprouverunecurieuseattirancepour
lui.Bon sang,Marissa elle-même lui avait dit presque lamême chose. Il avaitprofitédecetavantage,avecelleetavecd’autres.Ilétaitétrangementséduisant,etcelanel'avaitjamaisdérangé.Ilavaitacceptécelacommesondû.Jude n’était plus qu’à une dizaine de pas de son cheval quand il s’arrêta
soudain.Sondû.Saplace.Lerôlequ’iltenaitdanscemondedegenspolisetderéalités
impolies.Sonestomacsenoua tandisqueJudeprenait soudainconscienced’unevérité
insupportable:ilnesesentaitpasl’égaldetouscesgens.—Jesuissûrquetouts’estbienpassé.MarissalevalesyeuxdesabroderieetvitqueHarrys’étaitassisprèsd’elle,
sansqu’elleleremarque.—Pardon?—Judevabientôtreveniravecdebonnesnouvelles,j’ensuispersuadé.—Vraiment?soupiraMarissa.Rienneluisemblaitmoinscertain.D’ailleurs,elleétaitmêmepresquesûreque
si Jude revenait,ceseraitavecd’horriblesnouvelles. Il leurdiraitd’abordqueMrs Wellingsly n’était pas le maître chanteur, puis qu’il s’était rendu comptecombienilétaitagréabled’êtreprèsd’unebellefemmequil'aimaitsincèrement.Plus Marissa y réfléchissait, plus cela lui paraissait évident. Quel homme nevoudrait pas de cela ?Quel hommepréférerait une fille puérile qui l’accablaitd’injuresetseservaitdeluiàdesfinségoïstes?Marissaclignadesyeuxpourrefoulerseslarmes.—Merci,Harry.— Vous avez... si vous me permettez de vous dire les choses franchement,
cousine,vousavezuneminehorrible.Ellenesedonnamêmepaslapeinedeprendreunairoffensé.Harryn’étaitpas
aussiproched’ellequ’un frère,maiscertainementautantqu’un... ehbien,qu’uncousin.Lelienquiexistaitentreluietsesfrèresétaitplusfortcarilsétaientallésàl’écoleensemble,toutefoisaufildesétés,elleavaitapprisànager,àmonteràchevaletàtricherauxcartesaveclui.—Vousnedevriezpasvousinquiéterainsi,poursuivit-il.Nousallonsprendre
soindevous.—Merci,Harry.
Elle ledévisageapendantunmoment, tentantdesereprésenter l’hommequ’ilétait, et pas seulement le cousin. Mais il lui paraissait impénétrable. Un vraigentlemandelahautesociété,intéresséuniquementparleschevauxet...oui,aussiunpeuparl’élevagedemoutons,maispasparlapolitique.Ellen’avait jamaisvraiment réfléchiàsonsujet. Ilavait simplement toujours
faitpartiedesavie.MaisJudeavaitcommencéàluiapprendreàvoirau-delàdesapparences,nonqu’ellesembleavoirtrèsbienretenulaleçon.—Puis-jevousdemanderquelquechose,Harry?—Biensûr.—Vous est-il arrivédevous sentir... seul ?Enpassant autant de temps chez
nous?Perplexe,Harrysecoualatête.—Quevoulez-vousdire?—Ehbien,entrel’écoleetletempsquevouspassiezici...—Mon Dieu, non. C’était un soulagement. Ma mère est si grincheuse que,
aujourd’huiencore,j’aidumalàsupporterdepasserdutempschezelle.Etjenemesouvienspasdemonpère,j’étaissijeunequandilestmort.Votrepèreaétébienplusqu’unonclepourmoi.C’étaitquelqu’undemerveilleux.C’était vrai. Son père était un homme tranquille, dénué de l’acrimonie de sa
sœur.Ilétaittoujoursprêtàs’amuserdescapricesdesafemmeetdesesenfants.—Vousm'envoyezheureuse.Vousêtessibonacteurquejemesuisdemandési
vousnefaisiezpasseulementsemblantd’êtreheureuxavecnous.—Absolumentpas.Votrefamilleestlaseulequej’aiejamaisvraimentconnue.Marissalançauncoupd’œilàsonpetitcoussinetsongeaque,deuxsemaines
auparavant,elleavait taquinéJudeen luiparlantdesabroderie.Qui,celaétantdit,avançaitplutôtbien.End’autrescirconstances,ellel’auraitracontéàJudeetilsauraientriensemble.Elleluiauraitparlédesonpère,quiétaitmortseptansauparavant.Maiscematin-là,elleavaitdénigrél’amitiédeJude,laluiavaitjetéeàlafigureaussisûrementquesiellel’avaitgiflé.—Merci,dit-elleenfin.Harryseraclalagorge.—JecroisqueMrsSamuelessaiedemeconvaincred’épousersafilleousa
nièce.Sortantdesespensées,Marissas’enquit:—Vraiment?Laquelle?— Je pense que cela lui est égal. Elle estime que toutes deux attendent le
mariagedepuissuffisammentlongtemps.Ehbien, il fallait reconnaîtrequeMrsSamuelavait lesenspratique,àdéfaut
d’autre chose.Beth lui avait confié que le seul objectif de samère était de lesvoir,elleetsacousine,semarier,afinqu’ellesaientquelqu’unpourprendresoind’ellessiellevenaitàretombermalade.—Et...avez-vousunepréférence?—Jen’yaipasvraimentréfléchi.MissNanetteSamuelsembleavoirunsacré
caractère.Jenesuispassûrqu'ellefasseuneépouseidéale.Marissa ne savait pas si elle devait fonder des espoirs pour Beth, ou
s'offusquerqueHarryabordelesujetavectantdefroideur.Aprèstout,songea-t-elle,lesmariagesétaientgénéralementarrangésainsi.—Bethestmonamielapluschère.C’estunepersonneexceptionnelle.— Oui, elle est plutôt gentille, n’est-ce pas ? Je pense que je devrais y
réfléchir.Elleestpudiqueetséduisante,etjecroisquenousirionsbienensemble.Marissahochalatête,gênéeparl’étrangetédelasituation.—Nesouhaitez-vouspastrouverl’amour,Harry?— Je suis certain que nous finirons par nous aimer. Je sais que d’ordinaire,
notrefamilleabordeceschoses-làavecunpeuplusdefougue,mais jesupposequejenesuistoutsimplementpasd’unenaturepassionnée.Marissaneputretenirunsourire.—C'estétrange,sil'onencroitvostalentsd’acteur.Queldommagequevous
soyez né dans un milieu si respectable, sans quoi vous auriez pu écumer lesplanchesàLondres.Untressaillementagitasonvisage.—J’auraisbienaimé,jecrois.J’avouemesentirparfoisunpeuinutile.—Pourquoidonc?—Edwarddétient toutes les responsabilités liées à son titre.Aidanpossède
une société importante. Quant à moi je... je suis seulement un divertissementagréable.J’aitoujoursappréciémesséjoursici,commejevousledisais,maisjesongeparfoisquej’auraisdûmerendreutileendevenantpasteur.—Vraiment?Bontédivine,jen’arrivepasàvousvoirenpasteur.Ileutunsourirefurtif.—L'idée plaisait beaucoup àmère. J'aurais sans doute pu rendre les choses
assezvivantes.— Ce qui est certain, c’est que vos sermons auraient été animés ! Je vous
imaginetoutàfaitillustrertouteslesparabolesavecdesscènesdeShakespeare.—Vousavezraison!Peut-êtreest-ilencoretempsd’entrerdanslesordres.Marissasemitàrire,puispritsamainentrelessiennes.—Jecomprendscequevousvoulezdire,Harry.J’airessenti lamêmechose
quevous.Après tout,quepuis-jefairedemavieàpartmemarier?Maisvousêtesungentleman.Vousavezunerente.Vouspouvezfairecequebonvoussemble,voussavez.—Maisquepourrais-jefaire?Ellehaussalesépaules.—Voyagerautourdumonde.PartirenAfrique.Visiter l’Orient.Vousavez la
viedevantvous.Personnenevousforceàdemeurerici.—Non,jesupposequejerestesimplementparcequejesuisbien.L'Afrique,
hein?(Ilparutréfléchiràcetteéventualitéunmoment,puissecoualatête.)Non,j’aimetropcettefamille, jecrois,sansparlerduconfortde l’Angleterre.Etquidivertiraitvotremèresijepartais?—Jepensequ’elleestcapabledesedivertirelle-même.Ils pouffèrent à cette idée, mais s’interrompirent subitement en voyant Jude
entrerdanslesalonavecunvisagedemarbre,lescheveuxébouriffésparlevent.Glacéepar le regarddeJude,Marissase leva, laissant tombersoncoussinà
sespieds.—Cen’étaitpaselle,dit-ilsimplement,avantdefairedemi-touretdesortir.Cefuttout.«Cen’étaitpaselle.»Pasunmotdeplus.MrsWellingslyl'aimait-
elle réellement?Commentsavait-ilqu'ellen’étaitpascoupable?Ques’était-ilpassé quand cette femme s’était enfin retrouvée seule avec lui ? Ses questionsdemeurèrentsansréponse.Elle fut soudain assaillie par toutes les images épouvantables qui lui avaient
traversé l’espritpendant la journée. Judeparlant enprivéavecMrsWellingsly.Lui,trèsferme.Elle,défaillantsurlui.Etensuite?MarissamarchaàgrandesenjambéesverslaportepourforcerJudeàrépondre
àsesquestions,maisiln’étaitpasdanslecouloir.Ellelevalesyeuxjusteàtempspourvoirsonombredisparaîtreàl’angle,en
hautdel’escalier,etlasuivitsanshésitation.PatienceWellingslyétaitunebeautédélicateauxmanièresraffinéesetauxyeux
brillantsd’intelligence.Ellen’auraitjamaisditàJudequ’ilétaitlaidnin’auraitinsultésoncharme,puisqu’elleledésirait.Non,ellefaisaitpartiedecesfemmesqui savaient flatter l’ego des hommes.Marissa n’avait jamais su faire ce qu’il
fallait pour qu’ils se sentent importants, virils et valorisés. Elle savait éveillerleur désir, mais qu’en était-il de l’amour ? Il s’agissait de deux chosescomplètementdifférentes.Patience Wellingsly, elle, ressemblait à une princesse de contes de fées en
détresse,etJudeavaitdéjàrévélésonaptitudeàjouerlerôleduvaillanthéros.Malade d’angoisse,Marissa gravit l’escalier à toute vitesse, en direction de
l’ailesuddumanoir.Elle se rua vers la chambre de Jude, sans avoir à se préoccuper des autres
invités. Seuls Jude etHarry couchaient à cet étage, bien qu’il y ait toujours lerisquequ’undomestiqueparle.Maispourl’heure,Marissan’avaitquefairedecegenredepetitscommérages.Une fois devant la porte, elle frappa. Puis, trop impatiente pour attendre une
réponse,elleouvritd’ungestethéâtral.Judelevalesyeuxverselle.Ilétaitentrainderetirersesboutonsdemanchette,
et avait déjà ôté sa veste et sa cravate. Il n'était plus qu’un homme en culotted’équitation,bottesetchemise. Ilaffichaituneexpressionmauvaise.Marissaneputs’empêcherd’arrêtersacoursefollepourl’observer.— Vos autres invités doivent vous manquer si vous en êtes réduite à me
reluquer,moi.Elle le regarda fixement encore un instant, puis entra dans la chambre et
refermalaportederrièreelle.—Jeveuxsavoircequis’estpasséavecMrsWellingsly.—J’ensuiscertain.Ellelevalementon.—L’avez-vousvue?—Biensûrquejel’aivue.Ilposasonsecondboutondemanchettesurlebuffetetsortitsachemisedesa
culotte,cequidétournal’attentiondeMarissapendantunmoment.—Ehbien?Qu’a-t-elledit?—Elleaditquecen’étaitpaselle.Elleressentitcommeuncoupdepoignardàl’idéequ’ilaittrahisaconfiance.—Vousluiavezracontélavérité?—Non.—Alorscomment...?Judepassasachemiseau-dessusdesatêted’ungestebrusquequiprovoquaun
brefmouvementd’airsurlevisagedeMarissa.Ellesentitflotterjusqu’àellelatouche épicée caractéristique d’un savon masculin, mélangée à une odeur detranspirationetdechevalcauséeparsalonguecavalcade.—Jeluiaiditquej’avaisreçuunelettreétrangeetquejevoulaissavoirsielle
enétaitl’auteur.Maintenant,sivousvoulezbienm’excuser,MissYork,j’aimeraismelaver.«MissYork.»Cesmotsluifirentétrangementmal.Ilvenaitdelacongédier.Ilseretournapourverserdansunebassinedel’eau
qui se trouvait dans l’aiguière, comme s’il était seul. L’eau devait être glacée,pourtantilyplongeaunlingequ’ilfrottaensuitecontreunpaindesavon.—Jenecomprendspaspourquoivouslacroyezjusteparcequ’elleaffirmeque
cen’estpaselle.— Parce que nous avons parlé d’autres choses, qui laissent penser qu’elle
disaittoutelavérité.Denouveaul’angoissesubmergeaMarissa.Maistandisqu'elleobservaitJude
passersonlingesavonneuxsursoncouetsonvisage,puissursontorseetsouslesbras, une certaine excitation vint se mêler à sa peur. Elle sentit son sexe secontracteràlavuedel’eauquiruisselaitsurlecorpsdeJude.Comme il était curieux d’être spectatrice de cette scène : Jude effectuant les
mêmesmouvements qu’elle quand elle se lavait. C’était une activité si terre àterre,etpourtantelleleregardaitavecfascinationsavonnersontorseathlétiqueetsesbrasmusclés.L’eaulaiteusedégoulinaitlelongdesonventre,danslespoilsquidescendaientjusqu’àsataille.C’était la première fois qu’elle le voyait aussi dénudé, et il lui semblait si...
différent.Largelàoùellenel’étaitpas,etminceauxendroitsoùsoncorpsavaitdes formes. Son dos formait un V fascinant, puis devenait droit au niveau deshanches.Marissa entendit sa propre respiration s’accélérer. Il plongea de nouveau le
lingedanslabassineetserinçaavecl’eaupropre.— Est-ce qu'elle vous aime ? lâcha Marissa, alors qu’il s’apprêtait à
déboutonnersaculotted’équitation,sanslaregarder.Il lui jeta un coup d’œil et laissa retomber sesmains. Elle pensa qu’il était
pudique,mais ils’assitalorssurunechaiseetcommençaàretirersesbottes.Iln’étaitpaspudique.Ilavaitjusteoubliéseschaussures.—Sansdoutepas.Marissaserralespoings.
—Pourquoi vous sentez-vous obligé de parler de façon aussi exaspérante ?Qu’est-cequecelaveutdire?Et pourquoi êtes-vous aussi froid ? Elle se retint de poser la question. Elle
savaitpourquoi.Elleavaitseulementenviedesavoirsic’étaitpermanent.Quellequestionstupide.Pensez-vousquevousallezresterlongtempsencolèrecontremoi?Judelaregardafixementenretirantsasecondebotte,puisseschaussettes.La
vue de ses pieds la fit sursauter. Ils étaient très larges. Parfaitementproportionnelsàsoncorps,sansdoute–elleneleuravaitjamaisprêtéattentionauparavant.Maisdésormais,nus,ilsétaientgrandsetforts,etilyavaitmêmedespoilssursesorteils.Ellerefrénal’enviederetirersachaussureetdeplacersonproprepiedàcôté.Ilparaîtraitsiminuscule.Elle se força à détourner le regard de ce spectacle et se rendit compte qu’il
avait toujours les yeux rivés sur elle. Sans ciller, Jude se leva et commença àdéfairelesboutonsdesonpantalon.— Mrs Wellingsly et moi-même nous sommes assis ensemble. (Premier
bouton.) Je lui ai demandé ce qu’elle avait voulu dire lors de notre dernièreconversation.(Deuxièmebouton.)Àproposdel’amour.(Troisièmebouton.)Il se tourna pour être face à la bassine, puis fit descendre sa culotte
d’équitation. Marissa ne put retenir un hoquet de surprise. Il l’avait sûremententendue,maisilneluiaccordapasunregard.Iltenditsimplementlebrasverslelinge.Commes’iln’étaitpasnu.Commesicen’étaitpaslapremièrefoisqu’ellevoyaitunhommenu.Il pivota légèrement et, les yeux écarquillés, Marissa regarda fixement ses
fesses.Mettantlamaindevantsabouchepourétoufferd’autreséventuelsbruitsdesurprise,elleledévoradesyeux.Elleavaitl’impressiondevoirdeuxcollinesdemuscles, avec de légères fossettes qui se creusaient sur les côtés quand ilbougeait.Sapeauétaitsilisseetpâle,comparéeaurestedesoncorps.L’enviedele toucher la démangea.De les laisser courir le long de sa colonne vertébrale,jusqu’à ses fesses. Puis de continuer, le long de ses cuisses qui saillaient versl’extérieur,puissantes,etsecouvraientdepoils.Marissa regarda l’eau dégouliner sur les cuisses de l’homme, avant de
serpenter autour de sesmollets, puis de goutter sur le tapis. L’odeur épicée dusavonsefitpluslourdedansl’airetl’enveloppa,l’étourdissantlégèrement.Ilattrapauneservietteetlaplaçasoussespiedspouréviterd’inonderlesol.
Distraite par la serviette, Marissa mit quelques instants avant de prendreconscience qu’il s’était tourné vers elle. En le voyant de face, elle pressa ses
doigtssifortcontresabouchequ’ilss’engourdirent.Jusqu’à ce jour, elle avait seulement jeté quelques coups d’œil furtifs à des
hommesdansl’obscurité.Elleavaituneconnaissancerudimentairedel’aspectetdufonctionnementdeleurcorps,celas’arrêtaitlà.Maisàprésent,ellevoyaitlavirilitédeJudedanstoute...sasplendeur.Savergependait,longueetépaisse,d’unecouleurplusrougeâtrequ'ellenese
l’était imaginé.Autour, ses testicules, rondset fermes. Ilavaitdéjàdûse laver,car la toison sombre entourant son membre était humide, et sa peau luisante.Tandis qu'elle le contemplait, le sexe se raidit devant ses yeux. Elle inspiraprofondément,tentantd’apaiserlespalpitationsdesoncœur.— Lors de notre conversation, poursuivit-il comme si de rien n’était, Mrs
Wellingslyareconnuqu’elleavaitenvisagélapossibilitédetomberamoureusedemoi.Cesparolesétaientsansdoutelesseulesquiauraientpuluifairedétournerles
yeuxdelavirilitédeJude.Ellelevalatêteverssonvisage,etfutfrappéeparlafroideurbrutalequiselisaitdanssonregard.—Vraiment?— Oui, répondit-il en s’essuyant lentement le torse avec la serviette. Elle
m’admireetmedésire.Choquée,Marissaeutsoudainl’estomacretourné.—Mais elle s’est rendu compte qu’elle nem’aimait pas. Pas vraiment.Elle
aimeseulementl’idéed’êtreamoureusedemoi.Le soulagement envahitMarissa,mais brusquement, une autre peur s’empara
d’elle.Venait-ildepenseràPatienceWellingsly?Aprèstout,commentpourrait-ils’enempêcher?Unesibellefemme,quivenaitde luiavouersonadmirationetsondésirpourlui...Ildevaitsedemandercequecelaferaitd’acceptercequ'elleluiproposait.Ildevaitsel’imaginer...PendantqueMarissa se tourmentait ainsi, Jude avait terminé sa toilette. Il se
rinçaunedernièrefois,puisattrapaunautredrapdelin.—MrsWellingslyvousenvoiesesmeilleursvœux,àpropos.Elleadéclarése
réjouirdenotreunion.Jecroisqu’elleétaitsincère.Ilne laquittaitpasdesyeuxens’essuyant, tandisqueMarissapromenait son
regardsursanudité,tentantdes’enimprégner,remarquantlafaçondontsonsexegrossissaitetsedressaitdansuneexcitationimpatiente.Commequandelleavaittouchésontorse.Quandellel’avaitembrassé,assiseàcalifourchonsurlui.Illadésiraitencore.Mêmequandilétaitencolèrecontreelle.Etellevoulait
obtenirdavantagedelui.—Alorsoui,ditJude,jel’aicrue.Etsivousvousdemandezsijel’aitouchée,
laréponseestnon.—Je...(Elleseforçaàleverlesyeux,etvitquel’émotionavaitassombrison
regard,désormaisimpénétrable.)Jecraignaisseulementque...—Mais vous,Marissa, je vais vous toucher, tout de suite, si vous ne partez
pas.—Quoi?Elle prit une profonde inspiration, tandis qu’une légère appréhension faisait
frémirsoncorpsexcité.— Je vais vous possédermaintenant etmettre fin à cette farce ridicule entre
nous.Etnousallonsnousmarier.Comprenezcela.Sijevouspossède,ilyauraunmariage.Elleparcourutsoncorpsdesyeux,sentantlapeuraccentuersonexcitation.Illa
posséderait.Siellelelaissaitfaire.Ill’allongeraitsurlelitetétendraitsoncorpsnusurlesien,puisilseglisseraitentresesjambeset...— Retournez-vous, rugit-il. Cessez de me regarder comme si vous en aviez
envie et partez. Parce que nous savons tous deux que vous allez le regretterdemainmatin,quandvousvousrendrezcomptequevousêtescoincéeavecmoipourlerestedevotrevie.—Jude...—Partez!Savoixéclatadans lachambreen faisant trembler lesmurs,dumoinsc’était
son impression. Il s’avança vers elle d'un air hargneux, etMarissa sut qu’elleauraitdûavoirpeur,maiscen’étaitpaslecas.Pourtant,ellenelevoulaitpasdecettefaçon,alorsqu’ilétaitanimédedésiret
dehaine.Ilavaitraison,elleauraitdesregrets,sicen’étaitplus.EllejetadoncundernierregardaucorpsfierdeJudeettournalestalons,même
sisoncœurbattaitàtoutrompre.Soncœurlevoulait,lui,etserévoltaitcontrelamaîtrisesévèredesaraison.Marissaétaitplutôtd'accord.
Chapitre18
Ilnerestaitplusqueseptpersonnesdanslamaison.Sept personnes seulement, et pourtant,Marissa n’avait pasmême réussi à ne
serait-ce qu’entrevoir Jude depuis la scène dans sa chambre. Il était absentpendantlepetitdéjeuner,carilétaitpartiàcheval.Marissaavaitdéjeunédanslesappartements de samère, pendant que la couturière terminait des retouches dedernièreminutesurlesrobesquelabaronneavaitfaittransformer.L’après-midiavaitétépasséàtrierdevieuxvêtementsquesamèretenaitàfaireparvenirauxpauvresduvillageavantqueletempsserefroidissedavantage.Maispendanttoutelajournée,lanervositéavaitdonnédel’énergieàMarissa.
Leshommesavaientdécidéqu'ilfallaitserésoudreàpayerlescinqmillelivres.Ils n’avaient pas d’autres suspects à interroger. Pas d’autre piste à suivre. SiCharlesétaitprésentaubal,ilseraitprisàpartetquestionnédanslaplusgrandediscrétion.L’argentseraitcependantdéposéconformémentauxinstructions,etleshommessurveilleraientàtourderôlelacachettepourvoirquiviendraitleretirer.La fête qui devait avoir lieu ce soir-là était très prisée, ce qui expliquait sansdoute pourquoi cette journée avait été choisie. Le coupable pourrait se cacherparmidesdizainesdevoisinsoud’invités.Iln’yauraitaucunmoyendemettrelamainsurlemaîtrechanteur,àmoinsquelepiègefonctionneparfaitement.Etensuite,quesepasserait-il?Marissaarpenta lesalonavecinquiétude.Lefrontdouloureuxàforcedetrop
froncerlessourcils,ellefaisaitdesallersetretoursentrelacheminée,oùflambaitungrandfeu,etlesfenêtresglacées.Elleétaitcertainequelemaîtrechanteurseraitattrapé,maislaquestionétaitde
savoir s’il pourrait être arrêté.Parviendraient-ils à le convaincred’abandonnersesplansetdegarderlesilence?Àmoinsd’unmeurtre,iln'yavaitaucunmoyenpourqu’ilsensoientcertains,et
savertucompromisen’étaitpasuneraisonsuffisantepourtuer.Etpuis,elleavaittantd’autressoucisentête.QuepensaitJude?Quevoulait-
il?Queferait-ilunefoisquetoutel’histoireseraitréglée?Laportedusalons’ouvritbrusquement,etMarissaseretournadansl’espoirde
voirJude,maisc’étaitseulementsamère.—Oùsonttouslesautres?demandaMarissad’unevoixplaintive.Samèreenfiladesgantsetvints’asseoirdansunfauteuilprochedufeu.— Il fait si froid que j’ai demandé aux hommes demonter d’abord dans les
calèches.Unefoisquelesbraseroslesaurontréchauffées,nouslesrejoindrons.—Ilssontdéjàdehors,alors?—Pourlaplupart,oui.Marissatenditlecoupourjeteruncoupd’œildanslecouloir.—EtJude?Samèreécartalaquestiond'ungestedelamain.—Jenesaispas.Maisjeveuxquevousmontiezdansmavoiture.Ilyaencore
tantàfairepourorganiserlafêtedulendemaindeNoël.Jerefusedeprendrelemêmechœurquel’annéedernière.MonDieu,ilétaitsiennuyeux,vousn’êtespasd'accord?—Seschantsétaientunpeuspirituels,mère,mais...— C’était affreux ! Cette année, je voudrais des mimes. Ne serait-ce pas
merveilleux?Etdesfeuxd’artifice!Oh,Marissa,celavaêtrespectaculaire!—Avez-vousparlédevosprojetsàEdward?Samèrefitungestedédaigneux.—Bah.Cessoiréesnefontqu’éleversonstatutdanslasociété.—Etépuiserlesréservesdesescoffres.Sa mère ricana comme s’il s’agissait d’une plaisanterie, mais Marissa ne
s’inquiéta pas outremesure. Elle savait qu’Edward réservait chaque année unecertainesommepourlesfrivolitésdesamère.Detempsentemps,ilintervenaitpour remplacer,parexemple,des roses rougesfrançaisesauprixexorbitantpardemodestesrosesanglaises.Maislefleuristeavaitpourconsignedeleurlaisseruneappellationfrançaise.Ilétaitsuffisammentintelligentpoursavoircommentsecomporteraveclabaronnedouairière.Quoiqu’ilensoit,Marissan’avaitpas le tempsdese tracasserpour l’argent
d’Edward.ElleétaitoccupéeàpenseraucorpsnudeJudeetsedemandaitsiellele reverrait un jour. Jude était tellement en colère. Elle avait dans l’idée des’installeràcôtédeluidanslavoitureetdeleharcelerjusqu’àcequ’illuiavouecequ’ilressentaitpourelle,maisilsemblaitqu’ellesoitcoincéeavecsamère.
Marissaserralamâchoireet,quandlevaletentradanslapièceens’inclinantpourannoncerquelescalèchesétaientsuffisammentchaudes,ellefitungesteendirectiondesamère.—Aprèsvous.Ellelasuivitverslacalèchedetêteetparvintàyjeteruncoupd’œilpendant
que l'ony installait samère.Pasde tracedeJude, justeHarry,Edwardet tanteOphélia.Marissaposaunpiedsurlamarche,puiss’arrêtabrusquementetregardaautourd’elle.—Oh,excusez-moi,mère.Jeviensjustedemesouvenirquejedevaisparler
avecAidanauplusvite!—Mais,Marissa!s’exclamasamèrealorsquesafilletournaitlestalonsetse
précipitaitverslesecondéquipage.Avantdel’atteindre,elleentenditsamèresoupirerprofondément:—Ehbien,baronYork, jesupposequec’estvousquiallezdevoirm’aiderà
prendredesdécisions.PauvreEdward.Mais,Marissa avait réussi à s’échapper, et oublia donc vite sa compassion.
Elleouvritbrusquementlaportedelacalècheetsehissaàl’intérieur.Sonétoletraînaitderrièreelle,aussilatira-t-elleavantdeselaissertombersurlesiègeàcôtéd’Aidan.EtenfacedeJude.Elletentaderéprimersanervositéetleregardadroitdanslesyeux.Ellesentait
qu’elleavaitlesjouesenfeu,maiselleeutl’impressiondedécelerégalementunsoupçonderougesursespommettesàlui,cequiluidonnalecouragedeleverunsourcil.Judedétournalatêteetfitsemblantderegarderparlafenêtre.—Bonsoir,masœur,ditAidand’unevoixlente.Ellejetauncoupd’œilversluietvitqu’ilétaitaffalécontrelesiège,paupières
closes. Il avait l’air d’un libertin impénitent, les bras croisés et les jambesétendues,commes’ilvoulaitpiquerunpetitsommeavantlesfestivités.—Lanuitaétécourte?demanda-t-elle.—Jen'arrivaispasàdormir,réponditAidanenbâillant.—Etvous,MrBertrand,avez-vousbiendormi?—Oui,réponditJude.— Vraiment ? Quant à moi, j’étais dans un état plutôt agité. Mon esprit ne
voulaitpascesserdepenser.—Signed’uneconsciencecoupable?marmonna-t-il.
