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    Agora débats/jeunesses

    Islam et laïcitéTariq Ragi

    Citer ce document Cite this document :

    Ragi Tariq. Islam et laïcité. In: Agora débats/jeunesses, 30, 2002. Jeunes, engagement et démocratie. pp. 4-13.

    http://www.persee.fr/doc/agora_1268-5666_2002_num_30_1_2037

    Document généré le 21/10/2015

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    a France n’est pas une nation qui s’identifie à une ethnie,à un groupe d’ethnies, à une culture, mais un État qui lestranscende toutes; dans l’espace public, les communautés,

    qu’elles soient ethniques, culturelles, linguistiques oureligieuses, ne sont pas reconnues en tant que telles.Seuls sont reconnus des citoyens, libres et égaux en droitet en dignité. Il s’agit donc d’une conception de la nationfondée sur l’allégeance des citoyens à l’État républicain.Dans la nation, lieu abstrait de l’unité politique, l’individujouit de la faculté de pouvoir se délier de ses attachesparticularistes, de ses enracinements spécifiques, dansle but de communiquer sur la base de valeurs communes

    avec les autres. Cette capacité de rupture avec les déter-minations qui l’enferment dans sa culture d’origine sesitue au cœur du pacte social. La primauté du lien civiqueet politique sur le lien ethnique ou culturel s’inscrit dansune logique d’égalité contre une logique de minorités oude communautés, ce qui appelle le respect des valeursrépublicaines, la préservation du cadre laïque et le rôlefondamental de l’école publique dans la socialisation et

    l’apprentissage des règles du « vivre ensemble ». La réfé-rence à la laïcité implique la dissociation de la citoyennetéde l’appartenance religieuse, les religions ne sont pasrejetées et combattues, elles sont circonscrites dans leurexpression à l’espace privé. Elles jouissent dans ce cadred’une liberté précieuse à condition qu’elles ne transgressentpas les lois républicaines et qu’elles ne cherchent pas àimposer leur hégémonie.

    LA FRANCE AU RISQUE DES COMMUNAUTARISMESActuellement, les profondes mutations sociales et

    politiques qui affectent notre société constituent une invi-tation à une réflexion critique sur le modèle classique

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    d’intégration républicaine. Au vu de ces transformations et de cesbouleversements, il serait vain, comme le signale très justementAbderrahim Lamchichi, de se contenter d’une référence exclusive,voire purement incantatoire, à la raison ou à un universalisme abs-

    trait, trop impérieux sinon tyrannique, en tout cas de moins enmoins adapté, faisant fi des appartenances concrètes, des solida-rités et des héritages culturels des individus et des groupes. Ilconvient donc de renoncer à définir la citoyenneté uniquement enréférence à des valeurs transcendantes et abstraites1.

    De la même manière, ce réexamen exige de ne pas sombrer dansune lecture de la nation qui valorise à l’excès les particularismes: unetelle approche risque d’alimenter le communautarisme, de détruire lelien social et politique, de brimer et réduire la liberté individuelle etd’enfermer l’individu dans des déterminations ethniques et cultu-relles. Cette menace de tribalisation de la société est particulièrementvive à un moment où prospèrent les néo-communautarismes surles terreaux du mal-vivre et du mal-être identitaire.

    Desserrer l’étau identitaire au sein d’une société française deplus en plus exposée à la partition des personnalités collectives,c’est contribuer à la recherche permanente de solutions et d’équi-libres nouveaux, inédits, destinés à redonner sens à l’intérêt

    général et à réaffirmer les fondements du pacte républicain. Laconsolidation du contrat social, cher à Jean-Jacques Rousseau,s’inscrit indéniablement dans la perspective d’une nation entenduecomme « un plébiscite de tous les jours », selon la formuled’Ernest Renan. Cette réinvention incessante de la démocratieest la meilleure garantie contre tous les extrémismes, contre lesrisques de fragmentation sociale, contre les tentations du repliidentitaire et communautaire; une telle démocratie permettraitsans doute de mieux conjuguer l’égalité politique avec l’équitésociale, de dépasser l’opposition entre aspiration individuelle etengagement collectif, de combiner la quête de soi avec la solidaritéà l’égard d’autrui. La reconnaissance des particularismes, religieux,culturels et linguistiques, n’implique pas nécessairement un rejetdes modalités du vivre ensemble, ni un refus des valeurs univer-selles. La reconnaissance de l’Autre constitue un préalable dansl’élaboration de tout projet de société.

