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1 ère journée d’étude africaine en comptabilité et contrôle
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Une histoire complète des difficultés de normalisation
comptable OHADA : plaidoyer pour un normalisateur
adapté
A complete history of the OHADA accounting standard
difficulties: A plea for a suitable adapted standard
Boniface BAMPOKY
Résumé Abstract
Une histoire exhaustive de la normalisation comptable africaine, comorienne, malgache et mauricienne n’est jusque-là pas établie pour permettre de faire la synthèse de toutes les difficultés passées et actuelles qui en découlent et de proposer les conditions d’un normalisateur comptable adapté et accompagnant le développement des États membres de l’OHADA. Suivant une chronologie synthétisant les faits historiques majeurs à la base de l’absence d’une doctrine comptable qui émane des réalités du terrain de l’OHADA, les autorités compétentes sont largement interpellées sur la question. L’histoire, comme une autre méthode de recherche en comptabilité-contrôle, est convoquée.
A comprehensive history of African, Malagasy, Mauritian and from the Comoros accounting standards, has not yet been established to allow to make a summary of all the past and current difficulties arising from it and to propose the conditions for a suitable accounting standard normalization which backs up the development of the OHADA members states. Following a chronology which sums up the major historical facts based on the lack of accounting doctrine coming from the OHADA ground realities, the competent authorities are widely invited to give their opinions about the matter. History, as another research method in accounting and control, is concerned.
MOTS CLÉS. SYSCOHADA, SYSCOA, norme comptable, plan comptable, doctrine comptable
KEYWORDS. SYSCOHADA, SYSCOA, accounting standard, accounting plan, accounting doctrine
Correspondance : Pr Boniface Bampoky Agrégé de Sciences de Gestion / Gestion Comptable Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) Ecole Supérieure Polytechnique (ESP) Centre de Recherche Entreprise et Développement (CRED) Directeur du LR-CFC du CRED BP 15839 – Dakar Fann – Sénégal. E-mail : bampoky.b@gmail.com
1 ère journée d’étude africaine en comptabilité et contrôle
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Introduction
Vingt ans après son élaboration, la norme comptable OHADA (Organisation pour
l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) a réellement besoin d’être réajustée par
rapport à la donne économique et sociale qui prévaut actuellement. Plusieurs éléments sont
à l’origine de ce constat. Non seulement qu’il y a énormément d’instabilités dans les
institutions conçues pour piloter le développement, mais les réalités et les expériences
d’intégration économique ne sont pas uniformes à l’intérieur de l’OHADA où l’on a : l’Union
Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) pour 8 pays ; la Communauté
Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) créée par le Traité de Lagos le 28
mai 1975 et comptant à la fois des pays francophones (pays de l’UEMOA et la Guinée
Conakry), des pays anglophones comme le Nigéria, le Ghana et la Sierra Leone, et des pays
lusophones comme la Guinée Bissau (qui, elle-même, fait partie de l’UEMOA) et le Cap-Vert ;
la Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC) instituée par le Traité
du 16 mars 1994 (signé à N’djamena au Tchad) et regroupant 6 pays d’Afrique centrale
(Bakhoum, 2011). Le Traité1 créant l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine a été
signé par les chefs d’État du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte-d’Ivoire, du Mali, du Niger, du
Sénégal et du Togo, réunis à Dakar le 10 janvier 1994. L’UEMOA est conçue pour compléter
l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA) créée le 12 mai 1962 et dont le nouveau Traité
constitutif a été conclu le 14 novembre 1973. L’UMOA regroupait la Côte d’Ivoire, le
Dahomey (actuel Bénin), la Haute-Volta (actuel Burkina Faso), la Mauritanie, le Niger et le
Sénégal. Les adhésions du Togo et Mali ont eu lieu respectivement en 1963 et en 1984, et
pourtant ces deux pays étaient tous de la zone « franc » créée en 1939. Par contre, la
Mauritanie quitte le 9 juillet 1973 la zone « franc » et donc l’UMOA. La Banque Centrale des
États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), devenue banque de l’UEMOA, est créée en 1959 par
les pays fondateurs de l’UMOA, se substituant à l’Institut d’Émission de l’Afrique Occidentale
Française et du Togo. Parallèlement à la BCEAO et à la même année, la Banque Centrale des
Etats de l'Afrique Equatoriale et du Cameroun (BCEAC) fut créée et deviendra Banque des
États de l'Afrique Centrale (BEAC) le 23 novembre 1972. Egalement dans cette zone, des
1 Banque de France - Rapport Zone franc – 2008.
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éléments d’instabilité sont connus avec le retrait de la Guinée (Conakry) de la zone « Franc »
dès 1960 et l’intégration de la Guinée Equatoriale en 1985.
Ces structures d’intégration, y compris l’OHADA dont le Traité est signé le 17 octobre 1993 à
Port-Louis (Île-Maurice), sont donc régies par des Traités différents, et sont parfois, du point
de juridique, d’égale autorité mais d’objectifs différents. Ainsi pour Feudjo (2010), le
système comptable des pays africains a toujours été le reflet de leur histoire politique et
économique. Les difficultés dans la création de structures d’intégration politique,
économique et sociale sans conflits d’intérêts ne militent pas en faveur de la création des
structures de normalisation comptable intégrées et viables.
Sur le plan purement professionnel, l’évolution technologique rapide marquée par la
prolifération des technologies de l’information et de la communication de toutes sortes est
en train de donner un coup dur à la démarche et aux principes de la comptabilité. Par
exemple, l’usage progressif des progiciels de gestion intégrés par les entreprises de l’espace
OHADA fait évoluer, comme partout au monde, le temps en comptabilité (possibilité de
raccourcir le calendrier comptable grâce à la génération automatique de certains états
comptables, modification de l’organisation comptable par le transfert parfois des écritures
comptables aux clients, etc.) et en substance le métier de comptable ainsi que le paradigme
de son enseignement (Bampoky et Wade, 2014).
Sous un autre angle, il est constaté un certain déphasage entre la norme comptable conçue
principalement par les consultants externes et les réalités économiques et sociétales du
terrain. En guise d’illustration, les entreprises ne manifestaient pas sur le terrain un
empressement d’application des comptes de groupe juste après leur création en 1998 dans
le cadre du Système Comptable Ouest Africain (SYSCOA), devant les administrations qui n’en
faisaient aucun suivi (Wade, 2002). Cette situation qui prévalait au début semble demeurer
aujourd’hui. L’usage ou la manipulation de certains comptes se fait encore de façon
ésotérique, ce qui dénote le caractère encore jusque-là étranger de certains dispositifs
d’enregistrements comptables, alors que l’un des objectifs de la norme en place est, en
vertu du principe de pertinence partagée de l’information comptable, de fournir à
l’économie des éléments statistiques nécessaires à la mise en œuvre d’actions économiques
efficaces. Si d’après Feudjo (2010) et Ngantchou (2011), le Système Comptable OHADA
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(SYSCOHADA) relève de l’école continentale réunissant les pays à tradition fiscale dont les
systèmes comptables sont de type « macro-économique » à influence gouvernementale, il
est très étonnant que certains aspects fiscaux, ne trouvant pas des comptes et un principe
de comptabilisation universel ou partagés par tous, fassent l’objet de manipulations
disparates de comptes suivant les comptables (Bampoky, 2013). Il faut noter qu’au sein de
l’UEMOA, il est créé le 18 décembre 1996 la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières
(BRVM) dont le démarrage des activités le 16 septembre 1998 accroît le besoin de la qualité
de l’information comptable et de recours aux comptes consolidés et combinés. Ceci explique
une nécessité d’ouverture ou de convergence vers les normes internationales IFRS
(International Financial Report Standards). La comptabilité, soigneusement normalisée,
devient ce que l’on qualifie de « fluide vital des marchés financiers » pour reprendre les
termes de Véron (2007) qui précise ainsi que quand on ne peut plus se fier aux données
financières, tout l’édifice des marchés est menacé.
Sur le terrain, la lourdeur dans le montage des états financiers est l’une des raisons
expliquant depuis 2014-2015 les velléités de modification par les seuls instances de l’Union
Economique et Monétaire Ouest Africaine du Système Comptable Ouest Africain (SYSCOA),
alors que celui-ci est reversé depuis 2000 à l’ensemble des pays membres de l’OHADA avec
la publication (le 20 novembre 2000 au Journal Officiel de l’OHADA) de l’Acte Uniforme
portant Organisation et Harmonisation des Comptabilités des Entreprises adopté le 23 mars
2000. Après cette généralisation sans heurts aux pays de l’OHADA (Gouadain et Wade,
2009), le vocable devenu approprié pour ce système de comptabilité désormais commun à
17 pays d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique Centrale et de l’Océan Indien est celui de Système
Comptable OHADA (SYSCOHADA).
