babadzan - l'indigenisation de la modernité

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L'€OEINDIGéNISATION DE LA MODERNITé€ La permanence culturelle selon Marshall Sahlins Alain Babadzan Editions de l?E.H.E.S.S. | L'Homme 2009/2 - n° 190 pages 105 128 ISSN 0439-4216 Article disponible en ligne l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-l-homme-2009-2-page-105.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Babadzan Alain, L'eindigénisation de la modernité? La permanence culturelle selon Marshall Sahlins, L'Homme, 2009/2 n° 190, p. 105-128. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution ectronique Cairn.info pour Editions de l?E.H.E.S.S.. Editions de l?E.H.E.S.S.. Tous droits rerv pour tous pays. La reproduction ou reprentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autoris que dans les limites des conditions gales d'utilisation du site ou, le cas hnt, des conditions gales de la licence souscrite par votre ablissement. Toute autre reproduction ou reprentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manie que ce soit, est interdite sauf accord prlable et rit de l'iteur, en dehors des cas prus par la lislation en vigueur en France. Il est prisque son stockage dans une base de donns est alement interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 22/02/2014 01h12. © Editions de l?E.H.E.S.S. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Bordeaux 3 - - 147.210.116.177 - 22/02/2014 01h12. © Editions de l?E.H.E.S.S.

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  • L'OEINDIGNISATION DE LA MODERNITLa permanence culturelle selon Marshall SahlinsAlain Babadzan

    Editions de l?E.H.E.S.S. | L'Homme

    2009/2 - n 190pages 105 128

    ISSN 0439-4216

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-l-homme-2009-2-page-105.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Babadzan Alain, L'eindignisation de la modernit? La permanence culturelle selon Marshall Sahlins, L'Homme, 2009/2 n 190, p. 105-128. --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Distribution ectronique Cairn.info pour Editions de l?E.H.E.S.S.. Editions de l?E.H.E.S.S.. Tous droits rerv pour tous pays.

    La reproduction ou reprentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autoris que dans les limites des conditionsgales d'utilisation du site ou, le cas hnt, des conditions gales de la licence souscrite par votre ablissement. Touteautre reproduction ou reprentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manie que ce soit, est interdite saufaccord prlable et rit de l'iteur, en dehors des cas prus par la lislation en vigueur en France. Il est prisque son stockagedans une base de donns est alement interdit.

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  • DEPUIS UNE QUINZAINE DANNES, Marshall Sahlins a consacr unepart importante de son travail une rflexion sur le changement culturelet les rapports entre l Ouest et le Reste 1. Cette recherche sinscritdans le prolongement de ses travaux danthropologie historique sur lematriau hawaiien (la clbre analyse de la rencontre avec le capitaineCook), o Sahlins entreprend de dpasser lopposition entre structure etvnement, et o le changement est prsent comme le travail historiqued[un] ordre culturel (1988 : 47). Sahlins considre cet ordre culturelcomme un ordre symbolique, structure de relations entre des catgories depense et des schmes dterminant une vision du monde entendue commecosmologie. Ces catgories culturelles sont les oprateurs non seulementde la catgorisation du rel mais aussi de lattribution de sens tout vne-ment insolite (larrive du capitaine Cook, par exemple, au dbut des ritesannuels marquant le retour du dieu Lono), vnement quelles permettentde penser, de reconnatre comme du dj connu, quitte devoir tremodifies en retour, quitte aussi ce que la nature de leurs relations ausein de la structure soit elle-mme redfinie (Sahlins 1985 et 1989)Ltude des phnomnes de changement historique reprsente ainsi pourSahlins la voie la plus droite pour traiter de la permanence culturelle, etgnralement de la culture, envisage comme un mode de changementculturellement spcifique (1993 : 5).

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    LHOMME 190 / 2009, pp. 105 128

    Lindignisation de la modernitLa permanence culturelle selon Marshall Sahlins

    Alain Babadzan

    1. Ce commentaire des thses de Marshall Sahlins a fait lobjet dune communication dans le cadredu sminaire de Philippe Descola au Collge de France, le 17 mars 2007.

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  • Dtournement de la marchandise et rsistance culturelle

    La thse de l indignisation de la modernit est avance au dbut desannes 1990 dans plusieurs articles (1992, 1993) et sera frquemmentreprise depuis (1999a, 1999b, 2002). Elle vise en premier lieu rfuterlide largement partage, y compris parmi les anthropologues, selonlaquelle le processus de modernisation conduirait la disparition desspcificits culturelles des socits non occidentales, voire la dispa-rition de ces socits elles-mmes. preuve, dit-il, la marchandise occi-dentale obit un type de rception et dassimilation qui ne dbouchepas, contrairement une opinion commune, sur l acculturation , la dculturation ou leffondrement des cultures traditionnelles. Tout aucontraire, la domestication de la marchandise contribue leur maintien et leur reproduction, et davantage mme ce que Sahlins dsigne dun jeude mots : le develop-man, savoir le dveloppement des relations socialestraditionnelles, pour le bien de la socit tout entire, par opposition audevelopment, ax sur la pntration de lconomie capitaliste et la gnra-lisation des relations qui y prvalent, marques notamment par lindivi-dualisation des rapports sociaux.Sahlins voit dans le rapport aux marchandises europennes un nouvel

    exemple du travail de rinterprtation de linnovation dans les termesdune structure. Les marchandises vont tre reprsentes et accueillies autravers des catgories propres chaque cosmologie indigne, et pourrontde ce fait tre mises au service de finalits sociales spcifiques. Si lon suitlargument de Sahlins ces finalits (consciemment vises, semble-t-il) sontnon seulement la reproduction sociale et culturelle, mais cette reproduc-tion sous une forme largie. Lassimilation de la marchandise, son intgra-tion aux logiques spcifiques de la tradition, au jeu des rivalits de prestigedes chefferies notamment, permet de relancer la vie rituelle et les changescrmoniels qui sen trouvent levs un niveau de splendeur sans prc-dent. Le cas des socits de Mlansie est mis en avant pour exemplifierlargument. En Nouvelle-Guine, la rcente irruption des marchandisesaurait t :

    [] utilise pour mettre en scne les crmonies traditionnelles les plus extravagantesdont quiconque aurait pu garder mmoire. Plus de porcs ont t mangs et plus decoquillages changs dans ces rcentes fiestas que ce ne fut le cas au bon vieux temps,sans parler de la consommation abondante de ces nouveauts que sont le corned-beefet la bire. Leffet en a t plus de plaisir pour les anctres, ce qui veut dire aussi plusde pouvoir et de renomme pour les vivants []. Et quoi quen pensent les cono-mistes du dveloppement ou les officiels nocoloniaux, ceci nest ni du gaspillage nide l arriration. Cest prcisment du dveloppement dans la perspective des gensconcerns : leur propre culture, sur une plus grande et meilleure chelle (1992 : 21).

