catalogue zero gravity

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Page 1: Catalogue Zero Gravity

©2008Galerie Justin Morin

Ecole Supérieure d'Art de Metz

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Galerie Justin Morin

Zero Gravity

Sofia Boubolis

Jean-Baptiste Bernadet

Pierre Debusschere

Claire Decet

Eva Evrard

Samuel François

Olivier Kosta-Théfaine

Justin Morin

Jean-Rémy Papleux

Sandrine Pelletier

Santiago Reyes

Eric Stephany

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La Galerie Justin Morin ouvre à nouveau ses portes. Elle s’installe pour une durée d’un mois dans la galerie de l’École Su-périeure d’Art de Metz et accueille l’exposition collective Zero Gravity. Un an après sa création bruxelloise, en avril 2007, je souhaitais de nouveau convier ces artistes, ces amis, dont le travail et le questionnement raisonnent avec les miens. En délaissant les fils pour tisser un réseau immatériel et affectif, la broderie que j’affectionne tant prend une nouvelle dimension. À cette occasion, j’ai le plaisir de retrouver la plupart des plasticiens présents lors de la première édition - Jean-Baptiste Bernadet, Sofia Boubolis, Claire Decet, Samuel François, Jean-Rémy Papleux, Sandrine Pelletier et Santiago Reyes - et quelques nouveaux venus - Pierre Debusschere, Eva Evrard, Olivier Kosta-Théfaine et Eric Stephany -. De la peinture à la vidéo, en passant par la photographie, autant de pratiques pour répondre au thème Zero Gravity. Perte des repères physiques et psychiques, expérience de la chute et de l’envol, toutes ces déclinaisons, dont l’essence commune pourrait être la déroute, sont explorés par les artistes. Il était important pour moi d’observer la manière dont ils pouvaient aborder ces notions qui nourrissent actuellement ma pratique personnelle. C’est très inspirant de voir comment ils s’acca-parent ce sujet. Je suis également fasciné de découvrir les similitudes, esthétiques ou conceptuelles, qui relient des artistes aux univers parfois radicalement éloignés. Prolongement de cette exposition, ce catalogue présente les oeuvres réunies à cette occasion.

Malgré ce qu’annonce le titre de ce projet, je tiens à préciser que je ne suis pas véritablement galeriste. Cette usurpation s’est imposée lors de la création de cette forme curatoriale éphémère et itinérante. Cet exceptionnel renversement des rôles artiste/galeriste interroge la nature des rapports qui lient les deux acteurs. En tant que «jeune artiste», il n’est pas toujours évident de décoder les lois qui régissent un marché dont la seule véritable constante est qu’il n’y en a pas vraiment. Réin-vestir des champs d’action - l’écriture, le commissariat - dont nous avons été éloignés, nous constituer en tant que groupe sont autant d’actions qui nous aident à fortifier nos réseaux et à entretenir nos énergies. Loin d’être une pratique nouvelle, ce cumul des fonctions a déjà été éprouvé par de nombreux artistes, comme Mathieu Mercier, lauréat 2003 du prix Marcel Duchamp et co-fondateur de la Galerie de Multiples. C’est d’ailleurs pourquoi je désirais m’entretenir avec lui autour de la place de l’artiste dans le système de l’art. Notre discussion est également à découvrir dans cette édition.

En attendant la prochaine édition de la Galerie Justin Morin, ce catalogue vous permettra de vous plonger dans les méandres d’un monde kaléidoscopique où la gravité n’a plus vraiment de logique, et où l’imaginaire épousent les sensations les plus fortes.

Justin Morin.

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Jean-Baptiste BernadetA game you play, 2008Série de peintures à l’huile, volume en carton et acrylique

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Claire DecetVanité et Nature morte, 2008Crayon de couleur sur papier

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Sandrine PelletierYou’re gonna die, 2005Laine

Jean-Rémy PapleuxFlows surround the rout, 2008Huile sur toile et triptyque vidéo transféré sur dvd

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Santiago ReyesOjos,1997-2007Vidéo transféré sur dvd

Samuel FrançoisGive Peace a chance, 2008 / Spontaneous III, 2008Poutre en polyuréthane imitation bois et peinture au compresseur

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Sofia BoubolisTourments sur lit blanc, 2008Encre de chine et eau de javel sur papier

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Justin MorinLe chemin, 2007Prises d’escalade en faïence des Émaux de Longwy

