banque et les banquiers en france

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« La banque et les banquiers en France du Moyen-Age à nos jours », Hubert Bouin, Editions Larousse, 1992 La banque est « sœur du négoce » : en effet, les banquiers s’installent dans les places où le trafic de marcha,ndise s’accompagne d’un change de créances, visant à assurer la compensation, la répartition des capitaux des négociants de ville à ville et de pays à pays. Entre le 8° et le 11° siècle, on assiste à la diffusion du crédit sur fond de relance économique et commerciale . Ce sont alors des « syriens » qui pratiquent le crédit dans le royaume de France jusque vers le 9° siècle ; ils sont suivis par les juifs qui pratiquent le change de monnaies, le prêt à la consommation, le prêt sur gage ; les juifs sont les seuls à pratiquer le prêt sur gage jusqu’au 17° siècle (apparition alors des Monts-de-Piété). Le port de Rouen accueille ainsi une importante communauté juive, à laquelle on doit le plus ancien monument juif médiéval connu d’Europe (1100 environ). Les prêteurs sur gage et banquiers de petite ou moyenne envergure, soutiennent par le crédit les opération de change provinciales. Sur les places commerciales s’installent peu à peu des « cahorsins », des juifs et des lombards , et bien d’autres. Le banquier est aussi dès le départ un « agent de change » : sur les champs de foire, dans les places commerciales, les négociants y ont recours : le système monétaire est alors bien différent des systèmes monétaires nationaux (FF, £, etc.) ou transnationaux (€, $) contemporains ; de place en place, les changeur « évaluent » le cours de telles ou telles monnaie ; Florin de Florence, Ducat génois, Ecu français, Livre Parisis, Livre de Provins, il existe plusieurs monnaies françaises (des monnaies étrangères sont également couramment utilisées en france) par exemple, qui sortent de divers ateliers monétaires, sont plus ou moins usées (« usure »…) par les mains entre lesquelles elles sont passées, font l’objet de fraudes (fausses monnaies, ateliers monétaires non autorisés), sont de qualité différente suivant la composition de l’alliage : cette évaluation, c’est « l’aloi » (bon, mauvais aloi) des pièces d’or et d’argent ; de plus, les marchands qui arrivent sur une place doivent faire leurs affaires avec la ou les monnaies qui y ont cours (la « monnaie de foire » : livre de Provins, Livre Parisis), et qui varient d’une place à l’autre. A Paris, les changeurs se sont regroupés sur le Grand Pont ou « Pont au Change » entre le 12° et le 14° siècle ; et parmi 503 parisiens assujettis à l’impôt en 1423, 43 sont changeurs, et 10 de ces changeurs figurent parmi les 20 premiers contribuables de la cité… ; à Toulouse en 1398, lors d’un recensement des corporations, on compte 34 changeurs et 15 monnayeurs, aux côtés de 150 marchands et merciers. Le change peut être immédiat, mais aussi immédiat, indirect, « au long cours » : il est effectué par lettre de change d’une place à l’autre, c’est le « change tiré », sur lequel le banquier prélève une commission ; de plus, selon les places et le cours des monnaies concernées, le changeur peut réaliser des marges sur les différence de valeurs d’une place à l’autre : c’est la spéculation monétaire : il achète là où la monnaie baisse, revend la où elle monte, au gré de la demande et de l’offre pour telle ou telle monnaie sur telle ou telle place. La rapidité de circulation des lettres de change joue également beaucoup dans ce type de spéculation. Cette mobilité de « l’argent papier », qui limite les risques du transport d’argent métal, permet de régler un déficit sur une place par un excédent sur une autre. Et la solidité financière des banques et de certaines valeurs monétaires permet de faire de l’argent papier un instrument de paiement «fiable »… Le banquier cambiste entretient sur chaque place des correspondants qui font circuler les lettres de changes entre places et entres succursales. Le négociant a aussi recours à ces lettres de change : il encaisse une recette en liquide sur une place, l’amène à telle maison de banque de cette place sur laquelle il dispose d’un compte, et se fait verser le montant de son dépôt sur une autre place où se trouve une succursale de la maison bancaire, évitant les bandits de grands chemin. Mais cette lettre de change peut aussi se transformer en un système de crédit (avec intérêt, c'est-à-dire usure au sens contemporain) camouflé en opération de change. Dans ce cas, l’opération de change s’accompagne le plus souvent d’une opération de rechange au terme du délai. Mais la lettre de change reste à cette époque réservée aux grandes places et aux grandes banques : Paris, Médicis ; jusqu’au 15 et 16° siècle où elle se généralise. Les banquiers tiennent aussi des dépôts d’argent pour leurs clients : épargne des riches bourgeois, des nobles et du haut clergé (ce qui assure à la banque une plus grande « surface », c'est-à-dire une plus grande disponibilité de masse monétaire avec laquelle jouer ; notons aussi que par ce biais, les banquiers sont au fait des flux financiers les plus discrets au sein des appareils du pouvoir : ils sont complices de toutes truande et agents de renseignement tout indiqués…), ou liquidité des hommes d’affaire : dans ce dernier cas, par leur système d’écriture interne, ils peuvent assurer aux négociants clients le versement de tout ou partie de leurs dépôts sur telle ou telle place, sans nécessité de transfert métal. A la fin des foires, ils assurent la compensation des transferts, censée faire correspondre les écritures aux flux actés. Ce sont les banquiers siennois et florentins qui initient ce système au 13° siècle. Il assure aussi des prêts , aux personnes comme aux « entreprises », par une sorte de « commandite » qui préfigure la banque d’investissement. Le banquier est aussi à l’affût d’informations , pour limiter la prise de risque (« border les risques ») : nouvelles politiques, militaires, intrigues de cour, sur les récoltes, les marchandises, les opportunité de nouveaux marchés liées à telle ou telle conquête, fluctuations monétaires et cours des marchandises sur telle ou telle place, comptabilité des succursales, le mouvement des navires, etc. Les banquiers entretiennent ainsi souvent de très volumineuses correspondances. Ces informations restent confidentielles, du fait de la concurrence. La comptabilité peut apparaître au prime abord comme la partie la plus ingrate de ce travail, mais elle peut aussi se révéler très profitable, et le banquier excelle comme personne dans le maniement des chiffres, qui restent romains jusqu’au 15° siècle, date à laquelle, après s’en être longtemps méfié, on utilise les chiffres arabes (plus susceptibles « d’erreurs », c'est-à-dire de fraude d’écriture), plus simples. Le métier s’acquiert dès le plus jeune âge, par un « tour de banque » (comme on fait un tour de france quand on est compagnon : du « bas » en « haut » et en tous lieux) ; parmi les connaissances indispensables, le latin, le droit, les langues, les mathématiques et leurs applications comptables et financières… La banque est également « sœur du pouvoir » : la banque a depuis son apparition constamment été sollicitée par les monarques et autres despotes, pour financer des guerres , par exemple... C’est notamment le cas quand est instaurée en France une armée permanente à partir de 1445. Les banquiers font office de « conseillers » des têtes couronnées et des grands seigneurs : conseils sur les prêteurs à contacter, les achats à accomplir au meilleur prix, tenue (« bonne », toujours… !) des comptes publics, etc. Mais ils leurs procurent surtout des avances sur les recettes des impôts et des rentes terriennes. Les banquiers de Lyon procurent l’argent à François 1 quand celui-ci cherche à s’acheter les électeurs à la couronne du saint empire germanique ; mais dans le même temps, le banquier allemand Fugger aide plus encore Charles Quint, élu empereur en 1519. Lorsque la cour de Bourgogne atteint son apogée avec Philippe pair de France, Comte d’Artois et de Flandre et duc de Bourgogne, puis avec Charles le Téméraire au milieu du 15°, les financiers italiens s’y pressent. Nombre de ces marchands banquiers finissent par gérer une partie des recettes fiscales du royaume. Plusieurs obtiennent également des charges officielles et sont anoblis . Mais cette position est parfois dangereuse. Ils ne peuvent refuser les services financiers et les prêts au prince, lequel se déleste de son banquier quand celui-ci ose lui rappeler sa dette… Ainsi pendant la guerre de 100 ans, les banquiers de Paris subissent les aléas de la guerre ; mais ils ne sont pas passifs dans l‘affaire : nombre d’entre eux se sont en effet impliqués dans un des partis, et se retrouvent ruinés suite aux retournements successifs de conjoncture politique et militaire : ils perdent leurs créances sur Louis d’Orléans avec son assassinat en 1407 ; subissent en 1413 les foudres de la réaction des armagnacs (partisans du roi de France) contre les piliers financiers d’un pouvoir bourguignon (alliés des anglais) déconsidérés par ses alliés cabochiens (parti plus populaire de parisiens

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Page 1: Banque et les banquiers en france

« La banque et les banquiers en France du Moyen-Age à nos jours », Hubert Bouin, Editions Larousse, 1992

La banque est « sœur du négoce » : en effet, les banquiers s’installent dans les places où le trafic de marcha,ndise s’accompagned’un change de créances, visant à assurer la compensation, la répartition des capitaux des négociants de ville à ville et de pays àpays. Entre le 8° et le 11° siècle, on assiste à la diffusion du crédit sur fond de relance économique et commerciale. Ce sont alorsdes « syriens » qui pratiquent le crédit dans le royaume de France jusque vers le 9° siècle ; ils sont suivis par les juifs qui pratiquentle change de monnaies, le prêt à la consommation, le prêt sur gage ; les juifs sont les seuls à pratiquer le prêt sur gage jusqu’au17° siècle (apparition alors des Monts-de-Piété). Le port de Rouen accueille ainsi une importante communauté juive, à laquelle ondoit le plus ancien monument juif médiéval connu d’Europe (1100 environ). Les prêteurs sur gage et banquiers de petite oumoyenne envergure, soutiennent par le crédit les opération de change provinciales. Sur les places commerciales s’installent peu àpeu des « cahorsins », des juifs et des lombards, et bien d’autres. Le banquier est aussi dès le départ un « agent de change » : surles champs de foire, dans les places commerciales, les négociants y ont recours : le système monétaire est alors bien différent dessystèmes monétaires nationaux (FF, £, etc.) ou transnationaux (€, $) contemporains ; de place en place, les changeur « évaluent »le cours de telles ou telles monnaie ; Florin de Florence, Ducat génois, Ecu français, Livre Parisis, Livre de Provins, il existeplusieurs monnaies françaises (des monnaies étrangères sont également couramment utilisées en france) par exemple, qui sortentde divers ateliers monétaires, sont plus ou moins usées (« usure »…) par les mains entre lesquelles elles sont passées, font l’objetde fraudes (fausses monnaies, ateliers monétaires non autorisés), sont de qualité différente suivant la composition de l’alliage :cette évaluation, c’est « l’aloi » (bon, mauvais aloi) des pièces d’or et d’argent ; de plus, les marchands qui arrivent sur une placedoivent faire leurs affaires avec la ou les monnaies qui y ont cours (la « monnaie de foire » : livre de Provins, Livre Parisis), et quivarient d’une place à l’autre. A Paris, les changeurs se sont regroupés sur le Grand Pont ou « Pont au Change » entre le 12° et le14° siècle ; et parmi 503 parisiens assujettis à l’impôt en 1423, 43 sont changeurs, et 10 de ces changeurs figurent parmi les 20premiers contribuables de la cité… ; à Toulouse en 1398, lors d’un recensement des corporations, on compte 34 changeurs et 15monnayeurs, aux côtés de 150 marchands et merciers. Le change peut être immédiat, mais aussi immédiat, indirect, « au longcours » : il est effectué par lettre de change d’une place à l’autre, c’est le « change tiré », sur lequel le banquier prélève unecommission ; de plus, selon les places et le cours des monnaies concernées, le changeur peut réaliser des marges sur lesdifférence de valeurs d’une place à l’autre : c’est la spéculation monétaire : il achète là où la monnaie baisse, revend la où ellemonte, au gré de la demande et de l’offre pour telle ou telle monnaie sur telle ou telle place. La rapidité de circulation des lettres dechange joue également beaucoup dans ce type de spéculation. Cette mobilité de « l’argent papier », qui limite les risques dutransport d’argent métal, permet de régler un déficit sur une place par un excédent sur une autre. Et la solidité financière desbanques et de certaines valeurs monétaires permet de faire de l’argent papier un instrument de paiement «fiable »… Le banquiercambiste entretient sur chaque place des correspondants qui font circuler les lettres de changes entre places et entres succursales.Le négociant a aussi recours à ces lettres de change : il encaisse une recette en liquide sur une place, l’amène à telle maison debanque de cette place sur laquelle il dispose d’un compte, et se fait verser le montant de son dépôt sur une autre place où setrouve une succursale de la maison bancaire, évitant les bandits de grands chemin. Mais cette lettre de change peut aussi setransformer en un système de crédit (avec intérêt, c'est-à-dire usure au sens contemporain) camouflé en opération de change.Dans ce cas, l’opération de change s’accompagne le plus souvent d’une opération de rechange au terme du délai. Mais la lettre dechange reste à cette époque réservée aux grandes places et aux grandes banques : Paris, Médicis ; jusqu’au 15 et 16° siècle oùelle se généralise. Les banquiers tiennent aussi des dépôts d’argent pour leurs clients : épargne des riches bourgeois, des nobleset du haut clergé (ce qui assure à la banque une plus grande « surface », c'est-à-dire une plus grande disponibilité de massemonétaire avec laquelle jouer ; notons aussi que par ce biais, les banquiers sont au fait des flux financiers les plus discrets au seindes appareils du pouvoir : ils sont complices de toutes truande et agents de renseignement tout indiqués…), ou liquidité deshommes d’affaire : dans ce dernier cas, par leur système d’écriture interne, ils peuvent assurer aux négociants clients le versementde tout ou partie de leurs dépôts sur telle ou telle place, sans nécessité de transfert métal. A la fin des foires, ils assurent lacompensation des transferts, censée faire correspondre les écritures aux flux actés. Ce sont les banquiers siennois et florentins quiinitient ce système au 13° siècle. Il assure aussi des prêts, aux personnes comme aux « entreprises », par une sorte de« commandite » qui préfigure la banque d’investissement. Le banquier est aussi à l’affût d’informations, pour limiter la prise derisque (« border les risques ») : nouvelles politiques, militaires, intrigues de cour, sur les récoltes, les marchandises, les opportunitéde nouveaux marchés liées à telle ou telle conquête, fluctuations monétaires et cours des marchandises sur telle ou telle place,comptabilité des succursales, le mouvement des navires, etc. Les banquiers entretiennent ainsi souvent de très volumineusescorrespondances. Ces informations restent confidentielles, du fait de la concurrence. La comptabilité peut apparaître au primeabord comme la partie la plus ingrate de ce travail, mais elle peut aussi se révéler très profitable, et le banquier excelle commepersonne dans le maniement des chiffres, qui restent romains jusqu’au 15° siècle, date à laquelle, après s’en être longtemps méfié,on utilise les chiffres arabes (plus susceptibles « d’erreurs », c'est-à-dire de fraude d’écriture), plus simples. Le métier s’acquiertdès le plus jeune âge, par un « tour de banque » (comme on fait un tour de france quand on est compagnon : du « bas » en« haut » et en tous lieux) ; parmi les connaissances indispensables, le latin, le droit, les langues, les mathématiques et leursapplications comptables et financières…

La banque est également « sœur du pouvoir » : la banque a depuis son apparition constamment été sollicitée par les monarqueset autres despotes, pour financer des guerres, par exemple... C’est notamment le cas quand est instaurée en France une arméepermanente à partir de 1445. Les banquiers font office de « conseillers » des têtes couronnées et des grands seigneurs : conseilssur les prêteurs à contacter, les achats à accomplir au meilleur prix, tenue (« bonne », toujours… !) des comptes publics, etc. Maisils leurs procurent surtout des avances sur les recettes des impôts et des rentes terriennes. Les banquiers de Lyon procurentl’argent à François 1 quand celui-ci cherche à s’acheter les électeurs à la couronne du saint empire germanique ; mais dans lemême temps, le banquier allemand Fugger aide plus encore Charles Quint, élu empereur en 1519. Lorsque la cour de Bourgogneatteint son apogée avec Philippe pair de France, Comte d’Artois et de Flandre et duc de Bourgogne, puis avec Charles leTéméraire au milieu du 15°, les financiers italiens s’y pressent. Nombre de ces marchands banquiers finissent par gérer une partiedes recettes fiscales du royaume. Plusieurs obtiennent également des charges officielles et sont anoblis. Mais cette position estparfois dangereuse. Ils ne peuvent refuser les services financiers et les prêts au prince, lequel se déleste de son banquier quandcelui-ci ose lui rappeler sa dette… Ainsi pendant la guerre de 100 ans, les banquiers de Paris subissent les aléas de la guerre ;mais ils ne sont pas passifs dans l‘affaire : nombre d’entre eux se sont en effet impliqués dans un des partis, et se retrouvent ruinéssuite aux retournements successifs de conjoncture politique et militaire : ils perdent leurs créances sur Louis d’Orléans avec sonassassinat en 1407 ; subissent en 1413 les foudres de la réaction des armagnacs (partisans du roi de France) contre les piliersfinanciers d’un pouvoir bourguignon (alliés des anglais) déconsidérés par ses alliés cabochiens (parti plus populaire de parisiens

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insurgés contre le pouvoir royal) ; sont emportés par le retour bourguignon en 1418, qui ruine tant les prévaricateurs de la factionarmagnaque que les hommes d’affaire peu engagés d’un « parti de la paix » (en fait naguère porté vers les armagnacs parexaspération)

Au moyen-âge, les banquiers ou usuriers sont conspués par l’église, probablement avant tout du fait du rejet qu’ils inspirent dansla société elle-même. Thomas d’Aquin s’oppose à l’usure : « on vend ce qui n’existe pas ». Le concile du Latran de 1215 renouvellel’interdiction de l’intérêt. L’évangile de St Luc stipule : « prêtez-vous l’un à l’autre sans rien en attendre ». Le Concile de Trêves de1227 interdit tout dépôt rémunéré (compte avec taux d’intérêt) chez les banquiers ; le concile de Lyon de 1274 prive les usuriers desépulture chrétienne s’ils ne renonçaient pas aux fruits de leur prédation. Mais en 1515, un Concile du Latran rend légal l’usure, letaux d’intérêt sur les prêts sur gage. Mais dans les prêches, on continue de considérer que « jamais l’usure n’est sans larcin ».Mais d’un autre côté, l’Eglise, et particulièrement sa haute hiérarchie, avait besoin des banquier pour piller les pays christianisés :c’est grâce à eux qu’elle pouvait faire des transferts de fonds vers la papauté, qu’elle fut à Rome, ou sous bonne garde royale, enAvignon…par ailleurs, il est prévu par l’Eglise un moyen pour le banquier de connaître la rédemption : les « actes debienfaisance » : il s’agit de répartir l’héritage familial au crépuscule de sa vie, et selon l’atmosphère de l’époque, entre famille,œuvre charitables et abbayes… Un autre moyen d’avoir la tranquillité face aux co-prédateurs que sont Eglise et princes, lesmarchands-banquiers, dans le cadre de leurs confréries le plus souvent, subventionnent la construction d’églises, de chapelles,voire de cathédrales ; subventionnent les monastères ; se font mécènes pour les peintures sacrées des Eglises, les vitraux ; ils sefont représenter en bonne place à la droite de tel ou tel saint sur les peintures sacrées destinées à l’Eglise et ses temples locaux.Par ailleurs, au Moyen-Age, les monastères aussi font commerce d’argent : ils reçoivent les dépôts des familles et accordent descrédits aux nobles et aux gros paysans, en prenant les terres comme gage… Les juifs et les lombards ne sont donc absolumentpas les seuls à pratiquer l’usure… En fait, plus que la piété des banquiers, c’est leur capacité à associer les dominants politiques etreligieux à leurs profits qui leur assure la tranquillité au moyen-âge.

Les juifs sont bannis de France en 1394 par Philippe Le Bel (puis par Philippe 6 de Valois), qui fait saisir, inventorier et vendreleurs biens. La monarchie occupe dès lors le rôle de prêteur, mais renonce aux intérêts : c’est le prêt gratuit, sans intérêt, sansusure. Il s’agit de se rendre populaire pour la monarchie. Il s’agit aussi de faciliter une relance économique, en annulant la dettedes « acteurs économiques », marchands, négociant, etc.

Les « cahorsins » désignent des financiers dont seul une minorité est en fait originaire de cette ville. La haute-bourgeoisie deCahors est très prospère entre le 12° et le 14° siècle, mettant en contact les marchés de la Baltique, d’Orient, et locaux. Usuriers etbanquiers de dimension internationale s’y installent pour proposer leurs services financiers aux marchands et autres « hommesd’affaires »

Après celle des juifs et des lombards, c’est de la puissance financière des Templiers que la monarchie française prend ombrage.Mais là encore, la colère populaire a précédé la décision de la monarchie. Là encore, on voir une institution ecclésiastique « trèscatholique » pratiquer l’usure, ce qui témoigne du fait que c’est moins l’usure qui était l’enjeu que son contrôle. Fondé en 1128 parquelques chevaliers, dont Hugues de Payns (descendant des comtes de Champagne…), l’ordre du Temple ou « Ordre des PauvresChevaliers du Christ » est censé protéger les « pèlerins » qui se rendent à Jérusalem ; il est composé de nobles recrutésnotamment en Bourgogne et dans toute l’Europe, et reçoit l’approbation de la couronne de france et de la papauté ; mais en fait depèlerins, il s’agit bien plutôt de véritables routes commerciales et de leur contrôle. L’ordre est compétent pour recevoir dons et legs,recevoir des dépôts de fonds, de métaux précieux, ouvrir des coffres et assurer des transferts d’argent pour le compte de leursclients, faire des avances aux rois lorsque ceux-ci organisent des croisades au 13° siècle, pratiquer le change au comptant et àterme. Il dispose à cet effet de 9 000 commanderies en Europe, monastères-coffres-fortifiés pour moines-soldats-banquiers ; en1257, les possessions de l’ordre s’élèvent à 3 468 châteaux, forteresses et maisons dépendantes, réparties dans dix-neufprovinces et sous-provinces. Ce réseau et leur puissance finit par en faire une institution centrale de la haute finance médiévale. Ilsdeviennent en effet experts en comptabilité et contribuent à l’instauration du système de comptabilité en double partie ; ce sontaussi eux qui inventent le terme de « grand livre » ; ce sont eux qui lancent la pratique du virement entre les « succursales » quesont leurs commanderies pour un même client, ou sur place entre clients ayant un compte auprès d’eux. En fait, ils en viennentmême à gérer plus ou moins le Trésor Royal de France : celui-ci est gardé dans leur couvent de la rue du Temple à Paris…(Bénéficiant de privilèges [droit d'asile et franchise des métiers], les Templiers pouvaient y exercer des activités économiques et lecommerce de l'argent. Les Templiers ont donc joué un rôle considérable dans le développement du quartier en attirant unepopulation de commerçants et d'artisans) ; ils gèrent la collecte de certains impôts et sont les créanciers de la Couronne ; ce quicommence à inquiéter la monarchie française, qui décide de les poursuivre (Philippe Le Bel) en 1307-1311 : confiscation de leursbiens, torture et mise à mort du chef de l’Ordre, Jacques de Molay. Parallèlement, le pape supprime l’ordre, et attribue leursfonctions religieuses, et une partie de leurs biens (fonciers surtout) à l’Ordre des Hospitaliers (actuel Ordre de Malte). Boniface 8souhaite, au début du 14° siècle, unir le Temple et les Hospitaliers (autre ordre combattant), mais Jacques de Molay, alors maître,refuse cette proposition. Or, à cette période, les données de la croisade ont profondément changé : l’Empire latin d’Orient, avec lachute de Saint-Jean-d’Acre en 1291, a cessé d’exister et les Templiers survivants se replient en France — d’où le roi, Philippe IV leBel, s’est vu refoulé à l’entrée de l’ordre. Philippe le Bel, en manque de numéraire, fait emprisonner les Templiers, les fait torturerpar l’Inquisition après avoir fait main basse sur leurs richesses et leurs livres de comptes ; les aveux de 137 templiers (quireconnaissent tout ce que l’on veut pourvu que l’on cesse de les torturer) justifient la suppression de l’ordre au concile de Vienneen 1312 devant le pape Clément 5, alors que les rois et princes d’Angleterre, d’Espagne, d’Écosse, d’Allemagne, entre autres, ontreconnu l’innocence du Temple. Tous les chefs de l'ordre, dont le grand maître Jacques de Molay, furent arrêtés et remis au papeClément V (1308) qui, sous la pression de Philippe le Bel, condamna un certain nombre d'entre eux au bûcher (1310) et supprimal'ordre (1312). En 1314, Philippe le Bel fit périr comme hérétiques les derniers dignitaires. Les biens du Temple reviennent auxHospitaliers ou aux ordres successeurs qui sont créés en Espagne : l’ordre de Notre-Dame-de-Montesa dans la région de Valenceet l’ordre du Christ au Portugal [Cf. aussi l’héritage des Templiers en matière de compagnonnage ; passionnant].

