badiou-a-la-recherche-du-réel-perdu

31
Faut-il accepter comme une loi de la raison que le réel exige en toutes circonstances une soumission plutôt qu’une invention ? Le réel est toujours ce qui se découvre au prix que le semblant qui nous subjugue soit arraché. Aujourd’hui, nous devons être convaincus qu'en dépit des deuils que la pensée nous impose, chercher ce qu’il y a de réel dans le réel peut être, est, une passion joyeuse. Professeur émérite à l ’École normale supérieure, M ain Badiou est philosophe, dramaturge et romancier. o v 11 A Lfl RECHERCHE CIU RE 03/02/2015 Ray : 2000 pn> 710 9 •’y 82 21 5 9 /7" Prix = 5.00 Euro: Couverture Atelier Didier Thimonier Illustrations de gauche à droite : © Pete McArthur/Corbis ; O.K. ; Théâtre Sun Carlo (Naples) O DetiKoitinl/Leemage. 44.5563.4 11-2015 5 € prix TTC France Alain Badiou À la recherche du réel perdu ouvertures fayard

Upload: colectivo-de-pensamiento-psicoanalitico

Post on 02-Oct-2015

56 views

Category:

Documents


1 download

DESCRIPTION

Filosofia

TRANSCRIPT

  • Faut-il accepter comme une loi de la raison que le rel exige en toutes circonstances une soumission p lu t t q u une invention ? Le rel est toujours ce qui se dcouvre au prix que le sem blant qui nous subjugue soit arrach. A ujourdhui, nous devons tre convaincus qu 'en dpit des deuils que la pense nous impose, chercher ce q u il y a de rel dans le rel peut tre, est, une passion joyeuse.

    Professeur mrite l cole normale suprieure, M ain Badiou est philosophe, dramaturge et romancier.

    o v 11

    A Lfl RECHERCHE CIU RE03/02/2015 Ray : 2000 pn>

    7 1 09 y 82 21 5 9 /7"

    P r i x = 5 . 0 0 Euro:

    C o u v e r tu re A te lie r D id ier T h im o n ie r I llu s tra tio n s de gau ch e d ro ite :

    Pete M c A rth u r/C o rb is ; O.K. ;

    T h tre Sun C a rlo (N aples)O D etiK oitin l/Leem age.

    44.5563.4 11-20155 prix TTC France

    AlainBadiou

    la recherche du rel perdu

    o u v e r t u r e sfayard

  • La liste des ouvrages publis par Fauteur se trouve en page 61. Alain Badiou

    la recherche du rel perdu

    OuverturesFayard

  • Couverture : Atelier Didier Thimonier Illustrations de gauche droite :

    Pete McArthur/Corbis ; Thtre San Carlo (Naples) Deagostini/Leemage ; D.R.

    ISBN : 978-2-213-68597-7

    Librairie Arthme Fayard, 2015.

    Aujourdhui le rel, comme mot, comme vocable, est essentiellement utilis de manire intimidante. Nous devons nous soucier constamment du rel, lui obir, nous devons comprendre quon ne peut rien faire contre le rel, ou - les hommes daffaires et les politiciens prfrent ce mot - les ralits. Les ralits sont contraignantes et elles forment une sorte de loi, laquelle il est draisonnable de vouloir chapper. Nous sommes comme investis par une opinion dominante selon laquelle il existerait des ralits qui sont contraignantes au point quon ne peut imaginer une action collective rationnelle dont le point de dpart subjectif ne soit pas daccepter cette contrainte.

    Je me demande alors devant vous : la seule rponse possible la question Q uest-ce que le rel ? doit-elle assumer, comme une vidence, quon ne puisse parler du rel quen tant que support dune imposition ? Le rel n est-il jamais trouv, dcouvert, rencontr, invent, mais toujours source dune

    7

  • imposition, figure dune loi dairain (comme la loi dairain des salaires , ou la rgle d or qui interdit tout dficit budgtaire) ? Faut-il accepter comme une loi de la raison que le rel exige en toutes circonstances une soumission plutt quune invention ? Le problme est que, sagissant du rel, il est trs difficile de savoir comment commencer. Ce problme tourmente la philosophie depuis ses origines. O commence la pense ? ht comment commencer de telle sorte que ce commencement ajuste la pense un rel vritable, un rel authentique, un rel rel ? " Pourquoi est-ce si difficile de commencer quand il sagit du rel ? Parce quon ne peut commencer ni par le concept, lide, la dfinition, ni non plus commencer par lexprience, la donne immdiate ou le sensible. Commencer par la dfinition, le concept, lide, induit une construction dont il sera ais de montrer quelle est le contraire de ce quelle croit tre, quelle est une perte ou une soustraction du rel. Comment en effet puis-je rejoindre le rel, rencontrer lpreuve du vrai rel, si je me suis justement install de faon premptoire dans ce qui accepte d exister - au moins en apparence - sans preuve du rel, savoir justement lide, le concept, ou la dfinition ? La simple ralit du concept ne peut valoir comme une authentique preuve du rel puisque prcisment le rel est suppos tre ce qui, en face de moi, me rsiste, ne m est pas homogne, n est pas immdiatement

    8

    rductible ma dcision de penser. Tout au plus puis-je prtendre formuler, avec un tel point de dpart, une hypothse sur le rel, ,mais non une prsentation du rel lui-mme. Ainsi la philosophie, exagrment rationnelle, ou tente par lidalisme, manquerait de rel, parce que dans sa faon mme de commencer, elle laurait ratur, oblitr, dissimul, sous des abstractions trop faciles.

    Or, ds quon diagnostique ce manquement, ce dfaut idaliste d une preuve du rel, cest le rel comme imposition qui va revenir. La puissance dintimidation de lusage du mot rel va arguer prcisment du concret . Elle va sopposer la manie idalisante, quon appelle en gnral aujourdhui une utopie criminelle, une idologie dsastreuse, une rverie archaque... Tous ces noms stigmatisent la faiblesse de la thse qui prtendrait commencer la qute du rel dans la figure de labstraction. quoi on va opposer un vrai rel, authentique et concret : les ralits de lconomie du monde, linertie des rapports sociaux, la souffrance des existences concrtes, le verdict des marchs financiers... On va opposer tout cela, qui effectivement pse lourd, la manie spculative, lidocratie militante, qui- dira-t-on - nous a engags au xxe sicle dans tant daventures sanglantes.

    Il y a une chose qui, de ce point de vue, joue aujourdhui un rle dcisif, cest la place quoccupe

    (lconomie) dans toute discussion concernant le rel.

    9

  • On dirait que cest lconomie quest confi le savoir du rel. Cest elle qui sait.

    Il semble que nous ayons eu, il ny a pas longtemps, maintes occasions de constater quelle ne savait pas grand-chose, lconomie. Elle ne sait mme pas prvoir dimminents dsastres dans sa propre sphre. Mais a na quasiment rien chang. C est encore et toujours elle qui sait le rel et nous

    _lUmpose. C est dailleurs un point trs intressant de constater que sa fonction auprs du rel a parfaitement survcu lincapacit absolue de lconomie non seulement de prvoir ce qui allait se passer, mais mme de comprendre ce qui se passait. Il semble bien que, dans le monde tel quil est, le discours conomique se prsente comme le gardien et le garant du rel. Et tant que les lois du monde du Capital seront ce quelles sont, on ne viendra pas bout de la prvalence intimidante du discours conomique.

    Ce qui est trs frappant dans lconomie considre comme savoir du rel, cest que, mme quand elle nonce - et elle y est parfois contrainte par lvidence des faits - que son rel est vou la crise, la pathologie, ventuellement _au dsastre, tout

    , ce discours inquitant ne produit aucune rupture avec la soumission subjective au rel dont lconomie se targue d tre le savoir. Autrement dit, ce que lconomie considre comme discours du rel dit, prvoit, ou analyse, n a jamais fait que valider le caractre ' inrimidan t de ce fameux rel, et nous y

    10

    reconduire. De telle sorte que lorsque ce rel parat dfaillir, se montrer comme une pathologie pure, dvaster le monde ou les existences, et que les conomistes eux-mmes finissent par en perdre leur latin, la souverainet de cette intimidation par le rel conomique non seulement n est pas rellement rduite, mais sen trouve augmente. Les conomistes et leurs commanditaires trnent de faon encore plus impriale quavant les dsastres quils nont pas su prvoir, et ne font que constater comme tout le monde, quaprs. Ce qui prouve bien que ce sont des gen$ qui ne se laissent pas destituer.

    C est une leon extrmement intressante : lconomie comme telle ne nous enseigne daucune faon comment nous pourrions sortir de la conception intimidante et finalement oppressive du rel laquelle cette conomie dvoue son dveloppement et la sophistication de sa science impuissante. Cest trs important, parce que la question du rel est videmment aussi la question de savoir quelle relation lactivit humaine, mentale et pratique, soutient avec ledit rel. Et en particulier sil fonctionne comme un impratif de soumission ou sil peut ou pourrait fonctionner comme un impratif ouvert la possibilit dune mancipation.

    Disons que la question philosophique du rel est aussi, et peut-tre surtout, la question de savoir si, tant donn un discours selon lequel le rel est contraignant, on peut, ou on ne peut pas, modifier

    rie) - (7prtdic\ ^ ^ &*ao

  • le monde de telle sorte que se prsente une ouverture, antrieurement invisible, par laquelle on peut chapper cette contrainte sans pour autant nier quil y a du rel et de la contrainte.

    Vous voyez immdiatement quon pourrait faire l une brve excursion du ct de mon cher Platon, parce que le motif de la sortie est un motif majeur de lallgorie de la caverne. Lallgorie de la caverne nous reprsente un monde clos sur une figure du rel qui est une fausse figure. C est une figure du semblant qui se prsente pour tous ceux qui sont enferms dans la caverne comme la figure indiscutable de ce qui peut exister. Peut-tre est-ce l notre situation. Il se peut que lhgmonie de la contrainte conomique ne soit en dfinitive quun semblant. Mais le point nest pas l. Le point que nous signifie Platon, cest que pour savoir quun monde est sous la loi dun semblant, il faut sortir de la caverne, il faut chapper au lieu que ce semblant organise sous la forme dun discours contraignant. Toute consolidation de ce semblant comme tel, et tout particulirement toute consolidation savante de ce semblant - comme lest le discours de lconomie - ne fait quinterdire quune sortie soit possible, et nous fixer plus encore notre place de victimes intimides par la prtendue ralit de ce semblant, au lieu de chercher et de trouver o est la sortie.