Claire DecetMes molécules, 2008Pop-corn et caramel bio, bâtonnets en bois

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Olivier Kosta-ThéfaineÉtoiles, 2008Verre cassé, plâtre, mur en bois

Éric StephanyOut of date / Material, 2003-2006Échantillons périmés de matériaux de façade

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Eva EvrardSans titre, 2008Calligraphie à l’encre de chine sur papier de soie

Pierre DebusschereF L O A T I N G, 2008Tirage sur papier baryté

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La critique Jill Gasparina répond à la carte blanche de Justin Morin en proposant une lecture de son installation Le Chemin, créée en décembre 2007 dans le cadre de l’exposition personnelle Anti Newton, à la galerie Frédéric Desim-pel (Bruxelles) et présentée une seconde fois lors de Zero Gravity.

+SENTIMENTAL-INDUSTRIELLe Chemin est un mur d’escalade. Ses prises sont en céramique, une céramique produite dans les fabriques d’émaux de Longwy. La céramique est aussi luxueuse qu’elle est fragile et glissante : l’idée n’est pas de faire un ready-made, il ne s’agit pas d’une pièce relationnelle, mais plutôt d’une allusion à un mur d’escalade, comme ces rampes de skate qui n’en sont pas, les anti-sculptures publiques d’Olivier Mosset (Untitled, Ramp) ou de Sylvain Rousseau (Park). On pense aussi à la Chambre noire de Simon Boudvin, un mur d’escalade qui propose l’ascension d’une sculpture minimale noire, dure, mais agrémentée de prises multicolores qui font basculer l’ensemble dans le design Memphis. Là où la sculpture de Boudvin est massive, Justin Morin offre un rapport différent à la gravité, la possibilité d’une ascension en même temps que son échec. Il y a aussi cette dimension strictement biographique qui fait qu’il vient de cette région qui se remet difficilement de sa baisse d’activité, la Lorraine, un région au désespoir industriel presque chic. Jusqu’à une date récente, les émaux étaient voués à la disparition, eux qui étaient cantonnés jadis à l’univers somptuaire mais domestique des soupières, assiettes, vases de luxe et autres plats d’ornement, pégase doré, melons art déco, pendule style Louis XV, boule coloniale. La céramique est aujourd’hui une matière en quelque sorte ressuscitée après la quasi-extinction de l’artisanat des émaux à Longwy dans les années 1970, en pleine crise industrielle. La position icarienne de Justin Morin n’est donc pas sans romantisme. Dans Anti Newton, Zero Gravity, The sweet escape, dans toutes ses pièces et toutes ses expositions, on trouve ce même désir d’échapper à la gravité, à l’inertie, ce même désir contrarié de légèreté. Et cette même mélancolie sophistiquée.

Jill Gasparina

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Jean-Baptiste Bernadet Brouillonne, rageuse et répétée, la peinture de Jean-Baptiste Bernadet (Belgique) ne manque pas d’ironie. Jeux de mots ou effets graphiques basiques, ses images débordent sou-vent des châssis, comme si les sujets de l’artiste tentaient de s’échapper. Malgré les apparences, cette maladresse est parfaitement contrôlée et constitue la frontière de ces zones que l’artiste aime à explorer : romantisme et désillusion, lâ-cher-prise et maîtrise ou de manière plus large pulsion de vie et pulsion de mort. Erase and rewind, pièce récente de l’ar-tiste est un statement qui pourrait s’appliquer à sa métho-dologie, lui qui n’hésite pas à réutiliser ses toiles pour mieux confronter l’erreur à la réalité. Présentée à l’occasion de Zero Gravity, son installation A game you play présente dix de ses toiles ainsi qu’un jeu de dés que les visiteurs sont invités à lancer. Aléatoires, les injonctions qui en sortent témoignent de l’état d’impermanence qui régit nos vies.