Les Lombards sont également poursuivis, pour le même motif de l’usure qu’ils captent sur les prêts qu’ils pratiquent : Philippe LeBel en fait arrêter en 1277, avant de les faire expulser en 1311 ; en 1337, Philippe 6 de Valois confisque leurs avoirs (plusprécisément leurs créances), s’en approprie le montant du capital, et exonère les débiteurs de ces prêts du paiement des intérêts(mais non du remboursement de leurs dettes). Le terme de « lombard » devient assez vite générique pour désigner les banquiers,et cela du fait que l’activité bancaire au moyen-âge se développe par l’arrivée des banquiers italiens, qui en sont la clé de voûte. Ilssont en effet dès le 11° siècle les principaux intermédiaires entre l’orient et l’occident de la méditerranée. Ils sont les banquiers ducommerce de gros, du négoce, grâce aux énormes capitaux dont ils disposent. Ils s’installent dans les places de foire, où ils

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s’adonnent aux changes internationaux, auprès des marchands de gros ; mais aussi dans les villes de forte consommation de luxe.Les Foires de Champagne et de Brie sont leur site de prédilection au 12°-13° siècles : Provins, Troyes, Lagny-sur-Marne, Bar-sur-Aube. Ils y cherchent essentiellement, comme les marchands, les exemptions de taxes, et obtiennent le droit d’y établir des« tables de prêts » ou « bancs de prêt » (d’où le terme de « banque » ; le terme de « banqueroute » vient de « banc rompu » oubanc cassé », c'est-à-dire la faillite ; de même ils sont à l’origine des termes « change », « crédit », « agio »). Paris les attire aussiavec sa foire du Lendit. Quand au 13°-16° siècle, les grandes villes comme paris se changent en marchés permanents, avec leursmarchands de gros, fournisseurs des bourgeois, du haut clergé, de la noblesse et de la cour des Grands ou du roi, des villescomme Paris deviennent définitivement des cilles de banque, avec a rue des Lombards, qui accueille dès cette époque desbanquiers piémontais venus d’Asti, de Chieri, de Novare, de Plaisance. Les placentins en particuliers s’imposent à Paris, la positionde leur ville, Plaisance, stratégique entre la France et Rome, étant propice à leur intervention dans les transferts de fonds entre lacommunauté chrétienne et la papauté. Puis se sont les toscans, les siennois qui les rejoignent à Paris, pratiquant dès le 14° lecrédit aux gros paysans de la région parisienne. Viennent également à Paris les florentins, avec leurs réseaux de succursales, àl’intersection des réseaux de succursales des gros marchands italiens, et qui font se mouvoir d’énormes sommes, grâce à de trèsimportantes sommes acceptées en dépôt ou de leurs propres capitaux, lesquels ne cessent de grossir du profit de l’usure. Lesgrandes places de négoce du royaume de france accueillent des banquiers de dimensions internationales : italiens, mais aussiflamands et allemands, capables de recouvrir le réseau des cités du négoce que sont les villes de la Hanse et les principautésitaliennes (Florence, Gênes, Venise), et les plaques tournantes des changes (Bruges). Les marchands français s’approvisionnentégalement à Anvers, surtout du milieu du 15° au 16° siècle. Ces « pieds poudreux » (c’est leur surnom) sont au cœur de réseauxeuropéens qui font circuler marchandises, argent et informations. De tels réseaux atteignent également la péninsule ibérique etl’Angleterre. Quand la papauté est transférée en Avignon entre 1309 et 1377, les banquiers italiens y accourent. Et d’une manièregénérale, le Midi tire profit de sa position stratégique entre Espagne, vallée du Rhône et Italie et les banquiers italiens y installentdes succursales. Avignon est ainsi une position stratégique de gestion des flux financiers et de négoce entre le grand sud-ouest etle sud-est de la France. Mais la place décline après le départ de la papauté. Lorsque la Champagne est annexée par la france, lesfoires y perdent de leur intérêt, et les courants d’échange se redéploient vers les grands centres urbains, c'est-à-dire à Paris, surl’axe rhénan et suisse, et sur l’axe de la manche. Pendant la guerre de cent ans, Paris devient moins sûre, et la monarchies’installe en Touraine : la banque suit le mouvement et la Touraine devient un centre de consommation et d’échange majeur ; lesnégociants-banquiers tourangeaux, déjà solidement ancrés dans la place, en tirent le plus grand profit. Le repli de la monarchie deParis vers la Touraine au début du 15° siècle favorise également l’essor de Genève. Mais quand la guerre prend fin, Louis 11parvient à attirer les négociants de Genève sur la place de foire de Lyon, qui devient ainsi la plaque tournante du commercetransalpin à partir du milieu des années 1460 ; et pour presque 2 siècles, Lyon devient la plus importante place bancaire de France,véritable foire de virements et de « compensation »dans la première moitié du 16° siècle, comme le sera Besançon dans laseconde moitié du 16°.

Les banquiers provoquent par leur activité usurière des émeutes contre eux, émeutes qui peuvent cependant être excitées par lesendettés immédiats, et non par la principale victime des uns comme des autres, le peuple. Il est « juif ou lombard », l’un et l’autreterme étant parfois confondus, et même établi depuis longtemps localement, il reste vécu et traité en étranger. De telles émeutesont lieu en 1382, en 1413-1418, notamment à Paris : les riches hôtels qu’ils occupent sont forcés à la hache.

Au 16° siècle, Lyon devient la « Florence française » et les banquiers italiens continuent à tenir la place. Louis 11 avait procuréd’amples protections aux foires qui s’y étaient développées dans les années 1420-1440 : exemption fiscale et de droit de douanesur la circulation et l’exportation des masses monétaires, par ailleurs interdites dans le reste du royaume…5 à 6 000 étrangersfréquentent ces foires. Les italiens s’y installent en masse vers 1465. Les banquiers Genevois tentent d’enrayer cette concurrence,sans succès ; à partir de 1489, puis à partir de 1494 avec ces 4 foires de 15 jours, Lyon devient la plaque tournante du négocefranco-italien. On y change les pièces, les métaux, les tissus de luxe italiens, les toiles et draps flamands ; on y traite le tiers desimportations du royaume, pour une valeur équivalent à la moitié du trafic d’Anvers. Les lettres de change y sont « monnaiecourante », ainsi que virements et compensations. La pratique des reconnaissances de dette, des « obligations », l’acceptation deseffets de commerce comme garantie de paiement par les banques, facilitent les achats de marchandises. Lyon accueille égalementdes marchands allemands, mais les florentins y sont les plus nombreux : au moins 50 maisons vers 1500. En revanche, les plusriches sont les lucquois, qui arrivent dans la seconde moitié du 16° siècle. Quelques génois et bolognais les accompagnent. Ils sontinstallés rue de la juiverie, rue lainerie, place du change, dans des hôtels particuliers. Chaque maison dispose d’une implantationeuropéenne, dans 2 ou plusieurs places. Malheureusement, on ne dispose de presque aucun des papiers des banquiers du 16°siècle lyonnais… les rares archives dont nous disposons sur cette époque montre que le banquier du 16° siècle à Lyon restemarchand par atavisme, financier par intérêt, mais que son activité consiste également dans le jonglage du change, entre les trèsnombreuses monnaies en circulation en Europe à cette époque. La vitalité lyonnaise s’effrite cependant dans la 2° moitié du 16° :les banquiers perdent de l’argent dans le prêt à la monarchie, devenue insolvable en 1559. la ville est au cœur des guerres dereligions et de nombreux combats y ont lieu ; la peste y frappe en 1562, 1574, 1628. Mais la ville renaît au 17°, malgré le poids dela fiscalité royale. Elle reste une place de banque et de change, avec des banquier d’envergure. Puis un crash ébranle la place en1709, avant que la place parisienne l’emporte à nouveau en puissance à partir de 1720-1730, notamment pour les changes. Lacrise financière de la Régence affaiblit certains banquiers lyonnais, une partie est ruinée en 1730. par contre la banque lyonnaisesoutient désormais t le négoce des soieries, dont la ville est la spécialiste mondiale à cette époque. Une nouvelle strate émerge,faite de marchands-soyeux-banquiers. Des banquiers suisses s’installent par ailleurs à Lyon également au 18°. La ville est prisedans l’expansion commerciale de la 2° moitié du 18° siècle, animée sur cette place par les banquiers suisses.

L’économie et la banque suisse connaît un essor au 18° siècle, en particuliers pour les cotonnades, toiles peintes (indiennes),horlogerie. Les négociants suisse deviennent rapidement une puissance financière d’ampleur européenne, avec des places debanque et de change comme Genève, Neuchâtel et l’ensemble du pays de Vaud. Des maisons de banque se constituent,essentiellement parmi les protestants. Y figurent de nombreux immigrés de france après la révocation de l’édit de Nantes. Ilsdeviennent des spécialistes, après les italiens, du change international et des transferts de monnaie-métal. Leurs maisons tirentparti de liens familiaux avec la diaspora huguenote, en particulier en Hollande, à Londres, en Allemagne : c’est « l’internationalehuguenote ». Ces banquiers s’enrichissent du soutien du commerce, du négoce colonial, des spéculations sur les denrées d’outre-mer, sur les piastres, des placements en navires, y compris pour la traite négrière…Ils bénéficient aussi de quasi-monopoles surles fournitures aux armées qui s’affrontent en Europe. Les banquiers suisses s’implantent peu à peu en france pour financer l’essordes cotonnades et devenir eux aussi bailleurs de fonds du roi.

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Paris accède au rang des première place bancaire française au 18° siècle, à la suite de Lyon : les banquiers y sont 21 en 1703, 51en 1721, 66 en 1776. Ils animent le marché de l’argent à court terme, pour les billets de commerce privés, pour les effets royaux,pour les billets de ferme. Commerçants et financiers du roi placent leurs créances auprès d’épargnants, ou les font escompter chezdes banquiers. A partir du 17°, la lettre de change est devenue un effet négociable, c'est-à-dire san,s lien avec un contrat dechange, et endossable, donc transmis entre partenaires d’affaire. La diffusion de la pratique de l’escompte est la clé de l’essor desbanquiers au 18°. En plus de leur métier de cambiste, ils deviennent de véritables marchands d’argent, qui accroissent lacirculation de l’argent, des « billets à ordre », des traites commerciales, ce qui facilite les affaires. Les banquiers huguenots suissesdominent la place parisienne, mais n’y ont pas pour autant le monopole. Des banquiers français catholiques y percent également.

Outre Lyon et Paris, plusieurs ports français abritent au 18° siècle des maisons de banques d’importance : Rouen, Saint-Malo ; àBordeaux où des banquiers juifs émigrés du Portugal sont actifs et en lien avec Amsterdam et Londres, en particulier pour lacirculation de l’argent métal, mais aussi pour la spéculation. Bayonne est également une place active de banque qui bénéficie deséchanges avec l’Espagne et du trafic sur l’argent-monnaie. Le Languedoc (vers Montpellier, Nîmes, Millau) abrite également denombreux négociants banquiers, souvent huguenots, insérés dans les changes entre l’Espagne, la Catalogne, Marseille, Gênes etle Levant ; certains sont d’ailleurs en relation avec leurs coreligionnaires banquiers protestants de Suisse, de Paris et de Gênes. Lebanquier de cette époque pré-révolutionnaire apparaît comme l’agent par excellence du passage d’une société terrienne à unesociété cosmopolite, d’une société « naturelle » à une société « organisée », d’une société aristocratique enfin à une sociétébourgeoise et capitaliste.

A partir du 16° siècle, l’expansion du monde des finances ralentit dans le royaume de france : le pouvoir royal et la noblessepèsent de diverses manières sur le commerce et la finance. Les guerres également coûtent cher : d’énormes capitaux sontmobilisés dans les guerres de religions ; en 1708 et pendant la guerre de 7 ans en 1756-1763, les changes commerciaux etmonétaires sont fortement perturbés et génèrent des crises financières majeures ; la révocation de l’édit de Nantes en 1685ébranle la puissance économique protestante : de nombreux marchands protestants choisissent alors l’exil. C’est Anvers quidomine le 16° siècle, avec son port et sa bourse ; Amsterdam prend le relais à partir du 17° ; cette « Venise du nord » prospèreavec l’ensemble des Provinces-Unies, car les marchands hollandais sont d’habiles redistributeurs des produits importés desempires espagnols et portugais en Amérique. Et le caractère de plus en plus océanique et littoral du négoce dynamise égalementdes places comme Londres et Glasgow à partir du milieu du 17 et au 18°. L’essentiel des opérations bancaires s’effectue àAmsterdam, où est fondée en 1609 la Banque d’Amsterdam. Puis à Londres où est fondée en 1694 la Banque d’Angleterre. EnFrance, les banques restent régionales, de petite taille et appuyées sur une clientèle locale. L’arnaque de Law au début du 18°retarde l’introduction de la « monnaie de banque ». La Banque d’Angleterre est la première « Banque centrale », qui émet desbillets de banque gagés sur son encaisse, c'est-à-dire sur l’argent métal qu’elle détient. L’écossais John Law est autorisé en 1716 àcréer une Banque Générale, pour une durée de 20 ans, chargée d’émettre de tels billets de banque. Son capital de 6 000.000 delivres est souscrit aux trois quarts en billets d’Etat. Pour asseoir son crédit, la banque obtient le monopole de la vente du tabac, dela frappe des monnaies, de la ferme des impôts enlevée à la ferme générale. Cette masse de recettes sert de garantie à l’émissionde billets remboursables à vue et au porteur. La banque tient des comptes courants, reçoit des dépôts, effectue des opérations dechange, et échange à haut prix ses actions contre de la monnaie-métal… Elle peut ainsi fournir les fonds dont le Trésor a besoin.L’échange des « effets » publics dévalués contre des billets de banque surévalués facilite l’amortissement de la dette d’état… DePlus, Law fonde la compagnie pour le commerce d’Occident (en Louisiane), achète la compagnie des indes orientales et laCompagnie de Chine, et dispose d’un quasi-monopole sur le commerce exotique. C’est le « Grand système de Law ». Lawcomptait ensuite sur les profits tirés de ces divers investissements pour fonder « réellement » la survaleur des billets de labanque… Le système est aberrant. Quand il fonde sa banque en 1716, puis la Compagnie du Mississipi, il y a une véritable rue dupublic sur les actions. C’est que les billets quadruplaient les richesses, tenues jusqu’alors par la créance et donc la méfiance…Mais cette bulle financière, cette « création » artificielle de valeur génère une crise de confiance, et la banque est soupçonnéed’avoir émis plus de papier-monnaie qu’elle ne dispose de monnaie-métal… S’ensuit un crash, tout le monde souhaitant se fairerembourser. La banque est liquidée en 1720. Bilan : nombre des détenteurs de billets « actions » sont ruinés ; en revanche, tousceux qui avaient remboursé leur dette avec cette monnaie de singe se trouvaient au contraire renfloués…

Sous l’ancien régime, la monarchie a sans cesse besoin qu’on lui prête de l’argent. Mais elle ne dispose pas comme au 20° sièclede la possibilité qu’a l’Etat de placer obligations et bons du Trésor, auprès de banques et de compagnies d’assurance. Elle recourtdonc à des financiers (qui ne sont pas nécessairement banquiers), surtout quand le système fiscal se diversifie au 17° siècle pourfaire face à l’énorme gonflement du budget et des frais de guerre… Ses financiers sont d’abord de quasi-fonctionnaires : ilsachètent une charge royale (receveur, trésorier, contrôleur) et gèrent la caisse de cet « office public » comme si elle était privée. Defait elle l’est… ; pour faire face aux dépenses en attendant les rentrées officielles (revenus du Domaine, impôts), ces financiers lespayent de leur poche. D’autres financiers gèrent déjà, en tant que « receveurs », les finances du haut clergé et de la noblesse. Les« partisans » ou les « traitants » (qui signent un traité avec le roi et entre eux) font également des avances exceptionnelles à laCouronne. Ainsi, après la Fronde et les guerres qui la suivent, Fouquet, surintendant des finances royales en 1653-1661 cherchedes fonds auprès de ces « traitants » ; ces derniers sont des groupes aisés possesseurs de gros capitaux. Fouquet n’a aucunscrupule pour parvenir à obtenir ces prêts. Ainsi, à la mort de Mazarin, il est facile pour Colbert de relever les faveurs procurées àces traitants ; et de fait, ces faveurs sont la clé du système de prêt, y compris après que Colbert n’aie succédé à Fouquet. Toutfinancier vit alors au cœur de réseaux relationnels, avec la Cour d’une part pour obtenir des contrats, et avec les riches et lesbanquiers pour leur emprunter des fonds. D’ordinaire, les financiers « prennent à ferme » les impôts, font rentrer les impôts directsauprès des 48 receveurs généraux ; les fermiers généraux (qui sont entre 37 et 87 au milieu du 18° siècle) s’occupent des impôtsindirects, à la suite de la création de la ferme générale en 1681. Le système repose sur la confiance des prêteurs dans la capacitédu financier de la Couronne à les rembourser et à drainer les impôts. Les prêteurs sont des bourgeois, des nobles de robe, desnobles d’épée, sans oublier les riches ecclésiastiques. Ces prêteurs gagnent d’énormes intérêts, ainsi que des faveurs (nominationde leurs proches à des charges royales, anoblissement, etc.). De leur côté, les financiers qui servent d’intermédiaires entre laCouronne et les prêteurs prélèvent allègrement leur « part » de bénéfices sur les flux d’argent, et sont eux-mêmes régulièrementanoblis, à moins que ce ne soit leurs progéniture, qui ne manque jamais de faire quelque « beau mariage » dans l’aristocratie. Cesfinanciers de la monarchie ne disposent que rarement de leur propre maison de banque, mais ils agissent effectivement enbanquiers. Leur puissance et leur train de vie en font souvent la cible de la critique et de pamphlétaires comme La Bruyère (cf.« Caractères ») : « a passé par une petite recette à une sous-ferme ; et par la concussion la violence et l’abus qu’il a fait de sespouvoirs, il s’est enfin, sur la ruine de plusieurs familles, élevé à quelque grade. Devenu noble par une charge, il ne lui manquaitque d’être un homme de bien : une place de marguillier a fait ce prodige » ou « si le financier réussi son coup, les courtisans disentde lui : ‘’ c’est un bourgeois, un homme de rien, un malotru’’ ; s’il réussit, ils lui demandent sa fille ». Les banquiers et financiers

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italiens conservent jusqu’au 18° siècle une influence importante : ils financent ainsi les guerres menées en Italie au 16° siècle par laCouronne de France ; la dette de la Couronne auprès des banquiers lyonnais est supérieure en 1560 aux recettes annuelles de lamonarchie, et c’est d’ailleurs ce qui explique la faillite du « grand parti », après que la monarchie se soit décrétée insolvable.Richelieu et Mazarin ne peuvent se passer des banquiers italiens, auxquels s’ajoutent quelques banquiers allemands ethollandais : les Cenami, Airoli, Cantarini sont les piliers des finances de Mazarin. Au tournant du 18° siècle, les banquiers prêteursde la Couronne sont à la fois de gros négociants, des armateurs, et des créanciers directs du roi, souvent comme financiers. Laplace lyonnaise reste par ailleurs essentielle pour faire circuler la monnaie du royaume, mais elle est secouée par un krach en1709, tant ses créances se sont alourdies, au point de faire perdre leur confiance aux clients des banques lyonnaises. Cetévènement impose la suspension des paiements et de lourdes pertes chez les banquiers, comme chez Samuel Bernard, principalbailleur de la Couronne dans la première moitié du 18° siècle. Au milieu du 18°, la place parisienne devient le cœur du monde del’argent français, qui doit vivre au plus près de la Cour. Les financiers banquiers de la Cour assainissent les finances après laspéculation de Law. Les intérêts finissent par s’interpénétrer étroitement entre les affaires des financiers banquiers de cour et cellesdes banquiers-négociants, comme en témoignent le cas des 4 frères Pâris dans les années 1720-1760, celui de Laborde, puis deBeaujon dans les années 1770. La fonction de « banquier de la cour », informelle, mobilise un réseau de liens d’affaires avec lesreceveurs, fermiers généraux, armateurs, banquiers, avec des correspondants sur toutes les places, pour leur faire acheter leseffets publics (ancêtres des bons du Trésor). Laborde épouse ainsi la fille de la banquière de l’impératrice d’Autriche à Bruxelles, enun symbole de l’interconnexion des places européennes. Les banquiers négociants relaient les banquiers de cour pour assurer lesrèglements internationaux de la monarchie, les « remises de guerre », pour assurer les frais de l’armée hors des frontières, ou pourpayer les importations nécessaires au fonctionnement de l’armée. Quand les dépenses de guerre gonflent au tournant du 18°siècle, la dette publique bondit immanquablement… pour la rembourser, on emprunte encore. Les financiers font « escompter »leurs « billets » (qui représentent leurs avances au Trésor) à des banquiers, qui à leur tour les placent auprès d’épargnants, noblesou non, français aussi bien qu’étrangers. Les banquiers deviennent au 18° siècle la clé du placement de la rente : l’état émet tantde reconnaissances de dette qu’ils démarchent la clientèle la plus large pour les lui faire absorber. C’est ainsi que toute la financeinternationale, protestante ou non, se retrouve impliquée dans la conduite des opérations du Trésor. Les banquiers et richessuisses étayent la puissance des financiers et des banquiers français. Eux-aussi sont les banquiers du roi, et le symbole en estfourni par Necker : banquier genevois, il est appelé par Louis 16 à la tête des finances du royaume en 1777-1781, puis encore àpartir d’août 1788. Son renvoi le 11 juillet 1789 ébranle le crédit royal, et marque une volonté absolutiste de l’autocrate quen’apprécient guère ses créanciers, notamment. D’où la journée du 14 juillet 1789 et le rappel de Necker au ministère le 17 juillet,jusqu’en septembre 1790. L’histoire bancaire se trouve ici étroitement mêlée à l’histoire politique.

Lorsque la révolution éclate, et après les guerres de 1792 à 1815, les banques écloses au 18° siècle maintiennent sans difficultémajeure leur activité…elles deviennent même pour la plupart plus solides et forment la « haute banque ». la province se hérisse debanques locales, et la banque de France est créée. 1789 se présente comme l’introduction de la première révolution bancaire. Sespionniers sont des banquiers « européanistes », opposées aux guerres imbéciles que se livrent les monarchies sur le vieuxcontinent, ils sont pour la plupart protestants, et certains juifs ou catholiques. Plusieurs banquiers figurent parmi les « patriotes » de1789, par « esprit libéral » sans doute, mais plus encore dans le souci de se voir rembourser leurs créances par un état dont lesfinances publiques sont exécrables : ceux qui appellent les parisiens à l’insurrection le 14 juillet 1789 réclament avant tout le retourde Necker aux finances, et se moquent bien des aspirations des masses, si ce n’est pour les manipuler ! Les banquiers etmanieurs d’argent « modérés » se réjouissent ainsi de l’instauration d’une monarchie constitutionnelle dans les années 1789-1792.En 1792-1793, un banquier genevois, Clavière, accède pendant quelques mois au ministère des finances. Mais la montée dessans-culottes et des enragés de 1792-1794 perturbe quelques peu les affaires. Enfin, les guerres civiles (c'est-à-dire la lutte declasses) et les guerres extérieures qui leur font diversion perturbent également les réseaux d’affaires internationaux. En particulierle négoce transatlantique avec les colonies esclavagistes. Les enragés et le peuple en arme, aidé par une extrême-gauchedynamique de la bourgeoisie, pourchasse et décapite les financiers d’ancien régime, en particulier les fermiers généraux en 1794.des banquiers se trouvent menacés, comme Etienne Delessert, le protestant suisse installé à Lyon, emprisonné en 1794. Lamajorité des banquiers se réfugient au-delà des frontières ou se calfeutrent chez eux… Mais le peuple naïf reste bien facilementmanipulable, et par ailleurs, d’autres banquiers trouvent à tirer un immense profit de leur révolution : besoins de l’Etat engagé dansla guerre notamment : importation de denrées et de matières première (notamment auprès des pays neutres). Les banquiersprocurent aussi du numéraire à l’Etat en faisant circuler des lettres de change endossées de place en place, sur Londres parexemple, sans oublier de se servir au passage de juteuses commissions…Inversement, les banquiers assurent des sorties defonds au profit des émigrés, des étrangers ou des épargnants inquiets, là aussi en empochant au passage des commissions. Enfinles « fournitures aux armées » sous la Révolution sont l’occasion d’enrichissement pour les banquiers, toléré par Cambon et leministère des finances dans la mesure où la priorité est donnée à l’approvisionnement des villes et des armées. Les prêts à l’Etatsont gagés sur les biens nationaux… C’est ainsi que Seillière passe du commerce à la banque, grâce à ces « fournitures » : c’estl’ancêtre de la banque Demachy-Worms actuelle.

