la commission vérité et réconciliation, miracle de la transition sud-africaine ?
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Mémoire
La Commission Vérité et Réconciliation, miracle de la transition sud-‐africaine ?
Par Stéphane Mader
Réalisé sous la direction de Monsieur Pierre Langeron
Année 2012.
LʼIEP nʼentend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.
Remerciements
Je tiens à remercier tout particulièrement Monsieur Langeron qui, en tant que Directeur de ce mémoire, s’est montré bienveillant, disponible et à l’écoute tout au long de la réalisation de ce travail. D’une manière générale, je désire adresser mes plus sincères remerciements à toutes les personnes qui m’ont apporté leur aide, leur support, leur patience et contribué à la réalisation de ce mémoire; et plus largement à l’achèvement de cette année d’études à l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-‐en-‐Provence. Aix-‐en-‐Provence, Mai 2012.
Résumé
Dans les années 1990 l'Afrique du Sud passe du régime de l'apartheid qui repose sur la
suprématie d'une minorité blanche à une forme démocratique du pouvoir. Cette transition
doit en même temps faire face à un passé constitué de graves violations des Droits de
l'Homme et construire une nouvelle société fondée sur ces mêmes Droits. Qualifiée de
miraculeuse, sa réussite est attribuée à la Commission Vérité et Réconciliation, organe issu
des négociations entre le pouvoir en place et ses opposants. La Commission instaure une
justice dite "transitionnelle" dont les principes doivent répondre aux objectifs de la
transition. Si on peut considérer que la société sud-‐africaine est aujourd'hui en partie le
résultat du travail de la Commission, on peut se demander dans quelle mesure le miracle a
réellement eu lieu. Est-‐ce que la nouvelle Afrique du Sud est complètement réconciliée et
fondamentalement plus juste ?
Sommaire
ABREVIATIONS ET ACRONYMES 1
INTRODUCTION 2
I – LA TRC : RECONCILIER AU DETRIMENT DE LA JUSTICE ? 6 A -‐ LA NECESSITE DE LA TRC PREND SES SOURCES DANS UN PASSE VIOLENT 6 B -‐ LES PRINCIPES DE LA TRC ISSUS DES NEGOCIATIONS DE LA TRANSITION SE FONDE SUR L'IMPUNITE 17
II – LA TRC : FONDER UN FUTUR POSSIBLE EN RECONCILIANT PAR LE PARDON ? 29 A -‐ LA TRC CHERCHE A METTRE EN ŒUVRE LA RECONCILIATION PAR LE PARDON 29 B -‐ LA TRC TRACE NEANMOINS UN CHEMIN LONG ET DIFFICILE 41
CONCLUSION 49
ANNEXES 51
BIBLIOGRAPHIE 61
Abréviations et Acronymes
1
Abréviations et Acronymes
ANC African National Congress
Le principal et le plus ancien parti d'opposition noir fondé en 1912
BEE Black Economic Empowerment
Politique de discrimination positive mise en place depuis les années 2000 par l'ANC
COSATU Congress of South African Trade Unions
Centrale syndicale unifiée créée en 1985 et alliée de l'ANC pendant les négociations de la transition
DRC Dutch Reformed Church
Principale église afrikaner qui fournit la justification idéologique de l'apartheid
IFP Inkatha Freedom Party
Parti zulu qui s'oppose à l'ANC et dont les revendications sont soutenues par le NP
MK Umkhonto we Sizwe -‐ "Spear of the Nation"
La branche armée de l'ANC
NP National Party Le parti arrivé au pouvoir en 1948 représentant la communauté afrikaans et principal architecte su système de l'apartheid.
PAC Pan Africanist Congress of Azania
Parti qui nait en 1959 d'une scission de l'aile la plus africaniste de l'ANC, hostile à l'intégration de Blancs dans les instances dirigeantes du mouvement de libération ainsi qu'à l'influence du SACP
PASO Pan-‐Africanist Student Organization
La branche étudiante du PAC
SADF South African Defense Force
L'armée sud-‐africaine
SACP South African Communist Party
Parti communiste sud-‐africain
TRC Truth and Reconciliation Committee
Comité Vérité et Réconciliation
UDF United Democratic Front
Créé en 1983, il regroupe plusieurs centaines d'organisations civiques, religieuses communautaires, culturelles et syndicales
Introduction
2
Introduction
En 1994, à la suite des premières élections démocratiques en Afrique du Sud portant Nelson
Mandela au pouvoir, le Sunday Times, journal sud-‐africain, titre dans une compilation
d'articles couvrant les évènements des quatre années menant à cette élection The miracle
of a freed nation1. La persistance et la prégnance, jusqu'à aujourd'hui encore, de l'utilisation
de l'adjectif "miraculeux" par de nombreux commentateurs aussi bien locaux
qu'internationaux pour qualifier le processus de transition sud-‐africain renvoient au
caractère aussi bien exceptionnel que supposément réussi de la naissance de la nation arc-‐
en-‐ciel.
Le caractère exceptionnel de cette transition tenait, pour une partie, à la difficulté de
refonder une société profondément divisée en instaurant un Etat de Droit à partir d'un passé
constitué d'affrontements violents et de graves violations des Droits de l'Homme. La
transition négociée s'effectue entre un régime répressif encore détenteur d'un pouvoir fort
et ses opposants qui ont fait le choix de la lutte armée. Le régime de l'apartheid était la
matérialisation de l'objectif de survie d'une minorité blanche au détriment d'une majorité de
Noirs. Les caractéristiques du régime ainsi que l'opposition radicale qu'il suscite sont à la
source du passé violent auxquels doit faire face la nouvelle société.
La transition sud-‐africaine s'inscrit dans le contexte plus large de la fin de la guerre froide et
dans le sillage du passage de régimes autoritaires à des formes plus démocratiques de
l'organisation du pouvoir. Ainsi d'autres transitions démocratiques ont précédé celle de
l'Afrique du Sud tels les pays du cône sud-‐américain : Uruguay, Argentine et Chili quelques
années auparavant. Ces transitions se font dans le contexte où le pouvoir en place, s'il est
conscient de devoir transiger, sait aussi qu'il est détenteur d'un pouvoir fort. Outre
l'administration il contrôle les forces de sécurité de l'armée et de la police. Les régimes au
pouvoir négocient ainsi les conditions de la transition en menaçant constamment d'user de
la "politique de la terre brulée". Dès lors, la transition s'analyse comme une transaction
parce que le changement de régime ne peut pas se réduire à la victoire d'un camp sur
l'autre. Il s'énonce comme un échange entre acteurs politiques faisant naître un nouvel état
des relations sociales qui donne satisfaction à chacun sans redistribuer entièrement le jeu.
1 Nelson D., The miracle of a freed nation, Sunday Times, 1994
Introduction
3
Si les questions de justice, de vérité et de réconciliation sont au centre de ces transitions,
elles sont toujours abordées dans le cadre de cette transaction qui doit concilier rupture et
continuité. Ces questions sont vitales parce que la nouvelle société doit rapidement mettre
un terme aux violences mais aussi parce qu'elle doit statuer sur les violations des Droits de
l'Homme et créer un consensus minimal sur le passé pour espérer se projeter dans un futur
partagé par toutes les communautés qui se sont affrontées. Elles restent néanmoins
déterminées par les termes de la transaction effectuée au moment de la transition.
En Afrique du Sud, la commission Vérité et Réconciliation (Truth and Reconciliation
Committee – TRC), issue des négociations est un organe répondant aux objectifs de la
transition. Emblématique de celle-‐ci, elle est aussi perçue comme étant l'agent principal de
sa réussite. Ses objectifs sont pourtant contradictoires puisqu'il s'agit de conjuguer
réconciliation et justice. D'une part, la TRC doit répondre à la nécessité éminemment
politique de réconcilier des franges profondément divisées de la société. D'autre part, elle
est tenue à un impératif de justice qui suit une longue période d'impunité et sans laquelle il
semble impossible d'instituer une nouvelle société fondée sur un Etat de Droit et sur le
respect des Droits de l'Homme.
Les enjeux de la TRC sont d'autant plus grands que la situation sud-‐africaine est unique. Le
pouvoir en place depuis 1948 aux mains du Parti National (National Party -‐ NP) présente des
caractéristiques qui mêlent autoritarisme, recours à l'idéologie et recours à la violence. Il
prend ses sources dans l'histoire d'une communauté de colons protestants qui fuit les
persécutions religieuses en Europe et s'installe au Cap au début du XVIème siècle. Cette
communauté se construit sur la nécessité de survivre et de s'approprier cette "terre
promise"2. Elle est sans cesse amenée à se défendre avec véhémence contre les indigènes et
plus tard à la fin du XIXème siècle contre le colonisateur anglais. Elle se fonde sur une culture
religieuse qui justifie l'esclavage et sa domination sur les populations indigènes noires. Les
moyens de sa survie, qu'il s'agisse du régime de l'apartheid mis en place en 1948 ou du
recours à la violence pour contrôler une population largement supérieure en nombre, sont à
la source d'une société profondément divisée auquel le processus de justice et de
réconciliation doit faire face.
2 Giliomee Hermann, The Afrikaans, Tafelberg publishers limited, 2003, p. 132
Introduction
4
Le miracle sud-‐africain de la réconciliation et de la naissance d'une nouvelle Afrique du Sud
serait ainsi le résultat d'un compromis unique constitué des choix effectués par la TRC et des
principes sur lesquels elle se fonde. La TRC choisit d'amnistier sur une base individuelle les
actes commis en violation des Droits de l'Homme tout en fournissant aux victimes un espace
de parole leur permettant d'exprimer leur souffrance. Elle instaure ainsi une forme de justice
qui s'écarte radicalement de la justice punitive telle que nous l'entendons habituellement.
Issue des négociations entre le pouvoir en place et ses opposants, la TRC est déterminée
"par une exigence de justice, un besoin de reconnaissance des victimes et la nécessité de
construire une vérité commune et un passé partagé"3. L'ONU a depuis 2004 donné une
définition à cette forme de justice dite transitionnelle. Il s'agit de "l’éventail complet des
divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des
exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la
justice et de permettre la réconciliation"4.
Il est vrai que quasiment vingt ans après la transition et les travaux de la TRC le "miracle"
semble s'être confirmé, la Nation devenue arc-‐en-‐ciel est aujourd'hui invitée aux côtés des
nouveaux pays émergents désormais devenus les BRICS5, elle est la première puissance
économique de l'Afrique et sa diplomatie a l'ambition de redonner au continent une place
dans un monde devenu multipolaire. Pourtant, la société sud-‐africaine reste la plus
inégalitaire au monde6, le taux de criminalité y est l'un des plus élevés, et surtout elle
s'interprète encore largement au prisme de critères ethniques.
Ainsi, si la transition n'est pas aussi réussie qu'on le prétend, si la réconciliation n'a pas eu
l'envergure escomptée, quel rôle les choix et le fonctionnement de la TRC ont-‐ils joué dans
la nouvelle société ? La TRC a-‐t-‐elle posé les ferments d'une société irréconciliable, violente
et injuste prolongeant la séparation qu'avait instaurée l'apartheid ? Si elle s'est inspirée
d'expériences précédentes, notamment d'une des premières commissions de ce type au
Chili, la TRC a emprunté un chemin original fondant la justice transitionnelle sur des
principes uniques. Est-‐ce que ces principes n'étaient que le résultat des négociations et des
3 Richard Spitz, The politics of transition, Hart publishing, 2000, p. 415 4 Rapport du Secrétaire général des Nations Unies devant le Conseil de sécurité, "Rétablissement de l’Etat de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit", Doc. S/2004/616, 2 août 2004, p. 7 para. 8. 5 Brazil – Russia – India – China – South Africa 6 Rapport OCDE 2008, classement des pays selon le coefficient Gini
Introduction
5
rapports de force au moment de la transition forgeant ainsi une justice réduite à l'injustice
des volontés politiques ? Ou au contraire a-‐t-‐elle réussi à construire un passé commun et
une vérité commune sur laquelle une société encore à venir pourra se fonder ?
(I) Pour mettre fin au passé violent de la société sud-‐africaine (A), la TRC veut réconcilier en
se fondant sur le principe d'impunité issu des négociations (B). (II) Elle cherche pourtant à
mettre en œuvre une réconciliation par le pardon (A), mais l'horizon qu'elle trace pour la
nouvelle Afrique du Sud reste un chemin long et difficile (B).
A -‐ La nécessité de la TRC prend ses sources dans un passé violent
6
I – La TRC : réconcilier au détriment de la justice ? La libération, le 11 février 1991, "du plus ancien prisonnier politique du monde", Nelson
Mandela est le signe le plus médiatique et le plus significatif du début de la transition
démocratique sud-‐africaine. Cette libération entérine la fin d'un régime aux caractéristiques
uniques. L'apartheid est un régime autoritaire fondé sur la survie d'une minorité blanche au
détriment d'une majorité de Noirs, sur une idéologie religieuse et sur une rhétorique anti-‐
communiste. La transition fait suite à quarante ans de graves violations des Droits de
l'Homme commises au nom de ce régime mais aussi au nom de la résistance à son encontre.
Le NP au pouvoir est contraint dans un contexte de fin de guerre froide d'accepter les
négociations avec l'African National Congress (ANC), le principal parti de ses opposants et
dont Mandela est le leader. Lorsque le NP initie les négociations, il est encore détenteur d'un
pouvoir fort. Mais le NP comme l'ANC se savent devant une impasse dans laquelle l'un
comme l'autre ne peut imposer la victoire sans risquer la guerre civile et un "bain de sang".
En même temps, pendant les négociations, chacun menace l'autre de la "politique de la
terre brulée".
Les principes de la TRC prennent ainsi naissance dans ces rapports de forces et dans une
négociation politique dans lesquels il ne peut y avoir de perdant. Ces principes concilient dès
lors des objectifs contradictoires. Si la TRC incarne une rupture puisque son existence
matérialise l'arrêt des violences, le rétablissement de la justice et la réconciliation en
établissant la vérité sur le passé, elle incarne également une forme de continuité. Continuité
de l'Etat, négociée et voulue aussi bien par le NP et l'ANC mais aussi, dans une certaine
mesure, continuité d'un système et de principes injustes. En effet une justice fondée sur
l'amnistie ainsi que l'impossibilité pour la TRC de réparer les dommages du système
précédent peuvent être interprétés et perçus comme le prolongement du passé.
A -‐ La nécessité de la TRC prend ses sources dans un passé violent
La nature du régime sud-‐africain est une combinaison unique de caractéristiques résultant
essentiellement de la logique de survie d'une minorité de Blancs sud-‐africains au détriment
d'une majorité de Noirs. Il mêle l'autoritarisme et le recours à l'idéologie et à la violence. S'il
est autoritaire, se rapprochant ainsi des régimes militaires nationalistes du cône sud-‐
américain tels que le Chili de Pinochet ou l'Argentine de Videla, il reste néanmoins une
A -‐ La nécessité de la TRC prend ses sources dans un passé violent
7
démocratie parlementaire pour la minorité blanche. Mais il partage aussi, dans son
utilisation de l'idéologie, des caractéristiques avec les dictatures de type communiste et,
dans une certaine mesure, avec des régimes fondés sur la supériorité d'une ethnie tel que le
Rwanda ou le Congo1. Il possède en commun avec les régimes autoritaires le recours
systématique à la violence comprenant assassinats, tortures et disparitions et un
nationalisme exacerbé ancré dans son impératif de survie. Avec les régimes communistes, il
partage l'utilisation de la "rhétorique de l'ennemi" et de l'idéologie même si la version sud-‐
africaine puise ses sources dans la religion et dans la hiérarchie des races plutôt que dans la
lutte des classes. Enfin le régime de l'apartheid a de particulier de recourir à une ingénierie
sociale qui garantit la domination politique, économique et sociale de la minorité blanche.
Le caractère idéologique de cette domination prend ses sources dans la religion mais aussi, à
partir de la fin de la deuxième guerre mondiale, dans la rhétorique anti-‐communiste et dans
l'idée de l'ennemi intérieur et extérieur justifiant ainsi le recours à la force. La force de
coercition à laquelle le régime a recours, son intransigeance et l'iniquité de son système
suscitent une opposition qui bascule rapidement dans la résistance armée. Mais la fin de la
guerre froide ainsi que des évolutions profondes et internes à la société sud-‐africaine
amènent le régime de l'apartheid dans une impasse dans laquelle la transition devient la
seule issue raisonnable. Ce changement devra faire face à 50 ans de violence et à un climat
de guerre civile.
