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RÉFLEXION SUR LES PRATIQUES ATHLÉTIQUES... L es éléments de la représentation spon- tanée qui accompagnent les explica- tions de la réussite d'une performance athlétique sont presque toujours liées au « physique » (1). Constat banal, qui s'expli- que par les caractéristiques d'une activité mesurée et, aussi, par le statut socio-histori- que de l'athlétisme : c'est une discipline qui a servi à tester, sélectionner, dégager des élites. Un tel constat n'est pas sans conséquence sur l'athlétisme scolaire qui éprouve une diffi- culté à se démarquer d'une approche techni- ciste (2) : la plupart du temps, les contenus d'enseignement sont directement puisés dans les analyses de la haute performance. Les prestations des athlètes de haut niveau sont appréhendées principalement à partir de référentiels biomécaniques et donnent lieu à des théorisations. des formalisations qui peu- vent être le support de modèles d'apprentis- sages. Ces modèles réduisent souvent l'acti- vité du débutant à quelques dimensions peu pertinentes. Ces contenus seraient peu opéra- tionnels si l'enseignant qui organise, inter- vient, aménage. « ne prenait le relais » lors- qu'apparaissent des incohérences. Grâce au « métier », il s'intéresse à l'activité du prati- quant lui-même, à ses conduites, ses motiva- tions, son organisation motrice... Il s'adapte... Cenains appellent cette activité d'adaptation « la pédagogie » en lui conférant parfois une dimension artistique. L'effort d'innovation auquel sont conduits actuellement des enseignants inquiets de constater que cette adaptation n'est plus suffisante pour « motiver des élèves » lors de leur pratique de l'athlétisme, implique une centration nouvelle sur des contenus à ensei- gner qui se démarqueraient d'un réfèrent unique « biomécaniste ». Il s'agirait alors de se centrer sur l'activité que déploient des élèves confrontés à des tâches d'athlétisme. Cette activité est le support d'un processus d'acquisition qui l'amène à s'approprier sa- voir-faire et savoir-ètre qui caractérisent la discipline. Les sujets doivent alors s'adapter à des exigences fonctionnelles dépendantes de règles essentielles de la spécialité, règles construites à partir d'une réflexion sur les permanences historiques et actuelles de la structure même de l'athlétisme. Celles-ci, ont toujours imposé une adaptation supérieure du système locomoteur à la pesanteur. Elles indiquent également que cette adaptation se réalise par confrontations successives, dans le cadre d'un choix d'obstacles que l'individu s'impose à lui-même. Comment se manifestent actuellement les difficultés relatives à la pratique de l'athlétisme en milieu scolaire ? Quelle signification donner à ces difficultés ? Comme peuvent en témoigner les collègues, et l'analyse de l'évolution des programma- tions d'établissements ces dernières années, on peut penser que les pratiques athlétiques scolaires sont « en crise » (3). On attribue ces difficultés au changement de « mentalité » des élèves (ils auraient perdu « le goût de l'effort ») ou à la « discipline athlétique » qui serait pas essence rébarbative, ou encore à la méconnaissance de celle-ci par des ensei- gnants. De toute façon, il nous semble que la question de pérennité... de cette pratique, en milieu scolaire, et des formes qu'elle pourrait prendre, soit posée, au-delà même des exi- gences institutionnelles (cf. les I.O. de 67). Il est vrai que les connotations accompagnant la représentation qu'ont les élèves et les enseignants de cette activité, constituent des freins non négligeables au développement d'innovation sur « le terrain du stade ». Perçue au travers d'images actuellement dé- valorisées au plan social (4) (rigueur, effort, performance, record, champion, stéréotype) conçue à partir de priorités accordées aux dimensions techniques, et énergétiques, la pratique de l'athlétisme paie l'absence d'une réflexion sur les « ressorts affectifs » et les dimensions relatives à la prise d'informa- tions, qu'elle implique. C'est là un handicap. Cependant, la variété des spécialités, la ri- chesse des actions qu'elle suppose, un nou- veau « rapport au corps » perceptible dans l'évolution des pratiques sociales actuelles [1] 24 Revue EP.S n°188 Juillet-Août 1984 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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RÉFLEXION SUR LES PRATIQUES

ATHLÉTIQUES...