Dès que les sans-culottes et leurs soutiens se trouvent écrasés, les banquiers réapparaissent sur le devant de la scène, mettantfin aux espoirs du peuple. Les Lecouteulx de Canteleu s’en tirent paisiblement, malgré un bref emprisonnement. Le fils cadet deDelessert, Benjamin, rouvre la banque familiale en 1795 et récupère sans encombre la fortune de son père, qui a placé sesassignats, monnaie de singe, en immeubles, en fermes rurales et en fonds étrangers. Les maisons suisses et protestantesconfirment leur redressement au tournant du siècle. Elles sont par ailleurs suivies de nouvelles maisons provinciales, comme labanque Perier en 1801, Laffitte ou Seillière. Elles s’engagent alors dans le financement du grand commerce continental, dans celuidu négoce ou du démarchage de l’industrialisation du coton, dans le renouveau du crédit à court terme et de l’escompte, parexemple au travers de la création de la banque de France en 1800. C’est le code civil napoléonien qui, suite à la révolutionbourgeoise de 1789, rendit le prêt à intérêt parfaitement licite dans les zones conquises par le dictateur. Des banquiers s’intègrentsans peine à la haute société impériale : une 15aine de financiers accèdent à la noblesse d’empire en 1808, 1810 et 1814 : Jean-Charles Davillier, Jean-Conrad Hottinguer, Benjamin Delessert, tous 3 régents de la Banque de France, et Guillaume Mallet,deviennent ainsi des barons, tandis que Lecouteulx de Canteleu et Alphonse Perregaux sont promus comtes… ; Perregaux épousela fille du maréchal Mac Donald et sa sœur le maréchal Marmont… ; la guerre et la défaite provoque un marasme dans les années1810-1820, dont se remettent vite les banques françaises. Certaines se posent de plus en forces dominantes, et donnentnaissance à ce que l’ont appelle depuis la « Haute Banque » (mais qui existait déjà sous l‘ancien régime) ; ils sont les héritiers defondateurs souvent suisses, protestants, voire juifs, et quoique plus rarement, catholiques. Ils disposent avant tout de gigantesques(« solides » dans le jargon économiste) fonds propres, qu’ils peuvent placer au mieux et faire fructifier ; par ailleurs, ils rassemblentles gros dépôts en comptes courants « d’amis fidèles », d’associés, de proches parents, de clients importants, que ce soient desépargnants à la tête d’immenses « patrimoines » ou des patrons de sociétés en quête de placements féconds : la gestion de

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fortune est alors une des bases de l’activité de ces maisons, qui ne disposent que d’un guichet unique à leur siège lui-même. Cesbanquiers sont proches du négoce de gros national et surtout international ; ils lui fournissent des crédits, le pratiquent eux-même,en particulier pour les produits d’origine coloniale, les métaux précieux et les monnaies métalliques ou les matières premièresalimentaires ou métallurgiques. On trouve aussi des banquiers parmi les commissionnaires : correspondants de négociantsd’autres places, ils vendent les marchandises que ceux-ci déposent chez eux, ils accordent des avances aux acheteurs et paientl’expéditeur initial par l’intermédiaire de lettres de change. Du commerce d’importation à la tête d’un comptoir, le négoce glisse aumétier de commissionnaire, puis parfois la banque seule. Mirabaud est ainsi banquier et commissionnaire en soie à Paris à partirde 1801. Les négociants du 19° siècle sont parfois des « marchands-fabricants », qui supervisent la mise en place des embryonsde l’industrie cotonnière notamment (indiennes, filature), en donneurs d’ordres, puis en commanditaires, en investisseurs, voireparfois en entrepreneurs. Au-delà des liens avec le négoce, l’ouverture internationale de la haute banque s’explique par sonintervention dans la circulation de l’argent de place en place, des traites commerciales pour les opérations d’escompte et dechange. Cosmopolites, elles sont fortes de réseaux de correspondants, amis, alliés, parents, coreligionnaires sur les autres places,qui leur procurent des informations ou des services financiers, et leur offrent des dépôts en compte courant pour les changes deplace en place. En effet, à l’étranger, des maisons semblables existent comme en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne ou dansles pays anglo-saxons. La maison Rothschild en est incontestablement le meilleur exemple, sans pour autant être le seul. La hautebanque anime les marchés de l’argent parisien pendant l’essentiel du 19° siècle, en particulier la Bourse, le placement et l’arbitragede la rente publique, les émissions de valeurs par les sociétés. Les maisons de banque achètent les titres (notamment lesemprunts publics) en gros et les revendent au détail (clients directs banquiers correspondants, qui en font autant à leur tour) enfonction des cours. La haute banque forme, dans le cadre de telles opérations, de puissants syndicats (groupements de banquiers)pour mieux tenir l’opération ; et ils sont servis par l’Etat, qui par exemple, dans le cadre de l’emprunt à 5% de février 1917 pour lepaiement des indemnités de guerre exigées par les alliés au traité de paris de novembre 1815, ne vend le titre qu’à un cours de 55(c'est-à-dire 55% de sa valeur) à la haute banque parisienne ; par la suite, le relèvement du cours de ce pourcentage a bénéficié àces banquiers. Les maisons de Haute banque s’enrichissent aussi de commissions et de courtages, et assurent une rotation rapidede leurs capitaux. Elles conservent des portefeuilles titres importants et variés : elles sont en effet de fines « arbitres » qui saventjouer sur les différences de cours des devises sur les places internationales ou sur les cours de la Bourse, en spéculateurs attentifsaux opportunités de marges sur les marchés à terme de valeur boursière, le « délit d’initié » perdant à ce niveau presque toutsens…La puissance de la haute banque culmine dans les années 1830-1870. Des fortunes colossales se sont constituées, avecdes portefeuilles boursiers, des hôtels particuliers à Paris ou dans les stations maritimes, des châteaux et domaines en ïle-de-France et des vignobles en Bordelais, d’amples collections artistiques comme chez Nissim de Camondo à la Belle Epoque, dontl’hôtel particulier devient un musée. Elles sont aussi très influentes sur le plan politique : soutiens financiers de l’Etat, elles sontsouvent ses conseillers et parfois accèdent à des relations privilégiées avec le pouvoir. Le début de la Monarchie de Juillet voit lesbanquiers s’identifier avec le régime : Laffitte est le chef du gouvernement après la révolution de 1830 ; Casimir Perier lui succèdeen 1831-32 ; la famille Perier est riche en vocations politiques : Claude Perier est député sous le Consulat, Augustin et CamillePerier sont député sous la Restauration et la monarchie de Juillet ; deux descendants Perier sont ministre en 1871 pour l’un,président du Conseil puis de la République pour l’autre entre 1893 et 1895. Le banquier Achille Fould est ministre des Finances dela 2° République et du 2° Empire de 1849 à 1852, puis de 1861 à 1867. De même, un haut cadre du groupe Rothschild, Léon Say,est ministre des finances à plusieurs reprises dans les années 1872-1883. L’écrivain et ex-diplomate Stendhal, dans son roman« Lucien Leuwen », dépeint l’influence du père de son héros, « banquier associé de la maison Van Peters, Leuwen et Cie » sous laMonarchie de Juillet , où l’on peut lire « [...] Et qui fait les ministres aujourd’hui ? Les Rothschild, les Leuwen ! [...] ». Il y est aussibeaucoup question de banquiers ministre de l’Intérieur. Une capacité d’intervention politique plus discrète est procurée par le rôleéminent joué par les banquiers au sein du conseil de régence de la Banque de France, élu par les 200 plus gros actionnaires decette société privée, concessionnaire auprès de l’Etat de l’émission de billet. En 1851, 8 régents sur 15 sont issus de la Hautebanque, dont Mallet, Pillet-Will, Perier ; en 1871, Davillier, Hottinguer, Rothschild ont rejoint les fils Mallet et Pillet-Will, au sein d’ungroupe de 8 régents issus de la Haute banque sur 15. Par ailleurs, il ne faut pas oublier le poids au sein des appareils de l’Etat desliens familiaux ou informels. Ce sont les Mallet qui animent, au sein de la haute banque, la plus ancienne maison, ce qui leurconfère une influence certaine. Les maisons de la haute banque ont recueilli l’héritage des banquiers italiens des 12-16° siècles.Comme eux, leur force réside dans leur fortune, mais aussi dans leur savoir, dans leur capacité à obtenir des informations sur la viede la place parisienne, sur le crédit des autres maisons et des clients ; à capter les nouvelles des autres places financières ; àdiscerner les tressaillements de la bourse et les retombées des évènements politiques. Leuwen, le personnage de Stendhal,dispose de nombreux informateurs dans les ministères, qui lui permettent d’obtenir des informations inédites, en particuliers par lescourriers directs du ministre de l’intérieur : il se procure les copies de dépêches officieuses. Il achète des nouvelles aux ministres,ou les exploite avec eux, en particulier pour et à travers des opérations boursières. La haute banque soutient la révolutionindustrielle, indirectement en finançant le négoce, directement en soutenant les entreprises, qu’elles soient grosses (chemins defer) ou moyennes.

Dans la 2° moitié du 19° siècle, la Haute banque est soumise à la concurrence des grandes banques de dépôts et d’affaires. Ellecontribue cependant à les fonder en participant aux syndicats d’hommes d’affaire qui les créent. Ces entreprises captent ensuitel’argent des grandes firmes et de la moyenne bourgeoisie. Des maisons disparaissent, comme Perier, Fould ou Pillet-Will. Mais laplupart conservent une force et une influence de tout premier ordre. Celles-là participent aux syndicats d’émission de valeursmobilières et gèrent des fonds importants pour le compte de leur clientèle de grosses fortunes ou d’entreprises. Mais ellesressentent aussi la nécessité d’élargir leur dimension pour affronter les grandes banques. C’est ce qui explique la création en 1904de la Banque de L’Union Parisienne (BUP) par plusieurs maison de la Haute Banque : Hottinguer, Mallet, Mirabaud, Neuflize,Demachy, Vernes. D’ailleurs, les mœurs de la haute banque ont été renouvelées par des sociétés de négoce familiales qui ontreproduit, plusieurs décennies plus tard, le processus de transition du négoce à la banque, et l’entretien d’une maison de banquespécialisée. C’est notamment le cas de Worms.

Au 19° siècle, à côté de la haute banque parisienne, pullulent de nombreuses banques provinciales, sur les places locales.Chaque région est riche d’une pyramide de petits établissements bancaires qui tirent profit du relatif cloisonnement interrégional.Petites et moyennes banques locales, maisons d’escompte, maison de négoce et de banque font circuler argent et crédit. Peu àpeu des banques régionales se forment sur des places de moyenne dimension, alors que la Banque de France essaime et ouvredes succursales. La clientèle de ces petites banques provinciales est constituée de petits patrons du commerce ou de la productionartisanale et industrielle, et des agriculteurs. En province, on parle de « maisons d’escompte ». En dessous de ces maisonsd’escompte se sont multipliés les changeurs, courtiers, petites maisons de banque ou d’escompte locales. A Paris, on compte 180banquiers en 1838 ; en province, 100 banques locale vers 1820, mais 300 vers 1840. Ces « comptoirs » ajoutent souvent àl’escompte des prêts aux hommes d’affaires de leur terroir, la gestion d’un portefeuille d’assurances, et le démarchage pour placer

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les titres mobiliers. A Lyon, la place dispose d’abondants capitaux, et 21 maisons de banque (dont 7 appartenant à des négociantssoyeux – banquiers…) atteignent dans les années 1840-1860, une dimension qui leur fait dépasser les petites banques d’escompteet leur confère le statut de haute banque rhodanienne : ce sont Galline, Veuve Guérin, Morin-Pons, Aynard-Rüffer, Droche-Robin,Cottet, Saint-Olive. L’escompte est donc aisé à Lyon car on y offre souvent un taux inférieur à celui de la succursale locale de labanque de France, qui n’ouvre ici qu’en 1848. En 1870, Lyon compte encore 17 maisons locales, tandis que dans les alentoursVillefranche-Sur-Saône en héberge 5, Grenoble 5, et Vienne, Mâcon, Roanne ou Oyonnax 3 chacune. Ce sont souvent desnégociants qui y font office de banquiers, et qui parfois se spécialisent dans la banque comme le marchand de confiserie, Rive, quiouvre à Belley en 1849 l’ancêtre de l’actuelle banque régionale de l’Ain. A Toulouse, le négoce a suscité l’émergence de la banqueCourtois, qui a traversé 3 siècles. Mais partout, la hantise des milieux d’affaire est le resserrement du crédit et l’impossibilité dedisposer de suffisamment de liquidités sur place ; leur souci est d’obtenir la diminution du prix de l’argent, c'est-à-dire l’abaissementdes taux d’intérêt pesant sur l’escompte des effets de commerce et des lettres de change. Et l’escompte est essentiel aux affaireslocales. Or la plupart des banques locales d’escompte n’ont pas assez de « surface », c'est-à-dire de capital, de réserves. Trop peudiversifiées dans leurs activités et étroitement associées aux activités industrielles et agricoles de leur terroir, elles en connaissentaussi les aléas : en cas de récession , tous leurs clients deviennent insolvables ou manquent de fonds en même temps : l’argentdevient rare et cher. Dans ces cas, l’appoint de Paris est indispensable, comme lors de la forte crise de 1827-1831, où 26 banquesparisiennes apportent 5 millions de FF de crédits pour soutenir les banques alsaciennes défaillantes, coincées entre l’argentimmobilisé dans des prêts et des demandes de remboursement. Lors de la crise économique de 1845-1848, les places bancairessont comme paralysées, ce qui aggrave la récession. Aussi en 1848, l’Etat et les municipalités créent des comptoirs d’escomptedans 66 villes pour enrayer ce marasme et pour réanimer le commerce ; certains de ces comptoirs vont en fait devenir des maisonsrobustes après leur privatisation dans les années 1850 (comptoir d’escompte de Mulhouse, comptoirs d’escompte de Rouen,comptoirs d’escompte du Nord ancêtre du Crédit du Nord, comptoirs national d’escompte de Paris lointain ancêtre de la BNP, quiest privatisé en 1853 et devient en 1857 le comptoirs d’escompte de Paris jusqu’en 1889). Mais les milieux d’affaires souhaitentdes maisons plus résistantes, dotées d’une clientèle plus large, plus variée, ce qui permet de diviser les risques et d’accroître levolume des opérations, donc des occasions de profits. Aussi, dans les régions où l’économie est déjà riche, ils soutiennent lacréation de maisons où sont représentées au conseil d’administration et au capital les grandes figures familiales de la région : ainsinaissent Dupont dans le Nord en 1818, Joire en 1826, Scalbert en 1837. A Bordeaux, les gros négociants s’entendent pour gérer laBanque de Bordeaux entre 1818 et 1848 : parmi ses 160 plus gros actionnaires, on compte 136 négociants ; elle émet des billetsde banque, escompte les lettres de change et les effets de commerce, assure le recouvrement des effets, accueille des dépôts eteffectue des avances. De même la Banque de Rouen, entre 1817 et 1848 associe le métier de banque d’émission locale etl’exercice encore timide de la banque d’escompte. De son côté, le gouverneur de la Banque de France éprouve quelques difficultéà convaincre les régents qui l’épaule, et qui tous appartiennent peu ou prou à la haute banque parisienne, à élargir son champd’intervention à la province. Eux veulent qu’elle reste la banque du réescompte du négoce parisien. De plus, la province ne fait pasnécessairement non plus bon accueil à cette idée et préfère disposer de ses propres maisons de réescompte, mais ces dernièresne sont pas à la hauteur de l’enjeu. Dotée en 1848 du monopole de l’émission des « billets de banque » et du réescompte, laBanque de France créé des succursales sur les principales places du pays : 24 en 1848, 74 en 1870, 159 en 1936. De cettemanière, la circulation de l’argent papier devient rapide et facile ; ce papier devient « bancable », c'est-à-dire que la Banque assureson recouvrement grâce à la succursale : il n’y a plus besoin de faire remonter ce papier au siège parisien de la Banque de France.La succursale locale de la Banque de France assure aussi la fonction de réescompte, avec les « 3 signatures » : le créancier,l’emprunteur, le banquier ou l’escompteur (qui prête au créancier). Par ailleurs, la Banque de France habitue les négociants àl’usage des billets de banque en grosses coupures. La Banque de France s’impose peu à peu comme un intermédiaire quasi-incontournable dans les affaires locales. L’essaimage des grandes banques nationales, et la multiplication des succursales de laBanque de France, ainsi que la multiplication des voies de chemins de fer et de routes, désenclavent peu à peu les régions, etbrisent les rentes de situations locales. Le coût du crédit diminue peu à peu partout, et la circulation de la monnaie s’accélère.Beaucoup de maison de banque locale sont absorbées ou disparaissent. La fonction bancaire du négoce s’effrite ; les grandsétablissements nationaux et la Banque de France portent un coup très dur aux petites banques locales, dont les propriétairesrégnaient jusqu’alors en maître sur leur localité. Les concurrents redoutables qui s’installent maintenant en face d’eux proposentdes conditions d’escompte avantageuses et propose à leur clientèle toutes sortes de titres ; par ailleurs, leur moyens ne sont pasaussi limité que ceux des banques locales ; celles-ci sont désertées. Cependant, les banques locales gardent également desavantages aux yeux de la bourgeoisie locale : relations de discrétion, de fidélité et d’intimité, « sur mesure » avant la lettre ; deplus, les hommes d’affaires de la place sont souvent ses actionnaires, voire ses administrateurs ; aussi certains établissementsprovinciaux résistent à la concurrence : ainsi de la famille Le Picard qui anime le comptoir d’escompte de Rouen à partir de 1848,et en assure la transformation de société mixte en firme privée en 1854 et en société anonyme en 1875, la dynastie familiale enconservant le contrôle jusqu’en 1935 car cette banque répond aux besoins des fabricants et négociants en coton ; des créationsapparaissent même à la fin du siècle : ainsi des Charpenay à Grenoble, des Laydernier à Annecy ; d’autres grossissent par fusionou absorption : ainsi de la Banque Régionale du Centre, qui regroupe 3 comptoirs à Digoin, Roanne et Charolles en 1913, ou labanque de Savoie à Chambéry, née en 1912 et qui absorbe 7 autres banques locales. Certaines banques moyennes établies dansdes villes de moyenne importance parviennent à se maintenir jusqu’à la Belle Epoque, où elles profitent de la reprise des affaires etaugmentent sensiblement leur capital : ainsi de la banque Dupont qui double son capital dès 1900 ; d’autres se sont du même couptransformées en sociétés anonymes ou ont fusionné, comme 2 banques de Caen qui donnent naissance en 1913 à la sociéténormande de banque et de dépôts, ou la même année, les banques d’Angers et de Cholet qui créent le Crédit de l’Ouest. Surtout,ces banque de taille moyennes, nées dans quelque capitale régionale, se développent de manière à couvrir peu à peu une régionentière, ouvrant à leur tour plusieurs guichets dans diverses localités, et en absorbant d’autres petites banques locales : c’est larégionalisation bancaire. En 1954, parmi les 268 banques de dépôts, figurent ainsi 158 banques locales et 22 banques régionales.Plusieurs de ces banques régionales, désormais dotées d’un réseau d’agences, sont animées par des dynasties familiales, ettoutes ont réussi à s’associer aux affaires de la région qu’elles couvrent. Cette communauté d’intérêt s’exprime notamment ar leurprésence au conseil d’administration : c’est le cas de Scalbert et de Dupont, figures de proue de l’économie nordiste. Après lerapprochement avec le groupe CIC, leurs 2 banques fusionnent dans Scalbert-Dupont en 1976. L'évolution régionaliste desbanques locales concerne également le comptoir d'escompte de Mulhouse, la banque de Mulhouse, en Alsace, la banqueTarneaud à Limoges, propriété de la famille de la fondation en 1809 à la nationalisation en 1982, ou la maison Varin-Bernier enChampagne-Ardenne, qui reste longtemps une affaire de famille. A ce grossissement spontané de banques familiales ouenracinées dans une communauté d’affaire régionale s’ajoute le patronage du CIC (Crédit Industriel et Commercial). Plutôt que demonter un réseau d’agences nationales comme ses consœurs, cette banque née en 1859 décide de se cantonner dans la régionparisienne et de s’entourer de banques provinciales amies. C’est que jusqu’à la loi de 1867, il fallait une autorisation de l’Etat pourcréer une société anonyme ; aussi l’aide du CIC, bien inséré dans les réseaux d’influence de la capitale, est-elle utile pour édifierune banque… Le CIC parraine donc la création de la Société Marseillaise de Crédit en 1864 et de la société lyonnaise de dépôts,