L'apartheid, une ingénierie sociale au service de la survie d'une minorité
La survie comme thème structurant des Afrikaners prend sa source dans la première colonie
fondée au Cap à la fin du XVIème siècle. Elle sera majoritairement peuplée de colons
néerlandais calvinistes qui fuient les guerres de religion européennes. La colonie de ceux qui
vont se revendiquer comme des africains ou Afrikaners en néerlandais, signifiant ainsi qu'ils
n'ont pas d'autre patrie que cette terre là, se constitue sur la base de l'esclavage des
indigènes et, plus tard, sur d'autres populations venues de l'Inde et d'Asie. La religion tient
une place centrale dans la culture afrikaner et constitue la source dans laquelle les
Afrikaners puiseront la justification de leur domination. Ils se perçoivent très tôt comme le
peuple désigné par Dieu pour "conquérir l'Afrique, y propager la religion chrétienne et
1 Meredith Martine, Coming to terms, Public Affairs, 1999, p. 51.
A -‐ La nécessité de la TRC prend ses sources dans un passé violent
8
protéger les Noirs du meurtre, du pillage et de la violence"2. Leur indépendance, dont la prise
de pouvoir en 1948 par le NP est l'aboutissement, s'est gagnée aux prix d'exodes et de
guerres contre les indigènes et les Anglais. Elle est ainsi indissociable de la nécessité de
recourir à la force et à la violence pour survivre.
Se forgeant dans l'adversité et puisant dans la religion, l'unité afrikaans ou le Volk (le
peuple), est revendiquée au nom d'une communauté établie non pas sur la base d'un
contrat volontaire, mais sur une unification absolue d'une société qui proscrit l'individu
émancipé3. Par conséquent, seul un Etat fort pouvait garantir cette unité contre toute
agression extérieure en n'hésitant pas, si nécessaire, à recourir à la violence. Cet impératif
fut d'autant plus impérieux que, démographiquement, la communauté blanche sud-‐africaine
a toujours été largement minoritaire.
La doctrine officielle de l'apartheid, littéralement développement séparé, mise en place par
le NP à partir des années 50, sert de fondement à la mise en place d'une ingénierie sociale4
visant à garantir la survie du Volk et à assurer la suprématie de la minorité blanche. Si
l'apartheid théorise la séparation stricte des races, et par là même l'essentialisation
culturelle et biologique du concept de race, elle assure surtout que le développement
économique et social de la minorité blanche se fera au profit d'une population noire
dépourvue de droits civiques, d'une main d'œuvre volontairement non éduquée, peu
coûteuse et contrainte de vivre dans des Bantustans, enclaves dotées d'une souveraineté
fictive5. L'église protestante, principal représentant confessionnel de la communauté
blanche et afrikaner sud-‐africaine, la Dutch Reformed Church (DRC), en fournira la
justification religieuse. Pour punir les hommes de vouloir construire la tour de Babel, Dieu a
séparé les peuples. En découle une double nécessité, assurer que ceux unis par Dieu le
restent et garantir la séparation stricte en évitant toute risque d'impureté6. Les mesures de
l'apartheid organisent ainsi toute la société sud-‐africaine. Elles couvrent un spectre allant de
la création des Bantustans jusqu'à l'existence de bancs et de transports publics destinés
distinctement aux Noirs et aux Blancs. La déclaration suivante, extraite d'une déclaration
2 Giliomee, Op. Cit. p. 166. 3 Lefranc Sandrine, Politiques du pardon, PUF, 2002, p. 25. 4 Cf. Annexes : Principales mesures promulguées par l'apartheid dès les années 50. 5 Cf. Annexes : Bantustans et townships pendant l'apartheid. 6 Giliomee, Op. Cit. p. 462.
A -‐ La nécessité de la TRC prend ses sources dans un passé violent
9
préliminaire d'un policier blanc lors d'une session de la TRC en 19967, est révélatrice du rôle
constitutif de la religion dans le système de l'apartheid :
Nous avons été élevé dans la croyance de l'apartheid. On nous a fait croire que Dieu a
approuvé l'apartheid par l'intermédiaire de l'église. Que notre participation dans les forces de
sécurité était justifiée pour faire respecter l'apartheid. Que les noirs étaient inférieurs et que
leurs besoins, leurs émotions, et leurs aspirations étaient différents des nôtres. Que nous
étions supérieurs et que cette différence justifiait l'apartheid
Se basant sur ce discours religieux, le régime justifiera sa volonté constante de créer des
dissensions entres les ethnies noires qui sont nombreuses dans le pays. Le point culminant
de cet antagonisme provoqué prendra la forme d'affrontements meurtriers entre l'Inkatha
Freedom Party (IFP), le parti des Zulus et les partisans de l'ANC pendant la période de
transition.
La rhétorique anti-‐communiste
Après la seconde guerre mondiale, la justification religieuse se conjugue avec un discours
anticommuniste. S'adaptant à la logique de la guerre froide, le thème de l'ennemi intérieur
mais aussi extérieur, et dont Hannah Arendt fera une des caractéristiques d'un régime
totalitaire dans "Les origines du totalitarisme", devient l'instrument de la rhétorique du NP :
le communiste athée est l'ennemi. A partir des années soixante toute la population blanche
était "sincèrement persuadée d'être engagée dans un combat mortel, pour la survie, contre
la menace communiste et que tous les moyens utilisés quels qu'ils soient, étaient justifiés"8.
Les propos de Craig Williamson, un officier des renseignements de la police, s'exprimant lors
d'une session de la TRC9 sont édifiants quant à l'utilisation de la violence et de la rhétorique
de l'ennemi :
Les forces de sécurité sud-‐africaine prenaient très peu connaissance des motivations
politiques des mouvements de libération, si ce n'était de les considérer comme partie
intégrante de l'attaque soviétique violente contre l'occident libre démocratique et civilisé.
Ceci, je crois, rendait plus facile les actions les plus violentes contre les mouvements de
7 Salazar Philippe-‐Joseph and Doxtader Eric, Truth and Reconciliation in South Africa: The fundamental documents, New Africa Books, 2007, p. 201. 8 Meredith Martine, Coming to terms, Public Affairs, 1999, p. 291. 9 Salazar Philippe-‐Joseph and Doxtader Eric, Op. Cit. p. 340.
A -‐ La nécessité de la TRC prend ses sources dans un passé violent
10
libération et leurs partisans, parce que cette violence n'était pas dirigée contre notre peuple,
mais contre un ennemi étranger
Les liens que les mouvements de résistance tels que l'ANC et sa branche armée Umkhonto
we Sizwe (MK) basée hors d'Afrique du Sud ou le Pan Africanist Congress of Azania (PAC)
tissent avec les régimes socialistes ne font que valider et conforter ce discours antisubversif.
Mais s'agissant avant tout de maintenir la suprématie de la minorité blanche au pouvoir, le
recours à ce discours restait bien de l'ordre de la rhétorique10.
A partir des années 70, le régime sud-‐africain puisera abondamment à cette source pour
justifier les violences auxquelles il a recours pour faire face, en interne, aux émeutes de plus
en plus fréquentes dans les townships11 (bidonvilles entourant les grandes métropoles
concentrant les travailleurs noirs) et, à l'extérieur, pour combattre les mouvements de
résistance qui ont fait le choix de la lutte armée.
La résistance et la spirale de la violence
La population noire se retrouvant face à un régime dur et déterminé à conserver son
pouvoir, se résout à la résistance armée a partir des années au début des années 60. Le
régime, dont le refus de toute transigeance se matérialisa dès les années 50 par le
bannissement de tous les partis d'opposition noirs, ferma la porte à toute opposition légale.
Les procès retentissants des années 60, en particulier le procès Rivonia qui en 1964 se
conclut par la condamnation à la réclusion à perpétuité des principaux responsables de
l'ANC dont Nelson Mandela, n'ont fait que confirmer la radicalité de la ligne politique voulue
par le NP.
Des manifestations spontanées qui tournent à la violence déclenchent un cercle vicieux de
répression–résistance. La concentration urbaine des populations noires dans les townships
transforme la plupart des manifestations en émeutes. Le gouvernement répond par la
répression armée, par la torture et par des lois encore plus restrictives. Les émeutes de
Sharpeville en 1960, au cours desquelles 70 personnes sont tuées par la police, constituent,
pour l'opposition, le point de basculement vers la lutte armée. D'une part, les dirigeants de
l'opposition doutent de l'efficacité de la stratégie pacifique utilisée jusque là et il devient
10 Lefranc, Op. Cit. p. 51 11 Cf. Annexes : Bantustans et townships pendant l'apartheid
A -‐ La nécessité de la TRC prend ses sources dans un passé violent
11
d'autre part, de plus en plus difficile de contenir la base des organisations qui ne se
contentent plus de ce type de résistance. L'ANC crée en 1960 une branche armée, le MK,
dont les bases et les camps d'entrainement se constitueront en Afrique, notamment dans les
pays voisins de l'Afrique du Sud, entre autres en Angola, en Tanzanie et en Uganda. Dans le
contexte de la guerre froide, mais aussi des guerres de libération en Afrique, l'ANC et le parti
communiste sud-‐africain (South African Communist Party – SACP) trouvèrent naturellement
des alliés mais aussi un support financier et logistique dans la sphère d'influence socialiste.
Les incursions du MK, la branche armée de l'ANC, en Afrique du Sud donnèrent lieu à des
attentats et à des violences touchant souvent à des civils. Si les pays avoisinant l'Afrique du
Sud furent le théâtre d'une guerre militaire entre le MK et les forces sud-‐africaines, ils
étaient aussi le lieu d'assassinats perpétrés par les services secrets sud-‐africains.
Ainsi, lorsque le 11 février 1991, Frederik de Klerk, Président sud-‐africain et chef du NP,
libéra Nelson Mandela et légalisa les partis politiques de l'opposition, marquant ainsi la fin
de l'apartheid et donnant le signal du début de la transition, la violence était endémique en
Afrique du Sud.
Le régime de l'apartheid à bout de souffle
A la fin des années 80, l'impasse est de part et d'autre : les opposants au régime
reconnaissent qu'il sera impossible de renverser le régime par la force et le gouvernement
sud-‐africain comprend qu'il n'arrivera jamais à bout de la résistance. Mais cette prise de
conscience partagée trouve ses raisons dans des évolutions structurelles de la société sud-‐
africaine ainsi que d'une conjoncture particulière liée à la fin de la guerre froide. La
démographie et des mutations sociologiques sont à mettre au compte des changements
structurels, et la pression internationale et la fin de la guerre froide sont à mettre au compte
des raisons conjoncturelles.
Les évolutions de fond de la société sud-‐africaine liées à la démographie et à des
changements sociaux participent à la nécessité d'accepter la transition. L'évolution
démographique défavorable constitue d'abord un problème de plus en plus prégnant. D'une
part, la population blanche n'a cessé de diminuer depuis les années 50, non pas en valeur
absolue, mais en proportion de l'ensemble de la population sud-‐africaine. En quatre
A -‐ La nécessité de la TRC prend ses sources dans un passé violent
12
décennies elle passe de 20 % à 15% en 199012. D'autre part, la politique visant à cantonner la
population noire dans les Bantustans a échoué. La concentration dans les townships et leur
urbanisation sont devenues incontrôlées et constituent le ferment de la déstabilisation.
En parallèle s'est opérée une lente mais profonde mutation sociologique dans la population
afrikaner et blanche en général. Dans les années 50, les Afrikaners majoritairement ruraux
ont certes vu dans les lois raciales de l'apartheid l'instrument de la préservation de leur
identité raciale mais aussi un moyen de défendre leurs emplois. Or, dans les années 70, l'Etat
constitue un puissant secteur public industriel (énergie, métallurgie) lui permettant d'assurer
son autarcie mais aussi d'employer une part importante de Blancs. Ainsi s'est constituée une
classe moyenne qui dans les années 80, commence à penser qu'il vaut mieux conserver son
emploi et son statut, fut-‐ce au prix de concessions politiques faites au Noirs13. Dans le même
temps la partie de la population blanche d'origine anglaise, économiquement et
politiquement libérale, s'oppose de plus en plus vigoureusement à un régime dont la
politique suscite des sanctions économiques qui fragilisent profondément l'économie.
L'Eglise et les intellectuels commencent dès les années 70 à remettre en question la
justification morale de l'Apartheid14. Le soutien de la Dutch Reformed Church (DRC) s'étiole
alors que son support a toujours été indispensable à la cohésion idéologique du NP.
L'influence de la communauté internationale joue un rôle déterminant. Elle participe à
l'isolement économique du régime mais change aussi la perception que les Sud-‐Africains ont
d'eux-‐mêmes. Dès 1973, les pressions de l'opinion publique internationale s'accentuent. Les
Nations Unies qualifient l’apartheid de crime contre l’humanité et le Conseil de Sécurité
adopte en 1977 la résolution 418, qui prévoit un embargo obligatoire sur la vente d'armes.
Au milieu des années 80, la communauté internationale réussit à convenir d'un large
éventail de sanctions économiques contre l'Afrique du Sud. Même si la résolution 569 de
1985 ne fait qu'exhorter les membres de l'ONU à imposer volontairement des sanctions, elle
recommande néanmoins un embargo sur les investissements et sur la vente des pièces d'or
12 Warden Nigel, The making of modern South Africa, 1994, p. 139 13 Ibid. p. 156 14 Giliomee, Op. Cit. p. 327.
A -‐ La nécessité de la TRC prend ses sources dans un passé violent
13
sud-‐africaines, la restriction des relations culturelles et sportives ainsi que l'interdiction de
conclure des contrats dans le domaine nucléaire et informatique15.
Les Nations Unies furent pourtant incapables d'imposer des sanctions obligatoires du fait
des tensions de la guerre froide ainsi que de l'opposition de certains membres permanents
du Conseil de sécurité notamment les États-‐Unis et le Royaume-‐Uni, pour des raisons
stratégiques et économiques. Les pays industrialisés imposèrent finalement des sanctions en
1985 lorsque des groupes d'intérêt, des politiciens et d'importants segments de l'opinion
publique l'exigèrent après que le gouvernement sud-‐africain eut brutalement réprimé les
manifestations contre des propositions constitutionnelles faisant fi des revendications des
Noirs. De fait, les reportages télévisés sur les confrontations entre la police sud-‐africaine et
les Noirs eurent pour effet de galvaniser la communauté internationale.
Enfin et surtout la conjoncture internationale sera bouleversée par l'effondrement de
l'Union Soviétique. Si le régime au pouvoir voit disparaître l'allié principal de ses opposants,
il perd avant tout sa justification rhétorique du combat contre l'ennemi subversif. Il ne peut
plus se revendiquer comme étant le dernier bastion contre le communisme en Afrique,
comme le garant d'un monde libre et chrétien. Il perd ainsi les soutiens, souvent dissimulés,
du bloc de l'Ouest et particulièrement celui des Etats-‐Unis. La fin de la guerre froide apaise
dans le même temps les conflits régionaux en Angola et au Mozambique. En outre les
interventions militaires menées par l'Afrique du Sud avaient fait naître une forte opposition
chez les Blancs qui considéraient de plus en plus comme exorbitant leur coût humain. De
leur côté, les mouvements de résistance perdent leur support logistique, matériel et
financier mais aussi symbolique.
Le régime de l'apartheid contraint de négocier
Ainsi, à la fin des années 80, l'impasse est avérée et reconnue par les tenants du pouvoir et
les opposants. Si les négociations sont initiées par le NP et par le Prédisent de la République,
Frederik de Klerk, les acteurs qui y jouent un rôle déterminant sont l'ANC devenu
incontournable, les forces économiques nationales et internationales et dans une moindre
mesure des partis aux extrêmes de l'échiquier politique sud-‐africain.
15 Cf. Annexes : Principales mesures promulguées par l'apartheid dès les années 50.
A -‐ La nécessité de la TRC prend ses sources dans un passé violent
14
L'organisation du processus politique de transition, la forme constitutionnelle du nouvel
état, la question des futures orientations économiques, le statut des agents de
l'administration en place et la justice constituent les sujets au cœur des négociations. Ils sont
tous âprement discutés mais les sujets de la justice et le statut des fonctionnaires
deviendront rapidement un point de discorde menant à des violences graves menaçant
d'interrompre définitivement les négociations. Le NP veut s'assurer de l'emploi de ses
fonctionnaires et refuse tout risque de "chasse aux sorcières"16 dans l'administration. Il
refuse surtout tout principe de jugement pénal pour son armée et sa police, encore moins
d'un jugement par un organe de justice international. Si le NP sait qu'il devra transiger sur
certains points, il se sait néanmoins détenteur d'un pouvoir fort et d'une administration qui
comprend les forces de sécurité militaire et de police. Il menace sans cesse de recourir à la
"politique de la terre brulée" quitte à déclencher une guerre civile. Pic Botha, ex président
de la République rappelle "qu'il est dangereux de réveiller le lion qui dort"17.
La période de transition est la plus violente de l'histoire sud-‐africaine, plus de 20 000
personnes meurent de 1985 jusqu'aux élections en 1994. Paradoxalement la violence est
majoritairement le fait d'affrontements entre les membres de l'ANC et ceux du parti zulu
l'IFP. Cette opposition entre deux partis noirs représentants de deux ethnies (les Xosa et les
Zulus) est attisée et provoquée par le pouvoir. Cette démarche s'inscrit logiquement dans la
continuité de la politique de l'apartheid dont l'objectif est de séparer les races mais aussi de
"diviser pour mieux régner". Non seulement le NP a encouragé les velléités indépendantistes
des Zulus et estime pourvoir faire une alliance objective avec eux pour réclamer une
nouvelle Afrique du sud fédérale mais il entraine les membres de l'IFP à l'aide de ses propres
forces spéciales pour mener des actions de force contre l'ANC. Tenant d'un double langage,
le NP se sert de ces affrontements pour soutenir et prouver que l'idée d'une Afrique du Sud
sans pouvoir blanc est vouée au chaos.
