bruno et le fou sacré : mythe, mimesis et la transmission des mémoires traumatiques

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Mensonges ? Bruno et le fou sacré : Mythe, Mimesis et la transmission des mémoires traumatiques ,☆☆,☆☆☆ Bruno and the Holy Fool : Myth, Mimesis and the transmission of traumatic memories Allan Young * Professor of Anthropology, Department of Social Studies of Medicine, McGill University, 3647 Peel St., Montreal, Qc. H3A 1X1, Canada Reçu le 10 avril 2006 ; accepté le 30 juin 2006 Disponible sur internet le 01 septembre 2006 Résumé Lintérêt pour lÉtat de Stress Post-Traumatique (PTSD) et la mémoire traumatique sétend au-delà des limites de la psychiatrie. Depuis plus de 20 ans, la « théorie du traumatisme » a émergé comme un discours dominant au sein des sciences humaines et sociales. Cette théorie sappuie sur une improbable combinaison de sources : les apports de Freud sur la névrose traumatique dans « Au-delà du principe de plaisir » et « Moïse et le monothéisme » ; la recherche de Bessel van der Kolk sur la neurophysiologique du traumatisme et la mémoire somatique ; enfin, les écrits postmodernes sur la mémoire collective. Les auteurs travaillant sur la théorie du traumatisme se sont particulièrement attachés à la compréhension de la transmission trans- et intergénérationnelles des mémoires traumatiques. Leurs discussions sont centrées sur les rôles de la contagion comme mode de transmission et sur lHolocauste comme un traumatisme collectif partagé. Cet article avance lhypothèse que les phénomènes cliniques et culturels dont ces http://france.elsevier.com/direct/EVOPSY/ Lévolution psychiatrique 71 (2006) 485504 Traduit par Sophie Kecskemeti et Richard Rechtman. ☆☆ Une version anglaise de ce texte sera prochainement publiée dans Young Allan. Bruno and the Holy Fool: Myth, mimesis, and the transmission of traumatic memories. In: L. Kirmayer, R. Lemelson, M. Barad (Eds.), Unders- tanding trauma: Biological, clinical, and cultural perspectives. New York: Cambridge University Press, in press. ☆☆☆ Toute référence à cet article doit porter mention : Young A. Bruno et le fou sacré : Mythe, Mimesis et la trans- mission des mémoires traumatiques. * Auteur correspondant. M. le Pr. Allan Young. Adresse e-mail : [email protected] (A. Young). 0014-3855/$ - see front matter © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.evopsy.2006.06.006

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http://france.elsevier.com/direct/EVOPSY/

L’évolution psychiatrique 71 (2006) 485–504

Mensonges ?

Bruno et le fou sacré :

☆ Traduit par Soph☆☆ Une version ang

Myth, mimesis, and thtanding trauma: Biolog☆☆☆ Toute référencemission des mémoires

* Auteur correspondAdresse e-mail : al

0014-3855/$ - see frondoi:10.1016/j.evopsy.2

Mythe, Mimesis et la transmission

des mémoires traumatiques ☆,☆☆,☆☆☆

Bruno and the Holy Fool : Myth,

Mimesis and the transmission of traumatic memories

Allan Young*

Professor of Anthropology, Department of Social Studies of Medicine,

McGill University, 3647 Peel St., Montreal, Qc. H3A 1X1, Canada

Reçu le 10 avril 2006 ; accepté le 30 juin 2006Disponible sur internet le 01 septembre 2006

Résumé

L’intérêt pour l’État de Stress Post-Traumatique (PTSD) et la mémoire traumatique s’étend au-delàdes limites de la psychiatrie. Depuis plus de 20 ans, la « théorie du traumatisme » a émergé comme undiscours dominant au sein des sciences humaines et sociales. Cette théorie s’appuie sur une improbablecombinaison de sources : les apports de Freud sur la névrose traumatique dans « Au-delà du principe deplaisir » et « Moïse et le monothéisme » ; la recherche de Bessel van der Kolk sur la neurophysiologiquedu traumatisme et la mémoire somatique ; enfin, les écrits postmodernes sur la mémoire collective. Lesauteurs travaillant sur la théorie du traumatisme se sont particulièrement attachés à la compréhension dela transmission trans- et intergénérationnelles des mémoires traumatiques. Leurs discussions sont centréessur les rôles de la contagion comme mode de transmission et sur l’Holocauste comme un traumatismecollectif partagé. Cet article avance l’hypothèse que les phénomènes cliniques et culturels dont ces

ie Kecskemeti et Richard Rechtman.laise de ce texte sera prochainement publiée dans Young Allan. Bruno and the Holy Fool:e transmission of traumatic memories. In: L. Kirmayer, R. Lemelson, M. Barad (Eds.), Unders-ical, clinical, and cultural perspectives. New York: Cambridge University Press, in press.à cet article doit porter mention : Young A. Bruno et le fou sacré : Mythe, Mimesis et la trans-traumatiques.ant. M. le Pr. Allan [email protected] (A. Young).

t matter © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.006.06.006

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auteurs rendent compte sont mieux appréhendés en termes de mimesis ou d’imitation. Cette perspectiveest illustrée à l’aide des mémoires frauduleuses sur l’holocauste de Benjamin Wilkomirski, et parl’analyse des réponses qui ont été apportées après la découverte de la fraude. L’intérêt del’épistémologie clinique du stress post-traumatique est souligné.© 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Interest in PTSD and traumatic memory extends beyond psychiatry. Over the last two decades, “trau-ma theory” has emerged as an influential discourse within the humanities and social sciences. The theoryis based on an unlikely combination of sources: Freud’s accounts of traumatic neurosis in Beyond thePleasure Principle and Moses and Monotheism; Bessel van der Kolk’s research into the neurophysiologyof PTSD and somatic memory; and post-modern writing on collective memory. Trauma theory writersare intensely interested in explaining how traumatic memories are transmitted between and within gen-erations. Explanations focus on the roles of contagion as a mode of transmission and the Holocaust as ashared collective trauma. This chapter argues that the clinical and cultural phenomena that are being ex-plained by these writers are better understood in terms of mimesis or imitation. The argument is illu-strated with the help of a fraudulent Holocaust ‘memoir’ by Benjamin Wilkomirski, and an analysis ofaudience responses once the fraud was exposed. This chapter underlines important concerns regardingthe clinical epistemology of posttraumatic stress disorder.© 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Mémoire ; Traumatisme ; PTSD ; Anthropologie ; Shoah ; Mensonges

Keywords: Memory; Trauma; PTSD; Anthropology; Shoah; Lies

1. Moïse et le monothéisme

L’un des moyens à travers lequel les hommes se construisent une représentation collectivedu monde, consiste à relier l’époque actuelle aux époques antérieures à travers la mobilisationdes mythes et des rituels. Par « mythe », j’entends la narration, certes problématique du pointde vue historique, mais partagée par un groupe de gens pour qui elle est crédible, et qui à lafois rend compte de leur identité collective et éclaire leur situation actuelle (Assmann, 1997[1]). La « mimesis » se réfère aux efforts faits, souvent dans le contexte de rituels, pours’identifier collectivement aux personnes et aux évènements décrits dans les mythes.

Cet article explore comment le mythe et la mimesis se nouent dans la notion de « trauma-tisme » et dans ses manifestations cliniques, c’est-à-dire l’État de stress post-traumatique1.Pour des raisons qui deviendront évidentes dans la suite de mon propos, je commencerai parun rituel ancien, le seder pascal, et un mythe encore plus ancien, la narration de l’Exode. Leseder consiste en un repas rituel scandé par des récitations, des prières, et des chansons,l’ensemble compose un texte appelé haggadah. Au cours du seder, les participants sont invitésà s’identifier à leurs ancêtres durant l’esclavage en Égypte en reproduisant leurs épreuves etleur périple à travers le Sinaï. Les éléments du repas rituel, pain azyme, herbes amères, eausalée, etc. symbolisent la rudesse de la vie en esclavage et dans le désert. Les premières « hag-gadahs » datent du Xe siècle et des centaines de versions ont circulé depuis.

