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Atlantide
18 Décembre 1904, rive Nord de la citée d'Atys, Atlantide.
Le vent froid de Décembre hurlait contre les vieux carreaux crasseux de la petite
auberge, heurtant avec fureur les murs de briques et s'infiltrant entre les fissures du toit. Les
cris d'une jeune femme y résonnaient avec force, faisant trembler la charpente.
- Ahhhhh ! Arold, je ne peux plus le supporter ! sanglotait la femme, le visage baigné de larmes.
- Courage Katerina, c'est presque terminé ! Encore un effort !
- Non, non ! gémit-elle. Où est Ranvok ? Où est-il ?
La pauvre femme se débattit un instant dans sa couche, ses cheveux blonds poisseux de
sueurs collants à son fin visage émacié. Des infirmiers en blouses blanches agrippèrent ses
chevilles et ses poignets pour la clouer sur son lit tandis que la main d'Arold caressait sa joue,
chassant quelques mèches emmêlées de devant ses yeux. Au son de ses cris, un immense fauve
aux reflets mordorés s'avança alors vers le lit, posant son énorme museau tigré contre le corps
secoué de spasmes de Katerina qui se détendit aussitôt, caressant du bout de ses doigts
tremblants le pelage soyeux de son animal. Le superbe tigre plongea alors ses yeux d'ambres
dans ceux de sa maîtresse, d'un vert voilé de souffrance.
- Allez courage, ma belle et radieuse Katerina... souffla Arold en embrassant le front de sa
compagne.
- Je ne veux pas qu'ils le récupèrent ! hurla-t-elle alors en se débattant de plus belle. Pitié, Arold,
je t'en prie ! Protège-le ! Ne les laisses pas l'emmener, promet moi !
- Kate, nous n'avons plus le choix. Les récoltes ont été mauvaises, sans eux nous ne survivrons
pas à la fin de l'hiver. Ils nous ont choisis, c'est une chance de repartir à zéro...
- Arold ! cria-t-elle de rage et de fureur. Comment peux-tu oser dire une chose pareille ? C'est le
tiens, c'est nôtre bébé ! Ne les laisse pas le prendre ! Arold !
Derrière eux, une porte s'ouvrit brutalement, laissant entrer une jeune femme cintrée
dans un tailleur impeccable, au style rétro. Elle portait un rouge à lèvre carmin qui donnait à son
visage un aspect vaguement effrayant. Ses cheveux noirs et brillants étaient attachés dans un
chignon haut et d'où ne dépassait aucune mèche rebelle. Elle s'éclaircit la gorge avant de poser
les yeux sur le couple devant elle.
- C'est bientôt terminé ? Nôtre patron s'impatiente, lâcha-t-elle d'un ton froid en réprimant une
grimace dégoutée devant le corps misérable et couvert de sueur de Katerina.
- Bien sûr Madame, bien sûr ! s'empressa de répondre Arold en s'inclinant devant la nouvelle
venue. Ma f-femme est sur le point de mettre au monde l'enfant.
- Nooon ! Arold ! Ne prenez pas mon bébé ! Je vous interdis de me toucher, partez ! Partez tous
! mugit Katerina en se cabrant sous les mains des infirmiers qui l'immobilisaient fermement.
- Très bien, répondit la femme au tailleur sur-mesure en souriant à Arold. Et par pitié, faîtes
taire la mère porteuse. On l’entend crier dans toute l'auberge.
D'un signe sec du menton, la terrifiante jeune femme s'adressa aux infirmiers qui
s'empressèrent de poser un bâillon sur la bouche de Katerina, ignorant ses protestations et ses
coups de dents. Mais malgré le tissu qui l'entravait, la future mère poussa un gémissement
déchirant, faisant frissonner Arold qui se jeta aux pieds de la femme au tailleur.
- Madame, était-ce vraiment nécessaire ? gémit le pauvre homme en se passant la main dans les
cheveux dans un geste désemparé.
- Ses cris insupportent tout le monde.
Et sans un regard en arrière, la glaciale jeune femme réajusta sa jupe grise et sortie de la
pièce, ses interminables talons hauts claquants sur le parquet vieillit de la chambre. Dans son
dos, le tigre Ranvok montra les crocs, obligeant Arold à se précipiter vers lui pour le faire taire.
Le fauve haïssait la femme au tailleur, il pouvait sentir sa cruauté comme un gigantesque aura
suintant et pulsant tout autour d'elle.
L'accouchement dura encore près d'une heure, jusqu'à ce que le cri d'un nourrisson
perçe l'air, faisant vibrer les minces carreaux des fenêtres. Dans le lit, Katerina n'avait même
plus la force de se battre. La jeune femme tendit vainement les bras devant elle, dans l'espoir
qu'on lui donne son bébé. Mais personne ne fit attention à elle. Des larmes amer coulant le long
de ses joues sales, elle regarda l'implacable femme au tailleur s'emparer de son enfant,
l'arrachant des mains d'Arold
- T-Très bien... Est-ce que maintenant nous pouvons récupérer la récompense, s'il vous plait ?
Nous n'avons vraiment plus rien et mon épouse a besoin de manger et de se reposer à
présent... supplia Arold.
La femme au tailleur se tourna alors vers lui et son visage se fendit d'un sourire cruel.
Puis elle pointa le canon d'une arme droit vers l'homme.
- Oh pardon, j'allais oublier. Merci, de votre coopération.