Si le résultat des négociations est le reflet de l'équilibre des pouvoirs en présence et des
objectifs de chacun, il reste celui d'une élite qui négocie pour le compte de ceux qu'elle
représente. Ce résultat des négociations, dont la constitution provisoire inclut le principe de
la TRC, n'aura d'autre légitimité que celle-‐là.
16 Frederik de Klerk cité par Wilson Richard, The politics of truth and reconciliation in South Africa, Cambridge University Press, 2001, p 231. 17 Pic Botha cité par par Lefranc Sandrine, Politiques du pardon, PUF, 2002, p. 130.
A -‐ La nécessité de la TRC prend ses sources dans un passé violent
15
Les principales forces en présence
Pourtant l'ANC et Mandela s'imposent comme les interlocuteurs incontournables et
légitimes dans les négociations et la transition. L'ANC est parvenu pendant les décennies de
l'apartheid à gagner le soutien d'une grande majorité des Noirs. Il a réussi à s'allier avec les
organisations les plus puissantes, notamment le SAPC et la fédération syndicale noire
(Congress of South African Trade Unions – COSATU).
La crédibilité de l'ANC est aussi indiscutablement liée à la figure de Nelson Mandela
emprisonné en 1964, "le plus ancien prisonnier politique du monde" acquit en prison une
stature incontournable en tant que leader de l'ANC mais aussi en tant qu'icône dans son
pays et dans le monde. La légitimité de l'ANC et son soutien majoritaire dans la population
noire expliquent l'acceptation des décisions que le parti prendra pendant les négociations et
la transition. Fort de ce soutien, l'ANC brandit et parfois exécute la menace de
démonstrations et de grèves en masse pendant les négociations.
L'ANC défend la vision politique d'une nouvelle Afrique du Sud unie prenant la forme d'un
Etat centralisé, Etat de droit fondé sur le respect de l'individu et des Droits de l'Homme18. Il
s'oppose aux dirigeants sud-‐africains qui soutiennent un gouvernement de minorité avec un
principe de consensus donc un droit de veto à chaque minorité. Le NP envisage un transfert
de pouvoir basé sur une représentation par groupe racial, une forme d'auto-‐détermination
et une séparation entre les affaires générales ("general affairs") ou domaines régaliens et les
affaires internes au groupe ("own affairs"), écoles, quartiers résidentiels, etc.
La vision fédéraliste du NP est partagée par le Inkatha Freedom Party (IFP), parti zulu. Le
gouvernement sud-‐africain, depuis les années 70, a encouragé les velléités nationalistes
d'une part de la population, notamment celles des Zulus et de leur parti l'IFP. L'IFP partage
avec le NP la volonté de créer un Etat fédéral avec des droits spécifique pour chaque ethnie
d'autant que les Zulus possèdent un territoire historique bien délimité, le Kwazulu Natal.
Fidèle à sa logique de division, le gouvernement attise les dissensions entre les objectifs
incompatibles de l'ANC et de l'IFP. Il va jusqu'à créer une "troisième force", dont l'existence
sera plus tard attestée par la TRC, pour entrainer des membres de l'IFP et attiser les
violences entre l'ANC et l'IFP. Cette violence qualifiée de "black on black" produira des
18 Wilson Richard, The politics of truth and reconciliation in South Africa, Cambridge University Press, 2001, p 105.
A -‐ La nécessité de la TRC prend ses sources dans un passé violent
16
milliers de morts pendant toute la période des négociations. Les trois quarts des morts que
recense la TRC sont survenus au cours des quatre années de transition (entre 1990, année
du discours du Président de Klerk annonçant la possibilité d'une transition négociée et le 10
mai 1994, date de l'investiture de Mandela à la présidence de la République). Ces violences
serviront d'argument à l'aile la plus radicale du NP et à l'IFP contre la création d'une Afrique
du Sud unitaire.
Les milieux financiers sud-‐africains jouent un rôle déterminant sur les orientations
économiques de l'ANC en menaçant d'abandonner l'Afrique du Sud si elles ne sont pas
conformes à leurs intérêts. Dans le contexte des années 90 et du néolibéralisme inspiré du
consensus de Washington, le milieu international agit dans le même sens que les acteurs
locaux en détournant l'ANC de toute politique d'inspiration socialiste et en menaçant de la
fuite des capitaux en place ou à venir. Ces pressions s'exercent d'autant plus facilement
qu'aucun des membres de l'organisation ne possède un savoir faire ou une expérience
économique. L'ANC reste avant tout une organisation de résistance politique. Elle acceptera
en particulier d'abandonner les nationalisations qu'elle avait prévues et se pliera à la
nécessité qu'elle perçoit de ne pas mettre en danger la stabilité économique du pays.
Des forces minoritaires mais radicales influencent les négociations et participent au climat
de violence extrême de la transition. Le Pan Africanist Congress of Azania (AZP) milite pour
la prise de pouvoir révolutionnaire des Noirs et le départ pur et simple des Blancs. L'extrême
droite afrikaner revendique un Etat indépendant mais dont la délimitation géographique
semble impossible.
Malgré un climat de tension extrême, le processus de négociations aboutit sur la base de
quatre piliers du compromis, l'amnistie et la réconciliation, le principe des élections libres et
le gouvernement d'unité nationale. Conclus en 1993 par une Constitution provisoire, les
termes de l'accord contiennent le principe d'un exécutif de transition incluant les principaux
acteurs de la transition dont l'ANC et le NP. L'organisation d'élections au suffrage universel
est prévue en Avril 1994. Le gouvernement issu de ces élections aura la charge d'élaborer
une constitution définitive. L'épilogue de la constitution provisoire contient in extremis le
principe de l'amnistie et d'une Commission pour la Réconciliation.
B -‐ Les principes de la TRC issus des négociations de la transition se fondent sur l'impunité
17
B -‐ Les principes de la TRC issus des négociations de la transition se fondent sur l'impunité
La fin de l'apartheid et l'implantation d'un régime démocratique expriment la victoire
incontestable de l'ANC. Mais celle-‐ci est inscrite dans des termes partiellement imposés par
un ancien pouvoir blanc partie prenante de ce changement. L'accord conclu entre les parties
contient immanquablement des clauses de sauvegarde bénéficiant aux anciens dirigeants et
notamment des garanties d'impunité imposant un traitement très particulier du passé
immédiat (même s'il est à noter que l'impunité est aussi voulue par l'ANC qui veut protéger
ses prisonniers politiques). La constitution provisoire sud-‐africaine institue dès lors le
principe de la réconciliation avec comme corolaire l'amnistie autrement dit l'impunité.
La difficulté est ainsi de déterminer si la TRC relève d'un instrument purement politique
fondamentalement injuste ou d'une forme de justice qui est désormais qualifiée de "justice
transitionnelle" ou "justice restauratrice". Cette forme de justice doit instaurer le fondement
du nouvel Etat de droit sud-‐africain et la base de l'unité nationale. Si on peut s'attacher à
montrer la difficulté des compromis obtenus lors de la transition, il reste qu'au vu de
l'amnistie, la TRC se fonde sur une injustice au regard des victimes et de l'impunité de ceux
qui ont commis des violences dans le passé.
L'objectif politique a en effet prévalu. On comprend que cet objectif soit raisonnable au
regard des compromis à effectuer dans le contexte des affrontements et des rapports de
forces des parties en présence. En effet, le changement de régime ne se réduit pas à la
victoire d'un camp sur l'autre. Il s'agit bien d'une transaction, d'un échange entre les acteurs
politiques qui font naître un nouvel état des relations sociales donnant satisfaction à chacun
et sans redistribuer entièrement le jeu. On retrouvera dans l'examen des compromis cette
tension entre rupture et continuité.
Les principes issus de la transaction sous-‐tendant la TRC sont pourtant uniques. Si l'amnistie
est accordée sur une base individuelle, elle se fait néanmoins en échange de la vérité. Un
espace d'expression est attribué aux victimes leur permettant de raconter les souffrances
subies. Si la réconciliation reste l'objectif principal, la construction d'une vérité du passé
élabore ce qui serait une forme de justice.
B -‐ Les principes de la TRC issus des négociations de la transition se fondent sur l'impunité
18
L'Amnistié et la Réconciliation
Les négociations ont élaboré une constitution provisoire qui, pour faire face aux graves
violations des Droits de l'Homme du passé, institue la réconciliation et l'amnistie ainsi que le
principe d'une organisation chargée d'accorder l'amnistie. La justice, au sens de justice
pénale ou de justice internationale, est écartée au profit d'un objectif de reconstruction de
la Nation et de la réparation d'une société au passé malade. La TRC s'inscrit ainsi dans ce
difficile compromis entre la continuité et la rupture, l'un pour conserver l'acquis et respecter
les exigences des parties prenantes aux négociations, l'autre pour marquer la fin des
violences et le changement. La commission incarnera encore d'autres compromis instituant
une forme de justice dite de transition mais dont la perception sera bien souvent celle d'une
injustice.
Les objectifs politiques, réconciliation et amnistie, issus des négociations sont inclus dans
l'épilogue de la constitution provisoire. L'épilogue annonce un "pont entre le passé et
l'avenir", entre un avant et un après dont la TRC sera la principale incarnation :
La présente Constitution pourvoit un pont historique entre le passé d’une société
profondément divisée, marquée par la lutte, le conflit, les souffrances non dites et l’injustice,
et un avenir fondé sur la reconnaissance des Droits de l'Homme, sur la démocratie et une vie
paisible côte à côte, et sur des chances de développement pour tous les Sud-‐Africains, sans
considération de couleur, de race, de classe, de croyance ou de sexe.
Afin de promouvoir cette réconciliation et cette reconstruction, l’amnistie sera accordée pour
les actes, omissions et infractions liés à des objectifs politiques et commis au cours des conflits
du passé
En outre, y figure le principe d'une organisation chargée d'accorder l'amnistie. Ainsi, alors
que l'apartheid a été déclaré par les Nations Unies comme crime contre l’humanité,
impliquant que ses agents soient rigoureusement punis et sans limitation temporelle (cette
catégorie de crime est imprescriptible), le choix de la réconciliation au détriment d'une
justice pénale, de la défense des Droits de l'Homme, confirme la prééminence de l'objectif
politique de la reconstruction.
Les propos de l'archevêque Desmond Tutu, futur président de la TRC, s'exprimant sur le
principe de l'amnistie révèlent non seulement la dimension politique de ce choix mais
B -‐ Les principes de la TRC issus des négociations de la transition se fondent sur l'impunité
19
l'absence d'alternative dans laquelle la raison a prévalu au détriment des Droits de
l'Homme :
Il ne fait aucun doute que les membres de la sécurité auraient sabordé la solution négociée,
s’ils avaient pensé devoir s’exposer au feu de procès… c’est bien parce que nous sommes en
train de récolter les bénéfices de cette politique… que nous pouvons nous offrir le luxe de
récriminer. Si le miracle de la solution négociée n’avait pas eu lieu, nous aurions été plongés
dans le bain de sang que tout un chacun prédisait comme la fin inévitable de l’Afrique du Sud.
Mais au-‐delà du principe de respect de la souveraineté d'un Etat, le refus d'une justice
internationale sur le modèle des procès de Nuremberg a été défendu aussi bien par le NP
que l'ANC. Le premier parce qu'il craignait que ses agents soient mis en examen, et le
second, parce que de nombreux membres de sa branche armée sont encore emprisonnés au
moment de la transition et ont commis des violations des Droits de l'Homme.
Si les deux partis ont cherché à défendre le principe d'une amnistie générale (blanket
amnesty), le principe d'une forme de justice cherchant à établir la vérité et reconnaissant un
droit aux victimes a prévalu. Néanmoins, ce qui sera l'acte fondateur de la future société
sud-‐africaine se fait sur l'impunité : les violations des Droits de l'Homme commises au nom
d'objectifs politiques seront amnistiées.
La continuité dans la rupture ?
Ce choix s'inscrit dans le contexte de la transition négociée. La réconciliation, et partant le
travail de la TRC, doit obéir à une double contrainte paradoxale, la nécessité de rupture en
même temps que celle de la continuité. Cette double contrainte révèle encore une fois la
prééminence du politique et de la raison. Elle éclaire la difficulté des compromis à effectuer
dans une société qui doit se reconstruire en faisant face à son passé violent.
La réconciliation appelle d'abord à la rupture. La société, pensée sur le mode d'un corps
malade1, doit être guérie. La transition représente symboliquement le passage d'un corps
blessé à celui d'un corps cicatrisé. La nouvelle société doit se fonder sur un acte symbolique
dont la TRC sera l'agent. Desmond Tutu, lors de sa nomination come président de la
commission, dira "J’espère que le travail de la commission, en ouvrant les blessures pour les
nettoyer, les empêchera de s’infecter".
1 Lefranc, Op. Cit. p. 67.
B -‐ Les principes de la TRC issus des négociations de la transition se fondent sur l'impunité
20
En outre, si la réconciliation devait assurer la fin des violences et représentait le passage
d'affrontements armés à une concurrence pacifique, elle devait tout autant reformer la
confiance entre les citoyens et leurs institutions ; le moment de réconciliation étant celui qui
pose les fondements d'une paix sociale.
Le processus de la transition, conçu comme un "pont" permettant le passage d'un état à
l'autre, révèle la nécessité pour la réconciliation et le travail de la future TRC d'être limités
dans le temps. Il faudra refermer les blessures pour que la société puisse reprendre son
chemin. Elle sous-‐entend une fin temporelle au processus de réconciliation. Le mandat
accordé à la TRC sera de ce fait limité dans le temps. La loi instituant la TRC lui attribuera au
départ une période de deux ans pour effectuer son travail, période qui sera prolongée d'un
an au vu du nombre de candidatures à l'amnistie et de victimes demandant à être
entendues. Le principe d'une période déterminée pour la TRC est le résultat des
négociations dans lesquelles toutes les parties prenantes percevaient la réconciliation
comme un moment transitoire marquant un avant et un après2. L'archevêque Desmond
Tutu, président de la TRC, déclara3 :
Nous donnons deux ans pour révéler le passé, après quoi le rideau retombera. Après cette
date, plus personne ne pourra se présenter et nous faire de nouveaux récits d'horreurs, parce
que l'occasion aura été donnée. Après cette date, le pays ne peut plus être pris en otage par
de nouvelles révélations.
S'ajoute le paradoxe supplémentaire de construire un Etat de droit fondé sur la justice et sur
les Droits de l'Homme mais dont l'acte fondateur – la rupture incarnée par la réconciliation
et la TRC -‐ se construit sur un moment d'injustice, sur l'amnistie de ceux qui ont violé ces
mêmes Droits de l'Homme. Cette contradiction est d'autant plus forte que l'ANC projette
pour l'Afrique du Sud une vision de communautés réconciliées autour d'institutions
démocratiques qui garantissent le respect des citoyens, modèle inspiré du patriotisme
constitutionnel de l'Allemagne à la sortie de la guerre et théorisé par Jürgen Habermas.
Le nouvel Etat est responsable de la pacification et de l'unification d'une société
conflictuelle. Il doit assurer une forme de justice qui interrompt les violences et pose les
2 Garapon Antoine, La justice comme reconnaissance dans Cassin Barbara, Cayla Olivier, Salazar Philippe-‐Joseph, Vérité Réconciliation Réparation, Seuil, 2004 3 Esprit, 328, décembre 1997, p. 65 cité par Darbon Dominique, La TRC. Le miracle sud-‐africain en question, Revue française de science politique, 48e année, n°6, 1998. pp. 707-‐724
B -‐ Les principes de la TRC issus des négociations de la transition se fondent sur l'impunité
21
bases d'une société en paix et en sécurité. Une déclaration faite durant la transition
uruguayenne qui précède la sud-‐africaine de quelques années ne saurait mieux expliciter le
compromis effectué au regard d'une justice de compromis et du caractère prioritaire
accordé au rétablissement de la paix économique et sociale. Il s'agit de la lettre de J.M
Sanguinetti, président uruguayen élu après la sortie d'une régime autoritaire, adressée à
Amnesty Internationale en 19864:
L'obligation qu'a l'État d'administrer la justice ne peut être remplie dans l'absolu, sans
prendre en compte les autres fonctions de l'Etat, dont les plus importantes sont de garantir
que ses citoyens vivent ensemble dans la paix et d'encourager le développement de la
communauté dans un contexte de paix et de sécurité.
Ainsi la réconciliation est aussi tenue d'assurer la continuité. En se pliant aux contraintes de
la négociation politique et aux nécessités matérielles de la transition, elle doit garantir la
stabilité de l'économie, la continuité de l'Etat et préserver l'administration. En faisant
prévaloir son choix d'un Etat unitaire et centralisé, l'ANC conservera les structures
administratives et les éléments constitutifs de l'Etat. De la même façon, Frederik de Klerk
s'était vu garantir par les clauses de la Constitution provisoire que l'administration ne serait
pas soumise à "une chasse aux sorcières".
