anthropologie chrétienne 1

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Anthropologie chrétienne Première partie Introduction L’anthropologie est une discipline qui tente une approche rationnelle de l’homme. Il est difficile de parler de science à son propos puisqu’elle n’utilise pas les méthodes habituelles des sciences : outil mathématique, hypothèse/vérification, ses résultats ne sont pas falsifiables et peuvent donc cohabiter avec des affirmations différentes sans pour autant perdre leur pertinence. D’autres disciplines ont davantage de prétentions comme la psychologie, la sociologie, l’ethnologie, la linguistique, le structuralisme, voire la psychanalyse. Elles prétendent à un discours quasi‐scientifique sur l’homme. À partir d’une entrée qui leur est propre, elles tirent avec assurance une vision de l’homme qui prétend à l’universalité qu’ils appellent aussi anthropologie. D’où la difficulté de comparer ce qui n’est pas comparable parce que partant de présupposés trop divers. Mon angle d’attaque est plus modeste en ce sens qu’il ne prétend pas à l’universalité, encore moins à la précision scientifique. Plus proche de la philosophie, il se propose de mettre en débat diverses pensées rationnelles avec le contenu de la foi ce qui est un projet qui manque totalement de modestie. Heureusement qu’il s’agit, en principe, de spiritualité ce qui tolère des approximations que ne se permettraient ni des philosophes, ni des théologiens, encore moins des scientifiques ! Le sujet semble considérer comme acquis l’existence d’une anthropologie chrétienne au sens où comme le sociologue parvient à une définition de l’homme à partir de l’analyse de la société et l’ethnologue en partant d’études d’une civilisation sur le terrain, il serait possible de parvenir au même résultat en analysant la Bible et la Tradition de l’Église. Contrairement à cette hypothèse, j’aimerais partir du principe que l’anthropologie chrétienne n’existe pas en tant que telle comme un donné déterminé dont on pourrait parler à part, sans la mettre en relation avec l’ensemble de la réflexion sur l’homme. Je pense impossible de tirer une anthropologie chrétienne complète des saintes Écritures, même relues dans le cadre de la théologie. Elle évolue, se modifie selon les époques et surtout s’enrichit des apports extérieurs. Je ne veux pas dire que la question serait sans importance et hors de propos, comme si notre foi n’avait rien à dire à l’anthropologie. Pour le croyant en Jésus‐Christ, les données de la Tradition questionnent l’ensemble de ce qui fait sa vie au niveau de ses actions, sa pensée, ses paroles et en particulier donc ses conceptions de l’homme. Aucune approche humaine n’étant par principe étrangère à la foi, le dialogue est permanent entre les constructions humaines, les comportements des croyants et ce qui nous a été transmis de Jésus‐Christ. La foi a toujours son mot à dire, elle est Vérité révélée, tout en manquant singulièrement de précision quand on approche des questions concrètes. Elle donne de grands axes à la pratique humaine qui cherche en contrepartie les moyens précis de s’y conformer dans le concret de l’existence. Je voudrais montrer comment ce rapport peut fonctionner autour de cette question.

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Anthropologiechrétienne

Premièrepartie

IntroductionL’anthropologieestunedisciplinequitenteuneapprocherationnelledel’homme.Ilestdifficile de parler de science à son propos puisqu’elle n’utilise pas les méthodeshabituelles des sciences: outilmathématique, hypothèse/vérification, ses résultats nesont pas falsifiables et peuvent donc cohabiter avec des affirmations différentes sanspour autantperdre leurpertinence.D’autresdisciplines ont davantagedeprétentionscommelapsychologie,lasociologie,l’ethnologie,lalinguistique,lestructuralisme,voirelapsychanalyse.Ellesprétendentàundiscoursquasi‐scientifiquesurl’homme.Àpartird’uneentréequileurestpropre,ellestirentavecassuranceunevisiondel’hommequiprétend à l’universalité qu’ils appellent aussi anthropologie. D’où la difficulté decomparercequin’estpascomparableparcequepartantdeprésupposéstropdivers.Monangled’attaque est plusmodeste en ce sensqu’il neprétendpas à l’universalité,encoremoinsàlaprécisionscientifique.Plusprochedelaphilosophie,ilseproposedemettre en débat diverses pensées rationnelles avec le contenu de la foi ce qui est unprojet quimanque totalement demodestie.Heureusement qu’il s’agit, en principe, despiritualitécequitolèredesapproximationsquenesepermettraientnidesphilosophes,nidesthéologiens,encoremoinsdesscientifiques!Lesujetsembleconsidérercommeacquisl’existenced’uneanthropologiechrétienneausensoùcommelesociologueparvientàunedéfinitiondel’hommeàpartirdel’analysedelasociétéetl’ethnologueenpartantd’étudesd’unecivilisationsurleterrain,ilseraitpossibledeparveniraumêmerésultatenanalysant laBibleet laTraditionde l’Église.Contrairement à cette hypothèse, j’aimerais partir du principe que l’anthropologiechrétiennen’existepasentantquetellecommeundonnédéterminédontonpourraitparleràpart,sanslamettreenrelationavecl’ensembledelaréflexionsurl’homme.JepenseimpossibledetireruneanthropologiechrétiennecomplètedessaintesÉcritures,mêmereluesdanslecadredelathéologie.Elleévolue,semodifieselonlesépoquesetsurtouts’enrichitdesapportsextérieurs.Jeneveuxpasdirequelaquestionseraitsansimportanceethorsdepropos,commesinotre foi n’avait rien à dire à l’anthropologie. Pour le croyant en Jésus‐Christ, lesdonnéesde laTraditionquestionnent l’ensembledecequi faitsavieauniveaudesesactions, sa pensée, ses paroles et en particulier donc ses conceptions de l’homme.Aucune approche humaine n’étant par principe étrangère à la foi, le dialogue estpermanententrelesconstructionshumaines,lescomportementsdescroyantsetcequinous a été transmis de Jésus‐Christ. La foi a toujours son mot à dire, elle est Véritérévélée, tout en manquant singulièrement de précision quand on approche desquestions concrètes. Elle donne de grands axes à la pratique humaine qui cherche encontrepartie les moyens précis de s’y conformer dans le concret de l’existence. Jevoudraismontrercommentcerapportpeutfonctionnerautourdecettequestion.

Mon apport se structure autour de deux idées forces indissociables de touteanthropologievoulanttenircomptedeladimensionchrétienne.Lapremièreestquelechrétienestpersuadé,danssafoi,qu’ilreçoitlavied’unAutrequelui‐même.Ilcroitquelasourcen’estpasen lui,maisenDieu.Nouscommenceronsdoncparquestionner lespenséesque l’onpourraitappelerglobalesausensoùellesneprennentpas l’individuisolément mais le pensent en rapport avec l’ensemble de la réalité. Cette démarchedevraitnousaideràéclairernotrehypothèsedebasequel’hommen’apassasourceenlui‐même.Ladeuxièmehypothèsequenousvoudrionséclaircirestlaplacedel’individu:dequellemanièrepeut‐ilexisterfaceàlasourcedesavie,commeparrapportàcequileconstruitet le conditionne? Comment l’individu peut‐il devenir une personne? Face auxinterrogationsmultiplesquimettentenquestionlelibrearbitreetl’indépendance,qu’enest‐ildenotrecapacitéàexisterentantquepersonne?Cettecontradictionentreunindividulibreetresponsablequin’estpassapropresourceconstituelabasedetouteanthropologiechrétienne.Parlerdel’hommepourunchrétiensupposelamiseenrapportdetroissourcesquisecombinentetsecomplètentsansqu’ellessoientplacéessurunpiedd’égalité.Jeposeencommençant l’hypothèse que l’homme est indissociablement «fils de la Terre, fils del’HommeetfilsdeDieu».

Fils delaTerreLedire«filsdelaTerre»revientàrappelerlaterreaveclaquelleilaétémodelésionencroitledeuxièmechapitredelaGenèseetsonnomd’Adam(leTerreux).C’estévoquerlapoussièreàlaquelleilretournera,cethumusdontilestpétrietquiresteuneinvitationàl’humilité.Les découvertes bien postérieures viennent enrichir l’idée de notre filiation avec laterre.Jeveuxparlerdelathéoriedel’évolutiondesespècesquinousmontreunmondequi,depuisleBig‐Banginitial,s’esttransforméprogressivementjusqu’àdonnerlavieetpermettrel’apparitionduvivantetdel’homme.Letitrede«filsdelaTerreprendainsiunreliefsaisissant.Lamontéeenpuissancedespréoccupationsautourdel’écologieestl’événementleplusrécentquirappellecombiennoussommesdépendantsdecetteterre.Cettedernièresiellenousadonnélejour,continuedenouspermettred’exister.Noussommesinvitésàrespectercettemèreetàlaprotéger.Notredépendancevis‐à‐visd’elleneconcernepasuniquementnotreorigine,elleresteconstammentd’actualité.Nous verrons comment des penseurs aident des chrétiens à prendre en compte cettedimensiondel’homme,longtempssous‐estimée,ouutiliséepourabaissersonorgueil.

Fils del ’HommeQue nous soyons la conséquence de l’union d’un homme et d’une femme est unebanalité, mais cela n’épuise pas la complexité du rapport de chaque individu avecl’ensembledel’humanitéetdéjàavecsonentourage.Nousnesommespasquedesêtresnaturels, les rapports interpersonnels, au sein de la famille et des divers étages de lasociété,nousconstituentdansnotreindividualitéparticulière.Desthéoriesrécentes(etcontestées)mettentenlumièresousunjournouveaulaquestiondel’innéetdel’acquisdanslaformationdenotrepersonnalité.Notreparenté, l’environnementquiaété lenôtredepuisnotrenaissance,ceuxquiontparticipéànotreéducation,nosrelationsd’amitiéoudetravail,etc.toutcelanousafaitstelsquenoussommes.Unethéoriedel’hommenesauraitfairel’impassesurcettedimension.

Fils deDieuNotre filiation divine est le troisième élément incontournable dans la mise en placed’uneanthropologiechrétienne,celuiqui ladistingueradicalementdesapprochesnonreligieuses.Ilestbienclairque,pouruncroyant,chrétiendesurcroît,lasourcepremièrede toute vie est l’amour divin. Les sources précédentes sont secondes par rapport àcelle‐ci qui les animeet les impulse. Il faut éviter cependantdeminimiser cellesdontnous avons parlé auparavant sous prétexte que cette dernière est essentielle au sensfort.Ilvaudraitmieuxdirequeladynamiquedel’amourdivinseréaliseàtraversellessans fairenombre avec:Dieun’est pasuneorigineparmid’autres, il est la sourcedetouteslessources.Il sera important de voir comment la dimension de la source divine jette un regardnouveausurcequiprécède,commentellel’interroge,l’évalue,permetdefairedeschoixetsuggèredesapprochesoriginales.Laspiritualité,puisque telestnotreangled’attaque ici,estpour lechrétiencequi faitl’uniondetouteslescomposantesdesonexistence.Elleunifiecequidemeureraitsinonuneindividualitééclatéeoùdesélémentsd’originesdiversessecôtoientsansfusionnerenunensembleglobalementcohérent.Lebutdecequisuitestdoncdetenterdemettreenplacedespontsentredesapprochesdifférentes et à bien des égards contradictoires. La manière dont nous aborderonscertainsauteursseradel’ordredelasuggestionplusquedel’étudeexhaustive.Aucunne serapris commeréférencedernière.Plusque la recherched’unepenséedéfinitive,nousprivilégionslamiseenrapportetlalibrecirculationentrelesapproches,dansunbricolagequechacunserainvitéàreprendreànouveauxfraispoursonproprecompteet à samanière. La spiritualité est de l’ordrede l’engagementpersonnel, elle supposed’oserdeschoixpropreset leplussouventnondéfinitifspour laisser lechamplibreàl’Esprit. La première étape consistera dans la confirmation de l’unité de la personne,souvent mise à mal par des approches qui, par un souci d’analyse, se contentent demorcelerlaréalitésansprendrelapeined’enreconstruireensuitelacohérenceparuneffortdesynthèse.