L es éléments de la représentation spon­tanée qui accompagnent les explica­tions de la réussite d'une performance

athlétique sont presque toujours liées au « physique » (1). Constat banal, qui s'expli­que par les caractéristiques d'une activité mesurée et, aussi, par le statut socio-histori­que de l'athlétisme : c'est une discipline qui a servi à tester, sélectionner, dégager des élites. Un tel constat n'est pas sans conséquence sur l'athlétisme scolaire qui éprouve une diffi­culté à se démarquer d'une approche techni-ciste (2) : la plupart du temps, les contenus d'enseignement sont directement puisés dans les analyses de la haute performance. Les prestations des athlètes de haut niveau sont appréhendées principalement à partir de référentiels biomécaniques et donnent lieu à des théorisations. des formalisations qui peu­vent être le support de modèles d'apprentis­sages. Ces modèles réduisent souvent l'acti­vité du débutant à quelques dimensions peu pertinentes. Ces contenus seraient peu opéra­tionnels si l'enseignant qui organise, inter­vient, aménage. « ne prenait le relais » lors-qu'apparaissent des incohérences. Grâce au « métier », il s'intéresse à l'activité du prati­quant lui-même, à ses conduites, ses motiva­tions, son organisation motrice... Il s'adapte... Cenains appellent cette activité d'adaptation « la pédagogie » en lui conférant parfois une dimension artistique.

L'effort d'innovation auquel sont conduits actuellement des enseignants inquiets de constater que cette adaptation n'est plus suffisante pour « motiver des élèves » lors de leur pratique de l'athlétisme, implique une centration nouvelle sur des contenus à ensei­gner qui se démarqueraient d'un réfèrent unique « biomécaniste ». Il s'agirait alors de se centrer sur l'activité que déploient des élèves confrontés à des tâches d'athlétisme. Cette activité est le support d'un processus d'acquisition qui l'amène à s'approprier sa­voir-faire et savoir-ètre qui caractérisent la discipline. Les sujets doivent alors s'adapter à des exigences fonctionnelles dépendantes de règles essentielles de la spécialité, règles construites à partir d'une réflexion sur les permanences historiques et actuelles de la structure même de l'athlétisme. Celles-ci, ont toujours imposé une adaptation supérieure du système locomoteur à la pesanteur. Elles indiquent également que cette adaptation se réalise par confrontations successives, dans le cadre d'un choix d'obstacles que l'individu s'impose à lui-même.

Comment se manifestent actuellement les difficultés relatives à la pratique de l'athlétisme en milieu scolaire ? Quelle signification donner à ces difficultés ? Comme peuvent en témoigner les collègues, et l'analyse de l'évolution des programma­tions d'établissements ces dernières années, on peut penser que les pratiques athlétiques scolaires sont « en crise » (3). On attribue ces difficultés au changement de « mentalité » des élèves (ils auraient perdu « le goût de l'effort ») ou à la « discipline athlétique » qui serait pas essence rébarbative, ou encore à la méconnaissance de celle-ci par des ensei­gnants. De toute façon, il nous semble que la question de pérennité... de cette pratique, en milieu scolaire, et des formes qu'elle pourrait prendre, soit posée, au-delà même des exi­gences institutionnelles (cf. les I.O. de 67).

Il est vrai que les connotations accompagnant la représentation qu'ont les élèves et les enseignants de cette activité, constituent des freins non négligeables au développement d'innovation sur « le terrain du stade ». Perçue au travers d'images actuellement dé­valorisées au plan social (4) (rigueur, effort, performance, record, champion, stéréotype) conçue à partir de priorités accordées aux dimensions techniques, et énergétiques, la pratique de l'athlétisme paie l'absence d'une réflexion sur les « ressorts affectifs » et les dimensions relatives à la prise d'informa­tions, qu'elle implique. C'est là un handicap. Cependant, la variété des spécialités, la ri­chesse des actions qu'elle suppose, un nou­veau « rapport au corps » perceptible dans l'évolution des pratiques sociales actuelles [1]