L'articulation entre continuation et rupture est ainsi au cœur de la perception que les Sud-‐
Africains auront du travail de la commission et du processus de réconciliation. La majorité
des Sud-‐Africains percevront la transition comme tenant davantage de la continuation, non
seulement comme la continuation d'une grande partie du système précédent dans son
organisation mais aussi comme la continuation de son injustice.
Amnistie en échange de la vérité
Dans le prolongement du principe de réconciliation établi dans l'épilogue de la constitution
provisoire, la loi promulguant la TRC, loi "Promotion de l'unité nationale et de la
réconciliation", est le résultat de négociations longues et difficiles. Elle représente 130
heures de discussions et plus de 300 amendements résultant d'un compromis élaboré
principalement entre l'ANC, le NP et l'IFP, le parti zulu5.
4 Cité par Lefranc Sandrine, Politiques du pardon, PUF, 2002, p. 130. 5 Le texte intégral de la loi instituant la TRC : http://www.justice.gov.za/legislation/acts/1995-‐034.pdf
B -‐ Les principes de la TRC issus des négociations de la transition se fondent sur l'impunité
22
Malgré la large victoire de l'ANC aux élections de 19946, il n'a pas réussi à obtenir une
majorité absolue, il est contraint de négocier avec le NP et l'IFP. Mais la loi instituant la TRC
est le résultat d'un gouvernement possédant une vraie légitimité démocratique
contrairement à son principe à qui cette légitimité fait défaut. L'autonomie dont la TRC fera
preuve dans sa mise provient probablement de cette différence.
La loi révèle plus avant les compromis difficiles auxquels sont confrontés les législateurs. Si
l'amnistie définit le cadre dont la TRC ne peut sortir, elle se fixe comme principe directeur la
vérité et comme objectif la réconciliation. En outre, l'objectif de réconciliation sera atteint
en fournissant un espace d'expression aux victimes reconnaissant ainsi leurs souffrances. Cet
ensemble de compromis, dont on verra qu'il permet aussi de construire une mémoire
commune, instaure malgré l'amnistie, une solution dont il ressortira une forme de justice.
Les objectifs formellement assignés à la TRC étaient les suivants :
• Etablir la vérité historique sur la violence politique entre 1960, date de l'entrée en
clandestinité et de la lutte armée des mouvements antiapartheid, et 1994, période
incluant les violences commises pendant la transition (notamment la violence "black on
black");
• Octroyer l'amnistie aux auteurs de crimes politiques au cours de cette période ;
• Fournir aux victimes un lieu où raconter les souffrances subies ;
• Adopter des mesures permettant la réhabilitation des victimes et l'octroi à ces dernières
de réparations ;
• Faire des recommandations permettant la prévention des violations des Droits de
l'Homme.
Les conditions d'octroi de cette amnistie, qui s'appliquent indifféremment à des actes
commis par des agents du pouvoir comme à ceux dans l'opposition, s'articulent autour de
trois principes : le caractère politique de la motivation de l'acte, des actes individuels et
graves et la nécessité pour le demandeur de dire toute le vérité sur les circonstances de
ces actes (full disclosure).
L'amnistie était ainsi d'abord octroyée dans le cadre d'actes et non de la personne. La TRC
n’étant pas une juridiction, au sens strict elle n’instruisait pas de cas, elle ne pratiquait pas
6 Cf. Annexes : Scores aux élections de 94 dans le nouveau découpage régional sud-‐africain.
B -‐ Les principes de la TRC issus des négociations de la transition se fondent sur l'impunité
23
d'interrogatoires, elle ne pouvait dire de quelqu’un qu'il était "coupable" mais seulement
"perpetrator". Il était un acteur, une personne ayant perpétré des actes en violation avec les
Droits de l'Homme.
Pour entrer dans le champ des investigations de la TRC, la perpétration des actes devait
avoir été "conseillée, planifiée, dirigée, commandée ou ordonnée par toute personne
agissant avec un motif politique". Trois critères devaient être satisfaits : le coupable devait
faire partie d'une organisation reconnue comme partie prenante aux conflits ; l'acte devait
être de nature politique et "proportionnée à l'objectif" ; il ne devait pas avoir été commis
pour un gain personnel ou par malveillance7.
Les actes visés devaient être graves. Tant pour l'attribution du statut de victime que pour
l'octroi de l'amnistie, il s'agissait de "violations graves des Droits de l'Homme " (gross human
rights violation), incluant le meurtre, l'enlèvement, la torture ou les mauvais traitements
sévères, ce qui laissait de coté d'autres formes de violence politique telles que la privation
des droits civiques ou les déplacements forcés.
Enfin, sans que la TRC ne se voie attribuer le pouvoir d'un tribunal de justice, elle devait
juger de la vérité et de la complétude du récit des demandeurs. La TRC pouvait procéder à
des investigations policières complètes et notamment recouper le récit d'un auteur avec
ceux d'autres perpetrators ainsi qu'avec ceux des victimes. Ainsi la liberté est accordée en
échange de la vérité. Cette vérité mise en commun servira à construire une mémoire
commune sur laquelle pourra se fonder la nouvelle société.
Si toutes ces conditions étaient réunies, la TRC accordait l'amnistie. La TRC, plus précisément
le Comité sur l'amnistie avait un statut singulier dans la mesure où ses décisions étaient
irrévocables et ne pouvaient être révisées par aucun autre pouvoir. L'octroi d'un amnistie
individuelle mettait fin à toute responsabilité civile ou pénale de la personne amnistiée pour
l'acte pour lequel elle l'avait été : les poursuites étaient nulles, les condamnations sans effet
et les détentions prenaient fin. Les candidatures devaient être déposées dans un délai de
douze mois après la promulgation de la loi. 7 Les législateurs se basèrent sur les principes articulés par le juriste Carl Norgaard pour faciliter la fin du conflit en Namibie en 1989. Six facettes sont à considérer pour identifier un crime "politiquement motivé" : i. Le motif du contrevenant était de nature politique ; ii. L’acte fut commis dans des circonstances d’agitation politique; iii. La nature du motif politique (par exemple, s’agissait-‐il de renverser le gouvernement) iv. La nature factuelle et légale de l’infraction; v. L’objet visé par l’infraction, par exemple, des biens ou des personnes; vi. La relation entre l’acte et le motif, par exemple leur proximité et leur proportionnalité.
B -‐ Les principes de la TRC issus des négociations de la transition se fondent sur l'impunité
24
Le difficile critère de crime politique
Deux exemples donnent une idée de l'application des critères de l'amnistie et notamment
ceux associés à la notion de crime politique. A travers ces exemples, et sans qu'il soit
nécessaire de connaître les détails sordides des exactions commises, on comprend à quel
point le sentiment d'injustice pourra être ressenti par toutes les communautés.
Le premier concerne un groupe de cinq policiers de la branche de sécurité sud-‐africaine
ayant commis ce qui se révèlera être une soixantaine d'assassinats. Plutôt que de risquer
une accusation pénale, ils viennent témoigner et demander l'amnistie en 1996. Ils font une
déclaration commune en introduction de leur première audition8 :
Nous ne sommes pas des criminels. Nous n'avons jamais commis un acte hors du contexte des
conflits du passé... Nous croyions agir de bonne foi dans l'intérêt de notre pays et de notre
peuple. Nous montrerons qu'à tout moment nous croyions agir dans le cadre et les limites de
notre devoir et sous l'autorité de notre hiérarchie.
La TRC considérera que les 60 assassinats remplissaient les conditions définies par loi et
amnistia les policiers. Le fait d'avoir agi sous les ordres est parfaitement en cohérence avec
les critères établis. La TRC agit selon une logique opposée à celle des procès de Nuremberg
dans lesquels la responsabilité était recherchée au-‐delà de la justification d'obéissance à la
hiérarchie. On comprend le sentiment d'impunité que la population noire ait pu ressentir
face au principe d'amnistie.
Le second exemple est relatif au cas d'une jeune femme blanche de 26 ans, américaine, Amy
Biehl. Elle travaille sur un projet de recherche à l'université du Cap et, deux mois avant son
retour aux Etats-‐Unis, en 1993, se rend, malgré les mises en garde de ses amis, à une soirée
fêtant son départ dans le township de Gugulethu. En s'y rendant elle se retrouve coincée
dans une foule encore réunie par une manifestation de l'après midi de la Pan-‐Africanist
Student Organization (PASO), l'aile gauche étudiante de la PAC. Les slogans de l'après-‐midi
ont été "One settler, one bullet" ("un colon, une balle") et les mots d'ordre appelaient à
"rendre l'Afrique du Sud ingouvernable et [à] considérer chaque Blanc [qu'ils rencontraient]
comme un ennemi". La foule lance des briques sur la voiture et sort Amy Biehl de celle-‐ci.
Quatre jeunes Noirs la poignardent à mort. Mongezi Manquina, un des quatre perpetrators
8 Meredith Martine, Coming to terms, Public Affairs, 1999, p. 3.
B -‐ Les principes de la TRC issus des négociations de la transition se fondent sur l'impunité
25
qui demandent l'amnistie, explique à son audition qu'il l'a poignardée "parce qu'elle était
une cible, un colon". La TRC amnistie les quatre hommes du PASO expliquant9 :
Un des demandeurs a dit pendant l'audience qu'ils s'étaient ralliés au slogan "Un colon, une
balle". Pour eux, cela voulait dire que toute personne blanche était un ennemi des Noirs. A ce
moment, pour eux, Amy Biehl était représentative de la communauté blanche. Ils étaient
convaincus qu'en tuant des civils blancs, le PASO et la PAC envoyaient un message politique
sérieux au gouvernement.
On comprend dans ce cas à quel point il a été difficile pour la communauté blanche de
considérer ce meurtre comme étant proportionnel et perpétré au nom d'une cause
politique.
Reconnaissance des victimes
Au processus d'amnistie s'ajoute un espace d'écoute attribué aux victimes et à leur famille
qui, outre la reconnaissance de leur souffrance, contribue à la recherche de la vérité et à
l'établissement d'une mémoire commune. Ce point constitue une des spécificités de la TRC
sud-‐africaine. Les actes pour lesquelles les victimes ou familles de victime témoignent
répondaient aux mêmes critères que les actes pris en compte pour les demandes d'amnistie.
La vérité rétablie lors des audiences contribuait à la constitution d'une mémoire partagée.
Vérité et mémoire étaient les piliers sur lesquels la société sud-‐africaine était censée se
reconstruire. Antoine Salazar dira de la souffrance que même si elle était le seul élément
qu'avait en commun les Sud-‐Africains dans leur passé, "peut-‐être parce que c’est l’aptitude à
souffrir qui est le plus petit dénominateur commun entre les hommes…", elle constituait
néanmoins la base de la construction d'un futur possible10.
Une relecture du passé ?
Si les choix effectués par la loi instituant la TRC sont issus d'un compromis au service de la
réconciliation, les principes de la TRC s'appuient sur une réorganisation de la signification de
l’apartheid.
9 Meredith Martine, Coming to terms, Public Affairs, 1999, p. 3. 10 Salazar Philippe-‐Joseph, Une conversion politique du religieux dans Cassin Barbara, Cayla Olivier, Salazar Philippe-‐Joseph, Vérité Réconciliation Réparation, Seuil, 2004
B -‐ Les principes de la TRC issus des négociations de la transition se fondent sur l'impunité
26
Le choix de la période pendant laquelle les demandes d'amnistie sont acceptées est ainsi
révélateur d'un compromis politique et d'une interprétation du passé. La période couverte
fut l'objet de négociations et de demandes émanant des extrêmes du spectre politique de
l'Afrique du Sud, l'extrême droite en particulier qui voulait y inclure la période des élections
pendant laquelle des attentats furent commis. En prenant comme date de départ celle de
l'entrée en clandestinité de la lutte armée des mouvements antiapartheid, la période
finalement choisie excluait les années 50 pendant lesquelles les lois instituant l'ingénierie
sociale de l'apartheid sont promulguées. La période court, par contre, jusqu'à 1994, période
incluant les violences commises pendant la transition et notamment la violence "black on
black" dont il restera à démontrer qu'elles sont en grande partie dues à l'incitation des force
de police sud-‐africaine.
En définissant les actes amnistiables comme étant des actes individuels à caractère
politique, elle mettait au même niveau les actes des "résistants" et ceux perpétrés par les
agents du régime de l'apartheid. Il ne s'agissait pas d'établir un jugement moral sur les
principes au nom duquel les actes étaient perpétrés, mais de leur reprocher d'avoir utilisé
des moyens violents contraire aux principes de la démocratie. Le crime considéré par la TRC
était celui commis dans le contexte de l'apartheid. Le crime amnistiable au nom de la TRC
n'est donc pas le crime contre l'humanité, mais plutôt le crime contre l'unité nationale et la
pratique démocratique qui consiste à faire le choix de la violence guerrière sur le celui de la
délibération pour faire triompher sa cause quelle qu'en soit la valeur éthique intrinsèque. Un
tel crime peut avoir été perpétré aussi bien par le Noir que par le Blanc, par le défenseur des
Droits de l'Homme que par le raciste.
Ainsi victimes comme perpetrators étaient des opposants qui se trompaient dans les moyens
utilisés dans leur opposition. On retrouve l'idée maitresse du processus qui est celle d'un
corps social qu'il faut guérir dans son ensemble, tout le monde étant réputé à la fois
coupable et victime d'une même passion pour la guerre civile.
Stéphane Leman-‐Langlois affirme que le processus de réconciliation politique s’est appuyé
sur une réorganisation massive de la signification de l’apartheid et de sa brutalité11. Mais, s'il
est vrai que la transformation d'oppresseurs et opprimés en simples opposants politiques a
11 Leman-‐Langlois Stéphane, La notion de justice post conflictuelle dans la Commission vérité et réconciliation en Afrique du Sud, Déviance et société, 2003, vol.27:n°1, p.43-‐57
B -‐ Les principes de la TRC issus des négociations de la transition se fondent sur l'impunité
27
contribué à minimiser la possibilité de juger l'apartheid comme un système d'oppression et
de répression, elle a néanmoins œuvré dans le sens de la réconciliation mettant en exergue
la nécessité d'une concurrence pacifique pour le pouvoir, caractéristique de la démocratie.
Originalité du compromis : vérité, mémoire et justice ?
Mais, si la TRC fonde son action sur l'amnistie, dont Paul Ricœur dit dans son ouvrage
"Devoir de mémoire" qu'elle crée l'amnésie, elle la compense néanmoins par la volonté
d'établir la vérité et la mémoire. Il s'agit ainsi d'amnistie sans amnésie. Les franges les plus à
droite du NP veulent une amnistie générale, blanket amnesty, sur le principe d'un forgive
and forget, pardonner et oublier. Mais en liant la vérité à l'amnistie la TRC a permis
l'établissement d'une vérité et d'une mémoire impossibles à nier.
Le caractère public des audiences des victimes et des auteurs d'actes violents constitue une
spécificité sud-‐africaine et un choix sans précédent. Les audiences de la commission Rettig
chilienne, dont la TRC s'inspire, étaient à huit clos. Lors de la phase de mise en ouvre du
travail de la TRC, la médiatisation à grande échelle des audiences notamment celles
concernant les auteurs de violences peuvent se percevoir comme une forme de justice.
Desmond Tutu rappellera à quel point la connaissance des actes barbares commis par "un
bon père de famille" par les membres de sa famille et de sa communauté constitue une
forme de justice. C'est l'opprobre public qui joue ainsi le rôle d'une justice, une justice non
pas punitive mais "restauratrice". Desmond Tutu précise12 :
[...] nous préférons parler de justice «restauratrice» plutôt que de justice "rétributrice". Cela
ne signifie pas pour autant que les coupables s’en tirent sans qu’il leur en coûte. Ils sont
contraints de se montrer au grand jour, dans leur ville, et de dire "voilà ce que j’ai fait, et ce
n’est pas tout". Si la réparation n’est pas une compensation, c’est du moins devenu une
réalité que des gens qu’on traitait auparavant comme des chiens ont désormais une histoire
reconnue par le pays entier.
Cette même médiatisation pour les audiences des victimes permit la reconnaissance de leurs
souffrances. Lors de l'audience dite des veuves de Pebco Three, Elizabeth Hashe dont le mari
12 Pas d’amnistie sans vérité, Esprit, Décembre 1997, p. 65-‐66
B -‐ Les principes de la TRC issus des négociations de la transition se fondent sur l'impunité
28
avait disparu aux mains de la police de sécurité, s'avance et commence son récit par la
phrase suivante13 :
Je veux juste que la commission ait de la sympathie envers moi, qu'elle comprenne ce que j'ai
traversé quand ces choses se sont produites
Pour Alex Boraine, membre et vice président de la TRC, la possibilité offerte aux victimes et à
leurs famille de s'exprimer constituait un des choix déterminants dans la construction d'une
forme de justice et, au-‐delà dans le processus de réconciliation. Antoine Garapon va plus
loin14, la TRC n’a pas imposé de refoulement aux victimes mais une sublimation de leur
vengeance, en leur laissant longuement prendre la parole et en accueillant avec pitié,
"sentiment démocratique par excellence", leurs récits. Il remarque qu’en organisant des
enceintes publiques où laisser les victimes elles-‐mêmes énoncer leur souffrance, la TRC a
permis d'échapper à l’antagonisme ami/ennemi, confirmant ce qui a été exposé
précédemment sur le changement de statut des opposants.
