aparté historique, un voyage autour de l'image

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Voici une piscine. Piscine Pontoise, 19 Rue de Pontoise, 75005 Paris. Voici un film. La vie aquatique de Wes Anderson, 2003. Et Voici la rencontre des deux le 30 mai 2015. Dans une eaux à 33°C, les spectateurs s’immergent pour regarder le film. La piscine, c’est l’eau, les odeurs de clore, le carrelage, le plastique, les serviettes, l’écho... Le cinéma, c’est l’obscurité, le fauteuil rembourré, la chaleur, la douceur, l’écran, regarder droit devant soi... Des codes différents, des usages différents, des temporalités différentes... Que peut provoquer cette rencontre ? Le son est modifié par l’architecture et les matières. Le rapport à l’assise est transformé. Le spectateur se laisse porter dans un milieu aqueux qui ne lui est finalement pas si familier. Plastique et eau englobent le corps, des textures inhabituelles pour voir un film. Une légère luminosité ambiante se substitue à l’obscurité, transformant le rapport à l’écran. le regard peut s’évader. La relation à l’autre est également modifiée. Le spectateur peut s’engager dans une conversation, en estimant lui même le rapport de proximité avec ses voisins. Ils ne sont plus alignés, ni placés... Bref une mutation des codes opère. Une expérience sensible du film est en train de se vivre. Cette hybridation est un appel aux sens. C’est également une rencontre entre spectateur curieux qui aiment le cinéma, Wes Anderson, La vie aquatique, la piscine ou les quatre. La question se pose alors, qu’est ce qui anime le plus le spectateur ? L’expérience de la salle de cinéma, l’espace, l’univers, l’ambiance dans lesquels il se trouve ou plutôt la narration, le discours, la technicité du film ? Les deux dimensions sont surexposées ici pour transformer l’expérience du film. auteur inconnu, Aqua Ciné, Piscine Pontoise, mai 2015

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Page 1: Aparté historique, Un voyage autour de l'image

Voici une piscine. Piscine Pontoise, 19 Rue de Pontoise, 75005 Paris. Voici un film. La vie aquatique de Wes Anderson, 2003. Et Voici la rencontre des deux le 30 mai 2015. Dans une eaux à 33°C, les spectateurs s’immergent pour regarder le film.La piscine, c’est l’eau, les odeurs de clore, le carrelage, le plastique, les serviettes, l’écho... Le cinéma, c’est l’obscurité, le fauteuil rembourré, la chaleur, la douceur, l’écran, regarder droit devant soi... Des codes différents, des usages différents, des temporalités différentes... Que peut provoquer cette rencontre ? Le son est modifié par l’architecture et les matières. Le rapport à l’assise est transformé. Le spectateur se laisse porter dans un milieu aqueux qui ne lui est finalement pas si familier. Plastique et eau englobent le corps, des textures inhabituelles pour voir un film. Une légère luminosité ambiante se substitue à l’obscurité,

transformant le rapport à l’écran. le regard peut s’évader. La relation à l’autre est également modifiée. Le spectateur peut s’engager dans une conversation, en estimant lui même le rapport de proximité avec ses voisins. Ils ne sont plus alignés, ni placés... Bref une mutation des codes opère. Une expérience sensible du film est en train de se vivre. Cette hybridation est un appel aux sens.C’est également une rencontre entre spectateur curieux qui aiment le cinéma, Wes Anderson, La vie aquatique, la piscine ou les quatre. La question se pose alors, qu’est ce qui anime le plus le spectateur ? L’expérience de la salle de cinéma, l’espace, l’univers, l’ambiance dans lesquels il se trouve ou plutôt la narration, le discours, la technicité du film ? Les deux dimensions sont surexposées ici pour transformer l’expérience du film.