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    1. Sur cette question, on lira l’excellent travail de A. Lamchichi, en particulier : Islam et musulmans de France , L’Harmattan, 1999; ainsi que Islam-Occident, Islam-Europe: choc des civilisations ou coexistence des cultures? , L’Harmattan, 2000.

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    L’INTÉGRATION RÉPUBLICAINEDepuis plus de deux siècles, le modèle d’intégration républicain

    a certes connu quelques reculades, mais aussi de nombreuses

    avancées, il a su apporter la preuve de son adaptabilité et de soncaractère évolutif. Il en ressort notamment qu’en dépit des diffi-cultés rencontrées, ce modèle a conservé toute sa pertinence. Àl’intégration des régionalismes a succédé l’assimilation de vaguessuccessives d’immigrés, porteurs de langues et de cultures diffé-rentes. La référence à une langue commune, à une citoyennetéfondée sur le principe de l’égalité de tous en droits et en devoirs, à lalaïcité, à l’adhésion individuelle de chacun à la nation, ce qui équivaut,comme l’illustre bien la désormais célèbre formule prononcée par le

    comte de Clermont-Tonnerre devant la Constituante: « Tout aux juifsen tant qu’individus et rien aux juifs en tant que communauté », à unrejet de toute forme de communautarisme, constitue une réponsejuste et équilibrée face au risque de délitement du social.

    Aujourd’hui, dans un contexte de mondialisation, d’européanisationet de retour des « localismes », ce modèle, pour conserver toute saforce, devrait prendre en compte les demandes apparemment para-doxales d’inscription dans un territoire (terroir) qui ne coïncide pastoujours avec le cadre national et dans des réseaux transnationaux, ausens où l’entend Manuel Castells. La préservation de ce modèlerequiert une attention particulière à un autre enjeu: le chômage massifdes jeunes, en particulier des jeunes issus de l’immigration. Ladétérioration lente et progressive des conditions de vie et d’accèsà l’emploi des jeunes peut mettre en cause la capacité à intégrerde ce modèle et, à terme, menacer le renouvellement du pacteintergénérationnel2. Les exclusions, les injustices, les discriminationsconstituent autant de freins à l’intégration et autant d’arguments en

    faveur des communautarismes. Résidant dans les quartiers sensiblesde nos banlieues, les musulmans de France figurent parmi les plusexposés de nos concitoyens en raison d’une précarité importante due,soit à l’occupation d’emplois précaires ou mal rémunérés, soit à unchômage massif. Et pourtant, dans leur immense majorité, les musul-mans de France vivent dans le respect des lois de la République. Ilssont très nombreux à défendre les valeurs républicaines, en particulierla liberté et l’égalité. De même, la laïcité est perçue comme un cadreoffrant suffisamment de garanties pour permettre aux musulmans devivre leur religion. Mais de quelle laïcité s’agit-il?

    2. Sur cette question, se reporter au n°25 de la revue AGORA Débats/Jeunesses , Vers un nou-veau pacte intergénérationnel?, L’Harmattan, 2001.

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    LAÏCITÉ, LAÏCITÉS?

    Le principe de laïcité place la liberté de conscience en amont etau-dessus de la liberté religieuse, ce qui signifie la prévalence de laliberté d’avoir ou de ne pas avoir une religion sur la liberté de choisirune religion parmi l’éventail des religions disponibles. Il en découleque la laïcité ne constitue pas une option spirituelle parmid’autres, elle se présente plutôt comme la garantie de la coexis-tence des diverses croyances dans un même territoire. En cela, lalaïcité converge vers le principe d’égalité, c’est-à-dire qu’elle posela primauté de l’égalité de tous devant la loi sur les inégalités oules différences de fait. Cette garantie juridique d’une libre expressionet d’un libre exercice religieux est obtenue par la neutralité positive

    de l’État devant les croyances. Il faut entendre par neutralité posi-tive d’une part la séparation réelle des pouvoirs, séparation desÉglises et de l’État, ce qui implique que l’État ne reconnaît par lecanal de la citoyenneté que des hommes libres et égaux, et nondes croyants ou des infidèles, et d’autre part la position ferme del’État pour éviter qu’une église s’accapare le pouvoir politique, cequi suppose une vigilance forte à l’égard de tout ce qui peut menacerla liberté individuelle; l’État a pour obligation de lutter contre touteforme d’obscurantisme, de censure et de pression sur les