Là où la justice traditionnelle, punitive ou répressive, est centrée sur les coupables, la justice
"reconstructive" privilégie les victimes. Ainsi les choix sans précédent de la TRC -‐ principe
d'un échange vérité contre une amnistie et rôle prééminent accordé à la parole des victimes
-‐ échappent aux fondements d'une justice répressive15, mais semblent néanmoins instituer
une forme de justice qui répond au contexte politique et à la volonté de réconciliation. Cette
forme de justice issue du compromis est-‐elle suffisante pour réconcilier et pour fonder un
Etat de droit dont le ressort est justement une justice punitive ?
13 Salazar Philippe-‐Joseph and Doxtader Eric, Truth and Reconciliation in South Africa: The fundamental documents, New Africa Books, 2007, p. 102. 14 Garapon, Op. Cit. p. 67. 15 La justice rétributive (ou punitive, répressive) vise à rétablir l’ordre par l’imposition d’une souffrance justement proportionnée. L'objectif de la peine est la dissuasion du délinquant
A -‐ La TRC cherche à mettre en œuvre la réconciliation par le pardon
29
II – La TRC : Fonder un futur possible en réconciliant par le pardon ? La TRC hérite d'un mandat dans lequel elle instaure une forme de justice au service de la
réconciliation. C'est à l'aune du travail qu'effectue la TRC et de la façon dont elle l'accomplit
que l'on peut mesurer à quel point cet objectif est atteint. Si son bilan semble mitigé, c'est
aussi en posant un regard sur les évolutions de la nouvelle Afrique du Sud que s'établit un
diagnostic qui reste incertain.
A -‐ La TRC cherche à mettre en œuvre la réconciliation par le pardon
Les spécialistes de la justice transitionnelle émettent l'hypothèse qu'elle n'est qu'une forme
de justice résultant des négociations : non seulement toute forme de justice qu'elle instaure
mais aussi le travail qu'elle entreprend ne sont que le reflet des rapports de force issus lors
de ces négociations1. Pourtant, il semble difficile de réduire l'action de la TRC à la ratification
de cette impuissance, d'autant que, tout en restant dans le cadre de son mandat, elle
effectue, en Afrique du Sud, des choix sans précédent dans sa mise en œuvre.
Outre la publicité des audiences permettant à la souffrance des victimes d'être
publiquement reconnue et à une mémoire collective de se constituer, l'autonomie de la TRC
s'illustre dans son choix de croire en la force de la parole, en sa valeur performative et au
langage du pardon. Le pardon appartient à la sphère morale. Il est a priori distinct de la
sphère du politique et a fortiori de celle de la justice. Comme l'annonce Desmond Tutu, la
TRC veut une "réconciliation en actes", elle veut transformer les torts des humains en Droits
de l'Homme, transformer les "human wrongs into Human Rights". Ainsi se pose la question
de l'utilisation du pardon comme simple rhétorique pour combler ou pallier au manque de
justice ou comme réel agent de la réconciliation.
La TRC incite en outre les acteurs de la transition, particulièrement les partis politiques, à
témoigner en attendant d'eux, si ce n'est l'expression d'une forme de repentance, au moins
une reconnaissance de leur responsabilité. Les séances publiques de la TRC, le style imprimé
par les membres de la TRC et particulièrement par Desmond Tutu, font du travail de la TRC
une démarche sans précédent.
Selon les observateurs, elle a produit un effet de catharsis collective, voire de vengeance
collective. Si cette démarche a eu des effets pour les victimes, il est difficile d'évaluer celles
1 Huntington Samuel, The third wave, University of Oklahoma Press, 1993
A -‐ La TRC cherche à mettre en œuvre la réconciliation par le pardon
30
qu'elle a eu pour la société dans son ensemble. Si les audiences des responsables politiques
n'ont pas atteint les objectifs escomptés, la TRC aura néanmoins cherché à établir un
jugement sur le passé sur lequel la société sud-‐africaine devait s'accorder.
L'organisation matérielle de la TRC
Si le mandat de la TRC et son organisation sont clairement définis, elle possède une
autonomie presque complète. Sa mise en œuvre procèdera ainsi d'une interprétation unique
liée notamment aux personnalités des membres et du président de la TRC.
Pour satisfaire aux objectifs qui lui étaient assignés, la TRC disposait d'une organisation
précise établie par la loi, structurée autour de trois pôles : le Comité sur les violations des
Droits de l'Homme (Committee on Human Rights Violations), le Comité sur l'amnistie
(Committee on amnesty) et le Comité sur la réparation et la réhabilitation (Committee on
Reparation and Rehabilitation). La TRC disposait théoriquement d'un délai de deux ans pour
remettre son rapport final au président de la République, lequel devait le porter à la
connaissance de la Nation dans les deux mois suivants.
La liste des commissaires de la TRC choisie par des membres du gouvernement et des
personnes issues de la société civile et avalisée par le Président de la République, est rendue
publique en 1995. Elle comprend 17 noms dont ceux de l'archevêque du Cap et prix Nobel
de la paix, Desmond Tutu, et d'Alexandre Boraine, ancien pasteur et président de l'Eglise
méthodiste. Le premier est président de la commission, le second est le vice-‐président.
L'impartialité, entendue par la loi comme étant "l'absence de profil politique marqué" était
davantage obtenue par composition que par la neutralité de chaque membre. La grande
majorité s'était engagée dans l'opposition à l'apartheid ou dans la défense des Droits de
l'Homme2. Même si la figure de Desmond Tutu, prix Nobel de la paix, reste irréprochable, la
composition de la TRC servira d'argument de fond à la communauté blanche aussi bien
qu'au NP et à l'IFP pour refuser le travail et critiquer les conclusions de la TRC.
Le Comité d’amnistie (Amnesty Committee) est chargé d’instruire la recevabilité des
demandes, de les admettre ou non en audience publique et, en fin de parcours, de
recommander ou non l’amnistie. Parallèlement, la TRC suscite des auditions publiques dites
2 La liste des 17 commissaires de la TRC comprend 4 hommes d'Eglise, 6 avocats, 2 docteurs, 2 psychologues, 1 psychiatre repartie en 4 Blancs anglais, 2 Afrikaners, 2 Indiens, 2 coloureds (métis) et 7 Noirs.
A -‐ La TRC cherche à mettre en œuvre la réconciliation par le pardon
31
"institutionnelles" pour les administrations et les corps (armée, police, prisons, médecins,
magistrature, barreau), pour les partis politiques et pour les grandes entreprises publiques
et privées, ainsi que pour les cultes et les médias. Elle organise aussi onze auditions dites
thématiques (sur l’insurrection de Soweto, en 1976, ou la conscription obligatoire des jeunes
Blancs).
Ritualisation religieuse et langage du pardon
La ritualisation des audiences permet aux victimes d'accéder à une forme de reconnaissance.
La plupart des audiences sont accompagnées de chants, de danses et de prières.
Contrairement à un procès, elles donnent à l'exposé public des victimes ou familles des
victimes une forme extrêmement ritualisée dont les effets seraient libératoires et
thérapeutiques. Laetitia Bucaille parle de catharsis collective3 et Antoine Garapon évoque
une vengeance sublimée4.
Si ces effets existent, ils sont amplifiés, voire suscités par des audiences médiatisées à
outrance. Elles sont retransmises par tous les medias, incluant télévision, radio et presse
écrite. De l'organe chargé essentiellement de mettre à jour la vérité historique sur la
violence politique, la TRC devient un "tribunal des larmes"5, inventant un rituel et un langage
singuliers. Même si, la communauté blanche ignorera dans sa grande majorité les
retransmissions et les comptes rendus, la plupart des Noirs suivent de très près toutes les
séances.
Si certains relèvent les dangers de cette approche évoquant la réouverture des blessures des
victimes6, la solitude post témoignage et l'enfermement dans le rôle de victime, les
audiences publiques qu'elles aient été celles des victimes ou des acteurs de violence ont eu
un grand retentissement dans la société sud-‐africaine, dans sa composante noire tout au
moins.
3 Bucaille, Laetitia, Vérité et réconciliation en Afrique du Sud: une mutation politique et sociale, Politique étrangère, 2007. p. 4 4 Garapon, Op. Cit., p. 68. 5 Lefranc Op. Cit. p 61. 6 Bucaille, Op. Cit. p 16.
A -‐ La TRC cherche à mettre en œuvre la réconciliation par le pardon
32
La ritualisation des audiences procède pour une grand part de la volonté de Desmond Tutu,
et dans une moindre mesure de celle d'Alex Boraine. Il s'agit de mobiliser au service de la
TRC un discours théologique centré sur la compassion et le pardon.
Le pardon est directement lié aux aveux, ainsi si "la faute avouée est à moitié pardonnée",
dans le cas de la TRC elle vaut amnistie. Pour Dominique Darbon7, la TRC emprunte à un
registre religieux très profondément ancré dans le pays. Le principe de la rédemption qui
permet au pécheur de revenir dans la joie du père est extrapolé en politique pour assurer
cet échange de l'amnistie contre l'aveu sincère et complet des actes contraires aux Droits de
l'Homme commis pour des raisons politiques.
Dans "Coming to terms", Martin Meredith décrit une des premières audiences de la TRC
dédiée à l'écoute d'une victime et présidée par Desmond Tutu8. En tant qu'archevêque et
président de l'Eglise anglicane, il porte une robe pourpre, ouvre l'audience en allumant une
bougie, en priant et en rappelant la nécessité de se souvenir de ceux qui ont donné leur vie
au combat contre l'apartheid : "[Tutu] parle ardemment de la nécessité de la purification, du
témoignage, de la prière et du pardon".
Sur la base de déclarations écrites, hésitant entre le recueil objectif des faits et la fonction
thérapeutique, quelques 3500 personnes furent sélectionnées, d'une manière voulue
représentative en terme de communautés, pour apporter leur témoignage en présence
parfois des responsables des crimes commis.
Desmond Tutu a argumenté que les Noirs sud-‐africains étaient imprégnés d’Ubuntu, une
forme d’humanité qui les dispose à accueillir parmi la communauté ceux qui s’en sont
écartés et les aide à faire preuve de mansuétude envers leurs anciens bourreaux et
exploiteurs. Desmond Tutu9 donne sa définition de la justice transitionnelle:
Je soutiens qu’il existe une autre forme de justice, une justice reconstructive, qui était le
fondement de la jurisprudence africaine traditionnelle. Dans ce contexte-‐là, le but recherché
n’est pas le châtiment ; en accord avec le concept d’Ubuntu, les préoccupations premières
sont la réparation des dégâts, le rétablissement de l’équilibre, la restauration des relations
7 Darbon Dominique, La Truth and Reconciliation Commission. Le miracle sud-‐africain en question, Revue française de science politique, 48e année, n°6, 1998. pp. 707-‐724. 8 Meredith Martine, Op. Cit., p. 3. 9 Antoine Garapon, Paul Ricœur, Pierre Truche cité dans Gérard Courtois, Le pardon et la Commission Vérité et Réconciliation, Droit et cultures, 2009.
A -‐ La TRC cherche à mettre en œuvre la réconciliation par le pardon
33
interrompues, la réhabilitation de la victime, mais aussi celle du coupable auquel il faut offrir
la possibilité de réintégrer la communauté à laquelle son délit ou son crime ont porté atteinte.
Si l'approche de Tutu est critiquée lui reprochant une approche culturaliste et romantique
du terme d'Ubuntu qui néglige notamment le fait que, dans la tradition africaine, la
réintégration des fauteurs de trouble suppose que ceux-‐ci effectuent un geste de restitution
envers la communauté10, il n'en reste pas moins que le langage du pardon et la dimension
religieuse sont présents dans tous les discours et les agissements de la TRC.
L'idée de pardon n'est inscrite nulle part dans le mandat de la TRC pourtant il traverse toutes
les audiences. Gérard Courtois donne des exemples significatifs concernant les victimes et
montre comment le pardon est présent dans leurs témoignages11. Les victimes vivaient
souvent leurs témoignages comme devant aboutir à un pardon. Répondant au témoignage
de la famille de quatre membres du United Democratic Front (UDF) tués en juin 1985 par la
police, Desmond Tutu déclare "Nous sommes fiers d’avoir des gens comme vous… ce pays à
la chance de compter des gens formidables comme vous… qui puissent dire [comme] votre
fille (après avoir vu ce qui est arrivé à sa mère et à son père) : je veux pardonner, nous
voulons pardonner". Lors d’une autre audience, une victime demande, "ce que j’aimerais
vraiment, c’est rencontrer cet homme qui a lancé une grenade, afin de lui pardonner et en
espérant qu’il me pardonnera lui aussi quelles que soient ses raisons".
Ces témoignages et dépositions montrent que même si un pardon donné ou demandé ne
clôt pas chaque cas, et même si les personnes concernées savent que ce n’est pas
nécessaire, l’éventualité du pardon est à l’horizon des audiences. Comme si la TRC avait
deux régimes de fonctionnement : dans la ligne de ses dispositions formelles et un régime
plus élevé de réussite, "avec pardon". Le pardon est ainsi implicitement demandé, ou du
moins attendu, il devient un impératif moral dans toutes les audiences de la TRC.
Pourtant les institutions ne peuvent pas pardonner, elles ne peuvent qu'amnistier. Le pardon
ne peut être qu'accordé par les victimes et demandé par les perpetrators. Une des victimes,
10 Wilson Richard, The politics of truth and reconciliation in South Africa, Cambridge University Press, 2001, p. 101. 11 Gérard Courtois, Le pardon et la "Commission Vérité et Réconciliation", Droit et cultures, mis en ligne le 6 juillet 2009.
A -‐ La TRC cherche à mettre en œuvre la réconciliation par le pardon
34
Charity Kondile, mère d'un fils assassiné par les membres de la police sud-‐africaine le
rappelle avec force 12:
C'est facile pour Mandela et Tutu de pardonner... [Ils] mènent des vies vengées. Dans ma vie,
rien, pas une seule chose n'a changé depuis que mon fils a été brulé par des barbares... je ne
peux donc pas pardonner"
L'utilisation du thème de pardon, qui relève ainsi moins de la sphère du politique et de la
justice que de la morale individuelle, peut être analysé comme un instrument purement
rhétorique au nom de l'objectif politique de la réconciliation. Sandrine Lefranc dans
"Politiques du pardon" soutient au contraire la thèse que le langage du pardon par son
pouvoir performatif à participé à la réconciliation13.
Le pardon était le moyen de regarder vers un futur commun en "mettant le passé derrière
nous", "putting the past behind us", dira Mandela. La TRC, dans son rapport conclusif
reprochera aux responsables politiques le "manque d'une expression sincère de remords".
Desmond Tutu, appelé pour témoigner contre Pic Botha, ancien président d'Afrique du Sud
et ex-‐ministre des affaires étrangères demande :
Si M. Botha était capable de dire "Je regrette que les politiques de mon gouvernement aient
causé tant de douleur", juste ça, ce serait une chose formidable.
Les impossibilités de la justice transitionnelle ?
L'analyse du travail de la TRC, son rapport final et les réactions qu'il suscite sont significatifs
de la difficulté extrême et des ambiguïtés parfois indépassables liées à cette forme de justice
dite transitionnelle. Dans le triptyque oppresseur/résistant/victime, la TRC, dans la logique
de son principe fondateur, accorde aux victimes un rôle central en leur accordant un espace
de parole. Elle met, en outre, au même niveau oppresseurs et résistants en contestant avant
tout l'utilisation d'une violence et ce quelle que soit la cause au nom de laquelle elle est
commise. Son insistance sur le rôle de la responsabilité des individus liée à sa volonté
d'utiliser le pardon n'est que le prolongement de cette logique. Pourtant, même si elle tente
clairement d'impliquer les responsables politiques dans le rôle déterminant qu'ils tiennent
comme source de la violence, ils refusent tous un lien direct avec les violations des Droits de
12 Salazar Philippe-‐Joseph and Doxtader Eric, Truth and Reconciliation in South Africa: The fundamental documents, New Africa Books, 2007, p 45. 13 Lefranc, Op. Cit. p. 278.
A -‐ La TRC cherche à mettre en œuvre la réconciliation par le pardon
35
l'Homme. Ainsi, peut-‐on considérer, qu'au vu de son mandat, la TRC échoue dans cette
forme de justice qui aurait consisté à faire admettre aux hauts responsables leur lien avec les
violences commises. Au final, seules les personnes à l'extrémité de la chaine de
responsabilité sont mises en cause par la TRC et révèlent les actes de violences commis.
Pourtant dans les conclusions de son rapport, la TRC va au-‐delà des individus. Elle remet
fermement en cause le système de l'apartheid et souligne la responsabilité de tous les partis
dans l'utilisation de moyens violents. Elle rétablit aussi une hiérarchie dans les violences
commises par celle des oppresseurs et celles commises par les mouvements de résistance.
Le pari fait par la TRC d'une acceptation raisonnable de ses conclusions par les principaux
responsables permettant la construction d'une large consensus social a en grande partie
échoué. Les réactions de refus, parfois véhémentes, de tous les partis politiques et de leurs
responsables ne font qu'affermir et renforcer la perception non seulement d'une justice
précaire mais aussi d'une réconciliation inachevée.