    Tout ceci revient dire que ce nest pas du ct du primat d un savoir savant tenu pour le dernier

    12

    mot sur le rel que lon peut ouvrir un accs libre cette question. Tous les savoirs de ce genre, d une manire ou dune autre, convergent vers la maintenance de limpossibilit dune sortie, cest--dire la maintenance dune figure du rel mani comme intimidation et principe de soumission.

    Faut-il alors dire que le rel ne se laisse apprhender que du ct de lexprience, de la perception sensible, du sentiment immdiat, voire de lmotion, ou mme de langoisse ? C est une longue tradition en philosophie. C est dans ces termes, finalement, que Pascal entreprend de ruiner le rationalisme cartsien, que les empiristes sen prennent Leibniz, que Kierkegaard critique Hegel, ou que lexistentialisme remplace la vrit par la libert. Pour Kierkegaard, Hegel a manqu le rel parce quil a cru que ce rel pouvait se dvoiler dans une vaste construction rationnelle, un discours savant dont le point de dpart tait des.-Caigorics pure* l'tre, le nant, le devenir... O r il faut partir dun tout autre point : la subjectivit comme telle, seule capable dexprimenter et de dcrire ce quest la rencontre du reL, Et cette exprience touche dautant plus le rel quelle prend le risque de langoisse quon prouve sil vient manquer ou, au contraire, surabonder.

    Bien entendu, la psychanalyse, dans \i\ promotion quelle a faite, chez Lacan, du mot rel , senracine explicitement dans cette tradition existentielle. Car on observe, dans la clinique, que - comme le

    flPt&J|s 13

    \p

  • rpte le matre - , ds quil sagit du rel, ds que tombent les dfenses organises par limaginaire, par le semblant, langoisse est lordre du jour. Seule langoisse ne trompe pas, qui est une rencontre avec un fAj intense que pour sy exposer le sujet doit en payer le prix.

    Lobjection que je ferai cette vision, cest que si quelque chose est totalement imprgn de la domination du rel comme intimidation ou comme soumission, cest prcisment notre exprience. Et cest aprs tout ce que rvle la fonction de langoisse dans la psychanalyse, puisque le rel sy montre comme ce qui, pour le sujet, est sans mesure. Mais

    , sil se montre ainsi, cest sans doute quil nest aucunement soustrait aux.dispositifs dintimidadotT^uiproviennent de lorganisation du monde par lactivit humaine dominante, y compris son activit symbolique et savante.

    En fait, le monde sensible - notre monde - na aucune nudit particulire, il est totalement ptri et constitu par des relations qui renvoient immdiatement la dictature de la figure du rel dont je suis parti. Par consquent on pourra soutenir que se confier purement et simplement limmdiat sensible, aux sentiments, lmotion et ^ Ja-ren- contre va en ralit consolider cette fois non pas le rgime acadmique ou prtendument scientifique dun savoir sur le rel, mais tout bonnement ce que rel veut dire dans les opinions dominantes. Cela

    o 14

    va simplement nous reconduire au fait que notre perception, notre rencontre du rel, ce que nous prenons pour notre spontanit libre et indpendante sont en ralit structures de part en part par la figure du monde tel quil est, cest--dire un monde soumis limpratif du rel comme intimidation. On va donc avoir, non pas un renvoi un savoir alin dans lobjectivit intimidante, comme dans la premire hypothse, mais une opinion quon ne pourra pas diffrencier de lexprience immdiate du rel dans un monde qui est prcisment structur par la dictature dun concept du rel comme intimidation.

    Il y a sur ce point quelque chose de trs ducatif, cest la fonction dans notre monde du scandale. Le scandale se prsente toujours comme la rvlation dun petit bout de rel. On apprend un jour, par notre mdia prfr, quun tel est all chez un tel et en est ressorti avec une valise de billets de banque. Nous avons tous alors limpression irrpressible de toucher quelque chose de plus rel que ce que tous ces gens racontent d habitude. Le scandale est prcisment ce qui va, en termes dopinion, ouvrir la porte une sorte de dvoilement dun coin de rel, mais au prix que ce fragment soit immdiatement trait comme .une. exception. Unejscandaleuse exception.

    Sil n y avait pas cette touche dexception, il ny aurait pas non plus de scandale. Si lon savait que tout le monde va nuitamment avec des valises chercher des billets de banque chez les gens riches, nulle

    jy-edoyp ! 'ivnptfMU't'

    ' * 15h ! inhw i ^

    n o b^~ tfcpJSl & y>u

  • gazette ne pourrait faire frmir son public en le rvlant. La structure du scandale renvoie en ralit notre deuxime conception du rel, la vision empi- riste et existentielle : cest parce quon est tomb, de faon immdiate et sensible, sur un petit coin de rel, que lon va pouvoir sduquer et duquer les autres dans la direction dune opinion libre et bien fonde sur le rel.

    Or la vrit est quil ny a aucune libert nouvelle dans le scandale, car il fait partie de liducation gnrale et permanente la soumissionT Ea seule leon tire du scandale, cest en effet quil faut rduire et punir cette exception dsastreuse. Cest donc en dfinitive loccasion pour tout le monde de dclarer sa soumission au concept gnral du rel tel quil fonctionne, tant entendu quil y a bien sr des exagrations, des pathologies marginales, qui sont scandaleuses.! . I.. v ,!. ' f jUn symptme intressant de notre socit, c est que le scandale est en gnral un scandale de corruption. Cest son nom essentiel. Il est assez curieux que la corruption fasse scandale, car lon pourrait soutenir que la socit est corrompue de A jusqu Z. On pourrait mme soutenir que la corruption est sa loi intime, et que cest pour dissimuler cette corruption systmique, et tout fait relle, que le scandale dsigne ce qui est, finalement, une sorte de bouc missaire. Dans une socit qui accepte ouvertement, explicitement et de faon il faut le

    16

    dire largement consensuelle, que le profit soit le seul moteur viable pour faire fonctionner la collectivit, on peut dire que la corruption est lordre du jour de faon immdiate. Puisque si gagner le plus dargent possible est la norme, il deviendra difficile de dire quil n est pas vrai que tous les moyens sont bons. Car de quelle autre norme, de quelle norme rveuse, pourrait-on se servir pour normer la norme vritable qui est celle du profit ? On pourrait rtorquer quil y a des lois, mais on voit bien que tout cela est ncessaire pour que la figure gnrale des choses, c est--dire la figure du rel auquel nous sommes adosss, se perptue. C est pourquoi de temps en temps il est ncessaire quil y ait un scandale, non pas du tout comme rvlation du rel, mais comme mise en scne dun tout petit bout de rel lui-mme dans le rle d une exception au rel.

    Lunique force du scandale rside ainsi dans la| thtralisation dun minuscule fragment du rel en tant que dngation de ce rel lui-mme. De faon gnrale, le thtre pourrait jouer un grand rle dans cette investigation sur le rel, et j en dirai un mot tout lheure. Mais voyez le rythme du scandale : il y a des pripties, de nouvelles dcouvertes, des complices, des complots, etc. Le coup de thtre du scandale est videmment partie intgrante de sa nature, ce qui sclaire trs facilement si lon comprend quil sagit en fait de faire fonctionner un bout de rel comme sil tait une exception au rel, et

  • de le donner en pture exceptionnelle la visibilit gnrale de lopinion pour quelle retourne fondamentalement sa soumission, ce qui au fond est la loi du monde : lomniprsence de la corruption.

    Remarquons au passage que le sport est aujourdhui une grande victime du scandale. Il est philosophiquement intressant de se demander pourquoi il y a tant de scandales dans le sport. C est que le sport est comme une sorte de vitrine ouverte sur lexception scandaleuse. Il a lieu en public et pour le public. D o le fait que le scandale, qui est toujours une sorte dexposition publique de ce qui devrait rester cach, est particulirement, si je puis dire, son aise dans le sport, lequel ne cesse de faire parade de ses vertus : leffort, labngation, la souffrance accepte, la loyaut dans la concurrence, la performance indiscutable, le succs pleinement mrit... Que serait le sport sans la constante exhibition publique de ces rares qualits, dont on propose presque toujours de les transmettre aux jeunes gnrations par lexercice et ladmiration des exercices physiques de toute nature ? Alors, quand vous apprenez que des milliers de matchs de foot sont truqus pour que des parieurs camoufls puissent toucher des sommes mirobolantes, que tel vainqueur du tour de France tait shoot jusquaux oreilles et quon le destitue de ses sept victoires - ce qui est au passage une opration juridiquement extraordinaire - , ou quon met sur la table des questions comparatives, comme celle

    18

    qui demande si le tennis est plus au moins corrompu que le rugby amricain, que penser ? Sans doute que le scandale est ici sa place, puisque le sport rassemble les gens pour le regarder, et que le trucage ou le dopage font que le spectacle est un pur semblant. Cest un rel ciel ouvert, ce nest pas comme ceux qui rasent les murs la nuit avec des mallettes de billets destins assurer leur lection, cest une chose que tout le monde a suivie et regarde, au bord des routes, dans les stades ou la tlvision. Dans le sport, en dpit de la difficult des enqutes et de la mauvaise volont des fdrations, on trouve une sorte de forme publique de la corruption gnrale.

    Mais vous remarquerez que pourtant, mme dans ces conditions, ce qui va dominer est lide que, bien entendu, la trs grande majorit des sportifs sont loyaux et sans taches, et que tous les efforts sont faits pour que, au-del des exceptions scandaleuses, le sport soit ramen son tre incorruptible. Alors quen ralit si lon est dans les coulisses du sport, on sait que cest un domaine particulirement corrompu, tout simplement p a r c e q Ue largent qui y circule est bien trop considrable pour tre innocent. Cest un point quil faut toujours avoir lesprit : l o il y a beaucoup dargent il y a de la corruption, parce que ds que largent circule de faon trop massive, il nassure la fluidit requise de cette circulation quen dbordant largement sur les cts...