Le reversement a été effectué sans créer véritablement les organes fédérateurs de contrôle
capables d’insuffler la recherche fondamentale en vue de faire évoluer la norme. L’effort de
normalisation se poursuit par recours aux consultants et dans une absence totale de la
doctrine comptable purement autochtone (reflet de toutes les réalités culturelles et
contextuelles). Après la promulgation de l’Acte Uniforme portant Organisation et
Harmonisation des Comptabilités des Entreprises, le SYSCOA et les textes réglementaires
portant son application au sein de l’UEMOA ne sont pas officiellement abrogés, laissant ainsi
entrevoir la coexistence de deux systèmes de comptabilité appartenant à deux espaces
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économiques régis par des traités différents. Du point de vue spatial, l’UEMOA est un sous-
ensemble de l’espace OHADA et se révèle plus dynamique en termes de réformes que
l’OHADA avec la présence de quelques organes intervenant dans la normalisation comme le
Conseil Comptable Ouest Africain (CCOA) qui est une instance de la commission de l’UEMOA,
le conseil des ministres de l’économie de l’UEMOA et la Banque Centrale des États de
l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Ces organes sont créés un peu tardivement à l’échelle de
l’OHADA. Il faut noter qu’à sa création en 1993, l’un des objectifs de l’OHADA était de
parvenir à une norme comptable unique. L’UEMOA a avancé plus vite que l’OHADA sur cet
objectif. Visiblement, l’Afrique noire au Sud du Sahara regorge d’un catalogue de structures
d’intégration ou de projets sous régionaux ou régionaux élaborés parfois les uns sur les
autres avec l’aide des coopérants ou des consultants étrangers. Ces projets, bien flatteurs au
cours de leur élaboration, peinent pour l’essentiel à se concrétiser ou à se stabiliser
durablement après leur mise en œuvre par les autochtones.
La principale préoccupation de cette recherche est de parvenir à cerner les conditions de
mise en place d’un normalisateur comptable OHADA propice, à la suite d’une enquête sur
les origines et la nature des difficultés de normalisation comptable dans l’espace OHADA.
Dans une perspective historique, il est évident qu’il faut absolument cerner le rôle joué par
les institutions (en tant qu’organes) dans l’effort de normalisation depuis la période
coloniale jusqu’à nos jours, afin d’amener des éléments dont l’interprétation dans une
démarche scientifique partagée permet de faire des préconisations normatives. Un regard
critique des travaux de recherche et des archives historiques consultées auprès des
instances françaises, africaines, malgaches et mauriciennes de normalisation ou de
formation en comptabilité nous a permis de faire la synthèse du processus de normalisation
dans l’espace OHADA ainsi que toutes les difficultés et les impasses qui en ont découlé et qui
donnent l’explication des goulots d’étranglement actuels dans les pratiques comptables en
vigueur dans cet immense espace économique. Pour conforter cela et parvenir à mettre en
évidence tous les risques liés aux difficultés de normalisation et harmonisation comptables,
le travail s’est également intéressé, dans une approche qualitative avec entrevues en vis-à-
vis, aux besoins réels des parties prenantes de l’information comptable.
Cette recherche se synthétise en deux parties. La première a trait au design de la recherche,
et la seconde est relative à la revue critique des efforts de normalisation jusque-là consentis
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dans l’espace OHADA, à l’analyse des difficultés qui en ont découlé et aux perspectives de
construction d’un normalisateur comptable adapté.
1. Design de la recherche
Nous précisons dans un premier temps le cadre conceptuel de cette investigation, afin de la
situer dans le corpus de la recherche scientifique en comptabilité pour ensuite délimiter
notre problématique.
1.1. Cadre conceptuel de la recherche
La question qu’il nous paraît de prime abord opportun de régler ici est celle de savoir :
qu’est-ce qu’un système de normalisation comptable, et comment il se conçoit ? Il convient
ensuite de voir en référence de quelle démarche ou vision théorique nous allons aborder
l’examen du système OHADA, et sur quoi cet examen va réellement porter ?
Un système de normalisation peut être entendu comme un tout comprenant : la norme
technique comptable grosso modo (Plan Comptable) ; la norme sociale d’application de la
norme technique ; les organes de normalisation ou normalisateurs comme l’Autorité des
Normes Comptables (ANC) en France, l’International Accounting Standard Bord (IASB) au
plan international, le Conseil des Ministres de l’Economie (en Afrique de l’ouest
francophone) ; les organes consultatifs comme les Conseils Nationaux de Comptabilité
(CNC), le Conseil Comptable Ouest Africain (CCOA) ; les travaux et avis des chercheurs et
spécialistes académiques, et des professionnels de la comptabilité.
D’après Hoarau (2003), la normalisation comptable a pour objet d’établir des règles
communes dans le double but d’uniformiser et de rationaliser la présentation des
informations comptables susceptibles de satisfaire les besoins présumés de multiples
utilisateurs. Il apparaît que la qualité d’un système de normalisation réside bien dans la
capacité de fédérer les parties prenantes autour de pratiques ou règles uniformisées,
consensuelles répondant effectivement à leurs réels besoins. La normalisation peut, selon
Gouadain et Wade (2002), avoir plusieurs sources dont l’importance relative varie d’un pays
à l’autre. Son origine peut être publique ou privée d’une part, national, régionale ou
internationale de l’autre.
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Le travail qui est envisagé ici se situe ainsi dans le cadre de la doctrine comptable. La
doctrine comptable constitue un ensemble de travaux théoriques qui expriment la pensée
des auteurs sur les problèmes généraux de la discipline comptable, des avis et
recommandations donnés par différents organismes (lexique de gestion et de management
par Alain-Charles Martinet et Ahmed Silem). Ces organismes sont ceux de normalisation ou
spécialisés en comptabilité. En voulant faire la synthèse des travaux et avis des spécialistes
de la comptabilité, nous cherchons, au regard des confusions et des difficultés actuellement
constatées dans le processus de normalisation comptable, à remettre en cause le bien fondé
de la norme comptable OHADA pour apporter une réflexion sur les mécanismes qui
permettent de veiller à sa conformité avec les situations pratiques qu’elle doit gouverner. Si
le développement de la norme se nourrit de contributions doctrinales, une précaution doit
être prise en ce sens que la normalisation comptable semble parfois devenir une créature
autonome dont la seule raison d’être est la prolifération (Pigé, 2013). Selon cet auteur,
l’hyperspécialisation qu’exige la comptabilité pour la gouvernance des organisations ne
pourra nécessairement être suivie par l’ensemble de la profession. Mais dans un autre sens,
l’application à la fois de plusieurs pôles de normes pour pallier les difficultés rencontrées sur
le terrain peut, selon Savall et Zardet (2005), mettre en péril la gestion des organisations
dans la mesure où les acteurs peuvent être pris dans un faisceau de normes contradictoires.
La prolifération des normes peut également pousser les acteurs, devant l’acuité des
difficultés de leur application, à préférer les contourner ou les transgresser (Bessire et Al.,
2010).
Pour Pigé (2011), il est possible de pallier cette situation par la réintroduction du jugement,
c’est-à-dire la capacité humaine à prendre une décision en présence de facteurs contingents
spécifiques. Khouatra (2004) pense que la normalisation doit être suivie d’une
réglementation dans le sens où les normes comptables jugées importantes deviennent
d’application obligatoire en vertu de textes législatifs et/ou réglementaires. Il apparaît à
présent clair qu’il y a principalement deux types de normes. D’abord, les normes techniques
intrinsèques au fonctionnement de la technique comptable : règles, critères, principes ou
conventions suivant lesquels se réfère tout enregistrement, jugement, appréciation ou
présentation de l’information comptable. Ensuite les normes sociales que sont l’ensemble de
règles de conduite qui s’imposent à un groupe social. En comptabilité, les normes sociales
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permettent de régir les rapports ou relations entre les différentes institutions, de délimiter
les pouvoirs des hommes ou des institutions en tant qu’organes à l’intérieur ou à l’extérieur
d’un système de comptabilité, et d’imposer la mise en œuvre des normes techniques. En
général, les normes sociales s’imposent tandis que les normes techniques s’adaptent ou se
développent. Les normes sociales en rapport avec la comptabilité, pour permettre
l’application des normes techniques, doivent ainsi être organisées au-dessus de ces
dernières. Le cadre institutionnel permettant d’imposer l’application des normes techniques
peut être de type supranational, et la norme sociale peut prendre la forme d’un accord ou
d’un traité ou encore d’une convention internationale avec des organes chargés de trancher
les conflits comme les cours internationales. Ce cadre peut être de type national se
concrétisant ainsi par des textes réglementaires ou parlementaires. C’est fort de cette
considération des faits qu’un système de comptabilité se construirait.