UnhommeenmorceauxL’homme se vit spontanément comme une unité. À Madagascar, je me suis heurté àl’incompréhensiondemesélèvesen lycéeouenécolesupérieurequand j’aiessayédeleur parler de Descartes. Ils le prenaient vraiment pour un fou et moi avec, quiprétendais leur démontrer qu’ils étaient constitués de morceaux ayant du mal àcohabiter.Ilsétaientencomplètecontradictionaveclesséminaristesàquij’enseignaisdans la même ville: ils prenaient la distinction entre l’âme et le corps comme unedonnéedefoi,alorsmêmequ’elleétaitencontradictionavecleurcultured’origine.Ilyaunchocentrelesperceptionsspontanéesetlepoidsdescultures,surtoutpournousquisommes,soi‐disant,cartésiens.Je crois qu’une majorité de chrétiens français vivent avec cette contradiction: êtrechrétienc’estcroirequ’àlamortlecorpsestmisenterrealorsquel’âmemonteauciel,mêmes’ilsseviventspontanémentcommeunifiés.Onenarriveà lasituationextrêmeoùladistinctionestmoinsdifficileàpenserquel’union.Celan’empêchepaslaplupartd’êtreobsédésparleurcorps,ilslebichonnent,l’entretiennentàgrandsfrais,sontprêtsàcroireàlaréincarnationetpourtantilséprouventdeladifficultéàdire«jecroisenlarésurrectiondelachair»,certainspréfèrentzappercepassageouévitentdepenseraux

contradictions qui les habitent. L’héritage cartésien n’est pas un vain mot. Pourtant,mêmeDescartes a écrit leTraitédesPassionsoù il s’interroge sur les interactionsdel’âme et du corps, il reconnait dans une de ses lettres que la sensation d’unité estpremière par rapport à la distinction. Même pour lui la distinction n’est pas aussiclairementévidente.

PlatonL’originedumorcellement introduitdans la conceptionde l’hommeest à chercherducôté de Platon, tel aumoins qu’on nous l’a présenté en terminale. Le corps serait untombeaupourl’âmequi,elle,vientduciel.Cettedernièreadesréminiscencesdumondedesidéesd’oùelleesttombée,maisil luifautsedétournerdel’influencedelamatièrecorporelle si elle veut se rapprocher de la vérité. Je ne vais pas refaire le cours determinale,mais commencer parmontrer combien cette vision est étrangère déjà à laconceptionbibliqueavantdemettreenlumièred’autreslecturespossibles,chezPlatonlui‐même.

DanslaBibleVous connaissez des personnes beaucoup plus compétentes que moi sur le sujet,remarquonspourtantque:Durant les cinq siècles qui précédèrent la naissance de la philosophie en Grèce, sedéveloppa en Palestine une littérature religieuse dont l'originalité fut de concevoir larévélation de l'absolu à travers la catégorie d'une histoire dont le commencement senomme création : "Alors YahvéDieumodela l'homme avec la glaise du sol, il insuffladanssesnarinesunehaleinedevieet l'hommedevintunêtrevivant"[30].Danscetteperspective,onlevoit,l'âmeestcrééeenmêmetempsquelecorps:elleneluipréexistepas, iln'yadoncpasderaisonqu'ellesubsisteau‐delàdelui ;souffledevieissudelarespiration divine, elle n'est ni un fragment dudivinmalencontreusement égaré dansunematièremauvaise [31],niunesubstance immatérielleradicalementétrangèreà laglaise dont le corps de l'homme est formé : elle est l'"animation" de ce corps. Ce quipréexisteàl'âmecommeaucorpsetquienestdistinct,c'estla"ruach"(πνευ̃μαengrec),c'est‐à‐dire l'Esprit de Dieu, le souffle créateur qui assure l'existence de l'âme et ducorpsetquiestdonclaprésencedivineenl'homme,lesurnaturelenlui,leprincipedesondépassement ;mais l'âmeet lecorpsnesontpas,eux,ontologiquementdifférentsl'undel'autre.CommelefaitremarquerM.Tresmontant,"enhébreu,iln'yamêmepasdemotpourdésigner "le corps" au sensoùPlatonetDescartesparlentdu corps, unesubstance distincte de l'âme" [32]. Lemot hébreux "basar" (sarx en grec, la chair) nedésigne pas le corps en tant qu'il serait distinct de l'âme et opposé à elle, mais aucontraireentantqu'ilenestl'expressionconcrète:c'est"l'êtrevivanttoutentier"[33]etplusparticulièrementlatotalitéhumaine.Lapreuveenestqueluisontattribuéesdesfonctions cognitives ; ainsi peut‐on lire dans les Psaumes : "Quema bouche publie lalouangedel'Eternel,Etquetoutechairbénissesonsaintnom"[34].Ouencoredanslelivred'Isaïe:"Ettoutechairsauraquejesuisl'Eternel"[35].Fautedecomprendrequedans la traditionhébraïque lachairnedésignepas lecorpsmais l'homme,onse rendinintelligibleslesdogmeschrétiensultérieursdel'incarnationetdelarésurrectiondelachair : le célèbre début de l'Evangile selon saint Jean (kai o logos sarx egeneto, Et leVerbe s'est fait chair)[36] ne signifie pas que Dieu est devenumatière,mais qu'il estdevenu homme ; demême la résurrection de la chair signifie le "resurgissement" del'hommeetnonlaréanimationducadavre.Quantaumothébreu"Nephesh"(ψυχήengrec,l'âme),ilnedésignepasnonplusunesubstanceimmatérielledistinctedu"corps":àl'origine,c'estl'organedelarespiration;

puis c'est la personne considérée sous l'angle du désir. C'est pourquoi elle se voitattribuerdesbesoinsphysiologiques.Elleafaimetsoif:"Iln'yapointdepain,iln'yapoint d'eau, et notre âme est dégoûtée de cette misérable nourriture" [37] ; elle estsusceptible d'être rassasiée : "Je rassasierai de graisse l'âme des sacrificateurs" [38] ;elleéprouvedessensations:"cartuentends,monâme,lesondelatrompette"[39].Il suffit : l'âme entend et la chair connaît. Ni la première n'est pensée pure, ni lasecondeobstacle à la connaissance. L'une comme l'autredésignent l'hommeentier, leMoi, lapersonnetotale.Onnes'étonnerapasquepour lapenséehébraïque l'uniondel'âmeetducorpsnesoitpasun"problème";maisonnes'étonnerapasnonplusqu'elleaitignorél'immortalitédel'âme:c'estseulementdanslesdeuxpremierssièclesavantnotre ère, et à travers l'une de ses branches, la pharisienne [40], que le judaïsmecommenceàprofesser l'espéranced'unesurvie.Ons'étonneradavantagedeceque lareligiondel'incarnationetdelarésurrection,héritièredujudaïsme,sesoitattachéeaucoursdesonhistoireàdesdémonstrationsdel'immortalitédel'âme,alorsmêmequ'ellepréférait le langage de l'hylémorphisme aristotélicien à celui du dualisme platonicienpourexprimersapropreanthropologie.Prissurinternet.Nousnesommesdoncpasobligésd’êtrecartésienssiJésusnel’étaitpas.Iln’estmêmepassûrquePlatonaitétécartésien!Nous n’allons pas poursuivre plus avant dans cette direction. L’essentiel était desoulignernotreinsatisfactiondevantlamanièredontunecertainephilosophiemorcellel’homme, d’autant qu’elle est étrangère à l’approche biblique. Il reste vrai que lesapportsde cette conceptiondualistede l’hommeontété importants, en tantqu’étape.Elle facilite la compréhension de la mort et de la vie après la mort. Bien qu’un peusimpliste,ellesatisfaitnotrecuriositépourcequiconcernenotresentimentquelapartiespirituelle qui est en nous est supérieure et impute au corps les lourdeurs que nousconstatons.Noussentonsqu’ilyaunetensionennousetledualismeenrendcompte.Laprioritéestdonnéeassezfortementauspirituelcequiconduiraàvaloriserlapenséeetàrelégueràunniveauinférieurlesactivitésmatérielles,letravailenparticulier.Lecorpsse trouve rejeté du côté obscur de notre être, jusqu’à être présenté comme l’origineessentielle dumal, en particulier dans sa dimension affective. Une telle présentation,d’abordrassurante,finitpardériverdangereusement.Avecledualismenousavonsdonclemeilleuretlepire.Ladévalorisationd’unepartiedenous‐même qu’il induit, pose problème de même que la difficulté qui en découle àcomprendre l’unité de l’homme. Pour nous chrétiens le dualisme est problématiqueaussi parce qu’il ne correspond pas à la mentalité biblique et fait obstacle à lacompréhensionexactedebiendestextesdecettetradition.Enfin,ledualismesatisfaittroprapidementnotresouhaitd’autonomie,ycomprisvis‐à‐visdeDieu.SinotreâmeestprésentéecommeundondeDieuà l’origine,ellesembleensuite immortelle par nature, comme si elle devenait autonome par rapport à sonorigine. Plus besoin de ressusciter puisque nous sommes immortels. Or, dans la foiévangélique, larésurrectionestunere‐créationetpassimplementuneréanimationoula poursuite d’une existence précédente. Il semble donc nécessaire de dépasser lessimplismesdudualismeendonnantlaparoleàd’autresauteurs.D’autant que la pseudo‐autonomie issue de cette compréhension du christianismeconforte les athées qui prétendent s’opposer à Dieu ou aumoins lui tenir tête. Cetteattituden’apasdesenssiDieuestlasourceabsolueetconstante.Comments’opposeràcequimedonnelavie?OnpeutnepascroireenDieu,maisilestdifficiledeprétendres’opposeràlui.

Sortir de cette conception de l’anthropologie chrétienne semble donc une nécessité,mêmesionlarencontreencoredansdesformulationschrétiennes,enparticulierdansdestextesdelaliturgieetchezdesthéologiens.

Parprocessionouparparticipation?Unautrecourantdel’anthropologieouvred’autresperspectives,celuiquifaitdécoulerle réel d’une source unique qui irrigue l’homme et engendre toute vie. Nous allonsl’examinerdeplusprès,maisdisonsdansunepremièreapprocherapidequelanotiondeprocessionignorelaruptureentrel’origineetcequiendécoule.Seloncettelogiquece qui sort de la source n’est pas distinct de son origine,même s’il peut en être unemanifestation dégradée. L’unité l’emporte sur la division. C’est pour cela, hormis ladégradation, quenousproclamonsque leFils est engendrépar lePère etque l’EspritprocèdeduPèreetduFils.Laparticipationsedistinguedelaprocession:ellerenvoieàl’idéedeCréation,c’est‐à‐dired’apparitiond’uneréalitédifférentedel’originemaisquinetientqueparcettedernière.Lecréénepeutpersisterdansl’existenceendehorsdeson rapport avec son Créateur, mais il est d’une autre nature que Lui. Le premiercourant est communément appelé panthéiste et se différencie donc de la foi en uneCréation.Processionouparticipation, iln’estplusquestiondanscecadred’autonomietotaleduréel,maislesorientationsdel’uneetl’autredivergentprofondémentbienquelesnotionsonttendanceàsemélangerchezcertainsauteurs.