1 C’est-à-dire le PostTraumatic Stress Disorder – PTSD - de la classification du DSM-IV (NdT).

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La dernière monographie de Freud, « Moïse et le monothéisme » (1939) [2] décrit égale-ment la sortie d’Égypte mais diffère de façon substantielle de l’exposé biblique. Selon Freud,il y aurait eu deux Moïses. Le premier était un prince égyptien qui avait conduit les esclaveshébreux hors d’Égypte et imposé une forme exigeante de monothéisme éthique que Freud relieau pharaon Akhenaton. Progressivement, les Hébreux se sont lassés de ce code austère et onttué Moïse. Les souvenirs de Moïse, du meurtre et du monothéisme ont été oubliés (réprimés).Un siècle plus tard, les descendants des meurtriers se sont unis à une tribu de sémites mono-théistes, les Midianites, dont le chef se prénommait également Moïse. Les souvenirs réprimésont alors été reconvoqués : c’est ce que Freud a appelé le « retour du refoulé ». Avec le temps,la population a réuni les deux déités monothéistes : l’abstraite, le dieu éthique de l’égyptienMoïse et le dieu volcanique, rancunier des Midianites. Une fois de plus, l’oubli s’est emparédu meurtre du premier Moïse et de sa religion. Des siècles plus tard, les principes del’éthique du monothéisme sont revenus à la conscience du groupe. La mémoire du meurtreest restée réprimée, source de culpabilité collective inconsciente. Cette situation perdure denos jours et explique pourquoi ces détails manquent dans les haggadahs pascales. SelonFreud, le christianisme s’est écarté du judaïsme sous deux aspects : d’une part, en rejetantl’exception juive (« le peuple élu »), et, d’autre part, en commémorant le meurtre del’égyptien Moïse (par le biais de l’histoire de la crucifixion). Ainsi, s’explique le reprocheancestral des chrétiens aux juifs : « Ils se refusent à reconnaître qu’ils ont tué Dieu, contraire-ment à nous, ce qui nous absous de la culpabilité ». (Freud, 1939–1959 : [3] ; Lacoue-Labarthe et Nancy 1989 : [4]).

2. Mythe, rituel et théorie

2.1. Mythe

Le mythe de Freud rend conjointement compte des origines de l’identité collective Juive, duChristianisme et de l’Antisémitisme. Il est organisé autour des postulats suivants. Les Juifssont un produit de l’histoire, créé par un homme (le Moïse égyptien). L’événement originairecorrespond au retour du refoulé, plutôt qu’au meurtre lui-même. Autrement dit, c’est la réac-tion post-traumatique des auteurs à leur crime qui constitue l’événement originaire lui-même,selon Freud2. Tout ce qui survient par la suite dans le mythe est déterminé par cet événement.Comme dans le seder pascal, Moïse et le monothéisme dévoile un passé qui n’est pas mort,précisément parce que ce passé n’est pas encore passé. Le thème du seder correspond donc àla reviviscence par les juifs de la diaspora de la traversée du Sinaï par les Hébreux, et leurarrivée rédemptrice dans le pays d’Israël. À partir de là, Freud considère que la situation desjuifs au sein de l’Europe antisémite trouve son origine dans leur passé collectif et dans larépression du souvenir du meurtre de Moïse.

2.2. Rituel

Le repas rituel du seder limite symboliquement l’accès des juifs à leur passé en le restrei-gnant à l’identité partagée avec les hébreux du Sinaï. Moïse et le monothéisme ouvre une pos-sibilité différente. Il offre une nouvelle médiation, non limitée aux juifs et aux évènements du

2 Cette idée est assez proche de la notion de réviviscence de la scène traumatique dans les critères du PTSD.

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livre de l’Exode, pour repenser le passé. Le mécanisme utilisé par Freud n’est pas celui d’unemémoire rituelle, c’est-à-dire qui serait circonscrite par les significations culturelles, mais celuid’une mémoire traumatique, en d’autres termes, une potentialité universelle, correspondant àune propriété de l’âme et non de la culture. De plus, cette mémoire ne serait pas seulementtransmise d’une génération à l’autre, mais traverserait également une période de latence,c’est-à-dire une période dont personne ne se souvient. L’ensemble pouvant être résumé dansla séquence suivante :

(a) génération traumatisée -> (b) générations amnésiques -> (c) retour du refoulé

2.3. Théorie

Freud est décédé peu après avoir achevé Moïse et le monothéisme, n’ayant pu poursuivreses recherches sur le potentiel mythique de la mémoire traumatique. L’intérêt pour le sujet estréapparu dans les années 1990, dans le cadre d’une conception aujourd’hui dénommée la« théorie du traumatisme »3. Cette théorie témoigne de la persistance dans les universités amé-ricaines et ouest-européennes de l’intérêt pour les travaux de Freud et pour le renouveau deshypothèses psychanalytiques depuis les années 1970 qui ont permis le succès de la lutte pourintégrer la notion de mémoire traumatique au sein de la psychiatrie américaine post-DSM III,et d’assurer la popularité grandissante des théories postmodernes de la connaissance fondéessur la mémoire dans les sciences humaines et sociales. La théorie du traumatisme reprend lefil là où Freud s’était arrêté et fait du phénomène transgénérationnel décrit dans Moïse et lemonothéisme le noyau du modèle actuel. En effet, dans ce modèle, la transmission transgéné-rationnelle du traumatisme est le moyen grâce auquel la réactivation du passé traumatique col-lectif nous permet d’appréhender pleinement notre condition historique présente. Pour des rai-sons que j’expliciterai plus loin, c’est l’Holocauste qui est notre traumatisme collectif. Àpremière vue, il semblerait exister une rupture entre les évènements décrits dans Moïse et lemonothéisme et l’Holocauste, susceptible de remettre en cause la pertinence psychologique dumodèle. La génération (a) est composée des responsables du crime, tandis que les juifs del’Holocauste sont les victimes. Mais la théorie du traumatisme nous impose de comprendreque les deux groupes sont identiques d’un point de vue crucial : ils sont traumatisés de façonéquivalente, même si les meurtriers de Moïse sont traumatisés par leur propre crime4.

Quel est le mécanisme de la transmission ? Comment la mémoire peut-elle survivre àl’oubli des générations (b) ? Nous devrions être capables de répondre à cette question si nousvoulons légitimer et comprendre notre propre lien traumatique à l’Holocauste (Bellamy 1997 :[6]).

3. Solution no 1 : la latence

Cette solution repose sur l’hypothèse que le traumatisme individuel (PTSD) et le trauma-tisme collectif (le meurtre de l’égyptien Moïse) sont intrinsèquement similaires. D’un pointde vue théorique, la « latence » ou le « déclenchement tardif » est un aspect inévitable du trau-

3 nous garderons les italiques à chaque fois que l’auteur emploie le terme de trauma theory pour désigner le cor-pus actuel des théories du traumatisme depuis le PTSD du DSM-III. (NdT).

4 Ici il faut revenir à la notion de « self-traumatized perpetrator » introduite pour rendre compte du traumatismedes auteurs d’atrocités, notamment pendant la guerre du Vietnam, qui leur avait permis de bénéficier du diagnostic dePTSD comme n’importe quelle victime, voir à ce propos (Young, 2002 [5]) (NdT).

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matisme individuel. Dans Moïse et le monothéisme, il se révèle dans l’amnésie des générations(b). Pour comprendre ce que Freud décrit dans ce texte, il est nécessaire de comprendred’abord la signification de la latence dans les cas cliniques de PTSD. Ainsi, nous proposonsla progression suivante du modèle :

PTSD-> mémoire collective dans la génération (c)-> mémoire collective en 2004

latence (x) latence (y) latence (z).Cela signifie que « la théorie individuelle du traumatisme contient en elle-même le noyau

du traumatisme d’une histoire plus large ». La relation entre individuel et collectif est intrin-sèque et non analogique : « le traumatisme historique ou transgénérationnel est en un certainsens présupposé dans la théorie du traumatisme individuel, ce qui je pense est implicite dansles textes de Freud » (Caruth 1992 [7]).

La latence est inévitable précisément parce que le traumatisme est d’abord incompréhen-sible. Il « prend place trop tôt, trop soudainement, de façon trop inattendue pour être pleine-ment saisi par la conscience ». Le sens du traumatisme n’est pleinement compris que rétro-spectivement, une condition que Freud a appelée Nachträglichkeit (l’après-coup). La mémoirecollective de l’Holocauste suit exactement ce schéma. Le retour du refoulé apparaît au débutdes années 1960, avec le procès d’Eichmann à Jérusalem. Avant le procès, « l’Holocauste »n’existait pas. Ou plutôt, malgré les preuves de l’existence des camps de la mort dont on dis-posait depuis 1942, pendant encore deux décennies, l’Holocauste n’existait pas en tant quetraumatisme isolable et connaissable.