Aidanpouffa.—C’estgénéralementmonproblème.Peut-êtres’agit-ild’un traitde famille.
Vous sentez-vous coupabledudramedans lequelvous avezmêlé tout le comté,Marissa?—Jen’ai riendemandéàpersonne !Etnon,cen’étaitpasde laculpabilité.
J’étais en colère contre Jude. Savez-vous que cette femme lui a avoué qu’elleavaitenvisagédetomberamoureusedelui?Aidanouvritunœil.—Vraiment ?Réfléchissez avant de vous jeter dans ses griffes,mon ami.À
votreplace,j’agiraisprudemment.—AidanYork!s’écriasèchementMarissa.Judeestmonfiancé!Ilrefermalespaupières.—Jecroyaisquevousvouliezvousendébarrasser.—Je...(Horrifiéeparcesparolescrues,elleregardasonfrère,puisJude,qui
plissasesyeuxsombresdevantsonhésitation.)Iln’estpasquestiondecela.Nousnous sommes tous deux mis d’accord pour respecter le décorum de cesfiançailles.Sonfrèreémitungrognementd’indifférence.Jude reprit ses efforts pour fairemine de ne pas la voir,maisMarissa n’en
avaitpasterminé.— J’essaie seulement de vous parler. Est-ce trop vous demander que de
m’accorderquelquesminutesd’attention?—Jenesuispasd’humeuràparler,grommela-t-il.—Très bien, ditAidan en se redressant pour cogner contre le plafondde la
calèche et signaler au cocher de s’arrêter. Je ne supporterai pas de demeurerquarante-cinq minutes là-dedans avec vous deux. Avec toutes ces accusationsinexprimées,l’airestirrespirable.Jevaispasserdevantàcheval.Ettenez-vousbien.Sautant dehors, il laissaMarissa seule avec Jude, qui resta assis à regarder
d’unairfurieuxlaportequ'Aidanvenaitdeclaquer.L’atmosphèreentreeuxétait chargéed’électricité,commesiungrosoragese
préparaitau-dessusdeleurstêtes.Lacalèches’ébranlaetseremitenroute.—Pourquoiêtes-voussicruel?demandaMarissa.Ilnelagratifiamêmepasd'unregard.—Jesuisdésoléesijevousaiblesséhier.C’estjusteque...jenecomprends
pas.—Vousavezététrèsclaireàcesujet.—Commentcela?—Vousnecomprenezpasl’attirancequePatienceéprouvepourmoi.Patience. Oh mon Dieu, entendre Jude prononcer ce nom lui fit l’effet
d’étincellesluienflammantlapeau.— Ce n'est pas juste elle. J’ai vu la façon dont d’autres femmes vous
regardaient. Comme si... comme si vous étiez le meilleur parti de la Saison.Riche,titréet...—Beau?lacoupa-t-ild’untonamer.Oui,répondit-elledanssatête.Ellesvousregardentcommesivousétiezbeau
alors que vous ne l’êtes pas. Mais c’était une vérité qu’elle ne pouvait pasénonceràvoixhaute,mêmes'ils'enétaitdéjàchargéunefois.«Vousmetrouvezlaid»avait-ildit.Marissasentitsagorgeseserrer.—Vousmetroubleztellement,murmura-t-elle.Iltournaenfinlesyeuxverselle.Elles’attendaitàlestrouverbrûlants,maisils
étaienttoujoursglacials.— Je ne vais pas vous faire la liste de toutes mes qualités comme si je
m’efforçaisàtoutprixdegagnervotreapprobation.Jevousaiproposédevousdonnermonnomparcequejevousaimaisbien,etquej’espéraisréussiràvousinspirerlamêmeadmiration.—Maisjevousaimebien!Jevouslaidéjàdit.—Etpourtantvousvous torturez l’espritpouressayerdecomprendreceque
lesautresfemmesvoientenmoi.Désirez-vousvraimentlesavoir?—Je...jevoisbienquevousêtesunhommedebien,Jude.Jelecomprends.—Cen’estpascequ'ellescherchentchezmoi,grogna-t-il.Ellesneveulentpas
moncœur,douceMarissa,ellesveulent l’hommeque jesuis.Ellesveulentmoncorps.Ellesveulentleschosesquejepeuxleurfaireetlessensationsquejepeuxfairenaître chez elles. Je suisgrand et fort, et j’ai desoriginespeuglorieuses.Ellessaventquemamèreétaitunecatin,etsedisentquejeseraiunanimaldansleurlit.Ils’arrêta,commes’illamettaitaudéfideluirépondre.Marissa se rendit comptequ'elle avait laboucheouverte.Elle songeaqu'elle
auraitdûdirequelquechose,maisquoi?— Je connais cette sorte d’admiration depuis longtemps. Je la comprends
parfaitement,quecesoitvotrecasounon.Etcelanem’ajamaisdérangé.Jamais.
Jusqu’àcequejeprenneconsciencequejesouhaitaissusciterplusquecelachezvous.Maisc’estégalementlaseulechosequevousvoyezenmoi,n’est-cepas?Unegrandebrute laidequipeutvoussatisfaireenprivé,maisavecquivousnepouvezrienenvisagerd’autre,n’est-cepas?—Non!s’écria-t-elle.C’estfaux!— Au contraire, mais je comprends que vous refusiez d’admettre votre
superficialité.Elle inspira si brusquement qu'elle ressentit une douleur quand l’air pénétra
danssespoumons,commes’illaglaçaitjusqu’ausang.—Maisjevousaidit...jevousaiditquejevousconsidéraiscommemonami.
(Ilrejetasesparolesd'ungestebrusquedelamain.)Jude,jevousenprie.Jesaisquejevousailancédeshorreurs,hier,maisc’étaituniquementparcequej’étais...blessée.Marissaavait récupérésonattention,pourtantellesepritpresqueàsouhaiter
qu’ildétournedenouveausonregard.Ilavaittoujoursétécapablededécelerchezelledeschosesqu’ilétaitleseulà
voir,maisils’agissaitdechosesqu’ilaimait.Ill’avaittaquinée,luiavaitfaitdescompliments,etavaitvouluenapprendredavantage.Maisàprésent,ellelisaitduméprisdanssesyeux.Etdeladouleur.—Peut-êtrequedemain,rétorqua-t-il,jevousprieraiaussidem’excuserpour
avoirditdeshorreurs.Maiscesoir,j’aimeraisqu’onmelaisseenpaix.Marissaneparvintàretenirseslarmesqu’auprixd’unimmenseeffort.—Jen’ai riendemandéde toutcequim’arrive. Jen’aipasdemandéàvous
plaire. Je vous ai encore moins demandé de vous proposer pour devenir monmari.Vousn’avezaucundroitdemetenir rigueurpourmessentimentsnide lesjuger.Cequevousvoulezounevoulezpasdemoiestvotreresponsabilité,etnonlamienne.L’espaced’un instant,Marissa aperçutune lueurdans son regardglacial, une
lueurd’unetelleintensitéqu’ellebaissainstinctivementlesyeuxverssesmains,serréesettremblantes.—Vousavezraison,biensûr,murmura-t-il.Veuillezm’excuserd’avoirtentéde
mettresurvosépaulesuneresponsabilitéquevousn’avezpaschoisie.C’étaittrèségoïstedemapart.Lesmots de Jude n’apaisèrent pas sa douleur.Au contraire, ils ne firent que
l’accentuer,jusqu’àcequ'elleaitl’impressionquequelquechosesedéchiraitenelle.
Elle n’avait jamais pratiqué l’introspection à outrance,mais elle comprenaitmalgré tout certaines choses sur elle-même. Elle avait toujours été un peudifférentedesautresfillesdelabonnesociété.Elleneressentaitpasleschosesdefaçonaussiintensequ'ellessemblaientlefaire.Elles’étaitdéclaréeamoureusedeCharlesàuneépoque,maisàlavérité,ilnes’agissaitqued’uneattirance.Etelleavaitéprouvédel’attirancepourungrandnombred’hommes.Parailleurs,elleavaitrarementétéblesséeparlesparolesoulesopinionsdes
autres. Mais désormais, elle ne pouvait plus nier sa capacité à ressentir desémotions aussi profondes et authentiques qu’une autre. Son cœur avait semblétranspercéparlasouffrancedeJude,etlajeunefemmesentaitàprésentunflotdesangserépandredanssapoitrine.Pourquoi?Parcequ’ilétaitréellementsonami?Ouplusquecela?ElleavaitaffirménepascomprendreJudenisonpouvoirdeséductionauprès
des autres femmes, mais peut-être s’était-elle trompée pendant tout ce temps.Peut-êtren’arrivait-elletoutsimplementpasàcomprendresespropressentimentspourlui,dessentimentsquinefaisaientques’intensifier.Lemépris avait cessé de briller dans les yeux de Jude, qui regardait la nuit
tomberau-dehors.Marissa l’observa, sanscraindrequ’ilne s’en rendecompte.Lapremièrefoisqu'ellel’avaitvu,elleavaitétéfrappéeparsonvisagecurieux–et oui, elle l’avait trouvé laid. Mais en le contemplant à présent, elle songeasimplement que c’était Jude. La colère conférait à son visage inégal un airmauvais, pourtant il n’était pas effrayant. Sa bouche avait beau être trop large,elleétaitdelalargeuridéalepourl’embrasserenluifaisantoubliertoutlereste.Sesyeuxsombresrehaussésdesourcilsépaisn’évoquaientpaslamoindretracededouceur,maisilssemblaientfaitspourluiinspirerdespenséesquilafaisaientfrissonnerjusqu’auplusprofonddesonêtre.Iln’étaitpasbeau,maisaveclui,Marissaavaitenviedeplusquedelabeauté.
Plusquedesjambesélégantesetdesamourettesfrivoles.Elleattendaitégalementplusd'elle-même.—Jude...—Laissez-moitranquille,Marissa.Jevousenprie.—Maisaprèscesoir...sinousdevonsnousmarier...Ilsecoualatête.Quesignifiaitcegeste?LesmotsqueMarissa s’apprêtait àprononcermoururent sur ses lèvres. Il ne
voulait même pas lui parler. Il ne voulait plus rien d'elle, alors qu’elle avaitjustementenviedetellementplus.Ellebaissalatêteettentadeserassurerensedisantquetoutiraitbien.Etsi
Juderefusaitdel’épouseralorsqu’elleétaitcompromise...ehbien,ellen'auraitobtenuquecequ'elleavaitmérité.Heureusement,aucunesœurnerisquaitd’êtreentraînéedanssachute.Aumoinsiln'yavaitqu'elle,elleseule.
Chapitre19
La foule aux vêtements colorés tourbillonna devant Jude comme une voléed’oiseaux agités. Il parcourut la salle de bal d'un regard noir, insensible à lajoyeuseanimationquiyrégnait.Il était trop troublé pour pouvoir apprécier la beauté de la scène. Parmi tant
d’autresinquiétudesinavouées,ilcraignaitqueHarrynesoitimpliquédanscettehistoiredechantage.Sic’étaitlecas,Marissaauraitlecœurbriséparsatrahison.Maisplusencore,Judeétaitperdudanssonproprepassé,accabléparlepoids
qu’ilportaitsurlesépaules.Quandilavaitrejointlademeureducaledesonpère,Judepensaitqu’ilnese
sentiraitpasàsaplace.Qu’ilseraitmarginaliséaumoins,détestéaupire.Maisilavait été agréablement surpris par l’accueil qui lui avait été réservé. Sans nonplusletraitercommel’undesesenfants,laduchesseavaitétébonneavecluietnel'avaitpasméprisé.Quantàsesdeuxjeunesdemi-frères,ilsavaientressentidel'admirationpourcegarçonétrangersifort.Depuis qu’il était devenu adulte, il suscitait également ce sentiment chez un
grandnombrededamesdelabonnesociété.Ilserappelaitencorelasatisfactionqu’iléprouvaitdanslamaisondesonpère.
Mêmes’ilavaiteulecœurbriséenquittantsamère,puislemaldupays,ilavaitaussiétésoulagédes’intégrersifacilementdanssonnouveaufoyer.Ilenavaittoujourséprouvédelareconnaissance,etn’enavaitprisconscience
que récemment.Lebâtardd’une courtisane était une chose,mais lebâtardd’unduc en était une autre.La chaleur de lamaisonmaternelle luimanquait et il laretrouvaittoujoursavecdélicespendantlesmoisd’étéqu’ilpassaitauprèsd’elle,cependantilappréciaitlerespectqu’ilinspiraitensaqualitédefilsdeduc.Cerespectluiavaitprocurélaconfiancequiimprégnaittouteslesfibresdeson
être.C’étaitcetteconfiancequiluipermettaitdesemouvoirdanslabonnesociétéensesentantl’égaldesesmembres.Oudumoins,c’étaitcequ’ilavaittoujourscru.MaisMarissaavaitmisledoigt
surlefaitqu’iln’étaitpastoutàfaitleurégal.Peut-êtrepasleurinférieur,maissansaucundoutequelqu’undedifférent.C’étaitunsecretqu’ilpouvaits’avoueretassumer,mais il avait plus demal à digérer le fait qu’il éprouvait toujours dusoulagementàsesentiraccepté.Cesecretexpliquaitlafaçondontilavaiteul’intentiondefairelaconquêtede
Marissa York. Il se rendait à présent compte qu’en la séduisant, il voulaitsimplementfairetombersesdéfensespoursefrayeruncheminjusqu’àsoncœur,etl’amenerainsiàressentirunvéritableamourpourlui.Commesi,pourpouvoirl’aimer,unedamedevaitêtrepriseaupiège.IlsouritamèrementetguettaMarissasurlapistededanse.MonDieu,c’étaitunevéritablebeauté.Illeluiavaitdéjàsouventdit,maisil
ne pensait pas qu’elle ait compris qu'il ne parlait pas uniquement de sonapparence. Elle était vivante, intelligente, courageuse et passionnée. Et oui, unpeufutile.Maiselleavaitraisondesoulignerqu'ellen’étaitpasresponsabledeladouleurqu’ilressentait.Ilnepouvaits’enprendrequ’àlui-même.Sentantuneprésenceàsescôtés,JudetournalatêteetregardaAidand’unair
grave.—Toutestenplace?demandaJudeàvoixbasse.—Oui. Edward prend le premier tour de garde. Je le retrouverai à la folie
grecquedansuneheure.Ensuiteceseraàvous,puisdenouveauàEdward.—Nousrisquonsd’ypasserlanuit.—C’estpossible,approuvaAidan.Marissaapparutdevanteux,dansantunquadrille,levisagelégèrementfigé.—J’ailesentimentquevousavezchangéd’avisàproposdemasœur.Allez-
voustoutannuler?Judesecoualatête.— Eh bien, la perspective de votre mariage ne semble pas vous réjouir
beaucoup.—Nevousenmêlezpas.Nousavonseuunedispute.C’esttout.—ÀproposdePatience?—Jevousaiditdenepasvousenmêler.—Pourl’amourduciel,marmonnaAidan.Vousagissezcommeunimbécile...Judeserralesdentsetregardalapistededanseavecdesyeuxsiétincelantsde
colèrequ’ungentlemanluilançauncoupd’œileffrayé.—Àvraidire,voussemblezdansunétataussimisérablequemoiquandj’ai
perduma...lafemmequejevoulaisépouser.
Aidan n’abordait jamais le sujet, aussi Jude fut-il si surpris par ses parolesqu’ilenoubliauninstantsamauvaisehumeur.—Maiselleestmorte,observa-t-ilstupidement.—Oui,maisunedisputeavaiteulieu.Avant.Nousnousétionsséparésquelque
temps...puisjenel’aijamaisrevue.—MonDieu,jesuisdésolé.Aidanhaussalesépaules,commes’ilvoulaitchassercesouvenir.—Maisrevenons-enàvous...—Jenepréféreraispas.Aidann’insistaplus.Ilsrestèrentcôteàcôtedansunsilenceglacial,commeles
gentlemendelabonnesociétélefaisaientsouvent.Aprèsuncertaintemps,Judese renditcompteque lesdanseursavaientchangédepartenaireset jetauncoupd’œilàl’hommequidonnaitlebrasàMarissa.—Quiest-ce?Aidansuivitsonregard,etsonvisagesedurcit.—LetristementcélèbreCharlesLeMont.—Bontédivine!Comme Jude s’en doutait, le premier amour deMarissa était un homme à la
silhouette élancée, avec des boucles dorées savamment décoiffées. Son visageétaitpâleetlisse,commeceluid’unefille.Quelleplaisanterie!— Il a pratiquement violé votre sœur. Allez-vous simplement les laisser
danser?—Etvous?demandaAidanlentement.Judevitrouge.Ilrespiraalorsprofondémentetsongeaqueprovoquerunescène
danslasalledebalseraitencorepirequedelaisserlemaîtrechanteurrépandredesrumeurssurlecomptedeMarissa.—Edwardl’aprisàpartdèsnotrearrivée,maisLeMontnesemblaitpasavoir
lamoindre idée de ce qu’il lui voulait. Sa femme s’est alors précipitée sur luipour lui demander de jeter un coup d’œil à notre cheval malade. Il a l’airparfaitementinoffensif.Malgrésacolère, Judedut reconnaîtrequec’étaitvrai. Ilavaitbeauêtre joli
garçon,ilneressemblaitenrienàundébauché,etnetouchaitMarissaquequandladansel’exigeait.Judenesedétenditpaspourautant.Marissadansaitavecsonancien amant, en sachant que Jude la verrait et qu’il serait jaloux. Juste à cetinstant,lesyeuxdeMarissacroisèrentlessiensàtraverslapièce.Elleleregardaavecinsistance,sanslamoindrerougeurembarrasséesursesjoues.
Et Charles LeMont avait vu ses cuisses. C’était plus que ne pouvait en direJude.Énervécontrelui-même,iltournalestalonsetsedirigeaverslagrandesalle,
sans un mot pour Aidan. Jude n’avait jamais pensé que la jalousie était unesolution,quellequesoit la situation.C’étaitunsentiment stérile,qui s’emparaitdes individussans fierté.Une femmeavaitenvied’unhommeoun’enavaitpasenvie.Elleétait fidèleouellene l’étaitpas.Aucunaccèsd’angoissenideragen'ychangeraitrien.Etpourtant,voilàqu’ilsetourmentaitàproposdeMarissa,commesielleétait
unebabiolequ’ilpouvaitposséder.Ilétaitsortidelasallededansejustepourfuirlafoule,etpeut-êtreprendreun
verre de brandy pour calmer ses nerfs.Mais alors qu’il était à deux doigts des’échapperde la soirée,une femme luibarra soudain la route. Judese retrouvapétrifié.—Bonjour,Jude,fit-elledoucement,sesyeuxseplissantdansunsourire.—Corrine,répondit-ildansunétatdechoc,incapabledetrouverautrechoseà
dire.—Quellejoiedevousrevoir.—VousêtesrentréedeJamaïque.Al’évidence.—Le climat y est horriblement chaud. J’ignore comment ma sœur fait pour
survivrelà-bas,ditlajeunefemmeensoupirantdefaçoncharmante.Petitàpetit,lecœurdeJudesecalmaetilrecouvraenpartiesesesprits.—Commentseportentvotresœuretsafamille?Elle parla un peu de la plantation qu’elle avait visitée et de la vie sur l’île,
tandisqueJudeessayaitdeseremettreduchocqu’ilavaitressentienvoyantsonanciennemaîtresse, à unbal de campagne aumilieu de nulle part. Ses cheveuxnoirsetsesyeuxbrunsn'avaientpaschangé,maissapeaus’étaitlégèrementhâléependantsonséjour,etelleavaitminci.— Si j’ai bien compris, des félicitations sont de rigueur, dit-elle enfin, son
regardtombantsursontorsetandisqu'ellesecouaitlatête.Jenesaispaspourquoijesuissurprise,maisjelesuis.—Merci.Nevousêtes-vouspasencoreremariée?J’étaispourtantcertainque
vous rencontreriez un fringant capitaine de bateau qui vous emmènerait faire letourdumonde.Ellesemitàrire,deceriredegorgequ’ilconnaissaitsibienetqui,ilfutun
temps,suffisaitàsusciterchez luiundésir impatient.Objectivement,c’étaitunefemmed’unebeautémoyenne,maissa joiedevivreétait tellequetous lesgensqu’ellerencontraittombaientsoussoncharme.Corrinesecoualatête.— Un capitaine de bateau pourrait en effet être un mari idéal, mais j’ai
l’impressionqu’ilssontplussouventsérieuxetgrognonsquefringants.—Queldommage.— En attendant, allez-vous m’inviter pour une danse ? C’est peut-être ma
dernièrechancedemeglisserdansvosbras,sivotremariageserévèleheureux.EtjesuispartiesivitepourlaJamaïquequej’aidéjàlaissépasserunechancedeprendre dignement congé de vous. Je détesterais manquer également cetteoccasion.Cesmotscontenaientunepromesse,quiallaitbienau-delàdelasimpledanse.
Jude réponditparun sourire embarrasséet s’apprêta à trouveruneexcusepourrefusercethonneur.Iln’étaitpashommeàlaisserledésirluidictersesactions,etnesesentaitpastenté,malgrélarelativeincertitudedesonaveniravecMarissa.Mais il se ravisa justeà temps,ense rappelant la façondontMarissa l’avait
regardé,tandisqu’elledansaitdanslesbrasdesonancienamant.—J’enseraishonoré,s'entendit-ildire,ens’inclinantdevantCorrineetenlui
offrantlebras.Celane lui ressemblaitpas.Pasdu tout.Mais ilpercevait legoûtamerde la
jalousiedanssabouche,etneparvenaitpasàs'endébarrasser.IldanseraitavecCorrine,neserait-cequepoursedirequ'iln’avaitpasperdu
cettebataille.Mais laguerre...Laguerre était une tout autrehistoire. Il y avaitseulementdeuxissuespossibles.SoitMarissapoursuivraitsaviedesoncôté,soitils se marieraient, et il aurait une femme pensant avoir épousé quelqu’un endessousdesacondition.Sachant pertinemment que cela ne conduirait à rien, Jude mena Corrine au
milieudelapiste,aumomentoùlespremièresnotesdelavalseretentissaient.Essouffléeaprèsavoirdansé,Marissasefrayauncheminparmilafoulepour
retrouverAidanetJude.Elleavaitquelquechoseà leurdire,sansquoielle lesaurait sansdouteévitéspendant toute la soirée.De loin, elle avaitvuque Judeavait l'air d’un taureau furieux, désireux d'encorner au moins quelques invitésavantlafindelasoirée.Quandellevitqu’Aidanétaitseul,ellenes’étonnapas
de ressentirunvif soulagement.Endépitdecela,elleéprouvaunpincementaucœuràl’idéequ’elleneseraitpasprèsdeJude.— Vous vous amusez, Marissa ? s’enquit Aidan en faisant signe à un valet
d’apporterunecoupedechampagne.—Jenevoispascommentjelepourrais.Jeveuxseulementquecettesoiréese
termine.Edwardest-il...?—Oui.J’iraileremplacerdansenvironunedemi-heure.—Aucunenouvelle,donc?—Aucune.Unvaletluitenditunecoupedechampagne,etMarissalagardadanssesmains
sanslaboire.—J’aidanséavecCharles.— J'ai vu. Nous nous sommes demandé avec Jude si votre intention était
d’inciterl'undenousdeuxàlaviolence.Ellelevalesyeuxauciel.—Charles est innocent, c’est ce que je suis venue vous dire. Il n'a fait que
parler de la grossesse de sa femme. Il est fou de joie. Il n’y avait même pasl'ombred'unegêneentrenous.Jesuisdoncabsolumentcertainequecen'estpaslui.—Peut-êtreespérait-ilvousblesser,envousentretenantdel'enfantqu’ilallait
avoiravecuneautre?—Non,jesuissûrequ’ilnes’agissaitpasdeça.Ilaparlédesonépouseavec
unegrande tendresse.Avant, il y avait toujours une certaine tension entre nous,commesiCharlessesouvenaitdessentimentsquenousavonsautrefoispartagéschaque foisqu’ilmevoyait.Mais c’estdupassé,désormais.Oupeut-être ai-jechangé...jenesauraisdire.—Avez-vouschangé?demanda-t-il.Ellesecoualatête,incapablederépondre.Avait-ellechangé,oubienétait-ce
simplementlerésultatdetoutcequis’étaitproduitcederniermois?Alorsqu’elleméditaitsurcettequestion,Marissaentrevitunepaired’épaules
familièressurlapistededanse.Ellemitquelquesinstantsavantd’êtresûrequ’ils’agissaitdeJude,carilétaitentourédedanseurs.Maisc’étaitbienlui,ettandisqu’iltournaitaurythmelentetsensueld'unevalse,Marissaaperçutsapartenaire.Celle-ciluiétaitinconnue,cequilasurprit,carlesmondanitésdelasaisonde
la chasse s’adressaient généralement à un cercle restreint. Elle avait de beauxcheveux noirs et des yeux bruns chaleureux, mais mis à part cela, son visage
n’avaitriend'exceptionnel.Entempsnormal,Marissal’auraitàpeineremarquée.Et elle aurait certainement rejeté avec mépris l’idée d’être menacée par cettefemme.Maismalgré sonapparenceordinaire, la cavalièrede Jude rayonnaitde... de
savoir. Elle se mouvait au rythme de la musique comme si son corps était unmystèrequ’elleseulecomprenait.Elleétaitconscientedupouvoirdesesgrandsyeux,etn'hésitaitpasàenuser.EtelleconnaissaitJude.Intimement.Marissas'enaperçut tout de suite.PatienceWellingsly regardait Jude avecdudésir dans lesyeux.Maiscettefemmeleregardaitcommesiellel’avaitdéjàeu,etsavaitqu'ellel’auraitdenouveau.Marissavoyaitcelaausourireimperceptiblesurseslèvresetauhaussementde
sonsourcil.EllelevoyaitaussiàsafaçondetenirlebrasdeJude.Sansleserrerni le cramponner. Ses doigts reposaient dessus avec décontraction et légèreté.Ellelevalesyeuxversluienriant,etJudeluisourit.Ce sourire. Ce sourire en coin qu'il réservait àMarissa. Il adressait à cette
étrangèrecesourirequifaisaittoujoursbattrelecœurdeMarissaunpeuplusfort.Lafemmetournalatêtesurlecôté,etMarissavitleregarddeJudedescendresursagorge.Marissasentittoutsoncorpsseglacer,malgrésapeaubrûlante.Aidanluiparla,maisellenecompritpassesparoles.—Pardon?—Jevoulaissavoirsivousdésiriezautrechoseàboire.—Non,merci.Elle but une gorgée pour qu’il ne lui pose pas d’autres questions, tout en
observantJudeetsapartenairedisparaîtredanslafoule.Ilneluirestaitplusqu’àobserver lesautresdanseurs, commeelleavaitdéjà l’impressionde l'avoir faitpendant des heures interminables. Mais ce soir-là, les danseurs ne semblaientpas...pascommed’habitude.C’étaitunedifférencesubtile.Unanauparavant,elleauraitseulementfaitattentionauxséduisantsgentlemenquimontraientleursjoliesjambesens’inclinantpendantlesdansesfolkloriques.Ouauxdamesquiportaientunerobesuscitantsaconvoitise.Elleauraitcontemplé lessourirescharmantsetlesmainsélégantes.Elleauraitremarquélesplusbeauxcouples,etauraitestiméqu’ilsétaientlesplusheureux.Maisàprésent,ellevoyait l’enversdudécor,commelesesquissesdecrayon
sousune aquarelle, quin’étaient pasdestinées à êtrevues,maisquidevenaientvisiblesquandons’enapprochait.Surladroite,unbeaujeunehommedansaitavecunegrâceparfaite,maissans
unregardpoursacavalière,unefemmeradieuseauvisagerondetrougi,dontilsemblait n’avoir que faire.C’était une scène assez courante,mais d’autant plustragique qu’il s’agissait d'un couple de jeunes époux dont lemariage avait étéarrangépourcausededettes.Elleparaissaitheureuse,maislemarinecachaitpassonmécontentement,dontilvoulaitfairepartàtoutlemonde.Sur la gauche, un couple de danseurs élégants affichait une égaie souffrance.
