actes point rencontre septembre 2011 - santé sud€¦ · synopsis tongasoa dokotera (bonjour...
TRANSCRIPT
1
2
Ouverture
Paul Benos : Président de Santé Sud
Bienvenue à tous. Je m'appelle Paul Benos et je suis le nouveau président de Santé Sud,
succédant à Guy Farnarier qui animera la table ronde tout à l 'heure. Nous présentons ce soi r
une thématique importante. Pour ceux qui connaissent l'association, vous savez que nous
travaillons sur trois axes di fférents :
• la médecine générale communautaire
• la prise en charge du handicap
• le soutien aux s tructures sani taires aux pays qui en font la demande
C'est dans ce cadre que nous avons voulu réunir de façon croisée deux thématiques en
cherchant les points de rencontre entre le Nord et le Sud. Au Nord nous sommes dans un
contexte de diminution de la densi té médicale avec un problème de désertifi cation médicale
en zone rurale. Ce phénomène existe déjà depuis un certain nombre d'années. Des solutions
ont été proposées pour y remédier dont la méthode ministérielle, quelque peu coerci tive, qui
a mené tous nos internes dans les rues il y a deux ans . On a di t alors qu'ils n'auraient plus le
choix et seraient installés en fonction des besoins . Vous le savez, il y a eu un recul par rapport
à cette atti tude. Néanmoins il y a eu des
efforts des collectivi tés locales pour atti rer
les jeunes médecins vers les zones rurales.
Certaines communes ont proposé un
salariat aux jeunes médecins, certains
départements voi re communes ont
proposé le financement de la fin des
études de ces jeunes étudiants sous
réserve qu'ils contractualisent une activité
dans ce secteur d'une durée minimale de
trois , voi re cinq ans . Il y eut donc toute une
série d'ini tiatives . Il faut redire aussi que la
médecine générale étai t perçue comme la médecine du pauvre, et par extension la médecine
rurale presque comme la médecine du tiers-monde. La réforme de l 'internat fut très
importante pour redonner sa place à la médecine générale : une place centrale et une
spécialité à part entière.
Nous allons parler ce soi r de la formation des médecins généralistes de manière
générale et, en particulier pour l'Afrique, de manière communautaire. Cette Afrique connaît
une dynamique inverse : paradoxalement il y a pléthore de médecins mais avec une
dis tribution géographique très inégale. En particulier une absence d'offre de soins aux
populations qui vivent en zone rurale.
3
C’est à la lueur du livre de Dominique Desplats (LE GUIDE du médecin généraliste
communautaire en Afrique et à Madagascar - Dominique Desplats et Clément Razakarison),
qui nous racontera l'historique et la genèse de ces projets , que nous envisagerons la question
de l ’utilisation optimale de ces médecins di ts « Chômeurs », formés dans les facul tés africaines
respectives, et qui pour un certain nombre de raisons , essentiellement des raisons familiales,
d'isolement, d'impression d'abandon, ne vont pas en brousse. Est donc née l 'idée de restaurer
ce qui chez nous avait été nommée au début du XXe siècle la médecine dite « de campagne »,
pour ces médecins qui , voyant qu'il n'y a quasiment plus de place dans la fonction publique, se
sont ouverts vers un nouveau métier que nous appelons médecine générale communautaire.
Ce débat va être introduit par un film, Tongasoa Dokoterra , Bonjour docteur, qui es t
intéressant en ce qu'il permet d'entrer dans la quotidienneté de ce métier. S'ensuivra le débat
pour brasser les difficultés communes partagées, les points de rencontre et les solutions
possibles autour de ce métier particulier.
Photogramme extrait du film
Tongasoa Dokotera
4
Projection du film
SYNOPSIS
Tongasoa Dokotera (Bonjour Docteur)
A Madagascar, l 'Ile continent où vi t une population d'environ 16 millions d'habitants sur 587
000 Km2 - dont 80% en zones rurales - gérer la carte sani tai re pour une offre de soins la plus
équitable possible n'est pas chose aisée. Pour relever ce défi , un partenariat original entre les
services de l 'Etat et les médecins généralistes communautaires permet d'offri r aux habitants
des villages les plus isolés un accès à de véritables prestations médicales. Pour ce fai re, il faut
avant tout sensibiliser les jeunes médecins malgaches à l 'intérêt de la pratique en zone rurale
puis les aider à s'y ins taller et à y vivre... C'es t la mission que l'ONG Santé Sud anime avec
rigueur, méthode et enthousiasme. Un film aux images magnifiques de 26 minutes réalisé par
ARRAV avec la participation de l'équipe de Santé Sud Madagascar.
5
Débat autour de la projection
Paul Benos : Président de Santé Sud
Je vais commencer par introduire quelques chiffres : l ’expérience pour les médecins de
campagne a commencé au Mali en 1989 avec la première installation d'un médecin.
Aujourd’hui ils sont envi ron 150. Pour Madagascar nous en sommes à une soixantaine. Le
dernier pays dans lequel intervient l ’association est le Bénin, où ils sont une douzaine.
Je passe maintenant la parole à Guy Farnarier, Médecin neurologue et Ex-président de Santé
Sud, qui va animer le débat.
Guy Farnarier :
Médecin neurologue et Ex-président de Santé Sud
Merci Monsieur le Président. Le film que nous venons de voir est une bonne illus tration d’un
programme de médicalisation en zone rurale. Nous avons entendu le docteur Clément
Razakarison, qui est le coordonnateur général de la délégation locale de Santé Sud
Madagascar, nous donner les principes de base du disposi tif de ces programmes. Nous avons
vu quelques illustrations sur le terrain avec ces jeunes médecins sur les hauts plateaux, entre
autres , et avec l ’ineffable docteur Jean-Marie à Tuléar qui nous montre ce qu’est l ’application
de ce disposi tif et quels sont les nombreux problèmes qui peuvent se poser.
En septembre 2008 nous faisions une mission de faisabilité au Bénin, à une époque où l ’on se
posait nous-mêmes beaucoup de question sur l ’avenir
de nos programmes. Nous n’avions pas un moral très
haut quand nous sommes partis, et quand nous
sommes revenus , en ayant constaté la demande des
populations , l'utilité, les besoins, nous en avons conclu
bien sûr qu'il fallait enlever le point d'interrogation à la
question : « médecin généraliste un métier
d’avenir ? ». Au Sud, c'est un métier tout nouveau qui
est en train de se développer, alors qu'au Nord il existe
depuis longtemps.