Sofia Boubolis La déflagration imaginée par Sofia Boubolis (Belgique) s’af-franchit de toute loi physique. Se propageant dans toutes les directions, osant même les courbes les plus incohérentes, cette explosion est un condensé d’énergie pure, un big bang miniature. Sa réalisation, nerveuse et néanmoins détaillée, participe à cette impression de vie. Son titre, Tourments sur lit blanc, renforce la dimension onirique du travail de l’artiste. Aussi à l’aise avec un crayon qu’un pinceau, Sofia Boubolis met en scène à travers sa peinture un univers similaire où l’exotisme d’un voyage en terre inconnue se teinte de ro-mantisme et de frissons. Citons les huiles sur toile Retour de Rome ou From Sanland. Parfois bucoliques, parfois angois-santes, ses images constituent les étapes d’une odyssée résolument captivante.Pierre DebusschereImmergés dans le noir, les protagonistes de la fresque de Pierre Debusschere (Belgique) jouent de leur aura fantomati-que. Marqué par l’esthétisme de la photographie de mode, F L O A T I N G dresse un paysage lunaire où l’attraction semble être instable. En multipliant les différents types de cadrages et en recourant de manière appuyée au clair obs-cur, l’artiste trouble les points de repère du visiteur et

LA BELLE ÉQUIPE

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instaure une narration vaporeuse et suspendue. Qu’elles soient effectuées en studio ou en extérieur - comme ce fut notamment le cas pour sa série islandaise -, ces prises de vues imprègnent les mouvements de statisme, posant le re-gard sur un moment aussi étrange et magique qu’inattendu.

Eva EvrardTravail d’orfèvre, le livre (sans titre) d’Eva Evrard (Belgique) a été entièrement calligraphié par sa main. Léger et fragile, il est un répertoire de mots retranscrits dans leur forme pho-nétique, un langage courant et pourtant oublié. Quelques mots écrits en français et à contresens viennent troubler cet étrange électrocardiogramme. Progressivement, les signes perdent leurs sens, et des mots nouveaux et absurdes appa-raissent, pour laisser totalement la place à un vocabulaire in-venté. Diplômé du département typographie de l’école d’arts appliqués de la Cambre, Eva Evrard a su élargir les frontières de cette discipline pour l’emmener là où on ne l’attendait plus, quelque part entre les arts plastiques et la littérature contemporaine. Bien plus qu’un exercice technique et stylis-tique, la sécheresse graphique de son travail tranche avec le foisonnement narratif qu’il dégage. Claire Decet Les deux dessins que Claire Decet (France) a réalisé pour Zero Gravity frappent par leur finesse d’exécution. Mais der-rière la joliesse et la perfection technique se trame une vision bien plus déstabilisante, en prise avec les angoisses

contemporaines. Nature morte et Vanité constituent deux pendants d’une seule et même réalité, celle des manipula-tions génétiques et autres dérives expérimentales. Compo-sition méticuleuse, les symboles de vie et de mort se su-perposent pour former des totems d’un nouveau genre. Ce n’est pas la première fois que l’artiste pose son regard sur les dérives de notre société. Dans Paysage I, peinture à l’hui-le présentée lors de la première édition de la Galerie Justin Morin, elle met en scène un paysage nocturne représentant la centrale nucléaire de Cattenom (Lorraine), décor quotidien pour elle qui vit dans le village voisin. Et lorsqu’elle délaisse le chevalet, c’est pour préparer des propositions gustatives déconcertantes, jouant sur l’attraction et la répulsion, que les visiteurs les plus chanceux auront pu expérimenter lors de ses trop rares performances.

Samuel FrançoisL’intervention colorée qui envahit et compresse les murs de la Galerie Justin Morin est signée Samuel François (France). Évanouissement chromatique, Spontaneous III aplatit les perspectives et trouble la ligne d’horizon. Questionnant la notion de décoratif, le travail de l’artiste privilégie l’absurde, comme en témoigne ce faux colombage placé innocemment au centre de l’espace. Give Peace a chance ne soutient rien, mais il semblerait que sa fonction se cache ailleurs. La ré-ponse est à chercher dans son motif central, camouflage du signe «paix». C’est une constante dans le travail colorée de Samuel François, ses oeuvres ne disent jamais ce qu’elles semblent dire, mais invitent toujours à un jeu de piste men-tal. Souvent dégénérescent (Smile, collage d’une centaine d’autocollants smiley) et surréaliste (Doggie Dunk, installa-tion loufoque mettant en scène un faux chien de faïence), cette hystérie ne saurait cacher la mélancolie d’une enfance et d’une naïveté perdue.