PlatonànouveauNous allons chercher chez Platon à nouveau les racines de cette pensée de la totalitéqu’il aborde sous l’angle de la procession. Pour y parvenir, il faudra prendre de ladistance par rapport aux descriptions simplistes précédentes, voire nous rapprocherd’unethéoriesoi‐disantsecrèteévoquéedansseslettres.L’examen du Parménide, que nous approfondirons plus tard, ouvre des pistes quitranchentparrapportauxapprocheshabituellesdePlaton.Uneautremanièredelirecetauteurnousmetdevantunphilosopheplusmystiqueetprochedenospréoccupationsdumoment.Ilfautlaisserlestextesquivontdanslesensd’unfractionnementdel’espritenpetitesâmesindividuellesoud’unelumièrevenueducielquisedépose,parparties,dansdescorps;notreattentionseporterasurd’autrestextesdecephilosophe.DansleParménide, ilestditqu’unelumièreuniqueéclairetousleshommesenpermanenceetque chacunparticipe à cette lumièrequi reste pourtant une.Au lieude voir depetitsmorceauxquisedétachentpourformerlesâmes,quiremonterontensuiteaprèslamortdechaquehomme,l’idéeestquecequiexisteaunrapportconstantavecsonorigineetenprocède.Une autre image est utilisée par Platon: celui qui est sous une tente ne voit que laportionquisetrouveaudessusdeluietqu’ilpenses’approprier,alorsquelephilosopheal’idéedelatentedanssonensemblequiestd’unseultenant.L’Unestcommeunevastetoilede tentequicouvre toutcequiexisteet le faitquenousneparticipionsqu’àunepartienesignifieenrienqu’ilsoitfaitdemorceaux.Vueainsi,ladivisionestuneillusionetl’unitéestpartout,sanssolutiondecontinuité.Iln’yapasd’âmesparticulièresmaislaparticipationdetoutàlaviedel’Un.Lecorpsluiaussi,malgrésesimperfections,estuneémanationdel’Unetfaitpartieducheminquinouspermetdemonterjusqu’àlui.DansLaRépubliquePlatonestdans lamêmeperspective; lephilosophedéveloppeunautreexemple,celuidelajustice.Elleestuniqueetvientducielmaiselleestvécuedediverses façons selon les hommes et les pays ou les régimes. La diversité est une

apparencepuisquetouslesdéveloppementsdelajusticesontl’expressiond’uneorigineunique.Enfin,dansLeBanquet,setrouveunelonguediscussionsurl’amouraucoursdelaquelleSocratedéfend l’idéed’unamouruniquequivientdeDieuetquisediversifieensuiteselonleshommes.Lefaitquelesmanièresd’aimersoientmultiplesnedoitpasnous faire oublier que l’amour dont elles procèdent est unmalgré les apparences. Laconvictionest forte: l’unitéestpremière,elleest la sourcede toutcequiexiste. Il estvrai que, en s’éloignant de l’origine, la diversité s’introduit dans ce qui était unifié. Ils’agit d’une forme de dégradation inévitable de la perfection originelle qu’il nous estimpossibledevivreparcequenoussommesdanslemouvementetlechangement.Il n’y a pas plusieurs justices, plusieurs amours,mais plusieursmanières de les vivreselonlesâgesetlespays.Parcontre,toutescesformesprocèdentdelamêmeorigine.Ilen est de même pour toutes les valeurs dont la diversité des formes ne peut êtrecomprisesion lesprendchacuneséparément.Cen’estqu’en lesvoyantparrapportàleuroriginequ’ellesprennentsens.Chacuned’ellestientsonsensdesadépendanceparrapportàl’Un,ellen’apasd’explicationparunenaturequiluiseraitpropre.Ilnes’agitquededéclinaisonsdelamêmeperfectionoriginelle.Cette conception prend toute son ampleur dans Le Parménide. Nous avons déjà vucommentPlatonprendl’imagedelatentequicouvretousleshommes,bienquechacunn’en voit qu’une partie alors qu’elle est une. L’auteur nous invite ainsi à ne pasconfondre notre perception du réel avec la réalité elle‐même. Nos visions sontparcellairesetdecefaitnousavonstendanceàconcevoirladivisionlàoù,aucontraire,règne l’unité. Nous sommes attentifs à ce qui semble côte à côte alors qu’en fait toutprocèdedel’un.Pour approfondir dans cette direction, regardons Le Parménide d’une manière pluscomplète. Il s’agit d’un livre étrange et difficile, construit un peu à la manière d’unmeccanoconceptuel, sansrapportapparentavec laréalité,unesortede jeude l’espritqui pourtant se révèlera fécond, un peu comme ces théoriesmathématiques, simplesjeux de concepts au départ, qui trouvent un jour des applications concrètes dans lapratique.Platonpartdel’Undontonnepeutriendirepuisquetoutedéfinitionintroduiraitenluidesdivisionsendéfinissantdesqualitésquipeuventluiêtreappliquées.Ilestl’indicibleparexcellence.Laseulechosequel’onpeutendirec’estquetoutprocèdedeluiquiestimmobile.Ilfaudraitécrire«Tout»procède.LeToutestl’unitédecequiexistedanssaperfection,ilestdéfinissable,contrairementàl’Unetfoisonnedequalités.Platondéfinit5hypothèses,delaplusparfaiteàlaplusmatérielleetlesmanièresdontnous pouvons passer de l’une à l’autre, en remontant ou en descendant. À chaquehypothèsecorresponduncomportementparticulierquipermetdenousuniràchacunedesétapes.

1ehypothèse:IneffableouUnpur:coïncidencemystique.2ehypothèse:un‐multipleouToutintelligible:penséeintuitive.3ehypothèse:unetmultiple:âmeouraisondiscursive.4ehypothèse:multipleunifié:perspectiveempirique.5ehypothèse:multiplepur:matièrepure‐éternelle.

Proclus,unnéoplatonicien,aécritleCommentaireduParménidelemieuxconstruitquel’onconnaisse.Malheureusementcetouvrages’arrêteàlafindelapremièrehypothèse.Il faut en deviner la suite en usant des indications que l’auteur donne çà et là et desreprises de la Théologie platonicienne. Le jeu dialectique du Parménide revient àexplorertouteslesmanièrespossibled’affirmerl’Unetdelenier.Neuffoiscarilyaunsensde ladescenteetunautrede la remontéeoucentrifugeet centripète,onpartde

l’Unet ony revient sousdespointsdevuedifférents et complémentaires. Ce sont lesneufhypothèses,semblablesàneufcheminsrayonnantàpartird’unmêmecentre.Nierl’Un,c’estaboutiràladissolutiondel’espritetdeschoses.S’iln’yaplusd’unité,iln’yapas davantagedediversité, pas davantagede contradiction. C’est ce que signifient lesquatredernièreshypothèsesnégatives.Mais poser l’Un, c’est soulever plusieurs oppositions. Dans un sens (premièrehypothèse), l’un est trop Un pour être affirmable, car la plus simple affirmation estrelationetdonctransgresse lasimplicitépure,commelerépétera leSophiste (245b).Onesticiàl’originedelathéologienégativeetdunon‐savoirdesmystiques,devantlanécessaire ineffabilité de l’absolu. Dans un sens opposé (cinquième hypothèse), l’Unn’estpasassezunpourêtreaffirmable, car, s’ilestprivéde toutedéterminationetdetoutepluralitéinterne,iln’aplusquel’uniténégativedel’absoluepauvretéetlaréalitédu vide, ce qui définit lamatière. Maintenant, entre ces deux extrêmes, dont l’un estinaffirmableparexcèsetl’autrepardéfaut,s’insèrentplusieursmoyenstermesquisontréalisables.Onpeut combiner l’un et lemultiple de façon à formerun systèmeouuntout, soit en donnant à l’un la souveraineté, et c’est le monde intelligible (deuxièmehypothèse),soitenaccordantaumultiplelaprédominance,etc’estlemondeempirique(quatrièmehypothèse).Ilyadeuxprocessusquidefaçonantithétiquemènentl’Unaurien,etdeuxautresquileconduisent à deux formes opposées de totalité, qui les effectue, les rassemble et lesoppose.C’estencoreunautreunquiéprouveensoi‐mêmecesdeuxantithèsesdoubles,etquiainsileuréchappe(troisièmehypothèse).Cetunquiaccumulelescontradictionsde l’unitéet, enoscillantde l’unà l’autre, lesdépassedansune sortedepointneutre,c’est leur milieu ou médiation. Récapitulant extrêmes et moyens sans les confondre,cette médiation donne cohésion et connexion à l’ensemble. Telle est justement lafonctiondel’âmequiestleliendel’univers.Ainsiseconstruitdumêmecoupn’importequelle partie de l’univers. L’âme est lemodèle de tout être. En chaque être véritables’opposent deux extrêmes et deux moyens termes enveloppés par une médiation.L’excès du rien et du tout s’y oppose et s’y joint au défaut du tout et du rien. Ledéterminants’opposeàl’indéterminéets’yconcentredanslemixte.Ainsis’ordonnent:être,penséeetvie;substance,activitéetpuissance.Larègleuniverselledeconstitutionestlacontradictiondelaprésenceetdelaprocessiondominéeparlaconversion.Telleestlamanière,jesimplifie,dontProclusabordeLeParménide.Dès lors, la formation de l’univers se reproduit en chacun de ses points selon uneperspectivechaquefoisdifférente.C’estleprincipemonadologiquequiinspireraunjourLeibniz. Tout est en tout, répète Proclus, mais en chacun selon son mode propre.Cependant, nul être véritable ne se borne à réfléchir l’ordonnance totale. Chacunl’engendre toutentièreetainsi s’engendredanssaparticularité,demêmequedans ladialectiqueduParménidechaquehypothèserevientàl’Unpourendéroulerdenouveaulesmodes.Laprocessionestdonctotaleetspontanéeenchaquefoyerdel’univers.Ellepeutêtrecontinue;iln’yapasdevideentrelesêtres,parcequ’entreeuxladifférencen’estpasdecontenu,maisseulementdedéploiementetd’accent.Toutecettedialectiqueparaitrabientropsubtile.Ellel’esteneffetetd’uneredoutableabstraction. Sans entrer dans les méditations chères à Heidegger, il est bon dereconnaîtrepourtantquecetexteaconnuunepostéritéextraordinaire.

LesnéoplatoniciensJuste quelques dates: Platon 428‐347 env. et Plotin 205‐270, Proclus 412‐485, dontnousvenonsdeparler,pourneciterqu’eux.C’est donc 700 ans après leur maître que les néoplatoniciens font prendre à laphilosophieissuedePlaton,quin’avaitjamaiscesséd’êtreétudiée,untournantradical.Ilssontantichrétienspourlaplupart,adeptesd’unepuretérationnelle,philosophiquedela religion, choqués par lamanière dont le christianismeparle du corps: incarnation,communion,souffrancesdeDieu.Toutcelaestpoureuxabominableencomparaisondeleurs méditations sur l‘Un et ses processions et des religions à mystère. Disonssimplement qu’ils ont profondément marqué le christianisme, surtout dans sadimension mystique. La mystique est une des formes de spiritualité présente danstouteslesreligionsetmêmeendehorsd’elles,mais,pourlechristianisme,l’influencedePlatonetdesnéoplatoniciensaétédéterminante.