L'homme ouvrit la bouche de surprise, les yeux écarquillés. Puis la balle l'atteignit en
pleine tête et il s'écroula dans un cri, un mince filet de sang coulant le long de sa tempe. La
femme au tailleur se tourna alors vers le tigre qui rugissait dans un coin, fermement maintenu
par deux infirmiers aux blouses blanches immaculées. Avec un reniflement de mépris, elle
appuya sur la gâchette. Dans un bruit sourd et un feulement de douleur, le grande fauve
s'éteignit brutalement, sa masse dorée et chatoyante s'écrasant dans la poussière.
Alors la terrifiante jeune femme se tourna vers Katerina, le nouveau-né dans l'un de ses
bras et un pistolet en métal chargé dans sa main libre. La jeune mère-porteuse n'avait même
plus la force d'avoir peur. Son visage souillé de larmes était désormais vide de toutes émotions.
- Tu devrais être contente, femme. Tu viens de mettre au monde un Prince. Je vais te faire une
faveur, celle de choisir le prénom de l'enfant qui règnera sur ce monde.
D'un signe de son arme, la femme au tailleur enjoignit l'un des infirmiers à retirer le
bâillon qui entravait toujours la bouche de Katerina. La jeune mère ravala ses sanglots et se
saisit de ce bref moment de répit pour dévorer du regard son bébé. C'était un magnifique
nourrisson. Ses yeux, au lieu d'être noir comme presque tous les nouveaux nés, étaient d'un
bleu clair presque surréaliste, semblable a un ciel d'hiver lorsqu'il n'y a aucun nuage à l'horizon.
Il avait les yeux d'Arold, mais il semblait avoir les mêmes cheveux fins et blonds que sa mère. Ce
petit être chétif et gigotant qu'elle avait avec amour porté pendant neuf mois et qui lui était
désormais arraché lui rappela soudainement son propre père. Un immigré du monde d'En-Haut.
Un homme vaillant qui lui avait toujours fait comprendre que dans ce monde, il y avait ceux qui
rêvaient leurs vies, et ceux qui se battaient pour vivre leurs rêves.
- Dimitrov, murmura la jeune femme dans un soupir, consciente que cet héritage était la seule
chose qu'elle lèguerait à son fils.
- Parfait.
Puis le coup fusa et la balle atteignit Katerina en plein cœur. Sans même un regard en
arrière, la femme au tailleur quitta la pièce, au son régulier de ses talons hauts, le nourrisson
toujours dans les bras. Derrière elle, les infirmiers se pressaient déjà pour ramasser les cadavres
et pour laver le sol, balayant toutes traces de l'existence d'Arold et Katerina.
Mais effrayé par le bruit des coups de feu, le nouveau-né poussa un cri strident. Alors la
femme aux lèvres carmin se pencha vers son visage poupin et lui sourit d'un air sauvage,
caressant ses cheveux blonds de ses longs doigts aux ongles pointus. D'un ton chantant, elle
commença à fredonner des paroles rassurantes.
- N'ait pas peur, petit Prince. Je t'emmène voir le grand patron. Il fera de toi l'homme le plus
redouté de nôtre monde. Tu deviendras fort. Et beau. Et les gens ramperont à tes pieds pour te
servir. Tu seras l'ombre et les ténèbres de cet univers. Et plus rien ne pourra t'effrayer. Chuuut...
Dimitrov, dors petit Prince.
17 Septembre 1924, sud de Chicago, Etat de l’Illinois.
Le soleil disparaissait derrière les hauts buildings de Chicago, laissant progressivement sa
place à la nuit. Les lumières de la ville s’allumaient les unes après les autres, comme des
milliards de minuscules étoiles jaillissant brusquement de l’obscurité. Des airs de Jazz
s’échappaient des sous-sols malfamés de la ville, ponctués par le son des talons de femmes sur
le macadam.
En périphérie de la ville, dans une petite maison de banlieue, Léa Souzza se réveillait
lentement. La jeune femme s’extirpa de son lit, ses courts cheveux dorés emmêlés tout autour
de son visage. En voyant Chicago s’illuminer lentement par sa fenêtre, la bouche de la jolie
blonde s’étira en un immense sourire. Laissant tomber sa nuisette blanche sur le parquet de la
chambre, elle s’approcha de son armoire, tirant sur les cintres métalliques et jetant sur son lit
une foules de tenues toutes plus élégantes les unes que les autres. Son choix s’arrêta sur une
courte robe noire rebrodée de sequins d’or qu’elle enfila rapidement, se regardant face au
miroir. Satisfaite, elle attrapa l’une de ses paires de chaussures par leur boucle de satin et
descendit les escaliers quatre à quatre, déboulant dans la vaste cuisine familiale.
John Souzza, son père, était tranquillement assis à leur table, lisant le journal avec
attention. Devant la gazinière, Maggie, mère de famille aimante et attentionnée, préparait l’un
de ses ragoûts dont elle seule avait le secret. En voyant sa fille débarquer, toute échevelée, elle
fronça les sourcils et la menaça de sa louche.
- Léa, mon dieu ! C’est à cette heure-là que tu te lèves ? Et où est-ce que tu cours,
habillée dans cette tenue ? Cette robe t’arrive au genou !
- Du calme, Mama ! Je suis rentrée tard de soirée ce matin… Et je vais rejoindre
Debby ! Il y a une petite fête chez l’un de ses amis.
- Encore une fête ? Et quand est-ce que tu vas chercher du travail ? s’agaça Maggie en
croisant les bras sur son tablier beige.
- Je travaille déjà ! Je suis danseuse, Mama ! répliqua Léa, outrée.
- Pendant la prohibition ? ricana sa mère. La moitié des bars de cette ville ont fermés,
ça m’étonnerais beaucoup que tu ais réussis à te faire embaucher comme danseuse !