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de compte courant et de crédit industriel en 1865, et la transformation du comptoir d’escompte de Lille, né en 1848, en société decrédit industriel et de dépôts du Nord en 1866, qui devient le Crédit du Nord en 1871. Puis c’est l’expertise du CIC dans lapromotion des banques provinciales qui fait de lui un partenaire utile : il soutient la naissance de la Société Bordelaise de Crédit en1880 et de la Société nancéienne en 1881. très vite cependant, les milieux d’affaire provinciaux s’émancipent de la tutelle du CIC,jugé « trop parisien »… Le Crédit du Nord mène une vie indépendante à partir de 1876 ; de même, la société marseillaise affirmeson autonomie, autour de notabilités animant la chambre de commerce, les armateurs, les négociants (qui avaient fourni 30% desactionnaires fondateurs pour 34% du capital initial), les agents de change de la Bourse locale. A la Société Lyonnaise, lescapitalistes locaux conquièrent aussi le contrôle du capital, derrière le banquier local Edouard Aynard, homme d’affaire présentdans plusieurs grands conseils d’administration et animateur des milieux patronaux libre-échangistes et modernistes de la place :ils souscrivent l’essentiel du doublement de son capital en 1879, puis ils apportent 10 millions de FF supplémentaires en 1881 et enprennent la majorité, avec l’accord d’un CIC inquiet de leur projet de création d’une banque concurrente. La Société Lyonnaises’affirme alors comme l’instrument d’une vive autonomie bancaire régionaliste ; elle apparaît désormais comme l’émanation despatrons du cru, d’autant plus que le Crédit Lyonnais fait figure, à partir des années 1880, de banque nationale, surtout après letransfert en 1882 de son siège central à Paris. Dans les régions riches, les milieux d’affaires souhaitent donc édifier une banquerégionale qui allie la puissance indispensable et la soumission aux intérêts locaux plutôt qu’à des intérêts exogènes aux milieuxd’affaires locaux, soucieux de la discrétion des opérations et de leur indépendance vis-à-vis des affairistes parisiens. Contrairementaux cadres des grandes banques parisiennes, qui sont régulièrement mutés, les banquiers régionaux sont stables, ce qui met plusen confiance les milieux d’affaire locaux. Par ailleurs, ces banquiers régionaux sont souvent issus de grandes familles de notableslocaux, comme Camille Riboud à Lyon. Ainsi est défini le principe de donner à la société lyonnaise le caractère d’une banquerégionale. Elle développe des agences dans les principales places d’affaires de la région et se rapproche des PME dans lesquartiers et bourgades industrieux. Sa prospérité repose sur son intimité avec nombre de firmes régionales, parmi les plusimportantes, auxquelles elle accorde de plus en plus souvent des avances sur titres et des découverts. Elle favorise leur collecte deressources longues, grâce à son activité de placement de valeurs mobilières. Si elle reste la banque de la soie, elle enrichit sonportefeuille clients des firmes issues des deux vagues d’industrialisation de la région, comme dans les houillères, la sidérurgie et lamétallurgie, le gaz, la métallurgie non-ferreuse, l’automobile, le verre et la chimie… A la veuille de la 1° guerre mondiale et dans lesannées 20, les banques régionales affirment leur dynamisme. La société marseillaise de Crédit prend son essor dans les années1870 quand la loi la dégage de multiples restrictions réglementaires et que la « mise en valeur coloniale » relance le portmarseillais…c’est bien la banque du capitalisme marseillais, liée à l’alimentation (huileries), aux services (armement maritime), àl’immobilier, aux assurances, et proches des grandes entreprises nouvelles (Grands travaux de Marseille, Energie Electrique dulittoral méditerranéen, Chantiers de Provence), même si elle accueille d’amples capitaux parisiens. Cette politique audacieusedevient téméraire avec le boum des années 1905-1906 et des spéculations suscitent le repli vers la liquidité de banque de dépôt en1908 et 1912, stratégie confirmée par la création à partir de 1913 d’un réseau d’agences. Les banques régionales sont en étroitcontact avec les chefs d’entreprises et leurs régions et capables de suivre leurs affaires ; elles travaillent plus avec leur capitalpropre, mais moins sollicitées pour des remboursements à court terme, elles se lancent dans l’investissement industriel : ce sontles banques nancéiennes qui se sont lancées le plus loin dans cette voie, en apportant leur soutien aux société qui « mettent envaleur » au début du 20° siècle le bassin métallurgique de Meurthe-et-Moselle, toute la région de Briey et de Longwy… Ellessoutiennent aussi les papeteries des Vosges ou l’industrie thermale à Plombières. Cette capacité d’investissement décuplée estlargement due à des rapports de confiance étroits. Les banques lorraines se refinancent en réescomptant à la Banque de Francedes effets qui représentent jusqu’à 60% de leur bilan annuel parce qu’ils sont officiellement à court terme, alors qu’en fait lesrelations de confiance qu’elles entretiennent avec les milieux d’affaires locaux leur permettent dès cette époque d’accorder ducrédit à moyen terme, invention que l’on croyait beaucoup plus récente. Par ailleurs, de manière complémentaire, ces banquespréparent l’émission des actions et des obligations des sociétés industrielles et assurent le classement de ces titres dans lesportefeuilles de leurs clients. De son côté, le Crédit Nantais développe son réseau d’agences sur la côte méridionale de laBretagne, s’établit à Lorient et Quimper, et entretient avec les usines de ces localités des rapports qui lui valent le surnom de« banque de la conserve ». derrière cette essor des banques régionales, il y a le soutien de nombre d’hommes d’affairesprovinciaux hostiles au centralisme des banques parisiennes. Pourtant, elles subissent la concurrence des grandes banquesnationales qui démultiplient leurs guichets en province, en offrant souvent des conditions de banque plus alléchantes, à des tauxd’intérêt moins élevés, un escompte facile à la place des découverts coûteux que les banque régionales favorisaient. Finalement labanque régionale qui réussit est celle qui devient une banque nationale : Le Crédit Lyonnais dans les années 1880-1910, ou lecomptoir d’escompte de Mulhouse, qui franchit les Vosges au tournant du 20° siècle, achète 28 banques locales et ouvre plusieursagences dans l’Est et le centre-est de la France, soit un réseau final e 59 succursales ; en 1913, celui-ci est intégré à une filiale destatut français, à une époque où le rattachement direct à un établissement installé en Alsace allemande « choquait lepatriotisme français ». Cette nouvelle banque, la banque nationale de crédit (BNC), devient dans les années 1920 la 4° banque dedépôt française avant de se transformer en BNCI en 1932, ce qui fait d’elle l’un des ancêtres de la BNP actuelle. Mais le comptoird’escompte de Mulhouse relance sa stratégie de croissance entre temps, comme banque régionale alsacienne par de nouvellesabsorptions : 57 sièges en 1930, avant d’être intégré en 1930 dans son ex-filiale, la BNC. De la même manière le Crédit du Nordcherche à s’extraire de son terroir et à s’affirmer comme une grande banque plurirégionale. Héritier du comptoir d’escompte dunord de 1848, il commence par absorber les banques de la région, comme la Banque générale du nord en 1934 ; de 117 siège en1927 et 230 en comptant les bureaux périodiques, il dispose bientôt d’un réseau de 310 sièges en 1936 et devient après laseconde guerre mondiale une banque nationale. A son réseau il a ajouté celui de la Banque de l’Union Parisienne – Compagniefrançaise de crédit de banque, avec laquelle il a fusionné en 1974 après le rachat de 2 banques par Paribas, l’une en 1968, l’autreen 1972. Il compte dès lors parmi les 10 à 12 premières banques françaises. Le Crédit du Nord anime en outre un réseau debanque locales où il détient de fortes participations et qui sont ses « correspondants » : Tarneaud à Limoges, Nicolet Lafanechèreet De l’Isère à Grenoble, Lenoir et Bernard à Amiens, Arnaud Gaidan à Nîmes, Nuger à Clermont-Ferrand, et Pouyanne à Orthez.Mais malgré cette envergure, il peine au tournant des années 1980 à déterminer son dessein ; comme banque nationale, le Créditdu Nord souffre de l’érosion des industries traditionnelles du Nord-Pas-de-Calais, et des déboires de certaines de ses entreprisesclientes (sidérurgie, immobilier). Il tente alors de consolider ses structures, de rénover son fonctionnement, et de se doter d’uneimage de marque positive. Il se tourne alors vers sa vocation de banque interrégionale : le Crédit du Nord réunit en 1989 sesagences de la région Rhône-Alpes et la banque Nicolet Lafanechère et De l’Isère dans la Banque Rhône-Alpes ; il maintient sesrelations avec les banques locales associées et achète Courtois à Toulouse en 1991. Il accentue entre-temps son enracinementdans le Nord, conservant son siège social à Lille, collecte 33% de ses dépôts dans la région Nord-Pas-de-Calais et y distribue 28%de ses crédits : il s’y affirme comme la première banque non-mutualiste ; il y exploite 2 300 de ses 8 300 salariés en 1988. Sonsiège de Lille bénéficie d’une large autonomie, puisqu’il décide lui-même pour 99% des prêts, ceux inférieurs à 25 millions de FF.Le Crédit du Nord a aussi une forte participation dans la banque locale « Joire, Pajot, Martin », née à Tourcoing en 1827. D’autresbanques régionales passent au contraire sous le contrôle de Paris : ainsi à la fin des années 1920, les financiers Bauer et Marchal

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entourent leur Banque Bauer-Marchal d’une confédération lâche de banques, avec la banque Adam, la banque privée Paris-Lyon-Marseille, la Banque du Rhin, et en 1927, la puissante Banque d’Alsace-Lorraine. Le CCF (Crédit Commercial de France) achète laBanque de Bordeaux en 1917 et la banque de Mulhouse en 1927 et les agrège à son réseau. La BNC reprend 37 banques localesentre 1913 et 1930, en plus du comptoir d’escompte de Mulhouse, comme la banque du Sud-Ouest à Bordeaux, successeur de lamaison Samazeuilh, née en 1812 et devenue le fleuron de la place par sa clientèle d’affaires ; son successeur, la BNCI, accentuecette tendance en achetant entre 1932 et 1936, 6 banques, dont les grosses banques Renauld à Nancy et Banque du Dauphiné,puis dans le Sud-Ouest, la banque Guilhot dans les années 1950. Certains réseaux de banques régionales cherchent alors pourfaire face à la concurrence parisienne de l’affronter sur son propre terrain, Paris : ainsi le CIC monte en 1885 le Syndicat desBanquiers des Départements, qu’il gérait pour faire accéder quelques 200 banques locales à des courants d’affaires nationaux.D’autres banquiers se sont fédérés hors de la sphère d’influence d’une grosse banque telle que le CIC pour parvenir au mêmeobjectif : ils créent en 1904 la Société centrale des banques de province, mais elle s’écroule en 1921 et vivote jusqu’en 1933.D’autres, nombreuses, se sont rapprochées finalement des banques parisiennes, dont elles deviennent les correspondantsprivilégiés et à qui elles ouvrent leur capital, comme Laydernier d’Annecy ou Chalus de Clermont-Ferrand vis-à-vis du CréditLyonnais. La Banque Générale du Nord s’est associée à la BUP (Banque de l’Union Parisienne) dès sa création en 1919 lorsqu’ellesuccède à la Banque Verley-Decroix ; elle devient une ample banque régionale, forte de 150 agences dans les années 1920, avantqu’elle ne soit absorbée par le Crédit du Nord en 1934. la Sogenal a institué quant à elle un style original de banque régionaleautonome, mais fédérée à une banque nationale, la Société Générale. Lorsque l’Alsace-Lorraine devient allemande en 1870, celle-ci a en effet du mal à gérer les agences qu’elle y avait ouvertes en 1866 (Strasbourg) et en 1870 (Mulhouse, Colmar) ; aussi créé-t-elle la Sogenal (Société Générale Alsacienne de Banque) en 1881. Elle en détient un gros tiers du capital, souscrit en majorité parles alsaciens : 85% des 12 500 actionnaires résident dans les trois départements annexés et détiennent 53% du capital. Ellerayonne en Allemagne, avec un siège à Francfort en 1886 ou à Mayence en 1894. Elle se déploie enfin au Luxembourg en 1893, etpendant quelques années à Lausanne. En 1918, la Société Générale accepte de maintenir son autonomie, pour respecter leparticularisme rhénan, ses liens immédiats avec les milieux d’affaires locaux à son conseil d’administration : on parle alors de la« fille majeure », de la « fille émancipée » de la société générale. Elle renforce alors son implantation allemande à Cologne,Ludwigshafen, Düsseldorf, Sarrebruck, et s’installe à Zurich en 1926. Tout s’effondre dans les années 1930 avec le nazisme. Maiselle revient après la seconde guerre mondiale en Allemagne, à Cologne dès 1949, à Francfort en 1975, elle ouvre un siège àLuxembourg en 1956, à Genève en 1970, elle créé une filiale bancaire en Autriche en 1972 ; en 1975 enfin, elle absorbe la SociétéFrançaise de Banque et de Dépôts, filiale belge de la Société Générale. Voilà une banque régionale à vocation internationale et quise veut la « plus européennes des banques régionales », soutenue par la Société Générale qui en fait son outil de pénétration surle marché bancaire d’Europe germanique. Mais la majorité des banques régionales qui ont subsisté se sont intégrées peu à peudans la « confédération » du CIC. Juste avant la première guerre mondiale, le CIC, d’origine parisienne, décide de s’implanter enprovince, en montant des banques régionales dont il devient l’actionnaire clé des établissements existants à la recherche d’unpartenaire ou souffrant de difficultés financières. Et il y exerce son contrôle pour qu’elles ne lui échappent pas comme dans lesannées 1870 ; d’un autre côté, il bénéficie de leur expérience dans leur terroir. Cette insertion du CIC dans les provinces s’intensifieentre 1818 et 1927 ; puis en 1928, un accord de coopération et d’entraide est conclu par le « groupe des banques affiliées » auCIC. Ainsi naît en 1929 une filiale commune, l’Union des Banques Régionales (UBR), qui se consacre au crédit à moyen terme,alors que le CIC accentue sa vocation de correspondant parisien de ces banques régionales. Lors de la crise bancaire de 1931-1932, le CIC renfloue plusieurs banques régionales dont il répartit les agences entre les membres de son groupe. A partir de 1983et la nationalisation qui fait de l’Etat et du CIC les seuils propriétaires de chaque partie du groupe, c’est une holding centrale, laCompagnie Financière du CIC (elle même contrôlée par l’Etat et de plus en plus par les assurances GAN, majoritaires à partir de1989) qui obtient le contrôle des banques régionales. Le réseau parisien est regroupé dans le CIC-Paris. A la fin du 20° siècleparadoxalement, alors que se renforcent les grands groupes d’argent à l’échelle européenne, avec des bilans dépassant les 1 000milliards de FF, la « banque régionale » redevient une réalité vivante et une petite centaine de maisons régionales figurent parmiles 200 plus gros établissements par leur bilan en 1990 : 40 étaient entre 15 et 90 milliards de FF de bilan, 37 entre 10 et moins de15 milliards de FF. parmi les 18 établissements forts d’un bilan de plus de 20 milliards de FF, se pressent 11 banques que l’onappelait « non-inscrites », aux côtés de 5 banques du groupe CIC, de la Sogenal et de la Société Marseillaise de Crédit. Lesnationalisations de 1982 et l’alternance politique par la suite ont créé quelques « traumatismes », notamment quand les équipesdirigeantes se sont succédées sans continuité, même si des équipes de cadres supérieurs « gardaient la maison ». La durée de 3ans du mandat des présidents de banque publiques est trop courte pour garantir la stabilité nécessaire à une œuvre de longuehaleine. Pendant cette période, une certaine mode apparaît en faveur du régionalisme bancaire. Le GAN se fait l’apôtre durégionalisme bancaire « rénové » et s’engage dans le « renforcement des synergies » au sein de la confédération du CIC dont ilest devenu propriétaire. Des agences communes entre l’assureur et le CIC sont mises en place dans les régions, et cherche à tirerprofit du profil sociologique de cette banque tournée vers les « classes moyennes et huppées » et vers le patronat des PME. Deleur côté certaines banques parisiennes filialisent certains réseaux régionaux : le crédit du Nord propriétaire de la limousineTarneaud, monte la banque Rhône-Alpes, reprend Courtois à Toulouse et Kolb dans l’Est, le CCF lance le crédit commercial duSud-Ouest, par filialisation de son réseau dans ces contrées, en fait hérité de la vieille Soula, De Trincaud Latour - Banque deBordeaux ; il conserve le contrôle de Chaix à Avignon et de la banque de Picardie, des liens avec la banque de Savoie et rachèteen 1992 la petite banque Marze en Ardèche. Suez et la Générale de Banque, proches de la Générale de Belgique, possédée parSuez, conçoivent en 1991-1992 la Banque régionale du Nord à partir de la succursale de la Banque parisienne de crédit, que lesdeux partenaires contrôlent en commun et qui comme le CIC-Paris, fait figure de Banque régionale francilienne, avec près de 70agences, tout en contrôlant un noyau de petites banques provinciales (comme Dupuy de Parseval, en Languedoc). Même laDresdner Bank s’est bien gardée de détruire la structure autonome de la banque lyonnaise Veuve Morin-Pons dont elle avait pris lecontrôle. Enfin le modèle de la banque régionale semble être la clé des restructurations du Crédit Agricole, des banques populaireset des caisses d’épargne. L’apprentissage de la banque universelle (toutes pratiques bancaires) dans le cadre de la banquerégionale se développe peu à peu. Mais les banques régionales de la finn du 20° siècle n’ont plus grand chose de commun aveccelles de la période 1900 au krach de 1930. A part quelques exceptions comme la petite Pelletier-Dupuy de Dax, elles sont pour laplupart intégrées dans des fédérations qui leur assure une pérennité (image de marque, services en commun, réseau international,conception de produits financiers, relations avec les grandes entreprises). En outre, le gonflement des fonds propres est facilité parl’accès de la société holding au marché financier ou à la bourse de son actionnaire stratégique (Paribas-Crédit du Nord, GAN-CIC).

Les changements amples de la « première révolution bancaire de 1750-1850 » ont permis aux banques de contribuer fortement àla croissan,ce de la proto-industrialisation puis de la première étape de la révolution industrielle ; Mais au milieu du 19° siècle,même si certaines disposent de capitaux abondants, ces banques conservent des aspects traditionnels : structure de gestion et depropriété familiales, concentration de l’activité sur le seul siège social, etc. Aussi une « seconde révolution bancaire de 1850 – 1930» va bouleverser l’économie tertiaire marchande. C’est une révolution de la collecte des dépôts et de l’épargne financière. La

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montée en puissance de la haute Banque ne suffit pas après 1850 à soutenir l’ampleur des besoins de l’industrialisation et del’équipement ferroviaire, tant en France qu‘hors des frontières. Les saint-simoniens réfléchissent à des méthodes de rénovation del’économie et de la société et répandent la notion de « bourgeoisie conquérante »dans cette école de pensée se regroupent dessavants, des économistes, des banquiers, des manufacturiers, des hommes de plume, qui inspirent les entrepreneurs des années1850, tel Talabot, Lesseps, Arlès-Dufour ou les Pereire. Sur le plan bancaire, ils veulent voir l’édification de banques audacieuses etpuissantes, capables par d’immenses capitaux de soutenir l’industrialisation, à l’exemple de la Société Générale de Belgiquefondée en 1822. Il apparaît nécessaire de constituer des ba,nques dont la surface financière leur permet de tenir le choc à chaquerécession. On réfléchit aussi à la formation d’un organisme capable de « refinancer » les banques pour éviter le resserrement ducrédit, qui asphyxie encore plus l’économie en récession. Le besoin d’une Banque Centrale plus vigoureuse se fait jour. Plusieurstentatives surgissent pendant la première moitié du 19°, comme celle de Jacques Laffitte. Il faut attendre l’épanouissement desidées saint-simoniennes sous le second Empire et l’arrivée à maturité de la révolution industrielle pour que « l’utopie » saint-simonienne débouche sur l’éclosion de nouvelles banques. Ainsi le « discours de Bordeaux » de 1852 est un programme dedéveloppement économique bonapartiste inspiré par la pensée saint-simonienne. Cela se traduit notamment par l’établissement dulibre-échange dans les années 1860. la puissance internationale passe aussi par l’expansion financière extérieure ; le desseinnapoléonien coïncide avec les aspirations des milieux d’affaire et les projets saint-simoniens, tandis que l’instauration de ladictature permet de court-circuiter les débats parlementaires qui avaient freinés les projets dans les années 1840. L’exemple de ce« renouveau » est fourni par les Pereire. Malgré les réticences de fonctionnaires méfiants, l’Etat accepte la création de grandesbanques : le crédit industriel et commercial en 1859, le Crédit Lyonnais en 1863, la Société Générale en 1864, puis la Banque deParis et des Pays-Bas (Paribas) en 1872, fruit de la fusion de la Banque des Pays-Bas née en 1864 et de la Banque de Paris crééeen 1869. en 1874 enfin, le comptoir d’escompte de Paris s’émancipe de la tutelle publique et obtient le droit d’ouvrir des agences etd’intervenir sur le marché financier international sans autorisation gouvernementale. Puis une seconde vague de créations sedéploie au début du 20° siècle, avec la BUP (Banque de l’Union Parisienne) en 1904, la Banque Nationale de Crédit (BNC) en1913 et le Crédit commerciale de france (CCF) en 1917. La majorité de ces banques sont des banques mixtes, qui pratiquent à lafois le métier de banque de dépôts et de banque d’investissement (ou banque d’affaire). Mais peu à peu, une dichotomie entre cesdeux fonctions va s’opérer et les banques vont tendre à se spécialiser sur l’un de ces deux créneaux jusqu’aux années 1980.l’histoire du Crédit Lyonnais s’identifie à cette seconde révolution bancaire, d’autant qu’il a été le premier établissement national de1878jusqu’à la création de la BNP en 1966, avec un court intermède entre 1918 et 1929 où la société générale le supplante. En1914, il figure au premier rang des banques mondiales par la taille de son bilan, devant la Lloyds Bank anglaise. Des hommesd’affaires de la région lyonnaise (issus surtout de la métallurgie de la Loire, des sociétés gazières et soyeuses de Lyon) se dotentd’un outil bancaire à la mesure de leurs amples mouvements de capitaux et fondent le Crédit Lyonnais en 1863 : un esprit saint-simonien anime ses fondateurs, comme Arlès-Dufour, grand négociant international en soieries, et la direction de la banque. Aprèsavoir détenu 38% des comptes créditeurs et dépôts des 42 banques publiant un bilan en 1892, le crédit lyonnais rassemble encore23% du montant collecté par les 99 banques de 1913, devant la Société Générale (19%), le CNEP (15%) et le CIC (2%). C’estdonc bien une révolution dans la profession bancaire, avec la naissance d’un géant par rapport aux maisons les plus robustes de lahaute banque. Les Talabot et la Société Générale illustrent aussi ce mouvement. Mais la banque nouvelle est à la recherche deressources plus amples, et part en quête de dépôts ; il s’agit désormais de drainer plus d’épargne. Celle-ci se tournait jusqu’alorsvers les caisses d’épargne, lesquelles apparaissent dans les années 1820-1850 et se multiplient ensuite jusqu’à la guerre. Elles’adressait également aux notaires, parfois aux banquiers locaux, aux courtiers et démarcheurs en valeurs mobilières. Lesbourgeois fortunés plaçaient leurs fonds dans les maisons de la Haute Banque. Beaucoup de p^lacements s’effectuaient « enrente », c'est-à-dire en « titres de la dette publique perpétuelle » : les rentiers se constituaient une rente qui palliait l’absence desystème de retraite ; mais chez eux régnait surtout la thésaurisation, le « bas de laine » ; on stockait de l’argent sous forme depièces d’argent ou d’or, à une époque où on se méfiait encore avec raison des banques locales jugées incertaines, d’une Bourse« mystérieuse » et tout aussi malsaine, ou de billets de banque déconsidérés par le souvenir des assignats révolutionnaires ; etaussi en suivant l’exemple même des plus gros capitalistes, qui cherchent toujours à placer leur capital en nature plutôt qu’en« signe », preuve qu’eux-mêmes n’ont pas confiance dans le système dont ils profitent… ; les banquiers de la génération saint-simonien partent donc à l’assaut de cet argent thésaurisé : il s’agit de faire sortir l’argent des tiroirs pour le faire placer par labanque. Pour cela vont être mis en place de nombreux réseaux d’agences, jusqu’au fin-fond du trou du cul de Trifouilli-les-oies.C’est dans les places commerciales qu’on ouvre d’abord des agences, dans les villes-marchés où s’échangent de fortes sommesd’argent. Les banques s’implantent dans les villes de foires et marchés (notamment pour les marchés aux bestiaux) qui animentune tombée rurale, l’espace de déplacement des populations qui marquent le rayonnement d’une place commerciale. Les villesdisposant d’une gare ferroviaire sont également une cible évidente, où s’effectuent les correspondances entre le train et les autresmodes de locomotion, voitures à cheval, puis après la Grande Guerre, cars routiers. La seconde révolution bancaire est sœur de larévolution ferroviaire, sous le second empire. Le développement ferroviaire et le développement des agences bancaires rurale estd’ailleurs le fait des mêmes acteurs. « Ce que le chemin de fer est à la circulation terrestre des marchandises, la banque moderneva l’être à la circulation invisible des capitaux ». de plus, le commerce des marchandises décuplé suscite le commerce de l’argent,et tout en l’alimentant, s’en nourrit. Le volume et la mobilité de la monnaie de banque (dont la loi de 1865 sur les chèques vientasseoir l’usage) vont permettre aux moyens matériels de transport de se multiplier et aux marchés de s’élargir. A la chasse àl’argent des échanges s’ajoute la chasse à l’accumulation des richesses : il s’agit alors de donner la priorité à l’argent descampagnes, celui de la bourgeoisie rurale (négociants, professions libérales, notables) et de la paysannerie aisée, des « coqs devillages ». ou au drainage de l’épargne de la bourgeoisie urbaine plutôt cliente alors des banques du cru. Dans cette perspective decourse à l’implantation, les banques nouvelles se livrent une concurren,ce féroce, comme la Société Générale et le CréditLyonnais. D‘ailleurs, après la crise des années 1880, le Crédit Lyonnais hésite à réaliser les investissements nécessaires pourrépondre à son concurrent sur son propre terrain, le sud-est, comme ailleurs. En 1881, le directeur du Crédit Lyonnais explique auxadministrateurs de la banque qu’il s’agit pour celle-ci d’être en première position dans tous les départements. Des années 1890 à lapremière guerre mondiale, une première course aux guichets s’engage, à laquelle participe également le CNEP (comptoir nationald’escompte de Paris), qui après sa défaillance de 1889 est réorganisé selon les principes de la banque de dépôts. On assiste à unvéritable rush ba,ncaire dans certaines régions. A tel point que l’implantation de certaines agences confronte les banques à unetrop faibles clientèle : qu’à cela bne tienne, elle se contente alors d’ouvrir un bureau périodique, un ou deux jours par semaine ;laSociété Générale dispose ainsi de 470 bureaux périodiques en 1913, pour un total de 1097 sièges l’année suivante, dont 995 enprovince. Une seconde étape de cette dilatation des réseaux a lieu dans les années 1920 : les banques déjà anciennes amplifientleur pénétration du territoire : le réseau de la Société Générale atteint 1514 sièges en 1931 (permanents et périodiques) ; celui duCrédit Lyonnais atteint 1450 sièges ou agences (permanents et périodiques) en 1933. Places d’activités industrielles etcommerciales, place de marchés et de foire, sont visés prioritairement. Le développement de l’automobile facilite aussi les relationsentre des bureaux intermittents (périodiques) et le siège permanent dont ils dépendent. Des banques jeunes viennent concurrencerCrédit Lyonnais et Société Générale : le CCF se munit lui aussi d’agences dans les principaux centres ; la BNC ramifie également