La réussite des programmes de Santé Sud ne se fait pas
toute seule. Il y a le dispositi f tel que nous l'a exposé
Clément Razakarison et qu’il présente, avec
Dominique Desplats, dans leur livre qui es t un guide sur la médecine communautaire de
campagne. Vous verrez, en le lisant, qu’il y a beaucoup de choses à mettre en oeuvre en
amont, et sur le long terme. Autrement dit : « pour fai re des miracles, il faut de la durée. »
NB : Pour ceux qui ont été intéressés de voir l’application
de ces programmes, il existe un autre film qui s’appelle Toro Si Té (Tout va bien), se déroulant au Mali et qui plonge pendant
une heure dans le quotidien d’un médecin de campagne au Mali.
6
Lorsqu'on évoque ces problèmes de médicalisation en
zone rurale, dans le Sud nous renvoyons souvent cela à
un problème de manque de ressources humaines, de
médecins . Paul Benos l 'a bien di t, plutôt qu'un problème
de ressources humaines il y a souvent un problème de
mauvaise répartition des ressources humaines. La
situation comporte à la fois une forte densi té de
médecins (dont certains « chôment ») et à la fois des
déserts médicaux, ce qui peut évoquer des similitudes
entre le Nord et le Sud. Je renvoie d'ailleurs à un colloque
qui s 'est tenu à Marseille en novembre 2007, organisé
par Santé Sud et par l 'Union Générale des Médecins
Libéraux, inti tulé « Médecine de proximité : crise des
ressources humaines? Regards croisés Nord/Sud »*. Bien que les contextes soient di fférents
entre les deux zones , il y a beaucoup à échanger dans ce domaine.
Ici , dans le Nord les choses bougent beaucoup : le problème de la démographie médicale est
évident mais on constate aussi une forte demande envers une médecine de proximité qu'il
faut arriver à satisfai re. Mais les jeunes médecins généralistes n'ont pas envie d'être
corvéables et taillables à merci . Il faut donc chercher des pis tes, par
exemple autour des Maisons de la Santé, avec de petits plateaux
techniques, des choses qui vont dans ce sens . Au Nord il y a aussi une
nouvelle donne provoquée par la féminisation de la profession. On
peut voi r certaines municipalités recruter et salarier des médecins,
mais aussi une évolution des partenariats public/privé.
Pour approfondir le débat, nous avons ici quelques experts que je vais
vous présenter brièvement : le Docteur Pierre Costes, ancien
président MG France1, es t un grand connaisseur des systèmes de soins
et a lui-même vécu ce qui est décri t dans le film. Le Docteur
Christiane Giraud, présidente de FMF132, es t une syndicaliste de
pointe qui connait très bien la problématique de la santé et de la
médecine générale. Dominique Desplats, co-fondateur et ancien
président, conseiller projets de Santé Sud, est surtout l'artisan
inlassable depuis deux décennies de ces programmes de médecine de
campagne. Sans lui , tout ce dont nous parlons ce soi r serait sans objet.
Georges Soula, chercheur au Centre de formation et de recherche en
santé et médecine tropicale, es t avant tout un expert tropicaliste dans
la mesure où il a fait une très longue et importante carrière en Afrique.
Je leur cède la parole, et sachant que nous avons deux spécialistes du
Nord et deux du Sud, nous commencerons par un expert du Nord avec
Pierre Costes .
1 Syndicat des Médecins Généralistes de France
2 Fédération des Médecins de France Bouches du Rhône
Hery Lys & Guy
Farnarier, Madagascar
* DOSSIER DE PRESSE DU COLLOQUE Médecine de proximité : Crise des ressources humaines - Regards croisés Nord – Sud
16 Novembre 2007 aux Jardins du Pharo
7
Le Dr Pierre Costes posant avec
son vélo sur une route de
Madagascar, où il est arrivé avec
sa femme au terme d’un périple de plus de 8000 km parcourus depuis
leur village dans la Drôme.
INTERVENTION Pierre Costes : Ancien président du syndicat des Médecins Généralistes de France
Bonjour, je suis un passionné de médecine
générale que ce soi t au Sud ou au Nord car
c'est effectivement un thème inépuisable.
Les professionnels que nous sommes sont
forcément impliqués mais aussi chaque
individu car nous sommes tous confrontés
à des problématiques de santé ou d'accès
aux soins, dans notre famille ou dans
notre cadre de vie. Chacun est impacté
personnellement dans sa relation à la
médecine.
Ce qui aujourd'hui résonne pour le Nord
comme pour le Sud, c'est la notion de
déserti fication. Chez nous , la déserti fi cation a des
raisons politiques. Quant au Sud, j'étais moi -même
victime des représentations générales sur ce que
pouvai t être la médecine au Sud. J'ignorais qu'il y avai t
beaucoup de médecins , mais qu'ils n'étaient pas là où
le besoin se faisait sentir, la population étant
essentiellement rurale et peu solvable. Ce ne sont pas les
ressources humaines qui manquent mais l 'adéquation entre l 'offre et la demande, et les
conditions d'organisation de l'offre. Cela m'a frappé parce que ma vision des choses
auparavant étai t celle d'un manque de médecins au Sud qu'il fallait pallier par l'envoi de
médecins du Nord… C'étai t une représentation erronée, telle que l'es t celle de la
déserti fication des zones rurales en France, car le problème ne se pose pas en termes de soin
puisque chez nous 90% de la population est urbaine.
Le problème en réali té est celui de la désertifi cation
des zones difficiles : pas forcément rurales mais aussi
périurbaines et des banlieues. Le problème n'est pas
de savoir si l'on trouve assez de médecins en zone
rurale car on en trouve, le système étant organisé en
permanences efficaces là où il y a peu de population et
peu de médecins. Ce sont dans les zones urbaines qu'il
y a une offre médicale considérable : généralistes,
spécialistes, hospitaliers , universitaires , urgences ... Et
pour autant il reste une difficulté d'accès aux soins primaires, entre autres pour les personnes
en si tuation économique précai re. Par exemple, aujourd'hui encore, Médecins du Monde à
Marseille a toujours l'utili té de son dispensaire d'accès aux soins .