L’argument historique de cette conception sur le caractère inévitable de la latence seretrouve tout au long de la période de l’intérêt médical pour les syndromes post-traumatiques,depuis « les railways spine »5 (sur laquelle Freud a attiré l’attention dans Moïse et le mono-théisme) jusqu’aux travaux actuels sur le PTSD (dont les recherches biologiques de Besselvan der Kolk). L’actuelle théorie du traumatisme présuppose que la latence est une choseunique produite par un même mécanisme, la latence, ce qui justifie que l’on puisse considérerque les latences (x), (y) et (z) sont intrinsèquement identiques. Mais il s’agît d’une suppositionerronée : la « latence » décrite sur le plan théorique ne se compose pas d’un seul phénomène,mais se décompose en quatre types distincts (Young 2004 [8]) :

1. L’amnésie post-traumatique. La victime ne peut pas retrouver sa mémoire traumatique.C’est le paradigme de la théorie du traumatisme.

2. Le début différé du PTSD. Le syndrome post-traumatique est précédé d’une période asymp-tomatique, pendant laquelle la mémoire déclarative de l’événement traumatique est conti-nue. La théorie du traumatisme présuppose que, pendant cette période asymptomatique, lamémoire traumatique reste en sommeil (tout comme les autres symptômes du trouble), oubien que le souvenir de l’événement existe, mais que son sens et sa signification sont inac-cessibles.

3. La mémoire traumatique échoue à prendre forme. Ce cas est associé aux chocs sévères(surprise plus surcharge sensorielle) ou à l’immaturité neurologique (les traumatismesvécus par les très jeunes enfants). Le consensus en neuropsychiatrie repose sur l’hypothèseque la mémoire épisodique ne peut se constituer dans de telles circonstances. La théorie du

5 Terme qui précède historiquement celui de névrose traumatique pour dénommer les premières descriptions deréactions psychologiques consécutives à des accidents de chemin de fer (NdT).

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traumatisme propose une autre explication : la mémoire existe bien, mais elle ne peut êtrereprésentée (racontée), elle est en revanche agie, typiquement en « mémoire corporelle ».

4. Déplacement. Cette situation a souvent été observée par les médecins de l’armée pendant lapremière guerre mondiale et sert de point de départ aux réflexions de Freud sur la névrosetraumatique dans Au-delà du principe de plaisir. Ici, le syndrome post-traumatique résulted’une succession d’évènements étiologiques. Un choc initial (typiquement une explosionviolente) est suivi d’une période de perte de conscience, elle-même suivie par un secondévénement effrayant (par exemple, la victime reprend conscience et découvre qu’elle estenterrée vivante). Il n’y a pas de mémoire épisodique du choc, mais c’est la mémoire dusecond événement qui s’impose. La théorie du traumatisme amalgame les évènements, etassimile le type 4 au type 3 (absence de mémoire déclarative).

En d’autres termes, la théorie du traumatisme condense quatre types de latence en seule-ment deux types. Dans le premier cas, le souvenir est inaccessible car il est refoulé. Dans lesecond cas, c’est l’accès au souvenir qui est impossible car le souvenir est irreprésentable. Laremémoration est possible dans l’après-coup (Nachträglichkeit), lorsqu’un sens à la mémoireactive est découvert dans un second temps (par exemple l’Holocauste) ou encore en ramenantà la conscience les souvenirs refoulés, comme pour les souvenirs retrouvés en thérapie. Dansla théorie du traumatisme, les deux types d’oublis et de souvenirs sont réunis sous le conceptde « retour du refoulé ».

La théorie du traumatisme affirme que la latence est inévitable, les souvenirs étant initiale-ment refoulés ou non représentés. Mais ceci est empiriquement incorrect : la mémoire déclara-tive est continue dans la plupart des cas de PTSD, même si les patients sont parfois initiale-ment réticents ou incapables de « communiquer » leur expérience. Examinons maintenant laminorité de cas caractérisés par la latence. L’ouvrage récent de Richard Mc Nally, La remémo-ration du traumatisme (2003) [9], comporte une revue de la littérature rigoureuse et exhaustiveainsi que la mise en évidence expérimentale du souvenir refoulé et de sa manifestation cliniquela plus typique, le phénomène des souvenirs retrouvés. Il montre de façon convaincante que laplupart des comptes-rendus concernant l’amnésie post-traumatique survenant en l’absence delésion neurologique est sujet à caution, même s’il n’est pas non plus possible d’affirmer quel’amnésie post-traumatique ne survient jamais. Si la thèse de Mc Nally est juste, cela signifieque les cas pertinents de PTSD sont limités aux cas où la latence a pu être mise en évidencedans l’après-coup. Mais, même ces cas ne peuvent être considérés comme ayant valeur depreuve. Nous reviendrons sur cet aspect ultérieurement lorsque nous examinerons le sujet dumimétisme.

Notre question initiale était : comment le souvenir traumatique est-il transmis dans lespopulations ? La première solution repose sur l’hypothèse que le traumatisme individuel(PTSD) et que le traumatisme collectif (réactions au meurtre de Moïse l’égyptien et àl’Holocauste) suivent des voies similaires (évènement -> latence -> souvenir). Les défenseursde la théorie du traumatisme veulent croire que la latence est inévitable, mais ceci n’est pasvrai. Seule une minorité de cas particuliers peut être considérée comme répondant à ce schéma.

4. Solution no 2 : un Freud postérieur au lamarckisme

Une deuxième possibilité autre est représentée par la mémoire lamarckienne, c’est à dire latransmission de la connaissance collective grâce à l’héritage génétique. C’était la solution de

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Freud dans Moïse et le monothéisme [2] et également dans Totem et tabou (1913) [3], textedans lequel Freud décrit le parricide à l’époque de la horde primitive, prologue au meurtre deMoïse. Toutefois, la confiance de Freud dans la mémoire lamarckienne a été sourced’embarras pour ses partisans même en 1939. Selon Richard J. Bernstein [10], bien queFreud se soit référé à l’héritage génétique lamarckien, il pensait à quelque chose de différent(Leys 2000 ([11]) :

Le temps de latence implique à la fois oubli et remémoration (inconsciente). C’est ce quisurvient dans la genèse de la névrose traumatique individuelle, et, selon Freud c’est ce quis’est produit au cours de l’histoire du peuple juif. Sans l’appui de la compréhension psychana-lytique du temps de latence (et de la dynamique inconsciente), il ne serait pas possibled’expliquer le « fait remarquable » de l’intervalle… [10].

Sauf erreur de notre part, Bernstein affirme que le retour du refoulé a un double détermi-nant, c’est-à-dire qu’il est à la fois la conséquence du souvenir retrouvé et de l’après-coup.La remémoration inconsciente dans la génération (b) devient consciente dans la génération(c), mais sa signification pleine n’est saisie que rétrospectivement. Cette proposition s’avèrepertinente si l’on accepte comme référence « la compréhension psychanalytique du temps delatence ». Mais quelle est cette compréhension ? Bernstein écrit que « la temporalité de lalatence et du traumatisme est extrêmement complexe ». Se réfère-t-il à autre chose que les qua-tre types de latence décrits dans la paragraphe précédent ? Nous somme laissés dansl’obscurité.

5. Solution no 3 : la contagion

L’idée de la contagion implique que les souvenirs traumatiques peuvent se transmettre d’unsujet à l’autre de telle sorte qu’ils produisent dans l’esprit ou la conscience du receveur unaffect comparable à celui existant chez le donneur tel que la dépression, l’anxiété, le dysfonc-tionnement des schémas de comportement et la vulnérabilité aux pathologies résultant del’exposition à des facteurs de stress (Yehuda et al. 1998 [12]). Les formes de contagion leplus souvent rapportées dans la littérature sont le traumatisme vicariant (c’est-à-dire celui quitouche les psychothérapeutes longtemps exposés à des récits de traumatisme) et le « PTSDintergénérationnel » (principalement étudié chez les enfants des survivants de l’Holocauste).Pour faire le diagnostic de contagion, des contenus similaires (images intrusives, rêves, pen-sées) chez le donneur et le receveur doivent être mis en évidence6.

Pour exemples :

« Le sentiment d’atteinte de soi […] peut être si accablant que […] les thérapeutes présen-tent les mêmes caractéristiques que leurs patients et éprouvent un changement dans leurs inter-actions avec le monde, eux-mêmes et leurs familles. Ils peuvent aller jusqu’à avoir des pen-sées intrusives, des cauchemars et une anxiété généralisée. À ce stade, les thérapeutes ontclairement besoin d’une supervision et d’une aide pour faire face à leurs traumatismes7. »

6 Voir items c. et e ; de l’échelle de la fatigue de la compassion ou de la lassitude de Boscarino et al. 2004 Com-passion Fatigue Scale [13].

