actes sud-papiers conception graphique : thomas gabison

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Page 1: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison
Page 2: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

ACTESSUD-PAPIERS

Éditorial:ClaireDavid

Conceptiongraphique:ThomasGabison

©ACTESSUD/ThéâtredeSartrouvilleetdesYvelines-CDN,2013,2018.

ISSN0298-0592

ISBN978-2-330-02153-5

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Page 3: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

JoëlPOMMERAT

CENDRILLON

IllustrationsdeLeslieAuguste

HeyokajeunesseACTESSUD-PAPIERS

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Page 4: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

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Page 5: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

PERSONNAGES

Unenarratricedontonn’entendquelavoix

Unhommequifaitdesgestespendantqu’elleparle

Latrèsjeunefille

Lamère

Lepère

Labelle-mère

Lessœurs:lagrandeetlapetite

Lafée

Letrèsjeuneprince

Leroi

Deuxgardes

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Page 6: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

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Page 7: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

PREMIÈREPARTIE

SCÈNE1

LAVOIXDELANARRATRICE.Jevaisvousraconterunehistoired’ilyatrès

longtemps… Tellement longtemps que je ne me rappelle plus si dans cette

histoirec’estdemoiqu’ils’agitoubiendequelqu’und’autre.

J’aieuunevietrèslongue.J’aihabitédansdespaystellementlointainsqu’un

jourj’aimêmeoubliélalanguequemamèrem’avaitapprise.

Mavieaététellementlongueetjesuisdevenuetellementâgéequemoncorps

estdevenuaussi légeret transparentqu’uneplume.Jepeuxencoreparlermais

uniquementavecdesgestes.Sivousavezassezd’imagination,jesaisquevous

pourrezm’entendre.Etpeut-êtremêmemecomprendre.

Alorsjecommence.

Dansl’histoirequejevaisraconter,lesmotsontfailliavoirdesconséquences

catastrophiquessurlavied’unetrèsjeunefille.Lesmotssonttrèsutiles,maisils

peuventêtreaussitrèsdangereux.Surtoutsionlescomprenddetravers.Certains

motsontplusieurssens.D’autresmotsseressemblent tellementqu’onpeut les

confondre.

C’estpassisimpledeparleretpassisimpled’écouter.

Quand elle était encore presque une enfant, une très jeune fille qui avait

beaucoup d’imagination avait connu un très grand malheur, un malheur qui

heureusementn’arrivequetrèsrarementauxenfants.Unjour, lamèredecette

trèsjeunefilleétaittombéetrèsmalade,atteinted’unemaladiemortelle.Ellene

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sortaitplusdesachambre.Elleparlaitd’unevoixfaible,tellementfaiblequ’on

avaitdumalàcomprendrecequ’elledisait.Ondevaitsansarrêtlafairerépéter.

SCÈNE2

Lachambreàcoucherdelamère.

LATRÈSJEUNEFILLE.Disdonc,tuveuxpasteleveraujourd’hui!Çafait

dessemainesquet’escouchée!Tudoisenavoirmarre,non?Moij’enaimarre

entoutcas.

(Lamère,trèsfaible,murmurequelquesparolesincompréhensibles.)

J’entendspas…!Quoi?

(Lamère,idem.)

Excuse-moi, j’entendspasmamanceque tudis.Faudraitque tuparlesplus

fort…Jetel’aidéjàdit.

LAVOIXDELANARRATRICE.Alorsparfois,latrèsjeunefillesesentait

obligéedefairecommesielleavaittrèsbiencompris.

LATRÈSJEUNEFILLE.T’astoutletempsenviededormir,c’estçaquetu

asdit?

LAMÈRE(murmurant,quasimentinaudible).Machérieilfautquejetedise

quejevaisbientôtmourir.

LATRÈSJEUNEFILLE.Jelesaisça,quet’astoutletempsenviededormir.

LAMÈRE(inaudible).Chériejevaism’enaller…

LATRÈSJEUNEFILLE.Etquet’esfatiguée?

LAMÈRE(inaudible).Tusais,jevaism’enallerpourtoujours.

LATRÈSJEUNEFILLE.Etquetudorslejour?…Jelesaiscequetudis.

Tuveuxpasqu’onaillesepromenerplutôtquediscuter?

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Page 9: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

Untemps.Lamèresembledécouragée.Elledétournesonvisageetfermeles

yeux.

LAVOIXDELANARRATRICE.C’étaitpassimpledecommuniqueravec

samèreetçalafatiguait.Alorssouvent,ondemandaitàlatrèsjeunefilledela

laissersereposer…

Et puis un jour, on lui dit que c’était sans doute la dernière fois qu’elle la

verrait.Onluiditqu’elledevaitêtrebiencourageuseetquesamèrevoulaitlui

diredeschosesimportantes.Latrèsjeunefillepromitcettefois-làd’êtreencore

plusattentivequelesautresfois.

Lamèremurmurequelquesmotsàsafille.Latrèsjeunefillesepenchevers

elle.

LATRÈSJEUNEFILLE(trèsémue).Jevaisterépéterpourquetusoissûre

que j’ai bien entendu : “Ma petite fille, quand je ne serai plus là il ne faudra

jamaisquetucessesdepenseràmoi.Tantquetupenserasàmoitoutletemps

sansjamaism’oublier…jeresteraienviequelquepart.”

(Lepèredelatrèsjeunefilleentre.Ilentraînesafilleverslasortie.)

Maman, je te promets que je penserai à toi à chaque instant. J’ai très bien

comprisquec’estgrâceàçaquetumourraspasenvraietqueturesterasenvie

dansunendroitsecretinvisibletenupardesoiseaux.J’aitrèsbiencomprisque

sijelaissaispasserplusdecinqminutessanspenseràtoiçateferaitmouriren

vrai. Ne t’inquiète pas maman, je ne te laisserai pas mourir en vrai, tu peux

compter surmoi. Tous les jours, à chaqueminute et pendant toutema vie, tu

serasdansmespensées…N’aiepaspeur.

LAVOIXDELANARRATRICE.Onvousl’adit,cen’estpassûrquelatrès

jeune fille ait compris parfaitement bien les paroles de sa mère. Elle avait

beaucoup d’imagination et ce jour-là elle était très émue. Dans la vie, son

imaginationgalopaitparfoisàtoutevitessedanssatêteetluijouaitdestours.Ce

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quiestcertain,c’estquecettehistoiren’auraitpasété lamêmesi la très jeune

filleavaitentenduparfaitementcequesamèreluiavaitdit.

Mais vous le verrez, pour les histoires, les erreurs ne sont pas toujours

inintéressantes…

SCÈNE3

LAVOIXDELANARRATRICE.Lelendemain,lamèredelatrèsjeunefille

mourut.Àpartirdecejour,commeellecroyaitquesamèreleluiavaitdemandé,

latrèsjeunefillesepromitdeneplusjamaiscesserdepenseràelle.

Avant, la très jeune fille aimait beaucoup laisser son imagination prendre

possessiondesespensées.Maismaintenanttoutça,c’étaitbienfini.Elledevait

concentrer son esprit sur un seul et unique sujet : samère…seulement sur sa

mère.

Les premiers temps, c’était simple. Mais après quelques mois, un jour, il

arrivaqu’elleoublie.Ilarrivaqu’elleoubliependantquelquesinstants.Elleeut

trèspeur.Lelendemain,elledemandaàsonpèredeluiacheterunemontre.La

plusgrossepossible.Équipéed’unesonneriecommeunréveil.Pourcontrôlerle

temps.

À partir de ce jour, la très jeune fille devint très angoissée. Sa tête était

remplie de pensées de sa mère. Elle en débordait. C’était comme si elle

grossissait et même enflait. Parfois elle avait peur que sa tête éclate. Et elle

commençaàs’envouloir.Elledisaitquepenseràsamèreauraitdûêtrenaturel

etnonpasuneffort.

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SCÈNE4

Dansunemaisonenverre.

LAVOIXDELANARRATRICE.Unpeuplustard,lepèredelatrèsjeune

fille décida qu’il était temps de se remarier. Il avait rencontré une femme qui

avait deux charmantes jeunes filles. Elles habitaient toutes les trois dans une

maisontrèsparticulière.Cettemaisonétaitconstruitetoutenverre.Ouienverre.

SŒURLAGRANDE.Pourquoii’z’arriventpas?

LABELLE-MÈRE.J’ensaisrien!

SŒURLAPETITE.Peutpass’asseoir?

LABELLE-MÈRE.Non!Çafaitgrandir!

SŒURLAGRANDE.Elletevabiencetterobe!

LABELLE-MÈRE.Merci.

SŒURLAPETITE.T’asdelachancetoi,toutteva!

LABELLE-MÈRE.Oui,jesais!Hierencore,onm’aditlamêmechosedans

unmagasin!“C’estfou,àvoustoutvousva!Etpuisvousfaitessijeune!Vos

filles,sionsavaitpasquec’étaitvosfilles,onlesprendraitpourvossœurs!”

LESDEUXSŒURS.Onsait,tunousl’asditdéjà.

LABELLE-MÈRE.Onmeledittouslesjours!C’estpourça!C’estfatigant

àlalongue…Desfoismêmejemedemandesij’aimeraispasmieuxfairemon

âgecommelesautres!

(Àtraverslesparoisenverredelamaison,onvoitarriverlatrèsjeunefilleet

sonpère.)

Ahbentienslesvoilà,çayest,c’esteux!

SŒURLAGRANDE(àlabelle-mère).Maispourquoiilsarriventparlà?

LABELLE-MÈRE.Pastroptôt!

SŒURLAGRANDE.C’estlefonddujardin?!I’z’ontenjambélaclôtureou

quoi?

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SŒURLAPETITE.C’esteux?I’sontcommeça?

SŒUR LA GRANDE. Pourquoi i’z’ont pas pris l’entrée normale ? Sont

abrutis?

SŒURLAPETITE.C’estpaspossible,c’esteux?!

SŒURLAGRANDE(àlabelle-mère).Etlui,ilestcommeçamaman?Mais

ilestvieux,ilacinquanteansdeplusquetoiondirait!

LABELLE-MÈRE.N’exagèrepas!Ilestpasvieux,ilfaitsonâgec’esttout!

SŒURLAPETITE.I’nousvoientpas!

LABELLE-MÈRE.Oui,onvoitmalàl’intérieur,del’extérieur.

SŒURLAGRANDE(autéléphone).Allôoui,c’estmoi,jet’appellecomme

convenu,çayest,i’sontlà!Manquedepot,letypec’estlegenretrèsmoche.

SŒURLAPETITE.Lagosse,ondiraitqu’elleestdébile.

SŒURLAGRANDE(autéléphone).Ilapasl’airnonplusd’avoirinventéle

bocalàcornichons!

SŒURLAPETITE.Qu’est-cequiluiarriveàelle?Elleestbizarre!

SŒURLAGRANDE (au téléphone). Ils ont l’air vraiment étranges, ça fait

trèspeur!

Lepèreaperçoitlabelle-mèreàtraverslavitre.

LABELLE-MÈRE(faisantdessignesaupère).Coucou!Onestlà!

SŒURLAGRANDE(raccrochant).Jeterappelle.

LABELLE-MÈRE.Oui,bonsoir,onestlà…

LESDEUXSŒURS(faisantdessignes).Bonsoir.

LABELLE-MÈRE(avecdesgestes).Pourentrer,fautfaireletour!L’entrée

estcomplètementdel’autrecôté…!Là,vousêtesentrésparlemauvaiscôté.

Le père, qui n’a pas compris les explications de la belle-mère, continue à

fairelessignesdepolitesse.

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SŒURLAPETITE.Ilt’entendpas.

Lessœursrient.

LABELLE-MÈRE(avecdegrandsgestesexplicatifs).Jevousdisqu’il faut

faireletour!Faitesletour!L’entréeestdel’autrecôtédelamaison!Parlà!

(Lepèrenecomprendtoujourspas.)

Jevousdisquepourentrerilfautfaireletour,faitesletourparlà!

LESDEUXSŒURS(plusfort).Faitesletour!

LABELLE-MÈRE(deplusenplusagacée).Faitesletouronvousdit,c’est

pasvrai!

Lepèresembleavoircomprismaismontredansl’autredirection.

LESDEUXSŒURS(riant).Noooooooon!

LABELLE-MÈRE(trèsénervée).Maisnon,pasdececôté…!Del’autre,on

vousdit!

Lepèrepartdumauvaiscôté.

LABELLE-MÈREETLESDEUXSŒURS(ensemble).Nooooooooooon!

SŒURLAGRANDE.I’sonttropcons!

Lessœurss’esclaffent.

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LABELLE-MÈRE.C’estbon,jevaisleschercher,jecroisqu’ilsontdumalà

comprendre…

Ellesort.

SCÈNE5

Àl’intérieurdelamaisonenverre.Latrèsjeunefilleetsonpèreontrejoint

lestroisfemmes.Latrèsjeunefilleporteunpetitsacàdos.

LABELLE-MÈRE.Voilà,çac’estnotrechez-nous.Etcechez-nous,j’espère,

vabientôtdevenirvotrechez-vousàvousaussi!

LEPÈRE.Onvatoutfairepourçaentoutcas,jetepromets!

(Setournantverssafille:)Hein…t’esd’accord,Sandra?

Latrèsjeunefillenerépondpasetregardesamontre.Untemps.

SŒUR LA PETITE (se retenant de rire). T’as une grosse montre toi dis

donc!

LA TRÈS JEUNE FILLE. Oui, c’est pour surveiller le temps qui passe et

surtoutpasoublierdepenseràmamèrependant trop longtempsde suite.Elle

faitsonnerieenplus.

SŒURLAGRANDE.Ahbon?C’estquoicettehistoire?

LATRÈSJEUNEFILLE.Mamèrem’ademandédejamaisarrêterdepenser

àelle.

Sinon,sij’arrêtaisdepenseràellependantplusdecinqminutes,çalaferait

mourirpourdevrai.

LABELLE-MÈRE(crispée).Çac’estmarrantçacommehistoire!C’estjoli!

Lamontredelatrèsjeunefillesemetàsonner.Unemusiqueentêtante.

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LEPÈRE(riant).Ouais,c’estunpeuunehistoiredegosse!Jesaispasd’où

ellesortça!

LATRÈSJEUNEFILLE (àsonpère).Qu’est-ceque tu racontes toi ?T’es

débileouquoi?

LABELLE-MÈRE (outrée).Dis donc c’est comme ça que tu parles à ton

père?!Çavapaspouvoirsepassercommeçaicitusais!

(Petittemps.)

Bon, moi je voulais vous dire deux mots sur “votre” nouvelle maison très

moderne et un peu particulière dans laquelle vous allez vivre à partir

d’aujourd’hui. Cette maison, c’est une maison unique, non seulement parce

qu’elleestentièrementtransparenteetconstruiteenverre…

LEPÈRE.Oui,c’esttrèsétonnantettrèsmoderne.

SŒURLAPETITE.D’ailleurs,lesoiseauxn’arrêtentpasdes’écrasercontre

lesvitresdufaitqu’ilsvoientpasqu’yadesvitresjustement.

SŒURLAGRANDE.Etonramassetouslesjoursdesdizainesdecadavres

d’oiseauxmorts.

Pendantcetemps,latrèsjeunefillesortunalbumdephotosdesonsacàdos

etcommenceàleconsulter.Ellesedirigeverslesdeuxsœurs.

LABELLE-MÈRE.Nonseulementcettemaisonestenverre,maiselleaété

construiteparunarchitectemondialementconnu…Sonnomvapeut-êtrevous

direquelquechose…

LATRÈSJEUNEFILLE(montrantlesphotosdesonalbumauxdeuxsœurs).

Tenez, ça c’est une photo de ma mère quand elle était jeune. Elle avait les

cheveuxcourtsàcettepériode.Maisaprèselleatoujourseulescheveuxlongs!

Elledisaitqueçaluiallaitbeaucoupmieux.

(Àsonpère.)T’enpensaisquoitoiaufait?

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LEPÈRE.Tiens,rangecetalbumdanstonsacmaintenant!

La très jeune fille s’éloigne des deux sœursmais ne cesse de regarder ses

photos.

LABELLE-MÈRE(troublée).Qu’est-cequejedisais?

LEPÈRE.Tuparlaisdelapersonnequiaconstruitlamaisontoutenverre.

LABELLE-MÈRE. Oui, c’est quelqu’un de très moderne il a un nom très

compliquévousconnaissezpeut-être?Ils’appelle…

Ellecherche.

SŒURLAGRANDE.Commentils’appelle?

Latrèsjeunefillesedirigeànouveauverslessœurs.

LABELLE-MÈRE(trèsperturbée).Euh,jesaisplus…

LATRÈSJEUNEFILLE(montrantlesphotosdesonalbumauxsœurs).Ça

c’estuneautrephoto,jevouslamontreparcequeçamefaittropplaisirdevous

lamontrer,c’estunephotodemamèreetdemonpèrequandilsétaientvenus

mevoiràunspectacledefind’annéeàlamaternelle.

LEPÈRE(autoritaire).FermecetalbumSandra,c’estpaslemoment!

LA TRÈS JEUNE FILLE. Mon père avait dit en cachette pour pas que

j’entendequ’ils’étaitjamaisautantemmerdédesavie.

(Àsonpère.)Hein,tutesouviens?

(Auxautres.)Mamère ça la faisait rire quemonpèren’aimepasvenir aux

spectaclesdefind’annéedesgosses!

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(Àsonpère.)Non?

LABELLE-MÈRE (aupère).Tu peux pas faire quelque chose s’il te plaît,

c’estunpeuinsupportable,non?!

LATRÈSJEUNEFILLE(auxdeuxsœurs).Ahoui,etçac’estunephotoun

peuparticulière,unpeucochonne“olé!olé!”commeonditentremonpèreet

mamère.

Lepèresaisitl’albumdesmainsdelatrèsjeunefilleetlerangedanssonsac

àdos.

LABELLE-MÈRE(aupère).Merci.

(Àtous.)Voilà,àpartird’aujourd’hui,c’estungrandsoir,ungrandjourqui

commenceparcequenosdeuxfamillesvontessayerdesefondreetdesesouder

entreelles.