La sphère politique refuse la responsabilité des violations de droit de l'homme
Le refus de l'implication des hauts responsables dans les violences passées est considéré
comme un des éléments qui donne le plus de poids à ceux qui réfutent la forme de justice
mis en œuvre par la TRC. Dans sa volonté d'établir les responsabilités des organisations
politiques, la TRC convoque pourtant les hauts responsables à ses audiences en essayant
d'établir un lien direct entre les décisions politiques de la hiérarchie et les actes commis par
les personnes appartenant à la base de ces organisations.
La TRC est souvent obligée d'insister et de répéter les audiences pour obtenir des
informations dépassant les simples déclarations de circonstance. Mais si les responsables
des deux camps regrettent un passé violent, aucun n'assume la responsabilité des violations
des Droits de l'Homme commises au nom de leurs objectifs. Admettant tout au plus des
manquements dans la discipline, ils se désolidarisent systématiquement des exactions
commises par leurs agents dont la véracité est pourtant avérée lors des auditions de la TRC.
Magnus Malan, en tant qu'ancien commandant de l'armée sud-‐africaine (SADF -‐ South
African Defense Force) et ancien ministre de la Défense déclare14 :
14 Salazar Philippe-‐Joseph and Doxtader Eric, Op. Cit. p. 78.
A -‐ La TRC cherche à mettre en œuvre la réconciliation par le pardon
36
Les assassinats d'opposants politiques n'ont jamais fait partie des instructions de la SADF... A
propos des assassinats, nous ne discutions jamais de choses comme ça... je n'aurais jamais
approuvé l'élimination d'individus.
Confronté aux déclarations des militaires aux audiences de la TRC mettant directement en
cause les ordres de la hiérarchie, Malan concède qu'il est possible qu'il y ait eu des "brèches"
dans la discipline.
Le général de la Police, Johan Coetzee, explique dans sa déclaration à la TRC15 que le mot
"éliminer" (eliminate) n'avait pas d'autre sens que "d'ôter" (remove), que "le mot en soit,
utilisé en connexion avec une personne, ne voulait pas dire que cette personne devait être
assassinée".
Pic Botha refuse toute comparution devant la TRC16 :
Je n'irai pas à la commission de vérité. Je ne me repentirai pas. Je ne demanderai pas de
faveurs. Ce que j'ai fait je l'ai fait pour mon pays, mon Dieu et mon peuple et pour les peuples
d'Afrique du Sud... Je ne demanderai pas l'amnistie. Je n'ai autorisé aucun assassinat, et je ne
présenterai aucune excuse pour la lutte contre des révolutionnaires marxistes.
Si de Klerk reconnait l'apartheid comme "un système ayant fait souffrir des millions de gens",
s'il s'excuse pour "les choses inacceptables qui se sont produites" pendant que le NP était au
pouvoir, il refuse toute responsabilité pour les "abus" perpétrés par les forces de sécurité17.
La position de l'ANC était ambiguë, d'un côté elle reconnaît aussi des "brèches" dans sa ligne
politique qui consistait pourtant à "éviter les victimes civiles et des cibles faciles telles que les
écoles blanches et les églises". Mais de nombreux attentats touchent de fait des innocents et
surtout, les affrontements entre les supporteurs de l'ANC et ceux de l'IFP pendant la
transition ont donné lieu a des violences extrêmes. L'ANC persiste néanmoins pendant toute
la durée de la TRC à opposer les actes commis dans le contexte d'une "guerre de libération"
à ceux commis par un pouvoir au service d'un système d'oppression. Thabo Mbeki, le vice
président sud-‐africain et leader de l'ANC parlant des attaques sur des civils reconnait que
"dans certains cas, ces attaques étaient le résultat de zones grises causées par la colère et/ou
la mauvaise compréhension des politiques de l'ANC".
15 Meredith, Op. Cit. p. 301. 16 Meredith, Op. Cit. p. 207. 17 Salazar Philippe-‐Joseph and Doxtader Eric, Op. Cit. p. 236.
A -‐ La TRC cherche à mettre en œuvre la réconciliation par le pardon
37
Ainsi, le perception du travail de la TRC qui persistera dans l'esprit d'une majorité de sud-‐
africains18 est celle d'une justice qui prend en compte les "petits" et laisse échapper les "gros
poissons", les "vrais responsables". Elle conforte la perception des Noirs qui est de
considérer qu'en se concentrant sur quelques individus effectuant des basses œuvres le
régime en tant que tel n'a pas été remis en cause.
Le rapport final de la TRC vise une acceptation raisonnable
Les conclusions de la TRC établissent un jugement moral sans ambiguïté sur le régime de
l'apartheid en même temps qu'elle tempère la responsabilité des individus pris dans la
logique de ce système. Elle porte en même temps un jugement sur la résistance à ce régime
en la considérant comme juste.
La TRC pose comme point de départ fondamental pour la réconciliation en Afrique du Sud :
"La reconnaissance de l'apartheid en tant que système d'ingénierie sociale oppressif et
inhumain"19. Elle rappelle que Frederik de Klerk a décrit l'apartheid comme "un système qui
a fait souffrir des millions de gens", et que l'Eglise de la communauté afrikaans, la DRC,
admettait qu'il n'y avait aucune justification morale à l'apartheid. Mais la TRC reconnaît que
certain Blancs aient pu sincèrement penser que le "développement séparé" était un système
qui répondait à "des problèmes raciaux complexes" et qu'ils aient pu sincèrement se sentir
mis en danger par une menace communiste perçue comme extraordinairement menaçante.
Si l'apartheid était injuste, la TRC affirme que ceux qui combattent contre l'apartheid se
battaient au contraire pour une cause juste. Elle reconnaît que les activistes anti-‐apartheid
avaient essayé de changer pacifiquement le système sans y parvenir et que c'est seulement
quand les méthodes pacifiques avaient échoué qu'ils étaient passés à la résistance armée.
Mais la TRC affirme que la justesse de cette cause ne justifiait pas les violations des Droits de
l'Homme : "Une cause juste ne justifie pas des moyens injustes".
Enfin elle conclut que les moyens du régime de l'apartheid étant ceux d'un Etat, ils se
devaient d'obéir à des règles morales beaucoup plus contraignantes que des groupes de
résistants souvent volontaires et travaillant dans la clandestinité.
18 Ibid. p. 360. 19 Ibid. p. 298.
A -‐ La TRC cherche à mettre en œuvre la réconciliation par le pardon
38
Pic Botha et Frederik de Klerk sont explicitement mis en cause. Ils sont accusés de n'avoir
pas dévoilé toute la vérité sur les liens entre les instances dirigeantes et les violations des
Droits de l'Homme perpétrées par les agents. La TRC va plus loin en accusant Frederik de
Klerk de "complicité dans de graves violations de Droits de l'Homme " (accessory to gross
human right violations).
L'IFP, le parti zulu de Buthelezi, est désigné comme l'allié objectif du NP dans sa volonté
d'écraser l'ANC et atteste de son rôle indiscutable dans les violences dites "black on black"
opposant les membres de l'ANC à ceux de l'IFP.
Enfin, la TRC relève ironiquement que l'ANC, dans sa lutte contre l'apartheid, avait tué plus
de civils que de membres des forces de sécurité ou de la police. La TRC tenait l'ANC
moralement et politiquement responsable pour avoir créé un climat de violence et pour
avoir légitimé l'utilisation de la violence comme faisant partie de la "guerre du peuple" (the
war of the people").
Se référant aux victimes, la TRC affirme avoir participé à la construction d'une image
partagée du passé, mais qu'elle n'a pu que l'effleurer. Sur les 21 000 victimes qui se sont
présentées pour des audiences, elle se demande combien il en reste qui n'ont rien dit. Sur
21 290 victimes qui écrivent à la TRC, 19 050 sont déclarées victimes de gross violation of
human rights, et 2 975 autres victimes sont découvertes lors des procédures; sur 7 116
demandes d’amnistie, 1 312 sont accordées et 5 143 rejetées, tandis que 2 548 requérants
sont entendus en audience publique.
Ses conclusions sont dans l'ensemble rejetées par les différents responsables politiques, l'IFP
refusant, notamment, de participer à ses travaux. Alors qu'il avait accepté de reconnaître les
erreurs passées, Frederik de Klerk parvint, par la menace d'un recours à la justice, à faire
supprimer les passages le concernant alors qu'une tentative similaire de l'ANC échoua. La
réaction de l'ANC en particulier est totalement inattendue par les membres de la TRC.
Accusé de crimes de guerre, l'ANC accuse à son tour la TRC d'avoir criminalisé la lutte anti-‐
apartheid, "ses conclusions étaient capricieuses et arbitraires" et la TRC s'etait grossièrement
fourvoyée (grossly misdirected itself).
Non seulement l'acceptation raisonnable de ses conclusions par les principaux responsables
dénoncés a échoué, mais la construction du consensus social ne semble pas non plus être
A -‐ La TRC cherche à mettre en œuvre la réconciliation par le pardon
39
atteint. Le risque d'exacerber les divisions au lieu de réconcilier la société est réel quand la
TRC publie ses conclusions.
Le consensus social voulu par la TRC ?
La communauté blanche aurait préféré l'amnésie. Les Blancs perçoivent les travaux de la TRC
et ses conclusions come relevant uniquement de la vengeance20, le profil des membres de la
TRC n'en n'est que la preuve la plus flagrante. Peu de Blancs suivent les retransmissions ou
les comptes-‐rendus des audiences, la plupart persistent à penser qu'entre leur guerre contre
le communisme et celle menée par les opposants, il n'y avait pas de différence morale21.
Une enquête menée en 1998 révèle que 72% des Blancs pensent que la TRC a "empiré les
relations entre les races" (made race relations worse) ; 70% pensent que la TRC n'aiderait pas
les Sud-‐Africains à vivre ensemble de façon plus harmonieuse ; enfin 83 % des Afrikaners et
71 % des Blancs parlant l'Anglais considèrent la TRC comme partiale22.
Les Noirs suivent les travaux de la TRC avec avidité mais la perception est toute aussi
négative. L'échange vérité contre amnistie est ressenti comme fondamentalement injuste.
La même enquête de 1998 montre que 60 % des Noirs pensent que la TRC a empiré les
relations entre les races23. Mais la critique ne s'arrête pas à l'amnistie, le sentiment qui
prévaut est que le système de l'apartheid a ruiné de nombreuses vies alors que la TRC s'est
concentrée sur quelques individus, "quelques perpetrators et quelques victimes".
Les réparations financières
Il était prévu qu’à côté de la reconnaissance publique des souffrances, la TRC répare sur le
plan financier les pertes qu’avaient pu subir les victimes. C’était le rôle du Comité de
réparation et de réhabilitation de proposer au gouvernement des mesures nominatives en
ce sens. Par manque de moyens et de volonté publique ces mesures, même d’un montant
symbolique, furent lentes à prendre effet. Fin août 2003 seule une "réparation provisoire
d’urgence" d’environ 350 euros (soit le dixième de ce qui avait été annoncé) avait été versée
à 17 000 demandeurs. Cette carence est grave car elle risque de détruire les bénéfices de ce
20 Meredith, Op. Cit. p 278. 21 Ibid. p. 306. 22 Ibid. p. 309. 23 Ibid. p. 311.
A -‐ La TRC cherche à mettre en œuvre la réconciliation par le pardon
40
qui avait été acquis sur le plan cathartique et de relancer le sentiment d’injustice chez des
milliers d’ayant droits.
B -‐ La TRC trace néanmoins un chemin long et difficile
41
B -‐ La TRC trace néanmoins un chemin long et difficile
Pourtant la situation de l'Afrique du Sud contemporaine semble confirmer le miracle de la
réconciliation et, en quelque sorte, démontrer le bienfondé de la justice dite
"transitionnelle". Même si les Nations Unies en donnent désormais une définition précise,
"l’éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour
tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les
responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation"1, cette forme de justice
reste néanmoins un concept flou.
Cette forme de justice s'est développée en même temps que les commissions de vérité qui
en sont l’emblème. Les commissions dites "de vérité» et, parfois, de "réconciliation" comme
en Afrique du Sud, sont apparues en Amérique latine dans les années 1980 et sont devenues
en une vingtaine d’années l’un des moyens jugés les plus recommandables pour organiser la
sortie de conflit dans un pays ayant fait l’expérience récente d’une guerre civile ou d’une
répression autoritaire violente. La justice transitionnelle attribue à la commission tout un
ensemble de bonnes pratiques ("best practices") ; cet organe est chargé de mettre au jour
une vérité sur les violations des droits de l’homme les plus graves et de recommander des
réparations.
Il est difficile pourtant de définir un concept clair associé à cette forme de justice. Nous
l'avons vu, elle associe des outils et des choix parfois uniques tels que ceux qui ont primé en
Afrique du Sud. Elle est souvent contradictoire dans ses desseins lorsqu’elle légitime, par
exemple, la suspension des procédures pénales ordinairement engagées à l’encontre de
crimes. Le terme veut en effet regrouper les poursuites judiciaires, les dispositifs de mise au
jour d’une vérité historique sur un passé de violence, les initiatives favorisant la
réconciliation des groupes en conflit, les politiques de réparations matérielles et
symboliques aux victimes et les réformes institutionnelles ayant une finalité de prévention
de la récurrence des crimes.
Si la justice est "transitionnelle", c’est qu’elle n’est pas ordinaire. L’adjectif dit bien qu’elle
est mise au service d’une intention politique de pacifier et de démocratiser. Sandrine Lefranc
1 "Rétablissement de l’Etat de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit", Rapport du Secrétaire général des Nations Unies devant le Conseil de sécurité, Doc. S/2004/616, 2 août 2004, p. 7 para. 8.
B -‐ La TRC trace néanmoins un chemin long et difficile
42
considère la justice transitionnelle moins comme un concept que comme une prescription2.
Dans la définition et la perception actuelle, celle reconnu par l'ONU par exemple, la justice
transitionnelle se fonde sur deux éléments complémentaires3 : les Commissions de vérité et
des poursuites pénales internationales. Or en Afrique du Sud, comme dans les transitions qui
l'ont précédé dans le cône latino-‐américain, non seulement la justice internationale n'est
jamais intervenue mais les responsables ont reçu la garantie de ne pouvoir être pénalement
poursuivis.
Ainsi les commissions ne sont pas seulement des institutions extrajudiciaires, elles font
obstacle à l’exercice du droit dans l’après conflit. Si la TRC qui a le plus contribué à la
diffusion internationale du modèle de la justice transitionnelle, elle a octroyé l’amnistie de
manière parcimonieuse, les procédures pénales qui ont suivi ont été extrêmement rares et
les réparations matérielles quasi inexistantes. Alors qu’à la fin de la Deuxième Guerre
mondiale, c’est une "justice du vainqueur" qui s’est appliquée dans de nombreux pays, les
transitions vers la paix et la démocratie ont été caractérisées depuis les années 1980 par un
compromis politique interdisant toute poursuite systématique à l’encontre des "violents".
Les commissions sont donc des dispositifs extrajudiciaires et même à certains égards
antijudiciaires4. Les professionnels n’y jouent que très rarement, en tant que tels, un rôle
premier, le rituel judiciaire y disparaît au profit d’un autre, celui des audiences publiques
centrées sur la reconnaissance due à la victime, les catégories juridiques ne sont pas
déterminantes dans la qualification des violences passées, la peine cède la place, nous
l'avons montré, au "stigmate social" dont sont censés souffrir les agents de la violence. Il
s'agit ainsi d'une autre forme de justice, d’une justice "restauratrice" ou "restaurative"
(restorative justice), laquelle est considérée par beaucoup comme une alternative à la justice
ordinaire, rétributive. Mais ses objectifs de réconciliation et de fondement d'une nouvelle
société priment sur celui de la justice ordinaire.
La transition sud-‐africaine à laquelle on associe le travail de la TRC est souvent citée en
exemple particulièrement réussi alors que lors de la transition, de nombreux
commentateurs promettaient à l'Afrique du Sud le même sort que le Zimbabwe voisin,
2 Lefranc, Op. Cit., p. 49. 3 Les Institutions de l’État de droit dans les sociétés sortant d’un conflit. Les commissions de vérité, ONU, Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme, 2006, p. 27 4 Lefranc, Op. Cit., p. 154.
B -‐ La TRC trace néanmoins un chemin long et difficile
43
ancienne Rhodésie du Sud dont l'histoire se termina en guerre civile. Il est incontestable que
l'évolution de la société sud-‐africaine n'est pas uniquement déterminée par sa transition des
années 90. Mais on peut néanmoins se demander à quel point la transition et la TRC ont
joué un rôle dans l'existence d'un certain nombre de caractéristiques et d'évolutions de
cette société. La transition, dont la TRC incarne les conditions, est bien ce moment où la
nouvelle société s'institue, le moment de rupture ou selon, de continuité où les principes qui
se mettent en place vont déterminer comment la nouvelle société va évoluer.
Or, qu'il s'agisse d'une lecture encore majoritairement ethnique de la société sud-‐africaine,
de l'inégalité économique et sociale ou du caractère endémique de la violence, on peut y
voir des liens avec les contraintes de la transition mais aussi avec les choix qui ont été
effectués et qui sont incarnés par la TRC.