    consciences, de monopolisation du savoir et de la connaissance,d’imposition d’une vérité absolue par les instances religieuses,mais cette neutralité positive exige également la garantie d’un trai-tement égal et équitable de toutes les croyances qui se montrentrespectueuses des lois de la République. L’État constitue un rem-part contre tout anticléricalisme, cet intégrisme inversé. La laïciténe doit pas être érigée à son tour en religion d’État; elle ne doit pasêtre sacralisée; elle ne doit pas servir d’argument pour combattre

    les religions et les Églises. La République n’a pas à arbitrer entre lescroyances, elle doit assurer le principe d’égalité entre croyants,athées et agnostiques. La laïcité, qui sert de cadre de référence etde principe actif, n’est pas un dogme, mais bien une réalité évolutive,une interrogation permanente sur les équilibres à préserver entrel’État, la société et les religions. Elle est au cœur de cette synthèsepluraliste constitutive du pacte républicain. Ce contrat a connu, àl’instar de la République, les mêmes avatars. Vibrant au rythme dela République, il en a épousé les cheminements, les concessions,

    les compromis et les avancées. Ces négociations règlent le cadrede la présence religieuse à l’école, dans l’armée, dans les prisons…Cette même dynamique comprend l’aide consentie pour construireet entretenir des lieux de culte, ainsi que la prise en compte des

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    interdits alimentaires dans les cantines des établissements scolaires;en retour, les confessions participent à la constitution, à la reconsti-tution et à la consolidation du lien social. Le religieux s’intègre dansla société à la hauteur du respect qu’il manifeste à l’égard des

    valeurs communes dont s’est dotée la communauté nationale. Lefait pour des religieux de requérir un traitement monopolistique dusymbolique ou un traitement différencié, c’est-à-dire un statutdérogatoire par rapport aux autres confessions, constitue unetransgression des règles communes rattachées au pluralisme reli-gieux. La laïcité offre un cadre de tolérance et de respect mutueldans lequel toutes les confessions peuvent coexister loin des sen-tiers de l’injonction, de l’imposition et de la coercition.Il s’agit,bien entendu, d’une laïcité positive, d’intelligence, d’ouverture surle monde et non d’une laïcité de combat, crispée et repliée surelle-même. Le temps est venu, comme l’indique Régis Debraydans son rapport sur L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque , rapport remis au ministre de l’Éducation nationale, depasser d’une laïcité d’incompétence à une laïcité d’intelligence3.

    L’ISLAM DANS LE CADRE DE LA LAÏCITÉ

    Dans son fondement même, l’islam précise dans plusieurs ver-sets coraniques que la contrainte est contraire à la nature même dela foi. À l’exemple des autres religions, l’islam se base sur la foi, cequi relève de l’initiative personnelle et intime des croyants. Il va desoi que la foi ne saurait résulter d’aucune forme d’imposition, celle-ci étant étroitement liée au for intérieur, lieu où la contrainte ne peuts’exercer. Nul ne peut agir sur les consciences. A. Lamchichi note àbon escient que l’islam, à la différence d’autres confessions, ne

    connaît ni clergé, sauf dans le schisme, ni église, ni sacerdoce: l’in-dividu est donc seul et unique responsable de son engagement. Parconséquent, ce cadre se présente comme un espace propice pourles musulmans. C’est, assure A. Lamchichi, le seul cadre qui s’efforced’assurer un juste équilibre entre le respect de la liberté deconscience et la religion de chacun, mais aussi un juste équilibreentre le respect des restrictions imposées à cette liberté et ledevoir pour toute démocratie de prendre les mesures nécessairespour assurer les droits et libertés d’autrui. Cette recherche d’une

    solution juste et équilibrée entre la manifestation et l’expressiondes appartenances religieuses et le respect dû à tous ceux qui ne

    3. DEBRAY, R., L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque , Odile Jacob, 2002, p. 43.

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    partagent pas les mêmes opinions confessionnelles se situe aucœur des systèmes démocratiques, pluralistes et laïques. Cetteposture particulière à l’égard des préférences religieuses garantit laliberté d’opinion et d’expression, ce que stipule expressément

