le front national au parlement européen : un galop d'essai à la conquête et à...
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Travail de Fin d’Études
Le Front National au Parlement européen :
Un galop d’essai à la conquête et à l’exercice du pouvoir ?
Adrien Rodrigues
Promotrice: Solange Hélin-Villes
Executive Master Communication & Politique Européenne
Promotion 2014-2015
2
Remerciements
Tout d'abord, j'adresse ma profonde reconnaissance à Solange Hélin-Villes, promotrice de ce
travail. Je la remercie pour sa disponibilité, sa bienveillance à mon égard et ses conseils
avisés qui m'ont aidé à alimenter ma réflexion.
Je remercie les personnes qui ont accepté de m'accorder du temps et de répondre à mes
questions. Leur expertise m'a permis d'étayer mes propos.
J'adresse une reconnaissance particulière à Joséphine et Toni pour le modèle de labeur et de
persévérance qu'ils m'ont transmis.
Finalement, je remercie Marie pour son soutien intellectuel et moral tout au long de ma
démarche.
3
Table des Matières
I. Introduction .................................................................................................... 7
II. Evolution de la rhétorique frontiste envers l’UE: D'une confédération
des Etats-Nations à une sortie de l'UE ...................................................... 10
III. La nouvelle stratégie du FN au PE .......................................................... 28
1) Le travail d’Eurodéputé ........................................................................................................... 28 2) Typologie de Brack : comment classer les Eurodéputés eurosceptiques et europhobes en
fonction de leur activité parlementaire ? ..................................................................................... 29 3) Méthodologie ........................................................................................................................... 30 4) Comparaison de l’activité des Eurodéputés frontistes par législature depuis 2004 ................. 31 5) Le Parlement européen, un centre de formation à l’exercice du pouvoir et un tremplin à sa
conquête ........................................................................................................................................... 36 a) Une tribune pour la propagande frontiste ............................................................................ 36 b) Un laboratoire pour former, à moindre coût, élus et assistants à l’exercice du pouvoir ..... 38
IV. Moments clés de l’année FN au PE: coups de pub, scandales et alliances
politiques ...................................................................................................... 41
1) Motion de censure contre la Commission Juncker .................................................................. 41 2) Le chef de la délégation frontiste, Aymeric Chauprade, « en guerre contre l’islam » ............ 42 3) Le scandale des assistants parlementaires ............................................................................... 43 4) Scission Le Peniste .................................................................................................................. 44 5) Formation du groupe politique europhobe ENL ...................................................................... 45
a) Europe des Nations et des Libertés : Une réussite qui permet d’entrevoir de nouvelles
perspectives quant à 2017 ........................................................................................................... 48 b) Le cordon sanitaire des pro-européens ................................................................................ 50
V. Propositions pour lutter contre le « fascisme à visage humain » ........... 52
VI. Conclusion ................................................................................................. 56
VII. Bibliographie ........................................................................................... 60
VIII. Annexes ................................................................................................... 73
4
Abréviations AEMN : Alliance européenne des Mouvements nationaux AEL : Alliance européenne pour la Liberté DF (PPD): Dansk Folkeparti (Parti populaire danois) EFDD : European Freedom and Direct Democracy (Europe des Libertés et de la Démocratie directe) ENL : Europe des Nations et des Libertés EPEN : Ethniki Politiki Enosis (Union politique nationale) FN : Front National FPÖ : Freiheitliche Partei Österreichs (Parti pour la Liberté d’Autriche) GDI : Groupe technique des Députés indépendants GTDE : Groupe traditionnel des Droites européennes ITS : Identité, Traditions, Souveraineté KNP : Kongres Nowej Prawicy (Congrès de la nouvelle droite polonaise) MENL : Mouvement pour l’Europe des Nations et des Libertés MEP : Member of the European Parliament (député européen ou Eurodéputé) MNR : Mouvement National républicain MSI : Movimento sociale italiano (Mouvement social italien) OLAF : Office européen de Lutte antifraude PE : Parlement européen S&D : Socialists and Democrats (Parti socialiste et démocrate européen) UKIP : United Kingdom Independance Party (Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni) UMP : Union pour un Mouvement populaire
5
Executive Summary
Ce travail de fin d’études analyse l’année du Front national au Parlement européen (PE)
depuis sa victoire aux dernières élections européennes de 2014. Ces élections ont été
marquées par la montée en puissance de l’extrême droite europhobe partout sur le vieux
continent. Il est, ici, soutenu que, depuis un an, le FN a changé de stratégie vis-à-vis de
l’institution européenne. Traditionnellement, la plupart des europhobes (frontistes inclus)
qui sont élus au sein d’une institution dont ils méprisent l’existence, pratiquaient la stratégie
de la chaise vide. Ils se désintéressaient totalement du travail de fond de l’institution et se
limitaient à se montrer quelques fois en session plénière pour y faire des coups de
communication. L’entrée massive des frontistes au PE a, depuis, changé la donne. Fidèles à
leur stratégie de dédiabolisation, Marine Le Pen et sa « nouvelle garde » ont décidé d’être
des élus beaucoup plus actifs à l’intérieur de l’hémicycle. En un an, même si son influence
réelle est restée très faible voire nulle, les statistiques parlementaires du FN ont explosé,
montrant un réel changement de cap du parti au PE. En plus, les frontistes n’avaient alors
pas encore réussi à créer un groupe parlementaire, ce qui limitait leur marge de manœuvre.
Ce changement de comportement au PE a des raisons stratégiques.
Premièrement, ce TFE défend l’idée que le FN se sert de l’institution comme d’une tribune
médiatique à la conquête du pouvoir en vue des élections présidentielles françaises de 2017
car depuis l’arrivée de Marine Le Pen à sa présidence, la réelle ambition du parti est de
prendre le pouvoir en France, faisant de 2017 une échéance historique. De plus, en
participant à son travail législatif, le parti utilise la complexité du Parlement européen pour
former ses cadres et sa jeune génération à la complexité de l’exercice du pouvoir. Cette
stratégie permet également au FN de faire croire qu’il est tout aussi capable de gérer un pays
qu’un autre parti et donc, de gagner en crédibilité aux yeux de l’électorat français.
La création du groupe politique Europe des Nations et des Libertés, un an
plus tard, représente le paroxysme de cette stratégie et permettra au FN d’augmenter, en tous
points, son action au Parlement européen. Même si l’hétérogénéité idéologique de l’extrême
droite permet de remettre en question la longévité de cette alliance politique, les groupes
politiques du PE disposent d’avantages financiers et logistiques très importants, ce qui
contribuera encore plus à la professionnalisation du FN.
6
Un autre effet de ce changement de stratégie est d’inhiber l’habituel argumentaire
anti-FN consistant à lui reprocher son manque d’assiduité au PE pour le décrédibiliser aux
yeux de l’électorat. Ainsi, ce TFE propose aux opposants de l’extrême droite de changer
également de stratégie pour mieux lutter contre un parti qui n’a pas oublié ses fondamentaux
xénophobes et racistes, comme le prouvent son programme politique et ses dérapages
continus. Mais marginaliser le parti, pointer du doigt ses électeurs ou changer les règles
démocratiques pour le combattre (comme empêcher Marine Le Pen de siéger dans
l’hémicycle avec les présidents de groupe) n’ont, aujourd’hui, comme effets que
d’augmenter la victimisation du parti et d’alimenter son discours populiste anti-élites. Il faut
au contraire combattre les projets néfastes du FN en se jetant dans la bataille des idées, en
mettant le FN face à ses nombreuses contradictions, en prouvant le tort qu’il pourrait faire à
l’État de droit et à l’UE mais surtout, en proposant de réelles alternatives via des projets de
société, comme c’est normalement le travail de tout politicien.
7
I. Introduction Au lendemain du 25 mai 2014, la France se réveillait sous le choc. Les élections
européennes donnaient leur verdict. Le Front National (FN) devenait le premier parti du
pays représenté au Parlement européen (PE) avec 24,86% des suffrages exprimés. Sur les
plateaux télés, journalistes, analystes et politiciens parlent de séisme politique mais
relativisent cette victoire de l’extrême droite en mettant la faute sur le dos du taux
d’abstention (57,39%) et du peu d’intérêt des citoyens pour les élections européennes.
Néanmoins, les « xéneurophobes » français envoyaient bel et bien 24 députés dans les
couloirs de Bruxelles et de Strasbourg1.
La France n’était pas un cas isolé, loin de là. La rupture avec l’Europe de Schuman et
Monnet était d’autant plus notable qu’au Royaume-Uni et au Danemark, l’extrême droite
europhobe arrivait également en tête des élections. Partout sur le vieux continent, les partis
anti-européens prenaient du galon. Le Parlement européen devait donc accueillir, pour la
première fois de son histoire, le plus grand contingent d’élus méprisant son existence.
Pendant leurs campagnes respectives, candidats FN, Lega Nord (Ligue du Nord italienne),
UKIP, FPÖ, PPD ou encore Aube Dorée promettaient de détruire l’UE de l’intérieur, tels
des chevaux de Troie, et ce, en commençant par sa seule institution démocratiquement élue.
C’est donc dans un contexte très hostile que commença la huitième législature du Parlement
européen2.
Un an après, jour pour jour, Marine Le Pen postait une vidéo sur les réseaux sociaux
dressant le bilan d’une année d’action du FN au PE. Dans ce mini-film de propagande à la
sémantique quasi apocalyptique, le Front National évoque, de manière chiffrée, son action
au Parlement européen.
« (…) Contre cette Europe du chaos, le Front National-rassemblement bleu marine lutte
chaque jour. Vous n’êtes plus seul dans ce combat pour vos libertés et le bon sens (…). Le
Front National au Parlement européen depuis un an, c’est une motion de censure de la
1 EUROPEAN PARLIAMENT (NANCY, J), Review of European and National Election Results. Special edition on 2014 European Elections, Brussels, May 2015, PE 558.343 ; 14p 2 Ibidem
8
Commission, près de 2 000 interventions orales et écrites en plénière, plus de 300 questions
écrites, plus de 1 200 amendements, et près de 100 propositions de résolution3 (…) »
Même s’il est vrai que cette vidéo omet de mentionner les quelques scandales qui ont
étoffé l’année européenne du FN4, les chiffres mentionnés ci-dessus sont, à peu de chose
près, corrects. Depuis qu’il est représenté au PE, c’est la première fois que le parti se targue
de son action au niveau européen. Avant 2014, les Eurodéputés frontistes, comme la plupart
des élus au sein d’une institution qu’ils méprisent, avaient la réputation, souvent à juste titre,
d’être très peu actifs voire « fainéants5». Depuis un an, les données quantitatives sont
univoques : il y a un changement clair de stratégie du Front National au Parlement européen.
Le parti europhobe de Marine Le Pen cherche à s’impliquer dans le travail législatif de
l’institution. Les Eurodéputés frontistes sont plus actifs et participent aux réunions de
commissions parlementaires, aux sessions plénières, proposent des amendements, essaient
d’influer sur l’issue des législations, tentent de s’approprier certains gros dossiers, ce qui
n’était absolument pas le cas avant. Ils ont même réussi à composer le premier groupe
parlementaire d’extrême droite depuis 2007, « l’Europe des Nations et des Libertés (ENL)».
Ce TFE entend analyser ce changement de stratégie du FN en utilisant des données
quantitatives répertoriant le travail d’Eurodéputé et ensuite, de comprendre les raisons qui se
cachent derrière. La thèse qui est soutenue est que le FN se sert du PE comme un « galop
d’essai » à la conquête et à l’exercice du pouvoir. C’est-à-dire que l’institution est utilisée
dans un but de propagande (une vitrine médiatique) et de professionnalisation du parti
(centre de formation). Depuis l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti en 2011, le parti
se mue avec l’intention de devenir, aux yeux des Français, présidentiable pour 2017. La
rupture avec la vieille garde frontiste « nazillarde » incarnée par Jean-Marie Le Pen, le
succès de la dédiabolisation du parti ainsi que le gain de plusieurs mairies6 lors des dernières
élections municipales ont consolidé cette mutation. La dernière barrière à franchir pour le
FN est celle de la crédibilité. Prouver aux Français que le parti est capable de fournir un
travail de fond et de gérer un pays. Quoi de mieux qu’une hyper-structure aussi complexe
que le Parlement européen pour franchir cet ultime obstacle? Il est donc ici soutenu que
3 FNOfficiel, « 25 mai 2014 - 25 mai 2015 : le FN-RBM au service d'une France libre dans une Europe des nations », 25 mai 2015, https://www.youtube.com/watch?v=Px_natKih_A, (page consultée le 20 juin 2015) 4 Sur lesquels nous reviendrons plus tard dans ce TFE. 5 Pour reprendre l’expression utilisée en italien (“fannullone”) par l’Eurodéputé socialiste belge Marc Tarabella pour désigner l’homme fort de la Lega Nord, Matteo Salvini. 6 Hénin-Beaumont, Béziers, Fréjus, Mantes-la-Ville, Beaucaire, Villers-Cotterêts, Cogolin, Le Pontet, Hayange, Le Luc, Camaret-sur-Aigues et le 7e secteur de Marseille.
9
l’institution européenne constitue une tribune importante aux idées frontistes et un bon
centre de formation à l’exercice du pouvoir. En effet, ce TFE défend d’ailleurs que les
Eurodéputés FN siégeant actuellement au PE sont ceux qui demain formeront un
hypothétique gouvernement Le Pen. Enfin, l’institution apporte aussi une manne financière
non négligeable pour un parti en passe de partir en campagne électorale. Ce travail défend
l’idée que le FN utilise le PE à trois fins : d’abord, comme d’un laboratoire à la conquête du
pouvoir (augmenter sa visibilité médiatique et sa crédibilité auprès de l’opinion publique),
ensuite, comme d’un centre de formation pour les cadres du parti (afin de former les
ministres de demain) et enfin, comme d’une manne financière bienvenue pour un parti, à
deux ans des élections présidentielles françaises.
Ce travail sera divisé en quatre grandes parties. La première consiste en un
récapitulatif historique de la présence du Front National au Parlement européen depuis 1984
jusqu’à la session constitutive de 2014. Elle décrit l’évolution du discours frontiste vis-à-vis
de l’Union européenne et analyse ses différentes tentatives de création de groupes
parlementaires. La deuxième partie entend quantifier l’activité parlementaire frontiste depuis
2014 et la comparer avec son activité lors des deux législatures précédentes. Pour ce faire,
l’analyse s’appuiera sur les sites MEPRanking et VotewatchEurope, des bases de données
indépendantes rassemblant et quantifiant toutes les activités des élus du Parlement européen.
Ensuite les résultats obtenus seront interprétés en s’appuyant notamment sur les points de
vue de spécialistes du Parlement européen et du FN interviewés dans le cadre de ce travail.
La troisième partie explique les moments clés du FN au PE depuis 2014 et analyse la récente
création du groupe « Europe des Nations et des Libertés » et ses éventuelles conséquences.
Finalement, la dernière partie propose des solutions pour lutter plus efficacement contre le
nouveau visage de l’extrême-droite.
10
II. Evolution de la rhétorique frontiste envers l’UE: D'une confédération
des Etats-Nations à une sortie de l'UE
Depuis 1979, année lors de laquelle le Parlement européen a été élu au suffrage universel
pour la première fois, le mode scrutin proportionnel de l’institution s’est souvent révélé
favorable aux partis contestataires. Ceux-ci en faisaient une priorité sachant qu’ils n’avaient
pas ou peu de chance d’être représentés au sein de leurs parlements nationaux7. Le mode de
scrutin du PE a également profité au Front National qui, étant conscient de n’avoir que très
peu de chance d’envoyer des élus à l’Assemblée Nationale ou au Sénat, a très tôt fait des
élections européennes une priorité électorale pour les cadres du parti (contrairement aux
partis traditionnels qui privilégient les instances nationales et envoient souvent au PE des
politiciens de « seconde zone » ou en fin de carrière)8.
Le parti fait pour la première fois son apparition au PE en 1984 envoyant un
contingent de dix cadres frontistes dans l’hémicycle dont son président, Jean-Marie Le Pen.
Peu après les élections, celui-ci deviendra également le président du premier groupe
politique d’extrême droite au PE, le défunt « Groupe des Droites européennes ». Fondé de la
collaboration du FN, du MSI (Mouvement social italien), parti fasciste et ultra-nationaliste
présidé par Giorgio Almirante ainsi que de l’Union Politique Nationale ou EPEN grec
(ancêtre d’Aube Dorée), ce groupe devenait avec 16 députés, le plus petit de l’hémicycle9.
Celui-ci se réclamait en faveur d’une « Europe des Patries » respectueuse des souverainetés
nationales10. En 1987, le MSI en plein changement de cap politique quitta le groupe mais les
nationalistes allemands du parti Die Republikaner, présidé par l’ancien Waffen-SS Franz
Schönhuber, vinrent compléter le quota de nationalités requises pour former un groupe
parlementaire (à l’époque, un cinquième des Etats-membres. En 1987, il y avait 12 Etats-
membres)11.
7 BRUSTIER, Gaël et al, «Les familles politiques aux élections européennes de mai 2014 : un bilan», site de la Fondation Robert Schuman, 30 juin 2014, http://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0319-les-familles-politiques-aux-elections-europeennes-de-mai-2014-un-bilan, (page consultée le 24 juin 2015) 8 KESTEL, Laurent, «Le Front National au Parlement européen : professionnalisation politique et ressources partisanes», IXe congrès de l’Association française de science politique. Sociologie des acteurs et du travail au Parement européen, n°30, 2007, 25p 9 Ibidem note 7 10 CHEBEL D’APPOLONIA, Arianne, «Les partis d’extrême droite et l’Europe », site de Cultures & Conflits, 6 janvier 2003, http://conflits.revues.org/667, (page consultée le 25 juin 2015) 11 Ibidem note 7
11
A l’époque, le FN défendait le principe d’une « confédération européenne d’Etats-
Nations ». Cela revenait à parler d’une Europe où les Etats-Nations étaient certes
indépendants et souverains mais n’excluaient pas une forme étroite de collaboration et
évoluaient sous l’étiquette de « communauté européenne ». D’ailleurs, le programme
électoral du FN en 1984 réclamait une « Europe forte ». Dans un discours à Strasbourg en
1988, Jean-Marie Le Pen évoquait même la création d’un « Empire européen des patries
fédérées et non homogénéisées. »12. La position du parti se radicalisera au début des années
1990 alors qu’approchait, avec le Traité de Maastricht, un énorme renforcement du cadre
communautaire. Il est vrai que le Traité de Maastricht, qui fondait les jalons de l’UE sur
trois piliers, celui d’une politique étrangère commune avec à terme une défense commune,
celui d’une union économique et monétaire posant les bases de la création d’une monnaie
unique commune et, celui d’une politique d’asile et d’immigration commune13, incarnait une
menace énorme pour la « nation » au sens frontiste du terme14. Cette radicalisation à l’égard
de l’Europe s’est également développée sous l’influence de l’Eurodéputé Jean-Claude
Martinez, alors Vice-Président du FN, qui en 1989 sortait un livre défendant la thèse de
sortie de l’UE. Une position tellement radicale que Jean-Claude Martinez définissait, avant
Maastricht, ses collègues frontistes, Jean-Marie Le Pen inclus, de « pro-européen »15.