La réconciliation ?
La TRC a participé sans conteste à la réconciliation en Afrique du Sud dans la mesure où elle
a rapproché les points de vue des Blancs et des Noirs sur le passé. Même si il s'agit en grande
partie de souffrance, elle a forgé une mémoire collective commune sur l’apartheid. Avec du
recul, en la comparant avec d'autres expériences du même type, la TRC est celle qui a
probablement le mieux réussi. En partageant publiquement la souffrance de nombreuses
victimes, elle démocratisa leurs paroles et leur permit d'affronter le passé. Là où dans les
transitions des dictatures du cône sud-‐américain (Uruguay, Chili, et Argentine par exemple
particulier), seuls quelques procès et audiences de hauts responsables sont médiatisés, des
milliers de victimes Sud-‐Africaines ont pu raconter leur histoire retransmise au niveau
nationale.
Mais dans sa volonté de réconcilier, la TRC n'a fait que renvoyer chaque communauté dans
ses propres certitudes. Elle laisse l'Afrique du Sud insatisfaite, les partis politiques ont
condamné son rapport, les Blancs l'ont majoritairement ignoré et les Noirs n'en n'ont
finalement conservé qu'un sentiment d'injustice.
La nécessité d'arrêter les violences et de passer à la "nouvelle société" ont incité les
responsables politiques à présenter l'idée de la réconciliation comme un moment de rupture
et comme une période délimitée dans le temps. Il s'agit pourtant nécessairement d'un
processus long, difficile et imparfait. L'idée de rupture est d'autant plus trompeuse que
B -‐ La TRC trace néanmoins un chemin long et difficile
44
l'histoire sud-‐africaine est, de fait, une longue histoire de séparation entre les communautés
et de l'oppression d'une communauté sur les autres. La réconciliation sous-‐entend de
revenir à un état antérieur harmonieux, or cet état n'a jamais existé en Afrique du sud.
Ainsi peut-‐on se demander si la volonté de l'ANC de fonder un Etat unitaire et de prendre
pour modèle le patriotisme constitutionnel était réaliste. Le patriotisme constitutionnel pose
comme idéal que les individus s'attachent moins à leur pays et à leur Nation qu'aux
institutions démocratiques qui garantissent le respect des citoyens et les Droits de l'Homme.
L'existence de minorités culturelles en Afrique du Sud rend l'idéal du patriotisme
constitutionnel d'autant plus séduisant qu'il est souvent associé à un modèle multiculturel
de la société : L'État de Droit doit ainsi garantir le respect le plus complet des identités, des
langues et des religions de ces minorités. Mais cet idéal suppose un consensus a minima de
toutes les communautés et surtout une confiance partagée et forte dans les institutions de
l'Etat et particulièrement dans celles de la justice. Or, ni l'une ni l'autre de ces conditions
n'ont été réunies, non seulement la réconciliation semblait inachevée, mais l'Etat de droit
que le nouveau pouvoir veut instituer s'est créé dans un moment radical de non droit que
constitue l'amnistie de la TRC. Aujourd'hui le fait que non seulement les Sud-‐Africains, Blancs
comme Noirs, n'ont aucune confiance dans leur justice, mais encore l'accusent d'être aux
mains soit des uns, soit des autres5 semble conforter l'hypothèse que le projet élaboré n'a
pas complètement fonctionné.
La violence endémique
A une société dans laquelle la justice n'est pas respectée s'ajoute une violence endémique. Si
la violence endémique est avant tout criminelle, on peut néanmoins se demander si elle est
liée d'une quelconque façon à la transition. Malgré le sentiment d'insécurité de la
communauté blanche et son sentiment, celui d'être la cible principale de la violence, les
crimes commis se produisent majoritairement dans les anciens townships noirs6.
La cause de cette violence prend d'abord sa source dans la culture de la violence suscitée par
le régime sud-‐africain et entretenue par les organisations de résistance pendant l'apartheid.
Certaines cellules de l'ANC sont plus proches de gangs que de groupes politiques. Elles
5 Shepard Nick and Robins Steven, New south-‐african keywords, Ohio University Press, 2008, p. 184. 6 Ibid. p 164.
B -‐ La TRC trace néanmoins un chemin long et difficile
45
usaient de la violence aussi bien pour combattre des opposants politiques que pour
commettre des actes relevant sans ambigüité du droit pénal. Les affrontements intenses
pendant la période de transition entre les forces de l'ANC et celles de l'IFP n'ont fait
qu'attiser et ancrer la culture de la violence.
On peut aussi se demander si au nom de la réconciliation politique, la TRC n'a pas nourri un
sentiment d’impunité fondé sur un non-‐respect du droit concernant les violations flagrantes
des Droits de l'Homme. Il est ainsi difficile d'espérer que les criminels de l'Afrique du Sud
postapartheid commencent à respecter l'Etat de droit alors que les assassins politiques du
passé étaient totalement blanchis7.
Mais en dernier ressort, les causes de la violence sont à chercher dans la volonté de
vengeance qui prend sa source dans le sentiment de l'injustice de la situation qui suit la
transition8. Il est moins question de l'injustice de l'amnistie que de celle de l'attente toujours
déçue d'une Afrique du Sud plus juste socialement. Ainsi dans la perception de nombreux
noirs sud-‐africains9, la transition consistait moins à instaurer un nouvel Etat de Droit que de
construire une société réparant les injustices sociales et économiques institutionnalisées par
l'apartheid. Le non paiement des réparations financières pour de nombreuse victimes n'a
fait qu'exacerber ce sentiment.
Justice sociale
Il existe ainsi deux façons distinctes de considérer la transition et le travail effectué par la
TRC, la première considère la société comme un corps malade qu'il faut guérir, la seconde
comme un système qu'il faut changer radicalement. Si la première interprétation met
l'accent sur la nécessité d'une forme de continuité dans la transition, la seconde la voit sur le
mode d'une rupture qui permettra de rétablir des années d'injustice liées à l'apartheid.
De la première vision procède la plupart des choix de la transition dont on comprend la
nécessité politique en même temps que la difficulté. De la seconde émane des critiques dont
le fondement est que la métaphore du corps social malade à guérir minimise le rôle de
l'apartheid en tant que système.
7 Simpson Graeme; Cahiers d’Études africaines, XLIV (1-‐2), 173-‐174, 2004, pp. 99-‐126. 8 Shepard Nick and Robins Steven, Op Cit . p79. 9 Bucaille Laetitia, Vérité et réconciliation en Afrique du Sud: une mutation politique et sociale, Politique étrangère, 2007, n°2, p.313-‐325.
B -‐ La TRC trace néanmoins un chemin long et difficile
46
Ce point a été relevé, entre autres, par Mahmood Mamdani10, professeur d’études africaines
à l’Université du Cap, et la TRC reconnaît que sa critique reflète une partie de l’opinion11.
Mamdani a reproché à la TRC d’avoir écarté de son champ d’enquête celles des pratiques de
l’apartheid qui ont causé les souffrances les plus massives : des millions de gens ont subi,
selon les termes mêmes du rapport, "l’expulsion collective, la migration forcée, la
destruction ou la réquisition de maisons, l’obligation du passeport intérieur, la déportation
dans des ghettos ruraux, la montée de la pauvreté et du désespoir12. En somme, plutôt que
de travailler sur des tortionnaires ou des assassins et sur leurs victimes, la commission aurait
mieux fait de se demander qui exactement étaient les bénéficiaires de la politique
d’apartheid.
Les critiques adressées à la TRC selon laquelle son travail et ses principes ont minimisé le
rôle de l'apartheid sont les suivantes :
• En voulant la formation d'un consensus sur le passé, la TRC l'a fait au détriment d’un
intérêt critique sur le passé et au prix du renoncement à tout exercice d’une justice
punitive;
• La TRC altère le sens politique du combat de résistance et prive les victimes des fruits de
leur propre victoire;
• En se concentrant sur quelques individus effectuant des "basses œuvres" le régime n'est
pas remis en cause;
• La réduction des violations des Droits de l'Homme à des actes individuels dont le seul
crime est d'utiliser la violence plutôt que des moyens démocratiques procède de la
même volonté de minimiser l'apartheid;
• Les renonciations au châtiment traduisent une conscience forte que "la distribution du
pouvoir en Afrique du Sud n'a pas changé", la reconnaissance que la "justice n'est pas
une option possible pour la plupart des sud-‐africains noirs"13.
En réduisant le rôle et les principes de l'apartheid comme système de domination
idéologique mais aussi économique, la TRC aurait éludé la nécessité d'une forme de justice
10 Amnesty or Impunity? A Preliminary Critique of the Report of the TRC, Mamdani, Mahmood, 2002 11 TRC Report V, p. 11. 12 TRC Report I, p. 34. 13 David Goodman, Why killers should go free: Lesson from South Africa, The Washington quarterly, 1999, p 137-‐174
B -‐ La TRC trace néanmoins un chemin long et difficile
47
sociale. Ainsi, si la TRC est critiquée pour n’être pas assez judiciaire, elle l'est également pour
n’être pas suffisamment politique.
Il semble en effet légitime d'attendre de la transformation de la société que des perspectives
de mobilité économique s’ouvrent au plus grand nombre. Si la TRC a absous les "bourreaux",
il est nécessaire que les "victimes" s’affranchissent d’une position de dominés.
Lors des négociations, l'ANC a de fait renoncé à son programme économique d'orientation
socialiste mais elle a également rapidement abandonné une politique d'inspiration
keynésienne au profit d'une orientation beaucoup plus libérale. Si ce changement s'est
néanmoins accompagné de la mise en place d'une politique de discrimination positive (Black
Economic Empowerment -‐ BEE), les effets sont, pour l'instant du moins, aussi décevants que
l'affirmative action mise en place aux Etats-‐Unis. Elle a produit une classe moyenne visible
mais réduite tout en laissant la majorité de la population noire dans la pauvreté.
On comprend pourtant que l'objectif de la transition ait été d'empêcher la reprise des
hostilités et non pas de trouver un remède contre une oppression passée. La TRC cherche
avant tout la paix sociale, avec comme objectif politique la construction d'une Nation. Il est
difficile, comme le font les franges les plus radicales de l'ANC aujourd'hui, de lui faire porter
la responsabilité de choix politiques ultérieurs.
Pourtant avec 48 % de la population qui vit avec moins de 2 dollars par jour, le chômage qui
ne se résorbe pas, les inégalités entre les plus riches et les plus pauvres qui se creusent et la
ligne qui sépare les premiers des seconds encore largement déterminée par la couleur de la
peau, le pays est soumis à une grande tension sociale.
L'institut sud-‐africain de relations raciales14 a publié en 2008 un rapport affirmant que
800 000 sud-‐africains blancs ont quitté leur pays de 1995 à 2005 : des hommes actifs, âgés
de 25 à 35 ans pour la plupart alors que seulement 10 % des 49 millions de Sud-‐africains sont
blancs. Selon une enquête pour l'UNISA15, 60 % des Sud-‐africains quittent le pays en raison
du fort taux de criminalité et de la mise en place de la discrimination positive considérée
comme injuste.
14 South African institute of Race relations, http://www.sairr.org.za/ 15 University of South Africa, http://www.unisa.ac.za/default.html
B -‐ La TRC trace néanmoins un chemin long et difficile
48
En 2001, le leader de la Ligue des jeunes du ANC, Julius Malema, a été réélu à la tête de ce
mouvement. Les principales revendications de son programme, énoncé quelques jours avant
sa reconduction sont la nationalisation des mines du pays et la reprise par la force des terres
appartenant aux quelque 45 000 fermiers blancs du pays, comme ce fut le cas au Zimbabwe
voisin de Robert Mugabe. En avril 2010, l’assassinat de l’ex-‐leader d'extrême droite pro-‐
apartheid Eugene Terre’blanche a poussé le président Jacob Zuma, l'actuel président sud-‐
africain a appeler publiquement au calme face aux craintes de violences. En juin 2008, au
moins 60 personnes, des nouveaux arrivants aussi bien que des immigrés installés de longue
date, ont trouvé la mort dans une vague d’attaques xénophobes.
Ainsi la difficulté à laquelle fait face l'Afrique du Sud réside dans sa capacité à séparer les
problèmes sociaux des problèmes raciaux. Mais un journaliste sud-‐africain rappelle que si la
transition et les mesures postapartheid n’ont pas résolu tous les problèmes, elles eu au
moins le mérite de forger une véritable culture démocratique en Afrique du Sud. Les
élections municipales, en mai 2011, se sont déroulées dans le calme.
Conclusion
49
Conclusion Vingt ans après, la transition politique sud-‐africaine ainsi que le travail de la TRC restent
toujours une énigme. Le racisme institutionnel a cédé le pas à la démocratie et en même
temps l’enthousiasme des débuts de la nation semble être retombé dans le
désenchantement partagé aussi bien par la communauté blanche que par la majorité des
Noirs. Moins que l’effet d’une dérive des bonnes intentions, le mécontentement
contemporain partagé des deux côtés de la color line paraît étroitement lié au mode de
changement historique qu’a été la transition et sa matérialisation dans la TRC. La naissance
de la rainbow nation et de la démocratie sud-‐africaine a été accompagnée d’un tel
enthousiasme collectif qu'il semble avoir produit une mythification. Si cette mythification a
joué un rôle dans la construction d’une démocratie multiraciale pacifiée, elle est
probablement à la source de son propre désenchantement.
La transition et la TRC sont issues d'une négociation éminemment politique qui n'avait rien
d'un miracle. La négociation a été une transaction dans laquelle s'est constitué le contrat
fondateur du nouveau régime démocratique et dans laquelle les deux principaux camps ont
fait prévaloir leurs valeurs essentielles. Le NP a préservé du changement les points
fondamentaux suivants :
• La propriété privée mise à l’abri de l’idéologie économique de l’ANC (les
nationalisations);
• La continuité de l’Etat avec la garantie qu'il n'y aurait pas de "chasses aux sorcières";
• et surtout, comme nous l'avons vu, l’absence de culpabilité collective.
En créant la TRC, les protagonistes de la transition ont évacué la question de l’apartheid en
tant que régime pour ne traiter que la question des violations des Droits de l’Homme. En
outre, le jugement des responsables sécuritaires par une forme de justice fondée sur un
système de confession et d'absolution a eu l’avantage de faire porter la responsabilité de
l’apartheid essentiellement sur des individus ; toutes les tentatives de juger les hommes
politiques ainsi que le système ont échoué.
Pour sa part l’ANC a préservé ses propres valeurs fondamentales :
• Une égalité des droits entre les groupes raciaux;
Conclusion
50
• Un système électoral démocratique qui lui assurait et lui assure encore une majorité
automatique;
• L’absence de fédéralisme;
• L'impunité de ses combattants;
• La possibilité d'initier des politiques de correction des inégalités pour les
communautés historiquement défavorisées.
Ce changement contractualisé est sans bouleversement révolutionnaire. Il porte en lui-‐
même sa propre critique dans la mesure où du passé il n'a pas été fait table rase. Le
sentiment d'injustice des victimes auditionnées par la TRC procèdent du déni de justice
punitive mais aussi de l'impression que rien n'a changé : "ce sont toujours les mêmes qui
échappent à la justice". En outre, si les auditions publiques ont permis une certaine forme de
reconnaissance de la souffrance des victimes, le manque de réparations financières n'a fait
que renforcer ce sentiment que rien n'avait changé. L'injustice pénale s'est ainsi doublée
d'une injustice économique.
Le maintien de rapports économiques inchangés a conduit à une généralisation abusive de
cette idée que rien ne change. Pourtant, même si elles sont critiquables et insuffisantes,
l'ANC au pouvoir depuis la transition a mis en œuvre de nombreuses politiques de
changement visant à rétablir les inégalités créées par l'apartheid. Mais d'une certaine façon,
alors que la TRC a réussi à constituer une vérité commune, elle a promis pour le futur, à
travers le langage de réconciliation et du pardon, plus qu'elle ne pouvait tenir. Le temps de
la TRC perçue comme une rupture, mythifié en miracle rétablissant la paix et la justice
(incluant la justice sociale) s'inscrit au contraire dans un processus qui reste long et difficile.
Annexes
51
Annexes Annexe 1 : Chronologie de l'histoire sud-‐africaine.................................................................................51 Annexe 2 : Principales mesures promulguées par l'apartheid dès les années 50 .......................54 Annexe 3 : Bantustans et townships pendant l'apartheid ...................................................................55 Annexe 4 : Les grandes dates de la campagne des Nations Unies contre l’apartheid ...............55 Annexe 5 : Epilogue de la Constitution provisoire définissant les principes de la TRC..............57 Annexe 6 : Scores aux élections de 94 dans le nouveau découpage régional sud-‐africain ......60
Annexe 1 : Chronologie de l'histoire sud-‐africaine
1652 Colonisation hollandaise du Cap1.
1806 Occupation anglaise du Cap.
1810-‐1828 Expansion zulu, violente déstabilisation ou éradication d’autres populations africaines (Mfecane).
1835-‐1837 Trek des Boers et première série de républiques locales, afrikaners.