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    Pitchoune64Texte surlign

  • La rception des biens de consommation occidentaux a t souvententhousiaste, depuis laccueil fait aux tissus et aux haches du XIXe sicle,jusquaux modern idiocies de la fin du XXe, des walkmans etdes Reeboks aux manteaux de vison et aux joueurs de base-ball pays7 millions de dollars par an, en passant par les McDonalds et lesMadonnas et toutes les autres armes de destruction massive (Sahlins1993 : 12). Cet enthousiasme ne sexpliquerait donc pas par une sorte decompulsion imitative ou par la fascination exerce par des produits ou desmodes de vie trangers, mais bel et bien par un dsir de devenir non pascomme nous, mais plus comme eux-mmes , avance Sahlins (1992 : 13).Le dferlement de biens de consommation aurait ainsi contribu non

    pas ruiner mais dvelopper et dmultiplier la manire dun panto-graphe les relations sociales traditionnelles. En Mlansie, loffensivedu dveloppement rpond le develop-man, dont lorientation est radicale-ment diffrente :

    [] puisque le projet auquel il se rfre est lutilisation de richesses trangres pourlexpansion des ftes et de la politique, afin de subvenir la parent et pour maintesautres activits qui caractrisent la conception locale de lexistence humaine (et dudveloppement) (Sahlins 1999b : 15-16).

    Dans les socits o lconomie nest pas encore institue en domainespar de la vie sociale, largent loin dtre le ferment de dissolution descommunauts pourrait en ralit accrotre la parent : il pourrait dve-lopper les socits dites traditionnelles, cest--dire la manire dont ellesentendent que le develop-man leur apporte beaucoup de bonnes choses (Ibid. : 26). Et de citer le cas des Papous des Hautes Terres de Nouvelle-Guine depuis les annes 1960 :

    Bnficiaires des profits tirs du march par le travail des migrants, par la productionde caf et dautres rcoltes, les grands changes crmoniels institution typique de laculture des Highlands prosprent dans les dcennies rcentes comme jamais aupara-vant. Chez les Enga, Chimbu, Hagen, Anganen, Mendi, Siane et autres, la frquencede ces crmonies a augment, ainsi que le nombre de personnes qui y prennent partet la quantit de biens quon y change. En consquence, les big-men sont plusnombreux et plus puissants. Les anciennes alliances de clans qui taient tombes dansloubli rapparaissent. Les rseaux interpersonnels de parent stendent et se renforcent.Plutt que lantithse de la communaut, largent en est donc le moyen (Ibid. : 27).

    Le processus dindignisation et le develop-man qui laccompagne seprsentent ainsi comme un dtournement de la modernit, une vritableruse de la raison culturelle ( a cunning of culture [Sahlins 1993 : 12]).Ce dtournement qui est aussi rsistance jy reviendrai semble tredans lesprit de Sahlins une facult dont dispose toute culture toutepriode historique. Au fil des articles consacrs cette thmatique, il T

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  • voque aussi bien les Hawaiiens de lpoque de Cook que le potlatch desKwakiutl au dbut du XXe sicle2, mais aussi les inventions de traditions contemporaines, qui selon lui participent de ce mouvement dindignisa-tion de la modernit, dont ltude ethnographique lui parat tre unepriorit (1993 : 21).La thse de lindignisation nest pas seulement un programme de

    recherche. Elle touche un ensemble de questions de fond en anthro-pologie, dont celles du changement, de la modernisation et des conditionsde la reproduction culturelle. Aussi largument mrite-t-il un commentaire,afin den explorer les limites, et par l de contribuer lavancement du dbat.

    Les limites de lindignisation de la modernit

    Aucun anthropologue ne conteste, et ce depuis bien longtemps, quelinnovation, lvnement, ou dans le cas qui intresse Sahlins lesmarchandises puissent faire lobjet dune appropriation spcifique.La premire difficult de largument de lindignisation tient au fait quilnest pas toujours possible de discerner si cette domestication porte surune culture trangre ou sur ses seules productions matrielles. La moder-nit dont parle Sahlins est reprsente plus comme un ensemble demarchandises que comme une culture, y compris au sens que Sahlinsdonne cette notion lorsquil traite de la culture bourgeoise et du capita-lisme comme forme dtermine dordre culturel reposant sur un codesymbolique (1980 : 233) dont le lieu de production principal serait lco-nomie (ibid. : 262), la diffrence d un monde primitif o le sige de ladiffrenciation symbolique reste les relations sociales (ibid. : 263). Dansun passage de Goodbye to Tristes Tropes , Sahlins prcise sa pense :

    Le capitalisme occidental dans sa totalit est un schme culturel proprement exo-tique, aussi bizarre que nimporte quel autre []. Nous sommes gars par le pragma-tisme apparent de la production et du commerce. Toute lorganisation culturelle denotre conomie reste invisible, mystifie sous forme de la rationalit montaire o seralisent ses valeurs arbitraires (1993 : 12).

    Si pour Marx le ftichisme de la marchandise occultait la vritable naturedes rapports sociaux de production, pour Sahlins il dissimule la constitu-tion culturelle de lconomie. Mme les producteurs de toutes ces modernidiocies qui entretiennent le got [pour ces objets] dans lintrt abstraitdu gain doivent tre guids par lordre des valeurs culturelles, cest--direpar ce qui se vend []. La main invisible de lconomie de march fonc-tionne comme une forme perverse de la ruse de la raison de Hegel : cest

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    2. Voir notamment Les cosmologies du capitalisme , traduit (in Sahlins 2007 : 203-263).

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  • plutt une ruse de la culture (id.). Aussi ne faut-il pas stonner, critSahlins, que lorsque les produits de la technologie avance de lOuest sontadopts ltranger toute cette raison pratique soit expose quelqueforme de subversion culturelle (id.).Cest ce niveau sans doute que fusionnent pour Sahlins indignisation

    de la marchandise et dtournement de la modernit : domestiquer lesproduits techniques occidentaux, les consommer en leur attribuant unesignification cense tre culturellement spcifique, revient du mme coup subvertir la modernit en tant quordonnancement de schmes culturels.On remarquera toutefois que le dtournement smantique ou fonc-

    tionnel de lconomie et de la culture du capitalisme prsente des diffi-cults bien suprieures lassimilation des marchandises, lesquelles fonc-tionnent bien souvent dailleurs dans les exemples donns par Sahlinscomme des ajouts ou des substituts des objets traditionnels circulant dansles rituels, les changes ou les dmonstrations de prestige 3. Il nest pasdmontr que les socits non occidentales poussent la domestication desmarchandises jusqu indigniser la culture occidentale, qui daprs Sahlinsoriente tout le procs de leur production.Car il se trouve que la limite des possibilits de lindignisation pour le

    develop-man (cest--dire pour le dveloppement des relations socialestraditionnelles) se rencontre prcisment lorsquil faut rentrer dans desrapports sociaux et conomiques de type capitaliste pour se procurer lesmarchandises. Et cela vaut en particulier pour le salariat dont il nest pascertain, au moins dans ce type de contextes de transition, quil puisse tredurablement dtourn de sa ralit objective pour tre rinterprt entermes traditionnels, et a fortiori pour tre mis au service de la reproduc-tion de rapports sociaux ou conomiques prcapitalistes (sur ces questions,voir Godelier 1991).Beaucoup de socits ont en effet tent de subordonner le salariat des

    priorits communautaires : on pourrait voquer le cas trs rpandu ducontrle par les communauts locales des travailleurs migrants dont lesmandats sont destins assurer la survie et la reproduction du village. EnPolynsie franaise, ctait sous la houlette de leurs pasteurs que desgroupes de jeunes des les Australes sont partis difier la fin des annes1960 le centre dexprimentations nuclaires de Mururoa. Les salairestaient remis par les jeunes aux pasteurs, qui employaient largent pour ledevelop-man de leur paroisse (et la rfection des btiments du culte)

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    3. Telles ces couvertures utilises en masse dans les potlatch qui remplaaient les peaux tannesqui disparaissent des changes rituels du fait de la traite des fourrures (Sahlins 2007 : 253 sq.).