    19

  • Tout cela pour conclure que sagissant du rel, on ne peut pas commencer par une dfinition rigide qui se construirait philosophiquement distance de toute preuve effective, mais on ne peut pas non plus commencer par se laisser prendre lide dune rencontre sensible de lexception, qui nous ouvrirait tout coup la porte du rel. Ni larrogance du concept, ni la provocation du scandale ne portent en eux-mmes une rvlation du rel. Il faut sy prendre autrement. Il faut marcher en crabe, ou construire des diagonales, pour approcher le rel dans un processus chaque fois singulier. C est ce que je vais tenter de faire en ordonnant les choses de la manire suivante : 1) une anecdote ; 2) une simple maxime thorique, une dfinition ; 3) un pome.

    i . l a n e c d o t e

    Cest une anecdote trs connue puisquil sagit de la mort de Molire. Comme vous le savez tous, Molire meurt alors quil est en train de jouer le Malade imaginaire. Vous voyez l se pointer une fable, car il meurt d une maladie bien relle, lui. Cette maladie relle, celle qui est nomme la mort de Molire , se dcouvre lintrieur, ou propos, ou dans les conditions dune maladie qui est non seulement joue, mais qui dj lintrieur du jeu est prsente comme imaginaire. Nous avons ici - et notez quil sagit encore de thtre et de

    20

    thtralisation - une sorte de frottement tout fait particulier du rel et du semblant. La maladie mortelle qui va emporter Molire se manifeste au cur mme du semblant, cest--dire au moment o Molire est en train de jouer rellement - parce que le jeu en tant que jeu prend part au rel - le semblant de la maladie. C est dautant plus frappant quil a fallu emporter Molire vanoui hors de scne, la reprsentation est partie en dbcle, les spectateurs, tout coup confronts cette mort relle qui se surimposait la maladie imaginaire, ont t trs atteints.

    Quelle est pour nous la leon de cette dialectique vivante qui sempare de la mort ? Dans cette anecdote, le rel, cest ce qui djoue le jeu. Ou le rel, c est le moment o le semblant est plus rel que le rel dont il est le rel : le malade imaginaire est jou par un malade rel, et la mort de lun emporte limpossibilit de la mort de lautre. Il y a l une dialectique du semblant et du rel qui est tout fait intressante, parce que le rel surgit avec une violence extraordinaire, au point mme de son semblant, au point mme o cest dun malade imaginaire quil sagit.

    Disons alors ceci : le rel, dans ce cas, cest ce qui vient hanter le semblant. La mort vient frapper le personnage du malade imaginaire, tel que lacteur rel Molire lincarne sur scne, et le rel vient aussi hanter non seulement ce semblant-l - le personnage

  • du malade imaginaire - mais aussi le semblant de ce semblant, cest--dire lacteur Molire, faisant semblant dtre le malade imaginaire, cest--dire faisant semblant dtre le semblant de la maladie. Il est videmment trs frappant de voir que celui qui fait semblant dtre le semblant de la maladie meurt d une maladie relle. Tentons une gnralisation de cette anecdote qui indique une relation dialectique troite et difficile entre le rel et le semblant. On pourrait dire par exemple que tout rel savre dans la ruine dun semblant. Ce serait soutenir quil n y a j>as d accs intuitifdirect au rel, quil ny a pas non plus daccs conceptuel direct au rel, mais quil y a toujours cette ncessit indirecte que ce soit dans la ruine dun semblant que le rel se manifeste. Autrement dit - je continue ici les mtaphores thtrales - le rel n est acquis que si on le dmasque. Le rel - tout comme le philosophe daprs Descartes - savance masqu. Donc il faut le dmasquer. Mais vous voyez quil faut le dmasquer en mme temps quon tient compte du rel du masque lui-mme. Molire meurt, et quoi de plus rel que la mort ? Il fait ainsi surgir le fait que la maladie imaginaire, cest trs plaisant au thtre, ceci prs quil y a aussi la maladie relle. Cependant, il faut noter que ce surgissement du rel se fait non seulement partir du semblant quest la maladie imaginaire, mais aussi partir de ce que lui-mme, ce Molire qui va

    k r a i oc^\ s M ^ ^ c k w22

    rellement mourir, est en tant quacteur le porteur rel de ce semblant. aMfau

    Ai nsi le rel serait toujours quelque chose, que lon dmasque, auquel on arrache son masque, ce qui veut dire que ce serait, toujours au point du semblant qu'il y aurait une chance de trouver le rel, tant entendu quil faut bien aussi quil y ait un rel du semblant lui-mme : que le masque existe, quil soit un masque rel. Et donc on aboutit la conclusion trs singulire quen dfinitive tout accs au rel - lexprience du spectateur qui voit tout cela dans un thtre au xvne sicle, ou plus gnralement quiconque fait lexprience du rel pour son propre compte - , cest toujours quun masque soit arrach, acte qui cependant, sil institue activement la distinction entre le rel et le semblant, doit aussi assumer quil y a un rel du semblant, quil y a un rel du masque.

    O n en vient par ces chicanes lnonc important que voici : tout accs au rel en nt. L dvkinn II ny a pas le rel quil sagirait dpurer de ce qui n est pas lui, puisque tout accs au rel est immdiatement, et de faon ncessaire, une division, non pas seulement du rel et du semblant, mais du rel lui-mme, au vu de ce quil y a un rel du semblant. C est lacte de cette division, par lequel le semblant est arrach et en mme temps identifi, que lon peut dcrire comme tant le processus daccs au rel.

    23

  • Pirandello a travaill sur cette division du rel au point den faire le sujet principal de mainte de ses pices. Et lorsquon a publi de son vivant la premire dition de son thtre, il a voulu lappeler Masque nu . C est un peu une rcapitulation de ce que nous sommes en train de dire : le masque doit tre arrach en tant que semblant, mais afin daccder au rel nu- d-masqu , il faut aussi reconnatre la nudit du masque, il faut tenir compte du fait que le masque lui-mme exige quon le tienne pour rel. Et cest cela qui dans Six personnages en qute d auteur ou Henri IV constitue le sujet de ses pices. C est une excellente ducation sur la question du rel que de lire les pices de Pirandello, parce que cest exactement la question dont il sagit : quel rel ? Cest la question que posent ces pices, avec dailleurs des conclusions variables - comme sont variables en philosophie les conclusions sur le rapport entre rel et semblant, ou entre essence et apparence. Pirandello circule dans son thtre partir dune premire hypothse, selon laquelle il ny a pas de rel du tout, puisque tout masque est le masque d un masque, en sorte quter un masque ncessiterait den ter un autre, sans finalement jamais arriver au rel nu, puisque cest le masque lui-mme qui est nu, cest le semblant lui-mme qui est rel. Mais il ouvre partir de l d autres perspectives, plus optimistes, dans lesquelles travers le semblant, le semblant de rel et

    24

    le rel du semblant, quelque chose de vritablement rel vient saffirmer.

    Si je tente dappliquer ces remarques la situation contemporaine, cela reviendrait se demander quel est le masque de notre rel, et donc, quel est le semblant propre du capitalisme imprial mondialis. ous quel masque il se prsente qui interdit que son identification le divise, quel est le masque la fois si rel et si loign de tout rel quil est presque impossible de larracher ?

    Alors je suis dsol d avoir dire ici que le semblant contemporain du rel capitaliste, cest la dmocratie. C est son masque. Jen suis dsol parce que le mot dmocratie est un mot admirable, et quil faudra le reprendre et le redfinir, sous une forme ou sous une autre. Pour le moment, la dmocratie dont je parle, cest celle qui fonctionne dans nos socits de faon institutionnelle, tatique, rgulire, norme. On pourrait dire - pour reprendre la mtaphore de la mort de Molire - que le capitalisme, cest ce monde qui est constamment en train de jouer une pice dont le titre est La dmocratie imaginaire . Et elle est bien joue, cest la meilleure pice dont le capitalisme soit capable. Les spectateurs et les participants en gnral applaudissent plus ou moins. En tout cas cest un rite auquel on les convoque et auquel ils se rendent, mais tant que cette pice dure, cest bien la dmocratie imaginaire qui est joue, et par en dessous cest bien le procs mondialis du capitalisme

    / / 25

  • et du pillage imprial qui se poursuit, avec son rel impalpable et dont la description ne sert rien. Tant que cette pice dure et quun vaste public lapprcie, le rel du capitalisme, cest--dire la capacit de le diviser, de le contraindre une scission de lui-mme qui soit active et qui promette sa dissipation, sa destruction, demeure politiquement inaccessible. Parce que si cette pice est la pice du semblant dmocratique, si elle est le masque qui accorde au capitalisme imprial contemporain la couverture quil exige, et si par ailleurs aucune possibilit darracher ce masque, dinterrompre cette pice de thtre, n est lordre du jour, alors quelque chose reste politiquement inaccessible pour toute entreprise politique daccs au rel nu.

    Laccs au rel du capitalisme imprial contemporain - nomm aussi Occident, monde dmocratique, communaut internationale, Etat de droit..., les noms ne font pas dfaut - , laccs tout cela ne peut se faire que par une division constitutive de caractre politique. Or ce que nous constatons, cest que la pice rend possible cet gard uniquement de fausses divisions, dont chez nous la plus connue est la distinction gauche/droite. Observez bien la gauche aujourdhui, observez-la comme si vous assistiez la pice de la dmocratie imaginaire, qui est la pice, lunique pice qui soit au rpertoire. En tout cas il ny en a pas dautres qui soient joues, du moins cette chelle-l, celle de lEtat, celle de la nation, celle

    26

    du monde dvast par le capitalisme. Dieu merci, il existe ici ou l de petits thtres exprimentaux qui jouent d autres pices, mais ce serait entrer dans un autre chapitre. Que voyez-vous ? Lorsque le gouvernement dcide de donner 20 milliards au patronat, sans compensation aucune, il joue la pice avec conviction. Mais il ne faut pas en faire une pathologie, il est l pour a ! Que diable pourrait-il faire dautre ? Cest comme si tout coup au milieu d une pice de thtre un acteur se levait pour dire quil en a assez de jouer cette pice et quil veut en jouer une autre ! C est dailleurs ce qua fait Molire, parce que quand il meurt au milieu de la pice, cest une autre pice qui se joue...