Ce ne sont pas les ressources
humaines qui manquent mais
l’adéquation entre l’offre et la
demande, et les conditions
d’organisation de l’offre.
8
On constate donc que si la désertifi cation médicale au Sud concerne les zones rurales, il s'agi t
au Nord surtout d'une déserti fi cation des zones périurbaines. Or ce ne sont en aucun cas les
accès médicaux spécialisés qui posent problème dans les grandes villes. Il s'agi t d'un problème
d'accès aux soins médicaux les plus primaires , donc de médecine générale de première ligne.
Pourtant, là non plus , nous ne manquons pas de ressources humaines. Les chi ffres dans le Sud
sont de l'ordre de 15 médecins pour 100 000 habitants , alors qu'au Nord c'est de l'ordre de
350 à 400 médecins pour 100 000 habitants. Toutefois on parle de désertifi cation en France
aussi.
Ce sont donc des éléments qui font remettre en cause les représentations . D'une part celle
qu'au Sud on manque de ressources humaines , car on les a, bien qu'elles restent à organiser.
C'est d'ailleurs le travail fantastique de Santé Sud que de créer des conditions d'installation de
médecin en zone rurale. D'autre part, que dans les pays du Nord, le potentiel médical est, en
fai t, important lui aussi et qu'il faut donc créer les conditions pour que nous puissions
médicaliser les soins primaires .
Je terminerai sur un dernier mot concernant l 'originalité du programme de Santé Sud, qui es t
de former des médecins généralistes communautaires. Soi t généraliste : pour soigner la
personne, et communautaire : pour une fonction collective de prise en charge de
communauté et de santé publique. Car il faut savoir qu'il y a aussi des médecins généralistes
privés qui s'installent de leur propre chef à Madagascar, à la capi tale Antananarivo, et dans les
grandes villes. Mais ces derniers n'ont pas de rôle communautai re et ne portent pas les
programmes de santé publique comme la
vaccination. A côté d'eux existent des centres de
santé publics. Or médecin généraliste, chez Santé
Sud, cela va de pai r avec communautai re. Sur ce
point, je vous renvoie à la situation française pour
conclure : un des problèmes de la médecine
générale et de sa désaffection en ce moment est
que ce rôle communautaire n'est pas inscri t dans
sa fonction.
Les médecins généralistes font du soin à la personne et on ne leur donne aucun rôle collecti f
ou global, comme l'illus tre le cas caricatural de la vaccination de la grippe où l'on a négligé
d'utiliser les médecins comme relais. S'il y a bien un geste de santé publique de prise en
charge des populations de proximité qui devrai t passer par les réseaux existants , c'es t
évidemment le cas lors d'une vaccination préventive. Or c'est une organisation spéci fique qui a
été mise en place dans ce cas , par ailleurs très coûteuse, très compliquée, et qui a échoué
dans sa mission puisqu'on vient de supprimer soixante millions de doses de vaccin. Six millions
sur les 90 millions de doses prévues ont été utilisées. En face de cela , on avai t des médecins
généralistes qui ont été cantonnés à leur fonction de médecine générale et à qui on ne
reconnaît toujours pas la part communautaire de leur métier. On voit ainsi que ce métier de
médecine générale pourrait connaître au Nord comme au Sud, même si les conditions
divergent, la même responsabilité collective en termes de santé publique.
L’originalité du programme de
Santé Sud est de former des
médecins privés communautaires
pour soigner la personne avec une
fonction collective de prise en
charge de la santé publique.
9
INTERVENTION Georges Soula : Chercheur au centre de formation et de recherche en santé et médecine tropicale
Je vais commencer par récuser ce qualifi catif très flatteur d'expert qu'on m'a attribué, car au
cours de mon expérience professionnelle j'ai appris à me méfier de ce vocable. Ceci étant je
remercie Santé Sud de m'avoir donné l 'occasion d'apporter un témoignage qui ne sera axé que
sur mon expérience au Sud. Par rapport à la problématique qui est abordée, je voudrais
revenir sur une notion qui me para ît fondamentale, soulignée dans le film : la médecine de
proximité serait de qualité. Je suis au regret de di re que cette notion est fausse, correspondant
sans doute à un souhait mais non à la réali té : les populations au Sud ne se préoccupent pas
de la qualité des soins, étant cul turellement peu ai fait de celle-ci . Il faut donc intégrer cet
aspect afin de ne pas prendre ses dési rs pour des réali tés. Beaucoup d'anecdotes peuvent
étayer cette constatation.
Par exemple, au début des années 80, au Mali , tous les jeunes médecins sortant de la facul té
de médecine où j'étais affecté étaient automatiquement intégrés à la fonction publique et
envoyés dans des préfectures ou sous-préfectures pendant plusieurs années . Ils avaient une
formation polyvalente qui comportai t un volet important de santé publique, donc ils
détenaient une culture et une pratique de santé publique. Ils avaient également des notions
de chi rurgie et les capacités d'exercer de la chi rurgie de base. L’un d’entre eux, a ffecté à
400km au nord de Bamako. Fut confronté à un cas de dystocie en arrivant. A l'époque et en ce
lieu, une dystocie3 signifiait la mort inévi table de la mère et de l'enfant, surtout en pleine
saison des pluies. Donc c'est à la lampe tempête que ce jeune médecin pratiqua une
césarienne en parvenant à sauver et la mère et l 'enfant. Il es t alors devenu, du jour au
lendemain, le dieu du coin. Et il a été, dès ce moment, pris en otage par les autori tés
administratives , et sous la pression de la part de la population qui souhaitai t qu'il opère tout et
n'importe quoi . L'assistant chef de clinique marseillais, envoyé par Santé Sud pour apporter
son appui, a d'abord regardé le regis tre des interventions et observé que ce médecin opérai t
des salpingi tes4 à tour de bras . Il étiquetait ça « grossesse extra utérine » alors qu'il étai t
statistiquement impossible qu'il y en ai t autant : il s ’agissait de dysménorrhées (règles
douloureuses) qu'il ouvrai t et refermait comme ça. Et il s'est mis à tenter des prostatectomies
dont vous pouvez imaginer les suites dramatiques dans ces conditions sani taires . Pourtant
c'était le dieu local, et on venait de Mauri tanie pour se faire opérer. Je conclue ici cette
anecdote qui vise à souligner que la qualité des soins n'est absolument pas perçue par la
population.