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pas, malgré leurs couleurs acidulées, ces morceaux de verre restent extrêmement tranchants. Masse butoir aussi fasci-nante qu’inutile, puisqu’il suffit de la contourner pour pas-ser de l’autre côté, cette pièce cultive l’art de l’évanescence cher à l’artiste. À son goût pour la beauté de la détérioration s’ajoute une critique des codes de la bourgeoise. L’osten-tatoire et la décoration sont malmenés avec humour dans This is low a budget artwork, simple feuille taguée, ou Ro-sace, moulure plafonnière réalisée à la flamme d’un briquet, à la manière des motifs que l’on retrouve dans les cages d’escalier de certains immeubles. Aussi charmant qu’irrévé-rencieux, l’art d’Olivier Kosta-Théfaine est celui d’un vilain garnement faisant fi de toutes les règles.

lui tient à coeur et qu’il a exploré récemment exploré avec la série de broderie La Chute. Ces toiles représentent les corps tombants d’athlètes pratiquant le saut en hauteur : toute ascension se termine inéluctablement par un retour au sol. Malgré un goût prononcé pour les médiums artisanaux, l’artiste définit sa pratique comme pluridisciplinaire : vidéo, collage ou peinture complètent une recherche où tout s’ar-ticule autour d’un axe où l’imagerie pop est contrebalancée par un univers abstrait fait de jeu de lumières. Olivier Kosta-Théfaine

Avec Étoiles, Olivier Kosta-Théfaine (France) détourne de manière lumineuse les murets cimentés destinées à décou-rager les visiteurs inopportuns. Mais que l’on ne s’y trompe-pas, malgré leurs couleurs acidulées, ces morceaux de verre restent extrêmement tranchants. Masse butoir aussi fasci-nante qu’inutile, puisqu’il suffit de la contourner pour pas-ser de l’autre côté, cette pièce cultive l’art de l’évanescence cher à l’artiste. À son goût pour la beauté de la détérioration s’ajoute une critique des codes de la bourgeoise. L’osten-tatoire et la décoration sont malmenés avec humour dans This is a low budget artwork, simple feuille taguée, ou Ro-sace, moulure plafonnière réalisée à la flamme d’un briquet, à la manière des motifs que l’on retrouve dans les cages d’escalier de certains immeubles. Aussi charmant qu’irrévé-rencieux, l’art d’Olivier Kosta-Théfaine est celui d’un vilain garnement faisant fi de toutes les règles.

Justin MorinInstallation en céramique, Le Chemin représente un mur d’escalade stylisée et impraticable. Réalisées par la Faïen-cerie des Émaux de Longwy, ces prises, par leurs aspects lisses, fragiles et décoratifs, contredisent leur fonction pre-mière et n’assurent aucune stabilité.

En mettant en scène cette ascension paralysée, Justin Morin (France) pointe les travers de la performance, un thème qui

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pratique comme pluridisciplinaire : vidéo, collage ou peinture complètent une recherche où tout s’articule autour d’un axe où l’imagerie pop est contrebalancée par un univers abstrait fait de jeu de lumières.

Jean-Rémy PapleuxPeintre et vidéaste, Jean-Rémy Papleux (France) explore avec insistance les états de latence vécues par ses héroïnes. Bien qu’elles soient toutes différentes, ces personnages in-carnent un même archétype féminin. Pour Zero Gravity, l’ar-tiste présente Cécile. Cette jeune fille est au centre d’une scène d’introspection, où la fébrilité de son corps, entre mi-cro-mouvements et statisme, suggère une transcendance. Marquées par différents formats et une pause blanche, ces quatre toiles jouent sur une lecture en plusieurs temps. On retrouve cette même maîtrise du rythme dans Flows surround the rout, oppressant triptyque vidéo bâtie autour de la notion de traumatisme. Dans cette boucle temporelle, le parcours physique se confond avec son cheminement mental. Com-me toujours chez Jean-Rémy Papleux, la psyché immerge le réel pour mieux renforcer la sensation de déséquilibre vécue par ses protagonistes.Sandrine Pelletier

You’re gonna die (tu vas mourir). Le message, brodé de laine rouge sang, est clair. Sandrine Pelletier (Suisse / France) ne manque pas de cruauté et d’humour pour pervertir à ce point un coussin qui semblait si confortable. Qui oserait désormais poser sa tête sur cette déclaration tonitruante, et pourtant vraie? Simplement posé au sol, adossé à un pilier, il semble attendre tel un oiseau de mauvais augure, prêt à amortir une chute forcément fatale. L’artiste aime à détourner l’artisant féminin en pervertissant ses sujets et ses techniques de réa-lisation, critiquant par la même occasion la perception naïve et fragile de la condition féminine. Ainsi, la dentelle se retrou-ve plongée dans le latex pour devenir un squelette d’oiseau (Skeleton) ou de créatures disparues (Etole (Dalmatiens)), la broderie devient le support de scénettes où l’étrange rivalise avec l’anticonformisme (Puppetmaster, Les Pisseuses).Santiago ReyesSantiago Reyes (France) met en scène son propre regard dans Ojos..., une vidéo qui résume à elle seule sa démarche. Fixe et impassible, les yeux restent obstinément ouverts, prêts à hypnotiser le spectateur. Progressivement, l’image se détériore jusqu’à devenir illisible, et pourtant la scène qui