    Le rel tant toujours ce qui se dcouvre au prix que le semblant qui nous subjugue soit arrach, comme ce semblant fait partie de la prsentation mme du rel cach, j ai propos dappeler vnement cet arrachage du masque, parce que ce nest pas quelque chose qui est interne la reprsentation elle-mme. Cela survient d ailleurs, un ailleurs intrieur, si lon peut dire, mme si cet ailleurs est difficilement situable et malheureusement souvent improbable.

    Ma dernire remarque propos de lanecdote de Molire sera que si le rel nest accessible quen tant quarrachage de son semblant propre, alors il y a ncessairement une certaine dose de violence dans laccs au rel. Cette violence, dans lanecdote de

    27

  • la mort de Molire, est massivement prsente : lacteur seffondre, crache du sang, etc. Certes, cest une mtaphore. Elle indique - sans rien dmontrer - quil y a invitablement une dose de violence, parce que le rapport du semblant au rel fait partie du rel. Si bien quen arrachant le masque, vous divisez le rel, vous ne le laissez pas intact en face de vous. Tout accs au rel lui porte atteinte, par la division inluctable quen le dmasquant on lui inflige.

    Voil pour ce qui est de lanecdote.

    II. LA D FIN IT IO N

    Pour la sentence, je vais lemprunter lun de mes matres, Jacques Lacan, qui, ny allant pas par quatre chemins, a propos tout de go une dfinition du rel, certes un peu sournoise, qui est : le rel est l impasse de la formalisation.

    Au point o nous en sommes, que pouvons-nous faire de cette formule ? Je ne veux pas partir du concept, donc il faut partir dun exemple, et ce sera larithmtique lmentaire. Quand vous comptez, que vous multipliez ou additionnez, chose courante, convenons de dire que vous tes, de faon pratique, dans la formalisation arithmtique. Votre calcul est toujours fini : tout calcul sachve en effet par ce que lon appelle son rsultat, vrai ou faux. Donc vous tes dans une formalisation, qui est rgle (il y a des rgles daddition, ce sont celles que lon enseigne aux

    28

    enfants), qui est finie, et de lintrieur de ce formalisme il y a une activit particulire, qui est le calcul.

    Mais en ralit il y a dans cette affaire un point qui n est pas tout fait explicite, et qui est le suivant : quand vous calculez sur des nombres, vous tes convaincu que le rsultat est un nombre. Il n y a pas le moindre doute l-dessus : si vous additionnez des nombres vous obtenez un nombre. Ce qui suppose videmment que quelle que soit la dure du calcul fini, vous allez toujours trouver un nombre. Ce qui exige quil n y ait pas de dernier nombre. Ce serait absolument contraire la libert du calcul.

    Par consquent, quelque chose dans cette affaire est in-fini. Quelque chose la suite des nombres na pas de fin. Mais cet infini, qui fonctionne de faon cache dans le calcul fini lui-mme, cet infini, n est pas un nombre, parce que dans larithmtique, il n y a pas de nombre infini, cela nexiste pas. Donc le rel de larithmtique finie exige quon admette une infinit sous-jacente qui fonde le rel du calcul quoique en impasse de tout rsultat possible de ce calcul mme, lequel ne produit que des nombres finis.

    C est en ce sens quon peut dire que le rel des nombres finis de larithmtique lmentaire est un infini sous-jacent, inaccessible cette formalisation, et qui est donc bien son impasse. Lacan a parfaitement raison.

    29

  • Essayons de gnraliser. Dans lexemple arithmtique, un infini cach est une condition du calcul fini, mais en mme temps il ne peut pas tre calcul, et donc il ne peut pas figurer en personne dans la formalisation o le calcul opre : le nombre en effet, selon la formalisation qui linscrit dans un calcul, soit comme ce sur quoi on calcule, soit comme rsultat du calcul, est essentiellement fini. Par consquent on dira que le rel cest le point d impossible de la formalisation. Cela veut dire que ce que la formalisation rend possible - savoir, dans notre exemple, calculer sur des nombres - nest possible que par lexistence implicitement assume de ce qui ne peut pas sinscrire dans ce type de possibilit. Il sagit donc d un point de pense qui, quoiquil soit astreint demeurer inaccessible pour les oprations que la formalisation rend possibles, nen est pas moins lultime condition de la formalisation elle-mme.

    Nous pouvons alors dire quon atteint le rel, non par lusage de la formalisation - puisque justement il en est limpasse - , mais quand on explore ce qui est impossible pour cette formalisation. Comprenons cependant quil ne sagit pas dune impossibilit gnrale, mais du point prcis qui est limpossible dune formalisation dtermine. Quel est le point prcis qui est impossible dans larithmtique des nombres naturels ? C est le nombre infini. En tant que nombre, il est li organiquement la formalisation arithmtique, en tant quinfini, il en est

    30

    limpossible propre. Ainsi le nombre infini comme impossible est le rel de larithmtique.

    On pourrait mettre en avant des rfrences convaincantes dans dautres domaines, car cette doctrine est trs forte. Par exemple, on pourrait se demander quel est le rel des images cinmatographiques. On pourra alors soutenir - comme cela a depuis longtemps t fait, par exemple dans lontologie de limage propose par Andr Bazin - que le rel dune image cinmatographique, cest ce qui est hors champ. Limage tient sa puissance relle de ce quelle est prleve sur un monde qui n est pas dans limage mais qui en construit la force. Cest pour autant que limage se construit partir de ce qui est hors image quelle a des chances d tre rellement belle et forte, bien que le cinma ne soit compos - calcul - que selon ce qui circonscrit limage dans un cadre, et que donc le monde laiss hors champ soit prcisment ce qui nest pas film, ce quil est impossible de faire entrer tel quel dans limage cadre. De mme que le nombre infini est le rel de larithmtique, de mme le hors champ est linfini propre de limage cinmatographique. Mais cest aussi son impossible, puisque par dfinition linfinit du monde ambiant nest jamais capture par limage.

    Tout ceci revient dire quon peut accder un rel si lon dcouvre quel est limpossible propre dune formalisation.

    31

  • Parvenu ce point, il est intressant de se demander quel est le rel de la politique. Eh bien, cest le point qui, si on se rfre au cadre de la formalisation existante de la politique, cest--dire la politique telle que ltat la prescrit - la politique constitutionnelle, la politique autorise - , est rejet dans limpossibilit latente de son pouvoir rel. C est exactement ce que veut dire Marx quand il dit que le rel de la politique rvolutionnaire, cest le dprissement de ltat. Il dit simplement, sa manire, que dans le champ politique, le hors-champ, cest ce qui est hors tat, ce qui n est pas sous la contrainte de ce que ltat admet comme possibilit. Marx pense que dun point de vue stratgique, si on considre lhistoire totale de lhumanit jusqu nos jours, il faut dire que limpossible propre de la politique tant prescrit par ce qui est en dehors de ltat, la ralisation relle de la politique est le processus de disparition de ltat. C est l quest, sous le nom de communisme, linfini propre de la politique. Ltat nest jamais que la finitude calculable de la politique, dont le communisme est en quelque sorte le nombre infini.

    Une objection triviale, mais constante, est la suivante : si laccs au rel est le point dimpossible, il faut bien que toucher au rel, y accder, suppose quon puisse transformer cet impossible en possibilit. Ce qui semble prcisment impossible. Mais justement, cette possibilisation de limpossible nest

    32

    conceptuellement impossible quau regard de la formalisation concerne, le calcul des nombres, le cadrage au cinma, ltat en politique. C est donc un point hors formalisation qui seul donne accs au rel. C est pourquoi il sagit non pas dun calcul interne la formalisation, mais d un acte qui fait momentanment svanouir la formalisation au profit de son rel latent. Ce qui veut dire que cet accs exige, dans un premier temps, que soit dtruite la puissance de la premire formalisation. Si vous voulez faire entrer linfini dans les mathmatiques, vous ne pouvez pas vous contenter de larithmtique lmentaire. Il va falloir admettre quil y a des ensembles infinis, qui ne sont pas arithmtiques du tout, il va falloir la thorie des ensembles de Cantor. Tout de mme quau cinma, il faut que le metteur en scne de gnie fasse voir dans limage ce qui n y est pas, dtruisant ainsi la contrainte du cadre. En politique, comme vous le savez, le nom de cette destruction est : rvolution. Dans une rvolution, le formalisme lgal de ltat est, tout le moins, suspendu.

    Le processus daccs au rel - que jappelle dans mon jargon philosophique une procdure de vrit - est toujours en train de dtruire une formalisation partielle, parce quil fait advenir limpossibilit particulire et ponctuelle de cette formalisation.

    Quelles conclusions ?Premirement, il ny a de conqute du rel que

    l o il y a une formalisation - car si le rel est

    33

  • limpasse de la formalisation, encore faut-il quil y ait une formalisation - , donc il n y a pas despoir de conqurir le rel en dehors de lexistence d une formalisation, dun agencement, d une forme. Le rel suppose quait t pense et construite la forme apparente de ce dont un rel dtermin est le rel cach.

    Deuximement, laffirmation du rel comme impasse de cette formalisation va tre pour part la destruction de cette formalisation. Ou disons sa division. Et tout va commencer par une affirmation inacceptable du point de vue de la formalisation elle- mme, laquelle prescrit ce qui est possible, savoir L'affirmation que l impossible existe.

    C est l le geste fondamental de conqute du rel : dclarer que limpossible existe. Il y a un homme politique autrefois clbre qui a dit que la politique tait lart du possible, mais il est clair que cest lart de limpossible, si du moins il sagit d une politique relle. Lart du possible, cest la politique comme semblant. Cela a ses vertus parce que cela promet d conomiser la destruction. Mais si vous voulez la politique en tant que politique du rel, il faut affirmer lexistence de limpossible, et cela peut avoir des consquences fcheuses sur la formalisation dont cest limpossible propre.