Quatreansauparavant,leurallianceavaitétéannoncéecommelemariageparfait,mais une rumeur disait qu’ils ne parvenaient pas à concevoir d’enfants. Leurbeauté ne paraissait pas pouvoir soulager leur déception. Ils étaient charmants,maismalheureux.Unpeuplusloin,verslemilieudelapiste,unhommeetunefemme,tousdeux
fâcheusement petits et trapus, étaient lancés dans une valse peut-être moinsgracieuse, mais ils se regardaient avec un sourire rayonnant de joie. L’hommesusurraalorsquelquesmotsà l’oreillede sonépouse,quipouffaen rougissant.Marissasavaitqu'ilsétaientmariésdepuisprèsdevingtans,carleurfilleaînéevenaitdefairesesdébutsdanslasociété.Peut-être s’agissait-il d’observations ridicules que même un enfant serait en
mesuredefaire,maisMarissavoyaitpourtantcesvéritéspour lapremièrefois.Unhommeélégantn'étaitpasforcémentunbonmari,niunbonamant.D’ailleurs,l’éléganceétaitunequalitésiinsignifianteauregarddequelquesannéespasséesensemble.Mais Jude ne pourrait-il pas la rendre malheureuse aussi bien qu’un beau
jouvenceau?Elleaperçutdenouveaul’intéressé,etsoncœurbonditdanssapoitrine.C’était
un danseur correct, sans doute pas aussi gracieux que certains des autresgentlemen, pourtantMarissamourait d’envie d’être dans ses bras.Les siens, etceuxdepersonned’autre.Ellebrûlaitdepouvoirobserversesjambes,enpensantqu'ellelesverraitnuesplustarddanslasoirée.Elledésiraitcaresserencoresontorse, l’embrasser, et cette fois le lécher aussi, pour voir s’il ronronnerait deplaisircommeunanimalsatisfait.Cettefemme,cetteétrangère,connaissaitsansdoutelaréponseàcettequestion,
elle. Au lieu d’être envahie par la colère,Marissa se sentit submergée par ledésespoir,carellecraignaitquesaprisedeconsciencen’arrivetroptard.Elle vit la femme dire quelque chose à Jude, qui leva alors la tête d’un air
réjoui.Mais quand son regard rencontra celui deMarissa, son sourire s’effaçalentement,commesisavuelefaisaitdécliner.Etàcetristemoment,Marissasutqu’ellel’aimait.
Chapitre20
Lesarbresautourdeluis’agitaientdansunballetpermanentdefeuillesmorteset mourantes, bruissant et murmurant dans le vent. Impossible de percevoir lemoindre bruit de pas ou de respiration, mais Jude ne put manquer de voir lasilhouettenoirde jaisquimontaitvers lespierresartistiquementempiléesdelafoliegrecque.Judefutsurprispar l’accèsdefureurqu’iléprouvaàcettevue.Ilavaitenvie
d’en finir une fois pour toutes avec cette histoire. S’il se retint de précipiterl’individuà terre, ce futuniquementen raisonde sapetite taille. Il s’abstintdefrapperlapersonneauvisagedissimuléparlacapuche,maisluiplaquaunemainsurlaboucheetl’attrapapar-derrière.Uncriténufranchitseslèvres,étoufféparlamaindeJude.Ilnefutpasétonnéparlahauteurduson,nipar ladouceurducorpscollécontrelesien.Ilavaittoutdesuitedistinguéqu’ilavaitaffaireàunefemme,malgrél’obscuritéquirégnaitetlacapesombrequ’elleportait,etilavaitétéprofondémentsoulagéqu’ilnes’agissepasdeHarry.Le sac rempli d’argent tomba aux pieds de Jude tandis que la femme se
débattaitdanssesbras.Elleétaittoutemenue,etiln’eutaucunmalàluicoincerlesbraslelongducorpsetàattraperlesac.Ellesetortilladeplusbellelorsqu’ill’attiraverslesarbres.—Resteztranquille.Vousvousêtesfaitprendre,etriendecequevoustenterez
n’ychangeraquoiquecesoit.Elletentadecriermalgrésamainsursaboucheetdeluidonnerdescoupsavec
satête.—Arrêtez.Vousn’allezréussirqu’àvousfairemal.Aprèsquelquesminutesd’efforts et degigotements, elle finit par capituler et
s’affalacontrelui.Judes’immobilisapourcalmerlesbattementsdesoncœur.Iln’avaitprissontourdegardequecinqminutesauparavant,etsoncœurs’étaitmisàbattrelachamadequandilavaitvucettesilhouettenoiresefaufilerverslafolie.Ilétaitencorestupéfaitd’avoirdécouvertqu’ils’agissaitd’unefemme.Patienceluiaurait-ellementi?
Lacapucheétaitrabattuesurlatêtedesaprisonnière,aussiJudenepouvait-ilmêmepasentrevoir lacouleurdesescheveuxàlafaiblelueurdelademi-lune.Peut-êtreétait-cePatience.Elleétaitmince,elleaussi.Bonsang,quelasituationétaitcompliquée.Jude retira doucement samain du visage de l’inconnue. La forêt s’emplit de
l’échodeseshalètements,tandisqu’elletentaitdereprendresonsouffle,affolée.Judesortitunecordedesapochepourluilierlesmains,etlacoupablesemitàsangloter.Illuipassalesbrasdansledosetcommençaàluiligoterlespoignets.—Jevousenprie,monsieur !gémit-elle. (Cen’étaitpasPatience,Dieu soit
loué!)S’ilvousplaît,monsieur,cen’étaitpasmonidée,jevouslejure!Jude fronça les sourcils en entendant son accent. Malgré ses paroles
entrecoupéesdesanglotsdepanique,ilpouvaitdireaveccertitudequ’ils’agissaitd’une villageoise ou d’une domestique.Et il sut alors que lemystère était loind’êtrerésolu.Ilsnesauraientpasquiétaitlecoupable,àmoinsdeparveniràlaconvaincre de parler. Et même si c’était le cas, que pourraient-ils faire pourarrêterlemaîtrechanteur?Rien.Iln’avaitpasreçulescinqmillelivres,etnetiendraitdoncpassalangue.—Pourquitravaillez-vous?demanda-t-ilsuruntonquesafrustrationrendait
menaçant.Secouantlatêtepourtouteréponse,ellesemitàpleurerdeplusbelle.—Répondez-moi!Pourquitravaillez-vous?—Jevousenprie,monsieur.Jevousenprie.—Bon.Sivousnevoulezpasdire lavérité,ayezaumoins labontédevous
taire.Judelatiraparlebrasàtraverslesarbres,versunepartiepluséclairée.Aidan
enavaitassezdubal,etquandJudeétaitvenuprendrelarelève, ils’étaitportévolontaire pour attendre dans le jardin au lieu de rentrer dans lemanoir. Judeaperçutdeloinlalueurorangéedesoncigare,àunequarantainedepas.—J’aiattrapélacoupable.—C’estunefemme?demandaAidanenselevant.Lesfenêtresdelademeureéclairaient légèrement le jardin,etJudeenprofita
pour regarder la fille, après avoir baissé sa capuche. Il ne l’avait jamais vue.QuantàAidan,sonhaussementd’épaulesindiquaqu’ilnelaconnaissaitpasnonplus.—Mieuxvautnepasl’interrogerici.Faitesvenirl’unedescalèches,etjevous
retrouveraidevantlesgrilles.
—Bonneidée.JevaisprévenirEdward.Ilsentitlafilleseraidir.—Non!S’ilvousplaît,nefaitespasça.—Vous ne voulez pas venir avec nous ?Dans ce cas c’est très simple,ma
petite.Dites-nousquivousaenvoyéechercherl’argent.Ellesecoualatête,puisseredressabrusquement.—Jenesaispasquiestlapersonnequim’aenvoyée!s’écria-t-elle,commesi
l’idéevenaitseulementdeluitraverserl’esprit.Judelevalesyeuxaucieletretournaavecelleendirectiondesbois.—Sic’estainsi,vousaureztoutletempspournousladécrirependantletrajet
encalèche,n'est-cepas?Peut-êtrel’undenousdevinera-t-ildequiils’agit.— Ne m’emmenez pas, répéta-t-elle plusieurs fois d’une voix suppliante
pendantqu’ilsmarchaient.Jude fitmine de ne pas l’entendre, dans l’espoir qu'elle s’effondre et avoue,
maisenvain.Mêmes’iléprouvaitunecompassionnaturellepourlesfemmesenpositionde
faiblesse,Judepassa lequartd’heuresuivantàs’armerdecouragepournepascéder aux supplications de la jeune fille.Qu’elle soit responsable ou non, elleavait joué un rôle essentiel dans le complot pour détruire Marissa, et il nelaisseraitpassoncœurtendreluifaireperdrel’avantage.Quand la calèche émergea enfin de l’obscurité, la captive se déroba à son
empriseettentades’échapperd’unbond,maisJudelarattrapaetlasoulevasansdifficultépourlafairemonterparlaporteouverte.Ils’engouffraàsasuite,etvitqu’Edwardétaitdéjàlà.Judeluilançalesacavecl’argent.— Harry rassemblera les femmes dans quelques minutes, expliqua Edward.
J’aiestiméplusraisonnabledenepasfairesortirtoutlemondeprécipitamment.Sonregardglissaverslafille,quis’étaitrecroquevilléedansuncoin.—Quiest-ce?—Ellerefusedenousledire.Edwardtirasursacapucheetfronçalessourcils.—Jenepensepas laconnaître,maiselleestplutôtordinaire.Quiêtes-vous,
jeunefille?Ellesecoualatêteetremontasacapuche.—S’ilvousplaît,laissez-moipartir.Jenesuisqu’uneservante.Jen’airienà
voiravectoutecetteaffaire!
Judeluilançaunregardfurieux.—Etpourtant,vousnenousavezmêmepasencoredemandécequ’était«cette
affaire»,cequimesembletrèssuspect.— Les choses pourraient très mal se passer pour vous, ajouta Edward.
Quelquesannéesenprison,toutaumoins.Maissivousnousditeslenomdevotreemployeur,peut-êtrequetoutseterminerabienpourvous.L’inconnue leva alors des yeux écarquillés, mais peut-être était-elle
suffisammentintelligentepourvoirqu’ilsbluffaient,carelles’obstinaànier.Alavérité,leschosessepasseraientmalpourelledanslesdeuxcas.Sisonmaîtrelarenvoyait pour la punir d’avoir révélé son identité, personne ne voudrait plusl’employer,qu'elleailleenprisonounon.Judepenchalatêteetexaminalafille,quilesregardaitàprésent.Ilplissales
yeuxenvoyantsabouchecharnue.Elleétaitassezjoliepourquesonrefusnesoitpasliéàlacraintedeperdresontravail.IlsongeadenouveauàsathéoriesurHarry,puisdemanda:—Peut-êtrelaquestionn’est-ellepasdesavoirquiestsonemployeur,maisqui
estsonamant?Ellen’eut l’air troubléequependantunbref instant, aussi Jude secoua-t-il la
tête.—Non, cen’est pas cela.Soncomplicen’est pas sonamant, alorspeut-être
s’agit-ild’unefemme,aprèstout?—Ah,murmuraAidan, en constatant que la jeune fille pâlissait. C’est donc
cela.L’inconnueserraleslèvres,puisbaissalatête.Ellerefusad'endiredavantage,
malgrétouteslesquestionsdontilsl’assaillirent.—Ehbien,soupiraEdward,ilestdoncévidentquel’undevousdeuxestmêlé
àcetteaffaire.—Quoi?aboyaAidan.JudesedemandaalorsdenouveausiPatienceétaitàl'originedecettehistoire.
Pourtant,celanecorrespondaitpasàsapersonnalité,ilenauraitpresquemissamain au feu. Il avait hérité du talent de samère, qui réussissait à se faire uneimpressionassezexacted’unepersonnequ’ellerencontraitpourlapremièrefois.Toutelacarrièredesamèrereposaitsurcetinstinct.Pourunefemmecommeelle,choisirunhommepouvaitreveniràchoisirentrelavieetlamort.—Que voulez-vous dire ? interrogeaAidan, en donnant un petit coup sur le
piedd’Edward.
Celui-cipartitd'unrirebruyant.—S’ilyaquelquepartunefemmeavec l’intentiondedétruirenotre famille,
alorsvousn'yêtessûrementpasétranger.—C'estlachoselaplus...—Attendez!criaJudepourcouvrir lavoixd'Aidan,quiavaithaussé le ton.
Edwardaraison,peut-êtrequecettehistoireinsenséeaunlienavecl'und'entrenous,maisn’enoublionspaslepointcentral:Marissa.Siunefemmeestderrièretout cela... alors elle aurait pu aussi apprendre l’existence de la tache denaissance.LesfrèresdeMarissaéchangèrentdesregardsgênés.—Jeveuxparlerdesvisites, des changementsde robes, desbaignadesdans
l’étanget...—Oh,interrompitEdward.Biensûr.—Etcommentallons-nousenavoirlecœurnet?demandaAidan.Ilsseretournèrent tousvers lafille.Alorsqu'ils l’examinaientensilence, les
penséesdeJudedérivèrentversMarissa.Quandilavaitlevélesyeuxverselle,alorsqu’ildansaitavecCorrine, il avait suque tenterde susciter sa jalousiede cettemanièren’était
pasunebonneidée.Ladanseavaitétéunevalsejoyeuseàtraversleurssouvenirscommuns.Ilavaitpasséunmomenttrèsagréable,maisàprésent,ilressentaituneprofondeculpabilité.Ilavaitvoulul’atteindredanssafierté,maislevisagedeMarissaavaitmontré
plusquedel’indignation.Judeyavaitludeladouleur.Unedouleurdontilétaitàl’origine.Ilavaithonte.Lestraitsdecaractèrequ’ilavait toujoursaiméschezMarissa,
son côté sauvage, sa liberté de cœur qui tranchaient tant avec son apparencecalme... eh bien, il avait commencé à éprouver du ressentiment envers elle, àcause de cesmêmes choses qui l’avaient attiré au départ. Il ne pouvait pas lablâmerdese sentiraussidésorientée.Quelques joursauparavant, il la taquinaitencoreàproposdesonamourpourlesjolisgarçons,etàprésentillatournaitendérisionpourcepenchantetlatraitaitdefemmesuperficielle.Si sa mère était là, elle secouerait la tête d’écœurement et le traiterait
d’imbécile.Etelleauraitraison.Furieuxcontre lui-même, ilpassasacolèresur la fillequi tentaitde fairedu
malàMarissa.—NoussommespresquearrivésàlapropriétédesYork.Ilvousrestepeude
tempspouravouercequevoussavez.Jemechargeraipersonnellementdefairevenirunofficierdepolicedèsnotrearrivée,etalorsl'affaireneseraplusdenotreressort.Frissonnante,l’inconnueprituneprofondeinspiration,maisrestamuette.—Dites-nouslenomdevotremaîtresse,etnousvouslaisseronspartir.Ellesecouaitencorelatêtequandlacalècheralentitets’arrêtaenfin.— Nous y sommes, murmura Edward. Emmenons-la à l’intérieur et
réfléchissonsàcequenousallonsfaire.Maissisonemployeurs’inquiètedenepaslavoirrevenir,peut-êtreest-ildéjàtroptard.Jude descendit de la voiture d’un pas lourd et tira la fille vers sa prison
provisoire.Pourlapremièrefois,cettefamilleluisemblaplusscandaleusequelasienne.Etlasituationnel’amusaitplusdutout.Marissa traversa lamaison à toute allure, le cœur et lesmains fébriles.Elle
savaitseulementquequelqu’unavaitétéattrapéetramenédansleurpropriété,cequin’avaitaucunsens.Harryluiavaitaffirméqueleshommesn’ensavaientpasplusqu’elle,etilparaissaittoutaussiinsouciantquelabaronne,quiavaitbavardéallègrementdececomplotsuttoutlecheminduretour.Marissaétaithorsd’elle.La réputation de sa famille était à deux doigts d’être ruinée à cause de ce
qu’elle avait fait, et pourtant les autres semblaient penser qu’il s’agissait d’unefarce.Qu’ilsétaientexaspérants!En voulant tourner dans le couloir, Marissa glissa et se cogna violemment
contre lemur,maisellepoursuivit sonchemin.Ellegardaunbras tendudevantelle pour éviter que l’incident se répète au prochain angle et, quelques instantsplustard,ellearrivadevantlebureaudesonfrère...dontlaporteétaitferméeàclé.Elleentendaitleshommesparleràvoixbasse.Aprèss’êtreacharnéesurlapoignée,ellefrappaavecimpatience.Lesvoixse
turent, et elle eut la nette impression que tout lemonde, y compris elle-même,retenaitsarespiration.—Laissez-moientrer!siffla-t-elleenfin.Lesmurmures reprirent et, après unmoment, elle entendit enfin le déclic du
verrou.Edwardpassalatêteàl’extérieur.— Vous ne devriez pas être là, Marissa. Ce n'est pas un endroit pour une
femme.Elletentadelepousserpourentrer,maisilnebougeapasd’unpouce.—Cescandalemeconcerne,Edward.Nesoyezpasridicule.—Marissa...
—Poussez-vousetlaissez-moipasser!Elleluidonnauncoupdepieddansletibia,quifutsansdouteplusdouloureux
pour ses orteils que pour la jambe d’Edward, mais il fut tellement surpris ethorrifiéqu’ileneutlesoufflecoupé.—Jeveuxsavoirquic’est,Edward!—Nousnesavonspasdequiils’agit,rétorqua-t-ilensefrottantlajambeavec
force.Judelalaisseraitentrer.Ellelesavait.Ellel’appeladonc,etEdwardlevales
yeuxauciel.—Oh,trèsbien,petitepestetêtue.Venezetvoyezsivouscomprenezleschoses
mieuxquenous,dit-ilenouvrantlaporte.Marissas’apprêtaitàparcourirlapièceàlarecherchedumaîtrechanteur,mais
elle remarqua soudain Jude, à seulement unmètre d’elle, le bras tendu vers laporte.Pendantun instant, elle crutqu’ilvenait à sa rencontreet, saisiede joie,ellesentitsoncœurbattreplusvite.Peut-êtrequ’ilneladétestaitpas.Peut-êtrequ’iln’étaitpastroptard.Maisil laissaretombersamainet,quandellecroisasonregard,ilbaissales
yeuxverslesol.Marissa observa sa mâchoire forte et sa grande bouche, et songea qu’elle
aimeraitbienavoirledroitdeletoucher.Delesaluersimplementensehaussantsurlapointedespiedspourluiappliquerunbaisersurleslèvres.Maisavectoutcequis’étaitpasséentreeux;ellesavaitquemêmes’ilsétaientmariés,ellen’enauraitpasledroit.Ilsressembleraientàcescouplesmalheureuxquinedansaientensemblequ’unefoisparbal,pourpréserverlesapparences.Quepenseraientlesgens en voyantMarissa et Jude ? « Un mariage malheureux », diraient-ils, enblâmantvraisemblablementlephysiquedeJudeetsesoriginesdouteuses.Marissa ressentitunedouleuraiguëdanssoncœur,qui tambourinaitquelques
instants auparavant seulement. Cette perspective lui semblait insupportable, etalorsqu’elleserapprochaitdeJude,Marissatenditlebrasetluitouchalamain.Ilfronçalessourcils.Puisillevalesyeux.Maisavantqu'elleaitpureconnaître
l’expressiondanssonregard,ellesursautaaubruitdelaportequ’Edwardavaitclaquéepuisferméeàclé,etlaissaretombersamain.—Ehbien,fitcelui-ci.Voicinotrecoupable,maiselle...—Elle?demandaMarissaenépiantlasilhouetteblottiecontrel’accoudoirdu
canapé.—Oui, c’est une fille.Une servante, apparemment,mais elle refuse de nous
direquiestsonemployeur,ouquoiquecesoitd’autre,d’ailleurs.Marissa pencha la tête pour essayer de voir sous la cape, mais elle ne put
distinguerclairementlevisagemaintenudansl’ombre.— Retirez votre capuche, je vous prie, intima-t-elle d’une voix forte, mais
l’inconnuenefitqueserecroquevillerdavantage.— Elle ne veut rien nous dire, grommela Aidan. Pasmême lorsque nous la
menaçons de faire venir l’officier de police, qui sera sans doute notre dernierrecours.Marissa regarda la filled’unair surpris,mais elle futun instantdistraitepar
Jude.Cederniers’éloignaetrestadeboutàcontemplerlanuitnoireparlafenêtre,tournantledosàtoutlemonde.Elleavaitenviedelesuivreverscecoinprivéetdeluidemanders’ilpourraitluipardonner.Cen’étaitpaslemomentd’avoirdesdiscussionsdecegenre,maissesjambes
ladémangeaientd’allerlevoir.Soudain impatiente,Marissa s’approchade la suspecte et tenta de baisser sa
capuche,maislacaptives’ycramponnaenpoussantunpetitcriaigu.—Oh,pourl’amourduciel,ditMarissa,agacée,laissez-moivousvoir.Ungémissementsefitentendresouslescouchesdelainebonmarché.—C’estétrange,déclaraEdwardens’approchantàsontour.Ellen’apasfait
tantd’histoiresavecnous.Uneidéetraversasoudainl’espritdeMarissa.—Vousdisiezquec’étaitunebonne?—Ouquelquechosedecegenre,jecrois.Marissaprituneprofondeinspiration.—Retirezlacapuche,ordonna-t-elleunedernièrefois.Lafillesecouadenouveaulatête,etMarissasoupirad’unairchagriné.—Retirez-la,Tess, sinon je demande auxhommesdevous tenir pourque je
puissel’ôtermoi-même.Lajeunefemmesepétrifiasoudain,etEdwardregardaMarissa,troublé.—Tess?—Mafemmedechambre.Cellequiadisparulemoisdernier.Nousavonsdû
enengageruneautre,vousvoussouvenez?Edwardn’avaittoujourspasl’airdecomprendre,maisquandMarissatirasur
lacape,cettefois,lafillelâchaprise,etsescheveuxbrunsapparurent.—Tess,soupiraMarissa.
C’étaitsaservante,cequiexpliquaitqu’elleaiteuconnaissancedesatachedenaissancesurlacuisse.Saconfessionembarrassanteausujetdeshommesqu'elleavaitconnusavaitétécomplètementinutile.Maisaumoinsavait-ellesansdoutesauvélaviedePeterWhite,quellequesoitsavaleur.—Commentavez-vouspumefaireça?Deslarmesinondèrentlesjouesdelafemmedechambre,quisecoualatête.—Jesuisdésolée,MissYork.—Jemesuisfaittantdesouciàvotresujet.Mèrepensaitquevousvousétiez
certainement enfuie pour vous marier, mais j’avais peur que quelque chose deterriblenevoussoitarrivé!—Jen’avaispasl’intentiondevousfairedumal,murmuraTess.—Ehbien,c’estpourtantcequevousavezfait!—Jesuisdésolée!C’est...elle...,commençaTess,quisemorditlalangueet
baissalatête.—Qui,elle?criaMarissa.Quelqu’unvousa-t-ilpayéepourfairecela?Qui
est-ce?Tess sanglota doucement et ne laissa plus échapper un mot.Marissa songea
qu’end’autrescirconstances,elleauraitadmirélecouragedelajeunefille,mêmesipour lemoment,ellesesentait trop trahiepourcela.Marissase redressa,ententant d’inspirer profondément pour réfléchir,mais son esprit se troubla quandelleserenditcomptequeJudesetenaitjustederrièreelle.—Çava?murmura-t-il.Elle se tourna vers lui, et il ouvrit alors les bras pour l’enlacer. Elle oublia
soudain tout ce qui se passait autour d’elle. Plus rien n’existait, si ce n’est lesbras forts de Jude et sonodeur épicée. Il effleura ses cheveux avec sa bouche,provoquant des fourmillements jusqu’à son cou. Il l’aimait toujours assez pouravoirpitiéd’elle,aumoins,etMarissaétaitassezfatiguéepours’enréjouir.—Jesuisdésolée,souffla-t-ellecontresontorse,sachantqu’ilnel’entendrait
pas.Cen’étaitpaslemoment,maisellerestablottiecontreluiàselaissercaresser
le dos pendant encore quelques instants avant de se détacher de lui. Elle étaitpresque sûre qu’il avait hésité à la lâcher, mais c’était peut-être aussi sonimagination qui lui jouait des tours, car le visage de Jude était toujours aussiglacial.Ses frères l’observaient avec inquiétude, mais quand elle se retourna pour
regarderTessquisanglotait,ellesesentaitdéjàpluscalme.
—Quivousapayée,Tess?Jesupposequevousavezétépayée,etquevousn’avezpasagiainsiuniquementparressentimentcontremoi?—Biensûrquenon!s’exclama-t-elle.Je...jenepeuxpasendiredavantage.
Jenepeuxpas.— Pourquoi ?Dites-moi juste qui est derrière cette histoire et partez. C’est
aussi simple que cela. Il ne vous arrivera rien, mentit-elle d’une façon qu'elleestimaassezconvaincante.—Jenepeuxpas!gémitTess.Marissan’arrivaitvraimentpasàcomprendresonentêtement.Qu’avait-elleà
perdre ? La menaçait-on ? Mais de quoi pouvait-on menacer une femme dechambre?—C’estinutile,marmonnaAidan.Edwardapprouva.— Elle utilise des informations récoltées pendant qu'elle travaillait à votre
serviceafindevousfairechanter,Marissa.L’officierdepolicetrouverasûrementcela très intéressant. Peut-être changera-t-elle d’avis une fois qu’on l’auraembarquée.Jevaisenvoyerchercherlereprésentantdel’ordresansplusattendre.Jude?MarissaobservaTess,pensantlavoirtrembleràl’idéed’unearrestation,mais
la fille, les yeux baissés, semblait résignée à accepter le destin qui l’attendait.Marissalevaunemainpourarrêterleshommes,puiss’agenouilladevantelle.—Sivousneparlezpas,jeseraidansl’obligationd’allervoirvotrefamille.