7 Cerney MS. Treating the « heroic treaters ». (1995) In: [14]). Voir également, Catherall 1995 Preventing insti-tutional secondary traumatic stress disorder. In: [14] ; Figley 1995 Compassion fatigue as secondary traumatic stressdisorder: An overview. In: [14] ; Munroe, Shay et al. 1995, Preventing compassion fatigue: A treatment team model.In: [14] et Valent 1995, Survival strategies: A framework for understanding secondary traumatic stress and coping inhelpers. In: [14].

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« Je n’arrive pas à acheter des vêtements avec des rayures verticales à mes enfants.Idiot ? Peut-être. Mais dans l’album de photos de mes parents, il y a une photographie demon père dans l’"uniforme" de son camp de concentration. Je porte cette photo dans monalbum mental. » (Tiré de Kellermann 2001 [15]).

Qu’est-ce que la contagion ? On suppose qu’elle constitue un mécanisme spécifique pourtransmettre et incorporer le passé. En pratique, il s’agît d’une métaphore culturelle empruntéeà la médecine et attachée à des fragments de connaissance douloureuse que les receveurs ontreçus d’une source de première main et sont incapables d’assimiler ou d’intégrer. Le traitcaractéristique de cette opération est la façon dont le désarroi (par opposition à la connais-sance) est expliqué et communiqué. Cette solution, tout comme les précédentes est décrite aumieux comme mimesis.

6. Mimesis

La Mimesis est l’effort individuel ou collectif visant à imiter ou à reproduire une source,comme une autre personne, une tribu, un mythe, un modèle ou une réalité imaginaire. Lamimesis peut prendre la forme d’une performance consciente et volontaire, pendant laquellel’acteur s’observe comme un objet. Ces performances peuvent relever d’une stratégie cons-ciente ou inconsciente visant à mettre en valeur sa propre identité ou à influencer son audi-toire. Le contraire est tout aussi possible et il existe des cas de mimesis – suggestion clinique,hypnose et possession par exemple - où le sujet renonce à son autonomie et s’abandonne auxdesseins d’un autre. Le phénomène du transfert clinique, tel qu’il est décrit par les psychana-lystes, est lui-même une performance mimétique, où le client agit en fonction d’une relation oud’un événement antérieur. La tâche de l’analyste est de transformer la rencontre clinique enune « névrose de transfert », à travers laquelle le patient prend conscience de sa mimesis,devient un objet d’auto-observation et appréhende son passé d’une façon nouvelle.

Deux types de mimesis traumatique sont reconnus dans la psychiatrie contemporaine : lePTSD imaginaire (également appelé « simulé ») et le PTSD factice. Dans le cas du PTSD ima-ginaire, le sujet ment à propos de son passé pour adopter une identité différente et avanta-geuse. La performance peut être superficielle (dire simplement des mensonges) ou être unetentative de vivre les mensonges afin d’être plus convaincant. Dans le PTSD factice, un sujets’approprie la mémoire autobiographique et l’identité de quelqu’un d’autre, personnage réel oufictif et expulse les origines des souvenirs de sa conscience jusqu’à les oublier (cryptomnésie).Parfois, PTSD fictif et factice font partie d’un seul processus, dans lequel la mimesis passed’une condition consciente de soi et auto-observée à une conscience et une identité intérieuretransformées : la représentation mimétique (« autodistanciation spéculaire ») se convertit enune présentation mimétique (« absorption non spéculaire d’un scénario traumatique ») (Leys2000 : [11], Borch-Jacobsen 1992 : [16] ; aussi Benjamin 1978 : [17] et Taussig 1993 : [18]).L’histoire de Benjamin Wilkomirski nous servira pour illustrer ce processus.

La littérature psychiatrique sur le PTSD fictif et factice est centrée sur des cas médicolé-gaux, en particulier les vétérans de la guerre du Vietnam et les victimes putatives d’abussexuels dans l’enfance. Il existe une troisième variété de mimesis traumatique, moins souventmentionnée mais plus répandue et qui reproduit l’exacte image en miroir du trouble décrit dansles DSM. Dans le PTSD on retrouve une séquence familière de causes et d’effets. Un événe-ment angoissant provoque un souvenir indélébile et pénible qui conduit au syndrome caracté-

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ristique du PTSD (évitement, hébétude, excitation autonome, etc.). La situation mimétiqueinverse la séquence des évènements :

Forme iconique : événement -> souvenir -> syndrome

Forme mimétique : symptômes -> souvenir

Dans le cas mimétique, la séquence débute dans une situation psychiatrique assez banale,typiquement anxiété ou dépression. Le patient, qui est souvent guidé par un thérapeute, choisitun souvenir autobiographique réel qui explique, a posteriori, l’origine de cette situation. Lepatient s’imprègne alors du souvenir convoqué et développe une émotion intense quin’existait pas à l’origine. Le souvenir retrouvé prend dès lors une nouvelle signification. Il estpénible et peut être responsable de symptômes additionnels, comme les pensées intrusives etles conduites d’évitement. En d’autres termes, le souvenir traumatique tardif est un exemplede retour du refoulé induit ou guidé.

7. Résumé intermédiaire

En d’autres termes, il n’est finalement pas possible d’expliquer de façon convaincante latransmission de la mémoire collective, telle qu’elle est décrite dans Moïse et le monothéisme(Kansteiner 2002 : [19]). Des explications diverses ont été proposées : l’héritage lamarckien,la mémoire inconsciente, les parallèles entre traumatisme individuel et traumatisme collectif,et enfin la contagion. Chacune échoue, et l’on doit donc conclure que « le retour du refoulé »,notion essentielle à la théorie du traumatisme, a un caractère mythique, de la même façon quela narration biblique de l’Exode est mythique. L’attitude correspondante rituelle est la mimesis :un effort collectif pour jouer le mythe, aspect que nous développerons ultérieurement. Commetous les mythes, le retour du refoulé doit être compris dans son contexte historique. Mais,qu’est-ce que le contexte ? Une réponse possible consiste à replacer l’ouvrage et la théorie deFreud dans les conditions politiques des années 1930 – le triomphe du National Socialisme,l’Anschluss, l’exil contraint de Freud en Angleterre. Mais j’ai un autre contexte à l’esprit, jepense en particulier aux développements en psychiatrie et dans le discours intellectuel dansles décennies qui suivent le décès de Freud, et qui vont profondément modifier les attitudesenvers la mémoire.

8. Pourquoi la mémoire ? – La Psychiatrie

Le PTSD repose sur la mémoire. C’est le mécanisme qui lie l’événement précipitant letrouble (agent de stress traumatique) au syndrome caractéristique. Sans une mémoire présomp-tive, le syndrome perd son identité nosologique. Lorsque les mimesis clinique et littéraire imi-tent le PTSD et ses conditions ancestrales, les représentations reposent elles aussi sur lamémoire traumatique – fictive, factice, rétrospective, mythique. Le lien entre mémoire et lesyndrome post-traumatique est en général aujourd’hui considéré comme allant de soi, alorsqu’il s’agit d’un développement relativement récent. Des chercheurs de l’Institut de Psychiatriede Londres ont examiné les dossiers de pension d’invalidité octroyés pour syndromes del’après-combat de près de 2000 vétérans de guerre, depuis la guerre des Boers jusqu’à laguerre du Golfe de 1991 (Jones, Palmer et Wessely, 2002 [20] ; Jones et Wessely, 2001[21]). Les troubles organiques et les psychoses avaient été exclus. Les procéduresd’évaluation médicale sont restées à peu près constantes pendant cette période ; les examina-

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teurs prenaient des notes cliniques détaillées et enregistraient les explications des vétérans surleurs symptômes. L’analyse statistique identifie trois groupes de symptômes qui se chevau-chent : un groupe fragilité somatique, un groupe cardiaque et un groupe neuropsychiatrique.La prévalence des groupes évolue avec le temps : le groupe fragilité somatique prédominedans la période initiale, le groupe neuropsychiatrique prédomine à partir de la seconde guerremondiale.