Lors de la législature 1989-1994, le « Groupe des Droites européennes » fut dissous
faute de ne pouvoir réunir les trois nationalités. Le député grec de l’EPEN n’avait pas été
réélu et le MSI ne voulait plus s’allier avec le FN, jugé trop extrême. C’est finalement un élu
flamand du Vlaams Blok (aujourd’hui Vlaams Belang) qui rejoignit les Republikaner et le
FN pour créer le « Groupe technique des Droites européennes » (GTDE). Très vite, les
querelles internes et les différences d’opinions minèrent le groupe16. Trois Republikaner
dont Schönhuber, en quête de respectabilité, quittèrent donc le GTDE qui ne put se
reconstituer lors de la législature suivante malgré les tentatives de rapprochement avec le
FPÖ autrichien de Jorg Haider jugeant le Front National infréquentable17.
12 Ibidem note 10 13 Avec un renforcement de la coopération policière et judiciaire (création de l’Europol) 14 “La terre de nos Pères, le sol défriché et défendu par eux le long des siècles, le pays façonné dans ses paysages, ses cités, sa langue, son histoire et enrichi de leurs efforts, fertilisé de leur sueur et de leur sang. (Programme du Front National, 1984, p. 29) 15 Ibidem note 8 16 Ibidem note 7 17 Ibidem note 10
12
Comme le soutient Chebel d’Appolonia dans son analyse de l’extrême droite en
Europe : « au-delà des thèmes généraux autour desquels l’unanimité s’accomplit (Europe
confédérale, contrôle strict de l’immigration, respect des identités nationales…), chaque
formation agit conformément à ses propres objectifs18». En résultèrent un manque de
cohésion et une absence de programme concret. Cette carence stratégique de l’extrême-
droite europhobe s’est longtemps limitée à s’opposer frénétiquement à la construction
européenne sans proposer de réelles alternatives.
La législature 1994-1999 peut être qualifiée de période de disette pour l’extrême
droite au Parlement européen. Obligés de siéger parmi les non-inscrits (les députés ne
figurant dans aucune formation politique du PE), ceux-ci ne disposèrent pas des énormes
moyens financiers et logistiques allant de paire avec la composition d’un groupe
parlementaire. Cette période de disette va d’ailleurs correspondre avec une des périodes
fastes de l’histoire de la construction européenne. En effet, en moins de dix ans, les traités de
Maastricht et Amsterdam seront signés et l’UE s’élargira à quinze Etats-membres.
Parallèlement, cette décennie importante de l’intégration européenne correspondra à la
radicalisation du discours FN envers l’UE dénonçant les « Maastricheurs » et les
« Euristocrates »19.
Sur le plan national, la liste FN défendue par Jean-Marie Le Pen réalise un score
honorable aux législatives de 1997 avec plus de trois millions et demi de voix, arrivant
derrière les listes de gauche et de droite20. Surfant sur ce succès électoral, le FN et son
président entendent en profiter pour concrétiser un vieux fantasme frontiste: fédérer les
formations politiques de l’extrême-droite européenne au sein de la première internationale
nationaliste.
En 1997, Jean-Marie Le Pen, qui se veut le gourou de cette coalition d’extrême-
droite, annonce fièrement la création d’« Euronat », véritable réseau des partis d’extrême
droite d’Europe21. Ce réseau réunira des « formations politiques » telles que le Parti national
britannique ou BNP (dont le président, John Tyndall, est célèbre pour avoir dit « Mein 18 Ibidem note 10 19 Ibidem 20 FRANCE3, Les résultats du second tour des élections législatives de 1997, Paris, 2 juin 1997, [En ligne]. http://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu00171/les-resultats-du-second-tour-des-elections-legislatives-de-1997.html. (page consultée le 10 juillet 2015) 21 MARES, Miroslav, « Transnational Networks of Extreme Right Parties in East Central Europe: Stimuli and Limits of Cross-Border Cooperation», Czech Republic, Faculty of Social Studies Institute for Comparative Political Research Masaryk University, 2006, 25p.
13
Kampf est ma bible.»22), la Démocratie Nationale espagnole (DN), ouvertement franquiste,
la Flamme Tricolore italienne, une ramification néo-fasciste du MSI glorifiant l’époque
mussolinienne, les Démocrates suédois ou encore la Nouvelle droite néerlandaise23. Le
manifeste de cette première structure paneuropéenne d’extrême-droite met en avant dix
objectifs principaux incluant l’autodétermination et la souveraineté des Etats-Nations,
l’établissement d’une Europe des Nations libres ou encore la tolérance zéro envers
l’immigration du « tiers monde ». Euronat recherchera en vain la reconnaissance officielle
de l’UE pour bénéficier des avantages attribués aux partis européens. Il restera toujours
informel aux yeux de l’UE24.
C’est également lors de cette période que le FN connaîtra la première grosse crise
interne de son histoire avec une première scission idéologique dont il est nécessaire de
s’attarder ici. Nous sommes en 1998 à la maison de la Chimie à Paris. Le FN y organise un
Congrès National qui restera à jamais dans les annales du parti et en travers de la gorge de
son président. En effet, jusqu’alors omnipotente figure de l’extrême droite française, Jean-
Marie Le Pen voit son autorité contestée par son bras droit et homme de confiance de
l’époque, Bruno Mégret. Accusant son président de ne pas ambitionner au pouvoir en
cherchant des alliances politiques et de se complaire dans des provocations stériles, Mégret
et toute une branche « ambitieuse » du FN entament la rupture. Ceux-ci désirent un FN plus
consensuel et enclin à s’allier avec la droite. Jean-Marie Le Pen refusera catégoriquement
tout rapprochement politique. Trahi par ce « ramassis d’aigris et d’ingrats», Le Pen exclut
les « félons ». La trahison est d’autant plus difficile à digérer que sa propre fille, Marie-
Caroline Le Pen, suit les Mégrétistes. Son père ne lui a toujours pas pardonné aujourd’hui.
La dispute se terminera jusque devant la justice, Mégret réclamant le droit d’utiliser le nom
“Front National”. C’est Marine Le Pen, fille cadette de la famille Le Pen et jeune avocate,
qui défendra avec succès les intérêts de son père. Finalement Mégret (que Jean-Marie Le
Pen appellera désormais à jamais “Brutus”) et les putschistes créent le Mouvement National
Républicain (MNR), avec pour ambition de faire de l’ombre au FN25.
22 DOWARD, Jamie, «Expelled BNP founder plans court battle », site de The Guardian, 24 août 2003, http://www.theguardian.com/politics/2003/aug/24/uk.thefarright, (page consultée le 11 juillet 2015) 23 Ibidem note 21 24 Ibidem 25 PERRAULT, Guillaume, «Scission d'un parti : le précédent du FN », site du Figaro, 23 novembre 2012, http://www.lefigaro.fr/politique/2012/11/23/01002-20121123ARTFIG00612-scission-d-un-parti-le-precedent-du-fn.php, (page consultée le 28 juin 2015)
14
La dispute fait des dégâts au sein de l’électorat frontiste qui réalise son plus petit
score aux Européennes de 1999 avec 5,7% des voix (3,28% pour le MNR)26. Outre la
divergence d’opinion vis-à-vis des objectifs du parti, la scission Le Pen/Mégret a également
mis en évidence une rupture idéologique par rapport à l’Europe. Le clan Mégret défendait
l’idée d’une « Europe puissance » tandis que le FN défendait alors bec et ongle le principe
« d’Etat-Nation comme cadre indépassable de la démocratie et de la solidarité »27.
Lors de cette 5ème législature, Jean-Marie Le Pen sera déchu de son mandat européen
par la justice européenne après avoir été jugé inéligible en 1998 suite à l’agression physique
d’une candidate socialiste lors de la campagne municipale de sa fille, Marie-Caroline, à
Mantes-La-Jolie28. Les cinq élus Front National forment, avec les députés italiens de la Lega
Nord (régionaliste) et de la Liste Emma Bonino, le Groupe technique des Indépendants
(GDI)29. Ce groupe est qualifié « d’indépendants » car il allie volontairement des formations
sans réelles affinités politiques dans l’unique but de bénéficier des avantages attribués aux
groupes parlementaires (temps de parole, avantages financiers, logistiques). Dans sa lettre de
déclaration constitutive, le groupe qualifiait ouvertement son hétérogénéité: « Les différents
membres signataires de ce groupe affirment être entièrement indépendants politiquement les
uns des autres30». Convaincu que les conditions à la formation d’un groupe politique posées
dans le règlement du PE n’étaient pas réunies, les Présidents des autres partis saisirent la
Commission des Affaires constitutionnelles. Celle-ci statua en la défaveur du groupe qui fut,
après maints appels au Tribunal de Première Instance, dissous en 2001. Cette décision fit
jurisprudence : à l’avenir, les groupes « techniques » ne seraient plus autorisés31.
Affaibli d’une scission interne et obligé de siéger encore une fois parmi les non-
inscrits, le FN vit une mauvaise période. Certains spécialistes politiques croient le parti et
son président sur le déclin. Les élections présidentielles françaises de 2002 prouveront
pourtant le contraire. Nous sommes le 21 avril 2002 à 20h précises. Les Français voient
apparaître sur leurs écrans les deux candidats qui s’affronteront au second tour. Contre toute
attente, la bataille opposera Jacques Chirac, président sortant, à Jean-Marie Le Pen, que 26 Ibidem 27 Ibidem note 8 28 LIBERATION, « Le Pen déchu de son mandat européen. ». site de Libération, 11 avril 2003, http://www.liberation.fr/politiques/2003/04/11/le-pen-dechu-de-son-mandat-europeen_461295, (page consultée le 28 juin 2015) 29 Ibidem note 7 30 European Parliament, Working document on the proposed amendments, tabled pursuant to Rule 181 of the Rules of Procedure, to Rule 30 and on a horizontal amendment to the Rules of Procedure, Brussels, 10 December 1999, B5-0059/99 and B5-0060/99 31 Ibidem
15
beaucoup croyait mort politiquement. Faisant campagne contre la France « black blanc
beurre » de 1998 avec le slogan « La France et les Français d’abord », ce dernier recueille
16,86 % des voix au premier tour, score historique pour le FN32. La qualification de Le Pen
pour le deuxième tour se joue à 200 000 voix près. Dans tout le pays, le choc est immense.
Depuis des semaines, Lionel Jospin, le candidat de gauche et Premier Ministre sortant, était
annoncé gagnant par les sondages. Celui-ci, qui lors de la campagne avait ri au nez d’un
journaliste supposant qu’il ne passe pas le premier tour, annonce son retrait de la vie
politique. Les traditionnels débats d’entre-deux tours n’auront pas lieu, laissant place à de
nombreuses vagues de manifestations anti FN dans les rues de Paris. Les leaders des partis
traditionnels appellent tous à voter contre l’extrême-droite et le parti de
«l’obscurantisme »33 . C’est finalement Jacques Chirac qui sera réélu Président de la
République française obtenant le score historique de 82,21%34.
Cet épisode de la politique française aura eu comme conséquence de relancer
également la dynamique du FN au niveau européen. Aux Européennes de 2004, le parti
arrive en quatrième position obtenant un honorable score de 9,81% et envoie sept
Eurodéputés au PE. Pour la première fois, Marine Le Pen, Vice-Présidente du parti depuis
2003, fait partie du contingent35. L’année 2002 aura momentanément gommé la période des
conflits internes du parti et le Front National retrouvera vite le respect de ses homologues
européens.
L’année 2005 est marquée en France par le grand débat autour du Traité établissant
une constitution pour l’Europe (ou TCE, traité constitutionnel européen). Adopté par les 25
Etats-membres au Conseil européen de juin 2004 et officiellement signé par ceux-ci au mois
d’octobre à Rome, ce traité doit ensuite être ratifié selon les modalités en vigueur dans
chaque Etat-membre, la voie parlementaire ou le référendum. En France, aux Pays-Bas, en
Espagne, au Luxembourg et en Irlande, c’est le peuple qui est appelé à voter pour ou contre
ce pas en avant de l’intégration européenne. En France, les campagnes du « oui » et du
« non » à la ratification de ce traité constitutionnel vont diviser les partis politiques. Il faut
32 MAYER, Nonna, «Les hauts et les bas du vote Le Pen en 2002 », Revue française de science politique, vol.52, n°5-6, 2002, pp. 505-520 33 FRANCE2, Manifestation à Paris le 1er mai 2002 contre Jean-Marie Le Pen, Paris, 1 mai 2002 [En ligne]. http://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu01101/manifestation-a-paris-le-1er-mai-2002-contre-jean-marie-le-pen.html, (page consultée le 11 juillet 2015) 34MINISTERE DE L’INTERIEUR, Résultats de l'élection présidentielle 2002, Paris, 21 avril 2002, [En ligne]. http://www.interieur.gouv.fr/Elections/Lesresultats/Presidentielles/elecresult__presidentielle_2002/(path)/presidentielle_2002/index.html (page consultée le 30 juin 2015) 35 Ibidem note 1
16
dire que ce traité, qui n’a, en réalité, pas la forme juridique d’une vraie constitution, joue
avec les symboles, ce qui ne plaît pas beaucoup en France. Outre l’effort de simplification
des traités précédents, le renforcement intense du cadre communautaire et de la démocratie
avec un rôle accru du PE, les termes « Constitution », « hymne européen » ou « drapeau
européen » y sont employés36.
Le Front National voit donc ce référendum comme une aubaine pour s’élever au rang
de défenseur de la nation française contre l’Europe du chaos. Le parti défendra la campagne
du « non » dénonçant une grande menace pour la liberté des Etats-Nations européens. Dans
un discours au Parlement européen en janvier 2005, Jean-Marie Le Pen dénonce ce traité
s’annonçant comme « acte fondateur d’un super-état européen » reléguant les Etats-Nations
à de simples « länder » asservis37. La stratégie du parti est également d’associer les
pourparlers en vue d’une éventuelle adhésion de la Turquie (à laquelle une majorité des
français est opposée) à ce nouveau traité (alors que la Turquie n’est mentionnée dans aucun
des textes du traité). Ainsi, le slogan frontiste est simple: « Turquie + constitution : La
France dit non ! » 38. Lors de son traditionnel discours du 1er mai 2005, il dira : «L’Europe
d’aujourd’hui, et plus encore celle de demain, c’est une grosse méduse, molle et sans
force. »39. Finalement, le 28 mai 2005, c’est le « non » l’emporte en France (54,6%40) et aux
Pays-Bas (61,6%41) qui enterrent ce projet d’intégration européenne. En France, le FN
s’approprie la victoire du « non ». L’épisode de 2005 correspond à un énorme échec du
projet européen.
En janvier 2007, l’extrême-droite réussit à former un nouveau groupe politique au
Parlement européen: « Identité, Traditions, Souveraineté » (ITS). Encore une fois, c’est le
FN qui est à la manoeuvre via Bruno Gollnisch, Vice-Président frontiste fidèle de Jean-
Marie Le Pen depuis toujours. Celui-ci réussit, grâce aux contacts générés par Euronat, à
36 DACHEUX, Eric, Comprendre le débat sur la constitution de l'Union Européenne, Publibook, « sine loco », 2005. 184p. 37 LE PEN, Jean-Marie, «Constitution pour l’Europe», site du Parlement européen, 11 janvier 2005. http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-%2f%2fEP%2f%2fTEXT%2bCRE%2b20050111%2bITEM-005%2bDOC%2bXML%2bV0%2f%2fFR&language=FR&query=INTERV&detail=2-063, (page consultée le 11 juillet 2015) 38 FRANCE2, Défilé du 1er mai du Front National, Paris, 1 mai 2005, [En ligne], http://www.ina.fr/video/2825739001006 (page consultée le 11 juillet 2015) 39 Ibidem 40 MINISTERE DE L’INTERIEUR, Référendum du 29 mai 2005, Paris, 29 mai 2005, [En ligne]. http://www.interieur.gouv.fr/Elections/Lesresultats/Presidentielles/elecresult__presidentielle_2002/(path)/presidentielle_2002/index.html, (page consultée le 15 juillet 2015) 41 EUROPEAN COMMISSION, The European Constitution: post referendum survey in The Netherlands, Bruxelles, juin 2005, [En ligne]. http://ec.europa.eu/public_opinion/flash/fl172_en.pdf, (page consultée le 15 juillet 2015)
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réunir les nouveaux critères de formation d’un groupe politique au PE42. Gollnisch sera
nommé président d’ITS et deviendra l’une des figures les plus respectées de l’extrême-droite
européenne. Ce groupe ne fera cependant pas de vieux os au PE. En novembre de la même
année, il est dissous suite à un différend entre Alessandra Mussolini43 et les Eurodéputés
roumains du « Parti de la Grande Roumanie » qui quitteront tous le groupe. Passé en dessous
de la barre des 20 élus, la dissolution du parti est annoncée dans l’hémicycle de Strasbourg
sous un tonnerre d’applaudissements. Ainsi, les Europhobes retrouvent une nouvelle fois
leurs sièges de non-inscrits44.
En 2007, Jean-Marie Le Pen fait encore une fois partie des candidats aux
présidentielles mais convainc moins que cinq ans auparavant. Ne voulant plus revivre le
cauchemar de 2002, les Français votent en masse. Ces élections sont marquées par un taux
de participation record de 83,77% des inscrits. Avec 10,44% des voix, Jean-Marie Le Pen,
un peu rouillé par une campagne approximative45, arrive en quatrième position au premier
tour46. Le FN accusera Nicolas Sarkozy, qui sera élu président, d’avoir fait preuve de
démagogie pour draguer l’électorat frontiste de 2002. A ce sujet, Marine Le Pen déclara :
«En pillant notre discours, Sarkozy nous a affaiblis, mais à moyen terme, c'est nous qui en
sortirons renforcés : grâce à lui, nous avons, en grande partie, été dédiabolisés47».
Sur le plan européen, la plateforme Euronat fait place en 2009 à une nouvelle
organisation européenne d’extrême droite europhobe et nationaliste, « l’alliance européenne
des mouvements nationaux » dont Bruno Gollnisch prendra la présidence (AEMN)48. Celle-
ci accueille des nouveaux membres très radicaux comme le parti hongrois Jobbik qui, en
2007, défrayait la chronique en créant la « Garde hongroise », milice paramilitaire
ultraviolente chargée de « défendre la Hongrie sur le plan physique, moral et intellectuel49».
