article 6

73
Précis sur les droits de l’homme, nº 3 Le droit à un procès équitable Un guide sur la mise en œuvre de l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme Nuala Mole, Catharina Harby COUNCIL OF EUROPE CONSEIL DE L’EUROPE

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article 6

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  • Prcis sur les droits de lhomme, n 3

    Le droit un procsquitable

    Un guidesur la mise en uvre

    de larticle 6de la Convention europenne

    des Droits de lHomme

    Nuala Mole, Catharina Harby

    COUNCILOF EUROPE

    CONSEILDE LEUROPE

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  • Prcis sur les droits de lhomme, n 3

    Le droit un procsquitable

    Un guidesur la mise en uvre

    de larticle 6de la Convention europenne

    des Droits de lHommeNuala Mole, Catharina Harby

  • 2Les opinions qui sont exprimes dans cet ouvrage ne donnent, des instruments juridiques quil mentionne,aucune interprtation officielle pouvant lier les gouvernements des Etats membres, les organes statutaires duConseil de lEurope ou tout organe institu en vertu de la Convention europenne des Droits de lHomme.

    Direction gnraledes droits de lhomme

    Conseil de lEuropeF-67075 Strasbourg Cedex Conseil de lEurope, 2002

    1re impression, fvrier 2003Imprim en Allemangne

    Handbook No. 1: The right to respect for pri-vate and family life. A guide to the im-plementation of Article 8 of the EuropeanConvention on Human Rights (2001)

    Handbook No. 2: Freedom of expression.A guide to the implementation of Article10 of the European Convention on Hu-man Rights (2001)

    Handbook No. 3: The right to a fair trial.A guide to the implementation of Article 6of the European Convention on HumanRights (2001)

    Handbook No. 4: The right to property.A guide to the implementation of Article 1of Protocol No. 1 to the European Con-vention on Human Rights (2001)

    Handbook No. 5: The right to liberty and secu-rity of the person. A guide to the imple-mentation of Article 5 of the EuropeanConvention on Human Rights (2002)

    Handbook No. 6: The prohibition of torture.A guide to the implementation of Article 3of the European Convention on HumanRights (forthcoming)

    Prcis no 1: Le droit au respect de la vie prive

    et familiale. Un guide sur la mise enuvre de larticle 8 de la Convention euro-penne des Droits de lHomme ( paratre)

    Prcis no 2: La libert dexpression. Un guide

    sur la mise en uvre de larticle 10 de laConvention europenne des Droits delHomme ( paratre)

    Prcis no 3: Le droit un procs quitable.

    Un guide sur la mise en uvre de larticle6 de la Convention europenne desDroits de lHomme (2002)

    Prcis no 4: Le droit la proprit. Un guide

    sur la mise en uvre de larticle 1 du Pro-tocole n

    o 1 la Convention europenne

    des Droits de lHomme ( paratre)Prcis n

    o 5: Le droit la libert et la sret de

    la personne. Un guide sur la mise enuvre de larticle 5 de la Convention euro-penne des Droits de lHomme ( paratre)

    Prcis no 6: La prohibition de la torture. Un

    guide sur la mise en uvre de larticle 3de la Convention europenne des Droitsde lHomme ( paratre)

    Titres dj parus dans la srie des Prcis sur les droits de lhomme

  • 3Table des matires

    1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5Article 6 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

    Droit un procs quitable . . . . . . 5

    2. Etendue de la responsabilit du juge . . 7

    3. Applicabilit de larticle 6 diversestapes de la procdure . . . . . . . . . . 10

    4. Dlimitation de la notion de droitset obligations de caractre civil . . . 12Droits ou obligations civils . . . . . . . . 13Droits ou obligations non civils . . . . 14

    5. Signification de lexpression accusation en matire pnale . . 16 Accusation . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 En matire pnale . . . . . . . . . . . . 17

    Classification en droit interne . . . 17Nature de linfraction . . . . . . . . . 17A Porte de la norme viole . . 17B But de la peine . . . . . . . . . . . 18Nature et svrit de la peine . . . 19

    6. Porte du droit une audience publique . . . . . . . . . . 21

    7. Signification de lexpression rendu publiquement . . . . . . . . . . 24

    8. Signification de lexpression dans un dlai raisonnable . . . . . . 25Complexit de laffaire . . . . . . . . . . . 25Comportement du requrant . . . . . . 26Comportement des autorits . . . . . . 27Enjeu de la procdure

    pour le requrant . . . . . . . . . . . . . 28

    9. Signification de lexpression tribunal indpendant et impartial 30Indpendance . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

    Composition et nomination . . . . 30Apparence . . . . . . . . . . . . . . . . . 31Subordination dautres autorits 31

    Impartialit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31Diffrents rles du juge . . . . . . . . 33Rvision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35Tribunaux spcialiss . . . . . . . . . 35

  • 4Jurys . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35Renonciation au bnfice

    de larticle 6(1) . . . . . . . . . . . . . . . 36Etabli par la loi . . . . . . . . . . . . . . . . . 36

    10. Contenu de la notionde procs quitable . . . . . . . . . . . . . 37Accs un tribunal . . . . . . . . . . . . . 37Prsence laudience . . . . . . . . . . . 40Droit de ne pas contribuer

    sa propre incrimination . . . . . . . 41Egalit des armes et droit

    une procdure contradictoire . . . . 43Droit un jugement motiv . . . . . . . 46

    11. Droits spciaux reconnusaux mineurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47

    12. Recevabilit des preuves . . . . . . . . . 49

    13. Actions susceptibles de porter atteinte la prsomption dinnocence . . . . . 54

    14. Porte de lobligation dinformerrapidement et intelligiblementlaccus des charges qui psentcontre lui (article 6(3)a) . . . . . . . . . . 56

    15. Signification de lexpression temps et facilits ncessaires (article 6(3)b) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58

    16. Porte du droit un dfenseur ou un avocat doffice (article 6(3)c) . . . 61

    17. Porte du droit de convoquer et dinter-roger des tmoins (article 6(3)d) . . . 64

    18. Porte du droit un interprte(article 6(3)e) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67

    19. Problmes inhrents au pouvoirde contrle de surveillance . . . . . . . 68

  • 51. Introduction

    Le prsent dossier est conu pour permettreaux juges de toutes instances de sassurer que lesprocdures quils dirigent sont conduites confor-mment aux obligations tires de larticle 6 de laConvention europenne des Droits de lHomme.

    Il est divis en plusieurs chapitres, consacrschacun un aspect particulier des garanties non-ces par cet article.

    Le premier chapitre est une introduction gn-rale aux principes consacrs par larticle 6, telsquils sont dj repris, pour la plupart, dans le droitet la pratique internes. Dans le cadre de soncontrle de la conformit aux normes de la Conven-tion, le juge risque cependant de se heurter desdifficults concernant certains aspects de ladminis-tration de la justice.

    Article 6

    Droit un procs quitable1 Toute personne a droit ce que sa cause soit entendue

    quitablement, publiquement et dans un dlai raison-nable, par un tribunal indpendant et impartial, tabli

    par la loi, qui dcidera, soit des contestations sur sesdroits et obligations de caractre civil, soit du bien-fond de toute accusation en matire pnale dirigecontre elle. Le jugement doit tre rendu publiquement,mais laccs de la salle daudience peut tre interdit lapresse et au public pendant la totalit ou une partie duprocs dans lintrt de la moralit, de lordre public oude la scurit nationale dans une socit dmocratique,lorsque les intrts des mineurs ou la protection de lavie prive des parties au procs lexigent, ou dans lamesure juge strictement ncessaire par le tribunal,lorsque dans des circonstances spciales la publicit se-rait de nature porter atteinte aux intrts de la justice.

    2 Toute personne accuse dune infraction est prsumeinnocente jusqu ce que sa culpabilit ait t lgale-ment tablie.

    3 Tout accus a droit notamment :a tre inform, dans le plus court dlai, dans une langue

    quil comprend et dune manire dtaille, de la natureet de la cause de laccusation porte contre lui ;

    b disposer du temps et des facilits ncessaires la prpa-ration de sa dfense ;

    c se dfendre lui-mme ou avoir lassistance dun dfen-seur de son choix et, sil na pas les moyens de rmun-rer un dfenseur, pouvoir tre assist gratuitement parun avocat doffice, lorsque les intrts de la justicelexigent ;

    d interroger ou faire interroger les tmoins charge et obtenirla convocation et linterrogation des tmoins dchargedans les mmes conditions que les tmoins charge ;

  • 61 Delcourt c. Belgique,17 janvier 1970, para-graphe 25.

    2 Certaines rfrences ci-tes correspondent desdcisions de la Commis-sion europenne desDroits de lHomme, ins-tance charge deffectuerun tri pralable des re-qutes, qui a t abolielors de lentre en vi-gueur, en 1998, du Proto-cole n

    o 11 la

    Convention. Dsormais,toutes les dcisions ma-nent de la Cour euro-penne des Droits delHomme (CEDH).

    3 Voir larticle 35.

    e se faire assister gratuitement dun interprte, sil necomprend pas ou ne parle pas la langue employe laudience.Larticle 6 garantit donc le droit un procs

    quitable et public pour dcider des droits et obliga-tions de caractre civil dun individu ou du bien-fond de toute accusation pnale pesant contre lui.La Cour et, avant elle, la Commission interprtentcette disposition dans un sens extensif en raison deson importance fondamentale pour le fonctionne-ment de la dmocratie. Dans laffaire Delcourtc. Belgique, les Juges de Strasbourg ont ainsi dclarque :

    Dans une socit dmocratique au sens de la Conven-tion, le droit une bonne administration de la justiceoccupe une place si minente quune interprtation res-trictive de larticle 6(1) ne correspondrait pas au but et lobjet de cette disposition

    1.

    Le premier paragraphe de larticle 6 concerne la fois les procdures civiles et pnales, tandisque les autres sont explicitement limits auxactions pnales, mme si leurs dispositionspeuvent parfois stendre aussi aux actions civiles,comme nous le verrons dans la suite du prsentdossier.

    Comme tous les articles de la Convention, lar-ticle 6 est interprt par la Cour europenne desDroits de lHomme (CEDH) dans le cadre de sa juris-prudence

    2, telle quelle est dcrite et commente

    dans le prsent dossier. Il convient cependant de

    procder une mise en garde sagissant de la juris-prudence relative larticle 6 : aucune requtentant admissible avant lpuisement des voies derecours internes

    3, la quasi-totalit des violations

    allgues de cette disposition a dj t examinepar les juridictions suprmes avant datteindreStrasbourg. La CEDH aboutit donc frquemment la conclusion que larticle 6 na pas t viol,compte tenu du caractre quitable de la procdure considre dans son ensemble , dans la mesure o unejuridiction suprieure a dj t en mesure de recti-fier les erreurs commises par un tribunal dun degrinfrieur. Les juges de premire instance sont ainsiparfois enclins croire, tort, que tel ou tel vice deprocdure nayant pas t analys comme une vio-lation de la Convention par les Juges de Strasbourg(dans la mesure o il avait dj t corrig par unejuridiction suprieure) respecte parfaitement lesnormes de cet instrument. Or, le juge prsidant letribunal de premire instance tant directementresponsable du respect de larticle 6 pour tout cequi touche aux procdures se droulant devant lui,il ne saurait se fier aux juridictions suprieures pourcorriger dventuelles erreurs.