auteur inconnu, Aqua Ciné, Piscine Pontoise, mai 2015

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Au début des année 2000, Douglas Stanley expérimente le cinéma génératif et donne naissance à Concrescence.Un écran de cinéma à l’horizontal. La posture du spectateur est bouleversée ; son attitude tout autant que sa réception. L’image verticale s’observe, tandis que l’horizontalité renvoie au faire. S’apparentant à la table, l’écran devient accessible à la main. Le spectateur est donc pensé comme un acteur. Lorsque celui-ci touche la surface, des fragments de films apparaissent, se propageant. Concrescence implique une exploration active et renforce l’aspect sensible de l’expérience. La gestuelle permet le visionnage. La réorientation de l’écran encourage également à la circulation autour de ce medium. Le rapport au corps s’observe ici à un double niveau ; à la fois dans l’apparition des images et dans rapport au médium. D.Stanley pense également

l’exploration collective des images dans son dispositif. Plus le nombre de mains est important sur l’écran, moins il y a d’images présentes. Ce procédé permet d’inciter les observateurs à échanger autour de l’extrait. L’écran renversé simplifie ce rapport. Les « interacteurs » ne regardent plus l’image de façon frontale et isolée, mais peuvent simultanément voir l’écran et leurs semblables. Cette posture change la façon de voir l’image.Parallèlement, cette plateforme de cinéma algorithmique re-questionne la linéarité de la narration. Le programme offre une infinité de combinaisons possibles au hasard de la manipulation opérée par l’acteur. L’observateur est donc confronté à une mosaïque de fragments de films. Cette temporalité implique une nouvelle narration.

Douglas Stanley, Concrescence, Saint Denis La Plaine, 2003-2004

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Céramistes, historiens, chercheurs et tant d’autres soulignent la présence d’images sur les vases grecs, notamment ceux produits à Athènes entre le VIe et Ve siècle av JC.

« [...] la poterie a été appelée à jouer, dans la vie individuelle et sociale, le rôle du papier illustré. » Charles Dugas, céramologue.

L’image est associée à l’objet utilitaire s’inscrivant ainsi dans la vie quotidienne. C’est là un moyen d’enseigner les valeurs de la société athénienne au plus grand nombre. Moins chers, moins élitistes ; par le biais de l’objet, la culture de l’image se démocratise.Mais voici un usage tout particulier réservé à ces visuels. Certains objets porteurs d’images, appelés cratères, sont spécialement utilisés lors des symposions, ces banquets grecs où les participants refont le monde et où le vin abonde. L’usage de cet objet illustré est ici contextualisé et ritualisé. Il permet la pratique de jeux dans lesquels

l’image est utilisée comme matière d’œuvre pour tordre le sens, facteur d’ambiguïté et de paradoxe utilisés pour questionner la société, la politique, la cité... Les participants sont alors disposés à jouer avec les images. Ces contenants imagés permettent le passage du vin de main en main, rendant les images mobiles. Ces rotations des figures accompagnent des changement d’identité, des jeux de rôle à chaque nouvelle main. Ainsi elles cultivent la discussion et la réflexion. Le geste accompagne l’image, l’image est accompagnée par la parole. Soulignons également l’ importance de l’oralité. Les participants créent eux-mêmes le dialogue, la narration, et interprètent les images. Cette dimension renvoie à la puissance de l’imagination. Ce passage d’images la cultive et la développe, tout en imposant un rythme. Le medium de l’image offre ici une nouvelle expérience de perception de celle-ci.

auteur inconnu, titre inconnu, Athènes, VIe - Ve siècle av JC.

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Une bavure policière. Une émeute éclate dans la cité des Muguets. Au lendemain de l’insurrection nous suivons Vinz, Hubert et Saïd. 24 heures de la vie de ces jeunes de banlieue. Leur frère Abdul est passé à tabac. Un policier perd son arme. Abdul meurt. Vinz trouve l’arme. Tiraillés entre vengeance, envie de liberté, violence, besoin d’évasion, errance, ces jeunes sont rattrapés par la réalité de leur quotidien qui nous est donné à voir. La Haine. Film réalisé par Matthieu Kassovitz. 1995.