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  • Mais les jeunes nont pas tard rclamer de pouvoir librement disposerdu produit de leur travail. Consquence inattendue : le systme villageoisdes corves de classe dge, qui dans un premier temps avait t le cadreinterprtatif permettant de reprsenter le travail salari Mururoa commeun engagement collectif (volontaire et non rmunr) au profit de lacommunaut, nallait pas tarder lui non plus disparatre. De retour auvillage, les jeunes se sont mis rechigner aux corves pour lentretien desplantations irrigues, quand ils ne demandaient pas tout simplement trermunrs en change de leur travail. lvidence ici, la tentative initialede rinterprter la relation salariale (individuelle) dans le cadre desrapports sociaux prcapitalistes sest solde par un chec. Le develop-mannaura dur quun temps, extrmement bref.Lindignisation, dans les exemples donns par Sahlins, porte davantage

    sur des marchandises, des biens de consommation ou des produits tech-niques que sur la culture du capitalisme, sa cosmologie singulire4. Ilsemble alors difficile de parler dindignisation de la modernit, sauf considrer que celle-ci se confonde avec la marchandise, qui nest quelapparence de ce monde, cette immense accumulation de marchan-dises dont parlait Marx aux premires lignes du Capital.Encore faudrait-il prciser que lassimilation des objets occidentaux ne

    prsuppose pas ncessairement un dtournement smantique ou fonc-tionnel et que, lorsquil sengage, ce type dindignisation ne dbouche pastoujours sur le develop-man. Celui-ci peut dailleurs conduire une catas-trophe culturelle (1992 : 23), comme le reconnat Sahlins propos ducas hawaiien quil a subtilement tudi. La frnsie de consommation deproduits de luxe par les aristocrates hawaiiens, qui les utilisaient dans lecadre de leurs comptitions statutaires, a t interprte par Sahlinscomme oriente par des conceptions cosmologiques. Lclat des biens deprestige provenant dau-del des mers attestait le mana des chefs et taitla preuve tangible des relations troites censes exister entre ceux-ci et ladivinit, que la seule gnalogie ne pouvait suffire tablir. Pour financerleurs extravagances, les chefs hawaiiens durent exercer une pression bienttinsupportable sur les populations dont ils extorquaient les ressources, puissendetter auprs des marchands europens avant de finir par devoir livrerleurs terres une agriculture coloniale qui allait rapidement transformerles Hawaiiens en proltaires.

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    4. Sahlins suggre toutefois en passant que mme le christianisme a pu tre indignis au pointde pouvoir tre reprsent avec certaines choses de provenance europenne comme partieintgrante de la culture traditionnelle (1993 : 17).

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  • Dans la plupart des exemples fournis par Sahlins, les enjeux sociaux dela consommation, pour guids quils soient par des catgories culturelles,apparaissent avant tout correspondre des stratgies de distinction concer-nant les lites. Si la consommation ostentatoire conduit au develop-man,force est de constater quil sagit dabord dun develop-chiefs Et les int-rts des chefs, on sen doute, ne correspondent pas toujours avec ceux despopulations locales, en particulier lorsque la redistribution des richessesaccumules entre leurs mains nest pas assure, comme ce fut justement lecas Hawaii. Pourtant, la lecture de Sahlins laisse penser que ce qui estbon pour les chefs est bon pour la socit dans son ensemble (1999b : 27).Cest ainsi que lexpansion du commerce capitaliste a ouvert aux chefskwakiutl de nouvelles perspectives de grandeur sociale tout en favorisantun spectaculaire processus de develop-man local (2007 : 259).Mais dans les socits postcoloniales actuelles, rien nassure que la

    consommation soit utilise pour signifier prioritairement une cosmologieou une culture. Comme le remarque Jocelyn Linnekin, les marchandisessont intgres des stratgies daffirmation didentits individuelles oucollectives qui sont principalement celles dun standing de classe etdlite qui tend traverser (cross-cut) les identits culturelles locales (Linnekin 2004 : 249). Aujourdhui, la consommation ostentatoire debiens de luxe par les bourgeoisies indignes est utilise lvidence dans lecadre de pratiques distinctives et de luttes de classement , pour parlercomme Pierre Bourdieu, dont lenjeu est interne un champ social localo sont apparues des divisions en classes. Il est difficile de considrer sinon en forant le trait que ces stratgies par lesquelles sont affirmset disputs des positionnements sociaux, et le prestige qui leur est attach,trouvent leur raison dans la raffirmation de principes cosmogoniques quiauraient simplement travers lhistoire en endossant des habits neufs.Postuler a priori que la cosmologie est encore et toujours au poste de

    pilotage, quelle dtermine lorientation du rapport aux marchandises etpar l la modernit, empche de donner toute leur place des dtermi-nations dordre sociologique qui ne sont reconnues que pour tre aussittrabsorbes en tant quactualisation de la structure. Comme lavait notAdam Kuper (aprs Jonathan Friedman), Sahlins, bien quil sen dfende,a tendance rduire les processus sociaux des processus culturels( collapses social processes into cultural processes , [Kuper 1999 : 198]).En revanche, Sahlins assigne au rapport la marchandise une finalit

    bien prcise. Les socits non occidentales sont dcrites comme le lieudune rsistance acharne et continue la modernit, la globalisation etlimprialisme. Le dtournement de la signification des marchandisesserait linstrument dun sabotage culturel permanent de la modernit T

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  • (Sahlins 1993 : 13). Cette thse surplombe tout largument. On peut entrouver les prmisses dans les textes danthropologie conomique deSahlins5 : les socits primitives matrisent la dure du travail consacr auxactivits productives, refusent de constituer des surplus et subordonnent lavariation de la productivit leurs propres priorits culturelles. Commelavait dj montr Richard Salisbury (1962), ladoption dun outillagemoderne na pas entran laugmentation de la production chez les Sianede Nouvelle-Guine, qui ont fait le choix dune rduction massive dutemps de travail, sans modifier pour autant leur alimentation. Contraire-ment une ide reue, le changement technique na pas par lui-mme lavertu de faire changer les systmes conomiques et les cultures. Le dernierSahlins systmatise largument et ajoute que le march lui-mme nauraitpas ce pouvoir. Davantage : lintgration dans le march mondial nintro-duit pas ncessairement de discontinuit culturelle. Elle reprsente mmeloccasion de voir se manifester des formes cratives de reproduction et dersistance culturelles.Car le march et le capitalisme ne sont pas incompatibles avec les

    socits non occidentales : lconomie du don et lconomie desmarchandises se dveloppent ensemble en Papouasie-Nouvelle-Guine ,crit Sahlins (1992 : 21). Chez les Cree, les metteurs-rcepteurs utiles aumaintien des relations entre parents, les motoneiges et les camions multi-plient les occasions de partage, lequel nest quun des aspects dun cyclecosmique dchange (Sahlins 1999b : 25). Quant largent lui-mme,que le sens commun comprend gnralement comme un facteur majeurde destruction culturelle, il pourrait dans certaines relations structurelles,accrotre la parent, il pourrait dvelopper les relations sociales tradition-nelles [] plutt que lantithse de la communaut, largent en est doncle moyen (Ibid. : 26). Et Sahlins dy voir non pas tant la culture de larsistance que la rsistance de la culture (Ibid. : 25).Curieuse rsistance au capitalisme que celle qui conduit sen accom-

    moder Sans insister sur la contradiction inhrente la position deSahlins qui constitue par ailleurs le capitalisme et limprialisme commeles principaux ennemis des socits traditionnelles, le postulat de leurcompatibilit mutuelle conduit se demander contre quoi les populationsindignes pourraient encore songer rsister si lconomie de marchntait pas dtrimentielle leurs intrts et sil tait toujours possible de larendre compatible avec leurs cultures.