(Elles’interrompt.)

EtpuisSandrinetuvasposertonsacmaintenants’ilteplaît!

LATRÈSJEUNEFILLE(rectifiant).Sandra.

LABELLE-MÈRE.OuienfinSandra…ongardepassonsacàl’intérieurde

lamaison.

LATRÈSJEUNEFILLE.Non,j’aipastellementenvie.

LEPÈRE.Posecesacontedit!

LABELLE-MÈRE.Pourquoitucherchesàmecontredire,dis-moi?Etquetu

neveuxpasposercesac?

SŒURLAGRANDE.Elleestspécialecettegamine,disdonc?

LABELLE-MÈRE.Jetedemandepourladernièrefoisdeposercesac.

(Lamontredelatrèsjeunefillesemetàsonner.Mêmemusiqueentêtante.)

Làj’enpeuxplus.

(Elleexplose.)

Posecesacimmédiatement.

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Page 18: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LATRÈSJEUNEFILLE.Non.

LABELLE-MÈRE.Posecesac!

LATRÈSJEUNEFILLE.Non.

LABELLE-MÈRE.Posecesac!

LATRÈSJEUNEFILLE.Non.

SCÈNE6

Sous-soldelamaison.

La belle-mère et les sœurs font visiter à la très jeune fille sa nouvelle

chambre.Unepiècequasimentvide.Unlit.Unearmoire.Obscurité.

SŒURLAGRANDE(àlatrèsjeunefille).Avantc’étaitunecave,c’estpour

çaqu’iln’yapasdefenêtres.

LABELLE-MÈRE.Non,maisyadesmurs.

SŒURLAPETITE.Oui,quatremurs!

SŒURLAGRANDE.C’estdéjàpasmal!

Lessœurspouffentderire.

LABELLE-MÈRE.Ons’étaitdemandéavantquetuarrivessienattendantla

findestravaux,tuvoudraispasallerdormircesoiravectessœursdansunede

leurschambres?

LESDEUXSŒURS.Nonmaisçavapas!

LABELLE-MÈRE.Maisenyréfléchissantmieux,aprèsons’estditque tu

préféreraissansdouteavoirtonindépendanceetçadèslepremiersoir.

LESDEUXSŒURS.Benoui,c’estmieux!

LABELLE-MÈRE(àlatrèsjeunefille).Est-cequejemetrompe?

LATRÈSJEUNEFILLE.Pardon,c’étaitquoilaquestion?

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Page 19: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

Lepèreentredanslachambre.

LEPÈRE.C’estquoiici?

LESDEUXSŒURS.C’estlachambredeSandra.

Petittemps.Lepèresemblesurpris.

SŒURLAGRANDE(aupère).Avantc’étaitunecave,c’estpourçaqu’ya

pasdefenêtres.

SŒURLAPETITE.Maisyadesmurs.

SŒURLAGRANDE.Quatre.

SŒURLAPETITE.Etc’estbiensitué.

SŒURLAGRANDE.Aunord.

Lessœurspouffentderire.

LA BELLE-MÈRE (au père). L’état où tu vois cette chambre est un état

provisoireévidemment.C’estl’étatoùelleestparcequ’onapaseuletempsde

finirlestravauxnécessaires.C’estprovisoire.Fautquetuimaginescequeçava

pouvoirdevenirunjourquandlestravauxserontfinis.

LEPÈRE.Oui.

LABELLE-MÈRE.Çavadevenirunevraiechambre,unechambremoderne

enplus.

(À la très jeune fille.)Encoreplusbelle etplusmodernemême je croisque

cellesdetessœursquivontenêtretrèsjalouses.

(Auxsœurs.)Hein?

SŒURLAGRANDE(trèsironique).Brrrrrrjesuisjalousemoi,jesaispassi

jevaisarriveràdormir!

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Page 20: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LABELLE-MÈRE(aupère).Enplusc’estcher…

LEPÈRE.Ahbon…?

(À sa fille.) Va peut-être falloir faire un petit effort d’imagination pendant

quelquetemps,maisçaenvautpeut-êtrelapeine,tunepensespas?

LATRÈSJEUNEFILLE.Sisi,sansdoute.

LEPÈRE(auxautres).ElleestgentilleSandra!Elleestsimpleàvivre!Vous

verrez.

LABELLE-MÈRE (au père, agacée). Je crois surtout qu’on semoque pas

d’elle.

LEPÈRE.Nonmaisaupremierabordonsedemande…Ensuite…avectout

cequetum’asdit…c’estvrai…onseditquepeut-être…

LABELLE-MÈRE (deplus enplus agacée).“On se dit que peut-être.” Tu

pourraispeut-êtreêtreunpetitpeuplusenthousiasteavectousleseffortsqu’on

faitpourvousaccueillirtafilleettoi!Çafaitvraimentplaisir,merci.

LEPÈRE.Jem’excuse,c’estpascequejevoulais…

LABELLE-MÈRE(explosant).Bonben,tais-toialors.

(Àlatrèsjeunefille.)Etqu’est-cequetuenpenses,toi?Tudisrien!Çate

plaît,çateconvient?

LATRÈSJEUNEFILLE.Detoutefaçon,jeméritepasd’avoirdetropbelles

affairesàmoi.Jecroisqueçavamefairedubiendemesentirunpeumal!Ça

vamefaireunpeulespieds!

SŒURLAGRANDE.Qu’est-cequ’elleraconte?

LEPÈRE.Jesaispas,c’estundéliredegosse.

LATRÈSJEUNEFILLE(aupère).L’importantpourmoi,c’estquejepuisse

avoirlecorpsdemamanavecmoipourdormiraveclarobedumercredidessus.

LABELLE-MÈRE(aupère).Tupeuxm’expliquer?

LEPÈRE (àsa fille).Je t’aiditqu’onenparleraitplus tarddeça,maispas

maintenant!C’estpasvrai!Tum’énervesSandra!

LESDEUXSŒURS(l’imitant).“Tum’énervesSandra!”

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Page 21: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

Hurlementsdelasœur(lagrande).

LABELLE-MÈRE(sursautant,àsafille).Qu’est-cequ’ilya?

SŒUR LA GRANDE (effrayée). J’ai vu une araignée sur ma chaussure,

énormegrossecommeunebrosseàcheveux!Avecdeuxyeuxquimefixaient

fixementdanslesyeux.

LEPÈRE(trèsinquiet).Ahbon?

LABELLE-MÈRE. Les araignées ne mangent pas les enfants, par contre,

ellesmangentlesmouchesetc’esttrèsbienparcequelesmouchesçaempêche

dedormirlanuit!

SŒURLAGRANDE(sortant).Bonbenmoij’yvais.

SŒURLAPETITE(sortantaussi).Moiaussi.

(Sontéléphonesonne.)Allô!Attends,jevaisteraconter.

LABELLE-MÈRE (à la très jeune fille).Ben nous aussi, on va te laisser

alors,tudoisêtrebienfatiguée,c’étaitunegrandejournéedisdoncpourtoi!

Ellecommenceàsortir,lepèrelasuit.

LEPÈRE(àsafille).Jerepassetevoirtoutàl’heurepourvoirsitumanques

derien.Àtoutdesuite.

Ilssortent.Latrèsjeunefilleestseulemaintenantdanssachambre.

SCÈNE7

Quelquesheuresplustard.Lanuit.Aumêmeendroit.

Obscuritécomplète.

Latrèsjeunefilleestcouchéedanssonlit.Elleapeur.

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Page 22: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

Poursedonnerducourage,ellechantelachansonde“L’empereur,safemme

etlepetitprince”.

“Lundimatin, l’empereur, sa femmeet le p’tit prince, sont venus chezmoi,

pourmeserrerlapince…”

LA VOIX DE LA NARRATRICE. Cette première nuit dans sa nouvelle

chambreprovisoire,latrèsjeunefillenesesentaitpasbiendutout.

SCÈNE8

Plustard,danslescouloirsdelamaison.

Lepèredelatrèsjeunefilleentre,avecdanslesbrasunmannequindefemme

revêtud’unerobedesoirée.Labelle-mère,quil’attendait,lesurprend.

LABELLE-MÈRE.Tuvasoùcommeça?

LEPÈRE.Ah,c’esttoi?

LABELLE-MÈRE.Oui,c’estmoi!T’asl’airsurprisdemevoirondirait.

LEPÈRE.Non!

LABELLE-MÈRE.Bensiondirait!

LEPÈRE.Jepensaisquetudormais!C’estpourça!

LA BELLE-MÈRE. Ben oui, je dormais mais je dors plus, tu vois ! J’ai

entendudubruit!Çam’aréveillée!Alorsjemesuislevée.

LEPÈRE.C’estbête.

LABELLE-MÈRE.Benouic’estbête.

(Désignantlemannequin.)Tupeuxmedirecequetufaisàrôderàuneheure

pareilleavecça?

LEPÈRE(commeétonné).Avecça?

LABELLE-MÈRE(insistant).Ouiça!

LEPÈRE.Ahça!

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Page 23: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LABELLE-MÈRE.Ouiça!

LEPÈRE.Çac’estrien!

LABELLE-MÈRE.C’estrien?Etqu’est-cequetufaisavec“rien”àtraîner

lanuitdanslescouloirs?

LEPÈRE.…

LABELLE-MÈRE.Turépondspas?

(Désignantlemannequin.)Jetedemandec’estquoiça?

LEPÈRE(jouantl’incompréhension).Ça?

LABELLE-MÈRE(insistantencore).Ouiça!

LEPÈRE.Ahça.

LABELLE-MÈRE(exaspérée).Tumeprendsvraimentpouruneidiotetoi!

LEPÈRE.Ahmaisça,c’estunerobec’esttout!

LABELLE-MÈRE.Çac’estunerobec’esttout?!Unerobeàqui?

LEPÈRE.Commentçaàqui?

LABELLE-MÈRE.Oui,àqui?

LEPÈRE.Ah!…Àsamère!

LABELLE-MÈRE.Samèreàqui?

LEPÈRE.SamèreàSandra.

LABELLE-MÈRE(explosant).SamèreàSandra?Tuasgardéunerobede

lamèredetafilleavectoiettul’asemmenéeici!Unerobedetonex-femme!

Ettulapromènesavectoidanslescouloirs?!Lanuit!Serréecontretoi!

Lepèreposelemannequin.

LEPÈRE.Maisnon.

LABELLE-MÈRE.Maisnonquoi?

LEPÈRE.Maisnon!

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Page 24: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LABELLE-MÈRE(l’imitant).“Maisnon!”ettulatransportesoùcetterobe

detafemme?!

LEPÈRE.Jel’emmènejustedanssachambre!

LABELLE-MÈRE.Danssachambreàqui?

LEPÈRE.DanssachambreàSandra.

LABELLE-MÈRE.Vousvousréunisseztoiettafilledanssachambreavec

larobedetafemmedécédée?

LEPÈRE (serapprochantde labelle-mère).Jevais t’expliquer, tuvasvoir

c’est simple…Cette robe c’est tout simple, pour elle, pour Sandra… c’est sa

mère!

LABELLE-MÈRE.Pourtafille,cetterobec’estsamère?!

LEPÈRE.Oui!Cheznous,elleavaitl’habitudedel’avoiravecelledanssa

chambre,çal’aideàdormir!C’estdestrucsdegossesça!C’estpasgrave!Ça

valuipasser!Après,ellenouslaisseratranquilles,tuvois!Elleferasapetitevie

avecsamère…aveclarobedesamèreetvoilà!C’estpournousquejefaisça

enréalité!Pourqu’onseretrouvenous!Nousdeux!

Untemps.

LABELLE-MÈRE.Jamais!

LEPÈRE.Quoijamais!

LABELLE-MÈRE.Jamaistonex-femmeneviendradansmamaison!

LEPÈRE.Maiselleestmorte.

LABELLE-MÈRE.Çam’estégal!Ilesthorsdequestionqu’ellehabitechez

moi!C’esttout.

(Latrèsjeunefillesurgitdanslecouloir,sesaisitdumannequinetsorttrès

rapidementavec.Lepèreetlabelle-mèren’ontpaseuletempsd’intervenir.Ils

24

Page 25: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

ontl’airsidérés.)

Qu’est-cequis’estpassé?C’estquoiça?

LEPÈRE.C’estSandra.

LABELLE-MÈRE.C’estSandraquoi?

LEPÈRE.Quiestentrée…etquiaemmenélarobe.

LABELLE-MÈRE.Benouij’aibienvu!Etqu’est-cequetufais?

LEPÈRE.Qu’est-cequejefais?

LABELLE-MÈRE.Qu’est-cequetufais?

LEPÈRE.Jevaisréfléchir.

LABELLE-MÈRE.Tuvasréfléchir?

LEPÈRE.Oui.

LABELLE-MÈRE.Tuvas immédiatementallercherchercette robedans la

chambredetafille,tularemontes,tulajettesdanslejardinettulabrûles.

LEPÈRE.Jelabrûle?

LABELLE-MÈRE.Çateposeunproblème?

LEPÈRE.JamaisSandraneserad’accord.

LABELLE-MÈRE.Jetedemandepasdedemandersonavisàtafille.Tuvas

allerluireprendrecetterobe,tuluidisquetuluirapporteras,qu’onvalaréparer

parce qu’elle l’avait abîmée, sa mère, cette robe… ou n’importe quelle autre

saladequ’onraconteauxenfantsmaistutedépêches!

LEPÈRE.C’estpassimple.

LABELLE-MÈRE.Ahbennon,c’estpassimpledeseconduirecommeun

adulte avec ses enfants, voilà, tu réfléchis, tu choisis : ton ex-femme ou bien

moi?Tavieicioubienailleurs,voilàc’estclair!Àtoidedécider!

…Alors?

LEPÈRE.J’yvais.

LABELLE-MÈRE.Trèsbien.Jet’attendsenhaut,danslejardin.

25

Page 26: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

Lepèresortendirectiondelachambredesafille.Labelle-mères’envadu

côtéopposé.

SCÈNE9

LAVOIXDELANARRATRICE.Aprèsquesonpèreestvenuluireprendre

la robe qui avait appartenu à sa mère, la solitude de la très jeune fille était

devenueencoreplusdifficileàsupporterqued’habitude.Alors,cequ’elles’était

empêchéedefairedepuisdesmois,ellelerecommença.

(Temps.)

Elle se laissa aller à imaginer des histoires qui la réconfortaient, qui la

faisaientsourireetqu’elleprojetaitsurlesmursautourd’elle.Maisauboutd’un

temps incertain, la très jeune fille se rendit compte que sa montre avait

dysfonctionnéetqu’ellen’avaitpassonné.Ellen’avaitpeut-êtrepaschangé la

pile.Emportéeparsonimagination,elleavaitoubliéencoreunefoisdepenserà

samère.

Aucunreprochen’auraitétéàlahauteurdelacolèrequ’elleressentaitcontre

elle-même. Elle aurait aimé que quelqu’un puisse la punir et qu’elle souffre

atrocement.Maisquellepunitionseraitàlahauteurducrimequ’elleavaitpeut-

êtrecommiscettenuit-là?

SCÈNE10

Lelendemain.

La famille est réunie.Labelle-mère tientunpetit papierà lamain.La très

jeunefilleal’airsombre.

LA BELLE-MÈRE. Dans cette maison donc, depuis toujours, les enfants

aidentauxtâchesménagèresetparticipentàdestravauxsimplesderangementet

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Page 27: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

denettoyage.Ilsaidentlafemmedeménage.

LEPÈRE.Ahbon?

LESDEUXSŒURS.Ouiabsolumentetonaimebiença.

LEPÈRE.Ahbenc’estbien.

LESDEUXSŒURS.Oui.

LA BELLE-MÈRE. Et ce matin, j’aimerais qu’on parle de cette nouvelle

répartitiondestâchesentrevous.

SŒURLAPETITE.Super!

LA BELLE-MÈRE (à ses filles). Alors voilà, j’ai réfléchi à une juste

répartition parce que c’est important évidemment que tout ça soit juste et

équitable,évidemment.

LEPÈRE.Évidemment.

LA BELLE-MÈRE (consultant son papier, à ses filles). Alors voilà, tout

d’abord,encequivousconcerne,j’aipenséquevousdeuxvouspourriezàpartir

demaintenant aider la femmedeménage à ranger votre linge propre dans les

tiroirsdevosarmoires.

LESDEUXSŒURS(surprises).Ahbon?

LABELLE-MÈRE(fermement).Oui,c’estcommeça.

(Àlatrèsjeunefille.)EttoiSandra,j’aipenséquetupourraisaiderlafemme

de ménage à changer les pou-belles des différents sanitaires, salles de bains,

buanderie, cuisine et aider à porter tout ça ensuite dans le local à poubelle du

jardin.

Tuesd’accord?

LATRÈSJEUNEFILLE.Changerlespoubelles?Ouijesuisd’accord!Ah

oui,c’esttrèsbiença.

LEPÈRE.Voilàtrèsbien…c’estgentil!Net’inquiètepas,elleestsimpleet

gentille,Sandra.

LATRÈSJEUNEFILLE(àsonpère).Qu’est-ceturacontestoi?Jesuispas

dutoutgentille!Silesgenspouvaientvoircommentjesuisvraimentenvrai,i’

diraientpasquejesuisgentille!

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Page 28: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LEPÈRE.Tais-tois’ilteplaîtSandra,arrêtedediren’importequoi.

LABELLE-MÈRE.Bon,trèsbien,ensuitejeproposequevouslesfilles,vous

aidiezlafemmedeménagependantqu’elles’occupedelacuisine.

LESDEUXSŒURS.Ahbon?

LABELLE-MÈRE.Héoui.

SŒURLAPETITE.C’estpasdestâchescommeçaqu’onfaisaitavant.

SŒURLAGRANDE.Maisc’estdégoûtantd’alleràlacuisine,c’estpleinde

gras,ont’adéjàditqu’onaimaitpasfaireça,lagraisseincrustéedanslefourpar

exemple,çadonneenviedevomirtellementc’estdégueulasse.