Léa se mordit les lèvres mais ne répondit pas. Elle lança un regard inquiet vers son père
mais il n’avait même pas relevé les yeux de son journal. La jeune femme n’aimait pas
particulièrement mentir à ses parents, mais elle sentait bien qu’elle n’en avait pas le choix.
Ignorant alors les remarques de sa mère, elle traversa la cuisine sans même un regard pour
Maggie qui secouait la tête d’un air désapprobateur.
S’approchant de la salle de bain, la jeune femme remarqua alors le mince trait de la
lumière sous le pas de la porte et jura entre ses dents. Elle laissa tomber au sol ses chaussures à
talons et se mit à tambouriner contre le panneau de bois, tirant avec agacement sur la poignée
de laiton.
- Anton ! Dépêche-toi de sortir de là ! cria-t-elle.
- Non ! lui répondit une voix beaucoup plus jeune. T’avais qu’à te lever plus tôt !
- Mon dieu, tu es vraiment une sale petite crapule ! Sort d’ici tout de suite ou je
demande à Papa d’enfoncer la porte !
Elle entendit ensuite une série de jurons puis le cliquetis de la serrure. La porte s’ouvrit
ensuite pour laisser passer son petit frère, Anton, qui du haut de ses onze ans, la dévisageait
avec colère.
- Tu vas encore essayer de te faire belle pour J-J-Jâââmes ! bêla-t-il en lui lançant un
regard brillant d’insolence.
- La ferme, cafard ! répliqua la jeune fille en lui donnant une tape sur le sommet de la
tête. On en reparlera quand tu seras assez grand pour avoir une petite copine.
- C’est nul les filles, de toute façon, lâcha son petit frère en reniflant de mépris.
- C’est ça… Allez, ouste !
Puis sans plus de cérémonie, la jeune femme le poussa hors de la salle de bain pour
s’engouffrer à l’intérieur, lui fermant la porte au nez. Elle fit chauffer un fer pour ses cheveux et
sortie de sa pochette des fards à paupières et des pots de rouge à lèvres qu’elle éparpilla sur le
meuble du lavabo. Elle rougit en repensant à ce que venait de lui dire Anton. James était le
grand-frère de sa meilleure amie, Debby. Il était grand, séduisant, irrésistiblement drôle… Et elle
en était follement tombée amoureuse.
Après quelques minutes, Léa sortie de la salle de bain parfaitement maquillée. La nuit
était complètement tombée et l’horloge du salon indiquait huit heure douze. Son meilleur ami,
Eliot McHeister n’allait probablement plus tarder à arriver. Elle s’observa une dernière fois dans
le miroir et ses lèvres rouges carmin s’étirèrent en un léger sourire mutin. Elle était irrésistible.
Ses courtes boucles blondes formaient comme un halo de lumière autours de son visage, ses
paupières peintes d’or et ses longs cils rehaussés d’un noir profond donnaient à son regard bleu
clair la chaleur de la braise. Si avec tout ça, James Norills ne succombait pas…
Le son d’un klaxon résonna soudain dans la rue, la tirant de ses pensées. Passant la tête
par l’embrasure de la fenêtre, elle reconnue immédiatement Eliot. Vêtu d’une impeccable veste
à rayure, d’élégantes bretelles noires surmontant sa chemise immaculée, il était lui aussi sur son
trente et un. La jeune femme lui adressa un rapide signe de la main et referma aussitôt la
fenêtre, courant hors de la salle de bain pour aller le rejoindre.
- Je ne reste pas dîner ! lança-t-elle en passant en vitesse dans la cuisine.
- Léa ! s’énerva sa mère. Tu n’as pas mangé depuis hier !
- Moi aussi je t’aime, Mama !
La jeune femme planta un rapide baiser sur la joue de sa mère, passant en trombe
devant Anton dont elle ébouriffa les cheveux puis alla embrasser son père qui ne broncha
même pas, ses lunettes en écailles toujours en équilibre précaire sur le bout de son nez qui
était encore une fois collé aux pages de son journal.
- Amuse-toi bien avec… J-J-Jâââmes ! cria son frère tandis qu’elle disparaissait par la
porte d’entrée.
Seul le claquement sec de la porte se refermant brusquement sur ses gongs lui répondit.
Le jeune garçon gloussa puis fila vers la salle de bain désormais libre, les Souzza étaient depuis
longtemps habitués aux sorties rapides de Léa qui ne s’embarrassait jamais de longs au-revoir.
Dans la rue, la décapotable d’Eliot attendait sagement devant la maison. En voyant Léa
arriver, le jeune homme se pencha vers la portière côté passager qu’il ouvrit avec aisance pour
permettre à son amie de s’installer. Léa prit aussitôt place sur le couteux fauteuil de cuir et
serra son chauffeur dans ses bras, ravie. Eliot et elle étaient amis depuis l’enfance et tout le
monde les prenait pour des frères et sœurs. Tous les deux blonds comme les blés avec
d’identiques prunelles bleues ciel, ils se ressemblaient comme deux gouttes d’eau. Le jeune
homme était doté d’une sorte de beauté désinvolte qui avait toujours fasciné Léa et fait battra
le cœur de nombreuses filles à Chicago.
- Alors ? Où allons-nous, cette fois? le questionna-t-elle, tout sourire.
- Dans l’un des speakeasy* les plus fermés de la ville, ma chère !
- Ohhh… souffla-t-elle, impressionnée. Et où est-ce que tu as obtenu le mot de passe
d’une telle soirée ?
- Ça, c’est mon p’tit secret ! répondit-il avec un clin d’œil énigmatique.
