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À CAUSE D'UNE MOUETTE Gilles Fabre The Fi shing Cat Press

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À CAUSE D ' U N E M O U E T T E

Gilles Fabre

The Fishing Cat Press

BECAUSE OF A SEAGULL/A CAUSE D’UNE MOUETTE Textes et Illustrations

© Copyright, 2005, Gilles Fabre

Mouettes inspirées par Hugo Pratt

Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite

sous quelque forme que ce soit sans l’autorisation préalable écrite de l’auteur.

[email protected]

Publié par THE FISHING CAT PRESS

www.haikuspirit.org

ISBN 0-9551071-0-5 Première édition, 2005

ÀÀ CCAAUUSSEE DD’’UUNNEE MMOOUUEETTTTEE

HHaaïïkkuu

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Cher Lecteur, Le haïku – cette objective esquisse d’un moment privilégié – est plus qu’un genre littéraire ou poétique : la Voie du Haïku est une manière de vivre. Un haïku, dans son essence et son esprit, dévoile quelque chose que certains n’ont pas remarqué ni senti, montre du doigt un moment que d’autres ont manqué ou qu’ils n’ont pas daigné vivre, ou révèle, tout simplement, sous un angle différent ou une nouvelle perspective, une vérité que l’on connaissait depuis toujours. Le Haïku est un délicat raccourci vers le cœur de la Nature et notre vie de tous les jours. Suivre la Voie du Haïku nous fait prendre conscience qu’il faut respecter ce monde, aussi fragile que transitoire, dans lequel nous vivons mais peut également apporter à certains illumination et plénitude car cette Voie est une recherche personnelle, parfois une quête spirituelle pour vivre pleinement dans un monde meilleur. Suivre la Voie du Haïku équivaut aussi à reconnaître que chaque moment et chaque expérience que notre vie nous procure sont importants et que chaque être vivant que nous pouvons croiser sur notre chemin compte et mérite toute notre attention et notre humble compassion. Je vous souhaite bonne lecture et bonne promenade le long de mon chemin de haïku et tiens à vous dire combien je suis heureux que nos pas se soient croisés.

Gilles Fabre

La Voie du Haïku est d’abord une manière de vivre. Alain Kervern Je ne trempe pas ma plume dans un encrier mais dans la vie. L’Homme Foudroyé Blaise Cendrars

Même dans ma poche ~ elle est partout ce matin cette brise printanière

Comme ça, ce matin sur la croix de l’école aucune mouette ne se pose Vieux banc en bois bancal et écaillé : le premier jour du printemps arrive

Mon livre préféré ~ je m’en vais le lire sous ces cerisiers en fleur Premier à fleurir cet arbre tout tordu dans ma rue !

Fleurs de cerisier qui jonchez le sol : le balayeur arrive ! Il cherche sa monnaie ce vieillard, la chemise à l’envers

Comment l’annoncer à tous ces bourgeons ? prévisions de gel tardif

Au-delà de ce bourgeon prisonnier de la neige : un monde de bruit et de fureur

Averse du soir ~ dans le pub je trouve un parapluie A l’envers remplie de rosée : la coquille vide d’un escargot

En rangeant dans l’armoire les grosses couvertures je surprends une araignée Sous le soleil le poissonnier pousse aussi la camionnette du boucher

Sans pareil ~ la ligne bleue du test de grossesse contre le ciel bleu Giboulées du soir ~ de retour de la maternité je lave un couvert

Une tondeuse dans un champ escarpé presque recouverte par les herbes Après la messe le prêtre se ragenouille pour verrouiller la porte de l'église

Prends garde, grosse mouche, cette bibliothèque est remplie de plantes carnivores Dernière pomme ~ bien que gâtée et pleine de rides je vais te croquer !

Presque tous en fleurs les coquelicots que ma voisine a plantés avant de mourir Le courant est revenu ~ j’éteinds pour reprendre ma lecture à la bougie

Tout sourire l’employé des pompes funèbres lave le corbillard Dans chaque vague qui s’écrase, saisie par le soleil couchant, la puissance de l’Atlantique

Après-midi ensoleillé ~ un chaton découvre la chasse aux mouches Fin de journée ~ un vieux barbier rase un vieil homme

Juste assez grand l'oeil-de-boeuf des toilettes du pub ~ pleine lune d'été

Juste quand je pensais oublier cette journée : une coccinelle sur ma guitare Maisons alignées : chaque porte d’une couleur différente

Elle n'avait qu'une patte la mouette qui m'a réveillé Regarde, gros chat : tes nouveaux voisins ont un chien !

Une vieille dame lave ses vitres avec une chemise d’homme Averse d’été dans le parc ~ et moi qui me trouve sous le plus vieil arbre !