Dix sept ans plus tard, dans le cadre des festivals The Other Cinema, des projections du film sont organisées au sein des banlieues. Seine Saint Denis, lieu de funestes agitations en 2005. Tottenham, théâtre de violentes émeutes en 2011. Un dialogue s’opère alors entre le film et les lieux dans lesquels il est donné

à voir. Les propos du film sont replacés dans leur contexte. Ces projections sont accompagnées de performances du groupe Asian Dub Foundation. L’art urbain est revendiqué, donné à voir et pratiqué par les spectateurs durant la séance. Le public s’immerge dans l’univers du film et par association dans l’univers du lieu de projection. Il peut ainsi mieux comprendre les personnages et mieux questionner leurs actes. Une représentation de la banlieue est mise en lumière. Une réflexion critique est inévitablement engagée grâce à cette mise en parallèle. Le lieu renforce ici le message des images et les réflexions qu’elles peuvent susciter. L’impact du film n’en n’est qu’augmenté. Ce choix d’espaces de projection met en lien de façon frontale, narration et réalité, particulier et général. L’image dans l’image. Voici une mise en abîme frappante.

The Other Cinema, La Haine, Le Trianon à Paris, Troxy Theatre à Londres, mai 2012

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Les Hommes de Cro-Magnon produisent de l’image. La grotte de Lascaux en regroupe plus de 2000. Ces figures, réalisées entre 20 000 et 17 000 avant J-C, avaient-elles une fonction utilitaire ? Sanctuaire mystérieux permettant l’envoûtement des animaux grâce à l’image ; lieu de culte et de transe où les peintures donnent son caractère magique à la cérémonie ; lieu de passage vers un monde parallèle... Les théories abondent. Les représentations sont, quant à elles, bien réelles. Et nous pouvons encore de nos jours, nous placer comme des spectateurs face à elles. Ces images sont dessinées à une échelle très variable. La « salle des Taureaux » en est un exemple. Mesurant jusqu’à 5 mètre de long, quatre figures d’aurochs dominent. Ils sont accompagnés par une trentaine d’animaux plus petits. Les figures s’enchevêtrent et se superposent. Ainsi la représentation met en scène ces animaux. On assiste presque à une scène vivante, issu du réel. Ces peintures sont visiblement issues de l’observation. D’ailleurs, historiens

et scientifiques soulignent l’aspect réaliste des animaux dans leurs morphologies et leurs attitudes. Le choix d’utiliser une échelle démesurée par rapport à la réalité, pour ces animaux en particuliers, est donc volontaire. La façon qu’a l’homme d’adapter le réel est déjà en marche.Ces peintures sont réalisées à même les parois minérales de la grotte. Les Hommes de Cro-Magnon utilisent l’irrégularité des parois pour donner du volume à leurs images. Une faille évoquera le sol, une corniche la courbe d’un animal,... La roche sert l’image. Les peintres utilisent le médium pour inscrire les figures dans un contexte. Les peintures reposent également sur toute la circonférence de la salle et sont surélevées de plus de deux mètres par rapport au sol. Ce phénomène relève également d’un choix délibéré, puisque le peintre doit construire un outil pour accéder à cette hauteur. Le spectateur lève la tête pour les apprécier. Les images surplombent les hommes.

Sisse Brimberg, sans titre, Grottes de Lascaux, 2007

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Le photographe et cinéaste Robert Frank photographie la vie des américains des années 50. Il publiera un livre intitulé « The Americans », dont ce cliché réalisé à Detroit en 1955 est extrait.

Robert Frank, Drive-In Movie, Detroit, 1955 - à l’apogée du drive-in.

Dès les années 30, l’industrie automobile américaine est en pleine expansion. Tout le monde possède sa voiture. Le Drive-in va ainsi pouvoir supplanter les salles de cinéma. La tôle coupe court à l’expérience collective du cinéma en salle. Quelques proches s’isolent dans un véhicule. Ils veulent partager ce moment entre eux, en toute liberté. Libres de s’exprimer, de commenter, de s’esclaffer, libres de s’affaler ou d’adopter une posture incongrue. La retenue imposée en salle par le fait d’être en public disparaît. La voiture renvoie à la maison, au « home », et à la sphère privée. Elle en devient presque une extension.