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son réseau, avec 748 agences locales en 1930, dont la moitié sont permanents. Les 6 grandes banques que sont le CréditLyonnais, la Société Générale, le CNNEP, la BNCI, le CIC Parisien et le CCF offrent 4810 agences aux clients en 1935, tandis queles banques régionales en entretiennent 1140. Les 2514 banques sont fortes alors de 9150 guichets. Ceci bouleverse lagéographie de l’argent, mais déclenche aussi une révolution quantitative, la « révolution des dépôts ». Alors qu’il draine déjà 15 000déposants dès 1870, le Crédit Lyonnais en compte 80 000 en 1881 avant le krach de 1882, puis 693 000 en 1914 avant lapremière guerre mondiale. Les dépôts ainsi captés enflent considérablement : 382 millions de FF en 1882 (soit 66 milliards de FFde 1992), contre 2 200 millions en 1913 (soit 33 milliards de FF de 1992). Avec cet élargissement de la clientèle et la concurrenceinterbancaire sur ce terrain se développe également le démarchage et la publicité, la « réclame ». Le Crédit Lyonnais lance uneinitiative décisive en créant une caisse de dépôts productifs d’intérêts. Toute personne, quelque soit son état ou sa condition, peutainsi obtenir un compte courant au Crédit Lyonnais, à la seule condition d’effectuer un versement de 50 FF au moins. Par ailleurs,l’ouverture d’un tel compte, ainsi que la délivrance d’un carnet de chèques, ne coûte au départ rien au déposant. Le succès decette formule est dû notamment aux risques qu’encourent les populations en gardant à domicile ou dans leur commerce leurcapital : vols, incendies, économie de frais de caisse pour un commerçant, et intérêts de cet argent placé en banque, ainsi que lafacilitation des règlements ou virements entre particuliers. Mais les nombreuses faillites qui affectent les débiteurs des banquesrendent méfiants les déposants qui souhaitent pouvoir se faire rembourser leur argent captif de la banque. D’où un dilemme sur lanature des banques, entre banque de dépôts et banques d’affaire, ou entre banque commerciale (dépôt) et d’investissement(d’affaire). Ainsi au Crédit Lyonnais, un risque réel surgit d’un déséquilibre entre les engagements, les immobilisations(investissements, prêts) de l’argent, placé à court ou à moyen terme, et les ressources procurées par les dépôts, qui restentliquides, car accueillies sous promesse de remboursement immédiat en cas de besoin ; c’est dans ce sens que le Crédit Lyonnaiss’efforce de diminuer dans un premier temps les risques liés à ses débiteurs ; dès 1871, la banque se munit d’un service derenseignement et d’études sur les firmes et les pays, devenu la direction des études économiques et financières. Henri Germain,président du Crédit Lyonnais de 1863 à 1905 définit ensuite ce qui reste connu dans le milieu bancaire jusque dans les années1960 comme la « doctrine Germain ». Cette doctrine ou « charte » de la banque de dépôt est mise sur pied après plusieursdéconvenues : le crédit lyonnais a en effet investi dans des jeunes sociétés lyonnaises qui finissent par connaître des difficultés ;d’autre part, lors du krach bancaire de 1882, la valeur de son portefeuille titres est sérieusement atteinte ; alors les clients finissentpar s’inquiéter de ces aléas et retirent massivement leurs dépôts, qui chutent de 272 millions en décembre 1880 à 161 millions endécembre 1882. Germain impose alors l’abandon de la banque mixte, et fixe les « règles d’or » du crédit lyonnais : l’avoir en caisse(argent liquide) et les emplois rapidement mobilisables (prêts à très court terme, placements au jour le jour chez d’autres banquiersou à la banque de France) doivent correspondre aux dépôts à vue et aux comptes créanciers, afin de permettre lesremboursements aisés en cas de crise de confiance. C'est-à-dire que sans tenir compte de la valeur boursière du capitale,artificielle, la banque doit toujours disposer d’une réserve sous forme d’argent liquide, correspondant à la totalité des dépôts, et nonmobilisable pour d’autres opérations. La direction contracte donc alors de moitié les crédits et avances, pour redonner sa liquidité àson argent : « ce n’est pas notre métier d’être des entrepreneurs, mais de prêter aux entrepreneurs en leur laissant les risques.Dès lors, le Crédit lyonnais oublie quelques peu sa vocation « saint-simonienne » et réserve ses crédit à l’Etat ou aux grandescompagnies. Après ce rééquilibrage, Germain estime que le Crédit Lyonnais est en fait devenu une seconde Banque de France« mais libre de toute réglementation gênante ». l’objectif des banquiers entrepreneurs de la première révolution industrielle, c’est lamise en place d’un réseau de placement de titres boursiers, les actions, les obligations ; il s’agit de « réveiller l’épargne qui dort » etfaire souscrire aux rentiers le « papier » émis par les sociétés. Le banquier est ainsi un intermédiaire entre les capitalistes,détenteurs de patrimoine et demandeurs de capitaux, de la même manière que le négociant est un intermédiaire entre lesproducteurs et les commerçants… ; or les fortunes françaises connaissent une profonde évolution dans la seconde moitié du 19° :jusqu’alors orientées vers la pierre et la terre, elles se tournent de plus en plus vers les placements mobiliers, l’achat de valeursboursières, dont le rendement est plus élevé : celles-ci accaparent 55% des fortunes françaises en 1911 contre 45% en 1869, maisles rentes d’Etat ou placements publics y occupent une place majeure. Dans certaines régions, le poids des placements mobiliersest considérable, comme dans les Vosges, la région parisienne, la Somme, la Meurthe-et-Moselle, le Nord, c'est-à-direessentiellement les régions les plus industrialisées. L’Etat lui aussi accentue ses « besoins d’argent » sous le Second Empire, enlançant des emprunts, notamment pour financer la guerre, le déficit budgétaire et l’équipeme,nt urbain : c’est ainsi que près de 3.5milliards de rente publique sont émis entre 1852 et 1865 (soit environ 52 milliards de FF de 1992). De plus en plus de souscripteurss’arrachent ces titres obligataires : 99 000 pour l’emprunt de 1854, 872 000 pour l’emprunt de 1868. On va jusqu’à parler de« démocratie obligataire »… ; ces titres sont relayés par les fameux emprunts de la libération de 1871-1872, lorsqu’il faut payer auxallemands de fortes indemnités de guerre après la défaite des armées françaises : 5.7 milliards de FF sont demandés par l’Etat parle biais des banques, qui se voient offrir plus de 48 milliards par les souscripteurs…dont la moitié par des souscripteurs étrangers.Désormais les banques aident l’Etat dans sa quête de l’épargne, en un flux régulier, accentué par la reconstruction suite à la guerre1914-1918. Les entreprises lèvent de plus en plus de fonds en bourse, elles émettent des actions et obligations pour financer leurdéveloppement ; les compagnies de chemins de fers sont particulièrement impliquées sur le marché boursier : 5 milliard de FF sontémis entre 1852 et 1865 pour financer les grands réseaux (soit près de 74 milliards de FF de 1992), et il y aurait quelques 700 000détenteurs de valeurs ferroviaires en 1880. Si l’on regroupe tous les porteurs d’obligations publiques et privées, on atteint le chiffre(symbolique) de 3 700 000 français en 1873 (mais certains possèdent de nombreux titres…) les petites et moyennes bourgeoisiesurbaines et rurales participent à cette « révolution de l’épargne ». Les acheteurs se ruent sur des valeurs dont les cours et lesdividendes grimpent régulièrement, comme les titres de compagnies ferroviaires et houillères, des services publics locaux (gaz,électricité, eau), de la compagnie universelle du canal maritime de Suez, de certaines grosses firmes industrielles solides, et desociété financières (grandes banques, Banque de France, alors société privée). Proust s’amuse de cette frénésie boursicoteuse quialimente l’entregent de certaines familles bourgeoises (cf. « à l’ombre des jeunes filles en fleur » et « à la recherche du tempsperdu »). La Belle Epoque est celle du Boum de l’actionnariat que l’on appelle tout à fait abusivement « populaire », mais quicorrespond en fait à la diffusion des valeurs mobilières dans la petite et la moyenne bourgeoisie. Les actionnaires de la SociétéGénérale passent de 14 000 à 122 000 de 1899 à 1914. Aux entreprises et à l’Etat français s’ajoutent en outre les entreprises etEtats étrangers : c’est alors la flambée « populaire » des emprunts russes, mais aussi des valeurs de l’Etat ou des sociétésottomans, de titres d’Amérique Latine ou des Etats-Unis. Pendant les années 1920, les exigences de la reconstruction détournentl’épargne vers les titres publics, l’Etat empruntant directement ou par l’intermédiaire d’organismes comme le Crédit National et lesassociations de sinistrés. Les banques de dépôts sont alors les moins touchées parce qu’elles louent littéralement leurs guichets àl’Etat pour les émissions du Trésor (touchant au passage des commissions), mais les banques d’affaires qui avant guerrenégociaient les emprunts avec les Etats étrangers et qui constituaient des sociétés à l’extérieur du pays n’eurent plus que deséléments d’activité médiocre. Avec l’inflation et la chute du franc, les banques de dépôts finissent à partir de 1924 par être aussitouchées que les banques d’affaires, le public ne s’intéressa,nt plus qu’aux valeurs étrangères, plus rémunératrices : or ces valeursétrangères, les banques françaises ne pouvaient plus les procurer à leurs clients, suite à la loi sur l’exportation des capitaux (entre1918 et 1928). Le public achetait donc directement ces valeurs en bourse. Le commerce de titres si florissa,nt avant 1914,

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principale source de bénéfice des banques, traverse après la guerre une crise des plus graves. Mais entre 1927 et 1930, aprèsl’assainissement réalisé par Poincaré, l’activité capitaliste reprend de plus laide. Les opérations capitalistes procurent aux banquesune part significative de leur volume d’activité (avec beaucoup de manipulation de papier), mais aussi de leurs recettes. Pourchaque mission, les banques organisent l’opération ; elles placent les titres auprès de leur clientèle, qu’elles conseillent. Elles ontd’autant plus intérêt à parvenir au succès de l’opération qu’en cas d’échec, elles doivent verser malgré tout l’argent à la sociétéémettrice et se retrouvent « collées » avec ce « papier » qu’elles mettent longtemps à placer. Mais elles y réussissent la plupart dutemps, en s’organisant en syndicats d’émissions. Ces syndicats bancaires d’émission de valeurs mobilières sont d’abord dominéspar la Haute Banque (surtout Rothschild) : la haute banque est en effet le chef de file des emprunts russes jusque dans les années1880, et elle monte le syndicat des emprunts de libération de 1871-1872 ; elle y parvient grâce à la clientèle de gros capitaliste etde grosses fortunes qu’elle entretient, et qui peuvent absorber une grosse partie de ces titres. De plus, son influence sur lesbanques locales ou étrangères, de celles qu’elles considère comme ses « correspondants », lui achètent ces valeurs pour lesécouler auprès de leur propre clientèle. Mais peu à peu, l’ampleur des opérations capitalistes ne permet plus aux maisons de laHaute Banque d faire cavalier seul pour en assurer l’émission, aussi se regroupent-elles dans des « syndicats d’émission », cesrelations quasi-permanente finissant par se muer en « pôles d’affaire ». c’est ainsi que de nombreux animateurs de la Hautebanque européenne se regroupent en 1872 dans Paribas, de même qu’une dizaine de maisons de la Haute Banque parisienne seregroupent en 1904 dans la BUP. C’est ainsi que les banques d’affaire finissent par se substituer à la Haute banque dans laconduite des grands emprunts : Paribas devient la figure de proue du marché financier, au cœur d’un syndicat concurrent, quiconfédère de façon informelle mais régulière des banques de dépôts, comme la société générale, des banques provinciales et desmaisons étrangères. Dans les années 1880 perce un troisième syndicat d’émission conduit cette fois par le Crédit Lyonnais quicherche à s’affirmer sur ce terrain. Mais si les banques d’affaires deviennent expertes sur le terrain des émission de valeurs pourles grandes opérations capitalistiques, elles ne peuvent se passer des banques de dépôts pour placer les titres émis. CréditLyonnais, Société Générale (très intime avec Paribas dans la décennie qui précède la guerre de 1914-1918) et CIC mobilisent ainsileurs réseaux pour séduire l’épargne. Monter ce type d’opération d’émission d’actions ou d’obligations est un métier clé de labanque jusqu'au krach de 1929, alors que par la suite, elles cherchent à placer les emprunts coloniaux et les bons du Trésor émispour le réarmement. Les banques engages dans ces syndicats d’émission perçoivent des commissions approchant les 2% du totalde l’émission ; mais ces syndicats réclament plus aux sociétés émettrices de ces valeurs lorsqu’elles les juges trop peu solides, etcraignent leur faillite, qui se répercuterait sur les souscripteurs et sur les banques impliquées : c’est le cas lorsque la Compagnie duCanal de Panama ressent d’énormes besoins de fonds au milieu des années 1880 : les banques prennent alors des commissionsépaisses tant la société de Ferdinand de Lesseps est aux abois, autour de 5.6% en moyenne au lieu des 2% de commissionhabituels. Ces opérations constituent une part importante des activités bancaires, et nombre d’agence de province, de comptoirsde quartiers ou de bourg rural n’amortissent leur frais généraux que grâce à leur talent de vendeurs de titres. Le démarchage àdomicile fait ainsi partie du métier de banquier ; le développement de l’automobile et du téléphone facilite le démarchage de laclientèle. A bicyclette ou en voiture, ils sillonnent les campagnes à la recherche de quelque gros agriculteur à entuber. Visitant àdomicile les plus riches exploitants, se mêlant à la vie des bourgs les jours de marché. A l’inverse, les agences sont assiégées declients lorsque des sociétés prestigieuses lancent des valeurs surnommées « de père de famille ». mais tout le talent du banquierconsiste alors à se débarrasser de quelque valeur « pouilleuse » qu’il n’arrive pas à placer, en arguant de l’intérêt de diversifier leurportefeuille de titre à ses clients par exemple. On présente alors ces valeurs « collantes » comme de possibles « valeurs deretournement », très profitables dès lors que leur image de marque s’améliorera, etc. Le romancier Giono a débuté sa carrière dansla banque en qualité de démarcheur. Au début du 20° siècle, les banques ne prêtent guère massivement aux familles, maisréservent leurs crédits à une clientèle très friquée. Les grandes banques dès leur fondation satisfont aux desseins de leurfondateurs saint-simoniens : le Crédit Lyonnais comble ainsi les besoins de trésorerie des firmes qui avaient soutenu sa création,comme Schneider, les métallurgistes de la Loire ou les soyeux de Lyon ; la Société générale est proche de la sidérurgie du massifcentral, à qui elle consent de gros prêts dans les années 1870. les banques gagnent dans de telles opérations des recettesappréciables, car le taux d’intérêt de tels crédits est supérieur à celui de l’escompte. Mais l’escompte reste la clé du crédit bancaire.L’escompte reste la pratique bancaire de base : les patrons ont sans cesse besoin d’argent liquide parce que leurs rentréestardent ; en effet la firme doit payer ses fournisseurs, mais elle attend le paiement de ses clients ; le délai tourne entre un mois etcent jours, car chaque firme paie ses fournisseurs avec un décalage admis, qu’ »on appelle le « crédit fournisseur », qui est uncrédit interentreprises. Ce sont alors les banques qui fournissent les liquidités nécessaires, en escomptant les effets commerciaux,le « papier de commerce ». Elle prêtent l’argent correspondant à cette reconnaissance de dette qui est en même temps uneengagement sur des recettes attendues. Les banques se chargent alors elles-mêmes de recouvrer l’argent auprès du débiteur àl’expiration du délai, quand l’effet vient à échéance : c’est pour le banquier à la fois une opération de crédit et un service pratique,toutes deux rétribuées par son taux d’escompte, son taux d’intérêt. La seconde industrialisation qui débute dans les années 1890suscite de gros besoins de crédits chez les entreprises ; le « portefeuille effets » pèse 1/5° de l’activité des banques commercialesen 1882, ½ en 1913 : la banque commerciale est d’abord une banque d’escompte, de crédit à court terme. Mais le marché del’escompte évolue peu à peu : au départ, la Banque de France le dominait largement avec le concours des maisons d’escompte,spécialisées dans le regroupement de traites et leur « présentation » à la Banque Centrale. Ces banques ne disposaient que depeu de dépôts et présentaient la totalité des traites au réescompte, ce qui alimentait les fonds de commerce de la banque. Maisl’essor des grandes banques comme le Crédit Lyonnais entaille ce quasi-monopole sur l’escompte et le réescompte de la Banquede France. Car fortes de leurs propres dépôts, elles peuvent nourrir par leurs propres moyens une part importante des traitesqu’elles escomptent. Le terme de « crédit » signifie bien « croire » et « avoir confiance », et les banques prêtent de l’argent qui neleur appartient pas, et dont la valeur est de plus en partie fictive (placement boursier). Aussi le banquier cherche*-t-il à amplifier saconnaissance des entreprises emprunteuses, clientes ; de son débiteur, tout l’intéresse : surface matérielle apparente, opportunitédes initiatives de ses clients, eu égard à la conjoncture, justesse des prévisions formulées par les emprunteurs pour leremboursement des avances, dans les délais convenus, personnalité du client et caractère de celle-ci susceptibles de nuire ou defavoriser l’opération. Visites d’usine, rencontre de concurrents pour faire des comparaisons, discussion avec des fournisseurs ouavec des clients de la firme pour avoir un avis tiers sur sa santé. Les archives bancaires sont ainsi riches en dossiers où est suiviel’évolution de la société cliente. Mais ils restent partiellement superficiels, car le secret des affaires et l’insuffisa,nte capacitéd’expertise technique manquent généralement au banquier ; nombre de patrons rechignent à ouvrir leur livre de compte à leurbanquier, à leur « confesseur » économique…ils n’aiment guère l’œil indiscret de la banque et s’empressent bien souvent de larembourser. Dans l’entre deux guerres, après avoir utilisé les services des banques pour remettre à flot leur affaire, les patronss’empressent bien vite de quitter les banquiers ; ceci est particulièrement vrai du secteur automobile, avec André Citroën. Lespatrons de l’automobile sont soucieux de leur indépendance et n’aime pas qu’on se mêle de leur comptabilité… La prudence estd’autant plus nécessaires aux banques qui accordent des prêts que jusqu’à la 2° guerre mondiale, elles ne savent pas combienl’entreprise cliente a déjà emprunté à d’autre banques, celles-ci préservant le secret de leurs affaires face aux banquesconcurrentes. Aussi lors des récessions les banquiers effarés découvrent l’ampleur du cumul des dettes de la firme et du « risque »