    Tentons d appliquer tout cela la situation contemporaine du monde des hommes. Il est clair que la formalisation majeure de notre existence collective,

    34

    cest le capitalisme parvenu sa forme suprme, t|iil est limprialisme plantaire. Et son point dimpo-. sible propre, cest lgalit. Pourquoi ? Parce qui li capitalisme est totalement rebelle lradication de l.i proprit prive, sur laquelle il repose, et que laccu mulation de la proprit prive produit ncessaire ment des ingalits normes. D ailleurs lingalit est constamment revendique par le capitalisme comme une necessite naturelle, et lgalit est par lui qualifie d utopie conduisant au crime, ce qui revient dire quelle est humainement impossible. Cela a t clarifi depuis longtemps, depuis la Rvolution franaise peut-tre : le point dimpossible propre du capitalisme c est lgalit. Laffirmation effective de ce point d impossible, laffirmation que ce point doit tre lorigine de toute pense politique neuve, est ce que mon ami Rancire appelle laxiome de l galit. En tant que point d impossible, l galit ne saurait tre un rsultat que si elle est dclare comme principe. Mais ce principe, dans lordre pratique, se paie ncessairement d une scission destructrice du capitalisme imprial.

    Je disais tout 1 heure que ctait pour indiquer le rel de tout ensemble social que Marx avait parl de1 abolition de ltat. Mais maintenant nous voyons trs bien la raison pour laquelle, la fin du Manifeste du parti communiste, Marx dclare que tout le programme dun parti communiste se ramne une seule maxime : abolition de la proprit prive. Laccs au

    35

  • rel du capitalisme, ce nest pas analyser le capitalisme, en faire la science, ce qui est fort utile, mais que les conomistes bourgeois font fort bien. Laccs au rel du capitalisme, cest laffirmation de lgalit, cest dcider, dclarer, que lgalit est possible, et la faire exister autant que faire se peut par laction, lorganisation, la conqute de lieux nouveaux, la propagande, la construction, dans des circonstances disparates, de penses nouvelles, linsurrection et la guerre sil le faut.

    Mme sous des formes trs limites, tout processus rellement galitaire va infliger des blessures graves au principe constitutif de la formalisation capitaliste du monde, qui est que tout individu a le droit illimit de cumuler des richesses. Lessence du communisme consiste affirmer lexistence de la possibilit, considre comme impossible du point de vue du capitalisme, de venir bout de lingalit constitutive que la proprit rend invitable. Le communisme est en ce sens le nom du seul processus existant de mise au jour effective du rel du capitalisme.

    III. LE PO M E

    Le pome dont je vais partir est un pome de Pasolini, le grand cinaste italien - je lappelle ainsi parce quil est aujourdhui surtout connu comme cinaste - , et ce pome a pour titre Les cendres de Gramsci .

    36

    Un mot tout de mme sur Pier Paolo Pasolini, un petit peu moins connu que Molire. Il a t connu comme cinaste, mais aussi par sa vie extraordinairement tourmente, qui sest termine par une mort atroce : un meurtre dans un terrain vague au bord de la mer, meurtre li aux formes radicales et dangereuses du dsir. Dj dans cette vie mme de Pasolini sindique ce que j appellerais le tourment solitaire dune recherche dsespre du rel. Avec Pasolini, nous entrons dans une autre approche du rel qui est la subjectivation proprement dite.

    Il y avait chez Pasolini une pense extrmement violente et un dsir illimit. Et la combinaison de cette pense violente et de ce dsir illimit la mis en porte--faux du monde tel quil tait, tel point quil se tenait personnellement tout prs du point dimpossible. Et sa posie, plus que le cinma ou la prose, tmoigne de cette proximit au point dimpossible du monde.

    Pasolini est un trs grand pote, certainement lun des plus grands des dcennies qui vont des annes 1940 la fin des annes I960, de la guerre mondiale au soulvement de la jeunesse des annes I960. Cest aussi la priode qui va de la solidit du communisme stalinien son discrdit total et son effondrement. Et cest la raison pour laquelle Pasolini se demande- cest le sujet de ses pomes, qui sont souvent des constructions gigantesques et trs subjectives - ce quest le rel de lHistoire. Cest sa question.

    37

  • Vous savez que lessayiste amricain Fukuyama a soutenu rcemment la thse selon laquelle le rel de lHistoire est quelle soit parvenue sa fin. C est une thse considrable, quon peut nourrir dun certain hritage hglien plus ou moins dform et incompris, mais qui dans tous les cas est bien une thse sur le rel de lHistoire. Elle consiste dire que nous pouvons maintenant savoir ce quaura t ce rel, parce que, avec le capitalisme mondialis et ltat dmocratique, on a trouv une formule capable dobtenir un tel consentement gnral quelle rend en fait inutile les conflit historiques, entre classes ou entre nations, et donc finalement lHistoire elle-mme.

    Ce qui est pour nous trs intressant, cest que ds les annes 1950, Pasolini a soutenu une thse voisine. Il a soutenu tout le moins quune certaine histoire avait pour rel dtre en train de sachever. Peut-tre avait-il potiquement raison. Peut-tre est-il justifiable aujourdhui de penser, non pas que lHistoire est finie, ce qui n a aucun sens, mais que nous sommes si proches du point dimpossible dune certaine histoire - dune forme singulire dhistoricit - , donc de son point rel, quil se pourrait que nous basculions dans sa fin. Peut-tre sommes-nous au point o lhistoire, telle que nous lavons connue et pratique, va se diviser lpreuve de son rel, et ainsi se dfaire. Peut-tre que lHistoire - notre histoire, celle que savons raconter - va souvrir comme fait la terre lors des grands sismes. Nous pourrons alors

    38

    repartir, dots dun certain accs au rel de notre histoire, lequel aura t loprateur de division, non finalement de lHistoire, mais de notre historicit singulire, celle qui, en dfinitive, tourne autour de la prennit des Etats.

    Pasolini dit quelque chose de ce genre. Il ne le dit pas comme Fukuyama, qui sassoit confortablement dans le fauteuil de la civilisation contemporaine. Il le dit dans un tourment terrible, le tourment de celui qui endure lexprience de ce rel divis devenu mortifre.

    Le pome Les cendres de Gramsci date de 1954. Il y a dans ce pome une puissance prophtique extraordinaire. A y regarder de prs, on voit quil ny a que deux choses dans lactivit des hommes qui soient prophtiques : la posie et les mathmatiques. Les mathmatiques, parce quelles inscrivent formellement, voire dmontrent, lexistence de relations et dobjets dont on ne pouvait mme pas, avant les formalismes mathmatiques, imaginer quils puissent exister. Or ces relations et ces structures savrent plus tard absolument indispensables pour penser le moindre mouvement du moindre morceau de matire. La posie, parce que tout grand pome est le lieu langagier d une confrontation radicale avec le rel. Un pome extorque la langue un point rel dimpossible dire.

    Vous remarquerez d ailleurs que mathmatiques et posie nomment les deux extrmits du langage :

    39

  • les mathmatiques du ct du formalisme le plus transparent, et la posie au contraire du ct de la puissance la plus profonde, et souvent la plus opaque.

    Revenons au pome de Pasolini, Les cendres de Gramsci . Gramsci a t un des fondateurs et dirigeants du Parti communiste italien. Il a pass une t bonne partie de sa vie dans les prisons fascistes. Il est une figure tutlaire du communisme europen, un penseur marxiste trs original. Par consquent le titre Les cendres de Gramsci annonce dj que, du rel dont Gramsci a t lagent ou le tmoin, nous savons quil ne reste plus que les cendres.

    Le pome a pour dcor un cimetire. Si lon est la recherche du rel comme division et mort dune figure antrieure de la formalisation politique, le cimetire est un bon endroit pour y voir clair. Il y a trs longtemps dailleurs quon mdite sur le rel partir des cimetires. Souvenez-vous de la scne des fossoyeurs dans Hamlet : il est certain que la question du rel, sous la forme tre ou ne pas tre , acquiert toute sa densit si lon tient un crne dans ses bras.

    Le cimetire dont nous entretient Pasolini est trs particulier - si vous allez Rome, je vous recommande vivement de le visiter. C est le cimetire o sont enterrs, en terre romaine, tous les gens qui durant leur vie ntaient pas catholiques. Ce cimetire est ainsi le rsultat dune slection religieuse des morts : le Vatican a demand et obtenu quon nenterre pas en terre suppose sainte des gens qui

    40

    ntaient pas de la bonne religion locale. Du coup, ce lieu rassemble, dans une remarquable fraternit post-mortem, les protestants, les musulmans, les juifs et les athes. C est l quest enterr Gramsci, dans le secteur des non-croyants.

    Il y a dj l pour Pasolini un point de rel, qui est lcart o se tient ce cimetire. Cet cart est comme le symbole d un exil, un exil si tenace quil concerne aussi les morts. Or on peut soutenir que le rel est toujours dans la forme dun exil, puisque, tant limpossible ou le semblant dont il faut arracher le masque, y accder suppose quon sloigne de la vie ordinaire, de la vie commune. Le rel nest pas du tout ce qui structure notre vie immdiate, il en est au contraire, comme la admirablement vu Freud, le lointain secret. Et pour dcouvrir ce secret il faut sortir de la vie ordinaire, sortir de la caverne, Platon la dit une fois pour toutes. Mais tous ceux qui sont enterrs dans ce cimetire sont dj sortis, dj hors de la mort normale. On leur a concd un petit bout exil et non bni par le pape de cette terre sacre.

    La composition du rel, ici, engage un exil national : Gramsci n est pas vraiment enterr en Italie, il est enterr dans un lieu proscrit, o rsident principalement des trangers, dont Shelley par exemple, le pote anglais, non loin de Gramsci. C est au milieu de ce genre dtrangers quon a mis Gramsci lincroyant. Pasolini, profrant le pome devant la pierre

    41

  • tombale du communiste - une grande pierre nue - et lui parlant comme un frre aim, lui dit : Il ne test aujourdhui permis que de dormir en terre trangre, toujours banni. Tel est est lexil national.