24 Revue EP.S n°188 Juillet-Août 1984 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

... COMME CONTENU

D'ENSEIGNEMENT PAR R. DHELLEMMES 1re PARTIE

constituent à notre sens des avantages non négligeables. Il nous semble que l'actualisation de ces avantages dans des pratiques « motivantes » parce que renouvelées, implique des condi­tions qui peuvent constituer autant de diffi­cultés. Par exemple, il nous paraît nécessaire d'éviter la « facilité » de la succession de cycles ou seule, la variété et le changement constituent le seul principe organisateur censé « motiver les élèves ». Il paraît souhaitable d'éviter également une approche volontariste, au cours de cycles longs imposant une pratique prolongée de quelques aspects dits « fondamentaux de la discipline », devant servir de base aux ap­prentissages futurs. Cette démarche ne prend en compte qu'une dimension de la pratique. Elle risque de ne pas pouvoir faire naître l'intérêt des élèves. La solution réside alors dans la compétence de « l'enseignant-anima-teur à faire passer le contenu ». Ces pratiques ont cours actuellement comme en témoigne l'enquête réalisée par J. Marsenach [2] por­tant non pas sur l'athlétisme particulièrement mais sur la conception des cycles en EPS. Une troisième voie se fait jour comme le laisse entrevoir certains comptes rendus de pratiques professionnelles. Nous retiendrons parmi ceux-ci quelques-uns des plus récents. L'un d'entre eux s'appuie sur l'utilisation de la pédagogie par objectifs pour permettre à l'élève de s'approprier un « projet de course » qui lui serait propre [3]. L'autre utilise simultanément les différents « res­sorts » de la motivation de la course à pied [4] ; le troisième montre la confrontation des élèves à des tâches ouvertes visant à différencier des modalités d'action de projec­tion en fonction de buts divers [51. Ces tentatives ont en commun le souci de conserver toute l'originalité de la spécialité en mettant l'accent sur le rôle motivationnel. et sur les acquis susceptibles d'être « transféra­bles ».

Nous aurons à définir les critères à partir des quels nous pensons que ces tentatives tradui­sent un progrès dans le renouvellement d'une problématique portant sur les contenus de formation en athlétisme. Auparavant, il nous paraît utile de revenir sur un certain nombre de propositions pouvant constituer des éléments de réponse aux diffi­cultés que nous venons d'évoquer. Nous nous pencherons particulièrement sur des produc­tions dont l'ambition est d'appréhender l'athlétisme comme un ensemble d'activités ayant une cohérence propre et de proposer une organisation des contenus en rapport avec cette cohérence.

Analyse sommaire de quelques tentatives pour « didactiser » (5) l'athlétisme Sans que ce soit un problème particulier aux activités athlétiques, nous pensons actuelle­ment pouvoir mettre en évidence la façon dont se manifestent les réponses aux besoins pédagogiques en athlétisme, des enseignants d'EPS. Les productions depuis quelques an­nées, que ce soit dans la Revue EPS 01 par d'autres voies de diffusion, traduisent une préoccupation commune : celle de tenttr de « regrouper » les objectifs et les contenus d'enseignement relatifs à l'athlétisme, toutes spécialités confondues, sous des aspects communs. Que ceux-ci soient définis comme

des « points clés », des « fondamentaux », des éléments essentiels [6] dénommés « quali­tés de base » [7], attitudes principales [8], principes de base [9], la réflexion est orientée vers une approche globale de ce qu'il faudrait apprendre en athlétisme, au-delà des appren­tissages spécifiques disciplinaires (les haies, la perche).

Autrement dit, il semblerait qu'on ne devrait pas aborder d'apprentissage systématique d'une « technique » en athlétisme, avec un statut de « débutant athlète ». De ce point de vue, ne plus être débutant en athlétisme signi­fierait qu'on s'est approprié tout ou partie de ces aspects communs ; cette appropriation pouvant se réaliser au travers d'une pratique particulière, plus ou moins éloignée des ca­ractéristiques fondamentales des spécialistes. Mais si les préoccupations sont communes, les démarches, les résultats et les implications ne sont pas les mêmes.

Le premier problème est d'identifier le prin­cipe qui, du point de vue des auteurs, peut permettre de dégager les « aspects essen­tiels » qui sous-tendent l'accès à des compor­tements athlétiques.

Cette démarche peut s'appuyer sur la mise en évidence d'analogies gestuelles (en terme d'attitudes ou d'actions segmentaires - exem­ples : les rotations en disque et en saut en hauteur ventral) ; d'analogies biomécaniques (les chaînes musculaires en sauts et/ou en course [9], de développement de qualités physiques essentielles [7] ; de structures de comportement caractérisant une maîtrise de certains aspects de la fonction motrice (indé­pendance et fixation des ceintures ; ou en­core de problèmes d'apprentissage regroupés en rubriques ayant des aspects communs (démarche empirique s'éloignant de l'idée de système a priori) : sens du rythme, situation du corps par rapport aux engins [8].