Peut-êtrelesvôtressavent-ilschezquivousêtesemployée.Tessrelevasoudainlefront,lesyeuxagrandisparlapanique.—IlshabitentàHull,n’est-cepas?Ellesecoualatête,blême.—Si,c’estbienàHull.JemesouviensquevousyêtesalléeàPâquesl’année
dernière,pourrendrevisiteàvotremère.Vousavezdûleurécrirepourleurfairesavoir l’endroit oùvoushabitezdésormais, carnousn’avons reçuaucune lettrepourvous.C’étaitl’unedesraisonspourlesquellesmèreaffirmaitquevousvousportiezbien.Tess dévisagea longuementMarissa, terrifiée ; puis elle regarda les hommes
l’unaprèsl’autre,commesil’undeuxallaitveniràsonsecours.Maiselleneduttrouveraucunvisagecompatissant,carsesyeuxseremplirentdelarmes.—Sijeparle,ellenemepaierapas.C’estlaseuleraisonpourlaquellejel’ai
fait,jevouslejure.Centlivres...J’aiencorequatresœursàlamaison.Mêmesi
jepasseunanenprison,cetargentpourrait...—C’esttroptard,maintenant,observadoucementEdward.Dites-nousjustela
vérité.Le silence s’installa dans la pièce, pendant si longtemps que Marissa avait
l’impression qu’un bourdonnement incessant y résonnait. Elle entendait aussi le«tic-tac»del’horlogesurlebureaud’Edward,etsedemandapourquoiellenel’avait jamais remarqué auparavant. C’était sans doute parce que le calmen’existaitpasdanslafamilleYork.Tesspritenfinlaparole.—Audépart, ellem’adonnévingt livres, justepourque jevienne travailler
avecelle.Vingtlivres!—C’estpourcelaquevousêtespartied’ici?—J’aitoutenvoyéàmamère,jevouslejure.Jen’aipasagiainsiparcupidité.Marissahochalatêtecommesiellecomprenait.—J’auraisdûmedouterquecettefemmemijotaitquelquechose,maisj’aicru
qu'elleadmiraitpeut-êtresimplementvoscheveuxetlereste...—Quiest-ce?insistaJude.Tessdéglutitpéniblement.—MrsCharlesLeMont.Unsilencedemorts’abattitsurlebureau.Le«tic-tac»del’horlogesefitde
plusenplusfort.Tesssemblasedétendre,commesiellesavaitquesonrôleétaitterminé.—MrsLeMont?répétaEdward.C’estridicule.—Elleestenceinte,ajoutaAidan.Marissaleurdécochaàtousdeuxunregardempreintdeméprisetdecolère,et
seleva.—Etquelestlerapport?Edwardaffichaitunaircomplètementabasourdi.—Elleestsigentille.—Et,ajoutaJude,apparemmentjalouse.Tessacquiesça.—Oui.ElledétesteMissYork.Le regardqu’elle lança àMarissa était lourdde sens.La femmede chambre
était parfaitement au courant de l’histoire d’amour passée entre Charles etMarissa. Celle-ci avait suffisamment confiance en elle pour la mettre dans la
confidence,etsatrahisonluifitl’effetd’unpoidsécrasantsursapoitrine.—Jenecomprendspas.Iln’enaquandmêmepasparléàsafemme?murmura
Marissa.— Elle ne m’en a pas soufflé mot. Elle voulait juste recueillir autant
d’informationsquepossibleàvotresujet.Jen’aipasditgrand-chose,maisellem’a demandé si vous aviez une tache de naissance, ou un autre traitcaractéristique.Jen’aipasvraimentcompris...Puis,ellem’asimplementpriéedevenir chercher un sac ce soir, et a promis qu'elle me récompenserait en medonnantcentlivres.Jenepensaispasàmal,MissYork.Quoiqu’ilensoit,lemalétaitfait.Maistoutaumoinssavaient-ilsdésormais
quilesmenaçait.—Siellemedétestetant,ilyapeudechancesqu'ellelaissetomber,n’est-ce
pas?ditMarissa.Elle ne s’adressait à personne en particulier, et sa question demeura sans
réponse.Edwardjetauncoupd’œilversl’horloge.—Mieuxvautattendredemainmatin.Ilestdéjàpresqueminuit,etlapropriété
desLeMont est à près de trois heures de route.Nouspartirons dès le lever dujour.—Etlafille?demandaJude.TouslesregardsconvergèrentversTess,quirecommençaàpleurer.Edwardsoupiraetfinitpardire:— Je pense que nous devrions l’enfermer dans une chambre ce soir et
l’envoyeràHulldemainmatin.Vousallezrentrerchezvous,Tess,j’espèredoncquecesvingtlivresvoussuffirontpourunmoment.—Biensûr,chuchota-t-elle.Aidanlatiraparlebraspourqu'elleselève.—Deuxièmeétage,jesuppose?TessjetaundernierregardmisérableàMarissaavantdequitterlapièceavec
Aidan.Marissa ressentit une pointe de pitié pour celle qui avait été sa bonnependant quatre ans. Pourtant, Tess avait eu parfaitement conscience qu’on luidemandaitdefairequelquechosedemal.Personnenel’auraitpayéecentlivresenéchanged’untravailcaritatif.— Pourquoi n’essayez-vous pas d’aller dormir un peu, Marissa ? proposa
Edward.Nousréfléchironsdemainàlafaçondontnousallonsprocéder.SiMrsLeMontestunepersonneraisonnable...Marissanelaconnaissaitpassuffisammentpourpouvoirl’affirmer.Ellel’avait
déjà rencontrée une dizaine de fois, mais même avant qu’elle se marie avecCharles, aucune amitié n’était jamais née entre elles. C’était une demoisellesérieuse,quiavaittoujourssembléplusàl’aiseaveclesfemmesmariées,tandisqueMarissapréféraitlacompagniedesfillesplusjeunes.Etdesgentlemen,bienentendu.Ellen’arrivaitpasàcomprendrecomment l’épousedeCharlesenétaitvenueàladétester.Sortant de sespensées, elle leva la tête et vit que Jude avait repris sa place
prèsdelafenêtre,ledostournéàlapièce,hurlantsondésirdeseretrouverseul.Malgré tout, elle envisagea de s’approcher de lui pour lui demander si ellepouvaitluiparlerenprivé.Maisqueluidire?Jesuisdésoléed’avoirpenséquevous étiez laid. Je suis désolée de vous avoir apprécié et désiré, tout enestimantqu’ilnepourraitrienyavoirdeplusentrenous.Quesepasserait-ilsicesparolesnefaisaientqueleblesserdavantage?Mieux valait attendre le lendemain, pour que cette histoire de chantage soit
derrièreeux.Mieuxvalait attendredeconnaître la situationavantdedécider sielleavaitintérêtàfaireunpasversluiouàsimplementlelaisserpartir.ElleabandonnadoncJudeàsasolitudeetsedirigeaverssesappartementspour
égalementseretrouverseuleavecelle-même.SiseulementellepouvaitsavoirsiJude songeait à elle en regardant l’obscurité par la fenêtre, ou s’il priait pourpouvoirvitequittercettemaisondefousetneplusjamaisyrevenir...Lesyeuxperdusdanslanuitnoire,Judeavaitlasensationquetouslesmuscles
desoncorpsétaient tendus.Qu’avaitvouluexprimerMarissaen lui touchant lamain?Etenseserrantsifortcontrelui?Rien, affirma-t-il à son cœur blessé. Rien de plus que n’avaient signifié ses
autres caresses. Il y avait tant d’autres choses desquelles il fallait s’inquiéter,pourtant, Jude semblait incapable de détourner ses pensées de Marissa pourréfléchirauproblèmedeMrsLeMont.JudeentenditEdwardsoupirerbruyammentetseretournaalors.Lebaronétait
affalé sur son bureau, la tête dans les mains, l’image même d’un gentlemantroublé.Quandilrelevalatête,sonregardlascomplétaleportrait.—Jeferaismieuxd’allervoirsiAidann’apasbesoind’aide,grommela-t-il.
Leslogementsdenosdomestiquesnesontpasvraimentadaptéspourhébergerdesprisonniers.Ilselevaetrejetasesépaulesenarrière,commepourrééquilibrerunfardeau
qu’ilporterait.
—Ademainmatin.Judefitungestedelamain.—Bonnenuit.Il était en train de se retourner vers la fenêtre quand il entendit la voix
d’Edwarddanslecouloir:—Harry.Jereviensdansquelquesminutespourvousmettreaucourantdece
quis’estpassé.—Mais...,commençaHarryenpénétrantdanslebureau,levisagecrispéparla
confusion.Aunomduciel,ques’est-ilpassé?Lafillea-t-elleavoué?—Oui,réponditJude.IlservitunverreàHarryets’approchaprudemmentdelui,avecuneexpression
neutre.—C’étaitlafemmedechambredeMarissa,quiestensuiteentréeauservicede
MrsCharlesLeMont.— Mrs Charles LeMont ? s’exclama Harry. Mais cela n’a aucun sens. Le
chantage...—Elle avait l’intention de compromettre la réputation deMarissa en raison
dessentimentsquesonmariéprouvaitpourelleàuneépoque.—MonDieu,murmuraHarry.Toutcelaàcaused’unamourdejeunesse?Lasurprisepouvaitseliresursestraits,maisJudeéprouvaituneimpressionde
malaise.Harryétaitunexcellentacteur,aprèstout.Jude sentit la chair de poule l’envahir. Son instinct ne l’avait encore jamais
trompé.—C’estunsacréexploitàaccomplirseulepourunefemmedesonéducation,
n’est-cepas?dit-ilenhaussantunsourcil.—Eneffet,réponditHarrysansmêmeciller.— Pensez-vous qu’elle ait un complice ? Quelqu’un qui ait pu la mettre en
relationaveclaservanteetl’aitaidéàcomploter?—C’estpossible,réponditHarryd’unairpensif.L’undesinvités,vousvoulez
dire?Judepenchalatête.—Jesongeaismêmeàquelqu’undeplusprocheencore.Harry continua d’afficher une expression perplexe pendant quelques instants,
puis écarquilla soudain les yeux en croisant le regard de Jude. Son visages’empourpraviolemment.
—Ehbien,monsieur!J’espèrequevousn’êtespasentraindem’accuser!—Peut-êtrequelemotestunpeufort.—Commentosez-vous ! Je suis soncousin.Unmembredecette famille !Si
quelqu’unpouvaitavoirquelquechoseàgagneraveccescandale,c’estbienvous.Cen’étaitpasfaux,maisJudeétaitsûrdelui.—Ah,dit-il,cen’estpourtantpasmoiquicachequelquechoseàcettefamille,
Harry.Maisvous.Juderessentituneprofondesatisfactionenvoyantlapaniquedanslesyeuxdu
jeunehomme.Sansaucundoute,lecousindeMarissadissimulaitquelquechose.Quelquechosed’important,semblait-il.—Jene...n'aipas...bafouilla-t-il.Certainementpas.—Vousmentez.Jelevoisclairementsurvotrevisage,sansparlerdelapetite
scènedans la courde l’écuriedont j’ai été témoin.Uncertainpaquetquevousavezremisaugarçond’écurie...Harrydevintblanccommeun linge, et Jude ressentitpendantun instantde la
compassion.—Vous...vousn'avezpas...?balbutiaHarry.—Dites-moilavérité,Harry,sinonj’estimeraiqu’ilestdemaresponsabilité
d’alerterEdwardàproposdecequej’aivu.—Celan’arienàvoiraveccettehistoire,murmuraHarry.Jelejuresurmon
honneurdegentleman.—Lemêmehonneurquivouspermetdevivresousletoitdevoscousinsetde
leurmentirsansvergogne?Dites-moicequevousavezfait.Peut-êtreavez-vousaidéMrsLeMontsansmêmevousenrendrecompte.—Vousvoustrompezcomplètement!Vousdevezmecroire.Judeavaitenviedelecroire,neserait-cequepourpréserverMarissa.—Dequois’agit-il,alors?demanda-t-ildoucement.Harrysecoualatête.—Ilnefautpasqu’Edwardl'apprenne.Jeluidoistrop,et j'aipristoutesles
précautionsnécessairespourprotégerlenomdesYork,jevouslejure.C’estjusteque j'avais le sentiment d’avoir si peu d’importance. Une branche inutile del’arbregénéalogique.Àuneépoque,jem’occupaisd’Aidan.Onavaitbesoindemoi.Puis...Juden’ycomprenaitplusrien.—Ques’est-ilpassé,monvieux?
—C’étaitparennui,jesuppose.Jecroyaisquepersonnenelesaurait.JudesaisitHarryparlebraspourattirersonattention.—Qu'avez-vousfait?Harry le regarda avec de grands yeux, comme si sa propre confession le
surprenait.—J’aiécritunlivre,murmura-t-il.Judesecoualatête,incrédule.—Vousavezfaitquoi?— J'ai écrit un livre. Je ne m'y attendais pas, mais il a été accepté par un
éditeur, quim’en a commandéun autre. J'en ai donc écrit undeuxième,puisuntroisième.Judelaissatombersesbras.—Unlivre?Quelgenredelivre?Harryrougitdenouveau,etgrimaça.—Riendebienédifiant,j’enaipeur.Maisj'aiprisgrandsoindepréserverle
secret demon identité. Jem’inquiète cependant, car je ne pensais pas quemesécritsrencontreraientuntelsuccès.L’argentestenvoyésuruncompteaunomdemonnotaire.Personnene fera jamais le lien entreWilliamWicket et la familleYork,jevouslejure.Jepréféreraismourirplutôtquededéshonorermescousins.—WilliamWicket,murmuraJude.Pourquoicenommesemble-t-ilfamilier?—Sij’avaissuqu’autantdegenslesliraient...Judeserappelasoudain.—Lelivre,fit-il.Celuiquej’ailuavecMarissa!—Oh,monDieu,gémitHarry.Jevousenprie,n’enditesrienauxYork.Après
toutcequ’ilsontfaitpourmoi...L’angoisse qui ravageait l’estomac de Jude s’évanouit subitement. Son air
renfrognésetransformaenunéclatderire.—Vousécrivezdesromansd’amour?—Chut!lançaHarryavecunregardterrifiéverslaporte.—Cen'estpassimal.J’aimêmeplutôtappréciél'histoire.Dequoiavez-vous
peur?— Des commérages. Des ricanements. Les commentaires scandalisés sur
chaquelignedemeslivres...Celaseraithorrible.Juderéfléchituninstant.—Sansdouteavez-vousraison.Celaferaitsensation.
— Bel euphémisme. Écoutez, je viens d’envoyer le dernier manuscrit. Jen’écrirai plus, je vous le promets. Je n’aime pas ridée de vous demander dementir àma famille,mais verriez-vous un inconvénient à garder ce secret pourvous?Judehaussalesépaules.—Jenevoispaspourquoi.Vousnefaitesdemalàpersonne.Àpartauxesprits
sensiblesdesjeunesAnglaises,jesuppose.Harrypassaunemaintremblantesursonfront.—Jenepeuxvousremercierassez.—Ce n’est rien. Et veuillezme pardonner d’avoir eu des soupçons à votre
encontre.Harry balaya ses excuses d’un geste et vida le verre de brandy que Jude lui
avaitserviquelquesminutesauparavant.—Considérezquec’estoublié,dit-ild’unevoixgrave.Judeétaitheureuxdepouvoirluirendreservice.Ilauraitd’autresproblèmesà
réglerlelendemain,etlavisiteàMrsLeMontsemblaitlemoindred’entreeux.
Chapitre21
Judechevauchaitdans lebrouillardde l’aube, ignorant les regardsdesdeuxhommesquil'accompagnaient.Ilsentaitlamorsuredelabrumesursonvisage,luiglaçant les joues.Le froidne le dérangeait pas. Il était assorti à sonhumeur etfigeaitsonexpressionrenfrognée.Aida se racla la gorge, mais Jude fit mine de ne pas l’entendre. Ils étaient
presquearrivéschezlesLeMont,aussineluifallait-iléchapperà leurcuriositéquepourquelquesminutesencore.—Dites-nous,Jude,serisquaEdward,êtes-vousamoureuxdenotresœur?Perturbé par la franchise de la question, Jude baissa la tête et talonna son
cheval.LesYorkl’imitèrent.Aidanseplaçaquelquesmètresdevantluietseretourna
pourregarderJudedanslesyeux.—Jude,êtes-vousamoureuxd’elle?—Bonsang,enquoicelavousconcerne-t-il?—C'estnotresœur.—C'estmafiancée!Vousavezdéjàdonnévotrebénédictionànotremariage.
Leresten’estplusdevotreressort.Aidan lança un regard furieux à Jude, comme si celui-ci avait fait quelque
chosedemal.—Tomberamoureuxd’unefemmen’arienàvoiravecsimplementl’épouser.
Nous savons tous deux parfaitement que de nombreux couplesmènent des viesséparées.Maisunmariamoureux...cepeutêtre laporteouverteàdenombreuxennuis.—Cetteconversationest ridicule, rétorquaJude.Vousn’avezaucune idéede
cedontvousparlez.—Pourtantvousn’avezriennié.—Et, ajoutaEdward, vous êtes d’une humeurmassacrante depuis des jours.
Renfrogné et hargneux, tandis qu’en présence de Marissa, vous êtes froid etsilencieux.Judechoisitderestercalmeetdenepasrépondre,maisAidanne l’entendait
pasdecetteoreille.—Vousêtesamoureuxd’elle,aboya-t-il.Admettez-le!—Jen’enferairien.Vousêtesdeuxidiots.AidanralentitlerythmedesamonturepourchevaucheraucôtédeJude.Sansle
regarder,ilditdoucement:—Ellenevousaimepas,Jude.Celanepeutquemalfinir.Vousvenezdedeux
mondesdifférents.LacompassionqueJudeperçutdanslavoixd’Aidannefitrienpouraméliorer
sonhumeur.«Deuxmondesdifférents.».Sonamioubliait-ilqu’ilavaitvéculamoitiédesaviechezunduc?Iltirasurlesrênes:sonchevalfitunécartetheurtacelui d’Aidan. Judemurmura quelquesmots apaisants et flatta l’encolure de samonture.Pendantunlongmoment,personneneparla,puisEdwards’éclaircitlavoix.— Je voudrais vous remercier, Jude. Vos soupçons étaient fondés. Si vous
n’aviezpasétélà,AidanetmoiaurionssansaucundoutetenuPeterWhitepourresponsable.—Unefoisdeplus,mesbassesoriginesseserontrévéléesutiles.Gêné, Edward se racla de nouveau la gorge, ne sachant que répondre. Jude
souhaita pouvoir ravaler ses paroles mesquines aussi facilement qu’il avait sisouventravalésafierté.Finalement, il fut sauvé par le paysage. Parvenus sur le haut d’une petite
colline,ilsvirentleurdestinationapparaître.Lestroishommess’arrêtèrentpourl’observer.Unevisitepeuréjouissantelesattendait.—Jude,repritAidan,maiscelui-cil’interrompitd’ungeste.—Quel’histoireavecMarissaseterminebienounon,finit-ilpardéclarer,je
suisaumoinscertainquedesleçonsenseronttirées.C’esttoutcequej’aiàdire.Aidanémitunlégergrognementetluidonnaunetapedansledos.Enréponse,
leschevauxseremirentenroutepourdescendrelacolline.—Alors,quevoulez-vousfairesiCharlesLeMontestprésent?demandaJude.Edwardserralamâchoire.—Ehbien,jesupposequ’ilapprendraunevéritéqu’iln’apasforcémentenvie
d’entendre.
—Safemmeniera.—Bienentendu.Quand ils arrivèrent, Edward confia leurs montures au garçon d’écurie. Ils
n’avaientpas l’intentiondes’attarder.Pourtant, ils se retrouvèrentàarpenter lepetit salonpendantunebonnedemi-heure.Samaîtresse était encore en traindes’habiller,expliqualaservante,queleurprésencesemblaitrendrenerveuse.Ilsnedevaientpasavoirl’airtrèsamènes,pensaJude,quiavaitl’impressiond’êtrelàpourassisteràunependaison.Edwardavaitraison.MrsLeMontnieraitcertainement,etaucund’entreeuxne
seréjouissaitàlaperspectivededevoirbrusquerunefemme.L’expérienceavecTess avait déjà été suffisamment éprouvante. Comment agir face à une dameenceinte?Siellefeignaitd’êtremalade,ilsn’auraientaucunmoyendelutter.Judeavait le vague sentiment que l’embuscade se terminerait avec trois hommes aupieddulitde leurennemieévanouie, luiéventant levisageet luiproposantunetassedethébienfort.Il sentit une brûlure dans son estomac à cette pensée, nullement apaisée par
l’apparition de Mrs LeMont dans la pièce, tout sourires. Elle posa une mainélégantesursonventrearrondi.—Messieurs!Quelplaisirdevousrevoirsivite.C’était, comme l'avait dit Aidan, une belle femme. Empreinte de dignité et
respirantlasanté.Maisens’approchant,Judeconstataquesapeau,siparfaitedeloin,étaitcouvertedepoudre,quinemasquaitqu’imparfaitementsescernes.Etmême si elle arborait un large sourire accueillant, elle avait les yeux trèsbrillants. Elle était nerveuse, ce qui n’avait rien d’étonnant. La servante avaitdisparuetàprésent,ellese retrouvaitseuleavec troishommesauvisagegravedans son petit salon. Jude comprit pourquoi les frères York n’avaient pas étécapables de voir qu'elle cachait quelque chose. Son ventre attirait le regard etinspiraitlasympathie.—Monépouxestparticematinpoursuperviser ledéfrichaged'unchamp,je
suisdoncgênéedevousdirequevousl’avezmanquéunefoisdeplus!Vouslavezcependantvuhiersoir,n’est-cepas?Oui,biensûr,jemesouviens,maintenant.—Eneffet,fitEdward.—L’étatdevotrechevalnes’estdoncpasamélioré?— Mrs LeMont... commença Edward, d’une voix bien trop sérieuse pour
laisserprésagerdebonnesnouvelles.Pourtant, lesouriredeMrsLeMontnes’étiolamêmepasuntoutpetitpeu.Si
Juden’avaitdéjàétéaucourantdelavérité,cetteattitudeluiauraitmislapuceà
l’oreille.Edwards’éclaircitlavoix.—Nousnesommespasicipourparlerducheval.— Vraiment ? s’exclama Mrs LeMont d’une voix faussement étonnée. Oh,
veuillezpardonnermagrossièreté,messieurs.Asseyons-nous,etpermettez-moidevousoffrirduthé.Laboissonavaitétéapportéeaumomentdeleurarrivéemaislestassesétaient
encorevides.Mêmeaprèsleuravoirfaitsignedes’asseoir,ellenetouchapasàlathéière.—MrsLeMont,repritEdward.NousavonsparléàTess.—Tess?demanda-t-elle.—Lafemmedechambre.Ellesecoualatêteavecunaird’incompréhensiontotale.—Cellequevousavezenvoyéehiersoirpourretirerl’argent.Monargent.—Quelleétrangechosevousditeslà!s’exclama-t-elled’unevoixaiguë,sans
sedépartirdesonsourire.—MrsLeMont...,fitEdwardd'untondésespéré.Judeenavaitassezentendu.—NoussavonsquevousêtesderrièrelamenacequipèsesurMissYork,alors
si vous tenez à garder un semblant de dignité, vous allez cesser votremise enscèneridiculeetnousraconterlavérité.Vousavezperdu,madame.Lesouriredelajeunefemmes’effaçabrusquement.—Monsieur,rétorqua-t-elled'untonhargneux,jenevousconnaispas.—JesuislefiancédeMissYork,etjepensequec’esttoutcequevousavez
besoin de savoir. Je considère qu'en lamenaçant, vousm'atteignez aussi, voilàpourquoijesuisicipourm’assurerqueleschosesn’aillentpasplusloin.LevisagedeMrsLeMontsecrispadansuneviolenteindignation.Toutsonsang
affluaverssespommettes,formantdeuxtachesécarlates.— Peut-être, ajouta Jude, devrions-nous poursuivre cette conversation en
présencedevotremari?Ilavaittouchésonpointfaible.Enquelquessecondes,sonindignationcédala
placeàuneprofondeterreur.Ses yeux qui brillaient avec intensité laissèrent brusquement échapper un
torrentdelarmes.—Nefaitespascela,murmura-t-elle.—Madame,ditEdwardensepenchantverselle.Vousdevezmettrefinàcette
terribleagressioncontremasœur.Jenesaispascequevousluireprochezpour...—Ill’aime...,siffla-t-elle.Judesepétrifiasoudain,commesiellevenaitdelemettreànu.Illuifallutun
certaintempspourserendrecomptequ’elleneparlaitpasdelui.—Ill’atoujoursaimée.—Votremari?demandaEdwardenfronçantlessourcils.—S’ildécouvrecequej’aifait,ilvamedétester.Jevousensupplie...Edward lui tendit un mouchoir. Jude ressentit un bref moment de vertige à
l’idéequ’ilfaillerespecterlesrèglesdecourtoisiequoiqu’ilarrive,mêmesiladameserévélaitêtreunmaîtrechanteur.Danslecercledesamère, lasituationauraitétégéréeavecunpeumoinsd’hypocrisie.MrsLeMontsetamponnalecoindesyeux,etJudeinterrompitalorscettescène
larmoyante.—Pourprésenter leschosesdefaçonunpeuplusabrupte,madame, jedirais
quevousavezdécidédedétruirelaréputationdesYorkparcequevousn’aimezpasMarissa,etdelesdépouillerparlamêmeoccasion.—Non!Jen’avaispasl’intentiondelesvoler,maisj’aipenséquelecoupable
seraitmoinsfacilement...démasqués’ilyavaitdel’argentenjeu.— Mais vous aviez bien l’intention de compromettre la réputation de la
famille?OucelledeMarissa,toutaumoins.Elleseraidit,etsamâchoirefutagitéed’unfrémissementderage.— Ce n’est pas juste ! C’est monmari ! Il m’a prise comme épouse ! J’ai
toujours soupçonné qu’il avait des réticences à m’aimer. Au départ, je necomprenaispaspourquoi.Etpuisjelesaivus...—Quevoulez-vousdire?aboyaAidan.Elle sursauta et pressa le mouchoir contre sa bouche en s’efforçant de
recouvrersonsang-froid.—Pendantunefêtedelamoisson.J’ailevélesyeuxversluietj’airemarqué
une certaine expression sur son visage... comme s’il se languissait de quelquechose.Commes’ilavaitlecœurbrisé.Etensuivantsonregard...jesuistombéesurMissYork,quisepromenaitavecungentleman.Judepritunairmenaçant.—Etc’estàellequevousreprochezcela?—Quid’autrepourrais-jeblâmer ?Monmari ? Je l’aime !MissYorkavait
l’air sidésinvoltequ'elledonnait l’impressiondenemêmepasêtreatteinteparsonamour. Il aurait suffid’unseulmotcruelvenantde sabouchepourqu’il se
détache,mais elle était toujours suffisamment gentille avec lui pour qu’il restesoussoncharme.—Malgrétout...—Jemesuisrenseignée,etj’aidécouvertqu’ilsavaientétéamoureux.J’aivu
la façon dont elle se comportait avec les autres hommes. Elle cherchait à lesséduire,d’unemanièresientreprenante.J’aisu...J’aisupposéqu'elleetCharlesavaient...Etensuite...Elle leva lesyeuxun instant,commesielleétait interrompueaumilieud’une
penséeintime.SonvisagesedurcitquandellecroisaleregarddeJude.Ilsavaitqueleméprisselisaitsursestraits,maisilnepouvaitledissimuler.—Cessezdemeregarderainsi.J'auraispuacceptercela.Jem’étaispersuadée
que c’était le fruit demon imagination.Quemes propres yeuxm'avaientmenti.Maisalorsil...ilamurmurésonnom.Ilamurmurésonnomdansmonlit!Judesentitunevaguedechaleurleparcourir.Iléprouvaunepointedejalousie,
maisaussiunebrusqueetterriblecompassionpourlecœurdecettefemme.— Il ne s'en est même pas rendu compte. Il m'a appelée par son nom, sans
mêmes’enrendrecompte,dit-elledoucement,sesderniersmotss’étouffantdansunsanglot.Edward lança un regard furieux vers Jude, comme s’il avait agi de façon
horrible.MaisAidanvint à sa rescousse, enmontrant lamême inflexibilitéquelui.—Vousavezdoncdécidédeprendrevotrerevanche?—Jel’aime,gémit-elle.Etquandj’aidécouvertquej’attendaisunenfant,j’ai
ressentiunbesoindésespéréd’êtreaiméeen retour. Jevaisêtre lamèredeseshéritiers. Comment peut-il ne pas m’aimer ? J’ai pris Tess à mon service enpensant que je pourrais aumoins révéler àmonmari certains secrets surMissYork. La démolir par des commérages oiseux. Puis, quand j’ai eu vent desrécentesrumeursàsonpropos,ehbien,jemesuisditquec’étaittropbeaupourêtrevrai.Jevoulaisjustequ’il lavoiepourcequ'elleétait!Jevoulaisqu’il laméprise,qu’illadéteste.Judeserenfonçadanssachaise,soulagéquetoutelavéritééclateenfin.—Auprèsdequiavez-vouscolportévosmensonges?—Jen’airiendit.Pasencore.—Pasencore?demandaEdward.Malgrésamainquitremblaitviolemment,ellenedétournapasleregard.—Je...Tess, la bonne...Ellem'a appris quevotre sœur avait euune liaison
avecFitzwilliamHess,maissivouspromettezdeneriendireàmonmari,jevouslejure,jen'ensouffleraimot.— Pour l’amour du ciel ! rugit Aidan. Etes-vous en train de nous menacer,
mêmemaintenant?—Jevous enprie ! cria-t-elle. Je suisdésolée,mais je l’aime !Sivous lui
révélezcequej’aifait,jamaisilnemepardonnera.Jevousensupplie,accordez-moi juste cela. Faites comme si je n’existais pas au prochain bal si vous lesouhaitez,maiss’ilvousplaît,neditesrienàCharles.Ellesanglotaitàprésent,entourantsonventrearrondidesesbras.—Cequevousfaitesestimpardonnable,observaEdward.Lesyeuxclos,elleacquiesçadefaçonfrénétique.—Bonsang, lâcha-t-il.Jurez-vousdene jamaisneserait-cequ’insinuerquoi
quecesoitausujetdenotresœur?—Jelejure.Surlaviedemonenfant.Ayezpitiédemoi.Jude souhaitait en finir avec cette histoire. Il jeta un coup d’œil àAidan, et
s’aperçutquecelui-ciévitaitsonregard.Malgrésoncaractèreirascible,sonamiavaitboncœur,etn’aimaitpasêtrecruelaveclesfemmes.Destroishommes,c’étaitcependantEdwardquiavaitlecœurleplustendre.Il
s’apprêtaitàprendre lamaindeMrsLeMontquandilseressaisitsoudainetserenfonçadanssonfauteuil.— Bien, déclara-t-il enfin. Vous allez devoir attirer votre mari d'une autre
manière.Jeneluidirairien.—Merci,sanglota-t-elle,serecroquevillantcommesiellevoulaitprotégerson
enfant.Merci.Jesuisdésolée.Jen’ai...jecroisquejesuisdevenueunpeufolle.Judeavaitsouvententenducelaàproposdesfemmesenceintes,parlesamies
desamère.Aprèscoup,ellesriaientdeleurssautesd’humeuretdeleurcaractèreobsessionnel,maisilnepensaitpasqueceseraitlecasdeMrsLeMont.AidansortitetEdwardluiemboîtalepas,tandisqueJudehésitaituninstant.Ilfaillitpartirsansunmot,maisellelevaalorsunvisageinterrogateurverslui.—Votremari,commença-t-ilavecprécaution.IladanséavecMissYorkhier
soir.Etcelle-ciaditàsonfrèreAidan,quimel’arapporté,qu'ellen’avaitjamaisvuMrLeMontaussiheureux.Lajeunefemmeeutl’airinterloquée.—Vraiment?—Apparemment,iln’apascessédeluiparlerdevousetdubébé.