Les améliorations dans le diagnostic rendent compte en partie des variations avec le temps.Mais ce sont les changements dans la culture médicale – comment les patients et les allocatai-res choisissent de rapporter leurs symptômes et comment les médecins interprètent lessymptômes - qui semblent avoir agi de façon déterminante. Les syndromes sont façonnés parles pratiques cliniques, les technologies, les mesures, les hypothèses et les modèles explicatifsqui déterminent les règles d’inclusion et d’exclusion : une expérience donnée, une propriétéparticulière ou une narration de soi est-elle considérée ou non comme pertinente (comme« symptôme » ou « facteur précipitant ») ou accessoire. De même, les présentations cliniqueset les autoévaluations sont façonnées par la connaissance qu’ont les allocataires des modèlesmédicaux courants et des classifications diagnostiques, leur connaissance des attentes des cli-niciens, et leur compréhension de la signification culturelle, économique et institutionnelleattribuée aux symptômes particuliers. Le philosophe des sciences Ian Hacking (1995) [22]fait référence à ce processus mimétique intrinsèque en termes de « looping »8.

Comment le PTSD s’intègre-t-il dans ce tableau historique ? Les symptômes manifestes dutrouble sont bien présents dans les trois groupes, à partir de la guerre des Boers. Lorsqu’unfacteur de stress traumatique (critère A) est ajouté à notre définition, le syndrome devient spé-cifique au groupe neuropsychiatrique et coïncide plus ou moins avec les diagnostics de la pre-mière guerre mondiale, comme le choc consécutif à une explosion ou la neurasthénie trauma-tique. Il a fallu attendre que le mécanisme mnésique du PTSD soit ajouté à la définition (DSMIII, 1980) pour en arriver au trouble tel que nous le connaissons aujourd’hui. Auparavant,l’association entre mémoire traumatique et syndrome post-traumatique n’était pas considéréecomme allant de soi, ni comme faisant partie intégrante du processus de « looping » décritpar Hacking. En d’autres termes, cette association est un produit de l’histoire et non un faitde nature, ce qui ne veut pas dire que le syndrome post-traumatique est, dans tous les cas,une conséquence du processus de « looping ». Les cliniciens et les chercheurs sont souventincapables de distinguer entre ces deux types, de sorte que nous ne connaissons pas le pour-centage de cas susceptibles d’être diagnostiqués comme résultant du « looping ».

9. Pourquoi la mémoire ? la Théorie du traumatisme

Le sujet de la théorie du traumatisme est la mémoire collective : pourquoi certains évène-ments particuliers sont-ils sélectionnés par la mémoire, comment les souvenirs se transmettent-ils ? La fascination pour la mémoire résulte des développements au sein de la psychiatrie -avec l’inclusion du PTSD et du souvenir traumatique dans la nosologie officielle - et d’unchangement depuis les formes traditionnelles de l’historiographie jusqu’à l’approche postmo-

8 Voir également Shorter, 1992 : [23], sur le « symptôme en boucle » et le « temple de la maladie » ; pour plusde précision historique, se référer à Hyams, Wignall et Roswell, 1996 : [24] ; Cox 2001 [25] ; Crouthamel 2002[26] ; Eghigian 2001 [27] ; Kaufmann 1999 [28] ; Killen, 2003 [29] ; Shephard, 2000 [30].

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derne fondée sur la mémoire reposant sur des auteurs influents de disciplines académiquesdiverses.

En 1976, était publié un ouvrage intitulé : Mots clés : un Vocabulaire de la Culture et de laSociété . L’auteur en était Raymond Williams, érudit et commentateur culturel bien connu. Lechoix des mots clés de William donne un instantané du paysage intellectuel et de la rhétoriquede l’époque : « mémoire » et « traumatisme » n’y sont pas mentionnés. Aujourd’hui, ces motsfont partie intégrante du langage rhétorique des spécialistes en sciences humaines et sociales.Cette addition, donnant la priorité à l’expérience personnelle, s’est accompagnée de dispari-tions essentielles : déclin rapide des Grandes Théories ou des Récits des Maîtres (structura-lisme, Marxisme, théorie de la modernisation, etc.) et le rejet des méthodologies, des structuresnarratives, des critères de preuves et de toute épistémologie portant le suffixe « isme », commel’empirisme et le scientisme mais pas le freudisme.

L’histoire fondée sur la preuve documentaire serait remplacée par une contre-histoire repo-sant sur la mémoire. Non pas la mémoire au sens conventionnel du terme, mais une nouvelleépistémologie sociale qui serait attentive aux voix opposantes ou résistantes qui avaient étéignorées jusque-là, et aux formes variées du souvenir non verbal, inscrit sur le corps et encodédans des rituels, des topographies sacrées et des artéfacts. Les caractéristiques de la mémoiredont les historiens professionnels se sont instinctivement méfiées, les considérant comme desobstacles à l’objectivité et à la vérité - en particulier la nature fragmentaire, allusive et transi-toire du souvenir – ont été revues comme des qualités valorisantes. Le souvenir non traité, nonapproprié et non raconté par les experts, le souvenir « nu et immédiat, saturé en évènements »nous donnerait un accès unique à notre passé collectif, chaotique et à notre époque confuseactuelle (Roth et Salas, 2002 [31]). L’importance du traumatisme et du souvenir traumatiqueest évidente : « pour les spécialistes s’intéressant à la mémoire comme à une catégorie méta-historique, le « traumatisme » est la clé des formes les plus authentiques de la mémoire, et lessouvenirs déterminés par le traumatisme sont les plus à même de subvertir les variétés totali-santes de l’historicisme » (Klein 2000 [32]). Nous vivons une époque post-traumatique.Depuis le début de la Première Guerre Mondiale : une série sans fin de traumatismes collectifs,d’évènements incompréhensibles qui défient la représentation.

Notre histoire est le « vaste abattoir» de Hegel, mais sans l’esprit dialectique de Hegel et del’apothéose promise de la Raison. À notre époque post-traumatique, il est affirmé quel’Holocauste est « l’événement limite », la voie royale pour comprendre notre condition histo-rique. « Pendant les années 1990, la déconstruction et ses formes dérivées ont été régulière-ment accusées de nihilisme et d’impuissance politique ». La réponse postmoderne a été dedévier ces critiques en allant vers « un engagement avec le réel », au moyen du souvenir trau-matique (Roth et Salas 2002 [31]).

Le traumatisme est une réalité de niveau zéro. Le langage est incapable de contenir ou detransmettre cette réalité. Ceci parce qu’il ne peut être réduit à aucun système de signifiants quele traumatisme ne peut être confiné dans la psychiatrie. La psychiatrie peut nous aider à com-prendre les aspects cliniques du traumatisme, mais la psychiatrie ne peut en être l’autorité oule cadre conceptuel ultime.

Lorsque nous nous confrontons au souvenir traumatique, notre obligation est d’écouter etde « témoigner » de la souffrance des survivants. C’est la « réponse éthique à la fragilité dela représentation et à la blessure de la conscience » (Roth et Salas 2002 : [31] ; Klein 2000[32], sur la religiosité explicite de ce langage). Ce type d’« écoute » inclut la lecture : « chaquetexte serait, en effet, un site de traumatisme avec lequel le lecteur aurait à s’engager » (Berger

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1997 : [33] ; Leys 2000 : [11]). Cependant, « comment écouter ce qui est impossible ? cela nepeut plus être simplement un choix : être capable d’écouter l’impossible, c’est aussi être choisipar lui, avant de pouvoir le maîtriser par le savoir. C’est là le danger, le danger de la " conta-gion " du traumatisme, la traumatisation de celui qui écoute… Mais c’est également la seulepossibilité de transmission. » (Caruth 1996 : [7])9.

Témoigner est douloureux, en particulier en ce qui concerne le souvenir de l’Holocauste,car cela défie nos croyances dans le sens de l’histoire et les limites à la souffrance humaine.C’est le moment critique où l’on doit choisir entre la théorie du traumatisme et la narrationhistorique traditionnelle :

« Le fétichisme narratif… est l’incapacité ou le refus de pleurer les évènements trauma-tiques… et libère du fardeau de la reconstitution de sa propre identité dans un contextepost-traumatique ; dans le fétichisme narratif, l’"après" est remis sans fin à plus tard. »(Santner 1992 : [34]) ; La Capra 1994 : [35]).

L’histoire remplace les voix des victimes par une narration s’appuyant sur des documentspour tenter de rendre intelligible un véritable chaos. Les normes de l’historiographie – objecti-vité, empirisme – constituent une technologie d’évitement et un obstacle à la connaissancemimétique temporelle.