42 Minimum 20 Eurodéputés de 5 pays différents. 43 Petite fille du “Duce” aujourd’hui membre du PPE. 44 RIVAIS, Rafaële, «Dissolution d'ITS, groupe de Bruno Gollnisch au Parlement européen », Bruxelles, 15 novembre 2007, http://www.lemonde.fr/europe/article/2007/11/15/dissolution-d-its-groupe-de-bruno-gollnisch-au-parlement-europeen_978755_3214.html#ZQ4ff5obM9qXcsQJ.99 (page consultée le 15 juillet 2015) 45 La vidéo de lancement de la campagne FN vaut le détour. 46 MINISTERE DE L’INTERIEUR, Résultats de l'élection présidentielle 2007, Paris, 6 mai 2007, [En ligne], http://www.interieur.gouv.fr/Elections/Lesresultats/Presidentielles/elecresult__presidentielle_2007/(path)/presidentielle_2007/FE.html, (page consultée le 15 juillet 2015) 47 PERRAULT, Guillaume, «Marine Le Pen élue présidente du Front national», site du Figaro, 14 janvier 2011, http://www.lefigaro.fr/politique/2011/01/14/01002-20110114ARTFIG00673-marine-le-pen-elue-presidente-du-front-national.php (page consultée le 20 juillet 2015) 48 MESTRE, Abel et al, «Les relations ambiguës du FN et du Jobbik hongrois», Site du Monde, 4 janvier 2012, http://droites-extremes.blog.lemonde.fr/2012/01/04/les-relations-ambigues-du-fn-et-du-jobbik/ (page consultée le 15 juillet 2015) 49 JORIS, Pauline, «Création en Hongrie d'un groupe paramilitaire pour sauver le peuple hongrois », Site de Nouvelle Europe [en ligne], 28 août 2007, http://www.nouvelle-europe.eu/node/258, (page consultée le 16 juillet 2015)
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Les objectifs de l’AEMN sont similaires à ceux d’Euronat mais la nouvelle alliance veut
convaincre un public plus large en prouvant que les partis nationalistes peuvent collaborer
en luttant contre la diabolisation dont ils sont « victimes »50. Comme Euronat en son temps,
l’AEMN va courir après la reconnaissance officielle de l’UE qui lui sera finalement
accordée en février 201251.
Malgré la « bonne nouvelle » que constitua la création de cette plateforme
européenne, 2009 est une année difficile pour le FN. De plus en plus d’anciens cadres
désertent le parti dont Jean-Claude Martinez ou Carl Lang (respectivement Eurodéputés de
1989 à 200952 et de 1994 à 200953) pourtant fidèles à Jean-Marie Le Pen depuis ses débuts.
Ceux-ci se présentent aux Européennes de 2009 sur des listes dissidentes54. Le score du FN
aux Européennes de la même année en pâtira. Avec 6,34%, le FN est dernier et n’obtient que
trois sièges au PE, le plus petit contingent de son histoire. C’est Jean-Marie Le Pen, Bruno
Gollnisch et Marine Le Pen, de plus en plus influente, qui représenteront leur parti parmi les
non-inscrits55.
Cette législature sera notamment marquée par un tournant au sein du parti. Après les
contre-performances des Présidentielles de 2007 et des Européennes de 2009, le FN sent
qu’il a besoin de se rajeunir pour convaincre à nouveau. L’image patriarcale et omnipotente
de Jean-Marie Le Pen a de moins en moins de succès. Ainsi, le XIVème Congrès du FN, qui
se tiendra à Tours en janvier 2011, a pour but de redéfinir la ligne du parti, d’élire un
nouveau comité central et surtout, de choisir un nouveau président pour remplacer Jean-
Marie Le Pen, à la tête du FN depuis sa création en 1972. Sans surprise, c’est Marine Le Pen
qui devient présidente du parti avec 67,65% des votes des adhérents (score pas assez
soviétique pour être contestable) face à Bruno Gollnisch56. Depuis longtemps, c’était un
secret de polichinelle que la troisième fille Le Pen reprendrait les rennes du parti. Depuis son
piston au poste de Vice-Présidente du FN en 2003, celle-ci s’évertue à lisser tant bien que
50 GOLLNISCH, Bruno, « Bruno Gollnisch annonce une alliance européenne des mouvements nationaux », site du Front national, 10 novembre 2009. http://www.frontnational.com/categorie/communiques/ (Page consultée le 16 juillet 2015). 51 EUROPEAN PARLIAMENT, Grants from the European Parliament to political parties at European level 2004-2013, site du Parlement européen, mars 2013, http://www.europarl.europa.eu/pdf/grants/grant_amounts_parties_25-03-2013.pdf (page consultée le 17 juillet 2015) 52 EUROPEAN PARLIAMENT, Députés, site du Parlement européen, http://www.europarl.europa.eu/meps/fr/2057/CARL_LANG_home.html (page consultée le 17 juillet 2015) 53EUROPEAN PARLIAMENT, Députés, site du Parlement européen, http://www.europarl.europa.eu/meps/fr/966/JEANCLAUDE_MARTINEZ_home.html (page consultée le 17 juillet 2015) 54 DE BOISSIEU, Laurent « Chronologie du Front National », site de France Politique, 2012, http://www.france-politique.fr/chronologie-fn.htm (page consultée le 19 juillet 2015) 55 Ibidem note 1 56 Ibidem note 47
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mal l’image du parti. La tête sur les épaules, cette avocate de formation dira dans une
émission de télé en 2006: « Je me rends compte que je suis la fille d’un homme qu’on
cherche à tuer. J’arrive dans la vie politique par la face la plus difficile, la plus violente, la
plus abrupte.57 ».
Avec son arrivée à la présidence, Marine Le Pen entame une nouvelle stratégie de
communication afin de rompre avec l’image « infréquentable » du parti. Le but, normaliser
et dédiaboliser le FN en vue de convaincre un électorat plus large. Contrairement à son père
qui se contentait de l’opposition, elle ne cache pas son objectif à terme, le pouvoir. Pour ce
faire, il faut rompre avec la « vieille garde » frontiste « nazillarde ». Déjà accusée par des
cadres du parti «d’être aussi autocratique que son père sans avoir sa légitimité », beaucoup
d’adhérents de la première heure quittent le navire58. Cela tombe bien pour la nouvelle
présidente qui engage alors son parti dans un renouvellement complet, de ses cadres à sa
ligne politique. Pour effacer tant bien que mal les stigmates antisémite et xénophobe du FN,
elle exclut les adhérents ou élus plus radicaux qui dérapent (comme ce fut le cas pour
Alexandre Gabriac, de l’extrême-droite dure et violente, exclu pour un “salut nazi” ou pour
Yvan Benedetti qui s’auto-définissait sur internet d’antisémite, antisioniste, antijuif)59.
Pour s’émanciper de l’étiquette « homophobe » qui avait toujours collé à la peau du
FN, le parti ne manifestera pas contre le « Mariage pour tous » (projet de légalisation du
mariage homosexuel en France) avec les associations catholiques intégristes telles que
Civitas ou l’AFC (association des familles catholiques) avec lesquelles le FN avait pourtant
toujours entretenu des liens étroits 60 . De nouvelles têtes d’affiche plus jeunes et
prétendument moins radicales sont mises en avant lors des élections dont des immigrés. Elle
décide aussi de rajeunir et d’intellectualiser l’élite de son parti en propulsant par exemple
l’énarque et ancien adhérent UMP de 34 ans, Florian Philippot, au poste de numéro deux du
FN61.
57 ARDISSON, Thierry, «Interview de Marine Le Pen», Tout le monde en parle, site de l’Institut national de l’audiovisuel, 13 mai 2006, http://www.ina.fr/video/I09226135 (page consultée le 20 juillet 2015) 58 Ibidem note 47 59 AFP, «Marine Le Pen gênée par deux «parasites» du FN à Vénissieux», site de Libération, 26 février 2014, http://www.liberation.fr/politiques/2014/02/26/marine-le-pen-genee-par-deux-parasites-du-fn-a-venissieux_983059 (page consultée le 23 juillet 2015) 60 DE LARQUIER, Ségolène, «Mariage homosexuel : pourquoi Marine Le Pen a tergiversé », site du Point, 14 janvier 2013 http://www.lepoint.fr/politique/mariage-homosexuel-pourquoi-marine-le-pen-a-tergiverse-04-01-2013-1608629_20.php (page consultée le 23 juillet 2015) 61 MESTRE, Abel, «Florian Philippot, « l'homme pressé » de Marine Le Pen, s'invite à Bruxelles », site du Monde, 27 mai 2014, http://www.lemonde.fr/europeennes-2014/article/2014/05/27/florian-philippot-l-homme-presse-de-marine-le-pen-s-invite-a-bruxelles_4426829_4350146.html (page consultée le 24 juillet 2015)
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Marine Le Pen, également soucieuse des fréquentations internationales de son parti,
fait aussitôt le ménage au niveau européen. Fin 2011, elle décide de rompre les liens du FN
avec l’Alliance européenne pour les mouvements nationaux, dont les membres sont jugés
trop radicaux (cf. Jobbik ou Aube Dorée). Seuls Bruno Gollnisch, président de l’alliance, et
Jean-Marie Le Pen y resteront membres jusqu’à ce que Marine Le Pen durcisse le ton et leur
demande de « quitter l’AEMN pour que la cohérence du parcours du FN, de ses choix
d'alliance, apparaissent parfaitement claires"62. En 2013, ceux-ci obéissent à Marine Le Pen
et quittent cette plateforme européenne d’extrême droite dont ils sont pourtant à l’origine63.
Entre temps, le « nouveau FN » s’était rapproché d’une nouvelle alliance européenne
prétendument moins radicale, l’Alliance européenne pour la Liberté (AEL), duquel Marine
Le Pen prendra la Vice-Présidence. Dans ce groupe reconnu (et donc financé) par l’UE, on
retrouve des formations comme la Ligue du Nord italienne, le FPÖ autrichien ou le (très
sulfureux) Vlaams Belang flamand. Ainsi, la dédiabolisation du FN se joue également dans
sa stratégie d’alliances politiques avec des formations qui se considèrent elles-mêmes
comme moins extrêmes. En 2014, l’AEL disparaîtra pour laisser la place au Mouvement
pour l’Europe des Nations et des Libertés (MENL)64.
Très vite, la nouvelle stratégie de dédiabolisation récolte ses fruits. Un an après
l’arrivée de Marine Le Pen à la présidence du parti, les sondages sont unanimes et les
politologues parlent « d’effet Marine ». En effet, selon la société de sondages politiques
TNS Sofres, 31% des français se disent « d’accord avec les idées du FN », ce qui constitue
un saut de 9 points par rapport à 201165. Un autre marqueur de ce succès est le boom du
nombre d’adhérents. En une année, le FN passe de 40 000 adhérents à 61 000. En 2014, on
en dénombre plus de 80 000 ce qui fait du FN le troisième parti en terme d’adhérents66.
L’année 2012 est une année électorale importante. La tenue des élections
présidentielles va permettre à Marine Le Pen de tester sa nouvelle popularité dans les urnes. 62 AFP, «FN: Marine le Pen demande à son père de quitter une alliance trop radicale», site de l’Express, 23 octobre 2013, http://www.lexpress.fr/actualite/politique/fn/fn-marine-le-pen-demande-a-son-pere-de-quitter-une-alliance-trop-radicale_1293626.html (page consultée le 24 juillet 2015) 63 GALIERO, Emmanuel, «Bruno Gollnisch se plie aux volontés de Marine Le Pen», site du Figaro, 25 octobre 2013, http://www.lefigaro.fr/politique/2013/10/25/01002-20131025ARTFIG00346-la-nouvelle-virginite-de-l-eurodepute-fn-bruno-gollnisch.php (page consultée le 15 juillet 2015) 64 MUDDE, Cas, « The EAF is dead! Long live the MENL! », site de Open Democracy, 12 October 2014, https://www.opendemocracy.net/can-europe-make-it/cas-mudde/eaf-is-dead-long-live-menl (page consultée le 17 juillet 2015) 65 TNS Sofres, «Baromètre 2012 d'image du Front national», site de TNS-Sofres, 12 janvier 2012, http://www.tns-sofres.com/etudes-et-points-de-vue/barometre-2012-dimage-du-front-national (page consultée le 19 juillet 2015) 66 CLAVEL, Geoffroy, « Le Front national compte 83.000 adhérents, le plus haut niveau depuis sa fondation », site du Huffington Post, 30 novembre 2014, http://www.huffingtonpost.fr/2014/10/30/front-national-83000-adherents-plus-haut-fondation_n_6077574.html# (page consultée le 19 juillet 2015)
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Ainsi, les Français donnent raison à sa nouvelle stratégie en lui accordant un historique
17,90% des suffrages, meilleur score jamais réalisé par le FN toutes élections confondues67.
Au soir de l’annonce des résultats, celle-ci annoncera fièrement que le FN s’installe
désormais comme troisième force politique du pays.
Les élections présidentielles de 2012 sont d’autant plus historiques que, selon une
étude de l’Institut français d’opinion publique, le vote Le Pen n’est plus uniquement un vote
contestataire comme il l’a été auparavant (excepté pour l’électorat historique du FN) mais
aussi un vote d’adhésion. Bien sûr, il reste pour beaucoup un vote antisystème mais de plus
en plus d’électeurs FN avouent désormais, sans complexe, adhérer aux idées du parti.
L’historien et spécialiste de l’extrême droite, Nicolas Lebourg constate également ce
phénomène engendré par la stratégie de dédiabolisation. Marine Le Pen a réussi à
convaincre un électorat français plus large, que le « FN constitue une alternative aux partis
traditionnels que sont l’UMP et le PS, sans pour autant être un électorat parti sulfureux ».
Ainsi, le lissage a permis au parti de séduire de nouveaux électeurs qui n’auraient pourtant
jamais voté FN du temps de Jean-Marie Le Pen tels que des immigrés, des homosexuels, des
musulmans ou des juifs. Parmi ce nouvel électorat, on observe également une grande
augmentation de femmes et de primo-votants. Avec 2012, on peut constater que le tabou que
constituait alors le vote FN s’est résorbé68.
Bien que le « nouveau » FN de Marine Le Pen ait réussi à convaincre un électorat
plus large de sa « normalité », un coup d’œil à son programme électoral suffit pour voir qu’il
n’a cependant pas oublié ses fondamentaux : réduction de l’immigration légale 69 ;
suppression du droit du sol70 ; préférence nationale ; protectionnisme économique ou fin de
« l’islamisation rampante dont est victime la France »71. Un autre élément caractéristique du
FN depuis sa création est sa rhétorique populiste consistant à mettre en opposition le
modeste peuple français oublié des élites qui leur serrent la gorge72. Jean-Marie Le Pen
parlait déjà de « l’établissement » et de la « dictature des oligarchies » en 1973. Aujourd’hui,
les mots ne sont pas bien différents. « Leur système n’est pas fait pour nous, peuple de
67 Ibidem note 1 68 THÉAULT, Laurence, « Le score du Front national : un vote de colère ou d’adhésion ? », site de RFI,», 23 avril 2012, http://www.rfi.fr/france/20120423-le-score-front-national-vote-colere-adhesion/ (page consultée le 20 juillet 2015) 69 Réduction en 5 ans de l’immigration légale de 200 000 entrées par an à 10 000 entrées par an. 70 «Afin que l’acquisition de la nationalité ne soit plus une simple formalité administrative : être français est un honneur. » 71 FRONT NATIONAL, « Notre projet : programme politique du Front national », site du Front national, sine data, http://www.frontnational.com/pdf/Programme.pdf, (page consultée le 22 juillet 2015) 72 REYNIÉ, Dominique, Populismes : la pente fatale, Paris, Plon, 2011, 279p.
22
France (…). Il est fait pour eux, petite élite, oligarchie restreinte. » disait Marine Le Pen lors
de la campagne de 201273.
Parmi ces élites, on retrouve évidemment l’Union européenne et ses « technocrates et
banksters » déconnectés des réalités (pour reprendre les termes fréquemment utilisés par
Marine Le Pen). L’argumentaire concernant l’Europe reste également inchangé par rapport à
celui du FN de Jean-Marie Le Pen (position qui, comme expliqué précédemment, s’est
rudement radicalisée dans les années 1990 avec le Traité de Maastricht). Parmi les grands
classiques du discours frontiste à l’égard de l’UE, on retrouve dans son programme: la sortie
de l’euro pour rendre à la France sa liberté monétaire74 ; la primauté du droit national sur le
droit européen ; le patriotisme économique ; une contribution nulle au budget européen ; la
nécessité de rapatrier autant de compétences que possible ; la renégociation des traités
européens ou la remise en cause des accords de Schengen pour un contrôle des frontières
uniquement décidé par la France75. Lors de la campagne de 2014, Marine Le Pen ne cachait
pas ces intentions à l’égard de l’UE: « je veux détruire l’Europe de l’intérieur »76. « Si je
suis élue présidente de la République, je ferai un référendum sur la sortie de l’UE »77. Son
projet pour l’Europe, elle le décrit comme celui « d’une association libre d’Etats européens
partageant la même vision et les mêmes intérêts sur des sujets tels que l’immigration ou les
règles devant régir les échanges extérieurs et la circulation des capitaux »78. A ce niveau là,
il est même légitime de constater une légère radicalisation par rapport à la vision européenne
de Jean-Marie Le Pen qui défendait certes le principe d’Etats-Nations indépendants mais ne
rejetait pas un certain degré de confédéralisme européen. Il n’y a pas de doute à avoir, le FN
de Marine Le Pen est toujours bien populiste, anti-immigration et europhobe.
Renforcé dans son projet par le score des présidentielles, le FN a un nouvel objectif :
être le premier parti de France au prochaines Européennes. Le coup est jouable puisque ces
élections leur ont souvent souri (pour rappel, le FN est présent au PE sans discontinuer
depuis 1984). Certains sondages très sérieux annoncent d’ailleurs le parti vainqueur, devant
73 MESTRE, Abel, « Le FN n'est plus le même, mais a-t-il vraiment changé ? », site du Monde, 20 septembre 2012, http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/09/20/le-front-national-n-est-plus-le-meme-mais-a-t-il-vraimentchange_1763234_3246.html#kput6BPUcbjmxOji.99 (page consultée le 24 juillet 2015) 74 Jean-Marie Le Pen proposait déjà un référendum sur la sortie de l’euro en 2002. 75 Ibidem note 71 76 WALT, Vivienne, « The Star of France’s Right-Wing », site du Time, 15 mai 2014, http://time.com/100961/marine-le-pen-france-national-front/ (page consultée le 25 juillet 2015) 77 GALIERO, Emmanuel, «Marine Le Pen : Si je suis élue en 2017, je ferai un référendum sur la sortie de l'Europe», site du Figaro, 27 novembre 2014, http://www.lefigaro.fr/politique/2014/11/27/01002-20141127ARTFIG00329-marine-le-pen-si-je-suis-elue-en-2017-je-ferai-un-referendum-sur-la-sortie-de-l-europe.php (page consultée le 25 juillet 2015) 78 Ibidem note 71
23
l’UMP et le PS. Pour concrétiser ce rêve de l’extrême droite, les nouvelles personnalités
médiatiques en vogue du parti sont réquisitionnées et envoyées dans la bagarre électorale. Le
FN peut également compter sur son habituel discours anti-Europe bien aiguisé. La campagne
du parti se construit sur la même rhétorique que d’habitude : plus de France, moins
d’Europe. Encore une fois, les frontistes exacerbent le principe de souveraineté nationale
pour lutter contre une UE illégitime et anti-démocratique. Cependant, les temps ont changé.