D'emblée, nous voyons qu'en dehors du dernier cas, assez ponctuel, peu de démarches sont centrées sur l'activité de celui qui tente de s'approprier des « conduites » athlétiques. Cette diversité, relative certes, est à mettre au compte de points de départ différents. Pour certains, c'est l'analyse des pouvoirs ou des gestes des décathloniens qui sert de point d'ancrage à la démarche ; pour d'autres, c'est l'identité des acquisitions à réaliser dans des disciplines différentes ; pour d'autres enfin, il s'agira de dégager de l'ensemble des spéciali­tés des identités « posturales » à des mo­ments définis d'une observation (exemple : le griffé).

A partir de là. bien entendu, les conséquences sur la « structuration du contenu », c'est-à-dire sur la façon d'ordonnancer les activités dans la séance ou dans un cycle vont égale­ment être diverses. On peut dégager rapide­ment les modèles suivants : (1) Les activités ne seront pas spécifiques (non respect des règles des spécialités, des famil­les), mais générales. Elles sont alors explici­tement préparatoires ; l'enfant réalisera des parcours, des enchaînements d'action, etc..

2 Les spécialités sont établies selon une hiérar­chie pédagogique. Certaines spécialités seront abordées en priorité, avant d'autres, car elles permettent la résolution de problèmes géné­raux. Ainsi, la course est une voie d'entrée dans les sauts, le triple-saut précédera la longueur ; la succession est le principe orga­nisateur. 3 Les spécialités sont regroupées parce qu 'elles possèdent des points communs. On compte

au-delà des apprentissages spécifiques disciplinaires

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s'appuyer sur un principe de renforcement d'une discipline athlétique à l'autre (identité de structure gestuelle) (exemple : avancée des appuis dans tous les lancers). 4 Les spécialités sont traitées et organisées autour d'acquisitions communes à des groupes d'activité. Ainsi, le triple-saut, les haies, la longueur permettent d'aborder (en valorisant certains aspects) les problèmes relatifs à la coordination « courir bondir ». La spécificité de chacune d'entre elles est plus ou moins préservée. Ces diverses observations peuvent devenir des référents pour « programmer » des activi­tés en milieu scolaire. Mais il s'agit là, plus précisément, de modèles d'organisation de contenu de l'enseignement conduisant à un éloignement plus ou moins accentué de la motivation propre à une spécialité. Ces propositions peuvent ou non déclencher l'intérêt spontané des élèves. Pour notre part, nous verrons que cet intérêt doit s'ancrer dans la signification profonde de la spécia­lité. Mais ici, comme l'indique De Corte[10] le contenu est organisé, sélectionné à partir d'objectifs étant eux-mêmes construits à par­tir d'une analyse des productions d'athlètes de haut niveau. A ce titre, et même si les propositions didac­tiques analysées ici constituent des tentatives intéressantes pour avancer sur le terrain des contenus d'enseignement en éducation phy­sique, ces différentes approches sont réduc­trices : - réductrice dans l'analyse de la pratique elle-même, puisque parfois seule la dimen­sion énergétique (qu'elle prenne l'aspect phy­siologique ou biomécanique) sert de réfèrent pour l'analyse des comportements ; - réductrice enfin parce qu'elle n'envisage pas l'activité (7) que déploient les élèves quand ils sont confrontés aux tâches des spécialités athlétiques dans ce qu'elles ont de général et/ou de particulier. Nous avons vu comment ces contenus ont été construits. Il nous paraît souhaitable de ten­ter d'appréhender la signification de cette construction.

Signification des « organisations du contenu » Deux démarches sont envisageables pour structurer la matière à enseigner (ici l'athlé­tisme) : 1 La centration porte sur les productions de la haute performance comme produits. Un découpage de ces produits en phases se

réalise pour parvenir à des techniques ges­tuelles qui deviennent des normes que l'en­fant va s'approprier par réduction de la marge d'erreur qui le sépare du modèle. Si le modèle est inadapté au débutant, des règles, et du matériel nouveau, pour réduire la difficulté, peuvent être inventés : ainsi on réduira la masse du disque (en réduisant

également son diamètre, ce qui pose des problèmes quasiment insolubles de préhen­sion aux jeunes élèves) ; on aménagera les données spatiales en course de haies, on réduira les distances (600 m pour les filles de 17 ans... qui apparaît aux yeux de tous les spécialistes comme une distance « batarde », et peu significative en milieu scolaire).