Les difficultés de normalisation comptables peuvent émaner d’un problème de conflits de
textes législatifs ou de traités dans le temps, de carences que contiennent les normes
techniques élaborées puisqu’en déphasage avec les réalités du terrain, ou du caractère peu
fédérateur des organes de normalisation en place. Par exemple, Feudjo (2010), en parlant du
droit de la concurrence, précise que l’OHADA est un espace économique déjà étoffé de
politiques régionales de la concurrence (UEMOA, CEDEAO, CEMAG) avec des conflits de
compétences qui peuvent résulter de la compétence de deux autorités régionales. La BCEAO
a confié en 1994 la conception du SYSCOA à une équipe d’experts de l’Institut National des
Techniques Économiques et Comptables (INTEC) de France dirigée par le Professeur Claude
Pérochon (Bampoky, 2013). La même équipe s’est vu attribuer par les autorités de l’OHADA
la réalisation du projet de norme comptable unique que s’est fixé cette organisation dès sa
création en 1993. Il leur a été proposé simplement de reconduire le travail initié au sein de
l’UEMOA, et c’est cela qui a abouti à la promulgation par l’OHADA de l’Acte Uniforme
portant Organisation et Harmonisation des Comptabilités des Entreprises en 2000.
Pour avancer vers le véritable débat que suscite cette recherche, il y a lieu à présent de
préciser davantage notre problématique ainsi que l’orientation et l’intérêt de cette
investigation empirique.
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1.2. Problématique et déroulement temporel de la recherche
Selon les faits majeurs préalablement exposés, les problèmes de conflits de textes
réglementaires ou législatifs, de traités ou de conventions internationales ou encore
d’organes d’intégration créés est manifeste dans l’espace OHADA notamment en ce qui
concerne la normalisation et l’harmonisation comptables. Il s’en suit le problème de
compétence des structures qui prennent l’initiative de réviser la norme comptable en place.
Il y a enfin le problème de conflits d’intérêts dans le choix des équipes qui se voient attribuer
la charge de conception de la norme comptable. Quelles sont alors les origines précises et
les explications réelles des failles qui handicapent le processus de normalisation comptable
dans l’OHADA ?
De telles interrogations nous situent dans une perspective historique conduisant au recueil
des données relatives au montage des différents plans comptables appliqués par les pays de
l’espace OHADA depuis la période coloniale jusqu’aux actuelles tentatives de normalisation
interpellant l’expertise autochtone. Les vertus d’une telle démarche peuvent se synthétiser
en trois choses. D’abord, d’après Martinet et Payaud (2009) : « L’historicisme met donc
l’accent sur la compréhension où la dimension éthique est présente (Schmoller) ou, au
contraire, écartée (Weber) mais trouve son unité dans la prise en compte soigneuse de
l’évolution des contextes, des institutions en privilégiant l’accumulation de monographies
replacées autant que faire se peut dans des périodisations » (p. 33). Ensuite, la méthode en
histoire peut s’agir d’une démarche très générale et dialectique faite d’allers et retours de
l’archive à l’interprétation (Lemarchand et Nikitin, 2013). Enfin, l’histoire est une réalité
objective et déjà donnée, que l’historien n’aurait qu’à découvrir par la recherche minutieuse,
la critique et le classement rigoureux des faits (Marrou, 1954).
Pour saisir l’orientation que doit prendre le plan comptable devant gouverner les affaires
dans l’OHADA et la nature du normalisateur comptable à mettre en place, toutes les
attentes des parties prenantes de la norme comptable OHADA doivent être prises en
compte. Ces parties prenantes sont : les investisseurs, les statistiques économiques, les
banques, les entreprises, le marché financier et toutes les formes d’organisations appliquant
le SYSCOHADA (établissements publics, organisations non gouvernementales, associations).
Ceci nous emmène à nous poser la deuxième question suivante : Comment bâtir un
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normalisateur viable, fiable et garant de la qualité de l’information comptable pour les pays
membres de l’OHADA ?
L’histoire comme méthode principale de recherche est relayée ici par un recueil d’avis des
utilisateurs de la norme comptable OHADA. Une analyse manuelle simple du contenu des
discours est opérée. Nous nous sommes ainsi donné les moyens de faire un terrain qui
couvre l’ensemble de nos besoins en termes d’informations.
1.3. Terrain de la recherche et recueil d’informations
On s’est rapproché des normalisateurs français comme l’Autorité des Normes Comptables
(ANC) pour consulter les archives sur les plans comptables qui ont été mis œuvre quand les
pays africains n’avaient pas encore accédé à leur souveraineté nationale. Les documents
ciblés sont en priorité les mémoires d’expertise comptable retraçant l’histoire de la
normalisation comptable africaine, malgache et mauricienne. On s’est intéressé ensuite à
tous les écrits qui relatent les intérêts et les limites de chaque système comptable jusque-là
créé. Le même travail est effectué auprès du Conseil Supérieur de l’Ordre des Experts
Comptables de France, et auprès du Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) qui
abrite l’INTEC où exerçait le Professeur Pérochon. Le temps de présence en France a été de
15 jours vécus intensément en termes de recherche (du 28 mars au 11 avril 2016). Par
rapport aux sources d’informations étrangères, les archives en ligne du Centre de
Documentation des Experts Comptables et Commissaires aux Comptes (CNCC) sont
consultées. Au passage, nous avons pu mettre la main sur les mémoires d’expertise
comptable, les thèses soutenues sur le sujet, les archives d’anciens plans comptables et de
journaux officiels.
Le travail de fouille est poursuivi au siège de la BCEAO au Sénégal, et auprès du Conseil
National de Comptabilité du Sénégal. Pour ce qui concerne les données portant sur l’OHADA,
le site de l’OHADA a fourni toutes les informations complémentaires recherchées. A ces
recueils de données sur le terrain, s’ajoute une synthèse des travaux de recherche
académique sur l’objet de notre étude.
Mais, les déductions faites à partir de l’interprétation des faits historiques et des archives
doivent être confrontées à la réalité pour pouvoir en définitive être considérées comme
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réelles. L’approche qualitative par entretiens en vis-à-vis avec les professionnels de la
comptabilité a permis ainsi de s’assurer que les préconisations retenues correspondent bien
aux attentes des acteurs professionnels. Les impressions des utilisateurs du modèle
comptable OHADA et leurs attentes pour l’amélioration celui-ci ont été alors cernées. Pour
cela, des entrevues ont été effectuées, par proximité objective et par opportunisme
méthodique, auprès du siège de la BCEAO au Sénégal, du Conseil National de Comptabilité
(CNC) du Sénégal, de 3 cabinets d’experts comptables parmi ceux qui sont à la base du
SYSCOA révisé, de 3 filiales de firmes multinationales au Sénégal dont les maisons mères
disposent de filiales dans plusieurs pays de l’OHADA, de 3 entreprises sénégalaises du
secteur public et de 3 autres entreprises sénégalaises du secteur privé. L’une des entreprises
privées a fait déjà l’objet d’étude pour une recherche bouclée (Bampoky, 2013). Les
verbatim déjà recueillis auprès de cette entreprise sont reconduites. Il s’agit ainsi d’un
échantillon de convenance dans la mesure où certaines structures comme la BCEAO et les
CNC, de par le rôle qu’elles ont joué et qu’elles continuent à jouer dans la normalisation
comptable au sein de l’UEMOA, détiennent des informations très importantes. Le choix de 3
entreprises dans chaque secteur (privé, public et étranger) a permis de s’assurer d’une
saturation des réponses, une condition nécessaire pour la généralisation des constats. Le
choix spécifique du terrain sénégalais se justifie par le fait que les pays africains en
développement présentent en général une structure du tissu des entreprises similaire, tant
au plan de la taille et de la structure de la propriété du capital des entreprises qu’au plan de
l’instrumentation de leur gestion (Bampoky et Meyssonnier, 2012).
Les entreprises sont choisies parmi les plus représentatives des secteurs clés de l’économie
et qui appliquent en général le système normal de comptabilité afin de pouvoir comparer les
résultats. Là également, le choix est guidé par le souci d’être exhaustif dans l’étude, dans la
mesure où avec le système normal, tous les documents comptables sont employés sans
résumer l’information comptable comme c’est le cas dans les systèmes allégé et minimal de
trésorerie. Les entretiens en vis-à-vis sont d’une durée de 30 minutes à 1 heure de temps et
sont réalisés du 20 juin au 03 août 2016. Les réponses des interviewés sont transcrites sur un
cahier de prise de note. Les personnes interrogées demandent en général à ne pas être
citées ouvertement dans les documents qui vont être produits. Nous avons ici tenté de
garder au mieux leur anonymat.