Le parti jouit désormais d’un électorat plus large et décomplexé et l’Europe s’enlise dans
une crise économique et sociale qui la décrédibilise. De plus, le FN va également concentrer
sa campagne sur deux nouvelles thématiques très controversées : la lutte contre le Traité de
libre-échange entre l’UE et les Etats-Unis (TAFTA), et contre la nouvelle réforme de la
PAC (politique agricole commune) qui « laisse libre cours au dumping social et ravage
actuellement l’agriculture française.»79. La recette est gagnante et le pari est réussi. Dans la
stupeur générale, le FN arrive en tête des élections européennes avec 24,86% des suffrages
exprimés et envoie 24 Eurodéputés (c’est trois élus de plus que la délégation belge
complète) au Parlement européen80.
Le séisme de l’extrême droite europhobe n’a pas seulement atteint la France. Au
Royaume-Uni, le parti nationaliste de Nigel Farage réalise également un score historique en
arrivant premier avec 27,49% des suffrages exprimés lui permettant d’envoyer 24 élus dans
l’hémicycle parlementaire. Au Danemark, le parti populaire danois, anti-immigration et
xénophobe, rassemble 26,6% des voix faisant de lui le premier parti du pays au Parlement
européen avec 4 députés. C’est la première fois dans l’histoire des élections européennes que
trois partis nationalistes europhobes arrivent en première position, faisant de 2014 un scrutin
historique. En Autriche, le parti pour la liberté d’Autriche (FPÖ) arrive, lui, en troisième
position avec 19,72% des voix et envoie 4 députés dans l’escarcelle des europhobes. L’onde
de choc n’a pas épargné la Grèce non plus où le parti eurosceptique Syriza (gauche radicale)
et le parti europhobe Aube Dorée (extrême droite, ouvertement fasciste et néo-nazi) arrivent
respectivement en première et troisième positions. Ce dernier défraie d’ailleurs souvent la
chronique pour ses déclarations négationnistes ou antisémites ou par sa violence81. En
Hongrie, si c’est le parti Fidesz du très controversé dirigeant Viktor Orban qui est arrivé en
tête des élections, c’est le parti antisémite Jobbik, qui se place en deuxième position
79 LE PEN, Marine, « Intervention au Parlement européen de Strasbourg sur la politique agricole commune », site de Marine Le Pen, 20 novembre 2013, http://www.marinelepen.fr/2013/11/intervention-au-parlement-europeen-de-strasbourg-sur-la-politique-agricole-commune/ (page consultée le 25 juillet 2015) 80 Ibidem note 1 81 Il est également accusé d’être impliqué dans l’assassinat du rappeur grec antifasciste Pávlos Fyssas
24
(14,67%) et obtient 3 sièges. En Pologne, le très controversé Congrès national de la nouvelle
droite (KNP) fait également un bon résultat avec 7,15% des voix et 4 élus au PE. En Italie,
le parti régionaliste de la Ligue du Nord arrive quatrième et obtient 5 sièges parlementaires.
Finalement, aux Pays-Bas, où les sondages annonçaient une victoire du parti d’extrême
droite, le parti de Geert Wilders (PVV) doit se contenter d’une troisième place avec 13,32%
des voix (4 députés)82. Au total, les eurosceptiques et europhobes représentent 22,63% de
l’hémicycle (en 1984, ils représentaient environ 20% du PE) soit le plus grand contingent de
l’histoire du PE83.
Pour concrétiser sa victoire, le Front National espère bien réussir à former un groupe
politique au sein du Parlement européen. Comme elle l’exprimera peu après les élections,
Marine Le Pen souhaite que sa délégation pèse dans les prises de décision de l’institution, ce
qui marque déjà une première différence avec le FN « européen » de Jean-Marie Le Pen.
Cependant, comme expliqué précédemment, il est historiquement difficile pour l’extrême
droite europhobe de créer des formations politiques transnationales durables. En cause
généralement, le petit contingent d’élus des partis contestataires ou le manque
d’homogénéité des extrêmes qui ne veulent pas s’allier avec « n’importe qui ». En plus,
redoutant une recrudescence de députés eurosceptiques, le PE a revu à la hausse les
conditions de formation d’un groupe politique en juin 2009. Il faut désormais un minimum
de 25 Eurodéputés représentant un quart des Etats-membres (soit 7 Etats-membres dans une
Europe à 28)84. Mais le jeu en vaut la chandelle et les partis anti-Europe seront désormais
nombreux dans l’hémicycle.
L’enjeu est grand pour le FN. La formation d’un groupe politique permet d’obtenir
des moyens financiers, humains et logistiques considérables. En effet, un groupe bénéficie
« d’un secrétariat dans le cadre de l'organigramme du Secrétariat général, doté de facilités
administratives et de crédits prévus au budget du Parlement »85. Aussi, faire partie d’un
groupe augmente le temps de parole en plénière alloué aux députés et permet à son président
de siéger et voter au sein de la conférence des présidents (réunissant les présidents de parti et 82 EUROPEAN PARLIAMENT (NANCY, J), Review of European and National Election Results. Special edition on 2014 European Elections, Brussels, May 2015, PE 558.343 ; 364 p 83 QUATREMER, Jean, « Le Parlement européen dresse un cordon sanitaire autour des europhobes », site de Libération, 3 juillet 2014, http://bruxelles.blogs.liberation.fr/2014/07/03/le-parlement-europeen-dresse-un-cordon-sanitaire-autour-des-europhobes/ (page consultée le 25 juillet 2015) 84 EUROPEAN PARLIAMENT, « Quels sont les partis politiques représentés au Parlement européen ? », 15 mai 2009, http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?language=FR&type=IM-PRESS&reference=20090511STO55548, (page consultée le 25 juillet 2015) 85 EUROPEAN PARLIAMENT, « Règlement », juillet 2014, http://www.europarl.europa.eu/sipade/rulesleg8/Rulesleg8.FR.pdf , (page consultée le 26 juillet 2015)
25
le président du PE), colonne vertébrale qui décide de l’organisation du travail du PE, de ses
relations avec les autres institutions, de l’agenda des sessions plénières, de l’organisation des
temps de parole ou de la composition des commissions parlementaires86. En plus de tous ces
avantages, un groupe politique dispose d’une manne financière de 20 à 30 millions d’euros
sur toute la législature87.
Mais mis à part les avantages financiers, logistiques et humains qu’il engendre, la
formation d’un groupe va de pair avec la distribution des fonctions parlementaires clés à
Bruxelles. Ce sont, en effet, les groupes politiques qui négocient selon une grille de
pondération (le système d’Hondt) les postes influents à pourvoir au sein de l’institution tels
que les présidences et vice-présidences de commissions parlementaires (qui ont une
influence énorme dans le choix des rapporteurs) et des délégations interparlementaires88, les
présidences de parti ou ceux plus « honorifiques » de vice-présidences du PE (Fontaine,
2014). Chacun des postes clés coûte un certain nombre de points. Ces points sont répartis en
fonction de la taille de la délégation. Ainsi, la délégation frontiste étant la plus nombreuse de
France, elle dispose du plus grand nombre de points par rapport aux autres délégations
françaises. Cependant, les tractations se jouent au sein des formations politiques formées au
PE. Si le FN réussit à former un groupe, il pourra peser sur les négociations politiques entre
les différents groupes. Bien que son influence serait limitée par la taille du groupe89, la taille
de sa délégation aurait été un argument important pendant les discussions (la cinquième plus
grande délégation du PE tous pays confondus)90. On comprend dès lors tout l’enjeu que
constitue la formation d’un groupe politique pour un FN qui espère peser sur les prises de
décision de l’institution. Et le temps presse pour le FN car c’est lors de la « constitutive »,
première session plénière après une élection européenne, que seront répartis ces postes.
Celle-ci a une durée de deux ans et demie (soit la moitié de la législature) pendant laquelle
aucune modification n’est envisagée. C’est-à-dire que si le FN échoue à former un groupe
86 EUROPEAN PARLIAMENT, « La Conférence des Présidents : la colonne vertébrale du Parlement européen », 16 juin 2014, http://www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/content/20140616STO49701/html/La-Conférence-des-présidents-la-colonne-vertébrale-du-Parlement-européen, (page consultée le 26 juillet 2015) 87 AFP, « Marine Le Pen va constituer un groupe au Parlement européen », site de Libération, 15 juin 2015, http://www.liberation.fr/politiques/2015/06/15/marine-le-pen-annonce-la-constitution-d-un-groupe-au-parlement-europeen_1330323 , (page consultée le 26 juillet 2015) 88 Les délégations interparlementaires ont pour but de resserrer les liens entre le PE et divers parlements nationaux à l’extérieur de l’UE. Parmi celles-ci, on retrouve, entre autres, la délégation UE-ACP (Pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique), UE-Maghreb ou UE-Asie du Sud-Est, par exemple. 89 Plus le groupe est grand, plus il a d’influence pendant les négociations. 90 FONTAINE, Yoann, « Tractations au Parlement européen : l’incompréhensible méthode », site de Contexte, 9 juin 2014, https://www.contexte.com/article/elections-europeennes-2014/tractations-au-parlement-europeen-l-incomprehensible-methode_25149.html , (page consultée le 27 juin 2015)
26
politique et à négocier avec les autres partis avant la date de constitutive, il n’aura aucun
poste influent à pourvoir avant janvier 201791.
Du 25 mai au 23 juin 2014, première échéance à la formation d’un groupe, le Front
National a peu de temps pour trouver des alliés politiques qui lui permettront de remplir les
conditions. Lors des négociations, le FN et de surcroît Marine Le Pen, qui est à la barre, vont
être confrontés à la difficulté de concilier les points de vue antagonistes des différents partis
europhobes92. Les partis d’extrême-droite ont, en effet, tendance à se trouver tous plus
infréquentables les uns que les autres et ne veulent pas s’allier à n’importe quel prix. Ainsi,
alors que le FN refuse de s’allier avec des partis comme les Grecs d’Aube Dorée ou les
Hongrois de Jobbik trop extrême à leur goût (et incompatible avec la stratégie de
dédiabolisation), d’autres formations comme les Britanniques de UKIP prétendument moins
radicaux, refusent catégoriquement de s’allier avec le FN qu’ils considèrent xénophobe et
antisémite. Les nationalistes de tous bords ne s’aiment pas trop les uns les autres ce qui nuit
à leurs tentatives d’alliance politique93.
Les deux grands vainqueurs europhobes des élections, le FN et UKIP, ont, d’ailleurs,
très peu de choses en commun mis à part qu’ils reposent tous deux sur les charismes de leurs
leaders respectifs. D’un point de vue économique, les europhobes britanniques sont avant
tout des libéraux pro-business qui reprochent aux institutions européennes de trop réguler le
marché. Les frontistes, quant à eux, sont des anticapitalistes qui dénoncent la globalisation
de l’Europe. Ils prônent un protectionnisme diamétralement opposé aux idées britanniques.
Ils sont donc certes tous deux opposés à l’UE et à ses institutions, qui relèguent la
souveraineté nationale à un point secondaire, mais pas forcément pour les mêmes raisons.
S’il fallait leur trouver un point commun, c’est certainement sur le thème de l’immigration
que les deux partis se rejoignent bien qu’ils ne soient pas spécialement opposé au même type
d’immigration94. En plus de la défiance de Farage pour le FN dont l’antisémitisme fait partie
91 EURACTIV, « Le Parlement européen se prépare au renouvellement de mi-mandat [FR] », site de Euractiv, 28 mai 2012, http://www.euractiv.fr/avenir-europe/parlement-europen-prpare-renouvellement-mi-mandat/article-160878, (page consultée le 27 juillet 2015) 92 AFP, « Le Front national échoue à constituer un groupe au Parlement européen selon son allié néerlandais », site du Huffington Post, 24 juin 2014, http://www.huffingtonpost.fr/2014/06/24/front-national-marine-le-pen-groupe-parlement-europeen_n_5523693.html, (page consultée le 27 juillet 2015) 93 CASTLE, Stephen, «Anti-Europe Parties at Odds, Despite Shared Cause », site du New York Tmes, 19 mai 2014, http://www.nytimes.com/2014/05/20/world/europe/anti-europe-parties-at-odds-despite-shared-cause.html?ref=world&_r=0, (page consultée le 27 juillet 2015) 94 Ukip est plutôt opposé à l’immigration de l’est alors que le FN est opposé à l’immigration en général.
27
de l’ADN du parti, un équilibre idéologique entre les deux partis est impossible à trouver, ce
qui va compromettre les ambitions de Marine Le Pen95.
Le 23 juin 2014, le Front National annonce : «Notre refus de nous allier avec des
mouvements dont certains membres avaient affiché des positions incompatibles avec nos
valeurs, n’a en effet pas rendu possible la formation d’un groupe politique au Parlement
européen avant cette première échéance du 23 juin. Nous le regrettons à court-terme mais
nous l’assumons comme choix moral et politique juste de long-terme.»96. Il manquera en
effet deux nationalités au FN pour former un groupe. Ce premier échec relègue la victoire
aux Européennes à un coup d’épée dans l’eau car le parti ne pourra pas légitimement
réclamer des postes à responsabilité ou négocier des rapports. Après avoir été courtisé par le
FN, le UKIP va, de son côté, être le moteur de la formation de l’EFDD, rassemblant des
formations politiques europhobes aux idées pourtant extrêmement hétérogènes. Une
première alliance inattendue s’effectue entre UKIP et les Italiens du mouvement cinq étoiles
de Beppe Grillo, deuxième aux élections européennes en Italie. Ceux-ci sont, certes,
considérés comme eurosceptiques et populistes, mais pas du tout d’extrême droite, au
contraire. De plus, pour obtenir la septième nationalité nécessaire à la création du groupe,
Farage va pouvoir compter sur la défection d’une élue frontiste, Joëlle Bergeron, qui quittera
son parti durant les négociations. Un coup dur pour Marine Le Pen et les frontistes qui, en
plus de perdre une élue, permettent la création d’un premier groupe europhobe auquel ils ne
participeront pas97. On commence à distinguer deux grands pôles anti-Europe, hétérogènes
et un peu rivaux, au sein du PE avec d’un côté l’EFDD de Farage et de l’autre, les non-
inscrits s’organisant autour du FN. N’ayant pas de date butoir à la création d’un groupe, le
FN confirmera sa volonté d’arriver à un accord avec les autres formations europhobes avant
la fin de la mandature98.
95 DENIS, Daphnée, «Marine Le Pen et Nigel Farage sont-ils vraiment trop différents pour s'unir? », site de Slate, 28 mai 2014, http://www.slate.fr/monde/87689/marine-le-pen-nigel-farage-trop-differents-unir, (page consultée le 27 juillet 2015) 96 COMMUNIQUÉ DE PRESSE, « Le Front National se donne plus de temps pour constituer un groupe au Parlement européen », site du Front national, 24 juin 2014, http://www.frontnational.com/2014/06/le-front-national-se-donne-plus-de-temps-pour-constituer-un-groupe-au-parlement-europeen/, (page consultée le 27 juillet 2015) 97 VAUDANO, Maxime et al, «Pourquoi Marine Le Pen a dû attendre un an pour constituer un groupe au Parlement européen », site du Monde, 16 juin 2015, http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/06/16/pourquoi-marine-le-pen-a-du-attendre-un-an-pour-constituer-un-groupe-au-parlement-europeen_4655361_4355770.html#3ilVg5ebiqQQuk7B.99, (page consultée le 27 juillet 2015) 98 Ibidem note 92
28
III. La nouvelle stratégie du FN au PE Cette section entend analyser et comprendre le changement de stratégie du FN au Parlement
européen depuis 2014. Pour ce faire, les activités parlementaires du Front National avant et
après 2014 sont analysées, quantifiées et comparées. Ensuite, la dernière sous-section a pour
but de comprendre les raisons de ce changement en s’appuyant sur des interviews.
1) Le travail d’Eurodéputé
Au PE comme à l’image des assemblées parlementaires nationales, les Eurodéputés
contribuent au travail législatif de l’institution qui s’effectue au sein des vingt commissions
parlementaires permanentes spécialisées dans les différents domaines tombant sous sa
compétence. Chaque député européen (MEP99) siège en tant que membre permanent ou
suppléant dans une ou plusieurs commissions parlementaires. Il y rédige des rapports
législatifs en tant que « rapporteur », c’est-à-dire qu’il est en charge de déterminer la
position du PE sur une proposition législative émanant de la Commission européenne, et ce,
en tenant compte des avis de ses collègues et de spécialistes du sujet. Il peut aussi endosser
le rôle de « rapporteur fictif » (en anglais shadow rapporteur), c’est-à-dire celui qui suit un
rapport pour un groupe politique autre que celui du rapporteur100. Le député européen rédige
également des amendements, modifications aux articles législatifs, qui sont d’abord votés au
sein des commissions et ensuite par les 751 députés au sein de l’hémicycle en session
plénière. Contrairement aux Eurodéputés faisant partie d’un groupe politique, les non-
inscrits ne peuvent pas déposer d’amendements en session plénière mais uniquement en
commission parlementaire, réduisant considérablement leur influence. Les Eurodéputés
peuvent également soumettre au vote de l’Assemblée des propositions de résolution, textes
non-contraignants exprimant une position sur un sujet précis. Il s’agit davantage d’une
déclaration de principe dont la portée est symbolique101 (exemple : la résolution pour la
reconnaissance de l’Etat palestinien votée en 2014 par le PE).
99 Member of the European Parliament 100 COMMISSION EUROPÉENNE, « Glossaire », site de la Commission européen, 24 juillet 2012, http://ec.europa.eu/codecision/stepbystep/glossary_fr.htm, (page consultée le 28 juillet 2015) 101 JARRASSÉ, Jim, « À quoi sert une résolution parlementaire ? », site du Figaro, 12 mars 2014, http://www.lefigaro.fr/politique/2010/01/22/01002-20100122ARTFIG00682--quoi-sert-une-resolution-parlementaire-.php), (page consultée le 28 juillet 2015)
29
En plus du travail législatif constituant la majeure partie de l’activité d’un
Eurodéputé, les élus peuvent intervenir et prendre la parole sur des sujets d’actualité en
plénière via des discours ou interpeller les autres institutions européennes en leur posant des
questions écrites ou orales. Il leur est également possible de remettre en cause la
responsabilité de « l’exécutif » européen qu’est la Commission européenne en déposant des
motions de censure102.
2) Typologie de Brack : comment classer les Eurodéputés eurosceptiques et
europhobes en fonction de leur activité parlementaire ?