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    5. commencer par larticle La premire socit dabondance , qui parat en octobre 1968 dansLes Temps Modernes. Voir galement Stone Age Economics (London, Tavistock, 1972) traduit en1976 sous le titre ge de pierre, ge dabondance.

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    Pitchoune64Texte surlign

    Pitchoune64Texte surlign

  • La thse de la rsistance repose sur un second postulat, celui dune auto-nomie culturelle irrdentiste qui saffirmerait continment au travers delhistoire. Cette position aux accents clairement populistes soppose lensemble des analyses de type misrabiliste 6 reprsentant les dominscomme absolument crass par leur domination. Avec le dernier Sahlins,nous avons affaire des socits employes persvrer dans leur tre,trouvant sans cesse les moyens (y compris dans le march) de reproduireles conditions de leur autonomie, et finalement dexercer leur libert.Dans la grande confrontation entre lOuest et le Reste, se rjouit Sahlins, lEmpire contre-attaque (1993 : 4).Ces positions se trouvaient dj chez un Pierre Clastres, pour qui les

    socits amazoniennes avaient en quelque sorte la prescience de ce quipourrait leur advenir si elles laissaient les ingalits se dvelopper en leursein7. Les socits contre ltat deviennent ici des socits contre lamodernit capables la fois de ruser avec elle en dtournant sesproduits, mais aussi peut-tre de rejeter (consciemment ou non, Sahlinsnest pas clair sur ce point) ce qui constitue la modernit comme culture :un ensemble de rapports sociaux, de reprsentations et de valeurs quemme lintgration dans le march ne parviendrait pas imposer.Pourtant, des tentatives dindignisation de la modernit en tant que

    culture ont bel et bien exist. Elles ont parfois t couronnes de succs, aupoint de devenir tradition leur tour. Je pense aux syncrtismes religieuxissus de la conversion au christianisme missionnaire. Leur analyse est richedenseignements. Dabord en ce que la syncrtisation reprsente lvi-dence un processus d indignisation , et par l de rsistance culturelle.Mais aussi en ce que son tude permet de rintroduire une dimensiongnralement vacue ou sous-analyse par Sahlins, savoir la modernisationde la culture traditionnelle, qui est le pendant dialectique de lindigni-sation de la cosmologie occidentale. Les deux mouvements ne sont pasanalysables sparment, mais constituent bien plutt les deux momentsdune mme tentative de compromis culturel, o deux sources religieuses,deux visions du monde deux cosmologies pour parler commeSahlins sont soumises une double rinterprtation, une reformula-tion rciproque (Babadzan 1982).La question se pose videmment des limites de ces formations

    syncrtiques. De telles cosmologies pagano-chrtiennes peuvent-elles leur tour continuer donner sens lvnement, et jusqu quel point ?En Polynsie franaise, ces limites ont t touches partir de la fin des

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    Lindignisation de la modernit

    6. Pour reprendre les termes de lopposition canonise par Grignon & Passeron (1989).7. Voir Clastres (1974), et la critique pertinente de ses thses dans Terray (1989).

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  • annes 1960 avec lurbanisation, le salariat et la tendance lindividua-lisation des rapports sociaux. Dans ce contexte, la religion sest auto-nomise, la croyance comme laffiliation religieuse ont commenc appa-ratre comme des affaires personnelles et lincroyance comme une optionlgitime. On assiste aujourdhui la multiplication de nouveaux mouve-ments religieux, notamment pentectistes, o chaque fidle est engagdans une relation forte, fusionnelle, avec Dieu et en escompte des bienfaitspersonnels immdiats (en particulier la gurison). Cest dsormais chacun de rgler sa propre relation aux figures de croyances notradition-nelles de lpoque coloniale (esprits des morts malfaisants, diables, etc.)dont la place nest plus garantie au sein dun systme de reprsentationssyncrtiques soutenu par des croyances collectivement partages, et quisemble parvenu au terme de ses possibilits de reproduction. Diables etesprits mauvais ressurgissent aujourdhui sous forme hallucinatoire dans despathologies dlirantes qui remplissent autant lhpital psychiatrique localquelles renforcent en retour une demande individuelle dexorcisme ou dedsenvotement adresse aux sectes et aux nouveaux mouvements religieux.Mais ce nest pas en termes sociologiques que Marshall Sahlins tente de

    rendre compte des raisons pour lesquelles lindignisation et le develop-manfinissent par chouer assurer sur le long terme la reproduction culturelleau travers du changement. Il fait recours de manire assez surprenante une notion dordre affectif, l humiliation , pour expliquer comment lin-dignisation cde la place loccidentalisation, le develop-man au develop-ment. Lhumiliation, la haine de soi et de sa culture caractrisent pourSahlins la phase historique qui succde aux premires tentatives de develop-man, dont certaines ont pu se maintenir pendant plusieurs sicles. Avantdatteindre la terre promise de la modernisation crit-il, cest ce dsert culturel quil faut traverser : il faut faire lexprience dunecertaine humiliation (Sahlins 1992 : 23). Pour se moderniser, les gensdoivent dabord apprendre har ce quils ont toujours considr commetant leur bien-tre. Ensuite, ils ont mpriser ce quils sont, tenir leurexistence en mpris et donc vouloir tre quelquun dautre (Ibid. : 24).Lhumiliation est inhrente la coercition et la destruction dchanes

    par le capitalisme global , affirme Sahlins (id.), qui ajoute, citant Nietzsche,que le christianisme, avec sa furieuse et vindicative haine de la vie (1993 :18), a jou un rle important dans cette humiliation qui est cense tre unecondition ncessaire du dcollage conomique (1992 : 24)8.

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    8. Un ouvrage collectif a rcemment t consacr l humiliation dans lanalyse de Sahlins, etau parti que lon peut en tirer dans celle des faits de modernisation culturelle en Mlansie(Robbins & Wardlow 2005). On y trouvera la republication du texte de Sahlins The Economicsof Develop-Man (1992), et une importante introduction de Joel Robbins (2005).