LABELLE-MÈRE.Hébien,ondiscutepas.

(Latrèsjeunefillelèvelamain.)

Ouiquoi?

LATRÈSJEUNEFILLE.Siçaleurposeunproblèmeàelles,jecroisqueje

vaisbienaimerça,denettoyerlegrasdelacuisinière,raclerlegrasdufour,je

croisquejevaisaimerça.Çavamefairedubiendefaireça.Enpluslagraisse

etlegrasdanslefour,jelesaidéjàfaitunefois…C’estvraimentdégoûtant.Ma

mère était sortie, je sais pas pourquoi jem’étaismise à le faire, mamère en

rentrantellem’avaitdit…

LEPÈRE(avecungesteendirectiondesafille).Arrête!

LATRÈSJEUNEFILLE(nepouvants’empêcherderaconter).Elleétaitfort

énervéecejour-là…

(Lepèrefaitsigneàsafilledesetaire.Ellesetaitpuisellereprend.)

C’étaitrarepourtantqu’elles’énervemamère…

Lepèrefaitungestedemenaceàsafille.

LABELLE-MÈRE(explosant,àlatrèsjeunefille).Maisqu’est-cequ’ont’a

dit tout à l’heure ?! On ne parle plus de tamère ici, on en parle plus ! Plus

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Page 29: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

jamais!Ons’enfoutdetamère!Ons’enfoutqu’elleétaitgentille!Çasuffit

avectamère!Çasuffit!Çasuffit!

LEPÈRE.Qu’est-cequ’ont’adittoutàl’heure,Sandra!

LATRÈSJEUNEFILLE.Ahoui,c’estvrai!J’avaisoublié.

Untemps.Lamontredelatrèsjeunefillesemetàsonner.Mêmemusiqueque

d’habitude.

LA BELLE-MÈRE (à la très jeune fille, avec une colère froide). Tu vas

t’occuperde la cuisine !Racler la cuisinière !Et le four aussi !T’occuperdu

grasdanslacuisine!

LATRÈSJEUNEFILLE(commesatisfaite).Merci!Trèsbien.

LABELLE-MÈRE.Àlaplacedelafemmedeménage.

LATRÈSJEUNEFILLE.Merci.

Untemps.

LABELLE-MÈRE.Oùj’enétais?

(Aux sœurs.) Vous ! Une fois par mois, vous trierez les magazines

publicitairesquis’entassentsouslatélévision.

SŒURLAPETITE.Aveclafemmedeménage?

LABELLE-MÈRE.Oui.

LATRÈSJEUNEFILLE (assez bas,mais audible).Mamère, les journaux

publicitairesellelesjetait.

Lepèrefaitsigneàsafilledesetaire.

LABELLE-MÈRE (à la très jeune fille). Et toi tu ramasseras les oiseaux

mortsquis’écrasentcontrelesvitresdanslejardinetquis’entassentparterre.

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Page 30: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LATRÈSJEUNEFILLE (satisfaite).Trèsbien, çac’estbien, jevais aimer

faireçaramasserlescadavresd’oiseaux,çavamefairedubienderamasserdes

oiseauxmorts,avecmesmains.

(Unpetittemps.)

Mamère,elleaimaitbienlesoiseaux.

Lepèrefaitsigneàsafilledesetaire.

LA BELLE-MÈRE (à la très jeune fille). Tu nettoieras les cuves des

sanitaires,lescuvesdesseptsanitairesdestroisétages.

LATRÈSJEUNEFILLE (satisfaite).Je croisque jevais aimer faire ça les

cuvesdesseptsanitaires,çavamefairedubiendenettoyer lescuvesdessept

sanitaires.

LABELLE-MÈRE.Voilà.

LEPÈRE(àlabelle-mère).Çavapeut-êtreallercommeça?!

Untemps.

LA TRÈS JEUNE FILLE (au père).Tu te souviens, maman, elle détestait

faireçalessanitaires?

Lepèreal’airaccablé.

LA BELLE-MÈRE (de plus en plus violente, à la très jeune fille). Et tu

nettoieras les lavabos et les baignoires de toute lamaison, tu les déboucheras

aussi, partout où ils sont encombrés et bouchés, surtout dans la chambre des

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Page 31: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

filles, tu retireras les touffes de cheveux, les touffes de mèches de cheveux

emmêlésetmélangésaveclacrasse.

LEPÈRE(àlabelle-mère).Çavaaller!

LATRÈSJEUNEFILLE.Oui,çaaussi,jecroisquejevaisaimerça,retirer

lescheveuxdeslavabos,c’estdégueulasse,çavamefairedubien.

LABELLE-MÈRE.Parfait.

LATRÈSJEUNEFILLE.Enplus,mamèreelle avait les cheveux longset

elleenmettaittoujourspartout.

Lepère,dépassé,sembledésespéré.

LA BELLE-MÈRE. Voilà. Et ça c’est une première répartition des tâches

pour commencer et démarrer la nouvelle organisation des choses pratiques ici

danscettemaison,oncontinueraçaunpeuplustard.

Ellesort,suiviedesesdeuxfilles.Lepèreallumeunecigarette.

LEPÈRE(àsafille).Tucomprends,jesaisquetuesenâgedecomprendre

leschoses,tudeviensunegrandefille,ilfautquetuessayesdemecomprendre

unpetitpeu,ilfautquetum’aides.

Tusais,j’aiuneviemoiaussi,jenepeuxpasvivredanslepassétoutemavie.

Je suis encore jeune, je veux être heureux, j’ai envie de tourner la page, j’ai

enviederefairemavie,derecommencerunenouvellevie…Ilfautquetufasses

deseffortsetquetucomprennesça,s’ilteplaît,sinonçanemarcherapas.

Onentendlabelle-mère:“Etalorsqu’est-cequetufaistoi,tuviens?J’aià

teparler.”Lepère, surpris et effrayé, tendbrusquement sacigaretteà la très

jeunefilleetsortrejoindrelabelle-mère.Latrèsjeunefilleécraselacigarette

surlasemelledesachaussure.

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Page 32: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

SCÈNE11

Danslabuanderie.

Lesdeuxsœurssontassisesprèsd’unemachineàlaver.

LA VOIX DE LA NARRATRICE. Plusieurs semaines passèrent. La très

jeune fille acceptait tout ce qu’on lui demandait de faire dans lamaison sans

jamais discuter. Ça rendait son père de plus en plus nerveux.Alors il fumait.

Beaucoup.Encachettedesafuturefemme.

SŒURLAPETITE(occupéeavecsontéléphone).Fuckfuckfuckfuck!

SŒURLAGRANDE (parlantau téléphone).Maisnon,c’esthorrible,c’est

complètementinjuste,onestquasimentenesclavage.Jesaispascequ’onafait

pourmériterça,çaadébloquéd’uncoupdanslatêtedemamère,ondirait!Je

terappelle…

Elleraccroche.

SŒURLAPETITE.Fuck.

SŒUR LA GRANDE. On est revenues au temps de la galère. On se fait

exploiterlà.

SŒURLAPETITE.Fuck.

Latrèsjeunefilleentre.Elleporteunegrandepanièredelingepropre.

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Page 33: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

SŒURLAGRANDE.SalutSandra!

SŒURLAPETITE.Hé,t’aspasl’heure?

(Latrèsjeunefilles’arrête,regardesamontre.Lasœurpetiteàlagrande.)

Héondiraitqu’ellesentlacigarette…

(Àlatrèsjeunefille.)Tufumesouquoi?

LATRÈSJEUNEFILLE.Maisnonjefumepas.

SŒURLAGRANDE.On va le dire à ton père si tu fumes, il va pas être

contentdesavoirquesafilleestdevenuedroguée.

SŒURLAPETITE(pouffantderire).Sandra…Cendrier!

SŒURLAGRANDE (pouffant de rire).T’es déjà levée ou t’es pas encore

couchée,Cendrier?

SŒURLAPETITE.Tut’esoccupéedespoubellescesoir?

LATRÈSJEUNEFILLE.Benoui,c’étaitlesoirducamionquipasse.

SŒURLAPETITE.Fautselaverdetempsentemps,Cendrier.

SŒUR LA GRANDE. La vieille clope et les vieilles poubelles en même

tempsc’estpasterriblecommemélange.Oùtuvasmaintenant?

LATRÈSJEUNEFILLE.Jevaisrangerçadanslesarmoires,c’estrepassé!

Aprèsj’aiencoreuntrucàfaire,ensuitejevaismecoucher.

Latrèsjeunefillesegrattelatête.

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Page 34: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

SŒURLAGRANDE.Arrêtedetegratter.

SŒURLAPETITE(àlatrèsjeunefille).C’estnerveux?

SŒURLAGRANDE(simulantunappeltéléphonique).Allôoui?Ahbon?

OK,jevouslapasse…HéCendrierc’estquelqu’unpourtoi!

LATRÈSJEUNEFILLE.Ahbon?

SŒURLAGRANDE.C’est quelqu’unque t’as pas eu au téléphonedepuis

longtempsi’paraît…

(Untemps.)

C’esttamère,tulaprends?

LATRÈSJEUNEFILLE.…

SŒURLAGRANDE.Tulaprendspas?

SŒURLAPETITE.C’estpassympa!Elleappelledevachementloin,c’est

cherlacommunication!

Ellespouffentderire.

SŒURLAGRANDE(simulanttoujourslaconversationtéléphonique).Allô

oui?Quoi?Ahbon?

(Àlatrèsjeunefille.)Ahbennon,finalement,elleveutpasteparler…Elledit

qu’elleaautrechoseàfaireenfaitlà,maintenant…

(Latrèsjeunefillerestefigée.)

Bon,laisse-nousmaintenant,onaduboulot.

SŒURLAPETITE.Ondoit actionner leboutond’ouverturede lamachine

quandelleseraterminée.

LATRÈSJEUNEFILLE.C’estçaleboulotquevousavezàfaire?

LESDEUXSŒURS.Ouietalors?!

LA TRÈS JEUNE FILLE. C’est moi qui dois étendre le linge qui est à

l’intérieur,jepeuxactionnerleboutonàvotreplacesivousvoulez.

SŒURLAGRANDE.Tuferaisçapournous?

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Page 35: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

SŒURLAPETITE.T’estropgentille!

LATRÈSJEUNEFILLE(fermement).Maisnon,jesuispastropgentille!

SŒURLAGRANDE.Entoutcas,merciquandmême.

SŒURLAPETITE.Onterevaudraça!

SŒURLAGRANDE.SalutCendrier!

SŒURLAPETITE.Etvas-ydoucementavecla…

Ellefaitlegestedefumer.

Lesdeuxsœurssortent.Labelle-mèreentre.

LABELLE-MÈRE(àlatrèsjeunefille).T’esencorelàtoi!Qu’est-cequetu

fais làcommeça, inerte?Ondiraitunpoissoncrevéqui flotteà lasurfacede

l’eau ! Il est où ton père, il est pas là ? Tu rêvasses ? Faut arrêter avec les

rêvasseries, fautentrerdans lavie réellemapetite fillemaintenant !Qu’est-ce

quetutetiensmalenplus,c’estpaspossible!T’asvucommenttutetiens?On

dirait unemémé, pas une jeune fille ! T’es négligée, tu sais ça ? Tu fais pas

attention à ton apparence ! T’as vu comme t’es voûtée ! On dirait que t’as

quatre-vingt-dix ans ! Fais des efforts ! Déjà tiens-toi droite ! Trouve une

prestance!Metsdel’énergieentoi!Lerestesuivrapeut-être!Ondevrapeut-

êtret’installerquelquechosedansledos,tusaisça?!Siçacontinue!Untruc

quit’empêchedegrandirdetravers!Jedisça,c’estpourtonbien!Sinontuvas

ressembleràunemémédansdeuxans!

Tusais,c’estimportantpourunefemmedeprendresoindesonimage!C’est

avecçaqu’elleavancedanslavieunefemme,unefemmemoderne!

Tuvasdevenirunefemmebientôt…T’asconsciencedeça?!Regarde-moi!

Tumedonnesquelâgeàmoiparexemple!?

(Latrèsjeunefillemurmurequelquechose.)

Comment?J’aipasentendu!

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Page 36: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

Hébienmoijemetiens!C’estcommeuneposturelàdansmatête!Jerefuse

demelaisseraller!Jerefusedevieillir!Jerefusedefairecommelesautres!Je

mebats!C’estpourçaqu’onmeditque jenefaispasmonâge!Etquemes

fillespourraientêtremessœurs!Onlesprendpourmessœurs!Sansarrêt!Je

suisjeuned’abordlà!Là-dedans.

(Ellemontresatête.)

Jem’efforcederesterjeunelàetc’estpourqueçatranspireàl’extérieur,dans

moncorpsetquelesautreslevoient.

SŒURLAGRANDE (entrant, suiviedesasœuret s’adressantàsamère).

Héyaunproblème,ondirait.

LABELLE-MÈRE(àlatrèsjeunefille).Tucomprendscequejetedis?Ou

pas?

SŒURLAPETITE(àsamère,insistante).Yaunproblème.

SŒURLAGRANDE.Yaungrosproblème.

LABELLE-MÈRE(àlatrèsjeunefille).Tucomprendspas,ondirait?

SŒURLAPETITE(àsamère).Jeviensdemegratterlatête.

SŒURLAGRANDE.Ellevientdesegratterlatêteàl’instant,deuxfoisde

suite.

LABELLE-MÈRE(àsesfilles).Etalors?

SŒURLAGRANDE.Ben,onavuCendriersegratter toutàl’heure,ellea

desbêtesdanslescheveuxçasetrouveetellenouslesarefilées.

LA BELLE-MÈRE (à ses filles). Arrêtez vos délires ! Je suis en train

d’expliqueràCendrier…àSandraqu’ondiraitunemémétellementellesetient

mal!Etqu’ellesenéglige.Tenezpuisquevousêteslà…

(Elleseplaceàcôtédelatrèsjeunefille.)

Sijememetslà,àcôté,là,imaginezquevousnenousconnaissezpas,vous

nouscroisezdanslarue,vousnousvoyezarriver…Vouspensez…Quoi?Qui

faitplusjeune?

SŒURLAGRANDE.Bentoic’estsûr!

LABELLE-MÈRE(àlatrèsjeunefille).Tuvois,qu’est-cequejetedisais!

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Page 37: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

Même si ça me flatte et que ça devrait pas ! C’est quand même grave d’en

arriverlà,tunecroispas?Tuterendscompte?…Fautfairequelquechoselà

non?T’asquelâge?

Latrèsjeunefillesegrattelatête.

SŒURLAPETITE.Elles’estgrattéeencore,jel’aivu.

(Àsamère.)T’asvuoupas?

SŒURLAGRANDE (à sa sœur).Viens, on va à la salle de bains, on va

regardertatête.

SŒURLAPETITE (prise depanique).Ohnon, c’est pas vrai, je veux pas

queçam’arriveàmoi!Pasàmoi!Pasmaintenant!Jesuistropjeune!Jesuis

troppure!J’airienfaitpourmériterça.

Ellessortent.

LABELLE-MÈRE (à ses filles).Arrêtez de paniquer, y a pas de bêtes à la

maison.

(Àlatrèsjeunefille.)Bon,qu’est-cequej’étaisentraindetediredéjà?

LATRÈS JEUNEFILLE.Que je fais vieille !Qu’il faudrait faire quelque

chose!

LABELLE-MÈRE.Ahoui!

On entend des hurlements provenant de la salle de bains. La belle-mère

regardelatrèsjeunefilled’unautreœil.Latrèsjeunefillesegrattelatête.La

belle-mèreaunbrusquemouvementderecul.

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Page 38: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

SCÈNE12

Lafamilleestréunie.Lepèreestentraindefermerlecorsetorthopédiquequi

enveloppesafilledelatailleaumenton.

LABELLE-MÈRE(àlatrèsjeunefille).C’estpourtonbien,c’estçaquetu

doistedire!

LEPÈRE(àsafille).Çateserrepasunpeu?

LATRÈSJEUNEFILLE(docile).Siçameserre!

LEPÈRE.Tuveuxquejedesserre?

LATRÈSJEUNEFILLE.Non.

LABELLE-MÈRE.Ellearaison,lemédecinadit“serré”!C’estpourqueça

latienne.

LEPÈRE.“Serré”maispas“tropserré”.

SŒURLAGRANDE.Qu’est-cequ’ilfaitchiercelui-là?!Siçaluiconvientà

elle!

LEPÈRE(àsafille).Çateconvientàtoicommec’estserré?

LATRÈSJEUNEFILLE.Oui,çameconvient!

LABELLE-MÈREETLESDEUXSŒURS(aupère).Benalors!

SŒURLAGRANDE.Qu’est-cequ’i’faitchier!?

LEPÈRE.C’étaitjustepourm’assurerqueçaallait!

SŒURLA PETITE (imitant le père). “C’était juste pourm’assurer que ça

allait.”

LA TRÈS JEUNE FILLE. Est-ce que je peux y aller ? Je dois finir les

sanitaires,ilm’enresteun.

LEPÈRE.Benoui,tupeuxyaller.

LABELLE-MÈRE.Vas-y.

LATRÈSJEUNEFILLE.Merci.

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Page 39: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

Elle sort. Le corset a l’air de la gêner pour marcher. Les deux sœurs se

moquentd’elle.

LABELLE-MÈRE(aupère).Fauttedirequec’estpoursonbien!Ellepeut

passerendrecomptepourlemoment!Ellenousdiramerciensuite.

Latrèsjeunefillerevient,enblousedetravail.

LATRÈSJEUNEFILLE.Ondirait qu’il y a un souci avecun sanitaire du

rez-de-chaussée,c’estcommes’ilétaitbouché.

LEPÈRE.Bonbentulaisses,onvaappelerquelqu’un.

LATRÈSJEUNEFILLE.Jepeuxessayerdevoircequ’ya,j’aidesoutils.

LEPÈRE(agacé).Nontulaisses!Tulaissesçaàunprofessionnel!

Latrèsjeunefilleressort.