Les spectateurs aménagent et personnalisent leur espace eux même. L’expérience du cinéma n’a jamais été si individuelle et pour autant, le collectif en petit nombre en est renforcé. L’espace vide du parking se peuple de micro-univers à la nuit tombée. On peut observer la multitude des ambiances juxtaposées isolément. L’atmosphère varie selon les véhicules, les personnalités et surtout le rapport entretenu avec les autres passagers. Une bande de copains se lançant des blagues et buvant une bière à côté de deux amoureux entourés d’une couverture peuvent cohabiter sans que ces deux univers se rencontrent. Le spectateur construit lui-même l’ambiance dans laquelle il regarde le film. D’ailleurs la démocratisation de la télévision dans les foyers affaiblira considérablement cette pratique cinématographique.

Robert Frank, Drive-In Movie, Detroit, 1955

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Année 20, la musique s’immisce au cinéma. Motivations fonctionnelles, tout d’abord ; à l’intérieur de la salle, les musiciens couvrent les bruits des projecteurs, les commentaires des spectateurs, et les bruits de la ville alentour. Ainsi leur musique participe à la création d’un microcosme fictionnel, hors du temps et hors de l’espace réel. L’apparition de la musique dans la salle donne du volume à ce film muet.Les mélodies enlacent le spectateur et lui permettent ainsi d’entrer dans la fiction. La musique, en intensifiant les ambiances et le contexte émotif du film, stimule l’imaginaire du spectateur. Son pathos et sa capacité à s’identifier au personnage est accrue.

« Beaucoup de spectateurs ne peuvent s’évader dans le rêve, à la suite des fantômes de l’écran, sans être étourdis, bercés et un peu

grisées par les vapeurs harmoniques qui sortent de l’orchestre et se répandent dans la salle, comme des parfums échappées d’une cassolette magique. Pour quitter le sol, ils ont besoin de ce coup d’ailes. » Emile Vuillermoz, en 1917.

La musique agit donc à la fois comme un cadre et comme un catalyseur. Lors de la projection de « L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat », les spectateurs s’effrayèrent ne différenciant fiction et réalité. Les musiciens accompagnant l’image, le spectateur admet qu’il est dans un temps de représentation. La musique, comme le cadre d’un tableau, délimite la zone de fiction. Mais elle participe aussi à sa création, puisqu’elle immerge le spectateur dans un univers, telle une porte d’entrée dans l’imaginaire.

auteur inconnu, titre inconnu, New-York, 1920

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Ces lignes tracées à même la terre par un peuple pré-incaïque, appelé Nazcas, établi au Pérou entre 300 av. J.C. et 800 de notre ère, alimentent interprétations, mythes et légendes. Une « araignée » de 46 mètres de long, un « singe » de 100 mètres,... Un choix d’échelle qui interpelle. Maria Reiche, mathématicienne spécialiste de la civilisation Nazca, admet l’hypothèse d’un tracé initialement travaillé sur maquette. Ainsi la notion d’échelle variable de l’image est primordiale. Une échelle pour concevoir, une autre pour voir. Tout d’abord, les Nazcas surplombent l’image pour la penser, la maîtriser. Alors, une projection grandeur nature est possible. Puis l’image transcende les traceurs. Dès lors, elle devient invisible à l’échelle humaine et échappe aux sens. L’homme ne saisit pas l’image ; il navigue à travers elle, sans comprendre que cela en est une. Pour autant, il peut en découvrir une infime partie, mais toujours sans l’appréhender