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bancaire encouru par chaque créancier ainsi « collé ». « Déjeuners d’affaires, fréquentation des dîners, réceptions et salonsmondains, promenades équestres, chasse à courre, chasse, etc. sont autant d’occasion de nouer des liens d’homme à hommeentre les banquiers et les dirigeants de sociétés, mais aussi de discuter au pied levé de certaines affaires en cours, de certainesrumeurs qui circulent sur la place, etc. Bien souvent cependant, les entreprises se passen,t très bien des banques : elles recourentà leurs bénéfices, leurs réserves, leurs « amortissements », toutes formes d’autofinancement. Les banques dans ce cadre ne leurfournissent le plus souvent que des crédits de court terme nécessaire à leur fonctionnement quotidien ; mais les entreprises fontaussi appelle aux banques pour monter les opérations d’émission d’actions et obligations de l’entreprise. Par ailleurs, dansbeaucoup de régions, les petites banques provinciales se montrent souvent moins parcimonieuses que les grandes banques : ellesfournissent aux entreprises des découverts de 6 mois, renouvelable quasiment indéfiniment, comme s’il s’agissait de crédits àmoyen terme, ce qui témoigne de relations intimes entre les industriels et les banques provinciales qui les ont pour clients. Cetteintimité s’incarne souvent par leur présence croisée dans les conseils d’administration et souvent également par des liens defamille dans le cadre d’une alliance dynastique du patriciat local. C’est notamment le cas dans le Nord et en Alsace. Souvent aussi,les firmes du 19° siècle obtiennent des crédits en faisa,nt hypothéquer leurs biens, les forêts pour les maîtres de forge, les champsoù on fait sécher les draps après blanchiment pour les cotonniers et les liniers, les bâtiments des usines, les machines, les terresdes propriétaires fonciers, etc. Alors que le crédit hypothécaire paraît aujourd’hui être une procédure lourde, ces prises de gagerassurent le banquier, c’est une forme on ne peut plus immédiate de solvabilité du client. Quelques cas d’octroi de crédits dedémarrage sont restés « légendaires » dans l’histoire des relations entre la banque et l’industrie : ainsi quand la Banque Vernesapporte 300 000 FF à Claude quand il créé l’Air Liquide en 1908, ou la banque Mirabaud qui épaule Renault dans les années 1920.Les banques de dépôts également, comme le Crédit Lyonnais vis-à-vis de Bouygues dans les années 1950 ou l’agence deBeauvais de la Société Générale à l’égard de l’installateur de mobilier urbain Jean-Claude Decaux dans les années 1960. Etnombre de maison de banque, haute ou non, vont plus loin et s’engagent plus fortement aux côtés de certaines entreprisesclientes : la Maison Cahen fournit 150 000 FF à Wendel en 1803 pour récupérer les forges au retour d’émigration ; Seillière prête300 000 FF (soit 4.5 millions de FF de 1992) à Wendel pour qu’il acquière les forges de Moyeuvre en 1811, ou aux frèresSchneider quand ils reprennent les usines du Creusot en 1836, en leur fournissant les deux tiers des fonds. Seillière fournit ainsi lefond de roulement (qui complète les fonds propres de l’entreprise) des Schneider régulièrement : entre 316 000 et 1 683 000 FF de1837 à 1846 (soit entre 5 et 25 millions de FF de 1992), puis entre 4 et 5 millions de FF de 1863 à 1865 (soit 60 à 75 millions de FFde 1992). Cependant Seillière s’inquiète de la témérité de « Schneider aîné » en 1839, et tout en se retirant du capital del’entreprise, continue à lui accorder des prêts ; mais ce genre de relation s’explique aussi par le fait que les maisons de banquepratiquant de tels crédits sont bien souvent aussi des maisons de négoce : comme c’est le cas ici, ou le marchand de fer banquierproposent des crédits à leurs fournisseurs les sidérurgistes ; ou les marchands fabricants soyeux financent les industriels du textile,etc. dans la sidérurgie, beaucoup de banquiers souvent aussi négociants placent des capitaux, achètent forges et forêts qu’ilsafferment ensuite à des maîtres de forge, comme c’est le cas pour les banquiers de Châtillon-sur-Seine, gros actionnaires desforges bourguignonnes dans les années 1820-1840 et après leur transfert sur le charbon de l’Allier, au sein de la société Châtillon-Commentry créée en 1845. Plusieurs banques pratiquent aussi ce que l’on appelle la « commandite » : elles apportent le capital àune société en commandite, et en confient la gestion à des gérants ; on en voit de nombreux exemples dans la sidérurgie et letextile, qui concernent des banques discrètes comme les banquiers Vassal et Drouillard dans les forges et fonderies d’Alès dans lesannées 1830-1840. Une palette de banquiers lyonnais (Morin-Pons, Saint-Olive, Aynard) se presse dans le capital de la nouvellesociété sidérurgique forézienne et ardéchoise l’Horme en 1847. L’essor de Paribas symbolise l’éclosion de la banque d’affairemoderne en France. Etablie à Paris en 1864, la succursale de la banque de crédit et de dépôts des Pays-Bas, créée en 1863 àAmsterdam, finit par dépasser en importance le siège de la maison. Cela consacre le rayonnement de la place parisienne et l’attraitqu’elle exerce sur les banques de taille moyenne, qui mettent en commun leur capital, en argent et en relations ; en effet plusieursanimateurs de la Haute Banque européenne se retrouvent à Paribas comme Bischoffsheim à Anvers et Bruxelles, elle-même liée àGoldschmidt ou à Cahen d’Anvers. A ce milieu d’affaire juif s’ajoute un groupe protestant, avec Hentsch, banquier parisien etgenevois. Cette banque fusionne en 1872 avec la Banque de Paris, lancée en 1869 par plusieurs banquiers (Cernuschi,Delahante) : la Banque de Paris et des Pays-Bas, Paribas, est née. Elle est une héritière riche en argent et surtout en contactseuropéens avec les maisons fondatrices. Celles-ci conçoivent leur banques commune comme un « consortium », un intermédiairede leurs propres affaires ; les fonds propres de Paribas sont de 245 millions de FF en 1913 (soit 3.2 milliards de FF de 1992).Paribas s’affirme dès le départ en proposant sa candidature aux syndicats d’émission des valeurs mobilières, notamment lors del’emprunt de libération de 1872. Souvent Paribas se trouve partenaire immédiat des grandes firmes, dont elle occupe souvent leconseil d’administration, la vice-présidence notamment. Paribas accompagne ainsi la constitution des sociétés électriques de laseconde industrialisation, comme la Compagnie parisienne de distribution d’électricité en 1906 ou l’union d’électricité en 1911. Ellealigne ensuite les fleurons dans son portefeuille de participations, dans l’énergie électrique, dans la télégraphie (CSF, en 1918), lachimie (filiale en france de la Société norvégienne de l’azote en 1905), dans le pétrole avec la création de la Compagnie françaisedes pétroles en 1924 (en parité avec la BUP) et celle de la Standard franco-américaine en 1920 (avec Esso), dans l’édition avecHachette à partir de 1919, dans la métallurgie avec Fives-Lille, les Forges et Aciéries du Nord et de l’Est, etc. Son conseild’administration mêle la Haute Banque (Camondo, Pillet-Will, Demachy, Lehideux, Stern), des capitaines d’industrie (ErnestMercier, dirigeant de la CFP et de la Société lyonnaise des eaux et de l’électricité) ; il accueille aussi souvent des figures de lapuissance publique ou des ambassadeurs comme Jules Cambon de 1920 à 1935, l‘ancien gouverneur de la Banque de FranceMoreau, qui le préside de 1931 à 1940, des inspecteurs des finances et des banquiers. On comprend ainsi la force d’influence decette grosse banque d’affaires, qui fournit également des consultations au dirigeants politiques et financiers du pays… Lerayonnement politique et financier de son directeur général entre 1919 et 1937, Horace Finaly, consacre cette fonctiond’influence… Les banques régionales elles aussi entendent s’impliquer dans les affaires, comme le montre dans l’Isère lasouscription à d’épaisse lignes d’actions et d’obligations des banques Charpenay ou de la Banque du Dauphiné, tout comme lapetite banque Laydernier à Annecy pour la société des forces motrices du Fier en 1899. Georges Charpenay fait ainsi partie duconseil d’administration de toutes les affaires qu’il a contribué à financer. Mais cette fièvre de l’investissement va être ralentie pardes crises et des krachs ; ainsi la maison Récamier tombe en 1805, Laffitte en 1831 ; le marasme de 1867 fait tomber le CréditMobilier des Pereire mais aussi la banque Pollet de Roubaix. Pendant les récessions, la valeur des placements des banquess’amoindrit, la confiance des déposants s’érode, et c’est alors un « run », une course au retrait des dépôts. La grande dépressionde la fin du 19° est ponctuée de récessions qui secouent l’appareil bancaire, comme lors du krach de 1882. Cette grandedépression secoue les pays anglo-saxons dès 1873 par un premier krach ; en France, la bourse, l’investissement et la croissanceconnaissent un ultime boum en 1879-1881 ; mais soudain en janvier 1882, c’est le krach boursier, qui révèle le surinvestissementet la chute des profits des sociétés. Des banques ont trop prêté aux spéculateurs en bourse, qui spéculaient à la hausse, achetantà crédit des actions qu’ils vendaient à terme, grâce notamment aux « crédits en report » effectués par les banquiers. Quand labourse s’effondre, ces acheteurs à découvert ne peuvent plus rembourser leurs emprunts. Le crédit Lyonnais est touché, maisGermain qui avait pressenti la crise avait diminué ses crédits aux spéculateurs dès octobre 1881. C’est grâce aux précautions qu’il

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a prise que le crédit lyonnais résiste à la bourrasque. D’autres banques chutent lors de ce krach : la banque de Lyon et de la Loirechute dès le 18 janvier 1882 ; la Banque de l’Union Générale en est la principale « victime » : constituée en 1878, elle se voulaitune banque de dépôts d’envergure, combat de son ambitieux patron, Eugène Bontoux, qui rêve d’être un nouveau Pereire, etprend des participations dans des sociétés ferroviaires en Autriche-Hongrie, mais aussi celui d’un banquier catholique face à desmilieux bancaires où les protestants et les juifs sont influents, voire celui des milieux légitimistes face aux républicains parvenusrécemment au pouvoir. En fait Bontoux pousse la Banque de l’Union Générale trop fort et trop vite. Cette expansion artificielle estasphyxiée par le krach boursier : les déposants se ruent vers leur argent, la banque doit fermer ses guichets le 28 janvier et estliquidée, alors que Bontoux est emprisonné. Zola s’en inspire directement pour son roman « l’Argent », même s’il place l’actionsous le second empire au moment de la chute du Crédit Mobilier des Pereire. La place parisienne est encore secouée par un krachdans les années 1889-1891 ; la banque Demachy-Seillière est liquidée en 1888 tant elle subit des pertes sur ses avances auxsociétés ; elle perd un quart de son capital et doit être assainie avant d’être reconstituée pour devenir une maison de HauteBanque très prospère, la Banque Demachy-Worms. La société de Dépôts en comptes Courants, assez grosse maison, disparaît en1891. Le Comptoir d’Escompte de Paris s’effondre peu avant en 1889 : il avait placé trop de fonds dans les affaires d’un« faiseur », s’un spéculateur qui avait constitué un énorme stock de cuivre pour faire monter les cours et le revendre avec un grosbénéfice ; mais ce « soufflé » spéculatif se dégonfle et le Comptoir perd sa mise ; il doit être renfloué par la Banque de France quiavance 140 millions de FF avec la garantie des autres banques (soit 2 milliards de FF de 1992) ; il se transforme en ComptoirNational d’Escompte de Paris (CNEP) jusqu’à sa fusion dans la BNP en 19666 avec la BNCI, elle-même née en 1932 à la suite durenflouement d’une banque ruinée par le krach de 1931-1932. en effet le déclenchement de la crise des années 1930 en Franceest inauguré par un ample krach bancaire : il est suscité par la méfiance engendrée par les krachs boursiers et bancaires survenusaux Etats-Unis entre 1929 et 1933 et en Europe centrale en 1931-1932 ; il révèle aussi combien les banques françaises étaientdevenues fragiles dans les années 1920. En effet celles-ci avaient, pour soutenir l’expansion et en particulier l’ultime boum desannées 1927-1930, accentué la transformation de leurs ressources en emplois d’une durée supérieure à plusieurs trimestres,presque en crédits à moyen terme ; c’était un signe de dynamisme, mais aussi une grosse prise de risque… La crise boursièreéclate avant leur échéance et fait tomber le château de cartes bancaire. Aussi la crise boursière s’accompagne-t-elle d’un krachbancaire : plus de 400 banques s’effondrent entre 1931 et 1935. des banques régionales vigoureuses sont balayées, commeCharpenay à Grenoble, Guérin à Lyon, Renauld à Nancy, de même que la Société centrale des Banques de province. La BUP elle-même est sapée par la détérioration de la valeur de son actif et les difficultés des firmes dans lesquelles elle s’est engagée : ellequi s’affichait comme la rivale de Paribas se recroqueville jusque dans les années 1950. Les crises les plus graves touchent desbanques trop téméraires, sous l’égide d’hommes d’affaires aventureux ; ainsi deux financiers, Bauer et Marchal, avaient ajouté àleur modeste banque un ensemble de participations dans de grosses banques régionales, comme la Banque d’Alsace-Lorraine etla Banque privée Paris-Lyon-Marseille, tout en s’associant avec la Banque Oustric dans le contrôle d’une solide banque du Nord-Ouest, la Banque Adam. Mais ils ont engagé trop d’argent liquide dans leurs affaires industrielles et boursières, qui ne résistent pasà la chute de la Bourse ni à celle de la Banque Oustric ; toutes ces banques doivent fermer. Adam redémarre difficilement, repriseensuite par la BNCI ; d’autres éclatent et sont récupérées par les banques du groupe CIC : la Banque d’Alsace-Lorraine s’intègredans la filiale alsacienne du CIC et devient le CIAL ; les morceaux de la banque privée sont répartis entre la société lyonnaise desdépôts et la Société bordelaise du CIC. Le krach de 1931 détruit aussi la 4° banque de dépôts française, la Banque Nationale deCrédit, passée sous le contrôle d’une majorité conduite par André Vincent, qui dirigeait en polytechnicien brillant les Forges etAciéries de Firminy, gros métallurgiste du Forez, et le comptoir Lyon-Alemand, premier transformateur de métaux précieux(diamantaires parisiens). Cette double casquette lui permettait de puiser dans les caisses de la banque : la BNC avait avancé defortes sommes aux sociétés de Vincent, qui se trouvent en raison de la crise dans l’impossibilité de les lui rembourser, au momentmême où d’autres débiteurs importants deviennent insolvables, comme les cinémas Gaumont ou la société générale aéronautique.Aussi un run des déposants balaie-t-il la BNC. La banque tente de colmater les brèches avec l’aide de la Caisse des Dépôts et dela Banque de France, jusqu’à ce que le gouvernement fasse garantir en septembre 1931 les dépôts à la BNC par le Trésor, qui doitdébourser près de 2 milliards pour enrayer le run de la BNC. La BNC est ensuite liquidée et reprise par une nouvelle entité, laBNCI, qui regroupe près de la moitié des 10 000 salariés et 267 agences sur 388.

Le dynamisme des banquiers français s’exprime aussi par leur action hors de la métropole. Les banquiers du 19° siècles sontdélibérément « européens ». Les maisons de la Haute Banque ont coutume de travailler avec leurs « correspondants » notammentsur les place de Londres et d’Anvers. Les Rothschild parisiens entretiennent des relations d’affaires avec les Rothschild de Londresou de Vienne. Les grandes banques sont souvent des coalitions de banques dans lesquelles figurent souvent des maisonsétrangères : c’est le cas de la Société Générale avec des hollandais et des britanniques, ou au Crédit Lyonnais avec desallemands, alors que les maisons suisses jouent un grand rôle au Comptoir d’escompte de Paris dans les années 1870-1880.Nombre de cadres de banques sont d’ailleurs eux-aussi d’origine étrangère, car les sièges font appel à des praticiens talentueux,formés sur le tas et habiles à entretenir des liaisons d’affaire et d’information avec leurs homologues des places au-delà desfrontières. On peut parler parfois d’une « internationale des banquiers ». Le suisse Noetzlin est un directeur influent à Paribas audébut du 20°, tout comme l’autrichien Spitzer à la Société Générale ou le hongrois Ullmann au CNEP, tandis que le directeur desagences étrangères au Crédit Lyonnais pendant les deux premières décennies du 20° siècle est un anglais, James Rosselli, avecun suisse comme adjoint, Auguste Célérié, et que le directeur de l’agence de Moscou, Roth, est un hongrois. A l’agence moscovitedu Crédit Lyonnais, le ht-encadrement est pratiquement exclusivement suisse. Les suisses sont à l’époque présent dans le htencadrement des banques du monde entier, car les banques suisses avaient mi sur pied un excellent système d’apprentissage,prenant chez elles un apprenti pendant 3 ans sans lui payer d’appointement, mais en lui promettant de lui apprendre la banque enle faisant passer par tous les services. Par ailleurs, les suisses s’expatriaient facilement et étaient d’emblée polyglottes. Leplacement des emprunts d’Etat s’effectue souvent en partie à l’étranger, grâce au réseau de correspondants bancaires : c’est ainsiqu’au début du 20°, les Rothschild passent pour être les banquiers de la Sainte Alliance, des monarchies antibonapartistes etantilibérales, et deviennent des « courtiers européens en valeurs d’Etat ». Le crédit lyonnais est considéré par les milieux d’affaireslyonnais comme un partenaire du commerce de la soierie, que ce soit en Italie, en Suisse ou en direction des pays anglo-saxons etl’Asie. Banques et commerce international sont étroitement liés. Les diplomates regrettent néanmoins la faiblesse desimplantations d’agences des banques françaises à l’étranger, face à la vigueur allemande et anglaise. Ce à quoi les banquiersrépondent que cela est plus du à la pusillanimité des industriels français. C’est un ample débat qui secoue les milieuxéconomiques, en particulier à propos de l’Amérique Latine ou de la Chine au tournant du siècle. Peu de banquiers français sontinstallés outre-Atlantique au début du 20° et se contentent de correspondants aux Etats-Unis. Ils disposent d’intérêts dans laBanque nationale du Mexique (1911) ou dans la Banque du Rio de la Plata en Argentine ; le CNEP et la Société Généraleétablissent en 1896 la Banque Française au Brésil ; Paribas s’installe au Chili en 1893 ; italiens et français lancent en 1909 auBrésil la Banque Française et Italienne Pour l’Amérique du Sud. Alors que le Crédit Lyonnais a dû fermer dès 1899 ses agences deBombay et de Calcutta ouvertes en 1895, et qui y souffraient de la prédominance britannique, le CNEP réussit à préserver son

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ouverture sur les océans indien et pacifique et installe au moment de la guerre des agences à Bombay, Sydney, Melbourne. Ilentretient des relations suivies avec la sphère d’influence britannique par le bais de ses agences de Londres, Liverpool,Manchester, ainsi que par ses 3 agences égyptiennes d’Alexandrie, Le Caire et Port Saïd. La stratégie du CNEP consiste à seplacer au long de cette « route des Indes », à accompagner le flux commercial entre l’Europe et l’Outre-mer, des agences enmétropole animées par le financement de l’import-export aux agences lointaines dans les pays où se pressent les acheteurs enmatières premières et exotiques, en passant par le relais de Londres ou de New York. Par ailleurs à ses fonctions de banqued’émission en Indochine, la Banque de l’Indochine ajoute le métier de banque commerciale : elle ouvre des succursales en Chine,à Shanghai en 1894, à Hong Kong en 1895, ou à Bangkok en Thaïlande en 1897, à Singapour en 1905, à Pékin en 1907. Commele CNEP, le Crédit Lyonnais est devenu une banque commerciale vigoureuse en Egypte, où il finance notamment le commerce ducoton par de grosses avances. L’exportation du coton a toujours été jusqu’alors la principale source de revenu de l’Egypte, et lefinancement de ces exportations exige de gros capitaux, fournis jusqu’alors par des maisons d’exportation financées elles-mêmespar les banques. En raison de l’importance des sommes en jeu mais surtout de la sensibilité de la matière première auxfluctuations de cours (spéculation), du faible développement du marché monétaire et de l’insuffisance des ressources locales, lefinancement pose aux banques des problèmes délicats de trésorerie. Dans toutes les manipulations qu’il subit de l’égrenagejusqu’à la confection de la balle définitivement pressée dans ses 11 cercles de fer pour l’exportation, le coton reste déposé, au nomdu Crédit Lyonnais, dans les « chunas » ou magasins munis de dispositifs modernes contre l’incendie et appartenant aux grossesmaisons de pressage ou au Crédit Lyonnais lui-même… Parfois ces stocks sont vendus à des exportateurs, parfois à contrario ilssont exportés par le Crédit Lyonnais, ce qui lui permet de conduire des négociations de troc ou des opérations triangulaires quirevêtent une grande importance dans l’économie égyptienne très dépendante de certaines importations… spéculation… ; Tandisque l’agence d’Alexandrie du Crédit Lyonnais finance près de la moitié des importations en bois d’Egypte, l’agence du Caire prendune part importante dans le ravitaillement du pays en sucre et en blé et dans l’importation de matériel d’équipement. En France,peu de couple banques-entreprises se nouent dans une démarche commerciale outre-mer. De plus, la place parisienne n’a pasl’envergure de la City de Londres dans l’animation des courants financiers et commerciaux internationaux : c’est outre-manche quese concluent les opérations de change. Aussi le Crédit Lyonnais s’installe dans la City en 1870 et la Société Générale en 1871. lesbanques françaises sont alors encore peu préoccupées d’édifier un réseau international, contrairement à ce qu’elles feront dans lesannées 1960-1970. La Société Générale est présente en Belgique avec la Société française de Banque et de dépôts (1898), et enAlsace Allemande avec la Sogenal (1881). Le CIC ouvre la Société Belge de CIC en 1903, comme le Crédit du Nord dispose duCrédit du Nord Belge. Le Crédit Lyonnais créé le Crédit Franco-Portugais en 1894 ; Paribas est installé à Anvers, Genève, Londres,tout comme le Crédit lyonnais agit à Madrid, Genève, Vienne. La Société générale est très étroitement liée avec plusieurs banquesautrichiennes comme la Länderbank pour de nombreuses opérations croisées ; les banques françaises pratiquent d’amplesplacements de court terme à Vienne jusqu’à la veille de la guerre. Elles se rapprochent des banques tchécoslovaques lorsque laplace pragoise se développe, en particulier le CNEP et le Crédit Lyonnais. De même, Paribas et la BUP sont associés à plusieursbanques allemandes dans le partage d’affaires en Europe orientale, par exemple en Roumanie, en Bulgarie, en Hongrie, ainsi quedans l’Empire Ottoman à plusieurs reprises. Les te,nsions diplomatiques ont donc des effets difficiles à décrypter sur les banques ;mais les banques françaises s’abstiennent de plus en plus dès 1908 de s’impliquer en Allemagne. Le Crédit Lyonnais ouvre dessuccursales tout autour de la méditerranée pour « valoriser », placer des fonds à court terme : les Etats y sont sans cesse assoiffésde liquidités pour financer leurs dépenses somptuaires, leur armée, leur équipement ferroviaire ou maritime. Henri Germain confieainsi en 1875 que la fonction unique des agences d’orient du Crédit Lyonnais est d’employer une partie des fonds de la Banquerestés inemployés. L’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Turquie, l’Egypte sont ainsi fertiles en opportunités d’emploi d’argent. LesRothschild sont très actifs en Italie, tant auprès du St-Siège comme le CIC, qu’auprès du jeune Etat italien, dans les années 1860-1880. Les Pereire avaient installé le Crédit Mobilier espagnol dès 1855 et le BodenKreditAnstalt en Autriche dès 1863, qui survientà leur chute. Le Crédit Lyonnais s’est implanté à Madrid dès 1875, à Alexandrie ou au Caire en 1875 et à Port-Saïd en 1877 ; il yest accompagné par le CNEP, installé dans les mêmes villes. Dans ces pays, les banques souscrivent l’équivalent des bons duTrésor pour alimenter ces « dettes flottantes » et elles y prélèvent ainsi d’amples charges d’intérêts. Parfois, ces Etats deviennentinsolvables et ne peuvent plus assurer leurs échéances. Les Banques s’entendent alors pour « consolider » leurs prêts, c'est-à-direles dettes également, en transformant leurs créances à court terme en obligations à long terme, ce que l’on appelle aujourd’hui le« rééchelonnement de la dette »… C’est ce qui se passe en 1875 lors de la banqueroute de l’Empire Ottoman, qui précède la crisedes finances de l’Etat égyptien… Dès 1863 en effet, les intérêts français (dont les Pereire notamment) et britanniques ont établit laBanque Impériale Ottomane, où les maisons de la Haute Banque et Paribas deviennent de plus en plus influentes devant lesintérêts anglais. C’est une banque commerciale privée, qui gère un réseau d’agence dans le vaste empire ottoman qui couvre alorstout le Levant. Mais c’est aussi la banque d’émission de la monnaie locale, qui gère une partie des circuits publics ottomans, pourle compte du Trésor Ottoman… Les français contrôlent ainsi dans ce pays les ¾ des investissements étrangers dans le secteurbancaire, loin devant les britanniques (1/5°). La Banque de Salonique (à partir de 1909, avec la Société Générale), le CréditFoncier Egyptien accueillent aussi des intérêts français, qui percent en même temps en Europe orientale, avec la Banque Franco-Serbe en 1910 (avec la BUP), ou en Bulgarie avec la Banque Balkanique (BUP et Société Générale) en 1908, la Banque Généralede Bulgarie (Paribas) ou le Crédit Foncier Franco-Bulgare. De plus en plus, de tels placements à court terme sont possibles dansles pays en forte croissance, en particulier en Russie, où s’installe le Crédit Lyonnais en 1878 à Saint-Pétersbourg puis à Moscouen 1891 puis en Ukraine à Odessa en 1892, port de la mer Noire où s’effectuent des transactions sur les céréales. La SociétéGénérale créé la Banque du Nord en 1901 à Saint-Pétersbourg ; celle-ci fusionne avec la Banque Russo-chinoise en 1910 etdevient la Banque Russo-Asiatique, première banque russe par ses actifs à la veille de la première guerre mondiale, tandis que lesfrançais sont très influents aussi dans la banque Azov-Don, l’une des 8 premières banques russes. Les banquiers français ne secontentent donc pas de placer des bas d’affaires à l'étranger, mais s’y installent aussi comme banquiers pour les dépôts etdeviennent ainsi les animateurs de nombreuses places où ils s’implantent. Les banques françaises de Russie se créent ainsi unelarge clientèle sur place, que ce soit parmi les épargnants ou les firmes russes qui leur offrent leurs liquidités, ou parmi les sociétésfinancées grâce à l’argent levé en France. Le Crédit Lyonnais s’est ainsi enraciné profondément dans le terroir russe, au point queson agence de Moscou prend parfois des allures de bazar oriental, comme le raconte l’un de ses cadres, Jean Morin ; envoyé àMoscou en 1898 comme secrétaire puis chef de la correspondance et fondé de pouvoir, puis chef de la Bourse et des titres, ildevient ainsi le numéro 3 de l’agence avant d’y être promu sous-directeur et de rentrer en France en juillet 1914. cette agenceexploite alors 400 salariés, car elle suit les opérations de la grosse place commerciale qu’est Moscou et conduit de multiplesaffaires d’escompte. Elle travaille aussi sur la place de Nijni Novgorod. Les banques françaises à l’étranger souscrivent à desemprunts qui sont ensuite diffusés sur toutes les places d’Europe et en particulier en France ; ce mouvement commence dans lesannées 1855-1870 ; c’est l’ère des « emprunts russes » (à partir de 1878) et des « emprunts ottomans », surtout dans les années1890-1914. si les emprunts russes commencent dès 1870, les banques les promeuvent surtout à partir de 1888-1889 ; lesbanquiers allemands s’effacent de Russie, les Rothschild jusqu’alors si puissants n’ayant plus les moyens de placement suffisant etétant hostile au tsar du fait des pogroms en Russie ; les emprunts russes se multiplient, ceux de l’Etat lui-même entre 1888 et