@ Un effort pour considérer le processus qui sous-tend la production motrice centre le « di-dacticien » sur l'activité déployée par le prati­quant du haut niveau. L'analyse de son organi­sation psychomotrice (aspects perceptifs, posturaux...) permet de dégager des capacités (dissociation des ceintures, mise en tension musculaire, appuis actifs, griffé) qui vont devenir autant d'objectifs de développement pour tous. Il nous semble qu'une telle démar­che est illustrée par des auteurs comme Pia-centa ou Tronquai [6]. Le modèle peut être construit d'une façon peut être plus rigoureuse à partir de données multiples qui se recoupent. Ces données sont d'ordre empirique (observation directe de l'entraîneur, d'ordre instrumental (recueil des pressions et des vitesses par enregistrement), d'ordre théorique (utilisation de modèles biomécaniques). Un tel modèle, dégagé par A. Piron, donne un cadre interprétatif aux comportements de haut niveau mais, à notre connaissance, il ne donne pas d'éléments sur l'activité adaptative qui permettrait, par structuration successive, un mode de fonctionnement par « tension-renvoi », comme l'appelle l'auteur. Les élé­ments didactiques qui accompagnent cette approche, privilégient, semble-t-il, une « lo­comotion-rebond » (utilisation de plinthes, cordelettes, cerceaux...) et l'aspect énergéti­que du mouvement. Mais, ils laissent de côté un pan de cette activité adaptative que consti­tue la résolution de problèmes posés par le déploiement d'une énergie et son utilisation (je décolle pour éviter la barre en hauteur et non pour élever mon centre de gravité le plus haut possible). Il s'agirait alors d'approcher la construction des rapports réciproques entre course impul­sion (opérations - actions subordonnées) et franchissement (actions - but) (8). Quelles sont alors les caractéristiques fonctionnelles accompagnant chaque niveau d'adaptation ? La mise en évidence des étapes conduisant à ces niveaux reste à réaliser bien qu'elle puisse s'appuyer sur les nombreuses observations et propositions pédagogiques formulées empi­riquement par les enseignants d'EPS et les entraîneurs d'athlétisme depuis de nombreu­ses années. Par exemple, nous pensons que l'utilisation systématique de « parcours », même si elle s'appuie sur la connaissance d'un « ressort émotionnel » de l'athlétisme (voir dans un prochain n° d'EPS l'analyse de la course à pied qui suivra ces propos), laisse de côté une dimension essentielle de l'activité athlétique que nous caractériserons comme étant une « auto-évaluation » dans l'action (la mise en rapport des opérations subordonnées au but principal qui permet d'évaluer la conformité ou non de l'action par rapport au but pour­suivi. ) L'objectif est de construire des repères « es­pace-temps » caractérisant un niveau qui prenne en compte : la valeur physique de

réaliser des parcours, des enchaînements

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l'élève, ses représentations, ses fonctions posturales informationnelles. Ces repères caractériseraient son adaptation momenta­née. Construire une « didactique » impose, selon nous, ce détour, mais aussi la prise en compte d'autres données d'ordre scientifique : les travaux de B. Jeu et de A. Rauch éclairent ainsi les significations qui accompagnent l'activité des pratiquants, et nous mettent en garde contre les « excès de rationnalité péda­gogique » qui ôtent tout intérêt à des prati­ques pourtant « attrayantes quand elles res­tent spontanées » [11]. Les propositions qui suivent, représentent une tentative pour nous installer sur ce regis­tre. 11 s'agit de considérer les activités athléti­ques dans leur complexité et de montrer, au travers de situations concrètes, comment prendre en compte l'activité des élèves en poursuivant des objectifs de développement.