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Le tableau ci-après récapitule les différentes structures auprès desquelles les entrevues sont
réalisées, la nature de leur activité, la propriété de leur capital ou leur affiliation et les
personnes rencontrées.
Nom de la structure Nature de l’activité Propriété du capital ou affiliation
Personnes rencontrées
BCEAO Banque Centrale de l’UEMOA
8 pays de l’UEMOA Agents de la Direction des Statistiques gérant la Centrale des Bilans
Conseil National de Comptabilité du Sénégal
Organe local de normalisation comptable
État du Sénégal
3 membres permanents
Groupe SONATEL Téléphonie Sénégal, France et privés locaux et étrangers
Chef Comptable
SN-HLM Aménagement immobilier
Sénégal Chef Comptable
SENELEC Production d’électricité
Sénégal Chef Comptable
TOTAL Sénégal Hydrocarbures Français Chef Comptable
Sénégalaise Des Eaux (SDE)
Fourniture d’eau potable
Concessionnaire appartenant à Saur International (France)
Chef Comptable
Senegal Protection & Indemnity (P & I)
Assurance maritime Groupe anglais Chef Comptable
Cabinet GARECGO Expertise comptable Privé sénégalais Chef de cabinet
Cabinet EXCO Expertise comptable Privé sénégalais Chef de cabinet
Cabinet CECA Expertise comptable Privé sénégalais Chef de cabinet
PATISEN Production de biens alimentaires
Privé sénégalais Chef Comptable
Les Ciments Du Sahel Cimenterie Privé sénégalais Chef Comptable
Hôtel Kadiandoumagne
Hôtellerie et restauration
Privé sénégalais Responsable administratif et financier
Les questions basiques semi-ouvertes autour desquelles les entrevues se sont déroulées
sont les suivantes :
- Vous arrive-t-il d’avoir des soucis avec le plan comptable OHADA ? De quelle nature ?
A quel niveau ?
- Le plan SYSCOHADA est-il véritablement exhaustif en termes de comptes prévus pour
l’enregistrement des opérations comptables ?
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- Le SYSCOHADA vous pose-t-il un problème de reporting comptable, de consolidation
ou de combinaison des comptes ?
- Quelle solution pensez-vous utile pour remédier aux difficultés que vous rencontrez
avec l’usage du SYSCOHADA ?
- Si vous collectez et archivez les états financiers des entreprises non financières,
notez-vous des difficultés dans leur collecte et dans leur contenu ? Lesquelles ? Et
quelles en sont vos attentes ?
La lecture et le classement, suivant une chronologie, des données historiques (archives et
bibliographie), ainsi que les résultats de l’analyse du contenu des verbatim d’entretiens ont
permis de faire une revue critique des efforts de normalisation jusque-là consentis et de
faire des préconisations normatives en vue d’améliorer le processus de normalisation
comptable enclenché au sein de l’OHADA.
2. Revue critique des efforts de normalisation jusque-là
consentis dans l’espace OHADA et perspectives
Les problèmes actuels de normalisation peuvent être interprétés suivant trois grandes
périodes. La première correspond à l’immersion des pays de l’OHADA dans les empires
coloniaux français, belge, anglais, portugais et allemand. La deuxième période est relative à
l’accession de ces États à la souveraineté nationale et les tentatives de prise en main de leur
destin par la voie de la coopération verticale avec les anciennes métropoles, et la
coopération horizontale qui n’est rien d’autre qu’une autre tentative de regroupement des
États issus du joug colonial et qui se voient individuellement légers pour aller de façon
dispersée à la quête du développement économique et social. La troisième période est celle
de la convergence vers l’émergence économique dont certains États sont encore au début
du processus.
2.1. Les expériences de normalisation dans l’époque coloniale
En regardant la composition de l’OHADA, on y trouve toujours, de par les organes
d’intégration créés et les grands ensembles étatiques pilotés par ces organes, le découpage
géographique laissé par les anciennes métropoles : l’Afrique Occidentale Française (AOF)
que représente aujourd’hui l’UEMOA hormis la Guinée Bissau (ancienne colonie portugaise)
1 ère journée d’étude africaine en comptabilité et contrôle
14
qui rejoint l’union en 1997 ; l’Afrique Equatoriale Française et le Cameroun ; l’Île Maurice et
les Comores (les pays de l’Océan Indien). Dans cet espace, on notait la présence allemande
et britannique, et leur installation est faite entre 1860 et 1870. Le drapeau allemand flottait
sur Douala à partir du 14 juillet 1884 après signature de plusieurs Traités germano-douala.
De 1884 à 1922, le protectorat allemand s’étend du Lac Tchad aux rives de la Sangha. Les
britanniques s’intéressaient au développement du commerce. Ces présences étrangères
donnent l’explication des anciens référentiels comptables qui circulaient dans cette espace.
D’après Douvier Pedrosa (2010), « la proclamation de l’indépendance des pays d’Afrique a
laissé aux africains une doctrine d’inspiration française » (p. 11/138). Avant les
indépendances africaines et pour ce qui concerne l’actuel espace francophone OHADA, les
plans comptables utilisés ainsi que les principes théoriques attachés aux techniques de
comptabilisation sont de source française. Il s’agit des plans comptables de 1947 et de 1957.
Avant ces référentiels, la présence allemande a marqué son empreinte, car d’après Feudjo
(2010), « Le tout premier plan comptable applicable en France et dans les pays africains
(colonies françaises) était le plan allemand conçu en 1937 par Eugen Schmalenbach et mis en
application dès 1938 » (p. 150). La remarque fondamentale que l’on peut tirer du récit de cet
auteur est que le passage aux plans purement français fut précédé de la création d’une
Commission de Normalisation des Comptabilités (CNC) par le décret 46-19 du 4 avril 1946.
L’organe de normalisation précède alors la norme technique. Cet organe approuva le plan
comptable de 1947.
Le plan comptable de 1947 marque l’émergence d’une normalisation comptable nationale
française. Celui-ci a fait l’objet de plusieurs révisions, mais le contenu de base est toujours
existant, d’après Obert (2000). La première révision de ce plan en 1957 est suivie de la
création du Conseil National de Comptabilité qui va jouer un rôle important dans
l’élaboration du droit comptable français. L’application du plan révisé de 1957 est effectuée
au milieu des 1960 grâce à un texte fiscal (décret du 28 octobre 1965). Ceci marqua
l’apparition de l’expression « droit comptable ». La France conforte davantage ses organes
de normalisation et la norme sociale (droit comptable) d’application de la norme technique.
Ceci est suivi d’une importante réforme du droit des sociétés par la loi du 24 juillet 1966 et le
décret du 12 août 1969 qui réglemente le commissariat aux comptes. Le Conseil National de
Comptabilité (CNC) et le Comité de la Réglementation Comptable (CRC) créé en 1998 ont été
1 ère journée d’étude africaine en comptabilité et contrôle
15
fusionnés par l’Ordonnance n° 2009-79 du 22 janvier 2009 pour créer ainsi l’Autorité des
Normes Comptables (ANC). Cette Ordonnance est publiée au Journal Officiel n° 0019 du 23
janvier 2009. L’ANC comprend : un collège de 16 membres, des commissions spécialisées
notamment celle chargée des normes comptables privées et celle chargée des normes
comptables internationales, un comité consultatif composé de 25 représentants du monde
économique et social, et le Président du collège de l’Autorité qui préside le comité
consultatif. Les règlements adoptés par l’ANC sont publiés au Journal Officiel de la
République française. A côté de cet organe phare de normalisation, on a les organismes
professionnels qui ne produisent pas les normes comptables, mais peuvent seulement
cependant avoir une influence sur leur production : l’Ordre des Experts-Comptables (OEC) et
la Compagnie Nationale de Commissaires aux Comptes (CNCC).