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1909, mais aussi ceux des compagnies ferroviaires garantis par l’Etat et ceux des collectivités locales ; on assiste à un « secondâge d’or » de la Belle Epoque, quand les banques placent en France les titres de sociétés privées créant des filiales en Russie ouachetant des firmes russes, pour un total représentant le tiers de tous les fonds français avancés à la Russie, surtout entre 1906 et1914, pour 3.5 milliards de FF (soit 40 milliards de FF de 1992) consacrés à ces « investissements directs ». Quelques 16 milliardsde FF seraient placés en Russie en 1914 (soit 200 milliards de FF de 1992) et le tiers du stock d’argent étranger investi alors enRussie. Mais les banques françaises enrichissent aussi les portefeuilles des épargnants avec des valeurs anglo-saxonnes :chemins de fer américains (transcontinentaux notamment), et même des titres du Brésil et de l’Argentine. Les banques françaisesfournissent près de 6% des capitaux étrangers placés aux Etats-Unis, loin derrière les britanniques avec 60%. Le marché financierfrançais est mobilisé par le financement international : les émissions de valeurs étrangères constituent entre la moitié et les 4/5°des émissions totales en Bourse de Paris entre 1900 et 1914, avec un maximum de 87% en 1904. un stock de plus de 43 milliardsde FF est ainsi placé hors du pays en 1913 (soit 550 milliards de FF de 1992) : la France est alors le 2° marchand d’argent à longterme, , derrière le Royaume-Uni. En 1914, les banques françaises détiennent 45% du total des capitaux étrangers placés enTurquie et 31% en Russie (devant les anglais), avec environ 12 milliards de FF ; et dans le portefeuille du Crédit Lyonnais, les titresétrangers dépassent les titres français dès 1893. Les emprunts étrangers en France sont pour les 4/5° des emprunts publics, quece soit en Turquie, en Russie ou en Europe centrale. Un vif débat s’engage dans la première décennie du 20° entre leséconomistes qui reprochent aux banquiers d’exporter des capitaux sans songer à la mise en valeur des intérêts français, privant lesentreprises de la métropole des fonds dont elles auraient besoin. Mais c’est oublier que bien souvent, les bas soutiennent l’éclosionou l’essor des sociétés où des intérêts français sont présents, en y prenant des participations ou en leur procurant des avances defonds parfois durables. Dans les années 1870-1890, la Société Générale s’intéresse en Russie à la métallurgie, aux mines de fer,aux houillères ; son dynamisme s’explique par la tradition d’intimité qu’elle nourrit avec les industriels de l’industrie lourde, depuissa fondation, mais aussi par la « pétulance » de son directeur général Dorizon, et enfin par une alliance d’intérêts avec Paribas en1905 : banque de dépôts (en fait alors une banque mixte) et banque d’affaires s’épaulent dans la prospection des affaires russes.Louis Dorizon apparaît ainsi comme un banquier cosmopolite dynamique, qui donne à la Société Générale un importantrayonnement européen. Entré à la banque en 1874 à 14 ans, à l’agence du Boulevard St Germain, il bénéficie de la promotioninterne, devient sous-directeur au siège en 1895, puis directeur en 1896 à 36 ans. Son apogée se place entre 1909 et 1913 quandcomme directeur général il anime le rayonnement de la banque en Europe centrale et orientale, et en Russie. Il représente alors lecourant d’affaires français « cosmopolite », favorable à l’entente entre les entreprises au-delà des frontières et les divergencespolitiques. Mais le renforcement à Paris du courant hostile au « cosmopolitisme financier » et plutôt soucieux d’un lien entre lenationalisme diplomatique et l’action des milieux d’affaires amène la Société Générale, pourtant Banque privée, à céder auxpressions politiques menées en particulier par Raymond Poincaré alors président du Conseil puis président de la république.Dorizon doit quitter la direction général et se replier sur la présidence de la banque, qu’il occupe en 1914-1915. C’est avec lamême mentalité d’ouverture européenne que Rouvier (qui mène par ailleurs une carrière ministérielle de haute volée et devientprésident du conseil en 1902-1904) fonde la Banque Française pour le Commerce et l’industrie (BNCI) en 1901, en une visioninternationaliste : c’est une lointaine ancêtre de la BNP, puisqu’elle s’est intégrée en 1920 dans la BNC. Mais plus brillante a été laréussite de la BUP, fondée en 1904 par une demi-douzaine de maisons de Haute-Banque. Elle devient le partenaire de la sociétéSchneider lorsque celle-ci à la veille de la première guerre mondiale, s’implante en Russie dans l’industrie de la mécanique, deschantiers navals et des armements, en particulier en s’associant avec le métallurgiste russe Poutilov : la BUP lui accorde d’amplescrédits, non sans angoisses. De plus en plus d’entreprises industrielles ou de travaux publics et de banques s’associentponctuellement dans des « sociétés d’étude », pour obtenir des contrats d’équipement : ports, voies ferrées, arsenaux, etc., enRussie, dans l’Empire Ottoman, etc. De même la Banque impériale Ottomane, suivi de la BFCI, prend des initiatives plus fermesdans l’empire ottoman au début du siècle. Mais les banques restent méfiantes sur ce genre d’opérations, avec des déboirescomme ceux de la Société Générale qui subit les difficultés des firmes métallurgiques et minières qu’elle soutenait en Russie audébut du siècle. Les émissions à Paris de titres de sociétés travaillant en Russie grossissent de 26 millions par an entre 1888 et1894, pour passer à 83 million par an entre 1895 et 1904 et à 112 millions entre 1905 et 1913. Ces sociétés francophiles sontautant de clients des succursales ou filiales des banques françaises en Russie ou dans l’empire ottoman. L’importance del’implantation des banques françaises à l’étranger est indiquée par le réseau international du Crédit Lyonnais, qui fort de 24agences à l’étranger en 1913, représente plus de 7% de ses 361 guichets. La réputation de l’économie française dans l’entre-deux-guerres est d’être chauvine et malthusienne, or l’élan de la seconde industrialisation se poursuit jusqu’au tournant des années 1930et les entreprises maintiennent leur insertion dans les courants mondiaux. Malgré les aléas diplomatiques et monétaires, lesbanques les accompagnent. Les banquiers voient leur dynamisme étouffé par les évènements politiques et militaires : la guerresuspend leurs affaires en Europe centrale et orientale ; l’Etat interdit l’exportation de capitaux de 1918 à 1928. Certes, l’argent estemployé utilement auprès de l’Etat belligérant puis reconstructeur, mais la position internationale de la banque française s’écroule.Les détenteurs de titres sur le continent américain les vendent pour que l’Etat puisse payer une partie des importations qu’imposele conflit. Et surtout le stock d’argent investi à l’est est quasiment perdu. Les bolcheviques ne reconnaissent pas les dettes de l’Etattsariste, et les titres détenus par les souscripteurs rentiers français n’ont plus qu’une valeur de « collection » ! le réseau bancairerusse comme étranger en Russie est confisqué. Ainsi le CNEP, lors de son conseil d’administration du 28 avril 1919, se félicite del’implantation d’organisations militaires de russes blancs, soutenues par les pays occidentaux, à Arkhangelsk et à Omsk. En Russieest constitué le projet d’un monopole des affaires de banque ; l’armée rouge descend dans les agences des banques françaises ouautres banques étrangères, leur interdit d’effectuer toute transaction. Cependant, il y a bien longtemps que les capitaux se sontévadés de Russie, pour une grande part. mais les banques étrangères installées en Russie se saisissent de ce prétexte pour parcontre refuser à leur clients russes le remboursement de titres, etc. Des coffres loués à des russes ou des étrangers dans lesbanques européennes (CNEP, Crédit Lyonnais) en Russie sont forcés par l’armée rouge, qui en laisse cependant une partie maisexige le transfert des fonds, des comptes clients et des titres à la banque du peuple. Les bolcheviks prennent possession desagences du crédit lyonnais dès décembre 1917, et exigent leur liquidation ; les bolcheviks exigent en outre le paiement de plusieursmilliers de roubles comme impôt spécial en avril 1919. Les directeurs généraux des agences sont arrêtés. Les banquiers essaientde garder le maximum de leur actif : ainsi, le Crédit Lyonnais évacue en avril 1919 les actifs de la banque d’Odessa versConstantinople, avant de quitter Odessa en avril 1920. Les agents du crédit lyonnais à Moscou parviennent à quitter la Russie en1921. Du côté ottoman et austro-hongrois, où il n’y a pas de révolution, mais l’émergence de puissances nationales sur lesdécombres d’empires, les Etats nouveaux ont du mal à prendre en charge les dettes vis-à-vis des épargnants-prêteursoccidentaux. C’est seulement dans la deuxième moitié des années 1920 que le service de cette dette reprend, avant d’être ànouveau suspendu par la crise des années 1930. le Crédit Lyonnais est là aussi au cœur de la tourmente, avec ses agences dansl’ancien empire ottoman, notamment celle de Smyrne, installée dans une zone de combat et d’exode massif de populations. Sondernier directeur Jean Morin y arrive en 1921et y reste jusqu’en 1923, assistant à la guerre entre les turc de Mustapha Kemal et lesgrecs, qui entendent maintenir leur présence dans de nombreuses places d’Asie mineure. Le Crédit Lyonnais compte sur laprésence militaire grecque à Smyrne, avant qu’elle ne soit balayée par une contre-offensive turque. Morin raconte : « J’envoyai

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acheter chez les négociants en opium leurs caisses vides faites en épaisses planches de chêne et je les fis doubler de zinc.Pendant ce temps je confiais au conservateur le soin de faire l’inventaire des titres de la conservation tout en les serrant au fur et àmesure dans les caisses [...] Bref, j’organisai l’agence pour traverser au mieux les évènements que l’on sentait imminents et quis’annonçaient graves » ; puis les turcs font leur entrée à Smyrne, et Morin se retrouve seul dans l’agence avec deux portiers, « lesemployés n’osaient plus venir, tous cherchaient à fuir et à s’embarquer », car se sont des grecs et des juifs pour la plupart. Morinlui-même fait partir sa fille et sa femme sur un bateau français, mais le commandant refuse d’embarquer les nombreux etencombrants bagages de la famille de rentiers ; Morin se présente alors en qualité de directeur général du Crédit Lyonnais et faitsavoir au capitaine que « les malles et les caisses, empilées dans la baleinière, renfermaient l’or, les billets de banque et les titresdu Crédit Lyonnais. L’effet fut foudroyant. Des coups de sifflet retentirent, tout l’équipage apparut sur le pont pour refouler la massecompacte des voyageurs qui l’encombraient et transporter mes bagages dans la soute aux groupes, vaste réduit blindé réservé auxenvois d’or [...] apposa les scellés sur la porte dont solennellement il remit la clé à ma femme qu’il plaça dans une cabine deluxe [...] Connaissant la manière forte avec laquelle ils agissaient, j’étais fort inquiet pour les titres et l’argent enfermés dans lescoffres du Crédit Lyonnais [...] il me fallait maintenant les sauver des mains des turcs qui n’auraient certainement eu aucunscrupule à les confisquer. Je pensais donc à les expédier le plus tôt possible à Marseille. Avant que le personnel prenne la fuite,j’avais heureusement songé à retirer toutes les clés des chambres blindées et des coffres-forts des mains de tous ceux qui enpossédaient. J’avais réussi à les réunir, excepté celles du coffre du Trésor qui renfermait environ 400 000 livres turques [...] Madirection avait réussi à assurer le montant total des valeurs pour leur séjour sur un bateau de guerre en rade de Smyrne et pourleur expédition dans un port de la méditerranée. [...] La marine mit à ma disposition une vedette, une baleinière, des marins et unpiquet de fusiliers. Les turcs assistèrent au déménagement sans oser intervenir et à leur barbe j’embarquai toutes mes caisses. [...]Au crédit Lyonnais, la vie reprenait peu à peu. Tous les employés juifs étaient sortis de dessous terre et avaient fait leurréapparition [...]. J’avais une équipe suffisante pour travailler et profiter de ce que le Crédit Lyonnais allait être la seule banque surplace, puisque toutes les autres avaient brûlé. Je [...] l’entrouvris seulement [...] l’on entrait par la petite porte de service. Avec unerapidité inouïe, Athènes apprit que le Crédit Lyonnais fonctionnait de nouveau à Smyrne. Comme les entrepôts de la douane,construits sur pilotis à l’entrée du port avaient échappé à l’incendie, les smyrniotes réfugiés à Athènes m’envoyèrent par des voiesmystérieuses des lettres pressantes, accompagnées de duplicata de connaissements obtenus certainement par complaisance,pour me demander de retirer leurs marchandises de la douane et les expédier à Marseille. Il y avait surtout, parmi cesmarchandises, de nombreuses caisses de soierie lyonnaises représentant des sommes importantes. [...] l’opération était [...] pleinede risques entre autres pour le directeur général du crédit lyonnais de finir au bout d’une corde. Je n’écoutai pas ma raison et priai‘’l’Edgar Quinet’’ (bateau de guerre) de lancer un appel en mer pour demander à tout cargo de venir à Smyrne charger desmarchandises [...] De tous ces grecs dont j’avais [...] sauvegardé les intérêts, il ne s’en trouva aucun pour m’envoyer un mot deremerciements. Mais lorsqu’ils eurent récupéré et placé en sûreté leurs marchandises, je croulai sous une avalanche de lettres quiprotestaient contre les frais et la commission de sauvetage de 15% que j’avais comptés. Quelques-uns me menaçaient depoursuites judiciaires [...] tout finit par se tasser. L’opération se terminait pour le Crédit lyonnais par un magnifique bénéfice »… Finalement, le Crédit Lyonnais abaisse son pavillon à Smyrne en 1923, et Morin quitte Smyrne pour Constantinople, dont l’agenceest maintenue elle jusqu’en 1926, avant que Morin soit promu directeur des agences d’Egypte à Alexandrie jusqu’en 1941, enpleine seconde guerre mondiale…Lorsque la croissance économique revient dans les années 1920, la banque contribue aurenouveau des échanges commerciaux ; le CNEP insiste sur la fonction essentielle de financement du négoce : ainsi l’industrielainière du nord trouve un soutien financier auprès du CNEP pour s’approvisionner en matière première en Argentine ou enAustralie. Elle accompagne aussi le négoce lyonnais pour l’exportation de soie ; au havre, elle soutient le négoce du café et ducoton. Bordeaux et Marseille sont les centres des relations du CNEP avec le négoce d’Afrique occidentale, alors que le Havre,point d’arrivée du trafic transatlantique est également soutenu. Rouen par où passe une bonne partie des approvisionnements encharbons anglais, Dunkerque dans ses rapports avec le négoce des pays scandinaves, Sète et son négoce d’importation de vins,tous ces lieux de négoce voient le CNEP soutenir et tirer de gros profits des affaires de la place après guerre. Les banquesaccroissent leur emprise sur le négoce international ; elles multiplient les « acceptations » : elles s’engagent de cette manière parleur signature à payer les traites de leurs clients négociants aux banques des partenaires de ces derniers. Le « créditdocumentaire » également se développe : la banque avance l’argent à la firme exportatrice qui lui fournit en gage les« documents » du marché, les papiers certifiant que le produit a été commandé, transporté, assuré, livré, etc. On voit mêmeapparaître en 1910 une Banque Nationale du Commerce Extérieur, en 1928 une Banque Française des Acceptations, tandis qu’en1927 naît une compagnie d’assurances, la « Société Française pour Favoriser l’Assurance-Crédit » pour garantir certains crédits àl’exportation, l’ancêtre de la Coface et de la SFAC actuelles, tandis que l’Etat apporte sa garantie, à partir de 1928, aux assurancesà l’exportation pour les risques politiques. Les banques, comme le CNEP notamment, mettent en place des service du commerceextérieur à travers lesquels elles s’entremettent entre des exportateurs et des importateurs, suscitent leur rencontre et leurproposent des possibilités de consignation des marchandises. Le CNEP créé aussi en 1920 ola French American BankingCorporation, en association avec la National Bank of Commerce de New York et la First National Bank de Boston, pour « accorderdes facilités aux importateurs pour le règlement de leurs achats aux Etats-Unis », démarche originale puisque peu de banquesfrançaises la pratiquent, à l’exception de Lazard et la jeune banque Schlumberger (fondée en 1919 et spécialisée dans les affairesfranco-américaines). Ce n’est qu’en 1940 que la Société Générale ouvre son agence à New York. D’ailleurs les banques dansl’entre-deux-guerres relancent leur politique d’implantation à l’étranger : l’Europe centrale et orientale reste attractive ; Paribasdevient le partenaire influent de la Banque des Pays Autrichiens, issue en 1922 de la transformation d’une banque puissante del’ex-empire austro-hongrois. Comme celle-ci conserve des intérêts dans les établissements apparus à partir de ses succursalesdans les Etats créés à la place de l’empire, elle devient le levier de la pénétration de Paribas en Europe centrale ; Paribas contrôleainsi la Banque pour le Commerce et l’industrie de Tchécoslovaquie et prend le contrôle de la Banque de Crédit Roumain. Paribasest aussi influente dans plusieurs firmes pétrolières roumaines, et sa rivale la BUP tente de lui damer le pion sur ce terrain. La BUP,souvent en association avec des intérêts belges, devient la tutrice de plusieurs banques d’Europe centrale comme la BanqueCommerciale de Roumanie, 3° banque du pays, ou la Banque Générale de crédit hongrois ; la BUP pratique également la banqued’affaires, avec des participations dans le pétrole, l’électricité, le charbon en Roumanie, tout en accompagnant les initiatives dumétallurgiste Schneider en Tchécoslovaquie et en Pologne. Le CIC se montre actif en Pologne, auprès de la Banque de Silésie etde plusieurs entreprises liées aux français, notamment dans le textile et les chemins de fer. Les titres des sociétés d’Europecentrale et orientale sont placé en France par les banques françaises. A la veille de la seconde guerre mondiale, la France est lesecond investisseur étranger en Tchécoslovaquie derrière le Royaume-Uni mais le premier en Yougoslavie, en Pologne après leretrait des américains, qui y étaient les premiers avant la crise des années 1930. Un quart des avoirs français est placé dans cetterégion du monde, d’autant plus qu’au tournant des années 1920, les banques françaises renouent avec la tradition des grandsemprunts « syndiqués » : aux côtés de leurs consœurs anglo-saxonnes, elles émettent des obligations au profit des Etats roumain,polonais, yougoslave, placées dans leur clientèle. Entre 1928 et 1931, la place parisienne est la plus solide d’Europe, ce quiavantage la BUP et Paribas, animatrices des intérêts français en Europe de l’est. Plus à l’est encore les banques françaises

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préservent leurs intérêts : en Turquie, la Banque Impériale Ottomane réussit une mue habile et de banque symbole de la tutellefinancière occidentale, se transforme en banque commerciale banalisée, s’affirmant comme la première banque de dépôtsétrangère du pays. La Société Générale lance la Banque Française de Syrie, active de 1917 à 1937 dans ce pays sous tutellefrançaise. En Egypte, les banquiers français conservent leur influence déterminante. Ailleurs, ils restent par contre plutôt effacés,souvent à cause des aléas de la monnaie française. La Société Générale ajoute à ses implantations ouest-européennes (Londres,Allemagne, Belgique) une filiale en Espagne, la Société Générale de Banque, en 1920. mais les banques profitent aussi largementde l’empire colonial français ; la plus coloniale des banques serait le CNEP, qui dès 1862, lance le Crédit Foncier Colonial, devenuindépendant par la suite. Le CNEP définit une stratégie simple de fourniture de liquidités aux banques implantées dans les diversterritoires de l'outre-mer , pour placer ses fonds : c’est ainsi qu’il patronne la création de la Banque de l’Afrique Occidentale en1901 ; il est implanté en direct en 1918 en Tunisie (avec 4 agences) et à Madagascar. Là, Paribas obtient en 1924 la concession dela banque d’émission, la Banque de Madagascar ; c’est que la banque d’affaire nourrit elle aussi un dessein impérial, en particulierau Maroc ; d’organisatrice des « emprunts marocains »au début du 20° siècle, Paribas devient la tutrice de la Banque d’Etat duMaroc créée en 1906, puis y lance la Compagnie Générale du Maroc, qui détient der multiples participations, en particulier dans lesfirmes gérant des concessions ferroviaires et électriques. Les banques d’affaires patronnent également des projetsd’investissement dans les colonies, des « sociétés d’étude », montées par exemple avec des firmes de travaux publics. Le richeMaroc les séduit, que ce soit la BUP, avec Schneider, ou la Banque Mirabaud. De banque d’émission depuis sa création en 1872 etde banque commerciale et de dépôts, al Banque de L’Indochine s’affirme peu à peu aussi comme une banque d’affaires, surtoutdans l’entre-deux-guerres : elle transforme souvent ses créances sur des sociétés vacillantes en participations et se constitue ainsiun portefeuille titres important en Indochine. Des banques de dépôts ne restent pas inactives : la Société Générale débarque enTunisie en 1911, avec la Société Générale de l’Afrique du Nord au Maroc et à Alger en 1911-1914. la Banque Transatlantique(créée en 1881 par un Pereire) elle aussi pénètre en Tunisie, avec la Banque de Tunisie en 1883, puis au Maroc avec la Banquecommerciale du Maroc en 1911, avant de monter en 1928 l’Union financière et coloniale, pour financer le commerce avec l’outre-mer.

Avec la seconde révolution bancaire (1870-1930), la profession est bouleversée, avec l’apparition de grandes entreprises, de grossièges centraux, de vastes succursales, exploitant un personnel abondant. Les banques deviennent des acteurs essentiels de lavie sociale. Alors qu’à la génération précédente la Haute Banque n’employait qu’un faible personnel, l’apparition des réseaux desgrandes banques déclenche au contraire un recrutement intense de personnel ; le monde des « employés de banque » apparaîtalors. On assiste parallèlement à une « bancarisation » des français. Le Crédit Lyonnais exploite déjà 5 200 salariés en 1881,contre 26 000 en 1931. la BUP compte 1008 salariés en 1929. Le personnel bancaire en france atteindrait 38 500 personnes en1896, dont 30 500 simples employés, avant de bondir à 121 000 en 1921 et à 160 000 en 1931. Une hiérarchie de directeursculmine avec l’administrateur délégué (qui sont parfois plusieurs, comme au Crédit lyonnais) et le président du Conseild'Administration. Dans certains cas, un comité de direction n’est que l’émanation du Conseil d'Administration, lequel n’a souventdans les faits qu‘une fonction de ratification à posteriori ; le comité de direction rassemble les administrateurs qui suivent de près lagestion de la banque. Sous le directeur général, le suivi quotidien est assuré par le directeur adjoint, 2 à 4 sous-directeurs, 3 à 4fondés de pouvoir, et un contrôleur général. Sur le terrain, le directeur du siège social, les directeurs des agences locales, et ausiège les chefs de service et les sous-chefs de service sont les exécutants clés, épaulés par les « employés principaux » ; ledirecteur et le sous-directeurs peuvent ajouter à leur appointement fixe déjà « coquet » un pourcentage lié aux bénéfices, entre 0,5et 2%. Le « personnel supérieur » bénéficie d’un 13° mois et de « gratifications » ou primes. Derrière les « collaborateurs » (futurscadres supérieurs) qui oeuvrent au siège central ou dans les agences importantes, la majorité des employés sont embauchés avecun faible niveau de diplôme. Dans les sièges centraux se développe une concentration imposante de commis, employés auxécritures, dans des grandes salles où s’alignent les registres de comptes. Un élément essentiel à ce niveau est la méticulosité dansla tenue des « écritures » : copie de lettres, enregistrement de mouvement de comptes, sur d’immenses registres tenus à la plume,tenir les comptabilités, établir les relevés de compte des clients et les leur envoyer. Des garçons de bureau en uniforme fontcirculer le courrier, et leur appointement reste faible. Nombre de ces salariés n’ont aucune qualification et n’acquièrent que sur letas l’expérience requise. L’énorme majorité des employés de banques sont des hommes, formant une sorte « d’aristocratietertiaire », mais les femmes parviennent peu à ,peu à, prendre place dans la profession, où elles sont placées immédiatement dansles taches subalternes répétitives et ennuyeuse (écritures, etc.) ; c’est d’ailleurs la percée des machines à écrire et à compter quiexplique leur apparition. Les « pools » ou ateliers de dactylographie » se multiplient. Un escalier spécial leur est réservée, ainsiqu’une cantine à part ; elles font l’objet d’une surveillance particulière…par ailleurs, certains établissements ne veulent accueillirque des jeunes filles, et elles doivent démissionner quand elles se marient, comme chez Scalbert… dans les banques, l(‘ambianceest au paternalisme et à l’autoritarisme. Par contre, une tradition de promotion sociale interne semble y exister. Cependant, desdiplômés finissent par percer dans les Etats-majors dans l’entre-deux-guerres, entravant l’ascension des employés subalterne. Destensions sociales vives surgissent dans les banques dans les années 1920. les banques s’efforcent de refuser les revendicationsgénérales et de n’y répondre qu’au cas par cas, « au mérite » ou suivant « la situation de famille ». des grèves ont lieux, suiteauxquelles les responsables d’agences sont autorisés à donner des augmentations aux seuls non-grévistes. Mais avecl’accroissement des effectifs des banques, les revendications finissent par être mieux entendues et le ton change, surtout dans lapériode mouvementée de l’immédiat après-guerre. Les employés se battent pour la reconnaissance de leurs syndicats. Il y aplusieurs grèves notamment en 1925. Les directions tentent de court-circuiter les mouvements de grèves en faisant despropositions « maison », qu’ils déclarent ne plus pouvoir tenir si la grève intervenait. Et bien souvent, les comités « syndicaux »agissent pour les intérêts des patrons : « notre personnel a résisté à toutes les pressions qui ont été successivement exercée surlui par le comité de grève », rapporte la société lyonnaise de dépôts en août 1925… L’ascension sociale au sein de la banque estfonction officiellement de « mérites », mais officieusement et réellement de recommandations sociales ou politiques, propices aux« fils de bonne famille », souvent dotés d’une licence en droit et des relations utiles à leur promotion à la tête d’une agence deprovince ou de quartier. Les directeurs d’agence reçoivent d’ailleurs de nombreuses lettres de recommandations qui appuient descandidatures. Par contre, les employés de banque bénéficient tôt d’avantages sociaux que ne connaissent pas les travailleurs desautres corps de métiers jusqu’à l’après-guerre (1945). Des formations internes sont également prévues. La réussite à ces formationdonne droit à de l’avancement, une amélioration de la rémunération et un « bonus » pour une promotion interne. Un corps clé de labanque est celui de l’inspection, chargée de contrôler le travail aux guichets et d’observer la vie de la firme pour suggérer desaméliorations ; c’est l’œil et l’oreille de la direction, le contremaître. Ce corps exige la connaissance de tous les aspects du métiers,et les inspecteurs circulent dans tout le pays. C’est aussi une bonne initiation aux métiers et fonctions bancaires. Sont choisis à ceteffet de jeunes gens sortant de grandes écoles ou des facultés. Très rares sont les contrôleurs mariés. Le célibat y est la règle.L’inspection, qui est aussi un contrôle de la comptabilité des agences, est une inspection surprise, où l’on compare les titres etfonds détenus par l’agence et les écritures de celle-ci. Il arrive même que par mégarde, un contrôleur se rendant dans une ville deprovince se trompe d’agence et aille inspecter l’agence d’un concurrent… ; ils font la chasse au détournement de fonds, mais aussi

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aux baisse de rendement, grâce à des comparaisons statistiques. Après 8 ans à ce poste, les inspecteurs sont muté dans quelquesiège pour s’y former aux fonctions de direction.