LestraitsdeMrsLeMonts’éclairèrentet,pendantquelquesinstants,l’espoirselutsursonvisage.Judelalaissaalorsàsespensées.Ilcomprenaitcequec’étaitque d’aimer sans l’être en retour. Lui n’avait peut-être pas eu recours à desactivitéscriminelles,maisils’étaitridiculisé,sicen’étaitplus.Remontant sur leurs chevaux, les hommes semirent en route pour rentrer. Ils
auraientdûressentirunecertainesatisfaction,carilsavaientnonseulementévitéun désastre,mais aussi sauvé à la fois la réputation de la familleYork et cinqmille livres. Pourtant, tous trois affichaient une expression maussade endescendantl’alléedelapropriétédesLeMont.—Ehbien,fitAidan,iln’yaurapasdescandale,ilsembledoncquenousne
deviendronspasfrères,endéfinitive.—Vousdevezêtresoulagédenepasavoirbesoindemesservices.— Jude, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Je suis touché que vous ayez
accepté d’épouser Marissa. Mais à présent... elle ne paraît simplement paspartagervossentiments.Judescrutal’horizon,sansunmot.Cettefois,lesfrèresn’insistèrentpas.Parler
d’amourétaitunechose,maisuncœurbriséenétaituneautre.
Chapitre22
Malgrélefroidquiluiengourdissaitleboutdesdoigts,Marissasepromenaitdanslejardin.Lesrosesétaiententraind’êtretaillées,etMarissaavaitenviedesurveiller les jardiniers,mais surtout, elle n’en pouvait plus de rester assise àbroderenattendantdesnouvelles.Le babillage incessant de samère n’avait pas aidé à calmer ses nerfs, aussi
Marissa l'avait-elle laissée commérer avec la tante Ophélia, qui était sourde.Harryétaitpartidepuislongtempspourunepromenadeàcheval.Iciaumoins,danslefroidvifetpiquantdel'automne,ellepouvaitrespirer.Le
vent agitait sa cape bleue en tous sens, assouvissant ainsi son besoin instinctifd’effetdramatique.Siellen'yprenaitpasgarde,elleallaitirritersapeauclaire,quinesupporteraitpasuntraitementsirude.Elles’apprêtaitàremontersacapuchequandelleaperçutducoindel’œilun
homme,àquelquesmètresd’elle.Jude.Debout sous l'arbre où ils s’étaient allongés tous les deux si peu de temps
auparavant,ill’observaitavecintensité,sansmêmeessayerdesecacher.Ellesesentitalorsenvahieparuneprofondesatisfaction.Illaregardaitcommesielleluiappartenait. Elle prit alors conscience de ce que sa présence signifiait. Ellemarchaversluiàpaslentsetilémergeadel’ombrepourveniràsarencontreprèsdesrosiers.Sonrépitavaitétédecourtedurée.—L'avez-vousvue?demanda-t-elle.Ilacquiesça.—Et?—Elleétaitjalousedevous.—C'estabsurde.Charleslaépousée.—Elleal’impressionqu’ilesttoujoursamoureuxdevous.Marissa ne fit pas semblant de ne pas comprendre. Elle était certaine qu’il
l’aimaitencorequandilavaitprononcésesvœux.Maiscelafaisaitlongtempsquecen’étaitpluslecas,c’étaitcertain.—Jecroisqu'ellesetrompe,Jude.Ilm'aaimée,maisc'estdupassé.—C'estexactementcequejeluiaidit.—Et...a-t-elletoutavoué?—Oui.Souslaconditionquenousn'endisionsrienàCharles.Marissafronçalessourcilsd'unairmauvais.—Maisildevraitsavoirquelgenredefemmeilaépousé.Elleesttrompeuse,
manipulatriceet...—Elleestamoureusedesonmarietattendsonenfant,répliquaJude,lefront
ridéparl’inquiétude.Elleaaffirméqu’audépart,elleavaitseulementl’intentionde raconter àCharles des commérages sur vous. Je ne veux pas dire que nousallonsdevenirdesamisintimes,elleetmoi,maisjecroisseulementquec'estunefemmequisouffre.Mêmesielleétait toujoursfurieusecontrel’épousedeCharles,Marissatenta
desemettreàsaplace.EtremariéeàJudeetsavoirqu'ilenaimaituneautre.Iln’étaitpasdifficiledes’imaginerdevenirfollededouleuretdefrustration.—Vousêtessûrqu'elleétaitsincère?—Absolument.Etsescraintessontfondées.Sisonmaridécouvrecequ'ellea
fait,toutcequ'ilsontconstruitensemblerisquedes’effriter.—Jecroisquejevaisdoncmerésoudreàlaisserpassercela,alors.Judehochalatête.— Que ce soit justifié ou non, elle avait le sentiment de vivre avec votre
fantômeentreelleetsonmari.—Essayez-vousvraimentdetransformermacolèreenculpabilité?JudesouritetoffritsonbrasàMarissa,qui l'accepta.Elleressentitunespoir
timide s'éveiller en elle, alors qu’ils longeaient le jardin. Leur complicitésemblaitrenaître.Peut-êtren’enavait-ilpasencorefiniavecelle.— Non, dit-il, mais j’admets éprouver de la compassion pour cette
malheureusefemme.J’étaisenragequandjesuisarrivéchezelle,etmélancoliqueenpartant.Pensez-vousvraimentqu’ilensoitvenuàl’aimer?Elleacquiesça,ensedemandantcommentelleallaitréussiràaborderlesujet
plus épineux de ses propres sentiments. Le moment était venu, puisque aucunobstacleextérieurnesedressaitplusentreeux.Ilétaittempsdemettresespeursdecôtéetdeparleràcœurouvert.
Mais elle était paralysée par ses craintes. Il n'y avait plus de danger. Plusd’impératifdesemarier. Judeétait libre,etelle luiavaitdonnédenombreusesbonnes raisons de changer d’avis sur leur alliance. Elle devait à présent leconvaincre qu’il ne s’agissait pas seulement d'une comédie, d’un moyendésespérédesauversaréputation.Marissadevaitluiavouercequ’elleressentaitréellement.Elleavaiteudesheurespourpréparersondiscours,maisellenelesavaitpas
utiliséesàbonescient.Elles’étaittourmentée,lamentée,avaitfaitlescentpasenfronçantlessourcils.Maisellen’avaitpaspenséauxmotsjustes,etalorsqu'elles'efforçait en vain de les trouver, Jude prit la parole, rendant son discoursimpossible.—Jevaispartirdemaindanslamatinée.Unephrasetoutesimple,maisquivoulaittoutdire.Elleréagissaittroptard.—Vous...vouspartez?—Nousresteronsnaturellementfiancés,mais jenesuisplusd’aucuneutilité.
Vousêtes sauvée. Jevous laisseraidéciderdesdétailsde la ruptureavecvotremère,ainsiquedelafaçondontelleseraofficialisée.Elle sentit ses membres s’engourdir et s’alourdir sous le poids de cette
annonce, et eut l’impression de n’être plus soutenue que par le bras de Jude.Marissaresserral’étreintedesesdoigts.—Mais...— Je vous fais confiance pour que l’on ne me dépeigne pas sous un trop
mauvaisjour.Illuisouritalors.Illuisouritvraiment,tandisqueMarissaluttaitpournepas
s’écroulerdansl’herbe.—Oui,murmura-t-elle.Bienentendu.Vousavezétésibonpournous.Ilnenous
viendraitmêmepasàl’idéedevousfairepasserpourleméchant.—Ehbien,votremèreneserapeut-êtrepascapablede résister,pour rendre
l’histoireunpeuplusdramatique,maisjesaisquevousferezattentionàmoi.Illuisouritdenouveau,etcettevueluidonnalevertige.—Jude...Jevoulais...C’est-à-direque...—Non,neditesrien,Marissa.Jevousdoisdesexcuses.Jemesuiscomporté
de façon abominable ces derniers jours. Ce que j'ai dit et fait... c’étaitinexcusable,etj’espèrequevousmepardonnerez.Ellesetournaverslui,serrantsonbrasavecforce.—Biensûrquejevouspardonne.
—J’ensuisheureux.Il lui adressa sonpetit sourire encoin, et ellepensa alorsqu'il allait ajouter
quelquechose.Luidemanderuneautrechanced'obtenirsamain.Maisildéclarasimplement:— Peut-être que je suis vraiment resté trop longtemps ici et que j’ai été
contaminéparl’espritd’Othello.Pasl’espritmeurtrier,biensûr,maisl’espritdefolie.C’étaituneplaisanterie.Ilplaisantait.Elleseforçaàsourire.—Jen’aijamaisétéunhommejaloux,Marissa.Maisjevousétaistropattaché
pourmonpropreéquilibremental,jecrois.J’airetrouvémesrepères,etj’espèredoncquenouspourronsresteramis.—Biensûr,murmura-t-elle.—Peut-êtrepourrions-nousresterencontact.« Rester en contact ? » Comment pouvait-il suggérer cela de façon aussi
détachée?Neressentait-ilplusriendutoutpourelle?—Jevousenverraimêmemesromanspréférés,etcettefoisvousaurezledroit
demetaquiner,ajouta-t-il.—Celameplairait,mentit-elle.Elle leva les yeux vers sa grande bouche, son nez abîmé et ses sourcils
menaçants.Cequ'elletrouvaitautrefoisvulgaireluiparaissaitdésormaissensuel.Ce qu'elle avait jugé brutal lui semblait tout simplement masculin. Elle avaittouché ces cheveux sauvages et épais, qui s’étaient révélés si doux sous sesdoigts.Elleavaitembrasséceslèvresetlesavaittrouvéesplustendresquecellesdetouslesautreshommesqu'elleavaitconnus.Ilavaitfaillidevenirsonmari,etdorénavantilvoulaitqu’ellesoitsonamie?
La détestait-il tellement ?Quelques jours auparavant, il était nu devant elle, ladéfiant de le toucher, et à présent, il lui faisait des adieux amicaux, avec lapromessed’uneoudeuxlettresspirituelles?Ildevaitvraimentlahaïr.Ellepritalorsconsciencequesilamenaceduscandalepesait toujourssursa
tête, elle ne l’aurait jamais libéré de sa promesse de l’épouser. Avec ou sansamour,elleseseraitaccrochéeàlui.Elleauraitlaisséletempsà...—Jesuisdésolée,laissa-t-elleéchapper,prenantsamainentrelessiennes.Je
suisdésoléepourcequej’aidit!Jude,jevousenprie.—Arrêtez,fît-il.Sonsourires’évanouitenfinet,pendantuncourtinstant,ellevitsadouleur,la
douleurqu'elleluiavaitcausée.Judebaissaalorslesyeuxetquandillesreleva,
ladouleuravaitdisparu.MaisMarissal'avaitvue.—Arrêtez,répéta-t-il.Il se tourna pour reprendre la promenade. Que pouvait-elle faire, à part
relâchersonétreinteetmarcherprèsdelui?—JeparsenItaliepourlecomptedemonpère,déclara-t-ilaimablement,avec
sa voix habituelle. Il y a là-bas un vignoble qui l’intéresse beaucoup, et qu’ilenvisaged’acheter.— En Italie ? Et vous partez maintenant ? demanda-t-elle d’un ton égal qui
l’étonnaelle-même.— Il est préférable de prendre le large avant l’apparition des tempêtes
hivernales.—Jecomprends.—Commentallez-vousoccupervotretemps,MissYork?Enbrodant?Marissa regarda fixement l’herbe en fronçant les sourcils, troublée par ses
taquineries.Toutcequ’ildisaitétaitlapreuvequ'ils’étaitremisdesonpenchantpourelle.Pourtant, elleavaitvucette lueurde souffrancedans sesyeux.Et lessiensbrûlaientdecemêmesentiment.—Maisqu'est-ce...Les mots s’étranglèrent dans sa gorge. Si elle lui confessait ses sentiments
récentsàsonégard,ilseraitdansl’obligationdedirequelquechose,maisqueluirépondrait-il?Peut-être éprouvait-il encore de l'affection pour elle, mais pas suffisamment
pour vouloir l’épouser. Il lui avouerait peut-être qu’en apprenant à mieux laconnaître,ilenétaitvenuàmoinsl’estimer.Ouilreconnaîtraitqu'ill’avaitaiméependantuntemps,maisquecetélans’étaitétioléquandellel’avaitrepoussé.Ouilluidiraitqu’ill’aimaitencore.La dernière hypothèse paraissait peu probable, et ses propres sentiments
semblaientsiintensesetsivulnérables,encomparaison.Illuiavaitavouéqu’ill’aimaitbien,aprèstout,maisriendeplus.LavoixdeJudeinterrompitlecoursdesespenséesdouloureuses.—Jevaisallerfairemesadieux.Ellelevalesyeuxetsursautaenvoyantqu’ilsétaientarrivésdevantlaportedu
jardind’hiver.Leurpromenadetouchaitàsafin.Judelaregardaensouriant.—Maisvousavezditquevousnepartiezquedemain,soufflaMarissa.—Oui,maisaujourd'hui,jedoisfairemesmalles,etécrireàmonpèreetaux
propriétairesduvignoble.Peut-êtrequej’inviteraimamèreànousrendrevisite
enItalie.Elleadorelesoleil.—Votremère...Marissaseraccrochaàcesujetdeconservation,dansl’espoirdelefaireparler
davantage.Qu’ilresteiciavecelle,sonbrassolidesouslesien.—Oùhabite-t-elle,enFrance?—EllevitdansunepetiteruetranquilleenpériphériedeParis.—C’estlàquevousavezétéélevé?—Oui.Ilsavaitcequ’elleétaitentraindefaire.Savoixavaitperdusontonenjoué,et
iljetauncoupd’œilverslaporteavecunepointed’impatience.MaisMarissanepouvaitpaslelaisserpartir.Lemomentoùellecesseraitde
parler représenterait la fin. La fin de sa visite, oui,mais surtout la fin de leurrelation.—Est-cequ’elleaun...compagnon,encemoment?Judecédaetluiadressaunpetitsourire.—Non.Désormais,ellen’ad’amismasculinsquequandelleenaenvie.Elle
estencorebelle,maiselleaffirmequ'elleesttropvieillepoursepréoccuperdesatisfaireleshommes.—Ellesembleêtreunefemmetrèssage.—Eneffet.Ellevaau...Elleavait failli l’avoir.Mais il se reprit aumilieude saphraseet secoua la
tête.—Nousenparleronsuneautrefois.—Quand?demanda-t-elled’unevoixsuppliante.—Jesuissûrquejereviendraibientôt.Commentpourrais-jerésister?Maisellesutquesesparolesn’étaientpassincères.Ellesavaientpourseulbut
delafairesourire,sansreprésenteraucunepromesse.Iln’avaitpasl’intentionderevenir.—Aurevoir,Marissa,dit-il.L’entendreprononcersonprénoml’incitasoudainàsehaussersurlapointedes
piedsetàluiappliquerunbaisersurlabouche.Il était comme une pierre sous sa caresse, rigide et froid. Ses lèvres ne se
réchauffèrentpasàsoncontact,etrestèrentcloses.Marissaserecula,labouchebrûlantedehonte,encillantpourrefrénerseslarmes.Ildétournalesyeuxettenditlebraspourouvrirlaporte.Elledemeuradebout
sans bouger pendant un moment, mais Jude n’eut plus un regard pour elle, ilvoulaitluifairecroirequecesadieuxnesignifiaientriendutoutpourlui.Etàcetinstant,ellelecrut.
Chapitre23
Après ledîner,Marissa s’échappadans sa chambredèsqu’elle leput.Sansl’espoird’ytrouverJude,elleneseraitjamaisentréedanslasalleàmanger.Elle s’étaitditque s’ilvenait à table, ce seraitun signede sapart.Ungeste
pour luimontrerqu'ellecomptaitpeut-êtreencorepour lui.Après le repas,elleauraitprissoncourageàdeuxmainsetluiauraitdemandédel’accompagnerpourunepromenadedanslejardind’hiver.Mais Juden’était pasdescendu.EtMarissa avait luttépournepas fondre en
larmes au-dessus de sa souped’orge. Il était déjà parti, en fait. Il luimanquaitavecune telle violenceque chaquemorceaudenourriture semblait sec et amerdanssabouche.C’était àHarryqu’était revenue lacharged’égayer ledîner, et entre lui et la
baronne, la conversation avait été animée. Par égard pour son cousin,Marissas’étaitforcéeàsourireparfois.Ellesesentaitcoupabled’avoirneserait-cequedouté un instant de sa loyauté. Pendant les premiers jours terribles qui avaientsuivi lamortdelabien-aiméed’Aidan,Harryétait toujoursrestéàsoncôté.Etquand il était parti pour Londres noyer son chagrin, Harry l’avait accompagnépour s’assurer qu’il ne terminerait pas égorgé dans un bas quartier de la ville.Marissa n’était bien entendu pas censée être au courant de ces choses-là,maiselleavaitjetéuncoupd’œilencachetteàlacorrespondanced’Edward.Ellen’auraitdoncjamaisdûdouterdel’honnêtetédeHarry,etc’étaitàcause
de ses remords qu’elle resta dîner avec sa famille.Mais à présent, il était 21heures, et elle se tenait debout devant son miroir, impassible, pendant que safemmedechambrefinissaitdelapréparerpourlanuit.Si elle était mariée, sa bonne lui coifferait les cheveux et les laisserait
détachés. Elle vêtirait Marissa d’une succession de couches de tissuscandaleusementtransparent,puislaborderaitdanssonlitpourqu’elleyattendeson mari. Jude serait l’homme qui la rejoindrait. Il glisserait son grand corpsdénudécontrelesienetlalaisseraitfairetoutcedontelleavaitenvie.Il ne lui dirait jamais « non ». Il la provoquerait et lamettrait au défi de se
livreràdesjeuxindécents.Etelleleferait.Aveclui.Pourlui.Maisquand labonne labordacesoir-là,ellen’avaitpersonneàattendre.La
portesereferma,lachambrefutplongéedanslenoir,etcefuttout.Elleétaitseuledanssonlitfroid,sansmari.Quesepasserait-ilsielleépousaitquelqu’und’autre?Sesentirait-ellemoins
seule?Peut-êtresesétatsd’âmes’expliquaient-ilsparsonâge.Elleauraitdéjàdûêtremariée.Peut-êtresessentimentsn'avaient-ilsrienàvoiravecJude.Allongée dans le noir, Marissa examina le plafond au-dessus d’elle. C’était
justeuneautrenuancedenoir.Iln’yavaitrienàvoir,maisMarissaimagina.Elleimaginaunautrecorpsétenduprèsdusien.Unhomme.Elle s’imagina avec Charles LeMont. Puis Fitzwilliam Hess. Et même avec
PeterWhitepourfiniravecMrDunwoody.Pourtant,ellen’avaitenviedese tournerversaucund’eux.Ellecroisamême
frileusement les bras à cette pensée. Charles n’aurait pas été en mesure decomprendresapassion,qui l’aurait intimidé.Mêmelorsqu’ilss’étaientcaressésinnocemment, il avait été... surpris. «Vous ne devriez pas me laisser faire »,avait-ilmurmuréplusieurs fois,mêmes'iln’avaitapparemmenteuaucuneenviederefrénersesmainsavides.Ilavaitvoululuirappelersavertualorsmêmequ'ilcontribuaitàlaternir.EtPeterWhiteenavaitfaitdemême.«Vousauriezdûm’arrêter.»Et Mr Dunwoody n’était sûrement pas très différent. Elle était désormais
familièredecegenred’hommes.Ceux-làmêmesquivoudraientque lesfemmessoient des créatures délicates qu’ils pouvaient réussir à persuader, mais quin’avaientpasd’enviesnidedésirspropres.Aumoins,celan’avaitpasdérangéFitzwilliamHess,maisilferaitégalement
unhorriblemari.Commentsetournerversunhommeaulitquandonnepouvaitpascroireunseulmotsortantdesabouche?MaisJude...elleparvenaitàimaginerJudesoussescouvertures,faisantfléchir
lematelas sous son poids et la rapprochant ainsi de lui. S’il l’aimait,Marissapourrait letoucherentouteimpunité.Ellepourrait luidemandern’importequoi.Explorertoutsoncorps.Ellenedescendraitpaspourautantdanssonestime.Bienaucontraire.Etau-delàdelachambreàcoucher,ilseraitsonami.Ilétaitintelligent,gentil
etsibiendanssapeau.«Jesaisquijesuis»,luiavait-ildéclaréplusd’unefois.Etc’étaitvrai,tout
au moins jusqu’à ce qu’elle s’étonne qu’une femme puisse l’aimer pour autrechose que son corps. Quelle horrible chose à dire à quelqu’un de pourtant si
facileàaimer.Mais c’était elle qu’on ne pouvait pas aimer, avec son cœur froid, ses
présomptionsarrogantes,etsonrejetd'unhommebonetdécent.Bonetdécent,oui.Tropbonet tropdécentpourelle. Ilavaitpassédu temps
seul avec elle et désormais, il en avait assez. Elle avait envie de croire qu’ilauraitdelapeineenlaquittant.Elleavaitenviedes’imaginerqu’ilpartiraitenItalie,qu'elleluimanquerait,etqu’ilreviendraitunjourluidéclarerqu’iln’avaitjamaiscessédel’aimer.Maisàlavérité,ilpartiraitenItalieetfréquenteraitdebelles femmes aux yeux sombres qui, en le regardant, ne verraient en lui qu’unhommeetriend’autre.Ilferaitdeschosesavecellesqu’iln’avaitjamaisfaitesavecMarissa,etelle
leperdraitàjamais.Leslarmescoulèrentsursestempesetvinrentseperdredanssescheveux.Elle
essuyabrusquementsesjouesquilachatouillaientetreniflaens’apitoyantsursonsort.Elle refusaitde renoncerà lui.Ellevoulaitêtresonamieet sonamante.Elle
voulaitqu’iln’appartienneplus jamaisàuneautre.Ellevoulaitsependreàsonbrasetgrognerfaceàtouteautrefemmequioseraitl’approcher.Marissaavaitenviedesebattrepour lui.Sielledevait sebattrecontreJude
lui-même, alors elle était prête. Il avait eu des sentiments pour elle, il pourraitdoncapprendreàl’aimerdenouveau.Lecœurbattantdevantsapropreaudace,Marissaseglissahorsdesonlit.Elle
avait l’impression qu’il était déjàminuit, et pourtant il était à peine 22 heures.Elles’avançajusqu’àlaportedesesappartementsetyrestapendantunelongueminute, tendant l’oreille pour éviter de croiser un membre de sa famille. Lecouloir lui sembla aussi clair que le jour quand elle s'y faufila furtivement, etl’escalieràunelieuededistance,quandellesemitàcourirendirectiondel’ailesuddumanoir.Elleignoraitpourquoielleétaitsinerveuse.Siellecroisaitl’undesesfrères,
ellesecontenteraitdeleverlementonetdel’informerqu’elleessayaitdesauversesfiançailles.Siellevoyaitsamère,celle-ciseraitsichoquéequ'elleenauraitun étourdissement. Harry, lui, ne dirait rien pour tenter de l’arrêter, quant à latanteOphélia,elleplisseraitsansdoutelesyeuxetcommanderaitunetassedelaitchaudacetteservanteétrangequierraitainsidanslecouloir.Somme toute, c’était la famille idéale pour quiconque était coutumier des
rendez-voussecrets.Marissa réussit à atteindre la porte de Jude sans se faire remarquer, et fut
presquedéçuepar lecalmequirégnait.Maisalorsqu'elles’apprêtaitàpousserunsoupirdesoulagement,ellepritconsciencequeleplusdurétaitàvenir.Judes’étaitmontré indifférentàsessentiments,dans la journée.Etcontrairementauxhommesde la familledeMarissaqui s’échauffaientquand ilsétaientencolère,Judesemblaitseglacer.Ellecomprenaitlescris,lescoupsdepoingetlesportesquiclaquaient.Mais
leregardfroiddeJudeluifaisaitunepeurbleue.Ellesedemandas’illetenaitduduc.Ellesedemandaaussisiellecherchaitunefoisdeplusàgagnerdutemps.S’armantdecourage,Marissa leva lamain.Pendantune fractionde seconde,
elle hésita à ne pas frapper du tout. Si elle s’annonçait, elle lui donnait uneoccasiondedire«non»etdelarenvoyer.Maisfaireirruptiondanslapiècesansfrapperseraitpirequegrossier.Ceseraitlâche.Marissaredressalesépaulesettoqua.—Oui?réponditJudeimmédiatement,d'unevoixbrusqueetdistante.Avantquesonaudacel’abandonne,Marissatournalapoignéeetouvritlaporte.Jude était assis à sa table de travail et griffonnait quelque chose, la tête
penchée. Ses sourcils froncés lui donnaient un air peu engageant, et sa minerenfrognéenedisparutpasquandillevalesyeuxverselle.Maisilabandonnasonstyloquandillavit,etellesesentitréconfortée.—Marissa.—Jeneveuxpasquevouspartiez,lâcha-t-elle.—Pardon?Marissarefermalaportederrièreelle,etserenditcomptequ'endépitdutemps
qu’elleavaitpasséà s’inquiéter, ellen’avait toujoursaucune idéedecequ'elleallaitdire.— Je ne veux pas que vous partiez, répéta-t-elle, aucune autre parole ne lui
venantentête.—Jenepeuxpasdemeureréternellementici,Marissa.—Mais vous en aviez l’intention. Vous cherchiez une maison. Vous vouliez
resterlongtemps!Illaregardafixement,commes’ilnelacomprenaitpas.—Vousaviezl’intentionderester,etmaintenantvousvoulezpartir,alorsque
vousaffirmeznepasêtreencolèrecontremoi.—Vousaviezraison.Ilestpréférablequejem’enaille.