    l’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen:« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses,pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établipar la loi. ». Cette protection des opinions religieuses, combinée àl’obligation de n’exercer aucune contrainte en islam, devrait incitertous les musulmans à adopter et à épouser spontanément le cadrede la laïcité4. Prendre acte de la capacité d’épanouissement del’islam dans les systèmes laïques et pluralistes devrait encouragerles musulmans, d’une part, à ne pas réclamer pour eux-mêmesl’institution d’un système dérogatoire, un traitement relevant del’exception et, d’autre part, à un réexamen par les théologiens desdogmes théologiques et juridiques afin de lever les contradictionséventuelles existant entre les préceptes religieux et les valeursdémocratiques. D’ailleurs, cet effort d’inscription dans la modernitéconcerne toutes les religions. De telles réformes, même si ellespeuvent apparaître menaçantes pour la lettre religieuse, n’endemeurent pas moins fidèles à l’esprit des croyances. De surcroît,

    une telle démarche devrait contribuer à faire ressortir l’adéquationfréquente entre les valeurs religieuses et les valeurs universelles.Ce n’est qu’au prix de ce travail de mise en cohérence, de réinter-prétation, de recherche de convergence, que l’islam s’inscrira dansle cadre philosophico-juridique des sociétés occidentales.

    ISLAM EN FRANCE OU ISLAM DE FRANCE?

    Toutes les études et les recherches menées sur les pratiquesreligieuses des musulmans résidant en France montrent avec plusou moins d’acuité la mise en place de procédures fines d’acclimata-tion et d’adaptation. En effet, depuis que les Français de confessionmusulmane ont pris conscience de leur volonté de vivre durable-ment en France, un processus de transformation plus ou moinsforte des systèmes de signification symbolique de l’islam est àl’œuvre. La transplantation de l’islam a connu, au gré de sesconfrontations avec les valeurs de la société d’accueil, des modi-

    fications significatives. L’exil impose des formes de négociationnouvelles avec les pouvoirs publics et des pratiques religieusesrevisitées conformément au cadre laïque de la République. Si les

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    4. CESARI J., Musulmans et républicains. Les jeunes, l’islam et la France , Éd. Complexe, 1998.

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    primo-migrants de confession musulmane ont privilégié une pra-tique religieuse discrète, strictement cantonnée à la sphère privée,les générations suivantes ont opté résolument pour une inscriptionde l’islam dans toutes les composantes de la vie quotidienne, ce

    qui comprend aussi bien la demande de construction de lieux deculte, la mise à disposition de carrés musulmans dans les cime-tières, la multiplication des boucheries « halal » et le respect desinterdits alimentaires dans les cantines scolaires.

    Il est vrai que jusqu’au début des années 70, peu de signescultuels apparaissaient dans les espaces urbains, les dimensionsindividuelle et collective de l’islam étaient refoulées dans les lieuxprivés ou intimes: habitations diverses, foyers, hôtels… Ce repli etcette retenue s’expliquent par le fait que la majorité de ces primo-migrants concevait l’installation en France comme provisoire ettransitoire, dans ce sens que l’optique du retour dans les paysd’origine continuait de structurer la vie en terre d’exil. De plus, cestravailleurs étrangers vivaient seuls en France, leur famille restantdans les pays d’émigration; ce n’est qu’à partir du moment où ceschefs de famille ont décidé de vivre en France, de requérir le regrou-pement familial pour leurs épouse et enfant(s) que leur statut change,évoluant de travailleurs étrangers à immigrés, ce qui les inscrit de fait

    dans une temporalité différente. Cet enracinement crée les conditionsd’un rapport avec les pouvoirs publics autour du regroupementfamilial; avec la venue des familles, les conditions de vie précairesdes travailleurs étrangers deviennent rapidement insupportables,des aménagements s’avèrent indispensables et les quelquesaccommodements ou entorses au respect des prescriptionsrituelles, admis en vertu d’un hadith du prophète mentionnant la tolé-rance accordée aux croyants en voyage, deviennent caducs. En effet,la recomposition des familles sur le territoire français induit un débutde sédentarisation incompatible avec les indulgences antérieures. Ilen ressort la multiplication des lieux de culte dans les espaces rési-dentiels, donc une visibilité croissante de l’islam. Perçue dans unpremier temps comme une menace ou un risque de trouble pourl’ordre public, cette prolifération des salles de prière inquiète et, dansun deuxième temps, intervient une phase de négociation avec lespouvoirs publics sur les autorisations et les moyens de financementnécessaires à l’exercice légitime de l’islam en France. Il convient de

    souligner à ce niveau deux difficultés majeures, la première concernel’absence de cadre légal permettant à des étrangers de s’impliqueractivement dans la gestion de structures associatives avant 1981, etla seconde a trait à l’absence de culture de négociation avec les pou-voirs publics sur l’édification et l’entretien des mosquées. Dans les