Alors que les banques semblent ébranlées dans les années 1930-1950, elles entreprennent une modernisation de leur méthodesde travail, leur mécanisation et la recherche de la productivité. La crise de 1930-1935 et la dépression qu’elle déclenche paralysentles banques ; certaines sont entraînées dans le krach bancaire ; la majorité se trouvent « collées » avec d’importants créditsimmobilisés auprès de débiteurs insolvables. Les banques sont fuies par les épargnants, qui préfèrent placer leur argent dans descaisses d’épargne ou souscrire des bons du Trésor, émis alors en masse pour financer le réarmement. Les banques en achètentelles aussi beaucoup, car elles peinent à trouver des réemplois pour l’argent qui leur reste en stock, tant les entreprises devenuestrès prudentes rechignent à emprunter. C’est alors le « circuit du Trésor » qui se met en place : les banques satisfont les besoinsd’argent frais de l’Etat. A la libération, la réputation des banques vacille, et on leur reproche d’avoir restreint leur crédit pendant ladépression des années 1930 et donc d’avoir accentué les difficultés des entreprises. On accuse aussi les « puissancesd’argent » d’avoir agi contre les majorités de gauche de l’entre-deux-guerres et d’avoir participé à l’érection du « mur d‘argent » ;mais on soupçonne surtout nombre de banquiers d’avoir été des collabos auprès des nazis. Et de fait, certains banquiers ontparticipé par exemple très directement à l’administration vichyste ; par ailleurs nombre de banquiers ont accepté d’accorder descrédits ou des garanties à des sociétés clientes pour leurs opérations avec l’Allemagne nazie, , avec l’accord des gouvernementssuccessifs et des hauts fonctionnaires de la collaboration. Plusieurs dirigeants de banques sont poursuivis, emprisonnés à laLibération, comme le directeur général de la Société Générale, qui avait dirigé le comité d’organisation des banques créé par Vichypour « rationaliser » la profession et intensifier la standardisation des méthodes et « l’harmonisation des conditions de banque » ;aucun ne semble avoir été pourtant exécuté ; ils bénéficient très vite de non-lieux, mais la majorité doivent abandonner leur poste,comme le président de Paribas. Plus symbolique est la nationalisation des grandes banques de dépôts en 1946 : Crédit Lyonnais,CNEP, BNCI, tout comme la Banque de France et 34 compagnies d’assurance. Désormais, la tutelle du Trésor et de la Banquecentrale est importante. Les lois bancaires de 1941 et 1945 codifient pour la première fois la profession, distinguant les pratiquesdes banques de dépôts (qui doivent respecter des critères stricts de liquidité) et des banques d’affaires. Les banques d’affaires enrevanche n’ont pas été nationalisées, afin qu’elles conservent leur liberté d’action auprès des entreprises, souvent réticentes à unpartenariat avec des firmes de statut public…dans les années de la reconstruction et encore au tournant des années 1960, lesbanquiers ne semblent pas des acteurs de premier plan, en tout cas se font-ils discrets. C’est le Trésor, aidé par les caissespubliques et parapubliques, qui devient « le banquier de l’économie » et distribue la majorité des crédits aux entreprises grâce àl’émission de grands emprunts obligataires et surtout d’une masse de bons du Trésor. Les banques en souscrivent d’amplespaquets, parce que c’est un bon placement et parce que la loi les y oblige à partir de 1948. Les mentalités des banquiers sontsouvent plutôt très conservatrices durant ces années : échaudées par leurs déboires avec les entreprises dans les années 1930 etpar la perte des intérêts français en Europe centrale et orientale entre 1938 et 1948, elles préfèrent se cantonner dans desopérations commerciales classiques, se montrent peu novatrices, se protègent derrière des accords réciproques qui figent lespositions de chacune, sur chaque place et auprès des entreprises. Les « bons usages » guident la vie quotidienne de la profession,peu agitée par l’esprit de compétition, même si certain se plient moins au conformisme ambiant (la BNCI, ou les banques nouvellesque sont la Sofinco, la Banque La Hénin avec Jack Francès, Cetelem et UCB avec Jacques de Fouchier, qui se consacrent aux« crédits spécialisés » aux familles ou à l’immobilier), et si certaines banques d’affaires déploient un certain dynamisme (commeParibas « ragaillardie » par Jean Reyre, la Banque de l’Indochine qui se redéploie en métropole avec Jean Laurent puis Françoisde Flers, ou la BUP avec Henri Lafond). Mais parallèlement, la bancarisation des français se poursuit, notamment dans les classesmoyennes ; les comptes chèques en sont le premier témoin. Les banques de dépôts voient donc leur fonction de gestionnaire desmoyens de paiement s’amplifier, aux côtés de leurs opérations « capitalistes » et « commerciales » traditionnelles. Cette périodeest surtout marquée par l’introduction de machines à écrire et à compter de plus en plus performantes.

Les banques connaissent dans les années 1960-1990 des bouleversements de fond ; c’est la « 3° révolution bancaire » ; laprofession s’engage dans une guerre de concurrence aiguë, tant nationale qu’internationale, marquée par la libéralisation et ladéréglementation des marchés de l’argent et par la constitution d’espaces supranationaux, comme le marché international descapitaux ou comme l’Europe financière. De plus en plus les banques deviennent un acteur important de la vie des populations,désormais quasiment toutes bancarisées, ainsi que des entreprises et des Etats, en mal de crédits et de placements de leursvaleurs mobilières. Les masses d’argent maniées explosent littéralement. Le traitement électronique s’impose. Les banques se« popularisent » et deviennent de véritables « magasins de l’argent » offrant « services » et « produits » financiers aux familles. Lesménages sont en effet de plus en plus nombreux durant les 30 glorieuses à faire des économies et donc élèvent leur tauxd’épargne et capable de rembourser des prêts bancaires. C’est l’apparition de la « banque de masse ». celle-ci commence parentraîner une « course aux guichets » : il s’agit pour chaque banque de multiplier le nombre de guichet proposés aux clients enprovince ; la Société Générale recommence sa politique d’expansion dès les années 1954-1963, créant 70 nouveaux sièges. Aumilieu des années 1960, l’Etat accorde le droit d’ouvrir des guichets sans passer par son autorisation. Chaque banque se veutdésormais une « banque de proximité », s’implantant dans les bourgades et les banlieues et multiples agences de quartiers. Laconcurrence joue au sein de la profession, d’autant que la population peut être attirée vers la Poste, les caisses d’épargne ou lesbanques mutualistes comme le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel ou la Banque populaire, lesquelles réussissent une percéespectaculaire sur le marché. De 5 400 en 1967, le nombre de guichets de banque en france bondit à 20 500 en 1981. Souvent auxcarrefours importants, on voit les bureaux de banques succéder aux cafés… le pourcentage des familles détenant un comptechèque ou un livret d’épargne passe de 18% en 1966 à 92% en 1984. Les salaires y sont « domiciliés ». Les paiements enespèces, puis par chèque, se raréfient, laissant place aux virements ou aux règlements par carte bancaire. Par ailleurs, àconsommation de masse, crédit de masse : avant les années 1950, il est impensable de prêter de l’argent à ceux qui n’ont pas aumoins le statut de bourgeois ; seul quelques établissements s’y étaient risqués dans les années 1920, mais toujours en liaison avecdes constructeurs automobiles, comme Peugeot, Renault ou Citroën, avec qui la Banque d’affaires Lazard avait créé une sociétéde crédit à l’achat de voitures, devenue la Sovac (société de vente à crédit) ; cette Sovac connaît une grande prospérité aulendemain de la guerre, sous l’impulsion de son patron Georges Gay (1928-1962) ; cela l’incite à se diversifier dans toutes lesbranches du crédit aux familles : crédit à la consommation, crédit immobilier. Des banques apparaissent alors qui se font lesexperts des « crédits spécialisés », c'est-à-dire de crédits attribués pour l’achat d’un objet particulier, dont la banque connaît lanature. Les deux hauts fonctionnaires des finances que sont Jack Francès et Jacques de Fouchier décident à la fin des années1940 de se lancer dans les affaires. De Fouchier créé une société destinée à prêter aux familles l’argent nécessaire à leurs achatsde matériel électro-ménager : Cetelem apparaît en 1953. Au même moment, Jack Francès conçoit un établissement qui avance lesfonds pour l’achat de meubles avec Sofinco en 1951. Puis les deux concurrents occupent tous les créneaux de cette profession debanquiers des familles : équipement en biens ménagers, automobile, crédit immobilier, etc. Là, Jacques de Fouchier créé l’UCB(Union de Crédit pour le bâtiment) en 1952, alors que Jack Francès se dote en 1957 d’une banque devenue la Banque La Hénin, et

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de la Cogefimo en 1960. Leur originalité est de moins miser pour se déployer sur des agences que sur des contacts immédiatsavec les « prescripteurs », c'est-à-dire les commerçants : marchands de meubles et d’électroménager, vendeurs de voitures,promoteurs, agences immobilières, notaires, pour les « crédits acquéreurs ». ces commerces deviennent ainsi les« correspondants » peu coûteux de ces banques. Ces banquiers deviennent aussi des spécialistes pour détecter les clientsinsolvables. Mais pour se couvrir, ils ont maintenu des contacts étroits avec la place bancaire : Jacques de Fouchier attire commepartenaire la majorité des grandes banques de dépôts et Paribas, qui lui garantissent ses crédits, placent parmi leurs propresclients, ou souscrivent elles-mêmes les obligations qu’il émet en parallèle avec les prêts accordés. Elles deviennent ainsi lesactionnaires de la société qui supervise toutes ces filiales spécialisées, la Compagnie Bancaire, lancée en 1959. en sus desancêtres de la BNP (CNEP et BNCI), Jack Francès se lie plutôt avec des banques d’affaires, la BUP, la Banque de l’Indochine etavec la Banque de Suez et de l’Union des Mines, qu’il a peu à peu édifiée en liaison avec le groupe de la Compagnie Financière deSuez, la concurrente de Paribas ; il rassemble lui aussi ses filiales bancaires en 1961, dans une firme, la Sogenin, devenue en1972 la Compagnie La Hénin, exploitant alors 3 800 salariés. Mais les autres banques ne suivent d’abord pas se mouvement, dufait des faibles sommes en jeu, et parce que l’Etat limite dans les années 1970-1985 la quantité de prêts que les banques peuventaccorder, pour enrayer la montée de l’inflation ; elles préfèrent consacrer leur argent aux entreprises. Le Crédit Agricole enrevanche, riche en ressources, se taille une part énorme sur le marché des crédits immobiliers, aux côtés des banquesspécialisées, en une percée fulgurante, aspect majeur de cette 3° révolution bancaire. Le Crédit Agricole est en priorité la banquedes agriculteurs, depuis l’apparition des premières caisses mutuelles en 1894 et de la Caisse nationale de Crédit Agricole en 1920 :c’est « la banque verte ». Mais aux crédits à l’agriculture il ajoute à partir de 1959 la banque commerciale auprès de tous lesruraux, en se dotant d’un réseau dense d’agences dans les moindres bourgades. Puis au milieu des années 1960, sous l’impulsiond’une équipe de hauts fonctionnaires novateurs, conduite par Michel Albert et de la volonté des pouvoirs publics d’obtenir une plusgrande contribution des banques au financement de la croissance, il décide de se lancer dans la « course aux guichets » ens’implantant lui aussi en zone urbaine, y compris dans les grandes villes. Depuis 1959 dans les campagnes et depuis 1971 partout,il peut offrir des prêts au logement, et en profite pour devenir le premier distributeur de crédit immobilier, avec plus d’un tiers dumarché en 1987. Le Crédit Agricole pratique alors le nouveau métier de la banque de masse, orientée vers les particuliers et lesfamilles, notamment dans les contrées « urbaines », les banlieues en cours d’urbanisation diffuse dans les grandes agglomérationset dans les villes des départements ruraux, où il s’est taillé des fiefs quasiment inexpugnables. Il est un des rois de la « Banque dedétail » : au premier rang pour les comptes sur livrets, l’épargne logement, les Sicav ou les plans d’épargne assurance. En 1989, ilcollecte le quart des liquidités bancaires, presque 1/5° des dépôts et distribue 1/5° des crédits aux particuliers, avec un réseau de 3000 caisses locales et de 10 000 guichets (plus d’un quart du réseau français). Cela explique qu’il soit devenu en une vingtain,ed’années la première banque française et européenne par son bilan. A partir de 1985, les banques obtiennent la liberté du crédit,au moment même où les famille subissent une moindre progression de leur pouvoir d’achat à cause des rigueurs de la crise etressentent le besoin d’emprunter pour maintenir leurs dépenses. Si jusqu’alors elles avaient laissé la Compagnie bancaire et sesfiliales se développer au sein de Paribas et les banques de Jack Francès (désormais fédérées par Crédisuez) croître au sein dugroupe Suez, elles entendent désormais les concurrencer, et proposent une large gamme de produits à leurs clients : avancesglobales, crédit personnel, crédit « revolving » dont le montant se renouvelle au fur et à mesure des remboursements, , des créditsaffectés destinées à un achat particulier, comme le prêt immobilier ou le crédit à la consommation. Les banques incitent désormaisleurs clients à l’emprunt, espérant par là de juteux intérêts. Cette course au prêt est très vive à la fin des années 1980. mais àl’orée des années 1990, la griserie du crédit et l’instabilité des situations professionnelles (chômage, licenciement, etc.) a conduitbeaucoup de ménages au surendettement et a donc déclenché une masse d’impayés nuisible à la santé des comptes bancaires.Du côté de l’épargne, les banques restent d’abord en retrait du fait notamment des avantages fiscaux sur les bons du Trésor, maisl’Etat les supprime bientôt, refoulant les épargnant vers les « solutions » proposées par les banques : épargne logement, parts deSicav (Société d’investissement à capital variable) ou de FCP (Fonds communs de placement), gestion personnalisée deportefeuilles titres, offres de conseils en gestion de valeurs mobilières. Par ailleurs, elles continuent de distribuer bons du Trésor,obligations publiques ou privées, actions. Les Sicav investissent les sommes rassemblées en valeurs mobilières, ce qui ôte toutsouci de gestion à l’épargnant. Chaque banque se dote de sa palette de Sicav, des plus prudentes car investies largement enobligations, et les plus risquées mais pouvant dégager éventuellement plus de profits (Sicav monétaires). La « 3° révolutionbancaire » a été marquée par une explosion quantitative des masses d’argent brassées par les banques pour le compte de grosclients, que ce soient les Etats ou les entreprises. Le marché international des capitaux, comme en France, a pris une ampleurconsidérable. Par ailleurs, l’entremêlement entre les divers marchés par produits et par pays a débouché sur une « globalisation »du marché de l’argent, qui constitue l’originalité du tournant des années 1990. Les banques placent leurs réserves liquides dans lesautres banques pour diviser les risques, en France ou à l’étranger ; les placements inter-bancaires constituent une forte part del’activité des banquiers en volume, car les banques font « tourner l’argent », pour tirer parti des meilleurs rendements, sur telle outelle opération, p^lace, tant en France qu’à l’étranger. La valorisation des comptes créditeurs des gros clients est une activitéclassique des banquiers mais elle est bouleversée par l’apparition des méthodes « pointues » de mise en valeur de l’argent et parla compétition entre banques, tandis que les banques elles-mêmes sont sur ce terrain en concurrence avec les services de gestiondes grosses entreprises elles-mêmes. Les banques disposent donc de spécialistes du droit et de la finance capables de grossir lesénormes stocks d’argent dont on leur confie la gestion. Leur activité consiste à spéculer, pour obtenir les plus gros dividendes, lesplus grosses plus-values pour les valeurs mobilières achetées. Et une plus grosse rentabilité pour les placement à court termeréalisés. Ces spécialistes des marchés savent réussir des « arbitrages » sur le marché financier, faire circuler l’argent de valeur envaleur, selon l’état des bourses française et étrangères. Sur les marchés monétaires et interbancaires national et international,lorsqu’il faut placer l’argent au jour le jour, prévoir les risques de change et de variation des taux d’intérêt. AZ la place des« brokers » et des « jobbers », des sociétés de Bourse et des firmes de placement de valeurs boursières ont été achetée ou crééespar les banques pour gérer ces opérations, dont la technique a fortement évolué au cours des années 1980-1990. il s’agit d’être encontact avec les gros investisseurs que sont les organismes de retraite, d’assurance et d’épargne. L’un des autres métiers de labanque est le montage des emprunts obligataires, où comme pour les emprunts russes ou turcs du 19° siècle, les banquiersapportent leur garantie au placement des titres émis. Là encore, les « syndicats » d’émission, les « chefs de file » oeuvrent à laréussite de l’opération, pour leur compte d’abord. Mais la nouveauté des années 1960-1980 a été la percée su marché internationaldes capitaux, avec la mise sur pied notamment de l’euromarché : les entreprises peuvent désormais lancer des emprunts ouverts àune souscription internationale et en devises (étrangères). Les banques interviennent sur l’Euromarché qui n’existe pasmatériellement car il n’est que la reconstitution des négociations menées par les banquiers par téléphone, télex ou télématique,sans qu’ils se réunissent dans une « Bourse » ou un bâtiment. Plusieurs centaines d’émissions d’euro-obligation ont lieu chaqueannée, organisées par les banques pour le compte des entreprises ou d’autres banques. Les entreprises les mettent enconcurrence pour se voir offrir les conditions les plus favorables. C’est une vaste criée mondiale aux valeurs mobilières. Lesémissions internationales d’obligations atteignent ainsi presque 1 200 milliards de FF (de 1992) en 1991, en dollars, en écu, et enlivres surtout. Parmi les chefs de file qui assument ces euro-émissions, les banques japonaises surtout, mais aussi anglo-saxonne,

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suivies par Paribas, qui parvient à côtoyer la Deutsche Bank. L’argent circulant de place en place, les excédents d’un pays oud’une banque peuvent être recyclés dans un autre pays ou chez une autre banque. C’est le cas des pétrodollars, surtout dans lesannées 1973-1984, ou des « asian dollars » et des yens accumulés par les firmes asiatiques, surtout japonaises, dans la secondemoitié des années 1980. le risque des banquiers réside dans leur garantie de placement. Il est généralement minime, mais il arriveque certaines émissions obligataires ne rencontrent pas le succès attendu, à cause d’un rendement jugé insuffisant ou d’uneinquiétude sur la solidité de l’emprunteur. Certaines banques se retrouvent alors « collées », avec du papier qui pour être p^lacédoit subir une certaine décote, c'est-à-dire un prix inférieur au prix d’achat, ou vendu après les délais pendant lesquels la banque adû financer sur son propre argent sa part dans la tranche d’émission. Dans le milieu des années 1960, les banques ont imaginédes techniques financières permettant à leur client de ne pas leur emprunter de l’argent : c’est le crédit-bail ; avec les contrats decrédit-bail immobilier, l’établissements financier achète l’immeuble de bureau, l’usine, l’entrepôt, les murs de la grande surfacecommerciale ; il le loue ensuite à son occupant en location-vente. Celui-ci paie un loyer normal et un sur-loyer qui correspond à unetraite, ce qui lui permet au terme de 10 ou 15 ans de contrat, de devenir propriétaire des locaux qu’il utilise. Avec le crédit-bailmobilier, c’est le matériel lui-même qui est loué par le financier à son utilisateur : des machines de bureau, des camions, dumatériel de production et même dans les années 1980 des avions. Dès lors que l’on évoque le métier de « banque d’affaire », lenom de Lazard frères est cité, comme symbole du dynamisme et de l’innovation dans les opération d’ingénierie financière et de« fusions acquisitions ». Fondée aux Etats-Unis entre 1864 et 1880 par des français expatriés, elle a surtout percé dans les années1890-1930 grâce à André et Michel Lazard et leur cousin David Weill. L’intelligence de la famille a consisté à s’entourer de« pointures », de cadres supérieurs de haute volée qui deviennent des figures de la finance. La maison devient une spécialiste desopérations de change pour le compte des Etats, du financement des transferts d’or, de la spéculation sur les changes d’aide à l’Etatfrançais pour enrayer la dérive monétaire, ce qui explique l’entrée de David Weill au conseil de régence de la Banque de France en1931. Meyer, l’un des hauts cadres, installé aux Etats-Unis à cause du nazisme, transforme la maison américaine en fer de lancedes restructurations du capitalisme outre-atlantique dans les années 1950-1970. Pierre David-Weill de 1944 à 1975 puis MichelDavid-Weill réussissent à diversifier la clientèle et les métiers de la maison française, toujours en s’appuyant sur des cadresconsacrés « associés-gérants » d’une société de propriété familiale (« en commandite »). La banque Lazard est habile en gestionde l’argent des entreprises et des gros patrimoines, dans le conseil financier, dans les montages d’ingénierie financière destinésaux grandes entreprises. Sa réputation s’étoffe de banquier d’affaires, pionnière et spécialiste du « haut de bilan », des opérationsde fusions et acquisitions et des affaires boursières, en particulier grâce à des relations intimes avec les dirigeants de nombreusesgrandes entreprises en france, en Italie et en Grande-Bretagne ou dans le monde anglo-saxon. Un « mythe Lazard » se constitue :initiatrice des opération publiques d’achat (OPA) en bourse dès 1964 et surtout en 1969 avec l’offensive (ratée) de BSN sur SaintGobain, elle a su être le banquier conseil de nombreux rapprochements de sociétés, comme Peugeot et Citroën en 1974, Arnault etBoussac ; elle accompagne BSN et le Printemps dans leurs politiques d’achats de firmes ; elle aide les entreprises françaises àtrouver des partenaires aux Etats-Unis, comme Howmet pour Pechiney ou Big Three pour Air Liquide. A la vigueur et à la mobilitéde ses équipes s’ajoute son implantation tripolaire, sur New York, Londres et Paris.