  • 74 Krcmr et autres c. Rpu-blique tchque,3 mars 2000 [traductionnon officielle].

    5 Voir notamment. F. K.,T.M. et C.H. c. Autriche,requte n 18249/91,dans laquelle la Commis-sion a dclar recevablelargument des requrantsqui se plaignaient, au titrede larticle 5(3), denavoir pas t traduitsrapidement devant unjuge comptent. Cet ar-ticle se lit comme suit :Toute personne arrteou dtenue, dans lesconditions prvues auparagraphe 1.c du prsentarticle, doit tre aussitttraduite devant un jugeou un autre magistrathabilit par la loi exer-cer des fonctions judi-ciaires et a le droit dtrejuge dans un dlai rai-sonnable, ou libre pen-dant la procdure. Lamise en libert peut tresubordonne une garan-tie assurant la comparu-tion de lintress laudience .

    2. Etendue de laresponsabilit du juge

    Le bref expos qui suit devrait savrer utileaux juges prsidant une audience pour vrifier quetoutes les garanties nonces dans larticle 6sont respectes. Chaque juge devrait, au dbut delaudience, se souvenir quil est de son devoir decontrler le respect de toutes ces garanties et, lafin de laudience, vrifier quil sest dment acquittde cette tche. Les paragraphes ci-dessouscontiennent des exemples particuliers ressortissantde cette responsabilit, mais le juge se doit de fairerespecter tous les points soulevs dans le prsentdossier.

    Surtout dans les affaires criminelles, le jugedoit vrifier que le dfendeur est convenable-ment reprsent. Il lui appartient galement deprendre des dispositions appropries en faveur desdfendeurs vulnrables. Il doit pouvoir ventuelle-ment refuser de continuer le procs sil estimequune reprsentation lgale simpose et quaucunavocat nest disponible (pour plus de dtails, voir lechapitre 16).

    Le juge assume la responsabilit du contrledu principe de lgalit des armes, prvoyant quechaque partie doit se voir confrer une possibilitraisonnable de dfendre sa cause dans des condi-

    tions ne la plaant pas dans une position sensible-ment dsavantage par rapport la partie adverse.Dans laffaire Krcmr et autres c. Rpublique tchque, laCEDH a ainsi rappel que :

    Toute partie la procdure doit avoir la possibilit de sefamiliariser avec les preuves prsentes devant le tribu-nal, ainsi que de formuler des observations sur leurexistence, leur teneur et leur authenticit sous uneforme et dans un dlai appropris et, au besoin, parcrit et lavance

    4.

    (Pour plus de dtails sur la question de lgalitdes armes, voir le chapitre 10).

    Une autre question concerne la responsabili-t du juge lorsque laccusation nassiste pas laudience. Le fait pour lui de trancher sur la seulebase des informations contenues dans le dossier delaccusation, mme sil ne constitue pas une viola-tion directe de la Convention, ressort dune pratiquecondamnable et risque de soulever plusieurs pro-blmes.

    Par exemple, la dfense a-t-elle t en mesurede voir toutes les pices du dossier ? Le juge doitsassurer que le dfendeur a pu prendre connais-sance de lensemble des accusations portes contrelui, ainsi que communiquer la dfense les conclu-sions quil a tires du dossier de laccusation

    5. Il en

    est notamment ainsi lorsque les dductions du ma-gistrat sont essentielles pour la qualification de lin-fraction : le dfendeur doit avoir la possibilit defaire valoir ses moyens les concernant. Laffaire Plis-

  • 86 Plissier et Sassic. France, 25 mars 1999.

    7 Assenov et autres c. Bul-garie, 28 octobre 1998,paragraphe 102.

    8 Selmouni c. France,28 juillet 1999, para-graphe 87.

    sier et Sassi c. France6 illustre bien le problme. Les re-

    qurants avaient t accuss de banqueroute frau-duleuse , de sorte que les moyens invoqus devantle tribunal correctionnel portaient uniquement surcette infraction. Mme lorsque, la demande duparquet, la cour dappel statua en appel, les requ-rants ne furent aucun moment accuss davoir aid ou assist la commission de la banqueroute.

    La CEDH tablit que les requrants navaientpas t avertis du risque de voir la cour dappel pro-noncer un verdict de complicit de banqueroute.Elle fit galement remarquer que le dlit de compli-cit ne constitue pas quune simple diffrencedvaluation du degr de participation linfractionprincipale, contrairement aux affirmations du gou-vernement. Les Juges de Strasbourg estimrent quela cour dappel, en faisant usage de son droit incon-test de requalifier les faits dont elle avaient t r-gulirement saisie, aurait d donner la possibilitaux requrants dexercer leurs droits de dfense surce point dune manire concrte et effective, et no-tamment en temps utile.

    La CEDH conclut par consquent une viola-tion du paragraphe 3 a) et b) de larticle 6 de laConvention (droit des requrants tre informsdune manire dtaille de la nature et de la causede laccusation porte contre eux, ainsi que le droit disposer du temps et des facilits ncessaires laprparation de leur dfense) et du paragraphe 1 dumme article (qui prescrit une procdure quitable).

    Dautres problmes concernent la responsa-bilit du juge lorsque le dfendeur sembleavoir t maltrait lors de sa dtention avantjugement. La CEDH a dclar que, lorsquun indivi-du affirme de manire dfendable avoir subi, auxmains de la police ou dautres services comparablesde lEtat, de graves svices illicites et contraires larticle 3, cette disposition, combine avec le de-voir gnral impos lEtat par larticle 1 de laConvention ( reconnatre toute personne rele-vant de [sa] juridiction, les droits et liberts dfinis[dans la] Convention ), requiert, par implication,quil y ait une enqute officielle effective. Cette en-qute doit pouvoir mener lidentification et lapunition des responsables. Sil nen allait pas ainsi,nonobstant son importance fondamentale, linter-diction lgale gnrale de la torture et des peines outraitements inhumains ou dgradants serait ineffi-cace en pratique et il serait possible aux agents delEtat de fouler aux pieds, en jouissant dune quasi-impunit, les droits des individus soumis leurcontrle

    7. En outre, dans Selmouni c. France

    8, les

    Juges de Strasbourg ont affirm que, lorsquun indi-vidu est plac en garde vue alors quil se trouve enbonne sant et que lon constate quil est bless aumoment de sa libration, il incombe lEtat de four-nir une explication plausible pour lorigine des bles-sures, dfaut de quoi larticle 3 de la Conventiontrouve manifestement sappliquer. Dans cecontexte, il convient de rappeler les obligations

  • 9souscrites en vertu dautres instruments internatio-naux tels que la Convention des Nations Uniescontre la torture et les autres peines ou traitementscruels, inhumains ou dgradants. Cette Conventionstipule notamment que tout Etat Partie prendra desmesures lgislatives, administratives, judiciaires etautres mesures efficaces pour empcher que desactes de torture soient commis dans un territoiresous sa juridiction : un engagement ne souffrantaucune drogation.

    Le juge assume la responsabilit de la d-termination de la recevabilit des preuves. Ildoit appliquer les dispositions pertinentes du Codede procdure pnale dune manire conforme lajurisprudence de la Convention. Les questions tou-chant notamment au recours des informateurs depolice ou des agents provocateurs requirentde ce point de vue une attention particulire, demme que la dissimulation dinformations au nomde la sret de lEtat.

    Le juge assume aussi la responsabilit deveiller ce que le dfendeur bnficie de ser-vices adquats dinterprtation (pour plus dedtails, voir le chapitre 18).

    Il est galement de son devoir, dans le but deprserver la prsomption dinnocence, de ren-dre ventuellement des ordonnances afin dviterun lynchage mdiatique. Toutefois, cette interven-tion ne doit pas consister en une exclusion pure etsimple des journalistes du prtoire, mais plutt en

    un rappel lordre prcisant les informations pou-vant tre rendues publiques (pour plus de dtails,voir le chapitre 6).

    Enfin, le juge assume parfois aussi des respon-sabilits en matire dexcution du jugement :une obligation pesant sur lEtat quil doit donc rem-plir lui-mme si aucun autre fonctionnaire de justicenest spcialement charg de le faire.

  • 10

    9 Imbroscia c. Suisse,24 novembre 1993, para-graphe 36.

    10 Voir ci-dessous le cha-pitre 5 pour une explica-tion du terme accusation.

    11 Voir par exemple Johan-sen c. Norvge,27 juin 1996.

    12 Delcourt c. Belgique,17 Janvier 1970, para-graphe 25.

    13 Monnell et Morrisc. Royaume-Uni,2 mars 1987, para-graphe 56.

    14 Kraska c. Suisse,19 avril 1993, para-graphe 26.

    15 Hornsby c. Grce,19 mars 1997, para-graphe 40.

    3. Applicabilit delarticle 6 diversestapes de la procdure

    Les garanties institues par larticle 6 nesappliquent pas uniquement la procdure ju-diciaire stricto sensu mais stendent aux tapesqui la prcdent et qui la suivent.

    Dans les affaires pnales, par exemple, ces ga-ranties concernent les gardes vue. La CEDH a ainsidclar, dans larrt Imbroscia c. Suisse

    9 que le dlai

    raisonnable commence courir ds la naissance delaccusation

    10 et que dautres exigences de lar-

    ticle 6 et notamment de son paragraphe 3 peuvent, elles aussi, jouer un rle avant la saisine dujuge du fond si et dans la mesure o leur inobserva-tion initiale risque de compromettre gravement lecaractre quitable du procs.

    Les Juges de Strasbourg ont galement estimdans des affaires portant sur larticle 8 de laConvention (droit au respect de la vie prive et fami-liale) que larticle 6 couvre aussi les phases admi-nistratives de la procdure

    11.

    Larticle 6 ne confre pas un droit de recours,mais cette facult est prvue, concernant les affairespnales, par larticle 2 du Protocole n 7 laConvention. En outre, la CEDH a admis dans sa ju-risprudence que, lorsque le droit interne dun Etat

    prvoit la possibilit dun pourvoi, cette procdureest couverte par les garanties de larticle 6

    12. Les

    modalits dapplication des garanties dpendentcependant des particularits de la procdure dont ilsagit. Selon la jurisprudence de Strasbourg, il fautprendre en compte lensemble du procs qui sestdroul dans lordre juridique interne, le rle tho-rique et pratique de la juridiction dappel ou de cas-sation, ainsi que ltendue de ses pouvoirs et lamanire dont les intrts des parties ont t relle-ment exposs et protgs devant elle

    13. De sorte

    que larticle 6 ne confre pas un vritable droit untype spcifique de recours et ne fixe pas prcis-ment les modalits dexamen des pourvois.

    La CEDH a en outre dclar que larticle 6sapplique aux recours intents devant un tribunalconstitutionnel, pour peu que lissue de la proc-dure soit dterminante pour des droits ou obliga-tions de caractre civil

    14.

    Larticle 6 couvre galement les procdurespostrieures aux audiences telles que lexcutiondu jugement. La CEDH a en effet soulign, dansson arrt Hornsby c. Grce

    15, que le droit un procs

    quitable tel quil est nonc dans larticle seraitillusoire si lordre juridique interne dun Etatcontractant permettait quune dcision judiciairedfinitive et obligatoire reste inoprante au dtri-ment dune partie.