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    pays d’origine, qui sont des terres d’Islam, la construction d’unemosquée ne soulève, sauf exception, aucune polémique. La situa-tion particulière à laquelle sont confrontés les musulmans résidant enFrance va contribuer paradoxalement à accélérer leur intégration en

    raison de l’obligation pour eux d’engager des négociations sur leurplace dans la société française, sur leur aspiration légitime à disposerde lieux de culte décents sur le territoire national. À partir de 1981, lacréation de nombreuses associations cultuelles marque un tournantdans le rapport aux pays d’origine dans la mesure où les pratiquesde l’islam, encadrées par le principe de laïcité, requièrent des amé-nagements. Cette adaptation à leur environnement constitue, commele souligne Jocelyne Cesari, « une autonomie des fidèles par rapportaux institutions des pays d’origine »5, ce qui augure de l’évolution del’islam en France vers un islam de France.

    L’ISLAM S’INTÈGRE DANS LE CADRE DE LA LAÏCITÉ

    Dans le même temps, cette organisation et cette structuration parvoie associative des fidèles constituent une intégration des normesrégissant les rapports aux institutions politiques et administrativesfrançaises. L’émergence et la montée de revendications, parfois

    véhémentes, relatives notamment à la nécessaire construction demosquées, sont des signes forts d’assimilation, traduisant le pas-sage de la clandestinité au grand jour. Cette volonté affichée de sortirl’islam des pratiques souterraines ne peut que réjouir tous les répu-blicains, dans la mesure où cette visibilité renouvelle et actualise lestermes du débat autour de la laïcité, offre une reconnaissance à tousles Français de confession musulmane et incite les musulmans deFrance à revisiter les fondements de leur foi.

    Nombreux sont ceux qui déclarent avoir découvert l’islam sous

    un nouveau jour en raison des questions que suscite la pratiquequotidienne de leur religion en terre d’exil. En effet, un certainnombre d’aménagements, de dérogations et d’allégements sontprévus pour tous les croyants en voyage.

    L’expatriation provoque de fait une meilleure connaissance desrègles religieuses; la pratique religieuse fonctionne principale-ment par imitation, la culture religieuse est ainsi incorporée leplus souvent passivement, voire à l’insu des individus concernés.L’exil, par la situation nouvelle qu’il pose, en particulier lorsque lasédentarisation avance, incite le croyant à adopter une attitude

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    5. « Islam français: entre sécularisation et mode de vie », AGORA Débats/Jeunesses, n°9, Quecroient-ils aujourd’hui?, L’Harmattan, 1997, p. 46.

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    active, de compréhension et de reconstruction du sens. Pour saisirtoute la portée des allégements, encore faut-il comprendre lesprincipes de base. Dans ce contexte, le rôle joué par les imams estprépondérant. En tant que guides spirituels, les prêches sont

    considérés comme des orientations pour les fidèles. Une lecturemême superficielle des médias indique que ces imams se recrutentparmi les fondamentalistes, que leur sermon est empreint derelents intégristes et qu’ils sont partisans d’un islam belliqueux.

    Ces préjugés sont complètement balayés par une équipe dechercheurs qui, sous la direction de Moustapha Diop et pour lecompte de l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure(IHESI), institut du ministère de l’Intérieur, s’est penchée de 1999 à2001 sur le contenu de 48 sermons (Khotba) du vendredi. L’étudesystématique des sermons montre que les imams de France, àquelques rares exceptions près, prêchent pour un islam de tolé-rance et d’ouverture, bien loin des appels au djihad (guerre sainte).De plus, cet islam à l’accent moralisateur ne porte que rarement surdes thèmes politiques. La mosquée ne constitue donc en aucunemanière un lieu de rassemblement politique, fidèle en cela à l’espritde la laïcité.

    Aujourd’hui, pour les musulmans, l’enjeu consiste à confirmermassivement l’adhésion au principe de laïcité et de sécularité reli-gieuse, d’affirmer que la foi relève d’abord d’un choix personnel etnon pas d’une logique d’appartenance communautaire. Il appartientdonc aux pouvoirs publics de soutenir davantage les courants del’islam qui reconnaissent explicitement la suprématie des lois de laRépublique sur les lois religieuses, rejetant ainsi en bloc les parti-cularismes identitaires et les communautarismes. C’est dans cetteperspective que l’on peut considérer que la laïcité est une chancepour l’islam en France et que l’islam de France est une chance pourla laïcité.