Parallèlement à ce problème cul turel , il y a une dégradation manifeste de la qualité de la
formation des étudiants en médecine devenus de plus en plus nombreux au fil des années .
C'est là que Santé Sud a débarqué, et en particulier Dominique Desplats avec son idée de
médecin généraliste communautai re. Personnellement j'étais contre car je pensais que cela
allait entra îner des dérives et des effets pervers . En clai r, je craignais que ces médecins ne se
3 Difficulté d’accouchement liée à une pathologie
4 Inflammation d'une ou des deux trompes de l’utérus.
10
transforment en charlatans car je voyais mal comment on pouvai t les accompagner. Je n'avais
pas envisagé le compagnonnage qu'apporterait Santé Sud à ces médecins.
Je reviens donc sur cette notion essentielle de qualité car, actuellement, nous assistons à
l'arrivée dans les campagnes de médecins mal formés qui sont engagés avec des contrats
précai res financés avec des fonds de programme
verticaux pour faire soi-disant de la médecine rurale
mais qui vont se confronter à la prise en charge du VIH
ou à des vaccinations . C'est assez consternant de voir
cette évolution. Si nous ne développons pas cette
préoccupation majeure de la qualité de la formation et
des prestations effectuées, nous allons à la dérive.
C'est notamment ce que Hubert Balique redoute.
Cela étant di t, à la question « est ce que la médecine générale communautaire a de l'avenir? »,
je ne conclurai pas à la place de l ’assemblée, mais pour le cas du Sud, j'en suis convaincu.
J'appelle de mes voeux les responsables africains à rester vigilants sur la qualité des praticiens
et leurs conditions d'exercice, y compris financières. Je ne suis pas choqué qu'un médecin en
zone rurale gagne deux fois plus qu'un médecin de la fonction publique, ce qui es t à peu près
le rapport à ce jour au Mali . Voilà ce que je souhaitais mettre en exergue.
INTERVENTION Christiane Giraud : Présidente de la Fédération des Médecins de France – Bouches-du-Rhône
Je voudrais d'abord di re que je n'avais pas vu ce film auparavant, et que cette projection ce
soi r me rend très contente, car on y voit des médecins heureux.
Etant présidente d'un syndicat, j'écoute les plaintes et les dysfonctionnements dans le système
de soins . Mais ce qui est préoccupant pour la médecine aujourd'hui , c'est que les médecins
dans notre pays sont profondément malheureux. Les médecins ne connaissent pas le bonheur
d'être médecin et ça me parait grave, alors que le médecin
que l'on voi t à la fin du film a le goût et la vocation de son
métier qu'il voi t comme une aventure. Il tisse une histoi re avec
la population qu'il soigne et en éprouve une grande joie. Je ne
vois plus de médecins comme cela et c'es t très préoccupant.
On assiste à un effondrement de la médecine générale,
l'insatisfaction est effarante. Quand vous rencontrez un
médecin actuellement, il va sorti r son ti roir de plaintes, de
revendications et de frustrations . Donc cela me fait plaisir de
voir des médecins qui ont le plaisi r d'être médecin, et qui détiennent un savoir et une pratique
qu'ils mettent au service d'une population. La population est reconnaissante ce qui me para ît
jus te.
Si nous ne développons pas
cette préoccupation majeure
de la qualité de la formation et
des prestations effectuées,
nous allons à la dérive.
11
Concernant notre pays , je serais plus nuancée par rapport à ce qu'a dit Pierre Costes. Nous
avons des endroi ts en zone rurale ou en zone isolée, notamment dans les Alpes du sud (05),
qui perdent leurs médecins. Toute une génération de médecins oscille entre 60 et 70 ans et va
parti r en retraite. Or il n'y a pas de relève.
Nous essayons de voir comment organiser une relève dans ces zones rurales ou de montagne,
où personne n'a envie de s'isoler. J'étais encore hier soi r dans une réunion médicale où un
médecin de la région de Gap me disait qu'il assistait, dans certaines zones du département 05,
à une valse consternante de médecins roumains qui viennent, ne se plaisent pas et repartent.
Si l 'on observe la situation d'un point de vue s tatis tique, il y a effectivement encore largement
assez de médecins en France.
Notre souci , ainsi que celui des pouvoirs publics , reste l'adéquation médecins / population, sa
bonne réparti tion sur le terri toi re français. Car des médecins ,
et là je rejoins Pierre Costes, nous en avons . Mais les médecins quand ils sortent actuellement
de la facul té s'installent dans une ville de facul té. A Marseille, c'est typique par exemple, et ce
pour toutes sortes de raisons dont la longueur extraordinaire des études qui de mon point de
vue n'est d'ailleurs pas justifiée. Quand vous passez
douze ans de votre vie à fai re des études , vous vous
mariez, vous avez des enfants pendant ce temps, donc
vous êtes amenés plus ou moins à avoir un réseau
familial implanté que vous ne pouvez pas qui tter. Je ne
développe pas, d'autres en parleraient mieux que moi.
Actuellement nous avons un vrai problème concernant
l'adéquation entre les besoins de la population et l 'offre
médicale. Mais je n'i rai pas plus loin et je reste sur la
joie d'avoir vu des médecins heureux dans leur métier.
INTERVENTION Dominique Desplats : Co-fondateur et ancien président, conseiller projets de Santé Sud
Je vais simplement replacer les choses dans leur contexte car j'estime que pour la réflexion il
est nécessaire d'avoir un regard un peu éloigné. Il faut se rappeler qu'en Afrique pendant
toute l'ère coloniale, il n'y avait que deux facul tés de médecine pour toute l'Afrique : l 'une à
Dakar et l'autre à Tananarive. Au moment des indépendances en 1960, il y avai t très peu de
médecins formés , soi t issus de ces deux facul tés, soit parce qu'ils avaient étudié en France.
Ainsi, au moment de l 'indépendance au Mali, il y avai t 75 médecins maliens. Depuis les
indépendances , ces pays ont fait un effort considérable de formation : des facultés se sont
ouvertes dans toutes les capitales : Abidjan, Bamako, Yaoundé, Ouagadoudou, etc...
Contrairement aux années 60, il y a maintenant un nombre signi ficatif de médecins car il y a
des facul tés partout. Dans chaque pays on estime qu'il sort entre 100 et 300 diplômés chaque
Quand vous rencontrez un
médecin actuellement, il va
sortir son tiroir de plaintes,
de revendications et de
frustrations.