Selon une étude réalisée par Nathalie Brack, chercheuse en sciences politiques de
l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et spécialiste de l’Euroscepticisme, il est possible de
classer les Eurodéputés eurosceptiques et europhobes dans trois catégories selon leurs
« rôles parlementaires ». Cette typologie identifie les « absents », les « orateurs publics » et
les « pragmatiques »103.
Les absents se caractérisent par deux éléments principaux : leur manque
d’implication à l’intérieur du PE comparé à leur présence intensive dans l’arène politique
nationale et auprès de leur électorat. Ce comportement peut être traduit comme un manque
d’intérêt total pour le travail institutionnel ou le refus d’être impliqué dans son travail
journalier. Refusant toute responsabilité, ceux-ci arborent la logique suivante : « Je suis
contre l’Europe, je ne vais pas travailler pour. ». Les « absents » sont reconnaissables par
leur manque d’assiduité et leur absentéisme en session plénière et surtout en commission
parlementaire, car ils n’ont que faire du travail législatif de l’UE104. Parmi ceux-ci, on
retrouve habituellement les europhobes d’extrême-droite, s’opposant à l’idée même d’Union
européenne et ne voulant donc pas être assimilé au travail qui y est effectué. La politique de
la chaise vide a constitué pendant longtemps leur unique stratégie105.
102 UNION EUROPÉENNE, « Parlement européen », site de l’Union européenne, sine data, http://europa.eu/about-eu/institutions-bodies/european-parliament/index_fr.htm, (page consultée le 28 juillet 2015) 103 BRACK, Nathalie, « Euroscepticism at the Supranational Level: The Case of the “Untidy Right” in the European Parliament.», Journal of Common Market Studies, Volume 51, 16 novembre 2012, Pp. 85-104 104 Ibidem 105 RODRIGUES, Adrien, «Radical-right and –left Eurosceptic parties within the EP: real threats to the functioning of the institution or useless Trojan horses? », Maastricht University, 20 juin 2014, 27p
30
La deuxième catégorie est celle des « orateurs publics ». Ceux-ci utilisent leur
mandat de député européen comme d’une tribune publique à leurs idées anti-Europe. Ils ne
se privent pas de dénoncer les dysfonctionnements et abus de l’UE au sein même de
l’hémicycle utilisant parfois l’insulte pour déstabiliser leurs adversaires politiques. Leur but
est de délégitimer l’institution de l’intérieur. Le travail législatif ne les intéresse pas ou peu
car il n’attire pas l’attention du public. Ils boycottent donc les commissions dans lesquelles
ils siègent. Au contraire du type « absent », ceux-ci ont un taux de présence élevé en
plénière. Leur logique est celle exprimée par Nigel Farage, leader de l’EFDD, en 2012 :
« mon rôle principal est de parler et représenter le peuple». Cette opposition permanente est
également visible dans leur manière de voter. A la manière des absents, ceux-ci s’opposent à
peu près à tous les textes votés en plénière. Ce sont également les orateurs publics qui sont
souvent à la manœuvre lorsqu’il s’agit de déposer des motions de censure contre la
Commission106.
La troisième catégorie identifiée par Brack est celle des « pragmatiques ». Ceux-ci
ont la caractéristique de s’impliquer dans le travail journalier du PE. Ils sont eurosceptiques,
certes, mais ne veulent pas que leur opposition soit stérile. Ainsi, ils proposent des
amendements, sont parfois même désignés rapporteurs, rôle qu’ils considèrent avec sérieux.
Les pragmatiques, à l’inverse des orateurs publics, ne perturbent pas le fonctionnement
institutionnel mais jouent le jeu. Ils recherchent la crédibilité au niveau national à travers
cette implication dans le travail journalier européen, ce qui prouve à leurs électeurs qu’ils
s’opposent à l’UE sur le fond et pas seulement sur la forme107. On retrouve souvent parmi
cette catégorie les eurosceptiques de gauche radicale ou les conservateurs de droite, ceux-ci
se différenciant de l’extrême-droite par leur opposition à la trajectoire prise par l’Union, à
ces décisions et ses prises de position mais pas à l’idée même d’une Union européenne108.
3) Méthodologie
Le but de cette typologie est de nous permettre de classer les Eurodéputés frontistes
parmi les trois catégories de Brack. Les tableaux en annexe reprennent les principales
activités des députés frontistes depuis 2004 en se basant sur les sites MEPRanking et
VotewatchEurope, des bases de données indépendantes utilisant les chiffres officiels du PE.
106 Ibidem note 103 107 Ibidem 108 Ibidem note 105
31
Ces sites sont des références pour les officiels du PE. Il faut cependant prendre avec des
pincettes les classements des Eurodéputés du MEPRanking qui ne représentent pas toujours
l’implication réelle d’un député et la pertinence de son travail parlementaire. Par exemple,
un député ayant déposé cent questions parlementaires (qui n’ont cependant pas d’influence)
sera mieux classé qu’un député qui a été en charge d’un rapport législatif mais qui, lui, aura
exercé une influence de fond. D’ailleurs, certains n’hésitent pas à déposer questions
parlementaires ou amendements par dizaines seulement pour gonfler leurs statistiques
personnelles et être mieux classés. Une pratique un peu malsaine de plus en plus courante au
PE. Des chiffres à relativiser donc mais qui permettent néanmoins de donner une idée
chiffrée du travail exercé par un élu.
Les tableaux comptabilisent respectivement les taux de présence en plénière, le
nombre de rapports législatifs ou de rapports fictifs par Eurodéputé, les propositions de
résolution, le nombre d’amendements soumis au vote, le nombre de discours en plénière et
le nombre de questions parlementaires posées aux autres institutions européennes. Quantifier
ces données permet d’évaluer l’activité d’un Eurodéputé au sein de l’institution, de le noter
et donc de le classer selon la typologie de Brack. Ici, seuls les opinions et déclarations
écrites ne sont pas prises en compte car secondaires au travail parlementaire. De plus, les
annexes n°2 et n°3 prennent en compte le classement de chaque Eurodéputé dans le
MEPRanking109. La méthodologie utilisée ici est donc de comparer l’activité parlementaire
frontiste au cours des deux législatures précédentes (à partir de 2004) avec son activité
depuis juillet 2014.
4) Comparaison de l’activité des Eurodéputés frontistes par législature depuis 2004
Lors de la législature 2004-2009, où sept Eurodéputés étaient représentés au PE, la
majorité de ceux-ci rentraient dans les catégories des « absents » ou des « orateurs publics ».
Ainsi, Jean-Marie Le Pen, Marine Le Pen et Lydia Schénardi se classaient parmi les absents
avec un faible taux de présence, un nombre réduit de discours en plénière ou de questions
posées et une activité législative inexistante (voir annexe n°1). Pratiquant la politique de la
chaise vide, ceux-ci se contentaient d’être au dessus du seuil minimum du taux de présence 109 Le classement des MEPs lors de la législature 2004-2009 reprend les 921 députés qui se sont succédés au cours de la législature. C’est-à-dire ceux qui ont quitté leur poste en cours de mandat et ceux qui les ont remplacés. Ne se basant pas sur le nombre officiel d’Eurodéputés (766), il a été ici décidé, pour ne pas fausser les données, de ne pas en tenir compte pour l’annexe n°1
32
en plénière (en dessous de 50%, un député perd ses indemnités). Trois autres Eurodéputés,
Bruno Gollnisch, Jean-Claude Martinez ou Carl Lang, faisaient partie de la catégorie des
« orateurs publics » avec un taux de présence en plénière assez élevé (minimum 85% pour
Martinez, maximum 97% pour Lang), un nombre très élevé de discours (jusqu’à 303
discours pour Bruno Gollnisch sur la législature) et une activité législative très faible voire
nulle (aucun rapport ou amendement déposé)110. On comprend, à travers ces chiffres, la
stratégie des orateurs publics qui est d’utiliser le PE comme tribune publique mais se
désintéressant totalement de toute activité législative. Seul Fernand Le Rachinel, auteur d’un
rapport législatif, a été classé par Brack parmi les pragmatiques. Celui-ci, qui a quitté le FN
après la législature, ne compte cependant pas une activité législative très élevée avec aucune
proposition de résolution à son actif et un seul amendement déposé sur l’ensemble de la
législature (voir annexe n°1)111.
Pour la législature 2009-2014, seuls trois Eurodéputés représentèrent le Front
National en les personnes de Jean-Marie Le Pen, Marine Le Pen et Bruno Gollnisch. Ceux-ci
se classent dans les mêmes catégories que lors de leur mandat précédent. Ainsi, les deux
représentants de la famille Le Pen restent fidèles à leur stratégie absentéiste étant tout aussi
peu actifs, voire encore moins, que lors de leur mandat précédent (voir annexe n°2). Bruno
Gollnisch, quant à lui, conserve son statut « d’orateur public » avec un taux de présence et
un nombre de discours assez élevé en plénière et une activité législative toujours quasi-
inexistante (une seule proposition de résolution sur cinq ans et aucun amendement). Le site
MEPRanking, établissant un classement des Eurodéputés en fonction de leurs activités
parlementaires, résume assez bien ces constatations. Ainsi, au terme de la législature 2009-
2014, Marine et Jean-Marie Le Pen faisaient partie des bonnets d’âne de l’hémicycle, se
classant respectivement 733ème et 748ème sur les 765 MEPs de l’époque. Bruno Gollnisch,
quant à lui, se classait un peu mieux grâce à ses interventions en plénière, se situant à la
263ème place. Marine Le Pen, elle-même, se décrivait, en 2013, comme une « sous-
députée », « une députée de résistance » qui, ne faisant pas partie d’un groupe, ne pouvait
pas être active au PE112.
110 Ibidem note 103 111 Ibidem 112 BOURDIN, Jean-Jacques, « Marine Le Pen: "Je suis une sous-députée" au Parlement européen », site de BFMTV, 29 mars 2013, http://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/marine-le-pen-je-suis-une-sous-deputee-au-parlement-europeen-2903-49967.html, (page consultée le 20 août 2015)
33
Le tableau en annexe n°3 montre l’activité parlementaire des 23 Eurodéputés
frontistes au Parlement européen depuis le début de la législature en juillet 2014 jusque
juillet 2015. Un simple coup d’œil suffit pour constater un changement radical dans la
stratégie du FN vis-à-vis de l’UE. La première différence qui saute aux yeux est la
participation sans précédent des frontistes au travail législatif notamment via le nombre de
propositions de résolutions et d’amendements déposés. A titre de comparaison, on peut
constater qu’au cours des deux législatures précédentes, 13 propositions de résolution et un
seul amendement ont été soumis par l’ensemble de la délégation frontiste tous députés
confondus. Depuis juillet 2014, Marine Le Pen (qui est loin d’être la plus assidue de la
délégation), a déposé, à elle seule, 46 propositions de résolution et 28 amendements113. Sur
l’ensemble des députés frontistes, on comptabilise un total de 579 propositions de résolution
et 356 amendements sur une année (les non-inscrits ne peuvent déposer que des
amendements en commission parlementaire) 114 . On peut également remarquer que
Dominique Bilde, meilleure élève frontiste, comptabilise en une année 108 questions écrites
(QE), c’est-à-dire plus que l’addition de toutes les questions écrites de tous les frontistes sur
les deux législatures précédentes (68 questions écrites de 2004 à 2014).
Désormais, fini l’absentéisme en session plénière, la moyenne du taux de présence
dans l’hémicycle des frontistes est supérieure à 90% (seul Jean-Marie Le Pen, en
décrochage, déroge à la règle) allant jusqu’à une assiduité record de 98,70% pour Gilles
Lebreton. Une grosse nouveauté de cette nouvelle législature est que le FN est aussi
beaucoup plus présent en commission parlementaire, comme le constate l’Eurodéputé Vert
Yannick Jadot, Vice-Président de la commission sur le commerce international dans laquelle
siège Marine Le Pen depuis 2009 en tant que membre suppléante. A ce sujet, il disait : «Lors
de la précédente législature, je n’ai pas vu une seule fois Marine Le Pen en commission
parlementaire pendant 5 ans. Là, depuis le début de cette mandature, cet été, nous avons dû
avoir une dizaine de réunions, et elle a dû venir 7 demi-journées. Il y a un changement de
stratégie évident »115.
113 Preuve qu’on peut être un peu actif sans faire partie d’un groupe contrairement à ce qu’elle déclarait au micro de Jean-Jacques Bourdin. 114 Alors que le FN annonçait plus de 1 200 amendements dans la vidéo mentionnée dans l’introduction. On peut donc croire qu’ils ont gonflé leurs propres chiffres … ou simplement qu’ils se sont trompés. 115 HONORÉ, Renaud, « Le Parlement européen, laboratoire de la stratégie de conquête du FN », site des Echos, 11 février 2015, http://www.lesechos.fr/journal20150211/lec1_enquete/0204144699182-le-parlement-europeen-laboratoire-de-la-strategie-de-conquete-du-fn-1092139.php?tipsBIJcUsAulrrm.99, (page consultée le 8 août 2015)
34
Ce changement de stratégie, on peut l’observer chez les Eurodéputés qui étaient déjà
présents en 2004 et 2009, c’est-à-dire Jean-Marie Le Pen, Marine Le Pen et Bruno
Gollnisch. Il est d’ailleurs intéressant de constater, en un an, l’évolution de leur activité
personnelle par rapport aux deux précédentes législatures. Malgré un taux de présence en
plénière en chute libre et aucun discours prononcé dans l’hémicycle, Jean-Marie Le Pen, par
exemple, comptabilise 5 propositions de résolution en un an contre 2 seulement en dix ans
ainsi que 11 questions écrites contre 8 en dix ans. Il a également déposé son premier
amendement depuis 2004 lors de la nouvelle législature, ce qui prouve que, même s’il est le
membre le moins assidu de son parti et l’un des moins actifs de tout le PE (742ème sur 751 au
MEPRanking), Jean-Marie Le Pen est quand même concerné par ce changement de cap du
FN. Quant à Marine Le Pen, elle qui ne comptabilisait que 4 propositions de résolution et
zéro amendement sur dix ans peut désormais se targuer d’en avoir déposé en un an plus que
l’ensemble de la délégation frontiste depuis 2004. Bruno Gollnisch, lui, compte à son actif 7
propositions de résolution et 3 amendements en une année contre respectivement 5 et 0 sur
une période de dix ans.
Cette augmentation de l’activité législative du FN (propositions de résolution et
amendements) va de pair avec l’augmentation de sa présence en session plénière. Déjà
adeptes de discours anti-Europe récurrents en plein hémicycle pour les « orateurs publics »,
les frontistes ont intensifié cette tendance depuis un an. Ainsi, selon les derniers chiffres de
juillet 2015, on comptabilise plus de 3 900 interventions frontistes en plénière, ce qui fait du
FN une des délégations nationales qui prend le plus la parole en session plénière. Au cours
d’une interview, l’Eurodéputé S&D Marc Tarabella confirmait également cette tendance :
« Avant ils ne venaient jamais à Bruxelles mais seulement à Strasbourg pour se faire payer et pour se
montrer un peu car Strasbourg c’est tous les médias et les biffetons (sic). En 3 jours de session
plénière, ils avaient le chèque et les médias, c’était très rentable. Maintenant, la plupart des députés
européens FN sont présents dans les groupes de travail (les commissions) et proposent des
amendements. Ils sont présents en séance plénière mais pas seulement pour voter. Ils participent aux
débats, demandent un temps de parole. »116
Après analyse de l’activité parlementaire du FN en un an, on peut en déduire un
changement radical de stratégie au PE (voir annexes n°1, 2 et 3). Avant les frontistes
rentraient le plus souvent soit dans la catégorie des « absents » selon la typologie de Brack, 116 Interview : TARABELLA, Marc, Député européen ; « face to face », 45 minutes, 23 juillet 2015
35
pratiquant la politique de la chaise vide, soit parmi les « orateurs publics », utilisant
uniquement le PE comme vitrine médiatique avec un désintérêt quasi total de son activité
législative. Depuis un an néanmoins, on peut légitimement leur attribuer les étiquettes à la
fois de « pragmatiques », car ils s’impliquent dans le travail législatif et «d’orateurs
publics », car ils utilisent encore plus intensément l’hémicycle comme tribune à leurs idées
anti-Europe. Sur les 23 élus frontistes du PE, 17 se retrouvent dans la première partie du
classement MEPRanking et certains comptent même parmi les « meilleurs élèves » de
l’assemblée comme Dominique Bilde et Sophie Montel, les deux Eurodéputées les plus
assidues de France qui se classent respectivement 21ème et 23ème sur 751 MEPs. D’ailleurs,
les membres du Front National, eux-mêmes, reconnaissent cette nouvelle tendance. Edouard
Ferrand, chef de la délégation frontiste au PE, mentionnait à plusieurs reprises le classement
MEPRanking lors d’une interview pour le journal « Les Echos ». « A la fin des 5 ans, il faut
qu’on ait une belle présentation du travail de nos Eurodéputés, que ceux-ci soient bien notés.
C’est ce que m’a demandé Marine.»117.
Ces statistiques n’ont néanmoins rien à voir avec l’influence réelle du Front National
au PE. Celle-ci est presque toujours aussi faible que lors des précédentes législatures.
Aucune résolution proposée par le FN n’a obtenu une majorité. Aussi, l’immense majorité
des amendements déposés par le FN sont massivement rejetés. Et même si certains de leurs
amendements, très consensuels, ont été adoptés, ils ne comportaient pas de caractère
europhobe118.
Au final, fidèle à ses vieux principes de rejet catégorique de l’UE, le Front National
rejette la plupart des textes législatifs, même ceux qu’il a amendés. Cette nouvelle tendance
est donc uniquement statistique. Il est encore important de signaler ici que le MEPRanking
classe les Eurodéputés selon leurs statistiques personnelles et non selon leur influence réelle.
Dans les tableaux en annexe, on peut constater qu’aucun rapport (ou presque) n’a été
confié à des députés frontistes. N’ayant pas de groupe parlementaire (et donc pas de poids
lors de la constitutive), il est presque impossible pour eux de se voir attribuer ce genre de
responsabilités, ce qui réduit encore plus leur influence au sein de l’institution. Les seuls
Eurodéputés frontistes ayant été désignés rapporteur ou rapporteur fictif depuis 2004 sont
Fernand Le Rachinel et Louis Aliot. Ce dernier a été rapporteur fictif à deux reprises en 117 Ibidem note 115 118 Ibidem
36
2014 sur des sujets très secondaires119. Le Rachinel a, quant à lui, été en charge d’un rapport
législatif pour la commission Transport en 2006 portant sur « l’introduction accélérée des
prescriptions en matière de double coque ou de normes de conception équivalentes pour les
pétroliers à simple coque »120. On comprend vite à leurs intitulés que ces rapports n’ont
aucun effet stratégique pour l’UE. Cette stratégie porte donc uniquement sur les chiffres
plutôt que sur le fond. Dès lors, on peut légitimement poser la question : une nouvelle
stratégie, certes, mais à quelles fins ?