se joue derrière ce rideau de rayures n’a pas changé. Cette altération du réel renverse les positions : le décor -ici le mé-dium vidéo- devient acteur, le sujet devient décor. On retrou-ve cette même idée du renversement dans les performan-ces participatives de l’artiste. Dans Collectif Dancing Lesson, Santiago Reyes apprend en temps réel une chorégraphie à son public, tout en lui tournant le dos. Filmé et projeté à la manière d’un miroir, cette leçon reprend également d’autres thèmes cher à l’artiste : la relation à l’autre, l’isolement ou encore le rapport narcissique à l’image.Éric Stephany

Puzzle d’échantillons périmés de matériaux de façade, la sculpture plate d’Éric Stephany (France) est un jeu de li-gnes, de reliefs et de reflets. Rigoureusement ordonnées, ces plaquettes dessinent en anamorphose un crâne, sym-bole par excellence de la vanité. Out of date / Material est une douce fin pour ces déchets, un plan funéraire réduit au dépouillement le plus extrême. Architecture, mais aussi litté-rature, nourrissent la réflexion de l’artiste. En témoignent ces livres découpés (Cut up / Le Corbusier), fusion de ces deux disciplines. Mais là où on pourrait s’attendre à une addition de sens, Éric Stephany joue le jeu de la disparition en évidant chaque page de l’atlas représentant une construction du maître moderne, créant ainsi un nouveau système de lignes. Déplacement du sujet et réappropriation d’un héritage ar-tistique sont les clés de compréhension de ces productions protéiformes et hautement référentielles.

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Artiste français reconnu internationalement, Mathieu Mercier mène une réflexion basée sur la place de l’objet dans l’art et dans la consommation courante. Sa production, tout comme ses activités - artiste, galeriste, commissaire - se joue des catégories. Justin Morin a souhaité le rencontrer afin de recueillir son point de vue sur la multiplicité des actions possibles dans le champ de la création contemporaine et sur la formation de l’artiste.

RENCONTREJustin Morin : Lors d’une précédente interview, tu as prononcé cette phrase qui m’avait marquée par sa justesse : «collectionner des oeuvres, en créer et en produire, concevoir des expositions, diriger une galerie participent de la même transformation, de la même recherche sous des angles d’investissement différents et complémentaires». Quand et comment as-tu pris conscience que toutes ces actions constituaient un seul et même vocabulaire artisti-que?Mathieu Mercier : Il n’y a pas eu de révélation particulière, je fais simplement ce que je sais faire. Mais il est vrai que cela découle d’un certain sens critique. À partir du moment où j’ai eu le sentiment, notamment dans certaines expositions collec-tives, que les choses pouvaient être autrement, j’ai développé une capacité à les transformer. Je me suis rendu compte que je mettais assez facilement les oeuvres en espace, y compris celles que je n’avais pas produites. De manière plus globale, je n’imagine pas mon rapport à l’art uniquement à travers la pratique artistique, je m’intéresse à l’art et à son fonctionnement. C’est donc de manière naturelle que je me retrouve dans des positions de commissaire ou de galeriste, comme de nombreux autres artistes.JM : La réciproque ne fonctionne pas forcément : un bon galeriste n’est pas forcément un bon plasticien.MM : Non, mais je crois que beaucoup de personnes qui s’intéressent à l’art se sont projetées, à un certain moment, dans l’ «acte créatif». Après, les choses se divisent selon les capacités de chacun à produire des choses. L’école d’art est d’ailleurs un bon exemple pour appréhender l’ensemble des métiers qui définissent la sphère artistique. La diversité de ces débouchés peut d’ailleurs sembler paradoxale, car le modèle constant généré par ces écoles est celui de l’artiste. Alors que l’on sait pertinemment qu’il n’y a qu’une infime partie des étudiants acceptés dans ces cursus qui vont devenir artistes, et continuer à développer une pratique après leur diplôme. Mais ça ne dérange personne, car les possibilités qu’offrent ces formations sont variées : du graphisme à la publicité, en passant par les métiers de l’audiovisuel. La chose la plus importante à prendre en compte avant d’entamer ce parcours reste le désir. S’il n’est pas là à la base, c’est inutile de faire une école d’art. C’est la constante de toute pratique artistique. Dès qu’il n’y a plus de désir, tout s’écroule.