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  • On pourrait toutefois remarquer que lhumiliation et la honte de soi nesont pas une exprience nouvelle, qui caractriserait la fin de la priodenotraditionnelle et de la phase du develop-man : elles ont dj t prou-ves ds les premiers moments des conversions religieuses forces, pour neprendre que cet exemple. Mais ces sentiments ont trouv dans bien descas tre surmonts au travers de syncrtismes qui ont certainementpermis de redonner une certaine forme de fiert culturelle ceux quiavaient t somms de brler ce quils avaient ador, avant dapprendre devenir des pcheurs 9. Les mythologies que jai recueillies aux lesAustrales, de structure strictement traditionnelle, dcrivent par le menucomment le hros fondateur navigua vers louest jusquau bout du monde(le pays des morts), o il fit la rencontre dune le nouvelle, lAngleterre,et du vrai dieu , Jehovah, dont il introduisit le culte son retour dansson le natale sous forme dune idole anthropomorphe contenant troispetites effigies reprsentant le Pre, le Fils et le Saint-Esprit (Babadzan1979). Par une de ces ruses de la raison quapprcie Sahlins, le mythedlivre ici un message trs clair : nous nous tions convertis nous-mmesavant larrive des missionnaires britanniques (qui finalement ne nous ontapport que la Bible). Lhumiliation des premiers temps, o les Polyn-siens furent stigmatiss en tant que cannibales, infanticides, dbauchs,etc., a donc pu tre suivie dune rcriture collective de lhistoire et de laconversion, qui contribue indniablement renforcer lestime de soi.Mais lessentiel est ailleurs. Sil est incontestable que les domins puis-

    sent tre humilis (partout et de tous temps) par la domination quilssubissent, il est beaucoup plus hasardeux de faire de cette motion, de ceressenti (ft-il collectif ) le moteur dun changement culturel majeur, celuiqui fait basculer vers la modernisation. Ajouter la haine de soi le dsirde devenir comme autrui ( they want to be someone else [Sahlins 1992 :24]) et le dsir (coupable ?) prouv pour les bienfaits du progrs (id.) revient expliquer la modernisation par la volont dlibre dechanger, de la mme manire que Sahlins caractrise lindignisation parune volont consciente de rsistance. Les deux mouvements prsupposentdes sujets (individuels ou collectifs) mus par des motions et des dsirs,libres de se poser consciemment des fins, cest--dire en dfinitive libresde choisir de refuser ou daccepter loccidentalisation. Sahlins ne nousavait pas accoutums, dans son travail sur Hawa par exemple, tenir lasubjectivit des agents sinon pour le moteur de lhistoire, du moins pourle facteur explicatif du changement social. Cest quil lui faut bien rendrecompte de la discontinuit culturelle, expliquer pourquoi les socits

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    9. Sur cet apprentissage, cf. Robbins (2004).

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  • notraditionnelles sengagent sur la voie du dveloppement, bref expliquerpourquoi la structure finit par chouer englober lvnement. La thse del humiliation , vritable deus ex machina de lanalyse, permet Sahlinsde penser la modernisation comme un changement radical, en ce quil nepeut plus tre considr comme une forme de reproduction culturelle. Etce au prix dun renversement du rgime de lanalyse, qui passe brusque-ment dune variante sophistique dobjectivisme culturaliste, un argu-ment subjectiviste bas sur le ressenti individuel.Quelque chose se fissure avec lentre de plain-pied dans lunivers du

    capitalisme global : ce qui change cest que le changement va vritable-ment commencer changer quelque chose Faut-il comprendre que larupture est totale ? Que la structure va dfinitivement cesser dhabiterla pratique et dinformer le rapport au monde ? La rponse est non. Carlhumiliation, crit-il, est double face . Elle va de pair avec une prisede conscience culturelle qui est srement un des phnomnes les plusremarquables dans lhistoire mondiale de la fin du XXe sicle. Les peuplesont dcouvert quils avaient leur propre culture. Avant ils ne faisaientque la vivre. Maintenant leur culture est une valeur consciente et arti-cule. Quelque chose quil faut dfendre et, si ncessaire, rinventer (Sahlins 1992 : 24-25).Et Sahlins prcise aussitt que la culture ainsi reprsente, celle qui est

    brandie comme un emblme de mobilisation collective, nen est pas moinsauthentique pour autant, quelle que soit la manire dont elle puisse trefolklorise ou marchandise. Car Sahlins voit lindignisation de la moder-nit encore luvre au cur mme des mouvements culturels et identi-taires autochtones. Dailleurs : ce qui a besoin dtre tudi ethnographi-quement cest lindignisation de la modernit, travers le temps, et danstous ses hauts et ses bas dialectiques, depuis le develop-man des premierstemps jusqu la dernire en date des inventions de la tradition (1993 : 21).Les mouvements culturels et identitaires (le culture movement) sont ainsi

    prsents comme le dernier avatar dune tentative de rsistance qui rpon-drait cette fois lhumiliation et la haine de soi. La particularit de cetteforme de rsistance serait justement dtre le rsultat dune prise deconscience dont lorientation est double : honte de sa culture dun ct,valorisation sur le mode nostalgique et revendicatif de lautre.Dans sa tentative de reprsenter le culture movement comme une

    nouvelle forme dindignisation, cest--dire de reproduction culturelle,Sahlins en est venu polmiquer avec peu prs tout le monde : tenantsdes thories de la dpendance, du systme-monde, de linvention de latradition, constructivistes, postmodernistes (etc.), tous traits dafterologistes(1999a : 404), accuss d oublier la structure , cest--dire la culture

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  • (ibid. : 406-407) et de ntre en dfinitive que des fonctionnalistes plus oumoins avous, obsds par lexplication de lactuel culture movement entermes de pouvoir .

    La continuit culturelle et le culture movement

    Au moment o Marshall Sahlins se lance dans la bataille, vers 1992, ledbat faisait rage depuis dj prs de dix ans dans le champ des tudesocaniennes au sujet des usages politiques contemporains de linvocationdes identits culturelles. Lenjeu est pour Sahlins de dfendre le postulat dela continuit culturelle, en montrant que les culturalismes et nationalismesindignes doivent tre compris en tant que formes dindignisation de lamodernit attestant la permanence du travail de la structure sur (et dans)lhistoire. Il sen prendra donc en premier lieu ceux qui soulignent lesdiscontinuits dans la construction sociale et historique des identificationscollectives, ainsi que les fonctions idologiques et politiques de ceprocessus. Cest la thse de l invention de la tradition qui sera lapremire cible de sa critique. Il nhsite pas la reprsenter comme unethmatique dominante dans le champ des dbats anthropologiques, alorsquau contraire lessentiel des crits consacrs aux politiques de liden-tit dans le Pacifique a t consacr une rfutation des premiers travauxdfendant des thses constructivistes, que ces travaux aient interrog lesfonctions sociales et politiques de ce nouveau rapport aux traditions, ouquils aient analys ce que les productions idologiques actuelles devaient linfluence de reprsentations occidentales, missionnaires et colonialesnotamment. Cette rfutation, souvent polmique, a t mene essentielle-ment sous linfluence des thories postmodernistes amricaines et duneoption la fois politique et morale qui a conduit de nombreux protago-nistes prendre fait et cause en faveur des culturalismes indignes, ententant de les soustraire tout travail dobjectivation, aussitt dnonc entant quaffirmation dune autorit narrative (celle de lanthropologue)ou dune tentative de dlgitimation au service de limprialisme10.