dans sa globalité. Le dessin, tracé in situ, devient inaccessible aux yeux des spectateurs humains de cette époque. Ces images ne sont pas pour ceux qui les tracent, mais à destination d’un spectateur imaginaire. L’image devient un lien, un signe entre le monde réel et un autre monde. Ces lignes sillonnent le Pérou sur plus de 500 km². Cela implique le choix du support. Les Nazcas utilisent leur terre pour pouvoir dessiner dans de telles proportions. Cette surface dirigée vers le ciel rend les tracés visibles par ceux d’en haut. Nous avons aujourd’hui, et depuis 1927, les moyens techniques nécessaires pour prendre assez de recul et donc identifier ces images. Nous en sommes devenus spectateurs. Mais ces images ne se donnent pas à voir à la manière des nombreuses qui nous entourent. Les tracés ne bougent pas, c’est au spectateur de s’envoler.

Robert Clark, Nasca Lines, Pérou, mars 2010

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À la Renaissance, l’art du trompe l’œil se démocratise dans les palais italien. Les époques, les styles et les références s’y enchevêtrent, s’imitent, se déforment. Suivant ce courant Luca Pitti demande aux peintres Michele Colonna et Agostino Mitelli de réaliser des plafonds en trompe-l’œil dans les trois salles de l’appartement d’été de son Palais.C’est alors que le volume est donné à ces plafonds plats. La peinture se joue du spectateur. Cette illusion pose la question de la limite entre fiction et réalité. Le cadre des tableaux, la tenture des tapisseries ou les bordures des fresques imposent une limite et désignent la fiction. Le trompe-l’œil quant à lui, aide à l’immersion dans un univers imaginaire. Il facilite le

vagabondage de l’esprit, le voyage dans l’irréel. Il laisse s’infiltrer une part d’irréel dans le réel en troublant les sens. Il agit comme un prolongement imaginaire de la réalité. Il se sert du réel, ici de l’architecture comme d’une fondation pour la construction d’un monde imaginaire. Le spectateur peut se prêter au jeu pour alimenter le rêve ; ou au contraire sa raison cherchera des failles dans l’image pour identifier sa véracité, bloquant ainsi les possibilités d’évasion.La perfection technique requise pour réaliser ces images, illustre l’envie de s’immerger dans un autre monde. Le spectateur n’a qu’à se prêter au jeu.

auteur inconnu, titre inconnu, Palais Pitti, Florence, Italie, date inconnue

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En 2005, Fabien Riggall expérimente Secret Cinéma ou comment construire une réalité à partir d’un film. Du 27 février au 6 avril 2014, Le Farmiloe Building de Londres accueille l’évènement autour du film de Wes Anderson, « The Grand Budapest Hotel » rassemblant pas moins de 5000 personnes.L’image se transforme en évènement. Celui-ci s’apparente à une transposition, une adaptation du film dans la réalité, comme si l’image contaminait le réel autour d’elle. L’histoire du film se prolonge, se propage. La temporalité de la fiction est transformée. L’avant, le pendant et l’après film constituent également la fiction.La barrière entre réel et imaginaire s’atténue. Il n’y a plus de cadre présent pour en distinguer les limites. L’image sort de son contexte. À la manière du trompe l’œil, l’imaginaire s’infiltre dans le réel. Le dehors

et le dedans s’interpénètrent. Mais paradoxalement, la place de l’imaginaire du spectateur est réduite par un évènement très figuré et dicté. L’événement immerge le spectateur dans un univers déterminé, écrit et pensé. L’imagination du spectateur n’est pas créatrice, mais elle lui permet plutôt d’admettre comme vrai la fiction.Le spectateur doit accepter de se prêter au jeu pendant quelques heures pour donner vie à l’univers construit. Cette utopie collective n’est permise que si le pacte est collectif. La dimension collective est donc primordiale. Un acte isolé ne plongerait pas les ou même le spectateur dans l’illusion. Tous sont actifs et ont un rôle à jouer pour crédibiliser l’ensemble de le fiction bâtie. Le film apparaît ici comme générateur, mais son visionnage est mineur ; ce sont plutôt les actes du spectateur-participant qui sont mis en valeur.

Secret Cinema, The Grand Budapest Hotel, Farmiloe Building, Londres, 2014

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