    Il est clair que larticle 6 couvre la procduredans son ensemble. Les Juges de Strasbourg ont en

  • 11

    16 Raffineries grecques Stranet Stratis Andreadisc. Grce, 9 d-cembre 1994, para-graphes 46 49. Pourplus de dtails sur le prin-cipe de lgalit desarmes, voir le chapitre 10.

    outre dclar que le principe de lgalit des armessoppose toute ingrence du pouvoir lgislatifdans ladministration de la justice dans le but din-fluer sur le dnouement judiciaire dun litige

    16.

  • 12

    17 Voir notamment Ringei-sen c. Autriche,16 juillet 1971, para-graphe 94 et Knigc. RFA, 28 juin 1978,paragraphe 88.

    18 Knig c. RFA,28 juin 1978, para-graphe 90.

    19 Ringeisen c. Autriche,16 juillet 1971, para-graphe 94.

    20 Knig c. RFA,28 juin 1978, para-graphe 90.

    21 H c. France, 24 oc-tobre 1989, para-graphe 47.

    4. Dlimitation dela notion de droits etobligations de caractrecivil

    Larticle 6 garantit toute personne un procsquitable pour la dtermination de ses droits et obli-gations de caractre civil. Le libell de cette disposi-tion fait bien ressortir quelle ne couvre pas toutesles procdures auxquelles un individu pourrait trepartie, mais uniquement celles visant des droits etobligations civils. Il est donc important danalysercette restriction.

    La Cour et la Commission des Droits delHomme ont gnr une jurisprudence abondantepermettant de distinguer les droits et obligations ci-vils des autres. Cette interprtation de la conditionpose par larticle a volu au fil du temps : des do-maines considrs jadis comme chappant cettedisposition (scurit sociale, par exemple) sont eneffet aujourdhui regards comme relevant du droitcivil.

    La CEDH a clairement affirm que le conceptde droits et obligations de caractre civil est auto-nome et ne doit pas sinterprter par simple rf-rence au droit interne de lEtat dfendeur

    17. Elle

    sest cependant garde den donner une dfinitionabstraite, se contentant de distinguer entre droitpriv et droit public et de statuer en fonction descirconstances de lespce.

    Sa jurisprudence permet cependant de dgagercertains principes gnraux. Premirement, pour tablir si un droit est civil,

    il convient de prendre uniquement son carac-tre en compte

    18. Comme la CEDH la fait re-

    marquer dans son arrt Ringeisen c. Autriche :Peu importent ds lors la nature de la loi suivant la-quelle la contestation doit tre tranche (loi civile, com-merciale, administrative, etc.) et celle de lautoritcomptente en la matire (juridiction de droit commun,organe administratif, etc.).

    19

    La qualification du droit ou de lobligation endroit interne nest donc pas dterminante. Ceprincipe revt une importance particuliredans les affaires portant sur les relations entreun individu et lEtat. La CEDH a jug en effetquen pareil cas, le fait que lautorit publiqueconcerne ait agi comme personne prive ouen tant que dtentrice de la puissance pu-blique nest pas dcisif

    20. Le critre principal

    dapplicabilit de larticle 6 exige que lissuede la procdure soit dterminante pourdes droits et obligations de caractre pri-v

    21.

    Deuximement, toute notion europenne uni-forme ventuelle pouvant nous clairer sur le

  • 13

    22 Feldbrugge c. Pays-Bas,29 mai 1986, para-graphe 29.

    23 Knig c. RFA,28 juin 1978, para-graphe 89.

    24 Osman c. Royaume-Uni,28 octobre 1998.

    25 Ringeisen c. Autriche,16 juillet 1971.

    26 Edificaciones March Gel-lego S.A. c. Espagne,19 fvrier 1998.

    27 Axen c. RFA, 8 d-cembre 1983, et Golderc. Royaume-Uni,21 fvrier 1975.

    28 Airey c. Irlande, 9 oc-tobre 1979 et Rasmussenc. Danemark, 28 no-vembre 1984.

    29 Bucholz c. RFA,6 mai 1981.

    30 Pretto c. Italie, 8 d-cembre 1983.

    31 Voir par exemple, Spor-rong et Lnnroth c. Su-de, 23 septembre 1982 ;Poiss c. Autriche,23 avril 1987 ; Bodnc. Sude, 27 oc-tobre 1987 ; Hkanssonet Sturesson c. Sude,21 fvrier 1990 ; MatsJacobsson c. Sude,28 juin 1990 et Ruiz-Mateos c. Espagne,12 septembre 1993.

    caractre du droit doit tre prise en considra-tion

    22.

    Troisimement, la CEDH a affirm plusieursreprises que, mme si le concept de droits etobligations civils est autonome, la lgislationde lEtat concern peut revtir une certaine im-portance :Cest en effet au regard non de la qualification juri-dique, mais du contenu matriel et des effets que luiconfre le droit interne de lEtat en cause, quun droitdoit tre considr ou non comme tant de caractre ci-vil au sens de cette expression dans la Convention.

    23

    Dans son arrt Osman c. Royaume-Uni24

    , la Coura estim quen prsence dun droit gnraldans sa lgislation, un Etat Partie ne sauraitignorer les garanties de procs quitable non-ces par larticle 6 dans les affaires o ses tri-bunaux refusent doctroyer le droit enquestion.Comme nous lavons dj indiqu, les Juges de

    Strasbourg ont opt pour une approche reposantsur lexamen des circonstances de lespce. Lesexemples qui suivent permettent de mieux cernerleurs critres.

    Droits ou obligations civils

    La CEDH affirme avant tout le caractre civil

    des droits et obligations rglementant des rela-tions entre particuliers. Il en va notamment ain-si des rapports rgis par le droit des contrats

    25,

    le droit commercial26

    , le droit de la responsabi-lit civile dlictuelle

    27, le droit de la famille

    28, le

    droit du travail29

    et le droit de la proprit30

    . Le caractre des droits rgissant les relations

    entre un particulier et lEtat est plus flou. LaCEDH reconnat le caractre civil de certainsdentre eux. La proprit, notamment, est lundes domaines o les Juges de Strasbourg ontretenu lapplicabilit de larticle 6. Cest ainsique la garantie dun procs quitable couvre lesphases dexpropriation, de reclassement et deplanification, ainsi que les procdures doctroide permis de construire et autres autorisa-tions : en bref tous les actes pouvant avoir desconsquences directes sur le droit de propritpesant sur le bien immeuble concern

    31 et tou-

    tes les procdures dont lissue influe sur lusageou la jouissance dudit bien

    32.

    Larticle 6 couvre galement le droit dexercerune activit commerciale. Les affaires relevantde cette catgorie incluent le retrait dune li-cence de dbit de boissons alcoolises unrestaurant

    33 et le refus de dlivrer lautorisation

    douvrir une clinique34

    ou une cole prive35

    . Ledroit de pratiquer une profession librale, telleque la mdecine ou le droit, relve aussi de lar-ticle 6

    36.

  • 14

    32 Par exemple Oerlamansc. Pays-Bas, 27 no-vembre 1991 et De Geof-fre de la Pradelle c. France,16 dcembre 1992.

    33 Tre Traktrer c. Sude,7 juillet 1989.

    34 Knig c. RFA,28 juin 1978.

    35 Jordebro Foundationc. Sude, 6 mars 1987,rapport de la Commis-sion, 51 D.R. 148.

    36 Knig c. RFA,28 juin 1978 et H c. Bel-gique, 30 no-vembre 1987.

    37 Olsson c. Sude,24 mars 1988.

    38 W c. Royaume-Uni,8 juillet 1987.

    39 Keegan c. Irlande,26 mai 1994.

    40 Eriksson c. Sude,22 juin 1989.

    41 Feldbrugge c. Pays-Bas,29 mai 1986.

    42 Salesi c. Italie,26 fvrier 1993.

    43 Lombardo c. Italie, 26 no-vembre 1992.

    44 Schuler-Zgraggen c. Suis-se, 24 juin 1993, para-graphe 46.

    45 Schouten et Meldrumc. Pays-Bas, 9 d-cembre 1994.

    46 Philis c. Grce,27 aot 1991.

    La CEDH retient galement lapplicabilit delarticle 6 aux procdures visant des droits etobligations relevant du droit de la famille. Parmiles exemples pertinents, figurent des dcisionsen matire de placement denfants

    37, de droit

    de visite de parents leurs enfants38

    , dadop-tion

    39 ou de mise en nourrice

    40.

    Comme nous lavons dj mentionn ci-dessus, la CEDH a longtemps estim que lesprocdures visant les allocations daide socialentaient pas couvertes par larticle 6.Aujourdhui, cependant, elle est clairement delavis que cette disposition sapplique auxprocdures visant la dtermination dun droit,dans le cadre dun rgime de scurit sociale, percevoir des allocations dassurance-maladie

    41, des allocations dinvalidit

    42 ou une

    pension de fonctionnaire43

    . Dans laffaireSchuler-Zgraggen c. Suisse, qui concernait despensions dinvalidit, les Juges de Strasbourgont ainsi estim que [] lvolution juridique [...]et le principe de lgalit de traitement permettentdestimer que lapplicabilit de larticle 6(1) constitueaujourdhui la rgle dans le domaine de lassurancesociale, y compris mme laide sociale

    44. Larticle 6

    sapplique en outre aux procdures permettantde dcider de lobligation dacquitter descotisations dans le cadre dun rgime descurit sociale

    45.

    La garantie de larticle 6 couvre les procdures

    intentes contre ladministration publique enmatire de contrat

    46, de prjudice rsultant

    dune dcision administrative47

    ou de proc-dure pnale

    48. Elle sapplique notamment aux

    procdures visant obtenir lindemnisationdune dtention illicite au titre de larticle 5(5) la suite dun verdict dacquittement pronon-c dans le cadre dune procdure pnale

    49, ain-

    si qu rcuprer des sommes indmentperues par le fisc

    50.

    En outre, le droit dun particulier au respect desa rputation est aussi considr comme undroit civil

    51.

    Enfin, la CEDH estime que lorsque lissuedune procdure de droit constitutionnel oupublic risque de se rvler dterminante pourdes droits ou obligations de caractre civil,cette procdure doit, elle aussi, tre couvertepar la garantie dun procs quitable nonce larticle 6

    52.

    Droits ou obligations noncivils

    Fidles leur approche reposant sur lexamendes circonstances de lespce, les Juges de Stras-bourg ont aussi estim que certains domaines du

  • 15

    47 Voir par exemple ditionsPriscope c. France,26 mars 1992 ; Barraonac. Portugal, 8 juillet 1987et X c. France,3 mars 1992.

    48 Moreira de Azevedoc. Portugal, 23 oc-tobre 1990.

    49 Georgiadis c. Grce,29 mai 1997.

    50 National & ProvincialBuilding Society et autresc. Royaume-Uni, 23 oc-tobre 1997.

    51 Voir par exemple Fayedc. Royaume-Uni, 21 sep-tembre 1994.

    52 Ruiz-Mateos c. Espagne,12 septembre 1993.

    53 Voir par exemple Xc. France, requten 9908/82 (1983) 32 DR266. Voir toutefois, ci-dessus, la note de bas depage 32.

    54 P c. Royaume-Uni, requten 13162/87 (1987) 54 DR211 et S c. Suisse, 13325/87 (1988) 59 DR 256.

    55 Nicolussi c. Autriche,requte n 11734/85(1987) 52 DR 266.

    56 Atkinson, Crook et TheIndependent c. Royaume-Uni, requte n 13366/87(1990) 67 DR 244.

    droit ne ressortissaient pas larticle 6(1).Cela signifie que les demandes relatives des litigesportant sur un droit nonc dans la Convention nebnficient pas automatiquement de la protectionconfre par cet article. Cependant, larticle 13(droit un recours effectif) sapplique et exige par-fois un recours ou des garanties procdurales ana-logues celles prvues par larticle 6(1). Lesexemples suivants concernent des droits et obliga-tions ntant pas considrs comme prsentant uncaractre civil. Question fiscales et imposition53. Questions touchant limmigration et la na-

    tionalit54

    . (Notons cependant que larticle 1du Protocole n 7 numre un certain nombrede garanties procdurales en cas dexpulsiondtrangers).