Référents proposés pour contribuer à un renouvellement d'une didactique de l'athlétisme L'athlétisme, par son originalité, sa spécifi­cité, provoque chez le pratiquant des condui­tes caractéristiques propres à cette spécialité. Confronter un débutant à l'athlétisme, c'est, d'emblée, provoquer chez lui des conduites de type athlétique, tant au plan émotionnel qu'au plan de l'élaboration d'un projet d'ac­tion et de son évaluation. Par conséquent, nous ne pouvons faire l'économie d'une ana­lyse de la spécialité, élargie à tous les domai­nes fonctionnels, et non réduite à la gestualité spécifique qu'elle induit par ses règles consti­tutives. D'autre part, nous ne pouvons nous contenter uniquement d'une description des comportements directement observables (même classés et catégorisés), car ils ne sont

que le produit, l'indicateur probable de pro­cessus plus complexes mobilisant des structu­res internes au plan de la réprésentation, de l'équilibration, de la prise d'information... il nous faudra donc cerner de façon plus pré­cise la signification profonde de l'athlétisme et des processus mis en jeu par l'individu quand il est confronté à ces significations.

SPÉCIFICITÉ ET SIGNIFICATION PROFONDE DE L'ATHLÉTISME

Spécificité en rapport avec les règles constitutives de l'athlétisme S'il nous fallait donner une définition de l'athlétisme, nous dirions, d'une manière générale qu'elle consiste à confronter le sys­tème locomoteur à la pesanteur. Cette confrontation exige de moduler des efforts à des intensités d'effectuation les plus élevées possible pour explorer ses pouvoirs et dépas­ser ses limites. Prendre le risque de perdre ou de conserver le contrôle de ce que l'on fait, de ce que font les autres, constitue le problème central auquel est confronté un individu lors­qu'il se livre à une pratique athlétique. Sa

des repères « espace-temps »

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résolution donne lieu à des stratégies très diverses : que signifie « assurer un essai ? » sinon diminuer le niveau d'intensité pour s'accorder le maximum de chances de réus­site dans l'effectuation et réaliser ainsi une performance plancher assurant la voie d'une qualification éventuelle ? Cette démarche représente également un des fondements sur lesquel doit s'appuyer l'ap­prentissage.

Aspects émotionnels de la pratique athlétique Si l'on pratique l'athlétisme, c'est que l'on aime ça ! Le goût de l'athlétisme peut prendre appui sur des motivations extérieures à l'acti­vité ; mais il peut aussi s'enraciner, de ma-

nière profonde, à la fois dans la spécialité et le pratiquant. En fait, il s'agit d'une adéqua­tion entre les besoins motivationnels de l'in­dividu et les émotions que véhicule, de ma­nière implicite mais très vivace, l'activité. Par conséquent, il serait dommage, au plan éducatif, de ne pas s'appuyer un tant soit peu sur la mise en place d'un milieu qui déclenche des conduites émotionnelles point de départ du processus pédagogique. Nous pouvons, à la lumière de ce qui vient d'être dit, tenter de dégager dans les diffé­rents domaines fonctionnels, ainsi que dans leur articulation respective, les aspects origi­naux de l'athlétisme : • Le domaine affectif : « s'éclater, être à bloc, claquer un saut... » sont autant d'ex­pressions utilisées dans le milieu de l'athlé-

tisme qui traduisent le niveau d'investisse­ment émotionnel des pratiquants. Tout cela renvoie, d'une certaine façon, à l'idéal du moi [12]

Le domaine cognitif : comprendre la no­tion de performance comme objectivation du résultat, comme concrétisation de l'intensité motrice et affective investies, explorer ses limites, ses pouvoirs, toucher l'inaccessible. • Le domaine moteur : résoudre des contra­dictions dans la coordination des actions propulsives comme créer de la vitesse dans

on pratique parce qu'on aime ça

ANALYSE DES TENTATIVES D'ORGANISATION « DU CONTENU » ATHLETISME « Construire des contenus nécessite une connaissance approfondie de la matière enseignée et de sa structure, des conditions d'acquisition et de construction du savoir »...

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un déplacement et l'utiliser dans un franchis­sement. Bien souvent, l'athlète est amené à valoriser une des composantes au détriment de l'autre, l'accroissement de vitesse ne per­mettant plus de contrôler les actions dans l'espace de franchissement. L'articulation de ces différents domaines fonctionnels détermine un certain nombre de conduites athlétiques : - les conduites de modulation de l'effort que nous avons déjà abordées ; - les conduites de confrontation avec soi-même, les autres. Elles permettent à l'athlète de dépasser ses limites ; - les conduites d'auto-élévaluation, avant, pendant, après l'action. Elles développent les capacités de concentration, amènent l'athlète à s'interroger sur les raisons de l'échec ou de la réussite de sa prestation.