Mais tout ceci s’est déroulé dans un cadre purement français, car les États de l’OHADA ont
pris pour l’essentiel leur indépendance en 1960 et autour de cette année. Cela veut dire que
ces États sont allés aux indépendances en important et utilisant les mêmes outils comptables
qu’en France sans toutefois créer des organes de normalisation solides et un droit
comptable adapté à leur contexte. Parallèlement, la France n’a pas interrompu son
processus de normalisation dans la mesure où le plan de 1957 a été révisé en 1982,
corrigeant les lacunes des plans antérieurs. Puis une autre révision de ce plan est intervenue
en 1999 sous l’influence des normes internationales IFRS. Le plan comptable général de 1999
a été approuvé par l’Arrêté du 22 juin 1999 portant homologation du règlement 99-03 du
Comité de la Réglementation Comptable. La principale innovation de ce plan est l’apparition
du droit comptable évolutif. Ainsi Causse (2002) indique-t-elle que la composition des
organes de normalisation française a beaucoup évolué au cours des deux dernières
décennies. Cet auteur précise : « le dispositif institutionnel a été réformé en profondeur
puisque la hiérarchie des acteurs semble bousculée » (p. 1). Les tenants et les aboutissants
du droit évolutif doivent être synthétisés par les africains pour mieux prendre en charge le
caractère évolutif de la norme comptable.
Cependant, le droit comptable né en 1965 était un droit au service de l’État (facilitation des
déclarations fiscales, la détermination d’agrégats économiques, droit des sociétés ou droit
de la faillite), donc un droit faible car les concepts introduits dans le droit actuel comme la
permanence des méthodes, la continuité de l’exploitation, la séparation des exercices ne
1 ère journée d’étude africaine en comptabilité et contrôle
16
figurent pas dans les textes de droit positif de l’époque. Ce sont toutes ces expériences de
droits qu’a bénéficié le plan comptable français de 1982 dont l’innovation majeure apportée
est, selon Djambou (1984), la comptabilité analytique avec les objectifs suivants : la
connaissance des conditions d’exploitation, l’évaluation de certains éléments du patrimoine,
l’explication des résultats. La suite logique des événements dans le processus de
normalisation n’a pas pu profiter aux africains. Nous démontrons cela dans le paragraphe ci-
après.
2.2. La doctrine comptable en contexte OHADA
La première réforme doctrinale d’origine africaine est le plan OCAM (Organisation de la
Communauté Africaine et Malgache, puis Mauricienne avec l’adhésion de l’Île Maurice en
1970 et le retrait de Madagascar en 1973). D’après Douvier Pedrosa (2010), l’OCAM est née
en 1965, et constitue le prolongement de l’UAM (Union Africaine et Malgache) créée en
septembre 1961 et de l’UAMCE (Union Africaine et Malgache de Coopération Economique).
Le plan OCAM, adopté en 1970, introduit dans les États en 1972 et révisé en 1979, prolonge
directement sans passer par la création préalable d’organes de normalisation permanents,
les acquis du plan comptable général de 1957. Son objectif est de favoriser l’harmonisation
des pratiques comptables, l’intégration et l’indépendance économique des États membres.
Ce référentiel a été créé sous l’initiative des chefs d’États africains prise en 1968 avec la
constitution d’une commission d’experts africains et français réunis à Niamey. On voit là
clairement un essai de normalisation par recours aux consultants, témoignant ainsi d’une
insuffisance de l’expertise locale. Cette insuffisance dénote la nécessaire urgence préalable
d’investir massivement dans la formation des ressources humaines et la création d’organes
comptables développeurs.
Le plan Comptable OCAM et le plan comptable français de 1982 présentent de nombreuses
caractéristiques communes à cause de leur origine (plan de 1957) et de la méthodologie de
leur rédaction (Djambou, 1984), ce qui ressemble plus à une adoption ou une adaptation
qu’à une création tenant compte de facteurs contingents spécifiques. Par exemple, les deux
plans ont adopté une même philosophie d’ensemble pour déterminer le résultat net
comptable.
1 ère journée d’étude africaine en comptabilité et contrôle
17
Les insuffisances notables (selon Djambou, 1984 ; Obert, 2000 ; Feudjo, 2010 ; Douvier
Pedrosa, 2010) du plan OCAM procèdent du fait par exemple que ce dernier n’a pas prévu le
tableau de financement, ce qui poussa certains pays comme le Sénégal et le Zaïre à le
prescrire parmi les documents obligatoires, et ce sont des différences de traitement
comptables de cette nature qui posent à terme des difficultés d’harmonisation de
l’information comptable et expliquent l’absence d’un normalisateur supranational qui
fédèrent les pays autours des mêmes principes. Egalement, le plan comptable OCAM ne
s’intéresse pas au calcul de l’Excédent Brut d’Exploitation (EBE) qui constitue un indicateur
permettant de mieux apprécier la gestion des unités décentralisées. Certains pays qui
appliquaient le plan comptable OCAM comme le Sénégal préconisaient l’inventaire
permanent avec toute la bureaucratie que cela nécessitait, tandis que le plan français de
1982 préconisait l’inventaire intermittent. Dans le contexte français, la révision du plan de
1957 n’est achevée qu’en 1982, et cet aboutissement est caractérisé par une série de
dispositions réglementaires et législatives à savoir : l’Arrêté du 27 avril 1982 portant sur son
application obligatoire pour les exercices ouverts après le 31 décembre 1982, la loi du 30
avril 1983 modifiant et complétant les obligations comptables des commerçants et de
certaines sociétés et le décret d’application du 29 novembre 1983.
Dans la plupart des pays concernés, le plan OCAM a été adapté différemment, et c’est ainsi
qu’on a eu : le plan OCAM sénégalais, le plan OCAM ivoirien, le plan OCAM béninois, le plan
OCAM Camerounais, etc. Ainsi Bigou-Laré (2001) précise-t-il que dans certains pays comme
le Togo, certaines entreprises avaient même continué à utiliser le plan comptable de 1957,
alors que d’autres étaient passées au plan OCAM. Evidemment, il y a absence de
normalisateur permanent et de droit comptable commun dans l’ensemble de l’espace
africain d’application du plan OCAM. La pluralité des référentiels comptables ne facilitait pas
la comparaison des entreprises, ni l’agrégation de l’information comptable pour la politique
macro-économique et monétaire dans les espaces géographiques où les pays ont des projets
d’intégration économique.
Le besoin d’information économique réelle et agrégée dans les pays de la zone devenait
crucial pour la France vers les années 1990 en raison du fait que la république française a
conclu de 1960 à 1963 des accords de coopération monétaire avec les États africains. Les
bases actuelles de ceux-ci sont passées en novembre 1973 avec les pays de la BCEAO, en
1 ère journée d’étude africaine en comptabilité et contrôle
18
novembre 1972 avec les pays de la BEAC et en 1979 avec les Comores (Guillaumont et
Guillaumont Jeanneney, 2013). Par ces accords, la France apporte un soutien automatique
aux balances des paiements des pays africains par l’intermédiaire des comptes d’opérations
ouverts par le Trésor français aux banques centrales des pays. Le besoin d’informations
économiques pour la politique monétaire de l’UEMOA poussa la BCEAO à plaider en faveur
d’un droit comptable commun aux pays de l’union, ainsi qu’un référentiel comptable unique.
Le SYSCOA naquit en 1998. Encore là, la mise en place du SYSCOA a été commanditée par la
BCEAO pour ces objectifs cités et non par un organe de normalisation préalablement créé à
l’échelle de l’UEMOA. Les études d’un système comptable commun aux pays de l’UEMOA
ont débuté en 1994, et ce n’est qu’en 1997 (date ou l’équipe de consultants principalement
français avec l’aide de quelques africains a rendu ses travaux) que sont créés le Conseil
Comptable Ouest Africain par le Règlement n° 03/97 du Conseil des Ministres (CM) de
l’UEMOA, et le Conseil Permanent de la Profession Comptable par le Règlement n°
04/97/CM, d’après Nguéma et Klutsch (2010). Selon ces auteurs, c’est en décembre 2008
seulement que le règlement instituant une Commission de Normalisation Comptable (CNC-
OHADA) auprès du Secrétariat Permanent a été adopté par le Conseil des Ministres de
l’OHADA. Avant l’adoption du CNC/OHADA, le SYSCOA est reversé sans opposition ni appel à
l’OHADA, et le Conseil des Ministres a adopté 8 ans avant la création du CNC/OHADA l’Acte
Uniforme portant Organisation et Harmonisation des Comptabilités des Entreprises.