1838 Guerre des Boers contre les Zulus
1867-‐1871 Découverte des gisements de diamants et d'or.
1899-‐1902 Guerre anglo-‐boer, 26 000 femmes et enfants meurent dans des camps de concentration.
1910 Union sud-‐africaine établie par le Parlement anglais (les Noirs sont exclus des droits politiques, sauf au Cap);
Le terme de "ségrégation" (apartheid) est spécifiquement utilisé dans la campagne du Parti travailliste.
1912 Fondation du South African National Native Congress, futur ANC.
1913 Natives Land Act qui place les Noirs (67 % de la population) dans des réserves représentant 7 % du territoire
1914 Fondation du Parti National, parti de l’apartheid.
1921 Fondation du Parti communiste d’Afrique du Sud -‐ SACP.
1948 Victoire électorale du Parti National sur un programme d’apartheid.
1949-‐1950 Premières lois d’apartheid (interdiction des mariages mixtes, registre d’immatriculation raciale, division territoriale selon les races).
1955 Congrès du peuple et adoption de la Charte de la Liberté par les mouvements anti-‐apartheid.
1956 Première vague d’arrestations de signataires de la Charte de la Liberté pour haute trahison (dont Nelson Mandela).
1 Source Vérité Réconciliation Réparation, Sous la direction de Barbara Cassin, Le genre humain, Seuil, 2004, p27-‐30
Annexes
52
1959 Fondation par Robert Sobukwe du Pan-‐Africanist Congress (PAC), parti africaniste qui rejette la Charte de la Liberté;
L’Assemblée générale des Nations Unies exprime son "regret" et son "inquiétude" au sujet de l’apartheid.
1960 Émeutes, massacre de Sharpeville en mars, état d’urgence;
Le Conseil de Sécurité de l’ONU demande à l’Union sud-‐africaine "d'abandonner sa politique d’apartheid";
Interdiction des mouvements de libération;
Le 1er mars sera le terminus a quo de la période couverte par l’amnistie.
1961 Proclamation de la République hors du Commonwealth;
Début de la lutte armée.
1963-‐1964 Procès de Rivonia, Mandela condamné à la réclusion à perpétuité.
1963 Accélération de la politique de "grand apartheid" : ségrégation totale, déplacements de populations ou forced removals, lois de sureté.
1973 La Convention internationale sur l'élimination et la répression du crime d'apartheid est approuvée par l'Assemblée générale de l'ONU (résolution 3068).
1975 Première intervention militaire sud-‐africaine en Angola;
Fondation du parti zulu Inkatha Freedom Party (IFP).
1976 Insurrection de Soweto.
1976-‐1981 Création des Bantustans, quatre États satellites noirs non reconnus par l’ONU.
1977 Campagne de sabotages et d’attentats.
1984 Troubles violents dus à la récession économique;
Boycott des écoliers et grève massive;
Intensification des actions militaires du régime pour expulser l’ANC de ses bases.
1985 Fondation d’une centrale syndicale unifiée, la COSATU;
Etat d’urgence en juillet.
1986 Botha annonce, en janvier, vouloir négocier ("l’apartheid a fait son temps");
Vague insurrectionnelle, état d’urgence général en juin;
Le grand patronat rencontre l’ANC repliée en Zambie;
Accentuation des sanctions internationales (États Unis, CEE).
1988 Pourparlers secrets entre le gouvernement et Mandela.
1989 Intensification de la violence;
Rencontre entre Mandela et Botha en juillet;
En août, Botha démissionne au profit de F. W. de Klerk et l’ANC rend public son plan de négociations.
Annexes
53
1990 Libération de Mandela en février, levée des restrictions politiques, suspension de l’état d’urgence par le gouvernement puis de la lutte armée par l’ANC;
Pourparlers gouvernement -‐ ANC, sommets en mai et en août.
1991 Sommet en février; "Accord national de paix" en septembre; conférence élargie, dite Convention for a Democratic South Africa ou CODESA I, en décembre, puis blocage des négociations.
1992 En mars, la population blanche approuve par referendum le processus;
Reprise des négociations ou CODESA II en mai.
Arrêt des négociations en juin, situation de guerre civile dans certaines régions, grève générale, pressions internationales sur de Klerk et Mandela, suivies d’un mémorandum d’accord en septembre.
1993 Reprise des négociations multipartites, dites MPNP, accord sur les 34 principes constitutionnels, adoption d’une Constitution provisoire contentant le principe de la TRC en novembre, installation d’un conseil exécutif de transition;
Mandela et de Klerk reçoivent ensemble le prix Nobel de la Paix.
1994 Premières élections générales au suffrage universel en avril, 20 millions d’électeurs, 86 % de taux de participation (l’alliance ANC -‐ Parti communiste centrale syndicale COSATU est majoritaire au niveau national, mais ne gagne pas le contrôle des assemblées législatives provinciales du Cap et du KwaZulu-‐Natal);
Nelson Mandela est élu président par l’Assemblée nationale en mai;
Les élections sont déclarées "substantiellement libres et justes" par la commission électorale indépendante.
Le 10 mai, prestation de serment de Nelson Mandela, et terminus ad quem de la période couverte par l’amnistie;
Gouvernement d’union nationale (l’ancien parti d’apartheid et le parti zulu disposent d’une vice-‐présidence et du ministère de l’Intérieur);
Transformations institutionnelles (justice, armée, police, éducation, santé) et démocratisation des collectivités locales.
1995 L’Assemblée constituante (formée des deux chambres élues en avril 1994) commence ses travaux par un programme public de participation, de février à juin; en juillet, adoption de la loi relative à la promotion de l’unité nationale et la réconciliation, qui institue la TRC;
En novembre, publication du texte préparatoire de la Constitution et premières auditions publiques;
En décembre, première séance publique de la TRC.
1996 Fin des auditions publiques tenues par la Constituante en février;
En avril, dernière séance publique de la TRC et dépôt de la Constitution au Parlement;
En mai, adoption de la Constitution; de Klerk (vice-‐président) se retire du
Annexes
54
gouvernement d’union nationale.
1997 Dissolution de la Constituante en mars;
Date butoir du 30 septembre pour déposer les demandes d’amnistie devant la Commission;
Mandela se retire de la présidence de l’ANC en décembre.
1998 La Commission remet son Rapport à Mandela en octobre.
Annexe 2 : Principales mesures promulguées par l'apartheid dès les années 50
• Population Registration act -‐ 1950 : Requiert que chaque habitant du pays soit classé et
enregistré en fonction de ses caractéristiques raciales (Blanc, Indien, Métis, Noir).
• Immorality act – 1950 : Interdit toute relation sexuelle entre personnes de races
différentes.
• Group Area act – 1950 : Oblige chaque population à résider dans des zones urbaines
d'habitation prédéfinies. Les centres-‐villes, ainsi que les quartiers les plus développés et
les mieux équipés sont interdits aux populations de races non blanches.
• Pass Laws act – 1952 : Obligation pour les Noirs de plus de 16 ans de posséder un
laissez-‐passer du gouvernement leur permettant de circuler dans les quartiers blancs.
• Bantu Education act – 1953 : La principale mesure consistait à séparer tous les
établissements d'enseignement. Cette loi avait pour objectif de former les jeunes Noirs
et les Métis à un marché du travail non qualifié et assurer la seule prospérité aux Blancs
et le contrôle total des Sud-‐Africains. L'auteur de la législation, Hendrik Verwoerd, alors
ministre chargé des Affaires indigènes, a lui-‐même déclaré que son objectif principal
était d'empêcher les Africains de recevoir une instruction qui les pousserait à aspirer aux
postes enviés dans la société.
• Reservation of Separate Amenities act – 1953 : Loi sur les commodités publiques
(ségrégation dans tous les lieux publics -‐ toilettes, bancs, fontaines, bus … -‐ avec pour but
d’éliminer tout contact entre Noirs et Blancs).
Annexes
55
Annexe 3 : Bantustans et townships pendant l'apartheid
2
Annexe 4 : Les grandes dates de la campagne des Nations Unies contre l’apartheid
• 2 décembre 19503 – L'Assemblée générale déclare « qu’une politique de ségrégation
raciale (apartheid) est nécessairement fondée sur des doctrines de discrimination raciale
» (résolution 395 (V)).
• 1er Avril 1960 – Le Conseil de sécurité, dans la cadre de sa première action sur l'Afrique
du Sud, adopte la résolution 134 qui déplorait les politiques et les actions du
Gouvernement sud-‐africain à la suite du massacre de 69 manifestants pacifiques
africains à Sharpeville par la police le 21 mars. Le Conseil a invité le Gouvernement à
abandonner sa politique d'apartheid et de discrimination raciale.
2 Source : Quand la carte fait son histoire, Monde Diplomatique http://blog.mondediplo.net/2008-‐06-‐13-‐Quand-‐la-‐carte-‐fait-‐son-‐histoire 3 Source : http://www.un.org/fr/events/mandeladay/apartheid.shtml
Annexes
56
• 2 avril 1963 – Première réunion du Comité spécial sur la politique d'apartheid du
Gouvernement de la République d'Afrique du Sud, rebaptisé plus tard « Comité spécial
contre l'apartheid ».
• 7 août 1963 – Le Conseil de sécurité adopte la résolution 181 appelant tous les États à
arrêter la vente et la livraison d'armes, de munitions et de véhicules militaires à l'Afrique
du Sud. L'embargo sur les armes a été rendu obligatoire le 4 novembre 1977.
• 13 novembre 1963 – L'Assemblée générale, dans sa résolution 1899 (XVIII) sur la
question de la Namibie, engage instamment tous les États à s'abstenir de fournir du
pétrole à l'Afrique du Sud. Cette initiative a été la première des nombreuses actions
menées par l'ONU pour prendre des sanctions pétrolières efficaces contre l'apartheid.
• 23 août -‐ 4 septembre 1966 – Séminaire international sur l'apartheid à Brasilia, organisé
par la Division des droits de l'homme des Nations Unies, le Comité spécial contre
l'apartheid et le Gouvernement brésilien -‐ le premier séminaire de plusieurs dizaines de
conférences et de séminaires sur l'apartheid organisés ou coparrainés par l'Organisation
des Nations Unies.
• 2 décembre 1968 – L'Assemblée générale a prié tous les États et les organisations de
suspendre les échanges culturels, éducatifs, sportifs et autres avec ce régime raciste et
avec les organisations ou institutions d’Afrique du Sud qui appliquent la politique de
l'apartheid.
• 30 novembre 1973 – La Convention internationale sur l'élimination et la répression du
crime d'apartheid est approuvée par l'Assemblée générale (résolution 3068 (XXVIII)). La
Convention est entrée en vigueur le 18 Juillet 1976. Le crime d'apartheid est défini
comme tout acte inhumain de caractère analogue à d'autres crimes contre l'humanité
commis dans le cadre d'un régime institutionnalisé d'oppression systématique et de
domination d'un groupe racial sur n'importe quel autre groupe racial.
• 1er janvier 1976 – Création du Centre des Nations Unies contre l’apartheid.
• 17 août 1984 – Dans la résolution 554, le Conseil de sécurité déclare nulle et non avenue
la nouvelle Constitution raciste de l’Afrique du Sud.
• 16-‐20 juin 1986 – Conférence mondiale sur les sanctions contre l'Afrique du Sud raciste,
organisée par l'Organisation des Nations Unies, en coopération avec l'OUA et le
Mouvement des pays non alignés.
Annexes
57
• 14 décembre 1989 – L'Assemblée générale adopte par consensus la « Déclaration sur
l'apartheid et ses conséquences destructrices en Afrique australe », appelant à des
négociations pour mettre fin à l'apartheid et instaurer une démocratie non raciale
(résolution A/RES/S-‐16/1).
• 22 juin 1990 – Nelson Mandela s’adresse au Comité spécial contre l'apartheid à New
York – C’est la première fois qu’il prend la parole devant l'Organisation.
• 30 juillet 1992 – Face à l'escalade de la violence politique et aux dangers qui pèsent sur
les négociations, Nelson Mandela demande aux Nations Unies d’envoyer des
observateurs en Afrique du Sud. Le lendemain, le Secrétaire général annonce qu'il va
envoyer un petit groupe d’observateurs de l'ONU. La Mission d'observation des Nations
Unies en Afrique du Sud a été créée par le Conseil de sécurité le 17 août 1992.
• 8 octobre 1993 – L'Assemblée générale prie les États de rétablir immédiatement les
relations économiques avec l'Afrique du Sud, et de lever l'embargo sur le pétrole lorsque
le Conseil exécutif de transition en Afrique du Sud est devenu opérationnel (résolution
48/1).
• 10 mai 1994 – Le premier Gouvernement démocratiquement élu et non racial d’Afrique
du Sud prend ses fonctions après les élections générales du 26 au 29 avril.
• 23 juin 1994 – L'Assemblée générale approuve les pouvoirs de la délégation sud-‐africaine
et retire la question de l'apartheid de son ordre du jour. Le Conseil de sécurité retire la
question de l'Afrique du Sud de son ordre du jour le 27 juin.
• 3 octobre 1994 – Le premier Président démocratiquement élu d'Afrique du Sud, Nelson
Mandela, s'adresse à l'Assemblée générale.
Annexe 5 : Epilogue de la Constitution provisoire définissant les principes de la TRC
This Constitution provides a historic bridge
between the past of a deeply divided society
characterized by strife, conflict, untold
suffering and injustice, and a future founded
on the recognition of human rights,
democracy and peaceful co-‐existence and
development opportunities for all South
La présente Constitution pourvoit un pont
historique entre le passé d’une société
profondément divisée, marquée par la lutte,
le conflit, les souffrances non dites et
l’injustice, et un avenir fondé sur la
reconnaissance des Droits de l'Homme, sur
la démocratie et une vie paisible côte à côte,
Annexes
58
Africans, irrespective of color, race, class,
belief or sex.
The pursuit of national unity, the well-‐being
of all South African citizens and peace
require reconciliation between the people of
South Africa and the reconstruction of
society.
The adoption of this Constitution lays the
secure foundation for the people of South
Africa to transcend the divisions and strife of
the past, which generated gross violations of
human rights, the transgression of
humanitarian principles in violent conflicts
and a legacy of hatred, fear, guilt and
revenge.
These can now be addressed on the basis
that there is a need for understanding but
not for vengeance, a need for reparation but
not for retaliation, a need for ubuntu but
not for victimization.
In order to advance such reconciliation and
reconstruction, amnesty shall be granted in
respect of acts, omissions and offenses
associated with political objectives and
committed in the course of the conflicts of
the past.
To this end, Parliament under this
Constitution shall adopt a law determining a
firm cut-‐off date, which shall be a date after
8 October 1990 and before 6 December
et sur des chances de développement pour
tous les Sud-‐Africains, sans considération de
couleur, de race, de classe, de croyance ou
de sexe.
La recherche de l’unité nationale, le bien-‐
être de tous les citoyens sud-‐africains et la
paix exigent une réconciliation du peuple
d’Afrique du Sud et la reconstruction de la
société.
L’adoption de cette Constitution pose la
fondation solide sur laquelle le peuple
d’Afrique du Sud transcendera les divisions
et les luttes du passé qui ont engendré de
graves violations des Droits de l'Homme, la
transgression des principes d’humanité au
cours de conflits violents, et un héritage de
haine, de peur, de culpabilité et de
vengeance.
Nous pouvons maintenant y faire face, sur la
base d’un besoin de compréhension et non
de vengeance, d’un besoin de réparation et
non de représailles, d’un besoin d’ubuntu et
non de victimisation.
Afin de promouvoir cette réconciliation et
cette reconstruction, l’amnistie sera
accordée pour les actes, omissions et
infractions liés à des objectifs politiques et
commis au cours des conflits du passé.
A cette fin, le Parlement, subordonné à
l'autorité de la Constitution, votera une loi
Annexes
59
1993, and providing for the mechanisms,
criteria and procedures, including tribunals,
if any, through which such amnesty shall be
dealt with at any time after the law has been
passed.
With this Constitution and these
commitments we, the people of South
Africa, open a new chapter in the history of
our country.
fixant les mécanismes, conditions et
procédures, incluant le cas échéant les
tribunaux, ainsi qu'une date limite, situé
après le 8 Octobre 1990 et avant le 6
Décembre 1993, grâce à laquelle une
amnistie sera accordée dès que la loi sera
entrée en vigueur
De par cette Constitution et ces
engagements, nous, le peuple d’Afrique du
Sud, ouvrons un nouveau chapitre de
l’histoire de notre pays
Annexes
60
Annexe 6 : Scores aux élections de 94 dans le nouveau découpage régional sud-‐africain
4
4 Source : "Quand la carte fait son histoire", Monde Diplomatique http://blog.mondediplo.net/2008-‐06-‐13-‐Quand-‐la-‐carte-‐fait-‐son-‐histoire
Bibliographie
61
Bibliographie Ouvrages
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• Huntington Samuel, The third wave, University of Oklahoma Press, 1993
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• Wilson Richard, The politics of truth and reconciliation in South Africa, Cambridge
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Internet
• Official TRC Website: http://www.justice.gov.za/trc/ o TRC Report, index of all volumes: http://www.justice.gov.za/trc/report/index.htm
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