Léa secoua la tête, amusée. Eliot était issu de l’élite de Chicago, son compte en banque
lui ouvrait presque toutes les portes de celle qu’on surnommait désormais la Capitale du crime
organisé. Le jeune homme travaillait dans le monde de la finance, tout comme son père avant
lui, mais elle était persuadée qu’il y avait plus que ça. Depuis le début de la prohibition, de
nombreux gangs avaient vu le jour. De leur proximité avec le Canada, ils pouvaient y importer
*speakeasy : bars clandestins durant la prohibition.
des stocks massifs d’alcool fort, jamais la Mafia n’avait connu un pareil âge d’Or… Il lui arrivait
quelques fois d’être inquiète pour son meilleur ami, mais Eliot était toujours plein de ressource,
très intelligent. Il était très doué pour se défaire des situations les plus extrêmes.
La décapotable du jeune homme filait à toute vitesse vers le centre-ville, l’air frais faisait
tourbillonner les courts cheveux de Léa qui ferma les yeux pour en savourer la sensation. Elle
adorait la nuit, les ténèbres la rendaient plus vivante que jamais. Elle ne cessait de s’émerveiller
devant les lumières de la ville qui montaient toujours plus hauts dans le ciel. Et puis le soir était
synonyme de fêtes, c’était l’heure où les gens sortaient discrètement de chez eux pour
rejoindre les bars et cabarets clandestins. La nuit, la débauche et l’excessivité étaient de mise à
Chicago.
Lorsque enfin Eliot s’arrêta, Léa tourna la tête tout autour d’elle pour tenter de repérer
sa meilleure amie Debby. Dès qu’elle aperçue l’excentrique jeune femme, tout son épiderme se
couvrit de frissons. L’impatience la faisait bouillonner.
- Deb’ ! cria-t-elle en ouvrant sa portière avec empressement.
- Léa, presque à l’heure ! rit son amie en venant la rejoindre.
Les deux jeunes femmes se serrent dans les bras puis Léa s’écarta légèrement de son
amie pour contempler sa tenue. Debby avait un style très particulier qui tendait à se généraliser
à Chicago, on appelait ça la mode de la garçonne. Sa grande amie rousse était superbe avec son
chapeau melon qui couvrait ses épaisses boucles cuivrés, son petit nœud papillon qui mettait en
valeur sa gorge délicate et son large pantalon droit qui allongeait encore ses interminables
jambes.
- Tu es toute en beauté ce soir ! lui fit remarquer Debby avec un clin d’œil. Bonsoir
Eliot !
Le jeune homme retira son chapeau haut de forme et improvisa une élégante révérence
qui fit rire les deux jeunes femmes. Il enserra ensuite la taille de Léa d’une main pour la
conduire vers une petite porte rouge toute écaillée qui donnait sur la rue. Ils entrèrent sans
même frapper puis les trois jeunes gens déboulèrent dans une large pièce toute bitumée, du sol
au plafond. Au fond de la salle se tenait un homme aux épaules larges dont la veste blanche et
noire semblait sur le point de craquer. Sans même frémir, Eliot s’approcha du colosse et lui
tendit quelques billets.
- Mot de passe ? questionna l’homme en récupérant l’argent sans sourciller.
- Atlantide, souffla Eliot avec un sourire espiègle.
- C’est bon.
L’impressionnant garde leur livra ensuite le passage, le regard déjà de nouveau fixé sur la
vielle porte rouge devant lui. Dès qu’ils entrèrent dans l’antichambre du cabaret, ils purent
entendre le son étouffé des saxophones jouant du jazz et les rires des danseurs derrière les
épais murs de bétons. Une hôtesse vêtue d’une courte robe entièrement cousue de larges
sequins argentés leur adressa un immense sourire et fit pivoter vers eux la porte d’entrée,
laissant se déverser dans le minuscule vestibule les lumières feutrées et les odeurs musqués qui
régnaient à l’intérieur.
- Atlantide ? demanda alors Léa en interrogeant son ami du regard.
- Le nom d’une des organisations secrète de la ville je crois… lui répondit
laconiquement le jeune homme en passant la porte d’entrée.
En entrant dans l’immense bar clandestin, Léa fût frappée par l’hétéroclisme de
l’endroit. Dans un coin, des hommes et des femmes habillées de costumes à rayures et de
chapeaux melons misaient des liasses entières de billets sur des tables de pokers, entouré d’un
épais nuage de fumé. Assi sur une table de billard, une magnifique femme fumait sur un long et
élégant porte-cigare, encourageant les jeunes gentlemans concentrés qui se disputaient la
partie. Les rideaux de satins et les perles rendaient l’ambiance de la pièce incroyablement
feutrée. En face de la porte d’entrée qu’ils venaient de franchir se tenait un large bar, des
serveuses coiffées de hautes plumes de paon s’y pressaient, les bras chargés de plateaux
métalliques remplis de verres cliquetants. Dans le fond de la pièce un énorme alambic distillait
sa boisson, répandant ses vapeurs d’alcool à travers toute la pièce. Sur le sol de parquet, des
danseurs et des danseuses dansaient un Charleston endiablé, au rythme des cuivres joués par
des musiciens noirs sur l’une des estrades de la salle.
- Whaou… ça, c’est de la fête ! souffla Léa.
- Bien joué Eliot, ce bar me semble parfait ! surenchérit Debby en adressant un
immense sourire au beau blond qui accepta le compliment d’un léger signe de tête.
- James va-t-il se joindre à nous ? demanda alors le jeune homme en glissant un regard
en coin vers Léa qui s’empourpra.
- Non, il travaillait tard ce soir…
La jeune femme aux boucles blondes masqua sa déception en se dirigeant vers le bar,
sentant dans son dos le regard moqueur d’Eliot qui devait être en train de guetter sa réaction.