PournousNotreprojetn’estpasd’étudierleParménideoudedevenirnéoplatoniciens.Maisilestcependantintéressantdevoirenquoicesapprochesnousconcernent.Pour commencer par un point hors sujet, je trouve particulièrement fructueuxd’appliqueràDieu,ladistinctionqu’ilsfontentrel’UnetleTout,commeunantidoteàlathéologie quand elle prétend parler de Dieu d’une manière adéquate. Dieu resteratoujoursl’innommable,celuiquel’onnepeutpasatteindreparnotreraison,mêmeavecl’aidede Jésus‐Christ. Il est au‐delà de tout ce que l’onpeut endire selonunehymneattribuéeàGrégoiredeNazianze(329‐390).Otoi,l'au‐delàdetout,n'est‐cepaslàtoutcequ'onpeutchanterdetoi?Quellehymnetedira,quellangage?Aucunmotnet'exprime.Aquoil'esprits'attachera‐t‐il?Tudépassestouteintelligence.Seul,tuesindicible,cartoutcequiseditestsortidetoi.Seul,tuesinconnaissable,cartoutcequisepenseestsortidetoi.Touslesêtres,ceuxquiparlentetceuxquisontmuets,teproclament.Touslesêtres,ceuxquipensentetceuxquin'ontpointlapensée,terendenthommage.Ledésiruniversel,l'universelgémissementtendverstoi.Toutcequiestteprie,etverstoitoutêtrequipensetonuniversfaitmonterunehymnedesilence.Toutcequidemeuredemeurepartoi;partoisubsistel'universelmouvement.Detouslesêtrestueslafin;tuestoutêtre,ettun'enesaucun.Tun'espasunseulêtre,

tun'espasleurensemble.Tuastouslesnoms,etcommenttenommerai‐je,toileseulqu'onnepeutnommer?Quelespritcélestepourrapénétrerlesnuéesquicouvrentlecielmême?Prendspitié,Ôtoi,l'au‐delàdetout,n'est‐cepastoutcequ'onpeutchanterdetoi?Il est capital de garder à l’esprit la conscience de cette distance pour ne pas tropapprivoiserl’idéedeDieuetlaréduireànospetitescatégories.Lanotionde«craintedeDieu» nous gêne parce que nous privilégions un Dieu plus familier. Gardons‐nouscependantde tirerun trait trop rapide sur sagrandeuret ladistance infiniequinousséparedelui.Noussommeslàdevantunedimensionessentielledelaspiritualité,plusdéveloppéedanslemondemusulman,maisànepasoublier.Biensûr,cen’estpasuneraisonpourneriendire.Jésusnousadonnéunefouledepistesfondamentalespouraller vers lui.Ellesont la garantiedevenirduFils, deporter sonsceau. PourtantDieu garde sonmystère, les directions authentifiées qui nousmènentversluinedisentpascequ’ilestenplénitude.Ladistinctionentrel’UnetleToutqueproposeleParménidenouspermetdepenserquece que nous disons deDieu fait vraiment partie de lui, de ce Tout que nous pouvonstoucher,maisque luiestaussiau‐delà,dansunhorizonindépassableparcequ’ilest lasourcedeToutsanss’épuiserdansceTout.Ilestlepointd’interrogationcentralàpartirduquel tout leresteprocède,nousycompris.Lecorollaireestqu’ilyadeuxmanièrescomplémentairesdenousrapprocherde lui: lacontemplationmystiqueetsilencieusepourcequiestdel’Un,laréflexionthéologiqueetbibliquepourcequiestduTout.Le Parménide bouleverse ensuite l’anthropologie classique et ouvre par là unedimensionnouvelleàl’anthropologiechrétienne.LanotiondeCréation,tellequ’elleestsouventcomprise,tendàconsidérerdansdestempssuccessifsl’actedeDieuquicréeetlesdéveloppementsdelaCréationaprèsl’acteinitial.UnefoislaCréationachevéeIls’estreposéetc’estpournouscommes’ilnousabandonnaitànotresituation,nousaccordantdes soutiens épisodiques selon les besoins, mais laissant la plupart du temps ledéroulementnaturelsefairedansuneautonomiequineréclameplussonintervention.Laconséquenceestquenouséprouvonssoitnégativementl’impressiond’abandon,soitlafiertédel’autonomiegagnéequinouspermetdecroireennotreindépendancevis‐à‐visduCréateur.AvecleParménideetauprixdequelqueslibertésàsonégard,s’ouvrelapossibilitéd’unconceptnouveau:celuideCréationcontinuée. Ilestbienclairqu’iln’yapasd’idéedeCréation dans le Parménide, encore moins chez les néoplatoniciens pour qui il estimpensablequequelquechoseexisteendehorsdel’Unparfait,éterneletimmuable.Ilssontpanthéistesenquelquesortesic’estbiendeDieudontilsparlent.Iln’empêchequel’onpeuts’autoriseràappliqueràlaCréationl’idéedecerayonnementimmobiledel’Unquidonnel’existenceàtoutcequiestparluietquilemaintientdanscetteexistence.Iln’yapasdesuccessionentredes tempsdifférents,mais,à toutmoment,puissancedel’Un qui tient tout. La Création n’est pas simplement un événement qui se situe àl’originedetoutechose,elleestdetouslesinstants.Nousnoustrouvonsdevantunedonnéefondamentalepourl’anthropologiechrétienne:l’autonomiedel’homme,commecelledurestedelaCréationesttrèsrelative.Ellen’estpasunacquisdéfinitif,encoremoinsunedonnéenaturellemaisundonpermanentdeDieu qui accorde l’existence à chaque instant. Le chrétien, à juste titre, se pense

responsabledesesactes, ilestpersuadéqu’il conduitsavied’unemanièreautonome,mais cela se passe sur un fond de dépendance radicale: Dieu est toujours là pour letenir, le maintenir dans l’existence et lui donner la vie. Dieu qui semble absent, quisembleavoirachevésontravaildeCréationnepeutseretirertotalementpuisquec’estpar luique tout est. Ladifficultédu chrétienestque laprésencedeDieuqu’il affirmedans la foi n’est pas cequ’il ressent leplus fortement. La sensationde vide l’emportesouvent.L’image platonicienne ou néoplatonicienne de l’Un rayonnant au centre de tout etportanttoutcequiexiste,estparticulièrementappropriéeàcequ’estDieu.Iln’yapasdefoichrétienneendehorsdecetteperceptiondenotredépendanceradicaleetdetouslesinstants.Ladeuxièmeétapedécisivequinousestpermiseparcetexteestlapossibilitédepenserl’unitéde l’homme.Chez lePlatond’avant leParménide ilyavait,semble‐t‐il, l’idéedesuccessionentreuneâmepréexistanteetimmortelleetl’apparitiond’unhommeparlachutedel’âmedansuncorpssoumisauxchangementsetquiestsontombeau.RiendeceladansleParménidepuisquetoutexisteenmêmetemps,sansqu’uneextérioritésoitimaginable. Ce n’est pas la peine d’attendre la mort pour penser sortir de notreenfermement en nous libérant de lamatière. L’effort de purification est constant quinous permet de remonter vers l’Un au moyen de la philosophie et des religions àmystèrespuisquelesfrontièresentreles5niveauxnesontpasétanches.Noussommesprisdansuntoutetnonpasdesélémentsséparésdevantgérerleuravenirparticulier.Ilnousfaudrapoursuivrenotreréflexionsurcesujetavecl’aided’autrespenseurspourpréciserl’intuitionplatonicienneetlarendreaccessiblepouraujourd’hui.

LesmystiquesÀlasuitedesnéoplatoniciens, lesmystiqueschrétiensontpoursuividans la directionqu’ils avaient prise. L’accent est mis par eux sur l’interpénétration de Dieu et del’homme.Ladépendancedusecondparrapportaupremiersetraduitdumêmecoupparlaprésencedivineenchaquehomme.CedernieresthabitéparDieuet l’humanisationde Dieu en Jésus‐Christ a pour corollaire l’ouverture à la divinisation pour l’homme.Ceux qui sont en lien direct avec les néoplatoniciens sont essentiellement Denysl’Aéropagite,discipledeProclosetMaximeleConfesseur(580‐662).Maxime le Confesseur, moine byzantin théoricien de la déification de l'homme, estconsidérécommel'undesplusgrandsthéologienschrétiens.Éminentdéfenseurdelafoichrétienne,ils'opposaàtouteslesformesd'hérésiestelquelemonothélisme,doctrinesoutenueparl'empereurbyzantinetquiattribuaitauChristuneseulevolontémaisdeuxnaturesdifférentes.MaximefutalorsexcommuniéparlesÉglisesd'Orient.Ettorturé,ilmourutenexil.Destind'autantplusparadoxalquequelquesannéesaprès samort, sadoctrine de la déification de l'homme fut adoptée au Vème concile œcuménique deConstantinople. Maxime soutient en effet que l'accomplissement naturel de l'hommerésidedansl'épanouissementdesanaturedivine.Unépanouissementsuprêmedevenupossible grâce à l'exemple du Christ : Dieu fait homme pourmontrer à l'humanité lechemindelaDivinité.L'hommepeutalorsréaliserquelaseulemanièredes'uniràDieuestdenepasLevoirextérieuràlui.«L'EspritSaintn'estabsentd'aucunêtre»,soutientMaxime leConfesseurajoutantque leVerbedeDieu se révèleennousen fonctiondenotre ouverture spirituelle. Dieu nous aime donc au point de nous laisser libres derefuser ou de faire grandir Son Esprit. En faisant de la divinisation de l'homme laquintessence de sa doctrine, Maxime le Confesseur propose ainsi une orientation

nouvelleànotreexistenceàsavoirdévelopperl'AmourdeDieuquiestennousjusqu'àdeveniràsonimage:porteuretresponsabledel'humanitécommedetoutelacréation.Enoutre,considérantcettedernièrecommeunemanifestationdesonAmour,Maximesoutientque l'hommeestdestiné à retrouver son rôlede créateur cosmique.Dès lorsqu'ilacceptedes'ouvriraudondeDieu,iléprouveledésirderépondreàsonAmourencréant à son tour sa propre « liturgie cosmique »… Des œuvres majeures de SaintMaximeleConfesseur,nousretiendronssesinterprétationssymboliquesdelaliturgieetses « œuvres ascétiques » ainsi que ses fameuses lettres qui dévoilent, au‐delà dessubtilitésdel'exégèteremarquablequ'ilest,unêtrepleind'Amouretd'humilité.

On retrouve aussi leur influence, sans doute sous forme indirecte, chez lesmystiquesallemandsduXIVesiècleEckartetTaulerpuischezThérèsed’AvilaetJeandelaCroix.LesmystiqueschrétiensontnourrileuravancéespirituellegrâceàlatraditionissuedePlaton. Il estprobablequepeud’entreeuxavaient lu leParménide,peut‐êtrecertainsont‐ilseuéchodesécritsdeDenysl’AréopagiteoudeMaximeleConfesseur,ilssesontentoutcasinscritsdanscettemouvanceparticulièredel’Égliseetl’ontportéeàsonplushautniveau.

Enquoi leuranthropologies’enest‐el letrouvéemarquée?NulmieuxqueJeandelaCroixnes’estmontrésensibleaumystèredel’Un,àl’approchede l’innommable qui s’achève dans le silence de la contemplation et dans la nuit. Laconséquence chez lui, mais on la retrouve chez tous, est dans la certitude d’unedépendance totale par rapport au Créateur. Pourtant, la perception de cette distanceinfinie ne le réduit pas au silence. Il parle beaucoup tout en gardant la conscience del’inadéquation entre ce qu’il dit et la réalité de Dieu. D’où, en particulier chez lui,l’utilisationdes imagesetde la formepoétique. Il a vécuexistentiellement ladistanceentrel’UnetleTout.Laconscienceaigüedecettedépendancetotale,loindeledéprimeroudelerabaisser,lefaitentrerdansuneespéranceinfinie:ilpensepouvoirdevenirDieuparparticipation.BiensûrcelapassepardespurificationsoùDieuestautantacteurquel’homme.MaîtreEckartprendl’imagedelabûchequicraquesousl’actiondufeuquilatransforme.Elleserareprise tantpar Jeande laCroixqueparThérèse.Lesparolesde Jeande laCroixsonttrèsfortes:«Unefoisquel’âmeestunieàDieu,transforméeenlui,elleaspireDieuenDieu,etcetteaspiration est cellemême de Dieu, car l’âme étant transformée en lui, il l’aspire elle‐même en soi. C’est là, je pense, ce que saint Paul a voulu dire par cesmots:Voici lapreuvequevousêtesdesfils:envoyésparDieu,l’EspritdesonFilsestdansnoscœurs,etilcrieverslePèreenl’appelant:Abba!Voilàcequialieuchezlesparfaits.Nenousétonnonspastoutefoisdesavoirl’âmecapabledeparveniràunetelleélévation.DèslorseneffetqueDieuluidonnelagrâcededevenirdéiformeetunieàlaTrèsSainteTrinité,elledevientDieuparparticipation.»Cantiquespirituel38,vendredidela18èsemaine.Lesmotssonttellementfortsqu’ilsontposéproblèmeauxgardiensdudogme.N’était‐cepas tropdirede l’homme?N’était‐cepasporterombrageà lagrandeurdeDieudemontrerunhommeaussiprochedeluietavecdetellespromesses?Lesmystiquesontsouvent été suspectés de panthéisme parce qu’ils ne marquent pas suffisamment ladistancequiséparelaCréationdesonCréateuravecledangerdemélangercréationetprocession.Sansdoutelesquestionssesont‐ellesestompéespourquecettelectureaitprisplacedansla«liturgiedesheures»…