    Obligation deffectuer un service militaire55. Couverture mdiatique dune procdure judi-

    ciaire. Cest le cas par exemple dans laffaireAtkinson, Crook et The Independent c. Royaume-Uni

    56

    qui concernait trois requrants deux journa-listes et un journal se prtendant victimesdune atteinte leur droit daccs aux tribu-naux reconnu par larticle 6 en raison de la d-cision de tenir huis clos une procdure defixation de peine. La Commission estima querien nindiquait que les requrants bnfi-ciaient en droit interne dun quelconque droit

    de caractre civil pour assurer le reportage deprocdures de fixation dune peine tenues huis clos. Elle constata en consquence que lesgriefs des requrants ne concernaient pas undroit ou une obligation civil au sens de lar-ticle 6.

    Droit de postuler un emploi public57. Droit une ducation finance par lEtat58. Refus de dlivrer un passeport59. Assistance judiciaire dans des affaires civiles60. Droit un traitement mdical financ par

    lEtat61

    . Dcision unilatrale de lEtat dindemniser les

    victimes dune catastrophe naturelle62

    . Demandes de dpt de brevet63. Litiges entre les autorits administratives et des

    fonctionnaires exerant une fonction impli-quant une participation lexercice de pouvoirsconfrs par le droit public (par exemple,membres des forces armes ou de la police)

    64.

  • 16

    57 Habsburg-Lothringenc. Autriche, requten 15344/89 (1989) 64DR 210.

    58 Simpson c. Royaume-Uni,requte n 14688/89(1989) 64 DR 188.

    59 Peltonen c. Finlande,requte n 19583/92(1995) 80-A DR 38.

    60 X c. RFA, requte n 3925/69 (1974) 32 CD 123.

    61 L c. Sude, requten 10801/84 (1978) 61DR 62.

    62 Nordh et autres c. Sude,requte n 14225/88(1990) 69 DR 223.

    63 X c. Autriche, requten 7830/77 (1978) 14 DR200. Les litiges relatifs la proprit de brevetssont cependant consid-rs comme relevant dudroit civil. (British Ameri-can Tobacco c. Pays-Bas,requte n 19589/92,20 novembre 1995).

    64 Pellegrin c. France, 8 d-cembre 1999.

    65 Deweer c. Belgique,27 fvrier 1980, para-graphes 42, 44 et 46.

    66 Wemhoff c. RFA,27 juin 1968.

    67 Neumeister c. Autriche,27 juin 1986.

    68 Funke c. France,25 fvrier 1993.

    5. Signification delexpression accusationen matire pnale

    Accusation

    Larticle 6 garantit galement un procs qui-table dans la dtermination du bien-fond de toute accusation en matire pnale dirige contre unepersonne. Que recouvre cette formule ?

    Dans le contexte de la Convention, la notiond accusation revt un caractre autonomepar rapport au droit interne. Dans laffaire Deweerc. Belgique, la CEDH a prcis demble que le mot accusation devait tre entendu dans son accep-tion matrielle et non formelle et sest estime te-nue de regarder au-del des apparences etdanalyser les ralits de la procdure en litige. LesJuges ont ensuite dfini l accusation comme :

    la notification officielle, manant de lautoritcomptente, du reproche davoir accompli uneinfraction pnale,ou comme ayantdes rpercussions importantes sur la situation du sus-pect

    65.

    Dans laffaire susmentionne, le procureuravait ordonn la fermeture provisoire de la bouche-rie du requrant sur la base dun rapport faisant tatde la violation par celui-ci dun arrt fixant le prixde vente au consommateur des viandes bovines etporcines. Lacceptation par ce commerant de latransaction propose dans le cadre dun rglement lamiable teignit laction publique, comme le veutle droit belge. Ceci nempcha pas la CEDH desti-mer que le requrant avait fait lobjet dune accusa-tion en matire pnale.

    Les situations suivantes ont galement tanalyses par les Juges de Strasbourg comme desaccusations : ordre darrter une personne pour une infrac-

    tion pnale66

    , notification officielle une personne des pour-

    suites engages contre elle67

    , demande de preuves adresse une personne

    par les autorits enqutant sur des infractionsdouanires et gel du compte bancaire de lint-ress

    68,

    nomination par une personne dun dfenseuraprs louverture contre elle dune instructionsur la base dun rapport de police

    69.

  • 17

    69 Angelucci c. Italie,19 fvrier 1991.

    70 Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, para-graphe 81.

    71 Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, para-graphe 81.

    En matire pnale

    Comme la CEDH la rappel dans son arrt En-gel et autres c. Pays-Bas

    70, les Etats Parties sont libres

    de maintenir ou dtablir une distinction entre droitpnal, droit administratif et droit disciplinaire tantque cette distinction elle-mme ne viole pas les dis-positions de la Convention. Lexercice normal desdroits reconnus par la Convention, par exemple la li-bert dexpression, ne saurait constituer une infrac-tion pnale.

    Dans cette affaire, la CEDH tablit des cri-tres permettant de dcider si une accusation revtou non un caractre pnal au sens de larticle 6,critres qui furent par la suite confirms dans sa ju-risprudence ultrieure.

    Trois lments sont pertinents dans cecontexte : la classification en droit interne, la na-ture de linfraction, ainsi que la nature et la svritde la peine.

    Classification en droit interneSi laccusation est classe comme pnale

    dans le droit interne de lEtat dfendeur, larticle 6sapplique automatiquement la procdure et lesdistinguos exposs ci-dessous nont pas leur place.Par contre, linverse nest pas vrai : sil en tait ain-si, en effet, les Etats contractants pourraient facile-

    ment se soustraire lapplication de la garantie dunprocs quitable en dpnalisant ou en modifiant laclassification des infractions pnales. Comme lesJuges de Strasbourg nont pas manqu de le faire re-marquer dans leur arrt Engel et autres c. Pays-Bas :

    Si les Etats contractants pouvaient leur guise quali-fier une infraction de disciplinaire plutt que de pnale,ou poursuivre lauteur dune infraction mixte sur leplan disciplinaire de prfrence la voie pnale, le jeudes clauses fondamentales des articles 6 et 7 se trouve-rait subordonn leur volont souveraine. Une latitudeaussi tendue risquerait de conduire des rsultats in-compatibles avec le but et lobjet de la Convention.

    71

    Nature de linfractionCe critre se divise en deux sous-critres :

    A la porte de la norme viole et B le but de lapeine.

    A Porte de la norme viole

    Lorsque la norme concerne ne sapplique quun nombre restreint dindividus, les membres duneprofession par exemple, elle sapparente davantage une norme disciplinaire que pnale. Par contre, sielle a un effet gnral, il est probable quelle revtun caractre pnal au sens de larticle 6. Dans laf-faire Weber c. Suisse, le requrant avait intent despoursuites pnales en diffamation et tenu une

  • 18

    72 Weber c. Suisse,22 mai 1990, para-graphe 33.

    73 Demicoli c. Malte,27 aot 1991.

    74 Ravnsborg c. Sude,21 fvrier 1994.

    75 ztrk c. RFA,21 fvrier 1984.

    confrence de presse pour informer le public de soninitiative. Il fut alors condamn une amende pourviolation du secret de lenqute et dposa une re-qute pour violation de larticle 6, une fois son re-cours rejet sans audience publique pralable. LaCEDH, tenue donc de dcider du caractre pnal delinfraction, sexprima comme suit :

    La Cour ne souscrit pas cette argumentation. Lessanctions disciplinaires ont en gnral pour but dassu-rer le respect, par les membres de groupes particuliers,des rgles de comportement propres ces derniers. Parailleurs, la divulgation de renseignements sur une en-qute encore pendante constitue, dans une large majo-rit des Etats contractants, un acte incompatible avecde telles rgles et rprim par des textes de nature di-verse. Tenus par excellence au secret de linstruction, lesmagistrats, les avocats et tous ceux qui se trouventtroitement mls au fonctionnement des juridictionssexposent en pareil cas, indpendamment de sanctionspnales, des mesures disciplinaires qui sexpliquentpar leur profession. Les parties , elles, ne font queparticiper la procdure en qualit de justiciables ; ellesse situent donc en dehors de la sphre disciplinaire de lajustice. Comme larticle 185 [du Code vaudois de pro-cdure pnale] concerne virtuellement la populationtout entire, linfraction quil dfinit, et quil assortitdune sanction punitive, revt un caractre pnal auregard du deuxime critre.

    72

    La disposition ne concernant pas un grouperestreint de personnes lun ou plusieurs titres, elle

    ntait donc pas uniquement de nature disciplinaire.De mme, laffaire Demicoli c. Malte

    73 concernait

    un journaliste ayant fait lobjet dune procdurepour atteinte aux privilges parlementaires aprsavoir publi un article critiquant svrement deuxdputs. Les poursuites intentes contre lintressne furent pas juges comme relevant de la disciplineparlementaire, dans la mesure o la disposition in-voque concernait virtuellement la population toutentire.

    Par contre, dans laffaire Ravnsborg c. Sude74

    , lesJuges de Strasbourg notrent que les amendesavaient t imposes au requrant en raison des d-clarations malsantes faites par celui-ci en sa quali-t de partie une procdure judiciaire. Ilsestimrent que les mesures prises pour assurer ledroulement correct des procdures se rap-prochent plus de lexercice de prrogatives discipli-naires que de limposition de peines du chefdinfractions pnales. Larticle 6 fut donc jug inap-plicable en lespce.

    B But de la peine

    Ce critre sert distinguer les sanctions p-nales des sanctions purement administratives.

    Larrt ztrk c. RFA75

    portait sur une affaire deconduite dangereuse (imprudence au volant) : uneinfraction dpnalise en Allemagne, ce qui nem-pcha pas les Juges de Strasbourg destimer quelle

  • 19

    76 Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, para-graphe 82.

    77 Benham c. Royaume-Uni,10 juin 1996, para-graphe 61.

    78 Campbell et Fellc. Royaume-Uni,28 juin 1984, para-graphe 72.

    ressortissait manifestement toujours la matirepnale au sens de larticle 6. La norme concerneconservait en effet les caractristiques propres (no-tamment laspect punitif) aux infractions pnales.Elle sadressait tous les citoyens en leur qualit dusagers de la route et non un groupe particu-lier (voir ci-dessus) et assortissait cette exigencedune sanction (amende) punitive et dissuasive.La Cour releva galement que limmense majoritdes Etats Parties traitait les violations mineures duCode de la route comme des infractions pnales.

    Nature et svrit de la peineCe critre ne doit pas tre confondu avec celui

    du but de la peine (voir ci-dessus). En effet, cestlorsque ce but ne rend pas larticle 6 applicableque la CEDH sinterroge aussi sur la nature et la s-vrit pour savoir si elles justifient la garantie dunprocs quitable.