Elle sentie quelques secondes plus tard la chaleur de son corps à côté du sien et releva les yeux
vers lui.
- Alors… On commande quoi ? lui demanda son ami sans même tourner la tête vers
elle.
- Tss… Pas un mot sur James ce soir, compris ? menaça-t-elle en lui lançant un discret
coup de coude dans les côtes.
- Aîîîe ! D’accord… Les désirs de mademoiselle sont des ordres, comme toujours…
répliqua-t-il en lui souriant, goguenard.
- Mon dieu Eliot efface moi ce sourire de ton visage, tu es effrayant !
Le jeune homme s’esclaffa avant de faire signe à une des serveuses de s’approcher. La
femme d’une trentaine d’année se dirigea vers eux, posant son plateau vide sur le comptoir en
bois. Ses prunelles noires brillèrent un instant, troublées par le regard d’Eliot posé sur elle. Léa
ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel en reconnaissant le manège de son ami. Il venait de
se pencher vers la serveuse qu’il embrassa alors à pleine bouche, mettant ses deux mains en
coupe autours de son visage et dévorant fougueusement ses lèvres qui s’entrouvrirent de
surprise.
Le baiser ne dura que quelques secondes avant qu’il ne s’écarte, un sourire séducteur
accroché à son visage qui semblait alors si innocent. La serveuse se mit à glousser, les joues
rosies. Elle redressa la plume accrochée à ses courts cheveux sombres et tenta de se
recomposer un visage neutre, en vain.
- M-Monsieur désire b-boire quelque chose ? demanda-t-elle en tentant de garder un
minimum de professionnalisme.
- Quatre side-cars, je vous prie… Le dernier est pour vous, murmura-t-il d’une voix
enjôleuse.
- Je vous prépare ça tout de suite, s’empressa-t-elle de répondre sans parvenir à le
quitter des yeux.
Dès qu’elle se fut retournée, Léa en profita pour fusiller du regard son meilleur ami et
pivota dos au bar pour observer les danseurs que Debby avait rejoint.
- Tu es incorrigible… souffla la jolie blonde en fixant sa meilleure amie se balancer
d’une jambe sur l’autre.
- Je viens de faire ma B-A, Léa… Et puis elle était plutôt mignonne !
- Elle doit bien avoir dix ans de plus que toi… ricana son amie.
- Et alors ? l’interrogea Eliot en haussant les sourcils.
Léa décida d’abandonner et secoua la tête, résignée. Son ami avait toujours été comme
ça et ce, depuis qu’il était tout petit, elle savait pertinemment qu’elle ne le changerait plus. Et
puis, sans ses habituelles frasques, Eliot ne serait pas l’Eliot qu’elle aimait tant.
La jeune femme avait soudain envie de se laisser porter par l’ambiance de la soirée et se
redressa pour s’avancer vers l’un des coins de la pièce où se tenaient les joueurs de poker. Elle
se faufila entre les tables et repéra une petite assemblée d’homme, concentrés derrières leurs
cartes. Elle s’approcha d’eux et posa audacieusement ses mains sur les épaules de celui qui lui
semblait être le plus âgé.
- Vous devriez doubler la mise… susurra-t-elle à son oreille.
Le joueur de poker tourna alors la tête vers elle et la dévisagea d’un regard appréciateur.
Il laissa échapper un léger petit rire et s’écarta de la table pour lui permettre de s’installer sur
ses genoux. Léa prit aussitôt place et avec un sourire espiègle, avança vers le centre du tapis de
jeu une nouvelle petite pile de jetons qui firent siffler d’admiration les autres hommes assis
autour d’eux.
Au bout de quelques parties, la jeune femme avait réussi à convaincre tout le monde de
ses dons aux jeux d’argent et elle avait ainsi progressivement gagné le respect de tous les
joueurs de sa table qui lui offrirent verres sur verres. Lorsque la tête commença à lui tourner,
elle s’excusa et quitta l’espace enfumé qui leur était réservé. Hésitante, elle remarqua l’énorme
escalier en colimaçon qui grimpait vers les étages supérieurs et s’en approcha, la démarche
vacillante. Elle ne croisa ni Debby, ni Eliot, sans doutes avaient-ils dû faire une rencontre d’un
soir avec qui ils devaient être en train partager un bref moment d’intimité dans l’un des recoins
sombres du cabaret.
S’accrochant à la rampe de bois, elle monta les marches unes à unes jusqu’au premier
étage. Dans les couloirs, des hommes et des femmes s’embrassaient avec passion. Assis dans un
coin, un petit groupe de jeunes gens fumaient autours d’un énorme narguilé, riant aux éclats.
Des plumes jonchaient le sol et elle faillit trébucher sur l’une d’elle. Les airs de jazz joués à
l’étage du dessous lui semblaient de plus en plus lointains et sa vision se troublait. La respiration
rapide, elle s’agrippait au papier-peint des murs pour se retenir de tomber. Elle rit. Elle ignorait
où elle devait aller mais ça ne semblait pas avoir la moindre importance. Du coin de l’œil, elle
repéra un mouvement furtif au bout du couloir et curieuse, décida de s’en rapprocher. Elle
longea les tapisseries brodés de vieux fils d’or et s’avança jusqu’à l’endroit où elle avait vu
disparaitre quelqu’un l’instant d’avant. Une large porte en bois ouvragée lui faisait face avec un
énorme panneau « Privé, ne pas entrer » posé dessus. Elle l’observa silencieusement quelques
secondes puis l’ouvrit sans même chercher à se soucier des possibles conséquences.