    Mais il y a aussi un exil social, un exil de classe. Parce que le quartier dans lequel est install ce cimetire est un quartier de villas occupes par de riches familles. Ainsi le grand communiste Gramsci repose non seulement au milieu dune terre trangre mais au milieu dun quartier bourgeois caractris, et comme le lui dit magnifiquement Pasolini, un ennui patricien t entoure .

    Et enfin - cest le plus important - il y a un exil historique. Gramsci a vcu pour que saccomplisse le rel de lHistoire. Il a vcu comme militant et dirigeant communiste au sens o il pensait que le moment tait venu daccomplir ce rel, ce qui voulait dire : rendre possible limpossible, russir en Italie, et dans le monde entier, une rvolution proltarienne. C est videmment ce titre quil est, dans le cimetire mme de son exil, visit et clbr. 11 est frappant et mouvant de constater que la tombe de Gramsci est toujours couverte de fleurs. Jen ai fait lexprience personnelle : cest un moment intense de mon existence que davoir moi aussi, comme Pasolini, mdit devant la tombe de Gramsci.

    Mais voici le tournant du pome : tout cela, fleurs comprises, ne fait que souligner que Gramsci est tenu dans un exil historique. Pourquoi ? Parce que

    42

    le rel dont il a soutenu sa vie, le rel de la rvolution proltarienne, sest vanoui. Le rel mme que Gramsci voulait faire advenir comme rel de lHistoire, nous ne savons plus ce que cest. Il a pris la forme de sa propre disparition.

    Alors Pasolini va demander Gramsci si, finalement, sa rduction de simples cendres triplement exiles signifie quil faut renoncer tout accs au rel. Je cite : Me demanderas-tu, mort dcharn, de renoncer cette passion dsespre dtre au monde ?

    J ai dfini autrefois le XXe sicle comme le sicle de la passion du rel. Nous y sommes ! C est cette passion dont dj au milieu du xxe sicle, en 1954, Pasolini souponne potiquement quelle a cess de valoir, quelle ne nous anime plus, et que, rduit lexil de ses cendres, Gramsci nous dit : J ai voulu cela, mais je ne vous demande plus de le vouloir, je vous demande de renoncer cette passion dsespre dtre au monde.

    Du coup le pome va sorganiser comme la description du monde contemporain - et cela va nous intresser au plus haut point, bien que cela ait un demi-sicle dge. Pourquoi ? Parce que pour Pasolini, la caractristique de notre monde, disons le monde occidental , est dtre et de se vouloir abrit du tout rel. C est un monde dans lequel le semblant a pris une telle vigueur que tout un chacun peut vivre, et finalement dsire vivre, comme sil tait labri de tout ce qui pourrait tre un effet rel.

    43

  • Si bien que, dans cette sorte de monde, si daventure le rel opre une troue dans le semblant, on a toift de suite un dsarroi subjectif total.

    Le monde que nous dcrit Pasolini est un monde orphelin de Gramsci, dsert de toute vocation faire advenir le rel de lHistoire. C est un monde o rgne ce que Pascal a appel une fois pour toutes le divertissement. On devrait du reste dire aujourdhui entertainment : entertainment world .

    Pascal mriterait une longue incise : il est un magnifique thoricien de la question du rel. Si Pascal stait souci de pasticher Lacan, il aurait dit : le rel, cest limpasse de tout divertissement. Le rel surgit quand le divertissement est bout de souffle, et ne parvient plus nous mettre labri dun tel surgissement.

    La thse que formalisent en pome Les cendres de Gramsci est que, dans la socit capitaliste triomphante, le divertissement est roi - un peu comme pour Debord il y a souverainet du spectacle. Il ny a que le divertissement. Il ny a que le souci de se tenir aussi loign du rel que possible. De faon cultiver, acheter, nourrir et perptuer le semblant protecteur du sujet, quand il est citoyen de lOccident imprial. Pasolini va appeler cette disposition subjective remplacer la vie par la survie . La survie a une dfinition prcise : vous avez en effet renonc la passion dsespre dtre au monde , vous ne pouvez plus que continuer le travail ngatif du divertissement.

    44

    Mais entendons un peu la voix du pome, dans la traduction de Jos Guidi. Entendons le rseau dimages o se dplie la description de la vie lcart du rel, cette vie qui renonce faire advenir le rel de lHistoire, qui condamne Gramsci lexil de ses cendres, et qui, ce faisant, ne peut qutre corrompue :

    [...] Et on sent bien que pour ces tres vivants, au loin, qui crient, qui rient, dans leurs vhicules, dans leurs morneslots de maison o svanouitle don perfide et expansif de lexistence -cette vie nest quun frisson ;prsence charnelle, collective ; on sent labsence de toute religion vridique ; non point vie, mais survie- plus joyeuse, peut-tre, que la vie - comme en un peuple danimaux, dont le secret orgasme ignore toute autre passionque celle du labeur de chaque jour :humble ferveur, que vient parer dun air de ftelhumble corruption. Plus se fait vain- en cette trve de lhistoire, en cette bruyante pause o la vie fait silence - tout idal, plus se rvle

    45

  • la merveilleuse et brlante sensualit presque alexandrine, qui enlumine et illumine tout dun feu impur, alors quiciun pan du monde scroule, et que ce monde se trane dans la pnombre, pour retrouver des places vides, de mornes ateliers.

    Q uest-ce que lon trouve dans ce passage ? Tout dabord que dans notre monde, la vie est dissipe. Ds lors que la vie n est plus habite et oriente par le projet de faire advenir son propre rel, elle est comme insaisissable, informe, dsoriente. C est une vie qui de divertissement en divertissement est une vie gare, une vie qui prtend attribuer une valeur capitale sa propre mise en pices. Et cest une vie qui du coup, cest le deuxime point, est hante par labsence de toute vrit. La vrit est, pour Pasolini comme aussi pour moi, un mot qui peut venir la place du mot rel . Quand Pasolini parle de labsence de toute religion vridique, il ne fait pas allusion une religion au sens habituel du terme. Religion vridique signifie simplement la conviction quune vrit est possible. Autrement dit, dans notre monde, la conviction que la tentative dont Gramsci est lemblme - extorquer lHistoire son rel communiste - peut tre continue. C est cette conviction, celle de Gramsci, dont le pome prononce quelle est dsormais impossible. Il y a en

    46

    troisime lieu lide que tout, dans lordre du semblant de vie qui nous tient lieu de vie, est ramen au couple du travail et de largent. Le mode propre notre monde de dissipation de lexistence est le rgne absolu du couple du travail et de largent. Le labeur de chaque jour dun ct, lhumble ferveur, et de lautre ct lhumble corruption.

    Lhumble corruption est une expression admirable, parce quelle nous indique quil y a, bien sr, la corruption grandiose, la corruption spectaculaire, le banditisme chic de nos matres, la corruption omniprsente dont on nous offre de temps en temps le spectacle sous la forme, que j ai commente, du scandale, mais que ce nest pas le plus important. Ce qui compte, ce qui rgle le monde des sujets, cest le consentement gnral ce quil en soit ainsi. Et a, le fait quen dfinitive tout le monde pense plus ou moins que ce qui importe est davoir largent ncessaire pour acheter ce dont on a envie, et que telle est le fondement inbranlable du monde tel quil est, a, oui, cest lhumble corruption. Celle que nous partageons tous, plus ou moins, et dont le scandale des corruptions mmorables n est que lexception quon prtend salvatrice.

    Ce que nous enseigne indirectement Pasolini, cest que si lon donne de temps en temps en pture de grands corrompus, cest parce que ce qui compte, cest la petite corruption. Ce qui est essentiel, cest le fait que chaque subjectivit soit achete par ce quon

    47

  • se propose de lui vendre. On peut sacrifier quelques _ grands corrompus : a en vaut la peine, si pour ce maigre prix le systme de lhumble corruption , qui est aussi celui du divertissement, de la survie, de la vie abrite de tout rel, se perptue.

    La quatrime et dernire grande ide du fragment que je vous ai lu tient dans laffirmation que, alors quun monde sest croul, nous sommes, nous, dans une trve de lHistoire. C est trs important parce que cest une question que nous avons de multiples raisons de nous poser. Dans quel moment vivons-nous ? Quel est notre site historique ? Ce que ds 1954 Pasolini proposait de dire, cest que peut- tre notre monde est intervallaire. Une premire histoire n est plus en tat de faire valoir son rel, Gramsci est rduit ses cendres, lui-mme nous dit silencieusement : Ne continuez pas ce que jai dsir faire. Et puis, peut-tre quune autre histoire va commencer, peut-tre quautre chose advient, que nous sommes dans une autre figure de limpasse de la formalisation, que cest une autre tape qui va advenir, comme au-del de larithmtique grecque il y a lhistoire moderne de la thorie des ensembles infinis. Le monde occidental de la dmocratie, des classes moyennes, de la vie aise et contente, de la survie dans le divertissement, de labsence dsire de tout rel, ce monde ne serait quun moment plat de lhistoricit, entre quelque chose qui est rvolu et quelque chose qui va natre,

    48

    et cest finalement la raison pour laquelle ce monde se trane dans la pnombre, pour retrouver des places vides . Description svre mais juste. Se traner pour trouver des places vides est bien ce que nous faisons tous, parce que nous sommes tous, un degr ou un autre, dans lhumble corruption. Dans notre monde intervallaire, vous ne pouvez en effet querrer jusqu ce que vous trouviez le petit coin vide dans lequel vous allez pouvoir installer votre humble corruption.

    Vous voyez lide de Pasolini : Q uest-ce que sinstaller quand on a perdu toute conviction quant la possibilit de faire advenir le rel de lHistoire ? C est cela que tente de dcrire le pome. Sil ny a plus aucune religion vridique , alors que signifie vivre ? Que signifie sinstaller dans lexistence ? Eh bien, finalement, sinstaller dans lexistence cest grer, dune manire ou dune autre, lhumble corruption.

    Tout cela va conduire le pome vers sa conclusion, que je vous lis :

    La vie est bruissement, et ces gens qui sy perdent, la perdent sans nul regret, puisquelle emplit leur cur. On les voit quijouissent, en leur misre, du soir : et, puissant, chez ses faibles, pour eux, le mythe se recre... Mais moi, avec le cur conscient

    49

  • de celui qui ne peut vivre que dans lhistoire, pourrai-je dsormais uvrer de passion pure, puisque je sais que notre histoire est finie ?