—Pourquoi?Ilregardaleslettresposéessursonbureau,etétenditsesmainsdessus.Ilprit
uneinspirationlenteetprofonde,puissoupira.—Qu’attendez-vousdemoi,Marissa?Nousnoussommesdéjàfaitnosadieux.—Etsi... (Soncœursemitàbattreàunrythmeeffréné.)Etsi jevousdisais
quej’aireconsidéréleplan?—Quelplan?Sonimpatienceétaitperceptible.Ilavaitenviequ’elleparte.Elles’avançade
troispasdanslachambre.—Leplan.Monplan.Votre idéeétaitbienmeilleure, jecrois,deconsidérer
notrerelationcommedevéritablesfiançailles.Nepouvons-noussimplementpasreveniràcetteidée?—Marissa...(Illaissatombersatêteentresesmainsetenfouitsesdoigtsdans
sescheveux.)Jen’aipasenviederéfléchiràcelacesoir.Jesuisépuisé.—Maisvouspartezdemainmatinetensuite...ensuiteilseratroptard.—Troptardpourquoi?Ilétaitplusfaciledes'approcherde luiquandilne la regardaitpas.Marissa
traversa lachambreetobserva lesépaulesde Judese raidirau furet àmesurequ'elleavançait.Maisilnelevapaslesyeux.Ilsepréparaitsimplement,commes’ils’attendaitàcequ'elleexplose.—Troptardpourquejevousprésentemesexcuses.Je...—Vousvousêtesdéjàexcusée,et jevousaiditaussique j’étaisdésolé.Ne
pouvons-nouspas...—Mais, l'interrompit-elle, je ne vous ai pas présenté mes excuses pour la
stupiditédont j'ai faitpreuve.Pourmonaveuglement.Jude, jeneveuxpasvousvoirpartir.(Elleosaposersesmainssursesépaules.)Restez.Ilbaissalégèrementlefront.Commesiellel’avaitvaincu.—Àquoi bon ?Vos jeux sont devenus trop dangereux. Je n'essayais pas de
vouspousseràmalvousconduire.J’essayaisde...Elleremontalamainlelongdesoncou.Ilneportaitpasdecravatenideveste,
elle pouvait donc toucher sa peau dénudée. Il était si chaud. Presque fiévreux.Ellesentitsesmusclessoussamain.—Qu’essayiez-vous?murmura-t-elle.Judesecoualatête.Judesecoualatête.Elle ne pouvait pas lui en vouloir. Elle avait tenté de l’attendrir par des
caresses,maisc’étaitellequiétaitvenuefairelapaix.— Jude ? Je veux... Je veux que vous restiez parce que je crois que je suis
amoureusedevous.Elle sentit sesmuscles tressaillir comme si c’étaient les siens,maisquand il
pritlaparole,savoixnetrahissaitaucuneémotion.—Vousvoustrompez.—Non,jenemetrompepas.— Vous vous êtes décidée à m’aimer maintenant parce que le scandale est
passéetquejepars.C'estlaseuleraison.—Non.Ilseretournasibrusquementversellequ'ilheurtasamain.—Vousn’êtespasamoureusedemoi,etcejeuentrenousestterminé.—Cen’étaitpasunjeu,insista-t-elle.Comme ilconservait sonexpressionobstinée,Marissasemitàgenouxsur le
tapisetpritl’unedesesmainsentrelessiennes.—Jude,écoutez...—Nefaitespasça.Levez-vous.Elleserrasamainplusfort.—Quelsquepuissentêtremesdéfauts,quejesoissuperficielle,inconvenante
ouégoïste,quandvousai-jedéjàmenti?Quand?—Levez-vous.—Cen’estpasunjeu,Jude.Ilseredressaettirasurlamainqu'elletenaitpourqu’elleselève.—Si,c’estunjeu.Necomprenez-vouspas?Le corps de Marissa se glaça tout entier pendant une fraction de seconde,
commesielleavaittraverséuncourantd’air.—Quevoulez-vousdire?Ildégageasamain,bousculaMarissaetsemitàarpenterlachambre.—Jude?Quevoulez-vousdire? (Soncorpsse réchauffaitàprésent,etelle
ressentitalorsunevivedouleur.)Vousfaisiezsemblant?—Non ! s’écria-t-il sèchement. Je n’ai jamais fait semblant. Je vous aimais
bien,etjepensaispouvoirvousaider.—Etc’esttout?—Oh, il y avait autre chose. Je pensais que si j’attisais suffisamment votre
désir, si vous aviez envie demoi, alors peut-être que vousm’épouseriez avecjoie.Etvoyez-vouscela,monplanafonctionné.Lagorgeserrée,Marissaravalaseslarmes.—Jenecomprendspas.Jude se remit àmarcher dans la pièce, en agitant lesmains avec brusquerie
tandisqu’ilparlait.—J’avaisenviedevousameneràm'aimerparlaruse,Marissa.Jesavaisque
je pouvais y réussir.Vous êtes passionnée, curieuse et vivante.Mais je n’en aiplusenvie.J’aienviedeplusquecela.—Deplusquemoi?—Deplusquedu simpledésir etde l’affectionquipeut en résulter.Onm'a
déjà désiré,Marissa. Je ne suis pas si peu désirable, en dépit de ce que vouspouvezpenser.Cesparoleschassèrentsoudainsapeur.Ilneluiavaitpasmenti.Ilneluiavait
jamaiscachésesintentions.Cequ’illuiavouaitàprésentn’étaitpaslavéritésurcequ’ilavaitfait.Illuiavouaitqu'ellel’avaitblessé.— Vous n'avez donc nullement besoin d’être surprise par votre désir, dit-il
froidement.Moijenelesuispas.C’étaitexactementcequejerecherchais.—Jesaisquevousêtesdésirable,Jude.Croyez-moi,j'ensuisconsciente.Mais
jesaisaussiquevousvalezplusquedudésir. Jesuis tellementnavréepourcequejevousaidit.Cen’estpasquejepensequepersonnenepuissevousaimer...— Vous n'avez aucune idée de la différence entre l'amour et le désir. Vous
l’avezreconnuvous-même.—Quand?—QuandvousavezparlédeCharlesetdevotreliaison.—J’avaisdix-septans!Jesuisunefemmedésormais,etjepeuxvoirau-delà
devotrecorps!—Jel’espèrevivement,étantdonnéquevousnemanifestezquesipeud’intérêt
enverslui.Marissa tiqua en l’entendantmarmonner cesmots.Elle le regardadehaut en
basetsecoualatête,stupéfaite.—JudeBertrand,est-cequevousboudez?Illuilançaunregardhargneux.—Pardon?—Boudez-vousparcequejenevoustrouvepasbeau?
—Ne soyez pas ridicule, grommela-t-il, mais elle aperçut une rougeur quimontaitlelongdesoncou.—Ha!Jecroisbienquevousboudez.Vouspouvez,parceque,eneffet,jene
voustrouvepasbeau,ilestdoncinutiledemarmonnercommesic’étaitunsecret.—Mercipourvotrehonnêteté!Marissacroisalesbrasetluidécochauncoupd’œilnoir.—Qu'ellefemmepourraitvoustrouverbeau?Vousêtesgrandetlarge,etvos
brasetvosjambesressemblentàdestroncsd’arbre.Judegrogna.—Parfait.Elleserapprochadeluietposaundoigtsursamâchoire.— Vous avez un visage de guerrier antique, qui paraît avoir connu plus de
bataillesquedevalses.Etdesmainsquisemblentplusadaptéespourluttercontredesennemisquepourjouerdupiano.Ildétournalatête.—Touché.—Vousn’êtespasbeau,Jude.Etpourtantjevousdésireplusquejen’aijamais
désirén’importequeljoligarçon.Vousêtesfort,etquandjevousregarde,jeressensunefaiblesse.Pourvous.Ellevoulutluicaresserlajoue,maisilrecula.—Lafaiblessen’estpasunechosesurlaquelleonconstruitunevie,Marissa.
Toutcelaétaituneerreur.Jevousdésirais,etjepensaisqu’êtredésiréenretourseraitsuffisant.—Nel’est-cepas?—Non!Pendanttroplongtemps,j’aiétésatisfaitqu’onm’accepte.J’aimerais
quemonépousefasseplusquecela.Marissaavaitétésurlepointdeluidonneruneréponsefacile.Ilneluiserait
pasdifficilede le rassurer, car elle éprouvait tantde sentimentspour lui.Maisalorsqu’elleprenaituneprofondeinspirationets’apprêtaitàparler,ellesetutenvoyantsonvisagetourmenté.Sesyeuxbrillaientd’unmélangeinsoutenablederegretetdefierté.—Pendantunedizained’années, jeme suis satisfaitd’être lebâtarddemon
père.D’êtreaccueillicommeundivertissementexotique.D’êtreaccepté.Et j’aitenté de gagner votre cœur de la même façon. Comprenez-vous cela ? En mefaufilantàtraversvosdéfensesafindevousfairepenserquevousm’acceptiez.(Il
crachacesmotsavechargne,lalèvreincurvéeenunemoueméprisante.)Maisjene suis plus un enfant bâtard. Je suis un homme, et je demande plus que cela,désormais.Sacolèreauraitdûl’effrayer,maiselleavaitseulementenviedeletoucher.Ses
parolesneluifaisaientpaspeur,parcequ’elleconnaissaitsaréponse,àprésent.Ellepouvaitluidonnercequ’ilexigeait.Sanshésiter.Marissa avança vers lui, une dernière fois. S’il reculait, il se retrouverait
acculéaumur.—Exigeriez-vousdel’amour?murmura-t-elle.—Oui.Elleposaunemainsursontorse,toutétonnéequ'illuisoitdéjàfamilier.—Etdel’admiration?Etdurespect?Jude ferma les yeux, sa poitrine gonflant sous sa main alors qu’il inspirait
profondément.—Etvousvoudriezégalementdudésir,j’espère?—Vousditesdeschosesstupides.ElleglissalamaindansledosdeJudeetposalajouecontresoncœur.Ellele
sentaittambourineràsonoreille.—Jevousaime,Jude.—Neditespascela,moncœur.Neditespascela.—Jevousaime,etlaforcedemondésirmerendvulnérable.—Cen’estquedudésir,insista-t-ild’unevoixrauque.Uniquementdudésir.—Etmonenvieprofondedevousparler,d’êtreseuleavecvousetdeconnaître
vos pensées ?Est-ce aussi du désir ? Je vous ai sous-estimé, Jude. Je vous airejeté,etmaintenantvousagissezdemêmeenversmoi.Maisjevousaimeentantqu'homme,etjevousveuxcommemari.—Marissa,souffla-t-il.Ilposalesmainssursesépaules,etparutsurlepointdel’attirerplusprès,ou
biendelafairereculer.Ellenesavaitpas,etpressentaitqueJuden'enavaitpaslamoindreidéelui-même.—Jeveuxquecesfiançaillessoientréelles,Jude.Jeveuxquevousmepreniez
pour épouse. Et de tous les jolis garçons avec qui j'ai dansé et pour qui j’aiéprouvédudésir,jen’aijamaisattenducela.Ilinspirabrusquement,commes’ilallaitdirequelquechose,maisaucunmotne
franchitseslèvres.
—Avez-vous encore des sentiments pourmoi ? demanda-t-elle, plissant lesyeuxpourseprépareràsaréponse.Il y avait de fortes probabilités pour qu’il ait vu sa vraie nature et changé
d'avis. Quelle ironie du sort, si Jude jugeait finalement qu'elle était trop laidepourlui.Maispeut-êtrepourrait-elleretournerlestechniquesdeJudecontrelui-même.Marissa frotta sa joue contre l’étoffe fine de sa chemise. Il était si chaud en
dessous,etelleavaitenviedesentircettechaleursurelle.Enelle.Etpeut-êtrequ’enéveillant ledésirde Jude,elle le ferait resterassez longtempspourqu’ilvoie qu'elle avait changé et qu'elle était devenue plus réfléchie.Qu'elle n’étaitplusseulementunefillequiadoraitdanser.Lesmains de Jude se crispèrent sur ses épaules, elle pressa alors sa bouche
contrelehautdesontorseetsonventrecontreseshanches.—M’aimez-voustoujoursunpeu,Jude?Ellevitsamâchoiresivolontairesecontracter,etposaseslèvresdessus.Ellelesentittressaillircontreelle.Marissaémitunpetitbruitdecontentement.—Vous récoltezcequevousavezsemé.Vousm’avezprovoquéeenexhibant
votrecorpsdevantmoi,etmaintenantjeveuxl’avoir.— Arrêtez, cria-t-il en la repoussant. Je n’ai nul besoin que vous soyez
provocantepouravoirenviedevous,bonsang!Jemeprendsenmainchaquesoirpardésirpourvous.Soudainexcitée,Marissasentitsonsexesecontracter.Ellecomprenaitcequ’il
voulaitdire.Ellepouvaitsel’imaginer.—Alorsprenez-moi.—Jen’en ferai rien.Vousallezchangerd'avis,etalorsquesepassera-t-il ?
Vousn’avezjamaisvouludemoicommemari,etjerefusedepassercinquanteansàlireleregretdansvosyeux.—C’estabsurde.Quandm'avez-vousjamaisvueexprimerdesremords?Sonvisagehargneuxs’adoucit,commes'ilréfléchissaitvraimentàsaquestion.—Vousavezregrettécequis’estpasséavecPeterWhite.—Oui,c’estvrai.Maispourêtreplusprécise,j'airegrettélesmanquementsde
PeterWhite.Marissaauraitpujureravoiraperçuunsourirefugaceéclairersestraits.— Alors que vous, Jude, vous ne me donneriez aucune raison d’avoir des
regrets,n'est-cepas?—Jevousdécevraidemultiplesmanières.Secouantlatête,Marissamitlesmainssursesépaules,auniveaudesnœudsde
sachemisedenuit.—Maisjesuissuperficielle.Sivousmerendezheureuseavecquelquespetites
choses,quepourrais-jedemanderdeplus?—Nefaitespascela,grommela-t-il.Ils’avançaversellemaisellesereculaettirasurlesnœuds.—Vousl'avezfaitavecmoi.Sachemisedenuitglissa,luidénudantlesépaules,etJudesepétrifia.—Arrêtez.Jevousenprie.—Nesoyezpaslâche,dit-elleàJude–ouétait-ceàelle-même?Ellelaissatombersonvêtementsurlesol.Pourlapremièrefoisdesavie,Marissaseretrouvaitentièrementnuedevantun
homme.Ellen’étaitmêmepascertainequ’ilaitencoredessentimentspourelle,etlavulnérabilitédesapositionluidonnaunefurieuseenviedesecacherderrièresesmains.Maisellen’enfitrien.Ellenepouvaitpas le forcerà l'aimerdenouveau.Elleutiliserait soncorps,
commeilavaitd’abordeul’intentiondeseservirdusien.LeregarddeJudeglissasursanudité.Ildéglutitpéniblement.Puisilsedirigea
verslaported’unairfurieux.Il était à deux doigts de s’échapper quandMarissa se faufila entre lui et la
sortiepourfairebarragedesoncorps.Soncorpsnu.Judesentitsonvisagesedéformersouslecoupd’unestupéfactioninquiète.—Qu’est-cequevousfaites?—Jevousséduis,répondit-elle.C’étaituneétrangefaçondedésignercequeMarissaétaitentraindefaire,nue
devantuneporte.Maisc’étaitpourtantcequi luiarrivait. Ilétaiten traindesefaireséduire.Parsespetitsseinsetsataillefineet,monDieu,lesbouclesdoréesquidissimulaientsonsexe...— Je... commença-t-il, puis il perdit sesmots face à la contemplation de sa
nudité.—Jevousaime,déclaraMarissa.Jeveuxvousépouser.Etjesuisprêteàme
servirdemoncorpspourvousameneràrecouvrerlessentimentsquevousaviezpourmoi.
LecœurdeJudeseserralorsqu’ill’entenditprononcercesparoles.Ilinspiraprofondémentetressentituneréellesouffrance.— Je n’ai pas envie d’être piégé, parvint-il finalement à dire, en jetant un
regardfurtifverslapoignéedelaporteprèsdelahanchedeMarissa.Marissa se redressa, resserra ses pieds et fit glisser sesmains le long de la
porte.—Marissa,arrêtez.S’ilvousplaît,arrêtez.Il lasuppliait. Ilavaitenviedeplusquecela,etpourtantc’étaitaussi toutce
qu’ildésirait.Au lieu de le prendre en pitié, elle se rapprocha, s’immobilisant à quelques
centimètres de lui. Si son corps l'avait voulu, Jude aurait sans doute pus’échapper,mais ilnebougeapas.LanuditédeMarissa lui faisaitperdre toutevolonté.Ellel'entouralentementdesesbras,d’aborddansunecaresselégère,dubout
desdoigts,puisplusappuyée,avecsesmains.Enfin,soncorpschauds’emparaentièrementdu sienet sepressa tout contre lui avec force. Judeneparvintqu'àleverlesmainsassezhautpouréviterdelaserrercontrelui.—Non,dit-il,secouantlatête.Jeneferaipascela.Nousallonsattendre.Etsi
nousnousmarions...« Si nous nous marions. » Mon Dieu, ses propres paroles lui firent l’effet
d’unebrûluresauvage.Etait-ceencorepossible,alorsqu’ils’étaitdéjàpréparéàladouloureuseidéedelaperdre?— Non, Jude, murmura-t-elle. Je vous veux. Maintenant. Je vous en prie...
Déshabillez-vous.J’aienviedevoussentircontremoi.Il agita la tête, mais son sexe avait depuis longtemps réagi à sa vue, et
tressaillaitimpatiemmentàchacundesesmots.—Très bien, ditMarissa, qui sortit alors la chemise du pantalon de Jude et
pressasonventrecontrelesien.—Oh,bonDieu,gémit-il.La sensation de sa peau, si chaude contre la sienne, devint l’unique chose à
laquelleilétaitcapabledepenser.—Vousm’avezdéjàfaitattendresilongtemps,chuchota-t-elle,quej’enaiété
réduiteàmejetersurvous.Apaisezaumoinscedésirdouloureuxquevousavezfaitnaître.—Taisez-vous,ordonna-t-il,commençantàoublierlesraisonspourlesquelles
illuttaitencore.
Pourquoi?Elleglissasesbrasautourdesatailleetpressasesseinsavecplusdeforcescontresontorse.Judebaissaenfinlesmainsetlesposasursondos.Ilécartalesdoigtssursapeaunue.—Jen’enaipasenvie,murmura-t-il.Marissafrissonnaàcecontact.—Ondiraitpourtantquesi.Dieu,commeilavaitenviedecéder.Maisplusquetout,ilavaitenviequ'elle
soitàluipourtoujours.—Laissez-moipartir,Marissa.Jen’iraipasenItalie.Jetrouveraiunemaison,
etjevousferailacourenbonneetdueforme.Nouspouvonsprendrenotretemps.Vouspourrezêtresûredevotrechoix.Vousdevezêtresûre.Elles’étiracommeunchat,etlamaindeJudedescenditnaturellementlelong
desondos,épousantlescourbesdélicatesdesatailleetdeseshanches.Sanuditéétaittellementprégnante.—Oh,Jude,ronronna-t-elle.J’aimequandvousmecaressezainsi.«J'aime.»Cesmotssemoquaientdelui,etilsentitlacolèreenflerdenouveau
en lui. Il était non seulement enflammé par la colère, mais aussi, d’une façondifférente, par cette femme nue. Au lieu d’être furieux, il éprouvait un désiraveugle.Ill’embrassaalors,lagoûtantpourlapremièrefoisdepuissilongtemps,faisant
courirsesmainssursoncorpsavecunelibertégrisante.Toutsoncorpsluiétaitoffert.Toutsoncorpsétaitsien.Ellesecollaencoreplusàlui,enfonçantsesonglesdanssondos,etl’embrassa
avec une avidité égale à la sienne. Il pourrait déboutonner son pantalon et laposséder.Sansplusattendre.Seglisserprofondémentetvéritablementenelle,etlafairesiennepourtoujours.Toutsoncorpsettoutesonâmeaspiraientàcela,ilressentaitcetteforcequiattiraitchaquefibredesonêtreverselle.Elle en avait envie. Elle avait envie de lui. Pourquoi cela ne pouvait-il pas
suffire?Jude la lâchasoudainet la repoussa, sepassant lamaindans lescheveux,en
proieàuneviolentelutteintérieure.—Non!Ilnousfaudraitnousmarier...—Touscesgrandsmotssurcequ’estunhomme!ditMarissaavechargne,en
agitantlesmainsdefrustration.D’ungeste,elleledésignadelatêteauxpieds,maisJudeavaitperdudevuesa
mainpourseconcentrerdenouveausursesseins.Sestétonsdressésetrougis...
—Ehbien,j’aibesoind’unhomme,Jude!Maintenant.Cesoir.—Pourtoujours,Marissa,grogna-t-il.Comprenez-vouscela?Venirdansmon
litrevientàm’épouser.Jenevouslaisseraipasvouséchapper.Ellelevalementonetsoutintsonregard.— Vous n’êtes ni mon professeur ni mon tuteur, alors cesser de me traiter
commeuneenfant.Prenez-moi,etaudiablevosavertissements.Sesyeuxétincelaientdecolèreetdedésir.Judesavaitquelessiensbrillaient
dumêmeéclat.Et elle avait raison.Ellen’était pasune enfant, et leprouva enmarchantverssonlitpours’étendredessus,commesurunauteldesacrifice.LecœurdeJudesemitàbattrefollement.Elle tremblait un peu, comme une feuille frissonnante, et lui aussi se sentait
agitédefrémissements.C’étaitunebêtise,maiselles’offraitàluietilavaittellementenvied’ellequ’il
enavaitmal,etcedepuisplusieurssemaines.Marissal’affrontaitdesonregard.Elleluilançaitundéfi.Judegrognacommeunanimaletretirasachemise.Ilneluifallutquequelquessecondespoursedéshabiller,etilsentitsondésir
grandir tandis qu’elle le regardait avec un petit sourire triomphant. Il se glissaalors dans le lit avec Marissa, tout contre sa peau, qui était d’une douceurinsoutenable.Elle avait raison.Unhommene fuirait pasdevant l’amourd’une femme telle
queMarissa. Un homme saisirait sa chance et ferait fi des risques, même s’ils’agissaitdelapireerreurqu’ilaitjamaiscommise.Le corps de Marissa était un surprenant mélange d’impatience et de plaisir
intense,quiluidonnaitl’impressiondeflotter.Jude,serrécontreelle,étaitdevenula seule chose qui comptait pour elle. Elle ne voyait rien d’autre que ses yeuxsombres,plongésdanslessiens.Elle sentait lapilositédeson torsesur sapeaunue,etquand il se rapprocha
d’elle,savirilitéseblottitcontresahanche.Lecontactdeleurscorpssemblaitàla fois naturel et incroyablement étrange. C’était quelque chose qu’elle avaittoujourssu,maisqu’ellen’avaitjamaisvécu.ElleposalamainsurlanuquedeJudepourl’attireràelle.Cettefois,sonbaisern’avaitpaspourbutdelaséduire.C’étaitunbaiserlent,
profond, et exigeant. Jude explora de sa langue la chaleur de la bouche de
Marissa.Elleenfonçasesonglesdanssoncoupourqu’ils’aventureencoreplusprofondément.Toutl’êtredeJudesuscitaitchezelleundésirardent.Sataille,safièvre, sesmusclessoupleset sonmentonrugueux. Il représentaitpourelleà lafoisune fascinationetundanger.Undangerqui lui appartenait.Une fascinationqu'ellepouvaitexploreràsaguise.Elleglissasonpiedlelongdesonmollet,murmurantsonplaisiràpouvoirle
faire.QuandJudesetourna,elleavançasajambeentrelessiennesetsemitfaceàlui. A présent, ils se touchaient, ils se correspondaient. Le sexe de Jude étaitappuyé contre le sien. Ses seins effleuraient son torse tandis qu’ilss’embrassaient.Judesoupiraalorsdumêmesoulagementqu’elleressentait.Ilsereculapourlaregarder.—Vousêtesunrêve,dit-ilenposantdoucementlamainsursonsein.Unrêve
ici,dansmonlit,quisetourneversmoi.—Jevousaime,murmura-t-elle.Celan’ariend'unrêve.—Pourmoi,çal’est.Elle ne pouvait pas répondre. Elle était trop occupée à se mouvoir à la
rencontredesamainquil’explorait.Iljouaavecsontétonpendantdelonguesetdélicieusessecondesavantdedescendreverssahanche,puisderemonter.Quandelle commença à s’agiter avec impatience, il se remit à lui caresser les seins,commeelleenavaitenvie.—Voussavezdéjàcequevousvoulez,moncœur?Sesmotssidouxdansaientsurelle.—J'apprendsvite.Illuititillalesseinsavecjustecequ’ilfallaitdepression,etMarissagémitde
plaisir.—C’estcertain.Bientôt,jen’auraiplusrienàvousenseigner.(Ellesecambra
avecforcecontreseshanches,etJudeeneutlesoufflecoupé.)Quantàvous,jecroisquevousm'apprenezàmecomporterdenouveaucommeungarçon.Mi-riante, mi-gémissante, Marissa frotta son corps plus fermement contre le
sien. Les frissonnements de Jude la remplirent de puissance et de désir. Il ensavaitpeut-êtreplussurl'artdefairel’amour,maiselleétaitmalgrétoutcapabledelefairetremblerdedésirpourelle.Commentnepassesentirpuissante?Baissantlatêtepourgoûtersoncou,Marissaexplorasoncorpsàsontour.Son
torse, ses côtes, ses hanches, si étroites et si fermes par rapport aux siennes.C’étaitcommeunnouveaumondepourelle.Elleavaitenviedetoutsavoir.LesmusclesduventredeJudetressaillirentaucontactdesesmains,commesi
ellel'avaitbrûlé.Elleconnaissaitcettesensation.Elleavait l’impressionquelamoitiédesoncorpsétaitdéjàenfeu.Lecœurbattant,Marissacontinuadefairedescendresesdoigtslelongdeson
ventre. Elle sentit la toison drue qui entourait son sexe, et la caressa avecdélicatesse.Denouveau,Judetressaillitpuiss’apaisa,letorseimmobiletandisqu'ilretenaitsonsouffle.
Cessant aussi soudain de respirer, elle mit ses doigts autour de son membredressé.—Vousêtessichaud,murmura-t-elle.Mamainest-elletropfroide?—Non,lâcha-t-il.Marissasouritetresserral’étreintedesesdoigts.—Est-cebonainsi?—Oui.—Etcommecela?Ellelecaressa,sansrelâcherlapressiondesamain.—Oui.Vous...n'avezpasbesoindedemander.C’esttoujoursoui,Marissa.Ellepouffa,puisalternadescaressesdoucesetplusfermes.Ilétaitlourddans
samain,etpuissant.Curieuse,Marissarepoussalescouvertures.Elleavaitassezchaudàprésent,etpuiselleavaitenviedelevoir.—Vousallezm’intimider,gémit-il,tandisqu'elleobservaitsesalléesetvenues
surlesexedeJude.Elle descendit jusqu'à ses testicules, puis remonta pour entourer la pointe de
sonmembre.Judegémit et sepenchapourprendre le tétondeMarissadans sabouche, le
mordilleret lesuceravecavidité.Elleperçutun tourbillondanssoncorps,quicontractasonsexeetluirappelaoùsetrouvaitlecentredesondésir.Toucherlavirilité de Jude l'avaitmise dans un tel état d’excitation qu'elle gémissait et setortillaitsoussesmordillements.Ellefrottaitfébrilementsajambecontrelasienne,éprouvantlebesoinintense
del’attirerencoreplusprèsd’elle.—Jude,dit-elledansunsouffle.MonDieu,elleledésiraitavecunetelleintensité.Cequ’elleavaitconnuparle
passé n’avait été qu’une simple curiosité, tandis qu'elle ressentait à présent unbesoinimpérieux.Judeparutserendrecomptequ’elleavaitenviedepasseràl’étapesuivante,et
l'embrassaavecunetelleforcequ'ellebasculasurledos.Cefutalorsàsontour
d’explorerlecorpsdeMarissa.MaisJudenelatouchaitpasparcuriosité, il latouchaitpourexcitersondésir...etyréussissaitàmerveille.Ilparcourutsoncoude baisers, puis le suçota doucement, tout en caressant sa hanche. Marissa setortillaavec impatience.Attentifàsesenvies,Judefitdescendresamainsursacuisse.Quandilrelevalatête,ellepensaqu’ilallaitdenouveaul’embrasser,maisil
examinaitsoncorps.— Qu'est-ce que c’est ? (Il effleura le haut de sa cuisse avec son pouce.)
L’originedetantdeproblèmes.Elle baissa la tête et vit la légère tache rose en forme de cœur qu'elle avait
depuis sa naissance. Elle semblait si inoffensive et innocente, et pourtant ellel’avaitpousséeàavouertantdechosesindécentes.—Jesuishonorédefaireenfinpartieducerclesirestreintdesesadmirateurs.—Chut!legronda-t-elle.Jude lâcha un petit rire dans son cou et posa lamain sur la toison entre ses
cuisses,pourladistrairedesonindignation.—Oh,soupira-t-elle,surprise,levantlescuissespouraccueillircettemain.—Sibelle,murmura-t-ilenlacaressantlentementdesesdoigts.Sichaude,si
agréableetsi...humide.Marissaécartalesgenouxpourqu'ilpuisseluifairecesmerveilleuseschoses
quil'avaienttantraviedanslepavillon.Oui,elleétaitmouillée,etsavaitcequecelasignifiait...—Undoigtquiseglisserait...puisdescaressesétourdissantes.EtJudeneladéçutpas.Il la titilla jusqu'àcequ'elle tremble,puis introduisit
l'undesesdoigtssifortsenelle.Elle pensa qu'elle allait crier de plaisir. Et peut-être cria-t-elle un peu, en
enfonçant ses talons dans le matelas pour lever les hanches contre la main deJude.Ill’embrassaavecfougue,étouffantsesgémissementsdedésir.Ilétaitbonde sentir le contact expert de son doigt, mais elle savait ce qui serait encoremeilleur.Ellesavaitcequ'ellevoulait.Etelleétaitexaspéréedevoirqu’ilsemblaitprendreplaisiràcontinuerdela
tourmenter.Au moment précis où le désespoir de Marissa arrivait à son comble, Jude
enfonçaunautredoigtenelle,etpendantuninstant,elleenperditlesouffle.Sonplaisirétaitdéjàsiintensequ'ellesedemandacequ'elleressentiraitquand
sonmembregonfléentreraitenelle.Ellearrachaseslèvresauxsiennes.