LABELLE-MÈRE(aupère).Tafille,situlalaissestecommander,c’estelle

quivatedonnerdesordres!Ondiraitpascommeça,maisellesaitcequ’elle

veutcettegamine!

Onentenddescoupssurlatuyauteriepuisuneexplosion.Latrèsjeunefille

revient dégoulinantede l’eau saledes toilettesbouchées. La belle-mère et ses

fillespoussentdescrisdedégoûtets’enfuient.

SCÈNE13

Quelquetempsplustard.Danslachambredelatrèsjeunefille.Lanuit.La

trèsjeunefillenedortpas.Elleestassisesursonlit.

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Page 40: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LAVOIXDELANARRATRICE.Latrèsjeunefilleétaittellementfatiguée

qu’elle en oubliait de manger et qu’elle maigrissait, mais jamais elle ne se

plaignait. Certains travaux étaient simples mais d’autres la répugnaient et

l’écœuraienténormément.Jusqu’oùçairaitcommeça?

Située à côté du lit de la très jeune fille, l’armoire se met à trembler, à

basculer,etfinalementserenverse.Unefemmeàl’allureplutôtnégligée(lafée)

ensort,avecdifficulté.

LATRÈSJEUNEFILLE.Ohc’estquoiquisepasselà?!Yaunproblèmeou

quoi?

LAFÉE.Merdedemerde…J’aifaillimefairemalenplus.

LATRÈSJEUNEFILLE.Vousfoutezquoilà-dedans?

LA FÉE. J’ai mal évalué mon coup… et je me suis endormie, j’ai

l’impression!Merde!

LATRÈS JEUNEFILLE.Endormie dansmon armoire ?On se connaît en

plusouonseconnaîtpas?

LAFÉE.Non,c’estlapremièrefoisjecroisqu’onsevoit.

LATRÈSJEUNEFILLE.Alorsvousdéboulezcommeçadansmachambre?

LAFÉE(l’airtrèssurpris).C’esttachambre?

LATRÈSJEUNEFILLE.Bon…maismoi j’aipas le tempsdeparler avec

vous,excusez-moi!

Laféesortunecigaretteetl’allume.

LATRÈSJEUNEFILLE.Ohohohohçavalaviepourvouscommeça?!

LAFÉE.Çatedérangesijefume?Onouvriraunefenêtre!

LATRÈSJEUNEFILLE.Yapasdefenêtre.

LAFÉE.Ahbon?Yapasdefenêtre?

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Page 41: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LATRÈSJEUNEFILLE.Oui,c’estprovisoiremaisc’estcommeça.Moiça

mevaenfait!C’estmoche,çamecorrespond!

(Laféesoufflelafuméedesacigaretteavecvolupté.)

Vousêtespastropgênéevousenfait?

LAFÉE (montrant sa cigarette).J’arrive pas à arrêter ce truc c’est terrible,

j’aitoutessayé,çan’apasmarché!

LATRÈSJEUNEFILLE.Bon, je vous connais pas, je vous ai jamais vue,

vous fumez dansma chambre et je suis obligée de vous écouter me raconter

votre vie en plus ? Mais moi, je peux pas vous écouter, j’ai des choses

importantesquejedoisfaireetj’aibesoind’êtreseule,d’avoirmatranquillité!

Alorsbon,jevousdemandedemelaissermaintenant!Departirouaumoinsde

voustaire!Jesaispassic’estclair?

LAFÉE.C’estquoiquetudoisfaire?

LATRÈSJEUNEFILLE.J’aiditquej’avaisplusenviedevousécouternide

vousparler!

(Petittemps.)

Cequiestimportant,c’estquejedoispenseràmamère,parcequ’ellemel’a

demandéetquec’estimportant.

(Lamontredelatrèsjeunefillesemetàsonner.)

Voilàcequejedoisfaire.

LAFÉE.Mêmelanuitellesonnetamontre?

LATRÈSJEUNEFILLE.Oui!

Untemps.

LAFÉE.Pasgaietavie!

LATRÈSJEUNEFILLE.Qu’est-cequej’aidit!

LAFÉE.Pardon!

LATRÈSJEUNEFILLE.Merci.

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Page 42: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LAFÉE.C’est vrai, elle est chiante ta vie, tu temarres jamais, y a pas de

distractionsdanstavie.Pendantcetemps,lesautres,i’semarrent,tusaisça?!

LATRÈSJEUNEFILLE.Jem’enfousdesautres,j’aipasbesoindem’amuser,

c’estpourlespetitsdes’amuser.Moi,j’aiautrechoseàfairedeplusimportant

et deplus adultequedemedistraire.Etde toute façon,pour sedistraire, faut

l’avoirmérité etmoi, jemérite pas, voilà c’est dit !Maintenant ciao. Fermez

votrebouchequidéblatèredesgrossesâneriesàlachaîneetfermezl’armoireen

sortant!

(Untemps.)

Siçasetrouve,jesuisunevraiesalope…Etj’aioubliédepenseràmamère

pendant je saispas combiende temps, etpeut-êtrequ’à causede ça,mamère

elle est tombée dans la vraie mort maintenant… Voilà l’histoire, vous êtes

contente!

Elleesttrèsémue,auborddeslarmes.

LAFÉE.Tuvaspleurer ?Ohnon ! Je supporte pasqu’on chiale à côtéde

moi,surtoutlesmômes.

LATRÈSJEUNEFILLE(vexée,explosant).Jechialepas,qu’est-cequevous

racontez ! Non mais dis donc vous ! Ça commence à bien faire de me faire

insulter comme ça, ça va suffire oui, vous êtes qui pourme parler comme ça

vousd’abord?

LAFÉE.Jesuisqui?

LATRÈSJEUNEFILLE(trèsencolère).Oui,vousêtesquivousd’abord?

LAFÉE.Moi?

LA TRÈS JEUNE FILLE. Oui, t’es qui toi pour te foutre de ma gueule

continûment?Çavabiencinqminutes!Alors?

LAFÉE.Alors?

LATRÈSJEUNEFILLE.T’esqui?

LAFÉE.Jesuisqui?

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Page 43: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LATRÈSJEUNEFILLE.Ouit’esqui?Dépêche-toi.

LAFÉE.Lafée.

LATRÈSJEUNEFILLE.Laféedequi?

LAFÉE.Quoilaféedequi?Laféedetoi!Taféequoi!

LATRÈSJEUNEFILLE.Maféequoi?J’aiuneféemoi?

LAFÉE.Benoui,çaarrive!

LATRÈSJEUNEFILLE.Etc’estcommeça,unefée?

LAFÉE.Héhodisdonc,tumeconnaispasencore!

LATRÈSJEUNEFILLE.J’aijamaisdemandéàavoiruneféemoi.

LAFÉE.Çasedemandepas!C’estcommeça,c’esttout!

LATRÈS JEUNEFILLE. Quime dit d’abord que vous êtes vraiment une

fée?

LAFÉE.Jesaispasmoi.

LATRÈSJEUNEFILLE.Vousêtesmagicienne?

LAFÉE (sortantun jeudecartesdesapoche).Absolument, jeconnaisdes

toursdemagie…etquejefaismoi-même,sansmeservirdemespouvoirs.Jete

montre…Tireunecarteauhasard.

(Latrèsjeunefilletireunecarte.Laféeseconcentre.)

C’estleseptdecœur?

LATRÈSJEUNEFILLE.Presque!

LAFÉE.Huit!

(Latrèsjeunefillefaitunsigneaveclamaindugenre“àpeuprèsmaispas

toutàfaitça”.)

Neuf!

(Latrèsjeunefillefaitunsigneaveclamaindugenre“plusbas”.)

Six!

(Latrèsjeunefillerefaitlemêmesigne.)

Cinq!

(Latrèsjeunefillerefaitlemêmesigne.)

Quatre,quatredepique.

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Page 44: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

(Latrèsjeunefillefaitsigne“ouimaisnon”etellefaitungestepoursignifier

lacouleurdelacarte.)

Pique!Quatredepique!J’aitrouvé,voilàj’aitrouvé.

(Latrèsjeunefillerendlacarte.)

Ahmerde,quatredecarreau.

LATRÈSJEUNEFILLE.Benoui,j’aipasfaitsignedepique,j’aifaitsigne

decarreau…C’estpasterrible!Bonben,jedoismereconcentrermoi.

Latrèsjeunefilles’assoitsurlelit.

LAFÉE.Ouais jesais,c’estpas terrible.Jedoism’entraîner.J’aidécidéde

plusmeservirdemespouvoirsdeféepourfairedestoursdemagiemaisdeles

faireenapprenantlestrucsdansleslivres,commelesvraismagiciens…quifont

destrucsfaux.

LATRÈSJEUNEFILLE.Àquoiçasertdefaireça?

LAFÉE.C’estplusmarrant,çapeutrater,ducoup,quandjeréussis, jesuis

folledejoie,jesautepartout,jesuiscommeunefolle.

Laféevapours’asseoirsurlelit,àcôtédelatrèsjeunefille.Maislelitcède

soussonpoids.Lafées’enfoncedansunénormecraquementdusommier.

LA TRÈS JEUNE FILLE. Oh mais ça va à la fin, déjà mon lit était pas

terrible!

LAFÉE (enessayantde sedégager).Je suisdésoléevraiment, jevais te le

réparer.

LATRÈSJEUNEFILLE(aidantlaféeàserelever).Nonnon,laissez!

(Laféeréussitàserelever.Elleaunfourire,elles’emmêleunpeuavecses

cartes.)

Mercidelavisitevraiment.

LAFÉE.Attends, jevais te le refairece tour tuvasvoir…Tuvas tirerune

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Page 45: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

autrecarte…

Comme la fée sembleperdueavec ses cartes, la très jeune fille lui vient en

aide.

LATRÈSJEUNEFILLE.Maisnon,ilfautenretournerunecommeça.

LAFÉE.Ouic’estça,c’estça…Allezvas-y.

LATRÈSJEUNEFILLE (luimontrant toujours).Etprendre tout le paquet

commeça…Etaprèstufaissemblantquec’estcelui-là!

LAFÉE.Ahd’accord,bonvas-y,tires-enuneauhasard…

LATRÈSJEUNEFILLE(intervenant).Maisnonpascelui-là.

LAFÉE.Ahouimerde.

LATRÈSJEUNEFILLE.Bon,j’enprendsune.

(Elleprendunecarte.)

C’estuneforteça.

LAFÉE.Ah?Unedame?!

(Latrèsjeunefillefaitungestepoursignifier“plusgrand”.)

Roi?

(Latrèsjeunefillerefaitunsigne“plusgrand”.)

As?Asdecœur?!

LATRÈSJEUNEFILLE(criant).Oui!

LAFÉE (exultant).Oui je le savais !Bon, c’est pasmalquandmême…Je

bosse…Jelistouslesbouquinsquejepeuxtrouver.

LATRÈSJEUNEFILLE.Mouais.

LAFÉE.Qu’est-cequeçaveutdireça,“mouais”?

LATRÈSJEUNEFILLE.Pourunefée,jesuispassûrequeçasoittoutàfait

normalquandmêmedefoireràlachaînedestourscommeça.

LAFÉE.Tumefatigues!T’esfatigante!Jesuisfatiguéeenfait!

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Page 46: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

Lafées’allongesurlelitdelatrèsjeunefille.

LATRÈSJEUNEFILLE.Ilvousenfautpasbeaucoup.

LAFÉE.Tuverraistoisit’avaismonâge!Situseraispasfatiguée.

LATRÈSJEUNEFILLE.Quelâgevousavez?

LAFÉE.Quelâgetumedonnes?

LATRÈSJEUNEFILLE.Trente-sept.

LAFÉE.Non!

LATRÈSJEUNEFILLE.Quelâgealors?

LAFÉE.Huitcentseptante-quatrelemoisprochain,àunoudeuxansprès,je

croisquec’estça!

LATRÈSJEUNEFILLE.Huitcentseptante-quatre?

LAFÉE.Ouais, lesdeuxcentspremièresannéesont étégéniales, après j’ai

commencédoucementàm’emmerder.Etdepuisàpeuprèstroiscentsans,jeme

faisvraimentchier.Yaplusde surprisesdansmavie, j’ai tout fait.Le temps

passeà lavitessed’unescargot.J’arriveplusàmemotiverenfait.Jemesens

déprimée.J’aiétémariéeàpeuprèsquatre-vingt-dixfois.J’aieudeswagonsde

gosses, je les aimêmepascomptés, trop…Maisbon, l’amourc’estgénial les

quinzepremièresfois,aprèsc’esttotalementrépétitifenfait.

LATRÈSJEUNEFILLE.Vousêtesimmortelleouquoi?

LA FÉE. Ouais, c’est ça être fée, ça va avec le statut de fée, on est

immortelles.

LATRÈSJEUNEFILLE.Vousmourrezpas?

LAFÉE.Non.Maiscommejetedis,c’estbienaudébut,maisauboutd’un

moment,c’estfatigant,parcequec’esttoujourslamêmechose.

LATRÈSJEUNEFILLE.Vousêtesblaséeenfait?

LAFÉE.Jet’envietoi,parcequetuvasvivreuntasdetrucspourlapremière

fois,tuvasvoirc’estgénial!

LATRÈSJEUNEFILLE.Commequoiparexemple?

LAFÉE.Lesmecs,l’amour.

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Page 47: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LATRÈSJEUNEFILLE.N’importequoi!

(Lamontresemetàsonner.)

Mais qu’est-ce que je suis en train faire là moi avec vous ! Je suis

complètementdingue!Bonallezpartezmaintenant,jevousaidéjàdit:jesuis

entraindelaisserpasserletempsmoi!Jesuisentraindefairen’importequoi!

Barrez-vousjevousdisetvite!

LAFÉE.Ola,doucementquandmême!Onestpasdesanimaux!

LATRÈS JEUNEFILLE. Allez, on se lève, c’est fini la psychanalyse, on

rentreàlamaison.Jedoismereconcentrermoi.

LAFÉE.Jesorsparoù?

LATRÈSJEUNEFILLE.Paroùvousvoulez!

LAFÉE.Salut,àbientôt.

LATRÈSJEUNEFILLE.Jevousparleplus,jevousentendsplus.

Laféesort.

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Page 48: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

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Page 49: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

DEUXIÈMEPARTIE

SCÈNE1

Plustard,l’hiver.Unegrandepiècedelamaison.Onvoitàl’extérieurlatrès

jeunefilleentraindelaverlesvitres.

LAVOIXDELANARRATRICE.Letempspassait.

L’hiverétaitarrivéetrienn’évoluaitdanscettemaison.

Si… un jour la femme de ménage était tombée malade et finalement on

n’avaitpasjugéutiledelaremplacer.

(Lepèreentre,unelettreàlamain.)

Un matin comme tous les matins, le père de la très jeune fille était allé

chercher le courrier dans la boîte aux lettres du jardin. Il revint avec une

enveloppetrèsdifférenteded’habitude…quepersonnen’osaouvrir.

(Lepèreouvre lecourrieret commenceà le lire. Il est rejointpar lesdeux

sœurspuisparlabelle-mère.)

Cecourrierannonçaitquelafamilleavaitététiréeausortparmidescentaines

demilliers d’autres. Elle était invitée à participer à une soirée chez le roi en

l’honneur du prince dont c’était l’anniversaire. Le très jeune homme vivait

depuissanaissanceàl’écartdumonde.Maisaujourd’huileroiavaitdécidéque

cettemiseàl’écartdevaitcesser.Ilorganisaitunegrandesoiréefestive.

(Labelle-mères’évanouit.)

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Page 50: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

Lanouvellefoudroyalafuturefemmedupèredelatrèsjeunefille.Ellemit

dutempsàseremettredecetteémotion.

Lepèreetlesdeuxsœurss’activentauprèsdelabelle-mèreévanouie.

Latrèsjeunefilleassisteàlascènedederrièrelaparoivitrée.

LABELLE-MÈRE(revenantàelle).C’estpasl’effetduhasardtoutça…Ça

peutpasêtretotalementl’effetduhasardtoutça…Pasl’effetduhasard…Pas

dutout…

LEPÈRE(àlabelle-mère).Ilsdisentqu’onaététirésausort.

LABELLE-MÈRE(aupère).J’ycroispasmoi…auhasard,j’ycroispasjete

dis…

LAVOIXDELANARRATRICE.Lafuturefemmedupèredelatrèsjeune

filleracontaqu’unjour,alorsqu’ellepassaitàpieddevantlepalaisduroi,elle

avait ressenti des regards se poser sur elle. Selon elle ces regards venaient du

château. Elle disait que cette invitation avait certainement un rapport avec ce

qu’elleavaitressenticejour-là.

SCÈNE2

Faceàunmiroir,labelle-mèreetsesdeuxfillessontentraind’essayerdes

robesdesoirée.

SŒURLAGRANDE.J’ailetrac…Quandjepenseàcettesoiréemaintenant,

j’aipeur.

SŒURLAPETITE.Moiaussi.

LABELLE-MÈRE. Faut juste pas être assez bête pour passer à côté de ce

moment.

SŒURLAGRANDE.Etçamefoutletraccettediscussion.

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Page 51: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

SŒURLAPETITE.Moiçamefait l’effetd’unrêve…J’ycroispasencore

vraiment.

LABELLE-MÈRE(explosant).Maisarrêtezaveccettehistoirederêve!

SŒURLAPETITE.Maisquoi?

LABELLE-MÈRE.“Çamefait l’effetd’unrêve”!Qu’est-cequevousêtes

idiotes!

SŒUR LA PETITE. Mais c’est un peu comme un rêve puisqu’on aurait

jamaispuimaginerqueçanousarriverait.

LABELLE-MÈRE.Laprochainequiprononcelemot“rêve”,jel’étrangle!

Jemedemandedesfoisdequivoustenezcetteidiotiechronique!Sionvitdans

sonrêveondort,onagitpas.Etmoi,jeveuxagir…pasdormir,vouscomprenez

ça ? Parce qu’on lamérite cette réalité qui nous attend.Vous avez compris ?

Répétezaprèsmoi:“C’estlaréalité,cequinousarrive,c’estpasunrêve.”