12
année. Ce qui fait qu'au Mali, actuellement, il y a plus de 2000 médecins .
Cette évolution est importante et posi tive car jusqu'aux indépendances , les médecins étaient
si peu nombreux qu'ils étaient tous administrateurs , ou travaillaient dans les grands hôpitaux
des capitales. Au niveau périphérique, au sens large du terme, les gens étaient soignés par des
paramédicaux. Les médecins généralistes n'existaient pas. Donc la médecine générale dans ces
pays est un métier inconnu. Quand se sont des infi rmiers qui soignent, c'est déjà bien, mais se
sont souvent des agents de santé ou des secouris tes hygiénis tes très peu formés qui jouent le
rôle de médecin généraliste !
En France, c'est l 'inverse qui s'est produit. La tradi tion médicale européenne, c'est le médecin
de campagne - celui de Balzac, ou le mari de Madame Bovary... Dans les hôpitaux, les
médecins y allaient très peu : il s ’agissait de mouroirs , des lieux de chari té et de pi tié...Quand
on était de bonne famille on n'allait pas à l 'hôpital qui étai t le lieu de soins des miséreux où
les étudiants apprenaient leur médecine et où les grands professeurs venaient de la ville pour
enseigner quelques heures par jour.
Ainsi, les deux systèmes du Nord et du Sud se sont construi ts à fronts renversés. Dans le sud, la
médecine praticienne est absente. Il y a surtout de grands programmes des pathologies
ciblées , des soins de masse et on laisse tomber les autres pathologies tandis que, dans le Nord,
la médecine est centrée sur la personne et sa famille. De mon point de vue le problème,
maintenant qu'il y a de plus en plus de médecins , c'est d'introduire le concept de médecin
généraliste, c'es t à dire le médecin de famille. Mais face à cette tradition de santé publique
importante, il ne faut pas se contenter d'importer notre modèle: nous devons l 'adapter. C'est
pourquoi nous proposons ce concept de « médecin généraliste communautai re » : un médecin
de famille qui prend en charge en même temps une collectivi té d'envi ron 10 000 habitants en
termes de santé publique.
En partant de ce concept nouveau adapté à la réali té africaine, nous sommes dans
l'innovation. Et l 'innovation peut mettre du temps à s 'imposer car elle n'est pas toujours bien
comprise. Les médecins eux-mêmes, par exemple, ont du mal à comprendre qu’aller soigner
des familles n'est pas déclassant. Leurs propres familles leur disent : « Tu ne vas pas faire ça ,
on ne t'a pas payé une dizaine d'années
d'études pour que tu ailles soigner des
paysans! ». On attend d'eux qu'ils soient
responsables d'un programme, et si possible
avec un 4x4, ou alors qu'ils se spécialisent et
deviennent médecin-chef au niveau d’un
l'hôpital dans leur spécialité. L'imaginai re du
jeune médecin en Afrique actuellement, ce n'est donc pas du tout de fai re de la médecine
générale. C'est d'être soi t un spécialiste, soi t un médecin de santé publique et de di riger un
service dans l'administration.
Il ne faut pas se contenter
d’importer notre modèle : nous
devons l’adapter.
13
Groupe de médecins communautaires
malgaches en formation
Nous sommes là dans un processus qui n'est donc pas évident au départ. C’est la raison pour
laquelle nous avons mis en place un disposi tif cohérent, avec une formation en médecine
générale qui n'existe pas. Les médecins qui font ce choix sont encadrés , nous leur trouvons des
sites viables et nous les mettons en réseau pour qu'ils arrivent à créer un espri t de corps. Ainsi ,
ils arrivent à défendre ce en quoi ils croient car ils découvrent quelque chose qu'ils ignoraient
complètement, à l'image de ce médecin si heureux dans le film parce qu’il peut exercer son
métier dans l'isolement mais de façon intéressante. C'est pourquoi nous prenons un coup de
jeune quand nous allons là-bas car nous y
retrouvons des jeunes médecins enthousiastes
qui se rassemblent pour faire des formations
en groupe de pai rs , qui ont envie de défendre
leur métier pour que celui -ci devienne central
dans la politique de santé de leur pays . Le pari
n'est pas gagné, il es t en cours , mais l'évolution est là . Celle des populations aussi car, même si
ce qu'a dit Georges Soula est exact, il y a malgré tout une évolution considérable des
mentalités des populations avec les portables, la télévision, l 'émigration, les gens qui
reviennent de l'étranger... Nous sommes de plus en plus dans la mondialisation, même dans le
coin le plus reculé d'Afrique. Les mentalités évoluent très rapidement et il faut que nous
évoluons aussi vi te qu'eux au risque d'être complètement dépassés.
Le pari n’est pas gagné, il est en
cours, mais l’évolution est là.
14
Questions-réponses avec le public
QUESTION 1
Hubert Nicolas : Responsable de programme de santé et très proche de la culture de Santé Sud.
J'arrive du Queyras où il n'y a plus de médecin depuis 4 jours . Il reste une médecin roumaine à
l'hôpital d'Aiguilles qui s'en va car elle en a assez, et un médecin retraité de Paris qui s'installe
à Molines car il pense à retravailler mais ne souhaite pas fai re de l 'urgence et assurer des
nuits . La solution actuelle serait de faire monter des médecins de Gap à Molines et à Saint-
Veran, en se relayant une fois par jour pour organiser une permanence qui coûte énormément
d'argent. Voilà qui illustre le problème de déserti fication par un exemple.
Ma question est la suivante : peut-on faire une projection et imaginer que ce même
phénomène (désertification des campagnes) va se produire au Sud? Car si on souhaite
pérenniser la place de ces médecins communautaires en brousse, il faut peut être améliorer
leurs moyens de diagnostic et aller vers la technologie. Personnellement, en suivant cette idée
j'ai informatisé les dispensaires dont je suis responsable à Madagascar, ins tallé trois
échographes, et je pense qu'il faut généraliser les labos pour améliorer les moyens de
diagnostic. C'est ce qui pourra peut être répondre à la question que je soulève. Pouvons-nous
avoir une vision prospective et non pas un état des lieux actuel?