    En rgle gnrale, toute norme assortie duneprivation de libert est considre comme rele-vant davantage du domaine pnal que de la simplemesure disciplinaire. La CEDH a notamment fait re-marquer, dans son arrt Engel et autres c. Pays-Bas,que :

    Dans une socit attache la prminence du droit,ressortissent la matire pnale les privations de li-bert susceptibles dtre infliges titre rpressif, hor-mis celles qui par leur nature, leur dure ou leurs

    modalits dexcution ne sauraient causer un prjudiceimportant. Ainsi le veulent la gravit de lenjeu, les tra-ditions des Etats contractants et la valeur que laConvention attribue au respect de la libert physique dela personne.

    76

    Dans laffaire Benham c. Royaume-Uni, les Jugesde Strasbourg estimrent que lorsquune privation delibert se trouve en jeu, les intrts de la justice commandentpar principe daccorder lassistance dun avocat

    77.

    Dans son arrt Campbell et Fell c. Royaume-Uni78

    ,la mme Cour dclara que la perte dune remise depeine de presque trois ans, bien que sanalysant juri-diquement en droit anglais davantage comme unprivilge que comme un droit, devait tre prise encompte. Pareille perte, en effet, avait entran le pro-longement de la dtention du prisonnier au-del dela date laquelle il aurait pu esprer tre libr.

    Comme indiqu dans lextrait de larrt Engel etautres c. Pays-Bas reproduit ci-dessus, toute privationde libert nentrane pas forcment lapplicabilit delarticle 6. La CEDH a notamment estim un empri-sonnement de deux jours comme trop court pourtre assimil une sanction pnale.

    La menace dun emprisonnement peut, elle aussi,entraner lapplication de larticle 6. Dans Engel c. Pays-Bas, le fait que lun des requrants stait vu finalementimposer une sanction non privative de libert ne modi-fia pas lopinion de la Cour quant au caractre pnal delaccusation, dans la mesure o le rsultat final du re-cours ne saurait amoindrir lenjeu initial.

  • 20

    79 Par exemple Bendenounc. France, 4 fvrier 1994.

    Quand la peine consiste non pas en un empri-sonnement ou en une menace demprisonnementmais en une amende, la CEDH se demande si celle-ci doit tre perue comme une rparation financiredes dommages ou comme une sanction essentielle-ment destine dcourager les rcidives. Ce nestque dans ce dernier cas quelle est analyse commeressortissant la matire pnale

    79.

  • 21

    6. Porte du droit uneaudience publique

    Larticle 6 garantit toute personne le droit defaire entendre sa cause publiquement, sagissant dela dtermination de ses droits et obligations de ca-ractre civil ou du bien-fond de toute accusationen matire pnale dirige contre elle. Le mme ar-ticle prcise en outre que laccs de la salledaudience peut tre interdit la presse et au publicpendant la totalit ou une partie du procs danslintrt de la moralit, de lordre public ou de la s-curit nationale dans une socit dmocratique,lorsque les intrts des mineurs ou la protection dela vie prive des parties au procs lexigent, ou dansla mesure juge strictement ncessaire par le tribu-nal, lorsque, dans des circonstances spciales, lapublicit serait de nature porter atteinte aux int-rts de la justice.

    Laudience publique constitue un lment es-sentiel du droit un procs quitable, comme lasoulign la CEDH dans son arrt Axen c. RFA :

    La publicit de la procdure des organes judiciaires vi-ss larticle 6(1) protge les justiciables contre unejustice secrte chappant au contrle du public ; elleconstitue aussi lun des moyens de prserver laconfiance dans les cours et tribunaux. Par la transpa-rence quelle donne ladministration de la justice, elle

    aide raliser le but de larticle 6(1) : le procs qui-table, dont la garantie compte parmi les principes detoute socit dmocratique au sens de la Convention.

    80

    Une audience publique savre en gnral n-cessaire pour satisfaire les exigences de lar-ticle 6(1) devant les juridictions constituant lepremier ou le seul ressort. Il peut cependant y avoirdes exceptions concernant les litiges hautementtechniques

    81.

    Si aucune audience publique na t tenue enpremire instance, cette lacune peut tre com-ble au niveau dune instance suprieure. Il y a ce-pendant violation de larticle 6 lorsque la courdappel nexamine pas les faits de la cause ou nejouit pas de la plnitude de la juridiction. Dans laf-faire Diennet c. France

    82, la CEDH tablit labsence de

    toute audience publique au stade de la procduredisciplinaire et estima que cette lacune ne pouvaitpas tre comble par le caractre public desaudiences tenues par le Conseil dEtat statuant encassation sur les dcisions de la section disciplinairedu conseil national de lordre des mdecins. Ceci,dans la mesure o ce tribunal ne pouvait pas passerpour un organe judiciaire de pleine juridiction ,notamment parce quil navait pas le pouvoir dap-prcier la proportionnalit entre la faute et la sanc-tion. Seules des circonstances exceptionnellespeuvent justifier labsence daudience publique enpremire instance

    83.

    Le droit une audience publique inclut gn-

    80 Axen c. RFA, 8 d-cembre 1983, para-graphe 25.

    81 Schuler-Zraggen c. Suisse,24 juin 1993, para-graphe 58 droit durequrant une pensiondinvalidit.

    82 Diennet c. France,26 septembre 1995, para-graphe 34.

    83 Stallinger et Kusoc. Autriche,23 avril 1997, para-graphe 51.

  • 22

    84 Fischer c. Autriche,26 avril 1995, para-graphe 44.

    85 Axen c. RFA, 8 d-cembre 1983, para-graphe 28.

    86 Ekbatani c. Sude,26 mai 1988, para-graphes 32 et 33.

    87 Voir par exemple Kc. Suisse, 41 D.R. 242.

    88 Hkansson et Sturessonc. Sude, 21 fvrier 1990,paragraphe 66.

    89 Deweer c. Belgique,27 fvrier 1980, para-graphe 51-54.

    90 Campbell et Fellc. Royaume-Uni,28 juin 1984, para-graphe 87.

    ralement le droit une procdure orale, sauf encas de circonstances exceptionnelles

    84.

    En rgle gnrale, lexigence dune audiencepublique ne sapplique pas aux procduresconduites devant la juridiction dappel. Par exemple,dans laffaire Axen c. RFA

    85, la CEDH estima quen

    matire pnale les audiences publiques taient su-perflues ds lors que la cour dappel concerne reje-tait le pourvoi pour des motifs purement juridiques.Cependant, lorsque la juridiction dappel est tenuedexaminer la fois les lments factuels et juri-diques de la cause et de statuer sur la culpabilit oulinnocence de laccus, une audience publique estrequise

    86. Dans les affaires civiles, par contre,

    laudience publique au niveau de lappel est consi-dre comme superflue. Dans laffaire K c. Suisse

    87, le

    requrant avait t partie un long procs avec uneentreprise quil avait charge de travaux dagrandis-sement de sa villa. Le tribunal de premire instancetrancha en faveur de lentreprise et son arrt futconfirm par la cour dappel. Le requrant se pour-vut alors devant le Tribunal fdral qui rejeta son re-cours sans tenir daudience publique, ni demanderdobservations crites.

    La Commission estima que :En outre dans la mesure o le requrant se plaint queles juges du Tribunal fdral nont pas dlibr ni voten public sur son recours en rforme, la Commissionfait remarquer que la Convention ne consacre pas un teldroit.

    ce sujet, voir aussi, dans le chapitre 10, lasection intitule Prsence laudience .

    Dans certains cas, le requrant a la facult derenoncer son droit une audience publique.Comme la CEDH la dclar dans laffaire Hkanssonet Sturesson c. Sude :

    Ni la lettre ni lesprit de ce texte nempchent une per-sonne dy renoncer de son plein gr de manire expresseou tacite [...], mais pareille renonciation doit tre nonquivoque et ne se heurter aucun intrt public im-portant.

    88

    Dans laffaire Deweer c. Belgique89

    , le requrantavait accept de rgler une amende transactionnellesous la contrainte dune fermeture provisoire deson tablissement en attente dune procdure p-nale. La CEDH estima que la renonciation, sousforme dacceptation de la transaction, laudienceavait t obtenue sous la contrainte, ce qui consti-tuait une violation de larticle 6(1).

    Dans laffaire Hkansson et Sturesson c. Sude djmentionne ci-dessus, les Juges de Strasbourg esti-mrent que les requrants avaient tacitement re-nonc leur droit une audience publique ensabstenant den exiger une alors que la lgislationsudoise les y autorisait explicitement.

    La CEDH a dclar que les procdures discipli-naires relatives aux dtenus condamns peuvent sedrouler dans lenceinte de ltablissement pniten-tiaire. Dans laffaire Campbell et Fell c. Royaume-Uni

    90,

    les Juges de Strasbourg estimrent quil fallait tenir

  • 23

    91 Albert et Le Comptec. Belgique,10 fvrier 1983, para-graphe 34 et Hc. Belgique, 30 no-vembre 1987, para-graphe 54.

    92 Bayram v. the UnitedKingdom, 14 septembre1999 [disponible unique-ment en anglais].

    compte des problmes inhrents lordre public et la scurit que pourraient soulever ces procduressi elles avaient lieu en public. Un tel arrangementimposerait en effet un fardeau disproportionn auxautorits de lEtat.

    La CEDH a galement jug que, si linterdictioncomplte de toute publicit est injustifiable, il estnanmoins permis dorganiser dans le secret desprocdures disciplinaires visant lexercice duneprofession, condition que les circonstances syprtent. Les facteurs prendre en considrationpour juger de la ncessit dune audience publiqueincluent le respect du secret professionnel et de lavie prive des clients ou patients

    91.

    Dans Bayram c. Royaume-Uni92

    , la CEDH a admisla rgle empchant la presse et le public dassisteraux dbats consacrs par un certain tribunal toutes les affaires de garde denfant, alors quedautres tribunaux admettent la presse et certainescatgories de publics lors de procdures sem-blables. Signalons cependant que les Juges de Stras-bourg ne se sont pas encore prononcs sur le fond(leur arrt est prvu pour lt 2001.

  • 24

    93 Pretto et autres c. Italie,8 dcembre 1983, para-graphe 26.

    94 Axen c. RFA,29 juin 1982, para-graphe 32.

    95 Sutter c. Suisse,22 fvrier 1984, para-graphe 34.

    96 Werner c. Autriche,24 novembre 1997.

    97 Szucs c. Autriche, 24 no-vembre 1997.

    98 Campbell et Fellc. Royaume-Uni,28 juin 1984, para-graphe 92.

    7. Signification delexpression rendupubliquement

    Larticle 6 prvoit que le jugement doit trerendu publiquement. Cette disposition ne souffreaucune des exceptions applicables la rgle quiveut que les audiences se droulent en public (voirla section pertinente du chapitre prcdent). Elleaussi vise favoriser lquit du procs en instau-rant une certaine transparence.

    La CEDH considre que lexpression rendupubliquement ne signifie pas ncessairement quele jugement doit tre lu dans lenceinte du tribunal.Dans laffaire Pretto et autres c. Italie, elle a notammentestim :

    [...] quil chet, dans chaque cas, dapprcier la lu-mire des particularits de la procdure dont il sagit, eten fonction du but et de lobjet de larticle 6(1), laforme de publicit du jugement prvue par le droitinterne de lEtat en cause.

    93

    Dans cette affaire, la CEDH conclut quen raisonde la juridiction limite de la cour dappel, le dpt dujugement au greffe de ladite cour et, par consquent,laccessibilit de son texte intgral au public suffi-saient satisfaire la condition de prononc public.