LESDEUXSŒURS.“C’estlaréalité,cequinousarrive,c’estpasunrêve.”

LABELLE-MÈRE.Voilà,crétines !Pourunsoir,onvacôtoyerdes roiset

desprincesettouslespersonnagesimportantsdecepays.Onvadevenirl’égal

decespersonnespourunsoir,onvalescôtoyeretonvapeut-êtrelesrencontrer

intimement.Pourquoipas imaginerdevenir leursamis…Leroiparexemple…

c’estunhommesimple,ilparaît.Jevaisvousconfierunsecret:jesensdepuis

quejesuistoutepetitequejenesuispasconsidéréeàmajustevaleur.Jemesuis

mariée,j’aieudesenfants…

LESDEUXSŒURS.Benoui,nous.

LABELLE-MÈRE.J’aisacrifiémavieàmonmariageetàmesenfantsetje

n’aipasvécu.Maisjesensquejevaisêtrereconnueàmajustevaleurunjour,je

lesensaufonddemoi.

LEPÈRE(entrant,avecdenouvellesrobesdanslesmains).Jenesaispassi

vous avez cette impression vous aussi,maismoi je trouve que c’est vraiment

commeunrêvetoutça.

LABELLE-MÈRE. Mais c’est pas possible ! Je suis entourée d’imbéciles

vraiment !Moi je sens qu’il va se passer quelque chose de vrai… si onmet

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Page 52: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

toutesleschancesdenotrecôté.

SŒURLAGRANDE.Entoutcas,jesaispascommentondoits’habiller.

LEPÈRE.Benoui, commentondoit s’habillerpouraller chezun roi,vous

savezvous?

SŒURLAPETITE.Etchezunprinceaussi.

Lesdeuxsœurss’esclaffent.

SŒURLAGRANDE.Tusaismaman,personnel’ajamaisvucetype.

LABELLE-MÈRE(agacée).Benouijesais.

SŒURLAPETITE.Çasetrouve,ilestmoche.

SŒURLAGRANDE.Pourquoiilseraitmoche?Jesuissûrqu’ilestbeau!

LEPÈRE.Çayest,ellerêveauprince!

LA BELLE-MÈRE. Moi j’en peux plus de vous entendre déblatérer des

âneries!

(Aupère.)Etsurtouttoi!

(Latrèsjeunefilleentre.Elleporteunmannequindeprêt-à-porter,commeon

en voit dans les vitrines demagasins.Habillé en costume chic. La belle-mère

indiquelemannequin.)

Qu’est-cequec’estqueça?

LATRÈSJEUNEFILLE.Ellesm’ontditderamenercetruc.

SŒURLAGRANDE(désignantlepère).C’estdesvêtementspour lui, faut

bienqu’ils’habilleluiaussinon?Ilvapasnousfairehontequandmême.

SŒURLAPETITE(àlabelle-mère).T’essûrequ’ilestobligédevenir?

LEPÈRE.C’estsympamerci.

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Page 53: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

SŒURLAGRANDE(àlatrèsjeunefille).Ettoi,tuvasveniroupas?

(Àlabelle-mère.)Ellevavenirelleaussi,maman?

LATRÈSJEUNEFILLE.Non.

Latrèsjeunefillesort.

LABELLE-MÈRE.Elleajamaisenviederiendetoutefaçon.Yaquefairele

ménagequil’intéresseondirait,aumoinsc’estclair.

SŒUR LA GRANDE. En tout cas, moi je me ferais couper un pied pour

pouvoirvoirleprinceavanttouslesautres.Vousvousrendezpascompte,c’est

grandiose.

Lesdeuxsœurss’approchentdumannequin,secollentàlui,mimantunflirt

trèspoussé.

SŒURLAPETITE.C’estexcitant.

SŒURLAGRANDE.Àmort.

LABELLE-MÈRE(concentréesur l’essayaged’unenouvellerobe).Taisez-

vousunpeu.

SŒURLAPETITE.Ilanotreâge,ilparaît.

SŒURLAGRANDE.Jemeurssij’ypensetrop.

LABELLE-MÈRE(remarquantl’attitudedesesfilles).Maisarrêtezavecce

mannequin,maisqu’est-cequevousfaites,çavapas?!Çavapas la tête,mes

pauvres filles… Faut se concentrer sur ce qu’on va mettre. La première

impressionqu’onvaproduire,toutestlà.Fautpasraterça!

LEPÈRE.Çanon!

SŒURLAPETITE(essayantunenouvellerobe).Moij’aimebiencelle-là.

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Page 54: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LABELLE-MÈRE.Faisvoir.

SŒURLAPETITE.Commentça?

LABELLE-MÈRE.Passe-moicetterobe,passe-la-moiuneseconde.

SŒURLAPETITE.C’estmoiquil’aitrouvéeenpremier.

LA BELLE-MÈRE. Gnagnagna, qu’est-ce que tu es enfantine ma pauvre

fille!Passe-moicetterobe!Elletevapasdetoutefaçonondirait.

Labelle-mèrearrachelarobedesmainsdesafille.Ellel’essaie.

LEPÈRE.Elletevatrèsbien.Çaterajeunitencore…

LABELLE-MÈRE.C’estdurdenepas fairesonâge.Onsaitpascomment

s’habiller.

(Àproposde la robe.)Elle est bien…Et enmême temps…c’est pas assez

quelquechose…quej’arrivepasàdéfinir…

(Pendant ce temps, les deux sœurs sont revenues près dumannequin. Elles

déboutonnent son pantalon. Le mannequin se retrouve jambes nues, pantalon

surleschevilles.Labelle-mèreestscandalisée.)

Maisarrêtezaveccemannequin,c’estpasvraivousêtesobsédées,c’estpas

vrai!

(Lessœurss’enfuientenriant.Labelle-mèreregardeencoresarobedansle

miroir.)

C’estçamaispasassez…Pasassezcommentdire…

Ellecherchelemot.

LEPÈRE(complétant).Danslestyle…

LABELLE-MÈRE.Danslestyledequoi?

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Page 55: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LEPÈRE.Danslestyle,époquede…jesaispas…

LABELLE-MÈRE.Mouais!Hében,situsaispas,tutetais!

LEPÈRE.Yacelle-làaussi.

LepèreluipasseuneautrerobestyleLouisXIV.

LABELLE-MÈRE.Mouais.

LEPÈRE.Attends, je vais t’en chercher une autre encoreplus dans le… je

crois.

Ilsort.Labelle-mèresecontempledans lemiroir.Trèssatisfaite,ellemime

desrévérencesetserapprochedumannequin.Ellesejettesurlui,l’enlacetelle

uneamoureusetransie.Lepèrerevientavecuneautrerobe.Labelle-mère,très

gênée,adopteunairdétachéets’éloigne.

SCÈNE3

Uncouloirdelamaison.Trèssombre.

LAVOIXDELANARRATRICE.Lafuturefemmedupèredelatrèsjeune

fille et ses deux filles avaient décidé de s’habiller exactement comme elles

imaginaientquetouscesroisetcesprincesleseraientcesoir-là.

(Labelle-mèreentre,encompagniededeuxhommesétranges.)

Grâce au talent de grands couturiers, on peut embellir son apparence.Mais

grâce à d’autres grands artistes on peut modifier son corps lui-même. Ces

pratiquesétaienttrèsrépanduesmaiss’exerçaientdanslaplusgrandediscrétion.

(Lestroispersonnagestraversentlecouloiretsortent.)

Lafuturefemmedupèredelatrèsjeunefillerecevaitcespersonnagesunpeu

énigmatiques,quivenaientl’ausculteret luiprescriredestraitementsauxeffets

foudroyants.

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Page 56: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

(Lessœursentrentàleurtouretsedirigentàgrandevitesseendirectiondela

portederrièrelaquelleontdisparuleurmèreetlesdeuxhommes.Ellessortentà

leurtour.)

Unjour,sesfillesl’avaientsurpriseetellesavaientexigédepouvoirobtenir

lesmêmesavantagesqu’elle.Lamèreavaitfiniparaccepter.

Cette année-là, il y avait un mouvement de mode qui était très répandu,

surtout chez les jeunes gens. Les petites oreilles étaient devenues objets de

dérision.Personnenevoulaitplusenavoir.Afindesesentiràleuravantagelors

de cette soirée, elles obtinrent de leur mère une petite opération de

transformation.Ellesfurentabsolumentraviesdurésultat.

SCÈNE4

Départàlasoiréeduroi.Latrèsjeunefilleestallongéesursonlit,danssa

chambre.

LAVOIXDELANARRATRICE.Etpuis,legrandjourtantattenduarriva.

LEPÈRE (encostumeetperruqueLouisXIV,allumantunecigarette).Bon,

onyvanous…Moi,çam’embêteunpeudetelaisserlà…

(Ils’apprêteàsortiretfaitallusionàsacigarette.)

C’estladernièrepouraujourd’hui,promis!Detoutefaçon,j’aipaslechoix,

quandjesuisavecellejepeuxpasfumer…C’estpeut-êtremieuxquetuviennes

pas,tusais…C’estpassûrquecesoittellementmarrantpourlesenfantscette

soirée.Bon,benmoij’yvais…

LATRÈSJEUNEFILLE.Bon,bensalut.

LEPÈRE(ayantmauvaiseconsciencedelaissersafille).Bonbensalut…Tu

saisencemoment,c’estpasgailaviepourmoi.Elle,là-haut,elleestpénible,

depuisquelquetemps,j’aicarrémentl’impressionquejesuisdevenuinvisible…

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Page 57: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

(Onentendlabelle-mère:“Etalorsquoi,qu’est-cequetufais,tuviens?On

t’attend!”)

Bonlà,elles’estaperçuequejen’étaispaslà,j’yvais.

Iltendprécipitammentlacigaretteàsafilleets’enva.Laféesortdederrière

l’armoire.

LAFÉE.T’yvaspastoi?

LA TRÈS JEUNE FILLE (écrasant la cigarette de son père dans un petit

cendrier).Non!

LAFÉE.C’esttoiquiaspasvouluyallerouc’esteux?

LATRÈSJEUNEFILLE.C’estmoi,j’aipaslatêteàça,pasdutout.

LAFÉE.Ahbon?Ettugardeslamaison?

LATRÈSJEUNEFILLE.Benouais.

LAFÉE.Yz’ontpasunchien?

LATRÈSJEUNEFILLE.Jevaispaspouvoircontinueràvousparlercomme

l’autrefois.

LAFÉE.Entoutcas,moij’adoreraispouvoirallerpourlapremièrefoisdans

une soirée pareille, ressentir tout ce qu’on ressent dans ces moments-là : les

émotions,letrac,l’excitation.C’estsûr,moiàtaplace,j’irais.Moi,jepeuxplus

ressentirça,j’aitropvécudéjà.

LATRÈSJEUNEFILLE.Benmoi,jesuispascommevous,j’aipasenvie.

LAFÉE.Jetecroispasquet’aspasenviedet’amuserdetempsentemps.

LATRÈSJEUNEFILLE.Hébensi,c’estcommeçamadame“jesaismieux

à la place des autres ce qu’ils pensent” ! Vous pouvez me laisser un peu

maintenant?

LAFÉE.Tudoispenseràtamère?

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Page 58: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

Lamontredelatrèsjeunefillesemetàsonner.

LATRÈSJEUNEFILLE.Exactement.

LAFÉE.Une soirée comme celle-là, c’est sûr c’est un peu tartemais c’est

drôledesfoisdefairedeschosesunpeutartes.T’enasdéjàvudesroisetdes

princestoi?

LATRÈSJEUNEFILLE.J’airienàmemettredetoutefaçon.

LAFÉE(seréjouissantd’uncoup).T’occupe,jem’enoccupe.

LATRÈSJEUNEFILLE.Avecvospouvoirsmagiques ? Je les connais de

l’autrefois,c’étaitpasterrible.Enfait,jemedemandesivousêtespasentrain

demebaratinerdepuisledébutaveccettehistoiredefée.

LAFÉE.Alorslà,j’enaimarre.

Laféedisparaît.Soudainlalumières’éteint.

LATRÈSJEUNEFILLE.Oùest-cequ’elleestpassée?

(Unetempêteéclate.Tonnerre, fracas.Crisauloin.Latrès jeunefillehurle

defrayeur.Puistoutsecalme.Laféeestrevenue,elleallumeunecigarette.)

C’estvousquiavezfaitça?!Fautpréveniravant laprochainefois!Çafait

peur!

LAFÉE.T’avaisdesdoutes!

LATRÈSJEUNEFILLE.Vousvoulezpasrallumerlalumièremaintenant?

LAFÉE.Bon,onyva,onvafaireuntouràcettesoirée?

LATRÈSJEUNEFILLE.D’accord,maisvousrallumez!

LAFÉE.Super!Jem’occupedetarobe,çavaêtremarrantça!

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Page 59: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

(Lalumièrerevient.Uneénormeboîteoccupeunepartiedelachambre.)

Ouais,génial!

LATRÈSJEUNEFILLE.C’estquoiça?Etmachambre,vous l’avezmise

où?

LAFÉE.Ons’enfoutdetachambre!Alorsvoilà,tuvasentrerlà-dedans.

LATRÈSJEUNEFILLE.Qu’est-cequec’estqueça?

LAFÉE.C’estuneboîtemagique.Onpeutcréertoutcequ’onveutavec.Ce

seraplusrapidequedecoudreunerobe.

LATRÈSJEUNEFILLE.Etqu’est-cequivasepasserlà-dedans?Vousallez

mefairequoi?Delamagiemagiqueoubiendelamagieamateur?

LAFÉE.T’inquiètepas.Jebosse,jeprogresse,jelisdesbouquins,jesuisau

point.Bon,arrêtedeparler,entrelà-dedans.

LATRÈSJEUNEFILLE.Vousavezintérêtàcequ’ilyaitrienquim’arrive.

Latrèsjeunefilleentredanslaboîtemagique.

LAFÉE.Hého!

LATRÈSJEUNEFILLE(del’intérieurdelaboîte).Hé,ilfaitsupernoirici!

LA FÉE. Normal, bon, tu te décontractes, ça va bien se passer, je me

concentre,t’arrêtesdeparler.C’estuntourdemagiequiaétéinventédansles

annéescinquante,ilestbienrodé.Bonjecomptedansmatête.

LATRÈSJEUNEFILLE (de l’intérieur de la boîte).Mais vous nem’avez

pasdemandécommentjevoulaisêtrehabillée!

LAFÉE.T’occupe,j’aiuneidéegénialederobedesoiréeentête!Bon,faut

quetutetaises!

(Elle fait de grands gestes demagicien. Puis on entend un énorme“bang”

provenantdel’intérieurdelaboîte.Delafumées’enéchappe.Latrèsjeunefille

semetàcrier.)

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Page 60: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

Hoçava?

Lecalmerevient.

LA TRÈS JEUNE FILLE (de l’intérieur de la boîte).Qu’est-ce qui s’est

passé?

LAFÉE.Rien,c’estbon,çaamarché!Sorssituveux,qu’onvoieletravail!

(Latrèsjeunefillesortdelaboîteentoussant.Elleesthabilléeenmajorette.)

Merde,raté.

LATRÈSJEUNEFILLE.Yapasuneglacequejepuissemevoir.

LAFÉE.Non,c’estpaslapeine,c’estraté,c’étaitlepremieressai.Retourne

danslaboîte,jemereconcentre!

LATRÈSJEUNEFILLE(entrantdanslaboîte).Yatropdefuméeetçafout

latrouille!C’estpasdutoutpourlesenfantsvotremachin.

LAFÉE.T’esprête?

LATRÈSJEUNEFILLE(del’intérieurdelaboîte).Dépêchez-vous!

LAFÉE.Jecomptedansmatêtetroissecondesettroisdixièmes.

LATRÈSJEUNEFILLE(del’intérieurdelaboîte).Çavaencorefoirer,jele

sens!

La fée recommence les mêmes gestes de magicien que tout à l’heure. On

entendunénorme“bang”.Fumée.

LAFÉE.Hoçava?

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Page 61: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

Untemps.

LATRÈSJEUNEFILLE(del’intérieurdelaboîte).Jevoisplusoùc’estla

sortie!

LAFÉE.Arrêtedeblaguer!

LATRÈSJEUNEFILLE(del’intérieurdelaboîte).Ahlà,ondiraitquec’est

bon.

(Latrèsjeunefillesortdelaboîtedéguiséeenmouton.)

Çam’afoutulatrouilledepasretrouverlasortie!

LAFÉE(accablée).Enplus,c’estpasdutoutça,onrecommence.

LATRÈSJEUNEFILLE.Moi, je retournepas là-dedans,allez-yvouspour

voir,çafoutlatrouille!Enplus,sionpeutplussortir…

LAFÉE.Yaaucunproblèmepoursortir.

(Laféeentredanslaboîte.)

C’esttoutàfaitnormalàl’intérieur!

LATRÈSJEUNEFILLE.Essayezderessortirmaintenant.

(Untemps.)

Alors?…Alors?

LAFÉE(del’intérieurdelaboîte).Jeretrouvepascommentonsort.

LATRÈSJEUNEFILLE.Jevousl’avaisdit!Vousvoulezpasvousservirde

vosvraispouvoirs?

LAFÉE(del’intérieurdelaboîte).Jamais!Bon,fautquejeréfléchissecinq

minutes…

Untemps.

LA TRÈS JEUNE FILLE. Ah ! Moi j’ai une idée. Ma mère, elle m’avait

donnépleinderobesàelle,dedansyenaunequ’elleavaitmisepourlemariage

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Page 62: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

de sa tante quand elle avait lemême âge quemoi. Je sais où elle est, je l’ai

planquéequelquepart,jepeuxlamettre.

LAFÉE (de l’intérieur de la boîte).Bonok !Çava être unpeunazemais

commeça,aumoins,onperdpastropdetemps.

LATRÈSJEUNEFILLE.Etcommentonfaitaprèspourallerlà-bas?

LAFÉE(del’intérieurdelaboîte).Jecherchelasolutionpoursortirdelàet

jepasseteprendreenvoituredansunquartd’heure,çateconvient?

LATRÈSJEUNEFILLE.Vousavezunevoiture?