—S’ilvousplaît.Ilneréponditpas,mêmesiellesentitsarespirations’accélérercontresoncou.
S’il pouvait passer outre à sa demande, cela signifiait qu’il n’était pas aussidésespéréqu'elle,maisMarissasavaitcommentyremédier.MarissasefitviolencepourdétachersonespritdesdoigtspuissantsdeJudeet
lâchersonbras,puiselleentourasonsexedesamain.LesmouvementsdeJudeseralentirent,etellesentitsesdentssursoncou.Et
quandelle lecaressa lentementdehautenbas,Juderetintsarespiration,etsoncorpsentiersemitàvibrercommeunarctendu.Elleressentitdenouveaucesentimentdepuissance,alorsqueson intimitése
contractait autour des doigts toujours glissés en elle. Elle était triomphante. Etgémissaitcommeunchaton.Quand Jude retira ses doigts, elle lui passa les bras autour de la taille pour
l’attirersurelle.Ilvintdesonpleingré,Dieumerci,etquandsonsexesefrottacontrelesien,ellesecambracontrelui,geignantdeplaisir.«Oh,Seigneur,oui!»C’étaitbon.Sibon.Etmeilleurencorequandilentra
enfinenelle.—Oh,Jude,murmura-t-elle,parcequ'elleavaitenviequesoncorpssacheque
c’étaitluiqu'elleaccueillaitenelle.Ilsereculalégèrement,puispénétraplusloinencore.Marissaleserrasifort
qu'ellepouvaitàpeinerespirer.—Chut,susurra-t-il.Détendez-vous,moncœur.—Jenepeuxpas!Ellehaletaitavecviolence,submergéeparsondésir.—Marissa.Marissa,répéta-t-ilenbaissantlavoix.Ilseredressapourlibérerl'unedesesmains,puisl’autre.Il prit les poings serrés deMarissa dans ses mains et les reposa sur le lit.
Marissafermalesyeuxavecforceetessayadecalmersarespiration.—Chut,chuchotaJudeenluiembrassantlespaupières.Ellesanglotaet remontases jambes le longdessiennes.Quandelle lesserra
autourdelui,Judepénétraplusprofondémentetpleinementenelle.Elle se cambra, rejetant la tête en arrière avec une satisfaction intense. Il la
comblait,justecommeellel’avaitsouhaité.Jude se recula lentement, puis s’enfonçadenouveau.Marissaouvrit lesyeux
pour le contempler au-dessus d’elle. Il avait un air effrayant, sauvage. Aussisauvagequecesentimentquiemplissaitsoncœur,tandisqu'elleserraitlespoings
etlevaitleshanchesàlarencontredessiennes.—Respirez,Marissa.—Jenepeuxpas!C’estjusteque...j'aitellementenviedevous.—Vousm'avez,moncœur.Jesuisàvous.—Jevousenprie,supplia-t-elle.Jude,je...Ill’embrassasurlesjoues,labouche,lementon.—Voilà,monamour.Marissagardalesyeuxfermésquandillaserradanssesbraspourlaretourner.
Soudainelleseretrouvasurlui,savirilitétoujoursenelle.—Voilà,dit-il.Jesuisàvous.Marissa inspiraprofondémentetsehissasursesmains.Sous lepoidsdeson
corps, Jude était encore plus étroitement pressé contre elle, et elle soupira debien-être.Il lui lâcha les poignets, elle posa alors lesmains à plat sur son torse et le
contempla.Ilétaitmagnifiquesouselle.Pasbeau,pourtantellesedélectaitdesavuetandisqu'elleremuaitleshanches.Oh, oui. Elle recommençait à respirer. A présent, c’était Jude qui semblait
avoirquelquesdifficultés.Illuiagrippaitleshanches,etsonsouffledevenaitdeplusenplusrapidealorsqu'ellelechevauchait.Marissaressentitencorecepouvoirqu'elledétenaitsurlui,maiscettefoisilse
confondit avec celui qu’il détenait sur elle. Il lui procurait un plaisir ineffable,toutenforçantsoncorpsàl'accueillir.Etelleaimaitcela.Ellel’aimait,lui.Elle essaya d’accélérer le rythme de sesmouvements, puis les ralentit et fit
onduler son bassin. Jude la laissait agir à sa guise, et c’était aussi incroyablequ'elle en avait rêvé. Elle sentit ses cuisses commencer à trembler, mais ellen’arrivait pas à s’arrêter.Elle envoulait davantage.Lamâchoire crispée et lesyeuxplissés,Judeglissasamainlelongdesacuissejusqu’àatteindresonsexe.— Ah ! s’écria-t-elle, ses hanches tressaillant comme sous le coup d'une
déchargeélectrique.—Voilà,murmura-t-il.Possédez-moi.Ellelechevauchaplusviteetplusfort,lepoucedeJudetoujoursappuyécontre
cetendroitoùtoutelatensiondesoncorpsprenaitnaissance.—Oh,monDieu.Jude!C’était l’aboutissementdetouteslessensationsqu’ellerecherchaitdepuisdes
années.Cettedélicieuseindécence,cesondesdejouissancesauvage,laplénitudedesonessencemême.Toutyétait.Marissafermalesyeuxetlaissalàsespensées,seconcentrantsurlemiraclede
son propre corps. Et quel miracle, ce plaisir qui envahissait son âme, et endevenaitpresquedouloureux.Ellecriasondésespoir,puissoudain,elleexplosa.Sonâmeousoncorps,quelquechosecédaenelleetlibératoutesajoieettoutesajouissance avec une telle intensité qu'elle hurla, tout en faisant claquer seshanches contre celles de Jude. Elle avait besoin qu’il s’enfonce plusprofondémentencoreenelle,etilavaitdûlesentircarilvintàsarencontreavecuneforcebrutale.Alorsellesanglotaettremblacontrelui.Quand le plaisir la laissa enfin respirer, Marissa s’effondra sur le torse de
Jude,haletanteetfrissonnante.Illuicaressaledosdesesgrandesmains,toutenmurmurantdesmotsapaisants.—Vousêtesincroyable,Marissa.—Jen’aijamais...Jen’aijamaisrienressentidetel.—Ah!Enfin.— Jude ! s’exclama-t-elle, en le tapant sur le bras,mais elle s’aperçut qu’il
riait.Elle se mit aussi à pouffer, mais il s’arrêta alors brusquement. Le rire de
Marissa s’intensifiaquandelle se rendit comptede l’effetquecela avait sur lemembredeJude,toujoursenelle.—Bonsang,Marissa!Elle frotta alors sa joue contre son torse velu et constata que sa peau était
trempée de sueur. Il sentait bon et elle était si bien, blottie contre son corpshumideetchaud.Ellelâchaunpetitcriaiguquandillaretournasoudainsurledosets’enfonça
plusprofondémentenelle.— Je vous avais dit qu’il ne fallait pas me provoquer, mon cœur. Vous me
rendezfou.Etilavaitvraimentl’airfou,avecsonvisageempourpréparlapassionetses
yeuxquibrillaientd’une lueur sauvage.Marissa serra les jambesautourde seshanchesetlepritaussiprofondémentqu’illedésirait.Ill’embrassaaveclamêmeavidité qu’elle-même avait ressentie quelques instants auparavant. Et quand ilatteignit enfin son orgasme dans un dernier coup de reins, Marissa sentit leslarmesluimonterauxyeux.Ilétaitsonamietsonamant,ilallaitaussidevenirsonmari.
— Je vous aime, murmura-t-elle, en enfouissant sa tête dans ses cheveuxébouriffés.Il soupira, et soncorps se fit alorsplus lourd sur elle.Mais c’étaitunpoids
qu'elleaccueillaitvolontiers,etauquelellen’avaitpasenvied’échapper.Ilposasonfrontsurl’oreilleretsecoualatête.—Jen’aipasétécapablederésister,etmaintenantvousallezleregretter.—Jenepourraijamaisregrettercela.Jamais.Il se redressa légèrement et leva la tête pour la regarder dans les yeux. La
lassitudes’emparadesestraits.—C’esttroptard,quoiqu’ilensoit.Jesuisvôtre,désormais.«Jesuisvôtre. »Quelle jolie déclaration.Tout le contraire de ce quePeter
Whiteluiavaitdit.«Vousêtesmiennedésormais»,avait-ilexulté,commesielleétaitquelquechosequ’ilavaitacheté.C’était ladifférence,semblait-il,entreungarçonetunhomme.ExactementcommeJudel’avaitaffirmé.Maisellenepouvaitseréjouirdevantlatristessequ'ellelisaitdanssonregard.
LesyeuxdeMarissas’embrumèrent,etunelarmeroulalelongdesatempe.—Jen’auraispasdûcéderàlatentation,soupiraJude.Marissa le tapasur l’épaule.Violemment.Ellesentit tout lecorpsdeJudese
raidirverslesien,puisils’écartalentement.Elleretintsonsouffle,éprouvantuneétrangesensationquandilseretira.—Quelsquesoientvosregrets,dit-ildoucement,nousallonsnousmarier.— Ce sont vos regrets, et non les miens ! cria-t-elle. Je ne regrette rien.
J’attendrai le temps qu’il faudra pour que vous m’aimiez de nouveau. Jel’exigerai, vous comprenez ? Vous m’aimerez un jour, et maudit soit votreentêtement.Judesehissalentementsuruncoudeetluilançaunregardnoir.—Oh,neprenezpascetairsigrave,ditMarissa.Vousêtescoincéavecmoi,
désormais. Jeme servirai de vous jusqu’à ce que vous demandiez grâce.Vousferiezmieuxdevousenaccommoder.Elleétaitsurlepointdes'asseoiretd'attraperlescouverturesquandill’arrêta
enlacaressanttendrementsurlajoueavecsonpouce.—Essayez-vousderetournermonpropreplaisircontremoi?Pourm’amenerà
vousaimer?—Vous êtesmal placé pourme juger, puisque c’est exactement ce que vous
aviez l’intention de faire avec moi. Sauf que c’est vous le capricieux, il mesemble. Si facilement détourné de l’objet de votre affection. (Sa respiration
devintirrégulière,etellesuffoquaententantderetenirseslarmes.)Neme...s’ilvousplaît,nemeditespasquejemeréveilletroptard,Jude.Jeviensseulementdemerendrecompteàquelpointjevousaimais.Cen’estpasjuste.L’espaced’uninstant,ladouleurdéformalabouchedeJudeetluidonnaunair
menaçant.Illuipritlementonetdemanda:—Commentpouvez-vousenêtresûre?Elle cligna des paupières pour chasser ses larmes, furieuse que Jude voie à
quelpointelleavaitmal.—Jen’aiabsolumentaucune idéedecequevouséprouvez,mais jen’aipas
peur de vous révéler mes sentiments. Je vous aime, et peut-être que vous nem’aimezpasdutout.— Ah, Dieu, Marissa, dit-il, sentant sa lèvre inférieure trembler sous son
pouce.Nesoyezpassotte.Jevousaime.Elledéglutitpéniblement,maislaissaéchapperunpetitsanglotdesoulagement.—Vraiment?—Biensûrquejevousaime.Etc’estpourcelaquejenepeuxsupporterl’idée
denepasvousavoirentièrementpourmoi.Marissa ne fît pas attention aux larmes qui ruisselaient sur ses joues, même
quandJudecouvritsonvisagedebaiserspourlessécher.—Etvosremords?demanda-t-elle.—Jeneregretterien.Il s’allongea de nouveau sur elle et l’embrassa. Elle était en train de se
demandersielleoseraitpasserlanuitdanslachambredeJude,lorsquelecalmefutsoudaintroubléparquelqu’unquifrappaiténergiquementàlaporte.Jude seprécipitapour attraper les couvertures, quand laporte s’ouvrit à une
vitessedéconcertante.—Désolédevousdéranger,ditHarryqui,Dieusoitloué,étaitencoredansle
couloir.MaisMarissaadisparuet...EllecroisaleregarddeHarryaumomentexactoùsavoixs’étranglaitdanssa
gorge. Jude était au moins parvenu à les couvrir en partie, mais elle avait lesentimentqueHarryenavaitvubeaucoupplusdeJudequ’iln'enavaitl’intention.—Harry,commençaJude.Celui-cisecoualatêteetrecula.—Oh,qu’importe.Jesuisnavré.Jevaisjuste...—Bonsang,juraJudealorsquelaporteserefermaitdansuncraquementqui
semblaitannoncerunecatastropheimminente.—C’estunebonnechosequevousn’ayezpasderegrets,marmonnaMarissa.—BonDieu,Marissa,vousêtesunaimantàscandale.—Jesais.Quipourraitaccepterdem’épouser,maintenant?LaviolencedisparutduvisagedeJude.Ilsourit,puissemitàrire.—Vousallezpeut-êtremebriserlecœuretdétruiremaréputation,maisjesais
déjàquelejeuenvaudralachandelle.Ill’embrassaalors,etellesoupirad’aise.—Combiendetempspouvons-nousencoreresterici?Judesecoualatête.—Vousêtestropinconvenantepourvotreproprebien.Ilesttempsdefaireface
auxconséquences.Unefoisdeplus.— Une fois de plus. Cela en devient fatigant. Au moins quand nous serons
mariés,jen’auraipasàavoirpeurd’êtreappeléedansvotrebureau.—Jen’ensuispassisûr.Malgrélascènepeuréjouissantequil’attendaitenbas,Marissaserhabillaen
riant et en le taquinant. Jude l’embrassa et lui promit de la retrouver devant sachambrepourqu’ellen’aitpas à entrer seuledans lebureaud’Edward.Quinzeminutes plus tard,Marissa apparaissait devant les membres de sa famille, quisemblaient épuisés. En voyant leur expression choquée, elle réussit enfin àprendreunairgrave.
Chapitre24
Prisaupiègedans le silencede lapièce, Judesongeaqu’ilétait inéluctablequeleschosesenarriventlà:Marissaassisesurunechaisedevantlebureaudesonfrère, luideboutderrièreelle. Il tentaitd’afficheruneminerepentie,et touslesdeuxétaientencoreaffaiblisparl’intensitédeleurétreintepassionnée.Labonnes’étaitefforcéederendreMarissaprésentable,maissaboucheétait
encore rose et enflée, et ses joues enflammées laissaient présager d’autresrougeurssursoncorps,masquéesparlecolhautdesarobedechambre.Jude espérait avoir recouvréunaspectpresquenormal.Ses cheveux, coiffés,
étaientcependantencoremouillés,etiln’avaitrienpufairepoursonmentonmalrasé,quiluidonnaitl’airdésinvolted’undébauché.Marissas’éclaircitlavoix.—Je...—J’assumel’entièreresponsabilitédecequis’estproduit,l’interrompitJude.Marissajetauncoupd’œilpar-dessussonépauleetpritunairsurpris.—Ahbon,vraiment?Sivousvousétiezécouté,vousseriezdéjààmi-chemin
versl’Italieàl’heurequ'ilest.Seul.Judevoulutlafairetaireduregard,maiselles’étaitdéjàretournée.—Jesuisuninvitédanscettemaison,repritJude.Etjevouspriedem’excuser
d’avoirabusédevotrehospitalitéavecautantde...—Vigueur?hasardaMarissa.—Oh, pour l’amour du ciel ! cria Edward, frappant violemment le bureau.
MarissaAnneYork,vousvouscomportezdemanièrescandaleuse!Ellehaussalesépaules.— Sans doute. Mais nous sommes fiancés, alors à quoi bon faire tant
d’histoires...— Nous faisons des histoires, éclata Edward, parce que ce soi-disant
gentleman...(Lemotétaitemplid’unsigrandméprisqueJudesentitsesépaules
se raidir.)... a promisdenepasvousdéshonorerplusquevousne l’étiezdéjà,quelquesoit lestatutdevosfiançailles.Desfiançaillesqu’aucundevousdeuxn’avaitl’intentiondeprolonger,àcequej’aicrucomprendre.Juderavalasacolèreetbaissalatêtehumblement.—Jenepeuxnieravoirfailliàmaparole.—Jenedevraissansdoutepasêtresurpris,étantdonné...,grognaEdward.Serrant lesmâchoires, Jude jeta un coup d’œil versAidan,mais son ami le
regardaitavecfroideuretn’affichaitaucunsignedecompassion.—Jesupposequevousfaitesallusionauxcirconstancesdemanaissance?—Vousaviezfaitunepromesse,ditAidanavechargne.Judeserra ledosde lachaisedeMarissa jusqu’àsentir samains’engourdir.
C’étaitcequ’ilavaittoujourssuetn’avaitjamaisadmis.Qu’aumoindrefauxpasdesapart,sesamisrespectablesluitourneraientledos.— Et quel est le rapport ? Un homme bien né n’a-t-il jamais agi de façon
stupide par amour ?Et l’un d’entre vous n’a-t-il jamais rompuune promesse àcaused’unefemme?Levisaged’Aidanperditsafroideur,etfutdéforméparuneviolentefureur.Judeluifitfaceettintbon.— Ne me jetez pas ma naissance à la figure en feignant ensuite d’être
scandaliséparlavérité.Vousn’êtespasmeilleurquemoi,bonsang!Paslemoinsdumonde.Le silence s’installa entre eux. Jude s’attendait à ce qu’Aidan dise quelque
chosed’impardonnable,outoutaumoinsàcequ’ilsenviennentauxmains.MaisMarissa finitpar se leveretcontournasachaisepourseplaceràcôtédeJude.Elleposaunbrassurlesien.—Aidan et Edward, vous avez tous deux été indulgents enversma conduite
déshonorante.Pourtant,jecroispouvoiraffirmerquej’aiunelignéeimpeccable.J’ajouteraiquec’estungentlemandelabonnesociétéquienestàl’origine.(Elleprit un air pensif.) D’ailleurs, tous les hommes que j’ai connus étaient nobles,n’est-cepas?Judeadoncabsolumentraison.Soncomportementn’arienàvoiravecsanaissance,alorsvousdevriezavoirhonted’enparlerainsi.Le visage d’Aidan resta crispé. Ses poings étaient toujours serrés, mais
Marissan’avaitpasl’airintimidée.— Jude a agi comme un gentleman en proposant dem’épouser quand c’était
nécessaire,etvousétiezalorsbiencontents,dit-elle.Votrehypocrisiemefascine.Rien n’avait bougé. Jude était toujours debout devant les deux frères de
Marissa,légitimementfurieux.Ilsedétenditcependantetsesentitenvahiparunevagued’émotion.LesparolesdeMarissa semblaient sincères.Ellene regrettaitpasdel’aimer.Elleneregrettaitpassesorigines.Judedutlutterpourconserveruneexpressionsérieuseendéclarant:—Envérité,Marissaaacceptédem’épouser.—Oh,maparole,non!crialabaronne.—Mère!s’exclamaMarissa.Judeserendaitcependantbiencomptequecen’étaitpasladyYorkquiferaitle
plusdedifficultés.Edwardétaitlechefdefamille,etilparaissaittoujoursaussifurieux,oupresque.—Jenecomprendspas,Marissa.Vousavezététrèsclairesurvossentiments
dèsledépart.Cethommenesignifiaitrienpourvous.— J’ai été stupide. Tellement stupide que même Jude ne m’a pas crue.
Toutefois,j’aifaitdemonmieuxpourleconvaincre,etpourfinir...ilacédé.—Jevois,ditEdwardendécochantunregardnoiràJude.—Oh,ne ledévisagezpasdecette façon.Quepouvait-il faire?Mechasser
danslecouloiralorsquej’étaisentenued’Ève?Judeposalamainsurlasienne.—Marissa.—Oh, j'en ai assez de cette famille. Je suis ce que je suis. Jude n’en a que
faire,etjel'aime.— Mais non ! s’écria la baronne douairière d'une voix stridente. Ma fille
chérie...c’étaitfortaimabledelapartdeMrBertranddeproposersonaide,maisl’épouserparamour...jenepeuxleconcevoir.Marissaluijetaunregardimpatient.—Vousvousyhabituerez,mère.—Ehbien...toutcelaesttrèsétrange.—Vousavezraison,approuvaJude.Labaronneseradoucitalorsunpeu.ElleregardaJudeetMarissatouràtour.—Jesupposequenousdevrionsaccepterleschosestellesqu'ellessont,étant
donnéqu'ellesontdéjà...progressé.Aidan jura de nouveau, et Edward secoua la tête avec une expression de
dégoût.Leurmèrefrappasoudaindanssesmains,etlebruitretentitcommeuncoupde
feu.
—NousallonsorganiserunmariagespectaculairejusteavantPâques!Pensez-vousquevotrepèrepourraêtreprésent,MrBertrand?Ceseraitfantastique!Jecroisque...— Je suis désolée, mère, dit Marissa. Mais le mariage ne peut attendre le
printempspourdes raisonsévidentes.Lespectacle risqueraitd’êtreunpeu tropétonnant,mêmeàvotregoût.LesyeuxdesamèreglissèrentsurleventredeMarissa,etilluifallutmalgré
toutquelquesinstantspourpeserleproblème.—Oh,vousdevezavoirraison.—Attendezuneminute!criaEdward.Jen’aipasdonnémonaccordàquique
cesoit!—Oh,arrêtez,monfrère,grommelaMarissa.Dansunmois,vousn’aurezplus
besoindevoussoucierdemoi.—Unmois,vousdites?Sonvisagesedétenditlégèrement.—Peut-êtremêmemoins.La baronne s'agita, essayant de les convaincre qu'elle n’aurait pas le temps
d'organiseruntelévénementenunmois.MaisquandJudeluiassuraquesonpèreseraitprésentquellequesoitlabrièvetédudélai,elleselançadansunetiradesurlespréparatifsdelacérémonieavecunenthousiasmequifitpasserlerestedelaconversationausecondplan.—JedoisrentreràHulldansunmois,grognaAidan.J’aiunnouveaubateau
dontjedoissurveillerl’équipement.Labaronnefrémitd’indignation.—Vousserezprésentaumariage,AidanYork.Marissaestvotreuniquesœuret
estentraindevoirsaféminités’épanouir.Lesilences’abattitdanslebureau.Curieusement,personnenerit,maisMarissa
n'enfutpasloin.Jude était désormais d'une humeur euphorique, mais il remarqua les mines
maussadesdesfrèresYork.Ils’inclinaalorslégèrement.—Sivousaviezlabontédem’accorderunmomentenprivéavecEdwardet
Aidan...—Oh,biensûr!piaillalabaronne.MarissaetHarryvontveniravecmoidans
lecabinetdecouturepourregarder lesgravuresdemodequiviennentd’arriverdeLondres.Harryétaitrestétranquillementassisdansuncoindelapièce,l’aircruellement
embarrassépartoutelasituation.Ils’animaàl’idéedepouvoirs’échapper.—Oui,biensûr!Sijepeuxfairequoiquecesoitpourvousêtreutile!—Mère, seplaignitMarissaalorsqu'on la faisait sortir,vousnepouvezpas
préparerunmariagegrandiose,carletempsmanque.Justeavantqu'onlamettedehors,elles’arrêtabrusquement.—Attendez!ElleseprécipitasurEdwardetleserraétroitementdanssesbras.—Vousêtesincorrigible,grommela-t-il,maisenvoyantsonsourire,sonvisage
graves’éclairauninstant.—Jesuisheureuse,murmura-t-elle.—Vousenêtessûre?—Absolument.—Alors jenevousenfermeraipasdansvotre chambre jusqu’aumariage.Si
vouspromettezdebienvoustenir.—Jeferaidemonmieux.Le visage d’Edward s’empourpra derechef, tandis que le sourire deMarissa
s’élargissait.Elles’arrêtapourembrasserJudesur la joue,avantdesortird’unpasléger.JudesetournaalorsverslesfrèresYorkavecunairbienplusjoyeuxqu'ilneconvenaitdeprendredansunetellesituation.—Ehbien,ditAidan,vousavezobtenucequevoussouhaitiez.—Votresœurm’aime.Lorsque Jude prononça cesmots, ils lui parurent réels, et il se surprit à les
croirevraimentpourlapremièrefois.—Celavousparaîtpeut-êtreaussidifficileàconcevoirqu’àmoi,maisc’est
vrai.Edwardémitunpetitgrognement.—Etvouspensezquecelavadurer?IldésignaJude,commesisapersonnerendaitlachoserisible.—Nelasous-estimezpas,ditJude.Il avait prononcé ces paroles avec calme,mais il vit qu’elles avaient touché
Edward.—Jenel’aimeraispassiellen’étaitpasforte,intelligente,etcapabledevoir
quijesuisvraiment.
Edwardsepassalamaindanslescheveuxaveclassitude,etAidansedirigeaverslebuffetpourseservirunbrandy.AprèsavoirjetéunregardnoiràJude,ilpréparadeuxautresverres,qu’iltenditàsonfrèreetàJude.Celui-ciacceptaetposalamainsurlebrasd’Aidan.—Veuillezm'excuserd’avoirparlésidurement.Et...(Ilseraclalagorge.)...
jeveuxvousprésenterdenouveaudesexcusesàtouslesdeuxpourn’avoirpastenu ma parole. C’est inacceptable, je le reconnais. Mais quoi qu’il en soit,j’épouseraivotresœur.Edwardregardaleplafondpendantunmoment.Puisilsecoualatêteetseleva
pourtendreunemainàJude.— Vous avez rendu un service inestimable à notre famille. Je ne peux
m’indigner,puisqueleschosessemblentfinalementseterminerpourlemieux.Judeluiserralamain.—Merci.—Félicitations.Aidanneluidonnapasunegrandetapedansledosenaffirmantquetoutétait
pourlemieux.Ils’affalasurunechaiseetbutsonverred’untrait.— Comme vous l’avez déclaré un jour, la frontière entre la décence et
l’indécenceest floue.Vousaviezraisonalors,etc’est toujours lecas.Etpuisàquil’honneura-t-iljamaisétéutile?—Jelatraiteraibien,ditJudecalmement.—Jevoiscela.(Aidanagitaunemainméprisanteetsehissasursespieds.)Eh
bien,bienvenuedanscettemauditefamille.Al’évidence,vousytrouvereztoutdesuitevotreplace.Lesdeuxhommessemblèrentrassurésd’enresterlà.Judesentitunlégersoulagementl’envahir.Ilavaitpénétrédanscettepièceen
sachant que, quelles que soient les objections desYork, il épouseraitMarissa.Pourtant, son cœur battait à tout rompre, rempli de satisfaction, alors qu’ils’échappaitretrouversafutureépouse.Marissal’aimait,elleétaitintelligente,courageuseet,oui,unbrinsuperficielle.
Etill’aimait.Lesmembresdelabonnesociétépouvaientalleraudiable.Quelleimportance
pouvait bien avoir ce que le reste de l’Angleterre pensait de lui, si Marissal’aimaitpourl’hommequ’ilétait?Elleétaittoutcedontilavaitbesoin.Bientôt,leurmariageseraitofficiel.Lafamilleavaitdonnésabénédiction,bon
grémalgré.Ledangerd’unscandalepublicétaitdésormaisderrièreeux,etJude
étaitàprésentimpatientdevivreuneexistencededébaucheenprivé.Unmoisàattendreluiparutsoudainuneéternité.