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    Lindignisation de la modernit

    10. Parmi les publications les plus significatives et/ou les plus cites dans le cadre des controversessur les politiques de la tradition dans le Pacifique, on peut mentionner (par ordre chronolo-gique) : Keesing & Tonkinson (1982) ; Howard (1983) ; Linnekin (1983) ; Philibert (1986) ;Hauofa (1987) ; Babadzan (1988, 1999) ; Keesing (1989, 1993, 1996) ; Hanson (1989) ; Linnekin& Poyer (1990) ; Linnekin & Thomas (1992) ; Jolly (1992) ; Sahlins (1992, 1993) ; Friedman(1992, 1993) ; Thomas (1992) ; Norton (1993) ; Van der Grijp & Van Meijl (1993) ; Lindstrom& White (1994) ; Feinberg & Zimmer-Tamakoshi (1995) ; Friedman & Carrier (1996) ; Foster(1995) ; Lawson (1996) ; Otto & Thomas (1997) ; Wassmann (1998) ; Tabani (2002) ; Kolig &Mckler (2002) ; Van Meijl & Miedema (2004). Lanalyse des phnomnes dinvention de latradition dans le Pacifique avait t prfigure par les travaux de Peter France (1969), JohnClammer (1973) et Roy Wagner (1975).

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  • Sahlins va caricaturer les deux types de positions, en faisant mine de nyvoir quun mme fonctionnalisme qui rigerait le pouvoir en principeexplicatif, et qui ne saurait comprendre le discours culturaliste que comme :

    [] un cran de fume idologique dissimulant des intrts plus fondamentaux,principalement le pouvoir et la cupidit, fonctions pratiques nota bene qui ont la vertupersuasive supplmentaire dtre universelles, videntes (self explanatory) et morale-ment rprhensibles (1999a : 403).

    En privilgiant une explication en termes de pouvoir et de dsir (universel)de pouvoir11, le fonctionnalisme (powerism) oublierait la culture12, et ce dedeux manires. Dabord en se dsintressant de la spcificit des discoursculturalistes actuels, de la manire dont ils peuvent faire sens pour les gens,qui rinventent leurs traditions ncessairement dans les termes de leurspropres catgories culturelles (ibid. : 409). Cest partir de leur proprepatrimoine13 quils swinguent aux rythmes du monde tout en faisant leurpropre musique (1993 : 19). Mais le fonctionnalisme travaillerait gale-ment contre la culture en la reprsentant comme un mythe, une fabri-cation, une mystification (1999a : 403), la traduction dintrts de classe.Tout en reconnaissant que les lites les plus accultures 14 sont la ttedes mouvements dits de renaissance culturelle , Sahlins considre quepersonne ne serait en meilleure position quelles pour servir dinterm-diaire dans une relation interculturelle (1993 : 21). Et quand bien mme,ajoute Sahlins, les idologies culturalistes serviraient la poursuite dint-rts de classe, ces intrts eux-mmes pourraient encore tre considrscomme culturels : ce qui est fonctionnel, au sens dinstrumental, doittre structurel (1999a : 407).Poursuivant plusieurs livres la fois, Sahlins fait galement le procs du

    tournant de lanthropologie actuelle en direction de la morale et de lapolitique , cest--dire de ce qui est parfois appel la political correctness.Lanthropologie, en succombant au powerism, a fait de la moralit poli-tique lalpha et lomga du savoir interculturel (1999a : 406). La critiquevise ici une autre varit (beaucoup plus rpandue) dafterologues, les post-modernistes, qui nentendent pas le pouvoir au mme sens que lesnomarxistes que Sahlins accuse dobjectiver le culturalisme des lites entant quidologie. Mais peu importe :

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    11. [] a cross-cultural or human universal, such as the greed or the desire of power-after-power (Sahlins 1999a : 407).12. No doubt the correlated effect of forgetting culture [] is due to the hegemonic influenceson anthropology of afterological studies (postmodernism, poststructuralism, postcolonialism andthe like, henceforth collectively called afterology) (Ibid. : 404).13. [] devising on their own heritage (1993 : 18).14. Lexpression est de Sahlins (1993 : 20), voir galement (1999a : 403).

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  • Lactuelle obsession foucaldienne-gramscienne-nietzschenne pour le pouvoir est latoute dernire incarnation de lincurable fonctionnalisme de lAnthropologie [] lepouvoir est le trou noir intellectuel dans lequel toutes les espces de contenus culturels sont aspires (2002 : 20).

    Et avec la culture, cest galement laction humaine (agency) en ce quellea de spcifiquement culturel qui serait vacue du champ de lanalyse. Lepostmodernisme la James Clifford aussi bien que les thories du systme-monde (Eric Wolf, Jonathan Friedman) qui se veulent pourtant critiquesde limprialisme, en sen prenant lintgrit culturelle et laction(agency) des peuples priphriques , en leur dniant toute autonomie,cohrence et authenticit [] font en thorie exactement ce que limp-rialisme essaie de faire en pratique (1993 : 7)15.En ce sens lafterologie est non seulement considre comme un rduc-

    tionnisme sociologique dont lexplication procde par limination , cestgalement, la manire du marxisme vulgaire, un terrorisme 16. Le pouvoir, en expliquant tout, nexplique rien , crit Sahlins (2002 :

    74). Dans des pages consacres Michel Foucault (ibid. : 67 sq.), illaccuse de ne sintresser quaux effets instrumentaux de discipline et decontrle exercs par les institutions. Cest le classique bain dacide dusavoir fonctionnaliste, rduisant la substance vritable de linstitution sesobjectifs et consquences supposs (ibid. : 68).De plus, le fonctionnalisme de Foucault ne peut dboucher que sur

    une subjectologie :

    Avec cette dissolution des ordres culturels dans des effets de subjugation, la seulechose qui tienne encore debout, la seule chose qui reste analyser est le sujet [] dole retour de cette mtaphysique du sujet que lanalyse voulait rfuter. Cest ainsi quesoudain les pages des revues la mode se remplissent de toutes sortes de sujets, desubjectivits et de selves ; lanthropologie prend la forme dune allgorie, discourant surles formes et les forces culturelles en termes de personnes collectives abstraites (id.).

    Le subjectivisme conduit ainsi linflation de ces tudes sur les diff-rences sans cesse changeantes, ngocies, contestes, etc., que le post-modernisme voque en dehors de toute rfrence la notion de culture. Orsans culture, il ne pourrait y avoir ni identit ni continuit, insiste Sahlins.Malgr tout ce qui les spare, Sahlins rejoint les postmodernistes dans

    une mme critique de lobjectivation des fonctions politiques et socialesdes traditions inventes. Le tir de barrage a pris plusieurs formes, allantdes habituelles accusations de rductionnisme sociologique, qui sont

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    15. Cf. galement, contra Friedman, Sahlins (1988 : 49).16. Et Sahlins dinvoquer le Sartre des Questions de mthode, qui crivait du marxisme que samthode s'identifie la Terreur par son refus inflexible de diffrencier (1999a : 406-407).

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  • monnaie courante dans ce genre de dbats, des stratgies varies de dn-gation et de banalisation17. lunisson, Sahlins et les postmodernistes sac-cordent pour critiquer ceux qui (selon eux) stigmatisent linauthenticitdes traditions inventes. L encore, la critique se trompe de cible, car ladnonciation dune inauthenticit na jamais t lobjectif de la premirevague de chercheurs engags dans ltude des politiques de la tradition .Ce contresens a pourtant t abondamment colport par toute une sriede publications, largement dmarques les unes des autres. Comme lerappelle Victor Li dans limportant essai quil consacre Marshall Sahlins :

    La thse de l invention ne sintresse pas lauthenticit ou linauthenticit duneculture, parce quelle ne pose pas un modle dauthenticit permettant de juger linau-thenticit. Cest Sahlins, en fait, qui projette lopposition authenticit/inauthenticitsur largument de l invention quil accuse ensuite de mettre en cause les cultures indi-gnes et de les insulter comme inauthentiques ou inventes. Les tenants de la thsede l invention nont pas lusage de lopposition authenticit/inauthenticit parce quepour eux la culture na rien voir avec la survie ou la suppression dune identit origi-nelle ou primordiale : au contraire, la culture est un processus continu, qui s inventeou se construit en rponse aux circonstances du moment et au champ de forces tou-jours en mouvement prsent dans chaque communaut (Li 2001 : 245-246).