    En outre, la CEDH a estim dans Axen c. RFA94

    que la Cour fdrale de Justice pouvait se passer

    daudiences dans la mesure o les arrts des coursinfrieures avaient t rendus publics.

    De mme, dans Sutter c. Suisse95

    , la CEDH a jugque la lecture haute voix dune dcision du Tribu-nal militaire de cassation tait superflue, dans lamesure o laccs public ladite dcision tait as-sur par dautres moyens et, plus spcialement, parla possibilit de sen procurer une copie auprs dugreffe ainsi que par sa publication ultrieure dans unrecueil officiel de jurisprudence.

    Les affaires susmentionnes concernaienttoutes des jugements rendus par des instances su-prieures du systme judiciaire et les Juges de Stras-bourg ont estim quil ny avait pas eu violation delarticle 6 en lespce. Cependant, les affaires Wer-ner c. Autriche

    96 et Szucs c. Autriche

    97 dans lesquelles

    ni les tribunaux de premire instance, ni les coursdappel navaient rendu leurs arrts en public etdans lesquelles, galement, il apparut que le textedesdits arrts ntait pas accessible au grand publicauprs de leurs greffes respectifs (seules les per-sonnes justifiant dun intrt lgitime tant auto-rises le consulter) amenrent les Juges deStrasbourg constater une violation de larticle 6.

    La CEDH estima galement que le mme articleavait t viol en laffaire Campbell et Fell c. Royaume-Uni

    98 dans laquelle les requrants reprochaient au

    comit des visiteurs [Board of Visitors], sigeant en saqualit dorgane disciplinaire, de navoir pris aucunemesure pour rendre sa dcision publique.

  • 25

    8. Signification delexpression dans un dlairaisonnable

    Larticle 6 exige que chacun puisse faire en-tendre sa cause dans un dlai raisonnable. La CEDHa dclar que lobjet de cette garantie est de prot-ger [...] tous les justiciables [...] contre les lenteurs excessi-ves de la procdure

    99. Pareille disposition, en outre,

    souligne par l limportance qui sattache ce que la jus-tice ne soit pas rendue avec des retards propres en compro-mettre lefficacit et la crdibilit

    100. Cette condition

    vise donc garantir que, dans un dlai raisonnableet au moyen dune dcision judiciaire, il soit mis fin lincertitude dans laquelle se trouve plonge unepersonne quant sa position en droit civil ou lac-cusation en matire pnale pesant contre elle : pa-reille mesure sert donc la fois lintrt de lapersonne en question et le principe de scurit juri-dique.

    La priode prendre en considration partdu moment o laction est intente dans les affairesciviles et du moment o le suspect se trouve accusdans les affaires pnales

    101. Elle cesse avec la fin de

    la procdure devant la plus haute instance possible,cest--dire lorsque le jugement devient dfinitif

    102.

    La CEDH nexamine que le dlai coul compterde lacceptation par lEtat contractant concern du

    droit de recours individuel, mais tient compte deltat et de lavancement de laffaire cette date

    103.

    Les Juges de Strasbourg ont tabli dans leur ju-risprudence que lvaluation du caractre raison-nable dun dlai supposait lapprciation deplusieurs facteurs : la complexit de laffaire, lecomportement du requrant et celui des autoritsjudiciaires et administratives, ainsi que lenjeu de laprocdure pour le requrant

    104.

    La CEDH se penche sur les circonstances parti-culires de laffaire et na donc pas fix de dlai ab-solu. Il arrive galement quelle procde unevaluation globale au lieu de vrifier directement lescritres susmentionns.

    Complexit de laffaire

    Tous les aspects de laffaire sont pertinentspour apprcier sa complexit. Cette dernire peuttenir des points de fait ou de droit

    105. La CEDH at-

    tache notamment de limportance la nature desfaits tablir

    106, au nombre des accuss et des t-

    moins107

    , la dimension internationale108

    , la jonc-tion de plusieurs affaires

    109 et lintervention de

    tiers dans la procdure110

    .

    Une affaire trs complexe peut parfois justifierune longue procdure. Par exemple, dans Boddaertc. Belgique

    111, la CEDH estima que six ans et trois

    99 Stgmller c. Autriche,10 novembre 1969, para-graphe 5.

    100 H c. France, 24 oc-tobre 1989, para-graphe 58.

    101 Scopelliti c. Italie, 23 no-vembre 1993, para-graphe 18 et Deweerc. Belgique,27 fvrier 1980, para-graphe 42.

    102 Voir par exemple Scopel-liti c. Italie, 23 no-vembre 1993,paragraphe 18 et Bc. Autriche,28 mars 1990, para-graphe 48.

    103 Proszak c. Pologne,16 dcembre 1997, para-graphes 30 et 31.

    104 Voir par exemple Bu-chholz c. RFA,6 mai 1981, para-graphe 49.

    105 Voir Katte Klitsche de laGrange c. Italie, 27 oc-tobre 1994, para-graphe 62 laffairerisquait davoir de pro-fondes rpercussions surla jurisprudence nationaleet sur le droit de lenvi-ronnement.

    106 Triggiani c. Italie,19 fvrier 1991, para-graphe 17.

  • 26

    107 Angelucci c. Italie,19 fvrier 1991, para-graphe 15 et Andreuccic. Italie, 27 fvrier 1992,paragraphe 17.

    108 Voir par exemple Manzo-ni c. Italie,19 fvrier 1991, para-graphe 18.

    109 Diana c. Italie,27 fvrier 1992, para-graphe 17.

    110 Manieri c. Italie,27 fvrier 1992, para-graphe 18.

    111 Boddaert c. Belgique,12 octobre 1992.

    112 Ferrantelli et Santangeloc. Italie, 7 aot 1996.

    113 Eckle c. RFA,15 juillet 1982, para-graphe 82.

    114 Voir par exemple Cetero-ni c. Italie, 15 no-vembre 1996.

    115 Unin Alimentaria San-ders S.A. c. Espagne,paragraphe 35.

    116 Ciricosta et Viola c. Italie,4 dcembre 1995.

    117 Beaumartin c. France,24 novembre 1994.

    mois ne constituaient pas un dlai draisonnable,dans la mesure o laffaire portait sur un meurtrecompliqu et o deux procdures distinctes avaientt menes paralllement. Pourtant, mme dans lesaffaires extrmement complexes, les Juges de Stras-bourg nhsitent pas, si besoin est, qualifier un d-lai de draisonnable. Dans leur arrt Ferantelli etSantangelo c. Italie

    112, notamment, ils ont estim ex-

    cessif un dlai de seize ans, alors que laffaireconcernait un meurtre compliqu et soulevait desproblmes dlicats dus au jeune ge des dlin-quants.

    Comportement durequrant

    Tout dlai inhrent au comportement du requ-rant porte atteinte la lgitimit de sa plainte. Ce-pendant, on ne peut pas objecter un justiciableque la longueur de la procdure est imputable sonexploitation de tous les moyens de droit disponiblespour assurer sa dfense. En outre, on ne saurait exi-ger dun requrant quil coopre activement uneprocdure susceptible daboutir sa propre incrimi-nation

    113. Lorsquun requrant essaie dacclrer la

    marche des instances, ce fait peut tre retenu en safaveur, mais la non-intervention dun requrant afin

    dacclrer la procdure nest pas ncessairementcruciale

    114.

    La CEDH a dclar, dans son arrt Unin Ali-mentaria Sanders S.A. c. Espagne, que le requrant esttenu seulement daccomplir avec diligence les actes le concer-nant, de ne pas user de manuvres dilatoires et dexploiterles possibilits offertes par le droit interne pour abrger laprocdure

    115.

    Laffaire Ciricosta et Viola c. Italie116

    portait sur unedemande de suspension de travaux susceptibles delser les droits de proprit des requrants. Cesderniers ayant demand au moins dix-sept renvoisdaudience et ne stant pas opposs six reportssollicits par la partie adverse, la CEDH estima quele dlai de quinze ans ntait pas draisonnable.Dans Beaumartin c. France

    117, les requrants avaient

    contribu au retard de la procdure en portant laf-faire devant une juridiction incomptente et en nedposant leurs observations que quatre mois aprsstre pourvus en appel. Les Juges de Strasbourg es-timrent cependant que les autorits se trouvaientdavantage en faute, la juridiction de jugement ayantmis plus de cinq ans pour tenir sa premireaudience et ladministration dfenderesse vingtmois compter de la saisine pour dposer ses ob-servations.

  • 27

    118 Boddaert c. Belgique,12 octobre 1992, para-graphe 39.

    119 Ewing c. Royaume-Uni,56 DR 71.

    120 Voir par exemple Vernilloc. France,20 fvrier 1991, para-graphe 38.

    121 Voir par exemple Zim-merman et Steinerc. Suisse, 13 juillet 1983 ;Guincho c. Portugal,10 juillet 1984 et Buch-holz c. RFA, 6 mai 1981.

    122 Zimmerman et Steinerc. Suisse, 13 juillet 1983,paragraphe 29.

    Comportement desautorits

    Seuls les retards imputables lEtat doiventtre pris en compte pour dterminer si la garantiede dlai raisonnable a t respecte ou pas. LEtatest cependant responsable des retards causs partous ses services administratifs ou judiciaires.

    Lorsquelle juge des affaires portant sur la du-re dune procdure, la CEDH consacre le principedune bonne administration de la justice, savoirlobligation pour les tribunaux nationaux dexpdieravec clrit les dossiers qui leur sont soumis

    118.

    Toute dcision de report pour une raison quel-conque ou de dclenchement dune enqute inci-dente peut donc revtir une certaine importance.Dans Ewing c. Royaume-Uni

    119, la jonction de trois af-

    faires, cause de lallongement de la procdure, nefut pas considre comme arbitraire ou draison-nable (ou mme comme responsable dun retard in-justifi), dans la mesure o elle allait dans le sensdune bonne administration de la justice.

    La CEDH a clairement affirm que les effortsdploys par les autorits judiciaires pour acclrerles procdures dans toute la mesure du possiblejouent un rle important dans le respect des garan-ties offertes par larticle 6 aux requrants

    120. Les

    tribunaux assument par consquent lobliga-

    tion particulire de veiller ce que tous les in-tervenants dans la procdure fassent de leurmieux pour viter tout retard superflu.

    Les retards considrs par les Juges de Stras-bourg comme imputables lEtat incluent : en matire civile : un ajournement de la proc-

    dure en attendant une dcision dans une autreaffaire, un retard dans le droulement delaudience devant le tribunal ou dans la prsen-tation ou la production des preuves par lEtat,ainsi que tout retard imputable au greffe du tri-bunal ou dautres autorits administratives.

    en matire pnale : le transfert dun dossier un autre tribunal, la multiplication desaudiences en prsence de plusieurs accuss, lacommunication tardive du jugement laccuset le dlai trop long requis pour se pourvoir etstatuer en appel

    121.

    Les Juges de Strasbourg ont rappel dans laf-faire Zimmerman et Steiner c. Suisse que les Etatscontractants taient astreints [...] organiser leursjuridictions de manire leur permettre de rpondre aux exi-gences de larticle 6(1), notamment quant au dlai raison-nable

    122.