A l’intérieur, elle découvrit un jeune homme aux cheveux châtain qui lui parut
bizarrement habillé. Il sursauta en entendant le bruit de la porte qui se refermait derrière elle.
Ses yeux s’écarquillèrent de peur et il manqua de faire tomber une coupe de cristal qu’il tenait
entre ses mains et dans laquelle on pouvait voir une sorte d’épais liquide bleu argenté frémir
légèrement.
- Qu’est-ce que tu fais ici ? demanda-t-il avec un accent qu’elle ne reconnut pas. Tu ne
sais pas lire ?
- Whaouu… C’est quoi cette boisson-là ? C’est si magnifique…
Comme hypnotisée, la jeune fille s’approcha de la coupe sur laquelle elle posa ses deux
mains gantées de soie noire. Avant que le jeune homme n’ait eu le temps de réagir, elle venait
déjà de tremper ses lèvres dans le breuvage. Puis ce fût comme si de la lave en ébullition lui
coulait dans la gorge. Elle hurla.
- Par Zeus ! Mais qu’est-ce qu’elle vient de faire ?! gémit le jeune homme en lui
arrachant brusquement le liquide des mains pour le poser sur une table derrière lui.
Mademoiselle ? Mademoiselle ?
Mais Léa le dévisageait désormais les yeux emplit de terreur et le visage baigné de
larmes. La douleur qu’elle venait de ressentir avait été aussi intense que brève, mais le souvenir
mordant du liquide brulant s’infiltrant dans sa gorge et sa poitrine lui couvrit le corps de frissons
incontrôlables. L’inconnu tendit les mains vers elle pour agripper ses bras mais avant même qu’il
ne fasse mine de la toucher, la jeune femme lui tourna vivement dos et prit la fuite, courant à
travers tout le premier étage, le cœur battant à tout rompre. Elle dévala les escaliers et chercha
en vain du regard Debby ou Eliot, mais ses deux meilleurs amis n’avaient toujours pas réapparu.
Elle se dirigea, toujours chancelante, vers la porte par laquelle ils étaient entrés un peu plus tôt
puis tambourina de toutes ses forces contre le battant pour qu’on lui ouvre. Elle passa en
trombe devant l’imposant garde, sans même un regard en arrière, puis déboula dans la rue.
Seule.
L’air glacial de la nuit la rattrapa et elle frissonna, croisant fermement les bras sur sa
poitrine. Hébétée, elle chercha du regard la décapotable d’Eliot et la repéra un peu plus loin, le
long d’un trottoir désert. Elle enjamba la portière et se glissa sur son siège de cuir, frigorifiée.
Elle pouvait presque encore sentir l’épais liquide bleu argenté frémir dans sa poitrine.
Après une poignée de minutes à grelotter dans le froid, Léa sentie pourtant des
vibrations étranges dans tous ses membres qui n’avaient plus rien à voir avec la température
glaciale de la nuit. Sans qu’elle ne puisse le contrôler, toutes ses veines s’étaient mises à pulser
de concert, se tordant sous sa peau. Horrifiée, elle contempla son corps onduler et vibrer de
manière parfaitement anormale. Puis soudain, elle s’illumina entièrement de bleu, projetant
une lumière argentée sur le tableau de bord de la voiture qui clignotait sans raisons, ses
compteurs s’affolants de manière absurde. Une vague de chaleur la gagna ensuite et elle
s’évanouit immédiatement, sa tête blonde venant percuter le dossier de cuir de son siège.
La dernière pensée qu’elle eut avant de sombrer dans l’inconscience était qu’elle venait
probablement de commettre une énorme bêtise.
17 Septembre 1924, Q-G de la Mafia Atlante, Atlantide.
Perdu au beau milieu d’un des quartiers les plus chauds d’Atys, un bâtiment de brique à
l’aspect lugubre dominait les vielles chopes alentours où déambulaient prostituées et garçons
de rues. Face aux immenses portes métalliques, deux chiens affamés aux côtes saillantes se
disputaient un vieux bout d’os sous l’ombre menaçante de l’imposant immeuble aux façades
rouges. Au dernier étage se trouvait la pièce la plus volumineuse de l’enceinte, aux murs
couverts d’étagères croulants sous les livres. Il régnait dans l’immense bibliothèque un silence
feutré, uniquement ponctué par le chuintement des pages qui étaient tournées les unes après
les autres. Dans un immense fauteuil de velours rouge vif, une femme vêtue d’un impeccable
tailleur gris feuilletait des ouvrages d’aspect vieillit, aux reliures de cuir écorchées. Avec
agacement, la femme posa le livre qu’elle tenait dans les mains sur une petite table à côté d’elle
puis s’en saisit d’un nouveau, plongeant son nez surmonté de lunettes noires entre ses pages
jaunis.
Puis soudain, interrompant brutalement le calme de la scène, les portes de la
bibliothèque claquèrent, laissant entrer un jeune homme blond d’une vingtaine d’année. Le
nouveau venu fulminait de rage, traînant derrière lui au bout d’une lourde chaine de métal une
adolescente effrayée, simplement vêtue d’une chemise blanche trop grande pour elle.
- Ivy ! rugit-il en s’arrêtant derrière le fauteuil de la jeune femme.
- Oui, chaton ? répondit simplement l’intéressée sans quitter son livre des yeux.
Avec un grognement exaspéré, le jeune homme se saisit fermement du dossier de son
fauteuil pour la faire pivoter face à lui. Il lui lança un regard puis tira sur la lourde chaine rouillée
qu’il tenait toujours dans ses mains, faisant trébucher la jeune adolescente qui tomba sur le sol,
juste aux pieds d’Ivy.