On n’a jusque-là pas une doctrine comptable d’origine africaine, mais une doctrine
comptable africaine d’inspiration française. Dans le plan français, on a trois systèmes de
comptabilité en fonction de la taille des entreprises : le système de base, le système abrégé
et le système développé. Le SYSCOHADA reprend : système minimal de trésorerie, système
allégé et système normal. Le plan comptable OHADA intègre la comptabilité de gestion ou
analytique, mais en introduisant biens des simplifications comme dans l’évaluation des bien
où la méthode « Dernière entrée-Première sortie » est abandonnée. En termes de
corrections d’erreurs, le SYSCOHADA préconise la correction en négatif laissant tomber la
contrepassation et le complément à zéro. Le SYSCOHADA ne parle que de principes
comptables (au nombre de 9), tandis que le plan français distingue les postulats (qui
définissent le champ du modèle comptable) et les conventions que sont les règles générales
pour guider l’élaboration des documents de synthèse. A côté de ces exemples de
1 ère journée d’étude africaine en comptabilité et contrôle
19
spécificités, le SYSCOHADA, d’après Pintaux (2002), mérite l’attention car intégrant les
dernières évolutions de la doctrine comptable notamment l’IASB5. Ceci est dû à l’origine de
ses concepteurs. Ainsi, on peut dire que ce système présente à la fois des intérêts et des
limites. Pour l’Expert-comptable A. G., « l’intérêt de ce système de comptabilité est d’avoir
réuni trois éléments : un cadre conceptuel, un droit comptable et un plan comptable ».
Toutefois, le fait de trop s’inspirer de la doctrine comptable française pour écrire les
comptes n’est pas allé sans désagréments sur le terrain, notamment pour ce qui concerne
des comptes ainsi que de leurs intitulés qui prêtent parfois à confusion ou qui ne trouvent
pas de correspondance réelle par rapport aux faits économiques qu’on se propose de
décrire. Certains praticiens, comme c’est le cas au sein de l’entreprise « Senegal P & I »,
avancent les arguments suivants : « On ne voit pas trop l’utilité des comptes « 486 – Créances
sur cessions de titres de placements » créé pour enregistrer la ventes de titres de placement
qui procèdent, chez l’acquéreur, des opérations de gestion de la trésorerie positive ou des
opérations au comptant » (propos d’A. D. G.). Les situations permettant l’usage réel de ce
compte ne sont pas connues du terrain local. Par contre, en reprenant les propos des
experts (M. F., par exemple), « dans le SYSCOHADA, l’amortissement ne se fait pas par
composants, alors qu’on trouve dans des entreprises de pétrochimie des turbines ou des sites
qu’on ne peut amortir de façon regroupée : on doit bouger. On risque de regretter d’avoir
retarder l’UEMOA sur la réforme envisagée du SYSCOA ». « Le SYSCOHADA, par ailleurs, pose
de gros problèmes de reporting et la solution est de tendre vers les IFRS », nous affirme un
autre comptable (Monsieur C. S. pour Les Ciments du Sahel).
Par ailleurs, depuis la mise en place du SYSCOHADA, l’espace s’est enrichi de plusieurs
implantations d’entreprises étrangères et de création d’entreprises autochtones nouvelles.
Avec le développement de la BRVM de l’UEMOA, les entreprises cotées se trouvent face à
d’autres obligations financières qui exigent l’évolution du droit et de la technique
comptables en place.
2.3. Les nouvelles exigences de l’émergence économique
On sait avec Douvier Pedrosa (2010) qu’ « aujourd’hui, l’Afrique est en marche et ouvre des
perspectives économiques de croissance…Le Brésil, l’Inde, la Chine n’hésitent plus à investir et
promouvoir leurs ententes avec la majorité des États africains en scellant leurs relations par
1 ère journée d’étude africaine en comptabilité et contrôle
20
des contrats ou ententes de partenariat économiques qui implicitement développent le
marché sous régional » (p. 34–45). Ceci pose en comptabilité, la problématique d’usage des
comptes consolidés et combinés, ou dans un autre sens l’effectivité simple du reporting
comptable. La consolidation s’impose par exemple dans le cas des fusions-acquisitions,
lorsqu’une entité est soumise à un autre système comptable. Le comptable de PATISEN (M.
T.) affirme : « le problème de reporting ne se pose pas chez-nous dans la mesure où nous
sommes une entreprise locale ». Les mêmes propos sont tenus par les comptables (P. B. N. et
O. D.) de la SN-HLM et de la SENELEC, des entreprises locales sénégalaises du secteur public.
Il est clair que ce sont les entreprises étrangères de type filiales qui sont confrontées à ce
problème, et ce sont elles qui constituent le fer de lance des économies africaines. La
complexité du reporting a amené les entreprises comme le Groupe SONATEL à mettre en
place un « Service Reporting » dont le travail consiste, d’après le comptable (M. D.), « à
prendre les balances SYSCOHADA et à observer les variations mensuelles, puis, via
l’application « Magnitude », à assurer le déversement à la comptabilité de la maison mère en
France ». Pour le compte de TOTAL Sénégal, le Chef Comptable (E. M.) nous instruit : « Nous
avons un service Contrôle de Gestion et Reporting. La pratique du reporting se fait
mensuellement vers la maison mère sur la base d’une plateforme dédiée, puisque nous
utilisons le Progiciel de Gestion Intégré SAP ». Dans tous les cas, nous signale-t-on, les
données comptables sont retraitées et adaptées aux comptes de la maison mère avant
d’être ventilées. Nous apprenons, en analysant les discours recueillis, que pour les filiales en
Afrique des entreprises comme TOTAL, « P & I », …, les problèmes de reporting existent mais
n’apparaissent pas ingérables, car les comptes sociaux sont consolidés selon les règles du
pays de la société mère avec une autre codification de regroupement et les normes
internationales applicables. Cependant, c’est le contraire, lorsque la maison mère d’une
entreprise internationale se situe dans l’OHADA, qui laisse apparaître des problèmes de
reporting parfois embarrassants.
Ce qui peut rendre la consolidation plus difficile encore dans ce sens est l’évaluation des
éléments immatériels appelés goodwill ou badwill. L’ouverture aux IFRS se révèle ainsi
nécessaire pour une harmonisation de l’information comptable. La prévision des évolutions
économiques dans le montage du SYSCOA amena, dans la recherche de la pertinence
partagée de l’information comptable, à laisser place à un principe d’origine anglo-saxonne à
1 ère journée d’étude africaine en comptabilité et contrôle
21
savoir la prééminence de la réalité sur l’apparence. Les propos de Ollier (1999) permettent
largement d’étayer l’origine de ce principe lorsqu’elle dit : « les pays d’Afrique anciennement
colonies britanniques ont une comptabilité qui présente davantage un reflet de
l’évolution économique » (p. 67). Ceci n’a pas été le cas dans les pays d’Afrique francophone.
La normalisation comptable en vigueur doit être adaptée suivant le processus d’émergence
économique. Ceci peut être étayé par les propos de Bakhoum (2011) : « l’émergence et le
développement fulgurant de législations de la concurrence dans les pays en développement
témoignent des vertus supposées ou réelles de telles politiques dans le processus de
développement économique » (p. 4). Le droit comptable n’est pas un droit de la concurrence,
mais s’il permet la production d’une information financière fiable pour les investisseurs et de
sécuriser les investissements, il se situerait à la base de la compétitivité de l’espace OHADA
par rapport aux pays qui se situent à l’extérieur de cette zone. Dans cet ordre d’idées,
Causse (2002) montre que la comptabilité est bien une arme dans la compétition
économique mondiale.
Ce qui ressort de ces divers propos est qu’avec la mondialisation des activités de production,
la normalisation comptable doit être érigée pour favoriser trois types d’investissements dont
l’évolution des flux ainsi que leurs fruits nécessitent une comptabilité: les investissements
directs, les investissements en portefeuille et les investissements socialement responsables.
Pour ce qui concerne la dernière trame d’investissements, les activités des entreprises
doivent intégrer les enjeux sociaux et environnementaux dont les coûts et les avantages
peuvent également faire l’objet de mesure par des mécanismes de comptabilisation
appropriés. A tout cela s’ajoute les progrès enregistrés dans le domaine de la techno-science
par le développement des Progiciels de Gestion Intégrés, qui ont fini par faire reléguer au
bas de l’échelle le métier comptable classique de « teneur de livres ». Les clients participent
à distance aux enregistrements comptables. D’après l’Expert-comptable A. G. (Cabinet
GARECGO), « il est important que le cabinet puisse avoir à ce niveau des spécialistes en PGI.
Tout un travail d’évaluation des processus, de test par l’auditeur pour s’assurer que la chaîne
ne connaît pas de ruptures est à faire. La normalisation doit intégrer ce volet ». « On est
toujours confronté à un problème d’adaptation du plan SYSCOHADA à nos opérations de
prestations de services responsables, et cela suscite parfois de longs débats entre comptables
1 ère journée d’étude africaine en comptabilité et contrôle
22
pour le choix des schémas de comptabilisation qui semblent les mieux appropriés », annonce
la Directrice R. T. (Hôtel Kandiandoumagne).