    Dans cette affaire, la CEDH estima que, lorsquela cause du retard pris par linstance tient la sur-charge de travail du systme judiciaire, il y a viola-tion de la garantie de dlai raisonnable nonce parlarticle 6, dans la mesure o lEtat na pas pris lesmesures adquates pour faire face la situation. Pa-

  • 28

    123 Voir par exemple Milasic. Italie, 25 juin 1987,paragraphe 19 et UninAlimentaria S.A.c. Espagne, 7 juillet 1989,paragraphe 38.

    124 Larticle 5(3) prvoit no-tamment que : Toutepersonne arrte ou dte-nue, dans les conditionsprvues auparagraphe 1.c du prsentarticle, doit tre aussitttraduite devant un jugeou un autre magistrathabilit par la loi exer-cer des fonctions judi-ciaires et a le droit dtrejuge dans un dlai rai-sonnable, ou libre pen-dant la procdure..

    125 Jablonski v. Poland,21 dcembre 2000 [dis-ponible uniquement enanglais].

    reilles mesures peuvent inclure laugmentation dunombre des juges et de celui des greffiers ou secr-taires. Cependant, la CEDH ne conclut gnrale-ment pas une violation lorsque lengorgement dusystme judiciaire revt un caractre provisoire etexceptionnel et lorsque lEtat a pris assez rapide-ment des mesures correctrices. Pour valuer les ca-rences de lEtat, les Juges de Strasbourg sont enoutre disposs tenir compte de la situation poli-tique et sociale dans lEtat concern

    123.

    Enjeu de la procdure pourle requrant

    Lapplication de ce critre explique que lesJuges de Strasbourg se montrent plus svres lors-quils valuent la clrit des procdures pnales,surtout si laccus est plac en dtention prven-tive. Lexigence de dlai raisonnable pose par lar-ticle 6 se rapproche beaucoup de celle pose parlarticle 5(3)

    124. La CEDH soutient en outre que lal-

    longement excessif de la procdure rend la dten-tion illgale. Cette dtention ne saurait en effet treconsidre comme rpondant au but nonc danslarticle 5(3) ds lors que le laps de temps coulnest plus raisonnable. Les Juges de Strasbourg ontainsi nonc dans plusieurs arrts, dont le plus r-

    cent concerne laffaire Jablonski c. Pologne125

    , les prin-cipes que le juge doit appliquer pour autoriser unedtention prventive en tenant compte du dlaiprobablement requis pour organiser le procs. Desraisons plausibles et objectives de souponner unepersonne davoir commis une infraction sont tou-jours requises pour justifier une dtention au titrede larticle 5(1)(c) et 5(3). Ces motifs ne sauraientcependant justifier eux seuls une dtention pr-ventive, mme si le suspect a t pris en flagrantdlit. Pareille dtention en effet constituerait uneviolation de larticle 6(2) (prsomption dinnocen-ce, voir ci-dessous). La privation de libert doit aus-si reposer sur des raisons objectivement vrifiablestelles que la crainte de voir laccus prendre la fuite,exercer des pressions sur des tmoins ou supprimerdes preuves. Les garanties reposant sur le contrlejudiciaire institu par larticle 5(3) exigent du jugeautorisant le prolongement de la dtention quil v-rifie, chaque fois, la prsence de motifs perti-nents suffisants pour justifier le maintien de laditedtention. Il ne suffit pas que ce magistrat soitconvaincu que pareils motifs existaient au momentde la dcision initiale de placement en dtention,que le dossier ne soit pas encore assez avanc pourpermettre un procs ou que le dlai coul soit en-core raisonnable. Il va sans dire que si le juge estimeledit dlai draisonnable, la dtention devient ipsofacto illgale et que le dtenu doit tre libr. En touttat de cause, pour justifier une dtention prolon-

  • 29

    126 H c. Royaume-Uni,8 juillet 1988, para-graphe 85.

    127 Hokkanen c. Finlande,23 septembre 1994, para-graphe 72.

    128 Ignaccolo-Zenide c. Rou-manie, 25 janvier 2000,paragraphe 102.

    129 Obermeier c. Allemagne,28 juin 1990, para-graphe 72.

    130 Silva Pontes c. Portugal,23 mars 1994, para-graphe 39.

    131 X c. France,23 mars 1991, para-graphe 47-49.

    132 A et autres c. Danemark,8 fvrier 1996, para-graphe 78.

    ge, le juge devra aussi dmontrer quil est convain-cu de ne pas pouvoir user dun moyen moins svre(telle quune restriction la libert de dplacement)de nature apaiser les craintes du procureur. Danslaffaire Jablonski c. Pologne, la CEDH estima que,mme si le comportement du requrant avait con-tribu la prolongation de la procdure, il ne saurait lui seul expliquer tout le retard (plus de cinq ans)et que ce dernier tait principalement imputableaux autorits. En loccurrence, la violation portait la fois sur les articles 5 et 6.

    Pour en revenir au dlai raisonnable en matirecivile, cette exigence pose par larticle 6 imposeaussi une obligation de clrit aux autorits, sur-tout lorsque lissue de la procdure revt un carac-tre critique pour le requrant et/ou prsente unaspect particulier ou irrversible

    126. voquons ce

    propos quelques exemples : Garde denfants. Dans laffaire Hokkanen c. Fin-

    lande, la CEDH a dclar : Il importe que les af-faires de garde soient traites rapidement.

    127. Dans

    laffaire Ignaccolo-Zennide c. Roumanie128

    , elle a in-sist sur le fait que les procdures relatives lattribution de lautorit parentale exigent untraitement urgent, car lessence dune telle ac-tion est de prmunir lindividu contre tout pr-judice pouvant rsulter du simple coulementdu temps.

    Conflits du travail. Dans Obermeier c. Autriche, laCEDH a dclar [] quun employ sestimant

    suspendu tort par son employeur a un important in-trt personnel obtenir promptement une dcision ju-diciaire sur la lgalit de cette mesure

    129.

    Blessures corporelles. Dans laffaire Silva Pontesc. Portugal

    130, la CEDH a estim quune diligence

    particulire simpose pour la dtermination delindemnit due aux victimes daccidents de laroute.

    Autres affaires dans lesquelles la clrit revtde toute vidence une importance primordiale.Dans X c. France

    131, le requrant avait t infect

    par le V.I.H. aprs avoir reu une transfusion desang contamin et rclamait des indemnits lEtat. Eu gard au mal incurable qui le minait et son esprance de vie rduite, la CEDH estimaquune procdure de deux ans constituait undpassement du dlai raisonnable. Les tribu-naux nationaux auraient d utiliser leurs pou-voirs pour presser la marche de linstance. DansA et autres c. Danemark, la CEDH estima que [...]les autorits administratives et judiciaires comptentesavaient lobligation positive, en vertu de larticle 6(1),dagir avec la diligence exceptionnelle requise par la ju-risprudence de la Cour dans des litiges de ce genre

    132.

  • 30

    133 Voir par exemple Camp-bell et Fell c. Royaume-Uni, 28 juin 1984,paragraphe 78.

    134 Ringeisen c. Autriche,16 juillet 1971, para-graphe 95.

    135 Le Compte c. Belgique,23 juin 1981, para-graphe 57.

    136 Sramek c. Autriche,22 octobre 1984.

    137 Campbell et Fellc. Royaume-Uni,28 juin 1984, para-graphe 79.

    138 Zand c. Autriche, 15 D.R.70, paragraphe 77.

    9. Signification delexpression tribunalindpendant et impartial

    Larticle 6 stipule que toute personne a droit ce que sa cause soit entendue par un tribunal ind-pendant et impartial, tabli par la loi. Ces deuxconditions (indpendance et impartialit) sontdailleurs interdpendantes et les Juges de Stras-bourg les vrifient souvent en bloc.

    Indpendance

    Les tribunaux tant normalement considrscomme indpendants, il est rare quun juge nationalsoit appel se prononcer en la matire, moinsdavoir t saisi concernant les dcisions dun or-gane non judiciaire. En effet, tout organe de ce typeayant le pouvoir de rendre des dcisions relatives la dtermination de droits et obligations de carac-tre civil ou du bien-fond dune accusation pnaledoit rpondre aux deux conditions nonces : in-dpendance et impartialit.

    Pour valuer le degr dindpendance dun tri-bunal, la CEDH prend en considration : le mode de dsignation de ses membres,

    la dure de leur mandat, lexistence de garanties contre les pressions

    extrieures et le point de savoir si lorgane prsente les appa-

    rences de lindpendance133

    .Les Juges de Strasbourg estiment que tout tri-

    bunal doit tre indpendant la fois lgard delexcutif et des parties

    134.

    Composition et nominationLa CEDH estime que la prsence de magistrats

    de lordre judiciaire ou de personnes comptentessur le plan juridique dans un tribunal constitue uneforte prsomption dindpendance

    135.

    Dans laffaire Sramek c. Autriche136

    , par contre, laCEDH a estim que le tribunal en question (lAutori-t rgionale des transactions immobilires) ntaitpas indpendant : le gouvernement tait partie laprocdure et son reprsentant tait le suprieurhirarchique du rapporteur de cette juridiction.

    Le fait que les membres dun tribunal soientnomms par lexcutif ne viole pas la Convention

    137.

    Pour quil y ait transgression de larticle 6, en effet,le requrant doit apporter la preuve que les modali-ts de cette nomination sont globalement insatis-faisantes ou que ltablissement dun tribunalspcifique charg de trancher un litige obit desmotifs suggrant une tentative dinfluer sur sa dci-sion

    138.

  • 31

    139 Le Compte, Van Leuven,De Meyere c. Belgique,23 juin 1981.

    140 Campbell et Fellc. Royaume-Uni,28 juin 1984, para-graphe 80.

    141 Belilos c. Suisse,29 avril 1988, para-graphes 66 et 67.

    142 Voir par exemple Findlayc. Royaume-Uni,25 fvrier 1997, para-graphe 77.

    143 Campbell et Fellc. Royaume-Uni,28 juin 1984, para-graphe 79.

    En outre, la nomination des membres dun tri-bunal pour une dure fixe est considre commeune garantie dindpendance. Dans laffaire LeCompte c. Belgique

    139, le mandat de six ans des

    membres du conseil dappel de lordre des mde-cins fut considr comme un gage dindpendance.Dans Campbell et Fell c. Royaume-Uni

    140, les membres

    du comit des visiteurs taient nomms pour troisans : une dure relativement brve mais qui ne futpas considre comme suffisante pour crer uneviolation de larticle 6, dans la mesure o il auraitpu se rvler malais de trouver des personnes d-sireuses et capables dassumer pendant un laps detemps plus long cette fonction bnvole.

    ApparenceLes soupons relatifs lapparence dindpen-

    dance doivent tre objectivement justifis, aumoins dans une certaine mesure. Cest ainsi quenlaffaire Belilos c. Suisse

    141, la Commission de po-

    lice locale charge de rprimer les contraventionsse composait dun seul membre : un policier si-geant titre individuel. Bien que non assujetti auxordres, asserment et inamovible, il tait supposretourner plus tard ses devoirs ordinaires et doncsusceptible dtre peru comme un membre desforces de police subordonn ses suprieurs etloyal envers ses collgues. Cette particularit fut ju-ge de nature saper la confiance que tout tribunal

    doit inspirer. Les Juges de Strasbourg estimrent parconsquent tre en prsence de doutes lgitimesconcernant lindpendance et limpartialit structu-relle de la commission et dclarrent cette juridic-tion comme non conforme aux exigences delarticle 6(1).