Dans la théière en fonte le thé de ce matin que réchauffe le soleil de midi Lecture sur une chaise longue ~ allez, papillon bleu, pose-toi encore sur ma main

Puisque du bleu parfait de ce ciel rien ne sort je souffle sur le carillon Chante, petit oiseau, chante ~ aide-nous à trouver un nom au bébé

Où maintenant ? au centre de la pièce une bestiole s’arrête Le téléphone sonne ~ si je bouge ce papillon blanc va partir

Plus blanc encore que ce nuage d'été le ventre de cette mouette Cadeau parfait pour mes quarante ans ~ le vol d’un héron gris

Par un tel jour, gros pissenlits mon grand-père vous aurait mis dans sa salade ! Arrosage des plantes sur le balcon et de mes jambes aussi !

Sur la glace, près des saumons d’élevage, ceux qui ont traversé l’océan Coucher de montagne ~ parmi les pins un arbre aux feuilles rouges

Allons frapper à toutes les portes ! quelle superbe journée Ouvert et tendu vers le soleil en cette fin d’été ~ un tournesol dans son pot

Encore un jour de canicule ~ et plus d’autre tee-shirt à ôter Ces livres que j’ai lus jadis font ployer les étagères

Je me suis assoupi contre cet arbre planté pour ma naissance Superbe ciel ~ à chaque étoile je veux clamer « je vais être papa ! »

Premières feuilles ~ avant de ratisser je regarde le ciel bleu

Moutons sous la pluie ~ qu’est-ce qui pourrait bien les faire cesser de paître ? A la source du ruisseau je plonge ma main et bois

Impossible de distinguer le ciel de l’océan ~ premier soir d’automne Dans ce monde où des hommes s'entretuent j'embrasse mon fils pour la première fois

Feuilles de saule qui tombent ~ jamais là où on croit Mon fils, endormi dans mes bras ~ près de la cheminée un pétale de rose tombe

B NVENUE AU VERMONT sur le panneau frontalier la veste d'un fermier Mouettes sur un chalutier échoué ~ toutes sauf une tournées vers la mer

De retour de la messe cinq vieilles dames partagent deux parapluies Rasage matinal ~ de plus en plus comme mon père : une grimace sur la glace

L’inconnu qui me salue avec son chapeau : chauve comme un œuf Les canetons de la mare ~ au plus petit bec le plus gros bout de pain

Rires avec ma mère ~ je tiens les mains de son corps de mourante Sous un soleil d’octobre je marche vers le lieu où ma mère va être enterrée

Le bruit du cercueil de ma mère que l’on descend dans la tombe ~ comme un coup à la porte Le cercueil de ma mère ~ maintenant à quelques centimètres de celui de son père

Sous un arbre incliné une pierre tombale penche dans l’autre sens Après les funérailles ~ dans l’avion je me surprends à scruter le ciel

Grêle de minuit ~ un chat noir me suit jusqu’à la maison Vent matinal qui fait trembler dans l’arbre la dernière feuille

Ce chat noir et blanc qui traverse le terrain de rugby gelé ~ l’esprit de mon enfance ? Avec cette brise océane trois ou quatre mouettes passent entre les poteaux de but

Stade de rugby comble ~ mouettes sur les barres transversales Tous ces yeux fixés sur la balle bottée en l’air ~ remarquent-ils l’arc-en-ciel ?

Si lourd à porter à la maison le premier sac de charbon de l’an Mon bon vieux pull marin ~ encore quelques jours et je vais te porter

Qui a le plus sursauté dans la ruelle : moi ou le renard de minuit ? Grosse mer dans le port ~ un vieux bateau de pêche cogne contre un yacht de millionnaire

Couchant d’hiver ~ un vieillard boiteux promène un chien qui boite

Ce feu pareil à tous les autres ~ sauf que c’est le premier de l’hiver Faibles pépiements ~ je m’arrête de lire pour attiser le feu

Parfait signet s'il était plus long mon cheveu blanc Montre-moi, oiseau chétif pris dans les bourrasques, comment affronter l’hiver

Aube à travers les champs gelés : pas une seule chose ne bouge Avec ces nuages blancs filant vers les pics enneigés s’en est allée ma colère

Premiers frimas ~ dans mon thé je verse un peu de miel Froideur de l’aube ~ sur une poubelle une brosse pleine de cheveux blancs

« Il gèle ce matin » tout ce dont les gens parlent ~ ce matin de gel Une châtaigne, gelée ~ qu’est-ce qui m’a pris de shooter dedans ?