    En cette fin du pome, Pasolini tranche, sa manire, en faveur dune fin de lHistoire. Non pas du tout parce que cette histoire aurait combl les vux des hommes, mais tout au contraire parce que limpuissance les combler dans l ordre du rel sest installe, et que par consquent la subjectivit fondamentale que le monde exige de nous, et que trs largement il obtient, est une subjectivit de renoncement. Il nous faut absolument renoncer quelque chose pour pouvoir nous tenir, comme de bons citoyens, devant la scintillation du march mondial. En vrit, pour tre un bon acheteur, il faut avoir renonc tout. A tout ce qui est rel. Si vous avez une aspiration vritable, une religion vridique, vous ne pouvez pas vous contenter de ce quon vous vend, et vous dsirerez que se manifeste le rel dont cette offre de vente est le semblant. Et vous ne serez plus jamais le bon acheteur dont la machine impriale a absolument besoin.

    Pasolini se demande alors si lui, personnellement, va pouvoir encore faire quelque chose, uvrer de passion pure - on retrouve l la passion du rel - ds lors quil fait sienne la conviction ngative que notre histoire est finie.

    50

    En somme, la passion du rel a bel et bien t la passion du xxe sicle. Et cest de la mort de cette passion que Pasolini nous entretient. Ds 1954, donc au milieu du XXe sicle, un pote nous dit dj que lhistoire de ce sicle, dans ce quelle avait de tendu, de mmorable, de fondamental, est termine.

    Dans la premire moiti du XXe sicle, des millions dhommes ont partag lide que lHistoire allait accoucher de son rel. Et ils taient prts payer le prix, ft-il exorbitant, de cette naissance. LHistoire, grce au terrible labeur de la conviction, allait accoucher dun monde nouveau, qui serait le rel du monde ancien, exactement comme le nombre infini est le rel de larithmtique ordinaire. Ce qui dans le monde de la classe moyenne en proie son divertissement parat effroyable et scandaleux, le consentement de terribles violences, des millions de gens ont pens que cela en valait la peine, tout simplement. Sil sagit daider la naissance d un monde nouveau qui sera ni plus ni moins laccomplissement rel de lHistoire tout entire, on ne va pas chicaner sur les violences et le nombre des victimes. Car il sagit de rien de moins que dune rponse enfin compltement positive la seule question qui vaille, et qui est : Limpossible peut-il exister ? Exactement comme Cantor nous a lgu ce que Hilbert considrait comme un nouvel den mathmatique, savoir une rponse rationnelle dfinitive la question Linfini peut-il exister ? .

    51

  • La passion du rel ne sarrtait pas devant les objections mineures, morales ou autres, tout simplement parce que ctait la passion que limpossible existe. Elle ne pouvait donc pas se rgler sur les lois ordinaires de la possibilit. Cest pour cela que le xxe sicle a t un sicle hroque. Sanglant, affreux, mais hroque. De lhrosme de ceux qui affirment que limpossible existe. Car cest comme cela quon peut dfinir lhrosme : cest toujours se tenir au point rel lui-mme, se tenir l o limpossible va tre affirm ou confirm comme possible.

    La fin de lHistoire, au sens de Pasolini, cest la fin de cette esprance. C est la fin de lHistoire comme un des noms possibles du rel. Et bien entendu, cest la fin de lhrosme historique. La petite jouissance du sujet diverti de la classe moyenne exige absolument que rien dhroque narrive plus jamais.

    Il y a probablement une leon importante tirer de la mlancolie potique de Pasolini : il importe dsormais de dissocier histoire et politique. Il est vrai, le xxe sicle nous la appris, que la question du rel de lHistoire n est pas ce qui nous permet de garantir que perdure le rel de la politique communiste. Depuis Marx, on a eu lide que si on rvlait le rel de lHistoire, on aurait rellement un monde politique nouveau. Marx affirmait lexistence dune science de lHistoire, le matrialisme historique, mais il n a jamais affirm lexistence d une science de la politique. En un sens, le matrialisme historique

    52

    absorbait le rel de la politique, et la politique tait soumise lHistoire. C est de ce point que nous recueillons les cendres, avec le dialogue de Pasolini et de Gramsci.

    Il faut peut-tre dire aujourdhui quen politique, le rel ne sera dcouvert quen renonant la fiction historienne, cest--dire la fiction selon laquelle lHistoire travaille pour nous. Si elle ne travaille pas pour nous, cest--dire sil ny a pas de relation organique entre le rel de lHistoire et lpanouissement ou le dveloppement d une politique communiste- appelons-la comme cela - , alors il y a en effet la ncessit dun renoncement limit. Mais ce renoncement ne stend nullement laction politique en gnral. Nous pouvons et nous devons rpondre positivement la question de Pasolini. Il nous dit : si lHistoire, au sens de Gramsci et du xxe sicle, est finie, est-ce que je peux encore uvrer avec une passion pure ? Nous rpondrons : oui ! Nous pouvons uvrer avec passion, mme si la fiction historienne est rvolue, mme si lon sait quil n est pas exact que les structures gnrales de lHistoire et le rel de lHistoire travaillent dans la direction de lmancipation.

    Evidemment, cela requiert une dissociation trs difficile conqurir entre lesprance historique et lobstination politique. Lobstination politique doit pouvoir se soutenir de labsence de lesprance historique. Si nous y parvenons, nous aurons rendu

    53

  • justice aux cendres de Gramsci. Nous aurons rellement entendu ce quil avait nous dire, sous la forme que Pasolini lui donne, et qui est en substance : Renoncez la fiction historienne. Mais nous naurons pas besoin de partager la nostalgie amre de Pasolini. Lui, en effet, nest pas du tout sr de pouvoir accepter le renoncement lhistoire. Il se demande : Puis-je encore oeuvrer potiquement, si ce grand rve dune Histoire qui travaille dans la direction de lmancipation de lhumanit savre son tour tranger tout rel ?

    Quant nous, plus de cinquante ans aprs Pasolini, nous pouvons, me semble-t-il, formuler trois directives.

    La premire est darracher le masque du semblant dmocratique. Ce qui veut dire : exprimenter, sous lIde du communisme, des formes dmocratiques compltement diffrentes. Il faut se soustraire la propagande selon laquelle que le seul contraire de la dmocratie existante, que je nomme le capitalo- parlementarisme, est un totalitarisme bestial. En ralit la dmocratie existante a comme contraire- revenons notre sujet - une dmocratie relle. Le contraire totalitaire na nul autre usage que de lgitimer le semblant dmocratique dont le rel est le capitalisme imprial. Quant au rel, le moment est venu dune exprimentation dmocratique de type nouveau, qui a commenc depuis toujours, depuis Spartacus, Thomas Mnzer, les sans-culottes, la

    54

    Commune de Paris, les soviets, la Rvolution culturelle en Chine, mais qui doit maintenant se coordonner, se rassembler, tre sre delle-mme, se penser, avoir son corps de doctrine, et qui, ds le dbut et avec constance, doit se prsenter comme explicitement oppose au semblant dmocratique qui nest que le masque derrire lequel se trouve le rel du capitalisme mondialis. C est un premier geste.

    Le deuxime geste, cest de formaliser pour notre propre compte le capitalisme contemporain. Je veux dire quil faut inventer et trouver des formalisations consistantes du capitalisme et de limprialisme tels quils sont aujourdhui. Car lexactitude dune formalisation prpare la dtermination agissante de son point dimpossible propre, et donc de son rel. Nous savons de faon trs gnrale que lgalit est le point dimpossible propre du capitalisme. Mais les mthodes organises pour se tenir aussi prs que possible de ce point dimpossible, la nature des vnements locaux qui le font surgir comme possibilit, tout cela varie selon les circonstances et les tapes du capitalisme et de limprialisme. Le mode sur lequel lgalit est impossible n est pas le mme en 1840 et aujourdhui.

    Et enfin, il faut proposer un bilan du xxe sicle, cest--dire, si vous voulez, un bilan du renoncement dont sinquite Pasolini - le renoncement lessence progressiste de lHistoire - qui soit un bilan de renoncement fait du point de vue de qui ne renonce

    55

  • pas. Il faut renoncer sans renoncer. Il faut renoncer la croyance en un travail de lHistoire qui serait par lui-mme et de faon structurale orient vers lmancipation. Mais il faut nanmoins continuer affirmer que cest bien au point dimpossible de tout cela que se situe la possibilit de lmancipation. En ce sens, quelque chose du XXe sicle va quand mme se poursuivre. Nous ne pouvons pas accepter que tout cela soit jet aux orties et souffler sur ce point dans les mmes trompettes que nos adversaires. Il faut proposer un bilan du xxe sicle qui soit comme un appareil filtrer dans ce qui a eu lieu cela mme qui ne pouvait pas avoir lieu, qui tait en impasse.

    Tout ce travail, de pense et d action, tourne autour du rapport historique entre rel et destruction. Parce quil y a eu un prix terrible payer pour cette ide enthousiasmante selon laquelle lHistoire travaille pour nous, pour lmancipation de lhumanit. Ce prix vient de ce quen vrit, lHistoire ne travaillait pas spcialement pour lmancipation de lhumanit, et que donc, pour garder lide enthousiasmante, il fallait la forcer le faire. Il fallait accoucher son rel suppos qui tait le travail dans le sens de lmancipation. C est pourquoi latmosphre politique gnrale doublait lenthousiasme dun marcage de suspicion, de dlation, et instaurait lomniprsence de la catgorie de suspect et ce, ds la Rvolution franaise. Parce que si lHistoire ne travaille pas pour nous, alors quen principe elle le

    56

    doit, cest quil y a des saboteurs. Il y avait donc des saboteurs de lHistoire, et saboter une Histoire qui va dans les sens de lmancipation est quand mme un crime considrable. C est pourquoi on a massacr en masse des suspects de tous calibres. Et cela n a pas du tout t le rsultat dune folie sanguinaire ou d une ignorance barbare des supposs droits de 1 homme , mais leffet d un dispositif cohrent de la rationalit dialectique. Donc cest bien ce dispositif d ensemble quil faut remanier, partir dune nouvelle conception du rel qui ne prtend pas que lHistoire en est la servante.