- Ah, je vois que tu as reçu mon cadeau, lâcha l’implacable femme, ses lèvres rouges
carmin s’étirant en un sourire amusé. Elle te plait ? Je ne savais plus si tu les préférais blondes
ou brunes…
Troublé, le jeune homme aux cheveux blonds en perdit un instant le fil de sa pensée et
dévisagea l’adolescente toujours prostrée au sol. Celle-ci venait de relever son fin visage pâle
vers lui, le suppliant de ses immenses yeux chocolat. Il ne pouvait pas nier qu’elle était
extrêmement mignonne, avec ses petites lèvres roses et sa crinière de cheveux bruns et
chatoyants. Puis son regard tomba sur sa propre chemise, dont il avait dû rapidement vêtir
l’inconnue lorsqu’il était soudainement tombée nez à nez avec elle, alors qu’elle était attachée
sur son lit, totalement nue. De nouveau, la fureur le gagna et il tourna son regard bleu acier vers
Ivy dont le visage ne trahissait absolument aucune émotion.
- Depuis quand tu te permets de faire entrer des inconnues dans ma chambre ? tempêta-
t-il en désignant l’adolescente à ses pieds.
- Dimitrov… Cesse donc d’en faire toute une histoire. Je pensais que ça te ferait plaisir, tu
es tellement solitaire, mon garçon.
- J’ai eu tellement peur que j’ai failli lui tirer une balle dans la tête ! protesta le jeune
homme en sortant son arme à feu de sa ceinture pour l’agiter sous le nez d’Ivy.
- Ecoute mon poussin, si voir une ravissante demoiselle nue t’effraye à ce point, c’est qu’il
serait vraiment temps que tu apprennes à mûrir un peu. Tu ne pourras pas rester éternellement
un petit garçon.
- J’ai eu peur, parce que voir une inconnue dans ma chambre, censée être fermée à clé,
m’a surpris, lâcha Dimitrov en grinçant des dents.
- Très bien. Comme ça la prochaine fois je mettrais un immense écriteau sur ta porte pour
te prévenir, et la surprise sera gâchée ! s’exaspéra Ivy en se replongeant dans la lecture de son
livre.
Dimitrov la dévisagea d’un œil furieux avant de se précipiter à grand pas vers le fauteuil
le plus proche, trainant derrière lui la jeune fille toujours terrorisée qui trébucha de nouveau en
voulant se relever. Il la fusilla du regard puis se laissa tomber dans son siège, adoptant une
posture désinvolte. Un long silence s’installa, au plus grand déplaisir du jeune homme blond qui
commençait à s’impatienter.
- Tu n’arrêtes pas de répéter que je suis censé être un Prince. Que je vais bientôt régner
sur tous les êtres vivants de ce monde… Alors pourquoi tu continues de me traiter comme un
gamin ? lâcha-t-il soudain, une pointe d’amertume dans la voix.
La femme au tailleur s’arrêta de lire quelques secondes puis releva la tête vers lui, le
dévisageant en silence de ses sombres yeux noirs. Elle finit par poser le livre qu’elle avait entre
les mains sur la table à côté d’elle puis se réinstalla dans son fauteuil avant d’enfin prendre la
parole.
- Mon chéri, les affaires de ton père ne sont pas encore réglées. Mais rassures toi, tu auras
bientôt l’occasion de montrer à tous que le pouvoir, c’est toi qui le détient. Et puis en attendant,
tu es toujours mon petit garçon.
- Je ne suis pas votre fils, lâcha Dimitrov d’un ton glacial.
- Non, bien évidemment, puisque tes parents sont morts, approuva Ivy en levant les yeux
au ciel. Mais ça n’empêche que le grand Patron et moi t’avons élevé comme nôtre sang.
- Vous m’aviez promis que je serais prince ! gronda le jeune homme.
- Tu en es déjà un, mon lapin. Seulement tu es le prince des ténèbres. Celui qui œuvre
dans l’ombre, celui qui est craint…
- Très bien, alors pourquoi est-ce que tu ne m’obéis pas, si je suis ton prince ? intervint
Dimitrov en défiant Ivy du regard.
La femme au tailleur le dévisagea un instant, incrédule. Puis elle éclata de rire. Sa voix se
répercutant comme un écho dans l’immense bibliothèque déserte. Apeurée, la jeune
adolescente se recroquevilla aux pieds de Dimitrov qui affichait un air plus sombre que jamais.
- Tu as vraiment le même caractère que ton père, rit-elle en essuyant ses larmes. Par
Poséidon, quand il m’a confié la mission de t’élever, je n’imaginais pas un seul instant à quel
point faire ton éducation allait se révéler être aussi dur et aussi drôle. Saches, petit insolant,
qu’ici, la vraie patronne, c’est moi. Que tu sois un vulgaire mendiant, un prince ou bien un dieu
n’y changerait rien. Alors reste à ta place, mon petit cœur.
Les poings de Dimtrov tremblaient de fureur tandis qu’Ivy le dévisageait de cet air
supérieur et condescendant qu’il détestait tant. Vaincu, il finit par baisser le regard, provoquant
le sourire satisfait de sa fausse mère qui récupéra son bouquin pour se replonger dans sa
lecture. Ses yeux tombèrent alors sur le visage toujours effrayé de l’adolescente à ses pieds et
ses sourcils se froncèrent.
- Et que suis-je supposé faire d’elle, maintenant ?
- Tu n’as qu’à t’amuser avec, soupira Ivy sans prendre la peine de relever la tête.
- J’ai passé l’âge de jouer et de toute façon, les esclaves n’ont jamais voulu se prêter à
mes jeux, marmonna-t-il avec exaspération.