LAFÉE(del’intérieurdelaboîte).Euhnon,maisjevaisentrouverune.

LATRÈSJEUNEFILLE.Vousallezpasenpiquerune?

LAFÉE(del’intérieurdelaboîte).Évidemmentnon.

LATRÈSJEUNEFILLE.Mamèredisaitquec’estmaldevoler.

LAFÉE(del’intérieurdelaboîte).Bonécoute,tucommencesàfaire…hum,

avectamère…

LATRÈSJEUNEFILLE.Ouijesais,j’énervetoutlemonde.Bon,j’yvais.

Latrèsjeunefillesort.

SCÈNE5

Aumême instant,auxabordsdupalaisduroi.Labelle-mère, lepèreet les

deuxsœursmarchentendirectiondelafête.Ilssonttoushabillésentenuesde

bal de l’époque Louis XIV. La robe de la belle-mère est particulièrement

somptueuse.

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Page 63: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LAVOIXDELANARRATRICE.Pourserendreàlasoiréeduroi,lafuture

femmedupèredelatrèsjeunefille,sonpèreetsesdeuxfuturessœursavaient

loué une voiture de luxe avec chauffeur. Et ils avaient souhaitémarcher pour

faire les derniers cent mètres, afin que tous les curieux qui ne pouvaient pas

entrer puissent quandmême admirer leur tenue vestimentaire somptueuse. La

futurefemmedupèredelatrèsjeunefilleétaitabsolumentsûredel’effetqu’ils

allaientproduireenarrivant.Mais,àvraidire,elleavait imaginélesroiset les

princes davantage comme dans un rêve que comme dans la réalité.Devant la

portedupalais,ilsressentirentcommeunmalaise.

SCÈNE6

Quelques instants plus tard, devant le palais. Les quatre personnages

présentent leurscartonsd’invitationàunhuissier.Provenantde l’intérieurdu

palais,onentendunemusiquetrèsmoderne.

SŒURLAPETITE(jetantuncoupd’œilàl’intérieur).C’esthorrible.

SŒURLAGRANDE (regardantelleaussi).Yaunproblème, c’estpasdu

toutcommeçaqu’onavaitimaginéleschoses!Vavoir,c’esthorrible!

Labelle-mèrevaregarderàsontour.

SŒUR LA PETITE. Faut rentrer à la maison ! Faut aller se changer, en

vitesse!

LABELLE-MÈRE.Maisqu’est-cequi sepasse ?!C’est paspossible !Les

genssontdevenusfousouquoi!

(Lasœur,lapetite,s’enfuit.)

Oùest-cequ’elleva,elle?

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Page 64: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

SŒURLAGRANDE.Ellerentreàlamaison.Elleditqu’ondoitviteallerse

changer.Yapersonned’habillécommenous.

LABELLE-MÈRE.Maisc’estaffreux!Quiaeul’idéedes’habillercomme

ça?

SŒURLAGRANDE.C’esttoimaman!

LABELLE-MÈRE.Maisnonc’estpasmoi!C’estlui!

Ellemontrelepère.

SŒURLAGRANDE.Moijerentreàlamaisonaussi,jevaismechanger.

LABELLE-MÈRE. Il est pas question qu’on aille se changer, on a pas le

temps ! On y va comme ça et c’est les autres qui seront ridicules, pas nous.

Allez-ytouslesdeux,vousd’abord,jevoussuisensuite!

SŒURLAGRANDE.Commentça?

LABELLE-MÈRE.Allez-y,entrezlà-dedans,c’estunordre!

SŒURLAGRANDE.Maisnon!

LA BELLE-MÈRE. Arrête de discuter ! Si tu continues, je distribue des

photocopiesdetonjournalintime.Tusaisquejesuiscapabledelefaire.Entrez

là-dedans!

(Aupère.)Toiaussi!Etjevoussuis.

La sœur la grande et le père finissent par entrer. La belle-mère les suit du

regard.Onentenddessifflets,desmoqueriesprovenantdel’intérieurdelafête.

Auboutd’unmomentlasœurlagranderessort.

SŒURLAGRANDE.Maman,ilsl’ontgardé,ilsluidemandentdedanserdes

dansescommeondansaitàl’époque.Ilssemoquentdelui,c’estaffreux.Moije

rentreàlamaison.

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Page 65: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

Elles’enva.

Untemps.Labelle-mèresemblehésiterentreattendrelepèreets’enallerelle

aussi.Ellemasquesonvisageavecsonombrelleetcommenceàpartir.Untrès

jeunehomme(leprince)entre,labelle-mèrelebouscule,lejeunehommetombe

ausol.

LETRÈSJEUNEPRINCE.Excusez-moi.

LABELLE-MÈRE.Pardon.

LETRÈSJEUNEPRINCE.C’estmoiquim’excuse.

LABELLE-MÈRE.Euhouinon,c’estmoi.

LETRÈSJEUNEPRINCE.Vousm’avezfaitpeur…Onseconnaîtpas.

LABELLE-MÈRE.Non,jecroispas.

LETRÈSJEUNEPRINCE.Meshommageschezvous.

LABELLE-MÈRE.Oui,chezvousaussi.

Letrèsjeuneprincecontinuesoncheminendirectiondupalais.Ilyentre.La

belle-mèresort.Entrelatrèsjeunefillevêtuedelarobedemariagedesamère

etaccompagnéedelafée.Leprinceressortdupalais,suividesonpère,leroi.

Onentenddesapplaudissementsprovenantdelafête.

LEROI.Qu’est-cequetufais?

LETRÈSJEUNEPRINCE.Tum’avaispasditqu’ilyauraitautantdemonde.

LEROI.Tuavaisditquetuvoulaischanterunechansonàl’occasiondeton

anniversaire,c’esttoiquil’avaisdit,tuaimesça,chanter.

Latrèsjeunefilleetlaféeassistentàlaconversation.

LETRÈSJEUNEPRINCE.Ouais,maisjesavaispasqu’ilyauraitautantde

monde.J’aimepaschanterdevantlesgens.

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Page 66: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LEROI. Il fautbien finirpar les rencontrer lesgens.Tuvasdevenir adulte

bientôt,tunepeuxpascontinueràvivrecaché,cen’estpluspossible.Vas-y,je

t’enprie,toutlemondet’attend.Ilssontcurieuxdeteconnaître,touscesgens.

N’oublie pas que tu deviendras le roi de toutes ces personnes bientôt. Tu ne

pourraspasrestercachétoutetavie.

LETRÈSJEUNEPRINCE.Etpuis,c’est l’heureducoupdefildemaman.

Elle va appeler ce soir, je le sens. Je voudrais pas être trop loin du téléphone

quandelleappellera.

LEROI.Tu sais, tamère sera contente de savoir que tu étais présent à ton

anniversaire.C’esttristeunanniversairequandlapersonneconcernéen’estpas

présente.Etpuis,tun’asqu’àchanterenpensantàtamère,çaluiferaplaisir.

LETRÈSJEUNEPRINCE.Ahoui,c’estvrai.

LEROI.Benoui!Tuvois!

LETRÈSJEUNEPRINCE.Bonalorsj’yvais!

LEROI.Trèsbienmonfils.

Le roi et le très jeune prince entrent dans le palais. On entend les

acclamationsdela fouleà l’intérieur.Latrès jeunefille,curieuse,entreàson

tour.

SCÈNE7

Quelques instants plus tard, à l’intérieur du palais. Sur une scène, le très

jeuneprincemarcheendirectiondupublic,unmicroàlamain.Onentendune

voix : “Mesdames et messieurs, celui que vous attendez depuis tellement

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Page 67: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

longtemps,leprincedeWagrametdeNormandie,chantepourvouscesoireten

anglais une chanson qu’il dédie à sa famille et plus particulièrement à son

père.”

Exclamationsdupublic.Hourras.

Letrèsjeuneprincechanteunereprisede“FatherandSon”deCatStevens,

desavoixenfantine.Justeavantlafindelachanson,latrèsjeunefilleseglisse

danslefonddelascènepourapprocherletrèsjeuneprince.Illaremarque.Fin

delachanson.Applaudissementsnourrisdesspectateurs.

SCÈNE8

Quelquesinstantsplustard,devantlesportesdupalais.

Onentend,provenantdel’intérieur,desapplaudissementsetdescris.Bravos.

Latrèsjeunefille,trèsémue,sortdupalais.Lafée,quil’attendait,luifaitsigne

d’entrerànouveau:“Déjà?Tuvaspas t’enallerdéjà?”La très jeune fille

rebrousse chemin et se dirige vers l’entrée du palais. Le très jeune prince en

sort,courantpresque,unpeucommes’il s’échappait. Ils sepercutent.Le très

jeuneprincetombeàlarenverse.

LETRÈSJEUNEPRINCE.Excusez-moi.

LATRÈSJEUNEFILLE.Pardon.

LETRÈSJEUNEPRINCE(serelevant).C’estdemafaute,jeregardaismes

chaussures!

LATRÈSJEUNEFILLE.J’airiensenti,vousexcusezpas.

LETRÈSJEUNEPRINCE.Meshommageschezvous.

LATRÈSJEUNEFILLE.Vouspareillement.

Ils s’en vont chacun de leur côté. Puis ils s’arrêtent, se retournent et se

dirigentl’unversl’autre.Ilssontgênés.

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Page 68: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LETRÈSJEUNEPRINCE.Vousvouliezmedirequelquechose?

LA TRÈS JEUNE FILLE. Euh non… je croyais que c’était vous qui

vouliez…

LETRÈSJEUNEPRINCE.Euhnon!Bonben,c’estbien…Ben,aurevoir

alors…

Ilfaitbeau,voustrouvezpas?C’estdommagequ’iln’yaitpasdesoleil…

LATRÈS JEUNEFILLE.Oui c’est vrai…Mais faut dire que la nuit c’est

rarequ’ilyaitdusoleilencettesaison.

LETRÈS JEUNEPRINCE.Oui c’est vrai ! Absolument. Bon ben, je vais

rentrer…

LATRÈSJEUNEFILLE.Entoutcas,vousavez…debelleschaussures…

LETRÈSJEUNEPRINCE.Ahoui…surtoutcelle-là,non?

LATRÈSJEUNEFILLE.Ahouic’estvrai,vousavezraison,c’estlamieux

desdeux.

(Lamontredelatrèsjeunefillesemetàsonner.)

Mincejesuisentraind’oublierl’heuremoi,jedoisrentrer…Etj’aipleinde

trucsàpenser.Fautpasquej’oublie…

LETRÈSJEUNEPRINCE.Moiaussijedoisyaller.J’attendsuncoupdefil

demamère,elledoitmetéléphonercesoir.

LATRÈSJEUNEFILLE.Ahbon.

LETRÈSJEUNEPRINCE.Benoui.

LATRÈSJEUNEFILLE.Bonbensalut.

LETRÈSJEUNEPRINCE.Salut.

Latrèsjeunefilles’enva.Letrèsjeuneprincelaregardepartir.

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SCÈNE9

Danslamaisonenverredelabelle-mèredelatrèsjeunefille.Labelle-mère

estassise,effondrée.Safille,lagrande,faitlescentpasautourd’elle.

LAVOIXDELANARRATRICE.Lelendemain,dans lagrandemaisonen

verredelafuturefemmedupèredelatrèsjeunefille,c’étaitlacrise.

LABELLE-MÈRE (tragique).Moi, il me semble qu’en partant quelqu’un

m’a bousculée ou bien pire j’ai bousculé quelqu’un… Un enfant, un jeune

hommeavecunairahuri.J’espèrequecen’étaitpasquelqu’und’important…Je

préfère pas y penser. Manquerait plus que ça… Que ce soit quelqu’un

d’important…

SŒURLAGRANDE.Tun’esquandmêmepas“rentrée”dansleprince?

Untemps.

LABELLE-MÈRE (explosant,menaçante).Qu’est-ce que tu viens de dire

idiote !Neme parle plus jamais comme tu viens de le faire, tu entends ?! Je

t’interdisdemeparlercommeça!Jamaistumereparlescommeçadetouteta

vie,tuentends?

SŒURLAGRANDE.Maisc’esttoiquiviensdemedireque…

LABELLE-MÈRE.Faisbienattentionàtoi!Vraiment!Jepourraisdevenir

méchante,jepourraistefairetrèsmal!Jepourraistousvousécrasermême!Je

pourraisvousanéantir !Tucomprendsça?C’estàcausedevousque toutest

fichu,quetoutestfoutu,quetoutestcassé!Nousavionsunespoirdanslavie,

unpetit espoirdevienouvelle,deviedifférente.Etvous l’avezgâché !Vous

l’avezgâché,vousl’avezcassé.Etmaintenant,toutestcassé,toutestfoutu!

SŒURLAPETITE(entrant).Maman.

LABELLE-MÈRE.Quoi,espècedetristenouille?

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Page 71: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

SŒURLAPETITE.Maman,yaquelqu’unquiestlà,àlaporte…

LABELLE-MÈRE.Qu’est-cequ’ons’enfoutdequiestlà,àlaporte?!

SŒURLAPETITE.Ben,c’estquelqu’unqui…

LABELLE-MÈRE.T’as que ça à foutre de ta vie toi, de traîner près de la

porte?Enattendantquequelqu’unviennenousemmerder?

SŒURLAPETITE.Maman,ilprétendque…

LABELLE-MÈRE.Ettuvoispasqu’ons’enfoutdecequ’ilprétend?

SŒURLAPETITE.Ilditqu’ilestleroietqu’ilvoudraitteparler…Enplus,

illuiressemblecommesurlesphotos.

Untemps.

Stupéfactionsurlesvisagesdelabelle-mèreetdelasœurlagrande.

LABELLE-MÈRE.Maisqu’est-cequisepasse?Qu’est-cequinousarrive?

Qu’est-ce qu’on a fait ? Ça va donc jamais s’arrêter ? Mon Dieu, est-ce le

cauchemarquicontinue?Oubienaucontraireuneéclaircieinattendue?

SŒURLAPETITE.Qu’est-cequejefaisconcrètementmaman?

LABELLE-MÈRE.Jesaispas,jesaisplus,jesuisperdue.

Leroientre,entourédedeuxgardes.

LEROI.Pardonnez-moimesdames,jemepermetsdeforcerlaportedevotre

magnifiqueetoriginaledemeure,etdepénétrerentoutesimplicitéchezvous,je

suisassezpressé,jeneveuxsurtoutpasvousdérangertrèslongtemps.

LABELLE-MÈRE.Majesté.

LEROI.Appelez-moiJean-Philippe.

LABELLE-MÈRE.JevousenprieMonseigneur,vousêtesicichezvous.

LEROI.Restezassise…Pardonnezmavisite inopinéemais jecroisd’après

mesrenseignementsquevousfaisiezpartiedelalistedesinvitésdelasoiréeque

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Page 72: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

j’aidonnéehierenl’honneurdemonfils.

LA BELLE-MÈRE. Absolument. On en parlait justement, c’était une

fantastiquesoirée.

LEROI.D’autant plus fantastique qu’il s’est passé pourmoi un événement

assezconsidérable:monfilsarencontréunepersonneinconnueetamanifesté

del’intérêtpourelle…

LABELLE-MÈREETLESDEUXSŒURS.Ahbon?

LEROI.Oui, et ce n’est pas banal, croyez-moi. C’est la première fois que

mon filsmanifeste de l’intérêt pour une personne, pardonnez ce détail intime,

autrequesamère.

LABELLE-MÈREETLESDEUXSŒURS.Ahbon?

LE ROI. Cet événement est tout sauf banal. Mon fils a une histoire

particulière un peu triste. Je voudrais absolument retrouver cette personne

inconnueetdonnerunechanceàmonfilsdelacroiserànouveau.Jevaisdonc

organiserunedeuxièmesoiréed’icideuxsemaineset tout fairepourquecette

personnepuisseêtreprésente.

(Latrèsjeunefilleentre,unaspirateuràlamain.)

Sivouspouviezm’aideràl’identifieroutoutdumoinsm’aideràlaprévenir.

LATRÈSJEUNEFILLE.Pardonc’estquandquevousaurezfinidediscuter,

jedoispasseruncoupd’aspirateur?

LEROI.Personnellement,jen’enaipaspourtrèslongtemps.

LATRÈSJEUNEFILLE.Àmoinsquevouspuissiez aller discuter ailleurs

parcequej’aiencorebeaucoupàfaireensuiteetilestdéjàtard.

LABELLE-MÈRE (très agacée, à la très jeune fille).Nonmais dis donc,

vousvoyezpasqu’onestoccupés.

(Auroi.)Excusez-nousSire,c’estlafemmed’entretien.

LEROI.Elleestbienjeune.

LABELLE-MÈRE.Ellefaitjeunemaiselleasonâgevoussavez!Elleadore

sontravail.

LATRÈSJEUNEFILLE.Bonben,j’attends.

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Page 73: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LEROI.Alorsvoilàjevousaipresquetoutdit.

LA BELLE-MÈRE. C’est très intéressant mais dites-moi, avez-vous des

indicesconcernantcettepersonneinconnue?

LEROI.Cesontdespetitsdétailsquej’aipuglaneravecpeine.Monfilsn’est

pas très bavard. Cette jeune femme portait sur elle, d’après lui, une très jolie

robecrème.

LABELLE-MÈRE(étonnée).Unejolierobecrème…ahoui…

LESDEUXSŒURS.Elleétaitpascrèmetarobemaman?

LEROI.Monfils,quin’apasparléavecelletrèslongtemps,m’aditquecette

personne,pardonnez-moil’expression,luiétaittoutd’abord“rentréededans”.

SŒURLAGRANDE.Ah?

LABELLE-MÈRE(réalisantquelquechose).Ahbon?

LEROI.Oui, leurrencontreaététrèsrapide.Cettejeunepersonneétait très

presséeetelleluiesttoutd’abord“rentréededans”…commeildit.

LABELLE-MÈRE.Ahbon,c’estdrôleça.

LEROI.Cesontdesindicesassezmaigres, j’enconviens.D’autantquemon

filsn’apaseuletempsdebiengraverdanssamémoirelevisagedecettejeune

personne.Ilétaittrèsémum’a-t-ildit.