En rentrant sur le pas de la porte j’évite encore cet escargot Ciel qui se couvre ~ sur une surface blanche je découpe des pieuvres

Assourdis par la neige qui tombe sans relâche les cris de ce corbeau Il dit « je » maintenant le répondeur de mon père, veuf

Ce chat de gouttière que je nourris des fois ~ un oisillon entre les dents Laisse-moi te sortir du milieu de la route escargot errant

Noël ou pas : encore et toujours, mouettes qui plongent dans la mer Pluie de Noël ~ deux gosses sous une cape de Batman

Maison en ruine sous la neige de minuit ~ comme tu dois te languir d’une famille Les emballages de Noël brûlent dans la cheminée - jour de l'an

Première pleine lune de l'année - et elle est prisonnière d'un arbre nu ! Extirpant la souris du piège ~ comment vais-je mourir ?

Par la fenêtre du bus que j’ouvre pour saluer un ami : première neige Deux cygnes décollent au-dessus du canal gelé ~ de nouveau aucun signe de vie

Certains de ces haïku ont été publiés dans les revues et anthologies suivantes : Haiku Spirit (Irlande) ; Presence (GB) ; Blithe Spirit (GB) ; Mushimegane (Japon) ;

HAIKU Sans Frontières (Editions David, 1998. Canada) ; The New Haiku (Snapshot Press, 2002. GB) ; Anthologie du Haïku en France (Aléas Editeur, 2003. France) ; World Haiku 2005 No. 1 (Publié par World Haiku Association, Nishida-shoten inc. Publisher, 2004. Japon).

Un haïkiste doté d'une extrême sensibilité, d'une compassion qui est une bénédiction. James W. Hackett

A la lecture de ces haïku, on réalise que le haïku est plus que de la poésie comme cela est simplement avancé dans l'avant-propos. Le haïku est un appel qui éveille pour vivre une vie plus intense avec un esprit ouvert. L'atmosphère dans ces haïku, avec une certaine légèreté et un sens de l'humour discret, révèle lentement la vraie identité du haïku : la rencontre continue entre l'Homme et la Nature. Après la lecture de ce recueil, un parfum émotionnel d'une destinée se laisse humer... La réussite de ce recueil réside également dans les grandes forces cosmiques de l'Univers qui se manifestent derrière les petits détails, les scènes banales que saisissent ces haïku. Alain Kervern

De nos jours, le haïku est autant imaginaire que réaliste. Nous trouvons souvent quelque chose de neuf, de mystérieux et d'important dans notre vie quotidienne. Gilles Fabre capture sincèrement ce quelque chose dans ses haïku. Il est indispensable d'avoir un moment qui comprenne ou suggère d'autres moments pour qu'un haïku soit excellent, comme celui-ci : Dans ce monde/où des hommes s'entretuent/j'embrasse mon fils pour la première fois. Gilles Fabre nous montre silencieusement une vérité réaliste et contemporaine de notre vie. Ban’ya Natsuishi. Co-fondateur & Directeur de World Haiku Association

Il a admirablement cultivé son propre style unique – un langage qu'il serait trompeur de croire facile, un bon rythme avec chaque mot familier séparé mais tous les mots ensuite combinés et arrangés ensemble ; de la magie. C'est la première ligne, et sa présence au début, qui fait tout de suite de ce haïku un poème original et universel : Même dans ma poche/elle est partout ce matin/cette brise printanière (Museum of Haiku Literature Award, Blithe Spirit, Journal of The British Haiku Society, Volume 7, Number 4). Susumu Takiguchi. Président et Fondateur du World Haiku Club

Ces haïku sont riches de par leur contenu et leur humeur ainsi que leurs angles de perception. Ses haïku possèdent également une robuste sensualité quelque fois difficile à détecter et expliquer au premier abord mais qui se dégage ensuite accompagnée d'un sentiment de joie. George Swede

La force de ce recueil réside dans l'innocence et l'honnêteté sans fards avec laquelle ces moments, qui sont des trésors sans (certains diraient) importance, sont partagés. Il y a quelques fois une certaine ironie, mais tout est toujours traité avec une grande délicatesse. Comme Issa, Gilles Fabre s'adresse aux moutons et papillons, pissenlits et escargots, même aux pommes ou à son pull marin et trouve constamment une sorte de joie de vivre dans les aspects ordinaires de notre vie. Il faut un esprit d'une grande humilité pour célébrer ainsi la vie. David Cobb. Ancien Président de la British Haiku Society

Je vis en Roumanie sur la côte de la Mer Noire où les cris des mouettes sont omniprésents dans la journée. Pour ces superbes poèmes, j'ai l'impression que tous ces moments se passent près de chez moi et que l'auteur a le pouvoir de voir tout le paysage avec les yeux d'un oiseau. Ce compagnon ailé - la mouette - donne le rythme de ces haïku réels, superbes de par sa présence. Lecture hautement recommandée. Ion Codrescu. Rédacteur en chef de la revue internationale de haïku Hermitage

ISBN 0-955 107 1-0-5

Publication : Fishing Cat Press