Ivy leva alors les yeux vers le jeune homme, haussant un sourcil. Ses lèvres rouges se
pincèrent d’agacement mais ses yeux, eux, brillaient d’amusement.
- Je crois que tu n’as pas compris de quelle sorte de divertissement je voulais parler…
lâcha-t-elle en caressant ses lèvres de la pointe de sa langue.
Le jeune homme aux yeux de glace eut une grimace dégoutée et se dressa hors de son
fauteuil, agrippant avec brusquerie l’esclave par l’un de ses bras pour la forcer à se relever. Il lui
arracha sa chemise qu’il posa sur le dossier de son fauteuil. L’adolescente cria et supplia, se
heurtant au visage glacial et déterminé du jeune homme. Ivy releva la tête d’un air intéressé, la
curiosité brillant dans ses pupilles sombres. Mais contre toutes attentes, Dimitrov pointa le
canon de son arme sur la tempe de sa victime et sans une hésitation, pressa la détente. Il
relâcha le bras de la jeune fille qui tomba au sol dans un grand bruit sourd. Puis le visage
toujours fermé, il se saisit de sa chemise qu’il balança par-dessus son épaule avant de planter
son regard bleu et froid dans celui d’Ivy, qui fulminait.
- Bon sang Dimitrov ! Tu viens de tâcher un tapis à 8 000 Drachmes ! hurla Ivy en
montrant les dents. Et puis l’odeur va être insoutenable ! Que va dire ton père lorsqu’il va
rentrer et découvrir le cadavre d’une adolescente nue et couverte de sang sur le précieux
parquet de sa bibliothèque adorée ? Hein ?
- C’est pas mon problème. C’est à cause de toi qu’elle était ici, alors si tu as peur de la
réaction de père, je te suggère de commencer à laver le sol dès maintenant, lâcha Dimitrov d’un
air impitoyable.
Ivy l’observa en grinçant des dents puis se redressa d’un coup avant de s’avancer vers le
jeune homme, ses talons hauts claquant sur le sol de bois ciré. Elle approcha son visage tout
près de celui de Dimitrov, jusqu’à ce que leurs respirations se mêlent. Le prince aux yeux de
glace ne frémit même pas, défiant du regard la meurtrière de ses parents.
- Ne me parles plus jamais sur ce ton, souffla-t-elle la voix lourde de menaces. Car je te
préviens que si tu oses encore ne serait-ce qu’une seule fois me manquer de respect, tu seras
un prince avec du plomb dans la cervelle. Est-ce clair ?
Dimitrov était peut-être un jeune homme téméraire, mais il n’était pas idiot. Il savait
pertinemment choisir ses batailles et se mesurer à l’une des plus grande criminelle de leur
monde n’était décidemment pas une bonne idée. Il grimaça et fini par hocher la tête, baissant le
regard en signe de soumission. Les lèvres carmin d’Ivy s’étirèrent en un sourire cruel et elle se
pencha vers lui pour lui voler un baiser. Elle se redressa ensuite, posant les yeux sur la chemise
immaculée de Dimitrov.
- Très bon réflexe de l’avoir sauvée. C’est de la marque, approuva-t-elle avant de
s’éloigner.
Puis les portes de la bibliothèque se fermèrent dans son dos, laissant Dimitrov seul avec
sa colère et sa frustration. L’odeur métallique du sang lui chatouilla les narines et il baissa le
regard vers le cadavre de l’adolescente à ses pieds. Une auréole rouge sombre avait commencé
à imprégner le tapis de soie grise sur lequel la tête était tombée. Il poussa un soupir résigné puis
siffla entre ses dents.
Dans un grand bruit d’aile, une chouette d’un blanc étincelant vint se poser sur le dossier
du fauteuil rouge vif qu’occupait Ivy un instant plus tôt. Dimitrov s’en approcha et caressa d’un
air pensif la tête de l’animal.
- Ak’ala ornu’dir. Tab sula, prononça-t-il en très vieil Atlante.
Aussitôt les yeux de l’animal devinrent d’un bleu vif éclatant d’intelligence. Aussi
rapidement qu’il était venu, l’animal s’envola par la haute fenêtre entrouverte qu’il avait
emprunté un instant plus tôt. Le jeune prince l’observa repartir. Il venait de l’utiliser comme
réceptacle pour une partie de ses pensées, cela lui permettait de mentalement contrôler l’esprit
du bel oiseau. Comme mue par une force invisible, la chouette allait désormais directement se
rendre aux quartiers des domestiques où elle allait émettre le message mental du jeune
homme. D’ici une dizaine de minutes, une escadrille d’esclaves allait se précipiter pour nettoyer
de fond en comble la bibliothèque.
Dimitrov sourit, il trouvait ce don très pratique et eut une pensée moqueuse pour Ivy qui
n’avait jamais eu accès aux pouvoirs des Atlantes, ce qui la mettait sans cesse hors d’elle. La
magie d’Atlantide était une entité capricieuse et compliquée qui ne se manifestait que chez très
peu d’êtres humains. L’Hademonium, un liquide bleu argenté à la texture frémissante était le
seul fluide capable de donner de sa magie à un être qui en était totalement dépourvu. Mais sa
rareté et sa dangerosité ne faisait que très peu d’adeptes. Le jeune prince, lui, était toujours né
avec ses pouvoirs. D’après sa mentor, ils lui avait été transmis de sa véritable mère biologique.
Mais malheureusement, il lui était désormais impossible d’en avoir la preuve. Il se renfrogna et
quitta la pièce à grande enjambées, abandonnant le frêle cadavre derrière lui qui refroidissait
déjà.
Date de publication prévue fin décembre 2014.