REPONSE Q1 Pierre Costes :
C'est vrai que la première tentation pour répondre à cette question serait de di re : il n'y a pas
assez de médecins, il faut en former plus , etc... Mais la première question qu'il faut en fai t se
poser ici c'es t : combien d'habitant y a-t-il à Molines-Saint-Veran hors saison? 1 200 habitants .
Deuxième question à se poser : peut-on se permettre un médecin pour 1 000 habitants ,
24h/24 et 7j/7? Non, on ne peut pas, comme pour tous les métiers d'ailleurs . A-t-on besoin
d'un médecin comme on avai t à l 'époque, qui consacre son temps et sa vie à son cabinet?
Alors on fait venir des médecins , roumains ou polonais qui au bout de six mois repartent car
dans ces conditions là , ce n'est pas une vie. D'autant que si le nombre de professionnels
baisse, ça ne fai t qu'aggraver les di fférentiels. Il y a toujours eu plus de médecins en ville qu'à
la campagne, et plus de médecins en centre-ville qu'en banlieue.
Prenons l 'exemple du Québec, où il me semble que l ’on ne considère pas que les gens soient
les plus mal soignés . Ils comptent en moyenne 201 médecins pour 100 000 habitants. Nous en
avons 340 pour le même nombre, donc ils ont 50% de médecins de moins que nous , et
pourtant leur espérance de vie n'est pas inférieure à celle des français. Ont-ils moins de choix
que les français qui sont dans le où je veux quand je veux autant de fois que je veux et
librement remboursés? Nous savons que nous nous payons un système qui est extrêmement
luxueux. C'est d'ailleurs parce que nous connaissons une pléthore de médecins et de
spécialistes en France que l ’on peut se permettre d'être mal organisés : car si mon médecin
15
n'est pas là j'en appelle un autre, si l 'autre n'est pas là , j'ai les urgences , jour et nuit. En France,
à parti r du moment où la démographie du nombre de médecins baisse, il va falloir compenser
par de l'organisation en regard des situations, et nous ferons d'ailleurs beaucoup mieux.
Dernier point : en France les généralistes n'ont pas d'employés . En Angleterre où il y a deux
fois moins de médecins généralistes, les centres de santé emploient aussi un di recteur de
centre, des infi rmières qui jugent de la priori té des cas, des secrétaires qui gèrent la
comptabilité, etc... L'organisation du système est donc la réponse à votre question sur
l'élément qui prime pour les français, à savoir l'accès aux soins médicalisé. C'est en cela que
nous devons faire des efforts d'organisation y compris en termes de santé publique et de
médecine généraliste communautai re. Ce que fai t Santé Sud au Sud est extraordinai re en ce
qu'il introduit non pas des médecins mais un système, avec une réflexion sur la formation
continue, l 'étude de marché, les groupes de pai rs , le matériel . L'association Santé Sud amène
un système qui garanti t la qualité.
QUESTION 2
Yves Menghi : Ancien médecin généraliste de campagne dans la Drôme et médecin généraliste en Afrique,
depuis 13 ans.
Je n'ai pas vraiment de question mais je voulais apporter un témoignage et di re qu'on parle
des pays africains et de l'Afrique mais qu'il me semble que les pays africains et les africains ne
sont pas tous les mêmes. J'ai pu travailler au Mali où j'ai eu l ’occasion de constater ce que
Santé Sud a pu apporter. Je travaille surtout sur les îles de la Casamance au sud du Sénégal
où il n'y a aucune présence médicale effective et où nous sommes obligés, en transgressant
la grande règle de Santé Sud, de faire « à la place ». Nous montons donc des missions
médicalisées i tinérantes en pi rogue avec des médecins, dentistes , pharmaciens et infi rmiers
trois fois par an pendant au moins un mois . On se rend compte qu'il y a un problème de
politique, puisque les sénégalais ne veulent absolument pas entendre que la médecine de
proximité doit être faite par les médecins . Au Mali , ils l'ont bien compris et c'est posi tif, mais
en Casamance, il y a en plus une certaine insécurité qui n'inci te pas les sénégalais eux-mêmes
à exercer là-bas.
Je voulais donc surtout apporter un témoignage de l 'enthousiasme des jeunes médecins . Avec
SMARA (Santé Mali Rhône Alpes) nous avons instauré un système de bourses pour des
étudiants en médecine qui font leurs études à Bamako. Nous essayons de les amener en
formation sur le terrain, en compagnonnage. Je suis allé plusieurs fois en brousse, dans le
Sahel pur et dur, où j'ai pu accompagner des étudiants boursiers pour y faire de la médecine
généraliste. J'y ai découvert alors un enthousiasme extraordinai re. Je pense que c'est une
peti te voie pour que ces médecins puissent s'ins taller en brousse.
16
REPONSE Q2 Dominique Desplats :
Yves Menghi a raison d'insister sur un point : notre approche n'est pas possible partout. Elle
requiert un certain nombre de conditions . Il faut d'abord qu'il y ait suffisamment de médecins .
Il faut ensuite un accord avec le Ministère de la santé local pour que ces médecins qui ne font
pas partie de la fonction publique, puissent s 'installer dans les zones que nous sélectionnons ,
c'est à dire les trous de la carte sanitai re. Il faut qu'il y ait des médecins non employés , ce qui
n'est pas le cas de tous les pays : certains pays forment juste le nombre de médecins dont ils
ont besoin pour la fonction publique, il n'y a donc pas de ressources supplémentai res en
médecins .
Certains pays aussi, généralement anglophones , connaissent une telle fuite des cerveaux qu'il
n'y a plus de médecins, comme au Zimbabwe où l'espérance de vie dégringole. Il faut donc
considérer les possibilités au cas par cas, région par région. Avec le Mali par exemple, le projet
de Santé Sud est intéressant dans toutes les zones économiquement viables. Mais dans le nord
du Mali , zone sahélienne et saharienne, avec une population nomade et extrêmement
dispersée, nous ne pouvons pas installer un médecin car celui-ci ne peut pas vivre de son
activi té. C'est là que l 'Etat doit prendre ses responsabilités. Dans les zones enclavées , dans les
îles, l 'Etat doi t placer des médecins fonctionnaires , avec prime d'éloignement en rapport avec
des conditions diffi ciles. Ce n'est pas aux médecins privés communautai res d'aller assurer la
médecine dans ces endroi ts . Nous ne voulons pas nous substi tuer aux responsabilités des
Etats mais souhaitons compléter le système de santé pour qu'il puisse fonctionner
correctement. Nous avons essayé d'installer des médecins en Casamance et ce fut un échec
car la zone est enclavée et dangereuse. Le projet a donc du être arrêté malheureusement.