10. Les origines de l’Holocauste

La théorie du traumatisme accorde à la narration de l’Exode par Freud une valeur de mythe(Freud lui-même disait qu’elle pourrait être considérée comme une œuvre de « fiction »). Maisle mythe englobe une vérité, le retour du refoulé. Le traitement post-Holocauste illustre cettevérité. L’état nazi a capitulé en mai 1945. Photographies, films, émissions radiophoniques etpresse écrite ont largement diffusé les récits et les images des camps de la mort. Le procès deNuremberg a également apporté des informations supplémentaires grâce aux témoignages et àla documentation présentée. Les images des camps de la mort ont été traumatiques ; le public aété incapable d’intégrer ce qu’il voyait dans quelque chose qui puisse faire sens. Les mémoirescollectives de l’Holocauste ont « incubé » pendant 15 ans, jusqu’au procès d’Eichmann, c’està partir de cette date qu’il est progressivement devenu possible d’identifier l’« Holocauste »comme une constellation d’évènements [17].

Cette chronologie est pour l’essentiel correcte. Le terme d’« Holocauste » date du procèsd’Eichmann, jusqu’alors les camps de la mort n’avaient pas reçu l’attention qui aurait dû leurêtre accordée. Mais la « latence » n’a rien à voir avec ces silences. Le cours des évènementsétait déterminé par des facteurs politiques et culturels et non par la psychologie du trauma-tisme. Le manque d’attention porté aux souffrances de l’Holocauste dans les journaux et maga-zines américains pendant la période 1945–1960 a été principalement mis sur le compte d’unantisémitisme latent et d’une peur de l’antisémitisme. Le souvenir de l’Holocauste n’a pas étémis en avant non plus dans la vie publique israélienne au cours de cette période, mais ceciétait le résultat d’une décision politique de David Ben Gurion et non d’un oubli post-traumatique. Le mot hébreu Shoah était employé avant 1945 comme terme distinctif pour dési-gner la persécution et la destruction des juifs d’Europe. Pendant le procès d’Eichmann, le

9 Souligné par l’auteur.

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terme Shoah a été traduit en « Holocauste » et diffusé sous ce nouveau vocable dansl’ensemble des reportages anglais. Ce terme ne signifiait ni une découverte ni une révélation.Son caractère distinctif avait pour but de souligner l’appartenance à la judaïcité des victimesdes nazis.

Le développement le plus intéressant de l’« Holocauste » a été sa sacralisation avec la cons-truction de rituels collectifs mimétiques et de rites sacrés. Pour les étudiants juifs, il existe la« Marche des Vivants », une Odyssée annuelle sur les sites des camps de concentration. Pourles « gentils »10, le Musée de l’Holocauste à Washington remet des « cartes d’identité » auxvisiteurs, les liant ainsi par mimétisme à des victimes et à des survivants de l’Holocauste. Leparcours du visiteur à travers le musée le mène vers la perception mimétique d’un destin iden-tique :

« Nous devons imaginer le musée comme… un espace transférentiel. Ce qui se produitdans ces espaces publics… peut être considéré comme un processus psychanalytiqueinversé. C’est à dire que ces espaces instillent en nous des « symptômes » ou des « souve-nirs prothétiques » à travers lesquels nous vivons une relation expérimentale. »

« Il se produit une interaction simultanée entre l’objet (une exposition des chaussures devictimes) et les propres archives du vécu du sujet. Au moment même où nous ressentons leschaussures comme leurs chaussures – qui pourraient tout aussi bien être nos chaussures -nous sentons nos propres chaussures sur nos pieds. » (Landsberg 2004 : [36].

Désormais, « La conscience de l’Holocauste » et le « caractère unique de l’Holocauste »sont des questions importantes pour la plupart des juifs américains. L’Holocauste est devenuune source d’identité culturelle, un supplément, même, et pour quelques uns une alternativeaux sources traditionnelles de la cohésion du groupe, comme le furent les pratiques religieuseset les institutions ou encore l’antisémitisme ambiant.

Où nous conduit cette histoire de « l’Holocauste » ? Selon la théorie du traumatisme, lanarration de l’Exode de Freud est un mythe qui enchâsse une vérité, dont la découverte de« l’Holocauste » offrirait une illustration. Mais ce schéma ne correspond pas à l’histoire de ladécouverte, ou de la redécouverte de « l’Holocauste ». Cette histoire, ainsi qu’elle a été docu-mentée par Peter Novick (1999) [37] et Idith Zenal (2000) [38], est dépourvue de schéma ;c’est un produit de contingences et elle continue à être façonnée par diverses influences« extrinsèques » et aléatoires, comme par exemple la fréquentation des synagogues ou lesmariages mixtes entre Juifs et gentils.

Ces thèmes – l’Holocauste comme identité de soi, la transmission mimétique de la mémoiretraumatique, la contingence historique – se retrouvent en revanche dans la vie, les travaux et àla réception publique de Benjamin Wilkomirski que je vais développer dans les paragraphessuivants.

11. Benjamin Wilkomirski

Les mémoires de Benjamin Wilkomirski, Fragments : Souvenirs d’une enfance, 1939, 1948[39], ont été publiés en allemand en 1995 ; elles furent traduites et éditées l’année suivante en

10 Terme utilisé pour désigner les non-juifs (NdT).

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anglais, et successivement en français, en hébreu, en italien, en danois et dans d’autres lan-gues. Le livre décrit la prime enfance de Benjamin Wilkomirski, à travers un voyage qui l’aconduit de Riga en Pologne où il vécut de l’âge de trois à six ans, d’abord dans le camp deconcentration de Majdanek puis dans celui de Auschwitz-Birkenau. À la fin de la guerre, ilfut accueilli dans un orphelinat juif de Cracovie. À l’âge de sept ans, il est envoyé en Suisse,où on lui donna le nom de Bruno Dössekker. Selon Wilkomirski, le titre du livre, Fragments,décrit ses souvenirs : « un champ de décombres, d’images et d’évènements fragmentés. Destessons de mémoire ayant le tranchant d’un couteau, qui meurtrissent encore la chair s’ilssont touchés ». Le livre fut salué par la plupart des critiques et reçut plusieurs prix, dont lePrix National du Livre Juif et un prix de l’Association Orthopsychiatrique Américaine.

En 1998, un citoyen suisse né en Israël, Daniel Ganzfried a mis en doute l’authenticité dutémoignage de Wilkomirski. Le certificat de naissance de Bruno ainsi que ses dossiers scolai-res indiquaient qu’il était né en Suisse en 1941 et qu’il y avait passé toute son enfance. Avantde recevoir le nom de Dösseker, sa famille avait pour patronyme Grosjean. Ganzfried prétenditalors que la connaissance que Bruno avait des camps d’extermination nazis avait été obtenuede seconde main, par la lecture d’ouvrages, la visite des camps et de leurs musées. Brunorécusa les découvertes de Ganzfried et proposa une explication alternative : l’employé respon-sable de la bureaucratie avait confondu Bruno avec un orphelin suisse prénommé Grosjean.

L’agence littéraire chargée de la promotion du livre de Wilkomirski s’attacha les servicesd’un historien suisse, Stefan Maechler, afin d’enquêter sur le passé de Bruno, son rapport futpublié en 2000. Des investigations indépendantes, dirigées par Elena Lappin et Philip Goure-vitch, parurent en 1999. Les différents enquêteurs avaient interviewé Wilkomirski, lui-même,des personnes ayant connu Bruno avant qu’il ne devienne Wilkomirski, ainsi que des person-nes mentionnées dans ses Fragments et des survivants de l’Holocauste. Maechler a égalementexaminé des documents officiels relatifs à la naissance et à l’enfance de Bruno.

Selon Maechler, la mère de Bruno était une femme suisse, célibataire, protestante à qui lagarde de l’enfant avait été retirée alors qu’il était âgé de deux ans. Pendant les deux annéessuivantes, il était en placement familial sous la tutelle d’une femme maltraitante atteinte detroubles psychiatriques sévères. Par la suite, Bruno a été pris en charge pendant neuf moisdans un foyer suisse, qui accueillait également des enfants juifs réfugiés. À l’âge de quatreans, il a été adopté par un couple sans enfants d’âge moyen, les Dösseker. Le Dr Dössekeravait souhaité que son fils choisisse la même carrière que lui, mais Bruno est devenu clarinet-tiste et luthier. À partir de l’adolescence, Bruno commence à rassembler des documents surl’histoire de l’Holocauste et sur les autobiographies des survivants. Dans les années 1970, ils’est mis à visiter les sites des camps de concentration et les musées.