UnhommehabitéUnetellecapacitédel’hommen’estpaspropreàl’individuprisisolément,unepropriétédont il pourrait se prévaloir ou une faveur qu’il pourrait gagner par ses mérites.L’origineesttoujoursàchercherenDieuquidonnesavie.L’hommedesmystiquesestunhabitéparDieu.La remarque n’est pas particulièrement originale puisqu’elle est dans la ligne de laGenèsequiparled’unhommecrééàl’imagedeDieuoubiend’unhommeenquiDieuamissonesprit,sonsouffle.Pourtantelleprendaveclesmystiquesunreliefparticulier,elle est commepriseà la lettrepar ces spirituels, l’idéeestpoussée jusqu’à l’extrême.L’image de Dieu, le souffle divin qui habite l’homme devient une réalité quasimentmatérielle.Cen’estplusunevagueimagemaisuneévidenceconcrètedanslafoi.MaîtreEckhartparleainsid’uneétincelledivineprésenteenchaquehomme.Lebutdelaviespirituelleestdelaretrouver,deremonterjusqu’àelle,decommunieravecelleafinqu’elleprennedeplusenplusdeplace,aupointdeprendrel’hommedanssonentieretdedevenirDieuparparticipationàcetteétincelle,dèsl’aborddéjàlàmaisquidoittoutembraser.Onrevientàl’imagedelabûchequitouchéeparlaflammedivineprendfeuàson tour et se trouve complètement transformée par elle. Au delà de l’image il s’agitd’uneprésenceréelleplusqued’unsentimentalismereligieux.LadémarcheestsemblablechezThérèsed’Avilaqui,danssonChâteauIntérieur,nousinvite à remonter progressivement depuis les faubourgs de nous‐mêmes jusqu’audonjon central où habite le Maître. Il s’agit d’aller à la rencontre de Dieu en ledécouvrant toutproche, présentdans chacunedespersonnesqu’il irradie, à partir deleur centre, par son amour et sa vie. Dieu est là et c’est là qu’il faut le chercher, ens’éloignant progressivement de ce qui nous détourne de l’essentiel, en renonçant auxfaussetésdenotre imagination,enpassantrésolument lesbarrières lesunesaprès lesautres et en se gardant de revenir en arrière. La présence de Dieu est une présenceréellepourelleaussietnonunevagueimagecenséeencouragerlesfoisdéfaillantes.

«Çabaigne»pourJeandelaCroixJeande laCroix estmoins sensible à cettenotiond’habitation. Il utilisedepréférencedeuxautresimages:commeMaîtreEckartlefeuquisecommuniqueetdanslequelonentre,oubiencelledel’eaudanslaquelleonbaigne,parlaquelleonestportéetmêmequi nous pénètre comme dans une éponge. Être capable de Dieu, devenir Dieu parparticipationestpourluidavantagelamarqued’unabandon,d’unlaisser‐allerpourqueDieuprennelaplace.Pourtantnousvenonsdedirequel’eaupénètreauplusprofonddel’âme et le feu, en s’en prenant à la bûche dont parlent aussi les autres mystiques,pénètre jusqu’à l’intime. La démarche n’est pas en contradiction avec la précédente,mêmesilemouvementestinversé.Le danger de ces approches est le panthéisme d’où ce courant spirituel est issu.L’accusationestrégulièrementadresséeauxmystiques.Ilsconfondraientprocessionetcréationsupprimanttouteexistencepersonnelleaucroyant.ParCréation, l’hommeestposéà l’extérieurdeDieusansque les liensavec luisoientrompus,sansque l’hommeperdesadépendancebienqu’ilgardesonlibrearbitre.L’équilibreestdifficileàtrouveret il est impensablepourunnéoplatonicienqui refusede sortirde sa logiquede l’Un.Jean de la Croix est particulièrement vigilant sur ce sujet et il reste fidèle à la sainedoctrine!Ilinsiste,quandilprendl’imaged’unflambeauquisemêleaugrandfeusurlefaitquelapetiteflamme,sielleseperddanslegrandfeu,restepourtantconscientedesonexistenceparticulièreetdecequ’elleestaiméepourelle‐mêmeparDieu.Demême

lagoutted’eauquiseperddans l’océan,demeureunegoutted’eauparticulièrequinedisparaîtpasquandellerejointl’océan.Lerespectdel’individualitédechacundontlapersonnaliténeseconfondpasaveccelledu groupe, la responsabilité personnelle sont des grands acquis de la culture judéo‐chrétienne. Lamystique chrétienne respecte cettedimensionet sedistinguepar làdebiend’autres spiritualités ou courants depensée. Elle est capablede jouer sans cesseentrecequidépasse l’hommeetenconstitue la sourceet cequi faitqu’il se construitdans son unicité. La gymnastique se révèle difficile mais féconde et elle constitue lecorps de l’anthropologie chrétienne. Les cultures traditionnelles, centrées sur unindividumêlé à un groupe dont il a dumal à s’extraire, ne tiennent pas face à cetteexigence qui place chacun dans son individualité, responsable de ses actes et habitépersonnellement par le souffle de Dieu. L’homme prend individuellement une dignitéincomparablequifaitqu’ilnesupporteplusd’êtrenoyédansunemasseindistincte.Ellesaitjouerégalemententrelalégitimeaspirationàlapureté,duspirituelquisesentembarrasséparsadimensionmondaineetvoudraitêtredébarrassédeseslourdeursetlerappeltrèsfortdel’Incarnation,delaréalitéd’unDieuquinousarejointsjusquedansnotre dimension terrestre, jusque dans la souffrance. Dieu nous invite à le rejoindredanslamatérialitédenotreexistenceetnonpasennousenévadant,enutilisanttouteslesressourcesdenotreêtre:intelligence,imaginaire,action…Lechrétienauncorpsetle Verbe s’est fait chair nous ouvrant une voie de salut qui prend en charge tous lesaspectsdenotrehumanité.Toutcelaestabominablepourunnéoplatonicien,alorsquel’hommemystique est emporté vers Dieu avec toutes ses qualités et dans toutes sesdimensions.

DesphilosophesDans lamême ligne, c’est‐à‐dire cellequiparlede l’origineetqui la considère commeconstamment en activité, se placent des philosophes comme Spinoza et Bergson etmêmeDescartes.CederniereneffetestpartisandelathéoriedelaCréationcontinuée,maiscen’estpasdirectementlesujet.

Spinoza1632‐1677Danssaphilosophie,SpinozapartdeDieucommelasourcedetoutcequiexiste,toutàfait dans la perspective de ce que nous avons vu du Parménide. En cohérence avecPlaton, sans se référer à lui, Spinoza refuse l’idée de transcendance et de Création,pensant qu’il n’y a rien en dehors de la réalité de Dieu, qu’aucune extériorité n’estpossible.LagrandedifférenceaveclaperspectivestatiquedePlaton,estquecelledeSpinozaestessentiellementdynamique.Dieun’estpaslasourceimmobiled’unmondequienallantvers le mouvement et le changement perd de sa perfection, il est au contraire uneénergiequiparcourt tout cequi existe, une sortede flux vitalqui emporte tout, de lamatièreàl’esprit,dansunélanfondamental.Spinozaestlephilosophedelaviedanscequ’elleadeplusbouillonnant.Sil’onveutseréférerauxgrandsancêtres,Spinozaprendlasuited’Aristotequandilopposelanaturanaturansàlanaturanaturata.Cettedernièredésigne lanatureen tantqu’elle est achevée, immobile, commeunproduit finiquinedéploie plus de nouvelles possibilités puisqu’elle les a toutes réalisées. La naturanaturansaucontraireestencorepleinedevie,depossiblesnonaboutis impatientsdevoir le jour, elle correspond au dynamisme que Spinoza découvre dans la réalité endevenir.Tout est donc en Dieu pour Spinoza, il faut se placer de son point de vue pourcomprendre toutechose,dans laperspectivede l’éternitéetnonàpartirdepointsde

vueétriquésparcequemanquantd’envergure.C’estpeut‐être tropdirequed’appelerDieucetteforcedevieentraindeseréaliser.PlatonappelaitUnlaréalitéquienglobetout. Nous chrétiens avons tendance à traduire par Dieu, mais c’est déjà dépasser lapenséedePlatonqui n’avait probablementpas ce genredeperception. Probablementparce qu’il y a des passages surprenants chez lui, peut‐être apocryphes et issus demilieuxchrétiens,voulantvoiràtoutprixenPlatonunannonciateurduchristianisme.Spinozahésitequandils’agitdenommerlasourcedelavie.IlparledeDeussivenatura:DieuoulaNature.L’intérêtdel’hésitationestqu’ellerejointlaconceptiondebiendenoscontemporains, tentés de diviniser la nature, d’en faire l’origine active, parfoismêmeconsciente de toute réalité. Un film commeAvatar développe cette idée d’une sourcevitalevenantd’unarbresacré,maisontrouveunpeupartoutdesexpressionsderegretdes religions naturelles ou des phantasmes de communion avec la nature. Il faudraitrespecter les arbres, les animaux et les océans aux dépens des hommes s’il le fautpuisqu’ils représentent le danger le plus grand pour la planète. Un autre film grandpublic,Océans,développecepointdevueetopposelabeautédesmersetdeceuxquileshabitent à la cruauté des hommes et leur capacité de nuisance. Il croit, il est vrai, leshommes capables de conduites plus responsables et propose une cohabitationpacifique; ilnefaitpaspartiedeceuxquinefontplusaucuneconfianceenl’humanitéquel’onclassedansladeepecology.En harmonie inconsciente avec Spinoza, beaucoup de nos contemporains parlentégalementde«leurnature».Ilsontdescapacitésquileurseraientnaturelles,desdésirsetdesaversionsquiviendraientdeleurnatureetcontrelesquelsiln’yauraitrienàfaire.Spinozaestdanscettemouvance,considérantmêmequelelibrearbitreestuneillusiondue au fait que nous ignorons les causes qui conditionnent nos actes et nos pensées.Nous sommes pris dans le courant vital qui vient deDieu ou de la nature et la seulealternativequinous reste estd’aller à contre‐courantpournotremalheuroudenouslaisseremporterparlecourantpournotreplusgrandprofit.Làestl’éthiquequ’ilnouspropose.D’origine juiveetbienque trèscritiquevis‐à‐visdecette religion,Spinozareprenduncertain nombre de thèmes bibliques qui orientent sa pensée et donnent un éclairageintéressantànotrepoursuited’uneanthropologiechrétienne.

• La Shekinah tout d’abord. Dans la pensée juive, elle fait contrepoids à ladistinction entre Dieu et sa Création. Le monde est habité par la présence deDieu,d’unemanièreconstanteouépisodique,maistoujoursdynamique.Dieuestprésent à son peuple et à des personnages particuliers. Il habite parmi leshommes.CetteconceptionestprofondémentancréechezSpinozaquiconsidèrele monde comme vivant, habité par un dynamisme essentiel. Dieu s’il est lemondeestaussilaviedumonde,sonénergie,sondynamisme.L’hommenepeutquesesentiràl’aiseauseindecemondepleindevieetdepromesses.

• Le salut ensuite est lié à la connaissance intellectuelle de Dieu liée à l’unionaimanteaveclui.L’hommeparticipeàsonsalutenadhérantàlavolontédeDieugrâceàsonintelligence.Cettedernièren’estjamaisuneactivitéabstraitepourlui,ellen’estpaspurementintellectuellepuisqu’ellesupposelacommuniondetoutl’êtredel’hommeaveccequ’ildécouvre.ConformémentàladoublesignificationduverbeconnaîtredanslaBible,onnepeutpasconnaîtrevraimenttantquel’onn’aimepasdanslemêmeélan.Lelienentrelaconnaissanceetl’amourphysiqueestbienconnuettrouverasonpleinaccomplissementgrâceàlaparoledeJésusetàsesactes.