    Une variante de la position subjective, dont nous cherchons tirer d importantes leons ngatives, peut se formuler ainsi : puisque lHistoire doit accoucher d un monde mancip, on peut sans tats d me accepter et mme organiser une destruction maximale. C est ce que j appelle le phnomne de la destruction historique. Puisque cest lHistoire qui doit accoucher dun monde politique nouveau et salvateur, il nest pas tonnant que les destructions soient lchelle de lHistoire.

    Au niveau des abstractions dialectiques, cette thse prend la forme simple que voici : la ngation porte laffirmation. La destruction est laccoucheuse de la construction. C est une conviction trs ancre dans le xxc sicle, et qui donne lenthousiasme rvolutionnaire sa touche de frocit inutile : les principes rels du monde mancip surgiront de

    57

  • la destruction du vieux monde. Mais cest inexact, et cette inexactitude entrane que la destruction du vieux monde occupe une place disproportionne, et que la lutte pour venir bout de ce vieux monde jusqu en extraire les principes du nouveau est infinie, interminable.

    Donc je pense quil faut remplacer cette dialectique ngative par une dialectique affirmative. Il faut renoncer lide que la ngation porte laffirmation, ide qui ntait que la forme logique dune esprance enthousiasmante quadviendrait ainsi laccouchement forc d un rel de lHistoire. En ralit, on la vu au XXe sicle, la ngation porte la ngation, elle engendre incessamment dautres ngations. Il faut affirmer que lusage de la ngation, sil est invitable, doit tre svrement contrl, et tenu en lisire par la puissance pralable dune affirmation. Et pour cela, il faut se situer un autre point dimpossible que celui quon suppose lHistoire. Cela donnera pendant tout un temps aux nouveauts politiques un caractre invitablement local. Nous aurons des exprimentations locales, qui peuvent tre de grande importance, de grande envergure, et dans lesquelles cest partir dun principe affirmatif interne ce qui se passe, interne aux acteurs de la situation concerne, ce quils pensent, ce quils discutent, ce quils font, que sera dfinie la norme de la ngation, et par consquent sa limite. C est tout cela, qui relve du style militant des politiques communistes

    58

    venir, qui permettra de renoncer aux destructions historiques.

    Je voudrais conclure en disant que la clef de laccs au rel est la fin des fins la puissance d une dialectique affirmative. C est prcisment de cette dialectique que Pasolini fait le portrait dans un autre pome, qui sappelle Victoire . Vous allez voir quil dit ce que je viens de redire autrement, mais avec une sorte de mlancolie que nous devons surmonter. Dans cet immense pome, Pasolini parle nouveau de celui qui essaie de garder la passion du rel dans les conditions du renoncement, les conditions de ce que Pasolini appelle la fin de lHistoire. Cet homme, en fait Pasolini lui-mme, est orphelin de lHistoire et cependant il essaie de garder la passion du rel. Voici comment le pome le dcrit :

    Mais lui, hros dsormais dchir, ne trouve plus,Dsormais, la voix qui touche le cur :Il sen remet la raison qui nest pas raison, la sur triste de la raison, celle qui cherche saisir ce quil y a de rel dans le rel, avec une

    passionqui se refusera toute tmrit, tout extrmisme.

    Cest ce quil nous faut : une raison qui fait le deuil de lhistoricit favorable, qui demeure cependant dans

    59

  • la passion du rel, qui cherche dans lexprimentation politique locale saisir ce quil y a de rel dans le rel et qui se garde de lextrmisme destructeur.

    Je ne pense pas - et ce sera mon seul point de divergence avec Pasolini - que cette sur affirmative de la dialectique ngative soit par elle-mme triste. On sent bien que chez Pasolini, cette sur de la raison quil propose - et qui est bien la raison affirmative - est une sur triste, parce que pour lui, renoncer la grce dune Histoire favorable est terrible. Mais aujourdhui, nous devons tre convaincus quen dpit des deuils que la pense nous impose, chercher ce quil y a de rel dans le rel peut tre, est, une passion joyeuse.

    DU MME AUTEUR

    P H IL O SO P H IE

    Le Concept de modle, Maspero, Paris, 1969 ; rd. Fayard Pu is 2007.

    Thorie du sujet, Le Seuil, Paris, 1982.Peut-on penser la politique ?, Le Seuil, Paris, 1985.L tre et l vnement, Le Seuil, Paris, 1988.Manifeste pour la philosophie, Le Seuil, Paris, 1989.Le Nombre et les nombres, Le Seuil, Paris, 1990.Conditions, Le Seuil, Paris, 1992.L thique, Hatier, Paris, 1993; rd. Nous, Caen, 2003. Deleuze, la clameur de l tre , Hachette Littratures, Paris,

    1997 ; rd. Fayard, 2013.Saint Paul, la fondation de l universalisme, PUF, Paris, 1997. Court trait d'ontologie transitoire, Le Seuil, Paris, 1998.Petit manuel d inesthtique, Le Seuil, Paris, 1998.Abrg de mtapolitique, Le Seuil, Paris, 1998.Le Sicle, Le Seuil, Paris, 2005.Logiques des mondes, Le Seuil, Paris, 2006.Petit panthon portatif, La Fabrique, Paris, 2008.loge de l amour (collab. N. Truong), Flammarion, Paris, 2009. Second manifeste pour la philosophie, Fayard, Paris, 2009.L antiphilosophie de Wittgenstein, Nous, Caen, 2009.Le fin i et l infini, Bayard, Montrouge, 2010.I l n y a pas de rapport sexuel. Deux leons sur L tourdit de

    Lacan (collab. B. Cassin), Fayard, Paris, 2010.Heidegger. Le nazisme, les femmes, la philosophie (collab. B. Cas

    sin), Fayard, Paris, 2010.La Philosophie et l vnement : entretiens avec Fabien Tarby, Ger-

    mina, Meaux, 2010.La Relation nigmatique entre politique et philosophie, Germina,

    Meaux, 2011.Entretiens. 1981-1999, Nous, Caen, 2011.

  • La Rpublique de Platon, Fayard, Paris, 2012.Jacques Lacan, pass, prsent : dialogue avec Elisabeth Roudinesco,

    Le Seuil, Paris, 2012.L Aventure de la philosophie franaise depuis les annes 1960, La

    Fabrique, Paris, 2012.Pornographie du temps prsent, Fayard, Paris, 2013.Le Sminaire. Lacan. L antiphilosophie 3, 1994-1995, Fayard,

    2013.Le Sminaire. Malebranche. L tre 2. Figure thologique, 1986,

    Fayard, 2013.Le Sminaire. Images du temps prsent, 2001-2004, Fayard, 2014.Le Sminaire. Parmnide, L'tre 1. Figure ontologique, 1985-1986,

    Fayard, 2014.Mtaphysique du bonheur rel, PUF, Paris, 2015.

    ESSA IS C R IT IQ U E S

    Rhapsodie pour le thtre, Imprimerie nationale, Paris, 1990 ; rd. PUF, Paris, 2014.

    Beckett, l increvable dsir, Hachette Littratures, Paris, 1995.Cinma, Nova Editions, Paris, 2010.Cinq leons sur le cas Wagner, Nous, Caen, 2010.loge du thtre (collab. N. Truong), Flammarion, Paris, 2013.

    LITTRATURE ET THTRE

    Almagestes, prose, Le Seuil, Paris, 1964 ; rd. 2014.Portulans, roman, Le Seuil, Paris, 1967 ; rd. 2014.L Echarpe rouge, roman opra, Maspero, Paris, 1979.Ahmed le subtil, farce, Actes Sud, Arles, 1994.Ahmed philosophe, suivi de Ahmed se fche, thtre, Actes Sud,

    Arles, 1995.Les Citrouilles, comdie, Actes Sud, Arles, 1996.Calme bloc ici-bas, roman, POL, Paris, 1997.La Ttralogie d Ahmed, Actes Sud, Arles, 2010.

    E SSA IS P O L IT IQ U E S

    Thorie de la contradiction, Maspero, Paris, 1975.De l idologie (collab. F. Balms), Maspero, Paris, 1976.Le Noyau rationnel de la dialectique hglienne (collab. L. Mossot ci

    J. Bellassen), Maspero, Paris, 1977.D un dsastre obscur, LAube, La Tour-dAigus, 1991.Circonstances 1. Kosovo, 11 septembre, Chirac-Le Pen, Lo Scheer,

    Paris, 2003.Circonstances 2. Irak, foulard, Allemagne-France, Lo Scheer, Paris,

    2004.Circonstances 3. Portes du mot ju if , Lo Scheer, Paris, 2005.Circonstances 4. De quoi Sarkozy est-il le nom ?, Lignes Paris

    2007.Circonstances 5. L hypothse communiste, Lignes, Paris, 2009.Circonstances 6. Le rveil de l Histoire, Lignes, Paris, 2011.Circonstances 7. Sarkozy, pire que prvu. Les autres, prvoir le pire,

    Lignes, Paris, 2012.Dmocratie, dans quel tat ? (en collab.), La Fabrique, Paris, 2009.L :'Explication : conversation avec Aude Lancelin et A. Finkielkraut,

    Lignes, Paris, 2010.L Ide du communisme, 1 (en collab.), Lignes, Paris, 2010.L Ide du communisme, 2 (en collab.), Lignes, Paris, 2011.L Antismitisme partout. Aujourdhui en France (collab. . Hazan),

    La Fabrique, Paris, 2011.Les Annes rouges, Prairies ordinaires, Paris, 2012.Controverse. Dialogue avec Jean-Claude Milner sur la philosophie et

    la politique de notre temps (collab. Ph. Petit), Le Seuil, Paris 2012.

    Que faire ? Dialogue avec Marcel Gauchet sur le communisme, le capitalisme et l avenir de la dmocratie, Philosophie ditions, Paris, 2014.

    Entretien platonicien (collab. M. Kakogianni), Lignes, Paris, 2015.