    Quant laffirmation selon laquelle les intellectuels occidentaux refuse-raient ainsi aux peuples indignes toute autonomie culturelle, cohrenceou authenticit (Sahlins 1988 : 49), le jugement de Li est sans appel :

    [] ce ne sont pas les thoriciens de l invention de la tradition qui nient auxpeuples indignes leur autonomie et leur agency, cest Sahlins qui leur refuse ces mmesvaleurs en les subordonnant des catgories culturelles a priori (Li 2001 : 246).

    Le soutien aux affirmations identitaires des lites mergentes est un autrepoint qui rapproche les positions de Sahlins et celles des postmodernistes.Prises au pige de ce soutien, lanthropologie postmoderniste et lescultural studies se sont empresses de souscrire aux essentialismes des autreset leurs propres croyances lauthenticit culturelle, o lon a cru recon-natre lanalogue exotique des valeurs dfendues par un multiculturalismedominant sur la scne intellectuelle amricaine des annes 1990.Dans ces conditions, on comprend que toute objectivation de ces

    croyances, y compris au travers des instruments de lanthropologie reli-gieuse, puisse tre considre comme une dmystification sacrilge,susceptible en outre de dlgitimer les luttes indignes . Chasse par laporte, lauthenticit revient donc par la fentre : les postmodernistes laprtent sinon la culture (comme le fait Sahlins) du moins aux peuples

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    17. Les traditions ont toujours t inventes ; il y a eu de tous temps des Renaissances culturelles,des rapports conscients la tradition, etc. Pour une prsentation et une analyse critique des dbatssur l invention des traditions en Ocanie, voir Babadzan (2009 : chap. II).

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  • indignes dont les mouvements sociaux ne peuvent tre par nature quedes luttes pour laffirmation, contre lHgmonie, dune Diffrence. Lesethnonationalismes indignes, puisquindignes, seront donc ncessaire-ment porteurs dauthenticit, mais une authenticit caractrisant une culture de la rsistance quand Sahlins prfre y voir une rsistance dela culture (Sahlins 2002 : 56).Par-del ces divergences sur lvaluation des mouvements indignes, et

    sur le rle que la structure et sa reproduction peuvent y tenir, laccord estpresque parfait sur le fond. De manire significative, lensemble desauteurs contournent galement la question du nationalisme. Seul Sahlinspasse prs du but.Dans un ouvrage de 1995, How Natives Think, Sahlins reconnat en

    effet que ces mouvements ne sont pas sans rappeler la manire dont leromantisme dixneuvimiste allemand thmatisait le conflit de la Kulturcontre la Zivilisation, laffirmation du particulier contre luniversel, dugnie national contre le cosmopolitisme. Il ne dissimule dailleurs pas sonadmiration pour Herder 18, tout en reconnaissant en passant (dans unenote) que la prise de conscience moderne de la culture nest pas endiscontinuit intellectuelle avec celle de Herder [with the Herderianoriginal] dans la mesure o celle-ci galement tait nourrie danticolonia-lisme (1995 : 13, n. 7). Il voit dans ce quil appelle le culturalisme despeuples indignes la rponse aux forces destructrices plantarises ducapitalisme occidental :

    Deux cents ans aprs [la raction allemande au cosmopolitisme franais], une prisede conscience marque de la culture rapparat partout dans le monde parmi lesvictimes actuelles et anciennes de la domination occidentale, qui exprime des revendi-cations politiques et existentielles similaires []. Leurs luttes recrent, plus grandechelle et sous forme plus critique, cette opposition la raison bourgeoise et utilitairequi jadis a donn le jour la comprhension des cultures comme des formes de viedistinctes (1995 : 13).

    Mais si les nationalismes culturels (europens comme postcoloniaux) onttous articul des degrs divers une opposition au moins rhtorique luniversalisme abstrait des Lumires ou la domination trangre, ceserait une erreur de les interprter comme opposs la modernit : ils ensont au contraire, avec le libralisme et le socialisme, une des expressionsidologiques les plus caractristiques. Linstauration dun rapportmoderne la tradition (comme objet face auquel des sujets engagentun rapport critique) constitue une vritable rvolution anthropologique.

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    18. Sur Sahlins et Herder, voir Li (2001 : 209-211).

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  • Il connatra deux modalits dorientation inverses, la base de lopposi-tion entre les deux grandes conceptions de la nation moderne : nationcitoyenne indiffrente aux diffrences contre nation culturelle, fondesur lappartenance une communaut de culture. On sait galement queces deux manires opposes denvisager la nation ont t lorigine deprogrammes politiques dorientation trs diffrente. Mais les diversesvariantes des libralismes, des socialismes ou des nationalismes reposenttoutes sur un socle commun : lide que le Peuple est le vritable sujet delHistoire, lide que ltat doit tre le toit politique (Gellner) abritantla nation, et lide que cette nation est une communaut composede sujets individuels, quelle soit ou non reprsente comme une commu-naut de culture.Dans le Pacifique lheure des indpendances, la mise en spectacle des

    traditions locales, linvention dune Coutume dtat rige en symbolede lunit et de lidentit de la nation, ont t, comme dans les paysdEurope centrale et orientale, mises au service de nouveaux impratifs delgitimation sociale et politique. Comme les traditions inventes par lestats europens au tournant du XXe sicle (Hobsbawm & Ranger 1983),elles ont permis de prsenter le changement comme nen tant pas vrai-ment un, ltat moderne comme inscrit dans le prolongement des formespolitiques traditionnelles, et ses dirigeants comme les garants dun dve-loppement sans occidentalisation .Lanalyse que fait Sahlins des culturalismes actuels en termes de conti-

    nuit et de rsistance passe sous silence lensemble des travaux sur lethni-cit et le nationalisme (tant en sociologie quen sciences politiques ou enhistoire). Sahlins nvoque aucun moment le dbat qui oppose primor-dialistes et prennialistes dun ct, constructivistes ou modernistes delautre sur la question de la continuit, justement. Lenjeu du dbat est dedterminer si le nationalisme, idologie gnralement tenue pour spci-fique la modernit, peut tre considr comme bas sur des schmesculturels prmodernes dont la prgnance expliquerait le succs de liden-tification la nation comme communaut de culture, bref le succs poli-tique du nationalisme. Cette position est dfendue par le courant pren-nialiste, illustr par les travaux de John Armstrong (Nations BeforeNationalism, 1982) et dAnthony Smith (The Ethnic Origins of Nations,1986), pour qui des ensembles de mythes et de symboles sacraliss,dnomms mythomoteurs , traverseraient lhistoire pour se retrouver aucur des nationalismes modernes. Les nations de la modernit ne seraientalors que la dernire tape dune srie dincarnations dune cultureethnique sinon absolument primordiale, du moins prenne et susceptiblede changer afin de mieux pouvoir traverser lhistoire.