Ainsi le cadre conceptuel du SYSCOHADA doit évoluer pour tenir compte de la nouvelle
donne dictée par l’émergence économique. Mais à partir de 2013, apparaissent des
difficultés d’harmonisation du SYSCOHADA à l’ensemble des pays de l’OHADA, et ces
problèmes sont nés dans l’UEMOA. En effet d’après SAMBE et DIALLO (2014)2, les difficultés
ont jailli avec le Règlement n° 05/2013/CM/UEMOA du 28 juin 2013 modifiant le règlement
n° 04/96/CM/UEMOA du 20 décembre 1996 portant adoption du SYSCOA, et le règlement
d'exécution n° 005/2014/CM/UEMOA du 31 mai 2014 disposant que les nouvelles règles et
méthodes comptables du SYSCOA sont adoptées et s'appliquent aux comptes des exercices
ouverts à compter du 1er janvier 2014.
Les praticiens de la comptabilité font alors face à deux référentiels, et la question de savoir
lequel des deux appliquer se pose réellement. Cela a fini par susciter la réaction de la
Conférence des Chefs d’États et de Gouvernements de l’OHADA (17 octobre 2013) et du
Conseil des Ministres de l’OHADA (30 et 31 janvier 2014) qui trouvent que le système
comptable OHADA devait constituer l'unique référentiel comptable en vigueur dans l'espace
OHADA.
Sur le fonds, les experts de l’UEMOA, initiateurs du projet de réforme du SYSCOA, ont
largement raison au regard des exigences de l’émergence économiques précitées. En outre,
on a une impression partagée par tous les comptables des entreprises interviewés sur le fait
qu’il y a beaucoup de flou dans le plan comptable OHADA. C’est le cas notamment en ce qui
concerne le système qui permet de bien évaluer les quotes-parts des charges à comptabiliser
pour chaque exercice, dans l’exploitation des carrières. Il en est de même pour le système
qui permet de gérer la remise en état des sites (ces exemples nous viennent des entreprises
qui gèrent des carrières comme « Les ciments du Sahel »).
Il ressort des grandes entreprises publiques du Sénégal consultées qu’il n’est pas prévu des
comptes pour enregistrer les TVA (Taxes sur la Valeur Ajoutée) précomptées, laissant ainsi
les comptables dans l’embarras ou dans des manipulations non consensuelles de comptes. 2 Le SYSCOA révisé ou Système Comptable OHADA (SYSCOHADA) : quel référentiel appliquer ?, texte tiré du site de l’OHADA et signé le 05/07/2014 par Oumar SAMBE et Mamadou Ibra DIALLO, Experts Comptables, Commissaires au Comptes, Auteurs du Praticien Comptable SYSCOHADA.
1 ère journée d’étude africaine en comptabilité et contrôle
23
En effet, ces entreprises paient sur leurs achats les montants hors taxe pour ensuite
régulariser avec l’Etat la TVA due. D’après la SDE, la facture est d’abord enregistrée toutes
taxes comprises (un compte d’achat et le compte « 645 - Impôts et taxes indirects » sont
débités par le crédit du compte « fournisseurs » concerné). Ensuite, l’entreprise paie le
montant le montant hors taxes au fournisseur (le compte « fournisseur » est débité par le
crédit du compte de trésorerie concerné). Au moment du reversement de la TVA au Trésor
Public, le compte « fournisseur » est soldé. Le compte « 645 » était conçu pour enregistrer
une TVA supportée par l’entreprise (donc non déductible) et non pour les précomptes de
TVA. Dans ces situations, le principe d’importance significative ou de pertinence partagée,
l’un des neuf principes directeurs du SYSCOHADA, peut alors difficilement être respecté.
Apparemment, il existe des situations au sein des États membres de l’OHADA qui n’étaient
pas connues des consultants étrangers au moment où ils concevaient le SYSCOHADA. Les
adaptations de ce système de comptabilité deviennent alors nécessaires. L’un des
comptables de la SDE (M. G.) pense qu’il faut « associer les responsables de la comptabilité
et de la fiscalité des sociétés privées dans la mise en place d’un plan comptable ».
Deux comptables (celui de « P & I » et celui de PATISEN) trouvent que le plan comptable
OHADA est trop long avec des sous-comptes de charges de la classe 8 (classe des charges et
produits hors activités ordinaires) qui pourraient même être ramenés à la classe 6 (classe
des charges d’activités ordinaires). En guise d’illustration, les propos du comptable de
PATISEN sont les suivants : « Je trouve que le SYSCOHADA est très détaillé ; il ya des comptes
que l’on peut regrouper. C’est pourquoi je préfère le plan français qui à mon avis est plus
regroupé. Je connais le plan français, car on l’utilisait quand j’étais à CHOCOSEN. Là, il est
difficile de faire du reporting entre le plan comptable sénégalais de l’époque et le plan
français du fait de l’incompatibilité entre certains comptes ici et là ».
Ceci tombe sur l’une des difficultés que les autorités de l’UEMOA ont voulu transcender en
supprimant la classe 8 dans le projet du SYSCOA révisé. Les éléments appartenant à cette
classe sont ventilés dans les classes 6 et 7. En procédant au même regroupement au niveau
du bilan, celui-ci devrait pouvoir se contenir sur une seule page (d’après la réforme
envisagée du SYSCOA), simplifiant ainsi le montage et la présentation des états financiers.
Les membres interviewés du Conseil National de Comptabilité soulignent le caractère
rébarbatif de la présentation des états financiers qui sont un peu trop longs en termes de
1 ère journée d’étude africaine en comptabilité et contrôle
24
rubriques à renseigner, et ceci est sources d’erreurs, d’imprécisions ou parfois de
redondances. Tout cela doit faire l’objet d’explications dans les états annexés, la lecture des
états financiers se révélant ainsi fastidieuse pour bien des destinataires.
Ainsi pour la BCEAO, à chaque fois que le FMI (Fonds Monétaire International) effectue une
mission de contrôle de l’utilisation des ressources qu’il a mises à sa disposition, la
présentation des comptes suivant un modèle universel de type IFRS est exigée. Aussi, une
difficulté est constatée chez les entreprises notamment par rapport à la façon de renseigner
de manière exhaustive les états financiers dont certains se révèlent trop compliqués pour
bien des PME qui ne les déposent pas à temps ou qui ne les déposent jamais au Guichet
Unique consacré par la BCEAO à cet effet. On sait que ces informations sont recherchées
pour l’élaboration de la balance des paiements. Ce document économique constitue un
élément d’information de base aidant dans la politique monétaire vis-à-vis de la France qui
soutien la convertibilité illimitée du franc CFA en d’autres monnaies étrangères
internationales. Au niveau de la BCEAO, trois soucis majeurs demeurent : un souci de
pertinence partagée de l’information comptable qui nécessite une convergence prudente
vers les IFRS, un souci d’exhaustivité de l’information comptable collectée sur l’ensemble de
l’UEMOA, et un souci de convivialité des états financiers dans lesquels on doit agréger
l’information comptable opposable aux tiers.
Sur la forme, le débat reste mitigé. En effet, par rapport à l’Autorité des Normes Comptables
de France, un cadre institutionnel permanent existe et veille sur l’évolution de la norme.
Celui-ci est régi par des textes clairs acceptés par tous et qu’aucun autre texte ne peut
remettre en cause. Pour ce qui concerne les décisions de l’OHADA, il est bon de repréciser
que par le fait que les Traités de l’UEMOA assoient vis-à-vis de la France la convention de
compte d’opérations par laquelle la convertibilité illimitée de la monnaie est garantie par la
France, il y a obligation de reversement par la BCEAO de 50 % de ses réserves en devises au
Trésor français. Par le compte d’opérations ouvert à la BCEAO par le Trésor français,
l’obligation est de clarifier toutes les transactions financières et commerciales de l’union
avec la France et le reste du monde. C’est d’ailleurs les raisons essentielles pour lesquelles la
BCEAO a vite éprouvé un besoin d’informations économiques justes sur l’union par la mise
en place d’une centrale des bilans. Ceci conduisit à la mise en place d’un système comptable
unique pour l’union.
1 ère journée d’étude africaine en comptabilité et contrôle
25
Très récemment, certains États comme la Côte d’Ivoire décident de faire marche arrière par
rapport à l’application du SYSCOA révisé puisque la loi de finance du 18 décembre 2015
portant budget de l’État pour la gestion 2016 demande aux entreprises ivoiriennes de
déposer à l’administration fiscale leurs états financiers annuels conformément au droit
comptable de l’OHADA, au droit comptable bancaire ou au Code de la Conférence
Interafricaine des Marchés d’Assurance (CIMA). En effet, la révision du SYSCOA n’est pas
suivie de la mise en place de guides d’application consensuels et officiels. On note là une
absence de presse et d’une rédaction propres aux organes de normalisation. Ceci ressemble
à des phénomènes décrits plus haut à savoir le retrait des États des organes d’intégration ou
des risques d’implosion de ces organes par l’apparition manifeste de conflits.