12. Une chronologie des mémoires de l’Holocauste de Wilkomirski

Fin des années 1940 : Selon Wilkomirski, les Dösseker ont éduqué l’enfant pour qu’ilapprenne à oublier l’ensemble de sa vie antérieure à l’adoption, exactement comme « l’onoublie un mauvais rêve ».

Fin des années 1950 : Bruno affirme à ses camarades de classe qu’il est originaire d’unpays de la Baltique. Il a la réputation de mentir sur lui-même, mais lorsqu’il est pris en défaut,il avoue immédiatement « C’était juste une idée qui m’a traversé l’esprit » (Gourevitch 1999 :[40]).

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Années 1960 et 1970 : Des amis proches de Zurich témoignent de conversations fréquen-tes, où « il nous disait qu’il avait été dans le ghetto de Varsovie et avait été sauvé del’Holocauste par une nurse suisse qui l’avait conduit ici. » (Lappin 1999 : [41]) ;

De 1979 à 1982 : Il rencontre Elitsur Bernstein, un psychologue israélien vivant en Suisse.Berstein était allé chez Bruno pour des leçons de musique et ils étaient devenus des amis pro-ches. Bernstein décrit leur amitié comme « l’histoire d’un long processus partagé d’épreuves,d’erreurs et de tâtonnements, dans lequel il a aidé Bruno Dösseker à devenir BenjamenWilkomirsky. » Bernstein retourne en Israël mais reste en contact avec Wilkomirski. « Wilko-mirsky » émerge mais son origine reste incertaine. Bernstein raconte la version suivante : venurendre visite à Bruno un jour chez lui, il avait remarqué le tableau d’un rabbin sur le mur. Ilaurait alors signalé à Bruno qu’il s’agissait du portrait du dernier rabbin de Wilkomir(Pologne). Bruno « est devenu pâle » et lui annonce que son nom de famille pourrait bien nepas être Dösseker mais « Wilkomirsky ». Dans une autre version émanant d’un précédent ami,l’origine de Wilkomirski remonterait à un concert où se produisait la violoniste polonaiseWanda Wilkomirska. Pendant le concert, les compagnons de Bruno auraient fait des commen-taires sur la ressemblance physique entre Bruno et Wanda (Gourevitch 1999 : [40]).

Eté 1991 : Bernstein retourne à Zurich pour une visite. Wilkomirski lui raconte ses rêves etses cauchemars récurrents sur les camps de concentration. Bernstein lui conseille de s’adresserà un thérapeute de façon « à chasser de son système les rêves et les cauchemars ». Vera Piller,la compagne de Wilkomirski approuve. Wilkomirski entame ainsi une psychothérapie. Plustard, il dira à Bernstein que la thérapie lui a permis de « trouver les mots » pour les souvenirsqui le terrifiaient, et de mettre de l’ordre dans le fouillis des « images préverbales » de sonesprit.

Septembre 1991 à 1992 : Wilkomirski faxe les premiers chapitres des Fragments à Berns-tein qui l’interroge : « Es-tu certain qu’il s’agisse de tes propres souvenirs ? » Wilkomirski luirépond qu’il n’a jamais oublié et que la thérapie lui a permis de mettre des mots sur un fondqui était resté inachevé. Pour Bernstein, les souvenirs auraient été stockés sous la forme de« mémoires du corps » (Gourevitch, 1999 : [40]).

1995 : Wilkomirski est invité par l’Université d’Ostrava (en République Tchèque) pourdonner une conférence intitulée : « la mémoire des enfants comme source historique… avecdes exemples d’enfants survivants de la Shoah (Holocauste). » Il décrit une thérapie qu’il amise au point avec Bernstein et utilisée « en expérimentation sur lui-même ». Selon lui, lessurvivants possèdent sans y avoir accès « des images photographiquement exactes dans leurmémoire .» Sa thérapie lui a permis de surmonter les barrières psychologiques du refoulement,du déni, de la fragmentation et des souvenirs-écrans. Lui-même est la preuve de l’efficacité dela thérapie (Maechler 2001 : [42]).

Les Fragments sont publiés. Wilkomirski donne une série de conférences en Europe. Dansla plupart des cas, il apparaît sur l’estrade en portant une écharpe ressemblent au châle (tallit)que les juifs portent pendant la prière, et se met à jouer à la clarinette la version de Kol Nidrede Max Bruch, la mélodie la plus sacrée de la liturgie juive. Un acteur professionnell’accompagne en lisant des passages sélectionnés des Fragments, tandis que Wilkomirski san-glote sur la scène (Maechler 2001 : [42]). Wilkomirski a également voyagé aux États-Unis oùil a été interviewé. Il a accepté des prix et a été l’invité d’honneur du Musée de l’Holocauste.« Il pleurait partout où nous le conduisions », a dit son éditeur américain… « Je lui ai dit ques’il n’arrêtait pas de pleurer, je le renverrai chez lui… J’ai publié Primo Levi, Elie Wiesel,Aaron Appelfeld – je connais beaucoup de survivants - et l’une des choses qu’ils ont en com-

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mun, c’est qu’ils ne pleurent pas. Ce type ne pouvait pas s’arrêter de pleurer » (Gourevitch1999 [40]).

1999–2000 : Wilkomirski dément de façon véhémente… le livre doit être compris commela mémoire retrouvée. « jamais dans ma vie, je n’ai oublié ce que j’ai écrit dans mon livre …Je n’avais RIEN À REDÉCOUVRIR À NOUVEAU » (Maechler 2001 : [42]). « Lorsquej’étais plus jeune … je passais des heures… dans un endroit secret de notre jardin, parlanttout haut et répétant tout ce dont je pouvais me souvenir… je me sentais extrêmement malheu-reux. Je voulais rentrer en Pologne, traverser la Pologne, rentrer chez moi dans les bois debouleau de la Baltique ! » (Lappin 1999 : [41]).

13. L’audience

Tournons-nous maintenant vers le public qui a lu son livre et décrit ses impressions(Maechler 2001 : [43]). Nous pouvons parler de trois types de public. Le premier est composéde personnes qui ont lu les Fragments avant que Wilkomirski ne soit démasqué, lorsqu’il étaitraisonnable de penser que l’homme et ses souvenirs étaient authentiques. Déjà, certains avaientsenti quelque chose de suspect. Pourtant, des personnalités connues, dont Elie Wiesel etd’autres survivants de l’Holocauste ont salué le livre pour sa véracité et pour avoir su rendrecompte de la conscience d’un enfant dans une situation extrême. Les deux autres types depublic sont ceux qui ont lu ou relu le livre après que son auteur ait été démasqué. Les unspensent que Wilkomirski est un imposteur littéraire et un charlatan, les autres pensent queBruno est une sorte de Fou Sacré.

Robert Alter, Professeur à Berkeley, fait partie du deuxième type de public (Alter 2001 :[44]). Il attribue le succès initial de Wilkomirski à une « combinaison gagnante entre le témoi-gnage sur les camps de concentration et un histrionisme de type yiddish qui a réussi à convain-cre des foules admiratives, les uns abusés innocemment, les autres charlatans eux-mêmes. »Parmi les charlatans, on trouve Laura Gabrowski, s’étant décrite comme une « camaraded’enfance » dans le camp de concentration et dans l’orphelinat de Cracovie. Bruno a affirméreconnaître Laura après une période de 40 ans. À cette occasion, ils se sont effondrés dans lesbras l’un de l’autre et ont sangloté en présence de journalistes. Laura ne s’appelait pas plusGabrowski que Bruno n’était Wilkomirski. Elle s’est par la suite révélée être américaine,s’appeler Laurel Wilson, et être l’auteur d’une autobiographie « bidon » relatant ses expériencesde souvenirs retrouvés, de personnalités multiples, de traumatisme sexuel violent et de cultessataniques.

Le canular littéraire genre Wilkomirski est un phénomène bien connu. En 1704, GeorgesPsalmanazar, Français de naissance et d’éducation, avait publié un livre intitulé Une descrip-tion historique et géographique de Formose, dans lequel il proclamait être le premier et le seulnatif de Formose à avoir atteint l’Europe. Comme Bruno, il fit de nombreuses apparitions enpublic, décrivant sa patrie fictive. Son livre captivait les lecteurs par ses témoignages oculairesdes plaisirs de la polygamie et des horreurs du sacrifice humain, du cannibalisme ou del’infanticide. Cet ouvrage rejoignait exactement les attentes du public. Lorsque sa couvertureest tombée, Psalmanazar s’est évanoui dans l’obscurité. Wilkomirski, au contraire, ne s’estpas évaporé. Comment expliquer la sympathie persistante pour Bruno (chez le troisième typede public) ? Pourquoi donne-t-il l’impression de valoir mieux qu’un imposteur, même s’il estmoins qu’un témoin oculaire ? Voici la réponse d’Alter.