Untemps.

LA BELLE-MÈRE (très émue, avec un air mystérieux).Hé bien, je crois

Monseigneur…qu’ilestpossiblequejepuissevousvenirenaide…

LEROI.Ahbon.

LESDEUXSŒURS.Ahbon?

LABELLE-MÈRE (toujours mystérieuse).Oui, je crois que j’ai une petite

idéequantàl’identitédecettepersonne…

LESDEUXSŒURS.Ahbon?

LATRÈSJEUNEFILLE.Ahbon?

LEROI.Ahbon?

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Page 74: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LA BELLE-MÈRE. Oui, je crois que je connais même assez bien cette

personne, c’est drôle, je n’avais pas immédiatementpensé à elle…mais après

réflexion…

LESDEUXSŒURS.C’estqui?

LEROI(enthousiaste).Ah,ceseraitformidable!Etvousauriezlesmoyens

delaprévenirdecettedeuxièmesoiréequejecompteorganiserpourelle?

LABELLE-MÈRE.Maisabsolumentetjesaurailaconvaincred’yassisterje

crois.

LEROI.C’estformidable.

LESDEUXSŒURS.Maisc’estqui?

LA BELLE-MÈRE. Je crois préférable, mes enfants, de préserver son

anonymat.

LEROI.Jesuis toutà faitd’accord.D’ailleurs,monfilsnedoitpasêtreau

courantdemadémarche.

Commevouslesavezévidemment,samèreestmortequandilavaitcinqans.

Depuiscejour,pourluiépargnerunetropgrandesouffrance,jeluiraconteque

samèreestpartieenvoyageetqu’elleadumalàrentreràcaused’incessantes

grèvesdes transports.Mais chaque soir, jedois trouverunnouveaumensonge

pourjustifierqu’ellenel’appellepasetçac’estterrible.

LABELLE-MÈRE(auborddeslarmes).Terribleeneffet…pauvreenfant.Il

attendsamèrechaquejourquipasse.

LEROI.Vousaimezlesenfantsondirait?

LABELLE-MÈRE(excessive).Ohoui,jelesadore.

LE ROI. Vous comprenez que j’ai été fou de joie en apprenant qu’il

s’intéressaitenfinàquelqu’und’autrequesamère.

LATRÈSJEUNEFILLE.Lamèredevotrefilsestmorte?Etillesaitpas?

LABELLE-MÈRE(dure).Dequoiellesemêle,elle?

LEROI.Non,monenfant…

LABELLE-MÈRE.Excusez-la,vraiment,ellenesaitpascequ’elledit.

LEROI.Cen’est rienmadame.Aprèscesmagnifiquesperspectives, je suis

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dans une humeur incroyable. Je vais prendre congé de vous et je compte sur

vous…Jecomptesurvous.

LABELLE-MÈRE.Vouspouvez.

LEROI.Aurevoirmadame,aurevoirmesdemoiselles,croyezdèsàprésent

enmoninfiniereconnaissance.

LABELLE-MÈREETLESDEUXSŒURS.Aurevoir,Sire.

Ilsort.

SŒURLAGRANDE(àsamère).C’estdingueça!

SŒURLAPETITE.Maisc’estquicettepersonne?

La belle-mèremystérieuse et silencieuse sort. Les sœurs la suivent. La très

jeunefilleresteseule,l’aspirateuràlamain.

SCÈNE10

Quelquetempsplustard.Danslamaisonenverre.Labelle-mèrecourtdans

lescouloirs.Sesfillesessaientdelasuivre.Envain.

LAVOIXDELANARRATRICE.Depuislavisiteduroi,lafuturefemmedu

pèredelatrèsjeunefilleneseséparaitplusd’unétrangesourire.Elleavaitdit

qu’elle souhaitait se rendre à cette nouvelle soirée chez le roi seule, sans ses

filles et sans son futur mari. Ses filles étaient mortellement déçues. Elles

n’arrêtaientpasdes’interroger:Quiétaitcettefameusepersonnequiavaitséduit

leprince?Etqueleurmèreconnaissaitsibien.Lafuturefemmedupèredela

très jeune fille courait partout. Elle faisait des achats dans les plus grands

magasins à lamode.Concernant la robequ’elleporterait à l’occasionde cette

soirée, elle disait qu’elle avait retenu les leçons de la première fois. Il fallait

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Page 76: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

tournerlapageduclassiqueetdupassé.Ilfallaitentrerdanslamodernité.“La

jeunesse c’est l’avenir”, disait-elle. Le père de la très jeune fille vivait reclus

dans sa chambre depuis deux semaines. C’est comme s’il avait été

définitivementabandonné.Etilfumaitsansmêmes’encacherpuisquepersonne

neleremarquait.

Legrandsoirapprochaitetpersonnenecomprenaitcequisepassaitdansla

têtedecettefemme.

SCÈNE11

Soirdelasecondefêtechezleroi.Danssachambre,latrèsjeunefille,assise

sursonlit,estvêtuedelarobedesamère.Entrelafée.

LAFÉE(trèsessoufflée).C’estpasvrai!Jem’endoutais!T’asvul’heure?

Qu’est-cecequetufaislà?J’enétaissûre.C’estpourçaquejesuisvenue.J’en

étais sûre que t’irais pas sinon. J’ai eu unmal fou àme garer. Il est presque

minuit.C’estcommencélà-basjetesignale.T’attendsquoi?

LATRÈSJEUNEFILLE.Jevaispasyaller.J’aipasenvie.

LAFÉE.T’aspasenvie?Jetecroispas.Pourquoit’amiscetterobealors?

(Lamontredelatrèsjeunefillesemetàsonner.Laféeexplose.)

Mais tu commences à nous emmerder avec cettemontre ! Je te jure que ta

mère, si elle pouvait l’entendre cettemontre, ça commencerait vraiment à lui

casser les…Enplus, tu veux pas changer la sonnerie ?Elle est insupportable

celle-là.On tedemandepasdepluspenserà tamère,on tedemandedepasy

penser tout le temps, ce qui n’est pas pareil.Merde.Elle estmorte tamère…

Parcequetamèreelleestpasimmortelleetelleestmorteetc’estcommeça…

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Page 77: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

Jesuisdésolée…

(Onentendlesdouzecoupsdeminuit.)

Bon. Excuse-moi, on a plus le temps de discuter là !Qu’est-ce que tu fais

maintenant?

LA TRÈS JEUNE FILLE. Bon je viens.Mais c’est pour vous faire plaisir

vraiment.

LAFÉE.Bonbença,c’estsympa.Voilà.Pourmefaireplaisir.C’estmieux

querien.

Laféel’entraîneverslaporte.

SCÈNE12

Quelques instantsplus tard,devant lepalais.Le roidiscuteavec son fils et

désignelabelle-mère,àquelquespasdelà.Labelle-mèreestvêtued’unerobe

trèsexcentriqueettrèsmoderne.

LAVOIXDELANARRATRICE.Cettedeuxièmesoiréeorganiséeparleroi

était encore plus extraordinaire que la première. Le roi était impatient que la

future femme du père de la très jeune fille présente à son fils cette jeune

personnequil’avaittellementtroublélafoisprécédente.

Le très jeune prince, encouragé par son père, s’approche finalement de la

belle-mère.

LA BELLE-MÈRE (émue, assez bas pour ne pas être entendue du roi).

Bonsoir.

LETRÈSJEUNEPRINCE(gêné).Bonsoir.

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LABELLE-MÈRE.Voilà…Jesuisvenue,jesuisrevenue,jesuislà…Jesuis

au courant de tout…Neme demandez pas comment je sais… Je sais et c’est

tout.

LETRÈSJEUNEPRINCE(trèsétonné).Ahbon?

LABELLE-MÈRE.Jesuisvenuepourvousdirequevousn’étiezpasseulà

éprouvercequevouséprouvez.

LETRÈSJEUNEPRINCE.Ahbon?

LABELLE-MÈRE. Tout d’abord je n’ai pas bien pris lamesure de ce qui

s’estpasséentrenouslorsdenotretoutepremièrerencontre.

LETRÈSJEUNEPRINCE.Ahbon?

LABELLE-MÈRE.Non…Toutçaestarrivésivite…Jamaisjen’auraispu

imaginer revivre un jour une histoire comme celle-là… Aussi beau qu’un

conte…ouunrêve…non…Onseconnaîtsipeu…Vousneditesrien?

LETRÈSJEUNEPRINCE.…

LABELLE-MÈRE.Maisnon !Nonnon,nedites rien…Jen’aipasbesoin

quevousmeparliez.Ilmesuffitdesavoircequejesais.

LETRÈSJEUNEPRINCE.Ahbon?

LABELLE-MÈRE.Àvraidire,toutçamefaittrèspeuràmoiaussi.

LETRÈSJEUNEPRINCE.Ahbon?

LABELLE-MÈRE.J’yaibeaucoupréfléchivoussavezmaisjen’arrivepasà

renoncer…J’aienviedevivrepleinementcequinousarrive…Jenesaispasce

quevousenpensez,vous?

LETRÈSJEUNEPRINCE(l’airsidéré).…

LABELLE-MÈRE.Nonnonnon,neditesrien,vousavezraison…Pastout

desuite…

(Untemps.Délicatement.)Monamour…Vousparaissezsifragile…Etjeme

sens si fragile moi aussi… quand je suis près de vous… Vous tremblez on

dirait…

(Letrèsjeuneprinceveutparler,labelle-mèrelecoupe.)

Ouitaisez-vous…Nonneparlezpas,aprèstout…C’estmieuxainsi…

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Jesaisquebientôtnousseronsconfrontésàdegigantesquesdifficultés.Jesais

que bientôt nous serons confrontés aux préjugés. Je vous demande : Peut-être

devrions-nousgardersecretsnossentimentspourquelquetempsencore?Qu’en

pensez-vous?

(Letrèsjeuneprinceveutrépondre,labelle-mèrelecoupe.)

Non,nevouspressezpaspourrépondre…Excusez-moi, jevousbouscule…

Vous tremblez… C’est si beau, vous êtes si beau, et ça fait si peur de se

retrouver là,commeça, tous lesdeux…Sivoussaviezmonamour,comme je

me sens différente des autres femmes, comme je m’ennuie avec les autres

hommes…Quand je vous vois si jeune et si fragile, jeme sens si proche de

vous…Jemesenscommeunrefletdevous-même…Commeuneautremoitié

d’unfruit.Cesoir,jemesensmoi-mêmecommeuneenfant…Voustremblezde

plusenplus.

Untemps.

LETRÈSJEUNEPRINCE(assezbas).Vousmefaitespeur.

LABELLE-MÈRE.Comment?

LETRÈSJEUNEPRINCE.Vousmefaitespeur.

LABELLE-MÈRE.Commentçajevousfaispeur?

Letrèsjeuneprincefaitsigneàsonpèredevenir.

LEROI(s’approchantdesonfils).Qu’est-cequisepassemonchéri?Est-ce

queladamet’aexpliquéqu’elleconnaissaitcettejeunepersonnedel’autrefois?

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Page 80: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

(À la belle-mère.) Est-ce qu’elle va bientôt venir ? Est-ce qu’elle est déjà

arrivée?Elleestlà?

LETRÈS JEUNEPRINCE. Papa, cette femmeme dit des choses bizarres,

ellemefaitpeur.

LEROI.Ahbon?Elleveutsimplementteprésenterunepersonnequetuas

déjàrencontrée.

LETRÈSJEUNEPRINCE.J’aiplusenviedeparleravecelle.

LEROI(àlabelle-mère).Maisqu’est-cequisepasse?

LABELLE-MÈRE(tragique).JecroisMajestéquevotrefilsapeurdevous

avouercertaineschosesnousconcernant…

(Autrèsjeuneprince.)Tantpis,monchéri,nousdevonsdévoiler lavéritéà

tonpèremaintenant…Majesté,cettepersonnedontvotrefilsvousparlaitl’autre

jour,c’estmoi!

LEROI(interloqué).Ahbon?

LABELLE-MÈRE.Oui.

LETRÈSJEUNEPRINCE(catégorique).Maisnon!

LABELLE-MÈRE(surprise).Comment?!

LEROI.Enfinmadame,iln’ajamaisétéquestionpourmoiquecesoitvous.

LA BELLE-MÈRE. Hé bien si ! C’est moi ! Je sais que ça pourra vous

semblerunpeufou!Maisc’estlavérité.

LETRÈSJEUNEPRINCE.Tuvois,elleestcomplètementfolle.

LABELLE-MÈRE (ne comprenant pas la situation). Qu’est-ce que vous

racontez?Vousavezvous-mêmeditàvotrepèrequedecettepersonnequivous

étaitrentréededansl’autresoir,vousenétieztombéamoureux.

LETRÈSJEUNEPRINCE(àsonpère).Oui,maisc’estpaselle.

LA BELLE-MÈRE (au très jeune prince, comme si le monde s’écroulait

autourd’elle).Maissi,c’estmoi!Enfin,dites-le-luiquec’estmoiquivoussuis

rentréededans.

LETRÈSJEUNEPRINCE.Vousm’êtespeut-êtrerentréededansmaisc’est

pasvousquandmême.

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Page 81: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LABELLE-MÈRE(auborddeslarmes).Maissi.

LE ROI. Enfin madame, n’insistez pas, vous êtes grossière ou bien

complètement irresponsable. Je vous ai fait confiance et j’ai eu tort. Je vous

demandedepartird’iciimmédiatement.

LA BELLE-MÈRE (regardant autour d’elle, incrédule). Qu’est-ce qui se

passe?

(Auprince.)Maisc’estmoiquivoussuisrentréededans,jenesuispasfolle

quandmême,jelesaisbien.

LEROI.Partezmadame.

LABELLE-MÈRE(pleurant).Maisqu’est-cequisepasse?

Leroifaitsigneàsesgardesd’intervenir.“Qu’est-cequisepasse?”répète

labelle-mère.Lesgardestententdelasaisir.Elles’échappe,court,entredans

lepalaispoursuivieparlesgardes.Elledéclenchel’hilaritéchezlesinvités,elle

ressorteffrayéeetenlarmes.Elleperdunechaussure,undesgardeslaramasse.

Elles’enfuitenboitant.Leroiaccompagneletrèsjeuneprinceàl’intérieurdu

palais.Latrèsjeunefilleentre.

LETRÈS JEUNEPRINCE (ressortant).Bonmoi jem’en vais… Je rentre,

j’enaimarre.

LATRÈSJEUNEFILLE.Çavapas,vouspartez?

LETRÈSJEUNEPRINCE.Ouaisjecomprendsrienàcequisepasseici.

LATRÈSJEUNEFILLE.Ahbon?

(Untemps.)

Vousarrêtezpasdefairedessoiréesencemoment!

LETRÈSJEUNEPRINCE.C’estunpeuexceptionneljecrois.

LATRÈSJEUNEFILLE.C’estenquelhonneur,celle-là?

LETRÈSJEUNEPRINCE.Jesaispas,c’estmonpèrequis’occupedeça.Il

m’ajustedemandédevenir.

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Page 82: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LATRÈSJEUNEFILLE.Ettupartaisdonc?

LETRÈSJEUNEPRINCE.Ouais,enfait,jesuisassezpressécesoir,j’aiun

rendez-voustéléphoniqueversminuit.

LATRÈSJEUNEFILLE.Ahbon!C’estencoretamère?

LETRÈSJEUNEPRINCE.Ouais.

LATRÈSJEUNEFILLE.T’aspasréussiàlajoindreladernièrefois?

LETRÈSJEUNEPRINCE.Euhnon.

LATRÈSJEUNEFILLE.Jevoulaistedemander:Çafaitcombiendetemps

quevousvousratez?

LE TRÈS JEUNE PRINCE. Euh, en fait, on s’est toujours ratés ! Depuis

qu’elleestpartie,onn’estjamaisarrivésàseparlerautéléphone.Çacommence

àbienfaire,j’enaimarre!Çafaitbientôtdixans!

LATRÈSJEUNEFILLE.Dixans?

LE TRÈS JEUNE PRINCE. Ouais, dix ans qu’elle est partie en voyage et

qu’elle est coincée dans les transports à cause des grèves. Elle arrive pas à

rentrer,c’estlagalèreetc’estlong!

LATRÈSJEUNEFILLE.Vachement!Surtoutpourdesgrèves.

LETRÈSJEUNEPRINCE.C’est-à-dire?

LATRÈSJEUNEFILLE.C’estunpeulongdesgrèvesquidurentdixans!

(Unpetittemps.)

Tutrouvespasqu’ilyacommeunproblèmeaveccettehistoire?

LETRÈSJEUNEPRINCE.Jevoispascequetuveuxdire!?

LA TRÈS JEUNE FILLE. Tu penses pas des fois qu’on est en train de te

raconterdeshistoiresaveccettehistoire?

LETRÈSJEUNEPRINCE.Jenevoispascequetuveuxdire!?

LATRÈSJEUNEFILLE.Jecroisquedesfoisdanslavie,onseracontedes

histoiresdanssatête,onsait trèsbienquecesontdeshistoires,maisonseles

racontequandmême.

LE TRÈS JEUNE PRINCE. Ah bon ? Je crois pas que je me raconte des

histoires.

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Page 83: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LATRÈS JEUNEFILLE.Ben si puisque tu te racontes que tamère qui a

jamaisput’appelerdepuisdixansvat’appelercesoir.

LETRÈS JEUNEPRINCE. Pourquoi ce serait pas vrai ?Mamèreme fait

direqu’ellevametéléphoneralorsj’aipasderaisondecroirequ’ellevapasle

faire,sionmeditquemamèrevatéléphoner,c’estqu’ellevatéléphoner.

LATRÈSJEUNEFILLE.Pardon,maisnon.

LETRÈSJEUNEPRINCE.C’estpastrèssympademedireçadisdonc.