    Subordination dautres autoritsLe tribunal doit avoir le pouvoir de rendre une

    dcision obligatoire non susceptible de modificationpar une autorit non judiciaire

    142. Dans ce contexte,

    la CEDH a estim que certaines cours martiales etautres organes disciplinaires militaires violent lar-ticle 6 : bien que lexcutif puisse donner leursmembres des directives concernant lexercice deleurs fonctions, il na pas leur adresser dinstruc-tions dans le domaine de leurs attributions conten-tieuses

    143.

    Impartialit

    Dans laffaire Piersack c. Belgique, la CEDH estimaque :

    Si limpartialit se dfinit dordinaire par labsence deprjug ou de parti pris, elle peut, notamment souslangle de larticle 6(1) de la Convention, sapprcierde diverses manires. On peut distinguer sous ce rap-port entre une dmarche subjective, essayant de dter-

  • 32

    144 Piersack c. Belgique,1

    er octobre 1982, para-

    graphe 30.145 Hauschildt c. Danemark,

    paragraphe 47.146 Fey c. Autriche,

    24 fvrier 1993, para-graphe 30.

    147 Piersack c. Belgique,paragraphe 30 ; Nortierc. Pays-Bas, para-graphe 33 ; Hauschildtc. Danemark, para-graphe 48.

    148 Remli c. France,30 mars 1996, para-graphe 48.

    149 Remli c. France,30 mars 1996.

    miner ce que tel juge pensait dans son for intrieur entelle circonstance, et une dmarche objective amenant rechercher sil offrait des garanties suffisantes pour ex-clure cet gard tout doute lgitime.

    144

    Pour dnier la qualit dimpartialit subjective un tribunal, les Juges de Strasbourg exigent lapreuve dun prjug rel. En effet, limpartialit per-sonnelle dun juge rgulirement nomm seprsume jusqu preuve du contraire

    145. Cette pr-

    somption tant trs forte, il savre extrmementdifficile dans la pratique dapporter la preuve dunprjug personnel et, parmi les nombreuses re-qutes dposes cette fin, aucune na t retenuepar les organes de Strasbourg.

    Concernant la dmarche objective, la CEDH adclar en laffaire Fey c. Autriche que :

    Quant la seconde [apprciation objective de lobjectivitdu juge], elle conduit se demander si, indpendammentde la conduite du juge, certains faits vrifiables autorisent suspecter limpartialit de ce dernier. En la matire,mme les apparences peuvent revtir de limportance. Il yva de la confiance que les tribunaux dune socit dmo-cratique se doivent dinspirer au justiciable, commencer,au pnal, par les prvenus. Il en rsulte que pour se pro-noncer sur lexistence, dans une affaire donne, duneraison lgitime de redouter dun juge un dfaut dimpar-tialit, loptique de laccus entre en ligne de compte maisne joue pas un rle dcisif. Llment dterminantconsiste savoir si lon peut considrer les apprhensionsde lintress comme objectivement justifies.

    146

    La CEDH a clairement tabli que tout jugedont on peut lgitimement craindre un manquedimpartialit doit se rcuser

    147.

    Lexistence de procdures nationales conuespour assurer limpartialit sont galement prendreen considration dans ce contexte. Bien que laConvention nexige pas expressment la mise enplace de mcanismes permettant aux parties uneprocdure de contester limpartialit du tribunal,labsence de tels mcanismes augmente leschances de constatation dune violation de lar-ticle 6. Toute contestation par le dfendeur delimpartialit du tribunal doit tre vrifie moins quelle napparaisse manifestementdpourvue de srieux

    148.

    La plupart des affaires de ce type portes de-vant les Juges de Strasbourg concernaient des accu-sations de racisme, mais les principes noncs leur propos valent pour dautres types de prjugsou de prventions.

    Dans laffaire Remli c. France149

    , un tiers avait en-tendu lun des jurs dclarer : En plus, je suis ra-ciste . Le tribunal national estima ne pas tre enmesure de donner acte de faits qui se seraient pas-ss hors de sa prsence. La CEDH releva que le tri-bunal navait procd aucune vrification delimpartialit des jurs, privant ainsi le requrant dela possibilit de remdier une situation contraireaux exigences de la Convention. Elle conclut parconsquent une violation de larticle 6.

  • 33

    150 Gregory c. Royaume-Uni,25 fvrier 1997.

    151 Gregory c. Royaume-Uni,25 fvrier 1997, para-graphe 49.

    152 Sander c. Royaume-Uni,9 mai 2000, para-graphe 34.

    153 Piersack c. Belgique,1

    er octobre 1982.

    Lorsque le tribunal national a clairement pro-cd une vrification adquate des allga-tions de prjudice et conclu lquit de laprocdure, la CEDH se montre gnralement peuencline contester ses conclusions. Dans laffaireGregory c. Royaume-Uni

    150, par exemple, le jury fit pas-

    ser au juge une note dclarant : Propos conno-tation raciale au sein du jury. Un membre excuser . Le juge montra la note laccusation et la dfense, avant de rappeler au jury quil devait seprononcer sur la base des preuves en laissant dect tout prjug. La CEDH estima ces prcautionssuffisantes au regard de larticle 6. Elle estima no-tamment significatif que lavocat de la dfense naitpas rclam la rvocation du jury ou demand ce-lui-ci, en audience publique, sil sestimait capablede continuer et de rendre un verdict bas unique-ment sur les preuves. Le juge prsidant le procsavait par ailleurs clairement demand au jury de sedbarrasser de tous prjugs, quelle quen soit laforme, pour ou contre qui que ce soit . La CEDH,tint par ailleurs distinguer entre cette instance etlaffaire Remli c. France :

    Dans cette dernire, les juges dassises staient abste-nus de ragir une allgation selon laquelle un juridentifiable avait t entendu dire quil tait raciste. Enlespce, le juge sest trouv confront une allgationde racisme au sein du jury, qui, bien que vague et im-prcise, ne pouvait tre considre comme dnue defondement. Compte tenu des circonstances, il prit des

    mesures suffisantes pour sassurer que le tribunal pou-vait passer pour impartial au sens de larticle 6(1) dela Convention et il offrit des garanties suffisantes pourdissiper tous doutes cet gard.

    151

    Dans son arrt Sander c. Royaume-Uni, renduplus rcemment, la CEDH a cependant estim quelarticle 6 tait viol ds lors que le juge ne ra-gissait pas de manire nergique des preuvesanalogues de racisme au sein du jury :

    [] le juge aurait d ragir de manire plus nergique aulieu de se contenter de demander aux jurs de fournir devagues assurances selon lesquelles ils allaient laisser leursprjugs de ct et trancher laffaire sur la seule base despreuves. Faute de cela, le juge ne sest pas entour de ga-ranties suffisantes pour exclure tous doutes lgitimes ouobjectivement justifis quant limpartialit du tribunal. Ilsensuit que la juridiction qui a condamn le requrantntait pas impartiale dun point de vue objectif.

    152

    Diffrents rles du jugeUne partie importante de la jurisprudence vise

    des situations dans lesquelles un juge assume plu-sieurs rles dans le cadre dune seule et mme pro-cdure. Dans laffaire Piersack c. Belgique

    153, le

    magistrat charg de juger le requrant avait dirigauparavant, jusquen novembre 1977, la section Bdu parquet de Bruxelles, charge des poursuites in-tentes contre lintress. La CEDH conclut la vio-lation de larticle 6.

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    154 Hauschildt c. Danemark,24 mai 1984.

    155 Ferrantelli et Santangeloc. Italie, 7 aot 1996.

    156 Oberschlick (N 1)c. Autriche, 23 mai 1991.

    157 De Haan c. Pays-Bas,26 aot 1997.

    158 Wettstein v. Switzerland,21 dcembre 2000 [dis-ponible uniquement enanglais]

    Dans laffaire Hauschildt c. Danemark154

    , la CEDHconclut galement une violation, le juge prsidentayant pris des dcisions concernant la dtentionprovisoire du requrant et estim, neuf reprises,que la culpabilit de ce dernier faisait lobjet de soupons particulirement renforcs . Les Jugesde Strasbourg estimrent en effet que la diffrenceentre les deux instances (maintien en dtention pro-visoire et procs) tait tnue et que les craintes durequrant se trouvaient par consquent justifies.

    Un autre exemple a trait laffaire Ferrantelli etSantangelo c. Italie

    155 dans laquelle la CEDH conclut

    une violation de larticle 6, le prsident dune courdappel ayant particip la condamnation ducoaccus dans le cadre dun autre jugement. Ce der-nier contenait de nombreuses rfrences aux requ-rants et leurs rles respectifs pendant lactioncriminelle. En outre, le jugement rendu par la courdappel et condamnant les intresss citait abon-damment la dcision concernant les coaccuss desrequrants. Les Juges de Strasbourg estimrent cescirconstances suffisantes pour considrer commeobjectivement justifies les craintes des requrants lgard de limpartialit de la cour dappel.

    Laffaire Oberschlick (n 1) c. Autriche156

    concer-nait une procdure devant la cour dappel : troismembres de cette juridiction avaient galement si-g dans le tribunal ayant rendu le jugement en pre-mire instance. La CEDH estima que le droit untribunal impartial avait t viol.

    Dans De Haan c. Pays-Bas157

    , le juge prsidantune juridiction dappel avait t appel connatredune opposition dirige contre une dcision dont iltait lui-mme responsable. Les Juges de Stras-bourg estimrent justifies les craintes du requrantconcernant limpartialit objective de ce magistratet conclurent une violation de larticle 6.

    Dans une affaire rcente visant la Suisse158

    , laCEDH a conclu une violation de larticle 6(1), lerequrant ayant t ml une procdure devantune cour compose de cinq magistrats, dont deuxjuges temps partiel ayant reprsent la partie ad-verse dans une procdure spare intente par lemme requrant. La CEDH nota que la lgislation etla pratique en matire de nomination de magistrats temps partiel ntaient pas foncirement incom-patibles avec larticle 6 : le point de droit tran-cher portait donc uniquement sur la manire dont laprocdure devait tre conduite en loccurrence.Malgr labsence de lien matriel entre laffaire encours et la procdure spare dans laquelle les deuxpersonnes concernes avaient agi comme avocats,les deux instances staient en fait chevauchesdans le temps. Le requrant tait donc fond nourrir des inquitudes quant la possibilit queces juges continuent voir en lui la partie adverse :une situation de nature faire natre des craintes l-gitimes sur limpartialit de ces magistrats songard.

    Le simple fait que le juge ait dj eu affaire au

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    159 Ringeisen c. Autriche,16 juillet 1971, para-graphe 97.

    160 Thomann c. Suisse,10 juin 1996.

    161 Langborger c. Sude,22 juin 1989.

    requrant ne suffit pas pour constituer une violationde larticle 6(1). Encore faut-il constater des cir-constances spciales, telles que celles des affairesdcrites ci-dessus, en plus de la connaissance pra-lable du dossier par le juge.

    RvisionOn ne saurait poser en principe gnral dcou-

    lant du devoir dimpartialit quune juridiction derecours annulant une dcision administrative ou ju-diciaire a lobligation de renvoyer laffaire uneautre autorit juridictionnelle ou un organe autre-ment constitu de cette autorit

    159. Dans laffaire

    Thomann c. Suisse160

    , le requrant fut rejug par lacour qui lavait dj condamn par dfaut. La CEDHestima quil ny avait pas violation de larticle 6dans la mesure o lon pouvait raisonnablementsuppos