Notion de capacités réinvestissables en athlétisme Nous avons envisagé, plus haut, les diverses tentatives pour trouver des « fondamen­taux ». Nous pensons nécessaire de déplacer la problématique des acquisitions fondamen­tales sur l'activité déployée par l'élève. Ce déplacement ne peut se réaliser que par la mise en évidence du réinvestissement possi-

ble des acquis d'une spécialité ou d'une fa­mille à une autre. Ces acquis dépasseraient le cadre strict de la fonction locomotrice pour aborder les aspects relatifs à d'autres fonc­tions (représentation, équilibration, informa­tion...). L'acquisition de ces structures de comporte­ment n'est pas seulement liée à la mise en situation de l'élève, mais à l'activité globale finalisée qu'il va y déployer sous la médiation de l'enseignant. L'école a pour fonction, nous semble-t-il, de favoriser l'acquisition, par le plus grand nombre, de compétences athléti­ques éventuellement réinvestissables.

(A suivre) Raymond Dhellemmes

Professeur d'EPS UER-EPS - Lille

Membre du C.P.S. F.S.G.T.

Bibliographie [1] Revue Esprit. Février 1982. Le corps entre illusions et savoirs. [2] Marsenach (J.). Journées Debeyre - 1982 - Noux-les-Mines. [3] Versepuech (G.). Du trois-quarts au demi-fond : le 3 000 m en classe de 6e mixte - Revue EPS - № 174, avril 1982, pp. 39 à 42. [4] Mauffrey (D.). « Dire sa pratique » - Revue EPS № 178 - Décembre 1982. vitesse, relais, demi-fond sont conçus comme un tout au cours du cycle. [5] Bruneau (M.). Des lancers légers : Revue EPS № 174. L'enfant est amené à construire une trajectoire d'engin lancé à partir des rapports réciproques prévi­sion/distance. [6] Tronquai (A.). Athlétisme en EPS. l'apport de la pratique spécialisée. Revue EPS № 172, décembre 1981, pp. 25. [7] Pradet (M.). Les épreuves combinées. Revue EPS № 173, pp. 11 et suiv. [8] Coriot (G.). Les fondamen­taux de l'athlétisme, Paris, Vigot, 1950. [8] Goriot (G.). Les fondamentaux de l'athlétisme. Vigot, Paris. 1980. [9] Guézille (G.). Athlétisme : une conception du geste athlétique. Revue EPS № 159. octobre 1979. pp. 22 à 27. [10] Corte (de). Les fondements de l'action didactique, Bruxelles, De Boecks, 1981. [11] Arnault (P.). Le corps en mouvement. Ed. Privat, Toulouse. 1981. p. 141). [12] Guillion (F.) et (A.). - Sport et créativité. - Ed. Universitaire.

Notes (1) Physique, notion qui recouvre un ensemble de domaines qu'ils soient d'ordre mécanique, énergétique, morphologique, etc. (2) Le technicien se caractérise par la réduction du mouvement à son déroulement dans l'espace (positions et gestes), à l'apprentissage de normes d'exécution, tirées des modèles de haut niveau. (3) Les propositions de l'UNSS au travers de l'opéra­tion « athlétisme 80 » ont cependant permis, dans cer­taines régions de poser différemment le problème. Il est possible quand même que la grande masse des élèves ne soit pas touchée par ces opérations. (4) Encore qu'il faille nuancer selon les normes socio­culturelles de référence (cf. C. Pociello). (5) Nous donnons à ce terme le sens précisé par Descorte (les fondements de l'action didactique : partie des biens culturels existants... qu'on présente aux élè­ves dans le but de réaliser les objectifs didactiques). (6) Nous donnons à ce terme le sens qu'indique Parle-bas : organisation signifiante du comportement moteur défini comme individu agissant (lexique commenté en science de l'action motrice). (7) Francine Best indique qu'il faut comprendre sous ce terme quatre dimensions : celle du projet, celle du vécu, celle des opérations mentales et de celle de l'affectivité (activité fonctionnelle). (8) Pour développer ce point, voir Famose (J.-P.) péda­gogie de situation. Revue EPSI. décembre/janvier 1983. p. 2 et suivantes. (9) En l'occurrence celui de la poursuite.

actions compatibles avec les trajectoires

Comment les domaines de l'activité déployée par les pratiquants inter­agissent en vue de la conquête de pouvoirs nouveaux

Photos de l'auteur. Dessins : Raymond Dhelemmes.

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