LATRÈSJEUNEFILLE(fort).Çaarienàvoiraveclefaitd’êtresympaou

pasceque jedis…Ceque jedisc’estquece soir, tamèrepour lavingt-cinq

millièmefois,ellevapastetéléphoner…Etquemêmesiellelevoulaittrèstrès

fort te téléphoner, elle pourrait pas te téléphoner…Parce que là où elle est ta

mère,elleapaslapossibilitédelefaire…Làoùelleest,yapasdefilpourse

connecteraveclesgenscommenousici,ellepeutpas…

LETRÈSJEUNEPRINCE.Qu’est-cequetuveuxdire?

LATRÈSJEUNEFILLE.Cequejeveuxdire…c’estquejecroissavoirque

ce soir ta maman elle va pas t’appeler… et demain non plus… et dans une

semainenonplus.

(Unpetittemps.)

Parce que tamaman, parce que tamère, son cœur il bat plus… depuis dix

ans… depuis dix ans elle est morte ta mère… En fait, ta mère est morte…

Voilà…

J’aurais préféré qu’on parle d’autre chose pour une première fois qu’on se

parlevraimentmaisc’estlaconversationquiestpartietouteseule…

LETRÈS JEUNEPRINCE.Hé ben dis donc, c’est pas très aimable deme

direunechosepareille!

LATRÈSJEUNEFILLE.Non!Maisçan’arienàvoiravecl’amabilité.

LETRÈSJEUNEPRINCE.Tuaimeraisçamoiquejetedisequetamèreest

morte?!

LATRÈSJEUNEFILLE.Bentupourrais…Tupourraismeledire…Parce

que c’est la vérité,mamère estmorte et tu saismoi aussi faut que j’arrête je

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Page 84: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

crois deme raconter des histoires,me raconter qu’elle va peut-être revenir un

jourmamère,sijepenseàellecontinuellementparexemplenon!Elleestmorte

etc’estcommeça!Ellevapasrevenirmamère!Etelleestmorte!Commela

tienne!Etriennepourraychanger?Nonrien.

LETRÈSJEUNEPRINCE.C’esttristecequeturacontes.

LATRÈSJEUNEFILLE.Ouic’esttriste!Maisc’estcommeça.

LETRÈSJEUNEPRINCE.J’aipasenviedetecroire.

LATRÈSJEUNEFILLE.Hébien,tudevraisparcequec’estlavérité,c’est

mêmetonpèrequil’adit…Jel’aientendu…Ildittonpèrequ’ilafaitçapour

pasquet’aiesmaletquetusouffres.

LETRÈSJEUNEPRINCE.T’asentendumonpèredireça?

LATRÈSJEUNEFILLE.Ouais…

(Untemps.)

Voilà…Tamèreestmorte…Tamèreestmorte…Commeçamaintenanttu

sais…Et tu vas pouvoir passer à autre chose…Et puis ce soir, par exemple,

resteravecmoi…Jesuispas tamèremais jesuispasmalcommepersonne…

J’aidestrucsdedifférentsd’unemèrequisontintéressantsaussi…

LETRÈSJEUNEPRINCE.Ouaisc’estvrai.

LATRÈSJEUNEFILLE.C’estvraiquoi?

LETRÈSJEUNEPRINCE.Benjemedisaisquec’étaitdrôlequ’ellearrive

pasàrentrerendixansquandmêmec’étaitunpeulong.

LATRÈSJEUNEFILLE.Çaadûêtreunpeulong.

LE TRÈS JEUNE PRINCE. Y a quelque chose qui tournait pas rond dans

cettehistoire.

(Ilpleure.Elleleprenddanssesbras.Untemps.).Merci.

LATRÈSJEUNEFILLE.Derien…

(Elleestémue.)

Bon,c’estmoiquivaisrentrerpeut-être…Ilesttardmaisonpourraserevoir

situveux.

LETRÈSJEUNEPRINCE.Ouij’aimeraisbientedonnerquelquechosepour

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Page 85: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

teremerciermaisjesaispasquoi.

LATRÈSJEUNEFILLE.C’estpasgraveenfait…Tusais,çam’aidedete

parlerjecrois.

LE TRÈS JEUNE PRINCE. Je peux peut-être te donner une de mes

chaussures,tum’asditqu’ellesteplaisaientl’autrefois.

LATRÈSJEUNEFILLE.Ahbonj’avaisditça?

LETRÈSJEUNEPRINCE.Tulepensaispas?

LATRÈSJEUNEFILLE.Sisibiensûr…Bont’asqu’àmedonnerunedetes

chaussuresensouvenir.C’estbient’asraison.

Illuidonnesachaussure.

LETRÈSJEUNEPRINCE.Alorsvoilà,çaferaunsouvenir,c’estmieuxque

rien,j’airiend’autreàtedonnerpourlemoment.

LATRÈSJEUNEFILLE.Bonben,merci.

LETRÈSJEUNEPRINCE.Aurevoir.

LATRÈSJEUNEFILLE.Aurevoir.

LETRÈSJEUNEPRINCE.Tut’appellescomment?

LATRÈSJEUNEFILLE.Encemomentonm’appelle“Cendrier”.

LETRÈSJEUNEPRINCE.Cendrillon?

LATRÈSJEUNEFILLE.Nonpas “Cendrillon” !Mais si t’as raison, c’est

plusjoli,appelle-moiCendrillon…ouSandra.

Ellesort.Letrèsjeuneprincelaregardepartir.

SCÈNE13

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Page 86: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

Dans lamaisonenverre.Lasœur lagrandeestassisesurunechaise, l’air

accablée.

LAVOIXDELANARRATRICE.Le lendemaindans lagrandemaisonen

verre,c’étaitl’inquiétude.Depuisqu’elleétaitrentréedelasoiréeorganiséepar

le roi, la future femme du père de la très jeune fille n’était pas sortie de sa

chambre. On avait appelé plusieurs docteurs tellement son état inquiétant

inquiétait.

Entrelatrèsjeunefille.

SŒURLAGRANDE.T’aspasmieuxàfairequedetraînersansbutcomme

ça comme une touriste, tu m’énerves, c’est pas possible ! Ce que tu es

exaspérante,mapauvrefille…

LA TRÈS JEUNE FILLE. J’ai plus tellement envie qu’on me donne des

ordrescematin.Jesaispaspourquoi.

SŒURLAGRANDE.Qu’est-cequeturacontes?T’asmêmepasdébarrassé

latablej’aivu.

LATRÈSJEUNEFILLE.Ouijesais.

Lasœurlapetiteentre.

SŒURLAPETITE(désignantlachambredesamère).Ellelà-bas,çavapas

dutout.

SŒURLAGRANDE (désignant la très jeune fille).Et elle non plus ici on

dirait.

Onsonneàlaporte.

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Page 87: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

SŒURLAPETITE(àlatrèsjeunefille).C’esttamontre?

LATRÈSJEUNEFILLE.Non,c’estlaporte.

LESDEUXSŒURS.Benvas-y.

LATRÈSJEUNEFILLE.Jepréféreraisnepasyallerjecrois.

SŒURLAGRANDE.Maisçavapasbienlatête!Déjàquenotremèreest

tombéemaladecematin.T’escomplètementirresponsableouquoi?

LEROI (entrant, entouré de ses gardes). Excusez-moi, je me suis permis

d’entrer,laporteétaitgrandeouverte.

SŒURLAGRANDE.Merdec’estvousMajesté?Onestpascoiffées.

LEROI.Vousêtestrèsbiencommevousêtes.

SŒURLAPETITE.Qu’est-cequivousamèneSirecettefois?

LE ROI. Mon fils a revu hier cette jeune personne de l’autre jour que je

recherchaisdéjàenvainilyadeuxsemaines.Maismonfilsestétourdi,ilsnese

sontpaséchangéleurscoordonnéesenpartant.

SŒURLAGRANDE.Benvoussavez,nousonn’étaitpasàvotresoirée.

LEROI.Ah bon ?Mon fils est complètement transformé, ilme parle sans

cesse de cette jeune femme. J’ai lancé une grande opération de recherche, j’y

participemoi-même.Vousnepensezpasquequelqu’unquihabiterait icichez

vousauraitpuse rendreàcettesoirée.Jenesaispas…parexemple,defaçon

anonyme?Etainsirencontrermonfils…

(Ilmontrelatrèsjeunefille.)

Cettejeunepersonneparexemplen’habitepaschezvous?

SŒURLAGRANDE.Elle,vousavezvul’allure?

Unpetittemps.

LATRÈS JEUNEFILLE (au roi).Excusez-moiMonseigneur, je crois que

c’est moi qui ai parlé avec votre fils hier soir, on s’est pas donné nos

coordonnéesc’estvrai,onyapaspensé.

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Page 88: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LEROI.Ahbon,c’estvous?

SŒURLAGRANDE.Maiselledébloqueouquoi?!

SŒURLAPETITE(àlatrèsjeunefille).Ett’esalléehabilléecommeçaàla

soirée?

SŒURLAGRANDE.Habilléecommeunchimpanzé?

LATRÈSJEUNEFILLE.Non,jemesuishabilléeautrement,avecunerobe

demamère.

LEROI(auxdeuxsœurs).Voussavez,c’esttrèssimpledevérifiersespropos.

Monfilsm’aditqu’ilavaitoffertensouveniràcettejeunepersonneunedeses

chaussures.

LESDEUXSŒURS(étonnées).Unedeseschaussures?

LEROI.Oui !Çacesont les jeunes !Donc, ilest très facilemaintenantde

demander à cettemademoiselle si elle est enpossessionde cette chaussurede

monfils.

Latrèsjeunefillesort.

SŒURLAGRANDE.Làvousêtesentraindevousraconterunehistoiredans

votretêteMajesté.

SŒURLAPETITE.Complètement!

SŒURLAGRANDE.Onvousauraprévenu.

SŒURLAPETITE.Vousvousfaitesdumal!

SŒURLAGRANDE.Enplus,cettefillec’estpasuncadeau,àpartsivous

voulezmonterunesociétédenettoyage.

SŒURLAPETITE.Etencore!Elle-même,elleestpashyperpropre.

SŒURLAGRANDE.Ahouaisc’estvrai,on l’appelleCendrierentrenous,

vousavezqu’àvoir.

LEROI.Mon fils m’avait évoqué le prénom de cette jeune fille : quelque

chosecommeCendrillon.

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Page 89: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

SŒURLAGRANDE.Nous,c’estCendrierqu’onconnaît!

Latrèsjeunefillerevient,lachaussuredutrèsjeuneprincedanslesmains.

LATRÈSJEUNEFILLE(auroi).C’estpasçadontvousparlez?

Elleluidonnelachaussure.

LEROI(examinantlachaussure).Attendezvoir…Bensi,c’estlachaussure

demonfils,c’estmarquélenomdufabricantàl’intérieur!

LESDEUXSŒURS(interloquées).Ahbon?

LEROI.Etc’estsapointure.Ilchaussetrèspetitpoursonâge.

(Àlatrèsjeunefille.)Benalors,c’estvouslaprincessedemonfils?!

LESDEUXSŒURS.Quoi?

LATRÈSJEUNEFILLE.Ilmel’adonnéeensouvenir,ilm’adit.

LEROI(àlatrèsjeunefille).Jecroisquevousêtesentraindetransformersa

vieetlamienneparlamêmeoccasion.Depuisdixans,ilnefaisaitqueparlerde

samèreetaujourd’hui,ilmeparleplusquedevous.

(Deplusenplusenjoué.)Jecroisquejevaisorganiseruneautregrandesoirée

trèsprochainementalors!J’adorelessoiréesmoi,qu’est-cequevousendites?

LATRÈSJEUNEFILLE.Benoui,çapeutsefairesivotrefilsyestaussi,on

boirauncoupensemble.

LEROI.Çac’estformidable.J’adorem’amusermoi.

(Auxsœurs.) Évidemment vous êtes invitées vous aussi.Bon ben, c’est une

bellejournéequicommencetoutça.Jenevousembrassepasmaislecœuryest.

Àtrèstrèsbientôtdonc.Jecoursannoncerlabonnenouvelleàquivoussavez.

Le roi sort. Les deux sœurs regardent fixement la très jeune fille, l’air

sidérées.

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Page 90: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

Auboutd’unmoment,labelle-mèreentre,chancelante,abattue.

LABELLE-MÈRE (à ses filles).C’est quoi ce boucan ? Qu’est-ce qui se

passe?Vousavezdestêtesdecimetière!Ilestarrivéquelquechoseencore?

SŒURLAGRANDE(effrayé,ménageantsamère).Non,rienmaman.

SŒURLAPETITE(mêmeattitudequesasœur).Rien.

SŒURLAGRANDE.Riendutout,t’inquiètepas…Yestrienarrivé.

SŒURLAPETITE.Pasdutout.

LABELLE-MÈRE.C’estCendrierouquoi?

SŒURLAGRANDE.Nonnon,pasdutout.

SŒURLAPETITE.Rienn’estarrivéavecCendrier,riendutout.

Latrèsjeunefillesort.

SŒURLAPETITE.Ys’estrienpasséavecelle.

SŒURLAGRANDE.Riendutout.

SŒURLAPETITE.Riendutoutmaman,t’inquiètepas.

LABELLE-MÈRE.J’aimemieuxça.

SŒURLAGRANDE.Riendutout.

Labelle-mèresortàsontour,deplusenplusfaible.

LAVOIXDELANARRATRICE.Decejour,latrèsjeunefillepartitdecette

maison avec son père. Ils trouvèrent un logement provisoire, et puis quelque

temps plus tard, son père se remaria mais cette fois avec une femme moins

désagréable. En plus, il arrêta de fumer. Pendant ce temps chez l’ex-future

femme du père de la très jeune fille, il arriva un phénomène curieux. Les

oiseaux, comme par un effet magique, ne se cognaient plus contre les parois

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Page 91: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

invisibles de la maison. C’est comme si maintenant ils étaient prévenus du

danger. Par contre, de façon curieuse, les bruits, que faisait l’impact contre le

verre quand ils se cognaient, continuèrent, pendant assez longtemps et ça

troublaitlatranquillitédelapetitefamille.

Heureusement,unjourçacessa.

SCÈNE14

LAVOIXDELANARRATRICE.Alorsvoilàl’histoiresetermine.C’estla

fin. Comme je vous l’ai dit pour commencer, je ne me rappelle plus si cette

histoire est lamienneoubien l’histoiredequelqu’und’autre.Mais ça n’a pas

d’importance.Aujourd’hui,mamémoireestfatiguée,c’estcommesimoncorps

etmavoixn’habitaientplusaumêmeendroit.Mavieaétélongue,trèslongueet

trèsheureuse,alorsjesuiscomblée.J’aibeaucoupaimé,j’aieuquelquesenfants

etj’aivécupleind’événements,impossiblesàraconter.Maisjelesais…ilya

encoreundétailconcernantlatrèsjeunefillequevousaimeriezsavoir.Alorsce

détail je vais vous ledire.La très jeune fille, qui était curieuse et courageuse,

demandaunjouràlaféedevenuesonamiedepouvoirréentendrelesmotsdesa

mèreprononcésavantdemourir.Ainsilafée,quiavaitcepouvoir,luipermitde

revenirsurlepassé.Etvoilàcequ’elleapuentendre.

Chambredelamèremourantecommeaudébutdel’histoire.

Latrèsjeunefilleaccompagnéedelaféerevoitlascènedesderniersinstants

passésavecsamère.Commedevantuneprojection.

LAMÈRE.Ma chérie… Si tu esmalheureuse, pour te donner du courage,

penseàmoi…Maisn’oubliejamais,situpensesàmoifais-letoujoursavecle

sourire.

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Page 92: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

LAVOIXDELANARRATRICE.Biensûrçalarendittristederevoirainsi

samère.Etderéaliseràquelpointellel’avaitmalcomprise.Maisàpartirdece

jour,quandellepensaitàelle,c’étaitdelaforcequ’elleressentait.

SCÈNE15

Plustard.Unenuitdefête.Musique.

Letrèsjeuneprinceetlatrèsjeunefilledansent,sedéchaînent.

LAVOIXDELANARRATRICE. Et cesmoments-là non plus elle ne les

oubliajamais.Mêmeaprèsquelavielesaéloignésl’undel’autre,letrèsjeune

prince et la très jeune fille s’écrivirent. Ils s’envoyèrent des mots même de

l’autre bout dumonde, et ça jusqu’à la fin de leur existence.Voilà c’est fini.

Même les erreurs ont une fin heureusement.Alorsmoi, jeme tais et jem’en

vais.

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Page 93: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

DUMÊMEAUTEUR

PIÈCES

PôlessuivideGrâceàmesyeux,ActesSud-Papiers,2003.

AumondesuivideMonami,ActesSud-Papiers,2004.

D’uneseulemainsuivideCetenfant,ActesSud-Papiers,2005.

LePetitChaperonrouge,ActesSud-Papiers,“HeyokaJeunesse”,2005;Babel

no1246.

LesMarchands,ActesSud-Papiers,2006.

Jetremble(1),ActesSud-Papiers,2007(épuisé).

Pinocchio,ActesSud-Papiers/CDNdeSartrouville,“HeyokaJeunesse”,2008;

Babelno1313.

Jetremble(1)et(2),ActesSud-Papiers,2009.

Cercles/Fictions,ActesSud-Papiers,2010.

Cetenfant,ActesSud-Papiers,2010.

Machambrefroide,ActesSud-Papiers,2011.

LaGrandeetFabuleuseHistoireducommerce,ActesSud-Papiers,2012.

Aumonde,nouvelleédition,ActesSud-Papiers,2013.

LaRéunificationdesdeuxCorées,ActesSud-Papiers,2013.

Çaira(1)FindeLouis,ActesSud-Papiers,2016.

ESSAI

Théâtresenprésence,ActesSud-Papiers,coll.“Apprendre”,2007.

BEAULIVRE

JoëlPommerat,troubles,avecJoëlleGayot,ActesSud,2009.

SURJOËLPOMMERAT

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Page 94: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

AvecJoëlPommerat,unmondecomplexe,MarionBoudier,ActesSud-Papiers,

coll.“Apprendre”,2015.

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Page 95: ACTES SUD-PAPIERS Conception graphique : Thomas Gabison

Ouvrageréalisé

parleStudioActesSud

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