5) Le Parlement européen, un centre de formation à l’exercice du pouvoir et un tremplin à sa conquête « Ce qui se passe au PE depuis un an prouve que Marine Le Pen veut devenir présidente de
la république française. Elle a compris que, pour elle, c’est désormais possible. Elle est
passée du fantasme au rêve. »121.
Arrivé en tête aux dernières Européennes de 2014, le FN veut aller plus loin. Comme
mentionné précédemment, depuis l’arrivée de Marine Le Pen à sa tête, le parti ne cache plus
son objectif à terme, le pouvoir. Le changement stratégique de comportement au Parlement
européen le démontre également. Ce travail défend que le FN se sert de son arrivée en masse
dans l’institution européenne à plusieurs buts distincts qui, à terme, constitueront un
tremplin pour 2017.
a) Une tribune pour la propagande frontiste
Comme démontré précédemment, le nombre de discours ou interventions du Front
National en session plénière a augmenté en flèche depuis le début de la huitième législature
comparé aux deux législatures précédentes. Le parti est même, à l’heure actuelle, une des
délégations nationales qui a pris le plus régulièrement la parole en une année de mandat avec
environ 3900 interventions. Cela démontre l’utilisation qui est faite par le FN de la tribune
médiatique que constitue le Parlement européen. En effet, la large participation des
119 Un rapport fictif sur l’implémentation du budget pour le Fonds européen de développement pour l’année 2013 et un rapport fictif sur le travail de l’assemblée parlementaire jointe de l’UE-ACP 120EUROPEAN PARLIAMENT, « Fernand Le Rachinel », site du Parlement européen, 27 novembre 2006, http://www.europarl.europa.eu/meps/fr/2066/seeall.html?type=REPORT&leg=6, (page consultée le 10 juillet 2015) 121 Ibidem note 116
37
Eurodéputés frontistes aux débats dans l’hémicycle contribue évidemment à la propagande
du parti qui peut compter sur les médias présents en masse pour relayer leurs interventions.
En prenant la parole, en participant aux débats ou en interpellant leurs collègues, cela permet
également de laisser penser à un électorat potentiel, que le FN est bel et bien devenu un parti
comme les autres et contribue donc à la stratégie de dédiabolisation entamée par Marine Le
Pen. « Dans chaque débat, vous entendez au moins trois Eurodéputés FN qui prennent la
parole, ce qui est énorme. Ils sont souvent mieux, ou au moins, autant représentés que les
autres délégations nationales au cours des débats. C’était impensable avant 2014.» en
témoigne Marc Tarabella.
Aussi, un coup d’œil à la page youtube du parti, largement alimentée de vidéos
d’interventions en session plénière ou en commissions parlementaires, suffit pour constater
que, lorsqu’ils prennent la parole, les élus FN ne sont plus dans une logique d’opposition
permanente et de dénonciation systématique du système européen mais qu’ils participent
aussi à des débats de fond. Ajoutez à cela quelques interventions plus musclées dénonçant
les « banksters » de Bruxelles, le relais médiatique est assuré122.
Dans cette stratégie de propagande, Claude Rolin, Eurodéputé belge du groupe PPE,
observe un élément supplémentaire qui joue en la faveur du FN:
« Leur technique pour « rentrer dans le système » est d’introduire des amendements qui ne
correspondent pas aux vraies thèses politiques du FN, c’est-à-dire des amendements très consensuels
dont l’objectif est d’introduire des choses qui ne peuvent pas être contestées. A partir du moment où
nous voterions pour ces amendements là, cela leur apporterait en crédibilité. Ils pourraient aisément
dire : « vous voyez, même des gens qui s’opposent à nous sont d’accord avec ce que l’on propose, ils
votent comme nous. » A partir du moment où nous voterions contre des amendements « de bon
sens » proposés par le FN, comme ce fut le cas en France, ils peuvent aisément rétorquer : « vous
voyez, ils votent contre nous alors que tout le monde est d’accord, voyez comme ce sont de mauvais
députés et à quel point nous sommes victimes de leur système ». Dans les deux cas, nous sommes
piégés et eux peuvent soit se crédibiliser, soit se victimiser»123.
Cette technique permet donc au FN de jouer le double jeu de crédibilisation ou victimisation
à souhait tout en décrédibilisant la classe politique traditionnelle auprès de l’opinion
122 FNOFFICIEL, « Front national », Chaîne officielle Youtube du FN, 6 mai 2011, https://www.youtube.com/user/fnofficiel/featured, (page consultée le 12 juillet 2015) 123 Interview : ROLIN, Claude, Député européen ; « Téléphone », 30 minutes, 15 juillet 2015
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publique. Le PE devient, une fois de plus, un outil contribuant aux aspirations frontistes à la
conquête du pouvoir.
Pour résumer, le premier argument de ce TFE est que le FN utilise l’institution
comme une tribune médiatique aux idées populistes et europhobes. Le PE contribue,
involontairement, à la propagande du FN et constitue donc un tremplin dans sa stratégie de
conquête du pouvoir. Cet argument est également partagé par Yannick Jadot : « A défaut
d’en faire un acteur du droit européen, le Parlement européen va contribuer à le transformer
(le FN) en machine de guerre électorale puissante »124.
b) Un laboratoire pour former, à moindre coût, élus et assistants à l’exercice du pouvoir
Le Parlement européen est une superstructure dont les méandres sont difficiles à
maîtriser et dans laquelle il est très complexe d’évoluer. Un environnement où fourmille, par
milliers, élus, assistants, secrétaires, fonctionnaires, attachés de presse ou journalistes de
nationalités et de confessions politiques différentes. C’est un endroit où se votent, par
milliers également, législations, amendements, rapports et autres résolutions. Devenir un
acteur à part entière de cette superstructure et s’impliquer dans son travail législatif en
proposant amendements et résolutions ou en essayant de trouver des majorités, contribue à
former le Front National à l’exercice du pouvoir. Comme l’expliquait le journaliste
d’investigation et spécialiste du FN, Raphaël Tresanini : « L’exercice du pouvoir ça passe
par quoi ? Ecrire des textes, les faire voter et les faire appliquer. Le PE, dans toute sa
superstructure hyper complexe constitue un excellent exercice, un bon entraînement. Aussi,
l’intérêt pour le FN c’est de comprendre, de manœuvrer et de jouer avec les règles très
complexes d’une super structure comme le PE. Cela leur sera très utile s’ils sont un jour
confrontés à l’exercice du pouvoir125. »
Former les cadres de demain à l’exercice du pouvoir en s’impliquant dans l’activité
législative du PE, voilà donc un des objectifs du FN au sein de l’Europe. Cela donne
d’ailleurs un argument supplémentaire au FN à qui on ne pourra plus reprocher le manque
total d’expérience politique ou le taux d’absentéisme au PE. Cette stratégie ajoute donc à la
124 Ibidem note 115 125 Interview : TRESANINI, Raphaël, Journaliste d’investigation, « Téléphone », 20 minutes, 16 juillet 2015
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crédibilité du Front National qui prouve, dans les chiffres du moins, qu’il peut également
jouer au jeu législatif. En analysant les personnalités frontistes élues au PE, on peut
constater que toutes font partie des cadors du parti (vice-présidents, secrétaires généraux,
proches collaborateurs de Marine Le Pen etc). On peut, dès lors, légitimement penser que la
délégation frontiste actuellement au PE constituerait l’intégralité, ou presque, d’un éventuel
gouvernement Le Pen.
« Lorsqu’on regarde les 23 parlementaires frontistes qui sont au Parlement européen, imaginons que
Marine Le Pen soit élue en 2017, je suis quasiment certain qu’on a l’intégralité d’un gouvernement
Le Pen en France (à l’exception de Gilbert Collard et Marion Maréchal Le Pen qui sont à
l’Assemblée nationale et Rachline qui est au Sénat). Des personnages comme Ferrand, Jalkh ou
Chauprade pensent clairement que le PE est l’endroit parfait pour s’exercer en petite foulée avant le
véritable exercice du pouvoir une fois de retour en France126».
De plus, le PE sert également de centre de formation de la nouvelle armée de
« jeunes pousses frontistes »127, assistants parlementaires ou secrétaires gravitant autour des
Eurodéputés. « C’est cette nouvelle génération qui demain engendrera les attachés de presse
et chefs cabinet des potentiels Ministres frontistes128. ». On remarque d’ailleurs que la
plupart de ces jeunes recrues ont parfois également des responsabilités politiques au niveau
national soit au sein du parti soit en tant que conseillers municipaux ou départementaux par
exemple. Ce n’est pas négligeable. Ces jeunes frontistes de vingt ans à peine, qui n’avaient
jusque là aucune expérience, incarnent le nouveau visage ambitieux du FN129.
Avec son arrivée en masse au PE, le Front national devient également le bénéficiaire
du soutien financier généreux attribué par l’institution aux députés. L’argent, c’est le nerf de
la guerre et le poumon de la politique. Cette contribution financière permet au FN de salarier
son staff, cadres et jeunes recrues, ce qui contribue à la professionnalisation du parti à
moindre coût.
Ainsi, l’argument de ce travail est que le FN se sert du PE comme d’un centre de
formation à l’exercice du pouvoir. S’impliquer dans le travail législatif, comprendre et jouer
avec les règles institutionnelles permettent au Front national de se professionnaliser,
126 Ibidem 127 Ibidem note 115 128 Ibidem note 125 129 Ibidem note 115
40
d’engranger de l’expérience politique (tout cela, aux frais de l’UE) en vue d’arriver un jour
au pouvoir de la République française.
41
IV. Moments clés de l’année FN au PE: coups de pub, scandales et alliances
politiques
En une année, le FN a changé son fusil d’épaule au Parlement européen. Ils ont mis en place
une stratégie judicieuse ne consistant plus à « vomir » sur l’Europe en permanence mais
plutôt à s’en servir pour se former au pouvoir et faire sa propagande. Malgré cette stratégie
qui peut s’avérer payante, l’année du FN au PE est caractérisée par plusieurs évènements
qui ont mis le parti sous le feu des projecteurs. La partie suivante entend retracer brièvement
ces moments-clés, des coups de pub aux scandales, et se termine sur l’analyse de la création
du groupe ENL et de ses conséquences.
1) Motion de censure contre la Commission Juncker
Il n’a pas fallu attendre longtemps pour voir le Front national faire son premier coup de pub
de l’année au Parlement européen. Peu après le vote d’investiture de la nouvelle
Commission européenne présidée par Jean-Claude Juncker en juillet 2014, celui-ci s’est
retrouvé impliqué dans une grande affaire d’optimisation fiscale avantageant des
multinationales basées au Luxembourg (pays dont il a été le Premier Ministre plusieurs
années durant). L’affaire est baptisée Luxleaks. A peine instituée, la Commission reçoit son
premier coup de massue. Une aubaine pour le contingent d’europhobes qui vient d’être élu
au PE. Lors de la session plénière de novembre 2014, les frontistes sont à la barre avec les
nationalistes britanniques de UKIP et ne manquent pas l’occasion de réunir le nombre de
signatures pour déposer une motion de censure contre la Commission Juncker (un dixième
du PE, c’est-à-dire, 76 signatures). Cette motion doit être soumise au vote de l’ensemble des
751 Eurodéputés et recueillir la majorité des deux-tiers pour obliger la Commission
européenne à démissionner130.
Avec 101 votes favorables, 461 votes contre et 88 abstentions, la Commission est
largement sortie d’affaire131. Celle-ci est même renforcée car elle effectue un meilleur score
que lors du vote d’investiture de la Commission par le Parlement européen. Un échec pour
les europhobes ? Pas du tout. On peut d’ailleurs légitimement penser que personne, pas
130 Ibidem note 102 131 VOTEWATCHEUROPE, « Juncker Commission easily survives its first big test in the EP » site de VotewatchEurope, 27 novembre 2014, http://www.votewatch.eu/blog/juncker-commission-easily-survives-its-first-big-test-in-the-ep/, (page consultée le 18 août 2015)
42
même ceux à la base de la motion, n’ait réellement cru obtenir la majorité des deux-tiers.
Cependant, l’affaire a été massivement relayée dans la presse. « La stratégie étant plutôt
d’utiliser l’affaire Luxleaks pour légitimer un coup de pub anti-UE.». Dans une Union
européenne où la communication est en panne, les europhobes, eux, ont réussi à rappeler
qu’ils existaient132.
Même si l’épisode a mis en lumière toute l’inefficacité des europhobes qui n’ont pas
réussi à se fédérer avec des eurosceptiques moins radicaux pour voter contre la Commission,
cette affaire a révélé la possibilité d’alliance entre europhobes qui, avant la constitutive, se
considéraient comme infréquentables. Ainsi, les spécialistes ont vu dans cette motion de
censure un rapprochement entre Marine Le Pen et Nigel Farage (leader de UKIP et EFDD).
Le leader du parti libéral européen, Guy Verhofstadt, dira même en plénière : « la seule
chose intéressante dans cette motion de censure n’est pas son contenu mais plutôt le fait que
M. Farage et Mme Le Pen aient finalement dévoilé leurs relations secrètes133.».
2) Le chef de la délégation frontiste, Aymeric Chauprade, « en guerre contre l’islam »
Au lendemain des attentats de Paris ayant visé les dessinateurs de Charlie Hebdo, le FN ne
manquera pas l’occasion de se faire remarquer à nouveau, dans le mauvais sens cette fois.
Aymeric Chauprade, conseiller de Marine Le Pen aux affaires internationales, député
européen et chef de la délégation frontiste au PE, publie sur youtube une vidéo d’une dizaine
de minutes (filmée dans le Parlement) dans laquelle il explique son analyse des attaques
terroristes de Paris. Dans cette vidéo, il dit notamment : « l’Islam fait peser sur la France une
menace très grave sur son avenir »134. Il y évoque la présence « d’une cinquième colonne
islamique puissante » pouvant se retourner contre la France en cas de confrontation générale.
Il va même plus loin en disant : « On nous dit qu'une majorité de musulmans est pacifique,
certes. Mais une majorité d'Allemands l'était avant 1933 et le national-socialisme » et d’en
conclure : « la France est en guerre contre l’Islam »135.
132 RODRIGUES, Adrien, «Motion de censure contre Juncker : quand les europhobes s'allient.», site de Cafébabel
Bruxelles, 17 décembre 2014, http://www.cafebabel.fr/bruxelles/article/motion-de-censure-contre-juncker-quand-les-
europhobes-sallient.html, (page consultée le 8 août 2015) 133 Ibidem 134 CLAVEL, Geoffroy, « Marion Maréchal contredit Marine Le Pen en relayant une vidéo controversée d'Aymeric Chauprade », site du Huffington Post, 20 janvier 2015, http://www.huffingtonpost.fr/2015/01/20/marion-marechal-marine-le-pen-video-aymeric-chauprade_n_6507120.html, (page consultée le 11 août 2015) 135 Ibidem
43
Ce dérapage ressassant les vieux démons du FN, entre racisme et amalgames, ne plaît
pas du tout à Marine Le Pen en plein lissage de son parti. Chauprade est aussitôt démis de
ses fonctions de chef de délégation FN (au profit d’Edouard Ferrand) et perd son statut de
conseiller auprès de Marine Le Pen. Celle-ci dénonce la vidéo et interdit qu’elle soit relayée
par d’autres membres du parti. Mais l’affaire va prendre une ampleur supplémentaire
lorsque Marion Maréchal Le Pen, étoile montante du parti et nièce de Marine Le Pen, relaie
volontairement la vidéo136. En désobéissant de la sorte, Marion Maréchal Le Pen, réputée
plus radicale que sa tante, montre son désaccord avec la stratégie de dédiabolisation et
devient la nouvelle figure porte-parole de la vieille garde frontiste nostalgique de l’époque
Jean-Marie Le Pen. Le scandale « Chauprade » entamera une nouvelle rupture idéologique
au sein du FN entre les «modérés », partisans de Marine Le Pen et la branche plus radicale
du parti incarnée non plus uniquement par Jean-Marie Le Pen mais également par sa petite-
fille137.
3) Le scandale des assistants parlementaires
En mars 2015, la délégation frontiste au Parlement européen est mise en cause dans un
scandale financier. Après plusieurs semaines d’enquête, le Président du Parlement européen,
Martin Schulz, informe les autorités françaises qu’une vingtaine d’assistants parlementaires
accrédités au FN et rémunérés par le PE seraient en réalité affectés à d’autres tâches sans
rapport avec l’institution. Un préjudice qui pourrait s’élever à 7,5 millions d’euros sur
l’ensemble de la législature. Les soupçons ont débuté lorsqu’il a été découvert que ces
assistants faisaient partie de l’organigramme du parti avec un contrat au siège social du FN
alors qu’il est interdit, pour un assistant parlementaire, de ne pas travailler dans l’un des
sièges du PE, c’est-à-dire, Bruxelles, Strasbourg ou Luxembourg. Le Parlement européen a
donc saisi l’OLAF (organisation de lutte anti fraude), pour enquêter sur l’affaire. La justice
française a également ouvert une enquête pour fraude138. Ainsi, on peut penser que le parti, à
136 Elle est la nièce de Marine Le Pen et petite-fille de Jean-Marie Le Pen 137 Ibidem note 134 138MERELLE, Loreline, « Affaire des assistants parlementaires FN : les dessous d'un scandale », site du Point, 11 mars
2015, http://www.lepoint.fr/politique/affaire-des-assistants-parlementaires-fn-les-dessous-d-un-scandale-11-03-2015-
1911948_20.php (page consultée le 12 août 2015)
44
la ligne idéologique sensible et faisant l’objet de scandales fréquents, constitue en lui-même
une barrière aux ambitions frontistes.
4) Scission Le Peniste
En 2015, le Parlement européen est le théâtre du feuilleton politico-familial de l’année. En
effet, Jean-Marie Le Pen, devenu Président d’honneur du FN, va entamer une nouvelle
rupture au sein du parti en enchaînant frasques et dérapages négationnistes et antisémites
dans la presse, son fond de commerce historique. Problème, ces déclarations ne rentrent plus
dans la ligne politique du FN et de Marine Le Pen essayant tant bien que mal d’effacer les
stigmates racistes du parti. Rien n’y fait, Jean-Marie Le Pen récidive plusieurs fois
notamment en réitérant une phrase qui avait fait de lui « le diable de la République » en
disant que « les chambres à gaz sont un détail de l’histoire ». Encore une fois, cette
déclaration est en décalage total avec le nouveau visage du FN. Fidèle à sa stratégie de
dédiabolisation, Marine Le Pen déclare être en total désaccord avec son père, sur le fond et
sur la forme. Après une énième récidive dans le journal d’extrême droite « Rivarol », Marine
Le Pen, soutenue par la nouvelle garde frontiste, se voit contrainte d’entamer une profonde
rupture avec son père, figure historique du parti. Désormais, les deux Eurodéputés s’évitent
dans les couloirs de Bruxelles et ne s’adressent plus la parole dans l’hémicycle139.