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JM : Il y a comme un effet de mode autour de cette étiquette «artiste commissaire». C’est pourtant un phénomène qui a toujours existé. MM: Tout à fait. Ce qui a changé, c’est qu’il y a dorénavant presque autant de commissaires que d’artistes. Il y a énormé-ment de galeries aussi. Je crois que ce qu’il y a de plus dangereux dans l’art, c’est la multiplication des intermédiaires. Dans le passé, il n’y avait personne entre l’artiste, le galeriste, le critique et le collectionneur. À cette liste s’ajoute aujourd’hui des commissaires, des conservateurs, des délégués à la production, des régisseurs. Ca fait beaucoup de monde. Au-delà de l’effet de mode, il me semble logique que les artistes reprennent les choses en main, dès lors qu’il y a un glissement généré par ces intermédiaires entre la manière dont ils aimeraient montrer leur travail et ce qui est réellement fait. Il ne faut pas interpréter cette réappropriation comme un échec, une frustration ou un manque. Dès le départ, à la sortie de l’école, les artistes s’ «auto-exposent» car personne ne vient les chercher, et il faut bien commencer par quelque chose. Même si aujourd’hui il y a des contre-exemples. Le marché va tellement vite et consomme tellement les idées et les géné-rations que certains galeristes en arrivent à prospecter directement à la sortie des écoles. C’est assez rare, mais ce cas de figure existe. Ca n’est pas plus simple pour autant. La progression est certes plus rapide, mais la plus grosse difficulté est de durer. Ça me fait penser à ce proverbe caraïbien qui dit «pousser aussi vite et haut qu’un cocotier, et tomber aussi vite que la noix de coco». Pour s’en rendre compte, il suffit d’ouvrir un magazine d’art vieux de quinze ans : en le lisant, la plupart des noms des artistes et critiques ne t’évoqueront rien. Le milieu de l’art est usant, et c’est très dur d’y consacrer son énergie de manière continue. JM : Une autre difficulté pour les jeunes artistes diplômés est d’apprendre à évaluer la valeur marchande de leur travail. Le mot «argent» semble être tabou dans les écoles. Pourtant la compréhension du système économique de l’art est une clé importante pour réussir. Penses-tu que l’enseignement devrait développer ces questions plus en profondeur?MM : Non, je ne crois pas. Je pense même l’inverse : ce n’est pas une question qui concerne les étudiants. Le fait même de dire qu’il y a beaucoup d’argent est trompeur car cela laisserait supposer que cette somme est répartie de manière équitable, ce qui n’est absolument pas vrai. J’ai eu l’occasion de le constater lors de la foire de Miami, un endroit fantasmé par tout le monde comme l’eldorado monétaire. Mais ce mythe est créé par ceux qui produisent cet argent, et qui le réinjectent. C’est vrai qu’il y a les plus gros collectionneurs de la planète qui se rendent à cette foire, mais ils achètent auprès de plus grosses galeries. Toutes les autres, c’est à dire la grande majorité, regardent ces collectionneurs passer devant leur stand en se de-mandant comment les aborder. Au final, nombreuses sont celles qui perdent de l’argent. Je crois de toute façon que le gain ne peut pas être un moteur pour ces métiers. Il n’y a aucune garantie de réussite.