Chapitre25
Cefut,del'avisgénéral,unetrèsbellecérémonie.Marissan’enavaitaucunsouvenir,sicen’estceluidesmainsdeJudedansles
siennes,desonregardheureuxetdesonsourireencoin.Ill’avaitembrasséeetilsavaient quitté la chapelle sous une pluie de vœux de bonheur et de pétales derose.Ilsétaientdésormaismariés.Une fois de plus, l’organisation précipitée dumariage s’était révélée inutile,
puisqueMarissan’attendaitpasd’enfant,maisellen’auraitretardécettejournéepourrienaumonde.Ellerayonnait.Ellelesavait,etlesmurmuresautourd’ellequandJudeetelle
étaiententrésdanslasalledebaletavaientétéprésentéscommemarietfemmel’avaientconfirmé.—Lamariée...—Tellementbelle...—Oncroiraitunange...Personneneditunmot sur lemarié.MaispourMarissa, il étaitbienplusun
angequ’elle.L’undesangesguerriersdeDieu,peut-être,munid’unegrandeépéeenacieraulieud’uneharpe.Ilétaitardentetdoux,etsiprotecteurqu’ilnel’avaitlaissée se faufiler dans sa chambre que deux fois depuis le soir où elle l’avaitconvaincuderester,unmoisauparavant.Quel homme exaspérant ! Il avait fini par verrouiller sa porte pour qu'elle
n’entrepas.Maiscettenuit,ilseraitàelle,etsavoircelafaisaitbrillersesyeuxchaquefoisqueleursregardssecroisaient.Cettenuitilseraitàelle,puistouteslesautresnuitsoùellelevoudrait.Subitement,Marissasepritàregretterquesamèreaitrenoncéautraditionnel
banquetdemariageetaitorganiséunbalàlaplace.MarissaavaitétéravieàlaperspectivededanseravecJudelesoirdeleurmariage,alorsqu’àprésentellesouhaitait que les festivités se terminent au plus vite. Mais sa mère ne leurpardonnerait jamaiss’ils s’éclipsaientavantque l’ondanse.Quesepasserait-il
s’iln’yavaitpasdegrandstoastsenleurhonneuroud’exhibitionromantiquedeleur bonheur conjugal ?Et quel serait l’intérêt de ces petits enfants habillés enchérubinssepromenantàtraverslafoulesilecouplequel’onfêtaitn’étaitpluslà?Ilsdéambuleraientdanslapiècesanstrouverdecoupleàbénir.Marissaaperçutuneailecouvertedeplumesblanches,eteutunmouvementde
recul.Edwardetelleavaienttentédeconvaincreleurmèrederenonceràl’idéedes chérubins, mais elle n’avait pas voulu en démordre. Et voilà qu’ils seretrouvaient acteurs d’une gigantesque pièce de théâtre. Des cris de paons enprovenancedujardinsefaisaiententendre,etMarissaneputqu’espérerqu’ilsnemeurent pas de froid dans cette nuit glaciale. On ne les discernait pas dansl’obscurité,maisc’étaitlàtoutel’idée,apparemment.Marissa se pencha pour saluer la tante Ophélia, même si la vieille dame
donnaitl’impressiondes’êtreassoupie.—Hein?croassasagrand-tanteenseredressantsoudainsursachaise.—Jevousdemandaiscequevousaviezpensédelacérémonie,tanteOphélia!Celle-cilevalatêteetplissalesyeuxversMarissa.—Oh,jel’aitrouvéetrèsbien.—Vousm’envoyezheureuse.Lesridessurlevisagedelavieilledamesecreusèrentdansunsourire.C’était
un phénomène si rare queMarissa semit à rire, ravie. Peut-être tanteOphéliaétait-elleplusgentillequ’elleneleparaissait.— Oui, la cérémonie m’a beaucoup plu, répéta tante Ophélia. Et c’est une
bonne chose qu’on vous ait trouvé unmari avant que vous veniez à bout de laribambelledegentlemendelaSaisonàvenir.LesouriredeMarissasefigea.—Pardon?—Iln’yariendemalàsepeloterunpeu,mafille.Maisvousdevriezêtreplus
discrète.Lesfillesétaientplusmalignes,àmonépoque.Jecommençaisàcroirequevotreintelligenceétaitaussifaiblardequevotrevertu.—Je...TanteOphélia...Jevousdemandepardon?Maislavieilledames’assoupitdenouveausursachaise.Marissaétaitsurle
point de la secouer quand elle sentit unemain se poser sur son épaule.Encoreabasourdie,Marissa leva les yeux et aperçut Jude qui lui souriait. Elle jeta undernierregardtroubléàtanteOphéliaavantdeseredresser.Elleparvintàafficherunsourirehésitant.—Monpère,murmuraJudeensetournantpourfairefaceauduc.
Marissarepritsesespritsetluifitunerévérence.—VotreGrâce,dit-elleavecunvraisourire.Elle avait rencontré le duc la veille, mais elle s’étonna derechef de son
apparence.LeducdeWinthrop,l’undesplusnoblespairsd’Angleterre,était leportraitcrachédeJude.EllerougitenpensantaunombredefoisoùelleavaitimaginéJudeenjardinier
ouenforgeron.Quellesotteelleavaitété.Leducn’étaitpasaussigrandqueJude,ni aussi robuste,mais il était indéniableque Judeavaithéritéduvisagede sonpère,jusqu’àsalargeboucheetsamâchoirecarrée.Le duc la taquina sur son rougissement, et elle le laissa penser qu'elle était
timideetnerveuse.Judeassistaàladiscussionavecuneexpressionincrédule.— Juste un moment, ma chère, dit le duc en lui tapotant la main. J'ai une
surprisepourvous,siseulementjepouvaismettrelamaindessus.Quandsonpère tourna les talons,JudesepenchaversMarissapoureffleurer
sonoreilledeseslèvresetluimurmurer:— On pourrait penser qu'après avoir aimé ma mère, il serait capable de
reconnaîtreunefemmeinconvenantequandilenvoitune.Souriante,MarissasehaussasurlapointedespiedspourquelabouchedeJude
seposedanssoncou.Illaremerciaparunpetitmordillement,puisluiditqu'elleétait une distraction gênante et recula. Elle souriait encore quand le duc revintavecunjeunegentlemansursestalons.—Regardezquiestarrivéjusteàtempspourlacérémonie!—Melbourne ! s’exclama Jude en donnant une tape dans le dos du nouveau
venu.—Jevousenprie,poursuivit leduc, laissez-moivousprésentermon fils, le
vicomteMelbourneetbientôtleduclui-même,jen’endoutepas.—Père,ditl’hommed'untonpéremptoire.— Melbourne, je suis heureux de vous présenter votre nouvelle sœur, Mrs
MarissaBertrand.Elle fit une profonde révérence, tout en l’examinant furtivement tandis qu’il
s’inclinait. Il devait ressembler à sa mère. Il était plutôt beau. Et élégant. EtMarissan’avaitqu’uneenvie,c’étaitqu’ilpartepourqueJudepuissecontinuerdeluimordiller le cou.Mais elle réussit à être affable et conversa avec les deuxgentlemen pendant une dizaine deminutes. Tous les invités les observaient. Lamoitiéd’entreeuxseposaientsansdoutedesquestionssurlarelationentreJudeet sonpère, tandisque l'autremoitiédevaitpenserau faitque le jeunevicomte
auraitunjourbesoindeprendreuneépouse.S’ilssavaientqueJudeetMarissafaisaientescaleenFranceavantleurlunede
mielenItalie, lesconversationsseraientd’autantplusanimées.Unducétaitunechose, mais une courtisane française en était une autre. Ou du moins, c'étaitl’opiniondeMarissa.PendantqueJudeetsonfrèreévoquaientensembledessouvenirsvraimenttrès
masculins – un certain lieu de pêche – les premiers accords des violonsrésonnèrent.Marissalevalesyeuxetvitsamère,auniveaudespotsdefougèredissimulantl’orchestre,luiadresserdessignesfurieux.—Jude,jecroisquenoussommesattendus.—Ah,oui.Cetteplanteaeneffet l'airextrêmement impatiente.Veuilleznous
excuser,père.Melbourne.Uneminuteplus tard, ilsémergèrentdes fougères,encadrésparunebandede
chérubins.Edward,quiétaitentraindelesprésenteràl’assistance,s’étouffaetsemitàbafouillerà lavuedecetessaimd’ailes.Marissaauraitvouludisparaîtresousterre,maisJudesemblaits’amuserfollement.Elleluidonnaplusieurscoupsdecoude,maissonsourirenefaiblitpas.Commeil refusaitdepartagersonhumiliation,Marissaessayadesedistraire
en observant la foule. Beth et sa cousine étaient au premier rang, et MrDunwoody,cetidiotquinesavaitpascequ’ilvoulait,étaitaucôtédeNanetteetla regardait en souriant. Elle constata avec intérêt que Harry se tenait près deBeth. Elle n’aurait pas remarqué cela s'ils n’avaient eu récemment uneconversationàproposdesonamie.Ses réflexions furent interrompues par un tonnerre d'applaudissements, qui
faisaitsuiteaudiscoursd’Edward.LetroupeaudechérubinsescortaalorsJudeetMarissaendirectiondelapistededanse.Oubliant Harry et Beth, Marissa entoura de ses bras son mari, sans prêter
attentionauxplumesquiflottaientdanslesairs.—Pasencorederegrets?demanda-t-ilalorsqu’ilscommençaientàvalser.—Misàpartmacraintedeglissersuruneplumed’angeetdemerompre le
cou,paslemoindreregret.Etvous?—Vous savez que j’ai désiré cela dès la première fois oùmes yeux se sont
poséssurvous.—Quand nous sommes-nous rencontrés pour la première fois ? le taquina-t-
elle.Elleavaitposé laquestionsur le tonde laplaisanterie,maisJude la regarda
avecunairconcentré.—Aidanm’avait traîné icipourunepartiedechasse.Jen’aipasunegrande
passionpourlachasse,maisjesuisvenumalgrétout.Etquandjesuisentrédansla salle de musique, vous étiez là, à danser avec votre cousin. Il vous a ditquelque chose qui vous a fait sourire, puis vous avez aperçu un gentleman quipassait, une expression sensuelle et concupiscente est alors apparue sur votrebeauvisage.—Arrêtez,fit-elleenriant.—C'estvrai.Etj’aipensé:«Voilàunefemmequichercheleplaisir.»—Jude!Ellerougitetluidonnaunetapesurlebras.Puisellepritconsciencequetoute
l’assistances’étaitmiseàpouffer.Onlesobservait.—Vousêteshorrible,murmura-t-elle.—Peut-être.Maisj'avaisraison,n'est-cepas?Quelquesautres couplesvinrent se joindreà eux, etMarissaput se serrerun
peupluscontresonmari.—C'estvraiquejeveuxduplaisir,répondit-elle.J’enaiterriblementenvie.—Petitepolissonne.Nemeprovoquezpas.—Maisilyadéjàplusieurssemainesquej'aiundésirardentdefairel’amour.Judegémitetlançaunregardénervéautourdelui.—Combiendedansesdevons-nousencoreleuraccorder?—Pasplusdetrois,jepense.—Parfait.MarissaobservaMrDunwoodyquimarchaitd’unpaspresséentenantunverre
depunch.Ilavaitl'airmalingre,etunmentonfuyant.Cettepenséelafitsourire.Judesepenchadenouveauàsonoreille.—Unefoisquenousseronsinstallés,ilfaudraquej'engagedejolisvaletspour
leplaisirdevosyeux.—Quoi?Jeneregardaispersonne.—Maisbiensûr.—C’estvrai!Quoiqu’ilensoit,jecroyaisquevousétiezdevenujaloux.Ilreculalatêteetluisourit.— Non. Je ne suis plus jaloux. Regardez autant qu’il vous plaît. Mais ne
touchezpas,jevousprie.
—Bien.Lamêmechoseestvalablepourvous,chermari.—Jen’ainulbesoinderegarderd’autresfemmes,déclara-t-ilavecunsourire
effronté.—Nous verrons bien.Dans quelques années, vous aurez peut-être follement
enviedejeteruncoupd’œilàunevraiepoitrine.Oudeux.Rejetantlatêteenarrière,Judesemitàriresifortquetoutelasalles’arrêta
pourleregarder,avecunsourireindulgent.—Votrepoitrine,dit-ilenfin,mesuffitamplement.—Quelmaigreappétitvousdevezavoir,murmuraMarissa.Àpropos,sijene
metrompe,jecroisquetanteOphéliavientdemetraiterdestupidecatin.Jude dut penser qu'elle plaisantait, car il secoua la tête comme s’il ne
comprenaitpas laplaisanterie.Oh, trèsbien.Marissane lacomprenaitpasnonplus.Ilsétaientaumilieudeleurdeuxièmedanse,quandMarissaremarquaqueBeth
dansaitavecHarry,etquecelui-ciarboraitsonsourirelepluscharmant.Allait-ilcourtiser l’une des demoiselles Samuel, comme il en avait évoqué l’idée ?MarissasentitsoncœurseremplirdebonheurensongeantqueBethseraitpeut-êtreunjoursacousine.Ellen’épouseraitpasunhommeduSudpourdisparaîtreplusieursmoisàlasuite.Mais il y avait une ombre au tableau. Harry n’aimait pas Beth, et Marissa
désiraitvoirBethheureuse.— Pensez-vous, glissa-t-elle à l’oreille de Jude, qu’un mariage puisse être
heureuxsilesépouxnesontpasamoureux?— Ce n’est pas vraiment le moment opportun pour aborder le sujet, petite
femmechérie.—Jeparlaisdequelqu’und’autre.—Ehbien...jen’ensuispassûr.Ilyaquelquetempsencore,j’espéraisquesi
nousnousmariions,vousenviendriezàm’aimer.Jecroisquecelaarrive.J’aivuCharlesLeMontetsonépouseàGrantham,l’autrejour.—Vraiment?Elles’estenfuieenpleursenvousvoyant,j’espère?Judelaregardad’unairréprobateur.—Ilsnem’ontpasvu.Maisilssemblaientheureux.Trèsheureux.—Jepensequejedevraismesentirsoulagée,pourmoi,toutaumoins.—Soyezsoulagéepourelle,ditJudedoucement.—Oui,jecroisquevousavezraison.PourelleetpourCharles.
Judeétaitsibon.Elleréprimal’enviedeposerlatêtesursontorse.Pasencore.L’attenteallaitêtrelongue.Quandladanseprit fin,MarissasedirigeadroitversBethpour la taquinerà
proposdeHarry.—Votrecousinatoujoursétésigentilavecmoi,réponditBeth,sanslemoindre
soupçonderosesurlesjoues.—Hum.Ilaunerentedemillelivresparan,voussavez.Ilferaunbonmari,un
jour.—J’ensuissûre.C’estunhommesiprévenant.MaisBethneluiprêtaitpaslamoindreattention.Elleétaitbientropoccupéeà
observerMrDunwoody, lui-même tropprisàadulerNanettepour remarquer leregardinsistantdeBeth.L’undeschérubinsarrivaetfitsemblantdeviserlecœurdeMrDunwoodyavecuneflèche.Mauditepetitebêteàplumes.MarissaaperçutEdwardquis'avançaitverselle.—Ah,voicimonfrère,quia l’airbeaucouptropsérieux,commed’habitude.
Avez-vousdanséaveclui,Beth?demandaMarissa,danslebutdedétournersonespritdeMrDunwoody.—Aidan?Pasencore,maisilm’aassuréqu'ilviendraitmetrouverplustard.—Jeparlaisd’Edward,ditMarissa,alorsquesonfrèrearrivaitprèsd’elle.Quelque chose d’étrange se produisit alors. Son amie bondit comme si elle
avait été piquée, et son regard se posa sur Edward. Et tandis que celui-ci sepenchaitversMarissapourseplaindredeschérubins,levisagedeBethdevintcramoisi.—Non,pasaveclui,répondit-elleplusfortqu'ellen’enavaitl’intention.Edwardlevalesyeux.—Jesuisnavré.J’aiinterrompuvotreconversation.—Non!s’écriaBethd’unevoixstridente.Cen’estrien.— Edward, dit Marissa avec insistance. Vous devriez danser avec Miss
Samuel,cesoir.Vousamuserunpeu.Lecriangoissantd’unpaoncouvrituninstantlamusique,etEdwardpritunair
renfrogné.—Oui,biensûr,marmonna-t-ilens’inclinantlégèrementendirectiondeBeth.
Je crois que c’est un quadrille qui s’annonce. J’espère que vous me ferezl’honneurdem’accordercettedanse,MissSamuel.Bouchebée,Bethleregardafixementetneréponditpas,maisEdwardétaittrop
distraitpourleremarquer.— Veuillez m’excuser. Je crois que je viens juste d’apercevoir un paon se
promenantdanslecouloir.—Àl’intérieur?s’exclamaMarissa,tendantlecouverslaporte.Elleplissalesyeuxd’unairsoupçonneux,sedemandantsisamèreavaitprévu
cela.Commeellelaconnaissait,celasemblaithautementprobable.Elleavaitdûpenserquequelqueshurlementsdedameségaieraientlebal.Etpuis,pourquoinepas ajouter quelques plumes colorées à celles qui flottaient déjà au-dessus desdanseurs?—Mamèreavraiment...Mais quandMarissa se retourna vers Beth, elle constata que son amie avait
disparu.Marissaresta immobile, trop intriguéepourbouger.LaréactiondeBethavait
sansaucundouteététrèscurieuse.Elleessayadeseremémorerd’autresmomentstendusentresacompagneetEdward,envain.Elleneparvintpasasesouvenird’une seule discussion entre eux, ce qui était encore plus surprenant que lerougissementdeBeth.Avant d’avoir le temps de réfléchir à une théorie,Marissa devina quelqu’un
derrièreelle.Labrèvecaressed'unebouchechaudesursoncouneluilaissapasdedoutessurl’identitédel’hommedanssondos.— Il est temps pour notre troisième danse, susurra-t-il, etMarissa sentit ses
jouesdevenirbrûlantes.Lemystèrequientouraitl’embarrasdeBethdevraitattendre.Aprèsleurlunede
miel,même.EllesetournaversJudeetpritjoyeusementlamainqu’illuitendait.Bientôt, ils seraient dans leur chambre à coucher, sans énigme à résoudre, sansoiseauxerrantsetsansplumesd’angeflottantentreeux.Leparadis.Aucuneplumenelesattendait,maisilyavaitdespétalesderose.Partout.—Hum,soupiraMarissaenenretirantunsurleventredeJudeetenappliquant
unbaiseràlaplace.Voussentezsibon.—Je...(Ilretintuninstantsonsouffle,quandellel’embrassaunpeuplusbas.)
Jefaismonpossiblepoursatisfaire...commetoujours.— Je reconnais, murmura-t-elle, la bouche collée contre le léger duvet qui
descendaitsoussonnombril,quej’étaisconvaincuequelesrosesétaientl’œuvre
demamère.Jen’aipaspenséuninstantquevouspuissiezenêtreàl’origine.—Je...voulaisseulement...—Détendez-vous,monamour,dit-ellelentement.Respirez.Elleeffleuraleboutdesonmembreavecseslèvresetsouritenentendantson
soufflesedéchaîner.Etquandellelelécha,ilcessacomplètementderespirer.Ilétaitsichaud.Etc’étaitsiagréable.Elle sourit à cette pensée et le goûta encore à plusieurs reprises pour s’en
assurer.Oui,c'étaitsansaucundoutetrèsagréable.Marissanesavaitpasexactementcommentprocéder,àprésent.Quandelleétait
alléeluirendrevisiteensecret,Judes'étaitlivréàdesbaisersscandaleux,maissa tâche ne lui semblait pas du tout la même. Pourtant lorsqu'elle referma labouche sur son sexe, il lâcha un grognement de plaisir torturé et ses hanchestressaillirentverselle.Oh, mon Dieu ! Ravie – et terriblement excitée -, Marissa le prit plus
profondémentdanssabouche,s’émerveillantdesadouceursursalangue.C’étaitparfaitementinconvenant,etelleétaittoutàfaitconscientedel’humiditéentresescuissesalorsqu'elle faisaitdescendresabouche le longdesonmembre.Quandelleremonta,puislepritdenouveauprofondément,Judegémit.Cesonplaintifluifaisait l’effetd'unemaincaressantson intimité,etMarissasemitàgémiràsontour.ChaquefoisquelesexedeJudeglissaitsursalangue,elles'agitaitavecuneexcitationcroissante.Ellelesentaitgrossiraufuretàmesuredesescaresses.—BonDieu,fitJude.Levant la tête vers lui, elle vit qu’il la regardait, les yeux plissés par une
concentrationintense.—Venezici,monamour,murmura-t-il.Ellenetintpascomptedesonappeletpritdenouveauprofondémentsavirilité
danssabouche,maisilglissalamaindanssescheveuxpourl’arrêter.— J'ai des projets plus grandioses pour notre nuit de noces. Si jeme laisse
allerainsi...Elleseléchaleslèvres.—Oh,pouvez-vousfairecela?Judegémitetlaissasatêteretombersurl'oreiller.—Vousallezcausermaperteenmeregardantainsi.—Maisvousdevezmelaisser...Ill’attirasursontorseetl’embrassa.—Oui, jevous laisserai fairecela,petiteeffrontée.Demain.Ouplus tardce
soir?Maispasmaintenant.Maintenant,j’aienviede...Il caressa ses fesses, et quand ses doigts plongèrent dans son sexe,Marissa
pressaseshanchescontreluiavecungémissementdedésir.—MonDieu,maisvousêtesterriblementexcitée,murmura-t-il.Déjà.—Celam’aplu,reconnut-elle.Ellesentitunfrissonlaparcourir.Judelafitbasculersurledosets’allongeasurelle,puisl’embrassaavecune
telleintensitéqu’elleeneutlesoufflecoupé.Etquandillapénétrad’uncoupdereinsimplacable,ellesuffoquadeplaisir.—Jevousaime,chuchota-t-elleenenfouissantsamaindanssescheveux.Pour
toujours.Ici,dansleurlit,Judeétaitunhomme,etelleétaitunefemme,etiln’yavaitpas
deplacepourdesréflexionssurladistinction,l’éléganceoulasociété.Dehors,sa vie était peut-être superficielle et mondaine.Mais ici, ils étaient indécents,honnêtes et sauvages ensemble. EtMarissa ne le regretterait jamais, pasmêmedansmilleans.Ici,Judeétaitbeau,etelleétaitlabêtequiledévoreraitsiellelepouvait.—Pourtoujours,murmura-t-ilenluifaisantécho,etc’étaitlaplusbellechose
qu'elleavaitjamaisentendue.
ENAVANT-PREMIERE
DécouvrezlasuitedesaventuresdelafamilleYorkdans:
CŒURBRISÉ(versionnoncorrigée)
BientôtdisponiblechezMiladyRomance
Traduitdel’anglais(États-Unis)parFannyAdam
Chapitrepremier
Kingston-upon-Hull,Angleterre,Septembre1849
—Jevousremercie,MrYork.Cefutunplaisir,unréelplaisir.Aidan York adressa un sourire grave au châtelain rubicond. L’éclat sévère,
incandescent, de son regard pouvait difficilement passer pour du plaisir.L’émotion qui s’y reflétait s’apparentait davantage à un franc soulagement.L’hommeavaitinvestitoutsonactifdansunnavireetunemeragitéeavaitcausésaruinepeudetempsaprès.Aidanpenchalatête.—L’argentseraremiscetaprès-midiàvotrefondédepouvoir.— Merci, dit l’homme, en s’inclinant d’un mouvement brusque. Merci,
monsieur.Aidan le salua tout enprenant congé, l’esprit déjà occupé à d’autres projets.
S’ilquittaitHullavantlatombéedelanuit,ilseraitderetouràLondresenquêted’un acheteur avantmêmequene commencent les travaux sur le bateau.Si soncalculétaitexact–etilnesetrompaitjamais-,ilferaitunbénéficed’unmillierdelivresenquinzejours.Iln’avaitpasperdusamatinée.C’est à peine s’il remarqua la beauté de la vue qui s’étendait devant lui
lorsqu’ilquittal’alléepourlespavés.Kingston-upon-Hullétaitunpetitport fluvial,dont les larges rues–ainsique
les ruellespluspittoresquesde lavieilleville–étaientencombréesde femmesqui faisaient leur marché et de domestiques, de marins et de négociants, touss’adonnantavecdiligenceàleursoccupations.Plusieurspassantslevèrentlatêteendirectionducielaumomentoùlesoleilperçaàtraverslesnuages.Aidannelesimitapas.Ilavaitdesdispositionsàprendre,destransactionsànégocier.Lamétéone l’intéressait pas lemoinsdumonde, sauf, bien sûr, si elle affectait leprogrammedesexpéditions.
Distançantlacohuequil’entourait,ilpritàdroiteendirectiondesdocksetdupetit bureau qu’il y louait. Cependant, il fut arrêté dans son élan lorsqu’ildébouchasuruneétroitevenelleencoreplusbondéequelaprécédente.Incapablede soutenir un rythme plus lent, il réprima un grognement et balaya l’artère duregardàlarecherched’unpassage,d’unebrèchedanslafoule.Pendantuninstant,ilcrutapercevoirquelquechose,continuadescruterlarue,
puisclignadesyeux,tandisquesonespritétaitfrappéd’unéclairdelucidité.Unesensationd’oppressionlesaisitqu’ilreconnuttoutdesuitemalgrélefaitqu’ellenes’étaitplusfaitsentirdepuisdesannées.Ilneputs’empêcherdeprocéderàunexamen rapide des personnes qui se trouvaient devant lui : des femmes, deshommes,desenfants.Illespassaenrevuecommedescartessurunetabledejeu.Là!Unefemmemarchaitloindevantlui,chaquepasqu’ellefaisaitrelevantà
peinesajupevertfoncé.Lalaineopaquedesatenuenelaissaitrienparaîtreetunchapeaugrossier,assezlarge,dissimulaitsachevelureetsonvisage.Aidandésapprouvaitlamanièredontbattaitsonpouls.Il était ridicule, pitoyable. Néanmoins, il suivit du regard l’étrangère avec
beaucoupd’attention,absorbanttouslesdétails:sesépaules,l’inclinaisondesatête...Avecunsourireméprisant,ilpestacontrelui-mêmeàcausedel’espoirinsensé
qu’il avait laissé naître dans sa poitrine. Quand bienmême la démarche de lajeunefemmeavaitquelquechosedefamilier,ilnepouvaits’agirdeKatie.Ildéglutitavecpeineetseforçaàdétournerlesyeux.Il n’avait pas ressenti cela depuis des années. En fait, il s’était imaginé que
cette absurde pulsion appartenait à un lointain passé. Pourtant, il avait le cœurchancelantetcelasevoyaitàsesjouesenfeu.Malgrélui,ilconcentradenouveausonregardpourlaretrouver.Commes’ilavaitétéentranse, ilralentit lepasetregardalafemmes’arrêterpourdéverrouilleruneportebleuvifqu'elleouvritsurlafraîcheurdelarueavantdes’yengouffrer.Quelque peu à l’écart du flux de la circulation, Aidan examina le bâtiment.
Celui-ci ne comprenait qu’une petite enfilade de boutiques bien alignées.L’enseigne, au-dessus de la porte par où la femme était entrée, annonçait :HamiltonCoffees.Sansdouteétait-ceMrsHamilton,maissûrementpasKatie.Cen’avaitjamais
étéKatieetneleseraitjamais.Illesavaitdepuisassezlongtempsdéjàetauraitdûenêtreguéri,maisilcontinuaitpourtantd’avoir lagorgenouée.Lesmusclesdesonvisagesecontractèrentauseulsouvenirduchagrin.Cesdernièresannées,ilétaitmêmeparvenuàmaîtrisersapeineetnepouvaitsepermettredelalaisser
s’épancherànouveau.Respirant avec lenteur, il se concentra sur la forte odeur qui provenait du
chantier naval et enveloppait la ville entière. Effluves d’iode, de bitume et debois.Ilfermalesyeux,épiantlecriincessantdesmouettes.Ellesétaientpourluitoutautantsynonymesd’argentquelecliquetisden’importequeltasd’or.Quandilrouvritlesyeux,ilavaitrecouvréunpeudesoncalme.Laportebleue
n’étaitplusqu’unesimpleporteetl’échoppeunesimpleéchoppe.D’unmomentàl’autre,lafemmeenressortirait.Ellefranchiraitleseuilpourprendreunpeud’airfraisoubalayer lapoussièredupassage.Enoutre, ce seraitune femme,nonunfantôme. Il pourrait alors s’éloigner, remisant le passé en enfer d’où il n’auraitjamaisdûsortir.Aidans’attardaetpatienta, tandisque lesattelageset lescharrettespassaient
tout près de lui en grondant, lui cachant la vue pendant quelques douloureusessecondes. Il attendait toujours lorsqu’une femme aux formes généreuses pénétradans l’entrée obscure avant de ressortirmunie d’unpetit paquet. Il attendit quel’oppressant désir se dissipe et sut alors qu’il pouvait poursuivre sa route. Iln’avaitplusbesoinderevoirlafemmemystérieuse.Cen’étaitpasKatie.Aidantournaledosàlaboutiqueetpritladirectionopposée.
MiladyPemberley
Découvrezaussidanslamêmecollection:
Chezvotrelibraire
ElizabethAston LesFillesdeMrDarcy
SallyMacKenzie Noblesseoblige:LeDucmisànu
22juin2012
MaeveHaran LaDameetlePoète
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MaryJoPutney LePacte