QUESTION 3 Dominique Blanc :
Médecin généraliste à Marseille
J'ai été très intéressée par l'exposé de Mr Desplats et assez étonnée d'apprendre qu'il y avai t
autant de médecins formés en Afrique donc je rejoins ce qui a été souligné par beaucoup, c'est
à di re qu'il y a de fortes inégalités selon les pays . Ayant beaucoup travaillé dans les pays à forte
prévalence VIH, où l 'une des premières cibles du VIH est le corps soignant (médecins et
infi rmiers). Beaucoup parmi ces derniers ont disparu de ce fai t. Au Zimbabwe par exemple,
c'est d'ailleurs l 'une des raisons de la désertifi cation médicale. Donc pour arriver à ce maillage
que vous prônez, malheureusement, encore faut-il qu'il y ai t des médecins .
Pour en revenir au film que j'ai trouvé magni fique et passionnant, je me suis posée deux
questions : le fameux dernier médecin heureux était quand même très enclavé et déclarai t
que pendant la saison des pluies il ne pouvai t absolument pas évacuer ses patients. S'il est
complètement isolé, comment fait-il pour communiquer avec ses pairs? Plusieurs des
médecins ont dit distribuer les médicaments : comment font-ils pour l'approvisionnement?
17
Certains ont des conditions de conservation spéci fique ou des dates de péremption rapide...
Comment font-ils pour actualiser leurs connaissances et communiquer? Sont-ils
informatisés? Ont-ils accès à internet?
REPONSE Q3 Dominique Desplats :
Ces médecins comme Jean-Marie dont vous parlez sont très isolés. Ils sont clairement coupés
du monde pendant deux à trois mois de l'année. Ils doivent s'approvisionner sur Tulear pour
des s tocks couvrant quatre mois minimum. Ils se retrouvent ensemble une fois par trimestre
en moyenne. Par ailleurs, dans ces endroi ts très isolés, ils ne sont pas informatisés car ces
zones sont couvertes par énergie solaire ce qui est peu compatible avec le fonctionnement de
matériel informatique. Donc les médecins vont dans des cybercafés quand ils sont à Tulear,
capi tale régionale. Effectivement, cela demeure très rustique et très rudimentaire.
Peti te parenthèse avec ce qui a été di t tout à l'heure : la technologie c'est très bien, mais
d'après moi la primauté est avant tout d'être d'excellents cliniciens . Or, malheureusement, la
formation est nettement insuffisante. Je reviens sur ce qu'a exposé Georges Soula sur les
facultés de médecine en Afrique : le manque d'encadrement, les promotions pléthoriques ... Il
faut donc prioriser la pratique clinique, car, avec une bonne maîtrise clinique, on peut
résoudre la majori té des cas qui se présentent.
REPONSE Q3 Georges Soula :
La facul té de médecine de Bamako, actuellement, forme des promotions de 1 000 médecins
par an. Or il est impossible que les structures hospitalières en place arrivent à satisfai re la
formation de tous ces étudiants . De mon temps, 50 ou 80 personnes représentaient déjà de
grosses promotions et ceux-ci occupaient énormément les enseignants maliens et les expatriés
pour les accompagner ne serait-ce que sur le plan clinique ou sur les travaux de thèse. C'est
donc un réel problème. On voit des jeunes diplômés qui n'ont pas le même niveau qu'avant,
notamment venant de Madagascar.
REPONSE Q3 Christiane Giraud :
Je voudrais ajouter que j'ai formé de nombreux médecins et j'ai continué à me former moi
même de façon continue. La médecine générale est une cul ture de base, à parti r de laquelle il
s'agi t d'évoluer. Tout le monde apprend toute sa vie. Je reconnais qu'il y a de meilleures
formations que d'autres. Il n'empêche que si vous avez un espri t méthodique, si vous avez la
cul ture de base et la possibilité de fai re une expérience, il n'y a aucune raison pour que vous
ne deveniez pas un bon médecin.
18
REPONSE Q3 Georges Soula :
Il ne faut quand même pas oublier que ces médecins doivent nécessairement être d'excellents
cliniciens. Ils n'ont pas d'appui de laboratoi re, ce qui peut encore s'apprendre. Mais quand en
plus il y a impossibilité de mettre les pieds à l 'hôpital pendant sept ou hui t années d'études, je
me demande bien où ils peuvent apprendre la clinique. En outre, vous avez bien constaté
l'isolement avec lequel ils doivent composer. Quand le téléphone portable fonctionne, c'es t
déjà beaucoup. Souvent il faut parcouri r 5 à 10 km à pied pour être au sommet de la colline et
avoir du réseau. Donc internet, ce n'est vraiment pas pour tout de suite dans bons nombres de
lieux d'installation de ces médecins . Les générations qui sont installées par Santé Sud sont
sorties d'étude il y a 10 à 15 ans , alors qu'ils étaient encore bien formés . Il ne s'agi t
malheureusement pas que de la nostalgie du temps passé, c'est un constat.
REPONSE Q3
Christiane Giraud :
En France, les médecins ont abandonné la clinique...
REPONSE Q3
Georges Soula :
...Ce qui es t moins pénalisant car on peut obtenir un scanner dans la demi-journée
maintenant, et fai re des bilans complets aisément.
QUESTION 4 Sanaa Mérini : Médecin généraliste marocaine
Je suis au Nord des médecins présentés dans le film mais au Sud des médecins que vous êtes
en France, et je revendique mon « africanitude » et le fai t d'être médecin généraliste
communautai re. J'ai été interpellée par plusieurs éléments : d'une part que la projection de ce
film mène à une réflexion autour de l'insatisfaction de médecins extrêmement nantis, qui
gagnent peut être 25 fois plus que des médecins du Sud. Mais aussi que le programme de
Santé Sud innovant et cité comme référence par l'OMS me renvoie à une problématique aux
antipodes de celle-ci qui es t la délégation des tâches à du personnel paramédical en zones
périurbaines. Car le concept de l 'installation de médecins en exercice solitai re en zone
périurbaine n'est que l'héri tage du modèle occidental héri té de la France ou d'autres pays
colonisateurs .