• Dans la même ligne, l’immortalisation de l’âme est liée au progrès dans laconnaissancedeDieu.Cen’estpasunepropriéténaturelledonnéeunefoispourtoutemaisunprogrèsàréaliserenvued’unaccomplissement.Àlabaseilyaleconatus, c’est‐à‐dire l’effort ou le dynamisme interne à chacun qui pousse àpersévérerdansl’être,unecapacitéàluttercontrelamort,l’amoindrissementouladisparition.Leconatusestprésentdanstouslesdomainesdelaréalité,mêmedans lamatièreoù il s’estquelquepeuenkysté. Il estparticulièrementsensibledanslemondevivantetsurtoutchezl’hommeoùildevientmêmeconscient.Leconatusestledonnéfondamentalquifaitquechacunluttecontrelamortetmeten jeu toute son énergie pour se développer et grandir. Ce combat pour la viepermetà l’hommed’acquérirunecertaine individualité,uneréalitépersonnellequisurvitalorsenDieu.Nousretrouvonslesoucidesmystiqueschrétiensdenepassefaireavalerparletout.

• Labéatitudecomplètecequiprécèdeet l’achève.Elleest liéeà lagloire,kabod.Elledésignelajoiedel’hommequi,uniéternellementàDieu,estlui‐mêmeélevéau niveau de la gloire de Dieu. Il ne s’agit donc pas d’une union qui se faitautomatiquement,ellen’estpaslaconséquencesystématiquedudynamismeduconatus. Elle suppose des choix et des acceptations de la réalité et de sesexigences.C’estpourcelaquel’Éthiqueestl’ouvrageprincipaldeSpinoza:lavien’estpasquesoumissionàuneforcesupérieure,elleestparticipationactive.

• Ledernierélémentquidécouledelarecherchedelabéatitudeestlasupérioritédelajoiesurlatristesse.Spinozaestunphilosophedelajoie.Ilcondamnetoutascétismedans lamesureoù ilvaà l’encontrede lanature.En fait,celuiquivadans lesensde lanatureoudeDieu,entredans lecourantqui leporteversunmieuxetunplusdevie.Faisantainsi,ilaugmentesonconatus,ilsentgrandirlavieenlui,ilreconnaîtqu’ilsedéveloppeparcequ’ilagitconformémentàcequ’ildoitfaireàcequ’exigesanature.Lajoiealorsmonteenluiaufuretàmesurequesonidentitésedilate.Quandaucontraireilrésisteàlanature,aucourantdevie,oupires’ilessayed’alleràcontre‐courant,ilatendanceàsescléroserparcequ’ilfait obstacle à ce qui permettrait son développement et il est envahit par latristesse. C’est pour cela qu’il fait connaître Dieu ou la Nature, savoir quellesattitudesprendre,quelschoixeffectuerpourprofiterpleinementdel’existence,àconditionbiensûrdes’engagerensuitepleinementetdetoutsoi‐mêmedanslesdirectionsreconnuespositives.Lareligionpeutaiderlesgenssimplesàfairelesbons choix,mais la philosophie a la préférence de Spinoza parce qu’elle est laseule capable de nous ouvrir à une connaissance adéquate, combinant laconnaissanceetl’amour,informantpleinementlavie,donnantaccèsaubonheurparfait.

LesouverainbienestselonSpinoza«laconnaissancedel’uniondel’espritavectoutelanature.»Unenaturequin’estpas simplement l’ensembledes réalités existantes, cellequ’Aristoteappelait la«naturenaturée»,maisaussietsurtoutla«naturenaturante»,origineetsourcedynamiquedetoutelanature.Ilauraitsûrementtrouvétropétriquéeslesaspirationsdesécologistesdenosjours.L’anthropologiedeSpinoza,sil’onmetdecôtéuncertainnombredesesaffirmationsquine sont pas en cohérence avec notre foi, comporte beaucoup de propositionsenrichissantes pour une anthropologie chrétienne en particulier quand elle cherche àretrouver le lien avec la Création et avec la dynamique divine qui la parcourt.L’invitation à la joie, à celle qui naît de l’impression de plénitude que l’on peut avoirquandonsesentbiendanssoncorps,biendanssonmonde,bienavecDieuetavecles

autres, estune situationquebeaucoup recherchent, unevisiondubonheur tout à faitcompatibleavecnotrefoi.Mêmel’ascétismeetlafrugalitépeuventêtreprisencomptedans la mesure où, loin de détruire la vie, ils lui permettent de s’accomplir pluspleinement.Pour cequinous concerne cependant, la vision résolumentoptimistedeSpinozapeutinterrogerdanslamesureoùlarecherchedelaplénituden’estpasobligatoirementgagedeprogrès.Mais ilnenousappellepasàuneplénitudeaurabaisquipasseraitpardepetites satisfactions ou des paradis artificiels. Rappelons qu’il s’agit d’un amourintellectuel qui combine la réflexion éthique et l’engagement concret dans la vie, lacommunion dans l’amour et la prise de distance critique qui nous fait sortir del’immédiateté des sensations. Le développement du conatus ne passe pas par lasatisfactiondenosenviesimmédiates,ilseméfiedessensations,ilestprisededécisionsmotivées.Nousnesommespastrèsloinégalementdecequenousavonspudiredelamystique.Lefaitdeserapprocherde lasourcedynamiquede l’amourpeut‐êtreconsidéréecommeune aventure spirituelle. Spinoza était‐il croyant en Dieu ou non, il est difficile detrancheretcelarelèvedel’intime,d’autantquelaréponsenousintéressepeutantquenous ne désirons pas devenir spinozistemais simplement nous laisser influencer parcertainsélémentsdesapensée.

Bergson1859‐1941FilsdelaTerre.L’expressionestdevenueunpeumoinsabstraitegrâceàladémarchedeSpinozaquinousmontreunhommequisurgitdelanatureetestportéparelle.Bergsonest plus proche de nous dans le temps et il a adhéré aux thèses transformistes, à lathéoriedel’évolutionetpourluiaussil’hommeestprofondémentancrédansl’histoiredumonde,ilestlefruitdel’évolution.Labasedesaconvictionestscientifiquemaisill’adéveloppée philosophiquement et spirituellement. Selon lui l’histoire dumonde n’estpas rectiligne, elle n’est pas la suite logique d’événements ou de transformations quis’enchaînent logiquement d’une manière linéaire. Elle est plutôt foisonnante etbuissonnante, c’est‐à‐dire qu’au fil de l’évolution la nature produit une quantité denouveautés, viables ou non, entre lesquelles se fait une sélection naturelle. Elle nefonctionnepasàl’économie,évoluantjusteseloncequiestnécessaire,ellesedéveloppeen tout sens, d’unemanière tellement variée, voire improbableque le résultat étonnepar sa diversité. La vie est essentiellement mouvement ce qui ne l’empêche pasd’instaureruneprogressiond’unindividuàl’autre,d’uneespèceàl’autre.Ilyauneforcequitranscendelesvivants,unélanvitalquiprendtoutcequiexisteetsortlanaturedesessclérosestemporairesenlapoussantsanscesseversl’avant,versdesnouveautés,eninventantdesformesdevieinédites.La vie est un seul et même élan, chargé de virtualités multiples. Elle échappe auxexplications mécanistes et finalistes: elle s’invente dans les espèces. L’élan vital sedéfinitfondamentalementcommeuncourantd’énergiecréatriceopposéàlamatièrequiatendanceàsefigeretdirigéverslaproductiond’acteslibres.«Leschosessepassentcomme si un immense courant de conscience … avait traversé la matière pourl’entraîner à l’organisation et pour faire d’elle…un instrument de liberté.»L’Énergiespirituelle.Àcequiestdur,stable,immuable:lamatière,s’opposel’énergiespirituelle.Cequiestmatièresereproduitàl’identiqueselonleprincipedel’entropie,alorsquelespirituel inventeconstammentdes formesnouvelles,bouscule l’ordreétablipour fairesurgirdel’inédit.Grâceàcettedernièrelemondevaversunplus,aulieudesedirigerverssafin.

Danscetélanvital,l’hommeest,commetouslesautresvivants,unproduitdelavieetdeson évolution, au moral et au physique. L’humanité n’est qu’une espèce animale, ladernière apparue et le terme de l’évolution sur la terre. L’homme n’est pas le but del’évolution, car l’élan vital ne poursuit aucun but précis. Néanmoins, on peut leconsidérercommela«raisond’être»del’évolutionsurlaterre.L’humanitéestlaseuleespèce, en effet, dans laquelle l’élan vital est parvenu à surmonter la résistance de lamatière. Sa supériorité, l’homme la doit à celle de son cerveau. Dans l’humanité,l’évolution peut donc se poursuivre sous la forme de créations spirituelles, dumoinschezcertainshommesd’exception:scientifiquesetmystiques.L’univers est l’œuvre d’une conscience créatrice qui le construit progressivement, quicontinue à le mettre en œuvre. L’univers «n’est pas fait, mais se fait sans cesse.»L’évolution créatrice. La question de Spinoza se pose également pour Bergson: Deussive Natura? Bergson insiste particulièrement sur la dimension spirituelle, sur uneénergiequin’estpasaveuglepuisqu’émergeenelleuneconscienceorganisatrice.ProgressivementdanslapenséedeBergsoncetélanvitalprendralaformedeDieuetduDieudeJésus‐Christ,jusqu’àlefairepratiquementadhéreràlafoichrétienneverslafinde sa vie. Il conçoit le Créateur comme en continuité avec son œuvre dont il estimpossible de le détacher radicalement. Dans une pensée proche de celle de Hegel,Bergsonestimequec’estdesaproprecroissancequesurgitetdurel’univers.Immanentàsacréation,ilest,enoutre,commeelleinachevéetendevenir.«Dieun’ariendetoutfait».L’évolutioncréatrice.Mais,d’autrepart,Dieuneseconfondpasavecl’univers:ilneseréduitpasàchacunedesescréationsetauprincipequicontinuede l’animer,nimême à leur ensemble puisqu’il est la source incessante de mondes nouveaux. Onretrouve chezBergson la difficulté de sortir du panthéisme et pourtant il s’efforce dedistinguerl’élanvitalquijaillitdeDieuetDieului‐même.BergsonalesoucidelaisseràDieu une indépendance absolue, d’empêcher qu’il soit récupéré et enfermé dans unedémarcherationnelle.Ildistingueàsafaçonl’UnetleTout.Il s’appuie pour cela sur l’expérience mystique qui le fascine puisqu’il fait de ceshommesd’exceptiondes sommetsde l’humanité. Lesmystiques complètent l’intuitionphilosophique en révélant la nature de Dieu, en y participant, au‐delà de la réflexionintellectuelle, dans le concret d’une expérience bouleversante. Le grand mystiqueaperçoitqueDieuestunélan,cetélanestuneémotionetcetteémotionl’amour.Dieuestamour et c’est pour cela qu’il est créateur, «l’énergie créatrice devant se définir parl’amour»Lesdeuxsourcesdelamoraleetdelareligion.Lemysticismeestlafinprécisequepoursuit lavieetà l’égarddelaquelle lerestedelacréationn’aconstituéquedesétapesetdesmoyens.Cessommetsnesontatteintsqueparunpetitnombred’hommesexceptionnels, ce qui n’empêche pas lamajorité de s’approcher de ce qu’ils ont vécuparcequec’estavanttoutuneexpériencehumaine.Lemysticisme,parexemple,introduitàlavraiemorale.Soustoutessesformes,celle‐ciconsisteàagirdans lesensde laviecequiestaccessibleà tousàdiversdegrés.Maisc’estlorsquelavolontécoïncideavecl’élanoriginelpourlecontinuer,qu’elleatteintsaperfection.Nous continuonsàvoir sedessiner,quoiquede loin, les contoursd’uneanthropologiechrétiennequireposefondamentalementsurl’affirmationdurapportàl’originequeleschrétiensappellentDieu.UnDieuquigardesonmystèremalgrétoutes lesrévélations,maisunDieud’oùtoutprovient.Sourceunique, il fautlarévélationchrétiennepourledétacherdesaCréationtantlacontinuitésembleforteentreluietsonœuvre.