2.4. Perspectives de structuration d’un système de normalisation adapté
Les problèmes majeurs qui gangrènent le processus de normalisation et d’harmonisation
comptables dans l’espace OHADA sont apparemment :
- Les conflits d’intérêts dans les structures d’intégration en place, la distinction des
compétences entre les organes de normalisation (mal équipé et de faible autorité) et
les organes professionnels (d’où viennent exclusivement des initiatives de
normalisation, alors que la maîtrise de la méthodologie de la recherche
fondamentale pour faire évoluer la norme n’est pas garantie, dans la mesure où ces
derniers ne relèvent pas du monde académique). On se retrouve avec une doctrine
comptable toujours d’origine et d’inspiration française, alors que les phénomènes
culturels nationaux contingents particularisent à bien des égards les entreprises
locales purement autochtones (D’Iribarne, 1989 et 2007 ; Hofstede, 1980 ; Joannides,
2011 ; etc.).
- Le problème de structuration d’un droit évolutif pour le développement et le
renforcement des capacités institutionnelles des normalisateurs. A ce problème
s’ajoute la question de manques d’instances dynamiques (dont les membres seraient
nommés parmi les meilleurs académiques chercheurs et professionnels du moment)
de réflexion et d’études permanentes et exhaustives des embûches liées à
l’application sur le terrain de la norme technique en vigueur. Ces instances, si elles
existent, devraient pouvoir en même temps recueillir des propositions doctrinales qui
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doivent faire l’objet d’un feed-back et de recherche d’un large consensus pour leur
validation finale. Elles devraient, dans cette perspective, pouvoir organiser
régulièrement des assises d’échange avec les mondes académique et professionnel.
Cela pourrait prendre la forme de Journées Annuelles d’Etudes et de Réflexion sur les
Possibles Évolutions de la Norme Comptable (une institution qui pourrait intégrer le
CNC/OHADA) ou d’Académie des Sciences et Techniques Comptables de l’OHADA
(ASTC/OHADA). In fine, des propositions issues de ces instances peuvent être
envoyées à l’Autorité de Normalisation qui doit disposer également d’une démarche
concertée (assises de validation) pour leur adoption finale.
- L’absence d’une presse comptable permanente de l’OHADA pour la rédaction rapide
et le renouvellement des guides d’application par rapport aux nécessités constatées
et admises d’évolution de la norme.
- Enfin, la structuration d’une Autorité Supranationale de Normalisation Comptable
(assortie d’un système garde-fou limitant l’opportunisme de l’ensemble des parties
prenantes à la normalisation) forte qui fédère de façon participative les académiques
(juristes et comptables), tous les organes professionnels et consultatifs des différents
pays membres de l’OHADA. Celle-ci doit venir compléter la cour de l’OHADA. On
devrait pouvoir asseoir en son sein un système de veille sur l’assurance-qualité pour
une amélioration continue du fonctionnement des organes de normalisation créés en
définissant des critères d’évaluation périodique qui vont également nécessiter des
assises ouvertes pour réfléchir sur les changements à apporter dans le
fonctionnement de ces différentes instances de l’OHADA. L’Autorité Supranationale
de Normalisation doit demeurer un cadre d’initiative de l’amélioration de la norme
technique, un cadre de production de la norme sociale pour l’application de la norme
technique. Elle peut recevoir des propositions doctrinales d’amélioration de la norme
technique et les mettre en études. Tout comme l’ANC en France, l’Autorité
Supranationale de Normalisation doit pouvoir ainsi procéder à un appel à projets de
recherche en comptabilité sur des thèmes ciblés.
Un travail d’Hercule est encore à abattre sur le terrain. Ces constats laissent donc entrevoir
les différentes vertus d’un normalisateur comptable puissant pour l’espace OHADA où les
difficultés majeures de normalisation comptable proviennent des conflits d’intérêts
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institutionnels et de l’autorité des organes supranationaux. Au regard des gangrènes
précitées sur le processus de normalisation, le normalisateur comptable adapté doit être un
normalisateur composite. Il s’agit alors d’un système de normalisation. Ainsi la vérité
implacable et qui peut fâcher se résume en ces termes :
- Pour maintenir le système comptable OHADA, tant qu’il y aura encore au sein des
sous-espaces de l’OHADA des plans comptables ainsi que des organes de
normalisation non abrogés de façon expresse et qui sont couverts par des Traités, on
se retrouvera dans de malheureuses barrières à l’édification d’un système de
normalisation supranational compétent.
- Le reversement des organes de normalisation propres au sous-espace UEMOA au
système OHADA de normalisation. Ces organes, phares et précurseurs de la
normalisation comptable en vigueur actuellement dans l’OHADA devraient servir en
partie de référence et constituer un tremplin pour bâtir un normalisateur comptable
cohérent et harmonieux. Toutefois, si l’UEMOA se sent constamment retardée dans
le processus d’amélioration de la norme comptable et n’entend pas abroger
expressément le SYSCOA ainsi que les organes de normalisation connexes, on devrait
alors prendre le courage entre les mains en demandant l’autonomie par rapport à
l’OHADA. Il est évident que sans adhésion totale des États membres à la logique du
processus de normalisation à l’échelle de l’OHADA, on se retrouverait avec de grands
ensembles économiques assimilables à un colosse aux pieds d’argile.
Conclusion
Les grandes ambitions des pays de l’OHADA se concrétisent par la création de plusieurs
organes d’intégration qui regorgent d’objectifs parfois contradictoires ou redondants. Il est
courant de rencontrer des projets dont la réalisation relève de la compétence de deux
institutions sans que les rôles de l’une et l’autre ne soient clairement délimités, et c’est cela
qui est, pour la plupart des cas, à la base des conflits d’intérêts qui finissent par décourager
certains États et plonger les institutions dans une léthargie avec comme solde final un
énorme gaspillage de ressources. Certains États comme le Sénégal disposaient de Bureau
d’Organisation et de Méthode (BOM) pour pallier la confusion dans la marche d’ensemble
des institutions de l’État développeur. Il s’agissait au Sénégal d’un modèle copié de la France
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dans la mesure où le premier Président de ce pays, Léopold Sédar Senghor3, fut secrétaire
d'État à la présidence du Conseil dans le gouvernement Edgar Faure du 1er mars 1955
au 1er février 1956 et Ministre conseiller du gouvernement Michel Debré, quand son pays
n’avait pas encore accédé à sa souveraineté nationale. Les différents organes conçus pour
aller vers la réalisation des objectifs fixés devraient être rangées dans une chaine de
compétence de façon à la fois horizontale (en termes de complémentarité) et verticale
respectant une hiérarchie qui part du sommet au plus bas niveau d’exécution des tâches. Ce
modèle rappelle la chaine de valeur de Porter (1982) dans le domaine des sciences de
gestion, où nous distinguons les activités principales des activités de soutien.
Ensuite, dans l’espace OHADA, certains sous-espaces comme l’UEMOA disposent de
systèmes de normalisation compétents non supprimés lors du passage à la normalisation
comptable OHADA. Cela montre une autre difficulté de regrouper les grands ensembles
(UEMOA, CDEAO, CEMAC, etc.) qui au départ ne sont pas fondés sur des affinités culturelles
en même temps linguistiques (notion de cercles concentrés). Il y a, à l’intérieur de l’OHADA,
une certaine compétition intercommunautaire.
On note enfin une absence de doctrine comptable d’origine locale. On a plutôt une doctrine
africaine d’inspiration française qui est l’œuvre de consultants étrangers et qui ne garantit
pas la prise en compte de toutes les spécificités contextuelles. Ces spécificités procèdent,
pour l’essentiel, de la nouvelle donne en matière de pratique comptable notamment l’usage
progressif des Progiciels de Gestion Intégrés, la démultiplication des implantations des
grands groupes internationaux nécessitant une certaine ouverture aux IFRS, etc. La
confusion des compétences entre les organes intervenant dans la normalisation comptable
bloque l’adaptation de la norme technique par les autochtones, et pose le problème
d’efficacité de la norme sociale destinée à faire appliquer la norme technique. La recherche
fondamentale locale n’est non seulement pas active en son sein, mais n’est pas convoquée
dans le processus de normalisation même si les enseignants sont parfois associés.
3 Voir l’encyclopédie libre Wikipédia.
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