De plus, j'aurais aimé savoir ce que sont devenus les médecins « pionniers » de cette
aventure, les premiers installés, pour savoir ce qu'ils en disent maintenant. Car pour ma part,
les médecins que je connais en rural sont fatigués , déprimés, malades et vivent dans leur
19
cabinet isolés de leur foyer. Je ne crois donc pas que ce soi t toujours euphorique à l'image de
ce qu'on a aperçu dans le film. Tout ceci renvoie de toute façon à une question plus large qui
est : qu'en est-il de la couverture médicale en Afrique toute entière quand on sait que l'un
des pays se disant le plus développé sur ce point, à savoir le Maroc, ne couvre actuellement
que 23 à 30% de la population?
Je voudrais aussi en savoir plus sur l'implication des facul tés : est-ce que la formation
dispensée par Santé Sud en médecine générale communautaire est reconnue par les facultés
de ces pays?
REPONSE Q4
Guy Farnarier :
On ne va malheureusement pas avoir le temps de répondre à toutes ces questions . Mais à
savoir ce qu'est devenu le premier médecin installé, il s'agissait du Mali en 1989, et ce
médecin exerce toujours en milieu rural . Ce n'est pas forcément représentati f, mais ça veut
di re quelque chose.
QUESTION 5 Didier Seyler : Médecin généraliste parti quelque temps en Afrique et aujourd'hui médecin salarié à la
direction de la santé publique de Marseille
Ma question est : avez-vous une idée de la durée moyenne du nombre d'années
d'installation des médecins, au Mali et à Madagascar? Est-ce que beaucoup sont partis?
Par ailleurs , je fais beaucoup de formations auprès de médecins généralistes autour de thèmes
comme la vaccination et je rencontre beaucoup de médecins généralistes heureux,
notamment parmi les jeunes. Ce que refuse notamment cette jeune génération de médecins
c'est d'exercer dans les conditions de désorganisation absolue que nous avons connues . Ils
veulent faire un métier correct dans des conditions de bonne organisation. Je pense qu'on y
arrive peti t à peti t.
REPONSE Q5 Dominique Desplats :
L'OMS vient de rendre une étude sur le Mali et a constaté que les médecins installés par Santé
Sud étaient fidélisés en moyenne 4 ans et 8 mois , soi t le double des médecins qui s 'installent
dans d'autres cadres : fonction publique ou ini tiative personnelle. Ce n'est donc pas énorme,
mais c'est mieux que dans le cas lambda. A Madagascar en revanche, cette moyenne dépasse
les 5 ans .
20
QUESTION 6 Youla Daouda : Médecin étranger
J'aimerai apporter un témoignage par rapport à la formation car je suis moi -même le frui t des
écoles africaines . La formation en Afrique n'est effectivement pas égale entre tous les
étudiants , mais ce n'est pas toujours au rabais. Nous connaissons des diffi cul tés, notamment
par rapport aux bibliothèques universi taires , par rapport aux effecti fs trop nombreux, par
rapport au manque d'infrastructures ... Mais avec l'avènement des nouvelles technologies, les
étudiants s'efforcent de compléter au minimum leur formation. Il y a aussi un laxisme dans les
facultés de médecine, car les effecti fs sont fluctuants, c'est à dire parfois plus nombreux après
sélection qu'avant! Sans compter les problèmes politiques que connait l'Afrique et qui
permettent rarement que toute l 'année universi taire soi t assurée.
Ensuite, c'est la troisième fois que j'assiste à l'une de vos réunions et on évoque souvent le
Mali ou Madagascar lors des Points Rencontre Santé Sud, mais jamais mon pays, la Guinée.
Donc je voudrais savoir ce qui fait obstruction ici.
REPONSE Q6
Dominique Desplats :
Nous sommes allés en Guinée en 2004 pour voi r si un projet pouvai t y être implanté.
Malheureusement vous connaissez comme moi le tableau poli tique très di ffi cile là bas.
Or l'implantation d'un tel projet nécessite l 'accord du Minis tère de la Santé pour qu’il soi t
partie prenante. Nous avons prévu de retourner en Guinée en décembre. Nous connaissons
bien l 'association Fraterni té Médicale Guinée qui serait très partante pour travailler avec nous ,
et par ailleurs je sais qu'il y a beaucoup de médecins non-employés en Guinée. Donc ce type
de projet est possible là-bas et j'espère que nous pourrons le faire.
21
Conclusion
Guy Farnarier :
Beaucoup de choses ont été évoquées ce soi r et nous
sommes frustrés de ne pas pouvoir aller plus loin. Pour
terminer cette rencontre, nous allons parler du livre de
Dominique Desplats et Clément Razakarison dont la
lecture peut apporter des réponses à beaucoup de
questions soulevées ce soi r.
En Afrique et à Madagascar, depuis une trentaine
d’années, des efforts considérables ont été menés pour
fournir des soins de base aux populations rurales qui sont largement majori taires mais pour
lesquelles la quali té des soins reste médiocre. L’absence du médecin généraliste en première
ligne, véri table « cha înon manquant » de systèmes de santé sans médecins , es t paradoxale si
on considère le nombre de diplômés formés dans ces pays qui restent dans les capitales et les
centres urbains (76 % selon l ’OMS). Prenant la mesure du problème, l ’ONG Santé Sud soutient
depuis une vingtaine d’années les jeunes
médecins africains et malgaches qui font le
choix de s ’installer en zones rurales.
L’expérience a commencé au Mali, puis s ’est
développée à Madagascar et au Bénin.
Aujourd’hui plus de 200 « médecins généralistes
communautai res » exercent ce métier auprès de
populations qui représentent envi ron 2,5
millions d’habitants. Ce guide synthétise cette
approche novatrice. Il s ’adresse d’abord, de
façon pratique et didactique, aux jeunes
médecins dont beaucoup sont sans emploi , mais
aussi à tous ceux qui sont préoccupés par
l ’avenir et les nombreux défis qui restent à
relever en matière de santé.
LE GUIDE
du médecin généraliste
communautaire en Afrique et à Madagascar
Dr. Dominique Desplats et Dr. Clément
Razakarison
22
Crédits
Terry Dupont :
Retranscriptions
Guillaume Santini :
Rédaction, mise en page
Dominique Desplats :
Relecture