D’autres hésitations viennent quant à savoir si l’origine est divine ou bien naturelle.Nous sommes capables désormais de ne pas mettre d’exclusive entre les deux parcequ’ellesnesontpasdumêmeordre:l’originenaturelleestinclusedansl’originedivinecommesonprolongement,Bergsonnous l’a faitsentir.Filsde laTerreetFilsdeDieu,nous gardons les marques de cette double origine. Notre origine naturelle, animaleexpliquebiendenoscaractéristiquesetpourtantBergsonmontrecombien l’élanvitalqui nous anime et nous dépasse a pour nous un projet particulier, il parvient à laconsciencequandilarrivejusqu’àl’homme.L’élanvitalquirestaitencoreabstraitchezSpinoza devient un élan d’amour avec Bergson; il touche alors à la morale et l’oncomprend mieux comment il est possible d’y entrer librement et d’y participeractivement.L’hommeestanimé,maisilsesaitégalementaimé,unamourrépondàsonespérance et la suscite. Il est construit par une force d’amour qui le reconnaît etl’appelle.L’approchemystique,plusgénéralementspirituelle,apporteuncomplémentàl’approche scientifique parce qu’elle interprète à la lumière de la foi des faitsobservablesparailleursetparcequ’elledépasseladémarcheintellectuelleLa dépendance est alors une dépendance amoureuse et elle invite à une réponse quin’estpasqu’auniveaudesidées.LaconnaissancesupérieuredontparlaitSpinozan’enrestepasàlacontemplationextérieuredecequiestconnu.Elledépasselafroideurdel’analysepourinviteràl’adhésionàl’élanvitalquiparcourtlemonde.Leconatuspoursedévelopperdoitentrerencommunionaveclanatureetleprojetqu’ilenperçoit.Àlaconnaissancesuccède l’éthiquequiconforme l’existencepersonnelleaudynamismedelavieparcequ’elleacomprisquec’étaitdanscesensquesetrouvaitpourellelavéritéetl’accomplissementpersonneletcollectif.L’hommequireconnaîtnepastenirparluimêmedansl’existence,serendcomptequece qui le porte est un élan d’amour qui l’appelle à aimer à son tour. En entrant dansl’amour, il entre dans le projet créateur de Dieu, il trouve les fondements de sonexistence,yadhèreetgranditàsontourdanscettedémarche.L’apportimportantdecesdernierspenseursestlemouvement,beaucoupplusbibliqueque l’immobilité platonicienne. Lemonde n’est pas fini, il est toujours foisonnant, entraindesecréeretinvitantàcréeretàvivredansundynamismecréateur.L’hommenesecontenteplusdegérerunhéritageclos,ilestpousséàprendredesinitiativesdanslemonde et à favoriser les projets de vie que porte la nature. Le second principe de lathermodynamique n’est pas le seul parce qu’il n’y a pas que des processusmatérielsfixes et répétitifs, il existe aussi des nouveautés qui surgissent dont l’homme est àl’origine leplussouventquandilentreconsciemmentdans ladimensionspirituelledel’élan vital. Il apprend aussi que son héritage est fragile et que ce qu’il est appelé àconstruirepeutaussisedésagrégers’ilnecontrôlepassonactionsurlemonde.

Levinas1906‐1995LaphilosophiedeSpinoza,nousl’avonsvu,décentrel’individuenluifaisantprendrelaperspective de la totalité: regarder le monde à partir de l’éternité, de Dieu ou de lanature.Ellefaitenmêmetempsdel’éthiqueunepréoccupationdesoi:avecleconatus,je fais tout pour persévérer dans l’être. Deuxmouvements se complètent: celui de lanaturequiestessentieletceluidechaqueêtrequichercheàpersévérerdansl’existence,pourcequiestdel’homme,d’unemanièreconsciente.Levinas cherche à rompre cette dialectique en y faisant entrer un troisième élément:l’autrequis’imposeparsaprésenceetdemandeàêtreprisencompte.Quelquechosevientromprecetinter‐essement,vientmedes‐inter‐esser,mecouperentremoietmoietc’est levisagede l’autre. Il romptmatranquillitéetbrisemonenfermement.Autruiesthorsdeproportionavec la libertédumoi,avecsonpouvoirquisevoudraitabsolu

tellement je suis avant tout préoccupé par ma propre survie, mon développementpersonnel. «Le visage d’autrui met en question l’heureuse spontanéité du moi, cettejoyeuse force qui va…Autrui, comme autrui se révèle dansTune commettras pas demeurtreinscritsursonvisage».Rienn’estsupérieuràl’approcheduprochain«aimerlaTorahplusqueDieu».Voilàcequ’ilécritdansFatamorgana:Autruisedonnedansleconcretdelatotalitéàlaquelleilestimmanentetquelegestecorporel, linguistique ou artistique exprime et dévoile. Mais l’épiphanie d’Autruicomporteunesignifiancepropre, indépendantedecette significationreçuedumonde.Cetteprésenceconsisteàvenirànous,àfaireuneentrée.Cequipeuts’énoncerainsi:lephénomènequ’estl’apparitiond’Autruiestaussivisage;ouencoreainsi:l’épiphanieduvisageestvisitation.Alorsquelephénomèneestdéjà,àquelquetitrequecesoit,image,manifestationcaptivedesaformeplastiqueetmuette,l’épiphanieduvisageestvivante.Sa vie consiste à défaire la forme où tout étant quand il entre dans l’immanence sedissimuledéjà.Autrui qui se manifeste dans le visage, perce, en quelque façon sa propre essenceplastique,commeunêtrequiouvrirait la fenêtreoùsa figuresedessinaitdéjà.Parler,c’est,avanttoutechose,cette façondevenirdederrièresonapparence,dederrièresaforme,uneouverturedansl’ouverture.La visitationdu visagen’est donc pas le dévoilement d’unmonde.Dans le concret dumonde,levisageestabstraitounu.Ilestdénudédesapropreimage.Alorsquelareprésentationvraie,demeurepossibilitéd’apparence,alorsquelemondequi heurte la pensée ne peut rien contre la libre‐pensée capable de se refuserintérieurement, de se réfugier en soi, de rester, précisément libre‐pensée en face duvrai…;alorsque lapensée librereste leMême—levisages’imposeàmoisansque jepuisserestersourdàsonappel,nil’oublier,jeveuxdire,sansquejepuissecesserd’êtreresponsabledesamisère.Laconscienceperdsapremièreplace.Laconscienceestmiseenquestionpar levisage.L’ «absolumentautre»ne se reflètepasdanslaconscience.Levisagedésarçonnel’intentionnalitéquilevise.Ilyaunedifférenceentrelamanièredontnouspercevonslemondehabituellement,lesautresparticulièrement, commeunobjetd’étudeoucommesimplement faisantpartiedemonuniverset lesurgissementde l’autredansmavie.Danscedeuxièmecas, ilnereste pas à l’extérieur comme un simple objet de préoccupation sans significationparticulière, ilme provoque, exige une réponse.Nous passons de la simple visite à lavisitation selon l’expression de Levinas. C’est dire que, par son visage, l’autrem’interpelle et brise ma quiétude habituelle, il exige de moi plus qu’une attentionflottante,ilveutquejem’ouvreàluicommeils’ouvreàmoi.Je suisobligéalorsde sortirde la représentationhabituelleque jeme faisdesautres,marquéeparlespréjugésetguidéeparlesintentionsquiguidentmesfaçonsd’entrerenrelation.Danslesrapportsquej’entretiensaveclemondelefaitquemesrelationssoientmotivées et intéresséesneposepasdeproblèmes: je suis guidéparunprojet contrelequelmonenvironnementnepeutpasréagir.Ilfautsimplementquemadémarchesoitraisonnableetconformeàlaréalité.Iln’enestpasdemêmequandj’abordeautruiparcequ’ilpeutrefusermadémarche,serebellercontremafaçondevenirverslui.Mêmedufonddesafaiblesse,ycomprissijeveuxledominer,voireletuer,ilpeutdire:«non».Lanuditédesonvisagequimeregardemerappellel’interdictionfondamentale:«Tu ne tueras pas». La victime brisée, violée résiste encore à son bourreau en leregardant,ellerappellel’interdit.Il est impossible de rester étranger à l’appel de ce visage, il s’introduit dans maconsciencecommepareffraction,exiged’avoiruneplacedansmondébatinterne,dans

monorganisationpersonnelle. Jepeux lerefuseretpasseroutre, ilest làet jenepeuxl’ignorertotalement.Levinaspoursuitunpeuplusloin:La tracen’estpasun signe commeunautre.Mais elle joueaussi le rôlede signe.Ellepeut être prise pour un signe. Mais ainsi prise pour un signe, la trace a encore cecid’exceptionnelparrapportauxautressignes:ellesignifieendehorsdetouteintentiondefairesigneetendehorsdetoutprojetdontelleseraitlavisée.Cettepositiondanslatracequenousavonsappeléeilléitée,necommencepasdansleschoses,lesquelles,parelles‐mêmes,nelaissentpasdetrace,maisproduisentdeseffets,c’est‐à‐direrestentdanslemonde.Latracecommetracenemènepasseulementverslepassé,maiselleestlapassemêmeversunpassépluséloignéquetoutpasséetquetoutavenir, lesquels se rangent encore dansmon temps—vers le passé de l’Autre où sedessinel’éternité—passéabsoluquiréunittouslestemps.LeDieuquiapassén’estpas lemodèledont levisageserait l’image.Êtreà l’imagedeDieu,nesignifiepasêtrel’icônedeDieu,maissetrouverdanssatrace.LeDieurévélédenotre spiritualité judéo‐chrétienne conserve tout l’infini de son absence qui est dans«l’ordre»personnelmême.Ilnesemontrequedanssatrace,commedanslechapitre33del’Exode.Allerverslui,cen’estpassuivrecettetracequin’estpasunsigne.C’estallerverslesAutresquisetiennentdanslatracedel’illéité.C’estparcetteilléité,situéeau‐delàdescalculsetdesréciprocitésdel’économieetdumonde,quel’êtreaunsens.Sensquin’estpasunefinalité.Levinaspoursuitsonimageduvisagecommeunefenêtrequiouvresurunailleurs.IlyaunAutrequiserévèleàtraverslevisagedeceluiquivientversmoi.Grâceàluisurgituneinterrogationquin’ariendecommunavecl’étonnementquesusciteparfoisenmoila rencontre d’une chose particulière. Au‐delà du «Tu ne m’auras pas» pointel’ouverture d’un absolu, d’une présence infinie, d’une illéitée, d’un tout autre qui selaissedevinerauseinduconcretdelarencontre,contredisantsabanalité.ImagedeDieupourcequiestduvisage,nesignifiepasressemblanceoureprésentation,commedansl’icône,decequipeutêtrecheminverslui.Noussommesimagesparlevidequemanifestelevisagequandnoussommesdansla«trace»deDieu.Ilnes’agitpasdesuivreunetracequinousmèneraitverslui.Ilestabsence,transcendancequirefusedese révélerdans l’immanence. Il nous interrogepar le vide, la béancequi semanifestedans le visagede l’autre commeunequestionpour laquelle il n’existepasde réponsedéfinitive,quiresteàl’étatd’ouverture,deremiseencausedemescertitudesetdemesenfermements.Leschosesne laissentpasdetracesselonLevinas,ellesneprovoquentquedes effets parcequ’ellesne sontpashabitées, il n’y a pasdemystère en elles. Latraceestunequestionquim’amèneàmedemander«quiestpasséparlà?».Elleestàlafoismarquede l’absencepuisqueceluiqui l’a faiten’estplus là etsigned’unpassage.Ellerenvoieàunailleursqu’elle.Leshommessonthabités,ilsportenteneuxuneinterrogation,unvidequiposequestionquandonentreenrapportaveceux.Contrairementauxchoses,ilssignifientplusqu’eux.Les mots utilisés par Levinas sont significatifs puisqu’il parle de Visitation oud’Épiphanie. Comme la Vierge qui, rendant visite à sa cousine, porte Jésus, demêmechaquehommeporteplusquelui‐même,sonvisageestrévélation,commeunefenêtreouverte sur un absolu qui le dépasse. Contrairement auxmystiques qui proposent dedécouvrir Dieu dans une expérience consciente de rapport à lui, vers l’intérieur del’homme ou vers l’extérieur, Levinas propose de chercher à le rejoindre dans unedémarche éthique de rapport à l’autre qui est mon prochain, une démarcheinterpersonnelleplusqu’intime.