Dans un communiqué, Marine Le Pen annonce la tenue d’une réunion du bureau
exécutif, l’organe décisionnel du parti, afin de trouver les moyens de « protéger au mieux les
intérêts politiques du FN140. ». L’affaire se termine sur l’exclusion par le bureau exécutif du
fondateur du FN141.
Cet épisode n’est pas sans rappeler un précédent, la première grosse crise interne du
parti en 1998 qui s’était soldée par la rupture mégrétiste. A l’époque, Jean-Marie Le Pen
avait rompu tout contact avec sa fille ainée, Marie-Caroline Le Pen, qui avait suivi Bruno
Mégret. Cette fois-ci, néanmoins, c’est Jean-Marie Le Pen, lui-même, qui est isolé. Comme
139 FRANCE2, «La Fracture au Front national », site de Youtube, 11 juin 2015, https://www.youtube.com/watch?v=uCMrD6kCPec, (page consultée le 14 août 2015) 140 POUCHARD, Alexandre, « Jean-Marie Le Pen peut-il être exclu du FN ? », site du Monde, 8 avril 2015 http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/04/08/jean-marie-le-pen-peut-il-etre-exclu-du-fn_4611668_4355770.html#i7w9iXj9cLFj5ZVX.99 , (page consultée le 14 août 2015) 141 BERNARD, Marie-Violette et al, « Revivez le jour où Jean-Marie Le Pen a été exclu du Front national », site de Francetvinfo, 21 août 2015, http://www.francetvinfo.fr/politique/front-national/direct-front-national-le-bureau-executif-se-reunit-pour-discuter-de-l-exclusion-de-jean-marie-le-pen , (page consultée le 21 août 2015)
45
le remarque Raphaël Tresanini dans son analyse: « Quand un parti de protestation engage sa
mue vers un parti de pouvoir, ça provoque des tensions dans une culture qui reste une
culture radicale de l’opposition, de la protestation. C’est comparable avec la scission de
1998.142»
Les conséquences de ces épisodes ont, certes, été néfastes à court terme pour le FN
mais seront bénéfiques à long terme. En effet, même si Marine Le Pen, considérée dure avec
son père, a perdu quelques points dans les sondages d’opinion à la suite de cette affaire, cette
rupture constitue le degré ultime de la stratégie de dédiabolisation du parti. Le dernier
obstacle à celle-ci était Jean-Marie Le Pen, lui même, dont le comportement incontrôlable
était susceptible de faire du tort au parti, surtout à une année des élections régionales et deux
ans des élections présidentielles. Le meilleur moyen de prouver aux Français que le FN a
vraiment changé était la rupture totale avec son fondateur historique. C’est désormais chose
faite. A tel point que certains, comme l’ex Ministre de la Défense, Hervé Morin, y voient un
coup monté, fomenté par Marine Le Pen et son père eux-mêmes pour mener à bien cette
stratégie143.
5) Formation du groupe politique europhobe ENL
Nous sommes le 16 juin 2015. La veille, Marine Le Pen a annoncé la tenue d’une conférence
de presse dans l’enceinte du PE. La salle de presse est pleine. Après avoir rappelé les
quelques chiffres de l’action FN au PE depuis un an, Marine Le Pen annonce :
« Immigration massive, souveraineté, TAFTA, sécurité, relations internationales, défense
des travailleurs, défense de l’agriculture, et des PME. Nous avons pesé sur l’ensemble de ces
dossiers mais avec les moyens très limités qui nous étaient accordés par notre statut de non-
inscrits. Cette situation est aujourd’hui révolue. J’ai la joie de vous annoncer la création du
groupe Europe des Nations et des Libertés144»
Il aura donc fallu plus d’un an pour que les frontistes remplissent les conditions à la
création d’un groupe politique. Hasard ou coïncidence, la formation de ce groupe survient
142 Ibidem 125 143 BERDAH, Arthur, « Hervé Morin se demande si la crise familiale au FN n'est pas «construite» », site du Figaro, 14 avril 2015, http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/citations/2015/04/14/25002-20150414ARTFIG00266-herve-morin-se-demande-si-la-crise-familiale-au-fn-n-est-pas-construite.php, (page consultée le 15 août 2015) 144 EDER, Florian et al, «France’s far right forms bloc in European Parliament», site de Politico, 17 juin 2015, http://www.politico.eu/article/frances-national-front-forms-bloc-in-european-parliament/, (page consultée le 14 août 2015)
46
juste après que le divorce entre Marine Le Pen et son père ait été consommé. Celui-ci et son
éternel allié, Bruno Gollnisch (dont les fréquentations, notamment avec Jobbik, constituaient
un frein pour Marine Le Pen) annoncent d’ailleurs qu’ils ne feront pas partie du nouveau
groupe mais qu’ils en suivront la ligne politique. Peut-être que la condition sine qua none à
la création de l’ENL était de reléguer le patriarche et son sbire à leur statut de non-inscrit ?
La présence de Jean-Marie Le Pen avait d’ailleurs déjà été un obstacle lors des négociations
un an plus tôt. En effet, les nouveaux alliés de Marine Le Pen voyaient d’un mauvais œil
l’ombre antisémite que faisait planer le père Le Pen145.
Parmi les nouveaux alliés de Marine Le Pen, on retrouve six formations politiques,
certes, europhobes mais aux idéologies pourtant souvent différentes. Tout d’abord, c’est
autour d’un axe franco-néerlandais que s’organise le groupe. En effet, le FN s’est entouré
des Eurodéputés du PVV (parti de la liberté) néerlandais146, dont le leader Geert Wilders n’a
jamais caché son envie d’une coalition avec Marine Le Pen. Les deux leaders s’accordent
sur une présidence bicéphale, c’est-à-dire, que le groupe sera dirigé par deux co-présidents,
Marine Le Pen et le néerlandais Marcel De Graaff147. Le FPÖ autrichien, la Ligue du Nord
italienne ou le Vlaams Belang flamand font également partie de l’aventure. Pas une surprise
car ces groupes composaient jusqu’ici le MENL, une « coordination » européenne de partis
europhobes dont le FN faisait également partie. Le seuil d’élus minimum était largement
atteint mais il fallait encore trouver deux nationalités supplémentaires pour arriver au quota
de sept pays et remplir les conditions du PE à la formation d’un groupe148.
Deux Eurodéputés polonais du très radical Congrès de la Nouvelle Droite, ayant
prétendument rompu les liens avec leur très controversé leader Janusz Korwin-Mikke
(connu pour avoir appelé les chômeurs européens : « Les Négros d’Europe » en plein
hémicycle149) vont se joindre au groupe apportant la sixième nationalité. Pour combler le
quota, Marine Le Pen va convaincre une élue britannique, Janice Atkinson, virée de UKIP à
145 CLAVEL, Geoffroy, « FN: Jean-Marie Le Pen et Bruno Gollnisch privés de groupe au Parlement européen », site du Huffington Post, 16 juin 2015, http://www.huffingtonpost.fr/2015/06/16/fn-jean-marie-le-pen-bruno-gollnisch-prives-groupe-parlement-europeen_n_7592374.html, (page consultée le 16 août 2015 146 Qui se considère comme le “petit frère du FN” 147 Geert Wilders, leader du PVV, n’est pas député européen 148 AFP, « Marine Le Pen annonce la création d'un groupe eurosceptique au Parlement européen », site du Huffington Post, 15 juin 2015, http://www.huffingtonpost.fr/2015/06/15/marine-le-pen-groupe-parlement-europeen-front-national_n_7587690.html, (page consultée le 12 août 2015) 149 DAY, Matthew, « Polish MEP says 'n-----' in EU parliament », site du Telegraph, 17 juillet 2014, http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/europe/poland/10974032/Polish-MEP-says-n--in-EU-parliament.html, (page consultée le 16 août 2015)
47
la suite d’un scandale financier, de déserter son parti pour rejoindre l’ENL150. Tout un
symbole car, souvenez-vous, c’est grâce à une défection frontiste que UKIP avait réussi à
créer l’EFDD. Marine Le Pen tient donc ses représailles sur Nigel Farage. Un mois après
l’annonce de la création du groupe, une huitième nationalité vint se joindre à l’ENL151. Avec
surprise, l’élu roumain, Laurentiu Rebega, précédemment membre du parti conservateur
européen (ECR) et des socialistes et démocrates européens (S&D), annonce sa volonté de se
joindre au nouveau groupe europhobe du PE152. Avec 38 députés de huit nationalités
différentes, l’Europe des Nations et des Libertés (ENL) devient donc le huitième groupe du
PE et le deuxième pôle europhobe organisé de l’hémicycle (voir composition du groupe en
annexe 4).
Encore une fois, on peut légitimement se poser des questions sur la pérennité de ce
groupe alliant des formations d’extrême droite très hétérogènes, qui n’ont presque que leur
haine des élites, de l’Union européenne et des étrangers en commun. L’incapacité des
précédents groupes à s’inscrire dans le temps le prouve également. On connaît déjà les
divergences économiques entre le FN et le UKIP dont Janice Atkinson provient. La Ligue
du Nord italienne, elle, est plus régionaliste que nationaliste. Contrairement à ses
homologues, elle prône davantage une Europe des Régions qu’une Europe des Nations. Le
Vlaams Belang, qui a un passé sulfureux et dont la normalisation est loin d’être achevée, a
toujours des positions très extrémistes, ce qui pourrait nuire au groupe ENL. Sans parler du
nouveau député roumain qui, après être passé par les conservateurs et socialistes européens,
n’a pas l’air d’avoir beaucoup en commun avec le nouveau groupe de Marine Le Pen. Ainsi,
le groupe ENL ne fera pas d’exception à la règle selon laquelle il n’y a pas d’équilibre
idéologique à l’extrême droite du spectre politique153. On peut d’ailleurs légitimement se
demander dans quelles mesures ce groupe ne serait pas plutôt un groupe technique constitué
dans l’unique but de recevoir les avantages accordés par l’UE plutôt qu’un groupe
réellement idéologique154.
150 Selon son propre sous-entendu en conférence de presse, celle-ci aurait été convaincue par le départ de Jean-Marie Le Pen du parti 151 Ibidem note 97 152 EURACTIV, « Extreme right group poaches S&D MEP », Site d’Euractiv, 20 juillet 2015, http://www.euractiv.com/sections/eu-priorities-2020/extreme-right-group-poaches-sd-mep-316455, (page consultée le 20 août 2015) 153 VOY-GILLIS, Anaïs, « L’extrême droite en Europe : divergences, résurgences et convergences », site de Toute l’Europe, 27 juillet 2015, http://www.touteleurope.eu/actualite/l-extreme-droite-en-europe-divergences-resurgences-et-convergences.html, (page consultée le 17 août 2015) 154 Voir page 13
48
a) Europe des Nations et des Libertés : Une réussite qui permet d’entrevoir de
nouvelles perspectives quant à 2017
La formation de ce groupe politique est un réel accélérateur de particules aux ambitions du
parti. En effet, l’ENL permettra au FN d’augmenter la dimension de son opposition, de sa
propagande et de sa formation au pouvoir mais avec cette fois, la possibilité d’exercer, en
plus, une influence de fond sur les législations. Cela apportera également une crédibilité non
négligeable à Marine Le Pen et au FN qui sont à la tête de cette coalition internationale de
nationalistes europhobes. Une crédibilité non seulement auprès de l’opinion publique
française mais également au niveau international155. De plus, comme il l’est mentionné
précédemment dans ce travail, la formation d’un groupe politique accorde des avantages
logistiques et financiers très importants (un secrétariat, du staff supplémentaire, 20 à 30
millions d’euros sur l’ensemble d’une législature) ce qui apporte une base solide au projet
frontiste. Cette section entend expliquer les conséquences de la création de ENL sur la
stratégie du FN au PE156.
Premièrement, la formation d’ENL permet au FN d’augmenter considérablement son
temps de parole dans l’hémicycle et donc sa visibilité médiatique. En effet, selon l’article
162 du Règlement du PE, le temps de parole en plénière est divisé une première fois par le
nombre de groupes politiques et ensuite en fonction du prorata du nombre de leurs
membres157. Le temps de parole accordé aux députés non-inscrits est ensuite calculé après
les deux fractions précédentes. Autant dire que cela limite la possibilité d’intervention. Avec
ce nouveau groupe, certes le plus petit de l’hémicycle, le FN pourra légitimement réclamer
plus de temps de parole. Les députés d’un groupe se voient également attribuer, selon
l’article 182, deux minutes pour émettre une déclaration orale sur un vote effectué
(explication de vote) contre une minute pour les non-inscrits158. Ainsi, sachant que le FN
était déjà, en tant que non-inscrit, l’une des délégations nationales prenant le plus la parole
en plénière, cette tendance risque désormais d’augmenter et donc d’agrandir encore plus la
vitrine médiatique du FN.
155 Car le FN est de plus en plus en quête de relations diplomatiques non-européennes notamment avec la Russie de Poutine ou la Syrie d’Assad 156 JAUVERT, Vincent, « Poutine et le FN : révélations sur les réseaux russes des Le Pen », site du Nouvel observateur, 27 novembre 2014, http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20141024.OBS3131/poutine-et-le-fn-revelations-sur-les-reseaux-russes-des-le-pen.html, (page consultée le 19 août 2015) 157 Ibidem note 85 158 Ibidem
49
Deuxièmement, Marine Le Pen, nouvelle présidente de groupe, aura un siège et un
vote au sein de la Conférence des Présidents, cet organe influent du PE rassemblant tous les
présidents de groupe. Ceux-ci décident, non seulement de l’agenda de l’institution, mais
aussi des postes influents (présidences de commission par exemple). Cette présence au plus
haut niveau permettra à Marine Le Pen de négocier légitimement des postes clés pour les
membres de son parti qui pourraient ainsi se voir confier des responsabilités comme la
rédaction de rapports législatifs159. Aussi, comme chaque famille politique du PE, l’ENL
aura des coordinateurs dans chaque commission parlementaire où siègent ses membres dont
le rôle est de négocier et répartir les rapports législatifs entre les membres de la commission.
Un poste de rapporteur donnerait d’ailleurs aux députés frontistes la possibilité d’exercer
une influence de fond et non seulement de statistiques. La création d’ENL permettra aussi à
ses membres d’amender des textes législatifs au stade de la plénière et non plus uniquement
en commissions parlementaires comme c’est la règle pour les non-inscrits160. Le FN pourra
donc s’investir davantage dans le travail législatif du PE pour augmenter la crédibilité de son
action européenne et sa formation à l’exercice du pouvoir.
Troisièmement, en prouvant qu’elle peut être la cheffe d’une coalition de partis
europhobes, Marine Le Pen est en train de gagner ses lettres de noblesse grâce à l’Europe.
Comme l’analyse Marc Tarabella, la création d’ENL démontre que « le FN peut être un
acteur solvable du monde politique européen. S’il devient un acteur solvable du monde
politique européen, il devient un acteur politique solvable du monde politique français. Il ne
redeviendra pas seulement le parti anti-immigrés et raciste mais un acteur dans des débats
politiques, économiques, culturels. Clairement, cela rajoute à sa crédibilité et lui crée une
image de marque pour se mettre au niveau des autres. En fait, c’est son Curriculum Vitae.
C’est son diplôme pour pouvoir se battre à armes égales aux présidentielles de 2017161. »
Quatrièmement, la formation d’ENL permettra au groupe de percevoir entre 4,5 et 5
millions d’euros annuellement, soit près de 18 millions d’euros sur le reste de la législature,
hors salaires et avantages des députés. Une manne financière plus que bienvenue pour le FN
qui, avec la plus grosse délégation nationale du groupe, sera le bénéficiaire de la plus grosse
partie du pactole. Les règles de financement du PE prévoient que ces subventions ne peuvent
159 Selon la règle de pondération (Hondt) expliquée à la page 20 160 SCAN POLITIQUE, « Ce que la création d'un groupe au Parlement européen va changer pour le FN », site du Figaro, 16 juin 2015, «http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2015/06/16/25001-20150616ARTFIG00121-ce-que-la-creation-d-un-groupe-au-parlement-europeen-va-changer-pour-le-fn.php, (page consultée le 16 août 2015) 161 Ibidem note 116
50
pas être utilisées pour financer des campagnes électorales nationales, ni être versées
directement ou indirectement à des partis ou candidats nationaux ou utilisées pour payer des
dettes. Néanmoins, celles-ci permettront, par exemple, aux frontistes de s’entourer de
personnel et assistants parlementaires supplémentaires et donc d’être mieux organisés à
l’intérieur du PE162. Bien que cet argent ne peut être utilisé que dans un contexte européen,
rien n’empêche le FN de commander une étude économique à une personnalité comme
Jacques Sapire par exemple (qui est un des grands supporters de la sortie de l’euro et est
souvent cité par les membres du FN) dont l’argumentation pourrait être utilisée dans une
campagne exclusivement franco-française. Et tout cela aux frais de l’UE163. Cet argent peut
donc être utilisé de façon intelligente par le FN et pas uniquement dans le cadre exclusif du
Parlement européen.
Ainsi, la formation du groupe ENL permet au FN d’être pleinement acteur de la vie
du Parlement européen, et ce, avec beaucoup d’argent en plus. Cela apporte aux frontistes la
possibilité de vivre l’expérience du pouvoir de manière plus exhaustive et de se crédibiliser
politiquement en étant actifs sur des dossiers importants (comme TTIP par exemple) et donc
de démontrer aux Français que le parti peut être un acteur solvable du monde politique
national. De plus, les frontistes vont pouvoir être plus présents médiatiquement et alimenter
davantage leur stratégie de propagande. Comme le conclut Philippe Lamberts, président des
Verts au Parlement européen : « Cela va leur donner une force de frappe supplémentaire
mais qu’ils vont, je pense, utiliser plus à l’extérieur du Parlement qu’à l’intérieur.164 » En
résumé, la création d’ENL renforce tous les aspects des constats faits précédemment dans ce
travail.
b) Le cordon sanitaire des pro-européens
Même si la création du groupe politique permet au FN de prétendre, du moins sur
papier, à des postes à responsabilité, ce n’est pas de l’avis des trois grandes familles
politiques pro-européennes de l’assemblée. A l’image d’un accord scellé en début de
législature pour empêcher les europhobes de l’EFDD de s’emparer d’une présidence de
commission parlementaire et d’une vice-présidence du Parlement, les groupes PPE, S&D et
162 EURACTIV, « Le FN parvient à former un groupe au Parlement européen », site d’Euractiv, 16 juin 2015, http://www.euractiv.fr/sections/priorites-ue-2020/le-fn-reussi-enfin-former-son-groupe-au-parlement-europeen-315426, (page consultée le 18 août 2015) 163 Ibidem note 125 164 Interview: LAMBERTS, Philippe, Député européen, «Face to face », 5 minutes, 25 juin 2015
51
ALDE, qui représentent ensemble 63% du PE, ont décidé de dresser un « cordon sanitaire »
autour du nouveau ENL. Le but, écarter les frontistes et ses alliés de tout poste à
responsabilité (et donc de rapports) pour limiter leur capacité de nuisance. Ceux-ci refusent
de partager toute responsabilité avec les europhobes, ne souhaitant pas être complices de
leur façon de penser ni de leur permettre de nuire à une institution qui, ne l’oublions pas, a
une représentativité internationale. Cette stratégie est décriée par le FN qui la juge « anti-
démocratique » et l’utilise comme argument pour se victimiser. Cependant, le cordon
sanitaire n’a rien d’antidémocratique car ceux qui s’allient contre le FN ont été élus
démocratiquement. Une stratégie compréhensible pour ceux qui veulent défendre l’Europe
de ceux qui ont juré de la détruire de l’intérieur tels des chevaux de Troie. Néanmoins,
certains rappellent que l’établissement d’une alliance démocratique anti-europhobes ne
permet pas d’outrepasser les règles internes du Parlement européen. Comme le juge
notamment Claude Rolin, député PPE : « On peut établir un cordon sanitaire, mais ce cordon
ne permettra jamais d’aller à l’encontre des propres règles du Parlement. C’est-à-dire que
des députés du Front National auront des rapports. Des députés du FN seront rapporteurs.