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Mais pour en revenir à la question économique dans l’enseignement, j’aimerais évoquer cette discussion que j’ai eu récem-ment avec un étudiant avec qui je travaille régulièrement pour de l’assistanat. Il fait son cursus aux Beaux-Arts de Lyon, une école qui a choisi de se focaliser sur le modèle de l’artiste qui réussit, notamment en faisant intervenir comme professeur des artistes qui exposent régulièrement en galerie. Concrètement, cette stratégie a complètement déplacé le discours artistique autour de la production. Cet étudiant me confiait ainsi son amertume : «c’est fou, j’ai envie de parler d’art de manière géné-rale, et ici, on ramène toujours la production à la question de l’oeuvre et de son statut. C’est un peu comme si pendant des années, j’avais eu envie de parler d’amour et qu’on me parlait de pornographie!» Ca m’a fait rire parce que moi, à l’école, j’avais vraiment le problème inverse. Je voulais passer à l’acte, et on m’en empêchait tout le temps. Alors que je voulais pro-duire mes pièces, avec le lot de questions que cela amène : quand est-ce que je considère mon travail fini, quelle responsa-bilité j’ai à partir du moment où je la mets dans un espace, comment je la montre dans cet espace, qu’est-ce que je partage avec le public... Ce sont des questions qui m’ont toujours intéressé et qui n’étaient jamais abordées. Au final, entre l’exemple de mon assistant et le mien, on se rend compte que les formules peuvent s’inverser, et qu’il n’y a aucun modèle.JM : Tu as créé en 2002 la Galerie de Multiples. C’est une initiative qui témoigne d’une réflexion autour de la diffusion du travail des artistes. MM : C’est un projet qui s’est fait avec la complicité de Gilles Drouault. C’est une personne avec qui je discute depuis très longtemps, nous nous comprenons très bien et nous sommes très complémentaires, ce qui est essentiel pour se lancer dans une telle entreprise. Comme son nom l’indique, nous ne présentons à la Galerie de Multiples que des œuvres originales éditées. C’est une catégorie qui m’a toujours intéressé, car j’ai toujours veillé, même si ça devient de plus en plus difficile aujourd’hui, à produire également des pièces qui soient accessibles financièrement auprès de mes proches qui ne gagnaient pas de quoi s’offrir une pièce importante. Nous trouvions aussi qu’il y avait un manque de visibilité des éditions à Paris. Très rapidement on a compris pourquoi personne n’avait investi exclusivement ce créneau : le rapport entre l’énergie consacrée à la diffusion de ces oeuvres et la plus-value est tellement réduit qu’il est difficile de dégager des bénéfices. Nous avons toujours réussi à équilibrer la situation financièrement, sans rémunération, en investissant systématiquement les plus values dans la production.Les artistes sont les premiers à avoir compris l’importance d’un tel lieu. Ce sont nos premiers acheteurs. Ils ne se posent pas la question de la valeur d’une pièce par rapport au fait qu’elle soit unique ou non. C’est le contenu qui les intéresse. Nous sommes devenue une sorte de plate-forme d’échange pour les artistes. Beaucoup laissent des oeuvres en dépôt et utilisent l’argent de leurs ventes pour acquérir d’autres éditions de la galerie.∞∞∞

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Publication éditée à l’occasion de l’exposition Zero Gravity à la Galerie de l’Esplanade de l’École Supérieure d’Art de Metz(03 avril - 04 mai 2008)

École Supérieure d’Art de Metz -1 rue de la Citadelle, 57000, Metz, France.Info: http://esam.ca2m.comT: +33(0)387682525

Directeur de publication: Christian DebizeExposition sur une propostion de Jean-Jacques Dumont

Rédaction: Jill Gasparina & Justin MorinConception graphique: Samuel François, Justin Morin & Claire DecetPhotographies: Pierre Debusschere & les artistes

RemerciementsJustin Morin tient à remercier l’ensemble des personnes qui ont rendu cette exposition et l’édition de ce livre possible : la Communautéd’Agglomération de Metz Métropole, Christian Debize, directeur de l’École Supérieure d’Art de Metz, Jean-Jacques Dumont, artiste et en-seignant au sein de l’école, toutes les mains présentes pendant la préparation de l’événement (Daniel Kommer, Daniel Collot, Alain François, Michel Ouzard, Aude Terver, Barbara Merlo, Carole Dufour, Virginie Devillez, Luca Marchetti, les familles Decet et Morin), Mathieu Mercier, Jill Gasparina, et les onze artistes qui l’ont accompagné dans cette aventure.

+d’infos sur http://www.medica-menteuse.comet sur:http://www.jb-ba.comhttp://www.sofiaboubolis.comhttp://www.pierredebusschere.comhttp://www.clairedecet.comhttp://www.samuelfrancois.comhttp://www.olivierkostathefaine.comhttp://www.maskara.ch

Achevé d’imprimer sur les presses de l’imprimerie du Fort-Moselle, Woippy, avril 2008

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©2008Galerie Justin Morin

Ecole Supérieure d'Art de Metz