Levinasdéveloppedoncàsontourcequenousavonsabordéàplusieursreprises:ilyadansl’hommeplusquelui.Maissapositiondiffèrepuisqu’ilnenousfaitpaspartir denotre individualité,denotreproprehabitationparplusgrandquenous, ildirigenotreattentionversl’autre,dansundécentrementdenous‐mêmes.Regarderunregard,c'estregardercequines'abandonnepas,neselivrepas,maisquivousvise:c'estregarderlevisage.Levisagen'estpasl'assemblaged'unnez,d'unfront,d'yeux,etc., ilesttoutcelacertes,mais prend la signification d'un visage par la dimension nouvelle qu'il ouvre dans laperceptiond'unêtre.Parlevisage,I'êtren'estpasseulementenfermédanssaformeetoffert à la main— il est ouvert, s'installe en profondeur et, dans cette ouverture, seprésenteenquelquemanièrepersonnellement.Levisageestunmodeirréductibleselonlequell'êtrepeutseprésenterdanssonidentité.Leschoses,c'estcequineseprésentejamaispersonnellementet,enfindecompte,n'apasd'identité.Àlachoses'appliquelaviolence.Elle endispose, elle la saisit. Les chosesdonnentprise, ellesn'offrentpasdevisage.Cesontdesêtressansvisage.Peut‐êtrel'artcherche‐t‐ilàdonnerunvisageauxchosesetc'estencelaquerésidentàlafoissagrandeuretsonmensonge.(…)Laconnaissancerévèle,nommeet,parlàmême,classe.Laparoles'adresseàunvisage.Laconnaissancesesaisitdesonobjet.Ellelepossède.Lapossessionniel'indépendancede l'être, sansdétruire cet être, ellenieetmaintient.Levisage, lui, est inviolable; cesyeuxabsolumentsansprotection,partielaplusnueducorpshumain,offrentcependantune résistance absolue à la possession, résistance absolue où s'inscrit la tentation dumeurtre: la tentation d'une négation absolue. Autrui est le seul être qu'on peut êtretentédetuer.Cettetentationdumeurtreetcetteimpossibilitédumeurtreconstituentlavisionmêmeduvisage.Voirunvisage, c'estdéjàentendre: «Tune tueraspoint. »Etentendre: «Tune tueraspoint», c'est entendre: « Justice sociale. » Et tout ce que jepeuxentendredeDieu,etàDieu,quiest invisible,doitm'êtrevenupar lamêmevoix,unique.«Tunetueraspoint»n'estdoncpasunesimplerègledeconduite.Elleapparaîtcommeleprincipedudiscours lui‐mêmeetde la vie spirituelle.Dès lors, le langagen'estpasseulementunsystèmedesignesauserviced'unepenséepréexistante.Laparoleestdel'ordre de la morale avant d'appartenir à l'ordre de la théorie. Ne serait‐elle pas laconditiondelapenséeconsciente? EmmanuelLevinasDifficileLibertép.20‐21Levinas est de tradition juive, mais sa manière de concevoir l’homme est uneharmonique intéressante pour un chrétien à la recherche de ce qu’est l’autre. Il nousobligeàsortirdenosenfermements.L’hommechrétienestunhommepour lesautresautantquepourDieu,selonledoublecommandementreprisparJésus.

TeilharddeChardin1881‐1955Teilhard de Chardin vient au sommet du lent processus que nous avons essayé deretraceraucoursdessiècles. Ilest letypemêmedepenseurattenduparBergson.Parson bricolage entre la poésie, la théologie, la science et la mystique, il a réalisé unesynthèseen rassemblantdeséléments réputésantagoniquesauxyeuxdebeaucoup. Ils’agit d’un essai spirituel qui gagnerait à être imité par le plus grand nombre dechrétienspossible,cesderniersenrestantsouventàdespenséesparallèlesqu’ilsévitentdefairesecroiser,souventparpeur.Leslimitesdesonentreprisenedévalorisentpasl’importancedesadémarchequiaboutitmoinsàunproduitfiniqu’àunvastepoème.

Il estvraique le contexteestdifférent:nousnesommesplusdans lemouvementquianimait larecherchedesontempsdanstous lesdomaines.Lapeurdominedésormaisavec la tentation de se replier sur des acquis, d’arrêter le progrès au profit de larecherche de sécurité et de l’accumulation avaricieuse. Nous ne sommes plus dans ledynamisme du milieu du XXe siècle. La tendance est au repli sur soi, au refus duchangement. Des théories que l’on croyait bien démontrées sont remises en cause, lefixisme reprend des couleurs face à l’évolutionnisme. Avec les fondamentalistes lalecturedestextessefaitpluslittéraleconduisantbeaucoupdechrétiensàdespositionsschizophrènes.De plus, bon nombre de nos contemporains rétrécissent leur vision au présent et aufuturproche.Dece fait ilsontdumalàentrerdansdesdémarchesplus largesoù l’onpeut évoquer le plan de Dieu, où l’homme est pris par un projet plus grand que lui.Même si certains la considère comme une nouvelle religion, l’écologie se résumesouvent à une volonté de retour en arrière et fait preuve de peu d’imagination. Laprotection de la nature l’emporte sur la recherche d’équilibres nouveaux porteursd’avenirpourl’homme.L’apportimportantdeTeilhardaconsistéàintroduireleChristdanslesconceptionsquenousavonsévoquéesjusquelà.LapersonneduChristprendunedimensioncosmiqueàl’imagedupantocratoroudumacanthroposdelagnosequifaitlelienentrel’universetl’homme.Ilestl’alphaetl’omégade l’Apocalypse,dépassantlestempsetleslieux.Àlaplace de la force mystérieuse, que nous avons rencontrée, qui créée le monde etl’entraîne dans son développement, nous avons une personne qui reprend en lui ladynamiquedelacréationetl’incarne.Enluitoutestfaitetc’estparluiquetoutexiste.«LeChristestl’imageduDieuinvisible,lepremier‐néparrapportàtoutecréature,carc’est en lui que tout a été créé dans les cieux et sur la terre, les êtres visibles et lespuissancesinvisibles:toutestcrééparluietpourlui.Ilestavanttouslesêtres,ettoutsubsiste en lui.» Colossiens 1, 15.Même l’hésitation entre le passé et le présent estintéressantepour rendre compted’unChrist qui est audébut et à la fin,mais qui estencoreà l’œuvre,quicréeetparquiaujourd’huiencore toutsubsiste.Cesparolesontunesaveurparticulièrequandellesprennentunedimensioncosmiqueenlienaveclesrecherches scientifiques sur l’évolutionet sur l’intensitéde la viequiporte le réel. Laspiritualitérejoint lesscienceset laphilosophie,bien loindesraidissements frileuxdeceuxquiprétendentdéfendrelamajestéduCréateurenenfermantledéploiementdesapuissancedansleslimitesdeleurpetitecompréhension.Letempss’élargitcommel’espaceetlesFilsdeDieusereconnaissentégalementetdanslemêmemouvementFilsdelaTerreetmêmeFilsdel’HommepuisquedanslapenséedeTeilhard,l’humanitéprendsaplaceàsontourdansledéveloppementdelaCréationetdansl’accélérationdel’évolution.Celam’étonneraitqueDieuaitquelquechoseàfairedenosstratégiesdedéfenseridiculesde la littéralitédecertains textesbibliques.Prisdans lemouvementduChristquientraîne lemonde, l’hommeacquiertàson tourunedimension cosmique et une unité impressionnante. Le salut en Jésus‐Christ se met àconcernerl’universentier.Lesgrandspenseursdel’humanitésontmisendialogue,undialogue à peine esquissé, rempli d’imprécisions et d’approximations, mais qui nedemandequ’àêtrepoursuivi,sansindifférencenianathèmes.

UnpeudethéologiePour finir par un peu de théologie, très peu!, histoire de faire le lien entre cettedépendanceradicaledeDieuquenousavonsessayédedévelopperjusqu’àprésentetceque les théologiens disent de la grâce. Il existe deux types de grâces: la grâce

sanctifianteetlagrâceactuelle.J’aicherchésurinternetàcomprendredequoiils’agitetvoicicequej’aitrouvé…Lagrâcesanctifiante,ouhabituelle,estlamanièredontDieunouspermetd’entrerdansla viedivine, departiciper aumouvementd’amourqui unit la sainteTrinité. La grâcesanctifianteestunétat,undondeDieu,lecommencementdelavieéternellesurlaterre.Ellenécessitelebaptêmeparaît‐ilmaisjenecomprendspaspourquoilesnon‐baptiséesenseraientprivés!JepréfèreraisyvoiruneconséquencedelaCréationmaisilfautbienjustifiercesacrementetl’avantaged’êtrechrétiens!Lagrâceactuelleestdonnéeàtousleshommes,ellenouspousseàagirverslebien,elleéclairenotreintelligenceetinspirenotrevolonté.Pourprendrel’imaged’unbateau,lesvoilessontlagrâcesanctifiante,ellessontstableset durent, la grâce actuelle est le vent qui souffle et nous permet d’avancer. Les non‐baptisésauraientleventmaispaslesvoilesquivontavec…,cequinedoitpaslesaiderdansleurnavigation.La grâce sanctifiante est un don habituel, une disposition stable et surnaturelleperfectionnant l’âmemêmepour la rendre capable de vivre avecDieu, d’agir par sonamour.Ondistingueralagrâcehabituelle,dispositionpermanenteàvivreetàagirselonl’appeldivinetlesgrâcesactuellesquidésignentlesinterventionsdivinessoitàl’originedelaconversionsoitaucoursdel’œuvredelasanctification.Ladifficultévientdufaitque,sil’onconsidèrelagrâcecommeundon,notreimaginairepeutfairepenseràuncadeauquiseraitextérieuràceluiquiledonne.Or,parlagrâce,c’estDieului‐mêmequisedonne, ilnousfaitparticiperàsavie,cequinousramèneànotrerecherche.Iln’ariend’autreàdonner.Noussommesdonctrèsprochesdecequenousavonsditjusqu’àprésent.Ilsemblequelagrâcesanctifiantenesoitpasl’œuvredecréationdechaque instantpar lePèrepuisqu’elle suppose lebaptême,cequiestbiendommage!!!Onpeut souhaiter cependantque lesnonbaptisésn’ensoientpasexclus.Cecidit, la grâceactuelle c’estbienaussipuisqu’ellemontre la sollicitudeduPèrequidonnelavieàtoussesenfants,baptisésounon,et leurpermetdevivreetd’allerverslui.Que tirer de ce parcours pour une définition d’une anthropologie chrétienne qui voitl’hommecommeessentiellementdépendantd’unesourceextérieureà lui?D’abord lesentiment d’une vaste connivence avec les approches que nous avons évoquées.Beaucoup de penseurs ont le souci de décentrer l’homme de sa personne, de lereplongerdansunensembledont ilsurgitetparrapportauquel ildoitsepositionner.Leschrétiensnesontpasisolésdansladémarche.L’impressionaussid’unfoisonnementde points de vue, parfois contradictoires par partie, mais enrichissant pour celui quichercheàvivrespirituellementsarelationàlaTrinitéetaumonde,auxautreshommeségalement. Les propositions sont un encouragement à varier nos démarches, àmultiplierlesapproches,àcreuserrégulièrementdespistesnouvelles.Leschrétiensmettentunnomsurcettesourcequicouleàprofusionetquibouillonne:Dieu. L’intérêtdenotreparcoursme semble être l’invitationà sortirde la visiond’unDieu immobile qui hante notre imaginaire depuis la philosophie grecque et qui estpourtant si peu biblique. Le foisonnement de Bergson, la force de vie de Spinoza, ladimension cosmiquedeTeilhard rendentmieux comptede l’énergiedivineetLevinasnousrappellequec’estuneforced’amourquinousinterpelleparnotreprochain.