Les règles du Parlement sont ce qu’elles sont.165»
165 Ibidem note 125
52
V. Propositions pour lutter contre le « fascisme à visage humain»
Le but de ce travail n’est pas de faire une apologie du Front national au Parlement
européen, loin de là. Son but est plutôt d’analyser sa stratégie qui, il faut bien l’avouer, est
judicieuse, pour comprendre comment mieux combattre le nouveau visage de l’extrême
droite française. Car c’est, selon moi, dans leur opposition désuète de ce nouveau « fascisme
au visage humain » 166 (pour reprendre l’expression de Jean Quatremer, correspondant aux
affaires européennes pour le journal Libération) que les partis traditionnels renforcent la
victimisation et donc le succès de celui-ci. Le FN de Marine Le Pen n’est plus celui de son
père. A l’époque, celui-ci était facilement diabolisable car Jean-Marie Le Pen lui-même se
complaisait dans ce rôle de « grand méchant de la République » et n’ambitionnait pas
réellement au pouvoir (la preuve est quand il confiait son sentiment de peur en commentant
son succès électoral en 2002). Le vote FN était un vote de contestation du système, il devient
de plus en plus un vote d’adhésion aux idées du parti. Les ambitions du « nouveau » FN sont
bien différentes donc les moyens pour le combattre doivent être différents. Diaboliser le
parti, le pointer du doigt ou marginaliser son électorat (qui est d’ailleurs de plus en plus
constitué de la classe ouvrière, électorat historique de la gauche) est une erreur, car cette
stratégie alimente son discours de victimisation et place le parti en grand défenseur du
peuple qui se sent oublié et moqué par l’élite.
Une récente décision du Parlement européen est, selon moi, un exemple criant de
cette erreur dans la stratégie d’opposition au FN. Cette décision, qui a été prise au sein de la
Conférence des Présidents juste après la constitution de l’ENL, consiste à empêcher Marine
Le Pen de siéger devant l’hémicycle avec tous les présidents de parti comme c’est
normalement la règle au PE. Une décision qui donne un argument supplémentaire au FN,
victime du système et des « pseudo-démocrates » qui l’empêchent pourtant de s’exprimer.
Dans un communiqué de presse, Edouard Ferrand, chef de la délégation frontiste au PE,
dira : « En refusant à Marine Le Pen le droit élémentaire et reconnu normalement à chaque
président de groupe de siéger au premier rang, la Conférence des présidents du Parlement,
conditionnée par le sectarisme des socialistes et la lâcheté des autres groupes, démontre que
166 QUATREMER, Jean, «Le Fascisme à visage humain », site de Libération, sine data, http://bruxelles.blogs.liberation.fr/2015/05/06/le-fascisme-visage-humain/, (page consultée le 17 août 2015)
53
le Parlement européen, comme l’ensemble des instances européennes, est une démocratie en
carton pâte. »167
Un argument criant pour un électorat en pleine désillusion, ne se reconnaissant plus
dans la politique d’aujourd’hui, entre une gauche qui peut défendre les entreprises, et une
droite, les droits sociaux. Surtout que l’électorat du FN, le moins diplômé de France, est
peut-être le moins armé pour faire preuve de jugement critique168. L’argument frontiste
devient donc souvent suffisant pour s’attribuer leur voix. Il est vrai que la position du
Parlement européen est aujourd’hui délicate. En changeant les règles internes du PE, soit les
règles démocratiques, pour combattre le FN, l’institution donne à ce dernier le bâton pour se
faire battre (car il devient le « méchant » système censurant « la voix du peuple »). En
accordant tous les avantages dus au groupe du FN, le PE lui donne également un bâton pour
se faire battre (car les europhobes se servent des avantages procurés par l’UE pour essayer
de la détruire de l’intérieur). Cependant, dans le dernier cas, il respecte les règles
démocratiques. C’est donc la plus juste des solutions, ou la moins pire. Car le FN est
malheureusement un parti démocratique qui a sa place au PE, c’est le peuple qui l’a décidé.
Et les règles démocratiques doivent donc être les mêmes pour tout le monde, même pour
ceux qui essaient de les détruire.
Par contre, ériger des cordons sanitaires via des alliances politiques pour ne pas
permettre au FN de peser sur le travail du PE est une stratégie légitime car ce sont des
députés élus démocratiquement qui l’ont décidé. Le FN pourra se victimiser tant qu’il le
souhaite mais ne pourra pas accuser les partis alliés de faire preuve d’antidémocratisme.
C’est aussi le jeu de la politique et le FN doit l’accepter. Le tout est, selon moi, de rester
dans les règles de la démocratie pour lutter contre l’extrême droite et pas de changer ces
règles car c’est précisément ce que ferait l’extrême-droite s’elle arrivait un jour au pouvoir.
La meilleure manière de combattre le Front National est en s’opposant à celui-ci dans
la bataille des idées, respectant les règles de la démocratie, et en démontrant le tort que ce
parti au pouvoir pourrait faire à l’Etat de droit ou à l’Europe. C’est également en prouvant
que, si son visage et sa stratégie ont certes changé, son cœur, lui, est resté le même. Un coup
d’œil au programme du parti suffit pour s’en rendre compte : immigration, droit du sol, droit 167 FERRAND, Edouard, « Un mépris caractérisé des droits de l'opposition.», site du Front national, 3 juillet 2015, http://www.frontnational.com/2015/07/un-mepris-caracterise-des-droits-de-lopposition/, (page consultée le 27 juillet 2015) 168 MAYER, Nonna, « Les effets politiques de la crise : le vote des personnes pauvres et précaires en 2012 », Informations sociales, n° 180, 2013, pp. 52-59
54
d’asile, politique étrangère proche de la Russie de Poutine ou de la Syrie d’Assad, fermeture
des frontières, sortie de l’euro et de l’UE. Cette année au Parlement européen, le FN a
notamment voté contre le droit des femmes à disposer de leur corps, contre l’avortement ou
contre la contraception. C’est là-dessus que doivent communiquer les adversaires de
l’extrême droite. La classe politique doit également expliquer aux Français qu’en votant
pour le FN aux dernières élections européennes, ils ont contribué à la diminution de
l’influence française dans le Parlement européen, car près un tiers de cette délégation n’a
aucune influence, ce qui relègue le statut de la France à un statut inférieur.
Laisser l’extrême-droite pénétrer dans le système (sans pour autant lui permettre d’y
exercer de l’influence) est une stratégie intelligente pour deux raisons. Premièrement, ceux-
ci s’amputeraient d’une partie même de leur identité, celle de l’antisystème. En laissant le
FN faire partie d’un univers qu’ils haïssent et dénoncent tant, ils se décrédibilisent aux yeux
de beaucoup d’électeurs dont le vote est encore contestataire. Ils se seraient faits « manger
par le système ». De plus, cela permet de prouver que ceux-ci n’ont, en réalité, aucune
influence de fond et donc pire, qu’ils diminuent considérablement l’influence de la France
au sein du Parlement européen. C’est également là-dessus que doivent communiquer les
garants de nos démocraties. D’ailleurs, comme le soutient Raphaël Tresanini, il y aurait une
dissonance, dans la vision de l’électorat frontiste de l’action du FN au PE. Beaucoup
d’électeurs FN sont défiants vis-à-vis de l’institution et ne comprennent pas ce qu’y fait
Marine Le Pen alors qu’elle passe son temps à critiquer l’Europe. C’est aussi en mettant en
exergue ce paradoxe que peuvent convaincre les ennemis du FN. Non, ce n’est pas en
rediabolisant le FN que nous pourrons lutter contre celui-ci, mais en le mettant face à ses
propres contradictions.
De plus, parmi tous les partis d’extrême-droite xénophobes qui pullulent en Europe,
l’exemple du parti hongrois Fidesz, considéré plus modéré que le FN, est un exemple criant
de destruction de l’Etat de droit et de dérive totalitaire (le pouvoir judiciaire étant désormais
aux mains de l’exécutif, ce qui déroge au principe fondamental de la séparation des
pouvoirs)169. Cela donne un petit exemple de ce qu’il pourrait arriver à l’Europe si elle
continue de tomber dans des travers qui l’ont poussée à s’entretuer à plusieurs reprises par le
passé. Encore un argument à utiliser contre l’extrême droite et les frontistes. Hitler, lui-
même, n’a pas fait campagne sur la déportation et l’extermination de millions de personnes
169 Le parti a notamment le projet de rétablir la peine de mort
55
ou sur l’entrée en guerre de son pays. Celui-ci a été élu en tenant un discours anticapitaliste,
antilibéral et antisystème (populiste), ce qui est inquiétant pour l’Europe d’aujourd’hui, de
plus en plus encline à adopter ce genre d’idées.
A côté de cela, les partis politiques traditionnels doivent prendre leurs
responsabilités. Ils leur incombent de proposer aux citoyens de réels projets de société, car
c’est cela, le vrai travail du politique. Malheureusement, la classe politique actuelle
fonctionne de plus en plus en surfant sur ce qu’elle croit être l’opinion majoritaire, dans des
buts purement électoralistes, oubliant ses fondamentaux. Nos démocraties sont devenues des
démocraties de sondage avec une classe politique qui perd, de plus en plus, le sens des
responsabilités. Ce constat très pessimiste est un argument fort pour les extrêmes. C’est donc
aux politiques eux-mêmes de changer la perception négative qu’ils reflètent aux yeux des
citoyens en proposant des projets à long terme et en se donnant les moyens de les réaliser. Et
le temps presse car, comme nous venons de le voir, ce qui se passe au PE aujourd’hui
prouve que Marine Le Pen sait qu’elle peut prendre le pouvoir en 2017.
56
VI. Conclusion
Après sa victoire aux élections européennes de 2014 et son arrivée massive dans
l’hémicycle, après une scission idéologique au sein du parti et un changement stratégique au
PE dans le cadre de sa « normalisation », le Front National a prouvé qu’il était bel et bien en
train de se muer en un parti de pouvoir. Ce travail s’est intéressé à ce changement de
stratégie du FN au PE, en effectuant une analyse comparative de l’activité quantifiée des
frontistes au PE depuis la sixième législature (2004-2009) et a tenté d’en comprendre les
raisons via des interviews de députés européens et spécialistes du FN.
Les résultats de cette analyse ont prouvé que le FN a totalement changé son fusil
d’épaule dans sa stratégie européenne. Avant, on pouvait reprocher, à juste titre, aux
europhobes frontistes leur total désintérêt pour le travail législatif, leur manque d’assiduité et
leur absentéisme chronique dans l’institution européenne. Ce travail a démontré que cette
tendance est désormais révolue : le FN a radicalement changé son implication européenne.
Dans la typologie de Brack, les frontistes sont passés du stade des absents ou des orateurs
publics au stade combiné d’orateurs publics pragmatiques. En une année seulement, le parti
a battu toutes ses statistiques personnelles et gonflé les chiffres de son activité parlementaire
et notamment de son implication dans le travail législatif du PE. Une première ! Une
assiduité moyenne de 90.7% en plénière contre 73% lors de la précédente législature, un
total de 579 propositions de résolution en une année contre 13 lors des deux mandats
précédents, 356 amendements proposés contre 1 seul de 2004 à 2014 ou encore près de 3900
discours en plénière contre un total de 1201 discours en dix ans. Certes, les élus frontistes
sont beaucoup plus nombreux et représentent la première délégation française au PE mais ce
changement de stratégie se remarque même dans les chiffres personnels des trois
Eurodéputés présents lors des deux précédentes législations (Marine Le Pen, Jean-Marie Le
Pen et Bruno Gollnisch). Tout cela pourquoi ? S’ils en disent en réalité très peu sur la réelle
influence de la délégation frontiste au PE - la grosse majorité de leurs propositions étant
massivement rejetées - ces chiffres sont néanmoins univoques.
Cette stratégie judicieuse est déconcertante pour les adversaires de l’extrême droite
car elle inhibe l’habituel argumentaire de l’absentéisme pour décrédibiliser les europhobes
au PE. Il est ici défendu qu’en étant plus actifs et assidus, le FN utilise le Parlement
57
européen pour gagner ses lettres de noblesse. Premièrement, l’institution européenne
constitue une tribune médiatique non négligeable que le FN a décidé d’utiliser allègrement
pour exprimer son europhobie, ses idées xénophobes ainsi que pour faire croire à son
influence qui est néanmoins inexistante. Une vitrine publique qui contribue à la propagande
frontiste et donc à sa conquête du pouvoir. De plus, en étant actif (du moins dans les
chiffres) sur le plan législatif, le FN forme ses élus, ses cadres et sa nouvelle génération à
l’exercice du pouvoir. Le parti apprend à ses cadres comment évoluer dans la super structure
très complexe que constitue le Parlement européen. Le PE est donc utilisé comme un
laboratoire à l’exercice du pouvoir. Il constitue également un gage de crédibilité pour
l’électorat français et pour conférer au FN une reconnaissance au niveau national et
international. En effet, après la réussite de la dédiabolisation du parti, une des dernières
barrières pour rendre le FN réellement présidentiable, est celle de la crédibilité. Ce travail
défend que cette barrière est en passe d’être franchie, notamment grâce à l’action frontiste au
PE.
La formation du groupe ENL par les frontistes constitue d’ailleurs le paroxysme de
cette nouvelle stratégie. En effet, en se trouvant des alliés internationaux au PE, le FN a
l’occasion d’augmenter son action européenne en tous points. Bien qu’il soit légitime de
remettre en question sa longévité, (l’extrême droite nationaliste et europhobe n’ayant pas de
ligne idéologique commune entre ses partisans), ce groupe est un accélérateur de particules
aux ambitions frontistes. Premièrement, la constitution d’ENL lui permettra d’augmenter
considérablement sa visibilité médiatique car elle lui conférera plus de temps de parole. Un
avantage que le FN se réjouira d’utiliser sachant qu’il fait déjà partie des délégations
nationales intervenant le plus souvent en session plénière. La création du groupe permettra
également au parti d’augmenter sa capacité de nuisance sur des sujets de fond, lui permettant
de réclamer légitimement des postes à responsabilité au remaniement de mi-mandat. Il
donne aussi la possibilité à ses coprésidents, Marine Le Pen et Marc De Graaff, de siéger à
la conférence des présidents, véritable colonne vertébrale du PE. Finalement, le deuxième
pôle europhobe du PE va conférer au FN des moyens logistiques et financiers importants
bienvenus pour un parti politique ambitionnant au pouvoir. Pour lutter contre l’influence
croissante du FN et endiguer sa capacité de nuisance, qui inquiète les forces politiques
europhiles du PE, ceux-ci ont décidé de constituer un cordon sanitaire, alliance entre les
grandes familles politiques du PE.
58
Malgré ces tentatives d’influer sur le PE, l’année du FN a été constituée de scandales
révélant l’identité enfouie du parti. Ainsi, Aymeric Chauprade et Jean-Marie Le Pen ont
enchainé les dérapages islamophobes ou antisémites n’obéissant aucunement en la stratégie
de dédiabolisation portée par Marine Le Pen et sa « nouvelle garde ». Cela a d’ailleurs
poussé le patriarche de l’extrême droite française à la porte de son propre parti. De plus, le
FN est inquiété dans un scandale financier pouvant lui être néfaste. On peut donc penser que
les derniers obstacles pour rendre le parti présidentiable se trouvent en réalité à l’intérieur
même du parti.
Ce mémoire a montré également que, contrairement à son père, Marine Le Pen
ambitionne au pouvoir. Son accession au pouvoir est passée de l’utopie au rêve. Le PE est
donc devenu l’un des champs de bataille principal à la conquête frontiste du pouvoir. Gilles
Lebreton, Eurodéputé frontiste, le reconnaît également : « Toute notre action (au PE) est
guidée par ce but, porter Marine Le Pen à la présidence de la République »170.
Si les ambitions et la stratégie du FN ont changé, les moyens pour le combattre
doivent changer également. Les habituelles techniques consistant à diaboliser le FN et à
stigmatiser ses supporters n’ont comme unique impact que de victimiser le parti et donc de
le rendre plus populaire. Aussi, il faut accepter que le FN a gagné sa place dans le paysage
politique de manière démocratique, utilisant certes un discours populiste, opportuniste et
parfois haineux pour arriver à ses fins, mais sans déroger à la démocratie. Ce n’est donc pas
en changeant les règles démocratiques que les adversaires de l’extrême droite europhobe
pourront lutter contre celle-ci. C’est plutôt en s’opposant au parti dans la bataille du débat
d’idées, le mettant face à ses propres contradictions, en utilisant la communication politique
lorsque le parti se trahit et montre sa véritable identité ou, en démontrant le tort qu’il
pourrait faire à l’Etat de droit et à l’Europe, que la lutte sera efficace. La classe politique
traditionnelle est aussi responsable de proposer de réelles alternatives aux discours
simplistes et attrayants du FN.
Ce travail est, avant tout, un signal d’alarme. Une amorce qui, en décortiquant
l’action du FN au PE, a permis de comprendre les ambitions du parti et sa stratégie pour y
parvenir. Le PE n’est cependant qu’une composante d’une stratégie bien plus large qui doit
170 LEBRETON, Gilles, « Un an d'action du Front National au Parlement européen ! », Chaîne officielle Youtube du FN, 10 juillet 2015, https://www.youtube.com/watch?v=ifafLEIKu9E, (page consultée le 19 août 2015)
59
être étudiée également. En effet, d’autres pistes doivent être encore investiguées par les
politologues, journalistes, étudiants et politiciens, pour trouver des solutions concrètes afin
d’endiguer la vague européenne de l’extrême droite dédiabolisée.
60
VII. Bibliographie
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