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« Au moins deux pathologies fréquentes de la vie quotidienne contemporaine se mani-festent à travers l’affaire Wilkomirski… Il y a la notion, dont on peut retrouver la tracedans les textes fondateurs du modernisme littéraire,…que l’authenticité ne peut être atteinteque dans l’enfer de la crise extrême… Et il y a également la disposition contemporaine…de considérer les Juifs, non pas comme un peuple vivant dans l’histoire avec ses propresdivisions internes, ses imperfections manifestes et ses aspirations politiques concrètes, maisplutôt comme des figures emblématiques dans un masque allégorique de la souffrancehumaine sans fin… Image dont ils sont devenus eux-mêmes profondément complices. »

Comment pouvons-nous comprendre la mimesis traumatique de Bruno ? A-t-il débutécomme une comédie jouée consciemment qui s’est progressivement transformée en un authen-tique phénomène factice, peut-être pendant la période séparant son voyage en Europe et sonaccueil à Washington en tant qu’invité d’honneur du Musée Américain de l’Holocauste ? Cequi apparaît clairement, c’est que son identité juive a progressivement changé après la confé-rence de Maechler et quand, en 2002, les tests ADN ont établi un lien entre Bruno et l’hommede nationalité suisse qui avait été l’amant de sa mère avant sa naissance. Dans une interviewrécente, Bruno s’est exprimé sur les Juifs en termes très négatifs, les qualifiantd’ultranationalistes, arrogants avec les Gentils, de faux jetons exploitant le rôle traditionnel dela victime dans le but de détourner la critique et d’extorquer des indemnisations. Les Juifsassassinés pendant l’Holocauste étaient d’authentiques victimes, a-t-il expliqué lors d’uneinterview, mais les Juifs d’aujourd’hui sont des prédateurs vivant de l’industrie del’Holocauste. Comment pouvons-nous interpréter ce changement d’attitude ? Est-ce parl’antisémitisme que Bruno entend-il sortir du PTSD factice ?

14. Le Fou Sacré

Les personnes appartenant au troisième type de public voient les choses différemment. Ste-phan Feuchtwang, un anthropologue social et expert en religion, explique que les élémentsautobiographiques de Bruno – naissance à Riga en 1939, transfert dans un campd’extermination en 1941 - ne relèvent pas de « la vérifiabilité empirique ». À ce titre, ils sontsimilaires aux notions problématiques de « temps et de lieux » lorsqu’elles sont étayées par« la foi religieuse et la vérité théologique ». Comme l’Exode Biblique, « l’Holocauste est unevérité sacrée… tant pour Wilkomirski que pour ses détracteurs. » À travers son lien avec cettevérité sacrée, les Fragments peuvent « être considérés comme un travail de remémoration,comme un mythe moderne – lui-même une icône grâce à laquelle l’"horreur et la perte peuventêtre partagées, au-delà des détails circonstanciels" (Feuchtwang 2003 : [45]). Ces engagementsmimétiques au passé – le jeu de rôle de Bruno, l’acte du lecteur adoptant une posture detémoin – acquièrent ainsi l’autorité et le pouvoir du mythe et du rituel. »

Comparons l’anthropologie du sacré de Feuchtwang avec le récit de Norman Finkelstein.Finkelstein est l’auteur d’un livre controversé L’Industrie de l’Holocauste [46]. C’est un anti-sioniste convaincu dont le plus cher désir est de voir l’état d’Israël remplacé par un état pales-tinien. Il pense que le caractère sacré et la judaïté de l’Holocauste ont été fabriqués pour obte-nir un soutien politique des USA, justifier les crimes de guerre contre les Palestiniens etextorquer des fonds à l’Allemagne et à la Suisse. Comme Feuchtwang, Finkelstein décritl’affaire Wilkomirski comme « iconique », sauf que dans ce cas, il s’agit d’une icône de la

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tromperie et de la cupidité. Il n’y a ni vérité sacrée ni mimesis dans ce récit. Finkelstein et leBruno post-traumatique arrivent à partager ainsi la même position.

Feuchtwang pense que Bruno a fait de l’Holocauste l’« icône de son enfance oubliée ». Iln’est pas le seul à soutenir cette opinion. Betty Jean Lifton, elle-même adoptée, psychologueclinicienne et auteur de trois ouvrages sur la psychologie des enfants adoptés, fait un pas deplus dans l’enfance oubliée de Bruno. Dans un article sur l’affaire Wilkomirski, elle écrit quede nombreux enfants adoptés se sentent comme des « survivants » mais avec une différencesignificative : ils ne peuvent pas savoir ce à quoi ils ont survécu. Le traumatisme del’adoption n’est évidemment pas comparable aux traumatismes cumulés des enfants survivantsde l’Holocauste, mais « pour un jeune enfant, la douleur et la perte peuvent être ressenties defaçon semblable… un sentiment d’être abandonné, seul et sans pouvoir ». L’enfant adoptéreçoit une identité, un « rôle » qui lui est donné par ses parents adoptifs. Comme de nombreuxenfants adoptés, Bruno dirait de lui-même qu’il est « un bon acteur », « respectant les règlesdu jeu », qui aurait du mal à se débarrasser de son « self imposteur » (Lifton 2003 : [47]),aussi Felman 2002 : [48] ; Ford et al. 1988 [49] et Pfefferbaum et al. 1999 [50]) ; la métamor-phose de Bruno en Benjamin a été le pas suivant : le self imposteur renaît dans une périodemythique, celle où il n’était pas encore devenu Grosjean.

15. Conclusion

Claude Levi-Srauss a écrit que les mythes nous servent à penser avec eux : procédés utilespour donner un sens à l’expérience. Levi-Strauss faisait référence à la vie dans les sociétés tri-bales et traditionnelles, mais nous-mêmes avons également nos mythes utiles. Moïse et lemonothéisme de Freud et ses développements sur le retour du refoulé sont utiles pour penser,mais non, comme Freud en avait l’intention, pour comprendre l’âme humaine, la trajectoireintellectuelle des juifs, ou les origines de l’antisémitisme chrétien. Moïse et le monothéismede Freud sert à penser la psychiatrie.

Cet ouvrage de Freud porte sur la mémoire collective et sa transmission entre les généra-tions. Aujourd’hui, nous sommes enclins à penser « la mémoire collective » comme proche de« l’histoire orale », un recueil de croyances, d’opinions, et d’impressions partagées par desgroupes sur certaines périodes du passé. Mais le mythe de Freud nous conduit, plutôt involon-tairement peut-être, dans une autre direction. Il devient utile précisément là où il se fourvoie, àsavoir la solution freudienne du puzzle créé par Freud : Comment la mémoire se transmet-ellepar-dessus ou à travers des générations amnésiques ? Cette question n’est absurde que si l’onpense que les mythes sont absurdes. La théorie du traumatisme nous conduit dans une direc-tion opposée. Elle veut que les mythes soient vrais et pas seulement utiles. La solution deFreud n’est pas plausible. Cependant, il n’est pas difficile de trouver une réponse satisfaisante,en faisant appel à l’anthropologie, à l’histoire, à la philosophie et à la biologie évolutionniste.Et la réponse est la mimesis.

Des générations antérieures de médecins traitant le traumatisme connaissaient égalementcette solution qu’ils décrivaient comme autosuggestion, hétérosuggestion ou hystérie. C’étaitl’époque où l’intérêt de la psychiatrie pour la mémoire traumatique était assombri par la« culture de la suspicion » (des années 1880 aux années 1920). Le PTSD a été inventé pourmettre un terme à cette culture de la suspicion et à ses abus caractéristiques, dont le plusnotable consistait à blâmer la victime pour sa souffrance. Simultanément, la psychiatrie perdait

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tout intérêt clinique pour la mimesis. À partir des années 1980, la compréhension de lamémoire iconique s’avérait suffisante. Le souvenir factice ne devait jamais plus être autrechose qu’une question marginale.

Pourtant, il existe des retours occasionnels de l’époque où le souvenir traumatique était unobjet de curiosité intellectuelle et de scepticisme. L’Affaire Bruno–Benjamin est l’un de cesrappels.

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