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  • On ne peut sempcher de voir dans les mythomoteurs dArmstronget de Smith lanalogue (le structuralisme et la dialectique en moins) de la mythopraxis de Sahlins, o la pratique est organise par des catgoriesmythiques ou cosmologiques. Lcole de Smith retrouve ainsi des mytho-moteurs dans les mouvements nationalistes actuels, quand Sahlins y voitun travail de (et sur) la structure opr au travers de la mythopraxis.Comme chez Armstrong et Smith, linvention de la tradition nintroduitaucune rupture dans la continuit des cultures sur la longue dure : uneinvention de tradition, crit Sahlins, comporte toujours de la tradition 19.Dans le cadre des dbats sur le nationalisme, les objections la thse de

    la continuit culturelle ont t nombreuses 20. De manire gnrale, lapropension chercher (et donc trouver) partout de la continuit est leplus souvent guide par un souci de mise en cohrence rtrospectif, quandce nest pas par le dmon de la mtaphore. On croit ainsi voir le confu-cianisme derrire le capitalisme la chinoise, lempereur derrire Mao, letsar derrire Poutine. Et pourquoi pas la cosmologie du guerrier fidjiensous les rcents coups dtat militaires Fidji, puisquils furent mens aunom de la dfense des traditions21 ? linverse, on pourrait rappeler quil nest pas ncessaire que des inno-

    vations mme radicales sinscrivent dans une quelconque continuit pourquelles puissent tre incorpores, assimiles, bref devenir culture, sansmme avoir besoin pour cela de devoir tre pralablement syncrtises. Ilne ma jamais paru y avoir de contradiction entre le fait que les traditionsnationales soient inventes sur des bases modernes (au sens de Hobs-bawm), et la possibilit que ces inventions puissent tenir une placecentrale dans les cultures contemporaines, en rorientant de manirenouvelle la reprsentation des identits collectives et du rapport au monde.

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    Lindignisation de la modernit

    19. An invention of tradition entails some tradition (Sahlins 1999a : 407, n. 12).20. son ancien lve Anthony Smith, pour qui les nationalismes ne parviendraient pas sem-parer des masses sans faire appel un fonds commun de mythes et de symboles ethniques, ErnestGellner rappelait que lexistence de racines culturelles communes ne conditionnait pas elle seulele succs ou lchec politique des mouvements nationalistes. Les nationalistes peuvent dailleurssen passer, comme les Estoniens, qui inventrent une culture nationale ex nihilo, alors quil leurmanquait, au dbut du XIXe sicle, jusqu un ethnonyme commun (Gellner 1996 : 367).21. Sahlins voque ainsi le colonel putschiste Rabuka : As for the Fiji Military Forces, until thetwo coups dtat they effected in 1987 under Colonel Rabuka, this army was most famous as themainstay of the United Nations peacekeeping corps in Lebanon and the Sinai. So after the secondcoup, when Fiji withdrew from the British Commonwealth and thereby abandoned the queen'sbirthday celebrations, Colonel Rabuka, an admirer of the Israeli military, proclaimed as Fiji'snational day Yom Kippur. I am told that in 1987 T-shirts could be seen in Suva with YomKippur printed in Hebrew on the front, and Fiji National Day in English on the back. In thesame year Colonel Rabuka had himself installed as leader of the Fiji Military Forces and de factoleader of the nation in a traditional ceremony, the newspaper photos and descriptions of whichresemble nothing so much as the installations of ancient war-kings (Sahlins 1993 : 24).

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  • Ce fut le cas en Europe partir de la fin du XVIIIe sicle o les concep-tions du nationalisme culturel, forges dans un premier temps par unepoigne dintellectuels, de folkloristes et de littrateurs romantiques, ont faitlobjet dune diffusion de masse systmatique o lcole a jou un rle dter-minant22. Le succs durable de cette incorporation de la dfinition officielledes identits et des cultures nationales est tragiquement attest par le faitque lon puisse continuer au cur de lEurope sentre-tuer en leur nom,comme lhistoire rcente des conflits en ex-Yougoslavie la encore dmontr.De mme, pour voquer un instant une tradition politique dorientationoppose, en France, il est clair que les conceptions rpublicaines laques etprogressistes de ltat-nation jacobin, son indiffrence aux diffrences etson culte civique de la nation citoyenne, sont devenues depuis deux siclesune partie essentielle non seulement de la culture politique franaise, maisde la culture commune partage par tous les Franais, qui rsulte pour unepart caractristique de lincorporation des mythologies rpublicaines et desvaleurs dgalit et de libert inculques avec force par lcole publique.Cest cette institution, laquelle la majorit des Franais sont encore farou-chement attachs, qui fut le bras arm de ltat dans le processus ayantconduit, selon le titre de louvrage dEugen Weber (1976), transformer des paysans en Franais , et construire une culture nationale. Si l iden-tit de la France est chercher quelque part, cest sans doute davantageautour de lidentification aux valeurs transmises par lcole, aux mythologieslaques et aux cultes civiques rendus la nation quil faut aller la chercher,plutt que dans la persistance dune cosmologie transhistorique.Pour dire le moins, la thse de lindignisation de la modernit pose plus

    de problmes quelle nen rsout. Son extension aux mobilisations identi-taires postcoloniales actuelles expose des drives interprtatives qui fontsouvent obstacle la comprhension des traductions locales du processusde plantarisation du rapport moderne la culture, en particulier lorsqueles culturalismes indignes sont constitus par principe en rsistance dune diffrence lhgmonie. Soustraire ces mouvements au travaildobjectivation sociologique qui permettrait de les resituer dans le cadredun processus de modernisation politique et idologique ne peut conduirequ sen remettre la reprsentation que les acteurs donnent du sens deleurs croyances et de leurs pratiques : la culture et la continuit sont-ellestoujours l o les militants identitaires disent quelles se trouvent ?

    Universit Paul-Valry Montpellier 3Centre d'tudes et de recherches comparatives en ethnologie, Montpellier

    Institut universitaire de France, [email protected]

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    22. Gellner (1989). Parmi une vaste littrature, voir galement Thiesse (1997 et 1999).

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  • MOTS CLS/KEYWORDS : continuit culturelle/cultural continuity rsistance culturelle/culturalresistance modernit/modernity modernisation/modernization identits/identities culturalismes/multiculturalism Marshall D. Sahlins.

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    Lindignisation de la modernit

    Armstrong, John A.

    1982 Nations Before Nationalism. ChapelHill, University of North Carolina Press.

    Babadzan,Alain

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  • Alain Babadzan, L indignisation de la moder-nit : la permanence culturelle selon MarshallSahlins. Larticle est un commentaire cri-tique de la thse de l indignisation de lamodernit que Marshall Sahlins voit luvre dans lassimilation des marchandisesoccidentales o elle serait mise au servicede finalits traditionnelles , aussi bien quedans ce quil appelle le culture movementcontemporain.

    Alain Babadzan, The Indigenization of Moder-nity : Cultural Permanence According to MarshallSahlin. This article is a critique of the indigenization of modernity that MarshallSahlins sees at work in the assimilation ofWestern merchandise (when it is used fortraditional purposes) and in what he calls thecontemporary culture movement.

    RSUM/ABSTRACT

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